- Lundi 10 février 2025
- Mercredi 12 février 2025
- Audition de M. Frédéric Gauchet, président de France Chimie, M. Alix Deschamps, président de WeylChem Lamotte, et M. Jacques Pidoux, président de BCF Life Sciences
- Projet de loi, adopté par l'Assemblée nationale, d'orientation pour la souveraineté alimentaire et agricole et le renouvellement des générations en agriculture - Suite de l'examen des amendements au texte de la commission
Lundi 10 février 2025
- Présidence de Mme Dominique Estrosi Sassone, présidente -
La réunion est ouverte à 20 h 00.
Projet de loi, adopté par l'Assemblée nationale, d'orientation pour la souveraineté alimentaire et agricole et le renouvellement des générations en agriculture - Suite de l'examen des amendements au texte de la commission
Mme Dominique Estrosi Sassone, présidente. - Nous reprenons l'examen des amendements déposés sur le titre IV au texte de la commission sur le projet de loi d'orientation pour la souveraineté alimentaire et agricole et le renouvellement des générations en agriculture (PJLOA).
M. Laurent Duplomb, rapporteur. - Nous examinons ce soir les derniers amendements du titre IV, de l'article 18 à l'article 22. Ils sont au nombre de 55, dont 4 amendements du Gouvernement, auxquels s'ajoutent 3 amendements des rapporteurs.
J'indique que nous vous proposons par ailleurs 4 amendements portant sur l'article 13, dans le but de le consolider juridiquement et de supprimer la possibilité pour l'administration de contraindre l'agriculteur à faire un stage de sensibilisation à l'environnement, dont nous n'approuvons pas la logique.
J'ajoute que le Gouvernement vient de déposer un sous-amendement à l'amendement n° 34 de Daniel Fargeot, visant à créer un article additionnel après l'article 13 bis B relatif à la prolongation de la concession de la Société d'économie mixte d'aménagement et de gestion du marché d'intérêt national de la région parisienne (Semmaris), sujet très important ! Il complète et rend donc recevable au regard de l'article 40 de la Constitution l'amendement de notre collègue et nous vous invitons à émettre un avis favorable.
Cela étant dit, le point majeur de cette seconde partie du titre IV est probablement l'avis favorable que nous vous proposons de donner à l'amendement portant article additionnel après l'article 18, et visant à réinjecter la proposition de loi Arnaud telle qu'adoptée récemment au Sénat, avec l'appui du Gouvernement, et qui concerne la possibilité de maintenir l'exercice des compétences eau et assainissement dans les zones de montagne au 1er janvier 2026.
M. Franck Menonville, rapporteur. - Le Gouvernement a déposé un amendement de suppression de l'article 20 relatif aux modalités d'extension des accords interprofessionnels du Gouvernement. Ce point n'avait pas été soulevé lors des étapes précédentes de l'examen du texte. Nous souhaiterons en séance que la ministre nous en explique les motifs. D'ici là et dans une logique de compromis constructif, nous proposons deux amendements tendant à ajuster la rédaction de cet article et à le sécuriser juridiquement. Cela nous conduit à ce stade et sous réserve des motivations et engagements du Gouvernement à donner un avis défavorable à l'amendement de suppression du Gouvernement.
EXAMEN DES AMENDEMENTS DES RAPPORTEURS (SUITE)
Article 13 (suite)
Les amendements nos 967, 968, 969 et 970 sont adoptés.
Article 19
L'amendement n° 964 est adopté.
Article 20
Les amendements nos 965 et 966 sont adoptés.
EXAMEN DES AMENDEMENTS AU TEXTE DE LA COMMISSION (SUITE)
La commission a donné les avis suivants sur les amendements dont elle est saisie, qui sont retracés dans le tableau ci-après :
La réunion est close à 20 h 10.
Mercredi 12 février 2025
- Présidence de Mme Dominique Estrosi Sassone, présidente -
La réunion est ouverte à 9 h 30.
Audition de M. Frédéric Gauchet, président de France Chimie, M. Alix Deschamps, président de WeylChem Lamotte, et M. Jacques Pidoux, président de BCF Life Sciences
Mme Dominique Estrosi Sassone, présidente. - Nous avons le plaisir d'accueillir ce matin M. Frédéric Gauchet, président de France Chimie, accompagné de MM. Alix Deschamps, président de WeylChem Lamotte, et Jacques Pidoux, président de BCF Life Sciences.
Monsieur Gauchet, vous avez débuté votre carrière chez Sanofi, où vous avez notamment dirigé un établissement de Sanofi Chimie à Aramon, puis vous avez intégré le groupe Total, avant de rejoindre Vinci en tant que directeur des concessions et P-D.G. de Vinci Environnement. Vous avez ensuite travaillé, en tant que directeur général et administrateur, au sein de la société bâloise Weitnauer, devenue Dufry AG en 2003. En 2004, vous avez fondé la société Minafin, un groupe de chimie fine qui compte aujourd'hui cinq filiales spécialisées et six sites industriels. Parallèlement, en 2008, vous avez rejoint les instances de France Chimie, qui a succédé à l'Union des industries chimiques, dont vous êtes devenu vice-président en 2014, puis président en 2023. MM. Alix Deschamps et Jacques Pidoux, qui vous accompagnent, sont respectivement président de France Chimie Picardie-Champagne-Ardenne et président de France Chimie Ouest Atlantique.
Cette audition est justifiée par l'intérêt que nous portons à nos filières industrielles et à la dynamique de réindustrialisation. Celle-ci est-elle encore positive ou perdons-nous, de nouveau, des emplois et capacités industrielles ? Nous comptons sur vous pour présenter, en toute franchise, l'état de la filière, ses atouts, ses difficultés et les défis à relever.
La filière chimique française est un secteur clé de notre économie, situé au coeur de transformations économiques, écologiques et technologiques. Avec 200 000 emplois directs et 500 000 emplois indirects, il s'agit, me semble-t-il, de la première industrie manufacturière française en termes d'exportations et la deuxième en termes de chiffre d'affaires, derrière l'industrie aéronautique. En exportant plus de 70 % de sa production, ce qui est rare, ce secteur contribue de façon positive à l'équilibre de notre balance commerciale. Vous nous expliquerez la situation de la filière à cet égard, au travers des données les plus actualisées.
Nous disposons de grands groupes internationaux comme Arkema, Air Liquide, ou TotalEnergies, mais aussi de très nombreuses petites et moyennes entreprises (PME) et entreprises de taille intermédiaire (ETI) innovantes. La France est présente, à la fois, dans le domaine de la chimie de base - pétrochimie, gaz industriels ou polymères - et dans le domaine de la chimie fine et chimie de spécialités - peintures, encres, colles, additifs, mais aussi fabrication de molécules pour les médicaments, les cosmétiques et l'agrochimie.
Nous restons parmi les leaders mondiaux, même si nous perdons du terrain en termes de compétitivité face à une concurrence féroce de géants, comme la Chine et les États-Unis, qui bénéficient de coûts de production plus faibles et de réglementations moins contraignantes. Vous dresserez le bilan de la situation française sur ce point. En effet, nous sommes restés frappés par la description clinique de la situation de l'entreprise Michelin face à la concurrence internationale, faite par M. Florent Menegaux, son P-D.G., lors de sa récente audition par la commission. De fait, certaines productions chimiques ont été délocalisées, ce qui fragilise les tissus industriels à l'échelle locale.
Ces dernières années, l'augmentation du coût de l'énergie n'a pas aidé le secteur : la chimie est une industrie très énergivore, particulièrement la pétrochimie et la chimie de base. Comment cela influence-t-il la compétitivité des entreprises françaises face aux concurrences chinoises et américaines, qui bénéficient d'un accès à une énergie moins coûteuse ?
L'avenir de la filière repose sur sa capacité à optimiser les coûts, mais aussi à innover dans un contexte réglementaire assez strict. Comment a-t-elle réagi à la mise en application du règlement « Reach » sur l'enregistrement, l'évaluation, l'autorisation et la restriction des substances chimiques ? Le secteur est-il fragilisé par les coûts élevés de mise en conformité et de reformulation des produits ? De même, quels seraient les effets des interdictions de certaines substances chimiques, notamment les substances perfluoroalkylées et polyfluoroalkylées (PFAS) ?
Outre ces défis en termes de compétitivité, le secteur doit faire face à la transition écologique et accélérer en la matière : comment aller vers une industrie chimique plus innovante, mais aussi plus verte, intégrant les impératifs environnementaux ? Comment réduire la dépendance aux énergies fossiles ? Quelle place pour le recyclage et les solutions alternatives biosourcées, biomatériaux, bioplastiques et procédés éco-efficients ?
L'innovation dans les matériaux durables ne peut reposer uniquement sur les efforts des entreprises ; elle appelle un soutien accru à l'investissement industriel pour moderniser les infrastructures et accélérer la transition énergétique, ce qui pose la question des aides publiques. Quel regard portez-vous sur ce sujet ? De quelle politique industrielle ambitieuse et cohérente notre pays a-t-il besoin pour tirer le meilleur parti de la filière chimique ?
Par ailleurs, vous le savez, le Sénat est particulièrement attentif aux territoires. Comment se positionnent-ils au regard des défis évoqués ? Devez-vous souvent surmonter des difficultés proprement locales, qu'il s'agisse de la fragilité d'un maillon de la chaîne de valeur locale ou d'oppositions rencontrées sur le terrain ? Vous donnerez des exemples concrets, comme celui - peut-être - de la vallée de la chimie dans la région Auvergne-Rhône-Alpes. Le dialogue entre les industriels, les pouvoirs publics nationaux, les collectivités territoriales et les citoyens peut-il être amélioré et renforcé ?
Voilà quelques-unes des questions que je souhaitais vous soumettre. Mes collègues ne manqueront pas de les compléter après votre intervention liminaire.
J'ai souhaité associer nos collègues sénateurs du département de l'Isère, Frédérique Puissat et Guillaume Gontard, président du groupe Écologiste - Solidarité et Territoires (Gest), dont je salue la présence. En effet, ce département accueille des entreprises du secteur et connaît les difficultés de la filière.
M. Frédéric Gauchet, président de France Chimie. - Merci de votre accueil. Vous avez, madame la présidente, présenté une très belle synthèse, que je vais tenter de compléter par mon propos liminaire.
