- Mercredi 5 mars 2025
- Audition de Mme Noémie Kohler (soeur de Cécile Kohler), de M. Louis Arnaud (ex-otage) et de proches des familles de deux autres otages (Jacques Paris et Olivier Grondeau) détenus en Iran
- Projet de loi autorisant la ratification du traité sur la coopération dans le domaine de la défense entre la République française et le Royaume d'Espagne - Examen du rapport et du texte de la commission
- Projet de loi autorisant l'approbation de la résolution n°259 portant modification de l'Accord portant création de la Banque européenne pour la reconstruction et le développement afin de permettre l'élargissement de son champ d'action géographique à l'Afrique subsaharienne et à l'Irak - Examen du rapport et du texte de la commission
- Projet de loi autorisant l'approbation de l'accord entre le Gouvernement de la République française et l'Observatoire du réseau d'antennes d'un kilomètre carré (SKAO) relatif à l'adhésion de la France à l'Observatoire - Examen du rapport et du texte de la commission
- Projet de loi autorisant la ratification du Traité de coopération en matière de défense entre la République française et la République de Djibouti, signé à Paris le 24 juillet 2024 - Désignation de rapporteurs
- Projet de loi autorisant l'approbation de la Convention d'entraide judiciaire en matière pénale entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la république du Suriname, signée à Paris le 15 mars 2021 - Désignation de rapporteurs
- Mercredi 5 mars 2025
Mercredi 5 mars 2025
- Présidence de M. Cédric Perrin, président -
La réunion est ouverte à 9h30.
Audition de Mme Noémie Kohler (soeur de Cécile Kohler), de M. Louis Arnaud (ex-otage) et de proches des familles de deux autres otages (Jacques Paris et Olivier Grondeau) détenus en Iran
M. Cédric Perrin, président. - Nous avons l'honneur d'accueillir ce matin Mme Noémie Kohler, soeur de Cécile Kohler, détenue en Iran depuis le 7 mai 2022, Mme Thérèse Grondeau et M. Alain Grondeau, parents d'Olivier Grondeau, arrêté en Iran en octobre 2022 et dont la situation a été récemment rendue publique, ainsi que M. Louis Arnaud, libéré en juin 2024 après une détention de près de deux ans en Iran.
Je laisserai le soin à chacune et à chacun d'entre vous de vous présenter, et de raconter votre histoire, en me contentant de saluer, au nom de notre commission, le courage, la dignité et la solidarité dont vous faites preuve face à l'angoisse incommensurable et à l'arbitraire dont vous et vos proches êtes ou avez été victimes.
Votre cas est, malheureusement, loin d'être isolé. En effet, des citoyens de diverses nationalités, principalement européens, sont régulièrement arrêtés en Iran sous des prétextes fallacieux - en général des accusations d'espionnage. Depuis 2010, près de 70 citoyens de nationalité étrangère ou ayant la double nationalité auraient été détenus par les autorités iraniennes - les derniers en date étant un couple de ressortissants du Royaume-Uni arrêtés le mois dernier. Il resterait plus d'une dizaine de ressortissants européens dans les prisons iraniennes, dont Cécile Kohler, Jacques Paris et Olivier Grondeau, que le Quai d'Orsay désigne désormais comme des « otages d'État ».
Cette pratique odieuse de la prise d'otage est intimement liée à l'histoire de la République islamique : on se souvient de la détention pendant plus d'un an du personnel de l'ambassade des États-Unis, ou encore des enlèvements des citoyens français au Liban dans les années 1980, derrière lesquels beaucoup ont vu la main de l'Iran. Certains chercheurs ont même été jusqu'à parler d'une « diplomatie des otages », conçue comme une pratique systématique et asymétrique destinée à obtenir des concessions de nature diverse de la part des puissances européennes.
De fait, de nombreux otages auraient fait l'objet d'une transaction, à l'image d'Asadollah Assadi, diplomate impliqué dans un projet d'attentat à Villepinte, libéré de manière concomitante à Olivier Vandecasteele, un humanitaire belge détenu en Iran.
On peut également voir, derrière ces arrestations, la recherche d'un assouplissement de certaines positions, notamment dans le cadre des négociations sur le nucléaire iranien, la volonté de nourrir un récit complotiste qui voit dans la contestation interne la main de l'étranger, ou encore une forme de concurrence entre divers organes de l'État, notamment les Gardiens de la révolution et les services de renseignement.
Quoi qu'il en soit, les otages sont, de manière très claire quoique non assumée officiellement, une monnaie d'échange dans la relation entre la République islamique et les États européens. Ce qui a fait dire à l'otage britannique Nazanin Zaghari-Ratcliffe, détenue pendant près de six ans : « Je n'étais plus qu'un objet dont la valeur changeait constamment ».
Devant l'absence de progrès notable dans les discussions avec Téhéran, vous avez, collectivement, fait le choix de rendre votre situation publique, afin d'intensifier la pression sur les autorités iraniennes et d'exposer cette pratique pour ce qu'elle est : un chantage odieux. Notre commission vous soutient pleinement dans cette démarche, en espérant que votre audition contribuera à alerter le public français, mais aussi à démontrer aux autorités iraniennes que cette prise d'otages ne leur profitera pas. Je solliciterai également votre avis sur l'idée de nommer un envoyé spécial de l'Union européenne sur les otages, qui permettrait de mieux peser dans les discussions avec l'Iran.
Je remercie aussi l'ensemble de mes collègues présents lors d'une rencontre que nous avons eue avec vous, madame Kohler, et d'autres membres de votre collectif, dont certains prendront sans doute la parole aujourd'hui.
Je terminerai, avant de vous donner la parole, en citant ces mots magnifiques, chargés d'angoisse et de solidarité en même temps, écrits en détention par Olivier Grondeau : « Cécile, Jacques et moi atteignons cette période éphémère où notre innocence se manifeste dans son plus vif éclat, flamboie comme elle n'a jamais flamboyé. Rugit comme l'incendie. »
Mme Noémie Kohler. - Merci pour votre accueil et pour votre engagement pour la cause des otages. Je représente ma soeur Cécile Kohler et son compagnon Jacques Paris, qui ont été arrêtés le 7 mai 2022 alors qu'ils découvraient le pays. Ils ont été enlevés par les autorités iraniennes et ont disparu pendant sept mois pendant lesquels nous ignorions tout de leur état de santé, de leur lieu de détention, ainsi que des motifs et des circonstances de leur arrestation. Puis nous avons appris, le 23 novembre 2022, qu'ils étaient détenus dans la section 209 de la prison d'Evin, à Téhéran : c'est une section de haute sécurité sous le contrôle des services de renseignement iraniens, qui échappe à toutes les règles s'exerçant normalement en prison et au contrôle des autorités pénitentiaires classiques. Nous comprenons alors que Cécile et Jacques sont détenus dans des conditions inhumaines, qu'ils ont eu très peu de contacts avec leur ambassade, uniquement trois visites consulaires d'une durée de 10 à 20 minutes et sous très haute surveillance, avec interdiction d'évoquer certains sujets, en particulier le dossier juridique.
Depuis, ils n'ont pas accès à des avocats indépendants, nous avons des contacts très aléatoires avec eux, moins d'une fois par mois, par le biais d'appels en visioconférence qui durent entre trois et dix minutes, sous haute surveillance. Dans ces échanges, nous sentons qu'ils sont soumis à une pression psychologique extrêmement forte qui les pousse à ne pas s'exprimer sur leur état de santé réel ni sur leurs conditions de détention, ce qui est une grande source d'inquiétude pour nous, d'autant que les conditions inhumaines de détention sont largement documentées dans cette section 209 ainsi que les maltraitances que les détenus y subissent. Cécile et Jacques ont été torturés psychologiquement, ce qu'on appelle la « torture blanche », ils ont été soumis à l'isolement cellulaire complet pendant au moins trois mois. À l'issue de cette période, ils ont été contraints de faire de faux aveux diffusés à la télévision d'État iranienne. Leur dossier juridique est d'un flou total, nous sommes confrontés à l'arbitraire pur, nous n'avons aucune information sur leur procès ; apparemment, ils ont déjà eu des audiences et, lors du dernier appel que nous avons eu avec eux, ils nous ont annoncé que le verdict allait bientôt tomber, sans avoir de date précise, et que ce verdict serait extrêmement sévère.
