Jeudi 23 janvier 2025
- Présidence de Mme Micheline Jacques -
Audition de M. Jérémie Boroy, président du Conseil national consultatif des personnes handicapées (CNCPH)
Mme Micheline Jacques, président. - Nous reprenons aujourd'hui nos travaux après la suspension de fin d'année, reprise que nous avons dû décaler pour tenir compte de l'agenda des travaux du Sénat.
Je saisis l'occasion de cette rentrée pour vous présenter mes meilleurs voeux.
Je salue l'arrivée d'un nouveau collègue ultramarin, à la suite des élections du 8 décembre 2024 : Jean-Marc Ruel, sénateur de Saint-Pierre-et-Miquelon qui va intégrer le bureau de la délégation en qualité de vice-président, au titre du groupe RDSE.
L'année 2025 sera chargée, avec plusieurs rapports en projet sur la vie chère, sur la politique du handicap dans les outre-mer et sur la coopération régionale (avec le deuxième volet sur le bassin Atlantique). À cet égard, je vous informe du dépôt cette semaine d'une proposition de résolution européenne, cosignée par nos collègues Christian Cambon, Stéphane Demilly, Georges Patient et moi-même, relative à l'intégration régionale des RUP de l'Union européenne. Cette PPRE met en oeuvre les recommandations de notre premier rapport « coopération régionale dans le bassin Indien », sur les aspects européens. Il s'agit d'une suite concrète à nos travaux et je tiens à les en féliciter.
Nous démarrons donc nos auditions ce matin par l'étude sur le handicap dans les outre-mer avec nos trois rapporteurs : Audrey Bélim, sénatrice de La Réunion, Annick Petrus, sénatrice de Saint-Martin, et Akli Mellouli, sénateur du Val-de-Marne.
Je me félicite de leur choix en vue d'un rapport prévu pour le mois de juin. Il s'agit du premier travail de notre délégation sur ce thème. Il portera notamment sur la perception du handicap dans les territoires ultramarins et sur les politiques publiques à mener pour le quotidien des personnes concernées.
Comme beaucoup d'entre vous, j'ai participé au Duoday organisé au Sénat le 21 novembre 2024 et je suis fière que notre institution, le Sénat, se mobilise autour du président Larcher en cette année anniversaire des 20 ans de la loi du 11 février 2005. Nous comptons travailler étroitement avec le groupe d'études sur le handicap, présidé par notre collègue Marie-Pierre Richer, qui organise un grand colloque avec la Commission des affaires sociales le 11 février prochain au Sénat sur ce sujet.
Les problématiques sont nombreuses sur le sujet du handicap outre-mer : l'éducation, l'emploi et la formation, la santé, sans oublier le sport.
Nous accueillons notre premier invité, Monsieur Jérémie Boroy, président du Conseil national consultatif des personnes handicapées dont l'expertise est reconnue. Nous vous remercions vivement pour votre disponibilité, afin de nous aider à dresser un état des lieux de la situation. Vous connaissez bien le Sénat : vous avez participé au Duoday et, le 16 janvier 2025, à la table ronde organisée par la délégation aux collectivités territoriales du Sénat qui visait à dresser un bilan des bonnes pratiques des collectivités, 20 ans après la promulgation de la loi Handicap.
Nous vous avons adressé un questionnaire pour préparer votre exposé liminaire. Je laisserai ensuite les rapporteurs vous interroger et demander les précisions qu'ils souhaitent. Les autres membres de la délégation pourront également intervenir.
M. Jérémie Boroy, président du Conseil national consultatif des Personnes handicapées (CNCPH). - Madame la Présidente, mesdames et messieurs les sénatrices et les sénateurs, je vous remercie pour votre accueil et pour votre mobilisation sur ce sujet à l'occasion du 20e anniversaire de la loi du 11 février 2025. Nous avons des préoccupations communes et je suis ravi que nous en débattions ce jour.
Le Conseil national consultatif des personnes handicapées (CNCPH) a pour mission de s'assurer de la participation et de la représentation des personnes handicapées, de leurs familles et des professionnels qui contribuent à leur autonomie, dans la coconstruction des politiques publiques qui les concernent. L'ensemble des politiques publiques les concerne : par définition, l'autonomie des personnes handicapées, l'accessibilité et l'accès au droit commun sont des sujets éminemment transversaux qui trouvent leur réponse dans tous les domaines d'intervention de la puissance publique et des acteurs, publics et privés.
Notre mission consiste d'abord à interpeller, accompagner et éclairer tous les acteurs pour que chacun se mobilise, à son niveau, pour assurer l'accessibilité et l'accès au droit commun. Il y a quelques mois, lorsque le gouvernement Barnier a été désigné, certains contributeurs au débat public s'étaient émus de constater qu'il n'y avait pas de ministre directement en charge du handicap, donnant lieu à une mobilisation sur les réseaux sociaux. Le CNCPH a indiqué que sa priorité consistait à savoir ce que le Premier ministre entendait réaliser sur le sujet, quelle place il entendait accorder à la politique du handicap, dans la feuille de route du Gouvernement et quelle serait la mobilisation de la ministre de l'Éducation nationale, du ministre de la Santé, de la ministre de la Culture et du ministre des Transports.
Une ministre a finalement été nommée : néanmoins, la mobilisation interministérielle doit bien l'emporter sur le sujet. Ce sujet préoccupe aussi tous ceux qui travaillent sur la question. La discussion que nous aurons contribuera à définir comment deux sujets transversaux doivent en faire un seul.
Le CNCPH participe également aux travaux du comité interministériel du handicap, créé en 2009 : il prévoit la participation de l'ensemble des ministres, autour du Premier ministre, pour mettre à jour la feuille de route du Gouvernement à partir de la loi de 2005 et, surtout, de la Convention relative aux droits des personnes handicapées des Nations Unies. Cette convention a été ratifiée par la France peu de temps après la promulgation de la loi du 11 février 2005. Il nous semble parfois que la France a ratifié cette convention sans prendre le temps de mesurer les écarts entre notre législation et le cadre posé par la Convention. Ces écarts ont posé problème, notamment en ce qui concerne la définition du handicap, pour que nous puissions aborder les questions sous l'angle du droit commun, avec une approche par le droit, en posant d'abord la question de l'accessibilité de nos environnements.
La priorité est bien l'autonomie par l'accessibilité, et non la vision médicale de la question du handicap qui supposerait de n'aborder le sujet que par l'entrée de la déficience des personnes. Nous ne nions pas ces déficiences : néanmoins, la réponse de la société doit d'abord s'articuler autour du principe de l'accessibilité de nos environnements physiques, numériques ou en termes d'accès aux services publics.
Dans les travaux que vous mènerez sur l'évaluation et l'impact de la loi du 11 février 2005, il sera crucial que vous preniez en compte le cadre de la Convention relative aux droits des personnes handicapées des Nations Unies. Cette dernière prévoit l'audition des pays signataires par le Comité des droits de l'ONU, pour un examen périodique de la mise en oeuvre de la Convention. La dernière audition de la France remonte à 2021. Le Comité des droits a ensuite publié ses observations générales : il constate que la France n'a pas de problèmes de moyens, mais continue à faire de la ségrégation, et demande à la France de s'engager dans la voie de la désinstitutionnalisation et de garantir une réelle participation des personnes concernées à la vie en société et aux débats sur les questions qui les concernent. Ces observations finales sont la boussole des travaux du CNCPH qui visent à évaluer les actions réalisées et à contribuer à la mise à jour de la feuille de route des acteurs publics.
Notre priorité concerne la question de l'accessibilité des environnements, des établissements, des moyens de transport, des lieux de travail, des services numériques (sites Internet, audiovisuel public) et de tous les processus de participation démocratique, dont les processus électoraux. Sur le sujet de l'accessibilité, nous avons certes avancé, mais nous accusons toutefois encore un certain retard et ne sommes pas du tout au rendez-vous des échéances fixées, particulièrement dans les territoires ultramarins. Il est souvent indiqué que telle n'est pas la priorité : j'affirme que si. Nous devons, quels que soient les endroits où nous sommes, garantir partout, sur tous les territoires, que l'accessibilité est la première règle.
Avec le contexte actuel à Mayotte, la situation est exacerbée : l'accessibilité doit être un des piliers du programme de reconstruction. La situation actuelle est, en quelque sorte, une opportunité : nous pouvons faire de l'accessibilité le sujet de tous et non des seules personnes confrontées à un handicap.
L'accès à l'éducation constitue le deuxième axe prioritaire de la mobilisation et des travaux du CNCPH. Il s'agit du plus grand bouleversement depuis la loi de 2005 : je m'en réjouis, même si la situation bouscule encore les acteurs (communauté éducative, familles, services publics), puisque ce changement était nécessaire. Nous devons nous assurer que l'école soit bien celle de tous les enfants, sous la responsabilité du ministère de l'Éducation nationale, et qu'elle assure la scolarisation de tous les enfants. Cela ne signifie pas qu'un seul modèle d'école doit s'appliquer à tous les enfants, mais que tous les environnements nécessaires aux besoins des uns et des autres soient disponibles, sous la responsabilité de l'Éducation nationale. Ceci est particulièrement vrai dans les outre-mer.
