Mercredi 22 janvier 2025
- Présidence de M. Philippe Mouiller, président -
La réunion est ouverte à 9 h 5.
Audition des syndicats des étudiants en études de santé sur l'accès aux études de santé (1er cycle) (sera publié ultérieurement)
Le compte rendu de cette audition sera publié ultérieurement.
Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.
Audition de M. Jacques-Olivier Bay, candidat aux fonctions de président du conseil d'administration de l'Agence de la biomédecine
M. Philippe Mouiller, président. - Mes chers collègues, nous entendons ce matin, en application de l'article L. 1451-1 du code de la santé publique, M. Jacques-Olivier Bay, candidat au renouvellement de son mandat de président du conseil d'administration de l'Agence de la biomédecine. J'indique que cette audition fait l'objet d'une captation vidéo en vue de sa retransmission en direct sur le site du Sénat. Elle sera consultable en vidéo à la demande.
Je vous rappelle que l'Agence de la biomédecine, établissement public administratif sous tutelle du ministre de la Santé, a été créée par la loi de bioéthique du 6 août 2004. Notre assemblée est représentée au conseil d'orientation de l'agence par nos collègues Florence Lassarade, Bernard Buis et Pierre Médevielle.
L'agence est compétente dans les domaines de la greffe, de la reproduction, de l'embryologie et de la génétique humaines. Ses missions ont été complétées par la loi de bioéthique du 2 août 2021 en matière de procréation avec l'ouverture de l'assistance médicale à la procréation aux couples de femmes et aux femmes seules, le développement de l'autoconservation des gamètes et la mise en oeuvre du registre des donneurs.
C'est une agence que notre commission connaît bien. Je vous rappelle que nous avons reçu l'année dernière une enquête de la Cour des comptes sur les missions de l'Agence de la biomédecine et que nous avions entendu sa directrice générale, Marine Jeantet, pour donner suite à ces travaux. Pour mémoire, ceux-ci avaient montré : d'une part, des difficultés à mettre en oeuvre les avancées de la loi du 2 août 2021 (ouverture de l'aide médicale à la procréation - AMP - aux couples de femmes et aux femmes non mariées, autorisation de l'autoconservation des gamètes en dehors de tout motif médical et droit d'accès aux origines pour les personnes conçues à partir d'un don de gamète) ; d'autre part, des difficultés à maintenir une dynamique satisfaisante en matière de don afin de permettre le développement des activités de greffe et d'AMP.
S'agissant de la présidence du conseil d'administration de l'agence, je rappelle que cette audition ne donne pas lieu à un vote.
Je vous laisse la parole, Monsieur Bay, pour nous présenter votre action passée à la présidence de l'Agence de la biomédecine ainsi que vos projets pour votre prochain mandat, notamment à la lumière des constats de la Cour des comptes de l'année dernière. Les commissaires présents pourront ensuite vous interroger.
M. Jacques-Olivier Bay, candidat aux fonctions de président du conseil d'administration de l'Agence de la biomédecine. - Merci Monsieur le Président. Je suis honoré d'être proposé pour un second mandat à la présidence du conseil d'administration de l'Agence de la biomédecine. J'ai 59 ans, et mon premier mandat a été débuté lorsque j'avais 56 ans, par un décret du Président de la République publié le 1er août 2021. Je suis professeur des universités-praticien hospitalier (PU-PH) en oncologie au CHU de Clermont-Ferrand, spécialisé en oncohématologie et thérapie cellulaire.
Ma vocation de médecin s'est manifestée dès l'enfance, et j'ai choisi spécifiquement la cancérologie pour son aspect multidisciplinaire, les projets scientifiques inhérents à cette spécialité ainsi que les profondes relations humaines tissées avec les patients. Mes compétences se sont surtout développées en oncologie et en thérapie cellulaire, avec une formation scientifique ponctuée par une thèse d'université aux Etats-Unis et une habilitation à diriger des recherches. Mes séjours à l'étranger m'ont mené d'abord à Montréal puis à Los Angeles pour une période de 3 ans. Mon expérience aux États-Unis m'a confortée dans mon attachement au système de soins français, plus conforme à mes convictions et aux valeurs que je défends, la non-équité dans l'accès aux soins m'ayant souvent heurté outre-Atlantique. De retour en France, j'ai obtenu un poste de chef de clinique des université-assistant des hôpitaux (CCU-AH) au centre de lutte contre le cancer (CLCC) Jean Perrin, à Clermont-Ferrand. J'ai été nommé PU-PH en 2006 avec l'objectif de développer le service de thérapie cellulaire et d'hématologie clinique au CHU de Clermont-Ferrand, qui dispose aujourd'hui de 45 lits et compte 17 praticiens. En 2020, le service d'oncologie médicale du CHU de Clermont-Ferrand a été créé. Mes activités de recherche sont intégrées à une équipe qui devrait rejoindre bientôt une unité Inserm.
