- Mardi 28 janvier 2025
- Projet de loi, adopté par l'Assemblée nationale, d'urgence pour Mayotte - Examen du rapport pour avis
- Bilan de la loi du 11 février 2005 pour l'égalité des droits et des chances, la participation et la citoyenneté des personnes handicapées - Audition de Mme Charlotte Parmentier-Lecocq, ministre déléguée chargée de l'autonomie et du handicap
- Mercredi 29 janvier 2025
- Avis « La protection de l'enfance est en danger » du Conseil économique, social et environnemental - Audition de Mmes Josiane Bigot et Élisabeth Tomé-Gertheinrichs
- Mission au Canada sur la situation du travail et de l'emploi - Communication (sera publiée ultérieurement)
- Projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2025 - Audition de Mmes Zaynab Riet, déléguée générale, et Cécile Chevance, responsable du pôle Offres, de la Fédération hospitalière de France
Mardi 28 janvier 2025
- Présidence de M. Philippe Mouiller, président -
La réunion est ouverte à 16 h 00.
Projet de loi, adopté par l'Assemblée nationale, d'urgence pour Mayotte - Examen du rapport pour avis
M. Philippe Mouiller, président. - Notre ordre du jour appelle tout d'abord l'examen de l'avis de notre commission sur le projet de loi d'urgence pour Mayotte, adopté par l'Assemblée nationale le 22 janvier dernier, après engagement de la procédure accélérée par le Gouvernement.
Je vous précise que la commission des affaires économiques, saisie au fond, nous a délégué l'examen des articles 18 à 22 auxquels se sont ajoutés, après les modifications de l'Assemblée nationale, les articles 18 bis, 27, 32 et 33.
Cela signifie que la commission des affaires économiques, quand elle établira son texte, demain matin, s'en remettra à notre avis et à nos éventuels amendements pour les articles en question, sans les instruire au fond.
Ce projet de loi sera examiné en séance lundi 3 février et, si nécessaire, le mardi 4 février. Nous nous réunirons le 3 février en début d'après-midi pour examiner les amendements aux articles délégués à notre commission qui en résulteront.
Mme Christine Bonfanti-Dossat, rapporteur pour avis. - Sur les 45 articles du projet de loi, les articles dont la commission des affaires économiques a délégué à notre commission l'examen au fond concernent principalement le recouvrement des cotisations et contributions sociales, le versement des prestations sociales et la mise en oeuvre de l'activité partielle dans le contexte de l'après-cyclone Chido.
Avant de vous présenter en détail les dispositions, quelques mots pour vous exposer la situation à Mayotte telle qu'elle ressort des auditions que nous avons menées.
L'archipel de Mayotte a été très durement touché par le cyclone Chido le 14 décembre dernier, et les dégâts matériels importants qu'il a causés sont en cours de recensement. Nous avons entendu des récits impressionnants de destruction des maisons et d'infrastructures publiques et privées. Les résidents ont témoigné de leur impossibilité de déplacement et des difficultés de ravitaillement engendrées par les routes coupées. La tempête Dikeledi, qui s'est ensuite abattue sur l'île le 13 janvier, a causé des inondations majeures dont le ruissellement a aggravé les destructions causées par Chido. Je tiens toutefois à souligner la résilience dont nous avons été témoins, et le discours d'espoir des autorités et des interlocuteurs que nous avons entendu.
Ces difficultés climatiques ont aggravé la situation du département le plus pauvre de France. En 2021, 77 % de ses habitants vivaient sous le seuil de pauvreté nationale. Le taux de chômage s'élève à 37 % de la population active, et le travail illégal est très fortement généralisé. Les emplois se concentrent pour moitié dans le secteur tertiaire non marchand, tandis que le secteur de la construction, qui en concentre 9 %, est appelé à être fortement mobilisé dans la reconstruction de l'île.
Dans ce contexte, le présent projet de loi comporte de premières mesures d'urgence en faveur de cette reconstruction qui, selon les annonces du Gouvernement, devraient être suivies prochainement d'un texte apportant des modifications pérennes.
J'en viens à la présentation des neuf articles dont l'examen nous est délégué.
L'article 18 prévoit la suspension du recouvrement des cotisations et contributions sociales pour les employeurs, travailleurs indépendants et micro-entrepreneurs. Cette suspension se fera en deux temps : elle sera d'abord appliquée à tous les redevables, puis pourra être prolongée par décret pour tout ou partie d'entre eux, selon des conditions liées à leur situation économique et financière.
L'Assemblée nationale a complété ces dispositions en prévoyant la possibilité de conclure des plans d'apurement avec l'organisme de recouvrement, qui pourront donner lieu, sous conditions, à un abandon total ou partiel des créances de cotisations et contributions sociales.
Sur proposition de la rapporteure de sa commission des affaires économiques, l'Assemblée nationale a modifié la durée de la période de suspension du recouvrement. Initialement prévue jusqu'au 31 mars 2025, elle court désormais jusqu'au 31 décembre 2025, avec possibilité de renouvellement sous conditions jusqu'au 31 décembre 2026. Cela ne me semble toutefois pas conforme au caractère d'urgence de ce texte.
Le premier amendement que je porterai devant vous a pour objet de revenir aux délais prévus dans la version initiale du projet de loi. Le recouvrement sera ainsi différé pour l'ensemble des redevables jusqu'au 31 mars 2025, et cette échéance pourra être reportée par décret au 31 décembre 2025 pour les cas qui le justifieront.
En effet, les différents interlocuteurs que nous avons entendus ont insisté sur l'hétérogénéité de l'activité économique mahoraise. Certains acteurs - des commerces ou des entreprises du bâtiment - ont conservé leur infrastructure et pourraient rapidement reprendre leurs activités. Par ailleurs, le produit des cotisations sociales à Mayotte s'élève à 250 millions d'euros, ce qui n'est pas négligeable.
L'article 18 bis, introduit par l'Assemblée nationale, exonère les entreprises mahoraises de cotisations pour le seul mois de décembre 2024. Je vous proposerai de supprimer cet article dont les dispositions me semblent moins protectrices et moins équitables que celles de l'article 18. Celui-ci permettra, je le rappelle, l'abandon des créances de cotisations des seuls employeurs et travailleurs indépendants dont l'impact durable du cyclone sur leur activité économique serait avéré.
L'article 19 a pour objet de rendre les travailleurs indépendants non agricoles éligibles au bénéfice des aides sociales apportées par le Conseil de la protection sociale des travailleurs indépendants (CPSTI).
Le CPSTI a en effet prévu des aides automatiques spécifiques à Mayotte qui s'élèvent à 1 000 euros pour les 2 000 travailleurs indépendants actifs et 500 euros au bénéfice des 2 250 micro-entrepreneurs. Le montant global de ce soutien est estimé à 4 millions d'euros.
Je vous propose d'adopter cet article bienvenu sans modification.
L'article 20 vise à prolonger le versement des revenus de remplacement au bénéfice des demandeurs d'emploi. Il s'agit de l'allocation d'aide au retour à l'emploi (ARE), de l'allocation de solidarité spécifique (ASS) et de l'allocation des travailleurs indépendants (ATI).
Cette prolongation bénéficierait aux personnes dont les droits arrivent à échéance à compter du 1er décembre 2024, sans que les conditions de renouvellement des allocations leur soient opposables. Cette mesure courrait jusqu'au 31 mars 2025 et pourrait être renouvelée jusqu'à une date fixée par décret, et au plus tard le 31 décembre 2025, selon l'évolution de la situation.
Cet article entérine ce que les agences France Travail ont déjà mis en place depuis janvier dernier sur le fondement d'une lettre de couverture émise par la ministre chargée du travail et de l'emploi le 27 décembre 2024.
Ainsi, 131 demandeurs d'emploi au titre de l'ARE et 17 allocataires de l'ASS ont déjà bénéficié de cette prolongation exceptionnelle. De janvier à mars 2025, 739 demandeurs d'emploi supplémentaires verront leurs droits à l'ARE renouvelés.
Ces dispositions, dont le coût global est estimé à 800 000 euros, sont similaires aux mesures prises lors de la crise sanitaire en 2020 et 2021. Elles me paraissent tout à fait justifiées à la situation de l'après-cyclone à Mayotte alors que le marché du travail ne peut fonctionner à la normale avec une économie à terre.
Cet article vient toutefois déroger à la répartition habituelle des compétences puisque les règles d'indemnisation de l'assurance chômage sont l'apanage des partenaires sociaux. Ces derniers ont, en outre, pleinement repris leur compétence depuis la conclusion de conventions d'assurance chômage le 15 novembre 2024.
Jusqu'au 31 mars 2025, la prorogation exceptionnelle directement prévue dans la loi paraît justifiée par l'urgence. En revanche, l'habilitation donnée au Gouvernement pour reporter le terme de cette prolongation jusqu'au 31 décembre 2025, au plus tard, ne saurait se faire sans l'assurance que les partenaires sociaux seront consultés. C'est pourquoi je vous proposerai un amendement qui prévoit que le décret de prolongation sera pris après avis du conseil d'administration de l'Unédic.
L'article 21 concerne le renouvellement automatique des droits et prestations versés aux assurés résidant à Mayotte ainsi qu'à leurs ayants droit, et qui arriveraient à expiration à compter du 14 décembre 2024. Il a également pour objet le remboursement des frais de santé et l'ouverture de nouveaux droits, y compris en l'absence de demande dûment formée ou ne comportant pas l'ensemble des pièces requises. Ce dispositif sans précédent se justifie par le fait que le site abritant le guichet de la caisse de sécurité sociale de Mayotte a été détruit aux deux tiers et inondé, et que les pertes matérielles subies par les allocataires sont susceptibles d'entraver leurs démarches administratives. L'Assemblée nationale a prévu des dispositions spécifiques en faveur des personnes handicapées sur le modèle de celles qui ont été mises en oeuvre lors de la crise sanitaire liée à la covid-19, ce dont je me réjouis.
Je vous proposerai un amendement afin d'aligner la durée de renouvellement des prestations et droits sociaux sur celle des allocations chômage, soit jusqu'au 31 mars 2025 comme le prévoyait la version initiale du texte, et non jusqu'au 30 juin 2025 comme l'a souhaité l'Assemblée nationale. D'une part, cette échéance peut être reportée par décret au 31 décembre 2025, et, d'autre part, la caisse de sécurité sociale de Mayotte nous a indiqué pouvoir être pleinement opérationnelle dès le mois de février 2025.
L'article 22 permet une majoration des taux de l'indemnité d'activité partielle versée au salarié et de l'allocation accordée à l'employeur pour les établissements situés à Mayotte. Par décret, l'indemnité due au salarié serait rehaussée à 70 % du salaire brut, contre 60 % actuellement, tandis que l'employeur recevrait une allocation de 70 %. En dehors des indemnités complémentaires versées en sus des montants légaux, les employeurs bénéficieraient d'un reste à charge nul alors qu'en vertu du droit commun ils auraient supporté 40 % du coût.
Là encore, il s'agit surtout d'entériner des dispositions qui sont déjà effectives depuis janvier dernier par une lettre de couverture ministérielle et de prévoir la durée d'application de ce régime exceptionnel. Comme pour les autres articles, ce régime dérogatoire s'appliquerait du 14 décembre 2024 jusqu'au 31 mars 2025, avec une possibilité de prolongation jusqu'au 31 décembre 2025.
Selon les informations transmises par la délégation générale à l'emploi et à la formation professionnelle (DGEFP), 693 demandes d'autorisation préalables d'activité partielle avaient été déposées pour 8 500 salariés concernés. L'administration retient l'hypothèse d'un effectif total de 10 000 salariés placés en activité partielle - sur un ensemble de 16 400 salariés du secteur privé éligibles.
Le recours à l'activité partielle jusqu'en mars 2025 coûterait 27,5 millions d'euros à l'État et 13,5 millions d'euros à l'Unédic.
Pour conclure, les dispositions de l'article 22 me paraissent utiles et je vous propose ainsi de les soutenir.
Les articles 27, 32 et 33 correspondent à des demandes de rapports pour lesquelles je vous proposerai une suppression. Déjà vaines en temps normal, il n'est pas certain que ces demandes, dans un texte d'urgence, soient une priorité pour l'administration en vue de traiter la situation à Mayotte.
En phase avec l'objectif de ce projet de loi, ces articles sont des dispositions d'urgence pour faire face à très court terme à une situation sociale et économique complexe. Tous les acteurs que nous avons auditionnés - et je partage ce point de vue - ont insisté sur la nécessité de se saisir de cette tragédie pour reconstruire Mayotte différemment.
De nombreux sujets devront être abordés à l'occasion du projet de loi de programmation pour Mayotte que le Gouvernement annonce dans les prochains mois. Notre commission aura ainsi certainement à se pencher sur la poursuite de la convergence sociale.
Toutefois, je crois que la reconstruction de Mayotte doit également mobiliser des dispositifs ambitieux qui ne relèvent pas du domaine de la loi.
Je pense en particulier à la formation, qui sera l'un des grands enjeux des prochains mois. En effet, la population mahoraise est très jeune, pour moitié composée de personnes de moins de 20 ans. Elles représentent l'avenir et constituent la force de travail nécessaire à cette reconstruction. Il conviendra de toute évidence de mettre en place un plan ambitieux pour qu'une offre de formation se structure. Certains secteurs, en particulier celui du bâtiment, auront un besoin criant de main d'oeuvre bien formée et la reconstruction de l'archipel ne peut se faire sans les travailleurs mahorais.
Enfin, pour l'application des irrecevabilités au titre de l'article 45 de la Constitution, je vous propose de considérer que le périmètre des articles dont l'examen a été délégué à notre commission comprend les dispositions relatives à la suspension du recouvrement des cotisations et contributions sociales applicables à Mayotte, aux aides en faveur des travailleurs indépendants mises en oeuvre à Mayotte, à l'adaptation du régime de protection sociale de Mayotte, et notamment à la prolongation des droits et prestations sociaux, en réponse à la situation provoquée par les intempéries ayant frappé Mayotte à compter du 13 décembre 2024, à l'adaptation des règles applicables à Mayotte relatives à l'indemnisation des travailleurs privés d'emploi et au dispositif de placement des salariés en activité partielle en réponse à la situation provoquée par les intempéries ayant frappé Mayotte à compter du 13 décembre 2024.
Mme Micheline Jacques, rapporteur de la commission des affaires économiques. - Je rentre de Mayotte, où il me semblait indispensable de me rendre afin de mieux comprendre ce territoire et de travailler avec ses élus. On m'a alertée sur le fait que, si les personnes en situation irrégulière font l'objet de l'attention des ONG et que la classe moyenne, voire la classe quelque peu aisée, bénéficie d'allégements de charges fiscales, le projet de loi d'urgence ne prend pas en compte la situation sociale de la partie de la population qui relève des minima sociaux. Celle-ci parvenait à s'en sortir grâce aux cultures vivrières de petits jardins, mais ces derniers ont disparu. La situation se complique d'autant que les prix des denrées alimentaires ont considérablement augmenté. On nous appelle donc à prêter attention à cette catégorie de la population dans le projet de loi d'urgence qui s'élabore.
La force de la population mahoraise, dans son ensemble, tient à sa volonté de travailler à la reconstruction de son territoire. Pour cela, elle nous demande de lui donner les leviers nécessaires.
Mme Annie Le Houerou. - Avant toute chose, j'adresse un mot de soutien aux Mahorais qui ont subi une catastrophe sans précédent, laquelle a aggravé une situation déjà extrêmement précaire dans bien des domaines, dont j'avais pu me rendre compte à l'occasion d'un déplacement sur place en avril 2024.
Merci, madame le rapporteur de votre travail. Comme vous l'avez rappelé, cette situation très préoccupante se caractérisait dès avant le cyclone Chido, et pour s'en tenir aux situations effectivement répertoriées, par un taux de 77 % de personnes vivant sous le seuil de pauvreté et de 37 % de la population active à la recherche d'un emploi.
Le projet de loi d'urgence ne pourra répondre à toutes les difficultés en matière de santé, d'accès à l'eau, de logement, d'éducation ou de convergence des droits sociaux avec les autres départements de l'Hexagone et d'outre-mer. Nous devons l'examiner en ayant en tête que le Gouvernement a annoncé un projet de loi de refondation de Mayotte à venir dans les trois prochains mois. Nous attendons ce texte avec impatience.
Les financements d'ores et déjà inscrits au projet de loi de finances (PLF) nous semblent cependant assez faibles, avec un total d'environ 35 millions d'euros en crédits de paiement (CP). Je note également qu'aucune mesure d'urgence ne traite de l'attractivité des postes pour les agents publics, notamment dans le domaine de la santé, afin d'accompagner ce début de reconstruction. Des mesures particulières auraient également pu concerner l'égalité de traitement entre les fonctionnaires mahorais et ceux de l'Hexagone. Le secteur associatif local, dans lequel s'engage un peuple que nous savons résilient, aurait de même pu bénéficier d'un accompagnement spécifique.
Vous écartez plusieurs demandes de rapports souhaités par l'Assemblée nationale. Ils nous auraient pourtant permis de travailler plus en profondeur sur les problèmes qui se posent. Au-delà, il nous semble important, au sein du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain (SER), qu'une commission d'enquête voie le jour sur la gestion du cyclone Chido.
Pour entrer dans le détail du texte, nous appuyons toutes les solutions déjà en place permettant aux personnes de conserver leurs droits. En revanche, pourquoi revenir, avec l'amendement que vous proposez à l'article 18, sur le différé de recouvrement des cotisations et contributions sociales pour les employeurs, travailleurs indépendants et micro-entrepreneurs, pour traiter plutôt les situations au cas par cas ? Compte tenu de leur propre situation, les services administratifs concernés ne seront vraisemblablement pas en mesure de procéder, après le 31 mars 2025, à l'examen approfondi de chaque dossier en particulier. De plus, les administrés risquent à leur tour de ne pas être à même de fournir un certain nombre de documents. Laissons aux uns et aux autres le temps nécessaire et maintenons la date du 31 décembre 2025.
Pareillement, à l'article 21, nous ne devrions pas revenir sur le report au 30 juin 2025, voulu par l'Assemblée nationale, de la durée de renouvellement des prestations et droits sociaux, lequel a redonné de l'espoir à des personnes qui connaissent de très grandes difficultés.
L'article 16, qui prévoit l'exonération des dons consentis aux associations jusqu'à 1 000 euros ne concerne pas directement notre commission, mais je m'y réfère, car nombre d'associations se sont mobilisées pour préparer des conteneurs à destination de Mayotte et il semblerait qu'elles rencontrent des difficultés dues à l'application des droits de douane, retardant sensiblement la distribution des dons à la population mahoraise. Leurs structures sur place doivent, pour récupérer ces envois, payer des droits qui dépassent leurs capacités financières.
Enfin, je soulignerai la nécessité d'un plan structuré pour la reconstruction de Mayotte. Pour l'heure, au travers de ce texte d'urgence, nous ne voyons pas encore de stratégie bien définie se dessiner. Nous plaçons ici nos espoirs dans le projet de loi de refondation qui doit le suivre.
Mme Frédérique Puissat. - Je reviens sur l'article 20, qui précise que les demandeurs d'emploi résidant à Mayotte et qui ont épuisé leurs droits à compter du 1er décembre 2024 peuvent obtenir une prolongation de ces droits jusqu'au 31 mars, voire, par décret, jusqu'au 31 décembre 2025. Vous avez eu raison de rappeler que les dispositifs d'assurance chômage sont en principe régis par les partenaires sociaux et que toute dérogation aux règles d'indemnisation de l'assurance chômage suppose l'avis du conseil d'administration de l'Unédic. Cet avis préalable à la prise du décret était prévu dans la version transmise à la Commission nationale de la négociation collective, de l'emploi et de la formation professionnelle (CNNCEFP) mais ne figure plus dans le projet de loi déposé. Il faut, ainsi que vous nous y invitez, remettre l'Unédic au coeur de ces dispositifs.
Je n'irai pas au-delà de vos propres propositions d'amendements, au vu de la tournure que le projet de loi a prise auprès de nos collègues députés : il convient, s'agissant d'un texte d'urgence, de ne pas alourdir davantage les procédures et de ne pas multiplier les dispositifs, qui seraient autant de contraintes supplémentaires pour les Mahorais qui ont d'abord besoin que nous agissions vite.
Au sujet de l'article 20, vous indiquez que le coût pour l'Unédic de la prolongation des prestations jusqu'au mois de mars 2025 s'élèverait à quelque 800 000 euros ; quel montant atteindrait-il en cas de renouvellement jusqu'au 31 décembre ? Ce coût s'ajoute par ailleurs à celui du recours à l'activité partielle, dont vous nous dites qu'il sera de l'ordre de 13,5 millions d'euros à la charge de l'organisme paritaire. N'aurions-nous pas intérêt à demander au Gouvernement qu'il défalque ces montants de ceux que l'État retient sur le budget de l'Unédic, et qui représentent 12 milliards d'euros pour la période de 2023 à 2026 ?