Au troisième trimestre de l'année 2024, les effectifs employés directement par le secteur de la chimie s'élevaient encore à 200 000 personnes réparties au sein de 4 000 entreprises, pour leur majorité présentes sur le territoire métropolitain. En 2023, le chiffre d'affaires de la filière s'élevait à 109 milliards d'euros - je ne dispose pas encore des données pour 2024 - et la valeur exportée par notre industrie à 80 milliards d'euros, soit 75 % de notre chiffre d'affaires. La filière engendre le deuxième solde exportateur derrière l'aéronautique, avec 18 milliards d'euros pour 2023. Il est important de le souligner, ce secteur industriel a connu quinze années de croissance ininterrompue jusqu'à la crise liée à la pandémie de Covid-19. Ce n'est pas spécifique à la France ; l'industrie de la chimie dans le monde est un secteur en croissance continue.
C'est également un secteur innovant qui a besoin de recherche. Aussi y consacrons-nous 8 % de nos effectifs. Toutes les industries sont dépendantes de notre capacité d'innover, qu'il s'agisse des principes actifs pour le secteur de la pharmacie, des matériaux plus légers pour l'industrie automobile ou aéronautique, de nouveaux composants pour les batteries électriques, de nouveaux aimants pour les éoliennes ou les moteurs électriques ou encore du recyclage des ressources précieuses, comme les terres rares.
Nous soutenons, de façon indiscutable, la prise en compte des enjeux écologiques. Après avoir culminé à 57 millions de tonnes au début des années 1990, les émissions de CO2 de la chimie en France ont été réduites à moins de 20 millions de tonnes en 2020. C'est une réduction énorme, car le volume de notre production hexagonale a progressé de 26 % dans le même temps. La chimie est désormais considérée comme un secteur stratégique pour la souveraineté des États, aussi bien en France, comme le montre la place que vous lui avez accordée dans les plans France Relance et France 2030, qu'au sein de l'Union européenne ou dans le reste du monde. La Chine est le pays le plus convaincu de l'aspect stratégique du secteur : depuis dix ans, elle investit deux fois plus dans cette industrie que l'Union européenne et les États-Unis réunis.
La fédération France Chimie regroupe 900 adhérents, 1 300 établissements et dispose d'un maillage régional grâce aux France Chimie régions, comme l'atteste la présence des présidents Pidoux et Deschamps. Elle est pourvoyeuse d'expertises et d'experts dans tous les domaines, notamment en matière de transition énergétique, environnementale et digitale, pour tous nos adhérents.
Notre industrie ne se porte pas bien aujourd'hui. En voici deux preuves. Si nous sommes en avance pour atteindre l'objectif de décarbonation pour 2030, à savoir 10 à 12 millions de tonnes d'émissions de CO2, ce n'est pas uniquement en raison du progrès des technologies et des procédés : les fermetures de sites enregistrées depuis un an représentent plus de la moitié de la baisse des émissions. Alors que la France est le deuxième acteur européen de l'industrie chimique, notre part de marché mondial est tombée à 13 % en 2023, contre 28 % voilà vingt ans. Cette tendance est en train de s'accélérer.
Pour présenter le contexte de crise du secteur, je suis accompagné de deux présidents de formations régionales de France Chimie et nous sommes tous trois des entrepreneurs. Si les représentants de la fédération France Chimie ne commentent ni les décisions ni les actions de ses adhérents, en tant que dirigeants d'entreprises, nous présenterons les actions menées et les réponses apportées. Ainsi évoquerons-nous la concurrence internationale, l'innovation, la charge fiscale ou encore le prix de l'énergie. Deux d'entre nous travaillent au sein d'entreprises internationales : Minafin, que je dirige, est présente en France, en Belgique, en Allemagne, au Canada et aux États-Unis. En cela, nous offrons une sorte de benchmark de la situation existant en dehors des frontières françaises et européennes.
L'an passé, la fédération France Chimie a tiré la sonnette d'alarme. C'était inédit, comme la crise que nous traversons. Le taux d'utilisation de nos usines est l'indicateur le plus important pour ce qui concerne les difficultés rencontrées par la filière. À l'échelle européenne, y compris en France, ce taux stagne à 75 % depuis de nombreux mois ; or il doit dépasser 80 % pour que nos usines soient rentables, un niveau qu'il excédait nettement jusqu'à la crise de la Covid-19. Selon la dernière enquête menée auprès de nos adhérents en 2024, le taux d'utilisation des usines a chuté pour atteindre 71 %. Depuis le premier trimestre 2022, nous sommes clairement dans une zone rouge. L'industrie chimique française n'a jamais connu de crise aussi longue : l'à-coup qu'a subi la production du secteur pendant la pandémie de Covid-19 n'avait pas duré plus de deux trimestres ; or nous atteignons désormais les trois ans de crise.
Quelles sont les raisons de la décroissance de notre activité ? La première et la plus évidente est que la chimie est l'industrie des industries. L'industrie européenne ne se porte pas très bien, par conséquent la demande européenne en direction de l'industrie chimique ne se situe pas non plus à un bon niveau.
Le coût de l'énergie est un sujet extrêmement sensible. En Europe et en France, le prix du gaz est en moyenne cinq fois supérieur à celui qui a cours en Amérique du Nord, tandis que le prix de l'électricité est près de deux fois plus élevé. Pour vous donner des chiffres précis, voici les prix de l'électricité et du gaz que l'ETI que je dirige paie en France et au Québec. En France, le prix du mégawattheure de gaz s'élevait à 71 euros en 2024 contre 9 euros au Québec. Pour ce qui concerne l'électricité, mon entreprise bénéficie de l'accès régulé à l'électricité nucléaire historique (Arenh) jusqu'à la fin de l'année 2025, aussi paie-t-elle en France 91 euros en coût complet, ce qui comprend les taxes et les coûts d'acheminement de l'électricité jusqu'à mon usine, contre 59 euros au Québec. Si mes deux usines françaises payaient le même prix pour la fourniture d'électricité qu'au Canada, cela aurait engendré une économie de 3,7 millions d'euros en 2024, soit 4 % du chiffre d'affaires. L'Arenh s'arrête à la fin de l'année 2025, aussi ces 91 euros se transformeront-ils en 164 euros si rien n'est fait et le différentiel constaté n'atteindra plus 3,7 millions d'euros, mais 5,5 millions d'euros, soit 7 % du chiffre d'affaires français. Or mon entreprise est considérée uniquement comme électrosensible et non pas comme électro-intensive ni hyper électro-intensive. Si aucune solution n'est trouvée, certaines entreprises hyper électro-intensives seront en faillite dans les deux mois suivants l'arrêt de l'Arenh.
La fiscalité est anormalement élevée, c'est une spécificité non pas de l'industrie de la chimie, mais de l'industrie tout entière. Les cotisations employeur et les impôts de production, nets des subventions d'exploitation, représentent 18 % de notre valeur ajoutée, contre 10 à 11 % de la valeur ajoutée pour les grands producteurs du secteur de la chimie en Allemagne, en Espagne ou en Italie, soit une différence de 6 à 7 % qui s'ajoute à celle évoquée pour ce qui concerne les prix du gaz et de l'électricité.
La réglementation est extrêmement chère. En Europe, en vingt ans, le coût de la mise en oeuvre de la réglementation est passé de 4 % à 12 % de la valeur ajoutée, soit deux fois plus que les montants consacrés à la recherche. Malheureusement, nos concurrents internationaux n'ont absolument pas suivi cette tendance hyperbureaucratique qui freine nos investissements. Désormais, selon les résultats de notre dernière enquête, un quart de nos adhérents ont décidé de transférer leurs investissements en dehors de l'Hexagone. Pour illustrer plus précisément cette question, Jacques Pidoux va en décrire les conséquences pour sa société.
M. Jacques Pidoux, président de BCF Life Sciences. - BCF Life Sciences, que je dirige, est une PME située dans le Morbihan qui valorise la kératine, à savoir une protéine contenue notamment dans les plumes des volailles, pour l'hydrolyser et produire des acides aminés. Cette entreprise participe à l'économie circulaire et utilise des biotechnologies. Elle est très ancrée dans le monde de la chimie et de l'innovation, comme nombre d'entreprises françaises. Elle met en oeuvre une chimie à haute valeur ajoutée et exporte pour près de 65 % de son chiffre d'affaires.
Les investissements de conformité réglementaire augmentent fortement et représentent pour notre société 8 % de la valeur ajoutée, après l'accompagnement de certains investissements par l'État, contre 5 % en 2021 et 0 % en 2020. Le soutien de l'État en matière de décarbonation, de transition écologique ou de sobriété hydrique est d'ailleurs absolument capital.
À propos de l'énergie, il existe clairement un « avant » et un « après » crise ukrainienne, celle-ci ayant marqué une explosion des prix. Toutefois, entre 2016 et 2024, pour notre entreprise, le rapport du prix de l'énergie dans le prix de revient a bondi de 85 % et représente actuellement 23 % de la valeur ajoutée. Le prix de l'énergie a donc un effet extrêmement structurant et des conséquences directes sur la capacité d'investissement des entreprises françaises de la chimie.
M. Frédéric Gauchet. - Ces « surcharges » obèrent la capacité d'investissement de nos entreprises, alors que des politiques d'investissement très agressives ont cours dans le reste du monde. Deux chiffres montrent combien l'investissement est important dans notre industrie. Alors qu'en 2003, l'industrie de la chimie européenne représentait 28 % du marché mondial pour 29 % des investissements dans le monde, la part des investissements européens est tombée à 12 % en 2023 pour une part de marché de 13 %. Par conséquent, il existe une corrélation très forte entre les capacités d'investissement et le développement de l'industrie de la chimie. Ainsi, la Chine représente désormais, à elle seule, la moitié des investissements de la chimie mondiale, mais également 50 % des produits issus de la chimie vendus dans le monde.
Cela crée une situation doublement délicate pour nous : d'une part, avec la chute de la demande, nous sommes en surcapacité et, d'autre part, les Asiatiques disposent d'usines plus modernes et récentes que les nôtres, donc plus performantes. Comme partout, des acteurs déloyaux existent. Ainsi la chimie représente-t-elle 39 des 146 dossiers antidumping et anti-subvention en cours d'instruction à Bruxelles.
