Mercredi 29 janvier 2025

- Présidence de M. Jean-François Longeot, président -

La réunion est ouverte à 9 h 30.

Ouverture à la concurrence du transport ferroviaire de voyageurs - Audition de MM. Christophe Fanichet, président-directeur général de SNCF Voyageurs, Marco Caposciutti, président de Trenitalia France, Mmes Alix Lecadre, directrice ferroviaire France de Transdev, et Paloma Baena, directrice générale de la stratégie globale de Renfe Operadora

M. Jean-François Longeot, président. - Je salue la présence d'un nouveau commissaire, Jean-Marc Delia, sénateur des Alpes-Maritimes, qui succède à Philippe Tabarot, entré au Gouvernement en tant que ministre des transports. Soyez le bienvenu, cher collègue, au sein de la commission de l'aménagement du territoire et du développement durable.

Nous sommes réunis aujourd'hui pour aborder l'ouverture à la concurrence du transport ferroviaire de voyageurs lourde d'enjeux.

Comme vous le savez, la loi du 27 juin 2018 pour un nouveau pacte ferroviaire a transposé en droit national le principe européen d'ouverture à la concurrence. Ce texte a également transformé la SNCF, organisée en plusieurs entités, dont le gestionnaire du réseau ferré national, SNCF Réseau, et l'opérateur ferroviaire, SNCF Voyageurs.

Trois types de lignes sont concernées par l'ouverture à la concurrence : les lignes à grande vitesse, dans le cadre des services librement organisés (SLO), les trains d'équilibre des territoires (TET), c'est-à-dire les Intercités, dont l'État est l'autorité organisatrice, et les lignes Transilien et de transport express régional (TER), dont les régions sont l'autorité organisatrice.

Quelques grandes dates ont marqué cette ouverture à la concurrence : depuis décembre 2019, les autorités organisatrices de la mobilité (AOM), État et régions, peuvent lancer des appels d'offres pour leurs marchés conventionnés - Intercités et TER. Transdev commencera ainsi sous peu l'exploitation des TER entre Marseille et Nice en région Provence-Alpes-Côte d'Azur ; depuis décembre 2020, les lignes à grande vitesse sont accessibles dans le cadre d'un SLO ; et depuis décembre 2023, les AOM ont l'obligation de lancer des appels d'offres pour l'exploitation de lignes, dans un délai maximal de dix ans. Toutes les lignes de TER et de TET seront donc ouvertes à la concurrence d'ici à 2033. Un très grand nombre d'appels d'offres sont en train d'être lancés. Nous sommes à un moment charnière de ce processus.

Afin d'aborder ces questions, nous recevons aujourd'hui des représentants de l'opérateur historique et des opérateurs alternatifs : Christophe Fanichet, président-directeur général de SNCF Voyageurs, Marco Caposciutti, président de Trenitalia France, Alix Lecadre, directrice ferroviaire France du groupe Transdev, et Paloma Baena, directrice générale de la stratégie globale de Renfe Operadora.

C'est à présent en ma qualité de rapporteur budgétaire que j'aurais quelques questions liminaires à vous poser.

Il est aujourd'hui opportun de dresser un bilan d'étape de l'ouverture à la concurrence. Pour l'Autorité de régulation des transports (ART), la concurrence a trois vertus principales : elle favorise une baisse des coûts des entreprises ferroviaires - la pression concurrentielle les incitant à rationaliser leurs coûts pour protéger leur rentabilité face aux acteurs les plus innovants ou les plus efficaces -, conduit à une amélioration de la qualité de service et à une diversification de l'offre et entraîne une hausse de la fréquentation et, par suite, des revenus du gestionnaire d'infrastructure - ce qui permet d'améliorer la qualité du réseau et, partant, de l'offre.

Or, ces avantages peinent à se matérialiser. L'opérateur historique exerce encore un quasi-monopole de fait sur le SLO, à quelques exceptions près, dont l'axe Paris-Lyon. Pour le transport conventionné, il me paraît également opportun de réaliser un premier retour d'expérience sur les préparatifs de l'exploitation de la ligne Marseille-Nice par Transdev.

Mes deux premières questions concernent donc ces deux segments. Quelles transformations ont-elles été permises par l'arrivée de Trenitalia sur le segment Paris-Lyon ? Quelles leçons tirer des préparatifs de l'exploitation de la ligne Marseille-Nice par Transdev ? En particulier, comment les transferts de personnel se déroulent-ils ?

Cette situation montre qu'il subsiste encore de nombreux freins au fonctionnement de l'ouverture à la concurrence, qui seront le thème de ma deuxième série de questions.

Le premier d'entre eux, qui est en quelque sorte l'éléphant dans la pièce, est le niveau des péages ferroviaires, qui est le plus élevé d'Europe. Selon l'Association française du rail, qui fédère les opérateurs alternatifs, « cette tarification élevée représente un frein réel au développement de nouveaux services, et plus généralement au développement du ferroviaire. L'augmentation des coûts d'accès impacte directement la rentabilité et la compétitivité des services, rendant l'ouverture à la concurrence plus difficile ».

Quel regard portez-vous sur le niveau des péages ferroviaires ? Vous semble-t-il possible que leur diminution puisse provoquer une augmentation des recettes liée à une hausse des circulations ? Comment dupliquer l'exemple italien ? La saturation des capacités de production de matériel roulant obère-t-elle ce scénario pour les prochaines années ?

Cette question de la pénurie de matériel roulant interroge également sur la capacité de SNCF Voyageurs à optimiser son utilisation : les rames TER de SNCF Voyageurs parcourent nettement moins de kilomètres que la moyenne européenne. J'ai donc une question à l'intention de M. Fanichet : comment cette situation s'explique-t-elle et comment y remédier ? Serait-il pertinent de transférer la propriété de certaines rames à une entreprise de location de matériel roulant ? Par ailleurs, comment expliquer la diminution du nombre de rames de TGV de SNCF Voyageurs depuis dix ans, à contresens de l'augmentation de la demande ?

Le troisième frein à l'ouverture à la concurrence est le mauvais état de l'infrastructure ferroviaire française et la médiocrité du niveau de service rendu par le gestionnaire d'infrastructure. Notre commission s'est exprimée à de nombreuses reprises sur l'insuffisance du contrat de performance entre l'État et SNCF Réseau et sur le sous-financement du réseau. La lenteur de sa modernisation, notamment concernant la commande centralisée du réseau (CCR) et le système européen de gestion du trafic ferroviaire (ERTMS), est également problématique. En quoi cette situation rend-elle plus difficile l'ouverture à la concurrence ?

Le gestionnaire d'infrastructure est amené à fermer certains segments à la circulation afin d'effectuer des travaux. Pour réduire ses coûts d'intervention, il programme des plages de fermeture plus longues, sans prendre en compte les besoins des opérateurs. Comment le gestionnaire d'infrastructure pourrait-il, selon vous, mieux s'adapter à leurs demandes ?

Un dernier frein à ce processus d'ouverture effective à la concurrence concerne les TER. Comme le souligne l'ART, « la réussite de l'ouverture à la concurrence repose notamment sur le fait que plusieurs opérateurs soumettent des propositions solides lors des appels d'offres TER des régions et se positionnent en cela comme des concurrents crédibles de SNCF Voyageurs ». Or, à part Transdev, aucun opérateur alternatif n'a remporté d'appel d'offres pour le moment. Les procédures sont en effet lourdes, coûteuses et fréquentes. Compte tenu du nombre élevé d'appels d'offres dans les prochaines années, il est probable que, dans de nombreux cas, SNCF Voyageurs soit le seul candidat crédible à se lancer dans la procédure. Quelles seraient les solutions pour éviter ces difficultés et rendre effective l'ouverture à la concurrence du transport ferroviaire conventionné ?

J'en viens maintenant aux nouveaux défis que pose l'ouverture à la concurrence du transport ferroviaire de voyageurs.

Lors de l'examen du projet de loi pour un nouveau pacte ferroviaire en 2018, notre commission s'était inquiétée des conséquences de l'ouverture à la concurrence des lignes à grande vitesse pour l'aménagement du territoire. En effet, la SNCF assure des liaisons rentables, mais également des liaisons déficitaires entre lesquelles existe une forme de péréquation économique. C'est une forme implicite de mission de service public. L'ouverture à la concurrence menace ce modèle et pourrait conduire à la fermeture de certaines lignes, sauf à ce que l'État les soutienne financièrement. Cette dernière solution ne me paraît pas opportune : les lignes rentables seraient privatisées, tandis que les moins rentables seraient à la charge du contribuable.

Face à ces risques, notre commission avait décidé à l'unanimité en 2018 d'introduire dans la loi la possibilité pour l'État de conclure des contrats de service public pour l'exploitation des services de transport ferroviaire de personnes pouvant inclure des services à grande vitesse. Ces derniers peuvent comprendre des services rentables et des services ne couvrant pas leurs coûts afin d'assurer une forme de péréquation à l'intérieur des lots privatisés. Pensez-vous qu'il soit opportun de déroger au principe d'open access du SLO afin de prévoir l'attribution de sillons par lots comprenant des dessertes plus ou moins rentables ? De façon alternative ou complémentaire, SNCF Réseau pourrait-elle moduler le tarif des péages ferroviaires, en allant éventuellement jusqu'à un niveau supérieur au coût total de service sur les lignes les plus rentables, afin de le réduire sur les lignes moins attractives jouant un rôle d'aménagement du territoire ?

J'en viens à ma dernière question, qui porte sur l'expérience des usagers. L'ouverture à la concurrence ne doit pas mener à une complexification du parcours des voyageurs. Or, la réservation des billets, qui s'effectue généralement sur l'application SNCF Connect, conduit inévitablement à invisibiliser l'offre des opérateurs alternatifs. Comment permettre aux voyageurs, notamment en cas de voyage avec correspondance, d'acheter des billets aux meilleurs tarifs et en prenant en compte les réductions dont ils bénéficient sans utiliser de multiples plateformes nationales et régionales ? Comment résoudre les difficultés posées par des retards et ruptures de correspondance entre trains de compagnies différentes ?

M. Christophe Fanichet, président-directeur général de SNCF Voyageurs. - Je crois, Monsieur le Président, que c'est la première fois depuis le vote de la loi pour un nouveau pacte ferroviaire en 2018 que nous avons l'occasion de rendre compte spécifiquement de ce sujet devant la représentation nationale, et devant votre commission en particulier.

La société anonyme (SA) SNCF Voyageurs a été créée par le législateur au travers de la loi du 27 juin 2018 pour un nouveau pacte ferroviaire. Elle a commencé ses opérations le 1er janvier 2020 au sein du nouveau groupe public unifié SNCF et célèbre cette année ses cinq ans. Je représente donc une entreprise assez jeune, détenue à 100 % par la holding SNCF SA, à laquelle a été confiée la tâche de réussir la transition entre l'ex-monopole historique et l'ouverture des marchés à la concurrence dans le cadre fixé par la loi.