Mme Raymonde Poncet Monge. - À mon tour de vous remercier, madame le rapporteur, notamment pour les auditions très intéressantes que vous avez menées.
Le cyclone Chido aura révélé l'état économique et social de Mayotte. Veillons à ce que les mesures prévues dans ce texte d'urgence, pris dans l'attente d'une loi de refondation, s'accompagnent d'une réflexion sur le moyen et le long terme. Reconstruire différemment, oui, mais dès à présent, y compris dans l'urgence, afin de ne pas perpétuer les mêmes biais.
Les auditions ont montré le caractère fallacieux d'un certain nombre d'informations relayées au sujet de Mayotte, en soulignant que les étrangers en situation irrégulière sur ce territoire n'y venaient pas pour bénéficier des prestations sociales. Les conditions pour obtenir notamment des prestations non contributives sont d'ailleurs plus exigeantes à Mayotte qu'en métropole. Les sénateurs de Mayotte ajoutent qu'il n'y aura pas de reconstruction sans l'apport des travailleurs étrangers, qu'ils soient ou non en situation régulière sur le territoire. Ils sont au coeur du système et il importera de comprendre pourquoi l'activité professionnelle d'autant de travailleurs dans l'île n'est pas déclarée. Pour diverses raisons, telles que l'absence de retraite complémentaire ou des minima très proches du niveau moyen contributif, il existe à Mayotte une véritable désincitation aux cotisations. Le moment est venu d'avoir des informations claires sur ce département.
Sur les mesures d'urgence, je m'étonne que l'on ne prévoie pas dès à présent des contrats aidés, notamment dans le cadre des parcours emploi compétences (PEC), ainsi qu'un plan d'investissement dans les compétences (PIC), afin que les Mahorais soient eux-mêmes au centre de la reconstruction. Je regrette ici l'absence de ces dispositifs, dont les crédits budgétaires souffrent plus généralement, il est vrai, de diminutions trop rigoureuses.
Il est bon de solliciter l'avis du conseil d'administration de l'Unédic au sujet des prestations bénéficiant aux demandeurs d'emploi, mais pourquoi ne pas l'avoir déjà interrogé sur le dispositif d'une allocation de chômage partiel à Mayotte, au financement duquel l'organisme paritaire contribue pourtant à hauteur du tiers du montant ?
Quant à la prolongation du versement des allocations chômage comme le renouvellement automatique des droits et prestations d'assurance maladie, précisons qu'ils concernent le cas de figure où leurs bénéficiaires n'ont pas eu la possibilité de fournir les documents trimestriels qui devaient leur permettre de faire valoir leurs droits. Il me semble que les représentants de la caisse de sécurité sociale de Mayotte font montre d'un optimisme marqué en annonçant qu'elle sera de nouveau opérationnelle dès le mois prochain ; pour ma part, j'ai plutôt entendu que tout fonctionnait jusqu'à présent en mode très dégradé, d'autant que nombre de Mahorais n'utilisent pas les outils informatiques et ont besoin de se rendre aux guichets des administrations. Dans ces conditions, un report au 31 décembre 2025 ne me paraît nullement excessif.
Enfin, il est dommage de supprimer des demandes de rapports qui auraient pu éclairer le problème systémique de convergence sociale entre Mayotte et les autres départements français entraînant souvent l'absence de déclaration des salariés dans ce territoire. Ces demandes auraient également pu soutenir l'engagement, dans le prochain projet de loi de refondation, de corriger ce problème.
Mme Catherine Conconne. - J'ai vu la République beaucoup plus généreuse dans d'autres circonstances, pour d'autres pays : 35 millions d'euros, seulement, pour Mayotte, un territoire français qui est à terre et dont autant d'infrastructures, en particulier les écoles, sont touchées ! Reconstruire une école ou des systèmes d'adduction d'eau après un cyclone coûte cher.
On me parle de résilience, mais c'est un mot que je déteste. Les Mahorais n'ont pas le choix, tout simplement. Même avant le cyclone, le sous-développement était déjà à la porte de leur pays. Bien que celui-ci soit devenu le 101e département de France, les efforts en sa faveur sont restés dérisoires et le peu que nous obtenons de la métropole, nous l'obtenons toujours à grand-peine.
Sans doute voterai-je ce texte d'urgence, suivant en cela mon groupe politique. Mais quelle déception, quel peu d'égard et de considération !
Mme Christine Bonfanti-Dossat, rapporteur pour avis. - Madame le rapporteur Micheline Jacques, il est exact que, actuellement, les ONG s'occupent plus particulièrement, à Mayotte, des étrangers et qu'il existe une différence de traitement cruelle avec les Français qui y vivent des minima sociaux. À ce titre, il pourrait être opportun de prendre de nouvelles mesures en leur faveur dans le prochain projet de loi de reconstruction et de refondation, que le ministre des outre-mer annonce pour le mois de mars.
Un décret du 18 décembre 2024 prévoit l'encadrement des prix à la consommation de certains aliments, dont celui des bouteilles d'eau. Il se peut que le préfet de Mayotte complète encore le dispositif, notamment au sujet des légumes qu'il faut désormais importer dans l'île à des prix exorbitants.
Madame Le Houerou, sur le financement, l'administration nous a indiqué que les crédits budgétés seraient suffisants pour l'application des dispositions du projet de loi d'urgence qui relèvent de notre commission et, qui, pour la plupart d'entre elles, correspondent à des dépenses de guichet. La question des crédits se pose d'abord pour des dispositifs annexes comme la formation et les contrats aidés, dont on nous a en effet précisé au cours des auditions qu'ils seront indispensables pour que les Mahorais participent à la reconstruction. Une loi d'urgence ne peut véritablement en traiter, car la formation des personnes suppose un déploiement de mesures sur un plus long terme.
L'égalité de traitement des fonctionnaires hexagonaux et mahorais ainsi que le soutien au secteur associatif constituent d'autres enjeux à suivre au cours des prochains mois. Ces domaines relèvent de la commission des lois, tandis que celui des droits de douane est de la compétence de la commission des finances. Cependant, je vous accorde que le présent texte ne prévoit rien sur ces différents sujets et que cela est regrettable.
J'ajoute par ailleurs que la caisse de sécurité sociale de Mayotte fonctionne. Son directeur, que nous avons entendu, nous a lui-même assuré des dispositions qu'il prenait pour tout remettre rapidement en ordre de marche. Quoiqu'il ait été sérieusement endommagé, le site de la caisse de sécurité sociale rouvrira au public dans quelques jours.
La rédaction initiale du texte prévoit que le Gouvernement a la possibilité de suspendre, par décret, le recouvrement des cotisations et contributions sociales jusqu'au 31 décembre 2025. Ce dispositif offre à la fois plus de souplesse dans l'accompagnement des acteurs et il sied mieux au contexte d'urgence qui est celui de notre intervention que le choix d'une prolongation des mesures d'emblée jusqu'au 31 décembre 2025. Celle-ci nous paraît trop longue pour certains secteurs. Il faudra procéder à des analyses des situations au cas par cas.
Madame Puissat, le coût induit par une prolongation jusqu'en juin 2025 de la mesure inscrite à l'article 20 s'élèverait à 2,8 millions d'euros ; nous pouvons en déduire qu'il atteindrait quelque 6 millions d'euros en cas de reconduction jusqu'au 31 décembre. Ce sont assurément, pour l'Unédic, des dépenses supplémentaires, mais elles paraissent lui incomber naturellement. Les représentants du régime d'assurance chômage, que nous avons consultés, s'expriment d'ailleurs en faveur de ces dispositifs en dépit de la méthode employée par le Gouvernement. Au-delà, la question se pose de la répartition des rôles entre l'État et l'Unédic.
Madame Poncet Monge, vous avez raison d'observer que la convergence sociale à Mayotte prend beaucoup de temps et que les Mahorais ne disposent toujours pas des mêmes droits que leurs compatriotes de l'Hexagone. On nous a, par exemple, indiqué qu'un régime d'assurance vieillesse n'y avait été seulement mis en place qu'en 1987.
Je partage votre préoccupation sur la formation des Mahorais.
Au sujet de l'activité partielle, l'Unédic reconnaît qu'il s'agit d'un dispositif d'État. Les salariés percevront 70 % de leur salaire brut, sans aucun reste à charge pour les employeurs.
EXAMEN DES ARTICLES
Mme Christine Bonfanti-Dossat, rapporteur pour avis. - L'amendement COM-31 rectifié bis vise à exonérer les employeurs, les travailleurs indépendants non agricoles, agricoles et maritimes, ainsi que les micro-entrepreneurs, des cotisations et contributions sociales dues à compter du 14 décembre 2024, et ce jusqu'au 31 mars 2025.
Cet amendement étant déjà satisfait, je vous propose donc de le rejeter.
La commission rejette l'amendement COM-31 rectifié bis.
Mme Christine Bonfanti-Dossat, rapporteur pour avis. - L'amendement COM-30 rectifié a pour objet d'inclure les avocats parmi les redevables qui bénéficient des mesures de suspension du recouvrement de cotisations à l'article 18. Il est déjà partiellement satisfait, d'où un avis défavorable.
La commission rejette l'amendement COM-30 rectifié.
Mme Christine Bonfanti-Dossat, rapporteur pour avis. - L'amendement COM-69 rectifié vise à remplacer la suspension du recouvrement des cotisations et contributions prévue à l'article 18 par leur exonération pure et simple.
Conformément à la rédaction adoptée par l'Assemblée nationale, cette exonération courrait jusqu'au 31 décembre 2025, cette date pouvant être reportée par décret jusqu'au 31 décembre 2026.
Cet amendement est présenté par ses auteurs comme offrant la garantie que les redevables mahorais soient considérés comme étant à jour de leurs obligations. Or, cela est déjà prévu dans le texte.
L'exonération de cotisations pour l'ensemble des redevables sur une si longue période est d'autant moins justifiée que selon les chiffres transmis par la direction de l'économie, de l'emploi, du travail et des solidarités (DEETS), 80 % des entreprises du bâtiment et travaux publics (BTP) et de l'hôtellerie-restauration sont déjà en capacité de redémarrer. Le secteur bancaire a également repris.
En conséquence, j'émets un avis défavorable.
La commission rejette l'amendement COM-69 rectifié.
Mme Christine Bonfanti-Dossat, rapporteur pour avis. - L'article 18 suspend l'obligation de paiement des cotisations et des contributions. Dans la version initiale du projet de loi, cette suspension s'appliquait de droit à l'ensemble des redevables jusqu'au 31 mars 2025, cette échéance pouvant être reportée par décret, au plus tard au 31 décembre 2025.
L'Assemblée nationale a étendu la suspension de droit jusqu'au 31 décembre 2025, et permis son renouvellement par décret jusqu'au 31 décembre 2026. Une telle durée n'est pas compatible avec le caractère d'urgence du projet de loi, étant rappelé que les cotisations et contributions sociales recouvrées sur le territoire de Mayotte s'élèvent à 250 millions d'euros par an.
L'amendement COM-76 a pour objet de revenir à la version initiale du texte afin d'adapter la mesure de suspension dans la durée au cas par cas, ce qui est moins dispendieux et tout aussi protecteur des entreprises et des travailleurs indépendants vulnérables.
L'amendement COM-76 est adopté, de même que l'amendement rédactionnel COM-77.
La commission propose à la commission des affaires économiques d'adopter l'article 18 ainsi modifié.
Article 18 bis (nouveau) (délégué)
Mme Christine Bonfanti-Dossat, rapporteur pour avis. - L'amendement COM-78 vise à supprimer cet article introduit par l'Assemblée nationale, qui a pour effet de créer une exonération totale des cotisations et des contributions sociales - à l'exception des cotisations affectées aux régimes complémentaires de retraite - pour l'ensemble des entreprises mahoraises et pour le seul mois de décembre 2024.
Ces dispositions semblent redondantes avec celles de l'article 18, qui prévoient la suspension du recouvrement de toutes les cotisations et contributions jusqu'au 31 mars 2025, cette échéance pouvant être reportée au 31 décembre 2025 pour les redevables en situation économique et financière critique.
L'article 18 prévoit, en outre, la possibilité d'abandon total ou partiel des créances de cotisations pour la période comprise entre le 14 décembre 2025 et le 31 décembre 2025, dans le cadre de la conclusion d'un plan d'apurement. Il prévoit ainsi la possibilité d'une exonération de ces cotisations et contributions pour une durée de presque un an, pour les redevables qui justifieraient objectivement de l'impact économique durable du cyclone Chido sur leur activité.
L'amendement COM-78 est adopté.
La commission propose à la commission des affaires économiques de supprimer l'article 18 bis.
Article 19 (délégué)
La commission propose à la commission des affaires économiques d'adopter l'article 19 sans modification.
Mme Christine Bonfanti-Dossat, rapporteur pour avis. - L'amendement COM-79 prévoit la consultation obligatoire de l'Unédic préalablement à l'édiction d'un décret qui reporterait, après le 31 mars 2025, le terme de la période de prolongation des allocations de retour à l'emploi (ARE) et des allocations des travailleurs indépendants (ATI) pour les demandeurs d'emploi.
L'amendement COM-79 est adopté.
La commission propose à la commission des affaires économiques d'adopter l'article 20 ainsi modifié.
Mme Christine Bonfanti-Dossat, rapporteur pour avis. - L'amendement COM-28 rectifié vise à suspendre jusqu'au 31 mars 2025 les modalités de contrôle des bénéficiaires du revenu de solidarité active (RSA) prévues dans la convention entre le département de Mayotte et la caisse de sécurité sociale.
L'intention sous-tendue par cet amendement est tout à fait pertinente. Cependant, l'article 21 prévoit précisément le renouvellement automatique des droits et prestations sociales versées par la caisse de sécurité sociale de Mayotte, dont fait partie le RSA. Dès lors, les conditions d'octroi du RSA sont sans incidence sur le maintien de la prestation pour tous les allocataires au moins jusqu'au 31 mars 2025.
Cet amendement me paraît satisfait et j'émets donc un avis défavorable.
La commission rejette l'amendement COM-28 rectifié.
Mme Christine Bonfanti-Dossat, rapporteur pour avis. - L'article 21 prévoit le renouvellement automatique des droits et prestations versées aux assurés mahorais et à leurs ayants droit qui expiraient au 14 décembre 2024. L'amendement COM-80 a pour objet de réduire la période de renouvellement automatique prévue par la loi à la date butoir du 31 mars 2025.
L'amendement COM-80 est adopté.
La commission propose à la commission des affaires économiques d'adopter l'article 21 ainsi modifié.
Mme Christine Bonfanti-Dossat, rapporteur pour avis. - L'amendement COM-101 vise à suspendre l'obligation de réaliser quinze heures d'activité par semaine incombant aux bénéficiaires du RSA.
L'article 21 prévoit le renouvellement automatique des droits et prestations sociales - dont le RSA - jusqu'au 31 mars 2025, avec une possibilité de prolonger ce régime exceptionnel jusqu'au 31 décembre 2025.
Il me paraît plus pertinent de laisser le soin au pouvoir réglementaire de déterminer, en fonction de l'évolution de la situation, les conditions d'octroi du RSA peuvent être appliquées à Mayotte en 2025. Il serait prématuré de suspendre indéfiniment la réforme du RSA alors même que celle-ci doit permettre un accompagnement renforcé des bénéficiaires, qui, le cas échéant, pourrait s'avérer utile à Mayotte. Mon avis est donc défavorable.
La commission rejette l'amendement COM-101.
Article 22 (délégué)
La commission propose à la commission des affaires économiques d'adopter l'article 22 sans modification.
Article 27 (nouveau) (délégué)
Mme Christine Bonfanti-Dossat, rapporteur pour avis. - L'amendement COM-81 vise à supprimer une demande de rapport.
La commission propose à la commission des affaires économiques de supprimer l'article 27.
Article 32 (nouveau) (délégué)
Mme Christine Bonfanti-Dossat, rapporteur pour avis. - L'amendement COM-82 a également pour objet de supprimer une demande de rapport.
La commission propose à la commission des affaires économiques de supprimer l'article 32.
Article 33 (nouveau) (délégué)
Mme Christine Bonfanti-Dossat, rapporteur pour avis. - L'amendement COM-83 vise à supprimer cet article, portant lui aussi sur une demande de rapport.
La commission propose à la commission des affaires économiques de supprimer l'article 33.
TABLEAU DES AVIS
Bilan de la loi du 11 février 2005 pour l'égalité des droits et des chances, la participation et la citoyenneté des personnes handicapées - Audition de Mme Charlotte Parmentier-Lecocq, ministre déléguée chargée de l'autonomie et du handicap
M. Philippe Mouiller, président. - Mes chers collègues, nous recevons à présent Mme Charlotte Parmentier-Lecocq, ministre déléguée chargée de l'autonomie et du handicap, en association avec le groupe d'études sur le handicap, dont la présidente, Marie-Pierre Richer, n'a malheureusement pu se joindre à nous.
Je vous précise que cette audition fait l'objet d'une captation vidéo. Elle est diffusée en direct sur le site internet du Sénat et sera consultable en vidéo à la demande.
Madame la ministre, le Sénat organisera, mardi 11 février prochain, un important colloque qui marquera les vingt ans de la loi du 11 février 2005 pour l'égalité des droits et des chances, la participation et la citoyenneté des personnes handicapées. Nous sommes heureux de vous compter parmi les participants.
À cette occasion, de nombreux acteurs, dont les commissions du Sénat concernées par cette loi, dresseront un bilan de cette loi pour en souligner tant les apports que le chemin qu'il reste à parcourir pour l'intégration des personnes en situation de handicap.
Afin de préparer cette échéance, la commission des affaires sociales a créé une mission d'information, dont Marie-Pierre Richer, Chantal Deseyne et Corinne Féret sont les rapporteurs, qui nous présentera le résultat de ses travaux la semaine prochaine. Les autres commissions ont choisi leur mode d'organisation, sous l'égide du groupe d'études Handicap. Tel est le cadre de cette audition, madame la ministre.
Mme Charlotte Parmentier-Lecocq, ministre déléguée chargée de l'autonomie et du handicap. - Je me réjouis d'être parmi vous cet après-midi pour ces travaux ô combien importants consacrés à l'évaluation de la loi de 2005, dans le contexte assez particulier de la constitution récente du Gouvernement, après une précédente équipe qui fut éphémère.
Je tâcherai de maintenir une continuité avec les travaux et orientations portés par mes prédécesseurs, tout en me projetant vers l'avenir, avec une première échéance importante qui est évidemment l'adoption du projet de loi de finances (PLF) et du projet de loi de financement de la sécurité sociale (PLFSS) pour 2025. Viendra ensuite la construction d'une feuille de route, puisque François Bayrou a demandé aux ministres de faire des propositions.
Notre échange arrive donc à point nommé, car je souhaite pouvoir nourrir cette feuille de route des travaux d'évaluation de cette loi de 2005, en particulier des vôtres, mais également de ceux que produira la commission des affaires sociales de l'Assemblée nationale, ainsi que des travaux du Conseil économique, social et environnemental (Cese) et du Conseil national consultatif des personnes handicapées (CNCPH).
Je tiens à mentionner les différentes propositions d'initiative sénatoriale qui permettront d'enrichir nos politiques en faveur des personnes handicapées. Je pense notamment à la loi pour améliorer le repérage et l'accompagnement des personnes présentant des troubles du neurodéveloppement et à favoriser le répit des proches aidants, présentée par Jocelyne Guidez, à la loi sur la prise en charge par l'État de l'accompagnement humain des élèves en situation de handicap durant la pause méridienne, portée par Cédric Vial, ou encore à la proposition de loi sur la prise en charge de la sclérose latérale amyotrophique (SLA) et d'autres maladies évolutives graves, portée par vous-même, monsieur le président, aux côtés de Gilbert Bouchet. Voilà autant d'initiatives qui vont dans le sens d'une société plus inclusive, à laquelle nous aspirons tous.
Nous sommes à la veille du vingtième anniversaire de la loi du 11 février 2005 pour l'égalité des droits et des chances, la participation et la citoyenneté des personnes : c'est dans ce cadre que vous avez lancé un travail d'évaluation avec les autres commissions du Sénat pour dresser le bilan de la loi et voir le chemin parcouru, mais également celui qu'il nous reste à faire.
Je suis particulièrement attachée à cette méthode de co-construction avec le Parlement : c'est d'ailleurs ainsi qu'est née la loi de 2005, qui a été l'aboutissement de trois années de réflexion partagée entre les gouvernements successifs, le Parlement et les associations.
