Jeudi 30 janvier 2025

- Présidence de Mme Micheline Jacques -

Audition de Florence Rolland, présidente, et Laetitia Malet, déléguée générale adjointe de l'ACCD'OM, Nadia Damardji, dirigeante d'Action Publique Conseil, et Serge Hoareau, président de l'Association des maires de La Réunion

Mme Micheline Jacques, président. - Chers collègues, nous poursuivons ce matin nos travaux sur la lutte contre la vie chère, en auditionnant : Florence Rolland, présidente de l'ACCD'OM, accompagnée de Laetitia Malet, déléguée générale adjointe ; Serge Hoareau, président de l'Association des maires (AMF) de La Réunion ; Nadia Damardji, dirigeante d'Action Publique Conseil, auteure de l'étude relative à la formation des prix et aux effets réels de l'octroi de mer, présentée en novembre dernier lors du Congrès des maires, dont une copie vous a également été distribuée.

Nous vous remercions, Mesdames et Monsieur, pour votre disponibilité, en présentiel et en visioconférence.

Plusieurs pistes de réflexion ont été avancées lors de nos précédentes auditions, accessibles sur le site du Sénat, depuis le 14 novembre 2024.

Vous les retrouverez dans le questionnaire qui vous a été transmis, et nous laisserons à nos rapporteurs le soin de vous interroger. Je vous rappelle qu'ont été désignés : Dominique Théophile et Évelyne Perrot, pour les dépenses automobiles ; Jocelyne Guidez et Teva Rohfritsch, pour le fret maritime et aérien ; Viviane Artigalas et moi-même, pour les produits du quotidien.

Je ne doute pas que nos autres collègues vous soumettront également de nombreuses questions.

Madame Rolland, vous disposerez de la parole pour inaugurer cette discussion, avant le propos de Monsieur Hoareau. Nous serons attentifs à votre avis sur les causes de cette « nouvelle crise de la vie chère » dans nos territoires qui en ont connu tant que beaucoup y perçoivent des raisons structurelles.

Ensuite, je demanderai à Madame Damardji de présenter les conclusions de son étude. Nous nous interrogeons notamment sur la manière d'optimiser l'octroi de mer pour réduire son impact sur les prix, sans toutefois réduire les ressources des collectivités ni fragiliser la production locale.

Un mot encore, chers collègues, pour vous informer que notre collègue Agnès Canayer rejoint notre délégation en remplacement de Mathieu Darnaud qui, compte tenu de ses fonctions, lui cède sa place.

Je salue son retour, bien qu'elle soit excusée pour la présente réunion.

Madame la Présidente, vous avez la parole.

Mme Florence Rolland, présidente de l'ACCD'OM. - Madame le Président, Mesdames et Messieurs les parlementaires, Mesdames et Messieurs les rapporteurs, merci de nous recevoir pour cette audition.

L'étude sollicitée par l'AMF et l'ACCD'OM, menée sous la direction de Nadia Damardji et son cabinet Action Publique Conseil, visait à évaluer l'impact réel de l'octroi de mer sur la formation des prix à l'importation dans les DROM, ainsi que le rôle de la fiscalité sur la finalité des prix. Permettez-moi d'en révéler dès à présent l'enseignement principal : l'octroi de mer ne produit pas d'impact significatif et ne saurait, à lui seul, expliquer la cherté de la vie en outre-mer. Par ailleurs, il constitue un levier essentiel de l'autonomie fiscale de ces territoires.

Depuis une décennie, le débat sur la vie chère dans les outre-mer se cristallise autour d'un différentiel de prix estimé de 30 à 40 % par rapport à l'Hexagone. Une analyse approfondie révèle un écart global de 9 à 16 % dans les DROM, tandis que le secteur de l'alimentation enregistre effectivement des variations considérables, de 30 à 42 %. Bien que ces territoires ne soient pas directement concernés, il convient également de mentionner la Polynésie française (+ 77 %) et la Nouvelle-Calédonie (jusqu'à + 90 % pour l'alimentation).

Cette conjoncture s'explique en premier lieu par des facteurs structurels inhérents à ces territoires : éloignement géographique, marché restreint, relief accidenté, climat contraignant, insularité et dépendance à un nombre limité de produits. Ces spécificités, bien documentées, sont reconnues par le Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne (TFUE), dont l'article 349 permet des mesures dérogatoires.

Cependant, les règles européennes imposant l'importation de produits aux normes CE s'ajoutent aux frais d'approche considérables, en dépit des alternatives existantes dans nos bassins régionaux. Cette injonction suscite des circuits logistiques aberrants, les marchandises de pays voisins transitant par le port du Havre avant de regagner les territoires ultramarins avec, de surcroît, une empreinte carbone substantielle. Une coopération renforcée avec nos marchés voisins pourrait, sans nul doute, atténuer ces coûts.

L'asymétrie des revenus contribue également à maintenir des prix élevés au sein des DROM. Olivier Sudrie, spécialiste des problématiques ultramarines, observe une fracture entre les « in », salariés du public et du privé bénéficiant d'un revenu régulier et de primes dites de vie chère ; et les « out », subissant un taux de pauvreté élevé : 33 % en Martinique et 77 % à Mayotte (avant le passage du cyclone Chido), contre 14 % dans l'Hexagone. Notre étude révèle par ailleurs un phénomène alarmant : la détérioration du pouvoir d'achat et la précarisation croissante des « in ». Nous tenons particulièrement à mettre en lumière cette réalité préoccupante.

Concernant les réformes prioritaires à adopter, il faut privilégier une quête d'équilibre en évitant les écueils d'une approche punitive. Les mesures correctrices s'avèrent indispensables, qu'il s'agisse du bouclier qualité prix (BQP), des politiques de dégagement pour préserver la production locale, ou encore d'autres dispositifs de péréquation, contribuant notamment à la baisse des prix de 6 000 produits en Martinique. Toutefois, il semble impératif que ces mesures, enclines à créer des mécanismes de dépendance sans traiter les problématiques sur le fond, conservent un caractère ponctuel.