Nous avons collectivement une grande chance qui facilite cette transition : elle arrive à un moment de croissance où les Français ont exprimé leur envie de train. Que ce soit pour les transports conventionnés ou pour la grande vitesse commerciale, nous enregistrons une dynamique de croissance de tous les trafics grâce aux politiques menées par l'État, les régions et Île-de-France Mobilités en faveur des TET.

Le TER enregistre ainsi une progression de la fréquentation de 10 % en 2024 et de 33 % en cinq ans. En Île-de-France, les lignes de Transilien ont transporté 10 % de voyageurs supplémentaires en 2024, un chiffre tiré, bien sûr, par les jeux Olympiques. Sur la longue distance conventionnée, les trains Intercités enregistrent une hausse de la fréquentation de 8 % en 2024 et de 35 % en cinq ans grâce à 40 nouvelles destinations en train de jour et en train de nuit lancées à l'initiative de l'État. Enfin, s'agissant de la grande vitesse, le TGV a transporté 126 millions de voyageurs en France en 2024, soit une augmentation de 4,5 % en un an et de 14 % en cinq ans.

Chaque jour, nous transportons donc 5 millions de voyageurs, soit l'équivalent de 7,5 % de la population nationale, et ce grâce au travail de 65 000 cheminots. Le dialogue social a d'ailleurs été apaisé dans la période récente. Je sais que les idées reçues ont la vie dure, mais c'est pourtant une réalité tangible, surtout à l'heure ou le monopole historique a laissé place à une activité concurrentielle.

Notre activité se divise en deux catégories, qui évoluent désormais dans la concurrence, mais dans des cadres très différents.

Notre premier secteur d'activité est le transport de voyageurs dans le cadre des délégations de service public (DSP) organisées et financées par les régions et par l'État. Je rappelle à ce propos que 90 % des voyageurs que nous transportons sont des voyageurs du quotidien. Du reste, le transport conventionné représente l'immense majorité de notre activité, avec 4,5 millions de voyageurs par jour. Il faut également souligner que les trois quarts du coût du service sont assumés par les pouvoirs publics, le voyageur n'en finançant qu'un quart, ce qui n'est pas le cas chez notre véritable concurrent : la route.

La concurrence dans le secteur conventionné en est à ses premiers pas, mais il me semble que le premier bilan que nous pouvons en dresser est plutôt positif. Sur les huit premiers appels d'offres, cinq ont été remportés par SNCF Voyageurs. Autrement dit, trois ont été attribués à d'autres opérateurs - Transdev, Transdev-NGE et la RATP.

C'est aussi la preuve que ces premiers appels d'offres ont permis une véritable compétition entre les différents opérateurs, pour une meilleure qualité de service pour les voyageurs et des coûts moindres pour les autorités organisatrices.

Cela confirme également que SNCF Voyageurs a su mener, le travail de fond et de transformation nécessaire pour répondre aux exigences de ce nouveau contexte concurrentiel. Les trois sociétés dédiées, qui résultent des appels d'offres lancés par les régions, sont aujourd'hui en exploitation dans les régions Provence-Alpes-Côte d'Azur, Pays de la Loire et Hauts-de-France.

Pour autant, je sais que cette évolution soulève des enjeux importants, en particulier en matière de qualité de service et de fluidité du parcours client. Sur le premier point, l'ouverture à la concurrence ne va pas changer les fondamentaux de la qualité de service. Je pense notamment à la robustesse des plans de transport ou à l'amélioration des taux de disponibilité du matériel roulant.

Les résultats sont là : la qualité de service TER, par exemple, a nettement augmenté ces dernières années, à l'image des 91,6 % de trains à l'heure en 2024, alors que la fréquentation a progressé de 10 % sur la même période. Pour réaliser cette performance, nous avons fortement diminué le poids des causes d'irrégularité qui nous étaient imputables. Les causes externes, que nous ne contrôlons pas, pèsent toujours fortement et représentent les deux tiers des causes d'irrégularité. Sur le long terme, la concurrence ne pourra pas à elle seule améliorer la qualité de service. Seuls les investissements dans l'infrastructure et le matériel roulant peuvent permettre des améliorations durables.

Il y a parfois des débats et des interrogations sur la manière dont cette ouverture à la concurrence se déroule concrètement. De mon point de vue, et je m'appuie en cela sur les enseignements des années écoulées, les garde-fous et dispositifs mis en place par le législateur permettent aujourd'hui de garantir l'égalité entre les candidats aux appels d'offres. Les calendriers des appels d'offres sont fixés par les AOM et les opérateurs choisissent ensuite d'y répondre ou non. D'après moi, il n'y a pas ici de barrière à l'entrée, car SNCF Voyageurs et ses principaux concurrents ici présents sont de grandes entreprises comptant entre 70 000 et 100 000 collaborateurs.

Notre deuxième secteur d'activité est celui du transport de voyageurs dans le cadre du SLO, c'est-à-dire le TGV. 230 gares sont directement desservies par le TGV, ce qui permet environ 3 000 combinaisons de destinations. C'est unique en Europe et dans le monde. Nous le devons à la place du TGV dans le coeur des Français, qui le voient comme un instrument indispensable au développement économique et territorial depuis sa naissance, il y a un peu plus de 40 ans. La prospérité de la grande vitesse en France est une nécessité à laquelle SNCF Voyageurs est viscéralement attachée et qui fait partie de son ADN. Je tiens donc à saluer ici l'arrivée de nouveaux opérateurs, qui permettront de proposer plus de trains aux Français.

Aujourd'hui, trois opérateurs, tous présents ici, sont en concurrence sur le réseau à grande vitesse français. Nous en attendons au moins trois autres au cours des prochaines années - Le Train, Kevin Speed et Proxima. C'est la preuve que le réseau national est bien ouvert, accessible à la concurrence et très attractif.

Si l'on peut se réjouir de l'arrivée de nouveaux opérateurs sur le marché, cette évolution soulève un défi important pour l'avenir du modèle de desserte à grande vitesse de notre pays.

En effet, il y a deux différences de taille entre la desserte à grande vitesse et la desserte conventionnée. En premier lieu, le TGV est un service commercial, qui ne perçoit aucune subvention publique. 100 % du coût du service est donc payé par les voyageurs, tandis que l'activité doit être rentable pour l'opérateur. D'autre part, la desserte à grande vitesse est en accès libre et sans AOM. Autrement dit, chaque entreprise détermine sa politique commerciale et sa desserte.

Comme vous le savez, en tant qu'héritier de l'ex-monopole historique, SNCF Voyageurs assure aujourd'hui des dessertes d'aménagement du territoire. Nous y sommes particulièrement attachés : ce sera toujours SNCF Voyageurs avec les territoires, et non SNCF Voyageurs contre les territoires.

Toutefois, le modèle économique du TGV reposait sur une péréquation entre ces dessertes économiquement fragiles et les dessertes plus rentables. La soutenabilité économique de cette péréquation est remise en cause par l'essor de la concurrence, car nos concurrents ne se positionnent que sur les dessertes profitables, ce qui est compréhensible. Si je prends l'exemple du Paris-Lyon, SNCF Voyageurs est le seul opérateur à s'arrêter au Creusot. Sur le Paris-Bordeaux, SNCF Voyageurs sera-t-elle la seule à s'arrêter à Poitiers ou à Angoulême et à continuer vers la côte basque ? Il est donc essentiel que SNCF Voyageurs puisse se battre à armes égales avec ses nouveaux concurrents s'agissant de son activité TGV.

Ces questions doivent être traitées avec une vision pragmatique et dès aujourd'hui, au moment où le marché s'ouvre et où une première répartition de capacité est effectuée avec les premiers accords-cadres signés cette année. Notre volonté est que le ferroviaire à grande vitesse puisse contribuer durablement à l'aménagement du territoire dans un cadre défini et identique pour l'ensemble des opérateurs.

M. Marco Caposciutti, président de Trenitalia France. - Trenitalia France est une filiale de droit français de l'opérateur historique italien FS Group comptant 80 000 employés en Europe et présente depuis décembre 2021 sur le marché français de la grande vitesse.

Aujourd'hui, Trenitalia France réalise cinq allers-retours quotidiens entre Paris et Lyon, avec un prolongement vers Chambéry et Saint-Jean-de-Maurienne le week-end. À compter du 1er avril, grâce à la réouverture de la ligne de Fréjus, fermée après l'éboulement en Maurienne, nous réaliserons également deux allers-retours quotidiens entre Paris et Milan. Cette réouverture est très importante pour Trenitalia France, qui desservira les gares de Lyon, Chambéry, Saint-Jean-de-Maurienne et Modane côté français et celles d'Oulx et de Turin côté italien. En outre, le 15 juin prochain, nous lancerons quatre allers-retours quotidiens entre Paris et Marseille, avec des arrêts à Lyon Saint-Exupéry, Aix-en-Provence et Avignon. En assurant ce service entre Paris et le sud de la France et vers l'Italie, Trenitalia France ambitionne d'assurer une connexion entre les grandes villes sans négliger la desserte des territoires. Je tiens également à souligner que nous desservirons trois gares à Lyon, Lyon-Part-Dieu, Lyon-Perrache et Lyon-Saint-Exupéry.

Trenitalia France souhaite investir le marché français en tant qu'opérateur alternatif à SNCF Voyageurs. Nous voulons moins être un concurrent qu'un opérateur complémentaire, avec l'objectif d'augmenter la taille du marché ferroviaire français. Le nombre de voyageurs sur la ligne Paris-Lyon a augmenté, ce qui démontre que notre présence permet d'augmenter le nombre total de voyageurs. Plus de 10 % des passagers que nous avons transportés sur cette ligne n'avaient jamais recours au train pour effectuer ce trajet.

Nous avons par ailleurs l'intention d'apporter en France l'expérience de la concurrence acquise en Italie. Le marché italien est en effet ouvert à la concurrence depuis 2012. Nous avons constaté que cette réforme avait conduit à une baisse des prix et à une augmentation du nombre de voyageurs transportés, de la fréquence des trains et du nombre de gares desservies : aujourd'hui, 113 gares sont desservies par les services de grande vitesse de Trenitalia et d'Italo, tandis que Trenitalia n'en desservait que 52 en 2012.

Nous envisageons donc de continuer à nous développer sur le marché français avec un rapport qualité-prix équilibré. Trenitalia France compte aujourd'hui 170 employés répartis entre Paris et Lyon. Dans les prochains mois, nous comptons recruter 50 salariés supplémentaires, dont certains seront affectés à Marseille.