J'aimerais attirer particulièrement votre attention sur la situation de Jacques Paris. Il est sans doute celui des trois otages sur lequel s'abat l'acharnement le plus dur de la part des autorités iraniennes. Il a 71 ans, il est enfermé dans cette section 209 où il dort à même le sol, sans aucun meuble, il n'a reçu que huit livres depuis le début de sa détention - nous ignorons lesquels et s'il en dispose encore. Depuis plusieurs mois, il se plaint de partager sa cellule avec une personne dangereuse. Nous n'avons pas plus d'informations. Il ne porte presque jamais ses lunettes lors des appels, alors qu'il a une mauvaise vue et qu'il en a besoin pour voir clair.
Cécile m'appelle régulièrement, ses espoirs sont sans cesse brisés par ses geôliers, ce qui la brise elle-même. J'ai été particulièrement choquée lors de notre dernière conversation, le 19 février, Jacques l'accompagnait - je les ai vus tous les deux et le visage de Jacques m'a profondément inquiétée, il est de plus en plus creusé. Nous sommes terriblement inquiets, nous pensons que Jacques est en grand danger physique et psychologique, il y a une urgence vitale à le sortir de là.
Lors de notre dernier échange, Cécile s'autorisait à exprimer ouvertement son désespoir. Elle a utilisé ces mots : « Jusqu'à présent, je me suis battue. Je me suis battue pour vous protéger. Je me suis battue pour vous montrer que je tenais le coup. Mais je n'ai plus la force. C'est trop dur. C'est trop long. Ne pas avoir de perspective de libération, c'est insupportable. On ne sortira jamais. » Elle est terriblement désespérée, nous sommes terriblement inquiets pour leur santé : Cécile et Jacques sont en train de mourir à petit feu dans cette section 209, nous nous sentons absolument impuissants. Nous avons l'impression que les autorités françaises elles-mêmes sont impuissantes, ne serait-ce que pour obtenir leur transfert dans le quartier général de la prison, dont les conditions de détention sont moins dures, en tout cas sont vivables. Ils sont dans une situation de survie depuis trois ans. Nous sommes terriblement angoissés à leur sujet.
Mme Thérèse Grondeau. - Je suis la mère d'Olivier Grondeau. Il a été arrêté à Chiraz le 12 octobre 2022 dans l'auberge de jeunesse où il se trouvait. Il a passé dix semaines de garde à vue dans la section 209, dont il est ressorti complètement démoli psychologiquement. Il a ensuite été renvoyé à Chiraz, où il devait être emprisonné. Il pense à Jacques et Cécile, qui sont toujours dans ces conditions inhumaines depuis leur arrestation. Il est désormais à Téhéran, où il bénéficie de meilleures conditions, mais il vit avec la hantise permanente de voir ses compagnons de cellule emportés - les gardiens se délectent à dire que ceux qui partent vont être exécutés. Tout ceci est terrible à vivre, c'est très dur psychologiquement.
M. Tristan Bultiauw. - Je suis le porte-parole d'Olivier Grondeau, qui a choisi de médiatiser sa situation le 13 janvier dernier par l'intermédiaire du collectif dont je suis également porte-parole. S'il médiatise maintenant sa situation, c'est parce qu'il est à bout de forces. Bien sûr, ses conditions de détention sont meilleures que celles de Cécile et Jacques, qualifiées de « torture » par le ministre Jean-Noël Barrot. Cependant, Olivier est en danger. Il a été transféré de Chiraz à Téhéran pour des raisons de santé - il se scarifiait tant à Chiraz que les autorités ne pouvaient plus le surveiller. Sa détresse est grande, comme sa maman vient de le dire. Vivre au quotidien et côtoyer la mort met en péril n'importe quel esprit humain. Il s'est fait le témoin et le relais des conditions atroces dans lesquelles se trouvent Cécile et Jacques, il les a vécues pendant 72 jours, pendant sa garde à vue et son incarcération dans la section 209. Olivier pense tous les jours à Cécile et Jacques, et c'est en leur nom aussi qu'il s'exprime dans les médias.
Sa situation est très compliquée, puisque les gardiens sont encore moins coopératifs que ceux de Chiraz. Olivier, pour survivre en prison et ne pas devenir fou, écrit et étudie. Aujourd'hui, ces ressources sont devenues des moyens de pression sur lui. Il n'a pas accès à sa correspondance ni à ses livres aussi souvent qu'à Chiraz. C'est la même chose pour le téléphone, qui a toujours été pour lui le moyen de continuer à être dans la vie. Aujourd'hui, ses appels sont beaucoup plus restreints, souvent coupés, de mauvaise qualité et ils ne durent guère plus de dix minutes en général.
Ces arrestations, vous l'avez bien dit, sont complètement arbitraires, elles n'ont aucun fondement juridique ni éthique. Cécile, Jacques et Olivier ont été kidnappés au milieu de leur voyage, qui relevait du tourisme. Ils n'ont rien à se reprocher, mais aujourd'hui, ils sont accusés de faits très graves, d'espionnage, qui n'ont aucun fondement juridique, pas même dans le droit iranien. Olivier recourt à une avocate en Iran qui essaie de le défendre et de montrer que sa détention est illégale au regard du droit iranien ; elle a demandé une mise en liberté conditionnelle avec bracelet électronique et résidence à l'ambassade de France, mais les services secrets iraniens y ont fait obstacle, confirmant l'arbitraire de cette arrestation et de cette détention.
M. Louis Arnaud. - Merci pour votre accueil. J'apporterai mon témoignage en tant qu'ex-otage de la République islamique d'Iran. J'ai été arrêté en 2022, alors que j'étais parti faire un tour du monde. J'étais entré en Iran en tant que touriste, début septembre, juste avant le début des manifestations du mouvement « Femme, Vie, Liberté ». J'ai été arrêté arbitrairement, en compagnie d'autres Européens, par le ministère des renseignements, l'entité qui détient aujourd'hui Cécile, Jacques et Olivier. J'ai été arrêté pour ma prétendue participation aux manifestations, sans aucune preuve. Cette arrestation d'une dizaine d'Européens, d'après ce que j'en sais, avait pour but d'alimenter le fantasme du complot occidental dont les autorités disent qu'il serait responsable des manifestations. Olivier Grondeau, que je ne connaissais pas, a été arrêté quelques jours après moi. J'ai été condamné par un tribunal révolutionnaire à cinq ans d'emprisonnement pour rassemblement et complot contre la sécurité nationale de la République islamique, dans un procès expédié, sans aucune preuve, sans avocat. J'ai finalement été libéré, après avoir passé presque deux ans en détention, dans la prison d'Evin à Téhéran, où j'ai côtoyé de nombreux autres otages de plusieurs nationalités européennes et américaine.
L'éclairage que je souhaite apporter à votre commission tient en trois points. Je peux témoigner des conditions tout à fait inhumaines de détention que connaissent Cécile, Jacques et Olivier en Iran, et alerter sur le risque très réel que ces conditions font peser sur leur état physique et mental. Le deuxième point, c'est attirer votre attention sur la nécessité d'apporter un soutien qui soit à la fois psychologique, matériel et administratif aux otages et à leur famille, pendant la détention, mais également après : les difficultés ne s'arrêtent pas à la libération, et la réinsertion sociale et professionnelle est un véritable parcours du combattant. Le troisième point, c'est de sensibiliser à cette pratique de la prise d'otages par la République islamique, qui n'est pas nouvelle mais qui a pris une ampleur extraordinaire ces dernières années, très inquiétante et qui est vouée à perdurer, ce qui me semble nécessiter une prise de conscience et une réaction forte et coordonnée de niveau européen.
M. Rachid Temal. - Merci pour cette audition, Monsieur le président, j'exprime tout notre soutien aux otages retenus par la République islamique d'Iran. Vous l'avez souligné et le ministre l'a dit, les otages subissent une véritable torture et cette expérience reste un traumatisme pour ceux qui en sortent. Les conditions d'incarcération sont inhumaines, elles ne respectent pas même le droit iranien - elles répondent à une logique précise, qui vise à briser les hommes et les femmes qui les subissent.
Avec mon groupe, nous avions adressé l'an passé un courrier signé par 90 sénateurs à l'ambassade d'Iran, qui n'a jamais daigné répondre. Nous avons aussi posé une question d'actualité à l'occasion des 1000 jours de détention de Cécile Kohler et Jacques Paris. Cette réunion d'aujourd'hui est importante, il faut débattre de ce que nous pouvons faire, en France et à l'échelle européenne, voir quels sont nos leviers pour faire changer cette situation. Peut-être le Sénat pourrait-il aussi adopter une proposition de résolution pour réaffirmer notre solidarité envers les otages français et appeler à des sanctions contre l'Iran : une résolution de notre assemblée, même symbolique, aurait son importance.