L'activité de thérapie cellulaire en cancérologie m'a toujours passionné. Outre mes activités cliniques et scientifiques, j'ai notamment présidé la Société francophone de greffe de moelle et de thérapie cellulaire de 2016 à 2020, je suis membre de la Société française d'hématologie, membre du conseil scientifique de la Société française du cancer, et j'ai intégré le groupe oncohématologie à l'Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM). J'ai aussi une activité d'expert, je suis rédacteur en chef du bulletin du cancer, membre du bureau de la Fédération hospitalière de France (FHF) dans sa section cancer, et assesseur auprès du Doyen de la faculté de médecine de Clermont-Ferrand.
À titre personnel, j'ai toujours fait le choix d'une indépendance de mes activités vis-à-vis de l'industrie pharmaceutique, ce qui me permet de n'avoir aucun conflit d'intérêts. Je ne participe à aucune réunion liée à l'industrie pharmaceutique. Mes travaux de recherche clinique et scientifique ont toujours été financés de façon académique par des associations comme la Ligue contre le cancer ou par l'État, au travers de programmes hospitaliers de recherche clinique ou d'appels d'offres d'agences sanitaires.
L'Agence de la biomédecine est un établissement public administratif créé par la loi de bioéthique du 6 août 2004. Elle succède à l'Établissement Publique des Greffes créé en 1994, au registre France Greffe de Moelle et à des missions et commission ministérielles qui se sont succédées. Son autorité de tutelle est le ministère du Travail, de la Santé, des Solidarités et des Familles, avec Catherine Vautrin comme ministre et le Docteur Yannick Neuder comme ministre délégué chargé de la Santé et de l'Accès aux soins. L'agence a des missions opérationnelles et de promotion du don. Elle applique et met en oeuvre la loi dans son périmètre, éclaire les pouvoirs publics par son expertise, et est compétente pour les greffes d'organes, de tissus et de cellules. Depuis 2004, elle s'est vue confier des missions complémentaires notamment en matière de procréation, d'embryologie et de génétique humaine. Vous le voyez, ses missions sont vastes, elles pourraient même paraître un peu disparates.
En synthèse, l'Agence de la biomédecine couvre les domaines médicaux et de recherche utilisant des éléments du corps humain donnés à un tiers, à l'exception du sang. À visée thérapeutique, il s'agit de greffes d'organes, de tissus et de cellules souches hématopoïétiques (CSH). À titre de traitement, certains composants du corps humain sont considérés comme des médicaments et dépendent plutôt de la Haute Autorité de santé et l'ANSM. Outre ces aspects thérapeutiques, l'Agence de biomédecine encadre également les prélèvements de tissus et de cellules, l'assistance médicale à la procréation, les diagnostics prénataux et pré-implantatoires, elle autorise également les centres de diagnostic pré-implantatoire et les centres pluridisciplinaires de diagnostic prénatal, ainsi que la recherche sur les cellules embryonnaires. Elle agrée des médecins, gère des registres, et assure le suivi des donneurs. Elle assure la vigilance et la biovigilance, et donne des avis sur les bonnes pratiques et sur les autorisations au niveau des agences régionales de santé.
Ses capacités opérationnelles sont accessibles 24h/24 sur tout le territoire français et à l'international, notamment pour la greffe d'organes en gérant la liste internationale des patients en attente de greffe, permettant la répartition des greffons, mais également pour les greffes de cellules souches hématopoïétiques allogéniques. Les missions de l'agence sont larges, et elles sont assurées par des agents pour lesquels j'ai un grand respect.