J'aimerais vous faire part de quelques considérations sur notre expérience de l'ouverture à la concurrence. Il est clair que les tarifs des péages ferroviaires sont très élevés - ce sont les plus élevés d'Europe -, ce qui entraîne des difficultés pour un nouvel entrant. Il conviendrait donc de songer à rendre plus attractifs les marchés français à l'avenir.

Par ailleurs, nous avons rencontré des difficultés en lien avec le processus d'homologation du matériel roulant. En France, ce processus est particulièrement long. Trenitalia utilise une rame construite dans le respect de tous les standards techniques européens et qui a déjà été homologuée en Italie. Néanmoins, quatre années ont été nécessaires pour arriver au terme du processus d'homologation en France. Pour comparaison, Trenitalia est également présent en Espagne et y utilise les mêmes rames : seuls deux ans ont été nécessaires pour y obtenir leur homologation.

J'aimerais également insister sur la nécessité d'une plus grande coordination sur la question des travaux à conduire sur l'infrastructure. Quelques semaines après la réouverture de la ligne de la Maurienne, six semaines de travaux ont été prévues par SNCF Réseau, ce qui est problématique pour un opérateur. Après discussion, nous avons finalement obtenu le décalage de ces travaux.

Concernant la vente des billets, je pense qu'il sera nécessaire à l'avenir, pour les opérateurs, de recourir à la vente intégrée de billets sur le réseau à grande vitesse et sur le réseau régional. En Italie, par exemple, Italo peut vendre un billet intégrant ses services de grande vitesse et les services régionaux de Trenitalia.

Enfin, il me paraît nécessaire, pour augmenter la compétitivité des services ferroviaires, de diffuser le système de gestion du trafic ERTMS sur l'ensemble du réseau, ce qui n'est pas le cas aujourd'hui.

Mme Alix Lecadre, directrice ferroviaire France de Transdev. - Je vous remercie de nous donner l'opportunité de dresser ce premier bilan de l'ouverture à la concurrence - un bilan évidemment provisoire, dans la mesure où nous n'en sommes qu'au commencement. Le ferroviaire étant une industrie du temps long, il conviendra d'actualiser ce bilan une fois que nous aurons davantage de recul.

Transdev est une entreprise dont l'assise historique se trouve en France, même si celle-ci ne représente aujourd'hui que 30 % de ses activités, et qui est principalement positionnée sur les marchés urbains et interurbains en tant qu'opérateur multimodal de la mobilité. Nous sommes également le premier opérateur de transport ferroviaire alternatif à l'opérateur historique en Allemagne depuis l'ouverture à la concurrence dans ce pays, qui a eu lieu en 1994.

L'ouverture du marché français à la concurrence nous intéresse depuis longtemps. C'est la raison pour laquelle nous avons participé à la réflexion collective sur ce sujet depuis plus de dix ans, ce qui nous a permis de mesurer l'écart entre le texte de la loi et la manière dont les choses se mettent en place aujourd'hui, avec les difficultés que nous rencontrons.

Les trois objectifs que poursuivait l'ouverture à la concurrence ont été atteints : la maîtrise des coûts pour la collectivité publique - on constate aujourd'hui que, quel que soit l'opérateur qui remporte un appel d'offres, les coûts pour la collectivité diminuent -, une augmentation du service - sur la ligne Marseille-Nice, nous proposerons, pour une contribution publique constante, un doublement du nombre de dessertes - et un meilleur service - par exemple, nous allons permettre la réouverture de la ligne Nancy-Contrexéville, aujourd'hui fermée au trafic de voyageurs.

L'ouverture à la concurrence a également permis d'accentuer les efforts en faveur de la consistance des dessertes et de l'amélioration du service public rendu aux voyageurs. Or, l'amélioration des dessertes, en nombre et en qualité, pour faire face aux besoins de transport de l'ensemble de la population est aujourd'hui au coeur des appels d'offres et du dialogue avec les régions dans le cadre des procédures en cours.

Cependant, le nombre de procédures en cours en France est extrêmement élevé. Cette année, nous devrons répondre à environ huit appels d'offres quasiment concomitants. Il faut mesurer la somme de travail que ces appels d'offres représentent : nous venons de remettre une réponse incluant 1 000 documents, ce qui illustre l'ampleur du travail à accomplir pour répondre aux demandes des AOM. Pour comparaison, en Allemagne, une réponse à un appel d'offres contient environ 60 pages.

Ces exigences impliquent, de notre côté, des moyens humains considérables et difficilement atteignables pour une start-up. Ce n'est pas un hasard s'il n'y a que de grands groupes autour de cette table ronde. Néanmoins, comme tous les groupes qui se développent sur un nouveau marché, nous faisons d'abord figure de start-up parmi les grands groupes, puisque la compétence ne s'acquiert qu'au fur et à mesure.

Il n'est pas possible d'exploiter du jour au lendemain un quart du trafic français - ce que nous faisons actuellement en Allemagne, mais plus de 30 ans après l'ouverture à la concurrence. Il est donc nécessaire de mesurer le temps dans lequel il faut s'inscrire pour construire une expertise et acquérir les moyens humains qui permettront d'opérer au bon niveau l'ensemble des services qui nous sont confiés.

La pérennisation de l'ouverture à la concurrence passe par l'augmentation du nombre de concurrents sur le ferroviaire conventionné et par une structuration du marché permettant d'amener de nouvelles entreprises à s'y intéresser.

Pour ce faire, il convient d'abord de lever un certain nombre de barrières à l'entrée. Par exemple, les data rooms qui accompagnent les appels d'offres sont extrêmement lacunaires par rapport à ce que l'on peut rencontrer dans le transport urbain, où la concurrence existe depuis la loi d'orientation des transports intérieurs (Loti) du 30 décembre 1982 et où les données que l'opérateur sortant doit mettre à la disposition de la collectivité pour élaborer son appel d'offres sont bien plus complètes.

Par ailleurs, bien que les garanties sociales prévues par la loi soient tout à fait intéressantes, nous ne disposons pas encore d'un cadre social complet, dans la mesure où les négociations de branche ne sont pas toutes arrivées à leur terme. Du reste, nous ne disposons pas encore, dans le cadre des appels d'offres, des données nécessaires pour assurer, sur les sujets sociaux, un niveau de réassurance et d'anticipation pleinement satisfaisant pour nous, en tant qu'entreprise, mais également pour l'ensemble des salariés que nous reprenons. Notre objectif est de valoriser les compétences des cheminots qui exploitent actuellement ces lignes. Ils disposent du savoir-faire nécessaire et nous sommes très heureux de les accueillir pour exploiter les lignes dans un cadre nouveau et offrir de nouveaux services.

Mme Paloma Baena, directrice générale de la stratégie globale de Renfe Operadora. - Renfe est le principal opérateur ferroviaire en Espagne tant pour le transport de passagers que pour le transport de marchandises. Nous comptons près de 16 000 employés, ces effectifs limités résultant de la division de nos activités entre le gestionnaire du réseau et l'opérateur ferroviaire il y a quelques années. En 2024, nous avons transporté plus de 540 millions de voyageurs.

Renfe opère à l'international, non seulement en Europe, mais aussi en Arabie saoudite et au Mexique. En France, nous avons commencé à exploiter les lignes Madrid-Marseille et Barcelone-Lyon dès 2023. Nous desservons surtout de petites et moyennes gares, par exemple celles d'Avignon, d'Aix-en-Provence et de Nîmes, et avons déjà transporté près d'un million de voyageurs sur 2 000 services. Cette année, nous espérons pouvoir opérer vers Toulouse.

Dans la période récente, il a paru nécessaire de bâtir une Europe plus intégrée, durable et accessible et en mesure de se défendre. Le rail à un rôle fondamental à jouer à cet égard, comme l'ont rappelé dans leurs rapports respectifs Mario Draghi et Enrico Letta. Aussi les États membres ont-ils la responsabilité de faciliter l'adaptation à ce nouveau contexte, en commençant par l'ouverture à la concurrence. Dans ce cadre, Renfe ambitionne de devenir un opérateur de référence sur le marché ferroviaire français et de participer à la construction de ce projet européen.

En Espagne, l'ouverture des services commerciaux à la concurrence a donné des résultats très rapides. Celle-ci a eu lieu en décembre 2020. Cinq mois plus tard, de nouveaux opérateurs ont commencé à exploiter les lignes à grande vitesse entre les principales villes espagnoles, Madrid, Barcelone, Valence et Séville. L'offre a augmenté de 80 % sur les trajets concurrentiels et les prix ont diminué d'environ 30 %, tandis que le nombre de passagers recourant au train pour les voyages de longue distance a progressé de 60 %, ce qui est important en termes de développement durable.

Néanmoins, l'ouverture à la concurrence présente des défis pour l'opérateur public que nous sommes et qui doit nécessairement s'adapter à la situation. En Espagne, le modèle de prix doit encore être stabilisé afin qu'il devienne financièrement durable sur le long terme.

Quelques éléments ont, selon moi, facilité l'ouverture à la concurrence en Espagne : le déploiement du système ERTMS sur environ 85 % du réseau à grande vitesse à ce jour, la publication complète des spécifications techniques du système de sécurité Asfa 2, un processus d'homologation simple et rapide mené par les agents de l'État sans intervention de l'opérateur historique, un certificat de sécurité unique pour tous les réseaux ainsi que des accès préférentiels pour les tests techniques et des créneaux de maintenance pour nos concurrents dans les ateliers de Renfe.

Comme vous le savez, la France a été pionnière dans le développement de la grande vitesse depuis 1980, ce qui n'a peut-être pas facilité son adaptation aux nouvelles exigences européennes. À nos yeux, il est crucial d'améliorer le système ERTMS et les infrastructures transfrontalières. Ces avancées sont indispensables pour renforcer la position géostratégique de la France et soutenir le projet européen d'intégration, de décarbonation et de défense commune. Il est également nécessaire de permettre l'accès au marché des nouveaux entrants dans des conditions adaptées, sans qu'ils soient entravés par la position dominante et l'intégration verticale du groupe SNCF, et qu'ils puissent déployer leurs activités de maintenance du matériel roulant sans obstacle.

Par ailleurs, le processus d'homologation et de certification devrait être accéléré et sa transparence et sa prévisibilité renforcées. Nous l'avons entamé il y a trois ans et il est prévu qu'il n'arrive à son terme qu'à la fin de 2028, alors que nos rames roulent déjà en Espagne. Il faudrait aussi publier les spécifications techniques complètes des systèmes de classe B tant que le système ERTMS ne sera pas déployé sur l'ensemble du réseau, améliorer l'accès et adapter les ateliers à l'accueil du matériel roulant des nouveaux opérateurs comme cela a été fait en Espagne, fournir un certificat de sécurité unique pour tous les réseaux et simplifier autant que possible les critères allant au-delà ce qui est prévu par le droit européen. Enfin, il me paraît indispensable de garantir l'indépendance totale du processus d'homologation du matériel roulant des nouveaux opérateurs vis-à-vis de SNCF Voyageurs, d'investir prioritairement dans le système ERTMS et de continuer à mettre en place des accords-cadres pour la prise de décisions afin de bénéficier d'une visibilité à long terme.