Mme Catherine Dumas. - Lorsque nous nous étions rencontrés le 22 janvier, madame Kohler, vous nous aviez fait part de vos réticences à médiatiser le sujet, ce que l'on comprend bien. Vous avez été reçus depuis par le Président de la République : comment cette réunion s'est-elle passée ?
Cette nouvelle audition par notre commission montre que le Sénat a compris qu'il fallait exercer une certaine pression. Il y a très peu de leviers pour faire libérer les otages. Quel type de pression médiatique pouvez-vous mettre en oeuvre, y compris à l'échelle européenne ?
Le Sénat peut sensibiliser des responsables institutionnels, mais chacun d'entre nous peut aussi mobiliser les Français sur l'ensemble du territoire, car la situation des otages français en Iran est méconnue de nos compatriotes.
M. Cédric Perrin, président. - Nous sommes ouverts à toutes ces discussions, même si nous n'avons pas les leviers d'action et que nous savons que le Gouvernement essaie que les otages soient libérés le plus rapidement possible. Vous avez décidé de médiatiser cette situation parce que la libération n'intervient pas, et nous voulons vous y aider, modestement. Rendre public, cela veut dire aussi parler, sensibiliser, faire comprendre aux autorités iraniennes, qui nous écoutent, combien cette situation est scandaleuse
Mme Noémie Kohler. - Nous aimerions vous demander d'activer tous les leviers dont vous disposez en tant que parlementaires. Le levier médiatique est très important pour nous. Nous voulons médiatiser cette situation très largement pour faire connaître la situation de nos proches, mais aussi pour informer les gens qu'il ne faut pas aller en Iran. Beaucoup de choses peuvent être mises en place. Il est par exemple possible d'afficher les portraits des otages sur les grilles du Jardin du Luxembourg, ce serait important - la présidente de l'Assemblée nationale nous a donné son accord pour que cela soit fait sur la façade de l'Assemblée nationale. Pour accompagner notre médiatisation, il vous est possible de parler de la situation des otages dès que vous en avez la possibilité. La diplomatie parlementaire est un levier très important. Nous demandons également que la France saisisse la Cour internationale de justice sur la situation des otages.
La réunion avec le Président de la République a duré une heure et demie. Nous avons eu communication de quelques éléments plus concrets sur les négociations menées pour la libération de nos proches. Malheureusement, en ce qui concerne Cécile et Jacques, le Président de la République s'est montré pessimiste pour une libération à court ou moyen terme. Nous en sommes ressortis sonnés et découragés.
M. Alain Grondeau. - Lorsqu'il nous a reçus à l'Élysée, le Président de la République a demandé à sa chargée de communication d'intervenir auprès de France Télévisions pour qu'il y ait un rappel systématique à l'occasion des journaux télévisés, je sais que la présidente de l'Assemblée nationale veut agir dans le même sens. Cette initiative est importante, les journaux télévisés sont très suivis, il faut agir parce que la mobilisation retombe vite, dès qu'on n'en parle plus.
M. Cédric Perrin, président. - À l'issue de notre dernière rencontre, le 22 janvier, nous avions décidé d'activer un certain nombre de réseaux pour que la presse prenne davantage en considération le sort des otages. J'ai souvenir du journal télévisé de TF1 et de France 2 qui s'ouvraient avec l'annonce du nombre de jours de détention de Marcel Carton et des autres otages au Liban. C'est une chose qui pourrait être mise en oeuvre, à la condition que la rédaction de ces journaux l'accepte : c'est une demande que nous formulons publiquement aujourd'hui, puisque nous sommes écoutés. J'ai reçu l'ambassadeur d'Iran il y a quelques semaines, avant notre rencontre, où je n'ai évidemment pas manqué de parler de cette question des otages. La réponse qu'il m'a faite ne me satisfait guère, je vous passe les propos qu'il a eus sur nos compatriotes retenus en prison. Il m'a également dit que la situation de Cécile et Jacques est rendue plus compliquée du fait qu'une décision de justice est intervenue.
M. Jean-Luc Ruelle. - Je vous exprime toute ma sympathie et je salue votre courage. Connait-on le nombre d'otages étrangers détenus en Iran ? Vous avez été arrêté avec d'autres Européens, qui ont été libérés plus vite que vous : est-ce que les Français seraient moins bien traités et retenus plus longtemps que les otages d'autres nationalités, et si oui, savez-vous pourquoi ?
Mme Nicole Duranton. - Merci pour vos témoignages glaçants. Quelles étaient vos conditions de détention et quel a été votre parcours de libération ?
M. Louis Arnaud. - Il reste encore des otages européens, en particulier le docteur Ahmad Reza Djalali, qui est un binational suédois et iranien, en prison depuis presque neuf ans et qui est sous le coup de la peine de mort. Depuis ma libération, une Italienne a été arrêtée puis libérée quelques semaines plus tard ; deux Britanniques ont été arrêtés très récemment et il y a des suspicions d'un nouvel otage allemand. J'estime qu'il reste une dizaine de personnes retenues en otage.
D'après ce que je sais, la prise d'otages par le régime répond à deux cas de figure. Soit le régime a un objectif précis - le plus souvent un échange de prisonniers, comme pour Assadollah Assadi et Hamid Nouri, ou encore un dégel des actifs iraniens à l'étranger, comme dans le cas des Américains que j'ai côtoyés. Soit le régime arrête des Occidentaux par opportunisme ou pour légitimer une propagande, et je pense que c'était mon cas et celui des Européens arrêtés dans la même période. Ces divers cas d'arrestation vont perdurer, parce que dans l'escalade des tensions entre l'Iran et l'Occident, ce pays cherche des leviers dans ses négociations, mais aussi parce que le régime a besoin d'alimenter son idéologie nourrie du spectre d'un complot occidental contre lui. Le ministre des affaires étrangères demande aux Français d'arrêter de se rendre en Iran jusqu'à la libération des otages, mais en réalité, il faut arrêter de se rendre en Iran tout court, tant que les causes de ces prises d'otages n'auront pas disparu.
Les Français sont-ils traités différemment ? Dans les faits, oui. J'ai été arrêté avec deux autres touristes, un Polonais qui a été libéré au bout de six jours, une Italienne qui a été libérée au bout de 45 jours, tandis que je suis resté presque deux ans en prison. Lorsque j'étais en détention, j'ai vu partir les prisonniers des autres nationalités avant moi et avant les Français - et ceux qui restent aujourd'hui sont pour la plupart des Français. Au pic des détentions d'otages, pendant la période où j'étais détenu à la prison d'Evin, il y avait sept otages français. Nous formions le plus gros contingent ; il semblerait qu'un traitement spécial soit réservé aux Américains, aux Britanniques et aux Français.
Quand il est arrêté, la première étape pour un otage est d'être conduit, quelle que soit la ville d'arrestation, dans un quartier de haute sécurité, géré par les services de renseignement ou les gardiens de la Révolution. Les conditions y sont extrêmement dures. Vous êtes mis à l'isolement, dans une cellule d'à peine 4 mètres carrés, complètement dépouillée, il n'y a pas de fenêtre, pas de meuble, il n'y a rien. Vous vivez sous l'oeil des caméras, probablement des micros également. Vous dormez, vous mangez à même le sol et on peut vous laisser pendant des jours, des semaines, des mois, sans rien vous dire de la durée de cette détention : il n'y a pas de règles et vous êtes complètement coupé du monde. Il n'y a pas de livres, pas de télévision, vous n'avez aucun contact avec l'extérieur. Votre cellule n'a pas de sanitaires non plus, on vous emmène trois fois par jour aux toilettes et une à deux fois par semaine dans une salle d'eau. Lorsqu'on le décide, vous êtes ensuite transféré dans une cellule commune aux conditions très similaires, si ce n'est que la cellule fait peut-être 8 ou 9 mètres carrés et que vous aurez des codétenus. Les conditions y restent les mêmes. On vous emmène prendre l'air deux à trois fois par semaine, une vingtaine de minutes. Toute sortie de la cellule se fait les yeux bandés, que ce soit pour aller prendre l'air ou pour les interrogatoires. Les contacts avec l'extérieur, c'est-à-dire avec la famille et avec l'ambassade, sont extrêmement rares.