De notre point de vue, la solution doit être appréhendée non pas par le prisme des prix, mais par celui d'un développement endogène, fondé sur une économie florissante et vertueuse. Tel est le voeu profond des Domiens : une vie digne, assurée par des revenus pérennes.

Dans cette perspective, il convient de rompre avec la chasse aux coupables. En effet, l'étude met en évidence la complexité à identifier formellement les acteurs responsables. Quant à la comparaison permanente avec l'Hexagone, elle alimente des frustrations souvent enracinées dans une histoire douloureuse.

Par conséquent, il est résolument temps de bâtir un paradigme économique et sociétal adapté aux réalités des territoires ultramarins.

Mme Micheline Jacques, président. - Merci, Madame la Présidente, pour cet exposé précis et pragmatique. Les valeurs évoquées font particulièrement écho aux rapports successifs de notre délégation, notamment sur la relation entre l'État et les territoires ultramarins.

Sans plus attendre, je cède la parole à Serge Hoareau, avant d'écouter Nadia Damardji.

M. Serge Hoareau, président de l'Association des Maires de La Réunion. - Merci, Madame le Président. Mesdames et Messieurs les rapporteurs, je vous remercie de nous accorder ce précieux temps d'échange autour d'un sujet capital et récurrent.

La réforme de l'octroi de mer figure en tête des 72 mesures énoncées par le Comité interministériel des outre-mer. De ce fait, nous avons entrepris, avec l'ACCD'OM et l'AMF, d'affiner nos connaissances de ce mécanisme afin d'en faire part aux instances intéressées, et de préparer nos futures discussions avec le Gouvernement.

Le dernier rapport de la Cour des comptes suggère que la cherté de la vie dans les territoires ultramarins s'explique principalement par l'octroi de mer. À cet égard, nous avons mandaté un cabinet d'études, représenté aujourd'hui par Nadia Damardji, en vue de fournir des éléments tangibles sur l'incidence de cette taxe dans la structure des prix.

Cette analyse poursuivait plusieurs objectifs : évaluer l'impact réel de l'octroi de mer sur le coût de la vie ; clarifier ses modalités d'application, en explicitant son rôle exact dans la construction des prix ; apporter davantage de transparence, cette taxe faisant l'objet d'une perception erronée dans l'opinion publique.

Nous avons également pris acte de la volonté du Gouvernement, sous l'égide d'Élisabeth Borne, d'engager une refonte de l'octroi de mer. Conscients du besoin impérieux d'apporter des simplifications à ce mécanisme largement méconnu, nous soulignons notre volonté d'accompagner cette réforme.

Notre étude permet d'affirmer que l'octroi de mer ne produit pas d'impact significatif sur la cherté de la vie en outre-mer. Il convient également de souligner que certains l'ont surnommé l'« octroi des maires », eu égard à son rôle clef dans les budgets des collectivités locales. En effet, avec 500 millions d'euros collectés, cette taxe représente une recette dynamique pouvant constituer 25 à 50 % du budget de fonctionnement des collectivités locales à La Réunion. Or, cette ressource est résolument au service de l'ensemble de nos concitoyens.

Dès lors, nous demeurons particulièrement vigilants par rapport à toute évolution qui pourrait affaiblir ce dispositif essentiel aux investissements, au fonctionnement de nos équipements, écoles, restaurants scolaires, et à l'amélioration du cadre de vie en général.

Nous sommes parfaitement ouverts aux discussions et réflexions sur les ajustements permettant une meilleure application de cette taxe. Toutefois, nous insistons sur le fait que toute réforme doit être menée avec rigueur et discernement, en intégrant l'ensemble des facteurs qui influencent la formation des prix.

En effet, de nombreuses études se concentrent exclusivement sur l'octroi de mer, au détriment d'une analyse approfondie d'autres éléments déterminants, tels que : le fret maritime et aérien, qui induit des surcoûts liés à l'éloignement des territoires ; les importateurs et distributeurs, qui appliquent des marges arrière parfois excessives ; les contraintes logistiques et réglementaires, qui impactent les circuits d'approvisionnement.

Ces multiples paramètres expliquent pourquoi les prix ultramarins ne seront jamais strictement équivalents à ceux de l'Hexagone. Si nous représentons des fragments de France disséminés à travers le globe, contribuant ainsi à son rayonnement international, nous demeurons toutefois confrontés à l'isolement structurel et géographique. L'octroi de mer s'inscrit dans cette réalité : il constitue un instrument essentiel de protection pour nos économies locales, face à une concurrence accrue des pays de nos bassins régionaux. Ainsi, la réforme de l'octroi de mer doit impérativement s'intégrer au coeur d'une vision globale et cohérente de la politique économique ultramarine.

Dans cette perspective, le travail de Nadia Damardji constitue une première étape permettant d'appréhender le rôle de l'octroi de mer, d'en mesurer les effets, et d'ouvrir des pistes d'amélioration pour éviter une taxation excessive à plusieurs niveaux de la chaîne de prix. Il s'agit en effet d'oeuvrer ensemble pour que l'octroi de mer ne s'applique qu'une seule et unique fois sur les prix dans nos territoires.

Il convient également de mettre en place des outils de croissance adaptés, créateurs d'emplois et de richesse, afin de conférer aux ultramarins les moyens d'accéder à un niveau de vie plus élevé.

Si la succession rapide des gouvernements complique parfois ce travail de concertation, notre détermination à contribuer à cette réforme demeure sans faille.