Pour conclure, la France est un acteur clé dans l'espace ferroviaire unique, qu'il est impossible de mettre en place sans un réseau français optimal en termes d'interopérabilité et de concurrence. Renfe se tient à la disposition de tous les acteurs du système ferroviaire français pour travailler ensemble à la libéralisation du marché, au profit des voyageurs.

M. Stéphane Demilly. - En 2024, l'engouement pour le train s'est confirmé en France après une année record en 2023, avec une forte hausse de la fréquentation des TGV et des TER. SNCF Voyageurs a transporté 163 millions de personnes en France et en Europe, un résultat exceptionnel.

Trenitalia a été le premier opérateur à défier la SNCF sur le marché très convoité de la grande vitesse depuis l'ouverture à la concurrence en décembre 2020. Les premiers effets en ont été immédiatement ressentis sur le tarif des billets : l'arrivée de Trenitalia sur la ligne Paris-Lyon s'est traduite par une baisse de 10 % des prix. Les clients de Renfe font le même constat : l'opérateur espagnol propose des tarifs beaucoup plus attractifs que ceux de la SNCF sur les lignes Barcelone-Lyon et Madrid-Marseille.

La promesse de l'ouverture du rail à la concurrence était simple : une offre plus large et des prix plus bas. Pour autant, les syndicats de cheminots, qui mettent en avant l'expérience britannique, sont convaincus que cette ouverture risque, au contraire, de dégrader la qualité du service. Je vous rappelle que le Parlement britannique vient d'adopter une loi visant à renationaliser les lignes ferroviaires privatisées, et ce dès l'échéance du contrat conclu avec les sociétés qui les exploitent actuellement. En Espagne, la SNCF s'est engouffrée dans la concurrence avec des trains Ouigo en mai 2020 et a été suivie par l'Italien Iryo en 2022. Les prix ont là aussi diminué de 30 %, mais les comptes de la Renfe ont plongé dans le rouge.

En France, à première vue, le bilan de l'ouverture à la concurrence est très positif, avec des offres renforcées pour les voyageurs de la ligne Paris-Lyon et les prix attractifs pratiqués par Trenitalia. Cependant, cette ligne constitue pour l'heure un gouffre financier pour la compagnie italienne. Il est donc légitime de nous interroger sur la pérennité du modèle.

Monsieur Fanichet, les usagers de la SNCF peuvent-ils s'attendre à voir les prix du TGV baisser ? Monsieur Caposciutti, la compagnie Trenitalia peut-elle, selon vous, maintenir des prix aussi attractifs sur le long terme ?

M. Olivier Jacquin. - Je me demande si cette table ronde ne devrait pas être rebaptisée « point d'étape sur les désordres liés à l'ouverture à la concurrence » tant vos interventions mettent en lumière les failles du nouveau pacte ferroviaire entré en vigueur depuis décembre 2019.

Monsieur Fanichet, j'aimerais que vous reveniez sur les propos tenus récemment par Jean-Pierre Farandou, qui a déclaré que le TGV n'était pas un service public. Je me suis demandé M. Farandou n'était pas, pour la première fois, en train de dérailler !

Il ne me semble pas qu'au travers du nouveau pacte ferroviaire, la représentation nationale ait souhaité créer uniquement un service privé concurrentiel pour les Français. Il s'agissait plutôt de redynamiser la SNCF - et non de la dynamiter.

Monsieur Fanichet, combien de temps SNCF Voyageurs acceptera-t-elle d'être le seul contributeur au fonds de concours versé à SNCF Réseau ? Ne faudrait-il pas, pour rééquilibrer les comptes de SNCF Réseau, obtenir de l'État une compensation financière de la diminution du prix des péages dont bénéficient les concurrents de la SNCF au cours de leurs premières années de service ?

J'aimerais poser la même question à vos concurrents. Vous ne subissez pas les mêmes contraintes que SNCF Voyageurs, qui contribue à ce fonds de concours. Qu'en pensez-vous ? Vous avez évoqué les barrières à l'entrée sur le marché français et je voudrais donc que vous réagissiez sur le nécessaire rééquilibrage de la situation par rapport à SNCF Voyageurs. Le système ne pourra pas fonctionner durablement en l'état.

Je souhaiterais également revenir sur la péréquation entre dessertes principales et rentables et dessertes secondaires.

Le modèle économique de la SNCF est perturbé par la fin de la péréquation entre dessertes rentables et dessertes non rentables. François Durovray, alors ministre chargé des transports, était intervenu dans le débat public sur cette question pour dire qu'il fallait imposer aux nouveaux entrants de desservir des dessertes secondaires.

Enfin, Madame Baena, j'aimerais que vous évoquiez la concurrence que vous subissez de la part de la SNCF en Espagne.

M. Jacques Fernique. -. Comment parvenir, dans le paysage concurrentiel dans lequel vous opérez, à un équilibre économique qui ne soit pas atteint au détriment des lignes déficitaires et de l'investissement dans le réseau ? Que pensez-vous des différentes solutions évoquées ce matin - allotissements équilibrés, modulation conséquente des prix des péages, attribution de sillons sur des lignes rentables à condition de desservir des villes moyennes et transferts permettant de rétablir la compétitivité du rail par rapport à la route ?

La nécessité de tenir des objectifs d'essor ferroviaire et de report modal très ambitieux, notamment via les services express régionaux métropolitains (Serm), nous oblige non seulement à procéder à la répartition concurrentielle des services de transport de voyageurs existants, mais aussi à réussir, dans le cadre concurrentiel, un choc d'offre massif. Nous connaissons le contexte négatif dans lequel s'inscrit l'ouverture à la concurrence, avec un réseau vieillissant, un matériel roulant insuffisant et des conditions d'homologation des nouvelles rames particulièrement complexes.

En Alsace, sur trois services différents, la ligne à grande vitesse Paris-Strasbourg, le TER 200 sur la dorsale ferroviaire Bâle-Colmar-Strasbourg et la ligne de desserte de la vallée de la Bruche depuis Strasbourg, il est quasiment impossible d'être suffisamment attractifs pour amener de nouveaux usagers à recourir au train plutôt qu'à leur voiture.

Enfin, nous avons conscience de la demande de prix raisonnables sans dégradation de la qualité de service ainsi que de la demande d'intégration tarifaire, avec des offres globales attractives pour l'ensemble des mobilités en transport collectif. Comment y répondre dans un paysage concurrentiel nouveau ?

M. Didier Mandelli. - En octobre 2019, j'ai été le corapporteur, avec Hervé Maurey, d'un rapport d'information de notre commission sur les enjeux de la mise en application de la loi pour un nouveau pacte ferroviaire. Ce rapport visait en particulier à étudier les manières de lever les barrières à l'entrée pour les nouveaux entrants, car il s'agit d'une condition indispensable pour une ouverture effective à la concurrence.

L'un des enjeux majeurs de la réussite de l'ouverture à la concurrence, pointé notamment par Bernard Roman, alors président de l'Autorité de régulation des activités ferroviaires et routières (Arafer) - la future ART -, était l'accès des opérateurs alternatifs aux données. Lors des appels d'offres portant sur les services conventionnés, il existe en effet une asymétrie d'information entre l'opérateur historique, qui connaît précisément l'état du matériel roulant et le coût prévisionnel des opérations de maintenance, et les nouveaux entrants. Estimez-vous que les textes d'application de la loi pour un nouveau pacte ferroviaire répondent aux enjeux posés par cette question de l'accès aux données ? De nouvelles difficultés se sont-elles révélées à l'usage, au fil des appels d'offres ?

En outre, les opérateurs alternatifs rencontrent des difficultés pour se procurer des rames, qu'elles soient neuves ou d'occasion. L'une des raisons est que certaines rames retirées de la circulation par SNCF Voyageurs, qui pourraient intéresser de nouveaux entrants, sont amiantées. Or, le règlement européen REACH du 18 décembre 2006 interdit la session de matériel amianté. Dans la mesure où il n'existe pas, à l'heure actuelle, de technique de désamiantage non destructif des rames, elles ne peuvent pas être utilisées. Certains pays européens, dont l'Allemagne, ont obtenu de la Commission européenne une dérogation à l'application du règlement REACH. Pensez-vous qu'il soit opportun que la France demande à son tour une telle dérogation ?

M. Franck Dhersin. - La concurrence est-elle équitable dans le secteur ferroviaire ? Ce n'était pas le cas entre Transdev et la SNCF lors dans les Hauts-de-France lors de l'ouverture à la concurrence du TER. Nous avons d'ailleurs dû saisir l'ART à ce propos. Bien que nous ayons gagné en première instance, la SNCF a fait appel pour gagner du temps. Elle a finalement gagné une procédure d'appel d'offres coûteuse pour Transdev.

La difficulté à homologuer le matériel roulant en France menace aussi de l'équité de la concurrence. Monsieur Fanichet, vous avez soulevé la question de la péréquation et de l'obligation de desserte des petites gares par le TGV. Êtes-vous bien conscient que SNCF Voyageurs devra communiquer à l'ART les informations relatives à ses coûts de manière transparente afin qu'elle puisse vérifier la réalité de la remise en question de son modèle économique ?

Comment peut-on justifier le fait que la SNCF continue à investir sur les marchés espagnol et, bientôt, italien avec des rames de TGV financées par le contribuable français, alors que SNCF Voyageurs manque de rames en France ? D'ailleurs, le marché espagnol est-il rentable pour SNCF Voyageurs ?

J'ai été moi aussi choqué par les propos du président Farandou, qui estime que le TGV n'est pas un service public. Oui, les TGV constituent des outils d'aménagement du territoire et personne ne peut le nier.

Enfin, la SNCF possède 55 % d'Eurostar. La concurrence devrait arriver aussi sur les segments que l'entreprise exploite, notamment Virgin, en partenariat avec Evolyn. La qualité de la desserte pour Lille et Calais sera-t-elle améliorée ? Calais n'est plus desservi et Lille l'est de moins en moins. Il est d'ailleurs étonnant que vous ne veuillez plus desservir certaines gares et que, dans le même temps, vous exigiez d'en desservir d'autres.