J'ai passé six mois dans ces conditions. Pendant ces six mois, j'ai eu trois appels avec ma famille, des appels de trois minutes qui sont étroitement surveillés. On n'y a pas le droit de dire ce qu'on veut, je n'avais pas le droit de parler de mon arrestation, ni de mes conditions de détention et parfois, on me dictait ce que je devais dire.
Ces appels ne visent pas à réconforter les détenus, mais, bien au contraire, ont pour but d'attiser la souffrance des détenus et de la famille. À cela s'ajoutent le harcèlement, les humiliations, les menaces que vous subissez en permanence par les gardes, par les interrogateurs, par le juge. L'objectif de cette torture psychologique est de briser les personnes pour recueillir des aveux forcés, parfois filmés comme cela a été le cas pour Cécile et Jacques. Ce n'est qu'une question de temps et de moyens, les tortionnaires savent qu'ils vont arriver à leurs fins.
Dans cet environnement, tout est fait pour vous ôter votre humanité. Vous êtes rabaissé à la condition d'animal maltraité, juste maintenu en état de survie. Vous êtes complètement isolé du monde, qui cesse d'exister. Il n'y a plus que le chaos, cette terreur. Tout ce qui vous parvient, ce sont les hurlements des détenus d'autres cellules à côté. On se sent extrêmement vulnérable. On sent qu'on est dans une zone de non-droit et on ne sait pas quelles sont les limites de ces personnes qui vous torturent, on sait seulement qu'elles vous tiennent à leur merci, sans savoir quand cela s'arrêtera. On vit dans la peur permanente, c'est un sentiment qui ne nous quitte jamais, on a peur tout le temps, même la nuit. Cette pression extrême peut amener à un point de rupture. Au mois de janvier, un touriste suisse est mort dans une autre prison iranienne, très certainement dans des conditions similaires. Le gouvernement iranien a parlé d'un suicide, mais je sais d'expérience que tout est fait pour que vous ne puissiez pas porter atteinte à votre corps dans ces prisons et qu'il y est impossible de s'y suicider. Vous y êtes sous surveillance permanente : au moindre incident dans votre cellule, les gardiens interviennent dans la seconde. On rapporte que des Iraniens aussi sont morts en prison. J'ai vécu une partie de ma détention dans un état de profonde dépression. J'ai vu la dégradation très rapide de mon propre état de santé. Je témoigne donc qu'il y a des risques de dommages physiques et psychologiques, certainement irréversibles. Il y a un danger très réel : on peut mourir dans cet endroit, il faut en être conscient.
J'ai passé six mois dans ces conditions, qui m'ont paru des années. Olivier Grondeau est également passé par là, il en est ressorti détruit. Jacques et Cécile vivent dans ces conditions depuis presque trois ans, des conditions qu'on ne retrouve guère y compris pour d'autres otages - je le dis pour avoir recueilli bien des témoignages d'autres otages -, il y a urgence absolue à sortir Cécile et Jacques de cet enfer.
M. Ludovic Haye. - Je m'associe à la douleur et à l'inquiétude qui sont les vôtres pour toutes les personnes détenues arbitrairement en Iran, et dans d'autres pays. Cécile étant originaire de Soultz, en Alsace, je m'entretiens régulièrement avec le maire de cette commune, comme sénateur du Haut-Rhin ; samedi dernier, à l'Assemblée générale des maires du Haut-Rhin, nous avons reçu Pascal Kohler, le père de Cécile et Noémie, pour manifester notre solidarité et notre inquiétude. Nous sommes à vos côtés et nous sommes mobilisés. Je salue l'énergie et la motivation qui sont les vôtres pour qu'il ne se passe pas un jour sans qu'on parle des otages, c'est important.
Il faut faire de la prévention, dire aux gens de ne pas se rendre en Iran ; des Britanniques viennent de se faire arrêter, ce pays est dangereux.
Je vous remercie du fond du coeur pour tout ce que vous faites, vous pouvez compter sur nous pour vous aider.
M. Cédric Perrin, président. - Notre réunion fait écho à notre débat d'hier, en séance plénière, sur la sécurité en Europe et sur l'Ukraine. Alors que les démocraties représentaient 7 pays sur 10 il y a encore quelques années, elles ne sont plus que 4 pays sur 10 aujourd'hui. Ce recul est saisissant et nous devons porter le débat devant l'opinion, où les partis extrémistes montent en puissance. Nous parlons ici de l'Iran, mais combien d'autres pays font pression par ce genre de politique ? Notre réunion s'inscrit donc dans un débat plus large, à commencer par celui que le Sénat a tenu hier et qui a été salué dans la presse.
Mme Marie-Arlette Carlotti. - Merci pour vos témoignages troublants et effrayants. Comment pouvons-nous vous aider davantage ? Nous nous saisirons de toutes vos propositions. Je crois qu'il faut activer le réseau de la presse et de la télévision. Si nous nous adressons directement au président Larcher, il s'associera certainement à la démarche de la présidente de l'Assemblée nationale. Il est urgent d'agir, pour mobiliser l'opinion. La presse est libre, bien entendu, mais cela ne nous empêche pas de lui faire des demandes - nous pourrions, à l'issue de notre réunion, demander à la rédaction de Public Sénat si elle accepterait de diffuser les photos des otages retenus en Iran. Cela constituerait une première accroche vis-à-vis de France Télévisions et un soutien très fort du Sénat.
M. Olivier Cadic. - La République islamique d'Iran pratique la diplomatie des otages depuis son avènement - je salue votre courage et vous remercie pour vos témoignages. Nous pensons à Cécile, Jacques et Olivier, nous leur manifestons notre solidarité et nous vous manifestons notre sympathie dans l'épreuve que vous traversez.
Le ministère des Affaires étrangères, depuis juillet dernier, déconseille formellement à nos compatriotes de se rendre en Iran. Votre suggestion d'employer la diplomatie parlementaire est bienvenue, nous gagnerions pour ce faire à disposer d'un document récapitulatif que nous pourrions remettre systématiquement à tous nos interlocuteurs, ambassadeurs et collègues parlementaires des pays avec qui nous sommes en contact. Je préside le groupe d'amitié avec les pays du Golfe, à ce titre je rencontre beaucoup de personnes dans des pays voisins. Un tel document me serait utile.
Un peu avant d'être libéré, avez-vous perçu des signes avant-coureurs de votre libération ou était-elle une surprise complète, imprévisible ?
M. Guillaume Gontard. - Au nom du groupe Écologie, Solidarité et Territoires, j'exprime mon soutien et ma solidarité à l'égard des otages et de leurs familles et je vous remercie pour vos témoignages, qui sont forts et difficiles. La communication est essentielle, pour mobiliser l'opinion.
Face à cette effroyable diplomatie des otages, la réponse doit avoir une dimension européenne et notre réunion, en effet, fait écho aux débats que nous avons eus hier dans l'Hémicycle. Nous sommes en négociation au niveau européen sur la question du nucléaire iranien, cela joue un rôle dans cette diplomatie des otages. La résolution votée par le Parlement européen est importante, et je crois qu'une résolution sénatoriale sur cette question des otages serait bienvenue.
Je partage tout ce qui a été dit sur la question médiatique, nous pouvons nous adresser à Public Sénat et à d'autres médias. Tout ce qui marque et peut montrer notre témoignage et notre soutien, à la fois pour les otages et pour leurs familles, est essentiel.
M. Louis Arnaud. - Pendant ma détention, il m'a semblé que la plupart des négociations se déroulaient à l'échelon national, chaque pays négociant de son côté. L'échange de Hamid Nouri, qui était détenu en Suède, a été une occasion manquée de faire libérer des otages français. Je crois qu'il faut une prise de conscience au niveau européen, pour que l'Europe s'empare de ce problème à bras-le-corps, en étant beaucoup plus ferme.
Il faut médiatiser la situation des otages en Iran ; c'est important car cela rend la position de la République islamique plus difficile à tenir. Aujourd'hui, l'Iran n'est pas mis en difficulté du fait de cette diplomatie des otages. Le ministre des affaires étrangères, Jean-Noël Barrot, a proposé aux autres pays européens d'instaurer des sanctions contre le régime ou contre des membres du régime. Cela va dans le bon sens.
