Jeudi 6 mars 2025

- Présidence de Mme Dominique Vérien, présidente -

La réunion est ouverte à 08 h 30.

Table ronde sur le thème - Des femmes scientifiques aux parcours modèles et inspirants

Mme Dominique Vérien, présidente. - Mesdames les rapporteures, Chers collègues, Mesdames, Messieurs,

À l'occasion de la Journée internationale des droits des femmes du 8 mars, notre délégation a décidé, dans le cadre de son rapport annuel sur la thématique « Femmes et Sciences », d'organiser une matinée dédiée à des femmes scientifiques exceptionnelles dont le parcours, tout autant personnel que professionnel, force l'admiration et le respect.

Nous espérons qu'elles pourront susciter la vocation de toute une génération de jeunes filles qui hésitent encore à s'orienter vers les sciences, ou qui en sont parfois dissuadées en raison de stéréotypes de genre. Ceux-ci ont malheureusement la vie dure.

Je précise que cette table ronde fait l'objet d'une captation audiovisuelle en vue de sa retransmission en direct sur le site et les réseaux sociaux du Sénat, ce qui permettra de lui donner la publicité et l'audience les plus larges possibles.

Le 13 février dernier, à l'occasion de la Journée internationale des femmes et des filles de sciences, nous avons inauguré nos travaux en invitant des membres de l'Académie des sciences à nous présenter leur rapport de juin 2024 intitulé « Sciences, où sont les femmes ? ».

Les femmes représentent encore moins d'un tiers des chercheurs scientifiques en France. Ce chiffre stagne ces dernières années. Elles sont encore moins nombreuses à occuper des postes à responsabilité au sein des laboratoires de recherche ou des départements de recherche et développement (R&D) des entreprises.

Cette sous-représentation est la conséquence d'une insuffisante orientation des filles vers les filières et spécialités scientifiques au lycée puis dans les études supérieures, mais aussi de différences de représentations et de résultats entre filles et garçons dès l'école primaire, en particulier en mathématiques.

En 2023, la France ne comptait que 13 % d'étudiantes universitaires diplômées dans les domaines des Sciences, technologies, ingénieries et mathématiques (STIM), contre 40 % d'étudiants diplômés. Par ailleurs, 45 % des filles élèves de terminale n'avaient choisi aucun enseignement de spécialité en sciences, contre 28 % des garçons.

Au cours de nos travaux, nous cherchons à répondre aux questions suivantes :

- comment amener davantage de filles vers les mathématiques et les sciences, dès le plus jeune âge et tout au long de leur scolarité ? Je rappelle que le décrochage des filles en mathématiques intervient entre le début et la fin du cours préparatoire, sans aucune raison qui justifierait qu'elles soient moins bonnes que les garçons dans cette matière ;

- comment encourager les jeunes filles et femmes à poursuivre une carrière scientifique et à prendre des postes à responsabilité ?

- Comment mieux valoriser des rôles modèles de femmes scientifiques et lutter contre les stéréotypes à tous les niveaux ?

Avec les quatre rapporteures désignées par la délégation sur cette thématique, mes collègues Marie-Do Aeschlimann, Jocelyne Antoine, Laure Darcos et Marie-Pierre Monier, présentes à mes côtés, il nous a donc semblé important de mettre en avant des parcours inspirants de femmes scientifiques qui peuvent servir de rôles modèles aux jeunes filles qui nous regardent.

Les cinq femmes, que nous accueillons ce matin, ont certes toutes connu un parcours d'excellence, mais elles démontrent aussi que les sciences sont accessibles à toutes les jeunes filles motivées. C'est une question de passion, de persévérance, de motivation et d'encouragement à poursuivre dans cette voie.

Chacune d'entre elles évoquera devant nous son parcours personnel et professionnel, et partagera avec nous sa passion pour son métier. Elles pourront aussi nous préciser en quoi le fait d'être une femme a pu constituer un obstacle -- ou une chance -- dans la poursuite d'une carrière couronnée de succès.

J'ai donc l'immense honneur d'accueillir ce matin, par ordre alphabétique :

• la docteure Kumiko Kotera, astrophysicienne, directrice de recherche au CNRS, directrice de l'Institut d'astrophysique de Paris et auteure du livre « L'Univers violent » paru en janvier 2025 ;

• la docteure Marina Kvaskoff, épidémiologiste, chercheuse à l'Institut national de la santé et de la recherche médicale (INSERM), directrice du groupe de recherche sur l'épidémiologie de la santé gynécologique, spécialiste de l'endométriose ;

• la professeure Carole Mathelin, professeure universitaire et hospitalière de gynécologie-obstétrique, récemment élue présidente de l'Académie nationale de chirurgie ;

• la docteure Heïdi Sevestre, glaciologue, membre du programme de surveillance et d'évaluation de l'Arctique, auteure de plusieurs ouvrages - elle interviendra en direct depuis le Svalbard, à l'extrême nord de la Norvège ;

• enfin, la docteure Aleksandra Walczak, biophysicienne, directrice de recherche au CNRS, au sein du Laboratoire de physique de l'École normale supérieure (ENS) et récemment élue membre de l'Académie des sciences.

Je vous souhaite à toutes la bienvenue et vous remercie infiniment pour votre présence parmi nous ce matin.

Madame Mathelin, vous êtes professeure de gynécologie-obstétrique à la faculté de médecine et au CHU de Strasbourg, cheffe du service de chirurgie de l'Institut de cancérologie de Strasbourg. Vous avez été élue, en janvier dernier, présidente de l'Académie nationale de chirurgie. Vous êtes devenue la première femme à occuper ce poste prestigieux. Il a fallu attendre 300 ans pour que ce soit possible : ça y est, ils sont mûrs.

Vous êtes considérée comme une référence en matière de chirurgie mammaire et avez consacré votre carrière à améliorer la prise en charge des cancers du sein, en alliant expertise technique et défense des droits des patientes.

Vous êtes particulièrement engagée dans la défense de la parité au sein des professions chirurgicales : vous prévoyez ainsi de mettre en place des programmes visant à encourager la présence de jeunes femmes dans des spécialités encore peu féminisées, comme la chirurgie cardiovasculaire ou neurochirurgicale.

Étant donné que vous venez de Strasbourg, et que nous sommes ici la chambre des territoires, je tiens à souligner que tout ne se passe pas à Paris : on peut vivre en province, réussir, et même devenir présidente de l'Académie de chirurgie.

Mme Carole Mathelin. - Mesdames, c'est un immense honneur d'être parmi vous aujourd'hui. Messieurs, je tiens également à vous remercier pour votre soutien dans ce combat. Votre engagement à nos côtés est essentiel.

Je suis originaire de Lorraine et d'Alsace. Je remercie d'ailleurs chaleureusement les représentants du Grand Est présents aujourd'hui pour leur soutien aux femmes de notre territoire. J'ai effectué ma scolarité à Thionville avant d'intégrer, en 1979, la faculté de médecine de Strasbourg. J'y ai rapidement été sensibilisée à la cause des femmes. Très tôt, il m'est apparu comme une évidence que ma vocation serait la gynécologie-obstétrique, car il me semblait que notre présence y était essentielle. Nous accompagnons la vie qui naît, mais également, malheureusement, la mort, notamment à travers le cancer du sein, qui demeure l'une des premières causes de mortalité chez la femme. Il m'a semblé fondamental d'être aux côtés de ces patientes, du début à la fin de leur parcours.

J'ai eu la chance d'être soutenue dans cette voie par mon maître de l'époque, le professeur Robert Renaud, aujourd'hui disparu. Il avait une vision admirable de la chirurgie, qu'il considérait comme une discipline permettant non seulement de vaincre la maladie au présent, mais aussi de mieux la comprendre pour l'avenir. Il nous rappelait souvent que nous aurions la technique, que nous saurions traiter les maladies, mais que l'essentiel était ailleurs : il nous fallait faire de la prévention et chercher à comprendre.

C'est précisément cette conviction qui a guidé notre action. Dès 1985, c'est le professeur Renaud qui a eu l'idée de mettre en place un dépistage organisé du cancer du sein. Ce fut un long combat : en 1985, nous avons tenté de convaincre nos confrères, sans succès. Nous avons persisté en 1986, puis en 1987, 1988... Jusqu'à ce qu'enfin, le 15 mai 1989, nous parvenions à instaurer en Alsace le tout premier programme de dépistage organisé du cancer du sein en France. Cette initiative a rencontré un succès remarquable. Certes, aujourd'hui, les taux de participation sont en baisse, mais cette action de prévention demeure essentielle.

À cette époque, la recherche était au coeur de nos préoccupations. Je me souviens avoir dit à mes collègues du CNRS qu'ils nous avaient permis de transformer la chirurgie. Nous avions pour objectif d'adopter une approche transdisciplinaire, de sortir du cadre strict de notre spécialité pour aller à la rencontre des autres disciplines et leur poser les bonnes questions. Nous avions alors une certitude : nous surtraitions les patientes, et sans doute aussi les patients. Il nous fallait affiner nos pratiques, rendre nos interventions plus précises et moins invasives. C'est ainsi que nous avons été les premiers à breveter, en France, la technique du ganglion sentinelle, aujourd'hui utilisée à l'échelle mondiale. Nos collègues du CNRS nous ont apporté un soutien inestimable en développant les sondes et les caméras nécessaires à cette avancée. Sans eux, cette révolution dans la prise en charge des cancers n'aurait pas été possible.

Aujourd'hui, cette approche permet d'envisager une chirurgie plus mesurée, tant pour les hommes que pour les femmes, en réduisant les gestes inutiles. Mais notre engagement ne s'arrête pas à la recherche : nous avons également oeuvré dans le domaine de l'enseignement. Nous avons lancé la première formation diplômante sur les maladies du sein en Algérie, puis au Sénégal, en Syrie, et nous nous apprêtons désormais à accueillir en France des médecins ukrainiens pour les former. Cette transmission du savoir, notamment auprès des jeunes générations, constitue une dimension particulièrement enrichissante de notre métier.

Bien entendu, nous restons également engagés sur le terrain, dans les services hospitaliers. À ce titre, je dirige le service de chirurgie de l'Institut de Cancérologie Strasbourg Europe. Mais nos métiers nous permettent aussi d'approfondir nos recherches.

Actuellement, notre réflexion porte sur les causes du cancer du sein. Pourquoi est-il si fréquent en France ? Notre pays détient le taux d'incidence le plus élevé au monde. Aujourd'hui, environ une femme sur huit est touchée par cette maladie. Nous voulons mieux comprendre cette pathologie : d'où vient-elle ? Pourquoi progresse-t-elle ? Pourquoi touche-t-elle des jeunes femmes ? Une piste particulièrement sérieuse émerge : celle des facteurs environnementaux.

Les chirurgiens jouent un rôle essentiel dans la compréhension des maladies, notamment en effectuant des analyses directement au moment de l'intervention. Ils peuvent ainsi mesurer les taux de pesticides, de substances perfluoroalkylées et polyfluoroalkylées (PFAS), ainsi que de divers métaux présents dans les tumeurs. Ce phénomène est également observé dans d'autres types de cancers, tels que ceux de la prostate ou du pancréas. Il est donc primordial que les chirurgiens soient impliqués dans cette démarche, afin d'approfondir nos connaissances sur l'origine et le développement de ces pathologies.

Le professeur Renaud avait pour ambition de mieux comprendre la maladie. Je suis convaincue que nos actions en matière de santé publique permettront, à terme, d'en réduire l'incidence. Tel est en tout cas l'objectif que nous poursuivons avec détermination. Ainsi s'articule mon parcours, entre soins, recherche et enseignement.

Il m'a paru particulièrement important de rejoindre l'Académie nationale de chirurgie. En tant que chirurgienne, j'ai constaté la très faible représentation des femmes au sein de cette institution. Pourtant, ce sont majoritairement des femmes qui assurent au quotidien le fonctionnement d'un hôpital : infirmières, aides-soignantes, anesthésistes, chirurgiennes, toutes présentes au bloc opératoire et pourtant trop souvent exclues des prises de décision.

Dans les carrières hospitalo-universitaires, un véritable plafond de verre empêche les femmes d'accéder aux postes à responsabilités. Elles assurent le service hospitalier quotidien, mais lorsqu'il s'agit de prendre des décisions stratégiques, elles sont systématiquement écartées. Il est impératif de faire évoluer les choses, afin qu'elles puissent devenir cheffes de service, présidentes de commissions médicales d'établissement (CME), doyennes ou encore académiciennes. C'est un combat que nous menons activement avec le Conseil National des Universités (CNU), et nous oeuvrons à faire bouger les lignes.

L'Académie de chirurgie, fondée en 1731 par le premier chirurgien du roi Louis XV, a longtemps fonctionné sans la voix des femmes. Aujourd'hui, nous avons décidé qu'aucune décision majeure en matière de chirurgie ne pourra être prise en France sans qu'au moins une femme y soit associée et donne son accord. L'Académie mène cette année un combat en faveur des femmes. Je suis heureuse de constater que les académiciens y adhèrent pleinement.

Il existe en France une anomalie majeure dans la formation des chirurgiens traitant les pathologies féminines. Contrairement à d'autres spécialités chirurgicales bien définies - urologie, orthopédie, gynécologie, etc. -, il n'existe aucune spécialisation dédiée à la prise en charge chirurgicale du cancer du sein. Ainsi, un praticien ayant exercé en obstétrique durant plusieurs années, sans avoir jamais réalisé d'intervention pour un cancer du sein, peut tout de même être autorisé à opérer une patiente atteinte de cette maladie. Or, sans formation spécifique, il ne maîtrise ni l'ablation tumorale, ni les techniques de reconstruction mammaire, qu'elles soient esthétiques ou réparatrices.

