Jeudi 20 février 2025

- Présidence de Mme Micheline Jacques -

Lutte contre la vie chère dans les outre-mer : table ronde sur le commerce en ligne

Mme Micheline Jacques, président. - Chers collègues, dans le cadre de nos travaux sur la lutte contre la vie chère, après nos tables rondes de la semaine dernière sur les dépenses automobiles et de carburant, nous examinons ce matin la question du commerce en ligne, avec ses atouts, mais aussi peut-être ses risques ainsi que ses perspectives.

Pour nous éclairer, nous accueillons donc :

- M. Louis-Arthur GERMON, directeur général de Dommarket et Amarena ;

- M. Cyril NAU, fondateur et président de Isleden ;

- et M. Jesus MORALES, directeur marketing outre-mer du Groupe La Poste.

Nous nous interrogeons en effet beaucoup sur l'impact du développement de ce nouveau mode d'achat dans les outre-mer : Quelle est sa part aujourd'hui ? Quelles sont les prévisions de croissance ? Les achats en ligne depuis ou vers le bassin économique régional des outre-mer offrent-ils des perspectives de croissance ? Quels sont les obstacles éventuels à son extension ?

Nous vous remercions donc vivement, Messieurs, pour votre présence et votre disponibilité.

Nous allons vous laisser la parole pour votre présentation à tour de rôle sur la base du questionnaire qui vous a été transmis en amont.

Je remercie aussi mes collègues rapporteures Viviane Artigalas, Jocelyne Guidez et Évelyne Perrot qui sont très impliquées sur ce sujet de la vie chère dans les outre-mer.

M. Louis-Arthur Germon, directeur général de Dommarket et Amarena. - Il est difficile de donner des chiffres précis sur le commerce en ligne, car la situation dépend de la manière dont est évaluée la part de marché.

Sur le marché local, il représente entre 1 et 4 % du chiffre d'affaires des entreprises locales qui ont passé le cap de la digitalisation. De fait, peu d'entreprises ont opté pour ce canal de distribution. Par exemple, certains grands groupes de distribution (Parfait, avec l'enseigne Leclerc, ou GBH, avec l'enseigne Carrefour) ne disposent pas encore de site internet marchand. Dans le secteur de l'équipement de la maison et du bricolage, certaines grandes enseignes ont lancé un site de e-commerce. Dans le secteur pneumatique et automobile, certains acteurs nationaux se sont installés localement, mais nous manquons de données fiables. Pour l'équipement de la maison, le commerce en ligne représente environ 2,5 % du chiffre d'affaires des enseignes locales.

L'un des principaux freins au développement du e-commerce local est le coût d'investissement par rapport à la rentabilité. À titre d'exemple, le développement d'un site internet représente un coût similaire dans l'Hexagone et en Martinique, alors que le marché hexagonal est 200 fois plus grand.

Environ 10 % des sites en ligne hexagonaux, souvent les plus petits, proposent une livraison outre-mer. Les outre-mer représentent de 0,5 % à 1 % maximum de leur chiffre d'affaires.

Les acteurs internationaux, comme Shein, AliExpress ou Temu, connaissent une croissance préoccupante sur nos territoires, en raison d'une stratégie de prix agressive et, souvent, d'un manque de respect des règles douanières.

Concernant les prévisions de croissance, un objectif réaliste pour les acteurs locaux serait d'atteindre 10 % de leur chiffre d'affaires en ligne, seuil à partir duquel l'investissement peut devenir rentable. Pour les acteurs nationaux, plusieurs problèmes structurels doivent être résolus au préalable. Ils concernent notamment le service après-vente et l'exercice du droit de rétractation. L'éloignement, les difficultés logistiques et douanières, conduisent à privilégier un développement européen sur les territoires frontaliers. Des plateformes Dommarket ou Isleden visent à proposer aux consommateurs ultramarins des solutions qui ne rencontrent pas les mêmes freins.

Il n'existe pas de raisons structurelles pour que l'achat en ligne permette des économies significatives. Les coûts de transport maritime ou aérien, les taxes et les obligations de service sont similaires pour les acteurs locaux et nationaux. Comme dans l'Hexagone, de nombreuses entreprises ultramarines disposent d'une capacité de négociation liée à leur taille.

Cependant, des écarts de prix persistent dans certains secteurs comme le bricolage, les articles de sport, les produits d'entretien du corps et de la maison, les pneumatiques, les pièces détachées automobiles, la téléphonie et l'informatique. À ce stade, nous n'avons pas réalisé d'études sur l'agroalimentaire et le prêt-à-porter.

En général, aucune catégorie de produits n'est systématiquement moins chère. Toutefois, trois types de produits présentent souvent des différences de prix significatives : les produits récents dont le prix est encore instable sur les circuits de distribution, les produits de niche où l'absence de concurrence locale permet d'appliquer des marges plus élevées, et les articles très demandés qui permettent à certains acteurs de maximiser leur rentabilité.