Il n'y a eu aucun élément avant-coureur de ma libération. Le contexte d'alors paraissait même défavorable : le président iranien venait de décéder dans un crash d'hélicoptère et la France venait d'annoncer la dissolution de l'Assemblée nationale ; les deux pays étaient en conflit sur le sujet du nucléaire et le Moyen-Orient était à feu et à sang. Il paraissait exclu que ma libération intervienne dans ce contexte, la négociation s'est faite entièrement dans l'ombre. En réalité, pour l'otage, la situation de désespoir perdure jusqu'au dernier moment. Même quand on est transféré dans une prison publique, où les conditions sont un peu plus tolérables, comme c'est le cas pour Olivier Grondeau aujourd'hui, on est toujours dans ce néant de ne pas savoir combien de temps la détention va durer. C'est extrêmement difficile et frustrant. J'en étais arrivé à me dire que même si j'arrivais au bout de mes cinq années d'emprisonnement, le régime pourrait trouver une raison de me garder s'il considérait ne pas avoir obtenu le bon prix pour me vendre. C'est une situation très perturbante.
Je veux souligner le courage qu'a eu Olivier Grondeau de témoigner à visage découvert, mais aussi le désespoir qu'il faut atteindre pour en arriver là. J'y avais pensé lorsque j'étais détenu, mais cette idée était tout en bas de ma liste, tant je savais qu'en le faisant, je courais le risque de retourner aux pires conditions de détention que j'avais connues à Evin. Et il faut savoir qu'Olivier restera à ce niveau de désespoir jusqu'à sa libération.
Je tiens vous remercier pour votre action de médiatisation, d'accompagnement, de pression mais, quand on est otage, tout cela s'effondre à la sortie. La libération n'est pas un absolu. Au moment de ma libération, un diplomate m'a dit : « Maintenant, c'est la partie difficile qui commence. » Quand vous sortez, vous êtes confronté à un traumatisme psychologique qui nécessite un traitement dans la durée. J'ai été libéré il y a neuf mois, ma situation continue d'évoluer en permanence, cela peut durer des années - des otages qui sont sortis avant moi sont toujours dans de grandes difficultés.
Il y a ce besoin d'un accompagnement psychologique, mais aussi d'un accompagnement matériel et financier. Quand vous sortez, si vous avez passé longtemps en prison, vous n'avez plus de droit à la sécurité sociale, vous n'avez plus de mutuelle, vous avez des problèmes avec votre banque, vous n'avez plus d'assurance, vous n'avez pas de logement et vous n'avez plus de travail. La réinsertion est extrêmement difficile. Il n'existe pas de statut de victime ou d'otage d'État, cela complique la situation et vous devez en passer par un parcours du combattant, juste après avoir été privé de votre vie, de votre volonté, de toute possibilité de choisir - on sort d'une période terrible où l'on a été complètement dépossédé de sa vie et, tout d'un coup, on bascule dans une situation où il faut gérer mille problèmes à la fois. Cela peut être écrasant.
Il faut bien être conscient que le jour où Jacques, Cécile, Olivier seront libérés, leurs difficultés ne s'arrêteront pas. Il y a un besoin d'accompagnement pendant la détention, pour les otages et pour les familles. Celles-ci sont dans une détresse psychologique extrêmement forte, en particulier parce qu'elles ne savent rien de la situation précise de leur proche retenu en otage, ni des négociations, on doit croire sur parole les rares informations qu'on obtient - c'est une situation extrêmement difficile, qui peut créer des conflits très importants chez les proches et les amis.
Il y a aussi un besoin d'accompagnement matériel et financier. Quand on se rend devant votre commission pour témoigner, par exemple, on ne peut pas travailler, on engage des frais. J'ai eu la chance que ma mère soit à la retraite lorsque j'ai été pris en otage, mais je sais que la mobilisation extrême des familles les plonge dans une situation très précaire, il faut les soutenir.
M. Alain Cazabonne. - Vous dites qu'il y aurait plus de Français otages en Iran, savez-vous pourquoi ?
Mme Gisèle Jourda. - Merci du fond du coeur pour vos témoignages, on entend votre souffrance, on entend qu'on reste encore otage même une fois libéré. Vous dites avoir côtoyé des Iraniens en prison, j'avais des relations avec ce pays mais les réseaux sont désormais coupés, il y a eu un durcissement évident du régime. Quelles relations aviez-vous avec vos codétenus iraniens ?
M. Louis Arnaud. - Ce qui caractérise la détention en Iran, pour les otages étrangers comme pour les Iraniens, c'est l'arbitraire. Les interprétations varient sur les motivations du régime à retenir tel otage plutôt que tel autre, il me semble qu'on ne peut faire que des conjectures. S'il y a plus de Français dans les prisons, est-ce parce que le régime veut négocier davantage avec la France, ou d'abord par opportunisme, parce qu'il y avait plus de Français en Iran au moment des enlèvements ? Je n'ai pas la réponse. Cependant, la France joue un rôle plus prégnant sur la scène internationale que d'autres pays européens ; cela peut être un facteur d'explication, mais ce n'est qu'une hypothèse.
J'ai surtout côtoyé des Iraniens pendant ma détention, ils m'ont toujours accueilli avec une hospitalité exemplaire, ils m'ont traité comme l'un des leurs. Je n'ai que de la gratitude envers eux. Pour moi, c'était un honneur de côtoyer ces combattants de la liberté. C'est aussi la raison pour laquelle, même une fois sorti on est toujours en partie là-bas, pas seulement en tant qu'otage, mais aussi en tant que citoyen sensibilisé à la cause de ce peuple.
Mme Valérie Boyer. - Merci pour ces témoignages bouleversants. Jusqu'à présent, on nous demandait d'être discrets sur la détention des otages français en Iran, on nous reprochait même de ne pas l'être, cela m'est arrivé à Marseille. Je suis admirative de votre parcours et je vous assure de mon plein soutien. Je ferai en sorte que dans la mairie où je suis élue, le portrait et le nom de nos trois otages français soit affichés.
M. Alain Joyandet. - Concrètement, qu'est-ce que la République a fait à votre libération pour subvenir à vos besoins ? Avez-vous été pris en charge, ou bien avez-vous été livré à vous-même pour votre réinsertion sociale et professionnelle ? Une cellule existe-t-elle pour soutenir les personnes libérées ?
Mme Hélène Conway-Mouret. - Je vous félicite pour le courage dont vous faites preuve. Je sens dans cette pièce une certaine solennité ce matin, un certain poids. Vous avez trouvé les mots justes pour décrire un parcours bouleversant et, pour ma part, vous m'avez bouleversée. Dans les tortures qui vous ont été infligées, vous avez évoqué la volonté de briser la personne physiquement, psychologiquement. Vous avez déclaré avoir senti que vous n'étiez plus qu'une monnaie d'échange. Vos tortionnaires ont-ils tenté de vous insuffler une idéologie, une propagande ? Font-ils subir un lavage de cerveau aux Iraniens qui sont détenus ?
Concernant l'accompagnement, c'est à nous de réfléchir à la levée des obstacles que vous évoquez à votre retour ; il est absolument impensable qu'après avoir vécu cela, vous faisiez face à une réinsertion très compliquée en France.
L'idée d'afficher les portraits des otages est bienvenue, en France mais aussi à l'étranger. Nous sommes un certain nombre de sénateurs ici à représenter les trois millions de Français de l'étranger. La solidarité n'est pas qu'hexagonale et elle doit être effective y compris dans l'accompagnement après cette épreuve.
M. Louis Arnaud. - La prise en charge après ma libération a été organisée de manière très efficace. J'ai passé deux semaines à l'hôpital Bégin, pour faire une batterie de tests médicaux - et une très légère évaluation psychologique. Ensuite, il fallait se débrouiller. J'avais de la chance, car mes parents pouvaient m'accueillir ; je sais que cela a été plus compliqué pour d'autres otages.
Il y a un fonds d'indemnisation des victimes, mais il vise les victimes du terrorisme. La République islamique d'Iran ne figurant pas sur la liste des organisations terroristes, ce fonds n'est pas accessible aux otages après leur libération. Des discussions sont en cours pour assouplir cet accès, il faut combler le vide juridique envers les otages d'État.
Quel est le but de la torture psychologique, jusqu'où les tortionnaires vont-ils ? Cela dépend des situations, les tortionnaires s'acharnent davantage sur certains otages - c'est le cas, malheureusement, pour Cécile et Jacques. Les geôliers ont-ils pour but de nous faire adopter une idéologie ? Je ne sais pas, mais ce qui ne fait aucun doute, c'est qu'ils veulent créer une détresse extrême.