Enfin, il me semble pertinent de rappeler quelques réalités chiffrées : à La Réunion, la part de l'octroi de mer se situe légèrement au-dessus de la TVA locale, elle-même distincte de celle appliquée dans l'Hexagone. Pourtant, cette taxe suscite régulièrement des critiques parfois infondées, alors qu'elle constitue une ressource essentielle et un levier fiscal dynamique pour nos territoires.

Mme Nadia Damardji, dirigeante d'Action Publique Conseil. - Lorsque cette étude a été commandée, nous faisions face à l'annonce d'une réforme de l'octroi de mer, sans en connaître les contours exacts. Cette incertitude légitimait l'inquiétude des collectivités eu égard au caractère fondamental de cette ressource, représentant jusqu'à 75 % du budget de certaines communes ultramarines.

Dans ce contexte ambivalent, il semblait impératif de clarifier son fonctionnement, d'évaluer objectivement son impact sur la vie chère et d'apporter des éléments tangibles à ce débat.

Une revue approfondie des nombreuses analyses réalisées depuis 2009 révèle que l'incidence de l'octroi de mer s'avère plus modérée qu'attendu. Quels que soient les commanditaires des études ou les méthodologies employées, les estimations disponibles s'accordent sur une moyenne oscillant de 4,5 à 5 %, tandis qu'une étude de la Fondation pour les études et recherches sur le développement international (Ferdi) met en lumière un écart maximal de 9 %, propre au territoire de La Réunion. Le rapport de la Cour des comptes, souvent invoqué au coeur de ce débat, se limite quant à lui à des conclusions générales, sans démonstration chiffrée.

Forts de ce premier constat, nous nous sommes ensuite attachés à suivre l'intégration de l'octroi de mer dans la chaîne des prix, en analysant minutieusement l'incidence de chaque étape sur le coût final.

Historiquement, l'octroi de mer s'apparente à un droit de douane s'appliquant aux marchandises dès leur arrivée sur le territoire. Cependant, une fois son montant acquitté, l'octroi de mer cesse d'être considéré comme une taxe et disparaît des livres comptables, faute de disposition législative spécifique. L'importateur, ne disposant d'aucun moyen de déduction ou de remboursement de ce montant, l'intègre de bonne foi dans son coût de revient. Ainsi, cette somme échappe à sa nature fiscale en devenant une composante du prix, plutôt que de se voir isolée comme un impôt économiquement neutre.

Cette situation entraîne un phénomène d'accumulation, chaque intermédiaire (entreposage, transport, revente, etc.) appliquant des marges sur un prix déjà majoré, aboutissant ainsi à une augmentation artificielle du prix final. En suivant le parcours d'un bien acheté 100 euros, frappé d'un octroi de mer de 13 euros, nous constatons qu'au terme du processus, le consommateur final en paye 23 euros. La différence de 10 euros, n'étant plus identifiée comme une taxe, échappe ainsi à la collectivité. Ce mécanisme ne résulte d'aucune volonté de contournement, mais d'une contrainte comptable inhérente aux lacunes du dispositif actuel.

De surcroît, ce montant se trouve ensuite soumis à la TVA, en contradiction avec l'article 45 de la loi sur l'octroi de mer disposant que celui-ci ne peut entrer dans l'assiette de cet impôt.

Enfin, l'octroi de mer n'apparaît jamais distinctement sur les factures, renforçant ainsi un climat de défiance et d'incompréhension de la part des consommateurs, qui l'associent automatiquement à la cherté de la vie.

Face à ce « sur-impact », doublé d'une excessive opacité, nous préconisons un modèle plus lisible et plus juste, visant à ce que l'octroi de mer fonctionne véritablement comme une taxe. En collaboration avec plusieurs fiscalistes, nous avons identifié les ajustements nécessaires, induisant notamment une révision législative approfondie. Cette réforme se révèle non seulement envisageable, mais réalisable sans affecter les recettes des collectivités.

Il conviendrait d'abaisser le taux facial de l'octroi de mer tout en garantissant qu'il soit appliqué comme une taxe strictement payée par le consommateur final, sans générer d'effet en cascade sur la formation des prix. Ce dispositif concernerait exclusivement les produits importés sans équivalent local, soit environ 90 % des biens entrant dans les DROM.

En revanche, il ne saurait s'appliquer aux produits fabriqués localement, notamment ceux de première nécessité comme les yaourts, le riz ou l'eau, qui bénéficient d'un soutien via le différentiel d'octroi de mer. Ce mécanisme, autorisé par l'Union européenne au titre de l'article 349 du TFUE, vise à compenser les surcoûts liés aux handicaps structurels et permanents des régions ultrapériphériques. Il permet ainsi aux collectivités d'appliquer une taxation différenciée entre les importations et la production locale afin de préserver l'équilibre économique de ces territoires. À la Martinique, peuplée de 350 000 habitants, soit l'équivalent de deux arrondissements parisiens, la production locale se trouve confrontée à la concurrence redoutable des géants industriels opérant à l'échelle mondiale. Sans compensation adéquate, elle serait condamnée à disparaître. J'utilise à dessein le terme de compensation, car il ne s'agit ni d'une aide ni d'une subvention.

Ainsi, nous envisageons un mécanisme reposant sur une double fiscalité simple et efficace : un système de type TVA appliqué aux produits importés non fabriqués localement, et un octroi de mer réservé aux biens disposant d'un équivalent en production locale. Ce modèle, déjà en place aux Canaries et validé par la Commission européenne, pourrait être transposé sans obstacle juridique majeur aux territoires ultramarins français.

Sans entraîner un effet spectaculaire sur les prix, cette adaptation permettrait toutefois d'annihiler le surcoût engendré par la taxation en cascade, estimé à environ 3,5 % en moyenne. L'enjeu principal réside dans la quête de transparence : il s'agit d'expliciter les montants sur les factures et rendre leur finalité intelligible pour les consommateurs.