La perte de compétitivité n'affecte pas seulement les grandes activités ou les produits comme l'éthylène ou le chlore, elle remet en cause le modèle économique du secteur de la chimie, qui est un écosystème aux composantes totalement interdépendantes. Nos sites sont en effet très imbriqués les uns avec les autres et les effets dominos sont fréquents - ils existent déjà et d'autres sont redoutés. Ainsi, l'arrêt d'un atelier, causé par la disparition d'une source d'approvisionnement en matières premières en amont, a des conséquences sur d'autres chimistes ou sur les industries clientes en aval. La disparition d'une entreprise adhérente aboutit parfois à la remise en cause de l'équilibre économique d'une plateforme mise en place pour partager les coûts et rendre ses participants plus compétitifs notamment en matière de vapeur, de traitement des déchets ou de sécurité des sites. À ce propos, Alix Deschamps va évoquer l'exemple de la vallée de la chimie de l'Oise.
M. Alix Deschamps, président de WeylChem Lamotte. - Je préside une entreprise située à Cuise-la-Motte près de Compiègne. C'est un site historique qui a plus de cent vingt-cinq ans. Il s'agit d'un exemple type de plateforme réunissant un acteur principal, WeylChem, et des partenaires historiques avec lesquels existent des interactions fortes, notamment pour optimiser le coût unitaire des infrastructures.
Le risque principal que je rencontre est celui d'une distorsion de compétition. En effet, parmi les produits intermédiaires fabriqués à Cuise-la-Motte figure l'acide glyoxylique, molécule clé pour la fabrication des antibiotiques et de la vanilline ou pour celle de produits de traitement utilisés dans l'agriculture. À l'exception de la Chine, nous sommes les seuls à le fabriquer. Néanmoins, depuis 2022, nous sommes confrontés à une distorsion de compétition avérée avec ce pays. Selon les prix d'échange fournis par les douanes internationales, entre 2019 et 2024, le prix à la sortie de Chine s'est réduit de 40 %, alors que l'inflation était de quasiment 20 % en France et que mes coûts d'énergie doublaient à tout le moins, puisque notre entreprise est considérée comme électro-intensive.
Une des actions mises en oeuvre a été d'appeler l'Union européenne à mieux nous protéger, ce qui ne veut pas dire s'extraire de la compétition - nous sommes des entreprises internationales, à la fois importatrices et exportatrices. Nous avons donc déposé un dossier antidumping. Néanmoins, cet outil n'est pas approprié, du fait de sa complexité : six mois de préparation du dossier, dépôt en juin 2024, instruction ensuite par les services de l'Union européenne pour obtenir la mise en place d'une barrière douanière en octobre 2025, dans le meilleur des cas. Malgré un très bon accueil du dossier, le temps nécessaire pour mener à bien cette démarche est donc long. En outre, seule la molécule de l'acide glyoxylique est considérée ; or c'est l'équilibre de la filière qui est en jeu. Mes clients seront aussi affectés par ce changement de règle, alors qu'ils sont également attaqués par la Chine. S'appuyer sur un produit est trop réducteur, il faut travailler la notion de filière et celle de chaîne de valeur.
Pour ce qui nous concerne, un effet domino a eu lieu. Un de nos clients qui fabriquait un produit fongique à destination de l'agriculture, également attaqué par la Chine, s'est retiré. La somme de ces deux effets - attaque directe contre la molécule de l'acide glyoxylique et attaque indirecte dirigée contre notre client - a abouti à un chiffre d'affaires potentiel inférieur de 40 %. Pour permettre la survie du site et de l'entité économique, nous avons mis en oeuvre un plan de sauvegarde de l'emploi (PSE) avec toute la dureté sociale et économique que cela implique.
En outre, dans le même temps, je devais investir près de 20 millions d'euros pour réduire de 50 % les émissions de CO2 de mon entreprise. Comment faire pour investir une telle somme, alors que les produits sont 40 % moins chers qu'il y a cinq ans sur le marché ? C'est un paradoxe. La situation de mon entreprise est une illustration des problèmes que rencontrent les chimistes. Je n'oublie pas non plus l'innovation : nous dépensons plus de 8 % de notre chiffre d'affaires en innovation et en recherche.
M. Frédéric Gauchet. - L'an passé, France Chimie a demandé au cabinet de conseil Advancy de réaliser une étude sur la situation globale de la chimie, en anticipant l'accentuation de la crise. Selon cette étude, 47 sites industriels étaient menacés en France, soit 15 000 à 20 000 emplois. Cette étude a été réalisée avant que les journaux ne fassent état des cas spectaculaires de défaillances d'entreprises. La même étude a été menée à l'échelle européenne : le nombre d'emplois menacés est multiplié par dix. Cette situation n'est donc pas spécifique à la France, et les solutions sont plus complexes à trouver, puisqu'elles doivent être à la fois françaises et européennes.
J'ignore jusqu'où ira cette désindustrialisation. Selon notre dernière enquête réalisée à la fin de l'année 2024, plus de 80 % de nos adhérents mettent en oeuvre des plans d'économies et 30 % d'entre eux exécutent ou étudient l'exécution d'un PSE. Nous sommes dans une situation très défavorable. Cette désindustrialisation n'est pas souhaitable. Au-delà des effets massifs sur l'emploi, elle pourrait créer des situations de dépendance pour des filières stratégiques et, surtout, dégraderait la trajectoire de réduction de l'empreinte carbone de la France.
Face à cela, que faisons-nous ? Nous saluons la mobilisation du Sénat, que nous apprécions grandement, et la mobilisation de nature politique en faveur d'un plan de soutien pour la chimie. Néanmoins, le nerf de la guerre pour restaurer notre industrie est de restaurer notre compétitivité, notre attractivité et notre capacité d'investissement.
Après des discussions avec nos adhérents, la fédération a retenu cinq axes d'action. Le premier axe, sans surprise, est d'assurer l'accès à une énergie décarbonée et compétitive. Nous pensions être à l'abri grâce au formidable parc de centrales nucléaires et de barrages dont dispose la France, mais les chiffres montrent que ce n'est pas un avantage. Le deuxième axe est de restaurer la compétitivité des investissements et d'accélérer l'innovation. Le troisième axe est de mener à bien un choc de simplification réglementaire ; il s'agit non pas d'y travailler, mais de le mettre en oeuvre. Le quatrième axe est de rétablir un cadre de concurrence commerciale équitable avec le reste du monde, sans faire preuve de naïveté. Enfin, le cinquième axe est d'importer la main-d'oeuvre qualifiée requise par l'évolution de nos métiers et des compétences. Ce dernier point est fondamental.
Je vous propose de préciser rapidement chacun de ces points, en commençant par celui de l'accès à l'énergie.
M. Alix Deschamps. - Le sujet de l'énergie est avant tout celui du post-Arenh. Cet outil offrait visibilité et compétitivité à notre industrie. Aujourd'hui, on ne retrouve pas son équivalent, ce qui fait peser un risque sur les décisions d'investissement et les transformations structurelles de long terme. Alors que le prix de l'électricité à moyen terme dépend principalement de celui du gaz et du CO2, les futurs outils de marché à trois ou cinq ans sont plus complétifs que les offres de moyen terme d'EDF.
Au-delà de la fabrication de la molécule, ne négligeons pas le coût de l'infrastructure et de la taxation. Il y a ainsi un décalage important, en France, entre ce que l'on paie et le seul prix de la matière - je rappelle l'exemple canadien, précédemment évoqué.
M. Jacques Pidoux. - La chimie française doit poursuivre sa transition écologique engagée depuis trente ans. En effet, le secteur a réduit ses émissions de 30 % depuis 1990, et la décarbonation est ancrée dans ses stratégies.
Le principe d'une empreinte carbone compétitive ne se discute pas : tous les industriels sont engagés dans la démarche. Cependant, le prix de l'électricité est central : PME comme grandes entreprises abandonnent les énergies fossiles, mais si l'électricité de substitution, nucléaire par exemple, est deux à trois fois plus chère que ce que paient les concurrents, la situation devient schizophrène et nous ne pourrons poursuivre dans cette démarche. L'enjeu est celui de la chaîne de valeur : quel prix accordera-t-on demain aux produits décarbonés par rapport aux autres ? En revanche, nos concurrents, hors Europe, ne s'inscrivent pas dans la décarbonation, ce que rappelle la forte inflexion de la politique américaine de l'énergie. Cela ne fera qu'accentuer les écarts de compétitivité.
Il est donc crucial que l'État soutienne de telles ambitions. Cela englobe la transition énergétique des sites les plus émetteurs, le développement du recyclage chimique et de la chimie biosourcée, la sobriété hydrique, les nouveaux produits et matériaux de spécialité, ou encore le remplacement des substances problématiques. Nous soutenons la politique de l'offre engagée avec France 2030 et l'accompagnement, sur le terrain, par l'Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie (Ademe) et les agences de l'eau. Cependant, cela passe aussi par l'assouplissement, à Bruxelles, des lignes directrices relatives aux aides d'État. Enfin, le crédit d'impôt recherche (CIR) est un instrument important, y compris pour les PME, puisqu'il représente 20 % de notre budget de recherche et développement (R&D).
M. Frédéric Gauchet. - La simplification de la réglementation concerne, non pas seulement Bruxelles, mais avant tout le droit français. Par exemple, prenons la législation sur le zéro artificialisation nette (ZAN) dans laquelle tout sera en fait géré par exception. Était-elle bien utile ? Un exemple concret : l'instruction des permis de construire et d'exploitation est extrêmement longue. En vingt ans de carrière à la tête d'une entreprise, je n'ai jamais obtenu d'autorisation en moins de dix-huit mois. J'ai ainsi dû arbitrer, pour le déploiement d'un projet, entre Dunkerque et Memphis, aux États-Unis : pour ce dernier site, trois mois suffisaient à obtenir les autorisations. Vous devinez ma décision d'autant que j'étais pressé par un concurrent...
N'oublions pas non plus les répercussions financières de ces contraintes. Ainsi, la réglementation sur les liquides inflammables et entrepôts implique 800 millions d'euros d'investissements. À titre de comparaison, pour 2023, toute notre industrie en France a investi 8,1 milliards d'euros, et entre 7 milliards et 7,5 milliards d'euros pour l'année dernière. Il conviendrait donc d'aménager cette contrainte dans le temps... De même, la réglementation sur les séismes représente 500 millions d'euros, ce qui est colossal. En outre, l'administration prend parfois des décisions surprenantes.