Dans les prisons iraniennes, la délation est fortement encouragée, vous avez donc peur de parler en cellule, peur de vous confier, car on a peut-être placé avec vous quelqu'un dont on sait qu'il va ou qu'il peut plus facilement vous trahir. J'ai côtoyé et rencontré de nombreux otages et anciens otages, en Iran et ailleurs, et ce qui me semble évident, c'est que l'expérience d'être un otage est tellement traumatisante et profonde qu'il n'y a pas deux personnes qui en ressortent avec le même état et le même ressenti. C'est pourquoi il faut un suivi très personnalisé et donner accès à toutes les thérapies qui existent. Les dommages psychologiques sont très divers, et les voies de réparation également.
M. Jean-Baptiste Lemoyne. - Je vous remercie pour vos témoignages bouleversants, et j'entends les carences sur l'après, une fois la libération obtenue. Il y a une voie à emprunter avec le Fonds de garantie des victimes des actes de terrorisme et d'autres infractions (FGTI), créé dans les années 1980 après des attentats où l'Iran et ses proxys avaient leur part de responsabilité. Il faut peut-être élargir son accès aux familles des otages d'État ; nous pourrions nous saisir de ce sujet par une proposition de loi transpartisane de notre commission.
M. Cédric Perrin, président. - C'est aussi mon idée.
M. Christian Cambon. - Face à l'effroi que vous nous avez exprimé, nous ne pouvons que souhaiter que ce drame n'arrive plus à d'autres Français. Quel niveau d'information avez-vous eu lorsque vous avez entrepris ce voyage ? Quelle a été l'action du Quai d'Orsay pour vous informer, au-delà des cartes publiées indiquant les zones à éviter ? Avez-vous reçu des avertissements sur les dangers que vous couriez ? Y a-t-il eu une véritable information ou une tentative de vous dissuader de voyager ? Nous devons agir auprès du ministère des affaires étrangères pour que d'autres candidats au voyage aient accès à une information complète sur ce que vous avez vécu, afin qu'ils puissent éventuellement renoncer à ce déplacement.
M. Louis Arnaud. - Quand on se rend en Iran, on sait que ce n'est pas un pays comme les autres. J'avais lu attentivement le descriptif du ministère des affaires étrangères, on ne parlait pas d'otages à cette époque-là. Il y avait des recommandations sur la nécessité de se tenir à l'écart de tout rassemblement, de ne pas avoir de drone, de ne pas prendre de photos de bâtiments publics.
Je n'ai jamais vu les manifestations où le régime prétend que je me suis rendu. Je n'avais aucune photo dans mon téléphone. Le sentiment qu'on avait, en se rendant en Iran, c'est qu'en faisant attention, on ne prenait pas de risque.
Après mon arrestation, le Quai d'Orsay a changé de discours et invité tous les Français à quitter le territoire iranien. Depuis, le site du ministère des Affaires étrangères mentionne un risque très important d'arrestation arbitraire, les conditions de détention, ainsi que les grandes difficultés pour l'ambassade de venir en aide aux Français détenus en Iran.
Malheureusement, ces avertissements ne sont pas toujours entendus, l'idée demeure qu'on ne sera pas arrêté si l'on ne prend pas de risque et que ceux qui sont détenus ont probablement fait quelque chose d'imprudent. Or, je suis l'une des preuves, et loin d'être la seule, qu'on peut être arrêté tout à fait arbitrairement.
M. Olivier Cigolotti. - En tant que questeur, je vous informe que nous venons d'obtenir un accord de Public Sénat pour médiatiser la situation des otages français en Iran. Reste à en définir les modalités.
M. Cédric Perrin, président. - Merci à chacun pour vos témoignages. Je n'ai pas de mots assez forts pour exprimer notre soutien, notre solidarité, et le souhait d'une libération la plus rapide possible des Français retenus en otage en Iran. Je suis ému de vos témoignages poignants, nous partageons votre détresse et votre inquiétude. Soyez assuré que, modestement, nous continuerons à médiatiser la situation des otages en Iran et à sensibiliser le ministère des Affaires étrangères pour une pression maximale sur l'Iran qui détient des otages d'État. Merci pour vos témoignages, merci pour votre présence devant notre commission. Cela démontre tout l'intérêt que nous portons à cette cause qui est noble, qui concerne nos concitoyens mais aussi tous les citoyens du monde.
La réunion est close à 11h05.
Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo disponible en ligne sur le site du Sénat.
Projet de loi autorisant la ratification du traité sur la coopération dans le domaine de la défense entre la République française et le Royaume d'Espagne - Examen du rapport et du texte de la commission
M. Cédric Perrin, président. - Nous allons entendre le rapport de notre collègue Rachid Temal sur le projet de loi autorisant la ratification du traité sur la coopération dans le domaine de la défense entre la République française et le Royaume d'Espagne, et examiner le texte de la commission.
M. Rachid Temal, rapporteur. - Le traité soumis à notre examen fait suite à un précédent accord remontant au mois d'octobre 1983, il a été signé à Barcelone le 19 janvier 2023 et vise à moderniser et à renforcer l'accord existant, en particulier sur la question du statut des forces lors d'opérations, c'est-à-dire du Sofa, selon l'acronyme anglais.
Chacun connaît le rôle de notre partenaire espagnol au sein de l'Union européenne et de l'Otan, ainsi que le travail que nous menons ensemble sur le dialogue avec la Méditerranée et l'Afrique du Nord, notamment dans le cadre du dialogue 5+5, réunissant cinq États européens et cinq États nord-africains.
L'Espagne participe à l'effort collectif pour la défense et le soutien de l'Ukraine, en avançant notamment un milliard d'euros d'aide militaire en 2025 et en fournissant du matériel de guerre. Le pays compte 136 000 militaires. Toutefois, il demeure en deçà de l'objectif des 2 % du PIB consacrés à la défense, une question qui figurera à l'ordre du jour du prochain sommet de l'Otan.
Nous partageons avec l'Espagne plusieurs programmes d'armement, notamment l'A400M Atlas, l'avion stratégique MRTT Phoenix, le projet d'Eurodrone et des travaux sur le système de combat aérien du futur (Scaf).
L'Espagne participe enfin à des opérations de maintien de la paix, avec une présence à nos côtés dans la Force intérimaire des Nations unies au Liban (Finul), ainsi qu'en Roumanie, où je vous rappelle que la France est Nation-cadre.
Notre coopération est donc une réalité, sur le terrain comme en matière industrielle.
Ce traité vise à densifier et moderniser notre relation, initiée en 1983. La discussion a débuté le 15 mars 2021 entre le Président Macron et le Premier ministre Pedro Sanchez, aboutissant à la signature de ce traité le 19 janvier 2023.
Deux traités ont en réalité été signés ce jour-là entre nos deux pays.
Le premier, intitulé traité de Barcelone, s'inscrit dans une logique similaire au traité du Quirinal signé avec l'Italie en novembre 2021. Il ne nous revient pas de ratifier ce premier texte - ce qui soulève par ailleurs des interrogations quant à la répartition des traités au regard de l'article 53 de la Constitution.
Le second texte, qui vous est soumis aujourd'hui, fait, quant à lui, l'objet, en tant que traité, d'une signature au niveau du chef de l'exécutif : c'est en effet une obligation découlant du droit interne espagnol. Il relève d'une ratification par le Parlement.
Parmi les points importants, on soulignera qu'il modernise le cadre juridique de l'accord existant, notamment concernant les dispositifs « Sofa » de l'OTAN, qui définissent le statut des troupes en cas d'intervention. Il étend également les champs d'application de nos échanges au renseignement, à la lutte contre le terrorisme, à la cyberdéfense, aux menaces hybrides, au spatial, à l'énergie, au changement climatique, à la médecine militaire, au rôle des femmes dans les armées, aux activités géographiques et cartographiques, ainsi qu'aux activités culturelles et historiques.
Ce traité comprend dix-neuf articles, dont l'un des plus importants est l'article 6, qui prévoit la modernisation des espaces de coopération et de dialogue, notamment le Conseil franco-espagnol de défense et de sécurité (CFEDS), tombé en désuétude. Cet article institutionnalise également les échanges entre la direction générale des relations internationales et de la stratégie (DGRIS) du ministère des armées avec son homologue espagnol. Enfin, il prévoit la réunion annuelle d'un comité d'armement bilatéral.