À cet égard, il semblerait pertinent de rebaptiser l'octroi de mer en « contribution au développement régional », rappelant ainsi que cette recette finance directement les infrastructures et services publics des territoires.

Concernant la suite du processus, nous demeurons suspendus au silence du Gouvernement depuis plusieurs mois, notamment après l'accueil de deux émissaires venus amorcer le dialogue avec les collectivités.

M. Serge Hoareau. - En effet, nous avons été auditionnés par deux inspecteurs du ministère des Outre-mer et de la Direction générale des outre-mer (DGOM) afin d'examiner les attentes des collectivités sur la réforme de l'octroi de mer. Nous avons insisté sur la nécessité de préserver cette ressource essentielle pour les finances locales et avons obtenu l'assurance qu'il n'était pas dans l'intention de l'État de la supprimer. Les représentants de l'administration ont par ailleurs reconnu l'importance de maintenir le caractère dynamique de cette recette.

Toutefois, nos interlocuteurs se sont montrés évasifs quant aux modalités concrètes de l'évolution envisagée.

Mme Nadia Damardji. - L'annonce d'un retour rapide accompagné d'une étude d'impact approfondie s'est finalement soldée par un silence, certes attribuable aux récents bouleversements politiques et institutionnels. Entre-temps, nous observons la résurgence d'un coupable récurrent : le commerçant. On lui reproche des marges excessives, sans pour autant disposer de données précises pour corroborer cette accusation.

Cette recherche effrénée d'un responsable ne fait qu'exacerber les divisions et occulter la question essentielle, à savoir la dépendance structurelle des économies ultramarines aux importations. Comme l'a souligné Florence Rolland, les autorités se bornent à appliquer des solutions temporaires qui, à terme, ne règlent rien. La proposition de loi récemment évoquée, bien qu'elle soit volontariste, ne constitue qu'un palliatif temporaire. Dénuée d'envergure, cette approche perpétue une double dépendance à la fois financière et matérielle, enfermant ces territoires dans un inlassable schéma de passivité.

L'enjeu s'avère sensiblement plus profond que la simple question des prix. Ces territoires nourrissent des ambitions et méritent de briser l'effet miroir avec l'Hexagone, neutralisant toute réflexion sur leur développement propre. À cet égard, l'étude comparative publiée par l'INSEE contribue à entretenir un prisme trompeur : comparer les prix entre les territoires ultramarins et l'Hexagone sans prendre en compte la diversité des situations économiques et sociales relève d'une approche simpliste. À quoi renvoie l'idée d'un « prix France » ?

Il convient de se montrer prudent sur les discours entretenant l'illusion d'une uniformité fantasmée, laissant croire à une France aux prix justes et homogènes.

Mme Micheline Jacques, président. - Je vous remercie pour ces éléments particulièrement enrichissants. Avant de donner la parole aux rapporteurs, auriez-vous des propositions ou des pistes à nous soumettre ?

Mme Nadia Damardji. - La nécessité d'une transparence accrue représente une piste incontournable, a minima pour les produits non fabriqués localement, quitte à adapter périodiquement les listes concernées en fonction des nouveaux investissements. Cette approche, déjà appliquée depuis des années avec le différentiel d'octroi de mer, fonctionne efficacement. Contrairement à certaines idées reçues, l'Union européenne ne s'oppose pas à ce mécanisme de compensation des surcoûts liés à la production locale, définitivement entériné par l'arrêt Mayotte du 15 décembre 2015. L'octroi de mer bénéficie ainsi d'un cadre juridique stable et reconnu, garantissant un droit dérogatoire pleinement assumé par l'Europe.

Le fret constitue également un enjeu essentiel. Le passage systématique par Le Havre engendre des coûts logistiques excessifs et incohérents. Repenser ces circuits d'approvisionnement permettrait de réduire significativement ces surcoûts.

L'impact de l'extension du BQP, dont l'initiative demeure louable, semble intrinsèquement limité. L'annonce de 6 000 produits concernés peut prêter à confusion : il s'agit en réalité de références commerciales regroupant plusieurs variantes d'un même produit, atténuant la portée de cette mesure. De plus, son application à des produits fabriqués localement susciterait un réel problème d'équilibre économique.

La forte disparité des prix alimentaires par rapport à l'Hexagone s'explique par le poids de la production locale dans l'agroalimentaire, qui représente environ 50 % de l'offre dans certains territoires. À cet égard, l'octroi de mer démontre son efficacité : la production locale parvient à capter entre 40 et 50 % des parts de marché, favorisant l'emploi et répondant aux attentes spécifiques des consommateurs.

Il convient enfin d'accepter le caractère incompressible des coûts inhérents à l'éloignement de nos territoires : la quête d'égalité avec l'Hexagone s'avère économiquement illusoire.

La réponse aux défis actuels ne réside pas dans des ajustements ponctuels, mais dans une profonde transformation systémique. Il s'agit de changer de paradigme en replaçant nos territoires au centre de la carte, et au coeur de nos réflexions.

Mme Jocelyne Guidez, rapporteure. - Je dois reconnaître que mon intérêt pour l'octroi de mer s'est éveillé lorsque j'ai reçu mes factures d'eau et d'électricité, après mes séjours en Martinique. Jusqu'alors, je présumais que cette taxe se limitait exclusivement aux produits importés.

Pourriez-vous m'apporter une explication à ce sujet ?

Mme Nadia Damardji. - L'octroi de mer, conçu comme une taxe pour répondre aux exigences de l'Union européenne, s'applique à la fois aux importations et à la production locale, à un taux souvent symbolique. Cette double taxation permet d'éviter la qualification de droit de douane, refusée par l'Europe. Dans certains territoires comme La Réunion, l'octroi de mer interne est nul, tandis qu'il oscille autour de 2,5 % aux Antilles et peut atteindre 3 % en Guyane.