En renonçant à une approche strictement médicale du handicap et en affirmant dès son intitulé l'objectif d'intégration des personnes handicapées dans l'ensemble de la société, à rebours d'une politique reposant sur les dispositifs spécialisés, cette loi a porté une vision ambitieuse et réformatrice, trente ans après l'acte fondateur qu'a représenté la loi d'orientation du 30 juin 1975 en faveur des personnes handicapées.
La loi de 2005 a d'abord permis d'introduire une nouvelle définition du handicap, permettant de prendre en compte l'ensemble des handicaps, qu'ils soient moteurs, sensoriels, cognitifs ou psychiques. De cette nouvelle définition ont découlé deux principes fondamentaux, à savoir l'accessibilité et la compensation, placés au service d'une société qui accorde les mêmes chances et les mêmes droits aux personnes en situation de handicap.
L'accessibilité doit permettre à chacun, quel que soit son handicap, de participer pleinement à la société, sans restriction. Plus la société sera accessible dans son ensemble, moins la compensation devra prendre le relais.
Afin de favoriser le maintien à domicile et une meilleure intégration dans l'espace public, l'obligation d'accessibilité s'impose aux différentes composantes de la vie collective, qu'il s'agisse des établissements recevant du public (ERP), des locaux professionnels, des logements, des transports, des écoles, des services publics ou encore de la communication en ligne.
Aujourd'hui, 900 000 ERP - sur les 2 millions que compte le pays - se sont engagés dans une démarche de mise en accessibilité, tandis que 97 gares nationales et 237 gares régionales sont intégrées dans les différents schémas d'accessibilité. Pour ce qui concerne le logement, plus de 31 000 dossiers avaient été déposés au titre du dispositif MaPrimeAdapt' en novembre 2024, contre 6 000 dossiers en mars de la même année.
La loi de 2005 a également reconnu à tout enfant porteur de handicap le droit d'être inscrit en milieu ordinaire, dans l'école dont relève son domicile, ce qui constitue un changement d'approche considérable pour casser les représentations, dès le plus jeune âge : l'école adaptée n'est désormais plus envisagée que lorsque l'éducation en milieu ordinaire s'avère impossible.
Nous comptons ainsi aujourd'hui plus de 520 000 élèves handicapés scolarisés dans nos écoles, collèges et lycées, avec un nombre toujours croissant d'accompagnants d'élèves en situation de handicap (AESH) à leurs côtés. Des progrès restent là aussi nécessaires, mais le déploiement des pôles d'appui à la scolarité (PAS) permettra de fluidifier le travail entre professionnels de l'éducation nationale et professionnels du secteur médico-social.
En matière d'emploi, la loi de 2005 a aussi permis des progrès significatifs en étendant l'obligation d'emploi des travailleurs handicapés (OETH) à la fonction publique, tout en renforçant les sanctions financières en cas de non-respect de cette règle. Si la direction de l'animation de la recherche, des études et des statistiques (Dares) évalue à 111 300 le nombre d'entreprises publiques et privées soumises à l'OETH en 2022, et que le taux de chômage des personnes handicapées a nettement diminué, les défis en matière d'emploi restent considérables.
Pour ce qui est de la compensation, second pilier de la loi, l'ambition de la loi était élevée, avec l'objectif de permettre à chacun de faire face aux conséquences du handicap. Dès 2006, la prestation de compensation du handicap (PCH) a ainsi été mise en place pour prendre en charge les surcoûts liés au handicap.
Afin de faciliter l'accès aux droits et aux prestations, la loi a créé les maisons départementales des personnes handicapées (MDPH) comme guichet unique d'accueil, d'information et de conseil, en rassemblant l'ensemble des acteurs de la prise en charge du handicap, qui étaient jusqu'alors dispersés.
Si le temps qui m'est imparti ne me permet pas de dresser un bilan exhaustif des 101 articles de la loi de 2005, force est de reconnaître que ce texte a été porteur d'une approche radicalement différente du handicap et qu'il a permis des avancées significatives.
Pour autant, et encore plus dans le contexte de l'héritage des jeux Olympiques et Paralympiques de l'été dernier, nous devons maintenir un haut niveau d'exigence pour parvenir véritablement à une société inclusive, des chantiers colossaux étant devant nous.
À l'occasion de la dernière réunion de la conférence nationale du handicap (CNH), le Président de la République a pris des engagements forts, notamment le remboursement intégral des fauteuils roulants, que nous pourrons enfin tenir dans les prochains jours. Dans son discours de politique générale, le Premier ministre a, quant à lui, réaffirmé l'engagement de l'ensemble du Gouvernement en faveur des personnes handicapées.
Une prochaine réunion du comité interministériel du handicap permettra de garantir le suivi de l'ensemble des travaux déjà engagés et de réfléchir à de nouvelles pistes d'action, y compris d'un point de vue législatif.
Je tiens donc à réaffirmer l'importance que j'attache au travail d'évaluation et aux propositions que vous formulerez afin de nourrir ma feuille de route et les prochains grands rendez-vous, au-delà du 11 février prochain.
Mme Chantal Deseyne, rapporteur. - Madame la ministre, nous nous sommes intéressées aux MDPH dans le cadre de notre mission d'information et nous avons constaté que la qualité de l'accompagnement est assez inégale sur le territoire, en particulier en matière de délais de traitement, en dépit des dispositifs mis en place par la Caisse nationale de solidarité pour l'autonomie (CNSA) pour épauler ces structures. Quel regard portez-vous sur ces disparités territoriales et comment envisagez-vous de les résorber ?
Je souhaite également vous interroger sur la rémunération des travailleurs en établissements et services d'aide par le travail (Ésat). Vous avez sans doute consulté comme nous le rapport de l'inspection générale des affaires sociales (Igas) de février 2024, dont les conclusions sont pour le moins mitigées quant à l'augmentation de la garantie de rémunération des travailleurs Ésat au niveau du Smic. Ces établissements nous ont interpellées et ont manifesté une certaine inquiétude, dans la mesure où cette mesure pourrait conduire plus de la moitié des Ésat à une situation déficitaire. De plus, il semblerait qu'une telle mesure n'apporte pas une rémunération complémentaire aux travailleurs de ces établissements, en raison de la compensation qui s'opère par le biais de l'allocation aux adultes handicapés (AAH). Quelles suites le Gouvernement compte-t-il donner à ce rapport ? Comment concilier les droits des travailleurs en Ésat avec la pérennité financière de ces établissements ?
Enfin, pouvez-vous nous faire un point de situation concernant la prise en charge à 100 % des fauteuils roulants ?
Mme Corinne Féret, rapporteure. - Madame la ministre, depuis sa création en 2005, la PCH a connu des évolutions positives, tant sur le plan des conditions d'éligibilité que sur celui des charges couvertes : je pense notamment à la création de la PCH parentalité et à l'accès des personnes atteintes d'un trouble psychique, mental ou cognitif à cette prestation.
Néanmoins, l'article 13 de la loi de 2005 prévoyait la suppression, dans un délai de cinq ans, de la barrière d'âge fixée à 60 ans pour bénéficier de la PCH. Or, vingt ans plus tard, il n'en est rien et les personnes dont le handicap se déclare après 60 ans continuent de bénéficier, injustement, d'une prise en charge moins adaptée au travers de l'allocation personnalisée d'autonomie (APA).
De surcroît, de plus en plus de personnes seront concernées par cette inégalité de traitement du fait du vieillissement de la population, et la suppression de cette distinction basée sur l'âge est l'une principales mesures demandées par le milieu associatif. Envisagez-vous la levée, ou au moins, l'augmentation de cette barrière d'âge ?
Par ailleurs, une réforme de la PCH enfant est-elle envisagée afin de mieux répondre aux besoins des enfants et des adolescents handicapés ?
Mme Charlotte Parmentier-Lecocq, ministre déléguée. - En ce qui concerne les MDPH, j'ai été parlementaire avant d'être ministre et je suis conseillère départementale du Nord : je n'ignore donc pas les difficultés signalées par de nombreuses familles, dont la lourdeur administrative et des délais de traitement très inégaux d'un département à l'autre.
Il convient donc de simplifier l'accès, le remplissage et le traitement du dossier MDPH, car nous sommes entrés dans une forme de course consistant à augmenter les moyens de ces établissements afin de répondre à une hausse importante du nombre de dossiers, mais sans véritablement prendre à bras-le-corps la question de l'efficacité de la procédure de remplissage et de traitement. En outre, la question d'une meilleure harmonisation entre départements reste posée.
À cet effet, je mets actuellement sur pied un groupe de travail resserré - une task force - qui élaborera une série de propositions permettant d'alléger la structure du dossier, en s'appuyant sur l'expertise des professionnels des MDPH et en ayant comme leitmotiv la recherche de l'efficacité, au bénéfice des familles.
Certains circuits de décision - concernant la reconnaissance de la qualité de travailleur handicapé (RQTH), par exemple - pourraient être simplifiés, tandis qu'il existe des marges de progression importantes dans le développement du remplissage numérique des dossiers, remplis essentiellement à la main à l'heure actuelle. L'intelligence artificielle pourrait également nous apporter des solutions afin d'améliorer l'efficacité de ce traitement.
Je table sur une officialisation rapide de cette task force, afin qu'elle puisse rapidement se mettre au travail et produire des résultats. La CNSA accompagne bien sûr ces travaux, certaines MDPH parvenant à réduire leurs délais de traitement : nous nous inspirerons de leurs solutions.
Pour ce qui est des travailleurs des Ésat, je dois encore compléter mon analyse de la situation. La loi du 18 décembre 2023 pour le plein emploi a permis d'engager une dynamique de convergence des droits et de renforcement des liens entre le milieu ordinaire et les Ésat. Une convention a ainsi été récemment signée entre ces structures, France Travail et les Cap emploi, afin de multiplier les possibilités d'allers-retours et de concomitance entre un emploi à temps partiel en milieu ordinaire et le travail en Ésat.
Dans ce contexte, il importe de réaffirmer les droits des travailleurs des Ésat et de veiller à ce qu'ils puissent bénéficier d'un revenu digne, tout en soutenant le modèle économique de ces structures, ce que nous faisons d'ailleurs au moyen du Fonds d'accompagnement de la transformation des Ésat (Fatésat), afin de favoriser une diversification de leurs activités. J'ai par ailleurs bien noté la problématique du cumul avec l'AAH, mais j'ai besoin d'étudier ce point de façon plus approfondie.
J'en viens à la prise en charge intégrale des fauteuils roulants, qui est un engagement fort du Président de la République comme du Premier ministre. Nous avons besoin d'aller vite et je souhaite arrêter les grandes lignes du dispositif dans les prochains jours, afin que le remboursement de ces équipements soit effectif en septembre 2025. Il est vrai que la censure du précédent gouvernement a retardé ces travaux.
Pour ce qui est de la PCH et de la suppression de la barrière d'âge, la problématique est très complexe et nécessite des investigations plus poussées. Nous faisons face à deux objets différents dans la mesure où la PCH compense un risque susceptible de survenir, la solidarité devant être pleine et entière lorsqu'une personne est frappée de handicap, alors que la perte d'autonomie liée à l'âge nous concerne tous, dans le cadre d'un débat plus large sur le financement de la protection sociale face au mur démographique qui se profile.
Enfin, la réforme de la PCH enfant n'est pas encore à l'ordre du jour. À ce stade, je n'ai pas identifié un scénario faisant consensus, la situation actuelle présentant quelques avantages, comme le droit d'option. Une fois encore, ma feuille de route est en cours de construction et je continue de recueillir les propositions.
M. Khalifé Khalifé. - Madame la ministre, je salue votre annonce concernant les fauteuils roulants et souhaite que votre feuille de route puisse s'appliquer le plus longtemps possible, car je n'ai connu rien de moins que quatre ministres depuis mon entrée au Sénat, il y a à peine seize mois : nous souffrons de l'absence de suivi des dossiers qui en découle.
L'an dernier, le Sénat a adopté à l'unanimité un amendement revenant sur l'amendement Creton - datant de 1989 - afin de libérer des places au sein des instituts médico-éducatifs (IME), car environ 10 000 d'entre elles sont occupées par des personnes devenues adultes depuis l'adoption de cet amendement, au détriment de personnes les plus jeunes. Nous n'avons toujours pas eu de réponse à cette question, qui a déjà été posée à vos trois prédécesseurs.
Par ailleurs, l'extension de la prime du Ségur, décidée en juillet dernier par l'un de vos prédécesseurs, pose problème à une série d'organismes hébergeant des personnes handicapées, qui ne peuvent pas assumer cette dépense supplémentaire de 185 euros par mois et par employé.
M. Bernard Jomier. - Madame la ministre, j'ai apprécié votre intervention liminaire : nous sommes nombreux à penser que les jeux Paralympiques ont été synonymes d'un changement culturel, l'ambiance dans les stades ayant été incroyable, ce qui doit nous inciter à avancer de manière plus déterminée.
Ma première question porte sur les soins dentaires : si des moyens ont été mis en place dans la dernière convention afin d'inciter les chirurgiens-dentistes à prendre en charge les personnes en situation de handicap, l'une des dispositions de ce texte a malheureusement créé une discrimination. En effet, la revalorisation de 100 euros n'est pas prise en charge à 100 % par l'assurance maladie. Or de nombreuses personnes handicapées - notamment celles qui vivent en institution médicalisée - ne disposent pas de mutuelle et les patients concernés doivent donc payer plus cher pour le même soin. De plus, les chirurgiens-dentistes hésitent à appliquer cette revalorisation afin de ne pas pénaliser le patient et de ne pas risquer de se retrouver avec un indu de la caisse primaire d'assurance maladie (CPAM). Comment comptez-vous résoudre cette situation ?
Ma deuxième question concerne l'accès des personnes en situation de handicap à la formation professionnelle et à l'emploi. Comme vous l'avez rappelé, la scolarisation en milieu ordinaire a beaucoup progressé, et c'est heureux, mais de nombreux jeunes souhaitent poursuivre une formation professionnelle dans ce même milieu, et nous n'avons guère progressé dans ce domaine. Les refus sont en effet généralisés et permanents et ces jeunes ne parviennent pas, en dehors de quelques secteurs, à poursuivre leur formation et à accéder à l'emploi en milieu ordinaire, alors qu'ils en ont la capacité. Quelles initiatives proposez-vous en la matière ?
Mme Jocelyne Guidez. - La loi de 2005 a ouvert la question de l'inclusion scolaire des enfants handicapés et nous pouvons nous féliciter du quadruplement du nombre d'élèves handicapés scolarisés en milieu ordinaire par rapport à 2006.
Début décembre, j'ai interrogé la ministre de l'éducation nationale sur les ruptures d'accompagnement des élèves handicapés qui bénéficient d'une AESH. De nombreuses familles regrettent le manque de stabilité pour leurs enfants ou des modifications d'affectations des AESH en cours d'année, sans concertation. Il serait pourtant nécessaire de garantir une continuité pédagogique à ces jeunes sur l'ensemble d'une année scolaire, voire sur l'ensemble du cycle scolaire.
À cette question orale, la ministre de l'époque n'a répondu que très partiellement. Quelles actions votre ministère compte-t-il mettre en oeuvre pour garantir aux enfants en situation de handicap la stabilité de leur accompagnant ? Envisagez-vous aussi des mesures visant à renforcer le dialogue entre les équipes éducatives et les familles, afin de sécuriser le parcours scolaire de ces élèves dans des conditions dignes et stables ?
Par ailleurs, il y a un aidant derrière chaque enfant et chaque personne handicapée, ce qui m'amène à évoquer le dispositif de relayage. La loi du 15 novembre 2024 relative aux troubles du neurodéveloppement (TND), que le Parlement a adopté à l'unanimité, a mis un terme, dans son article 9, à l'expérimentation relative au relayage à compter du 31 décembre dernier et prévoyait la pérennisation de ce dispositif à partir du 1er janvier 2025.
Cependant, cet article renvoyait à un décret d'application, qui n'a toujours pas été publié à ce jour. Par conséquent, les offres de relayage actuellement proposées aux aidants sont dépourvues d'une base légale ; s'y ajoute le fait que la censure n'a pas permis au PLFSS pour 2025 d'être adopté avant le 31 décembre alors que ce dernier comportait - à mon initiative, ainsi qu'à celle de Paul Christophe - un article permettant de repousser au 1er avril l'entrée en vigueur de l'article 9. Désormais, la seule solution consiste à publier le décret d'application : peut-on espérer qu'il soit rapidement signé ?
Mme Charlotte Parmentier-Lecocq, ministre déléguée. - Monsieur Khalifé, l'objectif est, d'une part, que les enfants en IME qui devraient être à l'école rejoignent celle-ci, libérant ainsi des places, et, d'autre part, de répondre aux jeunes adultes en leur offrant de nouvelles solutions leur permettant de sortir des IME. Plusieurs voies peuvent être empruntées à cet effet, dont les PAS, le fait de compléter l'offre de places en IME et les nouvelles solutions que je viens de mentionner.
Concernant ces deux dernières voies, le plan 50 000 solutions doit se déployer, en précisant que 15 000 d'entre elles doivent être créées dès cette année, sous réserve de l'adoption du PLFSS, qui programme 270 millions d'euros pour financer cet effort, au lieu des 200 millions d'euros initialement prévus. Nous entendons accélérer dans ce domaine, les agences régionales de santé (ARS) ayant beaucoup travaillé à la définition des besoins sur les territoires, en lien avec les départements et les organismes gestionnaires.
Vous rappelez également les difficultés liées aux primes du Ségur de la santé. L'État a néanmoins pu, en grande partie, apporter le soutien nécessaire. Sans doute doit-il consentir d'autres efforts, mais il ne pourra le faire que dans le cadre budgétaire contraint qui est le nôtre. Cela fait donc partie des arbitrages à rendre ; je vous renvoie à cet égard à nos débats de la semaine dernière, lors de l'examen du PLF. En outre, les départements doivent aussi y mettre du leur. Des discussions ont été engagées à cet égard avec Départements de France pour élargir les marges de manoeuvre.
Sur la question des soins dentaires, monsieur Jomier, je n'ai pas de réponse à apporter dans l'immédiat à la question précise que vous avez posée ; je vous répondrai ultérieurement.
Cela étant, j'ai annoncé le lancement d'une mission Santé sur l'accès aux soins des handicapés, dans le cadre du dixième anniversaire de la charte Romain Jacob, afin de dresser un bilan de la situation et de repérer les bonnes pratiques et les freins en la matière, puis de soutenir de nouvelles initiatives. Pour l'administration de soins dentaires, il y a une initiative intéressante dans le Calvados : le matériel nécessaire est embarqué dans un véhicule et le dentiste se rend dans les établissements et services médico-sociaux (ESMS), de sorte que les personnes handicapées soient préparées et accompagnées par leurs éducateurs. Le praticien gagne ainsi du temps, car il peut faire plusieurs consultations d'un coup, tout en étant dans un environnement sécurisé ; cela donne en outre de la souplesse. Il y a beaucoup d'autres initiatives intéressantes sur le terrain. Cette mission permettra de les identifier.
Sur les stages en milieu ordinaire, je suis d'accord avec vous, il y a des efforts à faire pour ouvrir davantage l'entreprise, mais aussi l'université. Néanmoins, les progrès sont réels dans les perceptions et les mentalités, notamment dans les entreprises. Il y a des dispositifs intéressants, les entreprises s'engagent ou se regroupent en faveur de l'inclusion, mais il faut les soutenir, pour rendre les choses plus faciles, promouvoir leurs initiatives et embarquer les plus petites, pour lesquelles c'est beaucoup plus difficile.
Madame Guidez, vous évoquiez l'accompagnement scolaire et la question des AESH. Une des solutions doit venir des pôles d'appui à la scolarité. Ces pôles permettent de proposer, territoire par territoire, des renforts d'enseignants formés et du personnel médico-social. L'objectif est de mieux accompagner les enseignants, les AESH, les familles, les enfants. Cela fonctionne dans les expérimentations, mais il faut accélérer le processus ; je m'en suis entretenue avec Élisabeth Borne, qui est très sensible à la question de l'inclusion. L'objectif est d'aider les enseignants dans cette démarche, car ils se retrouvent parfois dans des situations difficiles et je ne veux rien lâcher sur l'objectif de l'inclusion des enfants à l'école. C'est la promesse de la loi de 2005 et je souhaite qu'elle soit tenue. On ne recule pas sur ce sujet, puisque nous continuons de recruter des AESH et de nous intéresser à leur formation et à leur parcours de carrière.
Sur le dispositif de relayage, le retard s'explique par la censure du gouvernement précédent et par l'absence de loi de financement de la sécurité sociale. Nous souhaitons publier les décrets en avril au plus tard.