Un homme accepterait-il d'être opéré d'un cancer de la prostate par un chirurgien n'ayant jamais pratiqué cette intervention ? Cette situation constitue une véritable injustice. C'est pourquoi l'Académie s'engage cette année à créer une formation spécialisée transversale (FST). Cette formation de deux ans permettrait aux chirurgiens opérant des patientes atteintes d'un cancer du sein d'acquérir une expertise approfondie, notamment en matière de reconstruction mammaire, tout en garantissant des résultats satisfaisants sur le plan carcinologique. L'enjeu est de réduire la mortalité liée au cancer du sein en France, qui reste alarmante avec près de 12 000 décès par an.

Ce combat sera notre priorité, bien que d'autres défis majeurs nous attendent également. Aujourd'hui, j'ai souhaité mettre en lumière cette problématique spécifique, car elle me semble essentielle.

À travers cette intervention, j'ai tenté d'esquisser les grandes lignes des carrières médicales et de susciter des vocations parmi les jeunes générations. L'accès à ces carrières est possible, et nous serons là pour accompagner ceux et celles qui souhaitent s'y engager.

Mme Dominique Vérien, présidente. - Je pense que nous sommes plusieurs ici à pouvoir témoigner du fait que le cancer du sein touche un grand nombre de femmes. Si nous réalisions un sondage parmi l'assemblée, nous constaterions sans doute l'ampleur de cette réalité. Par ailleurs, la technique du ganglion sentinelle a permis d'éviter à de nombreuses patientes des traitements particulièrement lourds, ce qui constitue une avancée majeure.

Vous avez rappelé que c'est le Sénat, et plus particulièrement notre délégation, qui est à l'origine de la loi sur la parité dans la haute fonction publique, laquelle s'applique également à la fonction publique hospitalière. Cette législation impose notamment que 50 % des primo-nominations et 40 % des postes en place soient occupés par des femmes.

Il convient de rappeler qu'auparavant, lorsque nous comptabilisions les femmes accédant à ces postes, nous obtenions un chiffre en augmentation. Cependant, lorsque l'une d'elles quittait ses fonctions et était remplacée par un homme, cette dynamique ne se reflétait pas dans les statistiques.

Nous avons donc estimé que, puisque les administrations avaient parfaitement assimilé le concept de flux, il était temps de leur enseigner celui de stock.

Mme Marie-Pierre Monier, Rapporteure. - Chère Marina Kvaskoff, vous êtes épidémiologiste et chercheuse à l'INSERM, vous dirigez actuellement un groupe de recherche sur l'épidémiologie de la santé gynécologique. Vous vous êtes imposée comme une spécialiste incontournable de l'endométriose.

Après une thèse obtenue en France, vous partez étudier aux États-Unis, à l'université d'Harvard, où vous vous spécialisez dans l'épidémiologie de l'endométriose.

Lorsque vous obtenez un poste de chargée de recherche à l'INSERM en 2016, vous décidez de vous investir dans l'association Femmes et Sciences, au sein de laquelle vous montez un programme de mentorat pour les doctorantes à l'Université Paris-Saclay.

Vous êtes également lauréate, en 2008, du prix Jeunes Talents L'Oréal-UNESCO « Pour les Femmes et la Science », et plus récemment, en 2023, du Prix Inserm-OPECST « Science et Société ».

Votre parcours est fascinant. Il nous intéresse à plus d'un titre.

Mme Marina Kvaskoff. - Je suis profondément honorée d'être parmi vous aujourd'hui pour évoquer la place des femmes dans les sciences. Je tiens également à vous exprimer ma gratitude pour le travail considérable que vous accomplissez afin de faire progresser cette cause.

J'ai, pour la première fois, pris conscience de cette problématique lorsque j'ai reçu le Prix Jeune Talent L'Oréal-UNESCO pour les Femmes et la Science : son existence même impliquait qu'un déséquilibre subsistait. Jusque-là, je n'avais jamais envisagé cette question, mais dès lors, j'ai ressenti le besoin de m'engager activement au sein de l'association Femmes et Sciences.

Je me souviens encore du moment où j'ai appris que j'étais lauréate. Bien que remplie de joie, j'avais du mal à y croire. Je me persuadais qu'il existait tant d'autres personnes bien plus méritantes que moi et que cette distinction devait être une erreur qui finirait par être découverte. Ce doute que j'éprouvais alors n'était autre que ce que l'on appelle le syndrome de l'imposteur, un phénomène plus répandu chez les femmes. Ce manque de confiance en soi trouve notamment ses origines dans l'éducation et les stéréotypes profondément ancrés dans notre société.

Construire ma confiance en moi dans le domaine scientifique a été un processus long. Dès mon plus jeune âge, j'étais fascinée par la santé et les maladies, mais je ne me sentais pas légitime pour entreprendre des études scientifiques. Mes parents, qui n'avaient pas fait d'études supérieures, ignoraient tout des formations existantes. Je n'avais aucun modèle scientifique autour de moi, mais mon père était convaincu que la science représentait l'avenir et qu'elle me garantirait un emploi.

Au collège, j'étais une élève brillante. Cependant, en classe de seconde, mes parents se sont séparés. J'ai cessé de travailler et ai redoublé cette année. J'ai néanmoins pu intégrer une Première S, puis j'ai obtenu mon baccalauréat au rattrapage. Par la suite, j'ai tenté à deux reprises le concours d'entrée en faculté de pharmacie. Durant ces deux années, je n'ai cessé de douter de mes capacités. Finalement, je n'ai pas réussi à intégrer cette formation. À l'issue de ces tentatives, je me suis retrouvée sans équivalence. À 21 ans, j'ai décidé de reprendre mes études en intégrant une première année de biologie à l'université. Au premier semestre, j'avais 10 de moyenne. Confrontée à ce résultat, je me suis dit que je ne pouvais pas me contenter de cela, que si je voulais poursuivre mes études, je devais impérativement aller plus loin. Ce sentiment d'échec m'a poussée à cesser d'écouter cette voix intérieure qui me freinait et à me consacrer pleinement à mon travail, enfin. J'ai étudié avec assiduité, redoublant d'efforts, et au second semestre, ma moyenne est montée à 15.

Finalement, j'ai obtenu une mention Assez bien au DEUG (l'équivalent de la licence 2), ce qui m'a permis de me prouver à moi-même que j'étais capable de réussir et que j'avais trouvé une méthode de travail efficace. J'ai ensuite poursuivi mon cursus en obtenant une mention Bien à la Maîtrise, puis une mention Très bien au Master. Par la suite, j'ai entrepris un double doctorat entre la France et l'Australie, dans le cadre d'une cotutelle internationale, avant d'effectuer mon post-doctorat à Harvard, où j'ai travaillé pendant trois ans et demi. À mon retour en France, j'ai réussi le concours de l'INSERM dès ma première tentative et j'ai obtenu un poste de chercheuse en 2016.

Aujourd'hui, à près de 45 ans, forte de 20 ans d'expérience en épidémiologie de l'endométriose, je suis en train de créer une équipe de recherche dédiée à l'épidémiologie de la santé gynécologique. Mon objectif est non seulement de poursuivre mes travaux sur l'endométriose, que je connais bien, mais également d'explorer d'autres problématiques majeures en santé gynécologique, notamment les fibromes utérins et le syndrome des ovaires polykystiques, des pathologies non malignes encore trop méconnues.

Par ailleurs, je souhaite élargir mon champ d'investigation à d'autres sujets fondamentaux, tels que la santé menstruelle ou encore les mutilations génitales féminines, afin de mieux comprendre et faire avancer la recherche sur ces enjeux essentiels. Les problématiques de santé féminine, associées à une mortalité faible et à une morbidité élevée, génèrent un impact considérable sur la qualité de vie. Pourtant, ces thématiques demeurent largement sous-explorées. Aujourd'hui, je veux mobiliser mon expérience dans le domaine de l'endométriose pour approfondir les connaissances sur ces enjeux majeurs. Mon équipe, qui compte actuellement quinze personnes, ne cesse de s'agrandir. Depuis ma thèse, j'ai levé près de douze millions d'euros pour financer mes recherches et formé quarante étudiants.

Il y a quelques années, j'ai été désignée marraine du tunnelier Marina, nommé ainsi en hommage aux causes que je défends, à savoir la lutte contre l'endométriose et la promotion des femmes dans les sciences.

Plus récemment, j'ai également eu l'honneur de recevoir un prix OPECST-INSERM.

Si, il y a vingt ans, alors que je préparais ma thèse et manquais cruellement de confiance en moi, on m'avait dit que j'atteindrais ce niveau de reconnaissance et que je possédais un tel potentiel, je ne l'aurais jamais cru. Pourtant, en être consciente à l'époque m'aurait sans doute permis d'affronter mon parcours avec davantage de sérénité et moins d'appréhension quant à l'avenir.

À celles qui nous écoutent et qui doutent de leur légitimité à embrasser une carrière scientifique, je souhaiterais poser une question : que feriez-vous si vous n'étiez pas entravées par la peur, par votre voix intérieure, par le regard des autres, par la crainte du jugement ou de ne pas être à la hauteur ? Il s'agit d'une interrogation essentielle, car les stéréotypes de genre sont profondément ancrés en nous et constituent une barrière mentale invisible. Toutefois, le sentiment d'illégitimité que ressentent de nombreuses femmes dans les sciences ne relève pas uniquement de leur propre perception ; il s'agit d'un phénomène systémique. Ces stéréotypes s'installent dès le plus jeune âge : les enfants y sont exposés dès la naissance, voire même in utero : en effet, les futurs parents adoptent des comportements différenciés en fonction du sexe du foetus.

Ainsi, une première recommandation consisterait à sensibiliser les enseignants et les conseillers d'orientation aux stéréotypes et aux biais de genre qui influencent l'orientation scolaire et professionnelle des jeunes filles. Je me souviens qu'en classe de seconde, avant d'être contrainte de redoubler, un conseiller d'orientation m'avait affirmé que mon profil était indéniablement littéraire, au motif que j'obtenais une moyenne de 10 en lettres sans effort, mais seulement 4 en mathématiques. Il m'avait déconseillé de redoubler et suggéré une orientation vers une filière littéraire. Heureusement, je n'ai pas suivi cet avis.

Il est donc impératif de mettre en place une campagne d'information d'envergure visant à sensibiliser les acteurs en contact direct avec les élèves et étudiants, mais aussi le grand public.

Une seconde recommandation porterait sur le développement de dispositifs de garde d'enfants au sein des instituts de recherche et des universités, ainsi que sur l'allongement des congés maternité et paternité. Une telle mesure faciliterait le maintien des femmes dans les carrières scientifiques, car l'arrivée d'un enfant modifie profondément le rythme de travail et l'accès à des solutions de garde adaptées constitue souvent un obstacle majeur. Nombre de chercheuses sont découragées à cette étape cruciale de leur carrière, conduisant à un abandon prématuré de leur parcours scientifique. L'implication des pères dans ce partage des responsabilités est tout aussi essentielle pour alléger la charge mentale et rendre cette transition plus harmonieuse.

Au regard des préoccupations actuelles concernant la baisse de la fertilité en France, il semble pertinent de faciliter l'accès à des infrastructures de garde adaptées, afin de permettre aux jeunes parents d'envisager plus sereinement la conciliation entre vie familiale et carrière.

Par ailleurs, il est fondamental de renforcer les dispositifs de soutien favorisant la poursuite des carrières féminines dans la recherche, tels que les plans d'égalité professionnelle, déjà mis en place à l'INSERM ou au CNRS, la formation des membres de jurys et de commissions, l'instauration de quotas de femmes, ou encore la mise en place de réseaux d'entraide et de mentorat. L'ensemble de ces initiatives joue un rôle clé dans la promotion des femmes dans les sciences.

Enfin, une troisième recommandation consisterait à mener une enquête sociologique approfondie afin d'identifier avec précision les freins et les leviers influençant l'engagement des jeunes filles en sciences, ainsi que la pérennité des carrières féminines dans ce domaine.

À ce stade, nous dressons une vue d'ensemble des problématiques que nous pensons identifier. Toutefois, il serait essentiel de les documenter rigoureusement sur le plan scientifique afin de mieux cerner les leviers d'action possibles, tant au niveau sociétal que politique.

Concernant la question des rôles modèles, l'association Femmes et Sciences accomplit un travail remarquable en mettant en lumière des figures féminines marquantes du monde scientifique, qu'elles soient issues du passé ou qu'elles oeuvrent aujourd'hui.

Parmi ses initiatives phares figurent l'organisation de colloques et d'événements, ainsi que des interventions dans les collèges et lycées, non seulement auprès des jeunes filles, mais également auprès des jeunes garçons. L'association a également édité un livret recensant quarante femmes scientifiques remarquables du XVIIIe siècle à nos jours. Elle est à l'origine de l'exposition La Science taille XXL, qui présente des portraits de jeunes scientifiques contemporaines dans des lieux publics à travers plusieurs villes de France. Par ailleurs, des programmes de mentorat ont été mis en place afin d'accompagner des doctorantes dans la transition vers leur carrière scientifique.

On peut également citer le Prix L'Oréal-Unesco, qui distingue chaque année plusieurs femmes scientifiques dont les portraits sont exposés dans des espaces publics, contribuant ainsi à leur visibilité.

Toutefois, il serait pertinent d'aller encore plus loin, notamment en exposant ces portraits au sein des établissements scolaires ou en intégrant davantage l'étude de l'impact des femmes scientifiques dans les programmes d'histoire et de sciences. Il est en effet important de souligner que l'apport de nombreuses femmes à l'avancée des connaissances a été largement occulté au fil de l'histoire. Par conséquent, les élèves et étudiants y sont encore trop peu exposés au cours de leur parcours scolaire.

Des avancées significatives ont été réalisées, mais il reste encore un long chemin à parcourir. Je tiens à saluer une fois de plus l'initiative portée par cette délégation et vous remercie vivement pour votre invitation.

Mme Dominique Vérien, présidente. - Il se trouve que plusieurs d'entre nous étaient présentes lors de la dernière cérémonie de remise du prix L'Oréal-UNESCO. Une des nominées est originaire de l'Yonne, tout comme moi. Elle est d'ailleurs citée dans le prix que j'ai créé, intitulé « Les Engagées de l'Yonne ». Il rend hommage aux femmes ayant contribué à faire rayonner notre département au-delà de ses frontières. Je tiens également à saluer mon collègue Jean-Baptiste Lemoyne, présent ce matin.

