Mardi 4 mars 2025

- Présidence de M. Laurent Burgoa, président -

La réunion est ouverte à 14 h15.

Audition de Mme Élise Noguera, directrice générale de l'agence régionale de santé de Bretagne (sera publié ultérieurement)

Le compte rendu relatif à ce point de l'ordre du jour sera publié ultérieurement.

Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.

La réunion est close à 15 h 10.

Mercredi 5 mars 2025

- Présidence de M. Laurent Burgoa, président -

La réunion est ouverte à 17 h30.

Audition de M. Jérôme Salomon, ancien directeur général de la Santé

M. Laurent Burgoa, président. - Mes chers collègues, nous poursuivons les travaux de notre commission d'enquête avec l'audition de M. Jérôme Salomon, en sa qualité de directeur général de la santé de janvier 2018 à avril 2023.

Monsieur le directeur général, je suis tenu de vous rappeler qu'un faux témoignage devant notre commission d'enquête est passible des peines prévues aux articles 434-13, 434-14 et 434-15 du code pénal et notamment de cinq ans d'emprisonnement et 75 000 euros d'amende. Je vous invite à prêter serment de dire toute la vérité, rien que la vérité, en levant la main droite et en disant : « Je le jure ».

Conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, M. Jérôme Salomon prête serment.

M. Laurent Burgoa, président. - Je vous remercie par ailleurs de nous faire part de vos éventuels liens d'intérêts.

M. Jérôme Salomon, ancien directeur général de la Santé. - Je n'ai aucun lien avec l'objet de votre commission d'enquête, Monsieur le Président.

M. Laurent Burgoa, président. - Après ces éléments administratifs et juridiques indispensables, je me permets de rappeler à nos internautes que cette audition est retransmise en direct sur le site du Sénat. Notre Assemblée a constitué, le 20 novembre dernier, une commission d'enquête sur les pratiques des industriels de l'eau en bouteille. En effet, au début de l'année 2024, plusieurs médias ont révélé les pratiques illégales de certaines entreprises du secteur des eaux embouteillées, en particulier le recours à des traitements interdits sur les eaux minérales naturelles et de source. Notre commission vise à enquêter sur ce dossier, sous réserve des éventuelles procédures judiciaires en cours.

L'objet de cette audition est de faire la lumière sur les décisions prises au niveau central des ministères compétents. Outre Matignon et l'Élysée, deux ministères ont été impliqués à titre principal dans l'affaire des eaux minérales : celui de la santé et celui de l'industrie. En tant que directeur général du ministère de la santé de janvier 2018 à avril 2023, vous avez été en première ligne sur ce dossier.

Comment avez-vous été sensibilisé à cette affaire et quelles ont été vos premières réactions ? Comment avez-vous perçu l'attitude du ministère de l'industrie ? Comment se sont déroulés les arbitrages qui, selon notre lecture, ont plutôt suivi la logique du ministère de l'industrie ? Quelle leçon tirez-vous de cette crise qui entame la confiance des consommateurs pour un secteur auquel nous tenons tous ?

Ces différents sujets feront l'objet de questions de notre rapporteur. Nous vous proposons de dérouler cette audition en trois temps, la présentation de votre propos liminaire, vos réponses aux questions de notre rapporteur et enfin à celles des autres membres de la commission d'enquête. Monsieur le directeur général, vous avez la parole. Je vous remercie d'avoir pu vous libérer, malgré vos nouvelles fonctions qui vous ont éloigné de Paris.

M. Jérôme Salomon. - Monsieur le président, Monsieur le rapporteur, Mesdames les sénatrices, Messieurs les sénateurs, Mesdames et Messieurs, je me présente devant cette commission d'enquête alors que vos travaux ont déjà permis de détailler les faits, après avoir entendu de nombreux responsables du secteur de la Santé, l'Agence nationale de sécurité sanitaire, de l'alimentation, de l'environnement et du travail (Anses), les agences régionales de Santé (ARS), la sous-directrice en charge du dossier à la Direction générale de la Santé (DG Santé) et le directeur général actuel du ministère de la santé (DGS). Le docteur Grégory Emery, qui a rejoint la DG Santé en août 2021, est devenu mon adjoint le 1er février 2022 et assure une parfaite continuité de l'action de la direction.

Je m'exprime sous serment et m'attacherai à répondre à vos questions en tant qu'ancien directeur d'administration centrale, médecin spécialiste de la santé publique et professeur des universités en maladies infectieuses. En revanche, je ne suis ni un ingénieur de l'environnement ni un expert de l'eau.

Pendant 63 mois, de janvier 2018 à avril 2023, j'ai eu l'honneur de servir l'État comme directeur général du ministère de la santé avec la mission, Ô combien importante et complexe, de protéger la santé de nos concitoyens.

Je déclare n'avoir aucun lien d'intérêt dans cette affaire et n'avoir jamais eu de contact sur le sujet avec des responsables du groupe Nestlé Waters. Je ne me suis pas rendu sur les sites d'exploitation. Je n'ai participé ni aux réunions régionales ni aux réunions interministérielles sur ce sujet. Mes propos porteront sur les sujets relevant du domaine de compétences du ministère chargé de la santé et de mon action en tant que DGS.

Il y a cinq ans, la France et le monde faisaient face à une épidémie causée par un nouveau coronavirus déclaré « urgence de santé publique de portée internationale », le 30 janvier, puis pandémie de Covid-19, le 11 mars 2020. La fin de la pandémie a été déclarée début mai 2023. Je saisis cette opportunité pour rendre hommage aux victimes et à leurs proches, à l'ensemble des professionnels de santé ainsi qu'à tous les acteurs de la lutte. Les personnels des ARS, des agences sanitaires, de l'Inspection générale des affaires sociales (Igas) et de la DG Santé, ont été totalement mobilisés face à une crise sans précédent et d'une durée exceptionnelle, poursuivant leur mission malgré une pression considérable.

En septembre 2021, nous avions déjà fait face à trois vagues meurtrières, lancé une campagne de vaccination de masse en janvier, instauré le « pass sanitaire » en juin, affronté durant l'été un variant plus contagieux et débuté les injections de rappel dans les maisons de retraite. Je ne m'exprimerai pas davantage sur ce sujet, mais je devais rappeler le contexte particulier dans lequel se sont déroulés les faits que vous examinez. Il me semblait nécessaire de partager cette mise en perspective avec vous.

Je voudrais insister sur deux points. Premièrement, je tiens à vous assurer de mon entière implication et de celle de la DG Santé sur ces sujets ainsi que de mon attachement à la prévention des risques pour la santé et à la gestion des enjeux environnementaux et alimentaires. Avec mes équipes, je me suis particulièrement engagé dans ce domaine afin de répondre aux attentes légitimes des Français en matière de qualité des eaux. Je souhaite exprimer ma totale confiance et ma profonde gratitude aux équipes de la DG Santé, notamment Mme Joëlle Carmès, sous-directrice prévention des risques liés à l'environnement et à l'alimentation jusqu'en 2024. Elle était en charge de la législation et réglementation dans le cadre du code de la santé publique, de la transposition des directives européennes, des critères physico-chimiques et microbiologiques, du suivi technique et juridique, de l'aide à la gestion, des saisines de l'Igas et de l'Anses, de la qualité de l'eau et de la mise en ligne annuelle des informations pour les consommateurs.

Deuxièmement, je rappellerai que les eaux conditionnées, eaux minérales naturelles et eaux de sources constituent des denrées alimentaires. Mises sur le marché de l'Union européenne, leur production et commercialisation sont le fait d'entreprises alimentaires qui sont régies par le principe de la législation alimentaire de l'Union européenne.

S'agissant des eaux minérales, la France a transposé la directive 2009/54, relative à leur exploitation et mise dans le commerce. Ces eaux sont obligatoirement des eaux souterraines, microbiologiquement saines, qui doivent être protégées contre tout risque de pollution. Elles ne peuvent faire l'objet que de quelques traitements autorisés par la réglementation, dans le but de séparer les constituants naturellement présents, comme le fer ou le soufre. La désinfection de l'eau étant interdite, ces eaux doivent répondre à des exigences de qualité microbiologique très strictes. Les eaux minérales naturelles se distinguent des autres eaux par la présence de minéraux, oligo-éléments et autres constituants, et témoignent d'une stabilité de leurs caractéristiques essentielles. Cela signifie que la teneur en minéraux et autres constituants caractéristiques de ces eaux est stable dans le temps. Quant aux eaux de source, également d'origine souterraine, elles répondent quant à elles aux mêmes exigences de qualité physico-chimique et radiologique que l'eau du robinet.

Depuis 2007, la France dispose d'un arsenal législatif et réglementaire de gestion de la sécurité sanitaire de ces eaux conditionnées, portant notamment sur la procédure d'autorisation et de reconnaissance, la surveillance par l'exploitant, le contrôle sanitaire par l'autorité de contrôle, les règles d'hygiène, la déclaration d'intérêt public et le périmètre de protection, la gestion des situations de non-conformité, l'information des consommateurs et les dispositions pénales et administratives. La procédure d'autorisation d'exploitation d'une ressource naturelle d'eau à des fins de conditionnement relève de la compétence des préfets de département.

La DG Santé est responsable de la santé de la population, de sa protection dans le cadre des différents usages de l'eau, et notamment des eaux conditionnées jusqu'à leur commercialisation. Elle a la charge de la réglementation et de la sécurité sanitaire des eaux conditionnées produites en France. Elle s'appuie sur les ARS pour la réalisation du contrôle sanitaire et des inspections des établissements de conditionnement d'eau. La France dispose donc d'une réglementation conforme au droit européen, définie au niveau national par la DG Santé et mise en oeuvre dans les territoires par les ARS, qui apportent leur expertise sanitaire au préfet chargé du pouvoir décisionnaire. Les missions de la DG Santé et des ARS vont du point de captage jusqu'au conditionnement des eaux embouteillées.

Je rappelle que la qualité sanitaire des eaux conditionnées produites en France est très satisfaisante. 150 000 analyses sont réalisées chaque année dans le cadre du contrôle sanitaire des ARS. Le taux de conformité aux limites de qualité réglementaire est supérieur à 99 % pour les paramètres microbiologiques et physico-chimiques. En 2022, plus de 50 inspections sur un total de 104 sites et près de 1 900 visites des ARS ou d'un laboratoire agréé ont été effectuées au titre du contrôle sanitaire dans l'ensemble des usines de conditionnement d'eau.

L'eau destinée à la consommation humaine est en France l'un des aliments les plus contrôlés. Le niveau de conformité constaté explique pourquoi nous avions considéré jusqu'en 2021 qu'il n'était pas nécessaire de renforcer la surveillance des eaux conditionnées. Avec un taux de conformité supérieur à 99 %, le risque n'était pas nul - il ne l'est jamais - mais il était maîtrisé.

Je souhaite revenir sur le déroulé des faits à l'origine de cette commission d'enquête et le niveau d'information du ministère chargé de la santé. À l'été 2021, le groupe Nestlé Waters a révélé au ministère chargé de l'industrie, le recours à des pratiques illicites sur ses sites de production d'eau minérale naturelle dans les Vosges et dans le Gard. Le ministre chargé de la santé et en conséquence, les services de la DG Santé ont été ensuite mis au courant. Il s'agissait du recours à des traitements de type ultraviolet et charbon actif.

Les ministres chargés de la santé et de l'économie ont saisi l'Igas en novembre 2021 afin de mener une mission d'inspection des usines de conditionnement d'eau minérale naturelle et de source sur le territoire français. L'Igas a rendu son rapport d'inspection en juillet 2022, aux ministères commanditaires. Il convient de souligner que la qualité sanitaire des eaux conditionnées n'a pas été remise en cause et qu'aucune mise en danger des consommateurs n'a été relevée.

Les constats ont mis en lumière le recours à des traitements non conformes sur 30 % de sites, une réglementation susceptible d'interprétation, un défaut de coordination entre les autorités compétentes, une incapacité des services en charge des contrôles à déceler les pratiques frauduleuses ainsi qu'une insuffisance d'information des consommateurs.

Les recommandations concernant l'ensemble des autorités de contrôle sont cohérentes. Elles portent sur le renforcement de leur contrôle en nombre et efficacité, notamment en matière de qualité de la ressource ainsi que sur une meilleure coopération entre les différents services de contrôle, une meilleure information des autorités européennes et des consommateurs, et l'application du régime de sanctions strictes en cas de non-respect des règles sanitaires ou d'absence de loyauté.

À la suite des révélations de recours à des traitements interdits, les ARS concernées ont procédé aux inspections et mis en demeure les exploitants de procéder au retrait de ces traitements. Tenant compte de la nécessaire phase contradictoire, ces retraits ont été effectifs entre fin 2022 et mi 2023, selon les cas.

À la suite du retrait des traitements interdits qui avaient pour finalité potentielle de pallier un défaut de la qualité de la ressource, il est devenu indispensable de s'assurer de la qualité originelle des ressources d'eau minérale naturelle. Ces travaux mobilisent depuis 2023, les ARS, en particulier celle de Grand Est et d'Occitanie.

Je souhaite maintenant aborder la situation française en matière de sécurité sanitaire des eaux minérales naturelles. Selon l'analyse de la DG Santé, le dossier Nestlé Waters n'est pas une alerte de sécurité sanitaire, mais un sujet de fraude. Le consommateur a-t-il été dupé ? Indéniablement lorsqu'on utilise des ultraviolets (UV) ou du charbon pour des eaux minérales naturelles. Le consommateur a-t-il été exposé à un danger avéré pour sa santé ? Je ne dispose d'aucun élément en ce sens. Lorsque les minéraliers ont décidé d'avouer avoir recours à des traitements non autorisés, ils ne se sont pas présentés au ministère de la santé en invoquant un problème potentiel de santé pour leurs consommateurs. En revanche, ils se sont rendus au ministère de l'industrie parce que leurs pratiques étaient frauduleuses.

Je vais vous lire le premier message que mes équipes ont rédigé sur ce sujet, le 27 septembre 2021, lorsqu'elles ont eu connaissance de la démarche de Nestlé Waters auprès du cabinet de la ministre de l'industrie pour l'informer du recours à des traitements non autorisés. Je cite : « Nestlé a pris l'initiative de contacter le cabinet [du ministre] de l'industrie et la [direction générale de la Concurrence, de la Consommation et de la Répression des fraudes] DGCCRF pour avouer qu'elles traitent en effet ces eaux minérales naturelles par des traitements UV au charbon actif, alors que ce type d'eau ne doit subir que des traitements limités autorisés. Il ne semble pas y avoir de préoccupations d'ordre sanitaire, car les eaux en question sont exemptes de problèmes de qualité microbiologique, mais bien une infraction aux dispositions du code de santé publique sur l'interdiction de ces traitements et un problème de loyauté. D'autres producteurs pourraient être concernés. »

Les minéraliers ont mis en place des traitements non autorisés, mais ce faisant, en filtrant les eaux, en les traitant plus que ce que les textes permettaient ou toléraient, ils n'ont pas altéré la sécurité sanitaire de ces eaux. Lorsque les contrôles ont démontré que les eaux étaient impropres à la consommation, les bouteilles ont été détruites et les sites ont été fermés. Les différents rapports produits depuis 2022 invitent à clarifier la législation européenne et nationale.

Il est parfois reproché au ministère chargé de la santé de ne pas avoir interrompu la production et informé les autorités européennes ainsi que les consommateurs. Comme cela a déjà été indiqué à votre commission d'enquête, compte tenu des traitements effectués, la qualité sanitaire des eaux n'était pas remise en cause et celle-ci ne présentait pas de danger avéré pour le consommateur. Ces eaux, sur lesquelles les traitements étaient appliqués à la source, respectaient les limites de qualité réglementaire pour les paramètres microbiologiques et physico-chimiques.

Le constat de fraude et d'absence de loyauté pour le non-respect des règles d'étiquetage des produits commercialisés ne relève pas de la compétence et du pouvoir de décision du ministère chargé de la santé. La DG Santé, dans cette affaire comme dans tous les sujets concernant l'environnement et l'alimentation, a toujours été vigilante et mobilisée, rigoureuse et réactive, particulièrement attentive aux enjeux de santé publique et donc de protection des consommateurs. Je salue le professionnalisme et l'engagement des agents de la DG Santé.

Mesdames, Messieurs, permettez-moi de conclure ce propos. La question de la qualité des eaux est particulièrement complexe, sensible et sujet de l'inquiétude des consommateurs, dans un contexte de raréfaction de l'eau de bonne qualité, en raison d'épisodes de sécheresse, d'inondations et du changement climatique, alors que les eaux conditionnées disponibles dans le commerce sont perçues comme des produits de qualité supérieure. Face à ces enjeux, la priorité de santé publique, qui relève des collectivités, dans le cadre du service public de l'eau, est de garantir un accès à une eau potable pour tous.

Monsieur le président, Monsieur le rapporteur, Mesdames les sénatrices, Messieurs les sénateurs, je vous remercie pour votre attention et me tiens à votre disposition pour répondre aux questions.

M. Laurent Burgoa, président. - Monsieur le directeur général, je vous remercie pour ces propos préliminaires. Je laisse la parole à Monsieur le rapporteur.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Merci, Monsieur Salomon. Vous êtes un acteur important de ce dossier. Si vous me le permettez, je vais dérouler un raisonnement chronologique, par un jeu de questions-réponses, ce qui me semble être la meilleure approche dans ce dossier. Je reviens peut-être au début de l'information portée à la connaissance du ministère de la santé. Vous avez déclaré dans votre propos liminaire, « les services de la DG Santé ont été ensuite mis au courant ». Pouvez-vous me confirmer que les révélations au ministère de l'industrie ont été effectuées le 31 août et que vous avez été informé un mois plus tard, c'est-à-dire le 27 septembre 2021 ?

M. Jérôme Salomon. - Oui, absolument. Le message est passé par les cabinets, de cabinet à cabinet. Les cabinets nous ont ensuite transmis l'information. Nous étions donc effectivement dans la deuxième quinzaine de septembre.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. -S'agissant de la maîtrise du risque sanitaire et des questions que vous vous êtes vous-même posées, dans un courriel en date du 1er octobre 2021 que vous adressez à Mme Virginie Beaumeunier, directrice générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes, vous qualifiez d'emblée ces pratiques de frauduleuses et estimez que Nestlé Waters doit répondre d'un éventuel risque sanitaire relatif à la qualité de ses eaux.

Comment appréciez-vous à ce moment ce risque sanitaire ? J'ai bien entendu vos propos sur le fait que ces traitements interdits, finalement, renforçaient la sécurité sanitaire, tout en contrevenant à la réglementation sur les eaux minérales naturelles. Vous avez évoqué un taux de conformité aux limites de qualité réglementaire supérieur à 99 %. Toutefois, ce taux était faussé par l'existence des pratiques des industriels. Comment vous posez vous alors la question du risque sanitaire ?

M. Jérôme Salomon. - C'est peut-être le noeud de l'affaire. Pourquoi met-on des filtres et définit-on des seuils ? Cela obéit à une réglementation diverse, européenne et nationale, voire des avis l'Agence française de sécurité sanitaire des aliments (AFSSA), remontant au début des années 2000.

Il est très important de comprendre que cette microfiltration n'a aucune visée microbiologique, mais minérale. Sa finalité consiste à enlever des particules « problématiques » dans l'eau, que ce soit du fer, du soufre, ou même de l'arsenic. Plus les mailles du filtre sont fines, plus elles tendent à bloquer les bactéries, ce qui modifie leur équilibre, autrement dit le microbisme de l'eau. Je rassure aussitôt les consommateurs qui pourraient nous écouter, il s'agit de bactéries non pathogènes ou même de parasites qui sont parfois présents dans l'eau et qui ne sont pas forcément dangereux pour l'homme.

En réduisant le filtre, soit on ne respecte pas la réglementation, ce qui est une erreur, soit on répond à une inquiétude sur la qualité des eaux, en cherchant à filtrer une éventuelle contamination. Ainsi que vous l'avez souligné, Monsieur le rapporteur, compte tenu du résultat issu des traitements aux UV et au charbon, on constate une action de désinfection, soit volontaire, soit involontaire. Or, ce n'est pas l'objectif d'un traitement d'une eau minérale naturelle. Le consommateur d'une bouteille d'eau minérale naturelle n'achète pas une eau désinfectée. Le sachant, sa relation avec la marque en serait peut-être modifiée.

Voici donc ce que je peux vous dire simplement. Nous n'avons eu aucune information d'un éventuel impact humain, en termes d'enjeux de sécurité sanitaire et de santé publique. Il n'y a jamais eu de signal. De surcroît, vous pouvez imaginer combien nous étions attentifs aux signaux sanitaires et infectieux en septembre 2021. Il n'y avait pas eu non plus d'alerte sur les prélèvements. Il était donc question d'une enquête qui avait été bien menée, par mes collègues de la DGCCRF, et d'un partage d'informations sur une eau minérale naturelle traitée par des procédés non autorisés. Cela explique l'information de la DG Santé par le biais des cabinets, puisque celle-ci est en charge de la réglementation de la qualité de l'eau entre le point de captage et sa commercialisation.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - S'agissant des traitements à UV, reconnaissez-vous un problème d'enjeu sanitaire, si du jour au lendemain, les industriels, prenons Nestlé Waters, retirent les lampes à UV et les filtres à charbon ? Dans un tel cas, vous poseriez-vous la question de la qualité des eaux et donc de ce qui a été commercialisé par les industriels.

M. Jérôme Salomon. - C'est ce qui a été fait. Lorsque vous constatez une pratique non autorisée, vous demandez à l'exploitant de supprimer cette pratique. Cette demande est accompagnée d'un plan de contrôle renforcé, qui ne permet pas de libérer immédiatement un lot. La situation est identique au domaine alimentaire. Toute anomalie constatée dans une cuisine ou dans un restaurant, conduit à s'assurer que la correction apportée ne modifie pas les enjeux de sécurité sanitaire, sous surveillance de l'autorité de contrôle, avant de permettre l'accès du consommateur.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - La vente d'eaux non conformes à la réglementation pendant de nombreuses années, sans que l'opinion publique ne soit informée de cette infraction, a beaucoup choqué. Au moment où la nouvelle vous parvient, vous avez mené une réflexion sur la question du recours à l'article 40 du code de procédure pénale.

Ma question est la suivante. Dès le 6 octobre 2021, vous écrivez à M. Norbert Nabet, conseiller au cabinet du ministre des solidarités et de la Santé, que « la DG Santé profitera de ses échanges avec la DGCCRF pour envisager un signalement conjoint DGCRRF - DG Santé, au procureur dans le cadre de l'article 40 ». Vous saisissez ensuite la direction des affaires juridiques, le 13 octobre 2021, en vue d'une réunion interministérielle programmée le lendemain. À la lecture des courriels que vous avez envoyés, il semble que votre intuition était de faire un signalement « article 40 ».

Après la réunion interministérielle, il est décidé de ne pas recourir à l'article 40, ce qui interpelle. Pouvez-vous nous expliquer les raisons de cette décision ? M. Charles Touboul, ancien directeur des affaires juridiques des ministères sociaux, a déclaré « Pour moi, c'était à la DGCCRF de faire le signalement ». La DGCCRF participait à cette réunion interministérielle.

M. Jérôme Salomon. - Vous aurez noté que le délai est assez bref, entre le signalement des faits et mon interrogation. Bien que non-juriste, je me suis très rapidement posé la question. C'est peut-être dû à l'expérience de la DG Santé qui nous conduit à être assez réactifs sur ces signalements.