Mme Anne-Sophie Romagny. - Je souhaite vous interroger sur le fonds départemental de compensation du handicap (FDC), qui fournit une aide financière complémentaire à la PCH visant à réduire le reste à charge du bénéficiaire, après participation des financeurs sollicités par le dossier unique de demande de financement. Avant d'accorder cette aide, les départements pouvaient prendre en compte les ressources des bénéficiaires, mais, depuis une évolution législative sur le sujet, une participation égale à 10 % des ressources annuelles nettes d'impôts leur est imposée, ce qui déstabilise les finances des MDPH. L'État entend-il compenser cette mesure ?
Je souhaite ensuite vous faire une suggestion, madame la ministre : dématérialisons les cartes d'invalidité, de stationnement et de priorité. Cela favoriserait la lutte contre la fraude, tout en permettant de faire une importante économie budgétaire. Il serait intéressant de savoir le montant consacré par l'État à l'impression de toutes ces cartes.
Mme Monique Lubin. - L'accessibilité des établissements recevant du public est loin d'être effective, de même que l'accès au numérique. Une programmation législative sur trois à cinq ans, prévoyant des moyens précis, ne serait-elle pas opportune ? Quelles sont les ambitions du Gouvernement concernant le fonds territorial d'accessibilité, dont les ressources sont très peu sollicitées en raison d'un manque de notoriété et d'une trop grande complexité ? Que comptez-vous faire pour que cette obligation devienne une réalité à brève échéance ?
En novembre 2024, l'association France Assos Santé a rappelé que la loi obligeait les entreprises de plus de vingt salariés à employer au moins 6 % de handicapés. Cette obligation n'est toujours pas respectée : ce taux ne s'élève qu'à 3,5 % dans le privé et à 5,5 % dans le public. Confirmez-vous ces éléments ? Allez-vous vous emparer de cette question ?
Mme Martine Berthet. - Ma première question porte sur l'accessibilité des logements. Un bilan de l'application des objectifs d'accessibilité des logements devait être réalisé cinq ans après la promulgation de la loi du 23 novembre 2018 portant évolution du logement, de l'aménagement et du numérique (Élan). Ce rapport a bien été remis par l'inspection générale de l'environnement et du développement durable (Igedd) fin 2023, mais n'a toujours pas été transmis au Parlement. Sera-ce bientôt le cas ?
Ma deuxième question porte sur le fonds territorial d'accessibilité, qui a été très peu utilisé en 2024 parce qu'il est trop complexe. Or ce fonds est intéressant pour les commerces. Sera-t-il reconduit en 2025 et simplifié ?
Mme Patricia Demas. - Il y a une difficulté pour les handicapés à accéder aux soins de premiers recours, en médecine générale, en soins dentaires et en gynécologie. Comment l'offre de soins pourrait-elle s'organiser mieux sur le territoire, puisque 25 % des personnes handicapées ont des difficultés à accéder aux soins de premier recours ? Quelle place le maillage du territoire aura-t-il dans votre feuille de route ?
Ma seconde question porte sur la simplification des démarches administratives et sur l'obtention de la prime d'activité pour les allocataires de l'AAH. À ce jour, il faut deux déclarations différentes, avec des montants nets sociaux différents. Pourquoi ne pas prévoir une déclaration unique des ressources, pour simplifier ?
Mme Charlotte Parmentier-Lecocq, ministre déléguée. - Madame Romagny, sur le FDC, je n'ai pas d'élément assez précis pour vous répondre immédiatement, je le ferai ultérieurement. Avec la prise en charge des fauteuils roulants par l'assurance maladie, peut-être aurons-nous de nouvelles marges de manoeuvre, puisque ce fonds ne financera plus ces appareils.
Je vous remercie de votre proposition de dématérialisation des cartes d'invalidité, de stationnement et autres. Cela fait partie des propositions intéressantes à prendre en compte dans le cadre de la task force que j'évoquais, car ces dossiers engorgent les MDPH.
Madame Lubin, sur l'accès au numérique, nous sommes bien équipés en matière de réglementation : la loi et les directives européennes sont claires. Nous devons tous faire un effort en la matière, car nous sommes en retard. Le Gouvernement a néanmoins fourni des outils et des méthodes, car l'État fournit du conseil et de l'accompagnement pour rendre les sites accessibles, même s'il n'est pas parfaitement exemplaire. Nous devons tenir cet engagement.
Le fonds territorial d'accessibilité est en effet peu utilisé. Il n'était pas très connu et il a été détourné de son usage ; en outre, c'est vrai, il n'est pas simple d'usage. J'ai donc demandé à la délégation interministérielle à l'accessibilité (DIA) de faciliter l'accès à cet outil. En outre, nous avons, au travers du service civique, de jeunes ambassadeurs qui encouragent les communes et les commerces à mobiliser ce fonds. Sur l'accessibilité des ERP, ce fonds apporte des solutions, mais il faut lui donner un coup d'accélérateur ; on ne peut plus accepter que les commerces ne soient pas tous accessibles. Du reste, pour les commerçants, restaurateurs ou professions libérales qui bénéficient de ce fonds, cela représente de nouveaux clients.
Sur l'obligation d'emploi des handicapés, je partage votre analyse. Les employeurs ne sont pas tous au rendez-vous. Nous devons collectivement être plus performants, plus efficaces et ouvrir les portes de l'entreprise aux handicapés. Ces derniers demandent surtout que l'on reconnaisse leurs compétences et leur envie de travailler. Ils veulent avoir toute leur place en entreprise, où ils démontrent qu'ils apportent beaucoup. Nous devons simplifier certains dispositifs ; je pense en particulier à l'emploi accompagné, qui assiste les employeurs dans l'accueil d'une personne handicapée. Cet outil fonctionne bien, notamment pour le handicap psychique, mais il n'est pas très utilisé : nous comptons 10 000 emplois accompagnés, alors que nous en visons 30 000 et que nous avons le budget requis. Cela exige de la simplification et je travaille en ce sens avec la direction générale de la cohésion sociale (DGCS) et avec France travail.
Madame Berthet, si le rapport d'application de la loi Élan était prévu et a été produit, il n'y a pas de raison que le Parlement n'en dispose pas. Je me pencherai sur cette question.
Madame Demas, votre question sur l'accès aux soins rejoint le sujet précédemment abordé. C'est une préoccupation pour moi, il est déjà difficile d'accéder à l'offre de soins dans certains territoires, mais c'est encore plus le cas pour les personnes handicapées. La mission d'évaluation de la charte Romain Jacob et d'amélioration de la formation des professionnels de santé en matière de handicap vise à mieux prendre en charge les handicapés. Par ailleurs, le PLFSS comporte de belles mesures pour l'accès aux soins des handicapés, notamment des femmes, avec par exemple la consultation handi-gynécologique, qui permet de mieux prendre en charge le patient, d'autant que les femmes handicapées sont les plus exposées aux violences sexuelles. Il est donc important que le PLFSS soit adopté.
Mme Annie Le Houérou. - On promeut l'inclusion, mais celle-ci ne répond pas à toutes les situations et les IME continuent de prendre en charge certains besoins particuliers ; les deux aspects sont indispensables. Or on manque de places dans ces établissements.
En ce qui concerne les compensations du Ségur de la santé, vous appelez les départements à s'engager, mais nombre d'entre eux ne sont plus en mesure de le faire, faute de budget. Ils comptent donc sur l'accompagnement de l'État.
Peut-on faire le bilan des dispositifs d'autorégulation, mis en place pour accompagner les enfants souffrant de troubles autistiques ? Dans ma circonscription, il y a une école qui propose ce dispositif. Cela fonctionne bien, mais très peu d'enfants peuvent en bénéficier, puisqu'il n'y a que six places pour tout le département.
Enfin, l'accès à l'emploi reste difficile et l'on constate notamment de nombreux licenciements pour inaptitude.
Mme Cathy Apourceau-Poly. - Oui !
Mme Annie Le Houérou. - Ce sujet a-t-il été identifié par vos services et envisagez-vous des mesures ? Comment garder ces personnes dans l'entreprise ?
M. Jean-Luc Fichet. - Vous avez évoqué l'accompagnement pour les entreprises qui accueillent des personnes handicapées. En matière de handicap, notre constante doit être l'accompagnement social. Les personnes handicapées n'ont pas de difficultés insurmontables au travail, à l'école, en formation ou dans leur vie de famille s'ils bénéficient d'un suivi social adapté à leurs besoins et leur donnant une certaine sérénité. Or le système est aujourd'hui trop complexe : ils ont des travailleurs sociaux dans les Ésat, des tutelles, leur famille, leur patron, des formateurs, toutes sortes de dispositifs d'aide, qui en outre ne sont pas cohérents entre eux. Comment leur donner un accompagnement de qualité tout au long de la vie ? L'inclusion ne fonctionne à l'école que s'il y a des AESH. De même, les chefs d'entreprise sont plutôt d'accord pour respecter la loi, mais quand le salarié est confronté à des problèmes de mobilité ou de santé, vers qui peut-il se tourner ? Le travailleur social n'est souvent pas disponible. Comment les rendre plus sereins ?
Mme Laure Darcos. - Je suis membre de la commission de la culture, de l'éducation et de la communication. Je suis présente à votre audition, madame la ministre, en tant que membre du groupe d'études Handicap.
Je souhaite vous alerter sur certains points.
En application de la loi visant la prise en charge par l'État de l'accompagnement humain des élèves en situation de handicap durant le temps de pause méridienne, issue d'une proposition de loi de notre collègue Cédric Vial, le ministre de l'éducation nationale a publié une circulaire extrêmement confuse, à telle enseigne que certains départements n'ont pas pu l'appliquer à la rentrée dernière. Nous avons saisi la ministre de l'éducation nationale de ce problème, mais nous vous serions reconnaissants de pousser de votre côté. Cette loi permet aux AESH d'avoir des temps complets et aux enfants d'être accompagnés pendant le déjeuneur.
Nombre de spectacles ne sont à ce jour pas accessibles via le pass Culture pour les jeunes atteints de handicap. Pourriez-vous travailler à cette question avec la ministre de la culture ?
Par ailleurs, il reste beaucoup de progrès à faire sur les campus universitaires et dans les centres régionaux des oeuvres universitaires et scolaires (Crous), dont les logements sont peu adaptés aux handicapés. Il faut garantir une égalité de traitement. Cette question avait d'ailleurs été évoquée lors de l'examen de la loi de 2005.
Enfin, pour finir sur une note positive, la Fédération française du bâtiment Essonne a produit un beau document sur les travaux publics et l'accès à ce secteur des jeunes handicapés. (L'oratrice remet le document à Mme la ministre déléguée.)
M. Daniel Chasseing. - Pour les soins, la complémentaire devrait être disponible partout pour les salariés. Certains Ésat sont en déficit et ne paient donc pas la moitié de la complémentaire. L'État devait prendre en charge 50 % de la part employeur. Qu'en est-il ?
Par ailleurs, il conviendrait de renforcer les passerelles entre les Ésat, les entreprises adaptées et le milieu professionnel, voire les foyers occupationnels pour les personnes psychotiques. Il n'y a pas de suivi ; les gens sont casés dans un endroit et y restent toute leur vie. Comment améliorer cet accompagnement ?
Mme Charlotte Parmentier-Lecocq, ministre déléguée. - Madame Le Houérou, j'ai répondu précédemment à vos questions. Pour ce qui concerne les dispositifs d'autorégulation, je suis d'accord avec vous, ils donnent de bons résultats. Je souhaite donc les évaluer et les déployer, car ils participent à l'école inclusive. J'ai répondu sur le Ségur de la santé. Je suis conseillère départementale, donc je connais les difficultés des départements à ce sujet. Nous avons beaucoup discuté avec l'association Départements de France pour trouver des moyens de soutien. D'ailleurs, le PLFSS comporte des mesures d'aide aux départements, en maintenant les taux de compensation, en suivant les dépenses d'APA et de PCH et en engageant un travail de convergence vers une meilleure compensation. Le dialogue est renoué ; il faut désormais avancer de concert avec les départements, pour mieux valoriser ces métiers.
Les licenciements pour inaptitude sont en effet un phénomène en hausse, alors que des solutions existent. J'ai soutenu, avec Pascale Gruny, la loi du 2 août 2021 pour renforcer la prévention en santé au travail ; elle prévoit de nombreux dispositifs, qui sont en cours de déploiement. Je pense notamment à une cellule de prévention de la désinsertion professionnelle ou à une visite à mi-carrière, autant d'outils devant permettre de mieux anticiper les situations et de maintenir les intéressés dans l'emploi. Il faut en outre renforcer le lien entre les teams Handicap de France Travail et les pôles de prévention et de santé au travail, afin de mieux accompagner le parcours des handicapés et d'éviter d'arriver à l'inaptitude.
Monsieur Fichet, vous parlez de la difficulté de s'y retrouver, face à la multitude des dispositifs et des acteurs. Nous prenons des mesures pour améliorer la lisibilité de tout cela. Cela passe par les teams Handicap de France Travail, par le rapprochement des Cap emploi et de France Travail, pour que les conseillers travaillent ensemble et assurent un suivi. L'emploi accompagné doit être mieux connecté avec France Travail, afin que les parcours soient plus fluides. Nous souhaitons avancer vers la transformation de l'offre, pour que les acteurs du médico-social apportent les bonnes réponses aux besoins des bénéficiaires. Il faut passer d'une logique de placement des bénéficiaires à une logique de plateforme de services coordonnés, qui réponde à leurs besoins. Le service public départemental de l'autonomie (SPDA) doit également permettre d'améliorer la réponse dans les territoires.
Madame Darcos, en ce qui concerne la circulaire d'application de la loi Vial, je souhaite entamer une discussion avec l'auteur de la proposition de loi et la ministre de l'éducation nationale, afin de simplifier le dispositif. Dans le PLF, il est prévu un recrutement de 2 000 AESH, qui deviennent un contingent important de l'éducation nationale. Il y a des moyens à la disposition des enfants, mais il en faut encore plus loin.
Sur le pass Culture, j'ai reçu ce matin les députés Yannick Monnet et Sophie Mette, qui ont mené une mission sur l'accès à la culture. Leurs travaux nourriront la feuille de route interministérielle sur la culture et nous avons bien identifié le problème que vous soulevez.
Je partage votre avis sur l'accessibilité des universités et l'accueil des étudiants. Je suis effarée par les différences de traitement d'une université à l'autre. Il faut y remédier. On peut rencontrer des difficultés financières, mais le premier facteur est la volonté de s'engager à accueillir correctement les étudiants.
Mme Laure Darcos. - Ne serait-ce que pour les examens !
Mme Charlotte Parmentier-Lecocq, ministre déléguée. - Mais aussi pour l'accès aux cours, aux outils, aux supports. On ne doit pas transiger.
Monsieur Chasseing, nous avons parlé, la semaine dernière, lors de l'examen du PLF, du modèle économique des Ésat. Le Sénat a adopté le principe du soutien aux Ésat pour apporter un cofinancement aux mutuelles. Le PLF va poursuivre son chemin parlementaire.
De même, les parcours professionnels des personnes handicapées doivent être plus fluides, je suis d'accord avec vous. Nous prenons cet engagement, avec France Travail, avec le réseau des Ésat ; l'accompagnement doit être plus fluide, favoriser la mixité entre emploi ordinaire et emploi en Ésat, les allers-retours. Ces changements sont à l'oeuvre, mais doivent se poursuivre.
Mme Raymonde Poncet Monge. - Je veux revenir sur la question de la barrière d'âge, qui devrait être résolue depuis quinze ans. Vous devriez engager des concertations autour de ce sujet. Nous avons examiné une proposition de loi introduisant une exception pour une maladie, mais on va devoir multiplier les textes pour résoudre tous les problèmes ! Lorsque a été créée la branche autonomie, nous espérions que ce problème serait résolu.
Par ailleurs, si le vieillissement est inéluctable, la perte d'autonomie des personnes âgées ne l'est pas ! C'est un risque qui se prévient et qui se compense ; seule une personne sur treize bénéficie de l'APA, il y en a donc douze qui ne la touchent pas. Tant que l'on ne s'attellera pas à ce chantier difficile, tant que l'on repoussera la résolution de cette question de ministre en ministre, on gardera des taux élevés de non-recours et on ne répondra pas à une demande sociale importante. Il faudrait que vous vous engagiez à une concertation sur le sujet. Ou alors, abrogeons carrément cet article !
Mme Corinne Imbert. - L'école pour tous est un bel idéal, mais il y a des acteurs qu'il ne faut pas oublier : les enseignants, qui se retrouvent parfois en grande difficulté, notamment quand ils accueillent des enfants souffrant de troubles du comportement et qui ont un dossier à la MDPH. On ne peut pas fermer les yeux sur cette situation, qui concerne même des enseignants expérimentés. Au-delà du bel idéal, il faut tenir compte de la réalité sur le terrain, car certains enseignants sont victimes d'agressions. On peut maintenir le cap de l'école pour le plus grand nombre, mais il faudrait aussi rouvrir des places en IME.
Ma question porte sur le remboursement à 100 % des fauteuils roulants. Pouvez-vous nous en dire plus ? Ce taux s'appliquera-t-il sur la base d'un tarif de responsabilité inscrit sur la liste des produits et prestations remboursables ? Y aura-t-il un plafond ?
M. Yves Bleunven. - Un mot revient beaucoup cet après-midi : la simplification. Elle s'impose vraiment en matière de handicap.
À ma permanence, en quelques mois, j'ai reçu deux personnes se trouvant dans la même situation. Ils devaient constituer un dossier de retraite anticipée pour travailleur handicapé, car ils souffrent tous les deux d'une maladie congénitale les frappant d'un handicap de naissance. On leur parle de périodes lacunaires alors qu'ils ont travaillé toute leur vie. Ils n'ont jamais demandé la reconnaissance de la qualité de travailleur handicapé. Le premier a mis deux ans et demi pour obtenir sa retraite et le second cinq ans, après deux procédures.
Avant de faire appel à l'intelligence artificielle, faisons appel à l'intelligence humaine et au bon sens...
M. Michel Canévet. - Madame la ministre, je souhaite appeler votre attention sur la nécessité de prendre en compte le vieillissement de la population des travailleurs, ce qui pose, pour les entreprises adaptées, un problème de productivité et d'accidentologie du travail. Il conviendrait de rencontrer les intéressés, qui auraient des propositions intéressantes à formuler.
Mme Cathy Apourceau-Poly. - Inscrirez-vous dans votre feuille de route la création de places et de structures, comme les Ésat, les IME, les maisons d'accueil spécialisées (MAS) ? Je reçois beaucoup de personnes au bord du désespoir, parce qu'elles ne trouvent aucune solution pour le placement d'un enfant ou d'un jeune adulte autiste.
Mme Charlotte Parmentier-Lecocq, ministre déléguée. - Madame Poncet Monge, mon approche est différente de la vôtre sur la barrière d'âge. Je n'envisage pas de modifier le dispositif actuel. Je l'ai dit, je prépare ma feuille de route, je m'appuie sur les travaux du Sénat, de l'Assemblée nationale, du Cese, du CNCPH. Puis, je définirai des priorités.
Sur la perte d'autonomie, j'entends vos remarques, l'autonomie ne se perd pas de la même manière pour tout le monde. Le SPDA doit permettre d'aller vers les personnes âgées, de faire de la prévention et de préserver l'autonomie le plus longtemps possible.
Madame Imbert, soyons clairs : je suis parfaitement consciente des difficultés auxquelles sont confrontés les enseignants, il ne s'agit pas de mettre un couvercle dessus et de regarder ailleurs. On a besoin d'accompagner l'école inclusive, en répartissant mieux les enfants en fonction de leur handicap ; il n'y a pas que la participation à la classe ordinaire, il y a les unités localisées pour l'inclusion scolaire (Ulis), les Ésat, les IME, qui se transforment pour que l'enfant soit à temps partiel à l'école de son quartier.
C'est ce type de solutions qu'il faut mettre en oeuvre, selon les besoins de l'enfant et en accompagnant les professionnels. Les pôles d'appui à la scolarité doivent donc se déployer pour apporter des moyens supplémentaires importants. En outre, j'ai déjà évoqué les 50 000 solutions d'accompagnement destinées à débloquer des places en IME.
Nous reviendrons sur l'école pour tous, car c'est un enjeu majeur. En effet, sur le terrain, des expériences très difficiles entraînent des retours en arrière, alors que de telles situations auraient pu être évitées, avec les bonnes solutions. Il ne faut pas rester sur ces mauvaises expériences ; on doit envisager tous les outils possibles, pour tenir la promesse de cette école pour tous, qui est le ferment de la société inclusive. Les personnes handicapées souhaitent être pleinement dans la société et cela commence à l'école.
Sur le remboursement des fauteuils roulants, nous envisageons de mettre en place un remboursement intégral par catégorie de fauteuil, avec un prix limite de vente et un système d'inscription en nom de marque accélérée pour les fauteuils n'entrant dans aucune catégorie. Nous sommes sur le point d'aboutir à une bonne solution, qui conviendrait aux associations et aux fabricants.