Un certain nombre d'engagements ont été pris ces dernières années, notamment à l'occasion de la dernière conférence nationale du handicap, puis du comité interministériel, notamment sur le plan financier. Ces engagements visent ainsi à mettre en place de nouvelles solutions, avec des renforts budgétaires conséquents. Si ces derniers visent uniquement à reconduire l'existant, ils ne servent à rien. J'ai un peu le sentiment que des crédits supplémentaires sont alloués auxoutre-mer, sans prendre le temps de reposer le cadre et de s'interroger sur ce que nous voulons faire et sur les conditions de la transformation de l'offre médico-sociale.
Notre raison d'être est celle de la participation des personnes et de la prise en compte du choix de toutes les personnes. Nous en sommes encore très loin. Nous considérons encore souvent que certaines personnes n'ont pas les moyens de s'exprimer : nous supposons alors, à leur place, ce qui leur convient le mieux. Nous devons cesser d'agir ainsi et changer nos pratiques, y compris en tant que responsables politiques, élus, services publics et professionnels du droit commun. Les outils de communication alternative et améliorée permettent désormais de faire en sorte que chacune et chacun ait voix au chapitre. Cela est encore plus vrai dans les territoires ultramarins.
Au CNCPH, nous avons une priorité : faire en sorte que les personnes concernées puissent contribuer aux discussions qui les concernent. Nous n'y arrivons pas encore en ce qui concerne les outre-mer au CNCPH. J'en appelle donc à votre aide et à votre mobilisation. A l'occasion d'une récente réforme du CNCPH, nous avons accordé une place accrue à la participation et à la représentation des personnes elles-mêmes concernées. Pour la première fois, nous avons lancé un grand appel à candidatures pour que les associations gouvernées et administrées par des personnes concernées candidatent et participent à nos travaux. Nous avons le souci de la plus grande participation, dans toute la diversité des personnes concernées, en intégrant les outre-mer. Nous voulons que les personnes concernées soient associées au CNCPH. Parmi les centaines de candidatures reçues, une seule venait cependant d'un territoire ultramarin, ce qui nous a interrogés sur les moyens que nous nous étions donnés pour susciter ces candidatures.
Une seconde évolution est intervenue dans les travaux du CNCPH : depuis notre renouvellement, nous avons mis l'accent sur la question des territoires, avec une nouvelle délégation dédiée au suivi territorial des politiques. Nous avons organisé une première conférence des territoires pour croiser les points de vue, les pratiques et les recommandations sur les territoires. Cette première conférence des territoires a été organisée avec le département des Landes en décembre 2024. Nous comptons organiser deux conférences des territoires en 2025 : la première avec la Seine-Saint-Denis et la seconde avec les outre-mer. J'espère que nous pourrons travailler ensemble dans cette démarche en 2025 qui nous ouvrira de nouvelles perspectives.
Mme Micheline Jacques, président. - Je vous remercie pour cette analyse à laquelle j'adhère pleinement. Les politiques publiques ne sont pas adaptées aux réalités des territoires ultramarins, et pas seulement celles en matière de handicap. Nous présentons tout à l'heure les conclusions d'un rapport sur l'adaptation des modes d'action de l'État aux réalités des territoires.
De l'argent est injecté sans mettre en place les dispositifs adéquats. Vous pouvez compter sur la délégation.
Je cède la parole aux rapporteurs puis aux membres de la délégation.
Mme Audrey Bélim, rapporteure. - Je vous remercie pour cette présentation et ces propos introductifs. Il est toujours extrêmement intéressant que des non-ultramarins confirment ce que nous pensons. Nous devons continuer à améliorer les politiques publiques dont nous avons besoin sur nos territoires.
Je ne reviendrai pas sur le questionnaire puisque vous aurez l'occasion de nous transmettre vos réponses.
Il est triste d'apprendre qu'il n'existe pas de données vous permettant de travailler sur la question du handicap dans les territoires ultramarins. De quels outils auriez-vous besoin pour travailler avec nos territoires qui n'ont pas tous de diagnostic ? De quelles données auriez-vous besoin pour élargir le réseau ?
Nous avons, dans nos territoires, un lien étroit entre les services de l'État, par le biais du rectorat, et ceux des conseils départementaux, via la Maison départementale des personnes handicapées (MDPH), dans l'objectif d'avoir une école inclusive. Malheureusement, nous constatons de nombreux défauts et observons de nombreuses situations injustes. À la rentrée 2024, 2 000 enfants handicapés n'ont pas pu rentrer à l'école, à La Réunion, parce qu'ils n'avaient pas reçu de notification MDPH leur permettant d'obtenir éventuellement un accompagnant d'élèves en situation de handicap (AESH) pour entrer à l'école et être accompagnés. Nos enfants restent donc à la maison, dans les familles, ce qui est extrêmement douloureux. Lorsque des enfants se trouvent en situation scolaire, le nombre d'AESH est insuffisant, comme dans de nombreux départements. Nous avons des agents territoriaux spécialisés des écoles maternelles (ATSEM) à tous les niveaux : très souvent, quand les AESH n'ont pas suffisamment d'heures en école primaire, nos ATSEM doivent gérer les temps de repas, alors qu'elles ne sont pas formées et que cela ne relève pas de leurs missions. Cela fait également peser une responsabilité sur elles alors qu'elles dépendent du maire et non du conseil départemental, du rectorat ou de la MDPH. Quelles sont vos préconisations pour améliorer l'accueil des enfants dans ces territoires ?
M. Akli Mellouli, rapporteur. - Je me joins aux propos de ma collègue Audrey Bélim. Je me sens ultramarin puisque les outre-mer sont la France : quand on défend la France, on défend les outre-mer. Nous sommes donc tous ultramarins.
Élaborerez-vous des rapports pour vos conférences territoriales ? Disposez-vous des données d'accessibilité et d'aménagements en milieu scolaire en outre-mer ? À Mayotte, seule 15 % de la population se déclare, contre 50 % en France. Il conviendra de tenir compte de l'accessibilité dans la reconstruction puisque l'accessibilité est une obligation.
Je souhaite également parler de l'accessibilité à la culture, mais aussi au sport. En France, 5 % des personnes sont en situation de non-mobilité, contre 8 % dans les outre-mer. Si les médailles pleuvaient aux Jeux olympiques sur nos compatriotes ultramarins, elles étaient peu nombreuses aux Jeux paralympiques : cela signifie-t-il que l'accès aux équipements sportifs est plus compliqué, dans les territoires ultramarins ?
Disposez-vous d'une feuille de route pour les outre-mer ? Si elle n'existe pas, pouvons-nous la construire ensemble ?
M. Jérémie Boroy. - Je tiens à préciser que je dispose, pour cette réunion, d'une transcription simultanée de vos interventions, assurée par une vélotypiste : j'en parle puisqu'il s'agit d'un élément d'accessibilité, me permettant de suivre nos échanges en toute autonomie. J'en profite pour saluer la présence dans la salle de Monsieur Philippe Bas, ancien ministre en charge des personnes handicapées, à un moment clé, au moment de la mise en oeuvre de la loi du 11 février 2005.
Vous indiquez que 2 000 enfants n'ont pas pu entrer à l'école, à La Réunion, faute de notification de la MDPH. Je tiens à rappeler que la loi prévoit que tous les enfants ont accès à l'école : nous devons cesser de penser que l'enfant, parce qu'il est handicapé, a besoin de l'autorisation de la MDPH pour aller à l'école. Tous les enfants doivent être inscrits à l'école : c'est la loi. Il n'existe aucune raison valable pour demander une procédure particulière pour l'admission à l'école des enfants en situation de handicap. Les parents, les enseignants, les professionnels et la communauté éducative doivent sortir de cette logique. La MDPH assure une mission : garantir aux personnes l'accès à la compensation dont elles ont besoin. La MDPH doit faciliter l'accès au droit commun. Nous avons aujourd'hui l'impression qu'il faut demander à la MDPH une autorisation pour aller à l'école ou pour travailler, mais ce n'est pas le cas.
Si 2 000 enfants se sont retrouvés en difficulté parce que les aménagements n'étaient pas disponibles au moment où ils en auraient eu besoin, le problème diffère. J'entends que, comme les structures spécialisées n'offrent pas suffisamment de places, les écoles se retrouvent à faire de la garderie. Nous devons véritablement faire en sorte que l'école constitue bien la porte d'entrée naturelle, privilégiée et prioritaire de tous les enfants. La loi du 11 février 2005 prévoit bien que les enfants sont inscrits dans leur école de référence. À partir de cette inscription, il convient ensuite de regarder les dispositifs à mettre en place : il faudrait disposer de la palette de solutions la plus large possible, en privilégiant la scolarisation dans le milieu ordinaire de l'école, avec tous les aménagements nécessaires.