Les écarts de prix dépendent principalement de la politique tarifaire des acteurs locaux. Dommarket, par exemple, propose des produits au même prix qu'en métropole.

Je répondrai négativement à votre question sur la mise en oeuvre du Règlement européen du 28 février 2018 dans les régions ultrapériphériques (RUP). Comme je l'ai indiqué, à peine 10 % des acteurs avec lesquels nous discutons livrent en outre-mer, non par désintérêt pour ce marché ou impossibilité logistique, mais en raison de la complexité et le coût du marché ultramarin.

La logistique est accessible, mais non standardisée. Tous les grands acteurs (La Poste, Chronopost, Fedex, ou DHL...) livrent les outre-mer. Cependant, les e-commerçants doivent adapter leurs processus, ce qui alourdit leurs coûts et réduit leur rentabilité, alors que l'activité peut représenter à peine 0,5 % à 1 % de leur chiffre d'affaires. Contrairement aux livraisons dans l'Hexagone, l'expédition vers les outre-mer implique en effet des formalités douanières, des taxes et parfois des coûts additionnels de stockage. Alors que la rentabilité du e-commerce repose sur le volume et la centralisation, l'adaptation d'un circuit de distribution à un marché de petite taille dilue le bénéfice et peut conduire à une perte d'argent sur chaque commande ultramarine.

Il existe également des contraintes spécifiques aux régions ultrapériphériques. Par exemple, les dates des soldes diffèrent de l'Hexagone, et entre les territoires eux-mêmes, ce qui complique considérablement la stratégie marketing des marchands. De plus, le déploiement local du service après-vente, de la gestion des retours et du marketing représente un coût significatif.

Face à cette réalité, une question se pose : faut-il contraindre ou encourager ? Faut-il imposer aux acteurs nationaux de vendre dans les outre-mer, même à perte ? Ou bien faut-il trouver une solution alternative pour ouvrir le marché ultramarin à plus de concurrence, sans pour autant fragiliser l'équilibre local ? Je pense que c'est ce que Dommarket et Isleden proposent.

M. Cyril Nau, fondateur et président de Isleden. - Isleden, pour « Island » et « Eden », a été créée en 2019. Nous intervenons actuellement dans les cinq départements d'outre-mer ainsi qu'à Saint-Martin et Saint-Barthélemy depuis la Guadeloupe. Nous prévoyons une ouverture en Polynésie française et en Nouvelle-Calédonie courant 2025.

Isleden est un distributeur. À la différence de Dommarket, dont la plateforme permet aux vendeurs de commercialiser leurs produits, nous achetons les produits pour les revendre. Cependant, la finalité reste similaire. En six ans, nous avons référencé 50 fournisseurs et près d'un million de produits. Nous avons constitué une logistique qui assure une livraison en moins de quinze jours et adapté notre plateforme pour intégrer des fournisseurs locaux. Depuis six mois, nous sommes également présents sur le segment des professionnels et des collectivités, auxquels nous fournissons des solutions simplifiées.

Concernant le marché, je rejoins l'analyse de mon confrère. Il n'existe pas de chiffres précis pour les territoires ultramarins en raison du nombre limité d'acteurs et de la diversité des sources d'approvisionnement. D'après les chiffres publiés la semaine dernière par la Fédération du e-commerce et de la vente à distance (FEVAD), le marché national français pour les produits non alimentaires s'élève à 66,9 milliards d'euros, soit environ 1 000 euros par habitant. En appliquant ce ratio aux 2,7 millions d'habitants des outre-mer, le marché ultramarin représenterait 2,7 milliards d'euros. La réalité est probablement dix à cinquante fois plus faible, en raison de l'absence quasi totale de solutions de e-commerce dans les outre-mer.

L'exemple de trois acteurs majeurs sur le marché hexagonal et européen illustre la situation. Amazon comme Cdiscount ne permettent pas une livraison outre-mer, à la différence de LDLC. Cependant, celui-ci affiche des prix ultramarins « hors taxe », qui se trouvent renchéris de près de 20 % en raison de l'octroi de mer et de la TVA.

Quatre freins expliquent la situation : tout d'abord, les coûts élevés d'acheminement, avec des surcoûts d'environ 10 % pour le fret maritime et 20 % pour le fret aérien, nécessairement utilisé en e-commerce, puisqu'un colis unitaire ne peut être livré par la voie maritime ; ensuite, la complexité logistique, puisque le transport vers les outre-mer est plus sensible au volume qu'au poids, d'où la nécessité d'adapter le système d'information ; en troisième lieu, la complexité administrative liée aux formalités douanières. Enfin, le caractère limité des marchés (420 millions d'habitants dans l'espace Schengen, 420 000 en moyenne pour un DOM).