Monsieur Bleunven, vous avez évoqué les questions de simplification. Je suis pleinement d'accord avec vous, nous devons nous battre pour cela. C'est l'objet de cette task force. Vous avez raison, à côté de l'intelligence artificielle, il y a l'intelligence humaine et le bon sens, et les acteurs de terrain en sont fortement pourvus. C'est pourquoi je veux m'appuyer sur leur expérience et sur celle des usagers et des familles. Laurent Marcangeli et moi sommes très attachés à la simplification pour les usagers du service public.
Monsieur Canévet, j'ai en tête la situation des entreprises adaptées, je suis disposée à les rencontrer pour parler de l'emploi des personnes handicapées. Je les ai d'ailleurs rencontrées une première fois dans le cadre de la semaine européenne pour l'emploi des personnes handicapées.
Madame Apourceau-Poly, vous m'interrogez sur ma feuille de route. Elle n'est pas encore écrite, mais je vous la présenterai volontiers si vous m'invitez. Elle comporte d'ores et déjà la création de places et de solutions, conformément aux engagements de la conférence nationale du handicap. Le budget consacré à la création de 50 000 solutions est sanctuarisé, sous réserve que l'on adopte le PLFSS ; sans cela, je le répète, aucune solution ne sera possible. Le budget prévu a été porté de 200 à 270 millions d'euros. Les départements, les ARS et les organismes gestionnaires ont défini les besoins et les solutions adaptées ; elles sont prêtes à les sortir des tiroirs. J'ai le pied sur l'accélérateur, je n'attends que l'adoption de la loi de financement de la sécurité sociale pour trouver une solution à la masse de tous les « amendements Creton » et pour donner du répit aux aidants. Nous avons besoin de ces 50 000 solutions.
Je vous remercie, mesdames, messieurs les sénateurs, de vos questions, remarques et propositions.
M. Philippe Mouiller, président. - Merci de cette audition, qui anticipe un peu sur votre feuille de route.
Cette audition a fait l'objet d'une captation vidéo, qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.
La réunion est close à 18 h 35.
Mercredi 29 janvier 2025
- Présidence de Mme Pascale Gruny, vice-présidente -
La réunion est ouverte à 9 h 05.
Avis « La protection de l'enfance est en danger » du Conseil économique, social et environnemental - Audition de Mmes Josiane Bigot et Élisabeth Tomé-Gertheinrichs
Mme Pascale Gruny, présidente. - Nous recevons ce matin Mmes Josiane Bigot et Élisabeth Tomé-Gertheinrichs, qui ont rédigé le rapport du Conseil économique, social et environnemental (Cese) sur la protection de l'enfance.
Je vous précise que cette audition fait l'objet d'une captation vidéo. Elle est diffusée en direct sur le site internet du Sénat et sera consultable en vidéo à la demande.
Mesdames, votre rapport a été initié par une saisine du président du Sénat en date du 21 mars dernier et qui portait sur l'application des dernières lois relatives à la protection de l'enfance - les lois du 14 mars 2016 relative à la protection de l'enfant et du 7 février 2022 relative à la protection des enfants. Je précise que cette saisine du président du Sénat fait elle-même suite à une demande de Patrick Kanner, président du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain (SER) du Sénat.
Vous avez été désignées par la commission « Affaires sociales et santé » du Cese pour conduire ces travaux. Vous avez présenté vos conclusions en réunion plénière du Cese le 8 octobre 2024. Votre rapport, intitulé La protection de l'enfance est en danger : les préconisations du Cese, formule 20 préconisations et a été adopté à l'unanimité.
Mesdames, je vais sans plus attendre vous laisser la parole pour un propos liminaire dans lequel vous nous livrerez votre propre vision des dernières lois relatives à la protection de l'enfance, le bilan que vous tirez de leur application et les perspectives dans lesquelles vous inscrivez votre action au sein du Gouvernement. Les membres de la commission pourront ensuite vous interroger, en commençant par le rapporteur de la branche famille, Olivier Henno.
Mme Josiane Bigot, rapporteure sur l'avis La protection de l'enfance est en danger : les préconisations du Cese du Conseil économique, social et environnemental. - Je suis heureuse d'être présente aujourd'hui parmi vous. Conformément aux prérogatives qui lui sont dévolues par la Constitution, le président du Sénat a saisi le Cese de cette évaluation des lois, pour faire suite au rapport d'information sur l'application des lois relatives à la protection de l'enfance adopté le 5 juillet 2023 par votre commission. Il lui a sans doute semblé opportun de saisir cette « troisième assemblée des citoyens » afin qu'elle se prononce à son tour.
Le bureau du Cese a décidé de confier cette mission à la commission « Affaires sociales et santé », alors qu'il avait été question au départ d'une commission ad hoc. Pour ma part, je siège à la commission « Éducation, culture et communication », et j'ai rejoint la commission « Affaires sociales et santé » pour ce rapport. J'ai été magistrate, juge des enfants et me suis beaucoup engagée dans la protection de l'enfance. J'ai notamment été présidente de la Convention nationale des associations de protection de l'enfant (Cnape), qui a été désignée pour siéger au Cese lorsque celui-ci a été réformé en 2021. Il m'a donc paru évident de me proposer pour participer à ce travail. Cela m'a permis de collaborer en toute harmonie avec Élisabeth Tomé-Gertheinrichs.
Nous avons travaillé dans des délais très contraints. Pour une saisine datant de fin mars, les travaux ont démarré fin avril. Mais le Palais d'Iéna étant occupé à partir du mois de juillet pour les jeux Olympiques, nous nous sommes attelés à la tâche essentiellement durant deux mois. Nous avons organisé une quarantaine d'auditions et de tables rondes en essayant d'aller à l'essentiel.
Nous avons commencé par entendre les personnes qui étaient à l'origine de notre saisine. Je pense en particulier à Marion Canalès, qui avait initié la requête du Président Kanner auprès du Président du Sénat, et à Isabelle Santiago, sachant que les travaux de la commission d'enquête de l'Assemblée nationale autour de la protection de l'enfance s'étaient arrêtés à ce moment-là. Nous avons également entendu le Conseil national de la protection de l'enfance (CNPE), où je siège pour la Cnape.
S'agissant des départements, la situation a été un peu plus compliquée : même si certains d'entre eux nous ont saisis, il est encore difficile aujourd'hui d'être accueillis par l'association Départements de France (ADF). Et nous avons dû attendre avant de pouvoir auditionner Mme Florence Dabin, président du conseil départemental du Maine-et-Loire et du groupement d'intérêt public France Enfance Protégée.
Nous avons évidemment entendu des associations d'enfants confiés à l'Aide sociale à l'enfance (ASE), plusieurs opérateurs et les professionnels concernés - c'est l'un des piliers de notre rapport.
Cet avis a été finalisé cet été, soumis au Cese le 8 octobre et voté à l'unanimité moins une abstention. Le travail au sein de cette commission a été d'autant plus riche qu'il réunissait des personnalités de tous horizons. La façon d'analyser la situation critique de la protection de l'enfance a ainsi pu faire l'objet d'une grande cohérence.
Nous sommes effectivement intervenus en pleine crise de la protection de l'enfance, ponctuée par des manifestations de professionnels - 30 000 postes restent vacants -, et qui succédait à la crise du Covid-19. Ces travailleurs sociaux, qui avaient pourtant fait preuve de beaucoup d'abnégation, souffraient fortement d'un manque de reconnaissance. Autre élément déclenchant : tous ces reportages sur la situation des enfants mal accueillis et maltraités, sans que la parole soit donnée à ceux qui affirmaient que l'ASE les avait aidés.
C'est pour réaffirmer le rôle que devrait jouer l'État dans la prise en charge de la protection de l'enfance, à quelles conditions et avec quelles corrections, que nous nous sommes engagés dans ce travail. Or nous avons très vite constaté un vrai déficit d'ambition collective, une désorganisation complète de la gouvernance, l'épuisement des acteurs, le manque de moyens. Tout cela a conduit à ce que les enfants ne soient plus respectés et que nous ne soyons plus porteurs de la Convention internationale des droits de l'enfant (Cide) contrairement aux engagements de la France. C'est pourquoi notre avis comporte un certain nombre de préconisations que nous allons vous exposer.
Mme Élisabeth Tomé-Gertheinrichs, rapporteure sur l'avis La protection de l'enfance est en danger : les préconisations du Cese du Conseil économique, social et environnemental. - Merci de nous permettre de présenter ces travaux auxquels nous sommes très attachées.
Je rappellerai quelques chiffres clés : 380 000 enfants relèvent de l'ASE en France ; en août dernier, d'après l'Unicef, 2 000 enfants dormaient dans la rue ; 25 % des personnes sans domicile fixe (SDF) sont des anciens de l'ASE, lesquels ont - selon le professeur Céline Greco - vingt ans d'espérance de vie en moins ; 75 % des juges déclarent qu'ils ont renoncé à prendre une mesure de placement faute de place ; enfin, 71 % des établissements d'accueil connaissent des problèmes de recrutement. Beaucoup reste à faire !
À l'issue des débats au sein de la commission, deux partis pris se sont dégagés.
En premier lieu, s'est posée la question de la décentralisation ou de la recentralisation de cette politique publique. Notre travail était déjà en cours lorsque le rapport Woerth est paru, qui proposait de recentraliser la protection de l'enfance. Pour nous, cette réponse visait le moyen, mais ne répondait pas au coeur du problème : quel est, au niveau national, le projet que nous portons collectivement pour ces enfants ? Nous avons donc refusé d'entrer dans cette discussion sans pour autant éluder la question de la gouvernance de cette politique publique, qui est évidemment centrale.
En second lieu, faut-il traiter différemment les mineurs isolés qui viennent de l'étranger ? À partir du moment où ils se trouvent sur le territoire, nous devons les prendre en charge au titre de l'ASE, car tous les enfants doivent être considérés sur un pied d'égalité.
Les préconisations du Cese sont centrées autour de quatre piliers : comment lutter contre la désorganisation institutionnelle et les disparités territoriales, qui sont bien réelles ? Comment mieux garantir les droits des enfants ? Comment les protéger plus efficacement ? Comment s'attaquer aux difficultés majeures que rencontrent les structures d'accueil ?
Premier axe : la gouvernance.
Nous faisons face à des dysfonctionnements, car l'État a manifestement confondu décentralisation de sa politique publique et abandon de celle-ci. Nous avons donc tenté de rétablir une forme de réinvestissement de l'État sur la protection de l'enfance en difficulté.
Nous nous sommes aperçus que tout commençait par les chiffres. Or nous sommes confrontés à une sorte d'invisibilité statistique. Bien sûr, la direction de la recherche, des études, de l'évaluation et des statistiques (Drees) et les ministères concernés s'insurgent contre un tel constat. Pourtant, la ministre en charge de ces questions à l'époque, Agnès Canayer a elle-même reconnu qu'elle n'obtenait pas ces chiffres. On a besoin de connaître au moins annuellement les capacités d'accueil et les besoins par département, ainsi que de disposer de l'inventaire des mesures prises et de leur mise en oeuvre. Actuellement, nous renvoyons dans leur foyer des enfants potentiellement en danger, faute de solution. Il serait aussi utile de recenser les données relatives aux violences faites aux enfants dans le cadre intrafamilial. Cette question est prioritaire.
Deuxième axe : garantir les droits des enfants.
Par ailleurs, comment l'État, seul garant de l'égalité de traitement sur le territoire, assume-t-il une responsabilité dont il s'est totalement désengagé ? Au niveau national, nous disposons de 75 équivalents temps plein (ETP) pour traiter des questions sociales et médico-sociales, dont 5 en administration centrale, au sein de la direction générale de la cohésion sociale (DGCS). C'est l'abandon explicite d'une politique publique ! L'État doit mettre en place une stratégie ministérielle de protection de l'enfance qui intègre les modalités de suivi et d'évaluation des résultats atteints.
J'ai été directrice d'hôpital et directrice de cabinet de Claude Greff, alors secrétaire d'État chargée de la famille et rattachée à Roseline Bachelot. Dans mes fonctions, j'ai surtout observé à quel point on ne pouvait rien faire - même si Adrien Taquet, lorsqu'il était en poste, a réussi à soulever des montagnes !
Si l'on se réfère au premier « jaune budgétaire » dédié à la protection de l'enfance et annexé au projet de loi de finances pour 2024, on s'aperçoit que 11 ministères et 33 programmes sont concernés. Les moyens consacrés par l'État à la protection de l'enfance - à l'exclusion de ceux des départements - sont très importants. Il y a un véritable sujet de pilotage interministériel de cette dépense.
Cette stratégie interministérielle de protection de l'enfance doit se décliner au niveau territorial dans un cadre contractuel - la notion de contrat a d'ailleurs été mise en place par Adrien Taquet sous forme de financements de certaines actions. Pour ce faire, des discussions doivent s'engager avec les départements. Nous proposons de mettre en place un mécanisme de réaffectation des ressources en faveur de ces derniers, grâce à un fonds géré en commun avec l'État et en fonction des besoins de chacun.
Concernant la gouvernance, les comités départementaux de la petite enfance nous semblent les bons espaces de coordination territoriale. Nous proposons donc leur généralisation et le renforcement de leur rôle. Nous suggérons aussi de mieux représenter les enfants dans toutes les instances de gouvernance, aux niveaux national et local.
La promesse républicaine, c'est l'égalité de traitement sur le territoire. On ne peut se contenter de dire que, du fait de la décentralisation, les départements font ce qu'ils veulent. La réponse doit être la même pour tous les enfants.
Mme Josiane Bigot. - Troisième axe : protéger les enfants plus efficacement.
La loi de 2007, portée par M. Philippe Bas, tendait à mettre l'enfant au coeur du dispositif de protection. Mais, depuis cette époque, en pratique, ce régime de protection ne progresse pas. Le Cese formule à ce titre plusieurs préconisations afin que l'arsenal législatif existant, qui est en lui-même quasi parfait, soit enfin appliqué.
Elles concernent d'abord la politique de prévention spécialisée, intégrée à la protection de l'enfance en 2007 et constitutive d'une obligation pour les départements. Il importe de mettre davantage de moyens dans sa mise en oeuvre, avec plus d'actions de soutien à la parentalité et un repérage précoce des difficultés. Pour que ce repérage soit possible, il faut proposer des formations communes et tous azimuts à ceux qui sont en contact avec les enfants - travailleurs sociaux, agents des forces de l'ordre, employés des crèches, etc. -, de sorte qu'ils soient en mesure de reconnaître le plus tôt possible les différents signes et expressions de la souffrance.
Sur les aspects financiers, nous préconisons que l'État impose à la Caisse nationale des allocations familiales (Cnaf), dans le cadre des conventions d'objectifs et de gestion (COG), une obligation de financement en faveur de la prévention et du soutien à la parentalité ; les parents sont les premiers protecteurs des enfants, mais encore faut-il dans certains cas les aider. Ces dépenses éviteraient les coûts engendrés par des défections parentales.
Nous insistons ensuite beaucoup sur le projet pour l'enfant, une innovation de la loi de 2007 que 80 % des départements seulement ont, à ce jour, réalisée. Il permet à l'enfant ainsi qu'à tous ceux qui le prendront en charge de savoir d'emblée comment s'orientera son parcours. Il doit devenir une exigence de la part de l'État à l'égard de ses interlocuteurs, dans sa démarche de contractualisation de la prévention et de la protection de l'enfance.
Par ailleurs, après avoir entendu, à l'occasion de l'élaboration du rapport, les enfants confiés, nous revenons sur l'importance que ce soit le système qui s'adapte à eux et non l'inverse. C'est un leitmotiv depuis 2007, repris à l'initiative de Laurence Rossignol dans la loi de 2016, mais nous en sommes, de nouveau, encore loin. Les enfants nous disent vouloir des familles d'accueil ou, du moins, de petites structures qui se rapprochent de la cellule familiale, à l'instar de ce que propose l'association SOS Villages d'enfants.
Il nous est également apparu que la santé des enfants, qu'elle soit somatique ou psychique, n'est pas suffisamment prise en compte. Vous l'avez entendu : les enfants placés à l'aide sociale à l'enfance ont une espérance de vie réduite en moyenne de vingt ans par rapport aux autres enfants, ce qui est considérable. Alors que la loi en pose l'exigence, l'examen de leur état de santé n'est, là encore, pas pratiqué. Nous demandons que l'ensemble des dispositifs destinés à améliorer la prise en charge en santé des jeunes enfants, tels que « Santé protégée » ou le programme Pegase, soient véritablement développés et évalués, et que les enfants bénéficiant d'une mesure de protection de l'enfance y aient une priorité d'accès, notamment dans les centres médico-psychologiques (CMP).
Enfin, nous portons une attention spéciale aux enfants qui présentent un handicap, une vulnérabilité supplémentaire qui s'ajoute souvent à celle du besoin de protection. Nous estimons qu'il devrait y avoir une exigence de collaboration et de partenariat entre les agences régionales de santé (ARS), les maisons départementales des personnes handicapées (MDPH) et la protection de l'enfance.
Après avoir appuyé sur les besoins de l'enfant, j'en viens à ses droits, la rencontre des uns et des autres dégageant ce qui constitue la ligne directrice de notre rapport, à savoir l'intérêt supérieur de l'enfant.
Nous considérons que, pour que l'enfant soit entendu ainsi que la loi l'exige depuis 2007 et qu'il se place au coeur du dispositif de protection, il faut l'assister d'un avocat. La solution figurait dans le texte initial présenté en 2007, mais Bercy s'y est finalement opposé, la jugeant trop onéreuse et la disposition ne figure pas dans la loi. Or je rappelle qu'un enfant en conflit avec la loi bénéficie pour sa part d'un avocat. À défaut d'avocat pour l'enfant qui nécessite une protection, et si ses parents ne sont pas en mesure de le représenter, un administrateur ad hoc doit intervenir, dont nous vous demandons de définir le statut.
Nous proposons en outre d'instaurer un contrôle des lieux de protection, leur absence ayant contribué aux divers scandales qui ont émaillé l'actualité. Les conseils départementaux ne sont pas en mesure de les assurer, les juges en ont le droit mais pas les moyens. C'est pourquoi nous préconisons d'instituer à cette fin une autorité, qu'elle soit adjointe au Défenseur des enfants ou indépendante, sur le modèle du Contrôleur général des lieux de privation de liberté.
Enfin, nous appuyant sur les nombreux textes pris sur la question - les derniers à l'initiative d'Adrien Taquet -, nous soulignons l'importance de suivre les jeunes qui sortent de l'aide sociale à l'enfance et qui forment une grande partie des SDF. De nouveau, si les mesures législatives existent, elles ne sont pas mises en oeuvre. Nous demandons que l'inspection générale des affaires sociales (Igas) se voie confier une mission afin de permettre leur exécution.
Mme Élisabeth Tomé-Gertheinrichs. - Dernier axe : les professionnels et les difficultés de recrutement et de formation.
La réflexion sur la protection de l'enfance ne saurait faire l'économie de la situation des professionnels de ce secteur et de leur indisponibilité, laquelle explique en partie que 75 % des juges affirment renoncer à prendre des mesures de protection.
Nous sommes confrontés à un problème considérable de recrutement, de formation et de valorisation de ces professionnels de l'enfance. Il s'agit, non pas de remettre en question le niveau de leur engagement, mais de reconnaître qu'ils sont souvent découragés.
L'effectif des jeunes en formation dans ces métiers - en moyenne 4 000 - est déjà restreint, et nombre d'entre eux abandonnent en cours de formation ou peu de temps après leur affectation, marqués par la désillusion liée à la découverte d'une réalité, celle du contact avec les familles, que le caractère théorique de la formation ne leur laissait pas soupçonner.
Corrélé à la faiblesse des effectifs, le sujet de la normalisation des conditions de travail apparaît central. Il conviendrait de publier des normes d'encadrement des enfants et de limiter le nombre des mesures juridictionnelles suivies par chaque professionnel. Aujourd'hui, un éducateur intégrant une structure d'accueil n'a aucune visibilité sur ces deux aspects de son travail, ce qui s'avère usant psychologiquement.
Nous demandons aussi d'appliquer les recommandations des deux avis du Cese sur les métiers du social et les métiers en tension, rendus en 2020 et 2022. Ils traitaient déjà des difficultés que connaît le secteur social dans son ensemble, en invitant à renégocier, pour le secteur public, les cadres en vigueur, pour le secteur associatif, les conventions applicables - à ma connaissance, ce dernier travail est en cours depuis au moins deux ans déjà.