Mme Marie-Do Aeschlimann, rappporteure. - Chère Heïdi Sevestre, je vous remercie d'être parmi nous ce matin, à plus de 3 000 kilomètres d'ici, depuis le Svalbard, un archipel arctique situé entre le pôle Nord et le continent norvégien.

Vous êtes glaciologue, membre du Club international des explorateurs et du programme de surveillance et d'évaluation de l'Arctique, conférencière internationale et auteure de plusieurs ouvrages passionnants, dont le dernier, paru fin 2023, s'intitule « Sentinelle du climat ».

Vous vous revendiquez « fervente communicatrice scientifique », et menez chaque année plusieurs expéditions dans les régions les plus froides et glacées de la planète. En 2022, vous avez remporté la première médaille Shackleton pour la protection des régions polaires.

Votre but premier est de rendre la science du climat plus accessible au grand public et d'inciter la prise de mesures positives en faveur du climat.

Mme Heïdi Sevestre. - C'est un honneur et un réel plaisir de vous retrouver ce matin. Merci d'avoir facilité cette intervention à distance.

Permettez-moi de vous montrer à la caméra à quoi ressemble l'une des villes les plus au nord de la planète. Le spectacle est saisissant. Aujourd'hui, nous avons enregistré une température de -10 °C, après avoir malheureusement battu des records de chaleur tout au long du mois dernier. Ici, à 1 200 kilomètres du pôle Nord, lorsque le thermomètre affiche +4 °C en février, cela n'augure rien de bon.

Je souhaite également saluer le travail considérable accompli par votre délégation, et ce, depuis de nombreuses années. Je salue en particulier Madame la Présidente Dominique Vérien, que je suis ravie de retrouver.

Merci de nous offrir l'opportunité de partager nos parcours. Il est essentiel que les jeunes filles et les jeunes garçons puissent s'identifier à des trajectoires scientifiques variées, afin d'encourager les vocations et de diversifier les profils dans ces disciplines.

J'aimerais commencer par vous raconter l'histoire singulière qui m'a menée vers la glaciologie. Cette aventure prend racine dans un petit village de Haute-Savoie, Gruffy, niché entre forêts et montagnes. J'ai grandi auprès d'une mère bibliothécaire, qui m'a bercée avec les récits d'Heïdi, la célèbre héroïne suisse des sommets alpins, et d'un père informaticien, passionné de sciences, qui lisait religieusement Sciences et Vie chaque semaine.

Avant de me spécialiser en glaciologie, j'ai effectué ma scolarité au lycée agricole de Poisy, aujourd'hui nommé ISETA, où j'ai découvert l'univers de l'agriculture et de l'agronomie. J'étais entourée de filles et de fils d'agriculteurs, dont la vision à long terme et la volonté de préserver leurs paysages et leur savoir-faire m'ont profondément marquée. J'ai également eu la chance de rencontrer des enseignantes exceptionnelles - professeures de mathématiques, de physique, de sciences de la vie et de la Terre, et de géographie - qui ont cru en mon potentiel et m'ont encouragée à viser plus haut. Grâce à elles, au lieu de m'orienter vers un baccalauréat technologique, j'ai opté pour un baccalauréat scientifique.

À l'âge de 17 ans, je me suis initiée à l'alpinisme. C'est au cours d'une expédition classique entre Chamonix et Zermatt, les deux capitales de l'alpinisme, que ma destinée a pris un tournant décisif. J'y ai croisé la route d'une figure emblématique de Verbier, le guide de haute montagne Hubert Creton. Il m'a alors dit : « Sais-tu que certains sont rémunérés pour étudier les glaciers ? On les appelle des glaciologues. Pourquoi ne ferais-tu pas cela ? ». Ces quelques mots m'ont ouvert une porte dont j'ignorais l'existence.

Une fois mon baccalauréat en poche, j'ai rejoint l'Université Lyon III pour suivre une licence de géographie. Durant cette période, j'ai rencontré un autre mentor clé dans mon parcours, le professeur Henri Rougier, qui m'a prise sous son aile et m'a guidée dans la concrétisation de mon rêve. C'est ainsi que j'ai pu réaliser mon tout premier stage en glaciologie, sur les glaciers du Massif du Mont-Blanc, sous la direction du glaciologue Luc Moreau. Dès le début de sa carrière, ce dernier a su allier la science et la communication scientifique. Il a été une source d'inspiration majeure pour moi.

À cette époque, je ne connaissais aucune femme glaciologue. Toutefois, je bénéficiais d'un environnement bienveillant et de nombreux encouragements, si bien que je n'ai jamais douté de ma place dans ce domaine : j'ai simplement foncé.

Rapidement, l'opportunité s'est présentée de me rendre à l'étranger grâce au programme Erasmus. J'ai voulu partir le plus loin possible, là où les glaciers polaires façonnent le paysage : c'est ainsi qu'en 2008, je me suis installée sur l'archipel du Svalbard.

Là-bas, j'ai été encadrée par deux scientifiques extraordinaires, Anna et Maria, respectivement paléontologue et géologue. À une trentaine d'années à peine, elles étaient déjà des figures d'excellence dans leur domaine. Je garde en mémoire l'image saisissante de ces deux femmes évoluant sur les glaciers, accompagnées de leurs chiens malamutes et munies d'un fusil pour se protéger des ours polaires. Elles incarnaient la liberté et la passion. Depuis, elles ont mené des carrières remarquables.

Ce fut la première fois que je voyais des femmes modèles en sciences de terrain, et cette découverte a profondément marqué mon engagement dans cette voie.

J'ai ensuite choisi de poursuivre dans cette voie en intégrant un master de glaciologie au Pays de Galles, suivi d'une année de césure afin d'acquérir une précieuse expérience de terrain. C'est au cours de cette période, lors de ma première expédition au Groenland, que j'ai été confrontée à une autre réalité : celle du sexisme latent dans certaines équipes.

Au cours de cette mission, notre chef d'expédition, d'une misogynie assumée, est allé jusqu'à menacer une autre femme du projet de la jeter dans une crevasse. Face à cette situation intolérable, elle a profité d'un vol de ravitaillement pour quitter l'expédition - et elle a eu raison. Me retrouvant ainsi seule femme au sein de l'équipe, livrée à moi-même, j'ai pris la décision de ne travailler dorénavant qu'avec des collègues fiables et respectueux. Une exigence qui devrait être un principe fondamental pour toute mission sur le terrain.

Par la suite, je suis retournée au Svalbard pour y effectuer mon doctorat. Encadrée par deux superviseurs masculins bienveillants, j'ai eu la chance de mener pendant quatre années des travaux passionnants sur les glaciers de l'Arctique. C'est aussi durant cette période que j'ai commencé à enseigner, dans des classes où la présence des femmes s'est progressivement renforcée, jusqu'à devenir majoritaire. Dans l'un de mes derniers cours de glaciologie, tous les étudiants étaient des étudiantes.

Mon doctorat m'a également offert l'opportunité d'évoluer dans une université scandinave, où l'égalité des genres est une réalité depuis de nombreuses années. Congés parentaux, aides spécifiques pour les femmes scientifiques, politiques de parité : toutes ces mesures sont mises en place de longue date et fonctionnent parfaitement.

J'ai ensuite poursuivi avec un postdoctorat en Écosse, où j'ai fait mes premiers pas en communication scientifique. C'est à cette époque que j'ai été projetée sur France 5, dans l'émission Terres extrêmes, où j'ai eu l'occasion de vulgariser mon travail sur les glaciers et d'échanger avec des experts internationaux. Très vite, je me suis découvert une véritable passion pour la transmission des savoirs scientifiques auprès du grand public.

Cependant, les premières attaques n'ont pas tardé à surgir. Elles venaient d'abord de certains collègues anglo-saxons, perplexes face à mon engagement dans la sensibilisation scientifique, puis de scientifiques français, avec lesquels je n'avais pourtant jamais étudié ni collaboré, mais qui cherchaient à discréditer mon travail. Ces attaques persistent encore aujourd'hui, sans jamais entamer ma détermination.

En 2021, j'ai pris la tête d'une expédition scientifique 100 % féminine au Svalbard. À l'origine, nous pensions que constituer une équipe exclusivement féminine faciliterait notre recherche de sponsors et de partenaires. Loin de là : ce fut une tâche particulièrement difficile.

Une fois le budget bouclé, nous sommes parties pour un mois d'expédition, traversant l'archipel à ski sur 430 kilomètres, afin de réduire au maximum notre empreinte carbone. Nous avons alors dû affronter les pires conditions météorologiques que j'ai eu à connaître en mission scientifique : des cyclones et tempêtes à répétition ont mis notre endurance à rude épreuve.

C'est dans ce contexte extrême que j'ai eu une véritable révélation. Je savais déjà que j'étais entourée de femmes exceptionnelles, mais l'expérimenter sur le terrain a renforcé cette certitude. Mes coéquipières faisaient preuve non seulement d'une expertise remarquable, mais aussi d'une empathie, d'une intelligence émotionnelle et d'une solidarité sans faille.

Dans de telles conditions, il n'y avait aucune place pour les égos surdimensionnés. Alors que plusieurs expéditions ont dû être évacuées de l'archipel, nous avons été la seule équipe à mener notre mission à son terme. J'ai alors compris que nous possédions toutes les ressources nécessaires pour accomplir ces projets, mais à notre manière.

Aujourd'hui, je partage encore mon temps entre la recherche scientifique et la sensibilisation, consacrant une part significative de mon activité au travail de terrain, que ce soit sur les glaciers, au sein des entreprises, dans les territoires ou les établissements scolaires. À travers ces engagements, j'ai le privilège de rencontrer des femmes et des hommes qui, chacun à leur manière, façonnent un monde plus juste et plus égalitaire.

Sur les glaciers, j'ai l'opportunité de croiser des personnalités profondément inspirantes, à l'image de Madeleine Griselin, l'une des premières femmes glaciologues françaises, qui a ouvert la voie à de nombreuses générations de chercheurs en glaciologie. Dans les entreprises, j'échange avec des professionnelles telles que Muriel ou Hélène qui, à la tête de la responsabilité sociétale des grandes organisations, fédèrent des milliers de collaborateurs autour d'initiatives porteuses de sens.

Je rencontre également Camille, Anne-Sophie et Emma, dont les travaux scientifiques permettent d'influencer les réglementations en faveur de la santé humaine et environnementale. Et bien sûr, l'éducation occupe une place centrale dans ce combat. Avant-hier encore, j'ai eu l'occasion de m'entretenir avec deux enseignantes passionnées et leurs élèves, Julie et Émilie, du collège Henri Thomasi en Corse. Depuis quatre ans, elles animent un atelier intitulé « Les culottées », en hommage à la bande dessinée de Pénélope Bagieu, afin de mettre en lumière des parcours de femmes inspirantes. Elles transmettent à leurs élèves l'histoire de celles qui ont osé, innové et bouleversé les normes établies, car l'inspiration demeure essentielle : il est impossible d'aspirer à devenir ce que l'on n'a jamais vu.

Ces initiatives, ces rencontres et ces engagements renforcent en moi une conviction profonde : il est impératif de susciter des vocations, de briser ces barrières invisibles et de montrer que les jeunes filles ont toute leur place dans ces disciplines, non seulement en tant que chercheuses et scientifiques, mais également en tant que dirigeantes, cheffes d'entreprise, exploratrices et innovatrices.

Je souhaiterais conclure en citant Vandana Shiva, dont les mots résonnent particulièrement en moi : « Nous aurons soit un avenir où les femmes montreront la voie pour rétablir la paix avec la Terre, soit nous n'aurons pas d'avenir du tout. »

Je vous remercie de votre attention.

Mme Dominique Vérien, présidente. - Merci infiniment d'être intervenue depuis le pôle Nord. Vos propos sont toujours passionnants et limpides. Je suis ravie de vous revoir de cette façon.

Je me tourne maintenant vers notre collègue rapporteure Laure Darcos, qui aurait adoré devenir glaciologue, pour une présentation de notre prochaine invitée d'exception : Aleksandra Walczak.

Mme Laure Darcos, rapporteure. - Il y a trois jours, j'étais dans l'Antarctique, le voyage de ma vie. J'ai eu le sentiment d'avoir manqué ma vocation, mais je suis ravie d'être parmi vous ce matin, et de faire avancer les choses, depuis ma place. J'ai également été touchée par les deux témoignages précédents, notamment lorsqu'ils avaient trait à vos vies personnelles et familiales. Il est compliqué de tout mener de front. Bravo pour vos parcours.

Chère Aleksandra Walczak, vous êtes physicienne de formation, directrice de recherche au CNRS, au sein du Laboratoire de physique de l'École normale supérieure.

Vous explorez les lois de la nature en confrontant votre compréhension des processus biologiques à des données quantitatives, et proposez des algorithmes avancés d'analyse de données et des modèles quantitatifs.

Vous venez d'être élue membre de l'Académie des sciences et faites partie des dix académiciennes élues au sein de la nouvelle promotion.

En 2016, vous déclariez que le déroulement de votre carrière aurait sans doute été plus facile si vous aviez été un homme, mais affirmiez également que les difficultés s'amenuisaient au fur et à mesure que vous avanciez. Vous ajoutiez : « personnellement, j'ai eu la chance de bénéficier de l'encouragement de mes collègues, mais la situation reste difficile pour les femmes ».

Mme Aleksandra Walczak. - Merci de m'offrir l'opportunité de partager mon expérience. En préparant cette intervention, je me suis interrogée sur la manière dont une jeune fille, issue d'une ville de province en Pologne, a pu parvenir là où je me trouve aujourd'hui. Il est manifeste qu'un problème d'éducation des filles persiste, comme le souligne le rapport de l'Académie des sciences. Il convient d'y remédier à tous les niveaux du système scolaire. Toutefois, si nous nous contentons d'aborder ce seul aspect, il nous faudra probablement attendre au moins vingt ans pour en percevoir les résultats.