Concernant les instances qui régissent le fonctionnement de l'Agence de la biomédecine, le conseil d'administration, que j'ai eu l'honneur de présider, délibère sur les orientations générales, le programme d'investissement, le rapport d'activité annuel, les budgets et les comptes, les subventions et les dons et legs. La direction générale joue un rôle exécutif, elle était assurée par Madame Emmanuelle Cortot-Boucher au début de ma mandature, et l'est actuellement par le Docteur Marine Jeantet.
L'agence s'appuie sur un conseil d'orientation présidé par le Professeur Stanislas Lyonnet, traitant souvent de questions éthiques, réunissant des parlementaires, des membres de juridiction suprêmes, des associations, des représentants des sciences sociales et humaines ainsi que des professionnels de santé. L'agence s'appuie également sur un conseil médical et scientifique présidé par le Professeur Philippe Menasché, avec pour vice-présidente le Professeur Alexandra Benachi.
L'agence est structurée en deux directions générales adjointes : l'une chargée des ressources, l'autre de la politique médicale et scientifique. Cette dernière présente trois directions : prélèvement et greffe d'organes et de tissus, procréation embryologie et génétique humaine, prélèvement et greffe de cellules souches hématopoïétiques. Le programme d'action de ces sous-directions est sous-tendu par les plans ministériels spécifiques validés le 15 mars 2022, eux-mêmes soutenus par un contrat d'objectifs et de performances (COP) signé avec l'État. Enfin, l'Agence la biomédecine dispose de quatre services régionaux pour assurer des missions d'appui en proximité.
Les maîtres-mots de l'agence sont équité, transparence, éthique, solidarité, neutralité, expertise et engagement collectif. Sa devise est « Du don à la vie », et son étendard est un ruban vert symbolisant l'espoir et l'engagement pour le don d'organes et de tissus. Ce ruban a été créé et adopté le 22 juin 2019 par le monde associatif pour signifier engagement, gratitude envers tous les donneurs, et espoir pour les patients en attente de greffe.
Durant mon mandat précédent, l'agence a contribué à l'élaboration des plans ministériels 2017-2022 et 2022-2026. L'année 2021 était charnière, puisqu'il s'agissait de la fin du précédent plan stratégique 2017-2022. L'agence a apporté son expertise à l'élaboration de la loi relative à la bioéthique promulguée le 2 août 2021. Elle a reçu de nouvelles compétences, notamment la tenue d'un registre de donneurs de gamètes et d'embryons, essentiel pour l'exercice du droit d'accès aux origines. Toute personne issue du don de gamètes peut aujourd'hui avoir accès à l'identité de la personne qui a permis sa conception. Les anciens donneurs pourront être contactés par une commission. L'Agence suit également l'élargissement de l'assistance médicale à la procréation aux couples de femmes et aux femmes non mariées, ainsi que l'autoconservation des gamètes à des fins non médicales. Par ailleurs, l'Agence de la biomédecine exerce désormais un rôle de vigilance sur les projets de recherche concernant les cellules souches pluripotentes induites. Elle peut s'opposer à un protocole qui poserait des difficultés éthiques. De nouvelles compétences lui ont été attribuées concernant la greffe de cellules souches hématopoïétiques, notamment l'harmonisation des dispositions relatives à la prise de décision des majeurs protégés, en cohérence avec le code civil. L'agence doit également assurer un suivi des donneurs.
C'est également sous mon mandat que les plans ministériels ont été mis en place à partir de mi-2022. L'agence a également fait l'objet d'une enquête de la Cour des comptes, dont les recommandations ont été présentées à la commission des affaires sociales du Sénat par Madame Véronique Hamayon le 31 janvier 2024. Ces recommandations concernaient notamment la création d'un registre national de gestion des gamètes, un meilleur pilotage des banques de tissus, la détermination de seuils d'activité pour certaines greffes d'organes, et l'accroissement du nombre de donneurs de cellules souches hématopoïétiques. Notre directrice de l'agence a apporté des réponses à ce rapport, notamment lors de son audition au Sénat le 14 février 2024.