Les différences de taux entre les territoires, souvent critiquées par la Cour des comptes, répondent pourtant à des choix stratégiques. L'octroi de mer constituant un outil de développement économique, chaque territoire ajuste sa fiscalité en fonction de ses priorités. Certains peuvent ainsi favoriser l'importation de véhicules à faibles émissions ou exonérer les chauffe-eaux solaires.

Ces écarts s'expliquent également par les réalités économiques locales. Par exemple, les Antilles pratiquent le conditionnement du riz en sachet, contrairement à la Guyane. Le processus d'ensachage, considéré comme une production locale par l'administration des douanes, justifie ainsi une taxation plus élevée du riz importé aux Antilles.

Loin d'être arbitraires, ces ajustements tiennent compte des spécificités de chaque territoire.

Mme Évelyne Perrot, rapporteure. - Merci pour votre exposé riche d'enseignements. Je m'interroge sur la genèse de l'octroi de mer : depuis quand existe-t-il ?

Mme Nadia Damardji. - Initialement baptisé « droit des poids », il subsiste depuis le 17e siècle. Ne dit-on pas qu'un vieil impôt est un bon impôt ?

Mme Évelyne Perrot, rapporteure. - En tout état de cause, il semble essentiel d'apporter des informations claires et accessibles aux populations concernant cette taxe.

Par exemple, lors de l'importation d'un véhicule ne subissant aucune transformation ultérieure, l'octroi de mer est-il le seul prélèvement appliqué ?

Mme Nadia Damardji. - Lorsqu'il s'agit d'une importation à titre personnel, l'octroi de mer s'applique directement à la valeur d'importation.

Cependant, pour les produits commercialisés, des marges peuvent être ajoutées à chaque étape de la chaîne de vente, ce qui peut influencer le prix final payé par le consommateur.

Il s'agit d'un schéma doublement perdant : le consommateur s'acquitte d'un prix artificiellement élevé, tandis que la collectivité ne perçoit la taxe qu'une fois, sans tenir compte des majorations successives.

Mme Viviane Artigalas, rapporteure. - Je salue votre engagement à dépasser les conclusions de la Cour des comptes, qui éludent parfois le poids des spécificités locales.

La question de la concurrence, peu abordée, m'interroge particulièrement. Dans ma région touristique de montagne, par exemple, les commerces locaux affichent des prix élevés. Néanmoins, plusieurs grandes surfaces proposent des tarifs plus compétitifs, à quelques minutes de route.

Une concurrence renforcée pourrait-elle faire baisser les prix aux outre-mer ?

Mme Nadia Damardji. - Le manque de concurrence résulte mécaniquement de la conjoncture démographique, à savoir une population décroissante, de surcroît concentrée sur des territoires particulièrement denses. Les mesures coercitives proposées dans le projet de loi, comme limiter à 25 % la part de marché des grandes enseignes, pourraient s'avérer peu efficaces si les acteurs jugent le marché non rentable. Il appartient certes aux organismes de régulation de surveiller les pratiques concurrentielles. Toutefois, des solutions trop contraignantes pourraient produire un effet pervers en aggravant la situation.

Mme Jocelyne Guidez, rapporteure. - L'octroi de mer s'applique-t-il au commerce en ligne ?

Mme Nadia Damardji. - Absolument, les marchandises issues du commerce en ligne constituent des importations qui demeurent taxées au titre de l'octroi de mer.

M. Serge Hoareau. - L'étroitesse du marché, évoquée par Nadia Damardji, rend difficile la mise en concurrence. De plus, l'économie de comptoir favorise les situations monopolistiques, souvent au détriment des consommateurs.

Outre les grandes surfaces, cet enjeu concerne également l'importation des produits pétroliers. À La Réunion, les tentatives de diversification se heurtent à des blocages, maintenant un système verrouillé qui n'encourage ni la concurrence ni des prix favorables aux consommateurs.

Même dans des secteurs où la concurrence semble effective, comme les transports aériens, l'entente des compagnies sur les tarifs favorise les revenus élevés. Il en va de même pour l'alimentation : tant qu'il existe une clientèle disposée à payer des prix exorbitants, les distributeurs ne voient aucun intérêt à réduire leurs marges, y compris sur la production locale. À titre d'exemple, certains Réunionnais achètent, en pleine saison des fruits, un kilo de litchis à plus de 4 euros.

Face à cette réalité, il apparaît nécessaire d'introduire davantage de régulation et de contrôle. En effet, les dispositifs législatifs limitant les parts de marché des grandes surfaces se voient régulièrement éludés par des subterfuges comme la multiplication de noms d'enseignes au sein d'un même groupe. De même, la présence du plus grand Décathlon de France à La Réunion, pour 900 000 habitants, soulève des questions. Il semblerait qu'une partie de la population s'accommode de cette situation, aux équilibres pourtant fragiles.

Ainsi, le commerce et ses dérives monopolistiques constituent des enjeux particulièrement complexes dans nos territoires. Les acteurs économiques doivent certes opérer dans une logique de profit, visant à assurer leur pérennité et celle de leurs employés. Cependant, il existe des cas de position dominante qui, inévitablement, impactent les prix affichés et pèsent sur les consommateurs. Certains groupes, actuellement au centre des critiques, gagneraient peut-être davantage à jouer le jeu d'une concurrence équitable.

M. Georges Naturel. - Il apparaît fondamental de clarifier la notion de « vie chère » dans les territoires ultramarins, où les réalités diffèrent significativement de l'Hexagone. Je me joins également aux différents intervenants quant au caractère essentiel de l'octroi de mer pour la vie des territoires, justifiant les interrogations sur son évolution législative.

Permettez-moi également de mentionner la Nouvelle-Calédonie. Avec son autonomie fiscale et sa TVA locale (taxe générale sur la consommation), elle offre un exemple de gestion des ressources dévolues aux collectivités, intégrant également des débats réguliers sur la protection de la production locale.