Enfin, au niveau européen, le secteur de la chimie, comme les autres secteurs industriels, est très inquiet de la directive sur la publication d'informations en matière de durabilité par les entreprises (CSRD), la directive sur le devoir de vigilance des entreprises en matière de durabilité (CS3D) et la taxonomie. En droit français, la CSRD a été, comme souvent, surtransposée. Nous avons donc perdu en attractivité. Vous pouvez donc faire beaucoup pour nous aider, aux niveaux français comme européen.
M. Alix Deschamps. - Nous faisons preuve de naïveté commerciale par rapport aux autres régions du monde. Il ne s'agit pas de défendre un protectionnisme extrême, puisque nous participons aux échanges internationaux. Cependant, il faut inverser la charge de la preuve. En effet, dès les premiers signes de distorsion, il faudrait protéger immédiatement la production européenne en laissant la charge aux producteurs extérieurs de démontrer l'absence de distorsion. Actuellement, c'est à l'Europe de le faire - j'ai en tête l'exemple d'une visite d'entreprises chinoises par des représentants de la Commission européenne pendant dix jours, pour vérifier nos dires. Je vous laisse imaginer le coût d'une telle démarche appliquée à quarante produits...
M. Frédéric Gauchet. - Pour conclure, la chimie rassemble des compétences très élevées, puisque nos effectifs sont composés à 71 % de cadres et de techniciens, contre 58 % en moyenne dans l'industrie. La rémunération y est 20 % plus élevée, avec une médiane de 54 000 euros annuels en 2024, pour une moyenne de 64 000 euros. Une diminution des emplois dans ce secteur aurait donc un fort impact sur les ressources fiscales.
Pour être plus compétitifs, nous devons monter encore en qualification. Dans la chimie, ce ne sont pas les industriels qui paient le moins qui gagnent le plus d'argent, mais ceux dont les effectifs sont les plus compétents et productifs. L'enseignement supérieur doit donc continuer à former les cadres et techniciens de la chimie de demain, ce qui est essentiel pour intégrer les outils dont nous aurons besoin pour être aussi productifs que les Asiatiques et les Nord-Américains.
Une grande flexibilité et un cadre favorable au reclassement des salariés sont également nécessaires. Dans toute révolution industrielle, comme celle que nous subissons, il faut pouvoir repositionner les personnes.
Mme Dominique Estrosi Sassone, présidente. - Les chiffres que vous nous présentez nous interpellent toutes et tous. Nous sommes à vos côtés pour que la filière industrielle de la chimie, la deuxième après l'aéronautique, retrouve sa compétitivité et son attractivité.
M. Franck Montaugé. - Vous décrivez une situation pour le moins inquiétante.
Vous avez mentionné le prix de l'énergie post-Arenh. Comme tous les industriels, vous avez besoin de visibilité et de stabilité. Envisagez-vous des formules alternatives au contrat d'allocation de production nucléaire (CAPN), comme des contrats d'achat d'électricité de type PPA (Power Purchase Agreement), de participation à l'investissement en contrepartie d'un prix moindre ?
Votre définition de la chimie verte comprend-elle la réduction de l'utilisation et de la synthèse de substances dangereuses ? Quels sont vos objectifs en la matière ? En effet, vous mentionnez largement la question du CO2, mais la transition dépasse cette seule question. En quoi la chimie verte concerne-t-elle l'agriculture, selon vous ?
Enfin, comment être vous aidés pour la croissance du secteur de la chimie verte, que j'imagine concurrentiel, car la Chine s'y engage ? Le CIR et France 2030 sont-ils satisfaisants ? Comment cela se traduit-il à l'échelon européen ?
M. Bernard Buis. - Le 18 novembre dernier, Magali Smets, directrice générale de l'Union des industries chimiques, indiquait avec gravité que la branche chimie devrait perdre 15 000 emplois en trois ans. Vous partagez certainement ce pronostic. Quelles pistes peut-on envisager pour y remédier ?
Sénateur de la Drôme, département voisin de l'Isère, je suis bien évidemment sensible à la situation de Vencorex et d'Arkema. L'évolution de ces entreprises aura des conséquences pour les acteurs économiques de l'ensemble de la région. Comment analysez-vous le cas de Vencorex ? Les difficultés étaient-elles évitables ? Une nationalisation temporaire serait-elle bénéfique ?
Enfin, notre commission a auditionné l'année dernière Arthur Mensch, fondateur de Mistral AI. Alors que l'entreprise Sesterce devrait bientôt s'installer dans la Drôme, comment le secteur de la chimie s'empare-t-il de l'intelligence artificielle (IA) ?
M. Serge Mérillou. - Je souhaite évoquer les cosmétiques, dont la France est le premier exportateur mondial, même si sa part régresse fortement. En 2024, le secteur a connu plus de vingt liquidations d'entreprises, souvent confrontées à des difficultés réglementaires de mise sur le marché de nouveaux produits. Or le secteur évolue très vite, et les lourdeurs administratives retardent leur déploiement, si bien que les entreprises doivent parfois exporter leur innovation hors d'Europe.
Dans mon département de la Dordogne, un industriel de la chimie, dont le siège est aux États-Unis, mais qui dispose de plusieurs usines en Europe, emploie plus de 600 personnes. Face au coût de l'électricité, l'entreprise souhaite créer un parc photovoltaïque sur un terrain qui lui appartient. Cependant, des fouilles archéologiques, certes nécessaires, interrompent les travaux depuis deux ans. Ses dirigeants peinent à comprendre de tels délais, alors que ce parc permettrait de réduire les coûts.
M. Alix Deschamps. - En matière d'énergie, il n'y a pas une seule chimie ; il y a un ensemble d'acteurs aux besoins différents, allant jusqu'au consommateur hyper électro-intensif d'énergie. Ils ont besoin d'outils variés, ce pourquoi je ne puis vous donner une réponse simple ou simpliste.
Cela étant, dans tous les cas, le consommateur doit consentir à un fort engagement, mais avec peu de garanties sur le prix final. Or il a besoin de visibilité et de compétitivité sur le prix, ce que le marché est le seul à offrir aujourd'hui, quand l'Arenh permettait de dépasser le marché, avec une meilleure visibilité. En d'autres termes, la boîte à outils d'EDF ne répond pas, aujourd'hui, à nos attentes.
M. Frédéric Gauchet. - J'ajoute que notre industrie de la chimie peine déjà à investir suffisamment dans ses propres activités. Nous transférer la charge de financer une infrastructure d'intérêt national poserait donc une difficulté à la plupart d'entre nous.
Ensuite, tous vos propos sur la chimie verte sont exacts. Bien souvent, elle est considérée comme étant la chimie basée sur des ressources naturelles renouvelables, généralement végétales. Cependant, cette définition, certes importante, n'est pas la seule, comme le montre la réduction considérable de notre empreinte carbone en trente ans, due à l'efficacité de nos procédés. Ainsi, une source de compétitivité est de vendre des molécules fabriquées à partir du moins d'atomes possibles. Toutes les substances dites dangereuses ne doivent donc pas être opposées à la chimie verte.
Notre métier est de faire interagir des composants chimiques au moyen de l'énergie. Notre savoir-faire historique nous permet de contrôler ces éléments, même toxiques. Il faut donc produire des molécules avec un impact environnemental et une consommation d'énergie les plus faibles possible. Voilà ce que signifie le fait de verdir notre industrie. Nous le souhaitons, car plus un procédé est vert, plus il est compétitif, ce qui explique l'importance de la recherche. L'enjeu n'est pas tant d'inventer une molécule - ce sont nos clients qui le font - que de la produire bon marché, avec moins de répercussions sur l'environnement, une synthèse plus courte et moins d'atomes gaspillés.
Une particularité de la chimie verte est qu'elle est très consommatrice d'énergie, comme le montrent les carburants artificiels. La France a connu une grande fécondité en matière de développement des procédés, avec de brillants acteurs, mais ils n'ont pas été industrialisés sur place, en raison de la difficulté à construire de nouveaux sites. Vous avez mentionné l'archéologie, mais les espèces protégées peuvent aussi bloquer des projets indéfiniment.
M. Alix Deschamps. - Sur l'emploi, il est crucial de revenir à une concurrence saine avec les autres acteurs, notamment sur l'énergie et les prix de marché. L'innovation est déjà là, mais nous sommes exposés à court terme. Il convient donc désormais de nous protéger à moyen et long termes en nous battant avec les mêmes armes que les autres, d'où nos recommandations sur un environnement compétitif sain. Cessons d'être naïfs !
En outre, nous devons accompagner la nécessaire transformation de nos équipes, qui sont à 75 % composées de techniciens ou d'ingénieurs. Nous y avons notre intérêt. En effet, même si nous devons en passer par un PSE, aider le personnel à changer de compétences permet une meilleure adéquation avec nos besoins.
M. Jacques Pidoux. - Au cours des deux derniers jours, et comme nous le ferons sans doute dans les années à venir, nous avons largement parlé de l'IA, qui représente une transformation majeure. Son appropriation est un enjeu de plus pour notre industrie, au même titre que ceux de la compétitivité, de la décarbonation ou des contraintes réglementaires. L'IA est un levier de productivité, comme le montrent les entreprises qui se la sont appropriée, notamment en cas de pénurie de main-d'oeuvre. Pour les PME, tout part de la structuration des données nourrissant l'usage de l'IA. Il faudra accompagner ces entreprises dans cette transition, à laquelle les grands groupes sont bien mieux préparés. Les applications sont pléthoriques, de la maintenance préventive à la logistique, ou supply chain.
M. Frédéric Gauchet. - Une réglementation européenne de l'IA, fort contraignante, est en vigueur depuis quelques mois et pour certaines dispositions relatives aux sanctions quelques jours. Il n'y a qu'en Europe que cela existe ! Tout d'abord, en cas de non-respect, l'amende peut atteindre 6 % du chiffre d'affaires - voilà qui plante le décor... En outre, quatre niveaux de risque y sont définis. Hier, au cours de la réunion du bureau de France Industrie, nous nous interrogions sur l'ampleur du travail à mener avant de continuer à développer l'IA comme outil de modernisation de nos entreprises.