Nous proposons en outre d'engager au sein du Cese un travail de réflexion sur l'accompagnement des professionnels qui prennent en charge la souffrance humaine, qu'elle soit physique, psychique ou sociale. Leurs métiers appellent des mesures spécifiques tant de prévention de l'usure professionnelle que de valorisation des acquis de l'expérience. Le défaut de perspectives d'évolution, faute de reconnaissance par les autres secteurs d'activité, nuit à l'attractivité de ces métiers.
M. Olivier Henno, rapporteur pour la branche famille. - Merci de votre exposé et de ce rapport. Le constat est évidemment accablant sur la protection de l'enfance dans notre pays et oblige l'ensemble des acteurs à se saisir de manière urgente de la question.
Je souhaite pour ma part aborder deux points particuliers.
Premièrement, la profession des assistants familiaux est en crise depuis plusieurs années. Ses effectifs ont baissé de 9 % en six ans et sa démographie connaît un vieillissement important, avec un âge médian de 55 ans en 2021. Les départements des Hauts-de-France hébergent un sixième des enfants accueillis en France - soit plus de 10 000 enfants - et sont en première ligne face à cette pénurie. Pourtant, comme vous l'indiquez dans votre rapport, ce mode d'accueil présente de nombreux avantages pour les enfants parce que c'est celui qui ressemble le plus à une véritable famille. Malgré la loi du 7 février 2022 relative à la protection des enfants, qui vise à améliorer les conditions de travail des assistants familiaux, la crise d'attractivité du métier perdure. Auriez-vous des pistes de réflexion pour y remédier ?
Deuxièmement, en écho aux travaux qu'Émilienne Poumirol, Laurence Muller-Bronn et moi-même menons sur le contrôle des crèches, je souhaite obtenir des précisions sur votre recommandation no 15 relative à la création d'une autorité nationale du contrôle des structures d'accueil des enfants. La question du contrôle des lieux d'accueil me paraît essentielle. Vous pointez du doigt « l'absence de procédure de contrôle effective » les concernant, ce qui est inquiétant. Je note qu'il a fallu attendre près de deux avant que le décret relatif à la désignation de « l'autorité extérieure » de contrôle prévue par la loi de 2022 ne soit publié. Ce décret ne précise d'ailleurs pas grand-chose quant aux modalités de désignation et aux compétences de cette autorité.
Concrètement quels sont vos constats sur l'effectivité du contrôle des structures d'accueil des enfants placés ? Quelle y est la place des services départementaux et de l'État ? Enfin, quelle forme cette autorité nationale de contrôle pourrait-elle prendre dans le cadre d'une compétence très largement décentralisée ?
Mme Élisabeth Doineau, rapporteure générale. - Merci, mesdames, pour ce travail qui contribuera peut-être à grossir les rangs de ceux qui s'intéressent à la protection de l'enfance et veulent obtenir des changements dans ce domaine.
Je m'interroge pour ma part sur la question de la décentralisation de cette politique. Si, en matière de collèges ou de voirie, la compétence des départements donne des résultats satisfaisants, il en va différemment lorsqu'il s'agit de protection de l'enfance, laquelle est peu mise en valeur par les élus et où la prise en charge n'est dans les faits restée que très partielle. Je le dénonce, comme je dénonce le fait que l'on n'ait jamais accordé aux départements les moyens de réaliser leurs ambitions. Le fonds national de financement de la protection de l'enfance (FNFPE) n'a ainsi dès sa création pas été abondé comme il aurait dû l'être.
J'en viens à ma première question. Il semble ressortir des dernières évolutions que le Haut-Commissariat à l'enfance annoncé par le Président de la République serait essentiellement dédié à la protection de l'enfance. Mme la ministre a indiqué qu'il pourrait « assurer une approche globale des politiques de protection de l'enfance », sans toutefois donner plus de précisions.
Dans ce cadre, comment pourrait s'intégrer au mieux cette nouvelle instance dans la gouvernance déjà complexe de la protection de l'enfance, que vous pointez justement du doigt dans votre rapport ? Ne risquons-nous pas de complexifier plus encore son architecture ? Vous soulignez que nous disposons d'ores et déjà des outils utiles et que la marge de progression tient davantage à la manière de les faire fonctionner.
Ma deuxième série de questions concerne la mise en place des dispositifs de coordination du parcours de soins des enfants confiés à l'ASE, notamment au regard des pathologies de santé mentale. Il y a là un véritable chantier à entreprendre. Ces dispositifs devaient être mis en place en 2025, selon la feuille de route issue des assises de la pédiatrie et de la santé de l'enfant. En 2020, selon la DGCS, seuls 10 % des enfants à leur entrée à l'ASE bénéficiaient d'un suivi médical effectif.
Alors que la santé mentale est la grande cause nationale 2025 et une priorité des travaux de notre commission, quel constat établissez-vous sur la mise en place de ces parcours de soins et la prise en charge des enfants ? Pouvez-vous nous préciser le contenu de votre recommandation no 11 sur le sujet et les évolutions que vous appelez de vos voeux ?
Mme Élisabeth Tomé-Gertheinrichs. - Si, dans notre exposé de ce jour, Josiane Bigot et moi-même nous en sommes tenus à la catégorie générique des « professionnels de la protection de l'enfance », vous avez à raison rappelé les chiffres inquiétants des effectifs des assistants familiaux, une profession essentielle.
Nous avons entendu ces assistants familiaux au cours de nos travaux. Ils souhaitent être associés à la dynamique globale de prise en charge des enfants. Or ils sont pour l'heure totalement laissés à l'écart, sans moyen de s'exprimer, tout en encourant le risque de se voir mis en cause. Ce risque inhérent à l'exercice de leur métier commence à beaucoup les inquiéter et ils le vivent comme une forme de suspicion autant que comme une autre forme de déconsidération à leur égard. Enfin, bien qu'elle ait évolué, leur rémunération ne leur permet toujours pas de s'acquitter dans de bonnes conditions de leur mission et nombre d'entre eux expliquent que des familles d'accueil leur apportent une petite contribution. Rendre ce métier attractif suppose donc de le revaloriser, et non sous un angle exclusivement financier et matériel.
Sur la décentralisation, il est certain que le sujet de la protection de l'enfance permet moins que d'autres de valoriser les politiques locales : en le portant, on se montre simplement à la hauteur de l'engagement que l'on a pris au service du projet de la Nation pour l'enfance. Un président de conseil départemental, pour sa part particulièrement engagé dans la protection de l'enfance, m'expliquait que lorsqu'il accordait des crédits supplémentaires à des structures d'accueil, il évitait de le mettre en évidence auprès des électeurs, certains lui reprochant, dans le cas contraire, de donner de l'argent à « de la graine de voyous ». C'est dire combien le chemin à parcourir reste long.
Un mot sur la coordination du parcours de soins : elle est totalement défaillante.
Dans le champ de la santé mentale, nous proposons de considérer qu'il existe une présomption d'urgence psychologique pour les enfants placés et d'accepter de leur donner ainsi accès prioritairement aux CMP, lesquels apparaissent engorgés, spécialement dans le secteur de la pédopsychiatrie. Nous assumons cette position que nous avons retenue après discussion.
Mme Josiane Bigot. - En ce qui concerne les placements familiaux, je demandais toujours aux familles d'accueil, lorsque j'étais juge des enfants et pour marquer la considération que je leur portais, d'accompagner les enfants que je rencontrais. Il me semblait du reste essentiel de les écouter. Une telle approche a certes posé des difficultés dans nombre de départements où les collectivités locales, en tant qu'employeurs, entendaient que l'on ne se substitue pas à elles. Cependant, elle serait une piste à approfondir.
Je partage sans réserve vos propos sur l'autorité extérieure de contrôle des structures d'accueil des enfants prévue par la loi de 2022 : on discerne mal quelle entité assurera cette mission ; on sait seulement que le préfet, le procureur de la République ou le président du conseil départemental peuvent la désigner. Le décret d'application ne nous éclaire pas davantage. Pour notre part, nous n'en attendons pas grand-chose, car nous ne voyons pas clairement quel sera son rôle.
C'est notre rencontre avec la Contrôleure générale des lieux de privation de liberté, qui souhaitait que nous l'entendions et qui nous a signalé qu'elle avait très souvent affaire à des enfants sortis de la protection de l'enfance, qui nous a suggéré l'idée de proposer la création, dans le domaine qui nous intéresse, d'une autorité analogue, dotée de moyens lui permettant d'effectuer des contrôles à tout moment. Reste l'épineuse question, que nous laissons au législateur le soin de trancher, de savoir comment procéder effectivement à des contrôles dans les familles.
Néanmoins, le constat est certain : les départements n'assurent actuellement pas ce type de contrôle, et peut-être ne leur revient-il pas de s'en occuper ; quant aux magistrats - procureurs ou juges des enfants -, ils ne l'effectuent pratiquement plus. Il est pourtant indispensable.
Pourquoi ne pas le confier au Défenseur des enfants ? Il nous semblerait plus symbolique de créer une nouvelle entité à cet effet.
Lors de l'annonce de l'institution d'un Haut-Commissariat à l'enfance, le Cese a fait savoir par communiqué de presse qu'elle ne répondait pas à sa demande. Celle-ci privilégie une stratégie interministérielle, comme elle a existé à deux reprises par le passé, portée par un membre du Gouvernement, sous l'égide peut-être du Premier ministre, qui soit en mesure de travailler avec l'ensemble des ministères concernés, mais ne dépendant d'aucun d'eux en particulier.
Mme Jocelyne Guidez. - Alors que la loi du 7 février 2022 prévoyait l'adaptation par voie d'ordonnance de la protection de l'enfance dans les outre-mer, vous indiquez que le Gouvernement n'a pas jugé nécessaire de publier ce texte dans le délai imparti. De nombreux rapports soulignent toutefois des besoins accrus et des inégalités persistantes en matière de moyens, de structures et d'accès aux droits pour les enfants dans ces territoires. Quels constats chiffrés dressez-vous vous-mêmes sur la situation de ces enfants ? Quels mécanismes spécifiques recommandez-vous pour garantir une égalité de traitement entre la métropole et les outre-mer ?
M. Khalifé Khalifé. - Merci, mesdames, de votre clémence à l'endroit des départements, qui font ce qu'ils peuvent.
Ma question a trait à la prévention : quelles sont les caractéristiques des enfants et des familles concernés, étant entendu que les mineurs non accompagnés (MNA) posent un problème particulier ? Il s'agit de comprendre si une prévention ciblée peut être intéressante.
Mme Brigitte Devésa. - Dans votre rapport, vous préconisez la création d'un code de l'enfance. Comment permettrait-il, selon vous, d'améliorer la protection de l'enfance à moyens constants, alors qu'un arsenal juridique déjà bien développé ne donne pas de résultats probants ?
M. Xavier Iacovelli. - Merci de ce rapport, mais sans vous faire offense, c'est un énième rapport sur la protection de l'enfance. Depuis 2007, les constats s'enchaînent ainsi que les propositions, qui ne sont jamais appliquées. Nous pratiquons une politique des petits pas, à partir de lois successives...
Mme Élisabeth Doineau, rapporteure générale. - En effet.
M. Xavier Iacovelli. - ...alors que la question de la protection de l'enfance mériterait une révolution.
Vous relevez les problèmes de gouvernance entre centralisation, décentralisation et reconcentration. J'ai personnellement déposé une proposition de loi sur le sujet et chacun connaît donc ma position. Avoir aujourd'hui en France 101 politiques différentes de la protection de l'enfance - sans évoquer les collectivités qui laissent volontairement de côté cette politique sociale - conduit à ce que l'on n'ait pas le même accès au droit d'un département à l'autre, ce qui est inadmissible. L'État s'est défaussé sur les départements au moment des lois de décentralisation - la protection de l'enfance est d'ailleurs la seule politique entièrement décentralisée, pour laquelle l'État ne prend plus ses responsabilités. La situation pose une véritable question sous l'angle de l'égalité d'accès au droit pour ces enfants, qui sont ceux de la République et qu'elle est censée protéger.
Vous notez que plus de 70 % des juges renoncent à prononcer des mesures de placement et de protection, sachant qu'elles ne seront pas exécutées. Dans quel monde vivons-nous ?
En ce qui concerne la reconnaissance des assistants familiaux, vous remarquez avec raison qu'il s'agit de ne pas les cantonner au rôle de gardiens des enfants qu'on leur confie et qu'il importe de les inclure dans le processus de prise de décision, y compris en les conviant devant le juge des enfants.
En matière de formation, nous préparons chaque année 50 000 jeunes en vue de l'obtention du brevet d'aptitude aux fonctions d'animateur (Bafa). Or cette préparation ne comprend pas un seul module sur la détection des violences intrafamiliales et la protection de l'enfance. Avec une approche différente, nous pourrions avoir autant d'ambassadeurs sur ces questions.
Nous disposons certes d'un arsenal législatif suffisant, mais, d'une part, les départements n'appliquent pas ce que le législateur vote et, d'autre part, le Gouvernement ne publie pas les décrets d'application nécessaires. L'administration chargée de la protection de l'enfance ne dispose de fait d'aucun moyen et ses obligations ne font l'objet d'aucun contrôle.
J'aurais eu bien des choses à dire encore, et il est regrettable que nous soyons une nouvelle fois pris par le temps y compris sur le sujet de la protection de l'enfance...
Mme Christine Bonfanti-Dossat. - Merci de votre rapport qui, pour très intéressant qu'il soit, me paraît quelque peu incomplet. Outre les conseils départementaux, l'ASE et les travailleurs familiaux, la protection de l'enfance contre la maltraitance et les abus sexuels repose également sur les associations qui se dévouent sans compter tous les jours sur le terrain. Si vous parlez de sentinelles, jamais vous ne les mentionnez explicitement.
Je fais partie de l'une d'elles, La Mouette, créée il y a plus de quarante ans ; elle lutte pour la protection de l'enfant et assure le rôle d'administrateur ad hoc, ce qui nous conduit à travailler avec les magistrats quotidiennement.
À l'occasion de l'élaboration de votre rapport, avez-vous procédé à l'audition de représentants du monde associatif ? J'aimerais que l'on mette davantage en avant leur rôle indispensable. Comment faire en sorte que les associations travaillent dorénavant plus étroitement avec les autres acteurs ?
Mme Laurence Rossignol. - Je remercie les rapporteures du Cese qui, je crois, ont entendu des représentants d'associations de protection de l'enfance.
Il me semble que l'on peut poser un diagnostic sur le dysfonctionnement systémique de la protection de l'enfance et y identifier, dans un second temps, des difficultés spécifiques. La question de savoir comment nous pouvons contrôler la qualité dans les familles d'accueil fait, selon moi, partie de ces difficultés spécifiques.
Pour ce qui a trait au diagnostic d'ensemble, je n'ai jamais vu un président de conseil départemental remporter ou perdre une élection sur son bilan en matière de protection de l'enfance. Cependant, nous ne saurions dire que tous les départements restent complètement inactifs : en Gironde, par exemple, l'ASE représente le premier poste de dépense sociale.
Enfin, quand la majorité sénatoriale se décidera-t-elle à accepter la mise en place dans notre assemblée d'une délégation aux droits de l'enfant, sur le modèle de la délégation aux droits des femmes ? Les entreprises disposent d'une délégation dans notre assemblée, pourquoi les enfants ne mériteraient-ils pas eux aussi d'en bénéficier ? Pour l'heure, la majorité s'obstine à refuser cette création et nous ne pouvons, nulle part, nous consacrer à l'évolution du système de protection de l'enfance. Que penseriez-vous, mesdames les rapporteures du Cese, d'une telle délégation dans l'enceinte du Sénat ?
Mme Marion Canalès. - Merci d'avoir souligné que l'invisibilité statistique organise notre cécité collective et conduit au silence. Vous sollicitez une stratégie interministérielle ; une loi de programmation pluriannuelle sur les moyens alloués à la protection de l'enfance ne vous semblerait-elle pas une piste à explorer devant les urgences du moment, notamment celle des pouponnières, afin, peut-être, d'établir des priorités ?
Par ailleurs, les assises de la pédiatrie avaient attesté d'un effondrement de la recherche dans cette spécialité. Qu'en est-il des moyens qui lui sont consacrés ?
Enfin, nous ne mentionnons pas suffisamment les régions, autre acteur à côté des départements et de l'État. Elles sont pourtant compétentes en matière de formation et des plans de formation sont précisément nécessaires si l'on veut rendre plus attractifs les métiers des travailleurs sociaux. Avez-vous par exemple discuté avec des représentants de Régions de France des conclusions sur la question que Mathieu Klein, président du Haut Conseil du travail social (HCTS), a formulées et qui n'ont toujours pas été suivies d'effets ?
M. Jean Sol. - Merci de vos éclairages sur votre rapport.
Vous évoquez l'accompagnement des professionnels du secteur médico-social, mais encore faudrait-il qu'ils soient en nombre suffisant. Sauf erreur de ma part, 30 000 postes sont actuellement vacants dans ce secteur. Que proposez-vous pour y favoriser le recrutement, un recrutement par surcroît de qualité sur le plan des compétences ?
Vous relevez que 75 % des juges ne prescrivent pas certaines mesures au regard des capacités d'accueil des dispositifs existants. Il semblerait cependant que nous manquions aussi de juges des enfants. Cette situation joue-t-elle également sur le défaut de mesures de protection ?
Enfin, quelque 40 % des détenus ont fait l'objet d'une mesure d'assistance éducative dans leur enfance, selon une étude de la fédération régionale de recherche en psychiatrie et santé mentale Hauts-de-France (F2RSM Psy). Avez-vous travaillé sur cet aspect et, dans l'affirmative, que proposez-vous ?
Mme Élisabeth Tomé-Gertheinrichs. - Nous sommes - peut-être à tort - parties du principe qu'il existait un problème, non pas d'offre de formation, mais de recrutement dans ces formations et, par suite, d'attractivité des métiers concernés. De ce fait, nous n'avons pas traité la région comme un acteur institutionnel devant être interpellé.
Fondamentale dans les problèmes qui nous occupent, l'attractivité du métier tient pour beaucoup à la considération collective qu'on lui porte et que perçoit la personne qui l'exerce. Avec les conditions de travail que nous décrivions, usantes et marquées par une très forte charge mentale, l'absence de perspective professionnelle et de reconnaissance sociale conduit sans surprise à la désaffection de ces métiers et des formations correspondantes.
Une loi de programmation pluriannuelle pourrait constituer un excellent outil. Nous parlons de notre côté de stratégie interministérielle, mais une telle loi, dans la mesure où elle serait le vecteur d'un projet national pour l'enfance, nous agréerait. Ce type de projet, pour l'heure, brille surtout par son absence à l'échelon institutionnel avec, néanmoins, de fortes disparités territoriales.
La suggestion d'aborder la protection de l'enfance sous l'angle premier de son dysfonctionnement systémique pour, ensuite, s'attaquer aux problèmes particuliers qui la concernent me paraît nous offrir une excellente feuille de route.
Le document que nous vous présentons est un énième rapport, c'est vrai. Nous avons bien sûr entendu les associations et les propos de leurs représentants ont inspiré notre travail. À l'évidence, sans elles, le système de protection de l'enfance de notre pays serait pour ainsi dire réduit à néant.
La prévention est la grande absente de ce système et paraît, ainsi que pour d'autres politiques, comme extérieure au champ conceptuel de nos décideurs. Cependant, les associations notamment la prennent en charge. Elle ne relevait pas du périmètre que le Président du Sénat nous avait assigné et peut-être serait-il opportun que nous envisagions un deuxième rapport qui traite de la mise en place d'une politique de prévention efficace en matière de protection de l'enfance.
En outre-mer, la situation de la protection de l'enfance est catastrophique. Nous vous renvoyons au rapport de l'Unicef sur le sujet. Mais faut-il pour autant prendre des mesures spécifiques à l'outre-mer ? Il nous semble que cela ne serait pas nécessaire si un plan national était appliqué comme nous souhaiterions qu'il le soit, avec un recensement des besoins des départements et des mesures qui y sont mises en place, un inventaire et une projection des moyens nécessaires à la prise en charge, dans de bonnes conditions, des enfants concernés dans chacun d'entre eux.
Sur le handicap, nous relevons un fonctionnement en silo préjudiciable à la protection de l'enfance, particulièrement entre MDPH et ASE. Nous proposons que les différents services qui interviennent concluent systématiquement entre eux des conventions, lesquelles seraient susceptibles de favoriser les projets communs.
Mme Josiane Bigot. - Un code de l'enfance apporterait la confirmation de l'engagement d'une politique publique et d'un projet de société autour de l'enfant. Ce serait considérer l'enfant comme ayant des droits et des devoirs propres, un statut et une considération spécifiques. Il ne s'agirait pas tant d'une compilation que d'une harmonisation, propre à susciter une évolution du droit, comme cela a été le cas en matière de consommation. Ce serait encore un signal fort, et il nécessiterait de révolutionner quelque peu les esprits.