À cet égard, il semblerait également pertinent d'explorer davantage le potentiel du commerce régional.

Je vous remercie pour la richesse des éléments présentés, qui contribueront sans nul doute à faire évoluer nos perspectives.

Mme Marie-Laure Phinera-Horth. - Madame Nadia Damardji, votre présentation éclairante mériterait une plus vaste diffusion. En effet, en Guyane, l'octroi de mer demeure largement incompris et alimente de nombreuses rancoeurs. La dépendance aux importations pèse lourdement sur le coût de la vie, et nos habitants, confrontés à une précarité croissante, dénoncent l'inaction des élus sans mesurer l'importance de produire localement. La proximité du Brésil encourage par ailleurs les contournements douaniers pour obtenir de la viande bovine, évitant ainsi le surcoût du transit par l'Hexagone.

Ma question est la suivante : outre les taxes sur la consommation, quelles alternatives permettraient de protéger le pouvoir d'achat des ultramarins tout en garantissant les ressources des collectivités locales ?

M. Saïd Omar Oili. - Vous évoquez la nécessité d'un modèle sociétal propre à chaque territoire, afin d'éviter les perpétuelles frustrations. Pourriez-vous préciser votre pensée ?

Tandis que Mayotte subit des coûts de production particulièrement élevés, les normes européennes restreignent l'importation des produits voisins, comme Madagascar ou le Kenya. Quelle solution envisagez-vous face à cette contrainte ?

Enfin, comment expliquez-vous les tarifs plus élevés des frais financiers ultramarins, qui ne subissent ni taxe ni transport ?

Mme Nadia Damardji. - Concernant les frais financiers, nous travaillons actuellement avec plusieurs collectivités à la préparation des rapports de justification pour le différentiel d'octroi de mer, attendus par l'Union européenne. Les données, faisant état d'un écart de 30 à 44 % par rapport à l'Hexagone, s'expliquent principalement par la perception d'un risque accru de la part des établissements bancaires.

Cette situation se traduit par des conditions de financement plus restrictives et coûteuses, et, dans certains cas, par un non-accès total au crédit bancaire. Les solutions de financement propres, engageant les biens personnels, aggravent ainsi les difficultés.

En parallèle, certaines entreprises confrontées à des risques industriels majeurs voient leur contrat résilié par leurs assureurs locaux. Contraintes de se tourner vers des compagnies internationales, elles subissent des tarifs majorés de 39 % par rapport à leurs contrats initiaux.

Cette situation, combinée à l'absence de mutualisation nationale des risques de catastrophes naturelles, appelle à une réflexion sur une péréquation nationale pour réduire l'accumulation de surcoûts.

Mme Florence Rolland. - Nos territoires souffrent d'une défiance structurelle envers l'État, exacerbée par un manque de transparence. Il semble indispensable d'expliciter de manière pédagogique des éléments souvent mal compris, à l'instar de l'impact réel de l'octroi de mer sur la vie chère. Cette démarche salutaire contribuerait à déconstruire efficacement le discours récurrent qui attribue systématiquement nos difficultés à l'État.

Ensuite, nos territoires, forts de leur connaissance intime des réalités locales, doivent impérativement prendre l'initiative de proposer des solutions pérennes. Il s'agit de dépasser les mesures palliatives, tristement comparables à des « rafistolages », pour imposer des réponses structurelles adaptées à nos situations spécifiques, telles que la double ou triple insularité alourdissant les coûts à Marie-Galante.

Par ailleurs, l'exode de notre jeunesse constitue un enjeu critique. Il nous appartient d'offrir des perspectives locales attractives, en créant des emplois et en garantissant des revenus décents.

Ce nouveau paradigme ne peut advenir que par l'initiative des ultramarins eux-mêmes, en s'appuyant sur l'expertise et la légitimité essentielles à l'édiction de mesures véritablement adaptées.

Mme Micheline Jacques, président. - Merci, Madame la Présidente, pour vos propos si éclairants. Votre approche pragmatique s'inscrit dans l'esprit de nos travaux, notamment sur les initiatives de coopération régionale par bassins océaniques.

La crise actuelle à Mayotte en offre une illustration concrète : les délais et les coûts de reconstruction se trouvent aggravés par l'importation de bois de charpente depuis la Lettonie, alors même que des filières plus proches, en Afrique de l'Est, au Kenya, en Afrique du Sud ou à Madagascar, pourraient faciliter ce processus. Cette situation met en lumière l'opportunité de faire de la reconstruction de Mayotte un véritable laboratoire de la coopération régionale, démontrant que nos territoires insulaires peuvent s'inscrire dans des dynamiques vastes et ambitieuses.

La proximité du Brésil, du Suriname, de l'Amérique du Sud et de l'Amérique du Nord illustre également le potentiel inexploité de certaines coopérations avec la Guyane.

Quoi qu'il advienne, nous serions ravis de continuer à bénéficier de votre expertise pour enrichir nos travaux sur ces problématiques passionnantes.

Jeudi 30 janvier 2025

- Présidence de Mme Micheline Jacques -

Audition de Jocelyn Cavillot, vice-président de l'OPMR de La Réunion

Mme Micheline Jacques, président. - Chers collègues, nous poursuivons nos travaux sur la lutte contre la vie chère, avec l'audition de Monsieur Jocelyn Cavillot, vice-président de l'Observatoire des prix, des marges et des revenus (OPMR) de La Réunion. Il s'agit de l'un des sept observatoires existant actuellement dans les DOM. Créé en 2007, il a pour principale mission d'étudier le coût de la vie à La Réunion et le pouvoir d'achat de ses habitants.