La grille tarifaire de Colissimo illustre les surcoûts : un colis de deux kilos coûte environ 12 euros vers la France métropolitaine, 35 euros vers les DOM et 50 euros vers la Nouvelle-Calédonie ou la Polynésie française. Sur un panier moyen de 68 euros, tel que défini par la FEVAD, cela représente environ 50 % du coût pour une livraison vers les DOM.

Face à cette situation, les acheteurs ultramarins ont plusieurs options : soit faire appel à un proche qui apportera le produit dans ses bagages, soit recourir à des services de réacheminement qui se font livrer dans l'Hexagone et acheminent le produit dans les outre-mer, soit acheter chez un acteur qui livre dans les DOM, avec des surcoûts non prévus (octroi de mer, TVA à l'import), soit commander chez un acteur local spécialisé, comme Dommarket, Isleden ou Ravate à La Réunion.

Notre ambition consistait d'abord à proposer une offre très complète, soit près d'un million de produits livrables en 15 jours, tous frais compris et service après-vente assuré. Nous cherchons à reproduire au mieux l'expérience d'achat d'un consommateur métropolitain. Cependant, nos tarifs restent élevés et n'apportent pas encore de réponse immédiate à la problématique de la vie chère.

Par conséquent, nous cherchons à améliorer nos prix et à optimiser nos frais d'approche en augmentant nos volumes, mais aussi à intégrer des acteurs locaux, qui peuvent disposer de stocks à de bons prix. Enfin, nous souhaitons à moyen terme développer un flux d'exportation vers l'Hexagone et l'Europe.

Pour conclure, le commerce en ligne constitue une opportunité d'animation rapide du marché. Dans l'Hexagone, il représente 20 % de la distribution, il a contribué à tirer les prix vers le bas et à dynamiser le marché. Pour l'économie locale, il représente une opportunité, car nous cherchons à promouvoir les acteurs locaux.

À mon sens, il faut créer les conditions d'émergence et de développement des acteurs locaux, en complément des autres actions que vous pourriez mettre en place dans le cadre de la lutte contre la vie chère.

M. Jesus Morales, directeur marketing outre-mer du Groupe La Poste. - Je communiquerai quelques éléments chiffrés, notamment sur les flux de colis, au départ de l'Hexagone comme des territoires ultramarins.

1,9 million de Colissimo sont partis de l'Hexagone vers les territoires ultramarins en 2024, soit une diminution de 3 %. Depuis 2020, le flux de colis baisse globalement de 30 %.

En contrepartie, le volume des petits paquets en provenance de l'international (PPI), notamment de Chine, s'élève à 2,6 millions. Ces colis ont connu une progression exponentielle depuis 2015, mais leur flux tend à se stabiliser, car ils sont aujourd'hui taxés.

50 % des colis sont professionnels. La majorité provient de sociétés de logistique. Je pense qu'il s'agit d'achats sur des plateformes de l'Hexagone de produits non référencés en outre-mer. Le reste provient de partenaires de La Poste.

Les produits concernés sont des vêtements et un peu d'informatique. Peu de pièces automobiles sont envoyées par Colissimo, probablement en raison des volumes. En effet, les colis supérieurs à trente kilos ne passent pas par La Poste.

Le service FTD (Franc de taxe de douane) mis en place par La Poste permet au client de savoir à l'avance ce qu'il va payer. Nos commerciaux recommandent cette solution pour limiter l'effet de surprise sur les taxes à l'arrivée dans les départements ultramarins. La TVA n'est pas répercutée deux fois.

Face à la baisse de 30 % du flux de colis vers les départements ultramarins, nous cherchons à développer des solutions. Ainsi, nous proposerons en 2025 une aide aux petits e-commerçants, sur le principe du Franc de taxe de douane, pour qu'ils créent leur propre site et que nous acheminions leurs produits dans les territoires ultramarins.

Au départ de l'Hexagone, les colis des particuliers ne sont pas taxés à l'arrivée lorsque leur valeur est inférieure à 400 euros. Cette franchise concerne les seuls envois non commerciaux, comme des cadeaux à des amis, mais non des envois commerciaux, de type Vinted ou Leboncoin. Au-delà de 400 euros, l'octroi de mer et la TVA s'appliquent.

Au départ des territoires ultramarins, la franchise est limitée à 45 euros, hors frais de port. Au-delà de ce montant, la différence de TVA doit être réglée. Or, d'expérience, ces 45 euros sont vite atteints.

Mme Viviane Artigalas. - Comment la perception et le paiement de l'octroi de mer sont-ils mis en oeuvre pour les sites d'achat en ligne, étant donné que les territoires sont différents ? Disposez-vous d'algorithmes pour faciliter ce processus ? Comment les mettez-vous à jour régulièrement ? Cet octroi de mer est-il suffisamment transparent pour les acheteurs ?