Intervenant depuis cinquante ans dans la protection de l'enfance, je puis dire que les choses se font lentement. La situation n'était pas plus favorable et moins inégale avant les lois de décentralisation, et je note que, désormais, un conseiller départemental, lorsqu'il est en campagne électorale, parle de la protection de l'enfance, ce qu'il ne faisait jamais il y a encore quinze ans. S'il n'est certes pas élu sur ce thème, il sait ce qu'il en retourne, ce qui est déjà un progrès considérable.
Nous avons évidemment entendu les associations de protection de l'enfance, que je représente d'ailleurs au sein du Cese au titre de la Cnape, leur fédération. Nous avons échangé avec des représentants non seulement de la Cnape, mais également de l'Unicef, qui est particulièrement active sur la question des droits de l'enfant en France. Oui, les associations sont indispensables et j'en ai personnellement créé une à Strasbourg il y a trente-cinq ans. Le Cese, qui compte dans ses rangs nombre de personnes issues du monde associatif, partage cette conviction.
Le nombre de juges des enfants est insuffisant, nous en sommes d'accord ; ce n'est toutefois pas pour cette raison qu'ils ne prononcent pas autant qu'il le faudrait, et qu'ils le voudraient, les mesures de protection : ils craignent plutôt qu'elles restent inexécutées. C'est d'ailleurs de mon point de vue une aberration.
Le parcours des jeunes délinquants relève de lois spécifiques sur le traitement de la délinquance et non de celles qui ont trait à la protection de l'enfance, raison pour laquelle nous n'en traitons pas. Les délinquants, jeunes et moins jeunes, évoquent néanmoins ce qu'ils ont vécu dans leur enfance. Mettre en oeuvre plus de protection de l'enfance et de prévention conduirait à éviter une partie de cette délinquance et le coût qu'elle représente pour la société. Une telle approche suppose un projet global, qui nous fait défaut sur la protection de l'enfance.
Évidemment, nous sommes, à titre personnel, plus que favorables à la création d'une délégation sénatoriale aux droits de l'enfant. Ce serait un signe fort que le Sénat y procède. Nous oeuvrons pour notre part pour que le Cese institue en son sein une telle délégation.
Enfin, il est exact que la recherche est un parent pauvre de la protection de l'enfance. Ce sont souvent les associations qui s'efforcent d'y remédier ainsi que les écoles formant des travailleurs sociaux. La Cnape a financé des recherches, portant notamment sur la scolarisation outre-mer, en partenariat avec l'université de Lyon. C'est par ailleurs une des missions du groupement d'intérêt public (GIP) France enfance protégée, et nous espérons qu'il s'en emparera.
Mme Pascale Gruny, présidente. - Je vous remercie, mesdames. Avant de lui céder la présidence de la réunion, je donne la parole au président de notre commission, qui vient de nous rejoindre.
M. Philippe Mouiller. - Merci, mesdames, de votre intervention devant notre commission. Étant retenu dans une réunion au ministère de la santé, je n'ai pas pu assister à votre audition, mais j'ai lu avec attention votre rapport et salue la qualité de vos travaux.
La saisine du Cese sur la question de la protection de l'enfance par le Président du Sénat montre l'attachement de notre institution à la protection de l'enfance. Le débat porte d'abord sur la politique générale et la vision globale des enjeux de cette protection. Peut-être la constitution d'un groupe informel réunissant toutes les opinions politiques et s'inspirant de la démarche qui a précédé la création du groupe d'études sur le handicap constituerait-elle déjà une première étape...
- Présidence de M. Philippe Mouiller, président -
Mission au Canada sur la situation du travail et de l'emploi - Communication (sera publiée ultérieurement)
Le compte rendu de cette mission sera publié ultérieurement.
Projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2025 - Audition de Mmes Zaynab Riet, déléguée générale, et Cécile Chevance, responsable du pôle Offres, de la Fédération hospitalière de France
M. Philippe Mouiller, président. - Pour conclure cette matinée, nous recevons Mmes Zaynab Riet, déléguée générale, et Cécile Chevance, responsable du pôle offre de soins, finances, FHF data, recherche et e-santé (Offres), de la Fédération hospitalière de France (FHF) sur le projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2025.
Je vous précise que cette audition fait l'objet d'une captation vidéo. Elle est diffusée en direct sur le site internet du Sénat et sera consultable en vidéo à la demande.
Mesdames, je vous remercie de votre disponibilité pour cette audition, que les incertitudes relatives au calendrier de la nouvelle lecture du PLFSS pour 2025 au Sénat nous ont conduits à organiser dans de brefs délais.
Il m'a paru utile que la commission puisse entendre votre Fédération, alors même que, dans le cadre de la nouvelle lecture du PLFSS, le Gouvernement a annoncé une augmentation significative de l'objectif national de dépenses d'assurance maladie (Ondam) - tout particulièrement de l'Ondam hospitalier, dont la hausse atteindrait désormais 3,6 % en 2025. Pour mémoire, dans le cadre de la navette et en réponse à une initiative du Sénat, le Gouvernement avait déjà annoncé un étalement sur quatre ans, au lieu de trois, de l'augmentation du taux de cotisation à la charge des employeurs à la Caisse nationale de retraites des agents des collectivités locales (CNRACL).
Vous pourrez nous préciser dans quelle mesure ces évolutions permettront aux établissements, dont nous connaissons la situation financière, de répondre à leurs missions dans de bonnes conditions.
Je vous laisse sans plus attendre la parole pour un propos liminaire. Les membres de la commission pourront ensuite vous interroger, en commençant par notre rapporteure générale, Élisabeth Doineau, et notre rapporteure pour la branche maladie, Corinne Imbert.
Mme Zaynab Riet, déléguée générale de la Fédération hospitalière de France. - En vous remerciant de votre invitation, je souhaite partager avec vous les priorités de la Fédération hospitalière de France dans le cadre du PLFSS pour 2025.
Nous avons salué l'enveloppe supplémentaire de 1 milliard d'euros annoncée par la ministre. Nous demandons que celle-ci soit fléchée, à la fois, vers des activités médicales dites « en dette de santé publique » et pour cibler prioritairement la recherche, l'accompagnement de 50 millions d'euros par an pendant huit ans acté dans le cadre du Ségur de la santé n'ayant malheureusement pas pu être mis en oeuvre.
S'agissant des activités dites « en dette de santé publique », nous avons réalisé un baromètre en mars 2024, mettant en lumière un retard dans les séjours d'hospitalisation. On aurait pu s'en réjouir, si ce retard ne témoignait pas d'un moindre recours à l'hospitalisation, notamment dans le domaine de la chirurgie lourde - les greffes - ou pour certaines disciplines médicales avec nuitées, comme la neurologie.
À cela s'ajoute le sous-financement au cours des dernières années - du fait de l'effort mis, à juste titre, sur la valorisation des soins ambulatoires - de certaines activités médicales avec nuitées : soins critiques, réanimation, pédiatrie, obstétrique, soins palliatifs et psychiatrie - les dotations pour cette discipline n'ayant jamais évolué à hauteur de l'évolution de l'Ondam.
Tout cela explique notre demande d'un fléchage de l'enveloppe supplémentaire.
Nous avons par ailleurs posé deux autres demandes.
S'agissant de la CNRACL, dont vous connaissez la situation, il a été décidé d'abonder l'Ondam pour assurer une première étape de financement de la caisse. Nous avons demandé, avec l'ensemble des fédérations, que les dépenses de santé ne soient pas sacrifiées sur l'autel des caisses de retraite. Nous souhaitons également qu'une véritable discussion soit engagée sur le sujet, car les propositions avancées ne permettront pas de résoudre à terme les difficultés. Celles-ci sont plurifactorielles : la CNRACL, pendant longtemps excédentaire, a restitué 100 milliards d'euros à d'autres régimes ; elle est aussi victime d'une évolution démographique qui pose un réel enjeu.
Enfin, cela va au-delà du PLFSS, nous demandons à pouvoir nous inscrire dans un protocole pluriannuel couvrant les années 2025 à 2027, afin de donner une visibilité aux acteurs sur la planification des investissements et la structuration des filières de soins, avant d'entamer, nous l'espérons, l'élaboration d'une véritable loi de programmation en santé. Celle-ci permettrait, partant des objectifs de santé à atteindre, de fixer un certain nombre de priorités en matière de disciplines médicales. Nous pouvons, par exemple, nous féliciter de former des dermatologues : sur Paris, ils sont installés essentiellement en secteur 3. Cela pose question ! Parallèlement, alors que nous avons besoin de pédiatres, de gynécologues, de psychiatres et de gériatres, ces disciplines ne sont pratiquement pas choisies par les étudiants. Il me semble donc qu'il nous faut fixer des formations à privilégier au regard des projections de besoins sur les dix ans à venir. Il en va de même pour les professions paramédicales, et il faut bien sûr retenir la prévention parmi les axes de travail.
Mme Élisabeth Doineau, rapporteure générale. - Ma première série de questions concerne la demande d'un cadrage budgétaire pluriannuel.
La FHF sollicite en effet depuis de nombreuses années une loi de programmation en santé, qui viserait notamment à fixer un cadre budgétaire pluriannuel contraignant. Elle est d'ailleurs rejointe sur cette demande par les autres fédérations d'établissements. Des amendements ont été déposés en ce sens lors de l'examen en séance du PLFSS. On voit pourtant, cette année encore, à quel point l'exercice de prévision budgétaire annuel est fragile. L'exécution budgétaire est, pour diverses raisons, rarement conforme aux prévisions initiales.
Pensez-vous vraiment qu'une telle loi de programmation permettrait de dessiner un cadrage budgétaire fiable et réaliste ? Quel serait, selon vous, l'apport d'un tel objet par rapport aux trajectoires votées en loi de programmation des finances publiques et, chaque année, en annexe de la loi de financement de la sécurité sociale ?
Compte tenu des incertitudes pesant sur la réalité de l'exécution budgétaire, ne pensez-vous pas qu'un cadrage pluriannuel contraignant serait excessivement rigide et complexe à piloter ? Ne faudrait-il pas plutôt privilégier le renforcement du cadre de discussion actuel, qui met autour de la table les fédérations d'établissements et l'État, et permet de fixer dans un protocole de financement les grandes orientations budgétaires pour les trois années suivantes ?
Je souhaite par ailleurs vous interroger sur la situation financière des établissements de santé et la dynamique d'activité.
À l'heure de la clôture des comptes de l'année 2024, à combien s'élèverait exactement le déficit sur cet exercice ? Quelles sont vos projections pour 2025 ? Comment expliquer, en dépit de la dynamique retrouvée depuis 2023, la dégradation continue de la situation financière des établissements et le nouveau déficit record, par exemple, de l'Assistance publique-Hôpitaux de Paris (AP-HP) ?
Depuis la crise sanitaire, les dynamiques d'activité ont profondément divergé entre catégories d'établissements de santé. Pouvez-vous faire un point sur l'évolution de l'activité des établissements publics par rapport à celle des établissements privés commerciaux et privés d'intérêt collectif ? Pouvez-vous nous décrire les éventuels changements dans le case-mix des établissements ? Une restructuration à bas bruit est-elle en train d'émerger entre secteurs hospitaliers ?
Mme Zaynab Riet. - Je distinguerai protocole pluriannuel et loi de programmation.
Nous avions, toutes fédérations confondues, signé un protocole pluriannuel avec les pouvoirs publics entre 2018 et 2020. C'était très opérationnel : il s'agissait d'arrêter un niveau minimal d'Ondam et des engagements de la part des fédérations. Mais, après avoir traversé la crise sanitaire et constatant la crise générale du système de santé, nous jugeons opportun d'élaborer une loi de programmation, à l'instar de ce qui a été fait pour la défense et la justice. Nous pourrions ainsi nous fixer des objectifs de santé publique et dessiner une trajectoire claire.
Celle-ci pourrait d'ailleurs s'avérer moins coûteuse que les évolutions constatées depuis plus d'une décennie. Faire de la prévention un axe prioritaire, par exemple, donnerait rapidement des retours sur investissement. Je l'illustrerai avec le déploiement, sur une dizaine de territoires, de ce que nous avons appelé « la responsabilité populationnelle » autour de deux pathologies. Sur cinq de ces territoires, nous obtenons en trois ans les mêmes résultats : une réduction de 33 % des hospitalisations de malades atteints de diabète de type 2 pour complications via les urgences, contre une augmentation de 50 % de leur prise en charge en ambulatoire, avec des organisations permettant un suivi plus efficace. Le coût est inférieur de 6 % à la moyenne nationale.
Le but, ce n'est pas de dépenser plus, c'est de dépenser mieux. Notre pays consacre beaucoup d'argent à la santé. Le cap que nous devons tenir est celui de dépenses de santé permettant de continuer à faire progresser l'espérance de vie en bonne santé et favoriser l'excellence de notre médecine. Ce pourquoi nous pensons qu'il faut une loi de programmation en santé.
Mme Cécile Chevance, responsable du pôle Offres de la Fédération hospitalière de France. - Nous notons, en effet, une amplification de la reprise d'activité constatée en 2023, mais avec des variations. En 2023, l'activité était essentiellement portée par un accroissement des actes de chirurgie et des soins ambulatoires, qui constituent le coeur de l'activité des établissements privés à but lucratif. En 2024, on note un changement, avec, comme mentionné, un rattrapage sur les disciplines « en dette de santé publique » - médecine lourde et médecine avec nuitées -, plutôt porté par les établissements publics. En volume économique, c'est-à-dire en valeur, mais à tarifs équivalents, la progression pour les hôpitaux publics est de 4 %, tandis que les établissements privés, après une forte évolution, atteignent logiquement un plateau.
La reprise des activités concernées est facilitée par celle des recrutements, même si des métiers demeurent en tension, et par la réouverture de lits ainsi permise. Toutefois, la situation est très hétérogène selon les catégories d'établissements - avérée sur les établissements de grande taille, l'évolution est moindre sur les établissements de taille intermédiaire ou de petite taille - et à l'intérieur même de ces catégories.
Malgré ces tendances positives en termes d'activité, les établissements publics de santé continuent à voir leur situation financière se dégrader. Les chiffres de 2024 sont à prendre avec précaution, les clôtures de compte n'étant pas achevées à ce stade, mais selon les projections, le déficit hors activités médico-sociales devrait passer de 1,9 milliard d'euros en 2023 à 3,5 milliards d'euros.
Plusieurs facteurs expliquent cette dégradation : d'une part, un sous-financement cumulé de l'inflation, estimé à 1,3 milliard d'euros pour les seuls établissements publics et à 1,8 milliard d'euros sur l'ensemble des établissements de santé ; d'autre part, une interrogation autour du juste financement et de la juste ventilation des mesures de ressources humaines et des mesures liées au Ségur de la santé.
On peut donc parler d'un problème de couverture de charges, plus que d'un problème d'activité.
En 2023, plus de huit établissements sur dix étaient en déficit sur l'ensemble des activités sanitaires et médico-sociales ; plus de huit établissements sur dix étaient soit en capacité d'autofinancement net négative, soit carrément en insuffisance d'autofinancement. Dans le premier cas, il s'agit d'une capacité constatée après paiement des dettes antérieures ; dans le second, avant - ce qui signifie que l'hôpital n'arrive même pas à dégager de quoi rembourser ses dettes et doit emprunter pour le faire.
Mme Zaynab Riet. - S'agissant des causes, gardons en mémoire que le déficit des hôpitaux publics était, en 2019, de 500 millions d'euros. L'impact de la crise sanitaire n'a pas non plus été neutre. Plus de 80 % des patients atteints de covid-19 ont été hospitalisés à l'hôpital public, ce qui a conduit les centres hospitaliers universitaires (CHU) et de grande taille à déprogrammer leurs activités.
M. Philippe Mouiller, président. - Avant de laisser la parole à Corinne Imbert, permettez-moi de m'étonner : à aucun moment, vous n'évoquez l'idée d'efforts à mener ou de réflexions sur de possibles réorganisations. Je comprends bien que les recettes sont insuffisantes, qu'il y a de l'inflation... Mais, comme dans toute structure déficitaire, on pourrait s'interroger sur les moyens de rendre les dépenses plus efficientes !
Mme Corinne Imbert, rapporteure pour la branche assurance maladie. - La demande d'inscrire la LFSS dans un cadre pluriannuel dépasse la FHF ou même l'ensemble des fédérations d'établissements ; elle émane aussi d'autres acteurs du monde de la santé. La crise du système de santé impose en effet une recherche d'efficience - le président vient de l'évoquer, mais l'exemple des patients atteints de diabète l'illustre également très bien. C'est une réflexion qu'il faudra avoir, y compris en vue d'inscrire, dans ce cadre pluriannuel, les politiques de prévention.
Cette remarque étant faite, vous avez salué l'enveloppe de 1 milliard d'euros octroyée sur l'Ondam 2025. Un rythme de progression durablement supérieur à 3 % - taux représentant un accroissement de 8,5 milliards d'euros à l'année - vous paraît-il souhaitable et, surtout, compatible avec les exigences de retour à l'équilibre de la branche assurance maladie ? Inversement, retrouver un rythme de croissance inférieur à 3 %, ce qui était le cas lors de la décennie précédente, vous semble-t-il possible et crédible ?
Par ailleurs, l'organisation de la permanence des soins en établissements de santé repose principalement sur les hôpitaux publics. Dans un souci de rééquilibrage de cette charge, la loi du 27 décembre 2023 visant à améliorer l'accès aux soins par l'engagement territorial des professionnels a prévu que les établissements de santé soient collectivement responsables de cette permanence des soins. Quel regard portez-vous sur le premier état des lieux réalisés sur le sujet et les conclusions de l'enquête nationale 2024 ? Quelle suite attendez-vous des bilans territoriaux communiqués aux agences régionales de santé (ARS) ? Quelles mesures concrètes espérez-vous de la part du Gouvernement pour engager un rééquilibrage effectif ?
La LFSS pour 2024 a entériné une réforme du financement des hôpitaux. Le Sénat en avait soutenu le principe, mais estimant que son application rapide était délicate, voire risquée, la commission avait proposé une phase d'expérimentation préalable. Cette proposition n'a pas été retenue. Depuis la mise en oeuvre officiellement affichée au 1er janvier 2024, quels chantiers ont pu aboutir ? Quelles activités ont vu leurs modalités de financement évoluer ? Comment est préparé le changement du calendrier des négociations tarifaires ? Enfin, la question de la transformation du modèle de financement vous semble-t-elle satisfaisante ? S'appuie-t-elle sur des constats et données partagés par tous ? Quel premier bilan tirez-vous, sur le terrain, de la mise en oeuvre de la réforme ? Faut-il prévoir des ajustements ?
M. Philippe Mouiller, président. - Avant de passer aux réponses, je laisse la parole à notre rapporteur pour la branche autonomie.
Mme Chantal Deseyne, rapporteur pour la branche autonomie. - Vous n'avez pas abordé le volet de la prise en charge du grand âge et de l'autonomie, alors que vous représentez aussi des Ehpad. On sait la situation financière catastrophique de ces structures, en particulier dans le secteur public. Un décret datant du 1er janvier 2025 permet aux établissements de majorer jusqu'à 35 % les tarifs pour les nouveaux résidents ne pouvant pas prétendre à l'aide sociale à l'hébergement (ASH). Dans le contexte financier difficile, on peut comprendre que l'on module ces tarifs, mais le taux de 35 % semble tout de même excessif, représentant plusieurs centaines d'euros d'augmentation. Que pensez-vous de ce dispositif ? Envisagez-vous de l'appliquer dans vos établissements ?
Mme Zaynab Riet. - Je réponds tout d'abord bien volontiers à la remarque de M. le président sur le défaut de propositions en matière de restructuration et de réorganisation. Si nous demandons une loi de programmation, c'est précisément pour pouvoir nous inscrire dans la logique d'un système de santé responsable, performant et durable.
Responsable, parce que tout acteur de santé sur le territoire doit avant tout couvrir des besoins de santé, de manière sécurisée et organisée, et sans jamais oublier qu'il est financé, directement ou indirectement, par des deniers publics. Cela suppose une organisation efficiente sur les territoires, au service des populations. Cette observation nous ramène à la question de la permanence des soins, étant précisé que, selon une enquête de la direction générale de l'offre de soins (DGOS), le secteur public assure plus de 83 % des lignes de garde, alors qu'il pèse pour 69 % dans le système.
Performant, parce que les ruptures de prise en charge, ou encore les hospitalisations qui étaient évitables, au-delà du mal-être qu'elles représentent pour le patient, entraînent aussi un coût pour le système de santé.