Nous vous remercions, Jocelyn Cavillot, pour votre disponibilité. Nous avons souhaité examiner avec vous les principaux facteurs de renchérissement des prix, notamment sur les produits du quotidien, et les dépenses automobiles.

Pour sa première assemblée plénière de l'année 2025, l'OPMR a livré son avis sur l'évolution des prix des biens de consommation achetés à La Réunion en 2024 et mis en évidence le manque de transparence sur certains produits.

Nous sommes particulièrement à l'écoute des réformes prioritaires que vous préconisez pour faire baisser structurellement les prix, au regard du bilan que vous dressez.

Ensuite, je demanderai aux rapporteurs et collègues de vous soumettre leurs questions.

Monsieur le vice-Président, vous avez la parole.

M. Jocelyn Cavillot, vice-président de l'OPMR de La Réunion. - Madame le Président, Mesdames les sénatrices, Messieurs les sénateurs, je vous remercie de recueillir la voix de l'OPMR de La Réunion sur ces enjeux cruciaux.

Face aux défis liés à la vie chère et à la pression sur le pouvoir d'achat dans nos territoires, les OPMR se trouvent régulièrement au centre des discussions, sollicités pour apporter des éclairages ou des pistes de solution. Toutefois, leurs prérogatives demeurent limitées, voire inexistantes, pour traiter les problématiques liées aux marges ou aux relations économiques entre acteurs.

Malgré ces contraintes, nous mettons en oeuvre plusieurs initiatives pour approfondir la compréhension de ces mécanismes. En parallèle d'une étude menée avec un prestataire externe sur le secteur agroalimentaire, un partenariat avec l'INSEE nous permet d'analyser l'évolution de l'indice des prix à la consommation selon la typologie des ménages. Les premiers résultats indiquent que l'inflation impacte de manière significativement inégale les ménages en fonction de leur composition.

Enfin, l'OPMR pilote un projet ambitieux sur la formation des prix. Après avoir étudié le rôle de la grande distribution, nous élargirons l'analyse aux importateurs, à la production locale et aux services portuaires, qui influencent fortement la chaîne des prix dans nos territoires.

Mme Jocelyne Guidez, rapporteure. - Comment réduire l'impact du fret sur les prix de produits à faible valeur ajoutée ? Avez-vous chiffré une éventuelle réforme de l'aide au fret ?

Quelles améliorations identifiez-vous pour réduire l'impact de l'octroi de mer sur les prix ?

Par ailleurs, je m'interroge sur l'étude menée en 2017 par l'OPMR sur les coûts de passage portuaire et la fiscalité des biens en provenance de l'Hexagone. Quelles en sont les conclusions et ont-elles été actualisées ?

M. Jocelyn Cavillot. - L'étude sur la formation des prix met en lumière plusieurs facteurs d'augmentation des coûts : le fret, la double manutention logistique entre l'Hexagone et les ports ultramarins, les services portuaires, l'octroi de mer, la chaîne logistique locale ainsi que certaines taxes spécifiques, comme celles sur le lait ou la viande.

L'écart significatif des prix de l'automobile, par exemple, ne s'explique pas exclusivement par le coût du fret, estimé à environ 1 000 euros. Malgré une TVA locale inférieure à celle de l'Hexagone (8,5 % contre 20 %), les écarts de prix demeurent difficilement compréhensibles, particulièrement pour les véhicules électriques exonérés d'octroi de mer.

Si la réduction des coûts du fret peut contribuer à alléger le prix des produits importés, elle ne doit pas fragiliser la production locale, en particulier l'industrie agroalimentaire qui constitue un levier essentiel pour le pouvoir d'achat. Ainsi, il convient de concilier l'intérêt des consommateurs avec les enjeux économiques territoriaux.

S'agissant des frais portuaires, notre étude concluait à des coûts de passage raisonnables. Or, depuis 2017, la taxe sur les marchandises a été multipliée par cinq, passant de 0,5 à 2,5 %. S'il semble difficile, à ce stade, de statuer sur la légitimité de cette mesure, les acteurs économiques expriment de vives préoccupations sur l'augmentation des coûts liés aux conteneurs réfrigérés, aggravée par les délais de contrôles sanitaires et le manque de capacité de stockage.

Mme Évelyne Perrot, rapporteure. - Concernant le secteur automobile, identifiez-vous des éléments supplémentaires pour expliquer les écarts de prix avec l'Hexagone ? De quels éléments disposez-vous concernant les véhicules neufs et le marché de l'occasion ?

Enfin, quelles sont les conclusions des études réalisées sur les pièces détachées (2015) et sur le prix des carburants (2020), et ont-elles été actualisées ?

M. Jocelyn Cavillot. - Le coût d'acquisition des véhicules s'accompagne de frais de fonctionnement élevés, dans un contexte marqué par l'insuffisance des réseaux de transport collectif. Par ailleurs, l'étude de 2015 faisait état d'un écart de prix supérieur à 15 % par rapport à l'Hexagone. Bien que ces données n'aient pas été actualisées, on observe aujourd'hui un secteur automobile profondément marqué par des écarts préoccupants.

Concernant le carburant, notre étude a mis en lumière les effets de la régulation instaurée par un arrêté de 2013, encadrant les marges de la SRPP (stockage), des pétroliers (vente en gros) et des stations-service (vente au détail). Si ce dispositif garantit chaque mois un prix plafond, permettant notamment de contenir l'impact des fluctuations internationales, les stations-service renoncent collectivement à appliquer des prix plus bas.

S'agissant de l'activité de stockage exercée en monopole, le décret prévoit une rémunération des capitaux à 9 %, incluant également les résultats mis en réserve. Il conviendrait de réviser ce taux, largement supérieur aux standards actuels.

De plus, la réglementation prévoit une séparation stricte entre les activités de grossiste et de détaillant. Cependant, la concentration du marché, avec plus de 70 % des stations détenues par les pétroliers, place les gérants dans une position de dépendance, générant des tensions sur les marges.