Or face à nous, nous trouverons les industriels de la chimie situés aux États-Unis, où l'on aura tout déréglementé. Et je crains qu'eux ne rencontrent pas de barrière à l'entrée de l'Europe alors qu'ils n'appliquent pas la réglementation européenne sur l'IA : tels en sont les effets pervers.
Pour vous répondre sur un autre sujet, en tant que membre de France Industrie, je ne peux m'exprimer à la place des dirigeants de Vencorex - mais lorsque les journaux parlent d'une liquidation, il est en général trop tard. Cela étant, vous pouvez agir sur ce sujet. En effet, nous avons mis en évidence une cinquantaine de sites à risque en France dans une étude partagée avec la direction générale des entreprises (DGE). Un relais de la part d'institutions comme le Sénat et l'Assemblée nationale nous aiderait grandement.
Sur Reach, la position unanime des adhérents de notre fédération est un soutien à la réglementation et à sa révision. Nous n'avons pas demandé le report de cette dernière à la Commission européenne, car cette réglementation est fort utile. En effet, elle nous permet, tant dans notre manière de gérer les produits dangereux que vis-à-vis des consommateurs, d'apporter une information utile.
Ensuite, au sein de notre industrie, nous savons que certaines substances doivent être remplacées par d'autres en raison de leur caractère dangereux, qu'il s'agisse de leur rémanence ou de leur persistance dans l'environnement, ou, encore, de leurs effets à long terme sur la santé humaine ou de toute autre espèce vivante. En revanche, cela doit être fait de manière scientifique et pragmatique, sans a priori politique.
Nous convenons que, pour traiter le problème des PFAS, nous ne pouvons attendre dix ans que l'État finisse d'instruire les dossiers. Schématiquement, ces substances contiennent du fluor. Or l'un de mes métiers est d'élaborer les principes actifs de l'industrie pharmaceutique : 31 % d'entre eux, à l'échelle européenne, en contiennent. Soit l'on supprime le fluor - donc le dentifrice et les médicaments au fluor -, soit, parmi les 10 000 molécules polyfluorées, pour la plupart scientifiquement identifiées, on recherche des substitutions. Un bannissement global des PFAS serait une catastrophe pour le citoyen européen, non un progrès.
M. Fabien Gay. - L'ensemble des parlementaires ici présents, dans leur diversité, tiennent à la filière de la chimie, qui représente 200 000 emplois et des centaines d'entreprises attachées aux savoir-faire français. Cependant, je souhaite que nous ayons un échange, car je considère que votre vision est tronquée et manque sa cible.
Ainsi, sur l'énergie, vous marquez votre inquiétude, affirmant que l'Arenh vous a protégés. Or cette protection n'a pas eu lieu depuis 2022 ! Certes, l'entreprise a besoin de visibilité et vous en avez profité pendant douze ans, mais c'est bien le lien intrinsèque entre le prix du gaz et celui de l'électricité, donc le mécanisme des prix fixés par le marché européen, qui est notre réel problème, pas le post-Arenh. Même avec une Arenh 3.0, dans ces conditions, nous ne serons jamais à l'abri d'une nouvelle crise des prix de l'énergie. En tant qu'industriels et groupe de lobbying, vous devriez vous poser la question d'une sortie du marché européen.
Ensuite, vous nous présentez un discours courant sur les difficultés entraînées par les prélèvements obligatoires et le coût du travail. Mais vous oubliez que le capital, en France, est le plus dopé à l'argent public, sans contrepartie. C'est ça, le réel ! Par exemple, au titre du CIR, combien Minafin, WeylChem et BCF Lifesciences, les trois entreprises que vous dirigez, ont-elles touché en cinq ans ?
Hier, au cours de la réunion de la commission d'enquête sur l'utilisation des aides publiques aux grandes entreprises et à leurs sous-traitants, nous avons établi que le CIR ne faisait l'objet ni d'une contrepartie ni de l'obligation d'investir en France - seulement, peut-être, à l'échelle européenne. En d'autres termes, il ne comporte aucun engagement à créer ne serait-ce qu'un seul emploi en France. Le voilà, le réel ! Ainsi, la chimie, en tant qu'industrie manufacturière, a perdu 7 000 emplois directs cette année ! Puisque nous sommes tous, ici, soucieux de l'emploi efficace de l'argent public, nous devons disposer de l'ensemble des chiffres : des prélèvements obligatoires, certes, mais aussi des aides publiques.
J'en arrive, enfin, à la concurrence déloyale. La voilà, la vraie question ! Nous ne nous en sortirons pas en restant sous la pression, d'un côté, des Américains, qui dopent leur industrie et dressent des barrières douanières, et de l'autre, des Chinois et de leur modèle social. Je ne souhaite pas ce dernier, étant fier du nôtre ! Il est illusoire de penser que nous parviendrons à concurrencer ces pays en réduisant nos exigences sociales et environnementales, car les Chinois et les Américains seront toujours plus agressifs. Ce n'est qu'en appliquant des règles éthiques, les mêmes pour tous, que nous jouerons dans la même cour.
M. Franck Menonville. - À la suite des propos que nous avons déjà entendus au cours de nombreuses auditions portant sur la compétitivité de la France et de l'Europe en matière d'industrie, ceux que vous nous tenez sont particulièrement inquiétants. De quelle marge de manoeuvre notre pays bénéficie-t-il afin que nous retrouvions notre compétitivité ? Les mêmes causes produisant les mêmes effets, Laurent Duplomb et moi-même avons fait adopter au Sénat une proposition de loi destinée à faire tomber un certain nombre d'entraves nationales dans le domaine de l'agriculture.
La Chine pratique certes le dumping, au travers d'une économie publique et administrée, et il convient de s'en protéger. En revanche, à l'égard d'autres partenaires qui, comme le Canada, sont économiquement des puissances libérales, l'enjeu me paraît davantage être celui d'établir un standard de compétitivité dans le rapport que l'Europe entretient avec eux.
Mme Martine Berthet. - Les sept à huit industriels électro-intensifs du département de Savoie m'alertent depuis des années sur le coût de l'électricité. Je suis intervenue à leurs côtés auprès des gouvernements successifs et le groupe d'études Énergie du Sénat a entendu il y a peu de temps le président d'EDF, Luc Rémont. Ce dernier nous assure que les négociations de contrats de long terme suivent normalement leur cours avec les électro-intensifs qui ont besoin de ces contrats - laissons à part la situation des hyper électro-intensifs, pour qui la remarque est d'autant plus vraie.
L'Arenh prendra fin le 1er janvier 2026 et nous sommes à présent au pied du mur. Quelle est à ce stade la situation précise de vos négociations avec EDF ? Ces négociations sont-elles effectives ? S'agit-il de négociations de filières, via l'Union des industries utilisatrices d'énergie (Uniden), ou chacune de vos entreprises négocie-t-elle séparément ?
M. Frédéric Gauchet. - Nous sommes des industriels et il ne nous appartient de définir ni la politique sociale, ni la politique fiscale, ni aucune autre politique, qui sont l'apanage de nos élus. Je n'ai donc pas de commentaire à faire sur les modèles sociaux...
M. Fabien Gay. - Vous vous êtes exprimés dessus pendant une heure...
M. Frédéric Gauchet. - Il existe une véritable compétition internationale pour attirer les investissements industriels. Deux attitudes sont alors possibles : faire en sorte que ces investissements soient d'emblée faciles à réaliser, à moindre coût, ou les rendre complexes et ne pas procéder à des simplifications et allégements fiscaux. Le choix en revient aux politiques. Pour notre part, nous nous exprimons en faveur de la simplification.
Au sujet des aides, je prendrai l'exemple de mon entreprise. Elle bénéficie du CIR à hauteur, en moyenne, de 2 millions d'euros par an, ce qui est à mettre en comparaison avec notre chiffre d'affaires annuel s'élevant à environ 84 millions d'euros. Une telle aide correspond, pour la recherche, à un effectif de 70 personnes. La vertu principale du CIR est de compenser le surcoût qu'emporte pour mon entreprise son effort de recherche par rapport à ses concurrents asiatiques ou américains. Supprimer le CIR m'obligerait à renforcer mes centres de recherche situés en dehors du territoire hexagonal et à réduire l'activité de celui qui s'y trouve, le site de Beuvry-la-Forêt, dans le Nord.
En ce qui concerne les pertes d'emplois, je vous ai communiqué les éléments chiffrés à ma disposition. Vous mentionnez d'autres données que je ne puis en l'état commenter...
M. Fabien Gay. - Je vous les enverrai.
M. Frédéric Gauchet. - Je ne dispose pas encore des statistiques du dernier trimestre 2024, mais nous nous attendons à ce qu'ils soient mauvais.
L'industrie de la chimie est internationale. Même un grand État ne peut décréter l'autarcie dans ce domaine. Les derniers chiffres disponibles, relatifs à 2023, montrent que l'Union européenne exporte pour 38 milliards d'euros à destination des États-Unis, quand elle en importe pour un total de 31 milliards d'euros. Mettre des barrières à ces échanges reviendrait à provoquer la disparition de pans entiers de notre industrie, à plus forte raison que les importations nous servent également à réaliser nos ventes et notre chiffre d'affaires.
Pour sa part, la Chine a pris dans le secteur de la chimie l'importance que nous lui connaissons désormais après y avoir investi massivement, avec l'appui du gouvernement et des provinces. Cet État est ainsi passé d'importateur net de produits chimiques jusqu'en 2019 à exportateur net. Il nous faut nous aussi pouvoir investir dans de bonnes conditions. Pour cela, soit l'État nous accorde de nombreux crédits, ce que je ne préfère pas, soit on nous ménage un cadre favorable pour engranger de l'argent et l'investir. Car observer la répartition des flux de trésorerie de l'industrie de la chimie conduit à constater que c'est non l'actionnaire, mais la politique d'investissement, qui en est le premier bénéficiaire.
L'électricité va pour sa part devenir dirimante dans une politique de décarbonation nous conduisant à consommer de moins en moins d'énergie fossile. Quels que soient la décision et le mécanisme retenus, si notre électricité demeure plus onéreuse que dans le reste du monde, nous serons condamnés à réduire notre surface industrielle, en Europe en général et en France en particulier. On peut évidemment toujours s'interroger sur l'opportunité de rester membre de l'Union européenne, mais je n'ai pas d'avis personnel à exprimer sur le sujet...