Tout d'abord, c'est un signalement qui a été effectué auprès du cabinet de la ministre de l'industrie le 31 août. Nous avons eu l'information par le cabinet le 24 septembre précisément, Monsieur le rapporteur. Nous avons également reçu la transmission de la note de la DGCCRF. Celle-ci informait sur le fait que plusieurs groupes produisant des eaux minérales naturelles achetaient des filtres non autorisés ou procédaient à des traitements dont l'efficacité n'avait pas été démontrée et qui n'étaient pas autorisés.

J'ai, effectivement, envisagé très rapidement la saisine du procureur de la République au titre de l'article 40. C'est à cette fin que j'ai saisi le directeur des affaires juridiques, afin qu'il me conseille au regard des manquements susceptibles d'avoir été commis par Nestlé Waters. La réponse, vous l'avez sans doute, est très technique et tout à fait cohérente à mon sens, puisqu'elle analyse compte tenu de l'état des connaissances de l'époque, les anomalies transmises comme relevant beaucoup plus du domaine de la tromperie du consommateur que d'un enjeu de santé publique.

Premièrement, il y avait donc une alerte du côté du ministère de l'économie et de la DGCCRF. La réponse de la direction des affaires juridiques a été « il faut faire une enquête ». C'était plutôt une bonne proposition. Il était déjà question de déterminer exactement l'ampleur du phénomène. Or, on s'est rendu compte ensuite, dans le cadre de la mission de l'Igas et avec le soutien des ARS, que le sujet était national. Cette solution permettait également d'enrichir le dossier avec des procès-verbaux d'infraction, des contrôles de l'Igas, et de mettre en place potentiellement l'article 40 ainsi que des dispositions du code de procédure pénale. Vous le savez les ARS peuvent avoir recours à des mesures administratives.

Deuxièmement, le lancement d'un signalement auprès du procureur se fondait également sur le droit de la consommation, en particulier la tromperie du consommateur. Cette action était déjà portée - je l'ai découvert petit à petit - par la DGCCRF au ministère de l'économie, des finances et de la relance d'alors, qui avait déjà eu des contacts, de nature contradictoire avec l'entreprise. Son action se plaçait également sous un angle pénal, s'agissant de plusieurs anomalies et infractions au droit de la consommation, qui étaient gérées directement avec les entreprises concernées.

Compte tenu de l'ensemble de ces informations, la pertinence d'un signalement au titre de l'article 40 a finalement paru plus logique de la part du ministère de l'économie que du ministère de la santé. Je rappellerai quand même que tous les manquements au code de la santé publique, selon moi, doivent faire l'objet d'un signalement. Votre audition de la directrice générale de l'ARS Grand Est illustre cette position. Des inspections très poussées sur les principales installations de sa région l'ont conduite à saisir le procureur de la République, avec notre appui technique et juridique, en raison de la nature différente des infractions. Par ailleurs, selon les dispositions de l'article 40, la personne devant signaler les faits incriminés au procureur est celle la plus proche du délit ou de l'infraction.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Permettez-moi de vous interrompre. S'agissant de la réunion du 14 octobre, avez-vous évoqué ce sujet avec la DGCCRF sur leur intention de faire un signalement au titre de l'article 40, puisque, finalement, la décision a été différée ?

M. Jérôme Salomon. - La décision a été différée, non par refus de procéder à un tel signalement, mais par besoin de préciser ce qui se passait. On venait de recevoir un signalement, suivi d'une décision de procéder à une triple inspection, puisque les trois ministres ont saisi l'Igas. Cela atteste de la préoccupation ministérielle sur ce sujet. Or, plutôt que de recourir à l'article 40, en présumant une ou des tromperies du consommateur par des traitements non autorisés, on s'est préalablement interrogé sur l'ampleur du phénomène. On a donc cherché à qualifier la situation par un retour des ARS, afin de déterminer si une ou plusieurs régions étaient concernées. Ceci explique en quelque sorte cette suspension du signalement dans l'attente des retours des inspections.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Permettez-moi d'exprimer ma surprise qui n'appelle pas forcément une réponse de votre part, parce que vous n'êtes pas concerné. En août, les propos de Nestlé Waters ne font aucun doute sur le caractère frauduleux du dossier. Vous-même, vous le signalez. Toutefois, eu égard à cette décision de différer, il ne se passera rien en Occitanie pendant plus de quatre ans. Il faudra attendre l'action en justice de l'association Foodwatch.

M. Jérôme Salomon. - La réaction de l'ARS Grand Est a été beaucoup plus précoce.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. -Tout à fait.

M. Jérôme Salomon. - Par ailleurs, c'est un dossier qui a été immédiatement porté et piloté par un autre ministère.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Cela n'a donc pas été évoqué en ces termes lors de la réunion du 14 octobre ?

M. Jérôme Salomon. - Nous voulions alors définir beaucoup plus précisément ce qui se passait.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - S'agissant de la saisine de l'Igas, dans les échanges de courriels préparant la réunion interministérielle (RIM) du 14 octobre 2021, vous suggérez à MM. Norbert Nabet et Pierre Bernardaud, du cabinet Santé, « le lancement d'une enquête administrative par les ARS concernées chapeautée d'une mission Igas de contrôle des deux sites de conditionnement Nestlé. » Finalement, la solution retenue n'est pas celle-ci puisque les ARS ne lanceront pas d'enquête administrative. Le choix s'est porté sur un contrôle par l'Igas concernant l'ensemble des usines de conditionnement d'eau minérale naturelle et d'eau de source, implantées sur le territoire français. Comment expliquez-vous ce choix de ne pas avoir confié des enquêtes administratives aux ARS ?

À la lecture de la documentation qui nous a été transmise, nous apprenons que « les cabinets Santé et industrie n'étaient à ce stade pas favorables à mobiliser les services déconcentrés que sont les ARS, afin de ne pas partager trop d'éléments » Je cite ici Mme Corinne Féliers, cheffe du bureau de la qualité des eaux, qui rapporte ces propos à sa sous-directrice Mme Joëlle Carmès, le 5 octobre 2021. Pourquoi cet attentisme du cabinet Santé ? Qui en était à l'origine ? Le savez-vous ?

M. Jérôme Salomon. - Je ne vais pas commenter les décisions éventuelles du cabinet Santé. Il me semble que vous en avez auditionné un ancien membre. La différence n'est pas si grande entre les deux solutions. L'inspection de l'Igas s'appuie toujours sur les ARS. On ne peut pas imaginer une inspection de l'Igas dans un site de production ou d'exploitation sans que l'ARS ne soit directement présente en appui technique. Les travaux des inspecteurs de l'Igas s'appuient sur les ARS. En outre, toutes les missions d'inspection de l'Igas sont signalées aux ARS, en particulier lors de la réunion mensuelle de l'organe de direction des ARS. On ne peut affirmer qu'on a envoyé l'Igas, sans informer les ARS.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - J'aimerais revenir sur les délais. Les ARS Grand Est et Occitanie, qui contrôlent les deux sites de conditionnement de Nestlé Waters dans les Vosges et à Vergèze, ont finalement été alertées de l'existence de traitements illégaux le 5 avril 2022 pour la première et le 3 novembre 2022 pour la seconde. Ces délais vous semblent-il acceptables ? Comment les justifier ?

La situation appelait des enquêtes administratives. Or l'Igas n'est pas forcément en mesure d'apprécier le risque sanitaire comme peuvent l'être les ARS. Comment expliquez-vous que les inspections de terrain aient eu lieu finalement plus d'un an après les révélations faites au ministère de la santé ?

M. Jérôme Salomon. - Permettez-moi de corriger : la saisine de l'Igas date du 19 novembre 2021 et la présentation du rapport de juillet 2022. Ils ont donc bien oeuvré. Cela représente un immense travail sur plusieurs mois.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Par rapport à votre recommandation, l'ARS Occitanie, par exemple, n'a pas inspecté Perrier ?

M. Jérôme Salomon. - Je ne peux pas vous donner les informations région par région, car les ARS gèrent leur région.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Le dossier part de Nestlé Waters. Finalement, on ne l'inspecte pas dans le cadre de la mission Igas ?

M. Jérôme Salomon. - Le champ d'investigation est gigantesque, compte tenu du nombre de sites et d'acteurs. Fin 2021, l'Igas est mobilisée. Rappelons-nous des circonstances. L'Igas est par ailleurs dotée de compétences techniques. Les profils de ces inspecteurs sont très variés et intéressants, techniques et médico-scientifiques. Il a donc fallu constituer cette inspection. Puis celle-ci s'est déployée sur les différents sites, sachant que tous les sites ne peuvent être inspectés simultanément. La remise du rapport de l'Igas aux trois ministères en juillet ne me choque pas par rapport à un lancement de la mission le 19 novembre, compte tenu de la complexité de la situation d'une part et du contexte très singulier, en particulier la pression exercée sur les ARS, d'autre part.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Je relève qu'en dépit de la connaissance de la fraude d'un acteur, celui-ci n'a pas été inspecté. Je souhaiterais aborder la question de l'abaissement des seuils de la microfiltration chez Nestlé Waters. Nous avons trace, en septembre 2022, d'une demande formulée par la direction de Nestlé Waters au cabinet de la ministre chargée de l'industrie, de se voir autoriser le recours à la microfiltration à 0,2 micron dans leurs usines, afin d'arrêter le traitement par UV. Le traitement charbon aurait déjà été interrompu. Cette demande vous est transmise pour analyse par M. Pierre Breton, du cabinet Santé, le 12 septembre 2022. Vous lui répondez le 22 septembre 2022 que la DG Santé n'est pas favorable à l'acceptation de cette demande de Nestlé. Pouvez-vous nous expliquer ce qui motivait ce refus ?

M. Jérôme Salomon. - La raison en est la prohibition du recours à des traitements de microfiltration inférieurs à 0,8 micron. Aucune nouvelle donnée ne permettait de basculer de 0,8 à 0,2 micron, ce qui n'est pas totalement anodin. Nous n'avions aucune raison de soutenir ce changement, sans aucun élément rationnel scientifique ou explication, d'où l'intérêt par ailleurs de ma saisine de l'Anses.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Suspectiez-vous alors une forme de désinfection puisque des traitements illégaux désinfectants étaient retirés pour être remplacés par des filtres à 0,2 micron ?

M. Jérôme Salomon. - Nous avions deux procédés non autorisés, et on nous proposait en remplacement, un procédé qui n'était pas non plus autorisé. C'était un peu étonnant. On ne revenait pas à la situation antérieure.

La DG Santé adopte une approche très technique. L'avis de l'AFSSA datait de 2001. La question se posait, objectivement, de l'existence de nouvelles données, en appui de la proposition de cette nouvelle technique par ce grand groupe. Était-elle connue des experts de l'Anses ? Disposions-nous de nouvelles publications permettant effectivement de modifier le seuil de coupure ? D'où ma saisine.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Vous formulez une proposition alternative qui consisterait à autoriser Nestlé Waters à utiliser une filtration avec un seuil de coupure à 0,8 micron et d'inscrire ce traitement dans la réglementation française afin de mieux encadrer les pratiques.

Vous rappelez qu'une telle modification réglementaire devra être notifiée au préalable à la Commission européenne au titre de la directive 2015/1535 et de la directive 2009/54, cette notification obligeant au respect d'un délai de statu quo de 3 mois minimum pendant lequel elle sera soumise à l'avis de la Commission européenne et des autres États membres. Avez-vous eu un retour sur cette alternative et ces observations ? Savez pourquoi cette solution a été écartée ?

M. Jérôme Salomon. - Pour deux raisons. Premièrement, j'ai saisi l'Anses en novembre, afin d'obtenir les dernières données scientifiques sur la microfiltration, notamment sur un éventuel impact de la modification du seuil sur le microbisme de l'eau. C'était ma préoccupation. Poursuivre une visée antimicrobienne et de désinfection de l'eau n'était plus du tout la même chose. L'inspection a relevé une hétérogénéité. C'était perturbant. Nous avons eu vraiment une surprise. Cela valide a posteriori le fait qu'on ait lancé cette inspection. On s'est rendu compte objectivement que la situation était beaucoup plus complexe qu'on ne l'imaginait et beaucoup plus étendue.

Par ailleurs était posée la question scientifique du meilleur traitement physico-chimique et non microbiologique de l'eau minérale naturelle, au regard des connaissances scientifiques en 2022-2023.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Le 27 septembre 2022, cette solution est écartée par le cabinet pour les raisons que vous venez d'exposer. Ce même 27 septembre, M. Pierre Breton, conseiller au cabinet de la ministre déléguée à l'organisation territoriale et aux professions de santé, écrit à Mme Joëlle Carmes pour lui demander relecture technique d'une note qu'il a coécrite avec Mme Mathilde Bouchardon, son homologue au cabinet de l'industrie, en vue d'une entrevue accordée par les cabinets Élysée/Matignon à Nestlé Waters.

La note en question proposait d'autoriser Nestlé Waters à poursuivre la filtration à 0,2 micron si l'entreprise démontrait l'absence de changement du microbisme de l'eau. Le lendemain matin, vous lui renvoyez la note, largement revue par vos équipes, en expliquant que vous ne pouvez pas autoriser le recours à la microfiltration à 0,2 micron, en reprenant vos éléments abordés plus tôt dans le mois, que vous venez de rappeler.

Mais la note transmise le 28 septembre par Mme Isabelle Epaillard, directrice de cabinet, à M. Cédric Arcos, conseiller au cabinet de la Première ministre, mentionne de même une autorisation 0,2 micron. À Cédric Arcos qui lui demande si la DG Santé est « bien en phase » « concernant la préconisation finale sur la technique de filtration », Mme Isabelle Epaillard répond « Oui c'est vu avec eux ». Comment expliquez-vous cette position contraire ? La DG Santé a-t-elle changé d'avis entre temps ? Dans le cas contraire, considérez-vous que « oui, c'est vu avec eux » n'est pas exact.

M. Jérôme Salomon. - Il faudra poser la question au cabinet Santé. Je pense que vous avez mes notes qui sont claires.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Il s'agit de la DG Santé. Elle dit que la DG Santé est bien en phase.

M. Jérôme Salomon. - Je n'ai pas cet échange et je n'ai pas donné mon accord sur un changement. Ma position était claire, non pas que je fasse de la politique, mais j'étais simplement dans l'attente des conclusions du rapport de l'Anses. J'avais posé une question. Tant que je n'avais pas la réponse à la question, je ne pouvais pas changer de position, d'un point de vue technique.

M. Laurent Burgoa, président. - Si j'ai bien compris, cela veut dire que les propos de Mme Epaillard étaient faux ?

M. Jérôme Salomon. - Je ne sais même pas qui l'a prononcé. Le rapporteur a mentionné que la DG Santé avait fait des remarques.

M. Laurent Burgoa, président. - Il est important pour nous de comprendre. L'ensemble de la commission d'enquête apprécie, Monsieur, votre franchise. Je tiens à la saluer.

M. Jérôme Salomon. - Si les services de la DG Santé et le DGS prennent une position vis-à-vis du cabinet, ensuite le cabinet, c'est tout à fait son rôle [interruption].

M. Laurent Burgoa, président. - C'est important pour nous.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Je reformule notre question : Quand Mme Epaillard dit « Oui, c'est vu avec eux », en fait, cela n'a pas été vu vous.

M. Jérôme Salomon. - Ce n'est pas vu avec moi, c'est la seule chose que je peux dire.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Oui parce qu'elle parle de la DG Santé.

M. Jérôme Salomon. - Oui, mais la DG Santé... Moi, je suis DGS. Je ne sais pas...

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Donc vous pensez qu'il est possible que quelqu'un dans vos services ait dit à Mme Epaillard que... [Interruption]

M. Jérôme Salomon. - Franchement, il faudra lui demander. Je n'ai pas souvenir d'avoir été saisi. En revanche, je me souviens d'avoir effectivement très bien travaillé avec le cabinet pour leur donner notre point de vue. Lorsque les services donnent un avis, les cabinets peuvent décider autrement. Heureusement que c'est la vie quotidienne des cabinets. En tout cas, nous n'avons pas changé de position du jeudi après-midi au vendredi matin.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Ce n'est que le 2 octobre 2022 que Mme Isabelle Epaillard transmet à Cédric Arcos une note intitulée « position du ministère de la santé » qui elle, ne soutient pas la proposition d'autoriser la microfiltration à 0,2 micron, mais seulement à 0,8 micron. MM. Cédric Arcos et Victor Blonde l'interprètent comme un « gros changement de position » du ministère. Je me permets de rapporter leurs mots. Que s'est--il passé ? Que pouvez-vous nous dire ? Les discussions étaient-elles serrées ?

M. Jérôme Salomon. - N'ayant participé à aucune réunion interministérielle, ce qui est assez logique, car de telles réunions convoquent les cabinets, je ne peux pas vous présenter les arguments qui ont permis de modifier la position. On peut imaginer qu'il y a eu des discussions entre cabinets et certains arguments l'ont emporté sur le cabinet Santé. Ce qui ne me surprend pas, car il est normal que dans le cadre des arbitrages interministériels, tout le monde n'ait pas l'avantage dans une discussion technique.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Le 20 janvier 2023, soit quelques jours seulement avant la CID, conférence interministérielle, une note du cabinet Santé est transmise au cabinet de la Première ministre. Elle propose de suspendre immédiatement l'autorisation d'exploitation et de conditionnement de l'eau pour les sites de Nestlé Waters dans les Vosges « compte tenu des enjeux sanitaires et règlementaires rendant impossible d'accepter une microfiltration à 0,8 micron ». Savez-vous quelle suite a été donnée à cette note ?

M. Jérôme Salomon. - Une note de la DG Santé ?

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Une note du cabinet Santé.

M. Jérôme Salomon. - Je n'ai pas cette note, mais j'en avais fait une dans ce sens également, en m'appuyant sur l'avis de l'Anses, qui est très clair. Il précise, d'une part, qu'on ne dispose pas d'éléments nouveaux permettant de modifier les seuils de coupure et, d'autre part, qu'il existe un impact sur le microbisme de l'eau si on diminue le niveau de microfiltration.

Quand on reprend l'histoire chronologiquement, on peut s'interroger sur ce qui a été fait entre telle date et telle date. Toutefois, ayant lancé une inspection de l'Igas, mobilisant les ARS dans une période difficile, il fallait évidemment laisser cette inspection aller à son terme. La décision était justifiée, car les résultats de cette inspection ont été riches d'enseignements, avec notamment une cartographie très intéressante du paysage national qui a soulevé un grand nombre de questions, compte tenu des anomalies relevées. Pourquoi certains ne respectent pas la réglementation ? Qu'est-ce que cela signifie ? Quelles en sont les conséquences sur les caractéristiques de l'eau et sur l'éventuel impact sur le microbisme, et donc, à ce moment-là, un impact de désinfection.

Nous avons logiquement saisi notre agence la plus scientifique, la plus technique et la plus respectée, l'Anses, qui nous répond, je crois, mi-janvier, entre le 15 et 19 janvier - je ne sais plus la date exacte -, mais on est quelques jours avant les faits que vous rapportez. Il y a donc une note de la DG Santé. Je pense que la note du cabinet Santé a dû en être assez proche, car elle était également assise sur l'avis de l'Anses.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Lorsque l'Igas révèle l'existence de certains arrêtés avec des microfiltrations inférieures à 0,8 micron, il semble que certains cabinets, notamment celui de l'industrie, aient souhaité les utiliser pour aller vers une réglementation à 0,2 micron. Cette position l'emportera ensuite dans la conférence interministérielle. Avez-vous été informé de cette conférence interministérielle ? Quel était votre niveau de suivi du dossier à ce moment-là et des conclusions qui en étaient tirées ?

M. Jérôme Salomon. - Je ne reprendrai pas vos propos sur une intention éventuelle des cabinets que je ne connaissais pas. En revanche, pour des « non-experts de l'eau » - ce qui n'est pas une insulte, car nous sommes tous confrontés à des domaines extrêmement techniques - constater que la norme de 0,8 micro n'est en réalité pas respectée, puis de s'interroger alors sur ce qu'est la bonne norme et de son application à tous ou non. Ces questions ne sont pas choquantes.

N'ayant pas participé à la concertation interministérielle et à la réunion qui a été présidée par le cabinet de la Première ministre, je ne peux vous dire les arguments qui ont été décisifs. Je suppose que c'était un arbitrage comme ils en rendent plusieurs par jour.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Vous n'avez eu aucun retour ?

M. Jérôme Salomon. - J'ai eu un retour définitif avec le Bleu budgétaire.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Vous n'avez eu aucun retour sur les raisons pour lesquelles la position du ministère de la santé a été écartée.

M. Jérôme Salomon. - Absolument.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Ni de votre cabinet, de personne ?

M. Jérôme Salomon. - Ce n'est pas choquant en soi. Chacun présente ses arguments. À la fin, le cabinet de la Première ministre décide de suivre telle ou telle proposition.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Cet arbitrage interministériel n'était pas de nature classique, avec un choix entre deux solutions réglementaires. L'un des choix - vous avez par ailleurs instruit le dossier en ce sens - soulevait de nombreuses questions de nature réglementaire, et ne relevait donc pas des textes en vigueur. Cette situation n'était pas ordinaire.

M. Jérôme Salomon. - J'apporterai une petite nuance, car on pourrait avoir l'impression d'être complètement dans un champ illégal ou illicite. Il est question d'une pratique qui se fonde sur des avis scientifiques, que ce soit l'Autorité européenne de sécurité des aliments (EFSA), l'AFSSA ou encore l'Anses. Alors que cette pratique a été très clairement partagée pendant des années, on constate finalement qu'elle n'est pas vraiment respectée. Quand on s'interroge alors sur les dernières évolutions - d'où ma saisine de l'Anses - celle-ci nous informe de l'absence de nouveaux éléments et en conséquence du maintien du seuil. En ce qui me concerne, je qualifierai de technique et scientifique, la discussion que j'ai eue avec mes collègues de l'Anses, plutôt qu'un échange sur le caractère contestable de la réglementation et ses violations. Ce n'est pas la même chose. Nos échanges portaient sur la norme technique et non sur une violation réglementaire flagrante.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - J'entends votre réserve. J'ai toutefois une réserve à la réserve. Le sujet portait sur la modification ou non du microbisme de l'eau. Or à aucun moment, la preuve n'a été apportée que la microfiltration à 0,2 micron ne modifiait pas le microbisme de l'eau en dépit des multiples relances aux industriels par les ARS.

J'en viens à ma dernière question. S'agissant des suites à donner à la CID, vous interrogez Mme Isabelle Epaillard et M. Pierre Breton du cabinet Santé, le 6 mars 2023 afin qu'ils vous précisent comment « les décisions prises [d'autorisation de la pratique de filtration à des seuils inférieurs à 0,8 micron par modification des arrêtés préfectoraux] s'appliquant à une société particulière, doivent être mises en oeuvre pour l'ensemble des usines de conditionnement d'eaux installées en France ». Pouvez-vous nous dire quelle réponse vous a été apportée sur ce point ? Il y a en effet un risque de rupture d'égalité entre les industriels.

M. Jérôme Salomon. - Je n'ai pas souvenir d'avoir une réponse précise, d'autant que nous étions encore dans l'attente d'un appui technique et scientifique de l'Anses aux ARS les plus concernées, en particulier celles du Grand Est et de l'Occitanie. On peut présenter la situation en référence à une certaine hétérogénéité, mais en pratique, l'hétérogénéité avait déjà été constatée par le rapport de l'Igas. Celle-ci avait soulevé une question technique qui avait été tranchée par l'Anses.