Actuellement, l'agence dispose d'un budget de 97 millions d'euros. Ses recettes correspondent à une dotation de l'assurance maladie et à des ressources propres en rapport avec l'activité d'intermédiation du registre France Greffe de Moelle. L'effectif de l'agence est de 262,6 équivalents temps plein, dont 79 % des agents sont contractuels, 15 % sont détachés, et 6 % sont mis à disposition. En 2023, elle a supervisé 5 634 greffes d'organes, 1 200 greffes de cellules souches hématopoïétiques à partir de donneurs non apparentés, et enregistré 23 000 nouveaux inscrits sur le fichier de donneurs, avec 385 000 inscrits sur le registre français. En génétique médicale, plus de 540 000 examens génétiques moléculaires ont été réalisés. Concernant l'assistance médicale à la procréation, près de 27 000 enfants sont nés, avec plus de 700 nouveaux donneurs de spermatozoïdes et 940 nouvelles donneuses d'ovocytes, et plus de 13 000 patients ont bénéficié d'une conservation médicale de gamètes en raison d'une possible altération future de leur fertilité. Ce dernier point est particulièrement important pour les jeunes patients affectés d'une pathologie cancéreuse.
L'agence est reconnue pour son efficacité et son sérieux. Elle a reçu la visite du Docteur François Braun le 22 juin 2023, alors ministre de la Santé. Sa gestion financière est rigoureuse, avec un exercice budgétaire à l'équilibre. Le bien-être au travail est un souci constant de la direction, et le dialogue social est constructif et apaisé. Les projets et missions de l'agence sont développés en étroite collaboration avec les autorités de tutelle. Je souhaite témoigner des excellentes qualités des agents qu'elle emploie, ainsi que de leurs professionnalisme et dévouement à leurs missions. Je témoigne enfin que l'Agence de la biomédecine veille au profond respect des lois de bioéthique, aux principes fondamentaux d'équité, à l'éthique, à la sécurité, mais également au triptyque fondateur de la dernière loi de bioéthique : dignité, liberté et solidarité.
Pour la nouvelle mandature, trois plans ministériels stratégiques ont été élaborés et adoptés le 15 mars 2022 pour la période 2022-2026 : le prélèvement et la greffe d'organes et de tissus, la procréation et la génétique humaine, et le prélèvement et la greffe de cellules souches hématopoïétiques. Pour ces trois plans, un comité de suivi a été mis en place. Pour ce qui concerne le prélèvement et la greffe d'organes, les mesures innovantes sont le renforcement de la professionnalisation de la coordination hospitalière, le développement du prélèvement multi-sources, la révision des modalités de financement dans un sens incitatif, la création d'un indicateur de performance et la désignation d'un référent greffe auprès des agence régionales de santé concernées. Les objectifs sont de réduire le taux d'opposition et le nombre de patients en attente de greffe, de favoriser les schémas régionaux de santé autours de la greffe d'organes, de former et d'informer et de développer de nouvelles greffes de tissus.
Concernant la procréation, l'embryologie et la génétique humaine, les objectifs incluent la réduction des délais d'attente, la mise en place d'un registre pour l'accès aux origines dans le cadre de l'AMP avec tiers donneur, le fait de tendre à l'auto-suffisance nationale en dons de gamètes et d'adaptateur les nouvelles technologies aux pratiques quotidiennes. L'agence souhaite également promouvoir l'utilisation des stocks de gamètes entre centres et développer un système d'informations interopérable.
Le plan ministériel concernant le prélèvement et la greffe de cellules souches hématopoïétiques vise à garantir le maintien et l'accès aux sources de greffons, améliorer les conditions de prélèvement et de suivi des donneurs, maintenir la qualité des registres, renforcer la biovigilance, adapter les modalités de financement de ces activités, et poursuivre la communication sur le don non apparenté de cellules souches hématopoïétiques. L'objectif annuel est d'inscrire 20 000 nouveaux donneurs de moins de 36 ans sur le registre France Greffe de Moelle, en diversifiant les profils HLA (human lymphocyte antigen) et en masculinisant le registre. Conformément aux recommandations de la Cour des comptes, une réflexion est engagée sur la précision et le coût des typages HLA, ainsi que sur l'adéquation entre qualité et quantité de donneurs.
Un contrat d'objectifs et de performance établi pour la période 2022-2026 a été signé avec le ministre de la santé et de la prévention le 14 février 2023. Il s'articule autour de deux axes : l'un est médical et scientifique, et l'autre fonctionnel avec des objectifs stratégiques qui concernent notamment la dimension territoriale des actions de l'agence, la création et l'analyse des données, la formation des professionnels de santé, la communication avec le public, les systèmes d'information, les ressources humaines ainsi que le pilotage.