M. Christophe Fanichet. - Le nombre de kilomètres parcourus par les trains régionaux en France est plus faible en France qu'en Europe. Néanmoins, il ne s'agit que d'une moyenne et il convient plutôt d'examiner la situation dans chaque territoire, ligne par ligne. Le nombre de kilomètres parcourus dépend d'abord des dessertes demandées par les conseils régionaux. Il est important de desservir les territoires dans un premier temps, puis de chercher ensuite à augmenter le nombre de kilomètres parcourus par une rame.

Il appartient effectivement à l'opérateur d'améliorer la performance de sa maintenance. À cet égard, les travaux que nous avons menés ces cinq dernières années selon un principe d'exploitation-maintenance nous ont permis de dégager, par de la performance, l'équivalent de 110 rames supplémentaires. Les rames parcourent plus de kilomètres aujourd'hui parce que nous avons notamment décalé les heures de maintenance du jour vers la nuit afin que les rames soient révisées à des heures où elles ne doivent pas circuler. Cela a d'ailleurs impliqué de revoir les conditions de travail de nos collaborateurs.

Sur la question de la propriété des rames, celles-ci sont intégralement financées par les régions. SNCF Voyageurs n'en est que l'opérateur chargé de les mettre en service. Pas à pas, les régions reprennent la propriété de ces rames, et en particulier leur maintenance patrimoniale. Elles constituent d'ailleurs des sociétés publiques locales à cet effet.

Du reste, demain, ce seront les régions, et non plus SNCF Voyageurs, qui feront l'acquisition des trains. Aujourd'hui, nous établissons un bon de commande dans lequel les régions peuvent venir faire un tirage. À l'avenir, chaque région rédigera son propre cahier des charges et commandera elle-même ses trains. SNCF Voyageurs se tiendra à leurs côtés et les conseillera autant qu'elles le souhaiteront.

Entre 2013 et 2016, tous les journaux titraient sur la fin de la grande vitesse, dans la mesure où le taux d'occupation des TGV était de l'ordre de 60 %. Pour être rentable et ne rien coûter à la collectivité publique, un TGV doit afficher un taux d'occupation de ses sièges de 75 %. Or, SNCF Voyageurs a été créée sous la forme d'une entreprise pour ne pas qu'elle s'endette. Nous nous sommes donc montrés vigilants et le conseil d'administration nous a invités à réduire la taille de notre parc.

Je tiens à vous rassurer à ce propos : le parc a certes été réduit de plusieurs dizaines de rames, mais il s'agissait de rames en fin de vie. Aucune rame n'a donc été gâchée. Quelques rames avaient encore du potentiel ; nous les avons transformées pour qu'elles circulent en Espagne.

Ces rames ont donc été remplacées par d'anciennes rames à un niveau, puis par des rames à deux niveaux, qui permettent d'augmenter la capacité de nos trains. À ce propos, entre 2019 et 2024, nous avons accru de 10 % le nombre de sièges dans nos rames.

Notre activité en Espagne est plus rentable que n'importe quel projet en France. À la fin de l'année, nous serons à l'équilibre. Les profits que nous réalisons en Espagne reviennent intégralement en France et sont remontés vers la holding. Ils alimentent le fonds de concours et la régénération du rail français. Il s'agit donc d'un projet qui bénéficie à l'ensemble des Français.

Concernant le fonds de concours - un autre sujet sur lequel vous m'avez interpellé -, la loi a prévu que l'ensemble des bénéfices du groupe SNCF - et non les seuls bénéfices de SNCF Voyageurs, bien que nous en soyons le principal contributeur - alimentent un fonds de concours contribuant à la régénération des voies. Nous pouvons nous en féliciter, car n'opère correctement que si le réseau est de bonne qualité. En tant qu'opérateur, je considère qu'il est nécessaire que SNCF Réseau dispose de davantage de moyens pour améliorer la qualité du réseau.

M. Marco Caposciutti. - Trenitalia France n'est pas une entreprise low cost et ne le sera jamais. Notre prix minimal se situe entre 23 et 29 euros, car le service à grande vitesse est un service de qualité.

Nous souhaiterions maintenir notre politique tarifaire. Pour ce faire, il est clair que nous aurons besoin d'augmenter le nombre de voyageurs dans nos trains. Aujourd'hui, sur la ligne Paris-Lyon, notre taux de remplissage se situe entre 60 % et 70 %, alors que, comme l'a rappelé M. Fanichet, il est nécessaire que trois sièges sur quatre soient occupés pour que la liaison soit rentable. Nous envisageons par conséquent de développer notre politique de marketing et nos partenariats. Du reste, le taux de 60 % à 70 % n'est qu'une moyenne ; les trains peuvent être plus remplis à certaines périodes. En février prochain, nous commencerons donc à utiliser les trains en unité multiple durant ces périodes. Enfin, notre offre est aujourd'hui très limitée, avec seulement cinq allers-retours quotidiens, alors que nos coûts fixes sont très élevés. Par conséquent, nous avons décidé d'augmenter notre offre sur les lignes Paris-Lyon, Paris-Marseille et Paris-Milan.

Sur la question de la desserte des territoires, je pense que l'exemple de Trenitalia France démontre qu'il est possible, pour une compagnie ferroviaire, d'opérer dans une situation de libre concurrence tout en assurant un équilibre entre la desserte des grandes villes et celle des territoires. Nous desservons ainsi les gares de Chambéry, de Saint-Jean-de-Maurienne, de Modane, d'Avignon et d'Aix-en-Provence. Il est donc possible de concilier ces exigences sans recourir à la loi, ce qui serait de toute façon très complexe dans la mesure où le législateur doit s'inscrire dans une logique européenne.

Mme Alix Lecadre. - Il était prévu que 200 agents soient dédiés à l'exploitation de la ligne Marseille-Nice au moment de la mise en service. 167 d'entre eux étaient transférables et seuls 30 ont été transférés in fine. En outre, 4 collaborateurs de la SNCF affectés à plus de 50 % à ce service bénéficiaient à ce titre d'une obligation de transfert, mais ont refusé d'être transférés et ont donc fait l'objet d'un licenciement dans le cadre prévu par la loi. Un certain nombre d'agents affectés à moins de 50 % ont par ailleurs refusé les possibilités de reclassement qui leur ont été proposées par la SNCF et ont par conséquent été licenciés.

Au total, nous avons eu la chance de pouvoir nous mettre d'accord avec la SNCF, qui doit également mettre en service un lot sur l'étoile de Nice pour décembre prochain, pour avancer dans le processus de transfert du personnel. Cette décision collective était tout à fait judicieuse, car nous expérimentions la mise en oeuvre de ce dispositif pour la première fois. Cela nous a permis d'avoir du temps pour présenter les choses au personnel et discuter des conditions que nous allions proposer, ce qui était d'autant plus nécessaire qu'il n'est pas possible de dialoguer en amont des composantes du pacte social proposé avec les organisations syndicales.

Le dialogue social s'est ensuite prolongé, puisqu'une fois que nous devenons exploitants, nous disposons de 15 mois pour renégocier l'ensemble des accords d'entreprise. Durant ces 15 mois, nous devons appliquer les accords d'entreprise de la SNCF ; à leur terme, les accords négociés par nos soins avec les syndicats s'appliquent - à défaut d'accord, c'est la convention collective qui s'applique, ce que nous ne souhaitons pas.

Je pense qu'il serait nécessaire que, pour l'ensemble des autres appels d'offres, les périodes de préexploitation soient dimensionnées de façon à ce qu'elles excèdent les 16 mois prévus par la loi et que l'exploitant dispose d'autant de temps que nous.

Il n'y a eu certes que 30 transferts, mais, sur une exploitation de cette taille, avec 200 agents et trois ans et demi de préexploitation, il est tout à fait possible de recruter le personnel nécessaire et de le former. C'est ce que nous avons fait.

Pour répondre à M. Mandelli sur les conditions des appels d'offres, les différents recours déposés auprès de l'ART par les régions Provence-Alpes-Côte d'Azur et Hauts-de-France ont permis d'aboutir à des avancées significatives sur le contenu des données mises à notre disposition. Un certain nombre de données relatives aux dessertes, au personnel et aux installations sont mises à notre disposition dans le cadre d'un appel d'offres, que ce soit dans l'urbain, l'interurbain ou le ferroviaire, pour nous permettre de préparer notre réponse à l'appel d'offres. Aujourd'hui, les données concernant le matériel roulant et les données sociales sont plus complètes qu'avant.

Nous ne sommes pas pour autant arrivés au bout du chemin. Les données relatives au matériel roulant restent de qualité inégale, plus ou moins exploitables et plus ou moins justes. Les données sociales, elles, sont plus complètes et respectent le cadre fixé par la loi, mais ce dernier fixe une maille d'informations trop générale. Par exemple, la maintenance constitue une catégorie d'informations. Or, la maintenance d'un train mobilise nombre de compétences différentes, de l'électromécanicien au chaudronnier, en passant par le spécialiste de la climatisation. Comment savoir quels personnels recruter si nous ne savons pas de quels personnels nous disposerons potentiellement à l'issue du transfert ? Ces données devraient donc être précisées.

De même, selon la région, nous disposons ou non des données relatives au lieu de résidence des personnels, et donc à leur lieu de prise de service, alors qu'il s'agit d'une donnée essentielle pour conduire un dialogue social de qualité avec les salariés et lever leurs inquiétudes éventuelles sur le nouveau mode de fonctionnement du service.

Par ailleurs, le cadre de branche est encore incomplet et ne permet pas à un nouvel entrant de chiffrer l'intégralité des coûts qu'il pourrait être amené à supporter. Je pense par exemple à la manière de traiter les congés de fin de carrière ou les facilités de circulation dues aux personnels ayant le statut de cheminot. À défaut de disposer d'un cadre qui puisse s'appliquer à tous, nous essayons de nous mettre d'accord sur la façon de procéder et nos discussions avec la SNCF avancent bien. Nous sommes concurrents lors des appels d'offres, mais colocataires sur le réseau par la suite.

Enfin, et pour prendre un dernier exemple, le mode de calcul des cotisations sociales des personnels cheminots ne nous a été communiqué qu'il y a quelques mois. Lorsque nous avons remporté la ligne Marseille-Nice en décembre 2020, nous ignorions le montant des cotisations dont nous serions redevables. Or, renforce le risque économique que nous prenons sur ces appels d'offres. Nous avons donc encore du travail collectif à mener pour lever ces barrières à l'entrée.

Pour terminer, je rappelle que nous ne nous positionnons pas sur les SLO, mais que nous ne répondons que sur le transport conventionné, dans un cadre défini par les régions.

Mme Paloma Baena. - La mobilité est un droit fondamental, qui nécessite nécessairement des investissements de la part de l'État. Or, l'autofinancement des infrastructures provoque un déficit structurel en matière d'entretien du réseau. Ainsi, en comparant le niveau des investissements dans l'infrastructure en France et en Espagne, voire en Italie ou en Allemagne, on constate un écart significatif.