Des problèmes existent à tous les échelons, mais j'aimerais commencer par le niveau scolaire. Permettez-moi de vous présenter le commentaire d'un professeur vis-à-vis d'une élève de CP. Il y indique que ses compétences en mathématiques sont particulièrement bonnes, mais qu'elles n'ont rien à voir avec son niveau exceptionnel en français. Il est évident que cette élève a pris conscience, dès le CP, de ses aptitudes en français, tout en percevant que les garçons de sa classe excellaient en mathématiques.

Ce constat me renvoie à ma propre expérience, à cet âge-là. En effet, ma famille avait déménagé au Royaume-Uni. Là-bas, on m'avait attribué l'étiquette de « bonne en mathématiques », et je me suis demandé si le fait de venir d'une famille non anglophone m'empêchait d'être excellente en anglais tout en me permettant d'exceller en mathématiques. Cette fausse dualité entre les lettres et les sciences perdure par la suite, notamment à travers le choix, qui me semble inutile, entre les sciences et les lettres. En tant que scientifiques, nous passons énormément de temps à écrire et à communiquer. Moi-même, j'avais envisagé de me spécialiser dans les lettres au lycée, mais un ami de mon père m'a convaincue de me tourner vers les sciences. Il m'a expliqué qu'un parcours scientifique me permettait d'envisager toutes les carrières possibles, y compris dans les lettres, alors que l'inverse n'était pas vrai. Si l'on n'acquiert pas une solide formation en mathématiques au lycée, il devient extrêmement difficile de combler ce retard, même avec un travail acharné.

Nous constatons d'ailleurs aujourd'hui les conséquences des réformes du baccalauréat, avec une diminution du nombre de filles choisissant les mathématiques, ce qui limite leurs perspectives d'avenir.

Au lycée, mes professeurs ne m'ont pas encouragée à poursuivre les mathématiques et les sciences, mais ils ne m'ont pas découragée. Ils n'ont pas réduit les mathématiques à un simple outil de sélection. Ainsi, je n'ai pas développé de rejet pour les mathématiques et les sciences. Cela m'a même poussée, quelque peu naïvement, à envisager des études en physique, car ma curiosité m'y portait. Je savais qu'il y avait beaucoup à apprendre et qu'il n'y avait pas de concours d'entrée.

À 17 ans, je n'étais certes pas l'élève la mieux préparée en Pologne pour étudier la physique, non pas parce que je n'étais pas capable, mais parce que je ne venais pas d'un lycée spécialisé dans cette discipline. Si une sélection avait été imposée à l'entrée, je me serais probablement dirigée vers d'autres matières. Le fait de considérer les mathématiques comme un critère de sélection décourage sans doute de nombreuses filles de s'aventurer dans le domaine scientifique. Les compétences requises pour les examens d'entrée ne correspondent pas toujours à celles qui sont nécessaires pour la recherche.

Cela dit, il demeure impératif que tout le monde maîtrise les mathématiques au niveau du lycée. Même si je défends l'idée de multiples voies d'orientation, l'abandon de l'enseignement de cette matière ne saurait être une solution.

Un deuxième facteur majeur, déjà mentionné durant ma formation universitaire, a été la présence visible de femmes parmi les professeurs. La directrice et la directrice adjointe de notre département étaient des femmes. Le pourcentage d'étudiantes était faible, mais chaque année, des femmes professeures enseignaient. En dépit des remarques sexistes occasionnelles de certains hommes, cette présence féminine a fait une différence notable pour une jeune étudiante.

Tout au long de ma carrière, j'ai reçu un soutien précieux de la part de mentors masculins. Un mentor n'a pas besoin d'être une femme ; il lui suffit de soutenir les femmes dans leurs démarches.

Permettez-moi de vous faire part brièvement de mon expérience au sein des comités de recrutement, incluant une décennie cumulée dans le comité du CNRS. C'est là que j'ai appris que les femmes devaient être excellentes et exceptionnelles, alors que les hommes peuvent se contenter d'être bons. Une femme doit se démarquer, et ses échecs sont jugés avec plus de sévérité.

Il n'existe aucun endroit au monde au sein duquel tous les individus sont exceptionnels. En effet, pour qu'une personne soit considérée comme telle, il faut que les autres, par définition, ne le soient pas. Ainsi, nous avons besoin de davantage de femmes dites « moyennes ». Nous comptons déjà de nombreux hommes dits « moyens » et de femmes exceptionnelles. Cette affirmation peut sembler provocatrice, mais je crois sincèrement qu'elle est juste.

Je soutiens également l'idée que des compétences diverses sont essentielles et que le travail d'équipe est fondamental dans le domaine scientifique. Je ne serais pas ici aujourd'hui sans le soutien de mes collaborateurs, y compris de mon partenaire.

En particulier, les étudiants français, formés par le biais de concours sélectifs, sont souvent éduqués pour être compétitifs avant tout. Ils ne sont pas habitués au travail en équipe, et lorsqu'on leur demande de collaborer, ils se trouvent désemparés.

En pratique, personne ne s'oppose aux femmes dans les sciences, à moins que le processus ne devienne compétitif, et qu'une femme prenne la place d'un homme.

Lorsqu'on étudie le nombre de femmes admises dans diverses disciplines aux États-Unis, on remarque une chute soudaine dans les années 1980 pour l'informatique. En devenant une discipline d'élite, ces études ont connu une baisse du nombre de femmes y accédant. On observe une tendance similaire en astrophysique. Les pays où la profession d'astrophysicien est perçue comme moins prestigieuse comptent plus de femmes dans ce domaine que les autres.

Ainsi, comment préserver le prestige de la science tout en y intégrant davantage de femmes, de manière explicite ? La baisse des salaires n'est certainement pas une solution. Les salaires des scientifiques en France sont bas par rapport à de nombreux autres pays, et les problèmes demeurent. Nous voulons des scientifiques d'exception, et il est donc crucial de rendre ces carrières attrayantes pour les femmes, de les convaincre de se battre pour elles.

La science est un domaine international, et la France dispose de nombreux atouts pour attirer des femmes talentueuses. Il est impératif que le pays crée les conditions nécessaires pour que les femmes établies et reconnues puissent y rester.

Je tiens à dissocier strictement le fait d'être une femme du fait d'être mère, bien que je sois moi-même maman. De nombreuses femmes choisissent de ne pas avoir d'enfants, et les hommes peuvent en avoir. Ils doivent contribuer plus largement aux responsabilités parentales. Cependant, il est indéniable qu'avoir un emploi stable à 30 ans représente un atout pour les femmes, particulièrement lorsqu'elles doivent prendre des décisions concernant la maternité.

La formation à la recherche demande un investissement de temps considérable, et pour que les femmes puissent être compétitives par la suite, elles doivent avoir accès à cette formation. Nous avons besoin de mesures supplémentaires pour que les enfants soient vécus comme une joie par les parents. Les enfants ne sont pas la seule charge pouvant freiner une carrière ; le vieillissement des parents ou les maladies peuvent également peser de manière disproportionnée sur les femmes. La recherche est une activité à plein temps, et il est essentiel de pouvoir gérer son emploi du temps de manière productive, et non selon des règles rigides. Il nous faut plus de flexibilité et un changement profond dans les représentations sociales.

Ce qui m'a attirée dans ce métier est exactement ce qui m'a poussée à m'aventurer dans l'inconnu à l'adolescence : la curiosité et le désir d'en apprendre davantage. J'apprécie également de travailler avec des personnes de tous âges et dans un environnement international. L'image du scientifique solitaire est désormais obsolète, tout comme l'idée qu'il n'existe qu'un seul critère pour sélectionner un bon scientifique. Mon parcours professionnel n'a pas été planifié et a pris de nombreux détours, tant sur le plan scientifique que personnel. Je pense qu'il est essentiel de laisser de la place à ces imprévus.

Mme Dominique Vérien, présidente. - Votre intervention a fait raisonner un certain nombre de choses en nous. En troisième, je voulais m'orienter vers une filière littéraire. C'est un professeur qui m'a encouragée à poursuivre un parcours scientifique, m'assurant que je pourrais ensuite suivre des études littéraires. Je suis finalement devenue ingénieure.

Il est important d'être orienté, et compris. Lorsque les parents ne le peuvent pas, l'école devrait assumer ce rôle d'orientation, et susciter des vocations scientifiques.

Mme Jocelyne Antoine, rapporteure. - Il me revient l'honneur de présenter notre dernière intervenante, Kumiko Kotera, une femme et une scientifique exceptionnelle, à beaucoup d'égards.

Vous êtes astrophysicienne, directrice de recherche au CNRS, directrice de l'Institut d'astrophysique de Paris et à la tête d'un ambitieux projet international, le GRAND, qui cherche à détecter les neutrinos de haute énergie grâce à des dizaines de milliers d'antennes réparties sur plusieurs continents.

Vous êtes également écrivaine. Vous avez publié en janvier 2025 un ouvrage passionnant intitulé « L'Univers violent », dans lequel vous décrivez votre quête et celle de toute la communauté d'astronomes pour détecter et décrypter les messages que nous adresse l'Univers, à travers de multiples sources d'énergie, dont la lumière, les rayons cosmiques, les neutrinos ou les ondes gravitationnelles.

Mais vous évoquez également, dans ce livre, les difficultés que peuvent rencontrer les femmes dans le milieu de la recherche scientifique : celles qui choisissent de faire avancer collectivement les connaissances scientifiques, parfois au détriment de leur vie personnelle.

En préparant cette audition, j'ai invité les membres d'une association de mon département, composée notamment de femmes. Parmi elles figure une jeune étudiante en astrophysique à Toulouse. Lorsqu'elle a appris que j'avais l'honneur de vous auditionner, elle m'a adressé un message, me demandant de lui transmettre vos coordonnées, car elle aimerait correspondre avec vous.

Mme Kumiko Kotera. - Ce sera un véritable plaisir.

Je suis profondément honorée d'être parmi vous aujourd'hui pour partager mon témoignage en tant que femme scientifique. Je me présente à vous sous quatre casquettes distinctes :

• en tant qu'astrophysicienne et chercheuse, une passionnée de la science que je pratique quotidiennement ;

• en tant que directrice d'un projet scientifique d'envergure internationale, mobilisant 120 personnes, GRAND, visant à détecter des particules venues du cosmos, en déployant un réseau d'antennes géantes dans des déserts, afin de sonder les astres dits violents de notre univers. De plus, je suis la première femme directrice de l'Institut d'Astrophysique de Paris, depuis sa création en 1937.

• en tant qu'autrice, ce qui témoigne de mon désir de partager la science, mais aussi d'une sensibilité littéraire et d'un désir constant d'écrire ;

• en tant qu'épouse et mère de deux jeunes enfants.

Je ne voudrais pas que ces différents statuts soient perçus comme une anomalie ou une source d'inquiétude. Vous parliez de « femme exceptionnelle ». Je crois que nous devrions cesser d'employer cette expression. Elle ne doit pas créer de barrière à l'identification. Au contraire, je veux aujourd'hui affirmer que l'on peut très bien allier ces vies et ces aspirations.

Je veux démontrer qu'il est possible d'être à la fois mère et scientifique, de préserver son côté artistique tout en étant engagée dans une carrière scientifique. Je souhaite également souligner qu'il est possible de diriger un projet scientifique et un laboratoire sans se conformer aux stéréotypes du « modèle dominant », mais en restant fidèle à soi-même, en préservant sa nature.

Je vais maintenant détailler les quatre casquettes que j'ai évoquées pour témoigner sur les femmes et les sciences, sujet qui me tient particulièrement à coeur.

Tout d'abord, permettez-moi de vous présenter brièvement mon parcours, qui reste relativement classique dans notre domaine. J'ai suivi un baccalauréat scientifique, puis une classe préparatoire à Grenoble, avant d'intégrer non pas l'ENS ou l'Ecole Polytechnique mais l'ENSTA, l'École Nationale Supérieure des Techniques Avancées, qui est une très bonne école. Par la suite, j'ai poursuivi un Master 2 en astronomie et astrophysique à Sorbonne Université, avant de réaliser une thèse à l'Institut d'Astrophysique de Paris, avec succès. Je me suis ensuite tournée vers un post-doctorat à l'Université de Chicago.

C'est là que j'ai eu la chance de rencontrer ma mentore, Angela Olinto, une femme d'exception, première femme professeure au département de physique de l'Université de Chicago et actuellement vice-présidente de l'Université de Columbia. Elle est brillante. C'est une chercheuse remarquable et profondément humaine. Elle m'a tout appris. À la même période, ma carrière a pris un essor considérable. Ce furent des années formidables pour moi.

Je suis ensuite partie en deuxième post-doctorat au California Institute of Technology, à Caltech. Entre-temps, j'ai été recrutée au CNRS sur un poste de chargée de recherche, à peine un an et demi après ma thèse. Cette sécurité m'a épargné la crainte de devoir interrompre ma carrière pour fonder une famille, une question qui demeure complexe dans les débuts précaires de la recherche, où l'on se demande souvent si l'on pourra continuer. Ces périodes d'incertitude, notamment au regard de la succession de contrats à durée déterminée, enchaînés sur différents continents, rendent difficile le choix entre la recherche et d'autres aspirations.

Je n'ai pas eu à me poser cette question. Je suis rentrée à l'Institut d'Astrophysique de Paris, où j'ai pris mon poste au CNRS. Très tôt dans ma carrière, j'ai rencontré mon collègue Olivier Martineau. Nous avons immédiatement éprouvé une véritable affinité scientifique, donnant naissance au projet GRAND, que nous dirigeons ensemble, main dans la main, depuis maintenant dix ans.

Cette année, j'ai pris les rênes de l'Institut d'Astrophysique de Paris. J'ai accepté cette responsabilité avec l'espoir de rendre un peu de ce que cet institut m'a apporté tout au long de ma carrière.