Sur les aspects prioritaires, l'Agence de la biomédecine travaille à augmenter le nombre d'inscrits sur le fichier des donneurs non apparentés de cellules souches hématopoïétiques, tout en maintenant la qualité des donneurs. Des actions fortes sont prévues : augmentation du budget de communication, incitation des donneurs de sang pour devenir donneurs de cellules souches, collaboration avec les associations de patients, et régionalisation du plan greffe avec une intense collaboration avec les agences régionales de santé. L'agence s'implique également pour maintenir le prélèvement et la greffe d'organes comme priorité nationale, en généralisant la greffe avec donneurs vivants, en renforçant les gouvernances hospitalières, en refondant le logiciel Cristal, et en menant des campagnes de presse incitatives au don d'organe.
Pour le don de gamètes, un plan d'action vise à réduire les délais d'attente, avec notamment une mutualisation des stocks. L'agence est attentive aux analyses génétiques et souhaite s'impliquer dans le pilotage et l'animation du plan national maladies rares. L'agence promeut la recherche médicale et scientifique en soutenant des projets de recherche, et en favorisant des interrelations entre les équipes de recherche. L'agence s'implique également dans les enjeux internationaux. Elle fait rayonner l'expertise française, notamment auprès de l'OMS, grâce à des accès privilégiés à des registres de données de qualité. Elle renforce également ses systèmes d'information, notamment Cristal (qui s'applique à l'activité de prélèvement et à la greffe) avec des travaux qui ont débuté en 2022 et devraient se terminer en 2025, et Syrenad (qui s'applique aux donneurs et receveurs de cellules souches hématopoïétiques) dont la refonte s'est terminée en 2024. Le système d'information doit également s'appliquer au registre national de refus des prélèvements.
La communication sur la promotion du don est une mission importante de l'Agence de la biomédecine, visant à maintenir la confiance du public envers les professionnels et à inciter au don. L'objectif est d'agir sur les intentions et sur les comportements en fédérant le plus possible les professionnels de santé et les associations d'usagers. Il faut tendre à une intention d'agir qui s'exprime par l'acceptation du don. La démocratie sanitaire est favorisée par l'implication des associations et des citoyens. À l'heure des réseaux sociaux, l'agence communique également pour protéger au mieux sa réputation en établissant des relations de confiance et de transparence. Elle communique également pour faire connaître ses intentions dans la sphère scientifique et médicale.
L'agence est également impliquée dans la transition écologique, notamment par le transfert de ses locaux dans un bâtiment partiellement occupé par la Haute Autorité de santé, dans le respect du souhait des agents et dans une logique d'écologie aujourd'hui indispensable.
En conclusion, je soutiens qu'il faut maintenir une démarche volontariste pour accueillir de nouvelles associations au coeur des groupes de travail et des comités de suivi permettant un renforcement de la démocratie sanitaire. En outre, une réflexion sur les sciences sociales doit s'instaurer, notamment par le soutien aux projets scientifiques mixtes qui s'ouvriront prochainement. C'est également le sens que l'agence veut donner aux rencontres de la biomédecine, dont la première manifestation a eu lieu les 12 et 13 octobre 2023, pour ouvrir l'agence aux évolutions scientifiques liées aux enjeux sociétaux.
Je suis motivé pour poursuivre la présidence du conseil d'administration de l'Agence de la biomédecine, mettant mes convictions, mon engagement, mon indépendance, mon attachement au respect des institutions et mon expérience au service de sa mission : transformer un acte altruiste de générosité en étincelle de vie pour autrui. En d'autres termes, être à la charnière de la générosité publique, du don de soi, et de l'excellence clinique au service des patients.
Mme Élisabeth Doineau. - Monsieur Bay, je tiens tout d'abord à vous féliciter pour votre parcours, qui est une fierté pour la France et un espoir pour les malades et les citoyens. Ma première question concerne le budget dont vous avez la responsabilité. Celui-ci a augmenté de 12 % depuis 2021, en raison des nouvelles missions confiées à l'Agence de la biomédecine. Dans un contexte de réduction des dépenses des opérateurs de l'Etat prévue dès 2025, le Sénat a ajouté dans le PLFSS 2025 un article visant à inscrire directement dans la loi de financement de la sécurité sociale (LFSS) le montant des dotations de l'assurance maladie à certaines agences de santé, dont l'Agence de la biomédecine. Concernant cet aspect budgétaire, j'ai deux questions :
D'une part, quelle est la nature de votre dialogue avec l'État pour dégager des marges d'efficience dans la gestion de vos effectifs et la définition de votre budget ? Quels ont été les principes directeurs du COP 2022-2026 à cet égard ? Disposez-vous d'un cadrage pluriannuel pour l'évolution du budget de l'agence ?