Vous avez évoqué le sujet des AESH qui nous mobilise tous depuis des années. Je souhaite revenir aux fondamentaux de la loi. Comme l'école doit être privilégiée, il convient d'envisager l'accessibilité de l'école, ce qui suppose l'accessibilité du lieu, des équipements et de la pédagogie - ce qui requiert une formation des enseignants, et parfois un accompagnement des enseignants eux-mêmes dans leur mission, face à la classe et aux apprentissages. Tout enfant est en capacité d'apprendre et de progresser. En 2005, face à cette grande ambition, les auxiliaires de vie scolaire (AVS) ont été sollicités pour accompagner la transition qui était alors nécessaire. Nous sommes ensuite collectivement tous entrés dans une spirale inflationniste : à chaque rentrée, des milliers d'AVS et d'AESH supplémentaires sont annoncés pour répondre à une demande accrue. Le ministère de l'Éducation nationale indique maintenant que le métier d'AESH est le deuxième métier du ministère. Les AESH n'ont pas vocation à être la solution de la scolarité des enfants handicapés : nous devons garder l'accessibilité de l'école, la formation des enseignants et leur accompagnement et les aménagements nécessaires dans l'école pour que les enfants en situation de handicap bénéficient de l'environnement qui leur convient, en fonction de leurs contraintes. Toutes les ressources actuellement disponibles dans le secteur médico-social doivent venir en appui du droit commun de l'école et donc des enseignants. Ce travail est en cours et cette mutation doit s'opérer pour que les ressources médico-sociales soient au service des enseignants et de la communauté éducative.
Depuis la rentrée de septembre 2024, cinq départements comptent des pôles d'appui à la scolarité (PAS). Ils concrétisent les évolutions de la loi du 11 février 2005 qui restent nécessaires pour que l'école soit ouverte à tous. Ces PAS sont en place dans l'Aisne, l'Eure et Loire, le Var et la Côte d'Or. Nous devons nous mobiliser pour la généralisation de ces PAS dans les départements ultramarins.
Alors que la loi prévoit que tous les enfants doivent être inscrits à l'école, beaucoup d'élèves n'ont pas encore leur identifiant national étudiant (INE), 20 ans après la loi, parce que cet identifiant n'est pas attribué aux enfants qui ne sont pas physiquement présents dans l'école. L'identification de tous les enfants doit être assurée avec cet INE puisque des droits et politiques publiques sont ouverts grâce à cet identifiant. Il serait intéressant de disposer de ces données pour les territoires ultramarins.
L'accès à la culture est un axe fondamental de notre mobilisation. C'est historiquement un des premiers sujets de mobilisation en France sur les questions d'accessibilité, avant même la loi du 11 février 2005. Avant cette loi, le ministère de la Culture prenait en compte l'enjeu de l'accessibilité dans la conception des bâtiments et il disposait déjà d'une commission dédiée, la commission nationale Culture et Handicap qui met régulièrement à jour la feuille de route du ministère sur l'accès à la culture des personnes handicapées. Cette commission s'est un peu essoufflée ces derniers mois, mais nous poussons à sa dynamisation. Au-delà du spectacle vivant et de la pratique culturelle dans les établissements culturels, se pose la question de l'audiovisuel. D'énormes progrès ont été réalisés ces dernières années, grâce à la loi, pour que les programmes audiovisuels soient accessibles, particulièrement sur les chaînes publiques. Depuis le mois de novembre 2024, France Info assure le sous-titrage intégral de ses programmes, de 6 heures 30 à minuit, avec une qualité remarquable. Une exception à la loi du 11 février 2005 doit être levée, dès que possible : elle prévoit des obligations d'accessibilité pour les chaînes de télévision, avec une exception pour les télévisions locales. Je crois que le législateur craignait alors d'être dépassé par les coûts que cette accessibilité pouvait engendrer. Aujourd'hui, les progrès techniques permettent de lever cette exception : il est donc impératif que les télévisions locales soient aussi accompagnées pour s'engager dans la voie de l'accessibilité, afin que l'accès à l'information de proximité, nécessaire à l'autonomie et à la participation au débat public, soit possible sur tous les territoires.
Sur la question du sport et l'effet jeux Olympiques et Paralympiques (JOP), je suis sans voix quand je constate la vitesse à laquelle nous avons refermé la parenthèse des JOP, avec la promesse d'une meilleure pratique sportive et d'un plus grand soutien à la performance sportive pour celles et ceux qui le souhaitent, dans les établissements et dans les clubs sportifs. La promesse de l'accessibilité qui accompagnait les JOP s'est concrétisée, mais s'est vite essoufflée. Les débats récents sur le budget montrent bien que ces enjeux s'effritent. La pratique sportive est absolument nécessaire et fondamentale pour tout le monde.
Je constate une amélioration des données depuis deux ou trois ans. Je salue la démarche de la direction de la recherche, des études, de l'évaluation et des statistiques (DREES) qui met à jour et réunit l'ensemble des données actuellement disponibles sur la situation des personnes handicapées en France. Je peux vous transmettre cette publication, très intéressante, qui reprend les chiffres clés du handicap, si vous ne l'avez pas.
Le CNCPH réclame par ailleurs la mise en place d'un observatoire des besoins, au-delà de la connaissance de la situation déclarée des personnes, quand elle est déclarée, puisque de nombreuses personnes ne déclarent pas leur situation et n'accèdent pas à leurs droits, notamment dans les territoires ultramarins. Des écarts extrêmement importants sont observés dans les territoires ultramarins. Nous souhaitons également connaître précisément les besoins des personnes : quelques acteurs y contribuent, comme la Caisse nationale de solidarité pour l'autonomie (CNSA). Nous devons néanmoins disposer de cette connaissance fine, avec la participation des personnes concernées.
Mme Audrey Bélim, rapporteure. - La loi est réinterprétée pour justifier certaines choses, notamment sur la rentrée scolaire.
Les diagnostics sont peu actualisés sur les territoires alors que certains, comme le mien, sont extrêmement dynamiques. Nous avons appelé de nos voeux cette mission : dans les territoires, le handicap était auparavant tabou, caché. Les enfants restaient dans les maisons, par honte ou gêne. Ces politiques publiques ont donc mis du temps à se déployer dans nos territoires. La Réunion compte aujourd'hui un centre de ressources pour l'autisme (CRA) et un centre ressources des troubles du spectre de l'alcoolisation Foetale (TSAF). Des initiatives existent, mais tout reste extrêmement cloisonné. Quelle serait votre préconisation lorsque les territoires n'ont pas de schéma départemental ? Qui pourrait organiser la remontée de ces données nécessaires ? Ces données pourraient alimenter un observatoire et permettraient de préconiser des mesures correspondant à nos territoires et à nos difficultés, sensiblement différentes de celles de l'Hexagone.
M. Akli Mellouli, rapporteur. - Vous avez parlé de la parenthèse des JOP qui s'est refermée. Les athlètes ultramarins doivent venir très jeunes dans l'Hexagone s'ils veulent s'entraîner.
Disposez-vous d'une cartographie des réseaux associatifs et des acteurs associatifs dans les territoires ultramarins ? Le CNCPH s'est-il déjà prononcé sur l'outre-mer ? Dans ce cas, quels sont les retours et les remontées ? Quelles sont les mesures pertinentes qui existent dans l'Hexagone et pourraient être déployées dans ces territoires et départements d'outre-mer ?
M. Jérémie Boroy. - Une des premières actions à engager, sur chacun des territoires ultramarins, consiste à nous assurer collectivement de la participation directe des personnes dans les instances qui existent. Chaque département compte un conseil départemental de la citoyenneté et de l'autonomie : il doit être pleinement investi, en s'assurant que les personnes et leur famille se trouvent bien autour de la table pour évoquer leur situation et échanger sur les préconisations, les priorités et les politiques à mettre en place.
En Ile-de-France, l'ARS a mis en place un comité des usagers pour que les personnes concernées se prononcent sur les besoins et sur l'évaluation des solutions mises en place. La même démarche doit être initiée partout. Pour déterminer les priorités, les territoires demandent souvent aux organisations gestionnaires ce dont elles ont besoin, ce qui n'est pas du tout la même chose. Pour répondre à la question de la visibilité, nécessaire pour que nous soyons davantage à l'aise pour parler du handicap, il convient de rendre visible la participation et de rendre les personnes légitimes. J'invite les élus de tous les territoires ultramarins à être associés à ces instances et à vérifier la réalité de la représentation des personnes.
Le réseau des hauts fonctionnaires au handicap et à l'inclusion a été institué dans chaque ministère pour assurer une permanence dans le travail interministériel. Le ministère des Outre-mer participe à ce réseau. Ce dernier est un partenaire privilégié du CNCPH et je vous propose donc que nous programmions un échange avec ce réseau.
Enfin, dans chaque département, un sous-préfet référent est désigné pour le handicap et l'accessibilité. Ce dispositif est récent et n'est pas toujours très visible. Ces référents traitent souvent d'autres sujets, mais ils sont aussi à la disposition des élus pour mobiliser les cadres de droit commun disponibles et veiller à la bonne application des lois.