Je vous propose d'adopter ce projet de loi de ratification, déjà approuvé par l'Assemblée nationale, qui sera examiné en séance publique selon la procédure simplifiée.
M. Philippe Folliot. - Est-il question de l'île des Faisans dans ce texte, ce condominium unique entre la France et l'Espagne ?
M. Rachid Temal, rapporteur. - Non.
M. Philippe Folliot. - Le devenir de l'A400M, produit à Séville, constitue un enjeu majeur au regard de la situation actuelle avec les Américains. Notre forte dépendance en matière de capacités de projection rend l'arrêt potentiel de l'A400M particulièrement préoccupant pour l'Europe, avec des répercussions sur les relations franco-espagnoles. Ce sujet relatif à l'aspect défense a-t-il été abordé dans le cadre des discussions ?
M. Rachid Temal, rapporteur. - L'accord datant de 2023, les derniers événements ne sont pas pris en compte. Néanmoins, le texte prévoit la réunion annuelle d'un comité bilatéral sur l'armement.
Si je puis me permettre, la stratégie française concernant l'Ukraine et notre sécurité nationale ne me semble pas très claire après avoir entendu le Premier ministre. J'attends les précisions du Président de la République.
Évidemment, les accords conclus jusqu'à présent, dont celui-ci, subiront inévitablement les effets de la nouvelle donne stratégique mondiale. C'est pourquoi les outils d'échange, notamment le comité d'armement, sont essentiels pour traiter des sujets comme celui de l'A400M. Aujourd'hui, nous ne pouvons plus feindre d'ignorer la situation, mais notre affranchissement de l'alliance américaine s'annonce complexe et progressif. Le maintien de l'Otan reste nécessaire.
M. Cédric Perrin, président. - La commande polonaise prolonge le maintien de la chaîne de production de l'A400M, et d'autres commandes pourraient suivre.
M. Rachid Temal, rapporteur. - Le véritable débat porte sur l'échelle. La succession de petites commandes ne suffit plus, l'enjeu stratégique consiste à développer une capacité industrielle transformable en cas d'urgence. Cette réflexion s'inscrit dans un cadre plus large, incluant notamment les questions de financement. Tous ces sujets méritent d'être reconsidérés.
Mme Hélène Conway-Mouret. - Les Espagnols ont-ils voté la ratification de ce texte ? Ils sont traditionnellement très atlantistes - d'où l'importance capitale de ces traités. Cette évolution pourrait constituer un facteur incitatif pour recentrer les efforts sur la coopération européenne et privilégier les achats intra-européens, sans pour autant se retirer de l'Otan ni des structures actuelles. Jusqu'à présent, les Espagnols accordaient une nette préférence à la relation transatlantique...
M. Rachid Temal, rapporteur. - Non, nous sommes en avance sur la ratification.
Le débat sur l'atlantisme mérite d'être nuancé : le véritable changement ne vient pas tant des Espagnols que des premières déclarations du futur chancelier allemand, qui modifient radicalement la donne. Cela dit, la base industrielle et technologique de défense (BITD) française n'est pas exempte de critiques quant à sa capacité à s'exporter dans d'autres pays.
Sur la question européenne, l'idée d'une armée européenne ne semble pas pertinente et la complémentarité entre l'Otan et les initiatives européennes de défense reste essentielle.
Pour autant, un sujet crucial se profile : la proposition actuelle de la Commission européenne d'utiliser un règlement, et non une directive, pour créer le marché unique de l'armement. Cette approche écarte les parlements nationaux. Le débat sur les seuils pour obtenir des financements nous concerne pourtant directement.
Notre action prioritaire doit donc consister, à mon sens, à demander à la Commission d'abandonner la logique du règlement au profit d'une directive, afin de garantir un réel débat avec les États. Sans cela, aucune discussion n'aura lieu au Parlement français, et lors des futures discussions sur la loi de programmation militaire, ce règlement s'imposera sans délibération.
Bien évidemment, ce traité avec l'Espagne, bien qu'important, ne résout pas l'ensemble des questions stratégiques du moment.
EXAMEN DE L'ARTICLE UNIQUE
Article unique
L'article unique constituant l'ensemble du projet de loi est adopté sans modification.
Projet de loi autorisant l'approbation de la résolution n°259 portant modification de l'Accord portant création de la Banque européenne pour la reconstruction et le développement afin de permettre l'élargissement de son champ d'action géographique à l'Afrique subsaharienne et à l'Irak - Examen du rapport et du texte de la commission
M. Cédric Perrin, président. - Nous en venons au projet de loi autorisant l'approbation de la Résolution n° 259 portant modification de l'Accord portant création de la Banque européenne pour la reconstruction et le développement (Berd) afin de permettre l'élargissement de son champ d'action géographique à l'Afrique subsaharienne et à l'Irak.
Mme Nicole Duranton, rapporteur. - La Berd est une institution financière internationale créée en 1991 pour accompagner les pays d'Europe centrale et orientale, puis les anciennes républiques soviétiques, dans leur transition vers l'économie de marché après la chute du bloc communiste. Elle a constitué l'un des principaux soutiens aux pays d'Europe centrale et orientale avant leur adhésion à l'Union européenne.
Son siège est établi à Londres, et son actionnariat comprend soixante-quatorze pays, ainsi que l'Union européenne (UE) et la Banque européenne d'investissement (BEI). Les États-Unis en sont l'actionnaire principal, avec 10 % du capital, suivis de la France, du Japon, du Royaume-Uni et de l'Italie, avec environ 8,52 % chacun. Les actionnaires de l'UE représentent collectivement environ 54 % du capital et des droits de vote, leur conférant un rôle déterminant dans la gouvernance de la Banque. Le traité établissant la Berd prévoit que ce pourcentage demeure supérieur à 50 %.
En tant que banque multilatérale de développement, la Berd finance des projets favorisant la croissance économique, le développement du secteur privé et la modernisation des infrastructures. À la différence des banques commerciales, elle ne vise pas uniquement la rentabilité financière : par ses projets et un dialogue politique avec ses pays d'opération, elle s'attache à promouvoir des valeurs telles que la transparence, la bonne gouvernance et la durabilité.
Son action se traduit par l'octroi de prêts, la prise de participations dans des entreprises et la fourniture d'assistance technique. Initialement concentrée sur l'Europe de l'Est, elle a étendu son périmètre d'intervention à l'Asie centrale, au Moyen-Orient, à l'Afrique du Nord, à la Mongolie et à la Turquie, cette dernière constituant actuellement, avec l'Ukraine, son principal pays d'opération. La Banque intervient dans divers secteurs : énergie, transports, industrie, agriculture et services financiers.
Depuis sa création, la Berd a financé quelque 7 000 projets dans plus de quarante pays pour un total d'investissement de près de 200 milliards d'euros.
Lors de son Assemblée annuelle tenue en mai 2022, le Conseil des gouverneurs de la Berd a approuvé la résolution que nous examinons, peu après le début de la guerre menée par la Fédération de Russie contre l'Ukraine. Le Conseil a reconnu que l'aide à l'Ukraine et aux autres pays d'opération affectés par ce conflit constituait la priorité immédiate de la Banque.
Il importait néanmoins de souligner l'intérêt stratégique d'une coopération avec l'Afrique subsaharienne et l'Irak pour la réalisation des priorités internationales sur les plans géopolitique et du développement, les liens économiques croissants entre ces pays et les pays d'opérations actuels de la Berd, ainsi que la pertinence des compétences de la Banque dans ces nouvelles régions.
Cet élargissement concernera initialement huit pays identifiés comme aptes à s'engager dans des programmes : l'Irak, le Bénin, la Côte d'Ivoire, le Ghana, le Kenya, le Nigéria et le Sénégal. Une extension à d'autres États africains sera envisageable à partir de 2030.
Aucun projet n'est défini à ce jour. Ils seront précisés après l'aboutissement du processus de ratification de l'amendement, soit à l'atteinte de la double majorité requise pour modifier les statuts de la Banque, auquel s'ajoutera un délai de rigueur de trois mois.
Au 12 février 2024, cinquante actionnaires représentant 71,7 % du capital avaient ratifié l'amendement. Pour rappel, une double majorité des trois quarts des actionnaires représentant quatre cinquièmes du capital est nécessaire. L'entrée en vigueur interviendra trois mois après la notification par le secrétariat général de l'atteinte de ces seuils.