Durable, parce que nous devons sortir de la surenchère parfois constatée en termes de rémunération et que nous sommes engagés dans la transition écologique - laquelle permet d'ailleurs de dégager des économies -, tout cela sans compter l'engagement des professionnels de santé dans le domaine de l'éco-soin.
Mme Cécile Chevance. - Je précise les chiffres donnés sur la permanence des soins : l'enquête citée, ayant suscité une forte mobilisation des établissements, montre que l'hôpital public représente 69 % des lignes de garde et d'astreinte, pour 85 % de l'activité de permanence des soins - soit les nouveaux patients - et de continuité des soins - soit les patients déjà hospitalisés, dont l'état nécessite une intervention aux horaires de permanence des soins. La continuité des soins représente 50 % de la charge de travail dans ces horaires.
Le rééquilibrage souhaitable ne consiste pas à démultiplier les lignes, surtout si, derrière, il n'y pas les plateaux techniques ou les compétences en termes de discipline médicale. Il s'agit, une fois encore, de rechercher l'efficience, en mutualisant là où se trouvent les besoins. Nous réfléchissons donc, dans ce domaine, en termes de patients pris en charge, non de lignes.
J'en viens aux réformes de financement. Certaines ont été mises en oeuvre récemment : sur les urgences, les soins médicaux et de réadaptation (SMR) et la psychiatrie. Certains chantiers sont ouverts et n'ont pas encore abouti : sur les soins critiques, les soins non programmés, la radiothérapie et la dialyse.
Pour nous, il est essentiel que les réformes de financement accompagnent l'adaptation et l'organisation de l'offre sur les territoires. Par exemple, s'agissant des soins critiques, nous regardons comment la réforme des autorisations qui se met en oeuvre répond aux besoins de santé, comment les leviers financiers permettent d'accompagner les transformations de l'offre, notamment la transformation des unités de surveillance continue (USC) en unités de soins intensifs polyvalents (Usip).
Il est également essentiel que nous ayons une vision d'ensemble. Nous traitons - nous l'avons vu avec les SMR - des sujets extrêmement techniques et complexes. De ce fait, nous nous noyons parfois dans des détails techniques, en perdant de vue l'objectif global en termes d'offres de soins. C'est le cas pour les soins critiques : nous devons réfléchir selon une logique d'ensemble, de plateau technique, orientée autour de l'organisation et de l'adaptation de l'offre, avant d'aborder les sujets techniques. C'est le cas, également, sur le secteur de la dialyse, où deux réformes sont en cours, l'une sur les autorisations et l'autre sur le financement : l'objectif principal est d'amener le plus de patients vers la greffe ; les leviers financiers servent à atteindre cet objectif.
Mme Zaynab Riet. - Sur le volet relatif à l'autonomie, 85 % des Ehpad publics sont aujourd'hui en difficulté. On constate par ailleurs un recul de l'offre médico-sociale publique et les centres hospitaliers ayant des activités médico-sociales rattachées voient leur situation financière aggravée de ce fait.
Cela s'explique par les tarifs pratiqués dans le secteur public : ils sont nettement inférieurs aux tarifs du secteur privé. La possibilité qui a été donnée de les moduler vise précisément à alléger ce fardeau et pourrait constituer un levier pour renforcer les effectifs. Pour autant, le taux de 35 % est un plafond et les tarifs d'hébergement sont arrêtés au niveau du département, ce qui donne lieu à des négociations.
Le PLFSS pour 2025 fait apparaître un effort important sur le volet autonomie, effort qui s'inscrit dans l'objectif des 50 000 équivalents temps plein (ETP) créés en Ehpad et des 50 000 solutions trouvées dans le champ du handicap. Mais cette évolution risque d'être masquée par le sous-financement via les tarifs d'hébergement et de dépendance, la remise en cause de l'expérimentation de la fusion des forfaits soins et dépendance, et la non-compensation pour le secteur médico-social public de l'augmentation de la cotisation employeur à la CNRACL - laquelle représente une hausse de 3 % de la masse salariale.
Nous demandons donc, pour 2025, le maintien de l'expérimentation de la fusion des forfaits et la compensation intégrale de la hausse des cotisations CNRACL pour les établissements publics. Nous demandons aussi que l'on ouvre enfin le chantier des inégalités socio-fiscales qui affectent le secteur public, engendrant un surcoût de 20 % de ses coûts salariaux. Une mission devrait être mise en oeuvre pour, au moins, objectiver la réalité de cette injustice. Nous demandons par ailleurs une véritable stratégie d'investissement et de transformation, des questions se posant sur le ciblage des actions de la Caisse nationale de solidarité pour l'autonomie (CNSA).
M. Bernard Jomier. - J'étais très content d'entendre le président poser la question des réformes structurelles de l'hôpital. Je sais que vous êtes auditionnées dans le cadre du PLFSS, mais il est intéressant de vous entendre, aussi, sur les évolutions structurelles.
Je me satisfais de la hausse de l'Ondam et du budget des hôpitaux, faisant partie de ceux qui l'ont réclamée. En revanche, je ne crois pas que le seul accroissement des moyens résoudra les problèmes. De nombreux chantiers sont à mener. Or on nous parle beaucoup, en ce moment, de chantiers au ralenti... Certes, vous n'êtes pas responsables du défaut actuel de portage politique, mais pouvez-vous nous en dire plus ?
S'agissant du financement, nous avions rédigé un rapport, avec Catherine Deroche, qui mettait en lumière la nécessité d'un financement sain et pérenne, et ce bien au-delà d'un cadre pluriannuel. Les établissements publics comme privés ont besoin de visibilité, mais les limites de l'examen budgétaire nous interdisent de contraindre les exercices suivants et, par ailleurs, ce sont surtout les objectifs de santé que nous avons besoin de connaître. La logique actuelle de l'Ondam est épuisée. Cela n'a rien de dramatique, il faut juste changer de façon de faire, c'est-à-dire identifier, sur une base territoriale, des objectifs de santé avant de voter l'Ondam.
Le déploiement des groupements hospitaliers de territoire (GHT) fait apparaître des résultats pour le moins contrastés. Qu'en pensez-vous ?
Par ailleurs, personne n'a encore parlé de l'efficience des soins, qui n'est pas satisfaisante et induit des surcoûts importants. Un exemple : dans la plupart des urgences hospitalières, les personnels n'ont pas accès au dossier médical des patients, et donc aux résultats de biologie ou d'imagerie récents, car ils ne disposent pas du logiciel adéquat.
Certaines propositions de loi ont été adoptées sur la question de la gouvernance hospitalière - c'est le cas d'un texte que j'ai cosigné et qui vient d'être définitivement adopté par l'Assemblée nationale. Toutes portent un même objectif de rééquilibrage vers la logique soignante. Où en êtes-vous sur la tarification à l'activité (T2A), ainsi que sur les hôpitaux de proximité ?
Quelle est la dette cumulée des hôpitaux publics ? J'entends des directeurs m'expliquer que leur établissement doit emprunter pour rembourser ses dettes. On marche sur la tête ! Voilà quelques années, un grand plan avait été annoncée par Édouard Philippe, alors Premier ministre ; il est partiellement appliqué. Où en est-on ?
Enfin, l'Agence nationale d'appui à la performance des établissements de santé et médico-sociaux (Anap) est censée apporter un appui aux établissements de santé. Cette agence vous semble-t-elle pertinente et doit-elle continuer d'exister ?
M. Daniel Chasseing. - Je me réjouis aussi de l'évolution de l'Ondam hospitalier, qui était déjà sous-doté dans les années 2010.
Vous avez pris l'exemple du diabète pour évoquer la prévention. On pourrait également mentionner, dans l'une des activités médicales - la psychiatrie - que vous souhaitez voir fléchées, le suivi des psychotiques qui ne reviennent pas en consultation.
S'agissant du grand âge, il est tout de même important que l'on ait essayé, à travers l'Ondam, d'augmenter le nombre de formations et d'emplois d'infirmiers, d'infirmiers en pratique avancée (IPA) ou d'aides-soignants pour arriver progressivement à 40 000 créations d'emplois dans les Ehpad, et ce afin de prendre en charge de manière décente la dépendance.
Vous n'avez pas évoqué le fait que les difficultés dans les services d'urgences, notamment les plaintes de la part de patients restés sur les brancards, sont liées aux déficits de lits d'aval. Ne faudrait-il pas accroître les capacités des services de soins polyvalents (SSP) ?
Mme Frédérique Puissat. - Le Parlement a voté une loi spéciale en décembre dernier, afin que l'État puisse assumer ses fonctions essentielles. Un premier président de cour d'appel me faisait part, récemment, des limites de cette loi et des retards de paiement qu'elle entraînait. Avez-vous un état des lieux de ces limites pour votre secteur et des engagements financiers induits pour les hôpitaux de notre pays ?
Mme Nadia Sollogoub. - S'agissant de l'organisation des GHT, je souhaite rappeler l'existence d'un problème de dialogue entre établissements publics et privés. Notamment dans les départements ruraux, nous aurions besoin d'une instance dans laquelle les deux secteurs se parlent. Or, dans le cadre des GHT, on fait toujours comme si le secteur privé n'existait pas... Ne faudrait-il pas le réintégrer ?
En matière de gouvernance, quel est votre avis sur des modèles innovants, comme celui de l'hôpital de Valenciennes ? Y a-t-il des enseignements à en tirer ?
On parle souvent du poids du travail administratif. Avez-vous l'impression que ce poids s'accroît ? Avez-vous des pistes d'amélioration dans ce domaine, que ce soit pour vos personnels administratifs ou pour vos personnels soignants ?
Mme Céline Brulin. - Je comprends que vous voyiez d'un bon oeil le milliard d'euros supplémentaire annoncé pour l'Ondam. Mais, si je ne me trompe pas, l'accroissement du taux de cotisation à la CNRACL correspond à peu près à ce montant. D'où l'intérêt que vous demandiez à ce que ces sommes soient fléchées sur les activités médicales. Mais comment cette demande se traduira-t-elle concrètement pour les hôpitaux, confrontés à une dépense supplémentaire, quand bien même on l'étale sur quatre ans, au lieu de trois ?
Vous avez indiqué que la reprise des recrutements était moindre dans les plus petits établissements. Dans ce contexte, que pensez-vous du décret relatif aux contrats pour motif de type 2 ? Je suis de celles et ceux qui jugent nécessaire de contrôler l'intérim médical, mais faut-il le faire brutalement, avec des conséquences sur certains hôpitaux déjà confrontés à des difficultés d'ouverture de services par intermittence ?
Mme Annie Le Houérou. - Vous avez souligné dans votre présentation des difficultés d'adéquation entre besoins et spécialistes formés en gériatrie, pédiatrie, ou encore psychiatrie. Quelles sont vos propositions pour une meilleure adéquation ? Dans la continuité de cette question, comment favoriser une meilleure répartition territoriale de ces spécialistes ?
Mme Zaynab Riet. - Nous constatons une baisse de moitié des effectifs vacants d'infirmiers diplômés d'État (IDE) : le taux des postes vacants passe de 6 % à 3 %, la réduction étant moindre pour les aides-soignants. Nous constatons également une chute de l'ordre de 2 points de l'absentéisme. Malgré le constat de morosité permanente que l'on relaie partout, beaucoup aiment encore l'hôpital public et s'orientent vers ces métiers. Je ne prétends pas pour autant, monsieur Jomier, que cela soit suffisant...
Sur l'organisation effective des soins à l'hôpital, jamais le GHT n'a été autant mis en lumière que par la crise du covid. L'installation de 100 supercongélateurs pour conserver les vaccins, la réactivité pour transformer des lits en lits de soins de réanimation : cela a été permis par une organisation et une gradation des soins, partant de l'hôpital de proximité, en passant par les centres parties, jusqu'au centre hospitalier support, voire au CHU. C'est en réalité le GHT qui a permis, comme on l'a entendu, que l'hôpital public soit le « bouclier sanitaire » de la Nation !
Ce GHT structure le territoire sur lequel il rayonne et permet aussi de répondre aux difficultés de démographie médicale, par l'organisation de filières sécurisées et de parcours de soins sans rupture. Parfois, ce n'est pas suffisant... À ce titre, invoquons la complémentarité, plutôt que l'opposition, des secteurs public et privé. Dès lors que chacun est bien organisé, dès lors qu'il existe un interlocuteur public, un interlocuteur privé et un interlocuteur de ville, tous clairement identifiés, le travail se passe très bien. Le cadre législatif et réglementaire a permis une évolution supplémentaire pour favoriser encore ce travail en commun, au travers des projets territoriaux de santé (PTS). Il s'agit de partager des diagnostics, entre acteurs de la santé et avec les élus, et ensemble trouver les moyens d'apporter des réponses aux besoins.
Les labellisations d'hôpitaux de proximité ont été encouragées, la ministre de l'époque, Agnès Buzyn, s'étant appuyée sur un modèle que je connais très bien : l'hôpital de Pont-Audemer. Un hôpital de proximité peut avoir un service d'urgences, de la petite chirurgie, de la biologie délocalisée. L'hôpital de proximité permet de répondre aux besoins de proximité en santé, mais aussi d'assurer la gradation des soins, en faisant le lien avec les équipes renforcées qui peuvent se trouver au sein de l'établissement support. De mémoire, nous sommes à plus de 300 ou 350 établissements labellisés, et nous travaillons à l'atteinte des objectifs.
L'efficience a été évoquée... Les professionnels exerçant à l'hôpital public, qu'ils soient administratifs ou soignants, ne se lèvent pas tous les matins pour gaspiller l'argent public ! Tous s'attellent à apporter le bon et le juste soin. C'est pourquoi nous ne demandons rien de plus que le financement nécessaire à l'accomplissement de nos missions.
Il faudrait effectivement pouvoir dégager plus de temps clinique pour les médecins et les soignants. Certains outils le permettent, mais il faut aussi travailler à la simplification. Par ailleurs, le taux de personnel administratif à l'hôpital public s'élève à 10 %, et les secrétaires médicales constituent 50 % de ce personnel administratif. Si on les enlève, le taux tombe à 5 %, alors que le secteur privé enregistre un taux situé entre 11 % et 12 %. Autrement dit, l'hôpital public est le plus efficient sur le plan administratif.
La multiplication par deux du nombre de passages aux urgences depuis vingt ans traduit, à la fois, des difficultés d'accès aux soins en amont - 20 % à 30 % des passages aux urgences n'ont pas lieu d'être - et des difficultés en aval. Le constat sur l'aval rejoint la discussion sur le volet autonomie : notre crainte est de voir réduire cette offre et de ne plus pouvoir accueillir correctement les patients. Faut-il, pour cela, ouvrir plus de lits ? Dans certains territoires, c'est indéniable. Mais il faut examiner la question en tenant compte de l'évolution des prises en charge - je vous renvoie à mon exemple sur le diabète de type 2 - et du recours aux nouvelles technologies, qui facilite les prises en charge ambulatoires.
S'agissant du secteur médico-social, nous avions obtenu auprès d'Aurore Bergé l'établissement d'un protocole pluriannuel. Nous avons réitéré notre demande.
J'en viens à la proposition de loi dite « ratios » qui a été citée. Si l'on demande à la FHF s'il faut augmenter les effectifs auprès du patient, nous répondrons bien évidemment par l'affirmative - personne ne ferait le contraire. Mais il y a un principe de réalité : d'une part, il faut pouvoir se projeter et bâtir les appareils de formation qui conviennent ; d'autre part, il faut voir l'accroissement de l'Ondam que ces mesures représentent. Nous sommes donc d'accord pour adapter les effectifs, mais nous pensons qu'il faut le faire dans le cadre d'une loi de programmation.
M. Bernard Jomier. - La proposition de loi est votée. Cessez de la combattre !
Mme Zaynab Riet. - Je ne la combats pas. Je dis simplement que, pour qu'elle devienne réalité, il nous faut une loi de programmation en santé. Sans cette loi, je suis désolée de vous le dire, l'évolution se fera, mais en sacrifiant le capacitaire.
La psychiatrie constitue un vrai sujet. Je rappelle que les patients atteints de troubles ou de maladies psychiatriques pris en charge par l'hôpital public le sont, à 80 %, en ambulatoire. Il faudrait pouvoir maintenir ce taux et ne pas être contraints, à terme, d'augmenter le taux d'hospitalisation. Mais, pour cela, il faut garantir un parcours de soin complet : une entrée plus rapide en centre médico-psychologique (CMP) ; un accès à l'hôpital de jour et au centre d'accueil thérapeutique à temps partiel (CATTP) ; un suivi au plus près avec des visites à domicile. Il y a fort à faire, et c'est pourquoi nous sommes ravis que le Premier ministre ait entériné le projet de faire de la psychiatrie et de la santé mentale une grande cause nationale.
Mme Cécile Chevance. - Dette et déficit ne sont pas la même chose, même si les deux s'alimentent et que le cumul des déficits fragilise la capacité d'autofinancement des établissements.
Aujourd'hui, la dette se monte à 30 milliards d'euros. Elle est assez stable depuis des années, avec un léger désendettement constaté - ce qui peut être aussi un indicateur d'une non-reprise des investissements. En revanche, le cumul des déficits est problématique. J'ai donné les statistiques des établissements publics en déficit ou en difficultés d'autofinancement. Cela complique les politiques d'investissement, mais aussi, comme je l'ai déjà dit, contraint certains établissements à s'endetter pour rembourser des dettes antérieures, ce qui est d'ailleurs illégal. Pour autant, quand on est en rupture de trésorerie, il faut bien payer ses fournisseurs - nous constatons, d'ailleurs, un allongement des délais de paiement, ainsi qu'un accroissement des dettes socio-fiscales.
La situation est donc préoccupante, d'autant qu'à cela s'ajoutent d'autres dettes, comme, par exemple, des dettes liées aux provisions pour comptes épargne-temps.
M. Philippe Mouiller, président. - Vu la liste que vous dressez, à quoi correspondent précisément les 30 milliards d'euros de dette ?
Mme Cécile Chevance. - Ils représentent la dette financière pour financer l'investissement, tous établissements publics confondus. Si vous souhaitez connaître le montant incluant l'ensemble des dettes que je cite, je ne peux pas vous répondre immédiatement ; je dois examiner la question.
M. Bernard Jomier. - Mais vous confirmez que des établissements sont obligés d'emprunter pour rembourser leurs dettes...
Mme Cécile Chevance. - Quand on est en situation d'insuffisance d'autofinancement et que l'on n'a plus de trésorerie, on est bien obligé de le faire !
La loi spéciale a au moins permis d'éviter les ruptures de paiement et de trésorerie, mais les acteurs ont besoin d'une LFSS. La moitié des recettes des hôpitaux publics se font sous forme de dotation et, pour l'instant, nous sommes sur des douzièmes reconduits de l'année précédente, ce qui impose aux établissements d'avancer les sommes en cas de nouvelles missions ou d'augmentation de charges. Cette situation ne peut donc pas durer trop longtemps. Il en va de même pour les tarifs : nous évoquons un dynamisme de l'activité, mais si celui-ci se poursuit en 2025, il se fera, pour l'heure, sur la base des tarifs de 2024.
Enfin, l'enveloppe supplémentaire pour l'Ondam est constituée de 750 millions d'euros attribués réellement à la hausse de l'Ondam et 230 millions d'euros liés à l'étalement sur quatre ans, au lieu de trois, de l'augmentation des cotisations CNRACL.
Mme Zaynab Riet. - Les remontées de terrain font état d'une généralisation importante des contrats pour motif de type 2, ce qui entraîne des inégalités de traitements entre praticiens hospitaliers - à juste titre, très mal vécues. Nous avons donc demandé une régularisation de ces contrats dans la durée et au niveau territorial.
De telles solutions ne sont pas durables, et cela nous renvoie à la question des spécialités. Ce que nous devons faire, c'est former et attirer suffisamment de futurs médecins vers les disciplines médicales en tension et les disciplines médicales exigeant d'assurer des gardes et des astreintes. Avons-nous des solutions à proposer ? Nous y travaillons, chantier par chantier, en essayant d'alimenter une possible loi de programmation pour les dix ans à venir. Mais il faudra des mesures incitatives. Et il faudra comprendre, aussi, que tout ne dépend pas des établissements, lesquels n'ont parfois le choix - pardonnez-moi l'expression - qu'entre la peste et le choléra : fermer une activité ou faire appel à des médecins mieux payés que les autres. Il était question tout à l'heure de restructurations... Là, il y a des marges importantes, mais cela demande du courage et de la pédagogie. Cela étant, je crois possible d'organiser des parcours de soins sécurisés pour toutes et tous, tout en assumant de maintenir une offre, même si elle n'est pas totalement équilibrée, dans certains territoires de santé.
C'est pour l'ensemble de ces raisons que nous militons pour une loi-cadre. Les enjeux sont là !
Cette audition a fait l'objet d'une captation vidéo, qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.
La réunion est close à 12 h 05.