Je suis d'accord avec Marco Caposciutti : le développement du marché en situation de libre concurrence peut nous apporter des solutions efficaces en matière de coûts. C'est le choix que nous avons fait en Espagne et c'est la raison pour laquelle nous n'y répercutons pas le coût des investissements déjà engagés dans l'infrastructure sur les nouveaux entrants de façon à éviter de leur opposer de nouvelles barrières à l'entrée.

Parmi les différentes solutions envisageables qui ont été mentionnées, vous avez évoqué la modulation du tarif des péages. J'approuve d'autant plus cette proposition que la plupart des États européens qui réalisent en ce moment de grands investissements dans leurs infrastructures utilisent à cet effet des fonds européens.

Enfin, la séparation complète de SNCF Voyageurs et de SNCF Réseau est nécessaire pour permettre de moduler les investissements nécessaires sans imposer un coût supplémentaire aux concurrents de la SNCF, comme nous l'avons fait en Espagne.

M. Christophe Fanichet. -SNCF Voyageurs n'est pas contre les territoires, mais au contraire, elle fera toujours de l'aménagement du territoire. Aujourd'hui, sur le SLO, le prix payé par l'ensemble des voyageurs doit couvrir les coûts de production du train, sans contribution publique. Le fait d'assurer des liaisons rentables, comme la ligne Paris-Lyon, par exemple, nous permet de compenser les dessertes qui le sont moins.

Dans le transport conventionné, le voyageur ne paie qu'un quart du coût de son transport, tandis que les régions, Île-de-France Mobilités et l'État prennent en charge le reste . Certaines lignes sont équilibrées du fait d'un nombre suffisant de voyageurs ou de la politique tarifaire des régions.

Ce qu'il fallait donc retenir des propos de Jean-FrançoisFarandou, c'est que le coût du TGV est intégralement couvert par les voyageurs et que le TGV bénéficiaire finance le TGV déficitaire. Les voyageurs paient d'ailleurs davantage que ce qui est nécessaire à la couverture des coûts, puisque nous réalisons un bénéfice qui alimente le fonds de concours, lequel contribue à la régénération du réseau et permet à tous nos concurrents sur la grande vitesse de disposer d'une infrastructure de meilleure qualité.

Vous m'avez également demandé si les prix allaient diminuer. Si j'étais coquin, je dirais qu'ils diminuent déjà, puisque nous n'avons augmenté le prix du TGV que de 8 % sur les cinq dernières années alors que, sur la même période, l'inflation s'est élevée à 15 %. Bien évidemment, une augmentation des prix est toujours difficile pour le pouvoir d'achat des Français. C'est la raison pour laquelle j'ai souhaité mettre en place un bouclier tarifaire : nous n'augmentons jamais nos prix au-delà du taux d'inflation, alors que le coût du ferroviaire progresse plus vite que lui.

Le coût des péages est un sujet français : ce sont les pouvoirs publics qui ont décidé de la manière dont le système ferroviaire serait financé. Aujourd'hui, le voyageur paie 100 % du coût de son trajet en TGV. En France, le coût du train au kilomètre s'établit autour de 18 euros contre 3 euros en Italie. Supposons qu'un voyageur paie son billet de TGV 10 euros : 4 euros sont dédiés aux péages, un euro à la TVA et 5 euros à l'électricité. Pour l'instant, l'opérateur n'a pas gagné un euro. Or, nous avons absolument besoin de 25 euros pour acheter des trains, construire des centres techniques et disposer du matériel nécessaire à la maintenance de nos trains. Au surplus, il faut une vingtaine d'euros pour payer nos collaborateurs et financer nos investissements.

Ce modèle peut être amendé et modulé, mais il n'appartient effectivement à aucun opérateur d'en décider. Le ferroviaire a un coût et il est nécessaire que celui-ci soit compensé pour que de nouveaux opérateurs entrent sur le marché.

M. Christophe Fanichet. - Concernant l'Eurostar, il y a avant tout des sujets de douane et d'accès aux trains. Il faut suivre les recommandations du ministère de l'intérieur et du ministère de l'économie, des finances et de l'industrie. Aussi, s'il n'est pas possible de filtrer les voyageurs dans une gare, il est impossible de respecter les accords douaniers et je ne peux donc pas la desservir. Je regarderai si Virgin et Evolyn desservent les gares en question.

Je tiens à saluer le ministre Durovray, qui a mis sur la table le sujet des dessertes d'aménagement du territoire. L'ouverture à la concurrence ne peut pas se faire au détriment de l'aménagement du territoire. Nous avons quelques mois devant nous, car François Durovray avait dit que des décisions seraient prises avant l'été.

À cet égard, je crois que la modulation des péages peut constituer une solution. Le sujet de l'allotissement me paraît différent : comme l'ont rappelé mes collègues de Trenitalia France et de Renfe, c'est d'abord un sujet européen. Du reste, une flotte de TGV doit être suffisamment libre pour pouvoir être déployée à l'endroit où elle peut emporter le plus grand nombre de voyageurs.

M. Hervé Gillé. - La décision d'ouvrir à la concurrence les lignes Nantes-Bordeaux et Nantes-Lyon a été officialisée le 28 janvier dernier. La société bordelaise Le Train et Renfe n'ont pas été retenus face à SNCF Voyageurs, qui a remporté l'appel d'offres, pour un contrat devant débuter en décembre 2026.

Le nombre d'allers-retours quotidiens sur cette ligne devrait donc passer de quatre à cinq, avec un sixième aller-retour les vendredis et dimanches. La défaillance du matériel roulant représentant la première cause des suppressions de trains, comment comptez-vous augmenter la capacité de la ligne Nantes-Bordeaux avec le même nombre de rames ?

Par ailleurs, l'ensemble des élus locaux dénoncent aujourd'hui la saturation de la ligne de TGV Paris-Bordeaux. Cette situation est en partie due à une offre insuffisante et insatisfaisante en matière de transport aérien. Le yield management a provoqué une augmentation très significative des tarifs à mesure que la demande des usagers croissait. Comment comptez-vous remédier à ces difficultés ?

Je m'adresserai enfin à l'ensemble des opérateurs : comment envisagez-vous l'ouverture à la concurrence de la ligne Paris-Bordeaux, avec un coût du sillon particulièrement élevé ?

À ce propos, je dispose du niveau du déficit de la ligne jusqu'en 2021, mais pas pour 2022 et 2023. Êtes-vous en mesure de me communiquer ces éléments, Monsieur Fanichet ?

M. Pierre Jean Rochette. - Quelle est, d'après vous, la taille idéale des lots sur le transport régional ? Dans ma région, en Auvergne-Rhône-Alpes, il a été décidé de lancer un appel d'offres sur l'intégralité de l'ex-région Auvergne. Cela vous paraît-il adapté ou préférez-vous des appels d'offres à la ligne ?

Madame Lecadre, vous avez évoqué des appels d'offres de 1 000 documents. C'est déraisonnable. Qui donc a le temps de les lire et de vérifier, pendant l'exécution du contrat, que tout est respecté ?

Les quatre opérateurs représentés ont-ils vocation à devenir des opérateurs régionaux en France ? Pensez-vous que certaines lignes aujourd'hui fermées aient une chance de rouvrir dans le cadre d'allotissements réalisés intelligemment de manière à intégrer des lignes plus ou moins attractives dans les lots pour que certaines dessertes retrouvent de la vigueur ?

M. Guillaume Chevrollier. - L'ouverture à la concurrence favorisera-t-elle une meilleure desserte au profit des usagers, qui, comme l'a souligné M. Fanichet, ont envie du train ?

En tout état de cause, je peux témoigner de l'inquiétude d'usagers et d'élus de mon département de la Mayenne. En dix ans, le nombre de rames de TGV a significativement diminué, de même que le nombre de dessertes vers la capitale en heures creuses. L'unique gare de TGV du département, celle de Laval, va perdre des liaisons directes vers Paris en 2025 et en 2026, et ce malgré une forte demande de la part de mes concitoyens, qu'il s'agisse de particuliers ou d'acteurs économiques. L'ouverture à la concurrence doit renforcer la mobilité de tous.

Vous avez indiqué que 91 % des trains arrivaient à l'heure, mais encore faut-il qu'ils partent, surtout dans des départements comme le nôtre, où l'on peut subir des suppressions dues à des régulations dans la région. Il est donc indispensable qu'il n'y ait pas de dégradation de l'offre de mobilité.

Concernant la tarification, il est important que les jeunes et les familles bénéficient de tarifs accessibles dans ce contexte de besoin de mobilité.

Enfin, pouvez-vous nous parler du climat social au sein de vos entreprises à la suite de l'ouverture à la concurrence ?

M. Alexandre Basquin. - Les effets du premier paquet ferroviaire et de la mise en concurrence du fret n'ont pas été positifs. En effet, malgré la libéralisation, la part modale du fret a été divisée par cinq depuis la fin des années 1970, ce qui interroge et interpelle à l'heure où nous nous penchons sur le transport de voyageurs.

Nous ne disposons pas du recul nécessaire en France, mais certaines expériences étrangères m'alertent et m'inquiètent. En Angleterre, la privatisation du rail a provoqué une explosion incontrôlée du prix du billet, en hausse de 117 % en moyenne. En Écosse et au pays de Galles, les principaux opérateurs ont été renationalisés à la suite de la défaillance du secteur privé. En Italie, enfin, la privatisation a entraîné la suppression de 25 % des effectifs. Ces exemples me semblent nous appeler à une vigilance accrue.

En France, l'ouverture à la concurrence peut paraître extrêmement complexe, entre les SLO, les marchés conventionnés, les TET et les TER. Il pourrait d'ailleurs y avoir autant de modalités de conventionnement qu'il y a de régions. Nous sommes bien loin du choc de simplification promis. Il y avait par le passé un opérateur public unique, qui faisait du rail un bien commun. Aujourd'hui, malheureusement, le rail peut vite devenir un outil capitalistique soumis à des logiques de rentabilité, ce qui peut soulever de nombreuses inquiétudes.

D'autre part, je suis interpellé par votre politique tarifaire. Vous vous inscrivez aujourd'hui dans une logique de court terme. Serez-vous en mesure de maintenir une politique tarifaire accessible sur le long terme ?

En outre, la libéralisation ne va-t-elle pas conforter une logique de dumping social entre les concurrents ? L'exploitation des lignes non rentables pourrait-elle être laissée à la SNCF ?

M. Michaël Weber. - Pensez-vous vraiment que l'ouverture à la concurrence permette la réouverture de lignes fermées ? Je suis par ailleurs conseiller régional du Grand Est, où la réouverture de quelques lignes est régulièrement évoquée - je pense, par exemple, à la ligne Nancy-Mirecourt-Vittel-Contrexéville. Quel regard portez-vous sur ce sujet ?