Je vous invite à soutenir ce projet de loi, qui autorisera, de manière limitée et progressive, l'intervention de la Berd auprès de nouveaux États sans remettre en cause ses priorités actuelles, notamment en Ukraine.
Je vous propose d'adopter ce projet de loi qui sera examiné en séance publique selon la procédure simplifiée.
M. Alain Joyandet. - À combien se monte l'aide à l'Ukraine, présentée comme le principal objectif de la Berd ?
Mme Nicole Duranton, rapporteur. - Plus de 6 milliards d'euros d'investissements.
M. Jean-Luc Ruelle. - Cette extension du champ d'action implique-t-elle que les États concernés entrent au capital ?
Mme Nicole Duranton, rapporteur. - Non.
EXAMEN DE L'ARTICLE UNIQUE
Article unique
L'article unique constituant l'ensemble du projet de loi est adopté sans modification.
Projet de loi autorisant l'approbation de l'accord entre le Gouvernement de la République française et l'Observatoire du réseau d'antennes d'un kilomètre carré (SKAO) relatif à l'adhésion de la France à l'Observatoire - Examen du rapport et du texte de la commission
M. Cédric Perrin, président. - Nous examinons maintenant le rapport de Jean-Pierre Grand sur le projet de loi autorisant l'approbation de l'accord entre le Gouvernement de la République française et l'Observatoire du réseau d'antennes d'un kilomètre carré (SKAO) relatif à l'adhésion de la France à l'Observatoire.
M. Jean-Pierre Grand, rapporteur. - L'accord soumis à notre examen porte sur l'adhésion de la France au SKAO. Il a été signé à Londres le 11 avril 2022 entre la France et cet observatoire.
Ce texte, à visée purement scientifique, nécessite une ratification parlementaire. Il relève de la diplomatie scientifique et valorisera l'excellence française dans le cadre d'une organisation scientifique internationale prestigieuse.
Projet phare en astrophysique, le SKAO constituera une ambitieuse infrastructure internationale d'observation spatiale, déployée en Australie et en Afrique du Sud, pour étudier des questions scientifiques essentielles allant de la naissance de notre univers aux origines de la vie. Douze pays en sont actuellement membres : l'Afrique du Sud, l'Allemagne, l'Australie, le Canada, la Chine, l'Espagne, l'Italie, l'Inde, les Pays-Bas, le Portugal, le Royaume-Uni et la Suisse. Quatre pays ont le statut d'observateurs : la Corée du Sud, la France, le Japon et la Suède, dont deux, la Suède et la France, ont entamé un processus d'adhésion complète.
L'Observatoire comprend, outre son siège à Manchester, deux réseaux d'antennes géants permettant d'observer l'hydrogène atomique, élément représentant 75 % de la masse de l'Univers et présent depuis son origine. Ces réseaux sont complémentaires en termes de fréquences.
Le premier, situé dans le désert de Murchison en Australie occidentale, couvre les fréquences entre 50 et 350 mégahertz. Il accueillera, d'ici à 2030, 78 592 antennes à dipôles log-périodiques, et à terme plus de 131 000.
Le second, implanté dans le désert du Karoo en Afrique du Sud, sera dédié aux fréquences entre 350 mégahertz et 15 gigahertz, captées par 144 antennes paraboliques de quinze mètres de diamètre prévues d'ici à 2030, pour atteindre 197 antennes à terme.
Le projet SKAO est modulaire : sa première phase, dite SKA1, correspond à environ 10 % de la surface collectrice finale d'un kilomètre carré ; sa phase initiale de déploiement dispose d'ores et déjà d'un financement et d'un calendrier établis jusqu'en 2030. L'objectif suivant, qui est de finaliser SKA1, est actuellement en discussion entre les pays membres.
Les phases ultérieures, visant à multiplier par dix les capacités de SKA1, demeurent optionnelles et ne sont pas encore programmées. La montée en puissance des réseaux s'effectuera progressivement, selon les financements disponibles après 2030.
Par son envergure unique et sa capacité d'observation exceptionnelle, le SKAO augure une révolution de nos connaissances cosmologiques : il permettra des avancées majeures dans la compréhension des âges sombres de l'Univers, de l'énergie noire, de la formation des étoiles, de l'évolution des galaxies, du magnétisme cosmique et des ondes gravitationnelles. Pour la communauté astronomique mondiale, il représente l'un des projets les plus ambitieux jamais entrepris et constitue un saut qualitatif immense comparé aux instruments existants : face au Very Large Array américain, SKA1-MID offrira une résolution quatre fois supérieure, sera cinq fois plus sensible et soixante fois plus rapide. De même, SKA1-LOW sera huit fois plus sensible et cent vingt-cinq fois plus rapide que le radiotélescope européen Lofar.
En outre, le projet intègre une démarche de développement durable exemplaire.
Une attention particulière a été portée au dialogue avec les populations autochtones. En Australie, le peuple aborigène Wajarri a obtenu une modification des sites d'implantation pour préserver son patrimoine culturel. En Afrique du Sud, des spécialistes garantissent la préservation des ressources patrimoniales. Dans les deux cas, le SKAO valorise les cultures locales et participe au développement territorial.
Les enjeux pour notre pays sont triples.
L'enjeu scientifique est incontestable, et la communauté astronomique française appelle unanimement à notre participation au projet. La France a négocié le pilotage des questions relatives au milieu interstellaire, volet-clé concernant les molécules les plus complexes de l'univers.
Financièrement, l'accord prévoit une contribution française de 48 millions d'euros, soit 2,86 % du budget total, sur la période 2022-2030 correspondant au déploiement de SKA1. Ce montant, indexé à 4 % par an, sera augmenté d'une contribution exceptionnelle entre 3,8 et 4,6 millions d'euros due à divers surcoûts. Aucun budget n'est défini pour les phases ultérieures. Le coût annuel moyen avoisinera 6 millions d'euros, montant pleinement justifié par l'intérêt du projet.
L'enjeu industriel a constitué un point central des négociations. Le préambule garantit « un niveau approprié de retour sur investissement industriel » à la France. Concrètement, un « juste retour industriel » estimé à 20 millions d'euros bénéficiera principalement au groupe Atos-Eviden, chargé de concevoir des mégacentres de données pour l'Observatoire, capables de traiter un volume annuel équivalent au trafic internet mondial de 2015.
Historiquement, la France s'était impliquée via le Centre national de la recherche scientifique (CNRS) dès les années 1990, avant de quitter l'Organisation en 2011, faute de financement. La communauté astronomique française, ayant continuellement réaffirmé l'intérêt du projet, a obtenu sa réinscription dans la stratégie nationale des infrastructures de recherche en 2018. Convaincu qu'il serait regrettable qu'un tel projet se fasse sans la France, je vous invite à autoriser la ratification de cet accord majeur pour notre communauté scientifique.
Je vous propose d'adopter ce projet de loi qui sera examiné en séance publique selon la procédure simplifiée.
EXAMEN DE L'ARTICLE UNIQUE
Article unique
L'article unique constituant l'ensemble du projet de loi est adopté sans modification.
Projet de loi autorisant la ratification du Traité de coopération en matière de défense entre la République française et la République de Djibouti, signé à Paris le 24 juillet 2024 - Désignation de rapporteurs
La commission désigne M. Cédric Perrin sur le projet de loi autorisant la ratification du Traité de coopération en matière de défense entre la République française et la République de Djibouti, signé à Paris le 24 juillet 2024.
Projet de loi autorisant l'approbation de la Convention d'entraide judiciaire en matière pénale entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la république du Suriname, signée à Paris le 15 mars 2021 - Désignation de rapporteurs
La commission désigne M. Ludovic Haye sur le projet de loi autorisant l'approbation de la Convention d'entraide judiciaire en matière pénale entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la république du Suriname, signée à Paris le 15 mars 2021.
La réunion est close à 11h45.
Mercredi 5 mars 2025
- Présidence de Mme Catherine Dumas, vice-présidente, puis de M. Cédric Perrin, président -
La réunion est ouverte à 17h.
Audition du Général Thierry Burkhard, Chef d'état-major des armées sur l'actualisation de la Revue nationale stratégique (à huis clos) (ne sera pas publié)
Cette audition n'a pas fait l'objet d'un compte rendu.
La réunion est close à 19h45.