Je vous ai dit que je me présentais en tant qu'astrophysicienne et chercheuse, mais qu'est-ce que cela signifie réellement ? Que fais-je dans mon métier ? Il me semble impératif de réexaminer la notion traditionnelle du chercheur, du physicien solitaire, enfermé dans son bureau et sortant des équations de son esprit. La science, telle que je la pratique, est avant tout une véritable joie collective. Nous formons un groupe de personnes qui se retrouvent aux quatre coins du monde, échangeant des idées et faisant résonner nos cerveaux ensemble.

Concrètement, nous nous posons des questions scientifiques, des puzzles. Nous les posons sur la table, et nous nous réunissons pour partager nos idées. C'est un processus stimulant et enrichissant. Ce n'est pas tout, bien sûr, mais c'est ce qui nous motive chaque jour. La résolution de puzzles est notre carburant, notre raison d'être. D'ailleurs, je pense que la science est un message. Elle s'incarne de multiples façons : il n'y a pas seulement les chercheurs, mais aussi les ingénieurs, les techniciens et techniciennes, dans le secteur public et privé, à différents niveaux d'artisanat. La science se fait aussi avec les mains, comme on fait son pain. C'est extrêmement satisfaisant. Ce n'est pas uniquement théorique, c'est un sujet concret, que l'on manipule, et c'est formidable. Bien sûr, cela implique aussi une grande part de créativité, ou parfois non. Il y en a pour tous les goûts, pour tous les caractères. C'est cela qui rend la science si riche.

Parmi ces multiples facettes de la science, on trouve la direction. C'est là que j'en viens à ma deuxième casquette, celle de dirigeante en tant que femme. Je pense que ce sujet dépasse même le cadre de la science d'une certaine manière. Encore aujourd'hui, dès qu'une femme occupe une position de direction, elle est souvent confrontée à ce stéréotype, cette image de la femme forte presque masculine. Pour être respectées dans ces fonctions, nombre de femmes de ma génération, et des générations précédentes, ont dû se transformer pour répondre aux critères masculins attendus.

Grâce à mon expérience et à ma mentore Angela Olinto, j'ai compris qu'il n'était pas nécessaire de se dénaturer, qu'il existait mille et une façons de diriger, tout comme de faire de la science. Apporter ce que l'on est véritablement est une richesse inestimable. C'est ce que je souhaite pour les générations futures. J'entrevois une tendance qui se dessine, et cela me donne espoir : j'aimerais que les jeunes filles et femmes qui s'engagent aujourd'hui dans la science aient de moins en moins à forcer leurs traits de caractère et à se travestir, comme nous avons dû le faire dans notre génération. Qu'elles puissent être reconnues et appréciées pour leurs qualités authentiques, des qualités qui ne se mesurent pas selon les critères obsolètes du Boys Club qu'a été la science pendant si longtemps.

Ensuite, je voudrais évoquer brièvement ce concept de rôle modèle. Angela Olinto a été une véritable révélation pour moi. Encore aujourd'hui, il m'arrive fréquemment, lorsque je fais face à une situation difficile, de me demander : « Que ferait Angela à ma place ? ». Cette réflexion m'aide énormément. Je me dis que c'est probablement en raison de notre tendance à douter plus facilement, du syndrome de l'imposteur, que nous nous posons tant de questions. C'est peut-être pourquoi nous sommes particulièrement sensibles à l'importance d'avoir des rôles modèles. Et c'est justement pourquoi cette table ronde me semble d'une importance capitale. Je vous remercie de l'avoir organisée.

Je souhaiterais maintenant aborder un autre aspect de mon parcours, celui d'être à la fois autrice et scientifique. À la base, j'avais pour ambition de devenir écrivain. À la fin du collège, je me suis dit que ce rêve ne paraissait pas sérieux. J'ai donc décidé de devenir astrophysicienne, un choix que je trouvais bien plus « sérieux » - c'est assez amusant, n'est-ce pas ? En réalité, j'ai opté pour l'astrophysique, car c'était un domaine qui alliait la rigueur scientifique, que j'appréciais énormément, et une certaine forme de poésie. Cependant, j'ai toujours gardé le désir d'écrire. À l'époque, la science était encore perçue comme un domaine strictement sérieux. J'espère qu'elle continuera à l'être, au vu des temps qui courent.

Il m'a fallu beaucoup de temps pour concilier ces deux facettes de ma personnalité. Et, plus récemment, j'ai compris - ou plutôt accepté - que la science et l'écriture activaient deux parties distinctes de mon cerveau, et qu'elles se complétaient. La science est pour moi une forme de jubilation, tandis que l'écriture est une respiration. Mon ouvrage se lit un peu comme un roman. Pour moi, il incarne cette possibilité d'être multiple tout en exerçant un métier scientifique.

Je parle de multiplicité dans le sens où je crois qu'il est tout à fait possible d'être scientifique et littéraire, scientifique et écrivain, scientifique et sportive, scientifique et politique. Nous pouvons être multiples. La science ne ferme pas de portes, au contraire. C'est un message que je souhaite transmettre.

Je ne crois pas avoir été particulièrement encouragée à faire des sciences durant ma scolarité. Ma famille m'a toujours soutenue dans tous mes choix, ce qui a été précieux, mais dans le milieu scolaire, je n'ai pas toujours été poussée dans cette direction. Cependant, je n'ai pas été découragée non plus. En revanche, je pense que personne n'aurait parié sur le fait que je deviendrais astrophysicienne, au regard de mes capacités : j'étais bonne en mathématiques et en physique, mais je ne brillais pas particulièrement. En revanche, on aurait plus probablement misé sur ma carrière littéraire, étant donné que j'étais une femme qui écrivait, qui aimait l'écriture et qui était bonne en lettres. Aujourd'hui, je ne peux m'empêcher de m'interroger sur la part de biais de genre qui a joué un rôle, surtout en ce qui concerne mes propres choix à l'époque, ainsi que la perception que les autres pouvaient avoir de moi.

Si, au lycée, j'avais eu à faire un choix concernant la poursuite ou non des sciences, je ne sais honnêtement pas ce que j'aurais fait. Je pense que j'étais trop jeune pour prendre de telles décisions avant le lycée. Je ne savais pas ce qu'était véritablement la science. Le lycée, pour moi, a été une période extrêmement riche, qui m'a permis de mûrir et de comprendre le monde.

C'est pourquoi je tiens à partager un message, qui est d'ailleurs largement soutenu par les professionnels de ma discipline : au lycée, la science ne doit pas être une option, elle doit faire partie du tronc commun. Cela permettrait aux filles de ne pas être confrontées à un choix biaisé dès le départ, imposé par la société. Tant que la science restera une option, elles se censureront. Je comprends bien que le travail sur le biais de genre, la formation des enseignants, le décrochage scolaire dès le CP est complexe. Mais ici, il s'agit de rétablir un système qui a été démantelé. Nous devons remettre la science dans le tronc commun général du lycée, et lui redonner sa place. C'est une priorité, surtout compte tenu des enjeux actuels. La science va au-delà des femmes, elle est fondamentale pour notre société.

C'est ici que j'en viens à ma quatrième casquette, celle de mère et scientifique. Dans mon livre, l'histoire débute lorsque je suis enceinte de huit mois et en train de poser du papier peint, tandis qu'une des découvertes les plus historiques de la science des dernières décennies a lieu. Je raconte avant tout l'histoire de mon amie et collègue, Samaya Sanke, une véritable superstar de la physique. Pendant ses vacances, tandis que son fils d'un an gambade dans les ruisseaux avec son père, elle écrit dans ses toilettes l'article relatant le résultat majeur de sa carrière, un aboutissement historique pour notre domaine. À la fin, elle ne parvient pas à se faire honorer pour cette découverte, car elle n'a pas pris le temps de passer les coups de téléphone nécessaires pour être reconnue et ne pas être oubliée. J'en tire une morale très belle, poignante, mais également triste.

La science faite par des femmes diffère fondamentalement de celle réalisée par des hommes. Elle possède une vibration particulière, car nous vivons et interagissons différemment, avec des temporalités autres. J'identifie une véritable richesse à introduire de la diversité dans la recherche et dans les sciences : diversité de genre, de culture, de caractère, de parcours et d'expertise.

Pour moi, tout cela s'entrelace et se complète. Et au coeur de ce processus se trouve, bien entendu, l'importance cruciale d'être bien entouré, tant dans la sphère professionnelle que personnelle. À ce sujet, je tiens, comme mes collègues, à insister sur le rôle fondamental des pères. Tant que nous ne reconnaîtrons pas de manière significative le rôle des pères, en introduisant des congés paternité obligatoires et de longue durée, et en renforçant cette mesure dans les entreprises, dans le secteur de la recherche et dans toutes les sphères de la société, je suis convaincue que les femmes continueront à travailler avec un handicap.

Pour conclure, je souhaiterais adresser un message aux jeunes filles qui m'écoutent et qui hésitent à se lancer dans la science, ou qui en ont peur, ou encore qui souhaitent s'y engager. Venez faire de la science et de la recherche telle que vous êtes en tant que femmes, avec vos doutes, avec votre force et vos délicatesses, avec vos élans bulldozers et vos réserves, votre rigueur, votre organisation, vos défauts, votre bazar, vos colères et votre sérénité, votre humanité, votre capacité à lire le monde d'un regard différent, votre artisanat, votre ingénierie, votre créativité et votre originalité. Et c'est tout ça qui fera que votre science sera belle.

Mme Dominique Vérien, présidente. - Madame, vous êtes une femme d'exception, il faut le reconnaître. Il est certes essentiel de montrer que chacun peut avoir accès aux sciences, mais il est tout aussi important de cesser de se dévaloriser lorsque l'on possède un talent remarquable. Il convient donc d'accepter pleinement le fait d'être un modèle, tout en mettant en avant la normalité de cette excellence. Il est tout à fait possible de progresser, de mener des recherches d'envergure et de faire de grandes découvertes. C'est précisément cette capacité à allier l'excellence et l'accessibilité qui est essentielle.

En vous écoutant toutes et tous, il me vient une réflexion : si l'on admet que les femmes sont remarquables tandis que les hommes peuvent être simplement moyens, alors il me semblerait opportun de recommander aux hommes d'étudier davantage les lettres. C'est peut-être ce qui leur fait défaut. En réalité, l'idéal serait d'associer les sciences et les lettres afin d'atteindre l'excellence.

Enfin, j'ai bien noté qu'en sciences, comme en politique, il ne suffit pas d'agir : encore faut-il savoir mettre en valeur ce que l'on accomplit. C'est une problématique majeure, car certains réalisent peu, mais savent très bien communiquer sur leurs actions, tandis que d'autres oeuvrent considérablement tout en restant dans l'ombre. Cette injustice est profonde et reflète, à mon sens, un biais qui touche particulièrement les femmes.

Pour ma part, j'ai toujours affirmé que « l'important du pouvoir, c'est de pouvoir faire ». Mais être reconnu pour ses actions est tout aussi fondamental, en particulier dans le domaine scientifique. C'est pourquoi je tiens à vous remercier sincèrement pour ces interventions et témoignages d'une grande richesse, qui m'ont profondément touchée et inspirée.

Vos propos ont résonné en chacun de nous. La professeure de mathématiques, assise à mes côtés, en est la preuve vivante : elle jubile et s'interroge sur la manière dont tant de personnes ont pu se détourner des mathématiques. Comment cela a-t-il pu arriver ? Lorsque l'on constate que certains croient encore que la Terre est plate, il apparaît évident qu'il est essentiel de maintenir un enseignement scientifique solide, ne serait-ce que pour en acquérir les bases fondamentales, même sans en faire une vocation. C'est un enjeu crucial.

Mme Marie-Pierre Monier. - Oui, vos propos ont profondément résonné en moi.

Lorsque j'ai dû choisir une orientation, en seconde, j'étais passionnée par les langues et souhaitais en étudier trois. C'est mon professeur de mathématiques qui s'est opposé à cette décision, insistant auprès de ma mère sur l'importance que je poursuive des études en mathématiques. À l'époque, nous étions neuf filles pour vingt-six garçons dans cette filière.

Je suis convaincue que vos témoignages contribueront à ouvrir des perspectives à de nombreuses jeunes filles. Il est essentiel de libérer la parole sur ces sujets. Quelqu'un a évoqué l'importance d'organiser des expositions mettant en avant des modèles inspirants : c'est en effet une démarche fondamentale, tout comme le mentorat, qui joue un rôle déterminant.

À travers vos interventions, on retrouve des problématiques que nous avons maintes fois abordées au sein de la délégation : le plafond de verre et la lutte contre les stéréotypes de genre. Ce sont des obstacles que nous nous imposons à nous-mêmes ou que la société nous impose. La manière dont on nous perçoit et la place qui nous est attribuée ne correspondent jamais à celles que nous devrions légitimement occuper. Nous devons mener un combat permanent pour faire éclater ces entraves.

Nous avons également évoqué l'éducation à la vie affective, relationnelle et sexuelle, qui s'inscrit dans une réflexion plus large sur la place des femmes et des jeunes filles dans notre société.

Au-delà de la nécessité de réintroduire un tronc commun scientifique et mathématique obligatoire au lycée afin d'ouvrir les horizons des élèves, j'ai été marquée par votre volonté de faire prendre conscience aux jeunes filles de la place qu'elles peuvent et doivent occuper. Il est essentiel de lever ces freins. L'éducation joue un rôle central dans ce processus. C'est pourquoi je ne peux qu'adhérer pleinement à vos réflexions.

Il est d'autant plus crucial d'agir que la situation internationale suscite de vives inquiétudes. Aux États-Unis, nous constatons avec stupeur que l'administration du président Trump a supprimé des termes tels qu'« équité », « égalité » et « femme » des pages officielles du Gouvernement. Où allons-nous ? Nous savons combien les bases de données jouent un rôle déterminant dans le développement de l'intelligence artificielle. Si les femmes disparaissent de ces référentiels, les conséquences seront désastreuses.