M. Fabien Gay. - Personne n'a dit cela !
M. Frédéric Gauchet. - Pour l'heure, des règles existent, qui ont été décidées par les élus politiques, et je les applique.
M. Jacques Pidoux. - Sur le prix de l'électricité post-Arenh, nous avons dans notre cas, celui d'un acteur électro-intensif, conduit des discussions avec EDF sur la mise en place d'un contrat, appelé d'abord contrat nucléaire simplifié (CNS). Cependant, ces discussions ne nous apportent pour l'instant pas de visibilité sur le long terme quant au prix de l'électricité. Il n'existe en effet pas de prix contractuel ferme, ce qui est une difficulté. Notre objectif est d'obtenir, à la fois, un prix de l'électricité qui soit compétitif et de la visibilité sur ce prix. L'absence de réunion de ces conditions nous contraint à modérer nos investissements.
La PME que je dirige réalise à présent un peu plus de 50 millions d'euros de chiffre d'affaires par an, contre 15 millions d'euros en 2019. Elle a créé 140 emplois au titre de son développement, ce qui montre que la contribution des entreprises à la préservation de notre modèle social est évidente. Nous investissons entre 7 et 10 millions d'euros par an, ce qui est très significatif par rapport à notre chiffre d'affaires. La subvention n'entre ainsi nullement dans notre modèle de développement. Nous faisons cependant face à des concurrents dont les États investissent pour leur part massivement dans le soutien à l'industrie. L'Inflation Reduction Act (IRA) a par exemple complètement changé la donne en matière d'investissement industriel.
M. Frédéric Gauchet. - Précisons que lorsque nous discutons avec notre énergéticien, nous signons des accords de confidentialité.
J'apporterai par ailleurs une nuance. Il existe bien des situations de dumping et la Chine n'est pas épargnée par les instructions qui se fondent à Bruxelles sur ce terrain juridique, quoiqu'elle ne soit pas le seul État dans ce cas. Cependant, même sans faire de dumping, la Chine est plus concurrentielle que nous.
Proposer des solutions moins onéreuses que celles de nos concurrents internationaux suppose de disposer de procédés innovants. Dans le cas du paracétamol, par exemple, vous vous êtes aperçus que certains acteurs français de la pharmacie importaient leurs principes actifs majoritairement non de l'Asie, mais des États-Unis, parce que, jusqu'à présent, cet État bénéficie d'un procédé de fabrication plus performant que celui des Asiatiques. Pour obtenir nous-mêmes ces procédés performants, et rester une grande puissance de la chimie, il nous faut investir dans la recherche.
Ne confondons pas ainsi le dumping, qui certes existe, avec les conditions structurelles qui, dans certains pays, favorisent les investissements et une exploitation à meilleur marché qu'en Europe.
Mme Anne-Catherine Loisier. - La baisse des charges et la maîtrise des coûts de l'énergie constituent de grands défis pour l'économie française en général, que nous retrouvons dans la plupart de nos secteurs d'activité. Dépendant principalement de l'exportation, mais également de l'achat de matières premières à l'étranger, le vôtre est cependant particulièrement exposé. Comment analysez-vous le contexte actuel qui se durcit dans le sens du protectionnisme, avec l'augmentation des droits de douane ?
Par ailleurs, vers quels pays exportez-vous ? Existe-t-il des pays dans lesquels vous pourriez valoriser la plus-value de vos démarches de décarbonisation et de verdissement ?
Mme Annick Jacquemet. - Nous commencerons bientôt au Sénat les travaux d'une mission d'information sur l'avenir de la filière automobile. Nous savons que celle-ci entretient des liens étroits avec la filière de la chimie. Comment la seconde contribue-t-elle aux objectifs des acteurs de l'industrie automobile, qui cherchent de nouvelles technologies à même de réduire les émissions de gaz à effet de serre et la consommation de carburant, et à améliorer le confort et la sécurité des véhicules ? Quels sont les innovations et matériaux développés par l'industrie chimique jouant un rôle dans cette transformation ainsi que dans le verdissement de l'industrie automobile ?
Par ailleurs, dans votre plan de soutien pour la chimie, votre cinquième axe d'action consiste à importer une main-d'oeuvre qualifiée...
M. Frédéric Gauchet. - C'était un lapsus de ma part, je voulais dire « apporter ».
Mme Annick Jacquemet. - Il s'agit d'une main-d'oeuvre qualifiée de techniciens aussi bien que de cadres. Est-ce à dire que la filière de l'enseignement ne répond pas à vos besoins ? Le nombre des places disponibles est-il insuffisant ou manque-t-il d'étudiants intéressés par ce secteur d'activité ? Dans l'affirmative, comment les motiver ?
M. Daniel Fargeot. - Un prix de l'énergie plus élevé, le poids de la réglementation, une croissance plus faible en Europe et la concurrence déloyale de la Chine sont autant de facteurs qui s'accumulent pour grever la compétitivité de la chimie européenne. Votre modèle économique est remis en cause et les grands acteurs de la chimie française ne s'y trompent pas. Arkema a par exemple réparti son activité à parts égales entre l'Asie, les États-Unis et l'Europe.
Pour autant, efforçons-nous d'être optimistes et de tenter de sauver notre industrie de la chimie. France Chimie a annoncé en 2023 plus de 250 projets engagés dans le cadre des deux plans France Relance et France 2030, pour un total d'environ 5 milliards d'euros, avec l'appui d'aides publiques. Comment ces projets se développent-ils dans nos territoires ? Quelles sont les relations avec les collectivités territoriales ? Ces projets rencontrent-ils des problématiques de mobilisation de groupes militants, souvent sans lien avec le territoire où ils interviennent ?
Par ailleurs, la Commission européenne a choisi de mettre en place des mesures de protection de l'industrie automobile européenne. Une telle démarche, sans résoudre les problèmes structurels de compétitivité, serait-elle pertinente pour le secteur de la chimie ?
M. Frédéric Gauchet. - Nous sommes clairement opposés au protectionnisme industriel. Sur les 109 milliards d'euros de chiffre d'affaires que nous avons réalisés en 2023, 80 milliards d'euros concernent nos exportations. Mais le solde de 18 milliards d'euros signifie que nous avons également importé pour un total de 62 milliards. Or ces importations sont indispensables au fonctionnement de nos industries. Mettre des barrières aux échanges créerait une inflation considérable sur les prix de revient en Europe et accentuerait notre perte de compétitivité à l'export.
Entre 2003 et 2023, nos exportations extra-européennes se sont continûment développées. Tandis qu'elles représentaient environ 15 % du chiffre d'affaires total du secteur au début des années 2000 - ce qui montre, au passage, l'efficacité de la réglementation homogène qu'offre un marché unique -, cette proportion avait plus que doublé en 2023. Elles sont donc devenues essentielles.
Pour que nos usines soient rentables, il faut les utiliser à au moins 80 % de leur capacité. Les amputer de quelque 30 % de notre volume actuel d'activité par la fermeture des frontières reviendrait à signer la condamnation à mort de notre industrie. Dans un écosystème devenu mondial, nous voulons des conditions de concurrence commerciale qui soient équitables et dépourvues de naïveté, mais nullement du protectionnisme.
Évoquer la valorisation de notre politique de décarbonisation suppose d'être également au fait de ce qui se passe dans le reste du monde. Nombre d'entreprises internationales, y compris aux États-Unis, sur lesquels les projecteurs sont actuellement braqués, entendent se décarboner en suivant les règles d'EcoVadis ou les règles SBTi (Science Based Targets Initiative). C'est une réalité : de plus en plus de clients, qui ne sont pas forcément européens, nous le demandent. Et nos concurrents extra-européens ne sont pas restés inactifs. Aujourd'hui, l'électricité solaire est ainsi plus abondante en Chine qu'en Europe. Il ne s'agit donc plus pour nous d'un facteur de différenciation comme cela a pu l'être pendant un moment.
Le véritable facteur de différenciation qui nous reste encore accessible, avec de très belles réussites sur le territoire hexagonal, a trait au recyclage et à l'économie circulaire. Les terres rares occupent par exemple le devant de la scène : la France possède dans ce domaine un savoir-faire extraordinaire et historique, qui recourt désormais, pour son développement, au recyclage. C'est une solution qu'il nous faut promouvoir dès lors que nous ne disposons pas des ressources suffisantes en matières premières. Elle nous permet d'assurer une certaine forme de souveraineté nationale. Mais l'ambition de traiter les déchets des autres pour les transformer en une matière première noble emporte, de nouveau, la nécessité de ne pas fermer nos frontières.
M. Alix Deschamps. - L'éducation est un sujet clé non seulement pour l'industrie de la chimie, mais pour l'industrie au sens large. À cet égard, les modifications des options au baccalauréat, en défaveur des matières scientifiques, ont tari les filières scientifiques, à tous les niveaux de qualification, ce qui ne manque pas de provoquer des effets en aval.
Nous ne portons pas uniquement notre attention sur les étudiants de niveau bac + 5. L'industrie offre une vaste palette d'emplois, de l'opérateur au docteur. Nous faisons face à un réel enjeu d'attrait des formations scientifiques et il nous faut veiller à ce que l'éducation nationale n'instaure pas des mécanismes qui réduisent les occasions des élèves de se diriger vers elles.
Il n'y a pas une réunion de notre conseil d'administration au cours laquelle nous ne travaillions pas sur ce sujet, pour lequel nous faisons montre de volontarisme, en particulier avec le prix Pierre Potier des lycéens. La question se pose désormais de nous adresser, plus en amont encore, aux collégiens. Des défis sociaux et de transformation existent dans nos métiers, mais ceux-ci permettent aussi de belles carrières. Nous disposons d'un choix de formations assez riches et pertinentes, mais c'est l'envie des étudiants de les suivre qu'il faut davantage susciter, en cassant les a priori dont les filières industrielles peuvent faire l'objet.
M. Jacques Pidoux. - Nous prenons en effet nombre d'initiatives dans ce domaine. Nous pourrions notamment parler de l'alternance.
M. Frédéric Gauchet. - Nous comptons dans notre secteur à peu près 8 000 alternants par an, tous niveaux confondus.
Les actions du secteur de la chimie sont multiples en faveur de l'industrie automobile, au sein de laquelle nous comptons le premier de nos clients sur le marché français. Elles portent sur les efforts de décarbonisation. En France, notre savoir-faire est indéniable en matière de matériaux résistants, de terres rares utiles à la réalisation d'aimants qui entrent dans la fabrication des moteurs des voitures électriques, et de batteries.