Le plus intéressant dans cette affaire est d'avoir procédé par cercles concentriques. On a un signal initial qui est finalement amplifié par les conclusions de l'Igas qui posent une question technique qui n'était pas évidente jusque-là. Le seuil est-il valable ou non ? On relance l'Anses qui répond par l'absence de nouveaux éléments. On se retrouve de nouveau devant une hétérogénéité de décisions. Quelles en sont les implications ? Comment accompagner les ARS ? Quelles sont les conséquences au niveau européen ? Quelle est la situation générale européenne compte tenu de notre réglementation et de la directive européenne ? Le Secrétariat général des affaires européennes (SGAE) avait été, par ailleurs, déjà saisi. Le problème s'est amplifié de réponse en réponse.

M. Laurent Burgoa, président. - Je vais céder la parole à nos collègues et demander à Madame Anne Ventalon de me remplacer quelques instants.

- Présidence de Mme Anne Ventalon Pointereau, vice-présidente-

M. Hervé Gillé. - Merci, Monsieur le président. Monsieur Salomon, je n'arrive toujours pas à comprendre sur quels éléments vous vous êtes appuyé pour certifier qu'il n'y avait pas de problème sanitaire. Quelles sont les pièces factuelles que vous pouvez nous remettre qui démontrent qu'il n'y avait aucun problème ou risque sanitaire et qu'on était donc simplement sur une fraude.

M. Jérôme Salomon. - C'est assez simple. Les eaux minérales naturelles sont contrôlées. En cas d'anomalie microbiologique ou de contamination d'une eau - on ne parle même pas de conséquences humaines -, cette eau n'est pas mise sur le marché. En outre, lorsqu'une ARS a l'information qu'un site pose problème, les contrôles sont encore renforcés.

En l'espèce, les contrôles étaient totalement satisfaisants. Nous n'étions pas en présence de bactéries à risque pathogène chez l'homme. Les contrôles ont été effectués, avant et après. Rassurons le consommateur, il n'y a jamais eu d'eau contaminée commercialisée. Nous n'avons pas eu, heureusement, ce genre de situation, ni même de signaux d'anomalies cliniques humaines faisant suspecter une origine hydrique. Il n'y avait pas de signal sanitaire, sinon la DG Santé aurait été pilote de la situation, comme tous les sujets de sécurité sanitaire.

M. Hervé Gillé. - Vous vous êtes donc uniquement appuyé sur le processus normal de contrôle. Toutefois, l'entreprise a mis en place ces systèmes illégaux en raison d'une non-conformité ?

M. Jérôme Salomon. - C'est vous qui l'affirmez. Je n'ai pas eu de résultat d'anomalie microbiologique.

M. Hervé Gillé. - Alors, pourquoi aurait-elle mis en place ce système illégal ?

- Présidence de M. Laurent Burgoa, président -

M. Jérôme Salomon. - Il faudrait leur demander.

M. Hervé Gillé. - Je reformule. Alors qu'une entreprise connue met en place un système illégal de microfiltration et de traitement, dont on peut penser que la vocation était de sécuriser sa ressource, vous ne cherchez pas à enquêter en amont sur la présence de problèmes de commercialisation d'une eau qui n'était pas traitée à l'époque et qui pouvait comporter des problèmes sanitaires.

M. Jérôme Salomon. - Il ne faut pas inquiéter le consommateur.

M. Hervé Gillé. - Je n'inquiète personne. Je pose des questions.

M. Jérôme Salomon. - L'eau est en permanence contrôlée. Le nombre de contrôles est impressionnant. C'est l'aliment le plus contrôlé en France.

M. Hervé Gillé. - Je reformule ma question. Quels ont été les arguments de l'entreprise pour dire que ... [Interruption]

M. Jérôme Salomon. - Vous leur demanderez. Je ne sais pas pourquoi une entreprise met en place des... [Interruption]

M. Hervé Gillé. - La révélation d'une entreprise au ministère de l'industrie, sans passer par le ministère de la santé, du fait qu'elle ait mis en place un système illégal, constitue un fait majeur. Ce système illégal avait bien une vocation. Or vous ne l'interrogez pas pour en connaître les raisons. J'ai du mal à comprendre.

M. Jérôme Salomon. - C'est très logique. S'agissant des intentions, il faudra demander à la société Nestlé Waters pourquoi elle a mis en place ces traitements. Quant au dispositif mis en place, il est très clair. Il traite davantage l'eau qu'auparavant. Plus vous rajoutez d'étapes, en particulier des UV et du charbon, plus vous modifiez la composition de l'eau. L'eau a été surtraitée. Il n'est pas question de détérioration de l'eau après le passage des filtres. J'aurais eu, en revanche, une inquiétude si les filtres avaient été enlevés. De façon caricaturale, c'est comme si on avait mis un peu d'eau de Javel dans votre eau potable. Ce n'est pas bien, mais vous ne courez pas de risque particulier. Voyez-vous ce que je veux dire ?

M. Hervé Gillé. - Pensez-vous qu'aller au-delà des normes admises répondait à un objectif de précaution et non de traitement d'un problème en amont ?

M. Jérôme Salomon. - Je ne sais pas ce qu'était leur intention.

M. Hervé Gillé. - Vous ne connaissiez pas leur intention, mais pour autant vous n'avez pas eu recours à l'article 40. Lorsque l'entreprise a révélé avoir utilisé certains traitements, l'investigation en tant que telle sur un risque éventuel sanitaire aurait justifié le déclenchement de l'article 40 .

M. Jérôme Salomon. - Je vous ai expliqué la démarche d'analyse de la direction des affaires juridiques. En l'espèce, il y avait un suivi très précis par la DGCCRF, en particulier, par ma collègue Virginie Beaumeunier. Le traitement des dossiers en matière de sécurité sanitaire est très structuré. En cas de signal microbiologique ou clinique, il n'y a plus de sujet. Vous en avez de très nombreux exemples dans l'histoire de la sécurité sanitaire. C'est la DG Santé qui pilote.

La question que vous posez est très pertinente. Que s'est-il passé avant les traitements ? De quels résultats l'entreprise disposait-elle avant les traitements ? Pourquoi a-t-elle mis en place ces traitements ? Il faut leur poser la question.

M. Hervé Gillé. - Monsieur Salomon, cela relevait d'une enquête.

M. Jérôme Salomon. - Il y a quand même eu des inspections sur place, des prélèvements renforcés, des plans d'action et un signalement au titre de l'article 40.

M. Hervé Gillé. - Pas sur ce plan.

M. Jérôme Salomon. - Il y a eu un signalement de l'article 40 de l'ARS Grand Est.

M. Hervé Gillé. - Après coup.

M. Jérôme Salomon. - Vous parlez de l'Occitanie ?

M. Hervé Gillé. - D'une manière générale.

M. Jérôme Salomon. - Plusieurs points doivent être rappelés. Premièrement, aucun élément microbiologique ne nous est adressé. Or, on dispose de services d'enquête capable de faire un suivi du signal, notamment au ministère de l'économie. Deuxièmement, il n'y avait aucun signal de santé publique ou de sécurité sanitaire. Troisièmement, des procédés non autorisés ont été utilisés, ce que je considère être frauduleux.

Quelles ont été les raisons justifiant la mise en place de ces procédés ? Il faut vraiment poser la question directement à l'entreprise. Quant à l'aval, il est important de rappeler pour le consommateur qu'il n'y avait pas de sujet puisque l'eau avait été surtraitée. Elle est évidemment contrôlée.

M. Hervé Gillé. - Très bien. J'ai bien compris. Vous nous l'avez répété plusieurs fois, mais je reste néanmoins sur ma position. Vous faites référence au règlement alors que le fondement de l'interdiction de la microfiltration inférieure à 0,8 micron repose sur un avis de l'AFSSA. Est-ce bien exact ? Le cadre réglementaire n'a pas évolué sur cette question et n'a pas intégré l'avis de l'AFSSA. Il n'y a pas de règlement, en fait.

M. Jérôme Salomon. - C'est ce que j'ai répondu au rapporteur.

M. Hervé Gillé. - Et depuis, cela n'a pas évolué, malgré les procédures mises en place. Ma dernière question est la suivante : estimez-vous que les eaux minérales puissent être bénéfiques pour la santé humaine ?

M. Jérôme Salomon. - Ce n'est pas vraiment le sujet. Je dirais tout simplement que l'eau du robinet est probablement la plus simple pour nos concitoyens.

M. Hervé Gillé. - Il n'en demeure pas moins que les eaux minérales peuvent être prescrites pour certaines personnes par le corps médical.

M. Jérôme Salomon. - Oui, même si la communauté scientifique est assez divisée sur le sujet. Le message très important pour nos concitoyens est que l'eau du robinet est très contrôlée. Les collectivités en sont responsables. Elle est l'eau la moins chère. La question de l'accès financier aux eaux minérales peut se poser. Que certaines eaux minérales aient des propriétés particulières, peut-être. Malheureusement, on ne dispose pas d'une ressource scientifique suffisante pour les comparer.

M. Hervé Gillé. - Certaines eaux minérales ont un taux de magnésium, par exemple, un peu plus élevé.

M. Jérôme Salomon. - Oui, mais le magnésium est présent dans un grand nombre d'aliments. Il est donc complexe d'en déterminer précisément la source.

M. Hervé Gillé. - La détermination de la relation de cause à effet est pertinente, dans le cadre de prescriptions médicales.

M. Jérôme Salomon. - Le cas des prescriptions médicales est différent parce que la prise de minéraux par certains patients doit être contrôlée, notamment en cas d'insuffisance rénale. Je me référais à la population générale, qui a tout intérêt à avoir l'eau de qualité la plus accessible.

M. Hervé Gillé. - Certaines parties prenantes nous ont déclaré qu'une microfiltration à 0,2 micron n'enlevait pas la minéralité de l'eau. Qu'en pensez-vous ?

M. Jérôme Salomon. - La minéralité, non, mais certains constituants, oui. Plus vous filtrez, plus vous supprimez des constituants. La molécule d'eau, certes, passe toujours, mais on constate un impact sur les constituants qui est de plus en plus important. Cette observation est logique puisque la maille est de plus en plus fine.

M. Laurent Burgoa, président. - Je cède la parole à Mme Antoinette Guhl, puis à M. Khalifé.

Mme Antoinette Guhl. - Merci, Monsieur le président et Monsieur le directeur général. Dans cette affaire, Monsieur Salomon, vous avez été quasiment le seul à dire ce que nous affirmions aujourd'hui au grand public, c'est-à-dire, que ces eaux n'auraient pas dû être commercialisées telles qu'elles l'ont été.

Je voudrais qu'on revienne sur la question sanitaire des eaux. Vous affirmez depuis le début qu'il n'y a pas de problème sanitaire. Je ne partage pas votre avis, car je pense qu'il y a eu un problème sanitaire. En tant que rapporteure d'une mission d'information sur les politiques publiques en matière de contrôle du traitement des eaux minérales et de source, j'ai obtenu un certain nombre d'informations sur ce sujet précis, en particulier les dates d'arrêt des traitements.

La date d'arrêt des traitements illégaux pour les sites des Vosges est le 4 mai 2023. À partir de cette date, l'ARS Grand Est nous a déclaré avoir « mis en place des études virologiques ». Je vous pose la question en votre qualité de médecin : pourquoi des études virologiques ? Contrairement à une eau pure, l'Anses a très clairement indiqué que toute eau polluée au départ requiert une surveillance renforcée, avec notamment une étude virologique.

C'est ce qui s'est passé dans le Grand Est. L'ARS des Vosges a mentionné avoir réalisé des études virologiques sur toute l'eau minérale afin de s'assurer qu'à l'arrivée l'eau ne contenait pas de virus. De telles études n'ont pas été effectuées dans le Gard. Les traitements y ont été arrêtés le 20 décembre 2023 tandis que des analyses virologiques n'ont été effectuées que par Nestlé Waters, à partir de juin 2024, soit plus de six mois après l'arrêt des traitements.

Il n'y a donc pas eu de vérification et de contrôle renforcé tels que demandés par l'Anses. Lorsque vous déclarez aujourd'hui « Il n'y a pas de problème sanitaire », il me semble qu'il peut y avoir un problème. Quelle est votre analyse ?

M. Jérôme Salomon. - Je vous remercie pour votre rapport, très intéressant ainsi que pour votre question qui me permet de basculer dans mon domaine de compétences. J'ai relu attentivement le rapport de l'Anses. Le noeud de cette affaire - je l'ai mentionné dans mon propos liminaire - est que la mise en place de microfiltres a une visée uniquement physico-chimique. Elle porte sur les constituants et absolument pas sur les bactéries. Si sa finalité est l'éradication des bactéries, on a un problème. On n'est plus dans le cadre de l'eau minérale. Il faut être clair. La source polluée est fermée. Ce n'est plus une eau minérale. Je n'imagine même pas qu'on mette en bouteille de l'eau polluée. Dans votre commune, si l'eau est polluée, on coupe l'eau. C'est ce qui arrive malheureusement de plus en plus fréquemment pour nos concitoyens. Cela peut intervenir en raison d'importantes inondations ou orages. Je ne parle pas des eaux naturelles, mais de l'eau du robinet. Vous l'avez tous vécu. L'eau qui sort du robinet est de couleur marron. Il y a un problème. Il ne faut évidemment pas la consommer et on bascule par ailleurs sur de l'eau minérale.

Le micro-filtre concerne les composants. Si on diminue la taille du filtre, quelle qu'en soit la raison, c'est que l'on n'est pas complètement sûr de sa ressource ou que l'on a des informations. En tout cas, l'idée est de commencer à filtrer d'éventuelles bactéries. Cela modifie le microbisme de l'eau. Toutefois, il est important de souligner que les mailles de ces filtres ne sauraient arrêter les virus qui sont beaucoup plus petits. À titre d'illustration, la taille des picornavirus, à l'origine des gastro-entérites virales est 100 à 1 000 fois plus petite que la maille du filtre, c'est-à-dire de l'ordre du nanomètre et non du micron. Ces filtres n'ont donc pas la moindre visée virologique.

L'élément clé de mon raisonnement est qu'il n'y a aucune raison qu'il y ait des virus dans une eau minérale naturelle profonde souterraine, comme l'attestent les travaux scientifiques standards de recherche fondamentale.

M. Hervé Gillé. - L'existence des effluents contaminés par des virus en aval d'un hôpital a été démontrée.

M. Jérôme Salomon. - C'est exact, mais nous ne sommes pas dans la même situation. Je vais aborder des considérations plus techniques. Les virus ont besoin d'un milieu pour proliférer. Ils ne peuvent proliférer sans cellules pour les développer.

J'insiste donc sur le fait qu'une contamination bactérienne ou virale équivaut à une fermeture. J'espère avoir été assez clair.

Mme Antoinette Guhl. - Je comprends votre argumentation et ne doute pas de votre bonne foi. Toutefois, vous n'avez pas été entendu. Vos préconisations dans votre rapport n'ont pas été suivies d'effet. Nestlé Waters n'a pas respecté les normes. L'entreprise l'a elle-même déclaré. C'est avéré. Elle a utilisé une série de traitements assez coûteux pour une certaine raison. Des problèmes bactériologiques ont été identifiés. Des sources pont été fermées.

M. Jérôme Salomon. - Heureusement que l'on surveille la qualité de l'eau.

Mme Antoinette Guhl. - L'infraction de Nestlé Waters est avérée sur ses quatre marques d'eau que vous connaissez, Perrier, Vittel, Hépar et Contrex. On le sait. C'est avoué, C'est chiffré par l'État. Par ailleurs, vous soulignez qu'une microfiltration à 0,2 micron ne permet pas de qualifier l'eau, d'eau minérale naturelle. Vous tenez donc les mêmes propos que nous. Or, vous savez très bien que l'eau a été filtrée à 0,2 micron, ce qui a modifié son microbisme. C'est vous qui le dites. Je reprends vos propos.

M. Jérôme Salomon. - Pour rebondir sur votre question, ce n'est pas à visée antivirale. Ce n'est pas le bon traitement.

Mme Antoinette Guhl. - Ce n'est effectivement pas le bon traitement, s'il existe des virus. En cas de contamination aux matières fécales et de tromperie sur les traitements utilisés, notamment la filtration, celle-ci va supprimer les bactéries, mais non les virus. Une recherche virologique est donc nécessaire. On attend cette protection de l'État, et non de l'industriel qui ne se conforme pas aux normes. On ne peut pas lui faire confiance sur cette question. Or force est de constater une absence de recherche virologique pendant 6 mois dans le Gard, contrairement aux Vosges.

Ma question porte sur le gigantesque champ d'études de l'Igas. Ne peut-on y voir une volonté de gagner du temps pour avoir un plan de transformation de Nestlé Waters ou pour trouver une solution ? Ce qui a été fait, ensuite.

M. Jérôme Salomon. - De la part de l'Igas ?

Mme Antoinette Guhl. - Bien sûr que non. De la part de ceux qui ont commandité cette étude gigantesque à l'Igas alors que Nestlé Waters avait fait des aveux. En posant cette question, je ne sous-entends aucune inertie des services de l'État. Bien au contraire, ces derniers ont intensément travaillé sur le sujet. Je pense même qu'ils ont trop travaillé par rapport à ce qui aurait dû être fait. Je sais que vous partagez mon avis puisque vous avez décrit ce qui aurait dû être fait et que vos recommandations n'ont malheureusement pas été suivies. Je réitère ma question. L'Igas a effectué un grand nombre de contrôles sur un champ d'investigation très large. N'y avait-il pas là une volonté de gagner du temps ?

M. Jérôme Salomon. - Très sincèrement, je ne le pense pas. Je l'ai rappelé en introduction, on se situe en septembre 2021, en pleine crise de la pandémie. Mobiliser l'Igas, qui était assignée également sur d'autres sujets prioritaires, notamment la lutte contre le COVID, ainsi que les ARS qui étaient en cours de lancement de la campagne de vaccination dans les maisons de retraite, représentait une démarche très lourde à mettre en oeuvre. Cela signifiait au contraire que le sujet était important. Cette étude de l'Igas a été demandée par trois ministres. Elle a nécessité d'investiguer partout afin de comprendre ce qui se passait.

Loin de gagner du temps, cette étude nous a permis de déterminer non seulement ce qui se passait sur une ou deux sources, mais également la pratique globale nationale. Elle nous a beaucoup aidés pour saisir l'Anses et ensuite notifier la Commission européenne. Nous avions besoin d'informations, que l'on nous aurait demandées de toute façon. On nous aurait interrogé sur la nature isolée ou non de la pratique et in fine sur notre avis argumenté. Vous l'avez dit, Madame la sénatrice et je vous en remercie, les services de l'État ont beaucoup travaillé sur ce sujet dans une période compliquée, parce qu'ils avaient déjà beaucoup à faire.

Mme Antoinette Guhl. - Tout à fait. Je l'avais souligné dans mon rapport. Permettez-moi de poser une dernière question. Selon le directeur de l'ARS Occitanie, la DG Santé n'informe pas l'ARS du problème Perrier, avant novembre 2022. Le directeur de l'ARS ne le savait donc pas alors que cela faisait un an et demi que beaucoup travaillaient sur le sujet. Trouvez-vous normal qu'il n'ait pas été informé de la situation ? Il l'a apprise par l'industriel.

M. Jérôme Salomon. - Cela me paraît, entre guillemets, un peu surprenant. Il convient de vérifier si cela n'est pas dû à un changement de directeur.

Mme Antoinette Guhl. - Il était en poste depuis le mois de juin ou de juillet.

M. Jérôme Salomon. - Il me semble que l'inspection a été lancée lorsque son prédécesseur était en poste. Il faudra vérifier les dates. Toutes les inspections sont adressées à l'ensemble des directeurs généraux des ARS. On ne peut imaginer qu'une mission Igas porte sur un territoire déterminé sans que le DG de l'ARS concernée en soit informé. Il est possible qu'il n'y ait pas eu de transmission d'informations entre directeurs. Je ne le sais pas. Il faudra leur demander. Il n'y a pas eu de volonté d'opacité vis-à-vis des DG des ARS. Je les avais quasiment quotidiennement au téléphone. Nous échangions des informations. Il n'y avait, par ailleurs, aucune raison, de cacher la moindre information sanitaire entre la DG Santé et une ARS.

M. Khalifé Khalifé. - Je souhaite revenir sur les manifestations cliniques. Vous avez déclaré ne pas avoir eu de signalement clinique, ce qui est probable, même si cela devait être mineur, s'il y en avait eu. Avez-vous mis en place un registre, soit au niveau de l'ARS, soit au niveau de la DG Santé, afin de recenser les cas éventuels ?

M. Jérôme Salomon. - Les toxines d'infection alimentaire collective, aux origines entériques comme hydriques, sont soumises à déclaration obligatoire et doivent donc être signalées. En outre, la mobilisation de Santé publique France et des ARS était alors sans précédent. Tout signal, en particulier à cette époque, était analysé au quotidien, alors qu'auparavant, le rythme était plutôt hebdomadaire.

Bien évidemment, une attention toute particulière et principale est portée à l'évolution clinique ou au moindre signal d'épidémie, en particulier si une origine hydrique ou alimentaire est suspectée. Une enquête est immédiatement lancée si un signal ou un groupe de cas ont été signalés. Ce système fonctionne même aujourd'hui sans alerte.

M. Khalifé Khalifé. - D'après vous, quelles sont les motivations de Nestlé Waters pour frauder ?

M. Jérôme Salomon. - Aucune idée.

M. Khalifé Khalifé. - Permettez-moi de poser la question autrement. Nestlé Waters est une multinationale. Je suppose que l'entreprise possède d'autres structures, en dehors de la France, qui commercialisent de l'eau. Vous êtes-vous intéressé à cet aspect ? Je poserai la question demain aux dirigeants de Nestlé Waters, mais je préfère vous entendre également.

M. Jérôme Salomon. - On se situe dans un cadre européen, régi par une directive qui a été transposée. On se conforme à l'obligation d'échange d'informations, au quotidien par des mécanismes automatiques d'échange d'informations. Le champ sanitaire est donc européen. En l'espèce, l'entreprise concernée est un producteur d'importance majeure.

M. Khalifé Khalifé. - Utilisait-elle la même technique dans ses usines implantées hors du territoire français ?

M. Jérôme Salomon. - Je n'en ai aucune idée. On peut imaginer soit une démarche générale, soit une démarche de site, procédant d'une décision du responsable de site en raison des informations en sa possession. Je n'ai même pas rencontré les responsables de cette entreprise. C'est une tradition à la DG Santé. Il existe un mur hermétique avec les entreprises privées.

M.  Khalifé Khalifé. - Avez-vous contrôlé les autres producteurs que Nestlé Waters, d'autres usines ?

M. Jérôme Salomon. - Je ne vous ai pas encore communiqué des chiffres très intéressants qui témoignent de l'ampleur du contrôle. En effet, d'aucuns peuvent avoir l'impression que l'on regarde un site à la loupe, mais tous les sites sont bien évidemment contrôlés. Il existe 104 sites en France, situés sur 59 départements et 18 régions. Vous comprenez l'intérêt de la mission Igas. On devait observer les pratiques sur l'ensemble du territoire national. Cela représente 13,6 millions de mètres cubes, répartis à proportion égale entre eaux minérales naturelles et eaux de source. La production est concentrée. Certains sites produisent la moitié du volume. De très grands groupes industriels se partagent globalement ce marché. Tous les sites ont été contrôlés.