D'autre part, on observe un fort déséquilibre dans la répartition du budget de l'agence : 45 % sont dédiés aux cellules souches, près de 20 % aux organes et aux tissus, et seulement 3,5 % aux reins. Ce déséquilibre est-il pénalisant pour la conduite de l'ensemble des missions de l'agence ?
J'aurai ensuite une autre question : Même si une part largement majoritaire de Français se déclare favorable au don d'organes et de tissus après leur décès (80 % selon le dernier baromètre d'opinion), dans les faits, le taux d'opposition des patients décédés s'établit aujourd'hui à 36,1 %, après avoir significativement augmenté en 2023. D'autres pays présentent de bien meilleurs résultats, comme l'Espagne, souvent citée en référence puisqu'elle est le pays comptant le plus de donneurs d'organes décédés. Pourtant, en France comme en Espagne, la règle du consentement présumé s'applique. Qu'est-ce qui différencie selon vous la France de l'Espagne ?
Mme Corinne Imbert. - Merci, Président. Professeur, je vous félicite également pour votre parcours. Mes questions portent sur plusieurs aspects des compétences de l'agence :
Concernant les greffes d'organes, le besoin a presque quadruplé en 2025 pour atteindre plus de 23 000 demandes en 2020. En 2022, plus de 1 000 patients sont décédés faute de greffe. Quel scénario d'augmentation du nombre de patients en attente de greffe prévoyez-vous pour les prochaines années ? Comment répondre au défi de la greffe rénale face à l'augmentation de l'insuffisance rénale chronique ?
Au sein de l'Union européenne, des dispositifs transnationaux comme Eurotransplant facilitent les échanges d'organes entre plusieurs pays. Que pensez-vous de ce type d'organisation ? La France aurait-elle intérêt à y participer ?
Concernant la greffe de moelle osseuse, plus de 93 % des greffons destinés aux patients français sont importés, principalement d'Allemagne, représentant un coût financier important. Cette situation est-elle une spécificité française ? Pourquoi l'Allemagne parvient-elle à une plus grande agilité que la France ? Quelles solutions pourraient permettre d'améliorer l'accès aux greffons de moelle, alors que les donneurs français restent trop peu nombreux ?
Enfin, la crise sanitaire a fortement désorganisé les services hospitaliers et pénalisé l'activité de prélèvements et de greffes d'organes. En 2024, on constate une reprise de l'activité hospitalière, en est-il de même pour les prélèvements et transplantations ?
Mme Annie Le Houérou. - Je remercie également Monsieur Bay pour son parcours et son engagement. Le rapport de la Cour des comptes sur l'Agence de la biomédecine décrit une situation de débordement des acteurs de la filière de l'assistance médicale à la procréation depuis l'entrée en vigueur de la loi du 2 août 2021. Les nouveaux droits accordés aux couples de femmes et aux femmes seules ont entraîné un allongement des délais d'accès à l'AMP, jusqu'à saturation des listes d'attente dans certaines régions comme l'Île-de-France. Mes questions sont les suivantes :
Compte tenu de l'importance de la demande, quelles mesures permettraient d'assurer un accès effectif aux nouveaux droits créés par la loi pour toutes les femmes ?
Concernant le plan de lutte contre l'infertilité annoncé par le Président de la République en janvier 2024, l'Agence de la biomédecine a-t-elle été appelée à contribuer à son élaboration ? Quelles propositions portez-vous à ce sujet et quand ce plan pourrait-il voir le jour ?