Par ailleurs, disposez-vous d'une étude de marché ou de perspectives sur le développement du e-commerce des outre-mer vers l'Hexagone ?

M. Cyril Nau. - À l'inverse des acteurs nationaux, nous utilisons des algorithmes très précis pour le calcul de l'octroi de mer : chaque produit de notre base de données dispose de son code SH.

Nous avons décidé de ne pas afficher la décomposition entre les différentes taxes car nous souhaitons que son expérience d'achat soit identique à celle d'un client hexagonal. En tant que distributeurs, nous lui présentons un prix TTC, et gérons en amont le dédouanement, les frais de douane, la TVA, etc.

Concernant le flux vers l'Hexagone, notre stratégie initiale visait à servir les Ultramarins tout en soutenant l'économie locale. Nous ne voulions pas simplement répondre à un besoin en important des produits. Nous avons donc conçu notre plateforme pour intégrer les acteurs locaux, y compris les importateurs grossistes qui disposent de stocks permettant des livraisons plus rapides (48 heures au lieu de 15 jours) et des prix plus compétitifs, car les produits ont déjà été importés en bateau.

Grâce à notre partenariat avec La Poste, nous prévoyons d'ouvrir une plateforme dans l'Hexagone en 2026. Elle permettra aux acteurs locaux présents sur notre plateforme d'expédier leurs produits vers l'Hexagone.

M. Louis-Arthur Germon. - Notre approche est différente. Notre objectif principal est de proposer des produits moins chers que l'offre locale, contribuant ainsi à la lutte contre la vie chère. Nous recourrons exclusivement au fret maritime, 10 à 20 fois moins cher que l'aérien.

En tant que marketplace, nous ne vendons pas directement les produits. Nous affichons un prix TTC, mais nous en détaillons la construction (valeur du produit, du fret, de la logistique, des taxes et de la TVA). Ainsi, nous sommes complètement transparents.

N'étant ni exportateurs ni importateurs, le dédouanement et la gestion de taxes s'opèrent au nom du consommateur. Celui-ci dispose ainsi d'une note de débours lui indiquant le montant des taxes qu'il a payées sur chaque produit. Ce processus est très complexe, car les systèmes informatiques douaniers sont très réglementés et requièrent l'intervention d'un transitaire ou d'un agent assermenté, ce qui ajoute des frais. De plus, l'accès aux bases de données sur l'octroi de mer et la taxation reste archaïque, avec des « scans de PDF » difficiles à traiter en masse.

Cette transparence montre également que les différences de prix ne sont pas liées au transport ou aux taxes. Nous parvenons à vendre en outre-mer certains produits à des prix TTC inférieurs de 10 à 15 % à l'Hexagone, car les marges sont différentes.

Mme Évelyne Perrot. - Proposez-vous une large gamme de produits ou êtes-vous spécialisé dans des produits de consommation courante ?

M. Louis-Arthur Germon. - Notre ambition est de proposer tous les produits nécessaires au quotidien, particulièrement les plus volumineux, à des prix avantageux. Comme nous utilisons uniquement la voie maritime, nous pouvons plus facilement expédier des produits de fort volume, tels des équipements de cuisine professionnels.

Mme Jocelyne Guidez. - Vous avez mentionné la diversité des dates de soldes. Ne pourrait-on les aligner sur celles de l'Hexagone ? Cela permettrait d'offrir des prix plus attractifs.

Par ailleurs, vous avez évoqué une baisse de 40 % des Colissimo. J'ai l'impression que nous sommes aussi confrontés dans l'Hexagone à une diminution du nombre de courriers et de Colissimo, si bien que des fermetures de bureaux de poste sont envisagées. Est-ce une question de prix ou plutôt un changement de nos habitudes de vie ?

M. Louis-Arthur Germon. - Le terme « soldes » est très réglementé et ne peut être utilisé qu'à certaines périodes, différentes en outre-mer et dans l'Hexagone. Cela est particulièrement complexe pour notre plateforme unique qui s'adresse à l'ensemble des territoires. Un changement relèverait des collectivités locales et de l'État.

En revanche, nous pratiquons le « Black Friday ». Cette offre commerciale plus récente se déroule le dernier vendredi de novembre et n'est pas réglementée.

M. Cyril Nau. - De fait, ce vendredi s'étend maintenant sur tout le mois de novembre.

M. Jesus Morales. - Le flux de colis ne baisse pas à La Poste, car le e-commerce a contribué à son développement. En revanche, l'avènement de l'e-mail a entraîné une diminution structurelle du courrier, y compris pour les factures. La fréquentation des bureaux de poste se réduit également, car les colis se retirent davantage dans des casiers ou chez des commerçants.