J'ai été auditionné cette semaine par la commission des lois du Sénat. Une sénatrice soulignait qu'il était illusoire de penser que les droits pouvaient s'appliquer de la même manière partout. Je souhaiterais appeler à la vigilance de tous les élus et de tous les sénateurs : cela ne peut pourtant être illusoire. Nous devons au contraire corriger tous les écarts qui existent dans l'égalité d'accès aux droits, quels que soient les territoires.
Ces sujets demandent une connaissance par tous les élus des canaux de référence. Il serait opportun de regarder comment les commissions et délégations du Sénat peuvent faciliter l'accès des élus à la connaissance des enjeux de la Convention des Nations Unies qui s'impose à nous.
Mme Jocelyne Guidez. - Je vous remercie pour ce débat intéressant. Le sujet du handicap est large et recouvre différentes formes de handicap, qui requièrent des accompagnements différents. Est-il réellement possible d'inclure tous les enfants dans l'école ? Je ne veux choquer personne, mais j'ai, dans mon entourage, une personne atteinte du syndrome de Rett : il est très compliqué, voire impossible, d'inclure ces enfants dans les écoles.
Quand la France a voulu inclure tous les enfants dans ses écoles, elle a arrêté de construire des instituts médico-éducatifs (IME). Or, il faut absolument continuer à construire des IME pour accueillir dans de bonnes conditions les enfants lourdement handicapés qui deviendront ensuite des adultes. Je suis évidemment favorable à l'école inclusive, mais un accompagnement des enseignants et des AESH me paraît indispensable. Les enfants avec un trouble du développement neurologique (TND) ne sont pas si bien inclus dans nos écoles et ne sont pas si bien acceptés : ils dérangent. Selon le handicap, il convient de définir le meilleur accompagnement des enfants. L'inclusion n'est pas toujours la solution. Je suis favorable à un travail autour des IME pour mieux accompagner les enfants lourdement handicapés.
Sur l'emploi, l'inclusion par le travail me semble constituer un levier central pour améliorer l'insertion des personnes en situation de handicap. Je parrainais la semaine dernière un colloque, organisé au Sénat : une intervenante en situation de handicap nous indiquait combien de détermination était nécessaire pour affronter les difficultés liées au handicap au travail. Le CNCPH dispose-t-ile d'un état des lieux précis du taux d'emploi des personnes en situation de handicap dans les différents territoires ultramarins ? Propose-t-il des dispositifs spécifiques pour favoriser l'emploi dans ces territoires ?
Je n'oublie pas les aidants qui jouent un rôle crucial, en particulier dans les territoires où les structures médico-sociales sont les plus saturées, comme en outre-mer. Quels droits essentiels vous semblent prioritaires pour répondre aux besoins ultramarins spécifiques ?
M. Philippe Bas. - Je connais de longue date Jérémie Boroy dont vous avez pu constater la compétence sur toutes les questions d'insertion des personnes handicapées, de soutien aux personnes handicapées et de citoyenneté des personnes handicapées. J'avais coutume de qualifier, de manière abusive, l'institution qu'il préside de « Parlement du handicap », même s'il n'existe qu'un seul Parlement. Dans la mise en oeuvre de la loi du 11 février 2005 sur la participation et la citoyenneté des personnes handicapées et le droit à la compensation du handicap, le CNCPH a été saisi de plus de 80 décrets en 18 mois, a fait des propositions de modification de tous les projets, a parfois réexaminé des textes qui révélaient des lacunes à l'usage, très rapidement. Je suis heureux que la délégation aux outre-mer manifeste son intérêt et sa considération pour cette institution qui a accompli un important travail.
Nous observons, dans tous les domaines de l'action publique, que nos services publics sont souvent submergés, particulièrement dans certains départements d'outre-mer. C'est vrai pour l'école, en Guyane, à Mayotte et dans les Antilles. C'est vrai pour l'hôpital. C'est vrai pour les transports publics. C'est vrai parfois pour l'accès aux réseaux d'eau et d'assainissement, en Guadeloupe. Tout ceci n'est pas sans impact sur les causes du handicap et sur les difficultés particulières que peuvent ressentir les personnes handicapées. Il paraît donc important à la délégation d'adapter les modes d'action à des réalités parfois très différentes de celles observées dans l'Hexagone. Nous pourrions sans doute réfléchir en commun à des stratégies alternatives, au lieu de rechercher systématiquement la pleine application des règles que nous mettons en oeuvre dans l'Hexagone. Nous pourrions ainsi aborder la situation avec un autre regard, pour regarder les situations avec réalisme et pragmatisme. Nous traiterions alors ces questions dans le cadre d'une fraternité agissante qui permet d'espérer des prises en charge humaines reposant sur la famille et sur la communauté qui ne sont pas de même nature que dans l'Hexagone.
M. Jean-Gérard Paumier. - Je souhaite appuyer le propos courageux et réaliste de notre collègue. Il existe effectivement des limites : les enseignants ne sont pas toujours formés à tous les handicaps, puisque ceux-ci sont multiples. Il ne faut pas que l'inclusivité serve d'excuse à l'État pour éviter de construire suffisamment de structures qui manquent pourtant cruellement, comme les IME. Nous avons voté à l'unanimité une loi sur les AESH, pour la prise en charge de la pause méridienne par l'État, mais les crédits manquent, sur le terrain. J'ai vérifié auprès de mon directeur académique des services de l'éducation nationale (DASEN), la semaine dernière : il a reçu l'équivalent de six postes et doit se débrouiller. La loi ne peut donc être appliquée parce que les financements ne sont pas suffisants.
Les sous-préfets s'occupent de nombreux sujets, alors que leurs moyens diminuent. Il convient que les moyens soient donnés pour appliquer les lois votées par le Parlement.
M. Jérémie Boroy. - Je vous remercie pour vos questions. Je souhaite d'abord répondre à la préconisation de Monsieur le ministre sur la manière d'aborder le sujet, avec davantage de pragmatisme et avec la connaissance la plus précise de la réalité de chacun des territoires, notamment pour les territoires ultramarins. J'y adhère, à condition que nous ne renoncions en aucun cas à faire de l'accès aux droits des personnes l'objectif. Cela suppose également de planifier et d'organiser les choses, ce que nous n'avons pas suffisamment fait depuis 2005. L'autre condition, ou critère de réussite, de cette démarche est celle de la participation directe des personnes à la définition d'une stratégie à mettre en place au niveau territorial.
Madame la sénatrice, j'ai entendu votre propos sur l'école et je souhaite y apporter quelques nuances : il n'est plus possible de dire aujourd'hui qu'il y a des enfants pour lesquels l'école doit être proposée dans des modalités différentes. L'évaluation de la mise en place de la convention relative aux droits des personnes handicapées des Nations Unies en France a amené l'observation suivante : nous continuons à faire de la ségrégation. Aujourd'hui, rien ne justifie que nous puissions considérer que des personnes, parce qu'elles auraient tel ou tel handicap, devraient être à part. Être à part n'est en aucun cas une réponse à leurs besoins. La construction d'IME n'est pas une réponse à ce que nous souhaitons mettre en place. Les environnements adaptés et spécialisés dans les IME doivent être disponibles dans l'environnement de l'école. Un des axes de la dernière conférence nationale du handicap vise à ce que les IME puissent trouver leur place dans les écoles. Avec le CNCPH, j'adhère totalement à cet axe. De nombreuses opportunités existent, y compris sur le plan foncier. Nous devons sortir de cette vision qui voudrait que l'école inclusive inclût des élèves au milieu de tout le monde, sans prendre en compte les besoins des uns et des autres. Ce n'est pas du tout cela : il n'existe pas de catégorie de handicap qui requiert des orientations différentes. Tous les enfants, y compris ceux qui supportent les handicaps les plus contraignants, doivent avoir la réponse à leur droit à l'éducation sous la responsabilité de l'école, sur tous les territoires et pour tous les publics. C'est indispensable.
Mme Micheline Jacques, président. - À Saint-Barthélemy, dans une école, nous avions prévu une salle pour recevoir des enfants autistes. Les parents ont refusé cet aménagement et préféreraient que leurs enfants aillent dans une structure spécifique, considérant que le niveau sonore de l'école n'était pas compatible avec les besoins des enfants et les mettait en situation de stress. Ce débat existe également au sein des familles, quand elles sont intégrées dans les projets.
Nous vous remercions pour votre intervention. Vous avez soulevé des points très intéressants. Le sujet du handicap est interministériel. Vous avez rappelé les obligations de l'école : ce n'est pas à l'enfant de s'adapter à l'école, mais à l'école de s'adapter à l'enfant. Vous avez demandé la mise en place d'un observatoire des besoins et avez avancé des pistes d'évolutions législatives, notamment pour les chaînes de télévision locales.
Vous avez souligné l'adaptation aux réalités des territoires. Il est vrai que La Réunion a ses spécificités, mais la Polynésie française en a également, avec des îles extrêmement éloignées. L'ouverture d'une classe unité localisée pour l'inclusion scolaire (ULIS) est refusée lorsque trop peu d'enfants peuvent intégrer cette classe. Certains dispositifs fonctionnent en silos : il conviendrait de regarder la manière de les adapter à de petits territoires qui n'ont que 10 enfants concernés, relevant d'adaptations différentes. Nous travaillerons avec plaisir avec vous sur ces sujets.