M. Jacques-Olivier Bay. - Je vais synthétiser mes réponses. Concernant le budget, je pense que le dialogue avec nos autorités de tutelle a toujours été excellent. En tant qu'agence sanitaire, nous avons toujours été aidé, et nous avons bénéficié d'augmentations budgétaires pour nos nouvelles missions. L'agence est à l'équilibre, avec un déficit de 1 million d'euros prévu pour l'année prochaine, dû à des investissements en communication. Le budget prévisionnel déficitaire est lié à cet élan volontaire. Suite au non-vote de la loi de financement de la sécurité sociale, nous devons revenir au budget de l'année 2024 et faire des économies afin de récupérer environ 1,5 million d'euros pour le budget 2025. Nous investirons un peu plus dans nos fonds propres et ferons ainsi des économies. 1,5 million d'euros a été accordé par les tutelles pour servir notamment aux frais de déménagement. Néanmoins, le dialogue avec les tutelles est très constructif.
Concernant le budget de la greffe de cellules souches hématopoïétiques, la directrice générale de l'agence avait précisé que l'activité d'intermédiation est à la fois donnante et recevante. Nous achetons des greffons pour des structures hospitalières qui remboursent l'Agence de la biomédecine, qui ne sert que de relais.
Il n'est pas imaginable d'être totalement indépendant en France sur le registre des donneurs de cellules souches hématopoïétiques. Le registre compte 350 000 donneurs, nous plaçant au 16e rang sur 73 registres mondiaux. Il n'est pas envisageable d'être totalement autonome pour les greffons de moelle osseuse, étant donné la rareté des compatibilités HLA, mais il est vrai qu'il faut que nous soyons le plus diversifiés possible. Nous suivons les recommandations ministérielles pour l'inscription de nouveaux donneurs. L'objectif est de 20 000 nouveaux donneurs.
Pour les greffes d'organes, nous constatons une augmentation de la demande avec un offre qui augmente aussi un peu. Le nombre des inscriptions chaque jour est de 20 à 23 patients, pour un taux de greffe de 18 à peu près. Malheureusement, certains patients décèdent avant de pouvoir être greffés. Nous travaillons à sensibiliser la population sur le don d'organes, notamment par un investissement très important dans les campagnes de communication.
Concernant la procréation médicalement assistée, les délais d'attente ont été réduits mais restent importants, en raison d'un appel d'air et d'une demande forte des citoyennes et citoyens. C'est une bonne nouvelle, bien qu'il faille prendre conscience de ces délais. Ils étaient de 10 à 12 mois, et ont été un peu réduits aujourd'hui. Sur tous les centres d'études et de conservation des oeufs et du sperme (CECOS), certains sont plus receveurs et d'autres plus donneurs. Nous mettons en place un registre national pour optimiser la gestion des gamètes entre les différents centres.
M. Khalifé Khalifé. - Je m'associe à mes collègues pour vous féliciter pour votre carrière. Je regrette que les étudiants en médecine n'aient pas pu assister à la présentation de votre parcours.
J'ai deux questions concernant la communication et la formation des chirurgiens préleveurs. Le rapport de l'Inspection générale des affaires sociales (Igas) a souligné les difficultés de mise en place de la régionalisation et d'implication des professionnels de santé, notamment des préleveurs. Le rôle des associations est crucial. Malgré l'augmentation du nombre de greffons, la demande reste supérieure à l'offre. Concernant la communication, l'implication des communes comme ambassadrices de l'Agence de la biomédecine sont des initiatives positives. Il faut aussi aborder les idées reçues sur les dons d'organes et l'aspect religieux. Comment, dans le contexte actuel, allez-vous communiquer sur ce point ?
Pour la formation des préleveurs, avec l'extension du protocole Maastricht III, certains greffons sont mal prélevés, entraînant du gâchis. Les prélèvements multi-organes posent des défis logistiques, mobilisant un bloc opératoire et plusieurs équipes pendant de longues périodes. Comment envisagez-vous d'améliorer ces aspects ?
M. Olivier Henno. - J'ai trois questions. Premièrement, quel est votre point de vue sur les innovations thérapeutiques, notamment en oncologie ? La France et l'Europe sont-elles toujours compétitives dans ce domaine ? Deuxièmement, dans un contexte international où le multilatéralisme s'effrite au profit de relations bilatérales basées sur des rapports de force, quelles conséquences voyez-vous pour la bioéthique, alors que la recherche et les innovations progressent très rapidement ? Enfin, quel impact l'intelligence artificielle pourrait-elle avoir sur votre mode d'organisation et sur l'approche de la bioéthique ?