Mme Viviane Artigalas. - Monsieur Germon a indiqué que le commerce en ligne était capable de proposer des prix plus concurrentiels. Est-ce également le cas d'Isleden ? J'avais l'impression contraire.

M. Cyril Nau. - Notre première démarche a été d'élargir l'offre. Depuis 2019, nous nous sommes efforcés de référencer le maximum de fournisseurs et de produits, jusqu'à un million d'articles. Nous recourrons au transport aérien pour assurer des livraisons rapides, mais il est très coûteux pour les gros volumes. Ainsi, nous pouvons être compétitifs sur de petits produits, comme des smartphones, des accessoires pour téléphones mobiles ou des petits jouets.

Cependant, le groupage aérien, qui mélange petits et gros colis, nous permet d'assurer une forme de péréquation : certains clients acceptent de payer plus cher pour des produits volumineux ou les dernières nouveautés, ce qui réduit le coût des petits articles.

Sur notre million de produits, certains sont au même prix qu'en local, d'autres seront moins chers. Certains autres, notamment les articles volumineux, seront plus coûteux en raison des contraintes liées au transport aérien (trente kilos, un mètre de diamètre...). Pour dépasser ces limitations et élargir notre gamme, nous intégrons des partenaires locaux dans notre écosystème.

Nous cherchons à optimiser constamment, en nous appuyant sur une multiplicité d'acteurs. Plus nos volumes et nos partenariats augmenteront, plus nos offres et nos prix seront pertinents.

M. Louis-Arthur Germon. - Pour contextualiser, le fret aérien en groupage coûte environ 5 euros par kilo, contre 0,3 euro par kilo en conteneur maritime.

Cependant, les outre-mer présentent des spécificités. À titre de comparaison, un conteneur de Shenzhen au Havre coûte environ 2 500 euros pour trente à quarante jours de mer. Entre Le Havre et Fort-de-France, le même conteneur coûte 4 000 euros pour dix à treize jours de mer.

De plus, les conteneurs d'importation repartent souvent à vide. La Martinique, par exemple, importe 3,5 milliards d'euros de marchandises par an et n'en exporte que 0,5 milliard.

De fait, le manque de concurrence dans le transport maritime permet aux rares acteurs de fixer les prix, comme on l'a vu pendant la crise du Covid.

Bien que la voie maritime reste la moins chère, elle présente des défis logistiques. Il faut remplir un conteneur entier, ce qui nécessite une organisation et des partenariats. Malgré ces efforts, le transport vers les outre-mer reste plus coûteux que vers l'Hexagone.

Mme Micheline Jacques, président. - Avant de laisser la parole à nos collègues, je souhaite apporter une précision concernant les soldes. Elles sont prévues par la loi et arrêtées par décret. Dans les outre-mer, elles tiennent compte de la saisonnalité et visent à préserver l'économie locale, d'où les différences de dates. Le sujet mériterait peut-être d'être approfondi.

M. Stéphane Fouassin. - Pourquoi la franchise de 400 euros ne s'applique-t-elle pas dans les deux sens ?

M. Jesus Morales. - Nous appliquons simplement la règle en vigueur.

Mme Micheline Jacques, président. - Cette mesure résulte d'un amendement de notre collègue de La Réunion Nassimah Dindar, lors d'un projet de loi de finances. Initialement, la taxation s'appliquait au-delà de 250 euros pour les envois de l'Hexagone vers l'outre-mer. Nous avons relevé ce seuil à 400 euros pour faciliter l'envoi de cadeaux et de colis.

Il semble que cette disposition n'ait pas été envisagée dans l'autre sens. Votre remarque est pertinente et nous y travaillerons.

M. Jean-Gérard Paumier. - Vous avez indiqué que, pour La Poste, le volume des colis ne diminuait pas. Qu'en est-il en valeur relative ? Compte tenu de la croissance du e-commerce, la concurrence ne prend-elle pas une part croissante du trafic de colis ? Telle est mon impression dans l'Hexagone.

M. Jesus Morales. - En tant que directeur marketing pour l'outre-mer, je ne dispose pas des chiffres précis au niveau national, mais je pourrai vous répondre ultérieurement.

Mme Marie-Laure Phinera-Horth. - En 2019, le gouvernement du Premier ministre Édouard Philippe avait exprimé le souhait de favoriser le e-commerce dans nos territoires ultramarins. La Direction générale des entreprises menait une réflexion à ce sujet en collaboration avec d'autres services de l'État, comme les douanes et la consommation. Avez-vous été informés de cette volonté du Gouvernement ? Vos projets ont-ils bénéficié d'un accompagnement de l'État ?