Pour souligner l'importance de ce sujet pour nous, je préciserai que les Français sont plutôt de grands consommateurs d'eau minérale naturelle, un peu plus que la moyenne européenne, avec 120 litres par an et par habitant.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - J'aimerais aborder quelques points avant la fin de cette audition. Premièrement, la DG Santé ayant un rôle d'animation des ARS, je souhaite revenir sur la différence de réaction entre l'ARS Grand Est et celle Occitanie. On observe que l'ARS Grand Est a fait un signalement au titre de l'article 40. Elle est particulièrement scrupuleuse en termes de contrôle sanitaire. Dès le débranchement des filtres illégaux qui assuraient la sécurité sanitaire, elle met immédiatement en oeuvre un système de sécurité renforcé, comprenant une analyse virologique, car les filtres de 0,2 micron n'arrêtent pas les virus. À l'inverse, l'ARS Occitanie n'a pas recours à l'article 40. Elle laisse le contrôle pendant 6 mois à l'industriel, et n'appelle pas un contrôle virologique, même si on a appris que l'industriel l'a effectué. Il apparaît que la qualité de la maîtrise du risque est bien inférieure d'une ARS à l'autre.

En charge de l'animation des ARS, quelle est votre analyse de cette différence de position entre l'ARS Grand Est et celle Occitanie, alors qu'elles sont confrontées au même problème, dans une situation similaire ? Lorsque vous êtes informé du signalement par l'ARS Grand Est, ne pensez-vous pas devoir demander à l'ARS Occitanie de procéder également à un tel signalement ?

Deuxièmement, s'agissant de la saisine de l'Igas, j'ai envie de dire que votre solution de départ était la bonne. On constate que les ARS sont informées, mais avec un retard important, sur un industriel qui a recours à des procédés interdits et qui choisit le moment pour dévoiler son infraction et son modus operandi. Comment expliquez-vous cette situation et le manque de communication entre l'État central et les ARS, qui n'ont pas pu être informées dans les temps ?

Par ailleurs, je suis interpellé par votre détachement vis-à-vis de la décision de la CID, très éloigné du ton de votre note du 20 janvier 2023, dans laquelle vous proposiez de suspendre immédiatement l'autorisation d'exploitation et de conditionnement. Ce grand écart me surprend, même si je conviens qu'en tant que directeur général de la Santé, vous avez de nombreux dossiers à traiter.

Ma dernière question relève de la prospective. Compte tenu de votre expérience, avez-vous des recommandations qui pourraient nourrir le travail de la commission afin d'améliorer le dispositif de contrôle des eaux minérales naturelles ?

M. Jérôme Salomon. - Monsieur le rapporteur. La DG Santé actuelle vous l'a certainement indiqué, elle est dépourvue d'autorité hiérarchique sur les ARS. Les DG d'ARS, fort heureusement, disposent d'une véritable autonomie et une indépendance de décision, et viennent en appui des préfets. Un enjeu d'animation existe. En l'espèce, il a fonctionné. La mission de l'Igas a été partagée. Des collèges de directeurs généraux des ARS se réunissent. Je pense donc qu'il n'y a pas eu de problème sur ce point.

En revanche, les organisations, les réponses et les suivis des ARS sont effectivement peut-être divers. Ces singularités peuvent être justifiées par des particularités régionales, des différences dans leurs rapports d'inspection, etc. En outre, l'ARS a toujours le loisir de demander conseil et appui auprès de la DG Santé sur les actions à entreprendre. Certaines le font, d'autres non.

Pour répondre à votre question sur l'hétérogénéité, la démarche nationale tend à se développer pour atteindre une homogénéité nationale. C'est pourquoi on s'est interrogé sur l'hétérogénéité des seuils de coupure. Le service national d'enquête est très solide. Une coordination des inspections est à l'oeuvre.

S'agissant de ma réaction au résultat de la CID, j'ai répondu avec autant de calme parce qu'on avait lancé également l'appui scientifique et technique de l'Anses. Bien qu'ayant perdu l'arbitrage, je poursuivais ma démarche en prévoyant un accompagnement concret des ARS dans leur réponse aux situations locales. Cet appui technique et scientifique de l'Anses aux ARS est intervenu en avril. Nécessaire pour un grand nombre de ces Agences, il a permis de leur fournir une expertise, en particulier dans l'accompagnement du plan de gestion et du plan de renforcement des contrôles. Nous avions en effet une obligation d'accompagner les ARS sur un plan d'action efficace et concret.

Concernant les recommandations, je ne m'exprimerai pas en tant qu'ancien DGS, mais en tant que citoyen. Un grand nombre d'actions recommandées par l'Igas, dont les dix principales, ont été mises en oeuvre. La DG Santé actuelle pourra vous le confirmer. Certaines d'entre elles particulièrement pertinentes portent notamment sur les installations, la filtration, la révision de la directive, l'appui aux ARS, les arrêtés d'autorisation, les inspections, l'information des consommateurs - c'est évidemment très important - et le suivi de la qualité microbiologique des ressources. La démarche européenne est toujours en cours sur 2024-2025 ainsi que le plan d'inspection.

Ma préoccupation actuelle renvoie à une de vos questions : comment gère-t-on aujourd'hui une qualité de la ressource qui est probablement en forte baisse, non pas parce que les producteurs en sont responsables, mais parce que la situation a beaucoup changé ? C'est un sujet réel à double égard. Premièrement, le choix entre eaux minérales naturelles, eaux de source et eau du robinet, peut s'avérer ardu pour nos concitoyens. Les femmes enceintes nous disent « Mais quelle eau dois-je choisir ? » La question du coût n'est pas indifférente. La confiance du consommateur est primordiale.

Deuxièmement, la tendance est à la diminution de la ressource, situation que connaissent les élus de certains départements et régions concernées. Je pense que l'on est vraiment au bord d'un non-accès à l'eau dans des communes majeures, dans les 5 ans qui viennent. Certaines n'auront plus d'eau. À l'été prochain, on pourrait envoyer des camions-pompes ou des packs d'eau minérale. On en est là.

La priorité est donc de sécuriser la distribution de l'eau potable au robinet. Nous y sommes très attentifs. Un accès aux eaux de source et eaux minérales de qualité est également indispensable, sous réserve que les industriels qui en sont responsables s'assurent de commercialiser de la véritable eau minérale naturelle parce que les consommateurs attendent des qualités microbiologiques et des qualités physico-chimiques particulières.

M. Laurent Burgoa, président. - Monsieur le directeur général, vous avez insisté dans vos propos préliminaires, sur les difficultés contextuelles liées à la pandémie du COVID, en rendant un hommage appuyé à vos services et à l'ensemble des praticiens. Nous avons tous le souvenir des points de presse le soir, et de votre proximité avec le Premier ministre, ou divers ministres.

Compte tenu de vos fonctions et proximité, avez-vous pu évoquer le sujet de la filtration d'eau minérale, avec Matignon, l'Élysée ?

M. Jérôme Salomon. - Très clairement et objectivement, non, ni avec le Président de la République, ni avec les Premiers ministres. Par ailleurs, je n'ai pas participé aux réunions qui ont été évoquées dans la presse.

Permettez-moi de revenir, Monsieur le Président, sur l'époque COVID. Mon intention n'était pas de solliciter votre indulgence avec des circonstances atténuantes. Bien au contraire. Je suis impressionné par la réactivité et les efforts déployés par les ARS et l'Igas alors que la période était très compliquée. Ils ont été extrêmement rigoureux. Je n'ai constaté aucune réticence de leur part concernant les inspections des eaux minérales, en pleine période de finalisation de la vaccination des personnes âgées. Ils se sont surmobilisés pour répondre présent dans une période très difficile. C'est pourquoi je leur rends hommage ce soir.

M. Hervé Gillé. - Vous évoquez la période de COVID. Peut-on imaginer que le spectre des symptômes du COVID ait pu dissimuler, à un moment donné, des problèmes d'ordre sanitaire sur ces eaux ?

M. Jérôme Salomon. - Très franchement, je ne le pense pas. On avait testé les différentes formes de COVID. Les formes respiratoires étaient parfaitement cliniquement authentifiées à l'hôpital. On avait des PCR (Polymerase Chain Reaction) COVID. En cas de PCR COVID, le COVID n'est pas dans l'eau. Il ne faut pas inquiéter les personnes. Ce que l'on peut éventuellement trouver dans l'eau, ce sont les entérovirus, sur des épisodes de contamination par des effluents.

M. Hervé Gillé. - Je fais référence aux spectres. Quand on parle du contrôle et du registre, il peut y avoir des symptômes, à un moment donné, liés à une contamination de l'eau qui ressemblent à des symptômes du COVID et qui peuvent être noyés dans un cadre épidémiologique.

M. Jérôme Salomon. - Soit vous avez un prélèvement positif COVID, soit vous avez un prélèvement positif anti-rétrovirus, coliforme, ou entérocoque. Les laboratoires et médecins en France sont capables de dresser un diagnostic microbiologique, surtout pour les formes significatives.

M. Laurent Burgoa, président. - Je tiens à renouveler mes remerciements en mon nom et celui de l'ensemble des membres de la commission pour cette audition très enrichissante. Je vous remercie également pour votre franchise, Monsieur le directeur général.

M. Jérôme Salomon. - Je suis sous serment.

M. Laurent Burgoa, président. - On se retrouvera demain après-midi à 14 heures, puis à 15h30 pour l'audition de M. Philippe Fehrenbach, ancien du directeur du site Nestlé Waters du Gard, et après M. Luc Desbrun, directeur du site Nestlé Waters Vosges, en salle Médicis.

Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.

La réunion est close à 19 h 05.

Jeudi 6 mars 2025

- Présidence de M. Laurent Burgoa, président -

La réunion est ouverte à 14 h 00.

Audition de M. Philippe Fehrenbach, ancien directeur du site Nestlé Waters Gard

M. Laurent Burgoa, président. - Nous poursuivons les travaux de notre commission d'enquête avec l'audition de M. Philippe Fehrenbach, directeur de l'usine Nestlé Water Supply Sud de Vergèze dans le Gard, de février 2021 à janvier 2025.

Monsieur le directeur, je vous rappelle qu'un faux témoignage devant notre commission d'enquête serait passible des peines prévues aux articles 434-13, 434-14 et 434-15 du code pénal, notamment de cinq ans d'emprisonnement et 75 000 euros d'amende. Je vous invite à prêter serment de dire toute la vérité, rien que la vérité, en levant la main droite et en disant : « Je le jure. »

Conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, M. Philippe Fehrenbach prête serment.

M. Laurent Burgoa, président. - J'ai accepté pour la première fois la présence d'un avocat à vos côtés, mais je rappelle que celui-ci ne pourra pas intervenir devant la commission, conformément aux règles s'appliquant aux commissions d'enquête, et qu'il ne prête donc pas serment.

Le Sénat a constitué le 20 novembre dernier une commission d'enquête sur les pratiques des industriels de l'eau en bouteille. Au début de l'année 2024, plusieurs médias ont révélé les pratiques illégales de certaines entreprises du secteur, en particulier, le recours à des traitements interdits sur des eaux minérales naturelles et de source. Notre commission d'enquête vise à faire la lumière sur ce dossier, sous réserve des éventuelles procédures judiciaires en cours.

Cette audition a pour objectif d'éclairer ce qui s'est passé dans les systèmes d'embouteillage d'eau minérale. Pourquoi et comment des traitements interdits ont-ils été utilisés dans certaines entreprises et comment ont-ils pu ne pas être détectés par les services de contrôle pendant des années ?

En tant que directeur de l'usine Nestlé Waters de Vergèze, c'est-à-dire de Perrier, depuis février 2021, vous avez été en première ligne dans cette affaire. Nestlé Waters a en effet fait état de l'usage de ces traitements interdits devant le cabinet de Madame Pannier-Runacher, alors ministre de l'industrie, le 31 août 2021. Du reste, vous connaissez bien le secteur puisque vous avez travaillé chez Vittel en 1998 et entre 2002 et 2003.

Les questions que nous vous poserons sont les suivantes : à quoi servaient ces traitements ? Comment, pourquoi, et par qui ont-ils été mis en place ? Que s'est-il passé après la réunion du 31 août 2021 au cabinet de Madame Pannier-Runacher, ministre de l'industrie ? Quelles ont été vos interactions avec les services de l'État concernés, notamment, avec l'agence régionale de santé (ARS) Occitanie et la préfecture du Gard ? Quelles leçons tirez-vous de cette crise qui entame la confiance des consommateurs pour un secteur auquel nous sommes tous attachés ?

Vous présenterez vos réflexions lors d'un propos liminaire, puis Monsieur le rapporteur vous interrogera. Nous passerons ensuite aux questions des autres membres de la commission.

M. Philippe Fehrenbach, ancien directeur du site Nestlé Waters Gard- Je vous remercie de me donner l'opportunité de m'exprimer aujourd'hui sur l'activité de Nestlé Waters à Vergèze. Après plus de trente ans dans l'industrie agroalimentaire, j'ai eu la chance, depuis 2021, de m'occuper du site de Vergèze, qui impose à la fois le respect de son histoire industrielle et la gestion durable de l'eau. Mon rôle était de garantir une production efficace et responsable en veillant à concilier l'excellence industrielle, l'engagement environnemental et l'ancrage territorial d'un site qui fait la fierté de ses salariés et de la collectivité.

Cette usine emploie près de mille personnes qui travaillent chaque jour au rayonnement de la marque Perrier depuis plus de cent soixante ans. Dès 2021, tout le site s'est mobilisé pour la modernisation de l'usine et la mise en oeuvre du plan de transformation visant à répondre aux enjeux stratégiques. Mobiliser près d'un millier de personnes dans un tel projet a été un défi exigeant, mais tous les salariés se sont investis dans l'avenir de Perrier et dans la pérennité de notre activité. Je suis fier d'avoir exercé cette responsabilité pendant près de quatre années, car j'ai eu l'opportunité d'écrire une nouvelle page de l'histoire du site en le modernisant, tout en préservant son identité et son ancrage territorial.

Pour autant, je partage aussi la fatigue et la souffrance de nos équipes qui voient la qualité de leur travail et leur intégrité remises en question depuis un an dans de nombreuses déclarations médiatiques, souvent approximatives, voire erronées. Tous les employés de l'usine, tout comme mon successeur à sa direction, sont tournés vers le futur du site et comptent sur votre commission pour aborder nos enjeux avec le recul nécessaire et une approche constructive.

Je souhaite vous rappeler quelques éléments sur l'histoire de Perrier avant de détailler nos actions pour préserver et protéger notre ressource en eau.

Avant toute chose, laissez-moi vous rappeler en quelques mots l'histoire de Vergèze, qui est intimement liée à celle de Perrier, une eau minérale unique née sur ce territoire il y a plus de cent soixante ans. La source des Bouillens était connue dès l'Antiquité. Vergèze a d'abord servi au thermalisme, puis Napoléon III a autorisé, au XIXe siècle, l'exploitation de la source. Dès la fin du XIXe siècle, Perrier a été exportée, marquant le début de son histoire internationale. Son effervescence unique et son goût distinctif en ont fait une marque reconnue dans le monde entier, portée par un site de production qui a su évoluer avec son temps. Perrier a ainsi traversé les époques tout en restant fidèle à son identité gustative et à son ancrage local. Car Perrier, c'est aussi une partie de notre patrimoine et une fierté de la région.

L'eau Perrier est alimentée par un hydrosystème autour de la région de Vergèze. Elle provient de différentes roches calcaires du sous-sol situées dans le massif des Garrigues. L'eau de pluie se minéralise progressivement au cours de son chemin à travers ces roches, donnant ainsi naissance à une eau minérale naturelle. Elle est puisée grâce à trois forages dans les calcaires de l'Hauterivien, formés il y a cent vingt millions d'années, et à deux forages dans les calcaires du Burdigalien, formés il y a vingt millions d'années.

Aujourd'hui, notre activité repose également sur une deuxième marque complémentaire, Maison Perrier, une gamme récente de boissons aromatisées et rafraîchissantes qui répond aux évolutions des attentes des consommateurs en quête de nouvelles expériences gustatives. Vergèze, aujourd'hui, rassemble donc cinq forages d'eau minérale, deux forages pour la production de boissons, quatre forages d'eau industrielle et cinq forages pour l'extraction de CO2. Ce n'est pas seulement une usine, c'est un écosystème industriel unique.

Avec plus de mille salariés sur soixante-dix hectares, le site de Perrier est un acteur économique majeur du Gard, dont vous avez constaté vous-même l'échelle et la modernité. Perrier est distribué dans plus de cent quarante pays et occupe une place de leader sur plusieurs marchés stratégiques. En France, la marque est notamment leader sur le marché des eaux gazeuses. En 2024, le site a produit 1 251 milliards de bouteilles.

La nouvelle marque Maison Perrier, dédiée aux boissons, a été lancée l'année dernière pour répondre à une forte demande de nos consommateurs. Elle a aussi pour but de donner à Perrier une plus grande capacité d'innovation. Elle a trouvé son public : en un an, plus de 375 millions de bouteilles ont été vendues sur quatre-vingts marchés, renforçant ainsi le positionnement de la marque sur le segment dynamique des boissons. Ce succès est ancré dans l'image emblématique de Perrier et dans l'attachement de nos consommateurs à cette marque historique. L'équilibre actuel repose sur la production des deux marques Source Perrier et Maison Perrier en parallèle. La seconde ne pourrait exister sans la première.

Acteur économique local engagé, nous contribuons au financement de plusieurs projets municipaux, notamment en matière de préservation des ressources naturelles, qu'il s'agisse de l'eau, des sols ou de la biodiversité. Notre activité ne peut se développer dans le temps sans une gestion durable et responsable des ressources. Si Perrier existe depuis plus de cent soixante ans, c'est parce que la ressource a été gérée de manière durable et responsable depuis le début de son histoire, et notamment depuis que Nestlé Waters en est le garant. L'eau est une ressource partagée que nous nous attachons à gérer en collaboration avec toutes les parties prenantes de la région, notamment dans le cadre de notre participation à la norme internationale de bonne gestion de l'eau, en cours d'homologation.

Cela passe tout d'abord par la réduction de nos prélèvements d'eau, que nous nous sommes engagés à réduire de 40 % entre 2018 et 2026, soit un total de 2,5 millions de mètres cubes au maximum par an d'ici à 2026. Nous sommes proches de cet objectif et le respecterons dès 2026, comme promis. Nous avons aussi fait de Vergèze un site pilote pour la technologie Aquassay, un outil avancé permettant de visualiser notre utilisation d'eau du forage jusqu'à la station d'épuration, de manière à optimiser nos process ainsi que nos prélèvements. Cet outil nous permet d'améliorer de 39 % notre ratio entre volume d'eau prélevé et volume embouteillé, entre 2018 et 2026.

Au-delà de nos installations, nous travaillons aussi à la protection des écosystèmes et de la biodiversité autour du site, ainsi qu'à la régénération des cycles de l'eau sur notre territoire. Le Gard est un territoire exposé à des sécheresses sévères et à des épisodes cévenols. Sans des sous-sols sains et vivants, composés notamment de sable et de roches, nous ne pourrions pas produire de l'eau minérale naturelle Perrier. Nous avons donc engagé un plan de restauration écologique ambitieux visant à contribuer à la reforestation, à la restauration des zones humides et à l'amélioration des infrastructures liées aux ressources en eau. Nous avons ainsi planté dix mille arbres et haies depuis 2020 pour améliorer l'infiltration de l'eau et renforcer la biodiversité tout en protégeant cent douze hectares de forêts en partenariat avec le conservatoire d'espaces naturels du Languedoc-Roussillon.

Nous accompagnons également le passage à l'agriculture biologique, notamment dans le domaine viticole, en aidant les agriculteurs du département à réduire et à supprimer l'usage des pesticides. Nestlé Waters achète des terrains et les met à disposition d'agriculteurs et de viticulteurs pour permettre le passage au bio. Ainsi, le territoire du Gard compte plus de six cents hectares certifiés en agriculture biologique autour de la source. Dans un territoire où les vignobles sont nombreux, nous encourageons la gestion durable et les traitements préventifs naturels, en partenariat avec la cave coopérative viticole Héraclès, dont nous sommes à l'initiative et qui est aujourd'hui la plus grande cave bio de France, avec quatre-vingt mille hectolitres de vin de pays bio produits chaque année.

Ces actions très ciblées reposent sur une connaissance profonde du territoire et une surveillance renforcée de l'écosystème. Depuis 1960, nous avons mené plus de cinquante études à Vergèze pour mieux comprendre le sous-sol, les failles, la géologie, renforçant ainsi les connaissances sur l'hydrosystème local. Toutes ces données sont collectées et partagées chaque année avec les autorités via un rapport hydrogéologique détaillé.

Ces dernières années ont été une période d'investissement et de modernisation importante du site et de notre outil industriel. Nous avons notamment investi cinquante millions d'euros pour construire un entrepôt haut de gamme entièrement automatisé qui optimise les volumes de stockage, avec notamment des transporteurs de palettes autonomes. Vous avez pu le visiter il y a quelques semaines. Nous avons également investi dans une nouvelle ligne de production de canettes de trente-trois centilitres plus performante et moins gourmande en eau ; nous avons remis en service le train entre le site et le port de Fos-sur-Mer afin d'économiser deux mille cinq cents tonnes d'équivalent CO2 ; nous travaillons actuellement au développement d'une plateforme de verre consigné pour permettre une gestion plus efficace et plus centralisée et ainsi faciliter l'adoption du verre consigné.

Nous avons investi plus de cinquante millions d'euros dans un plan de modernisation de l'usine, notamment pour réaliser des améliorations techniques des systèmes de distribution d'eau et l'installation de nouvelles conduites, ainsi que vous avez pu le constater lors de votre visite. Ces travaux ont permis de développer la nouvelle offre de boissons Maison Perrier en créant un processus de production entièrement dédié. Ils sont le fruit d'un remarquable travail réalisé par les équipes de l'usine, qui se sont mobilisées pour réaliser cette transformation en un temps record.

Ces projets ne seraient pas possibles sans l'engagement des salariés du site. Perrier est une marque historique et beaucoup de ses collaborateurs sont issus de familles ayant travaillé à l'usine depuis des générations. Nous savons que leur engagement est total et nous accordons une place importante au dialogue avec nos partenaires sociaux. Un site industriel performant repose avant tout sur des équipes impliquées et un dialogue social apaisé, et je les en remercie. Nous continuerons à avancer avec et pour eux afin de garantir l'avenir du site de Vergèze.

Nous formons le voeu que les travaux de cette commission se déroulent de manière constructive et apaisée de manière à reconnaître le travail important fourni par nos équipes afin d'assurer la pérennité de notre activité et le rayonnement continu de la marque Perrier partout dans le monde.

Avant de conclure, je tiens à souligner une difficulté qui me semble importante. Une procédure pénale est en cours sur des faits sur lesquels votre commission se penche. Dans ces conditions, et sur les conseils de mon avocat, je vous informe, avec tout le respect que je dois à votre commission, à ses membres et à la représentation nationale, que si vous étiez amenés à me poser des questions sur des faits faisant l'objet de cette procédure, je ne pourrais y répondre.

En conclusion, derrière chaque Perrier servi en terrasse, il y a le travail et l'expertise de centaines de salariés engagés. Préserver cette marque, c'est préserver un site industriel clé, des emplois et un savoir-faire reconnu. Je suis fier d'avoir dirigé un site aussi emblématique.

M. Laurent Burgoa, rapporteur. - Nous avons déjà connu des situations dans lesquelles une information judiciaire était ouverte sans que cela empêche une commission d'enquête de se dérouler. J'ai à l'esprit l'affaire Benalla, durant laquelle la commission d'enquête était présidée par un sénateur devenu depuis membre du Conseil constitutionnel, ce qui prouve la régularité de la procédure !

Je me permets de vous rappeler en toute sympathie, monsieur le directeur, qu'il n'existe pas de droit au silence devant une commission d'enquête, qui n'est pas un tribunal, dès lors qu'elle est dépourvue de finalité répressive. Elle est destinée à faire la lumière sur des processus ou des dysfonctionnements, à recueillir des informations et à contrôler l'action du Gouvernement grâce à un pouvoir d'investigation spécifique.