Quel équilibre financier trouver sur des lignes aujourd'hui qualifiées de non rentables par l'opérateur public ? Je m'adresse aux concurrents de la SNCF : ne croyez-vous pas que l'opérateur public commette une erreur d'analyse en présentant un certain nombre de lignes comme non rentables ?

Mme Marie-Claude Varaillas. - La SNCF a dégagé un bénéfice de 1,3 milliard d'euros en 2023, ce qui en a fait la troisième année consécutive durant laquelle la société s'est trouvée dans le vert.

Subsiste néanmoins une ombre au tableau avec le fonds de concours auquel sont alloués 60 % des bénéfices de la SNCF pour gérer et réparer les infrastructures du réseau ferroviaire français, dont la SNCF est le seul contributeur. Pensez-vous qu'il soit équitable que ses concurrents profitent des travaux qu'elle finance ? Les choses peuvent-elles évoluer en la matière ?

La SNCF a besoin d'investir son bénéfice pour renouveler ses rames et améliorer le service aux voyageurs. Il n'est pas juste que ses concurrents ne contribuent pas eux aussi à ce fonds de concours.

M. Christophe Fanichet. - Sur les lignes Nantes-Bordeaux et Nantes-Lyon, nous avons effectivement le même nombre de rames, avec une augmentation de l'offre de 29 % à la demande de l'autorité organisatrice. C'est la même chose sur Nice. Ce sont les AOM qui définissent le plan de transport. Nous avons néanmoins construit un atelier qui nous permet de gagner en performance et en temps et envisageons d'opérer de manière quelque peu différente pour renforcer la disponibilité du parc et nous ajuster sur ces lignes.

Vous m'avez également interpellé sur la saturation de la ligne Paris-Bordeaux. Nous sommes bien d'accord sur ce point. Comme vous le savez, j'ai commandé à Alstom 115 rames de TGV qui auraient dû être livrées au début de 2024, mais ne devraient finalement arriver qu'à la fin de l'année 2025 et ne pourraient donc pas opérer avant 2026. Ce n'est pas l'envie de proposer plus de trains qui me manque, mais je ne dispose pas d'assez de trains pour assurer plus de dessertes. Par ailleurs, sur la ligne Paris-Bordeaux, nous allons rajouter 1,6 million de places supplémentaires d'ici à 2026. Je rappelle que l'avion représente aujourd'hui 2 000 places par jour, là où SNCF Voyageurs en propose 45 000.

Ce sont les régions qui décident de la taille des lots. À ce jour, ceux-ci sont assez consistants pour permettre à un opérateur d'y répondre, avec, généralement, la construction d'un atelier.

Nous avons adapté l'offre à Laval en la réduisant de 5 %. Je rappelle toutefois que nous proposons 14 allers-retours quotidiens entre Paris et Laval et que nous y avons rajouté deux allers-retours en Ouigo pour permettre à des ménages au pouvoir d'achat plus limité de faire face à leurs besoins de mobilité.

Des réouvertures de lignes de desserte fine du territoire pourraient avoir lieu, mais ce sujet doit être abordé entre l'État et les régions, puisqu'il soulève des enjeux d'investissement et de réhabilitation de lignes. Vous pouvez en tout cas compter sur SNCF Voyageurs pour répondre à tous les appels d'offres d'exploitation ferroviaire.

M. Marco Caposciutti. - Trenitalia France concentre son activité industrielle sur l'axe reliant Paris et le sud-est de la France. Il est important de se focaliser sur un seul axe pour ne desservir qu'une gare à Paris et ne disposer que d'un seul établissement de maintenance. Nous ne sommes donc pas intéressés par la ligne Paris-Bordeaux et l'ouest de la France.

Concernant les effets de l'ouverture à la concurrence, je tiens à vous rassurer : à mon avis, celle-ci s'est déroulée sans dumping social. Trenitalia France affiche un niveau de rétribution et un taux de contractuels identiques à ceux de la SNCF. La concurrence est arrivée à maturité en France, car les concurrents de l'opérateur historique appliquent les mêmes principes généraux que lui.

Les deux fondements du service ferroviaire sont la sécurité et la ponctualité. Or, après trois années de concurrence, les niveaux de sécurité et de ponctualité ont été maintenus sur les réseaux.

Mme Alix Lecadre. - Il faut effectivement que les lots permettent a minima de disposer de moyens de maintenance dédiés. Il ne serait donc pas pertinent de proposer un lot à moins d'un million de trains-kilomètres, sauf peut-être sur de petites lignes, avec du train léger.

Pour autant, s'ils sont trop volumineux, les lots seront inabordables pour les concurrents. Ce sera le cas de certains lots en cours de composition par les régions. Peut-être est-ce fait en connaissance de cause ? Transdev ne répondra pas à de tels appels d'offres, car, par exemple, un lot à 12 millions de trains-kilomètres implique le transfert de plus d'un millier d'agents, ce qui est trop difficile à réaliser pour un acteur qui démarre une activité ferroviaire sur un marché.

Si l'on veut de la concurrence, la taille des lots doit être accessible pour une majorité d'entreprises. Je suis persuadée que RATP Dev, par exemple, ne se positionnerait pas non plus sur des lots de ce type.

J'ai insisté sur la nécessité d'un dialogue social avec les agents. Sur la ligne Marseille-Nice, nous avons reçu une par une chacune des 167 personnes qui devaient être transférées, et certaines plusieurs fois. Il est impossible de recevoir 1 000 personnes en 16 mois et leur expliquer convenablement leurs fonctions, leurs conditions de travail et leurs possibilités d'évolution. La ligne Nancy-Contrexéville, qui est un allotissement assez particulier et expérimental, permet d'avoir, dans un même lot, pour une petite ligne facilement détachable du réseau ferré national, la remise en état de la ligne, la gestion de l'infrastructure dans la durée, la maintenance du matériel roulant, l'exploitation des services et le financement. Ce ne sera pas faisable sur des lignes très fréquentées, en plein milieu du réseau ferré national. Le droit ne le permet pas et je ne pense pas qu'il soit judicieux de le faire dans ces conditions. Le modèle que nous sommes en train de construire avec la région Grand Est me semble pertinent sur certaines petites lignes, mais il n'est pas possible de le calquer partout, de façon systématique et indifférenciée.

Mme Paloma Baena. - Je suis d'accord avec Madame Lecadre : il est préférable d'avoir des allotissements suffisamment conséquents pour favoriser la concurrence.

Nous avons constaté des progrès visibles lors du premier appel d'offres auquel nous avons participé, notamment au niveau des informations mises à notre disposition, même s'il y a encore beaucoup de travail à mener dans ce sens.

Renfe félicite la France pour l'ouverture de cette ligne à la concurrence, qui était prévue depuis 2019. Nous nous félicitons d'y avoir participé en formulant une proposition de haute qualité, même si nous n'avons pas été choisis, car c'était la meilleure manière de soutenir le modèle de concurrence qui constitue une priorité au niveau européen.

Notre intention est de continuer à répondre aux appels d'offres et je suis convaincue que nous finirons par en remporter un, comme nous l'avons fait en Italie la semaine dernière pour de petites lignes régionales fermées depuis 13 ans dans la région du Piémont.

Une évaluation des appels d'offres réalisée en 2020 avait montré - mais c'était peut-être très tôt - que des barrières à l'entrée persistaient encore. Il me paraît nécessaire de vérifier, au fil du temps, si celles-ci s'atténuent ou si, au contraire, l'opérateur historique conserve une place prépondérante.

En Espagne, nous avons également des services commerciaux profitables et d'autres qui le sont moins. Nous essayons de travailler à la maîtrise de nos coûts, sans jamais remettre en cause la qualité du service ou le droit à la mobilité.

Il est vrai que le fonds de concours est un modèle très particulier que l'on ne retrouve dans aucun des pays qui procèdent à de grands investissements dans les infrastructures. Il y a plusieurs manières de financer les plans d'investissement dans une logique européenne.

Je voudrais, pour terminer, insister de nouveau sur la nécessité d'une séparation entre SNCF Réseau et SNCF Voyageurs. Des interrogations sur leur indépendance sont apparues dans plusieurs affaires, comme, par exemple, l'homologation du matériel roulant.

M. Jean-François Longeot, président. -Je tiens à saluer l'initiative de notre ancien collègue Philippe Tabarot, qui avait suggéré l'organisation de cette table ronde, et à préciser qu'une autre séquence sur ce même sujet viendra utilement compléter l'expertise de la commission dans les prochaines semaines.

Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo disponible en ligne sur le site internet du Sénat.

Mercredi 29 janvier 2025

- Présidence de M. Jean-François Longeot, président -

Projet de loi d'orientation pour la souveraineté agricole et le renouvellement des générations en agriculture - Communication

M. Jean-Claude Anglars. - Il me paraît opportun de vous informer de la progression de l'examen, par la commission des affaires économiques, du projet de loi d'orientation pour la souveraineté agricole et le renouvellement des générations en agriculture.

Comme vous vous en souvenez, le 4 décembre dernier, je vous ai présenté mon rapport pour avis sur les articles 13 à 18 du projet de loi et vous avez bien voulu adopter les six amendements faisant la synthèse des évolutions souhaitables et des attentes recueillies au cours de mes auditions. Il me paraissait donc important de vous informer du sort que la commission des affaires économiques, saisie au fond, a réservé à nos initiatives lors de sa réunion ce 21 janvier, au cours de laquelle elle a examiné les amendements et élaboré le texte de commission qui sera discuté en séance publique.

Nous nous sommes entendus sur une rédaction commune à l'article 13, qui porte sur les infractions au code de l'environnement. À l'article 14, relatif aux haies, nous avions proposé une réécriture plus simple et compréhensible que celle du texte déposé par le Gouvernement, mais la commission des affaires économiques a souhaité maintenir ce dernier en l'état, préférant un dispositif qu'elle jugeait juridiquement plus sécurisé que notre approche de terrain, différenciée et pragmatique, qui reposait sur un dialogue territorial avec les acteurs concernés par la gestion des haies. S'agissant de l'article 14 ter, qui concerne le non-décompte de l'artificialisation induite par les bâtiments agricoles au sein des enveloppes foncières dans le cadre de la stratégie du « Zéro artificialisation nette » (ZAN), notre proposition a été adoptée, de même que notre amendement à l'article 15, relatif aux contentieux juridiques en matière de réserves de substitution pour sécuriser l'approvisionnement en eau des exploitations agricoles, et que notre amendement en faveur de la possibilité de valoriser des produits et sous-produits lainiers à l'article 17. Enfin, notre proposition de rédaction de l'article 18 a été adoptée : nous avions amélioré le dispositif adopté par l'Assemblée nationale pour le sécuriser sur le plan juridique et permettre aux conseils départementaux d'intervenir en matière de production, de transport et de stockage d'eau potable.