Je vous annonce une bonne nouvelle : grâce au Duoday, un jeune ayant témoigné à cette occasion a été embauché par une de nos collègues sénatrice et est devenu son collaborateur. Nous pourrons le rencontrer puisqu'il a travaillé sur un projet d'inclusion sportive, dans le tennis. Il s'est rendu compte de la difficulté de faire venir des jeunes ultramarins pour participer à des compétitions handisports nationales. Ces belles histoires existent et doivent être valorisées.
Jeudi 23 janvier 2025
- Présidence de Mme Micheline Jacques -
Présentation du rapport d'information sur l'adaptation des modes d'action de l'État dans les outre-mer
Mme Micheline Jacques, président. - Nous examinons aujourd'hui les conclusions du rapport sur l'adaptation des modes d'action de l'État dans les outre-mer, sujet que nous avions retenu lors de la programmation de nos travaux sur l'exercice 2024 et que nos deux rapporteurs, Philippe Bas et Victorin Lurel que je tiens à féliciter pour leur travail, nous présentent ce jour.
Ce rapport est ambitieux et inédit : j'espère vraiment qu'il recevra un accueil conséquent. Les rapporteurs ont travaillé pendant un an pour aboutir à un état des lieux complet et formuler de nombreuses recommandations étayées et opérationnelles.
Avant de leur céder la parole, je voudrais souligner l'ampleur des travaux préparatoires des rapporteurs. Cette étude a fait l'objet de 15 auditions au Sénat et 112 auditions dans les territoires visités, représentant un total de 230 personnes entendues aux profils très divers : ministres et directeurs d'administrations centrales, présidents de collectivités et leur équipe, préfets et sous-préfets, chefs de juridictions, directeurs d'établissements pénitentiaires, recteurs et chefs d'établissements scolaires, maires, commandements ultramarins de la gendarmerie, personnels de la police nationale et des douanes, officiers supérieurs de la Marine nationale.
La mission s'est rendue dans sept territoires, à La Réunion, Mayotte, Martinique, Guadeloupe, Saint-Martin, Saint-Barthélemy, en Polynésie française, sans oublier les Terres australes et antarctiques françaises puisque des échanges ont eu lieu avec l'actuelle administratrice supérieure. J'ai accompagné ces déplacements avec beaucoup d'intérêt : ils ont été très riches d'enseignements.
Je tiens à saluer tout particulièrement l'implication de nos collègues Jacqueline Eustache-Brinio et Audrey Bélim qui ont effectué le déplacement en Polynésie française ainsi que tous leurs collègues sénateurs qui nous ont accompagnés et éclairés chez eux : Lana Tetuanui et Teva Rohfritsch en Polynésie, Frédéric Buval en Martinique, Annick Petrus à Saint Martin, Viviane Malet, Evelyne Corbière Naminzo et Audrey Bélim à La Réunion, Saïd Omar Oili et Thani Mohamed Soilihi à Mayotte.
Des visioconférences ont été organisées pour les territoires (Guyane, Saint-Pierre-et-Miquelon) ou des questionnaires ont été envoyés (Wallis-et-Futuna).
Les rapporteurs se sont aussi appuyés sur les rapports précédemment publiés par les instances du Sénat, en particulier ceux de la commission des lois sur la situation en Polynésie et de la commission d'enquête sur l'impact du narcotrafic en France.
Je ne doute donc pas de l'excellence des propositions de nos rapporteurs à partir de leur état des lieux.
Pour suivre les présentations de nos rapporteurs, comme d'habitude plusieurs supports sont disponibles :
- une note de synthèse du rapport sous forme d'un « Essentiel »,
- la liste des recommandations,
- et, pour ceux qui le souhaiteraient, une version provisoire du rapport.
Je vous rappelle enfin qu'une conférence de presse est prévue à 11 heures 30, dans la salle des conférences de presse.
Sans plus tarder, je cède à présent la parole à nos rapporteurs.
M. Philippe Bas, rapporteur. - Je vous remercie, madame le président, de votre implication exceptionnelle dans ce travail. J'ai eu beaucoup de plaisir à réaliser cette mission avec Victorin Lurel, avec son expérience de ces questions. Chers collègues, nous avons apprécié vos accueils chaleureux et votre accompagnement, précieux, sur place.
Nous avons travaillé un an sur ce rapport. La situation des violences outre-mer et des trafics est très grave et s'est fortement dégradée. Nos compatriotes en outre-mer attendent donc une présence accrue de l'État sur ses missions essentielles. C'est une forme de solidarité nationale élémentaire à laquelle nous ne pouvons déroger. Nous devons poursuivre nos réflexions institutionnelles sur les compétences des assemblées élues ultramarines, sur le développement économique et sur la vie chère, mais nous ne pouvons passer à côté de la sécurité qui déstabilise profondément une partie significative de nos territoires. Nous nous sommes lancés avec beaucoup de conviction dans ce travail et nous n'avons pas été déçus de toutes les informations que nous avons pu recueillir.
Une grande partie de l'insécurité et de la déstabilisation est importée et liée au contexte international, du fait de l'extrême fragilité des structures étatiques des pays limitrophes ou proches de nos îles qui ne savent pas contrôler les dérèglements qui impliquent des trafics de drogues et d'armes et provoquent des flux migratoires qui comportent parfois des éléments ultraviolents. Nos compatriotes en outre-mer ne demandent pas moins d'État, mais plus d'État. Il existe sans doute une violence endogène, mais aussi une violence importée et cette déstabilisation place nos compatriotes dans une situation de détresse. La commission d'enquête sur les narcotrafics a parfaitement mis tous ces sujets en lumière.
Nous ne sommes pas allés en Guyane, mais nous avons mis à jour notre réflexion. Nous nous sommes rendus à Mayotte, avant le cyclone Chido qui conforte nos réflexions et accentue l'urgence de traiter les questions migratoires et de violence.
Nous constatons qu'il existe une spécificité des crimes, délits et trafics commis outre-mer, mais aussi une évolution négative partout, soit une aggravation de la spécificité. Les chiffres mentionnés proviennent de la police nationale, de la gendarmerie et de la justice. Nous ne citons que des chiffres 2023, puisque nous ne disposons pas encore des chiffres pour 2024. En zone gendarmerie, les outre-mer représentent 25 % des atteintes aux personnes pour 4 % de la population, 30 % des homicides, 50 % des vols à main armée, 50 % des agressions contre les gendarmes, 11 % des « féminicides ». 30 % du contentieux pénal en outre-mer est lié à des faits de violence, contre 18 % dans l'Hexagone. Dans l'Hexagone, il y a 1,3 homicide pour 100 000 habitants, contre 20,6 homicides pour 100 000 habitants en Guyane, 9,4 en Guadeloupe, 6,9 en Martinique et 5,5 à Mayotte. Les chiffres justifient que nos 3,3 millions de compatriotes appellent à la protection de l'État que nous devons relayer. Nous devons répondre à cette situation extrêmement grave.
L'évolution est négative : entre 2016 et 2023, les homicides ont augmenté de 5 % par an dans les DROM tandis que les coups et blessures volontaires augmentaient de 6 % par an et les violences intrafamiliales et les violences sexuelles de 14 % par an. Cette dégradation s'accélère pour certains crimes et délits. En 2023, les homicides ont augmenté de 14 % par rapport à 2022 tandis que l'usage de stupéfiants progressait de 37 %. J'ai obtenu quelques chiffres, à l'occasion des rentrées solennelles des cours et tribunaux ultramarins, datant de janvier 2025 : en Guadeloupe, il y a eu 33 morts en 2024 à cause du narcotrafic, ce qui place ce département au deuxième rang national. À Saint-Martin, le nombre d'homicides est 21 fois plus important que la moyenne nationale et les vols à main armée sont 48 fois supérieurs à la moyenne nationale, alors que le territoire est petit. En Martinique, 33 tonnes de cocaïne ont été saisies en 2024 et 11 tonnes dans les premiers jours de 2025. À La Réunion, 41 kilogrammes de cannabis ont été saisis en 2021, contre 193 en 2023 et 500 en 2024.
Si nous ne comprenons pas qu'il existe une urgence nationale et une solidarité élémentaire vis-à-vis de nos compatriotes ultramarins, nous n'avons rien compris.
Nous ne pouvons accuser l'État de n'avoir rien fait : l'État a été actif, même s'il ne l'a pas été suffisamment tôt ni suffisamment fort. 6 500 policiers et 7 200 gendarmes se trouvent sur ces territoires qui ont enregistré une forte augmentation du nombre de greffiers et de magistrats. Les lois de programmation pour la sécurité et la justice prévoient un effort, également réalisé sur le plan militaire, car une partie de la solution viendra des Armées.