De ce fait, nous appelons à une révision de ces dispositifs afin de rétablir l'équilibre entre les différents acteurs économiques.

Enfin, l'indemnité de précarité des gérants (IPG), instaurée en 2022, suscite également des interrogations. Sans remettre en cause la légitimité de cette indemnité versée en cas de perte de l'outil de travail, la commission carburant de l'OPMR formule trois critiques majeures à l'encontre de cette mesure : son versement en cas de reconduction du contrat en fait un complément de rémunération plutôt qu'une réelle compensation ; la contribution de 0,275 centime par litre, intégralement supportée par les consommateurs, semble contestable eu égard à la responsabilité des pétroliers, à l'origine de la rupture d'un contrat ; un prélèvement de 0,15 centime par litre suffirait à couvrir les besoins, estimés à 800 000 euros par an. Or, le taux actuel correspond à plus de 1,4 million d'euros collectés, créant un excédent non justifié.

Mme Viviane Artigalas, rapporteure. - Vous mentionnez une étude en cours sur les produits alimentaires. Disposez-vous déjà de premiers résultats sur les principaux facteurs d'augmentation des prix, notamment sur les produits du quotidien ?

Concernant le groupe de travail sur la formation des prix et la grande distribution, avez-vous identifié des éléments confirmant un manque de concurrence ou des marges excessives comme causes de la vie chère ?

Par ailleurs, constatez-vous un plus grand nombre d'intermédiaires outre-mer, et avez-vous pu quantifier leur impact sur les prix ?

Enfin, pensez-vous qu'une réorientation des flux commerciaux vers le marché régional et une adaptation des normes européennes pourraient contribuer à faire baisser les prix ?

M. Jocelyn Cavillot. - Les premiers résultats de notre étude sur le secteur agroalimentaire seront dévoilés au premier semestre 2025.

Le groupe de travail sur la transparence des prix, quant à lui, a déjà mis en évidence plusieurs enjeux tels que les manquements à l'obligation légale de déclaration des comptes ou le non-respect d'un décret imposant la transmission automatique des tickets de caisse, pourtant appliqué dans l'Hexagone depuis 2020. Afin d'accompagner l'INSEE à traiter ce volume de données considérable à La Réunion, nous proposons notamment la remontée d'un échantillon représentatif de 60 familles, soit près de 5 000 produits. Il serait également envisageable de transmettre ces informations aux directions générales compétentes, qu'il s'agisse de l'INSEE ou de la DGCCRF, disposant de l'expertise nécessaire sur ce type de traitement. Cet outil, basé sur l'analyse des codes-barres, nous semble essentiel à une meilleure compréhension des prix, en facilitant les comparaisons pertinentes avec ceux de l'Hexagone.

Les marges arrière, utilisées de façon opaque par la grande distribution, retiennent également notre attention. Initialement conçues pour bénéficier aux consommateurs, elles se voient fréquemment instrumentalisées en vue d'améliorer les résultats financiers des grandes enseignes. Ainsi, nous plaidons pour leur suppression afin de garantir davantage de transparence dans la structuration des prix.

Notre étude sur la formation des prix, menée sur une liste de 21 produits alimentaires, révèle également l'impact des différents coûts intermédiaires : le fret (13 %), l'octroi de mer (13 %), la logistique locale (9 %) et les marges de la grande distribution (22 %), entraînant un renchérissement total de 79 %. Toutefois, ces coûts varient selon les groupes économiques et leurs stratégies internes. Dès lors, nous recommandons la réalisation d'une enquête approfondie par les institutions disposant d'une importante capacité d'investigation, comme l'Autorité de la concurrence ou l'Inspection générale des finances.

Enfin, nous envisageons d'élargir cette analyse à d'autres catégories de produits, l'impact des coûts d'approche et de fret variant selon la valeur des marchandises. Suivant les acteurs de la grande distribution, la valeur optimale d'un conteneur s'établirait entre 80 000 et 90 000 euros, permettant ainsi de répartir les frais entre produits de faible et de forte valeur. Dans le secteur alimentaire, où la valeur des produits s'avère généralement moins élevée, l'équilibrage du chargement devient crucial pour limiter les surcoûts. En revanche, pour les marchandises à forte valeur ajoutée, l'impact du fret devrait demeurer marginal.

Une réflexion plus vaste permettrait ainsi d'appréhender précisément ces surcoûts et d'identifier les leviers d'optimisation, de surcroît dans un contexte économique dominé par les importations.

Mme Micheline Jacques, président. - Merci, Monsieur le vice-président. Permettez-moi une dernière question : avez-vous constaté un impact financier sur le coût du fret depuis la crise des Houthis au Yémen qui perturbe le trafic en mer Rouge ?

Avant de vous laisser répondre, je précise que nous accueillerons volontiers vos contributions écrites, et vous remercie pour vos éclairages précieux sur ce sujet.

M. Jocelyn Cavillot. - Merci, Madame le Président. Je ne manquerai pas de vous faire parvenir mon intervention par écrit.

L'épisode du Covid-19 avait déjà considérablement perturbé le circuit d'approvisionnement maritime, entraînant une hausse des coûts et une désorganisation logistique. Depuis, la situation semble stabilisée, sans toutefois retrouver le niveau des tarifs antérieurs à la pandémie.

Concernant la crise des Houthis, je n'ai pas constaté de difficulté majeure liée au trafic maritime. Si certains signalent un allongement des délais dû à l'évitement des détroits affectés par les attaques, il convient de souligner que La Réunion bénéficie d'un positionnement stratégique sur la route maritime entre l'Asie du Sud-Est et l'Europe. Ainsi, les répercussions de cette crise demeurent, à ce stade, relativement limitées.

Mme Micheline Jacques, président. - Merci infiniment à toutes et à tous.