M. Louis-Arthur Germon. - En 2021, j'ai écrit au ministère des Outre-mer à une quinzaine de reprises pour présenter mon projet, en expliquant que mon but était de lutter contre la vie chère.

Il existe de nombreuses aides européennes, notamment celles du Fonds européen de développement régional (FEDER). Cependant, elles ne sont adaptées ni aux entreprises ultramarines ni au secteur digital, compte tenu des délais (deux ou trois ans) et du montant d'investissement nécessaire (au moins 150 000 euros, ce qui est considérable pour un jeune entrepreneur). De plus, la complexité des dossiers à constituer m'a fait abandonner le processus après deux mois. J'ai estimé que la possibilité, très incertaine, d'une subvention dans trois ans ne valait pas l'investissement en temps.

M. Cyril Nau. - Notre entreprise, créée en 2019, n'a jamais bénéficié d'aucune aide financière de l'État. Nous l'avons entièrement financée sur fonds propres. Après quelques tentatives, notamment auprès de BPI France, nous avons constaté que les aides n'étaient jamais adaptées. Le commerce en ligne, pourtant largement développé en Europe, ne semble intéresser personne. Les aides sont très localisées par territoire ultramarin, alors que nous avons vocation à être présents dans tous.

C'était le sens de ma conclusion. Nous sommes preneurs d'un accompagnement, mais aucun système adapté n'existe actuellement pour aider au développement du e-commerce dans les outre-mer.

M. Louis-Arthur Germon. - J'ajouterai que le seul moyen d'être rentable dans notre secteur, c'est-à-dire de pouvoir payer nos employés et poursuivre notre activité, consiste à aborder le marché ultramarin comme une seule entité. Nous ne pouvons pas nous limiter à tel ou tel territoire, car ils sont trop petits.

Or tout est organisé par territoire, qu'il s'agisse des taxes, des aides ou des administrations. Par conséquent, chaque démarche doit être multipliée par quatre ou cinq.

M. Laurent Somon. - À une certaine période, CMA-CGM a aidé au transport maritime en réfléchissant au prix des conteneurs. Négociez-vous avec cette entreprise pour qu'elle poursuive son soutien aux livraisons dans les territoires d'outre-mer ?

Dans le même esprit de soutien du pouvoir d'achat, menez-vous des négociations similaires avec les transporteurs aériens ?

M. Louis-Arthur Germon. - Notre taille est insuffisante pour négocier directement avec les armateurs. Nous négocions avec des intermédiaires, les transitaires, même si j'aurais aimé pouvoir présenter directement mon projet et solliciter un soutien pour nos activités, qui visent à aider les consommateurs en termes de choix comme de prix.

M. Cyril Nau. - Concernant le volet aérien, nous travaillons avec La Poste. Elle nous a très bien accompagnés sur le projet ultramarin, même si nous aimerions payer moins cher. Nous travaillons avec La Poste de chaque territoire pour la distribution locale et au niveau national pour le groupage aérien. Jusqu'à la fin de l'année dernière, nous travaillions avec un expressiste.

M. Victorin Lurel. - Les informations relatives à l'octroi de mer et à la formation du prix figurent-elles sur les factures destinées aux clients ?

Par ailleurs, payez-vous l'octroi de mer auprès de chaque douane territoriale ou à Rennes ?

Enfin, certains sites affichent une tarification en ligne selon le poids des colis. Le client a-t-il une connaissance préalable de la tarification complète, notamment pour les commandes supérieures à 400 euros ? En effet, il rencontre parfois des surprises lorsque s'ajoutent la TVA et l'octroi de mer, sans compter les autres coûts annexes.

M. Jesus Morales. - Je voudrais préciser que la limite de 400 euros ne s'applique qu'aux échanges entre particuliers, non les transactions entre professionnels et particuliers.

M. Louis-Arthur Germon. - Pour répondre à la première question, nous ne sommes pas l'exportateur, mais nous avons l'obligation d'émettre une facture pour le produit, des factures de service logistique et une note de débours pour l'octroi de mer. J'évite d'utiliser le terme de facture pour l'octroi de mer. En effet, selon les douanes, l'établissement d'une facture pour l'octroi de mer impliquerait la vente d'un service qui nécessiterait l'application de la TVA. Pour éviter cette situation, nous avons mis en place un schéma fiscal complexe, ce qui a d'ailleurs retardé le lancement de Dommarket. J'ai mis deux ans et demi, au lieu des neuf mois que j'avais prévus.

Ainsi, le client qui passe commande sur Dommarket reçoit quatre feuillets distincts, pour le produit, le fret maritime, les taxes et la logistique locale. Cette séparation est nécessaire pour éviter une taxation de l'octroi de mer sur la logistique locale.