Mme Dominique Vérien, présidente. - D'ailleurs, il ne serait guère surprenant que le mot « science » finisse lui aussi par être évincé.

Mme Marie-Pierre Monier. - Oui, c'est une possibilité.

Ma première question porte précisément sur ce point. Je sais que deux d'entre vous ont effectué une partie de leurs études aux États-Unis. Madame Kotera, si j'ai bien compris, vous aviez déjà l'assurance d'un poste en France avant votre départ ?

Mme Kumiko Kotera. - Non, pas initialement.

Mme Marie-Pierre Monier. - D'accord. Dans ce cas, pensez-vous que la fuite des cerveaux, largement documentée en matière de recherche, touche spécifiquement les femmes ? Par ailleurs, de votre expérience à l'étranger, quelles bonnes pratiques en matière d'égalité entre les femmes et les hommes dans le milieu scientifique pourraient être transposées en France ? Mme Sevestre a souligné qu'en Norvège, l'égalité entre les sexes semblait plus avancée qu'ailleurs.

Les disciplines dans lesquelles vous excellez sont variées, certaines étant peut-être plus mixtes que d'autres. Pensez-vous qu'il soit plus difficile d'accéder à des postes à responsabilités dans les domaines encore largement masculins, ou au contraire, dans ceux où la présence féminine s'accroît ? La culture de l'égalité progresse-t-elle rapidement, selon vous ?

En médecine, bien que les femmes soient nombreuses, elles se heurtent toujours au plafond de verre lorsqu'il s'agit d'accéder à des postes de responsabilité.

Existe-t-il, selon vous, une forme de solidarité entre chercheuses ? Est-elle encouragée ? Lors de nos travaux académiques, nous avions mis en lien cette problématique avec une étude de l'Académie des sciences, qui soulignait l'extrême compétitivité du monde de la recherche.

Dans le contexte scientifique français, estimez-vous que la place des femmes a connu une progression récente, ou au contraire, observez-vous un recul sur cette question ?

Mme Laure Darcos. - Pour revenir sur la question du tronc commun, il faut reconnaître que le gouvernement a, en partie, corrigé son erreur.

J'avais soulevé ce point d'actualité lors d'un échange avec Élisabeth Borne, alors Première ministre. Étant polytechnicienne, elle a été stupéfaite d'apprendre les implications de la réforme du baccalauréat, dont elle n'avait pas pleinement conscience. Si une avancée a été réalisée en réintroduisant les mathématiques en classe de première, elle ne représente malheureusement qu'un progrès partiel et insuffisant. En effet, en terminale, les élèves qui n'ont pas suivi la spécialité « mathématiques » se retrouvent en difficulté face à ceux qui l'ont poursuivie. Dès lors, cette réintroduction des mathématiques en première s'avère inefficace.

Toute cette réforme a manqué de cohérence et a donné lieu à une forme d'hypocrisie, notamment en ce qui concerne la place des filles dans les filières scientifiques. L'un des déclencheurs de la rédaction de notre rapport a d'ailleurs été la prise de conscience de l'hémorragie observée dans les classes préparatoires et les études supérieures scientifiques depuis cette réforme du baccalauréat. Avec désormais trois promotions de bacheliers ayant subi ces changements, nous constatons une régression du nombre de jeunes femmes dans ces cursus.

Vous avez évoqué à plusieurs reprises l'influence du déterminisme tout au long de la scolarité, dès l'école primaire. Il est essentiel de souligner que les futures professeures des écoles, qui auront elles-mêmes suivi un parcours sans mathématiques au lycée, ne disposeront pas, dans leur formation initiale, des bases nécessaires pour enseigner cette discipline aux jeunes élèves. Nous sommes ainsi confrontés à un cercle vicieux préoccupant.

Je pense que nous devons repenser l'approche pédagogique des mathématiques. Lorsqu'on propose à une petite fille en CP un exercice de mathématiques, elle est souvent paralysée par l'angoisse - et je parle d'expérience. En revanche, si on lui présente un jeu basé sur des dessins de géométrie, elle se montre aussi performante que les garçons, voire davantage.

La manière dont nous formulons les concepts joue un rôle clé dans cette perception. Les mathématiques sont souvent perçues comme une discipline abstraite, alors qu'elles peuvent aussi être abordées sous un angle concret et ludique. D'ailleurs, l'expression « sciences dures » elle-même véhicule une connotation peu engageante pour les jeunes filles, ce qui révèle, dès le départ, un biais dans notre façon d'envisager cette discipline.

Je souhaiterais également revenir sur vos parcours. Certaines d'entre vous ont évoqué les difficultés rencontrées au cours de leur formation, notamment en raison de carrières longues et morcelées par des interruptions liées aux grossesses ou à des opportunités de postes à l'étranger. Or, il est frappant de constater que, dans ces situations, c'est souvent aux femmes de s'adapter à la carrière de leur conjoint, et non l'inverse. Je pense que cette question mérite d'être explorée davantage.

En tant que rapporteure sur la loi de programmation de la recherche, je me demande si l'instauration de quotas ne constituerait pas une solution envisageable pour certains postes académiques, qu'il s'agisse de postdoctorats ou même de contrats doctoraux. Pensez-vous que cette mesure permettrait d'augmenter significativement le nombre de femmes accédant à ces niveaux d'excellence, sans qu'elles aient systématiquement besoin de partir à l'étranger pour prétendre à une égalité des chances avec leurs homologues masculins ?

Est-il nécessaire d'en arriver là pour garantir une meilleure répartition des postes à hautes responsabilités, notamment ceux de professeurs et de directeurs de recherche, qui demeurent encore majoritairement masculins ?

Mme Jocelyne Antoine. - On a évoqué le décrochage des filles dès le CP. Les études montrent qu'il s'accélère au fur et à mesure au collège, au lycée, etc.

Ma question portait sur la période post-bac, car on constate que certains secteurs d'études scientifiques sont davantage choisis par les femmes, comme la biologie. Il est étonnant de noter que l'astrophysique fait partie de ces domaines : on y observe une plus grande parité entre les sexes. L'écart entre les hommes et les femmes y est moins prononcé que dans d'autres domaines, comme l'ingénierie. Cette différenciation existe encore.

Je m'interroge donc sur les raisons pour lesquelles on retrouve davantage de femmes dans certains domaines que dans d'autres. Avez-vous des pistes de réflexion à ce sujet ?

Un autre point qui me préoccupe est lié à la Tech, notamment à l'intelligence artificielle. Nous avons eu l'occasion d'organiser un colloque sur les femmes et l'intelligence artificielle. La situation m'inquiète profondément. Si les modèles utilisés pour gérer notre avenir sont principalement masculins, cela risque d'entraîner des inégalités flagrantes à l'avenir.

Mme Carole Mathelin. - Je souhaiterais apporter une réponse à la question de la prédominance masculine dans le domaine médical. Celle-ci ne se manifeste pas dès les études de médecine, où les femmes sont particulièrement nombreuses. Cependant, la difficulté réside dans la structure même des carrières médicales, qui reposent sur trois dimensions essentielles : le soin, la recherche et l'enseignement.

Pour concilier ces trois aspects, il est nécessaire d'emprunter une voie spécifique, celle de praticien hospitalier et professeur des universités (PUPH). Ce parcours exige, en plus du doctorat en médecine, la réalisation d'un doctorat en sciences, incluant une thèse d'une durée minimale de trois ans, une habilitation à diriger des recherches, ainsi qu'une année de mobilité, le plus souvent effectuée à l'étranger.

C'est à ce stade que les difficultés s'intensifient. Une jeune médecin, souvent mariée et parfois mère de famille, se trouve confrontée à l'obligation de partir à l'étranger pendant un an, ce qui représente un véritable défi tant sur le plan personnel que professionnel. À cela s'ajoute la contrainte d'abandonner temporairement sa patientèle. Ce dilemme explique en grande partie la baisse significative du nombre de femmes accédant à ces postes de haut niveau : à ce jour, seules 19 % des PUPH sont des femmes.

Or, c'est précisément à ce niveau de responsabilité que se jouent les nominations aux postes de chef de service, de doyen ou encore de responsable de commission médicale d'établissement (CME). La longueur et la complexité de ce parcours constituent ainsi un véritable obstacle pour les femmes.

Il apparaît donc nécessaire de repenser la carrière hospitalo-universitaire afin de la rendre plus accessible et mieux adaptée aux contraintes des femmes médecins. L'obligation d'une année de mobilité, par exemple, pourrait être assouplie afin d'éviter qu'elle ne constitue un frein à leur progression. Il est également crucial de valoriser l'enseignement et la recherche, des composantes essentielles à l'évolution de la médecine. En effet, il est aujourd'hui impensable de progresser dans ce domaine sans un engagement scientifique constant, tant les avancées technologiques et médicales sont rapides.

L'intelligence artificielle est désormais omniprésente : elle est utilisée en chirurgie, en imagerie médicale, et transforme nos pratiques. Il est donc impératif que les médecins acquièrent ces compétences. Ainsi, la réforme des carrières hospitalo-universitaires ne doit pas porter sur l'accès aux études de médecine, qui est aujourd'hui largement ouvert aux femmes, mais bien sur la valorisation et l'aménagement des parcours permettant d'accéder aux plus hautes fonctions.

Mme Marina Kvaskoff. - Je suis très favorable aux quotas, car il me semble difficile d'atteindre l'égalité sans leur mise en place à un certain stade. Toutefois, ce n'est pas au niveau du post-doctorat que se situe le principal problème. À ce stade de la carrière, les femmes sont encore nombreuses. Il est bien sûr essentiel d'encourager davantage de femmes à déposer des projets, à entreprendre une thèse et à poursuivre en post-doctorat, mais la question des quotas est surtout pertinente pour l'accès aux postes à responsabilité, où l'on observe un véritable déséquilibre.

Les données disponibles, qu'il s'agisse de celles de l'INSERM, du CNRS ou d'autres organismes, montrent clairement une tendance récurrente : les femmes sont bien représentées dans les niveaux les plus bas de la hiérarchie, mais leur présence diminue drastiquement à mesure que l'on progresse vers des postes plus seniors. C'est précisément à ce niveau que les quotas jouent un rôle essentiel, car ils permettent de rétablir des proportions plus justes et de corriger ces déséquilibres structurels.

Concernant la répartition des femmes dans les différents domaines scientifiques, il est vrai que certains secteurs comptent davantage de chercheuses que d'autres. Par exemple, dans la santé publique, les femmes sont plus nombreuses. La commission scientifique spécialisée de l'INSERM, chargée d'évaluer les chercheurs et de recruter sur de nouveaux postes, est celle où la proportion de femmes est la plus élevée. En revanche, dans d'autres commissions, la présence féminine est bien plus faible. C'est là que les quotas peuvent faire la différence.

Toutefois, pour comprendre en profondeur ces disparités, il est indispensable de mener des études qualitatives. Identifier les causes sous-jacentes est essentiel. Ce déséquilibre provient sans doute de la manière dont notre société est structurée, des biais et stéréotypes persistants qui influencent les choix des femmes en matière de disciplines scientifiques. Améliorer cette représentation dès le plus jeune âge, notamment à l'école, pourrait être une solution. Un effort particulier est nécessaire dans les disciplines où les femmes sont sous-représentées, comme la tech, la physique et les mathématiques, afin d'améliorer l'image de ces domaines auprès des femmes, mais aussi d'y valoriser leur place.

Quant à la solidarité entre femmes, elle existe bel et bien, bien qu'elle ne soit pas systématique. Certaines femmes, ayant dû affronter de nombreuses difficultés pour arriver à leur position actuelle, estiment ne pas avoir à faciliter le parcours des autres. À l'inverse, d'autres sont pleinement conscientes des obstacles structurels et souhaitent éviter qu'ils ne se perpétuent. Encourager cette solidarité est essentiel.

Les réseaux de femmes scientifiques jouent ici un rôle déterminant. L'association Femmes et Sciences, par exemple, accomplit un travail remarquable dans ce domaine. Lorsque j'étais aux États-Unis, j'ai eu l'opportunité d'intégrer un réseau de femmes scientifiques, et j'ai ressenti une solidarité immense. Ces réseaux organisaient des événements dédiés aux chercheuses, abordant des thématiques concrètes telles que la progression de carrière, la manière de surmonter le plafond de verre ou encore les comportements à adopter dans certaines situations professionnelles.

Ces rencontres étaient précieuses, car elles plaçaient toutes les participantes sur un pied d'égalité : doctorantes, post-doctorantes, directrices de recherche haut placées... Toutes se retrouvaient sur un même plan, simplement en tant que femmes scientifiques. Cette dynamique facilitait grandement les échanges et rendait les figures les plus expérimentées accessibles. Pour ma part, cela m'a apporté une immense confiance à un moment crucial de mon parcours.

Le rôle des associations est donc fondamental, et leur travail doit être soutenu et valorisé.

Mme Heïdi Sevestre. - Je me permets d'évoquer les pratiques mises en place dans les pays scandinaves, en particulier à l'université UNIS, le centre universitaire du Svalbard, situé à quelques pas de chez moi.

Ici, des quotas sont appliqués à tous les niveaux : pour les étudiants, les doctorants, les post-doctorants, et pour tous les postes universitaires. Grâce à ce système, nous avons atteint une véritable égalité. Certains cursus rencontrent plus de difficultés que d'autres, mais dans l'ensemble, la parité est respectée à tous les échelons de l'université.

Un élément clé qui favorise cette égalité, notamment pour l'accès aux postes à responsabilité, est le congé parental. En Scandinavie, il est particulièrement avantageux : quarante-neuf semaines de congé rémunérées à 100 %, ou une année complète avec un salaire maintenu à 80 %. Surtout, quinze semaines de congé maternité et paternité sont obligatoires. Ce dispositif garantit que les deux parents bénéficient d'un temps de présence équitable avec leur enfant. Ici, les conditions de travail, les salaires et la qualité de vie sont pensés pour favoriser un véritable équilibre et une solidarité au sein des équipes.