La saisine du groupe qui a souhaité la création de cette commission d'enquête visait d'ailleurs plutôt à examiner l'action de l'État et à identifier d'éventuelles défaillances de sa part. Notre mission n'est pas de qualifier des faits en telle ou telle infraction, mais de mettre au jour la manière dont l'État a exercé ou non son contrôle sur certains faits. Tel sera notre travail.

Il en résulte, selon la loi, que si vous ne souhaitez pas déposer après avoir prêté serment devant notre commission d'enquête, vous vous exposez à une peine de deux ans d'emprisonnement et de 7 500 euros d'amende. En revanche, si vous estimez que votre réponse serait de nature à porter atteinte au secret des affaires et que vous ne souhaitez donc pas la communiquer publiquement, il vous est loisible de la transmettre en marge de l'audition publique, ou par écrit à notre commission, ce que nous avons toujours admis.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Monsieur le directeur, vous avez évoqué vos équipes. Nous avons rencontré leurs représentants à Vergèze, qui ont fait part de leur volonté d'aller au bout de la vérité et de sortir de cette séquence, puisque les informations leur parvenaient également de manière fragmentaire.

Cette commission d'enquête est publique, et considère que ce qui a été dit à un cabinet ministériel il y a quelques années peut être dit devant la représentation nationale pour que celle-ci comprenne ce qui s'est noué au sein des usines du groupe Nestlé. C'est en allant au bout de la transparence que la confiance pourra être restaurée.

Je me permets donc de revenir sur les questions du président, auxquelles vous n'avez pas répondu. Pouvez-vous nous expliquer quels traitements illégaux ont été mis en place ? À partir de quel moment ? Ont-ils été portés à votre connaissance ? Par qui ? Pouvez-vous nous indiquer comment ces traitements ont été déployés, dans quel but, à quelle fin, afin que nous puissions comprendre ce qui s'est passé au niveau des eaux de la marque Perrier ?

M. Philippe Fehrenbach. - J'ai pris mes fonctions le 1er mars 2021. Ce jour-là, mon supérieur hiérarchique de l'époque m'a informé de ces traitements non réglementaires. Nous avons fait le tour de l'usine, et il me les a montrés. Précisons qu'il s'agissait de traitements par charbon actif et par ultraviolets. On m'a présenté en même temps un projet de plan de transformation, dont le coût était estimé à l'époque entre vingt et vingt-cinq millions d'euros, pour refaire un certain nombre de choses et s'affranchir de ces traitements. J'ai été personnellement chargé de mener à bien cette transformation et cette modernisation. Le montant, initialement évalué à vingt ou vingt-cinq millions d'euros, atteint aujourd'hui cinquante-trois millions d'euros. Les travaux s'achèveront à la fin de cette année, au plus tard au début de l'année prochaine.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - C'est donc au moment de votre prise de fonctions que vous avez été informé de l'existence de ces traitements. Vous avez fait carrière au sein du groupe Nestlé, aviez-vous connaissance de la mise en place de tels traitements dans les autres usines du groupe où vous aviez travaillé précédemment, sachant que nous savons aujourd'hui que ces pratiques étaient généralisées à l'ensemble des sites de production ?

M. Philippe Ferenbach. - Absolument pas.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - J'en viens maintenant à l'un des points clés pour la compréhension de notre commission d'enquête. Nous savons que, depuis lors, un certain nombre de puits ont été fermés. Ces traitements étaient-ils mis en place parce qu'il existait un problème de pureté originelle de l'eau sur les puits où ils étaient appliqués ?

M. Philippe Ferenbach. - Tout d'abord, je tiens à préciser qu'aujourd'hui, à Perrier, aucun puits n'est fermé. Le forage Romaine VIII (R VIII) est actuellement suspendu, à la demande de Monsieur le préfet, à la suite d'une déviation microbiologique ponctuelle survenue après la tempête Monica.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. -Depuis lors, certains forages ont-ils été déclassés et ne produisent plus d'eau minérale naturelle ?

M. Philippe Ferenbach. - Je souhaite m'attarder sur le cas de R VIII. Aujourd'hui, ce forage figure dans le dossier de demande d'autorisation d'exploiter une source d'eau minérale que nous avons déposé. Dans ce dossier de transformation, nous avons soumis le reclassement de deux forages, R III et R V, en tant que forages destinés à la production de boissons.

Le dossier Source Perrier, quant à lui, est désormais en cours d'instruction, il a subi d'importants retards en raison de la grève des hydrogéologues agréés, qui ont finalement été réquisitionnés par Monsieur le préfet en août dernier. Il devrait aboutir rapidement. Il me semble qu'un projet a déjà été transmis à l'ARS et que des échanges sont en cours entre les hydrogéologues agréés et l'ARS en vue de sa finalisation, que nous espérons pour fin mars. Le dossier du forage R VIII y est inclus. Nous verrons donc quelle sera la position des hydrogéologues agréés.

Quant à nous, nous considérons que R VIII reste une eau de source minérale, même si nous ne l'utilisons pas pour le moment, le forage étant suspendu.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Je reviens sur l'utilisation de ces traitements interdits. Vous qui connaissez par coeur ce site, pouvez-vous nous expliquer ce qui justifiait la mise en place de ces traitements sur le site de Vergèze ? Était-ce la dégradation de la qualité de la ressource, notamment sur les puits qui ont depuis été déclassés, qui en était la cause ? Pouvez-vous nous exposer les raisons pour lesquelles, lors des inspections des services de l'État, des traitements illégaux étaient mis en place pour hygiéniser l'eau ? Êtes-vous en mesure de nous fournir des explications sur ce point ?

M. Philippe Ferenbach. - Je ne suis pas en mesure de répondre à cette question, car ces traitements étaient répartis sur différents puits. Quant à la raison de leur mise en place, je ne saurais l'expliquer, n'étant pas présent à l'époque et n'en étant pas à l'origine. J'ignore le véritable motif de leur installation, la preuve en est que nous les avons retirés en août 2023.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Monsieur le directeur, vous êtes à la tête de cette usine, vous connaissez ce secteur sur le bout des doigts, vous connaissez par coeur ces tuyaux qui courent sur des kilomètres et des kilomètres. Vous n'allez pas me dire aujourd'hui que vous n'avez aucune idée des raisons pour lesquelles ces traitements ont été mis en place ! Et vous n'allez pas me faire croire, car je suis persuadé que vous êtes un homme curieux, que lorsque votre supérieur vous a expliqué que des traitements étaient appliqués, sachant qu'ils étaient illégaux, vous ne lui avez pas demandé pourquoi. À moins que vous n'ayez manqué singulièrement de curiosité sur ce sujet.

M. Philippe Ferenbach. - Il ne s'agit pas d'un manque de curiosité. Lorsque vous prenez vos fonctions, on vous explique qu'il existe des traitements non réglementaires, que la société souhaite les supprimer et qu'un plan de transformation a été élaboré à cette fin. On vous demande alors de mener à bien ce plan. Ce qui s'est passé avant mon arrivée, je l'ignore, je peux vous le garantir. Je n'ai pas cherché à le savoir. Je me suis concentré sur la manière de transformer cette usine le plus rapidement possible et dans les meilleures conditions. C'était le principe qui guidait nos actions, et ça l'est encore. Quant à mon responsable hiérarchique de l'époque, il s'agit de Monsieur David Vivier.

M. Alexandre Ouizille. - Pensez-vous qu'il sera en mesure de répondre à cette question ?

M. Philippe Ferenbach. - Je ne sais pas. Vous le lui demanderez.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Des traitements sont donc mis en place, dont personne ne connaît la raison, dont personne ne sait pourquoi ils continuent d'être utilisés durant plusieurs années. Vous ne le saviez pas.

M. Philippe Ferenbach. - Non.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Et vous ne le savez toujours pas aujourd'hui.

M. Philippe Ferenbach. - Non, mais nous avons pu nous en affranchir.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Vous avez pu vous en affranchir, je le précise, en procédant au déclassement de deux forages, alors qu'un troisième est aujourd'hui mis en pause. Les conditions sont donc différentes. Cet affranchissement a tout de même eu des effets particulièrement importants sur le site.

Nous avons auditionné d'autres directeurs de sites et, par exemple, sur le site d'Évian il n'a jamais été nécessaire d'arrêter un forage d'une quelconque manière. Or c'est arrivé dans les Vosges et sur le site de Perrier dans un certain nombre de cas.

Je prends acte du fait que le directeur du site ne savait pas pourquoi des traitements étaient mis en place pour tromper les services de l'État, pour tromper le consommateur, parce qu'il s'agit évidemment d'une fraude au consommateur, qui a été reconnue par Nestlé devant les cabinets ministériels.

Je vous pose une dernière fois la question sous serment : vous ne saviez pas, et vous ne savez toujours pas ?

M. Philippe Ferenbach. - Je ne sais pas.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Depuis, n'avez-vous pas posé la question en interne ? Cela ne vous a pas intéressé ?

M. Philippe Ferenbach. - Non.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Vous comprenez qu'il soit difficile pour notre commission d'entendre et de croire cela ?

M. Philippe Ferenbach. - Sans doute. Vous évoquez un problème de fraude...

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - À hauteur de 3 milliards d'euros selon la direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF).

M. Philippe Ferenbach. - ...je ne me prononcerai pas sur ce qualificatif.

Je peux indiquer clairement que, en août 2023, nous parvenions à fonctionner avec cinq forages sans aucun traitement. La transformation qui a été opérée à Vergèze, pour un montant de 53 millions d'euros, englobe l'intégralité du système, du forage jusqu'à l'usine, ce qui suppose de remplacer les tuyaux, d'en modifier les diamètres, de revoir toute l'installation que vous avez eu l'occasion de découvrir lors de votre visite.

Il s'agissait d'un chantier d'une ampleur considérable. Sans cette transformation, l'objectif aurait été plus difficile à atteindre. Celle-ci était donc indispensable pour parvenir à ce résultat.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - J'entends bien, mais vous soutenez que l'on vous demande de mener une transformation de plus de 50 millions d'euros en raison de ces traitements illégaux, dont vous affirmez ne pas connaître l'utilité. Vous le voyez : c'est incompréhensible.

M. Philippe Ferenbach. - Cette transformation a nécessité du temps et de l'argent, et elle s'est faite en collaboration avec l'agence régionale de santé (ARS). Il a fallu, en effet, obtenir sa validation, cela a pris du temps, car l'ARS devait également réaliser ses propres analyses. Nous disposons d'un suivi, avec plus de 700 analyses par jour. Partant de là, en tant que directeur d'usine, j'étais certain de la direction à prendre. Pour autant, il me fallait aussi convaincre l'ARS de l'absence de tout problème de sécurité alimentaire. Je tiens à souligner à ce propos qu'il n'y a jamais eu de problème de sécurité alimentaire à Vergèze, ni avant, ni pendant, ni après. Garantir cela constituait mon premier devoir en tant que directeur d'usine.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Nous reviendrons sur cette question. Je vous remercie pour vos observations. Je le répète, des investissements de 50 millions d'euros ont été réalisés parce qu'il fallait remplacer ces traitements, dont on ignorait l'utilité. C'est franchement inaudible. Nous poserons la question à d'autres interlocuteurs. Je regrette, je le dis en toute franchise, que vous ne répondiez pas à cette question, car je ne vois pas comment vous pourriez ne pas en avoir la réponse.

Je poursuis sur un point qui concerne la manière dont les choses ont été traitées en interne au sein du groupe Nestlé. À votre connaissance, à la suite de ces révélations, des sanctions ont-elles été prises contre ceux qui ont décidé de mettre en place ces traitements illégaux ?

M. Philippe Ferenbach. - À ma connaissance, depuis le 1er mars 2021, aucune sanction n'a été prononcée. À qui aurait-on dû infliger une sanction ?

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - À celui qui a décidé de mettre en place ces traitements, par exemple.

M. Philippe Ferenbach. - Peut-être n'était-il plus en poste ?

En revanche, si vous me demandez qui était au courant de la présence de ces traitements et en assurait la maintenance, je peux vous indiquer que nous disposions d'une équipe d'une vingtaine de personnes affectée aux ressources en eau, des employés qui travaillent sept jours sur sept. Eux étaient donc informés de l'utilisation de ces traitements et ils m'ont également aidé à les supprimer.

Parallèlement, j'ai constitué une équipe projet d'une dizaine de personnes pour travailler sur l'évolution du site et l'élimination de ces traitements.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Globalement, au sein de l'usine, une trentaine de personnes avaient donc connaissance de ces traitements et de leur caractère illégal.

M. Philippe Ferenbach. - Non réglementaire, je m'en tiens à ce terme. Encore une fois, si la procédure judiciaire en décide autrement, nous verrons...

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Je soulève simplement la question de savoir s'ils étaient informés du caractère non réglementaire de ces traitements ou si vous étiez le seul à en avoir connaissance, vous qui leur demandiez d'agir. Car nous avons constaté la présence d'installations dissimulées derrière des armoires... Étaient-ils au courant de ce qui était ainsi réalisé ?

M. Philippe Ferenbach. - Nous n'avons pas nécessairement échangé sur ce point. Selon leur position, il me semble qu'ils en avaient conscience, mais nous n'avons pas débattu du caractère réglementaire ou non de ces traitements. Nous n'étions pas engagés dans ce débat à mon niveau.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Au-dessus de vous, s'agissait-il selon vous d'une décision qui émanait du sommet de la pyramide de Nestlé, puisque nous savons que ce système existait dans plusieurs usines ? Vous avez identifié vos subordonnés informés, mais concernant vos supérieurs, pouvez-vous nous indiquer qui était au courant et avec qui vous en aviez déjà discuté ?

M. Philippe Ferenbach. - Au-dessus de moi, avec mon responsable hiérarchique.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Avez-vous échangé avec d'autres personnes au sujet de ces traitements au cours de vos années passées chez Perrier, ou seulement avec votre supérieur ?

M. Philippe Ferenbach. - Uniquement avec mon supérieur hiérarchique direct, ainsi qu'avec les personnes que vous allez auditionner la semaine prochaine : Mesdames Muriel Lienau et Sophie Dubois.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - D'après ce que vous me dites, Madame Lienau était donc au courant de l'existence de ces traitements et de leur fonctionnement au sein des usines.

M. Philippe Ferenbach. - Oui.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Très bien. Pour comprendre jusqu'à quand ces processus ont été utilisés, pouvez-vous nous indiquer à quel moment le dernier achat de matériel destiné à ces traitements a été effectué sur le site, ou est-ce une information dont vous ne disposez pas ?

M. Philippe Ferenbach. - Aucun achat de matériel lié à ce type de traitement n'a été réalisé depuis 2021.

Il faut bien comprendre qu'un matériel similaire peut être acquis pour d'autres usages, comme pour l'eau industrielle ou pour l'eau destinée aux États-Unis, car ces traitements existent dans d'autres pays. Nous avons donc dû acheter des équipements adaptés à la transformation pour les États-Unis, mais cela n'a rien à voir avec l'eau minérale. Concernant l'eau minérale, depuis 2021, nous n'avons pas acheté de matériel visant à remplacer un équipement non réglementaire.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Je progresse dans notre compréhension des événements survenus sur ce site.

Pourquoi avez-vous choisi d'informer l'ARS Occitanie des traitements interdits le 3 novembre 2022 ? Y a-t-il une raison pour laquelle vous l'avez fait à ce moment précis ? Qu'est-ce qui a motivé cet autosignalement spontané ? Pourquoi avoir attendu, alors que le groupe s'était déclaré auprès du ministère de l'industrie un an auparavant ? Pouvez-vous nous expliquer le sens du choix de cette date ? D'après ce que nous avons compris des services de l'État, vous avez vous-même organisé la visite guidée en expliquant le déroulement des faits et la localisation des traitements illégaux.

M. Philippe Ferenbach. - Une enquête de l'inspection générale des affaires sociales (Igas) a été menée et nous attendions son rapport, comme l'ARS. Je ne saurais plus vous citer avec précision les motifs qui nous ont conduits à la date de novembre 2022. Il a fallu que Monsieur Jaffre se rende disponible et que nous convoquions l'ensemble des personnes concernées pour organiser cette visite, qui a donc eu lieu en novembre 2022.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Pour bien comprendre le contexte, la commercialisation de Maison Perrier a commencé alors, comme vous l'avez évoqué précédemment. Cette commercialisation est-elle la réponse du groupe au fait que, lorsqu'il supprimait les traitements interdits sur ces forages, l'eau présente n'était plus de l'eau minérale naturelle ? Est-elle la conséquence de la dégradation de la qualité de l'eau sur les forages, qui était dissimulée par les traitements interdits ?

M. Philippe Ferenbach. - Les forages R III et R V se situent dans le même aquifère de l'Hauterivien que les forages R VI, R VII et RVIII.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Pour vous, il s'agit donc toujours d'eau minérale naturelle ?

M. Philippe Ferenbach. - C'est de l'eau bénéficiant d'une pureté originelle.

Pour autant, les forages R III et R V sont devenus plus sensibles. Étant donné que nous disposions déjà d'une gamme d'eau de Perrier aromatisée, Maison Perrier faisait partie du plan de transformation : nous nous sommes dit en effet que nous pouvions consacrer des forages à la boisson, et nous avons choisi pour cela les forages R III et R V, qui étaient les plus sensibles aux phénomènes cévenols.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - D'après vos propos, la qualité de l'eau actuelle dans les forages R III et R V permettrait-elle encore de produire de l'eau minérale naturelle ?

M. Philippe Ferenbach. - Je dirais oui, pour la nappe, pour l'aquifère. Pour les ouvrages eux-mêmes, leur localisation, leur sensibilité, je dois dire que ce sont des forages qui datent. Mais l'aquifère contient bien de l'eau minérale naturelle. Si nous lancions un nouveau forage à côté des forages R III et R V, nous pourrions demander sa qualification en eau minérale naturelle.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Finalement, les traitements illégaux étaient donc là pour dissimuler la vétusté de l'outil industriel !

M. Philippe Ferenbach. - Je ne parlerais pas de vétusté, mais plutôt de sensibilité. La sensibilité peut être liée à la localisation - il s'agit de karst -, à une fissure, à une pénétration, à n'importe quoi, à une réaction à des phénomènes cévenols qui surviennent une ou deux fois dans l'année, mais tout de même plus fréquemment ces vingt dernières années que par le passé.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Je vous remercie, car vous venez de m'expliquer la raison de la présence des traitements illégaux, ce que vous ne parveniez pas à faire précédemment.

M. Philippe Ferenbach. - C'est votre conclusion, ce n'est pas la mienne. Je ne souscris pas à cette interprétation.

M. Laurent Burgoa, président. - On connaît les phénomènes cévenols dans tout le sud de la France : il s'agit de fortes pluies accompagnées de forts ruissellements. Lors de nos premières auditions, nous avons rencontré des hydrologues qui nous ont expliqué qu'une goutte d'eau mettait parfois entre cinq et dix ans à arriver dans la nappe. Or un phénomène cévenol ne dure que quelques heures.

Comment expliquez-vous qu'un tel phénomène, très rapide et très court, puisse détériorer la qualité de la nappe alors qu'il faudrait entre cinq et dix ans pour qu'une goutte d'eau y parvienne ?

M. Philippe Ferenbach. - Les hydrogéologues agréés pourront certainement répondre à la question, et ils le feront sans doute dans leur rapport en cours. La Garrigue est caractérisée par un relief karstique, il ne s'agit pas de sable, mais de formations rocheuses complexes. Un phénomène cévenol, avec une précipitation de plus de 100 millimètres en moins de douze heures, entraîne une pénétration éventuelle des eaux.

Sans m'aventurer trop loin dans les explications techniques, n'étant ni hydrogéologue ni agréé dans ce domaine, je précise qu'un tel phénomène génère deux conséquences majeures. D'une part, du ruissellement provoquant des inondations, d'autre part, une possible infiltration en amont, soit dans l'impluvium, soit dans les Cévennes, susceptible d'entraîner une perturbation hydrologique.

C'est ce que nous avons observé sur le forage R VIII, affecté non pas par une simple précipitation, mais par un double phénomène lors de la tempête Monica : un système pluvieux stationnaire suivi d'un second épisode, qui a occasionné un point sporadique. Depuis cet incident, le forage a été suspendu.

M. Laurent Burgoa, président. - Si j'interprète correctement vos propos, que je partage, les problèmes concerneraient principalement les nouveaux forages réalisés, par opposition aux forages historiques qui n'ont jamais présenté de pollution, quelle qu'en soit la nature. Ces nouveaux forages se situent plutôt sur les collines, comme nous avons pu le constater lors de notre visite, tandis que les forages anciens se trouvent davantage en plaine.

M. Philippe Ferenbach. - Il existe certainement une différence entre les forages dans le Burdigalien et dans l'Hauterivien. Toutefois, le forage R VIII a présenté une réaction, tandis que les forages R VI et R VII sont demeurés stables. Si l'on s'en tenait cette théorie, ce jour-là, ces deux derniers forages auraient dû présenter des réactions similaires.

Sur ce point, je ne souhaite pas m'étendre davantage, n'étant pas expert hydrogéologue. Cette question mériterait d'être approfondie avec les spécialistes compétents. Elle fait d'ailleurs partie des éléments actuellement étudiés par les hydrogéologues agréés qui travaillent sur ce dossier.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Peut-être pouvons-nous avancer sur le plan de transformation que vous évoquez et sur la question de la microfiltration à 0,2 micron. Le groupe n'a pas ménagé ses efforts pour obtenir un arbitrage ministériel favorable, bien que problématique du point de vue de la réglementation. Cette question préoccupe depuis un certain temps cette commission d'enquête.

Pouvez-vous nous expliquer, vous qui êtes sur le terrain, dans l'usine, pourquoi la microfiltration à 0,2 micron est indispensable et pourquoi il n'était pas envisageable d'opter pour une solution réglementairement claire, sans ambiguïté, sans difficulté, à savoir la microfiltration à 0,8 micron ? Lorsque l'on décide d'engager autant de ressources, comment justifier la nécessité de recourir à une microfiltration à 0,2 micron sur le site Perrier, dans un tel contexte d'incertitude réglementaire ? Cela semble témoigner, peut-être, de l'urgence de la situation au regard du choix des traitements prohibés, mais c'est un autre sujet.

M. Philippe Ferenbach. - Le choix du 0,2 micron a été une décision technique de notre centre technique, situé à Vittel, le Nestlé Product Technology Center (NPTC). Nous défendons ce choix et nous souhaitons prouver qu'il est réglementaire, nous nous efforçons d'en démontrer la pertinence. Nos experts ont d'ores et déjà transmis plusieurs études aux administrations, aux autorités, et nous avons bon espoir de prouver que l'utilisation du 0,2 micron est conforme à la réglementation. Nous nous apprêtons également à répondre à Monsieur le préfet, d'ici un mois environ, une échéance à laquelle nous sommes tenus de fournir une réponse sur cette question.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Auriez-vous pu procéder différemment ? Vous plaidez en faveur du 0,2 micron, mais vous aurait-il été possible d'opérer un autre choix technique, ou s'agissait-il d'un choix impérieux au regard de la configuration actuelle de l'usine et du site ?

M. Philippe Ferenbach. - Je ne suis pas véritablement en mesure de comparer l'usine à celles de concurrents ou à d'autres entités. Notre usine est vaste, étendue, d'une grande complexité, avec treize lignes de production, des conduites de 6 km de long. Cela vous a été expliqué, nous avons recours à cette filtration à 0,2 micron afin de prévenir la formation d'un biofilm et pour gérer l'intégralité de cette installation.