Concernant l'information du client en amont, nous utilisons un algorithme qui calcule au moment de la création du produit le prix TTC « rendu sur place ». Nous nous engageons à ce que ce prix ne change pas une fois le produit arrivé. Il nous revient d'ajuster nos paramètres en fonction du volume du produit et du coût du fret. Le client bénéficie ainsi d'une totale transparence sur la décomposition du prix et reçoit une facture pour chaque élément, sans variation ultérieure du prix.

Le client ne paie qu'à Dommarket. Nous payons l'octroi de mer sur chaque territoire. Le fret maritime implique une déclaration à l'export et des frais que nous payons au nom de l'exportateur, puis une déclaration à l'import, avec paiement de l'octroi de mer. Pour le client, ce processus est totalement transparent. Nous avons cherché à simplifier au maximum son parcours, sachant que la population ultramarine vieillissante n'est pas très familière du commerce en ligne. Nous avons donc créé un parcours d'achat similaire à celui des plateformes hexagonales et nous gérons nous-mêmes toute la complexité.

M. Victorin Lurel. - Affichez-vous des tarifs en ligne ?

M. Louis-Arthur Germon. - Oui, le prix par produit et par territoire est clairement affiché. Nos clients, comme ceux d'Isleden, achètent les produits disponibles sur la plateforme, non sur les sites nationaux. Nous affichons le prix TTC rendu localement, qui ne change pas après l'achat. Cependant, les prix varient entre les territoires en raison des différences de taxes et de coûts de transport.

Mme Micheline Jacques, président. - Lorsque vous affichez un produit sur votre plateforme, négociez-vous le prix de base directement avec la centrale d'achat ou avec des intermédiaires ?

Par ailleurs, avez-vous envisagé un approvisionnement dans les pays avoisinants ? Par exemple, en Guyane, avez-vous exploré le marché brésilien ou surinamais ? Pour les Antilles, avez-vous considéré un marché plus large incluant les îles et les pays voisins ?

Enfin, quelles modifications législatives permettraient-elles, selon vous, de mieux adapter votre service aux territoires ultramarins, afin d'offrir un service de qualité à des prix compétitifs ?

M. Louis-Arthur Germon. - Les modèles économiques d'Isleden et de Dommarket sont différents. Dommarket est une marketplace, c'est-à-dire une plateforme entre les vendeurs et les acheteurs. Les vendeurs sont des entreprises nationales, des grossistes ou des acteurs spécialisés dans les marketplaces. Pour les attirer, nous avons dû minimiser les contraintes, en matière notamment de gestion des prix. Notre politique est simple : les vendeurs doivent pratiquer le même prix sur une place de marché hexagonale et en outre-mer. Par exemple, Sobrico, un de nos partenaires pour le matériel de bricolage et de jardinage, vend au même prix sur Dommarket que sur Cdiscount, Amazon ou ManoMano. Cela simplifie la gestion pour le vendeur et nous assure des prix compétitifs sur le produit.

En matière de régionalisation, nous avons effectivement étudié le transport interîles entre Guadeloupe et Martinique, Martinique et Guyane, etc., de même qu'avec la République dominicaine. Cependant, nous sommes confrontés à une absence de voies maritimes entre les îles et à des obstacles réglementaires. Même entre Guadeloupe et Martinique, l'expédition d'un conteneur coûte presque aussi cher qu'entre Shenzhen et Paris.

Ces contraintes de communications et de taxes nous obligent à avoir une vision régionale tout en restant localisés par territoire. Si nous pouvions importer des produits de la République dominicaine vers la Guadeloupe à des prix plus avantageux pour les consommateurs, nous le ferions.

Enfin, en tant que chef d'entreprise de Dommarket, plusieurs améliorations me semblent souhaitables. Je mentionnerai la simplification de la gestion des taxes et des déclarations douanières ou la présence de services dédiés au e-commerce dans le fret maritime. À titre d'illustration, mon transitaire facture environ 7 euros de frais de déclaration à l'export et 18 euros à l'import. En comparaison, par voie aérienne, les frais s'élèvent à environ 5 euros et seule une déclaration est nécessaire. Ces frais de douane s'appliquent par importateur ou exportateur. Ils sont négligeables pour une cargaison de 30 000 ou 40 000 dollars, mais deviennent significatifs pour un seul article à 120 euros.

Cela étant, en matière de lutte contre la vie chère, notre plateforme démontre que la logistique et les taxes ne sont pas les éléments qui rendent les produits beaucoup plus chers.

M. Cyril Nau. - De notre côté, nous avons multiplié le nombre de fournisseurs. Ils sont désormais une cinquantaine en Europe. Beaucoup de nos produits sont disponibles chez plusieurs fournisseurs, d'où une concurrence entre eux. Les prix sont mis à jour toutes les heures, si bien que le produit est commandé chez le plus compétitif. Grâce à mes relations personnelles avec quelques grossistes en high tech, j'ai pu obtenir de bons prix dès l'origine. Cela étant, notre modèle est fondé sur l'achat-revente à l'unité, sans stockage de produits, ce qui rend difficile la négociation des prix. Notre stratégie combine donc le recours à des grossistes partenaires et la mise en concurrence de fournisseurs européens.