Cette approche prouve que même avec des quotas et des conditions favorables, la science reste d'une qualité exceptionnelle. D'ailleurs, notre recherche en sciences polaires est parmi les meilleures au monde.

Ensuite, j'ai la chance d'enseigner les techniques de terrain en glaciologie. Les expéditions scientifiques dans des environnements extrêmes peuvent impressionner, surtout face aux défis croissants liés au changement climatique. Or, la présence des femmes sur le terrain est relativement récente.

Dans les bases antarctiques, par exemple, les femmes n'ont été autorisées à participer aux missions qu'à partir des années 1980. C'est particulièrement vrai pour les bases britanniques avec lesquelles j'ai collaboré. Ce retard d'accès souligne à quel point la féminisation des sciences de terrain a été un combat.

Heureusement, les mentalités évoluent. Des sujets autrefois tabous sont désormais abordés ouvertement. On ose enfin parler du harcèlement sexuel dans ces bases isolées aux confins du monde, un problème longtemps passé sous silence. On aborde aussi des aspects très concrets du quotidien des femmes sur le terrain, comme la gestion des règles ou l'accès aux toilettes dans des conditions extrêmes.

Lorsque j'ai débuté en glaciologie, ces sujets n'étaient jamais évoqués. Aujourd'hui, j'en discute librement avec mes étudiantes, car ces préoccupations peuvent être des freins pour de jeunes filles souhaitant s'engager dans ces disciplines. En leur apportant des réponses et des solutions pratiques, nous levons ces obstacles et encourageons davantage de femmes à rejoindre les sciences de terrain.

C'est un progrès dont je me réjouis profondément, et j'espère que cette dynamique continuera de s'amplifier.

Mme Aleksandra Walczak. - J'ai effectué ma thèse aux États-Unis durant cinq années, suivies de trois années de post-doctorat. J'ai ainsi passé huit années consécutives outre-Atlantique avant de revenir en France. J'y suis revenue, notamment parce que le pays nous offrait, à mon partenaire et moi-même, des postes équivalents. Finalement, nous avons estimé que les conditions étaient plus favorables ici.

J'exerce en tant que physicienne théoricienne, une spécialité où les femmes ne représentent que 10 % des effectifs, soit la plus faible proportion parmi toutes les disciplines scientifiques. Malgré le préfixe « bio », qui peut être perçu comme un facteur d'inclusion, l'aspect « physique théorique » n'attire pas vraiment les femmes.

À mon sens, la clé de compréhension réside dans la notion de prestige. Lorsqu'une discipline devient prestigieuse - en matière de rémunération, de notoriété ou autre - se pose alors la question de la place des femmes : est-on prêt à leur accorder des positions qui confèrent une forte notoriété, quitte à ce que cela se fasse au détriment d'un homme ? Ce phénomène est particulièrement visible dans le domaine de la tech, où la conjonction de prestige, d'opportunités économiques et de visibilité médiatique renforce ces disparités.

D'un point de vue historique, la situation tend néanmoins à s'améliorer. Les statistiques montrent une évolution positive, bien que certaines disciplines restent en retard. À titre d'exemple, en astrophysique, la présence féminine a fluctué au fil du temps. Dans les années 1950, le pourcentage de femmes au CNRS était plus élevé qu'aujourd'hui, mais il faut replacer cette réalité dans son contexte : à l'époque, ce métier était encore peu valorisé, contrairement aux postes d'exécutifs, majoritairement occupés par des hommes. Ces dynamiques ont évolué, et de manière générale, nous progressons dans la bonne direction.

Concernant les quotas, deux éléments me semblent essentiels. Premièrement, dans l'organisation de colloques ou le recrutement de chercheurs, des mesures proactives sont nécessaires. Nous avons, par exemple, mené des actions ciblées pour attirer davantage de femmes vers la physique théorique, en les sollicitant directement sur le marché international afin de les informer des opportunités existantes. Ce type d'initiative porte ses fruits. De même, lorsqu'un comité organisateur établit une liste de trois intervenants potentiels, il suffit d'imposer la présence d'au moins une femme pour que, soudainement, de nombreux noms féminins émergent. Cette approche, simple en apparence, a un impact significatif sur la représentation féminine dans les événements scientifiques.

Deuxièmement, en ce qui concerne la mise en place de quotas, il convient d'être attentif à l'interprétation des statistiques. En physique théorique, nous sommes 10 % de femmes. Si l'on ouvre quatre postes, 10 % de ce total correspond à un nombre arrondi à 1 ou 0. Ainsi, un recrutement exclusivement masculin pourrait être justifié sous couvert de statistiques, ce qui maintient un cercle vicieux. Il est donc impératif d'accompagner les quotas d'un travail de sensibilisation, sans quoi ils risquent d'être contournés ou détournés de leur objectif initial.

Enfin, sur la question de la solidarité entre femmes, je constate avec satisfaction que la situation s'est nettement améliorée depuis le début de ma thèse. Toutefois, être une femme ne garantit pas nécessairement un soutien envers ses consoeurs. Certaines femmes se montrent parfois moins enclines à la solidarité que certains hommes, qui peuvent, au contraire, se révéler de formidables alliés. Heureusement, la notion de sororité a évolué avec notre génération. Nous sommes désormais bien plus conscientes du fait que, sans entraide, aucun changement significatif ne pourra être accompli.

Il subsiste néanmoins une réticence chez certaines femmes, qui redoutent que leur soutien envers une autre femme puisse leur porter préjudice. Elles s'interrogent : « Si j'aide cette femme et qu'elle échoue, cela ne risque-t-il pas de rejaillir négativement sur moi ? » Or, il est essentiel de dépasser cette crainte. L'échec fait partie du parcours professionnel de chacun, et seul un véritable esprit de solidarité nous permettra de progresser ensemble.

Mme Kumiko Kotera. - Tout d'abord, il convient de cesser d'affirmer que la parité est atteinte en astrophysique. Certes, nous comptons entre 20 et 25 % de femmes, ce qui est supérieur à d'autres disciplines, mais cela reste insuffisant. Dans mon propre laboratoire, nous demeurons en-deçà des 20 %, ce qui témoigne du travail restant à accomplir.

Concernant les quotas et les modalités de recrutement, certaines mesures relativement simples pourraient être mises en place, du moins dans le domaine de l'astrophysique. Nous disposons d'un vivier conséquent au niveau des doctorats et post-doctorats. Cela est vrai pour l'astrophysique, mais également pour la physique en général. Toutefois, nous observons un phénomène d'érosion progressive. En astrophysique, cette rupture se manifeste environ quatre ans après la soutenance de thèse, moment où nombre de jeunes femmes - qui représentent encore 30 % des effectifs - choisissent de renoncer à la recherche, souvent pour des raisons familiales. C'est une réalité que je comprends parfaitement. Moi-même, au cours de ma thèse, je m'étais fixé une limite de quatre ans, pas davantage.

Il serait pertinent d'adapter nos pratiques de recrutement en conséquence. Lors de mon passage dans les commissions du CNRS, j'ai pu constater l'importance d'un recrutement précoce. Il convient d'éviter cette tendance à recruter des chercheurs ayant déjà accumulé six, sept, voire huit années post-thèse, car cette attente excessive ne se justifie pas et contribue à précariser inutilement les carrières. Cette instabilité touche aussi bien les hommes que les femmes, mais elle est particulièrement préjudiciable à ces dernières. Dans de nombreux pays anglo-saxons, cette précarisation est devenue une norme, alors que la France offre un modèle différent. Il est essentiel de préserver cette spécificité, car retarder l'accès à un poste stable entrave profondément la construction d'une carrière, surtout pour les jeunes chercheurs et chercheuses.

Par ailleurs, vous évoquiez tout à l'heure la comparaison avec d'autres pays. Ayant moi-même effectué trois années de post-doctorat aux États-Unis, j'ai envisagé d'y poursuivre ma carrière. À cette période, j'ai reçu plusieurs propositions intéressantes. Constatant à quel point ce système me permettait de progresser rapidement, j'ai sérieusement envisagé de rester dans ce pays. Toutefois, au même moment, j'ai obtenu un poste au CNRS, ce qui m'a convaincue de rentrer en France.

J'apprécie particulièrement la manière dont la recherche est menée aux États-Unis, car elle repose sur la réactivité et l'opportunisme scientifique. Le monde anglo-saxon fonctionne selon une logique d'adaptabilité permanente : on n'y relève aucune peur du changement, des bifurcations soudaines, des prises de risques. Cette dynamique crée une énergie stimulante et un véritable sentiment de soutien, avec moins de rigidité et de conservatisme qu'en France. C'est une véritable bouffée d'air.

Néanmoins, ce système comporte aussi ses écueils. Il repose sur une précarité structurelle : du jour au lendemain, on peut perdre son financement, son poste, voire sa trajectoire professionnelle. Si cette approche favorise l'innovation, elle peut aussi se révéler extrêmement déstabilisante, en particulier pour les chercheurs en début de carrière. Il est difficile de se projeter sur le long terme dans un tel contexte.

C'est pourquoi je reste attachée au modèle français de la recherche, qui permet d'aborder les problématiques scientifiques avec une temporalité plus adaptée à la complexité des sujets traités. Certaines questions ne peuvent être résolues en un, deux ou trois ans, et nécessitent une stabilité à long terme. La possibilité d'élaborer des projets sur une décennie, avec des financements durables et un soutien institutionnel fort, est une richesse inestimable, notamment grâce aux dispositifs du CNRS.

Toutefois, ce modèle, que j'apprécie et continue de défendre, est actuellement menacé. Il est en train d'être progressivement démantelé, ce qui représente un danger non seulement pour la qualité de la recherche, mais aussi pour l'égalité des chances. Pour les femmes en particulier, cette stabilité est essentielle, car elle leur permet d'envisager leur carrière avec plus de sérénité. Comme je l'évoquais précédemment, les temporalités professionnelles diffèrent entre les femmes et les hommes. Il est crucial d'en tenir compte. C'est en ce sens que la spécificité française en matière de recherche constitue une véritable richesse, qu'il faut impérativement préserver.

Mme Aleksandra Walczak. - Je souhaiterais souligner un autre avantage qu'offre le CNRS : même après avoir obtenu un poste, il demeure possible d'effectuer des séjours de recherche à l'étranger. Bien qu'elle puisse s'avérer complexe, notamment pour des raisons familiales, cette opportunité existe bel et bien. L'obtention d'un poste ne marque pas la fin de notre évolution professionnelle, car nous sommes en apprentissage constant.

Cette liberté dans la gestion de notre temps et de notre carrière constitue, à mon sens, un atout considérable. Elle permet de concilier la nécessité d'intégrer des chercheurs plus jeunes, tout en préservant la possibilité de continuer à apprendre et à se perfectionner tout au long de notre parcours.

Mme Kumiko Kotera. - En ce qui concerne la question du conjoint, j'avoue avoir été quelque peu surprise par vos propos. À mon sens, ce sujet est abordé de manière plus transparente et mieux géré dans les pays anglo-saxons, notamment aux États-Unis. En France, il semble y avoir un certain tabou autour des recrutements conjoints. La prise en compte du bien-être au travail devrait également englober la dimension relationnelle, incluant la présence de notre partenaire. Dans mon domaine, il est fréquent que celui-ci soit également physicien ou scientifique. Aux États-Unis, cette réalité est immédiatement prise en compte dans les négociations de postes ou de post-doctorats, et ce n'est nullement un sujet tabou.

En revanche, en France, la situation est tout autre. On nous déconseille d'aborder ce type de considération. Je pense qu'il serait important d'ouvrir la réflexion sur ce point.

Mme Marie-Do Aeschlimann. - Merci pour la fraîcheur et la vivacité de vos interventions. Vous nous avez mis des étoiles dans les yeux, et dans ceux de nos collègues masculins, également fascinés par vos propos. Merci aussi pour la simplicité et l'authenticité de vos témoignages. Vous avez su mettre en lumière les difficultés et les vulnérabilités que vous avez rencontrées, des épreuves auxquelles nous sommes tous confrontés. La manière dont vous avez surmonté ces obstacles est essentielle.

En ce qui concerne le rôle modèle, vous montrez qu'il est possible d'être excellente, compétente et forte tout en restant simple, en ayant des attentes légitimes en tant que femmes, en tant que mères, et en souhaitant également avoir un projet familial. Nous ne devrions pas avoir à choisir entre une carrière professionnelle épanouissante et une vie personnelle équilibrée. En présentant des figures comme vous, qui incarnent cet équilibre, nous offrons un modèle aux jeunes filles. C'est ainsi que nous les aiderons à s'orienter vers ces métiers. Merci pour tout.

Mme Olivia Richard. - En tant que sénatrice des Français établis hors de France, je tiens à vous exprimer ma gratitude. J'ai fait des études de droit précisément pour éviter les mathématiques. C'était le seul domaine où j'étais certaine de ne pas être confrontée à ma plus grande angoisse, à savoir les chiffres. En vous écoutant, je ressens un immense regret. Vous êtes toutes tellement brillantes que j'aimerais que l'une de vous puisse inventer une machine à remonter le temps. Elle permettrait à toutes celles d'entre nous qui sont passées à côté d'une opportunité enrichissante, même si nous ne poursuivons pas une carrière scientifique, de rattraper ce retard.

Je suis particulièrement convaincue, et j'étais déjà de cet avis, de la nécessité de revoir l'enseignement des sciences. Cette semaine, en France, ont été publiés les derniers chiffres concernant l'écart de revenus entre hommes et femmes. Force est de constater que la situation ne s'améliore pas, parce que les femmes ne développent pas des compétences rémunératrices de la même manière que les hommes. Il est impératif de leur permettre de les acquérir.