Cela ne signifie pas que nous ne procédons pas à des nettoyages, nous en réalisons tout autant. Nous avons mis en place un système qualité très élaboré, nous effectuons un nombre considérable de nettoyages de nos boucles, de nos circuits, de l'ensemble de ces éléments. Parallèlement, le 0,2 micron constitue un outil de stabilisation efficace qui nous permet de maîtriser cet aspect. Il ne s'agit pas d'une désinfection, nous y avons recours dans le but de maîtriser la partie process sur toute cette installation extrêmement complexe et vaste.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Nous avons naturellement interrogé vos concurrents pour chercher à comprendre ces positions ; à ceux qui sont en conformité avec la réglementation, qui ont recours aux filtres à 0,8 micron, nous avons ainsi soumis l'argument du biofilm, qui nous avait été avancé à Vergèze : les tuyaux sont difficiles à nettoyer et une particule se forme. Ils nous rétorquent : « C'est simple, nous nettoyons nos tuyaux, nous n'éprouvons donc pas le besoin de descendre en deçà de 0,8 micron. »

En définitive, notre analyse, c'est que le 0,2 micron offre la possibilité de moins traiter les infrastructures, de la même façon que vous nous expliquiez que les filtres illégaux représentaient un moyen de laisser perdurer des forages vétustes et de continuer à les exploiter.

M. Philippe Ferenbach. - C'est votre interprétation.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Certes, mais vous avez tenu des propos du même ordre, il me semble. Nous nous reporterons au procès-verbal.

M. Philippe Ferenbach. - Encore une fois, je ne connais pas les concurrents ni leurs installations, qui sont peut-être beaucoup plus simples, plus maîtrisables, moins grandes, moins longues, moins complexes.

Je souhaite également signaler la différence entre la cartouche de microfiltration et la céramique à 0,8 micron. Cela ne relève pas nécessairement de notre compétence, mais plutôt de celle du fabricant : quel est le résultat concret ? Nos experts restent disposés à démontrer à l'administration le fonctionnement de ce système et ses points de rupture. Pour pousser le raisonnement à l'absurde, si un filtre céramique à 0,8 micron produit un résultat équivalent à une cartouche à 0,2 micron, quel est l'objet du débat ? La différence réside simplement dans l'inscription 0,8 sur l'un et 0,2 sur l'autre. Je ne suis pas expert en la matière, la compagnie préconise l'utilisation du filtre à 0,2 micron, nous l'utilisons, il a démontré sa stabilité, nous l'apprécions et nous souhaitons sa reconnaissance réglementaire, car cette polémique médiatique est pénible et contraignante. Notre groupe, lors des prochaines auditions, vous présentera des démonstrations ou vous mettra en relation avec des experts spécialistes du filtre à 0,2 micron. Il ne m'appartient pas précisément de trancher cette question.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Sur ce point, une zone d'ombre persiste : lorsque nous interrogeons Nestlé, l'entreprise affirme avoir adressé de multiples courriers à l'Agence nationale de sécurité sanitaire de l'alimentation, de l'environnement et du travail (Anses) pour établir leur démonstration. Parallèlement, nous observons que des ARS sollicitent régulièrement le groupe pour obtenir la démonstration que ce procédé ne modifie pas le microbisme de l'eau. À notre connaissance, le groupe Nestlé Waters n'a jusqu'à présent jamais fourni cette démonstration de conformité réglementaire du 0,2 micron, malgré les relances fréquentes des ARS. Si ces réponses existent, nous sommes tout à fait disposés à en prendre connaissance. Vous avez évoqué le préfet et l'échéance fatidique fixée au 20 mars.

M. Philippe Ferenbach. - Exactement. C'est le 20 mars.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Vous nous assurez donc aujourd'hui que vous démontrerez, le 20 mars, que le traitement à 0,2 micron ne modifie pas le microbisme de l'eau.

M. Philippe Ferenbach. - Pour ma part, je préfère parler de flora. Nous répondrons pour le 20 mars. Nos experts demeurent disponibles pour rencontrer l'Anses à tout moment, ce qui ne s'est pas concrétisé jusqu'à présent. Je pense, par ailleurs, que lors des prochaines auditions que vous tiendrez, peut-être avec Madame Lienau, vous obtiendrez davantage de précisions sur ce sujet, avec un niveau d'expertise supérieur à celui que je peux vous apporter aujourd'hui.

M. Laurent Burgoa, président. - Nous pourrons donc interroger votre ancienne directrice et la nouvelle présidente sur les échanges intervenus entre Nestlé et l'Anses, car nous n'en avons pas eu connaissance à ce jour. Nous pourrons leur demander de nous les communiquer.

M. Philippe Ferenbach. - On m'a informé que les experts se tenaient disponibles et souhaitaient cette rencontre. Je ne saurais me prononcer sur les raisons pour lesquelles celle-ci n'a pas eu lieu.

Ce que je peux indiquer aujourd'hui, c'est que notre compagnie défend ce filtre à 0,2 micron. Nous en sommes convaincus, nous l'utilisons, nous connaissons son usage et nous le maîtrisons.

Mme Antoinette Guhl. - Où les filtres interdits étaient-ils positionnés ?

M. Philippe Ferenbach. - Vous les avez vus vous-même durant la visite de l'usine, madame la sénatrice.

Mme Antoinette Guhl. - C'était le seul endroit où ces filtres étaient positionnés ? À l'émergence, ils étaient donc très proches du pompage ?

M. Philippe Ferenbach. - Non, ces filtres concernaient la partie émergence. Ensuite, des filtres au charbon actif et aux ultraviolets étaient positionnés sur la partie traitement, qui a été entièrement remaniée. Vous n'avez pas été en mesure de les voir, car nous les avions entièrement démontés.

Mme Antoinette Guhl. - C'est la raison pour laquelle je vous pose la question. Vous me répondez d'abord que je les ai vus, puis que je n'ai pas pu les voir... Nous en avons donc vu à l'émergence. Où étaient positionnés les autres ?

M. Philippe Ferenbach. - Les autres étaient positionnés au traitement d'eau, là où vous avez vu les nouveaux équipements, avant la mise en bouteille.

Mme Antoinette Guhl. - Mais alors, quelle était l'utilité de ceux qui étaient positionnés à l'émergence ? Autant je comprends bien que les autres avaient pour objectif d'éliminer des pollutions susceptibles de se produire au cours du processus industriel, en raison de la vétusté des tuyaux, mais ces filtres à l'émergence, pourquoi existaient-ils ?

M. Philippe Ferenbach. - À l'émergence, ils étaient positionnés sur la partie échantillonnage, là où nous prélevions des échantillons d'eau pour analyse.

Mme Antoinette Guhl. - Si des filtres étaient placés à cet endroit, c'est donc que l'on voulait faire passer pour pur l'échantillon d'eau à l'émergence ? Il ne s'agit pas de vous, puisque votre mission était d'enlever les filtres, mais c'était bien l'idée : il s'agissait de purifier l'eau à l'émergence ?

M. Philippe Ferenbach. - Tout à fait. En revanche, l'eau du tuyau, l'eau principale, était traitée au niveau du traitement d'eau, dans une installation beaucoup plus grande.

Mme Antoinette Guhl. - Très bien, je vous remercie.

J'ai une autre question : votre histoire de céramique à 0,8 micron, de cartouche à 0,2 micron ressemble à de la fabrique du doute, et cela me dérange profondément. Si vous affirmez qu'il est équivalent d'utiliser de la céramique à 0,8 micron ou de la cartouche à 0,2 micron, pourquoi Perrier ne respecte-t-il pas la réglementation en employant de la céramique à 0,8 micron ?

M. Philippe Ferenbach. - Aujourd'hui, nous n'avons pas prévu de plan B consistant à utiliser des filtres céramiques. Notre stratégie actuelle vise à défendre le filtre à 0,2 micron, dont nous sommes convaincus qu'il obtiendra une reconnaissance réglementaire. C'est précisément ce que nos experts s'attachent à démontrer.

Mme Antoinette Guhl. - Pourtant, la réglementation existe depuis des années. Vous avez la responsabilité d'engager 50 millions d'euros de travaux pour votre entreprise, dont vous savez qu'ils ne seront pas conformes à la réglementation !

M. Philippe Ferenbach. - Concernant la réglementation, je voudrais citer les propos de Monsieur Jérôme Bonet. Il a indiqué qu'il n'existait pas aujourd'hui de base juridique pour condamner le 0,2 micron.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Ce n'est pas ce qu'a dit Monsieur Bonet. Il vous a demandé de faire la démonstration que cela ne changeait pas le microbisme de l'eau, à défaut, il serait nécessaire de les enlever. Je corrige pour que l'on ne prête pas au préfet des propos qui ne sont pas les siens.

M. Philippe Fehrenbach. - C'est ce que nous ferons le 20 mars.

Mme Antoinette Guhl. - Convenez-vous que vous n'êtes pas dans les clous de la réglementation ? Actuellement, vous ne disposez pas d'arrêté préfectoral vous autorisant à filtrer à 0,2. Vous réalisez 50 millions de travaux - une somme ! - en favorisant un process non conforme à la réglementation. Vous, en tant que directeur d'usine, cela vous a-t-il interpellé ?

M. Philippe Fehrenbach. - Ce 0,2 était la base de notre plan de transformation, qui a été partagé avec l'ARS, Madame la préfète et Monsieur le préfet, celui-ci nous a laissés faire cette transformation. Les dossiers boissons ont été traités à temps et sont passés par le Conseil départemental de l'environnement et des risques sanitaires et technologiques (Coderst) ; les dossiers Source Perrier ont pris du retard à cause des hydrogéologues agréés, qui ont fait grève. Si cela n'avait pas été le cas, ce dossier aussi aurait été clos aujourd'hui et le sujet du filtrage à 0,2 aurait déjà été abordé et discuté avec les experts. À mon niveau, je ne peux pas dire plus : il y avait une tolérance pour l'utilisation de filtrations à moins de 0,8.

Mme Antoinette Guhl. - Lorsque Maison Perrier n'existait pas, quelle marque vendiez-vous aux États-Unis, puisque vous nous avez expliqué que des filtres étaient nécessaires pour ce marché ?

M. Philippe Fehrenbach. - Nous vendions Perrier et nous le vendons toujours.

Mme Antoinette Guhl. - Vous vendiez l'eau minérale naturelle Perrier, la même que celle que vous vendez en France ?

M. Philippe Fehrenbach. - Oui, mais pour le marché des États-Unis, on peut la traiter.

Mme Antoinette Guhl. - Qu'était-il écrit sur l'étiquette ? « Eau minérale naturelle », ou autre chose ?

M. Philippe Fehrenbach. - Il me semble qu'il était inscrit « Eau minérale naturelle ». Oui, c'est bien cela.

Mme Antoinette Guhl. - Donc vous vendiez un produit sous la dénomination d'eau minérale naturelle qui n'était pas de l'eau minérale naturelle, y compris aux États-Unis, parce que vous disiez que vous pouviez la vendre sous cette appellation ?

M. Philippe Fehrenbach. - Non. Certains pays autorisent les traitements, voire les imposent.

Mme Antoinette Guhl. - Je vous remercie. C'est ce que je voulais savoir.

Mme Marie-Lise Housseau. - Je me mets à votre place à votre arrivée en mars 2021. Votre supérieur hiérarchique vous fait visiter l'usine. Il vous montre tous les process, il vous indique qu'à tel endroit, ce n'est pas réglementaire, à tel autre non plus et qu'il vous revient de corriger cela. Vous êtes un connaisseur des usines d'embouteillage : vous êtes passé par Vittel, vous savez que c'est illégal et que cela peut être assimilé à une fraude. Comment réagissez-vous ? Ne vous êtes-vous pas senti piégé ? Ou est-ce une situation finalement classique dans les autres entreprises où vous aviez travaillé ?

M. Philippe Fehrenbach. - Ce n'est pas une situation classique. J'ai été surpris, je le reconnais. Je n'utiliserai pas d'autres termes. On m'a présenté en même temps le plan de transformation et on m'a fait part de la volonté du groupe de traiter ce sujet. J'ai accepté le challenge.

Mme Marie-Lise Housseau. - C'est tout à votre honneur, mais vous avez également accepté la responsabilité.

M. Philippe Fehrenbach. - Il y a une procédure judiciaire en cours, nous verrons. Je peux parler de ce que je sais à partir du 1er mars 2021 et de ce que nous avons essayé de mettre en place, peut-être pas assez rapidement, car cela a été compliqué.

Au vu de la situation actuelle, nous avons fait un grand pas en avant, dont je suis fier. Nous n'avons pas encore terminé médiatiquement sur certains sujets et il nous reste quelques batailles à mener autour du 0,2, mais nous avons fait 90 % du travail. Pour moi, c'est cela qui est important.

M. Khalifé Khalifé. - À votre connaissance, votre collègue de Vittel - une usine également incriminée - a-t-il reçu les mêmes recommandations que vous quand il a pris son poste ?

M. Philippe Fehrenbach. - Vous allez l'interroger dans moins d'une demi-heure, vous lui poserez la question.

M. Khalifé Khalifé. - Je le ferai volontiers.

Nestlé est une multinationale avec de nombreux postes un peu partout. Je ne reviens pas sur les États-Unis. Vous avez probablement d'autres usines du même type en Europe où l'on suit la même législation. Qu'en est-il de ces usines ?

M. Philippe Fehrenbach. - Certaines usines produisent du Nestlé Pure Life, avec des process totalement différents, comme la Reverse Osmosis (osmose inverse) et beaucoup d'autres situations : eaux de source, eaux minérales...

Dans les usines par lesquelles je suis passé, je n'ai pas eu connaissance de ce genre de traitements.

M. Khalifé Khalifé. - Vous n'en avez pas discuté au sein du groupe, malgré l'ampleur médiatique ?

M. Philippe Fehrenbach. - Non. Je ne peux parler que des usines par lesquelles je suis passé. J'ai été expatrié durant vingt ans, quinze ans en Russie, dix à douze ans dans le chocolat et la Dairy Nutrition (nutrition laitière). J'ai été chez Nestlé Waters au début de ma carrière, mais je n'y suis pas resté si longtemps. Dans les usines dans lesquelles j'ai travaillé, je n'ai pas eu connaissance de ce genre de traitements.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Si je ne me trompe pas, l'installation d'une filtration nouvelle requiert une procédure au niveau de l'Union européenne. À notre connaissance, celle-ci n'a pas été engagée dans le cadre de cette microfiltration à 0,2. Pouvez-vous le confirmer ? Quelle est votre connaissance du sujet ?

M. Philippe Fehrenbach. - Je ne suis pas juriste, je n'ai pas de vision sur ce sujet. Je ne sais pas. Monsieur le préfet a aussi indiqué que juridiquement, par rapport à l'Union européenne... Je ne sais pas.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Vous avez raison de dire que ce plan de transformation a bien été validé par un bleu de la Première ministre. Tout cela crée en effet de la confusion. Toutefois, ce plan de transformation a bien été conçu par quelqu'un. Vous aviez évoqué tout à l'heure un laboratoire technique de Vittel. Qui a conçu ce plan de transformation, que vous avez mis en oeuvre ?

M. Philippe Fehrenbach. - J'ai participé, avec mes équipes, à la conception de ce plan. Au départ, il portait sur 20 millions d'euros, mais il manquait d'ambition et ne couvrait pas tous les sujets.

Le NPTC, situé à Vittel, rassemble des ingénieurs, des experts en filtration, qui ont conseillé de travailler sur la technologie de filtration à 0,2.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Vous êtes là, car vous avez accepté le challenge de sortir des traitements illégaux.

M. Philippe Fehrenbach. - Oui.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Mais vous relevez ce challenge en utilisant des traitements qui ne sont pas validés par le préfet, qui ne sont pas initialement validés par le Gouvernement, mais qui finissent par l'être en 2023 dans le cadre d'une réunion interministérielle ; en 2023, alors que le plan est déjà mis en oeuvre...

Durant le processus d'élaboration de ce plan, vous êtes-vous interrogé sur le fait que vous mettiez en place quelque chose qui n'avait jamais été visé par personne, à savoir la filtration à 0,2 micron ?

M. Philippe Fehrenbach. - Nos experts sont convaincus que le 0,2 est, et sera, réglementaire.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - On s'en assure avant de mettre 50 millions d'euros sur la table ! Je sais que Nestlé est une multinationale qui a des moyens, mais un sou est un sou, même chez Nestlé !

M. Philippe Fehrenbach. - Le 0,2 est une partie...

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Il y en a partout. Nous avons visité l'usine. C'est partout dans le processus de production.

M. Philippe Fehrenbach. - Ce n'est pas la partie la plus chère ou la plus compliquée à mettre en oeuvre. Le 0,2 est seulement une partie du plan de transformation, il ne faut pas croire que celui-ci reposait uniquement dessus. Si tel était le cas, il n'aurait pas conduit à engager le montant faramineux de 53 millions d'euros. Il s'agit d'une décision stratégique : Nestlé Waters est convaincu de la légalité et de l'impact de la filtration à 0,2. C'est tout ce que je peux vous dire.

Mme Marie-Lise Housseau. - Nestlé Waters est convaincu que le 0,2 est l'avenir, selon vous, mais cela ne correspond pas du tout à la réglementation, ni en France ni dans les autres pays. Vous ou quelqu'un d'autre dans votre groupe estimez que l'on peut s'asseoir sur la réglementation française et faire ce que l'entreprise juge bon pour se développer en suivant ses propres experts. Cela pose problème.

M. Philippe Fehrenbach. - Les experts sont convaincus que les filtres 0,2 sont utilisés à bon escient. Nous n'avons pas fait cela en catimini : nous l'avons partagé avec l'ARS, avec les autorités, avec les préfets. Nous leur avons indiqué ce que nous allions faire. Nous l'avons indiqué à l'ARS Occitanie. Nous ne l'avons jamais caché : cela figurait dans notre plan de transformation.

M. Laurent Burgoa, président. - Vous avez sans doute suivi l'audition de Monsieur Salomon, ancien directeur général de la santé, qui a été très clair, notamment sur la période durant laquelle il était en responsabilité, et a eu connaissance du sujet. Pour lui, la réglementation ne permettait pas l'utilisation du filtrage à 0,2 micron. Il n'y était pas favorable en tant que responsable de la santé. Un responsable en charge de l'industrie tenait peut-être une autre position, cela relève ensuite d'un arbitrage interministériel...

Merci d'avoir joué le jeu, monsieur le directeur. C'est tout à l'honneur de Nestlé de répondre aux questions de notre commission. Merci à votre avocat de vous avoir accompagné. Vous ressortez indemne de la commission d'enquête !

Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.

La réunion est close à 15 h 15.

La réunion est ouverte à 15 h 30.

Audition de M. Luc Desbrun, directeur du site Nestlé Waters Vosges

M. Laurent Burgoa, président. - Mes chers collègues, nous poursuivons les travaux de notre commission d'enquête avec l'audition de M Luc Desbrun, directeur de l'usine Nestlé Waters Supply East, dans les Vosges, depuis mars 2023.

Monsieur le directeur, je suis tenu de vous rappeler qu'un faux témoignage devant notre commission d'enquête est passible des peines prévues aux articles 434-13, 434-14 et 434-15 du code pénal, soit cinq ans d'emprisonnement et 75 000 euros d'amende.

Je vous invite à prêter serment de dire toute la vérité, rien que la vérité, en levant la main droite et en disant : « Je le jure ».

Conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, M. Luc Desbrun prête serment.

M. Laurent Burgoa, président. - À la suite de divers échanges, j'ai accepté, à votre demande, la présence d'un conseil juridique à vos côtés. Je rappelle que celui-ci ne pourra intervenir devant la commission et n'est donc pas soumis au serment, mais il pourra éventuellement vous conseiller, de la manière la plus discrète possible.

Cette audition est retransmise en direct sur le site du Sénat.

Je rappelle que le Sénat a constitué, le 20 novembre dernier, une commission d'enquête sur « les pratiques des industriels de l'eau en bouteille ». Au début de l'année 2024, plusieurs médias ont révélé les pratiques illégales de certaines entreprises du secteur des eaux embouteillées, en particulier le recours à des traitements interdits sur des eaux minérales naturelles et de source. Notre commission d'enquête vise à faire la lumière sur ce dossier, sous réserve des éventuelles procédures judiciaires en cours.

Cette audition a pour objectif de faire la lumière sur ce qui s'est passé dans les sites d'embouteillages d'eaux minérales : autrement dit, pourquoi et comment des traitements interdits ont-ils été utilisés dans certaines entreprises et comment ont-ils pu ne pas être détectés par les services de contrôle pendant des années ?

Monsieur Desbrun, vous êtes directeur du site Nestlé Waters dans les Vosges depuis 2023. Mais vous travaillez dans le secteur des eaux depuis au moins 1995, dans le groupe Perrier-Vittel, et avant les Vosges, vous avez été directeur de l'ingénierie de Nestlé Waters pour la zone Europe, Moyen-Orient et Afrique du Nord de mai 2019 à juillet 2023. Autant dire que vous connaissez très bien ce secteur et les sites français.

À quoi pouvaient servir les traitements interdits dont le groupe Nestlé Waters a avoué l'usage au cabinet de Madame Pannier-Runacher, ministre de l'industrie, le 31 août 2021 ? Comment, pourquoi, et par qui ont-ils été mis en place ?

Quelle était la situation lorsque vous étiez directeur de l'ingénierie pour la zone Europe, Moyen-Orient et Afrique du Nord de Nestlé Waters, de mai 2019 à juillet 2023, puis lorsque vous êtes devenu directeur du site ?

Quelles ont été vos interactions avec les services de l'État concernés, et notamment l'Agence régionale de santé (ARS) Grand Est et la préfecture des Vosges ?

M. Luc Desbrun, directeur du site Nestlé Waters Vosges. - Je suis heureux d'avoir l'occasion de m'exprimer aujourd'hui sur l'activité de Nestlé Waters Vosges.

Les premières stations thermales sont nées à Vittel dès 1855 ; ainsi, l'eau minérale fait partie de l'histoire des Vosges depuis plus d'un siècle. L'embouteillage a permis de valoriser ces eaux uniques bien au-delà du territoire local, dès 1875, avec la première ligne de production dans des bouteilles de grès.

Depuis son rachat des marques en 1992, Nestlé Waters s'inscrit pleinement dans cette tradition en poursuivant la production de ces eaux minérales naturelles locales, essentiellement destinées au marché national.

Je travaille personnellement dans cette entreprise depuis bientôt trente ans, et c'est avec cette expérience que j'ai pris la direction de Nestlé Waters Vosges en mars 2023. Avant cela, j'ai été expatrié pendant vingt ans ; je suis revenu en France en 2019 en tant que responsable des investissements de la division Nestlé Waters sur les sites de production de la région Europe, Moyen-Orient et Afrique.

Lors de mon arrivée, en mars 2023, à Nestlé Waters Vosges, la feuille de route était particulièrement difficile. Tout d'abord, un plan de transformation déjà engagé, supervisé par les autorités, visait, conformément à une volonté méritoire de notre présidente, à consolider l'arrêt des traitements non conformes à la réglementation décidé l'année précédente. Les révélations du début de l'année 2024 ont été relayées, trop souvent, de manière déformée par la presse, qui a laissé penser qu'il y aurait pu avoir des risques sanitaires, alors que cela n'a jamais été le cas. Cela a grandement compliqué la gestion de ce plan en interne, notamment en ce qui concerne la communication avec les équipes du site.

Le deuxième point de ma feuille de route était un plan de sauvegarde de l'emploi (PSE) visant un quart des effectifs du site, qui allait être déclenché en mai, soit à peine deux mois après mon arrivée. Ce PSE était nécessaire pour adapter l'organisation du site à une baisse significative du volume de production, essentiellement due à l'abandon du marché allemand l'année précédente. Notons que l'équilibre social était fragile, l'ensemble du site étant dans l'attente de l'annonce de ce plan ; cela s'est matérialisé par des grèves de grande ampleur à partir de septembre 2023.