L'État n'a pas été inactif. Le nombre de magistrats et de greffiers est même plus important en outre-mer qu'en Hexagone : des solutions ont été trouvées pour attirer les magistrats et les greffiers, y compris par des séjours de six mois qui renforcent les effectifs judiciaires. Il ne faudrait toutefois pas décider des affectations des ressources humaines en fonction du seul nombre d'habitants, mais en fonction du nombre de crimes et de délits. Les critères qui prévalent pour déterminer le nombre d'emplois ne sont pas adaptés à la réalité.
Notre rapport s'intitule « pour un choc régalien outre-mer ». Nous n'avons pas besoin de moins d'État, mais de plus d'État dans sa mission première qu'il doit pleinement assumer.
Le rapport comprend 38 recommandations. Certaines recommandations portent sur la procédure pénale. Ainsi, nous recommandons d'allonger de 20 heures la durée des gardes à vue pour les personnes appréhendées dans des zones isolées (forêt vierge ou île d'un archipel), éloignées de l'endroit où se déroule l'enquête. En l'absence d'avocat, la procédure pénale doit pouvoir se dérouler : celle-ci doit protéger les individus contre l'arbitraire. Nous recommandons donc de développer le système des défenseurs agréés qui existe à Mayotte, mais est peu utilisé : il convient en outre de l'étendre à la Guyane. Pour les interprètes, un diplôme est requis dans la procédure, alors que de nombreux compatriotes parlent couramment plusieurs langues et sont parfaitement qualifiés pour servir d'interprètes, même s'ils n'ont pas de diplômes. En effet, notre procédure pénale n'a pas été pensée en fonction des réalités ultramarines et se plaque sur ces réalités sans efficacité. Il convient de réviser ces dispositifs. Pour arrêter les mules, les préfets prennent des arrêtés d'interdiction d'embarquement à l'aéroport et des bases légales doivent être prévues. Des peines complémentaires d'interdiction de vol pourraient être présentées par la justice. De nombreuses mesures pénales doivent être adoptées.
L'implantation territoriale des forces de sécurité doit être densifiée puisqu'il existe des dessertes. Les forces de sécurité nationale doivent mener des actions conjointes avec l'autorité judiciaire, à l'instar du dispositif « 100 % contrôle » à l'aéroport en Guyane. Il convient de laisser aux forces de sécurité intérieure une liberté d'initiative sur chaque territoire pour s'adapter aux besoins opérationnels. L'opération Wuambushu 2 semble avoir produit de meilleurs résultats de ce point de vue que la première et peut servir d'exemple. La lutte contre les violences intrafamiliales doit être renforcée, avec une brigade de gendarmerie spécialisée dans chaque territoire. La surpopulation carcérale - ou la sous-capacité carcérale - n'a pas connu les remèdes attendus en 2017. Un plan de 15 000 places était alors prévu, mais seules 2 000 places ont été construites en huit ans. La prison de Mayotte a un taux de suroccupation qui s'élève à 270 % : nous avons visité cette prison et nous avons été horrifiés. Ce n'est pas lié à la qualité de la direction - le directeur a démissionné depuis - ou du personnel. Il n'existe aucun centre éducatif fermé à Mayotte, alors que la population du département est très jeune, et la Guyane n'en compte qu'un seul pour 300 000 habitants. Nous observons un énorme retard pour la prise en compte des questions sécuritaires. Un chantier pénitentiaire très important doit être initié pour les outre-mer.
La deuxième priorité est la lutte contre les narcotrafics. À la Martinique, une frégate dont la vitesse peut atteindre 15 noeuds est chargée d'arraisonner des go fast qui circulent à 60 noeuds, ce qui ne peut être efficace. De tels exemples m'ont stupéfait. Nous partageons les conclusions de la commission d'enquête sur le narcotrafic : la commission des lois en a délibéré hier matin et la situation progressera. Des besoins d'enquêteurs et de magistrats spécialistes de la criminalité organisée et financière ne sont pas satisfaits et il manque une police scientifique et technique : les échantillons sont actuellement envoyés pour analyse dans l'Hexagone, ce qui prend des semaines et empêche la condamnation rapide des délinquants et des criminels. L'organisation des juridictions est défaillante, à cause de l'éloignement du lieu de détention des individus pendant l'enquête judiciaire. Des mesures doivent également être prises.
Enfin, la troisième priorité concerne l'immigration clandestine. Nos territoires ultramarins ne sont pas tous touchés par l'immigration - certains se dépeuplent même -, mais des solutions doivent être mises en oeuvre à Mayotte et en Guyane. L'idée du « rideau de fer » vis-à-vis des Comores doit maintenant se traduire dans la réalité : nous avons constaté que le système de détection et de surveillance était profondément lacunaire, malgré son coût. Il faut des radars qui fonctionnent, des drones pour la surveillance aérienne, des caméras de longue portée et des bases nautiques avancées, au plus près de l'espace maritime comorien. Les moyens nautiques d'interception doivent être accrus et ces moyens doivent être adaptés à la vitesse des embarcations des passeurs. La présence de bâtiments militaires dissuasifs doit être accrue entre Anjouan et Mayotte. Il convient d'enregistrer systématiquement les empreintes digitales des étrangers éloignés, pour établir le délit de séjour irrégulier qui sera aggravé en cas de récidive dans l'accès au territoire national. Un fichier unique de l'état civil et des attestations de résidence doit être constitué. Les conditions d'accès à la nationalité française, modifiées à Mayotte, doivent être de nouveau examinées, après une évaluation de l'efficacité du dispositif mis en place en 2018. Il convient d'être efficace dans la poursuite des déclarations de paternité abusives qui se comptent par dizaines et dans les déclarations de résidence falsifiées. Un élu vient d'être condamné pour avoir rédigé 150 fausses attestations de résidence, moyennant finances. Une personne qui reconnaît frauduleusement un enfant doit subir une contrainte dissuasive, par exemple en payant une obligation alimentaire ou en déposant une caution.
Nous ne sommes pas démunis : de nombreuses mesures peuvent être prises pour arrêter la dégradation. Nous devons proposer des mesures d'organisation et de moyens, en ayant pleinement conscience des contraintes budgétaires de l'État. Certaines mesures nous permettraient d'être plus efficaces sur le plan de la procédure pénale et des sanctions pénales, en étant coordonnés, pour faire face à l'insécurité.
Il faut déposer une proposition de loi.
M. Victorin Lurel, rapporteur. - En tant qu'originaire des outre-mer, j'avais des intuitions, mais la mission m'a donné une vision globale, et non parcellaire, des enjeux. La violence est importante, avec les violences intrafamiliales, les trafics et la corruption. Le réflexe outre-mer n'est pas encore appliqué ou adapté. Lorsque vous êtes immergé comme je le suis, il est difficile d'avoir une vision globale. Le rapport apporte une vision globale sur les sujets régaliens. Nous l'avons centré sur les aspects relatifs à la sécurité, la justice et la défense. Nos propositions sont classiques, voire banales, mais elles ne sont pas mises en oeuvre jusqu'à présent. L'État n'est toutefois pas resté inerte et a investi des moyens conséquents, mais ces ressources ne sont pas optimisées.
Les menaces internes ont été présentées par Philippe Bas, mais il existe également des menaces exogènes liées au narcotrafic, au trafic d'armes, au blanchiment d'argent, à l'immigration clandestine, à la pêche illégale, à l'orpaillage, à l'ingérence étrangère et à la cybersécurité.
La France dispose du deuxième espace maritime du monde, difficile à contrôler : il est envié, voire pillé. Ces espaces gigantesques sont poreux et mal protégés. Même en détection satellitaire, nous ne faisons rien. Nos actions restent largement insuffisantes. Comment protéger, dans un espace instable, où la compétition entre nations s'est accélérée ? Comment mieux parer aux ingérences étrangères, de plus en plus nombreuses ? Si nous n'apportons qu'une réponse administrative et judiciaire, la donne ne changera pas. Nous devons donc aller plus loin : sans cela, l'État « arrose le sable ». Nous devons changer de paradigme et tenter, avec les moyens accordés aux représentants de l'État dans ces territoires, de repousser les menaces à nos frontières et de les traiter en amont.
Cela suppose de combiner trois éléments : l'action diplomatique et la coopération régionale policière et judiciaire intensive, ainsi que militaire ; le durcissement de l'emploi des forces si nécessaire, notamment en Guyane ; la restauration de la crédibilité du contrôle de nos frontières maritimes et terrestres.
La première priorité relève d'une diplomatie française des outre-mer, tenant compte des intérêts de ces territoires. Nous avons huit représentations dans la Caraïbe et dans la Méso-Amérique, contre 36 pour la Chine. La Grande-Bretagne et les États-Unis ont pris du recul tandis que la Chine avance pour maîtriser les vecteurs, canaux et flux entre le Pacifique et l'Atlantique. La Caraïbe se trouve au coeur de cette géopolitique : la France doit donc retrouver sa place au sein de cet ensemble géographique, comme dans l'espace indopacifique.