M. Jean-François Longeot, président. -Il était en effet nécessaire de faire un point sur ce texte, que nous examinerons en séance publique à partir du 4 février prochain.

Proposition de loi visant à renforcer la prévention et la lutte contre le risque incendie lié aux batteries au lithium et aux cartouches de protoxyde d'azote dans les installations de collecte, de tri et de recyclage - Désignation d'un rapporteur

M. Jean-François Longeot, président. - Nous devons procéder à la désignation d'un rapporteur pour l'examen de la proposition de loi visant à renforcer la prévention et la lutte contre le risque incendie lié aux batteries au lithium et aux cartouches de protoxyde d'azote dans les installations de collecte, de tri et de recyclage, déposée par Cyril Pellevat et moi-même.

Employé dans la restauration, les services de médecine ou l'industrie, le protoxyde d'azote est de plus en plus utilisé comme drogue de substitution, en raison de son effet euphorisant : en 2023, 13 % des 18-84 ans ont ainsi déjà expérimenté l'usage récréatif du protoxyde d'azote. Je suis moi-même régulièrement alerté par des élus locaux de mon département, qui me disent retrouver des bonbonnes de protoxyde d'azote dans les abribus, et dans la rue, sans que personne ne les collecte. Lorsqu'elles sont jetées dans les corbeilles de rue puis orientées vers des installations de traitement, ces cartouches peuvent provoquer des dégâts considérables, en suscitant des explosions au sein des unités de valorisation énergétique de déchets.

Vous l'aurez compris, les cartouches de protoxyde d'azote, au-delà des effets sanitaires, sont particulièrement dommageables pour les collectivités territoriales. C'est ce qui m'a conduit à déposer, le 11 avril 2024, une proposition de loi visant à appliquer le principe « pollueur-payeur » aux producteurs de cartouches de protoxyde d'azote.

En octobre 2024, notre collègue Cyril Pellevat m'a informé de son intention de déposer une proposition de loi afin de lutter contre les incendies causés par les batteries au lithium dans les installations de collecte, de tri et de recyclage. Ces batteries, qu'on retrouve dans de plus en plus de produits, comme les cartes de voeux musicales ou les vêtements lumineux, sont particulièrement inflammables et causent des dégâts considérables aux installations lorsqu'ils ne sont pas triés correctement.

J'ai proposé à Cyril Pellevat de fusionner nos propositions de loi, qui traitent de deux problèmes relatifs à la gestion des déchets. Ce texte comporte quatre articles, qui permettront une pleine application du principe « pollueur-payeur ». L'article 1er prévoit l'organisation d'une campagne annuelle de sensibilisation visant à limiter la présence de batteries hors des circuits adaptés. L'article 2 vise à créer un fonds d'indemnisation des dommages causés par les incendies liés à l'inflammation de batteries au lithium. L'article 3 ajoute les cartouches de protoxyde d'azote aux produits soumis au principe « pollueur-payeur ». Enfin, l'article 4 oblige les producteurs de ces cartouches à prendre en charge les coûts de ramassage et de traitement des déchets issus des cartouches abandonnées.

En ce qui concerne le calendrier d'examen de ce texte, le groupe Union centriste a demandé l'inscription de cette proposition de loi à l'ordre du jour du Sénat dans le cadre de son espace réservé du jeudi 6 mars prochain. En conséquence, l'examen du rapport et du texte de commission interviendra le mercredi 19 février afin de tenir compte de la période de suspension.

En vue de cet examen, j'ai reçu la candidature de Mme Jocelyne Antoine. Je vous propose donc de la désigner en qualité de rapporteure.

La commission désigne Mme Jocelyne Antoine, rapporteure sur la proposition de loi n° 79 (2024-2025) visant à renforcer la prévention et la lutte contre le risque incendie lié aux batteries au lithium et aux cartouches de protoxyde d'azote dans les installations de collecte, de tri et de recyclage.

Mme Jocelyne Antoine. - J'aimerais remercier nos collègues pour leur confiance, c'est la première fois que je suis désignée rapporteure.

Proposition de nomination de M. Philippe Pascal, candidat proposé par le Président de la République aux fonctions de président-directeur général du groupe Aéroports de Paris (ADP) - Désignation d'un rapporteur

M. Jean-François Longeot, président. - Nous en venons au troisième point à l'ordre du jour, à savoir la désignation d'un rapporteur sur le projet de nomination aux fonctions de président-directeur général du groupe Aéroports de Paris (ADP). Le Président de la République propose la candidature de M. Philippe Pascal, actuel directeur général adjoint chargé des finances, de la stratégie et de l'administration du groupe.

En application de la procédure prévue au cinquième alinéa de l'article 13 de la Constitution, nous l'entendrons le mercredi 12 février prochain - même si le candidat a fait part de son souhait d'être entendu à une date plus proche, mais c'est encore moi qui fixe les dates !

Pour mémoire, c'est Augustin de Romanet qui assume cette fonction depuis le 29 novembre 2012. Son mandat est arrivé à son terme le 29 mai 2024. Il a assuré l'intérim en attendant la nomination de son successeur, notamment pendant les jeux Olympiques et Paralympiques de Paris 2024.

Le groupe ADP est le gestionnaire des trois principaux aéroports franciliens : Paris-Charles de Gaulle, Paris-Orly et Paris-Le Bourget. Il exploite également, directement ou indirectement, 26 aéroports à l'international et est présent dans 120 aéroports dans le monde.

L'État détient actuellement 50,6 % du capital du groupe. La loi du 22 mai 2019 relative à la croissance et la transformation des entreprises, dite loi Pacte, a néanmoins ouvert la possibilité de sa privatisation. Une proposition de référendum d'initiative partagée (RIP) visant à affirmer le caractère de service public national de l'exploitation des aérodromes de Paris et, partant, à s'opposer à la privatisation du groupe a cependant été déposée le 10 avril 2019, à l'initiative de 248 parlementaires. Le texte n'ayant recueilli qu'environ 1,1 million de voix sur les 4,7 millions nécessaires, la procédure n'avait pas prospéré.

La privatisation du groupe ADP a toutefois été reportée sine die à la suite de la crise sanitaire, qui a eu une incidence marquée sur le secteur aérien. Cette audition sera donc l'occasion de revenir sur cette demi-décennie particulièrement éprouvante pour l'entreprise et de s'interroger sur ses perspectives futures alors que le transport aérien doit mener à bien sa décarbonation.

Je vous rappelle que l'article 19 bis du Règlement du Sénat prévoit qu'en amont de cette audition, la commission désigne un rapporteur chargé de la préparer. J'ai reçu la candidature de notre collègue Stéphane Demilly.

La commission désigne M. Stéphane Demilly, rapporteur sur la proposition de nomination, par le Président de la République, de M. Philippe Pascal aux fonctions de président-directeur général du groupe ADP, en application de l'article 13 de la Constitution.

Questions diverses

M. Jean-François Longeot, président. - Après une longue interruption et suivant un calendrier inédit, le Sénat a achevé jeudi dernier l'examen du projet de loi de finances (PLF) pour 2025. Dans l'ensemble, nous pouvons tirer un bilan positif de nos travaux préparatoires.

Nous avons entendu trois ministres en réunion plénière : François Durovray, qui a depuis lors quitté le gouvernement, Agnès Pannier-Runacher et Catherine Vautrin. Nos huit rapporteurs ont entendu 170 personnes pendant une cinquantaine d'heures d'auditions. Deux matinées d'examen en commission, représentant environ 6 h 10 de présentation et d'échanges, nous ont permis d'adopter, au nom de la commission, neuf amendements sur la première partie du projet de loi de finances (PLF) et six sur la seconde partie.

Sur les neuf amendements sur la première partie, sept ont été adoptés, dont six contre l'avis du Gouvernement et deux contre l'avis de la commission des finances et du Gouvernement. Je pense en particulier à deux amendements portés par Philippe Tabarot et Olivier Jacquin et visant respectivement à instaurer un versement mobilité (VM) régional et à rehausser de 0,2 point le plafond du VM pour les autorités organisatrices de la mobilité (AOM) hors Île-de-France, afin de les soutenir dans le déploiement des services express régionaux métropolitains (Serm).

Sur les huit amendements proposés par les rapporteurs pour avis sur la seconde partie du PLF, six ont été adoptés et déposés par la commission. Trois d'entre eux ont été adoptés en séance publique : un amendement sur la mission « Économie » relatif au déploiement de la fibre optique à Mayotte, adopté le 3 décembre dernier avant que le terrible cyclone Chido ne frappe l'île le 14 décembre, et deux amendements sur la mission « Écologie, développement et mobilité durables ». Le premier de ces deux derniers amendements, qui visait à rendre éligibles aux aides à l'acquisition de véhicules propres les véhicules électriques d'occasion et les véhicules intermédiaires, a été adopté malgré un avis défavorable du Gouvernement et de la commission des finances, tandis que le second a augmenté les autorisations d'engagement (AE) et les crédits de paiement (CP) du Fonds Chaleur à hauteur de 10 millions d'euros.

Globalement, si les CP adoptés par le Sénat pour la mission « Écologie, développement et mobilité durables » s'élèvent à 19,17 milliards d'euros, soit une baisse de 6,5 % par rapport au texte initial, quelques points positifs se dégagent néanmoins : l'abondement du Fonds Barnier à hauteur de 300 millions d'euros sur le programme 181 relatif à la prévention des risques ainsi que la création de deux nouveaux fonds, le fonds territorial climat, doté de 200 millions d'euros pour financer la transition écologique des collectivités territoriales, et le fonds érosion côtière, doté d'un million d'euros.

La proportion plus que satisfaisante d'amendements issus de notre commission ayant été adoptés en séance publique - dix sur quinze, soit les deux tiers - témoigne de la place de notre expertise dans le débat budgétaire. Nous pouvons être fiers de ce travail collégial, accompli avec le souci d'accompagner la transition écologique dans les territoires.

Il faut néanmoins rester mobilisés pour transformer l'essai dans la suite de la navette parlementaire. Les avancées obtenues sur le VM, en particulier, sont loin d'être acquises compte tenu des réserves exprimées par le Gouvernement. Cet apport sénatorial doit être préservé pour sécuriser le financement des infrastructures et services de transport et soutenir les AOM dans la mise en oeuvre de leurs compétences. Nous devons rester vigilants, car les deux conseillers du Premier ministre dont j'ai appelé l'attention sur le sujet hier matin ne m'ont pas complètement rassuré.

La réunion est close à 11 h 45.