Nous n'avons pas mis en place de régionalisation. Nous avons préféré nous concentrer sur les flux entre la métropole et chaque département d'outre-mer, en nous appuyant sur les acteurs locaux et les circuits existants. La régionalisation pourrait se réaliser via nos partenariats locaux, si vous parvenez à régler les contraintes locales et à permettre aux importateurs de s'approvisionner régionalement. Dans ce cas, nous serions très heureux de collaborer avec ces acteurs locaux pour proposer des produits moins chers aux habitants des outre-mer.

Mme Micheline Jacques, président. - Pour votre information, Saint-Barthélemy dispose de trois petites compagnies maritimes assurant des transferts avec Saint-Martin, mais aussi avec la Guadeloupe. Par conséquent, je suis surprise que ce type de transferts ne puisse s'organiser entre la Guadeloupe et la Martinique.

M. Cyril Nau. - Nos groupages sont dirigés vers la Guadeloupe. De là, nous utilisons les services de La Poste pour desservir la Guadeloupe, la Martinique, Saint-Barthélemy et Saint-Martin, avec des tarifs très compétitifs. Les achats sur la plateforme isleden.gp sont livrés à Saint-Barthélemy au même prix qu'en Guadeloupe.

M. Victorin Lurel. - Votre plateforme achète, revend et place. Vous utilisez l'informatique, mais par quel réseau passez-vous et quel est le coût approximatif de l'informatique ? J'imagine que ce sont des entreprises à coût marginal presque nul, mais existe-t-il un monopole sur le transport de vos signaux ?

M. Louis-Arthur Germon. - Dommarket n'achète pas. Nous permettons à des vendeurs de vendre leurs produits. Le coût informatique est très élevé en raison des nombreuses spécificités liées à nos territoires, qu'elles soient administratives, logistiques ou liées aux données. L'adaptation nécessite un développement technologique conséquent et nous employons à cet effet une équipe technique de développeurs salariés. Compte tenu du lourd investissement nécessaire, je pense que je n'aurais jamais pu lancer l'activité sans le concours de partenaires qui croyaient au projet.

Nous n'avons pas de réseau particulier. Les utilisateurs se connectent sur notre site via leur fournisseur d'accès habituel.

M. Victorin Lurel. - Combien de concurrents avez-vous dans les outre-mer ?

M. Louis-Arthur Germon. - Isleden et Dommarket sont actuellement les deux acteurs principaux. Un troisième vient de se lancer récemment, mais il n'est pas présent à La Réunion. Sa stratégie est similaire à la mienne, c'est une place de marché, tandis que Isleden est un distributeur.

M. Laurent Somon. - Quelle a été l'incidence des récents événements de Nouvelle-Calédonie sur le e-commerce ?

M. Cyril Nau. - Aucun de nous deux ne livre en Nouvelle-Calédonie.

En revanche, nous avons dû interrompre nos ventes à Mayotte pendant un certain temps. En collaboration avec La Poste, nous avons tout mis en oeuvre pour reprendre les livraisons le plus rapidement possible, car les commandes de nos clients concernaient souvent des équipements essentiels.

M. Laurent Somon. - Constatez-vous un rebond post-crise à Mayotte ?

M. Cyril Nau. - Nous le constatons dans les commandes. Nous avons rattrapé la période d'arrêt qui s'est étendue du 20 décembre à la mi-janvier environ, soit près d'un mois. Depuis, nous avons enregistré un nombre important de commandes.

Cependant, les voies de distribution ne sont pas encore revenues à la normale. Alors qu'habituellement nous livrions à Mayotte dans les quinze jours à trois semaines, les délais actuels sont plutôt de trois semaines à un mois, ce qui est long pour du e-commerce.

Mme Micheline Jacques, président. - Nous avons beaucoup appris sur le e-commerce. Ce n'est pas une solution miracle et des améliorations restent à apporter, concernant notamment les systèmes d'acheminement, les problématiques d'harmonisation des soldes, ainsi que les variations de prix liées à l'octroi de mer selon les territoires ultramarins. Nous continuerons d'explorer ces sujets. Nous n'avons pas évoqué l'intelligence artificielle, qui est déjà présente ou le sera bientôt dans ce type de transactions.

N'hésitez pas à nous envoyer des contributions écrites ou des réflexions supplémentaires sur les modifications à apporter pour adapter le e-commerce aux réalités des territoires ultramarins. Cet aspect est vraiment fondamental.

Merci à vous.