Mme Anne Souyris. - Merci pour votre engagement, Monsieur Bay. J'ai deux questions. Premièrement, l'agence a noté une hausse significative de l'opposition au don d'organes (36,1 % en 2023), alors que 80 % des Français seraient favorables au don de leurs propres organes après la mort. Envisagez-vous que la loi sur la fin de vie puisse améliorer le renseignement du choix des Français sur le don d'organes ? Deuxièmement, concernant l'entrave à la recherche, le journal Le Monde a révélé en septembre que la Fondation Jérôme Lejeune, connue pour ses positions extrémistes et anti-avortement, a demandé aux tribunaux l'annulation de 61 autorisations de recherche allouées par l'Agence de la biomédecine à des équipes scientifiques de l'Inserm et du CNRS. Quel est votre point de vue sur ces obstacles à la recherche sur les embryons ?
Mme Émilienne Poumirol. - Merci, Monsieur le Président. Je voudrais revenir sur deux points déjà évoqués. Premièrement, concernant le plan de réarmement démographique et le sujet de l'infertilité, êtes-vous impliqués dans cette démarche ? Deuxièmement, concernant l'Union européenne, pouvez-vous clarifier la situation des conventions avec l'Allemagne ? Pourquoi l'Espagne, malgré sa proximité culturelle, semble moins engagée dans ce domaine ?
M. Jacques-Olivier Bay. - Concernant la qualité des greffons des cellules souches hématopoïétiques, il est important de comprendre que les échanges internationaux sont bidirectionnels. Si nous achetons des greffons à l'étranger, c'est pour obtenir la meilleure compatibilité pour nos patients. De même, des pays étrangers sollicitent le registre français pour la même raison. L'adéquation entre la quantité et la qualité revêt ici toute son importance. Cette internationalisation reflète la nature universelle de notre patrimoine génétique.
La communication est fondamentale dans notre domaine. Le ruban vert, initiative du monde associatif, illustre l'importance de la collaboration avec les associations de patients et d'aidants. Notre directrice générale encourage fortement cette démocratie sanitaire. Nos campagnes de communication sont conçues pour être inclusives et représentatives de la diversité de notre société. Elles visent à sensibiliser tous les groupes ethniques à l'importance du don d'organes. Il y a une volonté d'humanisme.
La formation est cruciale pour l'efficacité de notre action. L'Agence de la biomédecine s'engage dans une décentralisation croissante pour répondre aux inégalités territoriales, notamment dans les territoires d'outre-mer qui sont déshérités par rapport à la greffe. Cette décentralisation fait prendre conscience d'une réalité politique qui détermine l'application des plans ministériels.
Concernant la formation des médecins et chirurgiens, la Cour des comptes recommande d'établir des seuils d'autorisation pour l'activité de greffe. C'est une piste à explorer pour garantir la compétence des greffeurs. Le prélèvement multi-organes est confronté à des difficultés liées aux contraintes de personnels dans les hôpitaux publics, exacerbées par la crise du covid-19. Nous observons une reprise progressive de l'activité, mais nous n'avons pas encore atteint les niveaux de 2019.
Concernant la loi sur la fin de vie, il pourrait être intéressant d'y inclure une incitation au don d'organes, tout en reconnaissant que la plupart des personnes concernées ne pourront probablement pas être donneurs en raison de leur état de santé.
Enfin, nous sommes conscients des défis posés par la méfiance d'une partie de la population envers les professionnels de santé et de la recherche. C'est un enjeu majeur pour notre communication et notre action. L'agence s'efforce de communiquer efficacement pour promouvoir la science et l'éthique. L'intelligence artificielle est un sujet complexe qui va impacter notre quotidien, y compris potentiellement dans la gestion des fonds et des registres. Il faut être vigilant quant à l'utilisation des données.
Je vous remercie pour vos encouragements. Je souhaite que l'Agence de la biomédecine incarne une force d'unité. Malgré les défis et le multilatéralisme qui tend à se fissurer, j'espère que notre agence, en véhiculant des idées de fraternité, pourra poursuivre ces objectifs de vie commune.
M. Philippe Mouiller, président. - Nous vous remercions pour votre intervention et vos réponses. Nous suivrons l'évolution des travaux de l'agence avec intérêt.
Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.
La réunion est close à 12 h 15.