La Guyane a 750 kilomètres de frontière avec le Brésil. Depuis 20 ans, l'État lutte contre l'orpaillage clandestin. 8 000 garimpeiros opèrent dans les forêts guyanaises, exportant environ 10 tonnes d'or par an via le Suriname, or ensuite traité à Dubaï. Il faut traiter ce problème diplomatiquement et militairement. Il n'est pas normal que, le long du Maroni, toute la logistique soit installée au vu et au su de tous pour se rendre en forêt guyanaise porter atteinte à l'environnement et à la souveraineté nationale. Il convient de durcir l'emploi des forces et d'activer le dispositif de défense opérationnelle du territoire, prévu dans l'article R. 1421-1 du code de la défense. Actuellement, des gendarmes et des militaires se trouvent dans la forêt guyanaise : face aux ennemis extérieurs et à la menace extérieure portant atteinte à la souveraineté nationale, ce dispositif de défense opérationnelle peut s'appliquer. Le militaire n'a pas à respecter la sommation et la légitime défense. La doctrine, l'action, les moyens et les bases juridiques doivent probablement être revus en Guyane pour être plus efficaces. La France est un grand pays et doit pouvoir s'imposer face au Suriname, pour lui faire comprendre que des traités sont nécessaires, ainsi que la coopération policière et judiciaire, voire militaire.
Après une vingtaine d'années et de nombreux engagements pris, il n'est pas normal de ne pas disposer d'une convention de pêche avec la Dominique et avec Antigue. Nous aurions dû délimiter les zones territoriales, ce que nous n'avons pas pu faire parce que la Dominique et Antigue le refusent. Nous devons au moins délimiter les frontières, grâce à notre diplomatie et à l'intervention de l'Union européenne, pour les sécuriser. Une nouvelle doctrine doit émerger, ainsi qu'une nouvelle énergie diplomatique.
Il convient également de prévoir une meilleure coopération judiciaire et policière. Des malfrats connus viennent en Guadeloupe, au vu et au su de tous, faute de convention d'extradition ou d'officiers de liaison avec la Dominique. Les Antilles sont une zone de rebond, de trafic et d'influence convoitée et il existe une urgence diplomatique pour que les sujets avancent.
Pour les contrôles de frontières maritimes et terrestres, la loi de programmation militaire pour 2024-2030 prévoit le projet de « rideau de fer ». Notre rapport reprend une idée émise par Brigitte Girardin, lorsqu'elle était ministre des outre-mer, visant à maintenir des bâtiments militaires entre l'île d'Anjouan et Mayotte, dans un but dissuasif. Les outre-mer ont besoin de restaurer l'autorité de l'État, autour de ses pouvoirs régaliens et du pouvoir délégué au préfet. Actuellement, le préfet ne contrôle pas tout : il ne peut rien imposer à l'ARS ou au recteur ; les services déconcentrés de l'État sont relativement autonomes. Tout doit être recentré, à l'instar de ce qui a été réalisé en Guyane depuis 2019 où les services de l'État ont été reconfigurés. Il serait intéressant de dresser un bilan de cette expérience et de généraliser ce qui peut l'être.
Concernant la gouvernance, la doctrine doit sans doute être revue en matière de ressources humaines. De nombreuses expériences ont été menées. J'ai été agréablement surpris par des expériences engagées par le ministère de la Justice pour instituer un secrétariat général délégué aux outre-mer, instaurer des délégués dans les outre-mer ou trouver des contrats de mobilités pour les mutations et les affectations des originaires, en tenant compte des contraintes. Il conviendrait d'affecter davantage de cadres originaires : le problème ne se pose pas tellement pour l'administration pénitentiaire qui compte de nombreux originaires, mais plus pour la police. La gendarmerie est moins confrontée aux problématiques de logements, puisqu'elle dispose de casernes, mais les territoires moins attractifs, comme la Guyane ou Mayotte, sont confrontés à ces problèmes. Enfin, le préfet doit être le chef d'orchestre et doit disposer de plus de pouvoirs, en révisant le décret du 8 avril 2020, l'autorisant à déroger aux textes. Le rapport contient des propositions visant à améliorer la consultation préalable des collectivités, en évitant de contourner le Parlement tout en associant les élus locaux et nationaux pour améliorer la gouvernance et l'administration.
Ces 38 recommandations ont été rédigées par les rapporteurs, avec l'aide précieuse de la présidente qui vient d'ajouter une proposition sur les agents de police municipale qui pourraient être des agents de police judiciaire.
Mme Micheline Jacques, président. - Je précise que cette disposition ne peut être mise en place que dans les territoires régis par l'article 74 de la Constitution.
Je vous remercie, chers rapporteurs. Au cours de cette mission, nous avons visité les prisons et avons été confrontés à des situations très difficiles. Sept personnes se retrouvent parfois dans une cellule de 10 mètres carrés, ce qui est indécent et indigne pour ces personnes.
M. Philippe Folliot. - Je félicite nos rapporteurs pour la qualité de leur travail et de leur présentation. Il nous manquait effectivement une vision globale.
Les chiffres présentés sur la situation en matière d'insécurité, de délinquance et de développement du narcotrafic dans les outre-mer montrent que le rattachement du ministère des outre-mer au ministère de l'Intérieur s'est révélé un échec. Ce rattachement avait été présenté comme une solution pour obtenir plus de moyens et répondre à la situation spécifique des territoires ultramarins. Or, nous n'observons aucune inversion de la tendance, mais, au contraire, une accélération des problèmes et des difficultés. Le fait que les outre-mer aient un ministère de plein exercice est une orientation qui permettra de sortir de cette vision erronée.
L'enjeu de la pêche illicite est important. Vous avez oublié de citer la pêche illicite dans la zone de la Passion-Clipperton où la France ne contrôle rien et tolère, dans sa zone économique exclusive qui représente 436 000 kilomètres carrés, des pratiques de pêche qu'elle condamne partout ailleurs.
Au cours des vingt ou trente dernières années, les forces armées déployées dans nos outre-mer ont été divisées par deux. Les outre-mer représentent 97,5 % de la zone économique exclusive nationale, mais 90 % des moyens de la Marine nationale sont déployés dans l'Hexagone. Quand nous connaissons toutes les difficultés rencontrées par notre pays au travers des forces présentes en Afrique, ne pensez-vous pas qu'il existe un enjeu important en matière de redéploiement des forces armées dans les outre-mer, au-delà des recommandations 26 et 27 du rapport, pour envoyer un signal fort de la volonté de l'État de reprendre pied et d'assurer son rayonnement international ? La possibilité de donner au préfet un rôle diplomatique, ou du moins la possibilité d'échanger avec les acteurs des territoires voisins, me paraît très pertinente. Si des moyens de la défense étaient en outre déployés en conséquence, de manière adéquate, cette proposition aurait encore plus de force et de crédibilité.
M. Jean-Gérard Paumier. - Je félicite également les rapporteurs pour ce travail extraordinaire qui montre la situation d'urgence dans les outre-mer, urgence dont la population n'a pas conscience dans l'Hexagone.
Vous dressez un constat précis et accablant. Est-ce lié à la pauvreté plus importante de ces territoires ? Les propositions sont adaptées et séduisantes, mais le « choc régalien » n'ira pas sans un choc budgétaire. Le budget des outre-mer a été augmenté, mais cette augmentation sert à reconstruire des choses, à la suite des événements en Nouvelle-Calédonie et du cyclone Chido, et non à améliorer des éléments structurels mentionnés dans le rapport. La PPL est importante, mais il serait utile de disposer d'un chiffrage de vos mesures prioritaires, afin de montrer l'urgence de la situation dans les outre-mer. Cette situation très particulière prend un relief supplémentaire dans la compétition mondiale actuelle qui est exacerbée. Le territoire est apparemment solide, mais en réalité très fragile.
Mme Audrey Bélim. - Je vous remercie et je suis ravie de voir le résultat de ce travail auquel j'ai un peu participé. J'aurais souhaité que ce rapport puisse intervenir avant l'examen des crédits de la mission outre-mer puisque nous n'avons pas pu bien le traduire dans cette mission.
À La Réunion, une expression dit « le pas cher, ça coûte cher ». Il convient d'arrêter de se limiter et de poser des pansements, puisqu'il faut soigner et investir. Nous pouvons faire rayonner la France partout dans le monde et nous le souhaitons dans les outre-mer. Nous devons certes être responsables, d'un point de vue budgétaire, mais les investissements sont nécessaires pour rayonner partout dans le monde. Les outre-mer peuvent être des leviers économiques. La reconstruction à Mayotte peut conduire à un développement économique pour son territoire puisque l'île se trouve sur le canal du Mozambique. Les événements survenus à Mayotte auront des conséquences dans tout l'océan Indien. Notre territoire se montrera solidaire : les enfants sont arrivés et ont fait leur rentrée à La Réunion. Quid des parents et des familles ?
Je vous remercie pour ce rapport et j'espère que nous le garderons en tête pour voter l'an prochain les mesures qu'il contient.