Sachez que Nestlé Waters Vosges était la première usine du groupe que j'avais intégrée, en tant que jeune ingénieur, des années auparavant ; j'avais à coeur, malgré ces difficultés, d'y revenir afin d'assurer sa pérennité ainsi que celle de ses marques emblématiques.

Après la présentation de cette feuille de route, je voudrais maintenant vous donner plus de détails concernant le site.

Nestlé Waters Vosges se compose de deux unités distinctes, celle située sur la commune de Contrexéville, datant de 1956, et celle située sur la commune de Vittel, à quelques kilomètres, construite en 1955.

Nous y embouteillons nos eaux minérales naturelles de Vittel, Contrex et Hépar, à partir de treize forages. En 2024, nous avons embouteillé près de 767 millions de bouteilles sur neuf lignes de production, dont une ligne verre et une ligne de boissons aromatisées. Quelque 576 salariés et 27 alternants et stagiaires travaillent sur le site de Nestlé Waters Vosges et nous avons des liens avec de nombreuses écoles de la région, comme l'université de Lorraine ou le CESI de Nancy. Nous sommes également très engagés en matière de formation : nous avons délivré plus de 10 000 heures de formation professionnelle en 2024. Notre site est le deuxième employeur privé du département.

Mon rôle en tant que directeur d'usine est bien entendu d'assurer la production de nos eaux minérales naturelles, depuis les forages jusqu'au chargement des trains et des camions, tout en respectant des conditions optimales de sécurité, de qualité de nos produits, de conformité à la réglementation et aux standards du groupe, et enfin de respect de l'environnement.

Sur ce volet particulièrement, Nestlé Waters est attaché à ce que notre activité industrielle s'inscrive dans une logique de gestion responsable d'une ressource en eau précieuse, qui est à la fois notre richesse et notre responsabilité.

Un site industriel ne fonctionne pas en vase clos. Il vit à travers les hommes et les femmes qui y travaillent. Il s'ancre dans un territoire et il dépend d'une ressource naturelle qu'il a le devoir de préserver. Nos eaux proviennent d'un territoire unique, dont l'impluvium, à savoir la surface qui collecte les eaux pluviales qui alimentent nos nappes, joue un rôle fondamental non seulement dans la qualité, mais aussi dans la régénération de celles-ci. Cet environnement fait l'objet d'une attention particulière depuis plus de trente ans, avec des actions dédiées à la préservation des écosystèmes qui l'entourent.

Pour illustrer l'engagement de Nestlé Waters Vosges sur ce sujet, j'aimerais m'attarder brièvement sur deux exemples qui illustrent comment nous protégeons notre écosystème de manière concrète.

Le premier concerne les actions de notre filiale Agrivair. La qualité des eaux minérales naturelles des Vosges repose sur un écosystème préservé, dont les périmètres de protection ont été institués par des déclarations d'intérêt public dès 1912 pour Vittel et 1860, pour Contrexéville, par Napoléon III. Ces périmètres protégés permettent de contrôler des projets dont l'activité pourrait altérer la qualité des eaux souterraines.

Nous avons eu très tôt la volonté d'aller plus loin dans la préservation de nos écosystèmes ; c'est pourquoi nous avons engagé, il y a plus de trente ans, un plan de restauration écologique ambitieux avec Agrivair, selon un modèle unique de gestion durable de la ressource en eau.

Créée par Nestlé Waters en 1992, cette structure repose sur une approche collaborative avec les agriculteurs, les collectivités, l'Office national des forêts (ONF) et les instituts de recherche. Son objectif est de préserver durablement la qualité de l'eau en protégeant son environnement naturel.

Cela passe par des pratiques agricoles durables, comme l'interdiction totale des pesticides sur l'impluvium, une fertilisation raisonnée, ainsi que le maintien de prairies permanentes pour favoriser l'infiltration de l'eau et limiter l'érosion des sols. Agrivair soutient également les éleveurs en encourageant un élevage vertueux qui protège les sols et réduit la pression sur la ressource en eau.

En parallèle, 305 hectares de forêts sont gérés durablement en partenariat avec l'ONF. Ces forêts sont en libre évolution, avec des actions de reboisement et d'agroforesterie visant à améliorer la rétention de l'eau, à restaurer les sols et à favoriser la biodiversité.

Quelque 240 kilomètres de haies sont également entretenus durablement pour renforcer les corridors écologiques et la protection des sols. Enfin, dans le cadre des milieux humides, nous avons mené plusieurs projets de renaturation du ruisseau Petit Vair sur certaines parties de son tracé et de préservation des cours d'eau de la Meuse amont ou de la création de mares, de véritables réservoirs de biodiversité.

L'engagement d'Agrivair a été reconnu en 2023 par l'Office français de la biodiversité (OFB), avec l'obtention du label « Entreprises engagées pour la nature ».

Si ces actions visent à préserver la qualité de la ressource, nous avons aussi une responsabilité de gestion durable des volumes prélevés ; ce sera le deuxième exemple de préservation de l'écosystème de notre impluvium que je développerai.

Nestlé Waters s'approvisionne auprès de trois gîtes hydrogéologiques distincts pour ses marques Hépar, Contrex et Vittel. Si les gîtes A et B se régénèrent normalement, le gîte C fait l'objet, lui, d'un plan de rééquilibrage avec la Commission locale de l'eau (CLE), visant un retour à l'équilibre d'ici à 2026.

Je sais que ces éléments ont été précédemment évoqués, parfois en détail, dans des auditions antérieures à la mienne. Mais, au-delà des prélèvements de Nestlé Waters Vosges, l'objectif à l'horizon 2027 est d'atteindre collectivement un prélèvement du gîte C inférieur à 2,5 millions de mètres cubes prélevés par an, soit une baisse de 40 % par rapport à 2018.

Je tiens tout de même à indiquer que nos propres prélèvements sur ce site ont déjà été réduits de 80 % en dix ans et ne représentent plus, à l'heure actuelle, que 10 % des prélèvements totaux.

Concernant les efforts pour réduire notre consommation d'eau, nous avons mis en place un programme de réduction de consommation qui réutilise les eaux claires du site pour les applications d'eau industrielle. Quelque 100 000 mètres cubes d'eau sont économisés chaque année grâce à cette installation, contribuant ainsi à une réduction significative de notre empreinte hydrique.

Cette initiative s'inscrit dans une démarche plus large de gestion durable, validée par une certification internationale et indépendante, AWS (Alliance for Water Stewardship), qui garantit une approche concertée et responsable avec les acteurs du territoire.

Enfin, depuis 2023, nous participons aux travaux de l'Observatoire hydrogéologique dans le schéma d'aménagement et de gestion des eaux (Sage). Cet observatoire a pour but notamment de structurer la connaissance sur l'eau et de concevoir une plateforme numérique permettant de suivre les indicateurs d'état ou de gestion de la ressource.

Dans ce cadre, l'étude d'impact environnemental conduite sur la période 2021-2022 a par exemple démontré que nos prélèvements sur les gîtes A et B préservent leur équilibre quantitatif.

Avant de conclure et de répondre à vos questions, je voudrais souligner maintenant une difficulté qui me semble importante. Je comprends qu'une procédure pénale est en cours sur des faits sur lesquels votre commission se penche également.

Dans ces conditions et sur les conseils de mon avocat, je vous informe, avec tout le respect que je dois à votre commission, à ses membres et à la représentation nationale, que si vous étiez amené à me poser des questions en lien avec cette procédure, je ne pourrais y répondre.

Pour clore ce propos liminaire, je soulignerai que diriger un site comme celui des Vosges, avec son histoire, ses équipes aussi engagées que passionnées, et son enracinement territorial fort, est une responsabilité, mais aussi une grande fierté partagée.

Chaque jour, nous oeuvrons pour préserver une ressource précieuse, garantir un avenir durable à notre activité et faire reconnaître le savoir-faire des femmes et des hommes qui font vivre ce site.

Au-delà de la protection d'une industrie, la préservation de l'eau, c'est surtout la défense de nos territoires et d'un patrimoine.

Je vous remercie pour votre attention et me tiens à votre disposition pour répondre à vos questions.

M. Laurent Burgoa, président. - Je veux vous dire, comme je l'ai dit à l'ancien directeur du site du Gard, que cette commission d'enquête n'est pas un tribunal. Nous avons beaucoup échangé avec votre conseil. Le Sénat a déjà mené des commissions d'enquête alors que des informations judiciaires étaient ouvertes à l'encontre de personnes auditionnées. Ainsi de celle qui avait entendu Monsieur Benalla : elle était présidée par mon ancien collègue, Monsieur Philippe Bas, un futur membre du Conseil constitutionnel!

Nous ne sommes pas là pour juger. Comme parlementaires, nous voulons déterminer si l'État a tout mis en oeuvre pour contrôler ces irrégularités. Nous ne sommes pas là pour connaître la typologie des infractions, qui concerne le volet pénal.

Hier, nous avons entendu l'ancien directeur général de la santé. Pour lui, il ne s'agit pas d'un problème sanitaire, mais de tromperie, ce qui relève d'un autre ministère. Nous laisserons la justice traiter de la qualification des faits.

Nous sommes là pour voir si les services de l'État ont bien contrôlé quelque chose qui était irrégulier. Tout le monde a convenu qu'il y avait eu des irrégularités. Votre groupe même est venu au ministère de l'industrie pour faire part de ces irrégularités.

Nous sommes très attachés à la séparation des pouvoirs.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Comme votre collègue qui vous a précédé devant nous cet après-midi, vous avez eu un mot sur la presse. C'est bien grâce aux révélations de la presse qu'une tromperie commerciale, estimée à 3 milliards d'euros par les services de la direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF), a été mise au jour. La presse a fait son travail.

Nous allons entendre Agrivair pour voir ce que fait Nestlé Waters pour préserver les terres et les écosystèmes. Nous avons la volonté de comprendre les efforts déployés par votre groupe.

Pourriez-vous revenir sur vos fonctions précédentes ? Vous étiez, je crois, directeur de l'ingénierie de Nestlé Waters. Pourriez-vous nous indiquer précisément quelle était votre fiche de poste, le périmètre de votre mission ?

M. Luc Desbrun. - J'ai pris cette fonction en 2019. J'ai été chargé de l'Engineering Hub, c'est-à-dire d'un groupe d'ingénieurs disséminés dans les usines du groupe. Personnellement, j'étais en charge de tous les investissements qui étaient supérieurs à 10 millions de francs suisses - Nestlé est un groupe suisse.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - C'est-à-dire la supervision : vous planifiiez, suiviez la mise en oeuvre de tous les investissements supérieurs à cette somme ?

M. Luc Desbrun. - Tout à fait.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Sur le site de Perrier, ce vaste plan de transformation relevait de votre compétence ?

M. Luc Desbrun. - Effectivement, j'ai eu l'occasion d'avoir un projet sur l'usine de Perrier. Je n'ai compris que plus tard que ce projet était en lien avec le plan de transformation. Le projet consistait à implanter un nouveau stockage d'eau, ainsi qu'une distribution.

À l'époque, dans mes fonctions précédentes, mon rôle se limitait à l'arrivée de l'eau sur l'usine et la distribution sur les groupes d'embouteillage. Je n'ai pas su, à l'époque, que ce projet faisait partie du plan de transformation.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Quand vous exerciez ces fonctions, avez-vous eu à connaître d'un plan sur le site des Vosges, ou sur d'autres sites en France du groupe Nestlé ?

M. Luc Desbrun. - Non. J'ai eu plusieurs projets sur le site des Vosges - notamment une ligne aseptique, une ligne 6 litres - mais jamais liée au plan de transformation sur le site des Vosges.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Pour bien comprendre, intéressons-nous au site des Vosges, que nous n'avons pas visité, contrairement à celui du Gard. Nous avons forcément une vision un peu différente.

Vous arrivez en 2023.

M. Luc Desbrun. - Oui.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - À quel moment avez-vous eu connaissance de ce qui s'était joué dans les Vosges et des traitements irréguliers, illégaux ? Par quel truchement l'apprenez-vous, sachant que cela fait trente ans que vous travaillez chez Nestlé ?

M. Luc Desbrun. - De la plus simple des manières : je suis informé par mon responsable hiérarchique de l'époque et par mon prédécesseur.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - En 2023, il n'y avait pas encore eu les révélations de la presse. Que vous dit-on alors ?

M. Luc Desbrun. - Ils m'expliquent qu'un plan de transformation est en cours sur le site et que, comme je l'ai expliqué dans mon propos liminaire, j'étais chargé de terminer ce plan, qui ne l'était pas tout à fait alors. Il reste des investissements en cours de 17 à 20 millions d'euros devant se terminer tout début 2026.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Au moment où vous prenez vos fonctions, y a-t-il une partie des traitements illégaux qui sont encore en place ? Je pense notamment aux lampes à UV et aux filtres à charbon. Ou bien tous ces traitements étaient-ils déjà retirés ?

M. Luc Desbrun. - Le jour où je prends mes fonctions, tous les traitements non conformes à la réglementation ont déjà été retirés. Ils ont été retirés en 2022.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Lorsque vous prenez vos fonctions, comprenez-vous quelle était l'utilité de ces traitements illégaux ? Est-ce que vous comprenez la manière dont ils ont été utilisés ? J'imagine que vous avez eu cette discussion avec votre prédécesseur, pour savoir pourquoi on transforme, ce qu'on transforme et comment on transforme.

M. Luc Desbrun. - Je n'ai pas eu, à cette époque, d'explications complètes. Rappelez-vous, je n'ai pas pu voir les traitements non conformes à la réglementation. Je ne connais pas l'étendue de ces dispositifs. À cette époque, non, je n'ai pas eu connaissance des raisons pour lesquelles ces traitements avaient été mis en place.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Depuis cette époque, et pour préparer cette audition, avec votre avocat, j'imagine que vous avez eu cette discussion pour comprendre ce qui s'était passé sur votre site, sachant que vous alliez devant une commission d'enquête qui allait vous interroger sur ces faits. Dans votre compréhension, à quoi servaient ces filtres installés sur les usines des Vosges ?

M. Luc Desbrun. - Encore une fois, je n'ai pas vu le détail de ces dispositifs. Ce n'est pas à moi de répondre à cette question. Je n'étais pas en fonctions à l'époque de ces traitements non conformes. Ce n'est pas moi qui les ai installés. Aujourd'hui, en tant que directeur d'usine, je ne peux pas répondre à cette question.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Sous couvert de notre président, je tiens à vous dire que vous devez répondre à cette question. Devant une commission d'enquête, il n'y a pas de droit au silence qui puisse être exercé. Si vous avez eu connaissance de ces traitements, si vous saviez à quoi servaient ces filtres, vous devez me répondre.

M. Luc Desbrun. - Je vais le répéter : je n'ai pas eu l'occasion de voir ces dispositifs.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Ce n'est pas ma question. Savez-vous à quoi servaient ces filtres ?

M. Luc Desbrun. - Je ne peux pas expliquer à quoi servaient ces filtres.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Est-ce que vous le savez ?

M. Luc Desbrun. - Je ne sais pas, et ce n'est pas à moi de vous répondre sur les raisons pour lesquelles ces traitements ont été mis en place.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Il y a une différence assez fondamentale. Le directeur qui vient de sortir de cette commission d'enquête nous a expliqué, après un moment de discussion, pourquoi ces filtres ont été mis en place à proximité de forages : ç'aurait été dû à la vétusté d'un certain nombre de ces forages. Partagez-vous cette analyse sur le site des Vosges, ou sur ce qu'on a pu vous en dire ?

M. Luc Desbrun. - Non, je ne la partage pas, dans le sens où, encore une fois, je n'ai pas assez de connaissances. Je n'ai pas vu ces filtres. Quand je suis arrivé dans mes fonctions, tous les traitements avaient été enlevés. Je n'ai rien vu. Il est extrêmement difficile aujourd'hui de vous dire à quoi ils servaient. Ce serait de la pure spéculation. J'ai bien sûr ma petite idée, mais je ne peux pas aujourd'hui vous l'expliquer.

M. Laurent Burgoa, président. - Justement, c'est votre petite idée qui nous intéresse.

Vous dites que vous n'avez pas eu connaissance de ces dispositifs. Je vous crois, puisque vous êtes arrivé sur le site des Vosges après leur enlèvement. Vos propos sont cohérents par rapport aux faits.

Mais il y a des anciens sur le site des Vosges. Les gens parlent ! Lorsque nous avons visité le site de Vergèze, les salariés nous ont dit qu'à l'époque, l'ARS avait attiré leur attention sur une armoire coulissante, ils nous ont montré l'endroit...

Quelqu'un a dû vous en parler lorsque vous êtes arrivé ! Que vous ne connaissiez pas le dispositif précis, certes, mais on vous a aussi peut-être emmené sur les lieux en vous disant qu'à une époque, il y avait un dispositif là.

M. Luc Desbrun. - Effectivement, j'ai été amené sur les lieux.

M. Laurent Burgoa, président. - C'est cela que le rapporteur voulait savoir.

M. Luc Desbrun. - La question est-elle si je savais où étaient placés les filtres ?

M. Laurent Burgoa, président. - Oui, vous a-t-on montré l'emplacement de ces dispositifs ?

M. Luc Desbrun. - Tout à fait.

M. Laurent Burgoa, président. -... que vous n'avez pas vus, car ils avaient été enlevés ?

M. Luc Desbrun. - Exactement. Cela, je peux le confirmer. Je sais à peu près où étaient les équipements, mais je ne les ai pas vus. Je ne peux pas les décrire.

M. Laurent Burgoa, président. - Dans le Sud, nous sommes toujours attentifs aux « petites idées ». Pouvez-vous nous expliciter votre petite idée ?

M. Luc Desbrun. - Non, ce serait pure spéculation que d'essayer de vous expliquer ces dispositifs ; je n'ai jamais vu le détail de ces installations.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Vous refusez de faire un raisonnement hypothétique ; vous refusez aussi de nous dire si vous avez eu une conversation avec quelqu'un qui vous a explicité ce qui s'est passé. Je vous demande si l'on vous a expliqué les choses, et vous me répondez que vous ne les avez pas vues. Ma question est : vous a-t-on expliqué ce qui s'est passé au sein de votre groupe ?

M. Luc Desbrun. - Non, jamais en détail. Ma réponse est très claire.

M. Laurent Burgoa, président. - Vous m'avez dit qu'on vous avait raconté, au sein de l'entreprise, où cela s'était passé.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Mais pas les raisons ?

M. Luc Desbrun. - Non. Je ne connais pas les raisons. Je connais l'existence, bien sûr, parce que cela faisait partie du plan de transformation, mais je ne connais pas les raisons.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Où se trouvaient ces traitements illégaux ? À l'émergence ou à un autre endroit du processus, vu que vous avez vu l'endroit sur le site ? Cela va nous permettre de faire les déductions...

M. Luc Desbrun. - Il y avait plusieurs cas.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - À la fois à l'émergence et au niveau du processus de production ?

M. Luc Desbrun. - Tout à fait.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Parfois sur la même ligne, à différents endroits ?

M. Luc Desbrun. - Non, jamais sur la même ligne, mais à différents endroits oui.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - À différents endroits sur différentes lignes ?

M. Luc Desbrun. - Oui.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Parfois à l'émergence, parfois ailleurs ?

M. Luc Desbrun. - Tout à fait. Cela a été visité par la Commission européenne, par l'ARS. Il n'y a rien à cacher sur l'emplacement.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Pour être franc, à Vergèze, on nous a montré un certain nombre d'emplacements. Il n'y a pas de sujet sur ce point.

Mais nous sommes surpris de la difficulté du groupe Nestlé à nous expliciter les raisons de sa fraude. C'est un problème.

J'essaie de comprendre quel était l'état du site dans les Vosges, que vous dirigez désormais.

Pouvez-vous nous dresser l'historique des puits qui ont été fermés et des raisons pour lesquelles ils ont été fermés, afin que nous comprenions comment fonctionnaient les différents sites et la manière dont cela s'est passé ?

M. Luc Desbrun. - Encore une fois, je n'étais pas là à l'époque des faits. Je vous dirai ce que je sais sur ces forages.

Deux forages ont été fermés sur le réseau Contrex à la suite du retrait des traitements non conformes, en octobre et novembre 2022.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - L'eau de ces forages ne présentait-elle plus les caractéristiques d'une pureté originelle à l'émergence ? Est-ce la raison de l'arrêt de ces forages ?

M. Luc Desbrun. - Je n'étais pas là. Je ne peux pas vous le confirmer.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Certes, mais c'est toujours la même eau qui est dessous.

M. Luc Desbrun. - Je le suppose. Comme l'a dit mon collègue, aujourd'hui, c'est plus l'ouvrage qui pose problème.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Le problème n'est pas la ressource, mais la qualité de l'ouvrage qui permet l'extraction ?

M. Luc Desbrun. - Oui.

Ces deux forages sont arrêtés en octobre et novembre 2022, en même temps que l'arrêt des traitements non conformes.

Les traitements non conformes à la réglementation de deux autres forages sont arrêtés le 3 juin 2022. Ces forages resteront en place jusqu'au 5 mai 2023.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Je n'ai pas compris : ils ont été arrêtés en juin 2022, mais sont restés en place jusqu'en mai 2023 ? Pouvez-vous nous expliquer cela ?

M. Luc Desbrun. - Les traitements non conformes à la réglementation ont été retirés du réseau de ces deux forages le 3 juin 2022, et les forages ont été suspendus le 5 mai 2023.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Que se passe-t-il dans l'intervalle ? Vous avez alors un problème de qualité de l'eau sur ces forages, puisque les traitements ont été arrêtés. Que se passe-t-il entre juin 2022 et mai 2023 sur ces forages ? Supposons que ces traitements illégaux servaient à assurer la qualité de l'eau. Comment fonctionnez-vous sur cette période ?

M. Luc Desbrun. - Cela fait partie du plan de transformation discuté avec nos ARS. En pure transparence, nous avons continué la production avec ces deux forages.

À côté de ces deux forages, il y avait un plan de remédiation. Le groupe a essayé, avant que j'arrive, de trouver des solutions pour que ces forages puissent retrouver une stabilité et être conservés dans le mélange. Malheureusement, et cela s'est passé sept à huit semaines après ma nomination comme directeur de l'usine, nous avons décidé de les suspendre. Le plan de remédiation auquel nous avions travaillé s'est révélé beaucoup plus complexe que prévu. Le groupe a décidé, proactivement, de suspendre ces forages.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Rassurez-nous : à partir de juin 2022, vous enlevez les traitements, mais vous installez les microfiltrations à 0,2 micron. Est-ce bien cela ?

M. Luc Desbrun- Je ne peux pas vous dire quand les microfiltrations à 0,2 micron ont été installées. À mon arrivée en mars 2023, elles sont déjà présentes sur le process.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - De mars à mai, la microfiltration est donc présente sur le process ; elle permet de sécuriser les eaux, une fois que les traitements ont été retirés...

M. Luc Desbrun- Je ne dirais pas cela. La sécurité alimentaire - je suppose que c'est là que vous voulez en venir - n'a pas été un sujet. Nos systèmes de qualité comportent un mélange de microfiltration et de cycles de nettoyage. Des plans de nettoyage stricts nous permettent de maintenir l'hygiène de nos lignes. S'y ajoutent des plans de contrôle et un système de qualité qui nous permettent de garantir la sécurité alimentaire. Je le redis : la sécurité alimentaire - cela a été explicité par la convention judiciaire d'intérêt public (CJIP) - n'a jamais été un sujet pour Nestlé Waters Vosges sur la période.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Si je résume, c'est donc le mélange de la microfiltration et des nettoyages auxquels vous procédez qui assure la qualité de l'eau.