M. Jacques Pidoux. - Dans le cadre des plans France Relance et France 2030, les différents territoires nous aident localement dans la conduite de nos projets. Les synergies sont également de qualité avec les pôles de compétence régionaux, avec les universités dans le domaine de la recherche et plus spécifiquement sur l'agriculture durable, avec l'Institut national de recherche pour l'agriculture, l'alimentation et l'environnement (Inrae), de même qu'avec les services déconcentrés de l'État, l'Ademe et les agences de l'eau qui nous montrent tous un très bon niveau d'attention.
M. Alix Deschamps. - Je constate, au cours de mes discussions avec eux, que les présidents de communautés de communes et les maires doivent composer avec le même type de difficultés administratives que nous, industriels locaux, rencontrons dans la conduite de nos projets : empilement des expertises, procédures longues ou manque de visibilité sur les aides disponibles. Nos interrogations sont analogues quant aux moyens à engager pour faire avancer nos projets respectifs.
M. Frédéric Gauchet. - Rendons aussi hommage à ce qui fonctionne bien. La France se distingue notamment grâce à trois entités étatiques : les agences de l'eau, l'Ademe et Bpifrance, sans équivalent ailleurs dans le monde, avec toutes ses instances régionales. Ces entités représentent pour nous autant d'atouts.
Quant à l'état d'avancement des projets inscrits dans les plans France Relance et France 2030, seuls 20 % de nos adhérents ont indiqué au cours de notre dernière enquête qu'ils progressaient comme prévu. Faute de visibilité, l'attentisme et les reports prévalent.
M. Yves Bleunven. - Jacques Pidoux a été plutôt discret sur la présentation de son entreprise, BCF Life Sciences. Employant plus de 200 personnes au coeur d'un département rural - le Morbihan -, elle y est une pépite économique. Elle a été à ses débuts financée par de l'investissement citoyen, avec les efforts d'un maire visionnaire. Elle relève de l'économie circulaire, en valorisant des coproduits issus de la filière volaille morbihannaise, en l'occurrence en transformant des plumes en acides aminés - kératine et cystine.
Vous nous sensibilisez sur le manque de compétitivité de nos entreprises françaises ; vous n'êtes pas les premiers et sans doute pas les derniers à le faire. Ce sujet devrait être inscrit, dans une instance comme la nôtre, comme un sujet d'intérêt général majeur.
Je mettrai l'accent sur un des points de compétitivité, le prix de l'eau. BCF Life Sciences a investi pas moins de 6 millions d'euros dans la réutilisation de l'eau, dont on se préoccupe cependant encore trop peu en France. Êtes-vous satisfaits des décrets qui, en la matière, ont mis énormément de temps à paraître ? Ces outils réglementaires aujourd'hui à votre disposition vous permettent-ils de mettre en oeuvre correctement vos process ?
En outre, la réforme des agences de l'eau conduit à l'augmentation du montant de la facture d'eau des industriels, obérant un peu plus leur compétitivité, avec notamment la suppression en 2025 du plafond de 6 000 mètres cubes. Quelle est votre réaction, sachant que la consommation annuelle de BCF Life Sciences s'élève à plus de 250 000 mètres cubes ?
Mme Marie-Lise Housseau. - Le Tarn abrite deux fleurons de votre secteur d'activité dont nous, élus, sommes très fiers : les Laboratoires Pierre Fabre, dans le domaine pharmaceutique, et Weishardt, premier producteur mondial de gélatine. Cependant, dans la région Occitanie, chacun conserve la mémoire du 21 septembre 2001, date de l'explosion de l'usine AZF. Le traumatisme est toujours vivace et alimente la méfiance à l'égard de certains projets, par exemple un projet d'usine d'enrobés ou celui de la start-up Ipsophene d'installer à Toulouse, sur l'île d'Empalot, une usine de production de paracétamol. Ce dernier, en particulier, se heurte à l'opposition de nombre d'habitants. Cette image négative de la chimie influe-t-elle encore, malgré vos efforts de communication, sur vos propres projets de développement ? Comment luttez-vous pour qu'elle se dissipe ?
Vous nous avez indiqué soutenir le règlement Reach ainsi que son actualisation. Ces contraintes que l'on vous impose se retrouvent-elles ailleurs dans le monde et peuvent-elles devenir un argument concurrentiel ?
M. Philippe Grosvalet. - La concurrence internationale ne s'exerce pas uniquement depuis la Chine et les États-Unis, mais aussi directement sur le sol français. Yara, qui a réalisé en 2024 un bénéfice de près de 1 milliard d'euros, préfère en Loire-Atlantique régler des amendes à l'État, pour près de 1,2 million d'euros, plutôt que se conformer aux normes environnementales. Alors qu'elle va licencier 140 personnes, cette entreprise, déjà condamnée dans son propre pays, la Norvège, pour corruption s'apprête à installer dans un grand port maritime français un site majeur de stockage d'ammonitrates. J'aimerais vous entendre sur ce sujet, bien que je conçoive qu'il puisse être difficile, au sein d'une même filière, de dénoncer les mauvais comportements de grands groupes. Sommes-nous capables de garantir sur le sol français notre souveraineté en produisant nous-mêmes les produits nécessaires à notre agriculture sans nous en remettre à ces grands groupes internationaux, qui produisent à l'extérieur de nos frontières, mais stockent en leur sein une partie de leur production ?
M. Jacques Pidoux. - Je précise que je n'ai pas créé l'entreprise que je dirige, mais que je l'ai reprise en 2009. Une partie de son succès revient donc aussi à mes prédécesseurs.
L'eau constitue assurément un enjeu pour l'industrie, mais, à la différence de l'énergie, elle est une ressource finie. Dans mon cas, il n'est aujourd'hui plus possible de concevoir un projet d'investissement industriel et d'augmentation des capacités de production en consommant davantage d'eau. Un tel projet ne peut se faire qu'à consommation identique, ce qui n'est possible qu'en réutilisant l'eau. Nous avons dans ce dessein engagé un important investissement afin d'économiser environ 80 000 mètres cubes d'eau par an.
Nous avons en France perdu un temps considérable - à peu près cinq ans - à mettre en place une réglementation qui permette aux industriels de réutiliser l'eau. Or cette réglementation se borne à préciser qu'une telle eau de réutilisation doit se conformer aux normes sanitaires. De plus, si les verrous réglementaires se sont quelque peu libérés sur la partie agroalimentaire, quelques-uns persistent sur la partie industrielle.
Dans la filière avicole, un véritable enjeu de souveraineté se pose, car nous savons que la moitié des poulets consommés en France sont des poulets d'importation.
M. Yves Bleunven. - Et sur le prix de l'eau ?
M. Jacques Pidoux. - Nous n'avons pas encore reçu la facture...
M. Mathias Girard, directeur des affaires publiques France et Europe de France Chimie. - Vous aviez au Sénat travaillé sur le sujet à l'occasion du projet de loi de finances (PLF) pour 2024 et nous soutenions votre amendement destiné à étaler la redevance dans le temps. Il n'a malheureusement pas été adopté.
M. Frédéric Gauchet. - Sur l'eau, la partie n'est pas complètement perdue. La France est en retard, y compris en comparaison de certains de ses partenaires européens. Cependant, contrairement à l'électricité ou au gaz naturel, l'eau potable, son accès par les populations et l'arbitrage avec ses usages industriels se révèlent être un problème d'ampleur mondiale. Sur ce point, je ne vois pas de désavantage structurel de l'industrie française par rapport à ses concurrents internationaux.
L'image de la chimie, que vous illustrez des exemples d'AZF et d'Ipsophene, s'avère pour nous une question des plus complexes à traiter. Nous avons considérablement renforcé - à l'attention du grand public - l'information disponible sur la chimie, ses produits et son industrie. Le site en ligne de France Chimie atteste de nos efforts en ce sens. Malheureusement, nous devons nous battre contre des réseaux sociaux, des « trolls » et un obscurantisme scientifique croissant, quand nous voudrions réattirer des jeunes vers les filières scientifiques. L'amalgame est fréquent aujourd'hui et plus il est spectaculaire, plus il joue sur les peurs, plus il se propage aisément. La fabrication du paracétamol n'a en effet rien à voir avec celle des ammonitrates.
Je ne saurais répondre au sujet de Yara. En revanche, la question des engrais nous montre parfaitement l'écueil de l'énergie : il faut disposer de gaz naturel pour les produire et cette énergie représente plus de 60 % de leur prix de revient. Compte tenu de notre situation, deux pôles vont émerger dans le monde pour les produire à moindre coût : la Russie et l'Amérique du Nord, auxquelles s'ajouteront peut-être par la suite des pays du Moyen-Orient. Et à moins de trouver à l'avenir du gaz à très bon marché, cette industrie est totalement défavorisée et non viable en Europe.
Quoique majeur, ce problème n'est néanmoins pas insurmontable. Le monde agricole nous explique en effet que d'autres sources d'azote, de phosphore et de potasse peuvent être développées. Il faut que nous nous intéressions à ces solutions alternatives, au risque de mettre en péril la filière agricole.
M. Daniel Salmon. - Une compétition saine est-elle possible ? N'est-ce pas un voeu pieux ? L'écosystème mondialisé que vous défendez a-t-il de l'avenir et est-il conforme à ce que nous recherchons sur le plan de la souveraineté ?
Les contraintes environnementales que nous avons abordées en filigrane n'ont pas pour vocation de saper l'industrie chimique. Elles découlent d'accidents et de pollutions auxquels nous avons dû faire face. Si vous soutenez le règlement Reach - ce qui s'impose -, vous rappelez la nécessité d'un pragmatisme qui, dans certains cas, peut viser à contrer ces contraintes environnementales. Comment pouvons-nous avancer sans les négliger, afin de préserver un environnement propice à la santé humaine ?
M. Jean-Claude Tissot. - À proximité immédiate de la vallée de la chimie, au sud de Lyon, le département de la Loire est l'une des zones les plus polluées de France aux PFAS. La semaine dernière, des études ont permis de mesurer leur concentration dans l'air ambiant. Elle s'avère forte près des usines chimiques de Daikin et d'Arkema à Oullins-Pierre-Bénite. Leur concentration dans les sols avait déjà été mise en évidence et l'industrie chimique est par définition au coeur des enjeux environnementaux. Existe-t-il réellement une solution, notamment de nature coercitive, pour la rendre moins polluante ?