M. Akli Mellouli. - Je m'associe à mes collègues pour saluer également ce rapport. Je me félicite que le Sénat impulse ce débat nécessaire. J'exprime toutefois une divergence sur les mesures proposées sur Mayotte : nous ne pourrons endiguer l'immigration avec des murs de fer. Si les Comores ne se développent pas, nous ne réglerons pas le problème d'immigration à Mayotte. Nous ajouterons même des problèmes à La Réunion. Nous devrons tenir ce débat, de manière apaisée.
Vous avez parlé du rôle de l'armée, notamment en Guyane, avec la Légion étrangère qui cherche à faire fuir les garimpeiros. Quand les militaires font exploser les installations, la terre est ensuite ramollie et plus facile à creuser. Nous devons donc travailler avec les pays frontaliers : le Brésil doit aussi travailler avec nous en synergie, dans la forêt amazonienne.
Sur l'orpaillage, il serait intéressant d'auditionner le général de la Marine puisqu'un véritable enjeu de biodiversité existe dans nos territoires ultramarins et que la marine intervient pour protéger les territoires. Il serait intéressant de mener ce travail complémentaire.
Les violences intrafamiliales ne concernent pas uniquement les outre-mer qui ne doivent pas être stigmatisés : elles concernent nos sociétés.
M. Frédéric Buval. - Je remercie la présidente, les rapporteurs et l'équipe administrative pour ce travail.
Je suis élu depuis 1983 à la Martinique, en tant qu'élu municipal, conseiller général et sénateur : votre visite m'a pourtant permis, pour la première fois, de rentrer dans l'ensemble des structures de l'État à la Martinique. J'avais assisté aux voeux du préfet à la résidence préfectorale et je connais les directeurs de toutes les structures. Je comprends que les Martiniquais ne soient pas informés de ce qui se passe dans ces structures, si les élus ne le sont pas. Lorsque vous êtes venus pour la mission, vous m'avez fait entrer dans toutes les structures (police nationale, douane, armée). Les structures de l'État doivent communiquer avec les élus locaux, ou du moins avec l'association des maires. Les élus martiniquais ne disposent pas suffisamment d'informations et ne connaissent pas la réalité : ils devraient pouvoir rencontrer les services de l'État une fois par an.
Dans la Caraïbe, nous sommes entourés de pays anglophones avec lesquels l'État français n'a pas contractualisé de conventions. Notre gouvernement a donné à la collectivité territoriale de la Martinique la possibilité de siéger dans les structures caraïbéennes, mais notre marge de manoeuvre est réduite puisque nous nous trouvons sous l'autorité de l'ambassadeur. Nous devons pouvoir signer des conventions dans la Caraïbe.
Vous parlez beaucoup de l'armée, mais c'est une armée stationnaire. Il reste peu de casernes pour héberger les militaires et ces derniers sont parfois logés dans des bâtiments privés. Vous proposez d'accueillir les forces du Sahel - et leur présence serait nécessaire -, mais nous n'avons pas les capacités de les accueillir en Martinique. La douane n'a pas de vedettes et n'a pas les moyens de lutter contre le trafic de drogues.
Le rapport cite les propos du président Sarkozy, lors d'une visite à la Martinique, qui avait dit qu'il fallait donner la priorité aux Martiniquais, à compétences égales. Or, dans les structures de l'État, toute la chaîne de direction est occupée par des fonctionnaires hexagonaux. Il est très difficile pour les Martiniquais d'intégrer les chaînes de direction des services de l'État et les jeunes Martiniquais diplômés partent donc ailleurs, puisqu'ils ne parviennent pas à obtenir de poste localement. Vous le signalez rapidement dans le rapport.
Je vous félicite pour votre travail. Quand vous vous êtes rendus sur place, vous avez mené un travail intense et vous avez posé des questions pertinentes.
M. Victorin Lurel, rapporteur. - Le ministère des outre-mer a historiquement toujours été rattaché au ministère de l'Intérieur : depuis la colonisation, la priorité de l'action de l'État a toujours concerné le maintien de l'ordre, surtout en Guadeloupe et Martinique. Sous la Ve République, l'ancien ministère des Colonies est devenu le ministère des outre-mer. Même quand le ministère est un ministère de plein exercice, des fonctions supports dépendent toutefois du ministère de l'Intérieur, notamment pour le personnel.
Le ministère a en outre été démantelé : en 2007 ou 2008, 356 personnes travaillaient, dans deux directions. Quand je suis arrivé en 2012, il ne restait plus que 130 personnes et une délégation générale aux outre-mer : j'ai dû batailler avec le Premier ministre et Bercy pour transformer cette délégation en Direction générale des outre-mer.
Aujourd'hui, nous avons un ministre d'État des outre-mer, troisième dans le protocole républicain. Le budget a été augmenté, principalement pour la reconstruction de Mayotte et de la Nouvelle-Calédonie, au détriment des actions relevant des autres territoires. Le budget a beaucoup augmenté en 2024 et il atteint maintenant 3,5 milliards d'euros, contre 2,5 milliards d'euros auparavant. L'effort budgétaire total de l'État, qu'il convient de clarifier, doit être de 16 à 22 milliards d'euros.
Sur la pêche, nous oublions effectivement toujours Clipperton. Nous laissons le Mexique et d'autres territoires s'en occuper, hélas. Je rappelle à nos collègues que Philippe Folliot avait avais déposé une proposition de loi qui n'a pas abouti, mais l'idée était bonne.
Les effectifs ont effectivement diminué, notamment dans les Armées. Nous observons un déficit sur l'action de l'État en mer et sur ses moyens maritimes et aéroterrestres. En l'absence de préfecture maritime, des zones de défense sont concentrées en Martinique et à La Réunion. Un déficit existe effectivement pour contrôler, même si des efforts ont été réalisés. Il faut peut-être redéployer les moyens et mieux connaître l'organisation des services de l'État. Le rapport souligne que les préfectures maritimes ne sont peut-être pas les plus pertinentes, même si des officiers considèrent que ces créations pourraient être judicieuses.
Nous voulons renforcer les pouvoirs délégués aux préfets et instaurer une véritable gouvernance. Une expérimentation est menée depuis 2018 ou 2019 en Guyane : nous souhaiterions en tirer les conclusions pour savoir s'il est possible de la généraliser, peut-être à moyens constants, au départ, puisque la France est dans une situation de redressement budgétaire et financier. Nous souhaitons regarder la manière de mieux travailler et de mieux utiliser les moyens de l'État dans son périmètre régalien, à moyens constants.
M. Philippe Bas, rapporteur. - Je remercie nos collègues pour leurs réflexions et leur conscience de la gravité de la situation. Même La Réunion, qui est le département ultramarin le plus stable, avec des services publics et des infrastructures proches de la situation hexagonale, subit l'impact de la déstabilisation profonde de Mayotte qui préoccupe vivement les autorités et la population. Certains territoires ne sont pas loin d'un point de bascule ou d'une menace par l'onde de choc de la déstabilisation des collectivités françaises les plus proches et du narcotrafic. Nous avons le devoir d'intercepter les trafiquants.
Je suis sensible à la nécessité de ne pas stigmatiser nos compatriotes ultramarins, qui ne sont pas majoritairement les auteurs de ces violences, mais bien les victimes. Nous abordons le sujet, au Sénat de la République, avec une profonde solidarité avec nos compatriotes ultramarins qui ont droit à la même sécurité que tous nos compatriotes et se trouvent dans une situation d'insécurité préoccupante.
Je constate une grande sensibilité au sujet de la cohésion de la société ultramarine.
Je souhaite revenir un instant sur les préfets : nous ne voulons pas en faire des proconsuls. Il ne s'agit pas qu'ils récupèrent des pouvoirs transférés aux collectivités. La réflexion sur l'autonomie des collectivités et l'adaptation du droit doit se poursuivre. L' « alpha » et l'« oméga » du traitement des problèmes ultramarins ne sont toutefois pas le repli de l'État : l'État doit assumer pleinement sa responsabilité première. Des efforts ont été réalisés, mais les résultats ne sont pas au rendez-vous. L'État ne doit pas se laisser submerger et nos compatriotes ultramarins doivent comprendre que notre réflexion est porteuse de leurs attentes de plus de sécurité, qui se manifestent à toutes les élections. Le préfet doit agir pour la sécurité et aussi pour la diplomatie. Nous avons des ambassadeurs dans tous les pays qui se trouvent à la source d'une partie de nos difficultés, mais ces ambassadeurs prennent en compte l'intégralité de la relation entre la France et ces pays alors que la spécificité de la relation avec les outre-mer doit être défendue par nos préfets. Ces derniers doivent également avoir un pouvoir de coordination, notamment sur les militaires (marine nationale et armée de terre), qui n'est peut-être pas suffisante actuellement.
M. Victorin Lurel, rapporteur. - Le travail avec le Brésil a commencé. J'ai été très sensible aux propos de Frédéric Buval : les élus locaux ont effectivement l'impression de connaître le fonctionnement de l'État, sans le savoir précisément. Les élus n'osent pas poser des questions sur les forces de sécurité et les doctrines d'emplois des forces.
Mme Micheline Jacques, président. - Je vous propose de procéder à l'adoption du rapport.
Le rapport est adopté à l'unanimité.