M. Luc Desbrun- Il faut y ajouter le plan de contrôle.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - La microfiltration joue donc tout de même pour vous un rôle hygiénisant.

M. Luc Desbrun. - C'est l'équilibre entre le plan de nettoyage et la microfiltration qui nous permet de contrôler l'apparition de biofilms dans nos installations. L'ensemble du système nous permet de garantir la sécurité alimentaire pour le consommateur.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Ce point est important pour nous. Je vous remercie d'avoir quelque peu clarifié le rôle de la microfiltration. Les forages que vous évoquez ici sont-ils bien les forages Hépar ?

M. Luc Desbrun- Oui, tout à fait.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Vous avez évoqué deux forages, puis deux autres, soit quatre forages au total.

M. Luc Desbrun- Quatre forages ont été suspendus.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - D'autres ont-ils été ouverts afin de compenser cette suspension ? Je voudrais comprendre si la qualité de l'eau a été maintenue. Si vous aviez fait un forage à proximité, auriez-vous pu redémarrer l'exploitation ?

M. Luc Desbrun- C'est un peu plus compliqué que cela. Étant en surcapacité sur le réseau Contrex, nous n'avons pas eu besoin de capacités additionnelles. Sur le réseau Hépar en revanche, nous avons perdu de la capacité à l'occasion de la suspension de ces deux forages.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Si le sujet portait non pas sur la pureté originelle de l'eau, mais sur l'ouvrage, qu'est-ce qui vous empêchait de forer juste à côté et de récupérer l'eau, si elle était de bonne qualité ?

M. Luc Desbrun- L'aquifère des Vosges est fracturé, il est extrêmement difficile de trouver des ressources additionnels sur le réseau d'Hépar. Nous cherchons en vain depuis plusieurs années des forages supplémentaires et nous n'avions pas à l'époque, pour l'eau minérale Hépar, de forages en réserve qui nous auraient permis de compenser les forages suspendus.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Comment expliquez-vous la dégradation de la qualité de ces forages ? Sont-ils anciens ? Est-ce dû à un problème de maintenance ? À titre de comparaison, sans vouloir distribuer les bons et les mauvais points, les responsables de Danone nous ont dit, pour un certain nombre de sites, qu'ils n'ont jamais eu à fermer un seul forage et que leurs forages sont entretenus. Comment expliquez-vous les problèmes que vous avez rencontrés ?

M. Luc Desbrun- N'étant pas hydrogéologue, il m'est assez difficile de répondre. À gros traits, j'évoquerai un mélange entre des conditions atmosphériques - il y a eu plusieurs inondations dans le Gard et nous connaissons également des épisodes de ce type de plus en plus fréquemment -, la vétusté des forages et les caractéristiques du sous-sol, qui peut être plus fragile et plus perméable qu'un autre. La profondeur du forage a pu jouer également sur le réseau d'Hépar, les eaux étant assez proches de la surface. Je le répète, le plan de remédiation envisagé n'a pas pu aboutir. Les recherches sur ces deux forages suspendus sont complexes et n'ont toujours pas donné de résultats.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Pouvez-vous m'apporter une précision ? L'ARS a déterminé que de la matière fécale avait été retrouvée dans les analyses effectuées sur l'un des forages, ce qui justifiait la fermeture. Cela vient quelque peu contredire vos propos. Confirmez-vous la présence de matière fécale sur l'un des forages ?

M. Luc Desbrun- C'est possible, sur l'un des forages qui ont été suspendus ou fermés avant mon arrivée. Je n'en sais pas plus.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Sur le forage Essar, en novembre 2022 ?

M. Luc Desbrun- Je ne sais pas, je n'étais pas sur place.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Comment pouvez-vous nous assurer que la qualité de l'eau et sa pureté originelle sont garanties, alors que des rapports montrent le contraire ?

M. Luc Desbrun- Attention, je n'ai jamais dit que la pureté originelle était garantie.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Je vous ai demandé tout à l'heure si la pureté originelle avait été conservée et vous m'avez répondu que oui.

M. Luc Desbrun- Peut-être me suis-je mal exprimé. La pureté originelle sur ce forage n'était pas garantie. C'est d'ailleurs l'unique raison pour laquelle nous avons suspendu les deux forages d'Hépar. La pureté originelle et la stabilité du forage n'étaient plus assurées.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - La pureté originelle fait référence à l'eau. Si je comprends bien, c'est le forage lui-même qui détériore la qualité de l'eau...

M. Luc Desbrun- Oui.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Est-ce, au contraire, l'eau qui pose un problème de pureté originelle ?

M. Luc Desbrun- Je vais l'exprimer différemment : l'eau que nous prélevions de ce forage ne présentait plus les conditions de stabilité requises par la réglementation relative à l'eau minérale.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Il y a donc bien un problème de pureté originelle de l'eau, avec une présence de matière fécale qui a été remontée par l'inspection de l'ARS.

J'en viens à ma dernière question sur la période précédant votre arrivée. Les prochaines porteront sur la période durant laquelle vous étiez en place. Connaissez-vous les raisons pour lesquelles c'est en avril 2022, soit près d'un an après les révélations au niveau ministériel d'août 2021, que les problèmes rencontrés sur le site sont portés à la connaissance des autorités, que les services de l'État organisent une visite et constatent les différents systèmes de fraude qui étaient en place ? Avez-vous échangé avec votre prédécesseur à ce sujet ? Pourquoi les choses se passent-elles à ce moment-là dans les Vosges ?

M. Luc Desbrun- Clairement non. Je n'ai jamais été informé des relations avec les autorités avant mon arrivée.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Étiez-vous déjà en fonction en avril 2023 ?

M. Luc Desbrun- Oui.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Dès le 17 avril 2023, Nicolas Bouvier envoie à Mathilde Bouchardon, conseillère auprès du ministre de l'industrie, des « éléments de langage » prévus pour le comité social d'entreprise (CSE) et pour les médias concernant « la suspension de deux forages qui serait susceptible d'avoir un impact en termes d'emploi ». Le 15 mai, il lui transmet le contenu de l'annonce qui sera faite en CSE le 16 mai. Êtes-vous directement ou indirectement à l'origine de cette transmission d'informations à Mme Bouchardon ?

M. Luc Desbrun- Ni directement ni indirectement.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Ce n'est pas quelque chose que Nestlé vous a demandé de faire ?

M. Luc Desbrun- Non.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Selon votre analyse, dans quel but ces informations ont-elles été transmises ?

M. Luc Desbrun- Ne connaissant pas le détail de ces informations, je ne pourrais pas répondre à cette question. J'en suis désolé.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Je reviens sur les décisions qui ont été prises au sujet de l'eau d'Hépar. Le 5 mai 2023, les forages Hépar Nord et Hépar Essar ont été mis à l'arrêt...

M. Luc Desbrun- Ils ont été suspendus, si je puis me permettre de vous reprendre, monsieur le rapporteur.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Pouvez-vous nous indiquer la différence que vous faites entre « suspendus » et « mis à l'arrêt » ?

M. Luc Desbrun- Ces forages sont suspendus : cela signifie que, si nous parvenons à trouver l'origine des déviations constatées sur l'eau qui en est prélevée, nous gardons la possibilité de les réintégrer dans le mélange, c'est-à-dire dans la liste des forages servant à embouteiller l'eau d'Hépar.

M. Laurent Burgoa, président. - Sans faire de jeu de mots, aujourd'hui ils sont toujours à l'arrêt...

M. Luc Desbrun- Aujourd'hui, ils sont toujours suspendus.

M. Laurent Burgoa, président. - Nous sommes sur la même longueur d'onde.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - En conséquence, la production d'Hépar se poursuit avec un mélange différent ?

M. Luc Desbrun- Oui.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Cela vous a-t-il amené à changer l'étiquette ?

M. Luc Desbrun- Non, car le mélange issu des quatre forages restants sur le site nous a permis de conserver la minéralisation qui est déclarée - elle ne figure pas seulement sur l'étiquette - dans notre arrêté. Cette minéralisation n'a pas changé.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - La question s'est-elle posée, à un moment, de l'arrêt pur et simple d'Hépar ? Nous en voyons quelques indices dans les différents dossiers. Cela a-t-il été envisagé chez Nestlé ?

M. Luc Desbrun- Jamais, depuis mon arrivée, il n'a été envisagé d'arrêter Hépar sur le site de Nestlé Waters Vosges.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Pour Perrier, à Vergèze, il a été décidé de passer par le déclassement pour continuer d'exploiter les forages sous l'appellation « eau de boisson », et de vendre les bouteilles sous la marque Maison Perrier. Cette hypothèse a-t-elle été envisagée chez vous ? Vous êtes-vous posé, pour Hépar, la question du déclassement ? Peut-être y réfléchissez-vous aujourd'hui ?

M. Luc Desbrun- Cela a été envisagé, mais la réponse est très simple. Les eaux minérales qui sont embouteillées sur le site de Nestlé Waters Vosges, notamment Hépar, sont trop fortement minéralisées pour être classifiées en eaux de boisson.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - C'est donc la faible minéralité chez Perrier qui permet ce déclassement.

M. Luc Desbrun- Je ne peux pas dire ce qui se passe à Vergèze. Ne me faites pas dire ce que je n'ai pas dit.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Aucun problème, vous n'avez rien dit de grave.

Si mes informations sont correctes, vous avez demandé, le 5 mai 2023, jour de l'arrêt de forages Hépar, une révision des autorisations d'exploitation des sources d'Hépar et de Contrex pour y autoriser le recours à la microfiltration à 0,45 micron. Est-ce exact ?

M. Luc Desbrun- Sur Hépar, nous sommes actuellement à 0,2 micron de filtration.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Cette demande d'autorisation a quelque chose d'assez paradoxal.

M. Luc Desbrun- La demande d'autorisation visait à maintenir la microfiltration à 0,2 micron qui est issue du plan de transformation. En d'autres termes, le plan de transformation incluait une microfiltration à 0,2 micron sur le réseau Hépar. Dans la perspective de l'arrêté dont l'instruction est en cours, nous avons confirmé cette demande.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Il y a eu en effet une demande en deux temps. Selon mes informations, vous demandez 0,45 micron le 5 mai 2023, puis 0,2 le 29 mars 2024. Vous demandez donc 0,45 le jour de l'arrêt des forages. Pensez-vous qu'une microfiltration à 0,2 micron sur ces forages permettrait le redémarrage des forages d'Hépar ?

M. Luc Desbrun- Non, cela n'a rien à voir. Nous avons suspendu les forages parce qu'ils ne répondaient plus aux critères réglementaires de l'eau minérale. Cela n'a rien à voir avec un traitement ni avec la pureté originelle de la source.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - J'ai une dernière question sur la microfiltration à 0,2 micron, car je m'étonne quelque peu des explications qui nous sont données. À Vergèze, la microfiltration à 0,2 micron a été justifiée par l'étendue du site. Les concurrents de Nestlé Waters avec qui nous avons discuté nous expliquent qu'ils se sont mis avec facilité au diapason de la réglementation, qu'ils ont aussi de vastes usines avec un nombre de forages très importants, notamment sur les sites d'Évian ou de Volvic, et que finalement, la solution pour éviter les biofilms que vous évoquez, vous et votre collègue de Vergèze, s'appelle le nettoyage des infrastructures.

Vous évoquez pour votre part une forme de combinaison d'un nettoyage et d'une microfiltration à 0,2 micron. Pouvez-vous nous en dire plus ? Nous pourrions en tirer la conclusion sans doute hâtive que la microfiltration est un moyen de réduire la maintenance des infrastructures.

M. Luc Desbrun- Je vais vous expliquer ce qu'est pour nous le « 0,2 » à Nestlé Waters Vosges. Premièrement, le filtre de 0,2 micron présente la caractéristique importante de conserver le constituant essentiel de l'eau minérale, c'est-à-dire la minéralisation. Il faudrait descendre au niveau de la nanofiltration pour déceler un impact sur la composition chimique de nos eaux.

Deuxièmement, ces filtres ne désinfectent pas l'eau. Comme tous les autres traitements qui sont conformes à la réglementation, ils ont bien sûr un impact sur la flore naturelle de l'eau, mais ils laissent passer une partie de cette flore, qui va se retrouver et se redévelopper dans la bouteille. Nous avons fourni à ce sujet de nombreuses études aux administrations, nationales ou locales, afin de prouver cet effet.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Ce point est très important pour nous. Avez-vous les dates de la transmission de ces études à l'Agence nationale de sécurité sanitaire de l'alimentation, de l'environnement et du travail (Anses) par exemple ? À Vergèze, on nous a dit de la même manière que des informations avaient été transmises à de nombreuses reprises à l'Anses. Or nous n'en trouvons aucune trace. Disposez-vous d'éléments aujourd'hui - ou en disposerez-vous dans les jours qui viennent - qui vous permettent d'étayer votre affirmation ?

M. Luc Desbrun- Je serai transparent avec vous : ces informations ont été transmises par une organisation qui se situe à un échelon supérieur à l'usine. Je ne peux donc pas vous donner de date.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - De quelle organisation s'agit-il s'il vous plaît ?

M. Luc Desbrun- Je ne sais pas, mais je pourrai vous répondre ultérieurement.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Les personnes en question vous auraient-elles dit, en préparation de cette audition, qu'elles les avaient transmises à de nombreuses reprises ?

M. Luc Desbrun- Pas seulement en préparation de cette audition : je savais que ce dossier avait été envoyé, que des tests avaient été effectués sur le site des Vosges et que tous les résultats avaient été compilés et envoyés aux autorités. En revanche, j'ignore quels sont exactement les services de Nestlé qui sont à l'origine de cet envoi.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - C'est noté. Si vous pouviez porter à nouveau notre demande d'obtenir des preuves de l'envoi aux ARS comme à l'Anses - puisque cela nous a été dit à Vergèze par Madame Lienau - d'éléments tendant à montrer que la microfiltration à 0,2 micron n'affectait pas le microbisme de l'eau, nous vous en serions reconnaissants. Cette question est au coeur du sujet réglementaire.

Vous avez évoqué tout à l'heure votre supérieur hiérarchique au moment de votre arrivée. Nous aimerions connaître également le nom de votre prédécesseur. Il pourrait être en situation de répondre aux questions auxquelles vous n'avez pas pu répondre.

M. Luc Desbrun- Il s'agit de Monsieur Ronan Le Fanic.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Est-il toujours en poste chez Nestlé ?

M. Luc Desbrun- Oui.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Et quel est le nom de la personne qui était votre supérieur hiérarchique lorsque vous avez pris vos fonctions ?

M. Luc Desbrun- Il s'agit de Monsieur David Vivier.

Permettez-moi de poursuivre mon explication sur la microfiltration à 0,2 micron. Celle-ci respecte, comme je l'ai expliqué, les constituants essentiels de l'eau minérale. Elle ne désinfecte pas l'eau. Une partie de la flore passe à travers le filtre et se redéveloppe dans la bouteille ; c'est tout l'objet des études que nous avons fait parvenir. Comme je l'ai exposé précédemment, cette microfiltration nous permet de garantir la sécurité alimentaire en combinaison avec des cycles de nettoyage stricts et un plan de contrôle. Nous réalisons ainsi sur le site Nestlé Waters Vosges plus de 800 analyses par jour. En résumé, cette microfiltration garantit la sécurité alimentaire sans altérer la composition minérale, tout cela dans le respect de la réglementation actuelle.

Le contexte des Vosges est assez spécifique : le site s'étend sur 44 hectares et nos tuyauteries sont longues de plusieurs dizaines de kilomètres. Notre eau est par ailleurs très fortement minéralisée, bien plus que la moyenne des eaux minérales en France. Dans ce contexte, nous utilisons ces filtres à 0,2 micron, parce qu'ils préviennent et ralentissent la formation de biofilms. Enfin, je voudrais rappeler qu'à ce jour, il n'existe à ma connaissance aucun texte officiel interdisant l'usage des filtres à 0,2 micron.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Nous ne referons pas le débat sur le sujet, mais à notre connaissance, il n'existe aucun texte qui l'autorise et la liste des traitements est limitativement autorisée par la directive.

M. Laurent Burgoa, président. - Nous dirons que c'est flou.

Mme Marie-Lise Housseau. - Lorsque vous prenez vos fonctions en mars 2023, la situation est déjà considérablement détériorée : il y a eu un rapport de l'ARS et le préfet est au courant des problèmes. Dans votre présentation, vous avez utilisé les mêmes éléments de langage que votre homologue de Vergèze : on vous a dit qu'il y avait eu des irrégularités, mais qu'un projet de transformation était en cours ; il vous a été demandé de mettre en place ce projet très ambitieux - 20 millions d'euros en ce qui vous concerne, 50 millions d'euros pour votre collègue - ; on relève le challenge et on y va !

Comment expliquez-vous que vous n'ayez pas été plus curieux que cela, sachant que le dossier était déjà pratiquement entre les mains de la justice ? Pourquoi n'avez-vous pas cherché à savoir ce qui s'était précisément passé ? En tant que directeur, vous deviez bien vous douter que si les procédures avançaient, elles allaient bien, un jour ou l'autre, vous retomber dessus ? Pourquoi n'avez-vous pas été plus incisif ?

Par ailleurs, savez-vous pourquoi votre prédécesseur est parti ? En effet, les deux cas sont similaires : le directeur s'en va ; il y a des problèmes ; on met en route un plan de transformation et on embauche un nouveau directeur. Ces coïncidences sont frappantes. Avez-vous des explications à ce sujet ?

M. Luc Desbrun- Comme je le rappelais dans mon propos liminaire, je suis arrivé avec une feuille de route. L'organisation de Nestlé est très compartimentée. J'ai appliqué ma feuille de route, qui consistait dans la mise en place d'un plan de transformation, ce à quoi je me suis attaché. Je vous rappelle que j'avais en parallèle un plan de sauvegarde de l'emploi à mettre en place. Ma priorité n'était pas de faire une chasse aux sorcières dans l'usine. Je devais plutôt rassembler les équipes autour d'un nouveau projet pour aller de l'avant.

M. Laurent Burgoa, président. - Il me semble que Madame Housseau n'a pas parlé de chasse aux sorcières. Elle s'interrogeait plutôt sur votre trait de personnalité. Par curiosité, vous auriez pu vous intéresser à ce qu'il s'était passé. Il est important de connaître l'histoire du site.

Mme Marie-Lise Housseau. - En général, quand on prend un nouveau poste, on cherche à savoir où l'on met les pieds.

M. Luc Desbrun. - Je suis désolé, mais je ne commenterai pas ma personnalité. Je le répète, la mission qui m'a été confiée consistait à mettre en oeuvre un plan de transformation. J'ai appliqué ce dernier et je n'ai pas d'autres commentaires à faire sur le passé. Je n'étais pas là à cette époque et je n'étais pas responsable de l'usine.

Concernant votre deuxième question sur l'embauche des directeurs, les directeurs d'usine se succèdent tous les trois à cinq ans. Monsieur Fehrenbach est resté en poste quatre ou cinq ans, j'occupe mes fonctions depuis deux ans et mon prédécesseur était en place depuis quatre ou cinq ans à mon arrivée. Il s'agit là de rotations normales pour des directeurs d'usine. C'est une question de ressources humaines plus que de plans de transformation.

Mme Marie-Lise Housseau. - Nous avons auditionné les maires de Contrexéville et de Vittel, ainsi que la nouvelle préfète et le préfet de l'époque, et nous avons abordé la CJIP qui a été mise en place. Avez-vous pris part aux négociations sur cette convention ?

M. Luc Desbrun- Non, je n'ai pas pris part personnellement, en tant que directeur d'usine, aux négociations sur la CJIP.

Mme Marie-Lise Housseau. - Est-ce le cas de votre prédécesseur ?

M. Luc Desbrun- Je ne pense pas qu'il ait été impliqué non plus.

Mme Marie-Lise Housseau. - Qui, dès lors, a négocié la CJIP ?

M. Luc Desbrun- Je ne peux pas vous dire.

Mme Marie-Lise Housseau. - Il y a eu des réunions publiques. Aussi bien la nouvelle préfète que l'ancien préfet nous ont dit que le procureur était intervenu. Qui donc, chez Nestlé, était à l'initiative de cette CJIP ?

M. Luc Desbrun- Je suis désolé, je n'ai pas la réponse à cette question.

Mme Marie-Lise Housseau. - Vous connaissez tout de même le contenu de cette convention, les montants...

M. Luc Desbrun- Oui, tout à fait, je connais très bien la CJIP. Je l'ai lue. Je l'ai découverte par voie de presse et j'en ai été informé au dernier moment. Je n'ai nullement participé à son élaboration et je ne pourrai pas vous dire aujourd'hui qui était en charge de ce dossier.

Mme Marie-Lise Housseau. - Ne savez-vous donc pas qui a géré ce dossier chez Nestlé ?

M. Luc Desbrun- Non, madame la sénatrice.

Mme Marie-Lise Housseau. - Cela concerne directement votre site. Vous êtes l'interlocuteur du préfet et des maires. Le préfet nous a d'ailleurs dit qu'il avait été assez déçu de ne pas avoir été mis au courant des difficultés rencontrées par votre prédécesseur. C'est bien qu'il y a une relation de proximité entre le directeur de l'usine et le préfet. Les Vosges ne sont pas un département immense. Il est tout de même surprenant qu'au sein même de votre entreprise - j'ai bien conscience de la taille de Nestlé Waters -, vous ne sachiez pas qui a négocié la convention.

M. Luc Desbrun- C'est le département juridique qui l'a négociée. Vous l'avez compris, j'avais à l'époque une feuille de route assez importante et la CJIP ne faisait pas partie de mon champ de responsabilité.

M. Laurent Burgoa, président. - Je complète la question. Que vous ne soyez pas associé à la convention elle-même, nous pouvons le comprendre. Mais qu'en est-il de son exécution ? En dehors de la préfète, nous avons auditionné des élus ou encore la responsable de la commission locale de l'eau (CLE). Dans cette convention, on impose bien à Nestlé des actions de financement d'associations environnementales ou de projets locaux. N'est-ce pas vous, en tant que directeur d'usine, qui suivez tout cela ?

M. Luc Desbrun- Un certain nombre de projets ont en effet été associés à la CJIP. Il s'agit d'une renaturation de deux cours d'eau, le Petit Vair et le Vair, ainsi que des restaurations de zones humides sur les territoires de Vittel et de Contrexéville. L'exécution de cette CJIP est confiée à notre filiale Agrivair.

M. Laurent Burgoa, président. - Si je comprends bien, c'est donc Agrivair - l'audition de ses responsables sera intéressante - qui exécute pour vous une grande partie ou la totalité de la convention...

M. Luc Desbrun- Tout à fait.

Mme Marie-Lise Housseau. - Vous nous dites donc que c'est le service juridique de Nestlé Waters qui est à l'initiative de la CJIP et qui l'a travaillée...

M. Luc Desbrun- Oui. C'est son rôle.

Mme Marie-Lise Housseau. - Selon nos informations, cette initiative ne relevait ni de la préfète - elle venait d'entrer en fonction - ni du préfet. Il est difficile d'imaginer que le procureur soit à l'origine de la convention. J'en conclus que c'est Nestlé Waters qui en est à l'initiative.

M. Luc Desbrun- Je ne peux pas vous affirmer que l'initiative provenait de Nestlé Waters. Je peux vous dire en revanche que c'est le département juridique qui a été impliqué dans cet accord.

M. Laurent Burgoa, président. - Je vous remercie.

Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.

La réunion est close à 16 h 30.