Ma seconde question s'adresse au président de BCF Life Sciences. Les biostimulants que vous proposez constituent, au moins sur le papier, une solution prometteuse pour les agriculteurs. Sommes-nous sûrs de leur innocuité ? Disposez-vous de retours d'agriculteurs qui les utilisent ? Une littérature scientifique les concerne-t-elle ou la confidentialité prend-elle le pas à leur sujet ?
M. Guillaume Gontard. - Je vous remercie de votre invitation, madame la présidente, et de me laisser prendre la parole en tant que sénateur isérois.
Je sais, messieurs, que vous n'êtes pas les dirigeants de Vencorex ou de Arkema. Néanmoins, je souhaite, après mon collègue Bernard Buis, revenir sur la situation de ces entreprises. Les difficultés de Vencorex ont des effets sur toute la filière de la chimie, ainsi en est-il du plan social annoncé par Arkema. Une matière première est en cause, le sel - la mine de sel de Hauterives dans la Drôme a été largement évoquée -, acheminé par saumoduc jusqu'au site de Vencorex. La fermeture de cette unité aura - et a déjà - des effets sur l'ensemble de votre écosystème.
Au regard de ce contexte, comment la filière s'organise-t-elle, ou prévoit-elle de s'organiser, notamment en termes de fourniture de sel et de chlore ? En effet, la transformation de ces ressources a des conséquences dans les domaines sanitaire, de la défense, de l'énergie ou encore de l'aérospatial. Quelles seraient, en termes de sécurité et d'écologie, les conséquences de cette situation s'il devenait nécessaire de transporter du chlore en cas de manque de cette matière première ? Existe-t-il un risque d'extrême dépendance, notamment pour ce qui concerne certains domaines stratégiques ?
S'agissant de la compétitivité que vous avez beaucoup évoquée, l'entreprise Arkema achetait son sel à Vencorex aux alentours de 50 euros ; elle est désormais prête à l'acheter en Allemagne pour un prix dépassant les 150 euros. J'ai du mal à comprendre la logique économique d'une telle organisation.
M. Frédéric Gauchet. - La première et la dernière question se rejoignent. En s'inspirant de la célèbre phrase du grand chimiste français Lavoisier, notons qu'au fondement de notre globalisation se trouve son idée que « rien ne se perd, rien ne se crée, tout se transforme » : que cela nous plaise ou non, il n'y a pas, sur les territoires français ou européen, toutes les matières premières dont nous avons besoin. On n'y trouve pas, par exemple, de titane ou de terres rares exploitables. C'est bien parce que nous ne disposons pas de certains atomes essentiels à des applications importantes que l'autarcie absolue est impossible dans l'industrie chimique. Et pour cette même raison, il nous faut trouver des positions mesurées et de compromis, sans quoi des pans entiers d'application pourraient s'arrêter. Interdire les importations de terres rares ou de titane, ce serait priver des filières comme l'automobile et l'aéronautique de matières premières, ce qui conduirait celles-ci à s'installer là où se trouvent les ressources. Il faut donc être extrêmement prudents quant aux solutions radicales.
La chimie dispose encore d'énormes capacités de progrès. En cela, je vous adresse une réponse de chimiste, et non de président de France Chimie. La pollution que vous évoquez découle, au-delà de l'absence de connaissances qui a malheureusement conduit à certaines bêtises, de deux facteurs : le confinement et le recyclage. Usines et procédés peuvent être encore mieux confinés, mais la contrepartie à consentir est d'ordre énergétique, car plus on confine, plus on consomme d'énergie. Il faut donc continuer à travailler si l'on veut franchir un palier dans ce domaine, en particulier sur une production d'électricité moins onéreuse.
Prenons l'exemple de l'hydrogène, fréquemment évoqué. Pourquoi la production d'hydrogène piétine-t-elle aujourd'hui ? Parce que pour produire une molécule d'hydrogène de manière verte, c'est-à-dire par électrolyse de l'eau, il faut deux électrons à l'anode, or ce mode de production écologique basé sur l'eau et l'électricité cherche à s'imposer contre un produit fatal issu des processus de production pétrochimiques. C'est pourquoi la distribution d'hydrogène se fait surtout en Europe par des pipelines qui partent des raffineries en direction des grands centres de consommation d'hydrogène.
Par ailleurs, la plupart des problèmes rencontrés avec les PFAS sont liés au fait qu'on ne les recycle pas, parce que, jusqu'à présent, on ne s'est pas intéressé au sujet. Aujourd'hui, leur recyclage est aussi une question d'énergie et d'investissement.
Je ne crois pas que l'industrie chimique puisse être totalement non polluante. En revanche, je crois qu'elle peut continuer à progresser pour atteindre un point d'équilibre harmonieux avec l'homme et l'environnement. Dans ce domaine aussi, la recherche est la clé : si les solutions ne sont pas forcément immédiatement trouvées, elles le seront avec de la motivation. Je voudrais faire passer ce message positif. Si nous pouvions faire aussi bien en France pour la chimie que ce que nous venons d'accomplir pour l'intelligence artificielle, ce serait merveilleux. Reste à trouver de nouveau 100 milliards d'euros.
M. Jacques Pidoux. - Nous travaillons sur des solutions biostimulantes, qui peuvent être comprises comme l'équivalent des compléments alimentaires pour les êtres humains. Ces mélanges d'acides aminés, très faiblement dosés, viennent compléter les engrais et fertilisants traditionnels dans la lutte contre les stress, hydriques ou abiotiques, entre autres. Ainsi, nous favorisons la régénération des sols, la captation de CO2 ou encore l'activation de la photosynthèse. Ces performances sont documentées par plus de 220 essais de terrain.
Voilà un exemple de la manière dont la chimie favorise l'agriculture durable.
Mme Dominique Estrosi Sassone, présidente. - Je vous remercie du temps que vous nous avez consacré, car il était important de vous entendre. Nous resterons mobilisés à vos côtés. Les acteurs économiques que vous représentez sont particulièrement impliqués et ancrés dans nos territoires.
M. Frédéric Gauchet. - Votre soutien nous est précieux.
Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.
Projet de loi, adopté par l'Assemblée nationale, d'orientation pour la souveraineté alimentaire et agricole et le renouvellement des générations en agriculture - Suite de l'examen des amendements au texte de la commission
EXAMEN DES AMENDEMENTS AU TEXTE DE LA COMMISSION (SUITE)
Mme Dominique Estrosi Sassone, présidente. - Nous allons examiner les deux amendements déposés cette nuit par le Gouvernement sur le projet de loi d'orientation pour la souveraineté alimentaire et le renouvellement des générations en agriculture.
M. Laurent Duplomb, rapporteur. - L'amendement n° 971 a pour objet de supprimer l'article 19 bis C, sur la parité aux élections des caisses de mutualité sociale agricole. Ce dernier est redondant avec une partie du dispositif de la proposition de loi visant à adapter le fonctionnement des instances de gouvernance des chambres d'agriculture et de la Mutualité sociale agricole, retenu lundi en commission mixte paritaire. Je propose donc que la commission émette un avis favorable à cet amendement.
La commission émet un avis favorable à l'amendement n° 971.
M. Laurent Duplomb, rapporteur. - L'amendement n° 972 tend à corriger un oubli commis lors de l'examen du projet de loi de finances pour 2025. En effet, afin de lutter contre la décapitalisation des troupeaux, qui est un des objectifs du texte en lien direct avec les dispositions ayant pour but la préservation de la souveraineté alimentaire et agricole, une provision fiscale et sociale permet de prendre en compte la revalorisation de l'animal. Mécaniquement, la hausse du prix d'une vache augmente sa valeur dans le bilan de l'exploitation. En ce cas, sans cette provision, l'agriculteur devrait acquitter des impôts supplémentaires même sans avoir vendu l'animal, ce qui le pénalise.
Conformément aux engagements des gouvernements ayant préparé le projet de loi de finances, une défiscalisation devait compenser ce changement en s'appliquant, rétroactivement, à l'année 2024, puis pour les années 2025 à 2027. Or cette rétroactivité a été omise du projet de loi de finances. L'erreur est humaine : cet amendement y remédie.
M. Jean-Claude Tissot. - C'est d'une réforme fiscale dont nous avons besoin !
M. Olivier Rietmann. - Ne faudrait-il pas une uniformisation fiscale européenne ? Nous sommes l'un des derniers pays de la zone euro à fiscaliser la valorisation des stocks, ce qui nous place dans une situation de concurrence inégale. Par exemple, nous devons vendre des arbres de pépinière quand ils sont petits en raison de la fiscalisation plus importante des plus grands, quand les Allemands et les Néerlandais commercialisent, eux, des arbres âgés de dix ou vingt ans !
M. Christian Redon-Sarrazy. - Il y a une distorsion entre certaines activités. Le troupeau ne relève pas du stock, mais de l'outil de production. Il ne devrait pas y avoir de réévaluation au bilan, mais à la cession seulement. Les provisions faites aujourd'hui seront à compenser un jour. Attention à la fuite en avant !
M. Laurent Duplomb, rapporteur. - Au sujet du risque de compensation, il arrive aussi que la valeur d'un animal diminue. Par exemple, aujourd'hui, je peux vendre des taurillons à 5 euros le kilogramme, contre 1,90 euro pendant la crise de la vache folle... En outre, l'opération est blanche pour l'État. Il s'agit simplement de lisser la pression dans le temps.
M. Christian Redon-Sarrazy. - Cela rejoint la stratégie des centres de gestion, qui conduit à créer des charges pour réduire l'impôt...
M. Pierre Cuypers. - Nous devons rester solidaires de la position exprimée au travers de cet amendement.
M. Laurent Duplomb, rapporteur. - Il ne s'agit pas de discuter de l'intérêt de la mesure, car les deux assemblées l'ont déjà votée. En adoptant cet amendement, nous ne ferions que corriger un décalage entre les engagements annoncés et ce qui a été inscrit dans le projet de loi de finances. Je propose donc, à nouveau, un avis favorable.
La commission émet un avis favorable à l'amendement n° 972.
La réunion est close à 12 h 10.