Je me souviens d'un événement auquel Jocelyne Antoine et moi-même avons assisté, organisé par le ministre de l'industrie, en collaboration avec celle qui était alors secrétaire d'État à l'égalité entre les femmes et les hommes. Nous nous étions rendues dans une école technique, à l'initiative de l'association « Elles bougent », afin d'inciter les jeunes filles à ne pas se cantonner aux métiers du care, mais à acquérir des compétences techniques qui leur permettraient non seulement de gagner plus d'argent, mais aussi d'augmenter leur autonomie financière, leurs droits, leur protection et leur liberté. Évidemment, il est crucial de valoriser davantage l'enseignement des sciences et de le rendre plus accessible aux jeunes filles. Nous partageons tous cette conviction ici.

Je vous prie de m'excuser pour cette digression, mais de nombreux éléments dans vos témoignages résonnent avec ce que certaines d'entre nous, si ce n'est toutes, avons vécu en arrivant au Sénat. Ce n'est pas un milieu facile pour les femmes. Il a la particularité, par rapport à l'Assemblée nationale, d'être sujet à un renouvellement partiel. Lorsqu'on entre dans un domaine déjà bien établi, comme un match de football qui dure depuis trois ans, il est nécessaire de trouver sa place parmi les autres. L'importance du mentorat, que vous avez évoqué dans vos témoignages, m'a profondément touchée. Le rôle de ces figures dans nos vies est essentiel, car elles nous aident à structurer notre parcours et à trouver un sens à nos actions. À ce titre, je tiens à remercier Dominique Vérien pour son accueil, qui me permet, depuis mon élection, de me sentir utile dans mon mandat.

Intervenante dans la salle. - Je tiens à vous remercier sincèrement pour vos témoignages. En tant que directrice RSE dans une entreprise de la Tech, je suis directement confrontée aux enjeux liés à la diversité. Ces problématiques se manifestent souvent dans des environnements où les femmes occupent peu de postes techniques. Vos interventions m'ont profondément touchée et émue, au point que j'ai eu les larmes aux yeux à certains moments. Un élément récurrent dans plusieurs de vos témoignages relève de l'idée que les femmes, dans ces milieux, mais aussi dans bien d'autres, apportent une contribution différente.

Je fais preuve de prudence à cet égard, car je ne souhaite pas que les femmes se sentent obligées de se conformer à des attentes de douceur, parfois associées à un rôle maternel. Cependant, je pense qu'il serait pertinent de souligner ce que l'on perd en n'intégrant pas ces profils différents autour de la table. Il ne s'agit pas uniquement de compétences techniques, mais également d'une autre manière d'aborder et de comprendre les problématiques.

J'aimerais savoir si vous auriez des recommandations pour mettre en évidence et faire comprendre ce que des profils divers, avec des parcours de vie distincts, peuvent apporter sur des sujets considérés comme purement techniques.

Par ailleurs, de nombreux scientifiques européens appellent aujourd'hui à recruter des chercheurs américains, dont les travaux sont menacés par la politique de la nouvelle administration de Donald Trump. Avez-vous observé des changements concrets dans ce domaine ?

Pensez-vous qu'il serait possible, dans le cadre de ces politiques de recrutement, de prendre en compte le genre et d'encourager l'intégration de profils féminins à des postes de responsabilité ?

Mme Olivia Richard. - En tant que sénatrice des Français établis hors de France, j'ai bien entendu la problématique liée au départ à l'étranger. Ce que l'on sait moins, c'est que le retour peut s'avérer encore plus complexe. Dans le cadre de la diplomatie féministe lancée cette semaine, il pourrait être pertinent de collaborer avec le Quai d'Orsay afin de mettre en place un dispositif de soutien. Il existe des écoles françaises à l'étranger et des associations qui oeuvrent dans ce domaine. Il serait peut-être judicieux de développer un ensemble de mesures pour faciliter non seulement le départ, mais également le retour lorsque cela est souhaité.

Mme Dominique Vérien, présidente. - Je voudrais ajouter qu'une femme scientifique qui accompagne son époux - militaire, par exemple - à l'étranger, se trouve parfois privée du visa nécessaire pour travailler, même si un laboratoire américain lui propose un poste. Cette restriction rend difficile la reprise de sa carrière à son retour en France, surtout après plusieurs années sans pouvoir exercer. Le retour dans un laboratoire après quatre ans d'interruption professionnelle constitue, en effet, un véritable défi.

Mme Carole Mathelin. - Tout d'abord, je n'ai pas répondu à votre question concernant les quotas. En chirurgie, l'imposition de quotas serait extrêmement complexe. Les femmes tendent à se diriger vers des spécialités telles que la gynécologie-obstétrique, la chirurgie pédiatrique ou l'ophtalmologie, tandis que les hommes privilégient plutôt l'orthopédie et l'urologie. Je pense qu'il ne serait pas pertinent de changer cela. Par exemple, un urologue masculin pourrait être plus à l'aise pour traiter un patient masculin, et une femme pourrait ressentir un plus grand confort à soigner une patiente. Il me semble donc qu'il ne faut pas imposer de quotas sur ces choix.

Ensuite, sur le plan physiologique, hommes et femmes sont différents. Nous n'avons pas le même corps, la même résistance, ni les mêmes sensibilités. Certaines spécialités, qui nécessitent davantage de force physique, seront toujours réservées aux hommes. Il s'agit là de différences biologiques naturelles.

Enfin, on évoque souvent l'idée d'augmenter la proportion de femmes ou d'imposer des quotas, mais il est aussi essentiel d'évaluer le travail effectué. Par exemple, une étude canadienne, réalisée de 2007 à 2019, a analysé plus de 20 types d'interventions chirurgicales. Elle a comparé les résultats selon qu'elles aient été réalisées par un chirurgien homme ou femme. Les résultats ont montré que les taux de mortalité étaient 32 % plus faibles lorsque l'opération était menée par une femme. Les complications chirurgicales étaient également moins fréquentes et on notait davantage d'empathie. Bien que d'autres études puissent montrer des résultats différents, ces données soulignent l'importance d'évaluer les pratiques pour réfléchir à la place des femmes dans la profession.

Mme Dominique Vérien, présidente. - On constate qu'au sein des entreprises, lorsque les conseils d'administration ou les comités exécutifs présentent davantage de diversité, et particulièrement en matière de parité, mais aussi de diversité plus générale, cela conduit à une performance économique supérieure. En ce sens, je peine à comprendre les actions entreprises par Donald Trump.

Mme Marina Kvaskoff. - Je souhaiterais revenir sur l'importance pour les femmes d'occuper des postes de responsabilité dans leur carrière. Malheureusement, cet objectif ne pourra être atteint sans un budget adéquat pour la recherche. Or, le financement de la recherche n'a cessé de diminuer au cours des dernières années. En tant que membre de la commission responsable du recrutement des nouveaux chercheurs à l'INSERM, nous constatons que la compétitivité est devenue extrêmement élevée.

D'ailleurs, lors de mon propre recrutement il y a près de dix ans, j'ai été sélectionnée pour un poste de début de carrière. Pour parvenir à ce stade, j'étais en concurrence avec des collègues de plus de 40 ans, disposant déjà de dossiers bien étoffés et d'expériences en tant que directeurs ou directrices de recherche.

Nous observons également que de plus en plus, les jeunes générations de chercheurs n'aspirent plus à rejoindre des institutions telles que l'INSERM ou le CNRS, bien que la recherche publique soit cruciale pour préserver les connaissances dans notre pays et pour réconcilier la science et la société. Il est donc impératif d'augmenter le budget de la recherche, car ce financement se répercute directement sur la création de postes, qu'il s'agisse des instances scientifiques ou des universités.

Madame, vous demandiez ce que l'on perdait à ne pas avoir de profils féminins. La réponse est simple : énormément. Plus les équipes sont diverses, plus elles avancent, plus elles produisent des idées riches, plus la créativité est stimulée. Dans toute structure, quel qu'en soit le domaine, la diversité est un atout précieux. Se priver de diversité de genre est véritablement problématique. Il est donc dans notre intérêt de favoriser une telle diversité.

Mme Heïdi Sevestre. - Quelles sont les conséquences de l'absence de femmes, en particulier dans mon domaine ? Plusieurs études scientifiques publiées ces dernières années à ce sujet ont alimenté un débat qui a été parfois très violent. Il est toutefois évident que la science se développe grâce à la diversité des points de vue. Cette diversité est essentielle. En effet, la manière dont nous collectons les données peut varier, tout comme notre façon d'interagir avec les populations. En glaciologie, ce n'est pas simplement une question de passer du temps dans des lieux isolés, loin de toute interaction. Au contraire, de plus en plus, nous ajoutons une dimension humaine et sociétale à nos recherches.

Nous savons que les effets du changement climatique font l'objet d'un biais de genre disproportionné sur certaines populations, et en particulier sur les femmes, qui en sont les premières victimes dans de nombreuses régions du monde. Il est donc primordial que notre science reflète cette réalité, en veillant à ce que des femmes participent activement à la collecte, l'analyse et la communication des données relatives à ces enjeux. Je tiens à préciser que de nombreux hommes glaciologues communiquent extrêmement bien sur ces sujets. De même, plusieurs femmes le font également avec brio, mais il est indéniable qu'être une femme scientifique exposée au public aujourd'hui, notamment sur les réseaux sociaux, implique parfois de faire face à davantage de violences verbales et d'attaques.

J'ai la chance d'enseigner la politique scientifique et la communication scientifique à mes étudiants. Ils craignent de s'exposer à ces violences en ligne. C'est pourquoi il est crucial d'être entouré d'une équipe solidaire et bienveillante. Cette équipe est essentielle pour nous soutenir et nous protéger en cas d'attaques publiques. Pour ma part, j'ai la chance que mon employeur, le conseil de l'Arctique, ainsi que mon équipe me soutiennent en cas de difficultés et me protègent contre ces attaques.

Aujourd'hui, il est donc d'autant plus important de motiver les jeunes filles à se lancer dans le domaine de la glaciologie, non seulement pour leur montrer que c'est un domaine accueillant et bienveillant, mais aussi pour leur garantir que nous serons là pour les protéger si elles rencontrent des attaques personnelles sur le terrain ou dans le cadre de leurs actions de communication.

Mme Aleksandra Walczak. - À mon sens, il est essentiel de soutenir les carrières parallèles des deux membres d'un couple. Nous savons que dans les pays où les deux partenaires doivent contribuer financièrement au foyer, cela aide souvent les femmes. Par exemple, le ministère des affaires étrangères pourrait envisager de mettre en place des bourses pour l'autre membre du couple, afin qu'il ou elle puisse poursuivre sa carrière durant cette période.

En outre, je pense que la situation aux États-Unis pourrait nous offrir une opportunité de redéfinir le discours en Europe et d'aider d'autres continents à progresser sur cette question. Nombre de mes collègues postulent actuellement pour des postes en Europe, mais je ne suis pas certaine que ce soit une solution pérenne.

De nombreuses études démontrent que la diversité, sous toutes ses formes, est bénéfique. Il est important de préciser que cela n'a rien à voir avec la douceur. Toutes les femmes ne sont pas nécessairement douces ou empathiques. Ce n'est pas de cela qu'il s'agit. Il s'agit simplement d'un autre point de vue, qu'il soit féminin, issu d'un milieu différent ou d'un pays différent. Cela influence même la manière dont nous abordons certaines réflexions, notamment en matière de calculs et de prise de décision.

Mme Kumiko Kotera. - Je ne demande pas aux femmes d'être douces, mais de venir telles qu'elles sont, avec leurs « élans bulldozers ». On m'a parfois reproché les miens. Je les assume, comme mes délicatesses. Il n'est pas nécessaire de se déguiser. Nous devons nous présenter telles que nous sommes, car cela constitue une véritable richesse. C'est une complémentarité. Je le constate dans ma collaboration internationale avec mon collègue Olivier Martineau, avec qui nous avons une sorte de symbiose intellectuelle. La synergie entre nos deux cerveaux est riche et foisonnante. Toute cette dimension culturelle, qu'elle soit chinoise, américaine, européenne ou d'autres continents, la manière dont nous abordons les idées et réfléchissons différemment, est un véritable atout. Je pense qu'il est crucial de cultiver cette diversité.

Se priver de la moitié de l'humanité est tout simplement absurde. Il ne faut surtout pas le faire.

Mme Dominique Vérien, présidente. - Il me reste à conclure. Je tiens tout d'abord à vous remercier pour cette table ronde passionnante. La diversité, dont la parité fait partie intégrante, constitue la richesse de notre société. Même si nous avons reçu la même éducation, si l'un de nous ne perçoit pas une erreur, l'autre, grâce à un léger recul, peut la corriger. C'est ce point de vue diversifié qui est essentiel, car nous ne sommes pas les mêmes physiologiquement.

Cela permet de réfléchir différemment, je pense notamment à l'endométriose. Il a fallu que des femmes se saisissent de ce sujet pour qu'il soit enfin pris en charge. Si cette maladie, qui détruit la vie de tant de personnes, avait principalement affecté des hommes, je suis convaincue que des recherches auraient été menées depuis longtemps. Il est donc impératif d'avoir des femmes pour traiter des sujets spécifiques aux femmes. Nous en avons véritablement besoin.

J'ai une pensée particulière pour les Afghanes, à qui on interdit non seulement d'exister, mais aussi d'étudier et de pratiquer la médecine. Comment seront-elles traitées ? Non seulement on les efface, mais en plus, on les prive de soins.

La diversité est essentielle. Cette diversité culturelle, en particulier, fait partie de ces perspectives alternatives qui permettent d'analyser un problème dans sa globalité, plutôt que de manière culturellement unidimensionnelle. C'est un point essentiel. Vous nous l'avez rappelé, nous le défendons et continuerons de le faire.

J'ai également entendu vos messages sur la recherche. Je comprends que l'Europe a un rôle important à jouer, en particulier grâce à sa capacité à être inclusive, ce qui pourrait lui permettre de progresser différemment de ceux qui choisissent de se passer de la moitié de l'humanité. Merci à vous toutes.

Vous êtes véritablement des femmes exceptionnelles et inspirantes.