- Mercredi 15 janvier 2025
- Audition de M. Laurent Hénart, candidat proposé par le Président de la République, aux fonctions de président du conseil d'administration de l'établissement public de l'État dénommé Voies navigables de France (VNF)
- Vote sur la proposition de nomination, par le Président de la République, de M. Laurent Hénart aux fonctions de président du conseil d'administration de l'établissement public de l'État dénommé Voies navigables de France (VNF)
- Proposition de résolution européenne sur la proposition de règlement du Parlement européen et du Conseil relatif à la prévention des pertes de granulés plastiques en vue de réduire la pollution par les microplastiques - Communication
- Projet de loi de finances pour 2025 - Désignation d'un rapporteur pour avis
- Proposition de loi visant à instaurer une trajectoire de réduction de l'artificialisation concertée avec les élus locaux - Demande de saisine pour avis et désignation d'un rapporteur pour avis
- Intervention de M. le sénateur Saïd Omar Oili sur Mayotte (sera publié ultérieurement)
Mercredi 15 janvier 2025
- Présidence de M. Jean-François Longeot, président -
La réunion est ouverte à 9 h 35.
Audition de M. Laurent Hénart, candidat proposé par le Président de la République, aux fonctions de président du conseil d'administration de l'établissement public de l'État dénommé Voies navigables de France (VNF)
M. Jean-François Longeot, président. - En application de l'article 13 de la Constitution, nous entendons ce matin M. Laurent Hénart, que le Président de la République propose de renouveler dans ses fonctions de président du conseil d'administration de l'établissement public de l'État dénommé Voies navigables de France (VNF).
Cette nomination ne peut intervenir qu'après audition devant les commissions compétentes de l'Assemblée nationale et du Sénat.
Monsieur Hénart, avant de céder la parole au rapporteur, permettez-moi de revenir sur votre parcours et de présenter sommairement Voies navigables de France.
Vous avez eu, comme chacun sait, un riche parcours politique : vous avez notamment fondé les Jeunes radicaux et vous avez été secrétaire national du parti radical valoisien de 2003 à 2014, à la suite de quoi vous en avez été le président jusqu'en 2017. Vous avez également été président du mouvement radical social-libéral puis du parti radical, jusqu'en 2024. Vous avez par ailleurs été député de la Meurthe-et-Moselle de 2002 à 2004, puis de 2005 à 2012, et vous avez été secrétaire d'État à l'insertion professionnelle des jeunes dans le Gouvernement Raffarin III, en 2004 et 2005. Vous avez également été maire de Nancy de 2014 à 2020.
Vous êtes actuellement avocat au barreau de Nancy, conseiller municipal de Nancy, conseiller métropolitain de la Métropole du Grand Nancy et surtout, depuis 2019, vous assurez la présidence du conseil d'administration de Voies navigables de France, ce qui me permet de rappeler que notre commission vous avait auditionné dans le cadre de cette nomination le 9 juillet 2019. Nous avions alors approuvé votre candidature pour prendre la tête de cet établissement, en remplacement de Stéphane Saint-André. Cette nomination avait été entérinée par un décret du Président de la République en date du 17 juillet 2019.
Votre mandat de membre du conseil d'administration de VNF est arrivé à échéance le 27 mars dernier. Un arrêté du 24 avril dernier du ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires a renouvelé ce mandat et un second arrêté du même ministre vous a nommé président à titre intérimaire du conseil d'administration renouvelé le 30 avril dernier. Il a cependant fallu attendre le 7 novembre 2024 pour qu'une proposition de nomination vous concernant pour un second mandat parvienne au Parlement.
Je rappelle que VNF gère près de 6 700 kilomètres de voies navigables et près de 4 000 ouvrages d'art - écluses, barrages, ponts-canaux, etc. -, et s'appuie pour ce faire sur plus de 4 000 agents et 7 directions territoriales, au plus près des usagers et de la voie d'eau.
Cet établissement est, en outre, à un moment charnière, car il doit faire face à de nombreux défis en termes tant d'entretien et de modernisation des voies d'eau que de gestion hydraulique, s'il veut pouvoir continuer à jouer un rôle essentiel dans la transition écologique de notre pays et son adaptation au changement climatique.
Cette audition est publique, ouverte à la presse et retransmise sur le site du Sénat. Elle sera suivie d'un vote, qui se déroulera à bulletin secret. Je rappelle que les délégations de vote ne sont pas autorisées et que le dépouillement doit être effectué simultanément à l'Assemblée nationale. Votre audition devant la commission du développement durable et de l'aménagement du territoire de l'Assemblée nationale aura lieu la semaine prochaine, mercredi 22 janvier prochain.
En vertu du cinquième alinéa de l'article 13 de la Constitution, le Président de la République ne pourrait procéder à votre nomination si l'addition des votes négatifs exprimés dans les deux commissions représentait, au total, au moins trois cinquièmes des suffrages exprimés.
Je cède sans plus tarder la parole à notre rapporteur, Franck Dhersin, pour conduire votre audition. Vous pourrez ensuite nous présenter votre candidature et nous faire part de votre retour d'expérience et de vos motivations, avant de répondre aux questions.
M. Franck Dhersin, rapporteur. - Monsieur Hénart, je suis heureux de vous entendre aujourd'hui pour cette audition en application de l'article 13 de la Constitution, qui concerne votre reconduction à la tête du conseil d'administration de Voies navigables de France.
Ainsi que l'a rappelé le président Longeot, nous vous avions déjà entendu en juillet 2019 à l'occasion de votre première nomination ; votre candidature avait d'ailleurs recueilli un avis favorable du Parlement. Le conseil d'administration de VNF a été renouvelé en mars 2024 et votre mandat de membre de ce conseil, au titre des personnalités qualifiées, a été reconduit le 24 avril 2024, par arrêté du ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires. À la suite de cette décision, vous avez été chargé d'assurer votre propre intérim par un arrêté du 30 avril 2024, et ce, jusqu'à la fin officielle de votre mandat de président, le 16 juillet 2024.
Compte tenu de la dissolution de l'Assemblée nationale, votre intérim a duré plus longtemps que prévu et nous n'avons été saisis de votre candidature pour un nouveau mandat de président que quatre mois plus tard, le 7 novembre dernier. Si ce délai peut s'expliquer par la situation politique et institutionnelle inédite que traverse notre pays, notre commission constate de plus en plus fréquemment un problème de méthode dans la manière dont l'Élysée traite des nominations dites « article 13 ». Pour ne citer qu'un exemple récent : notre commission a alerté le Gouvernement pendant des mois sur la nécessité de nommer le nouveau président de l'Autorité de contrôle des nuisances aéroportuaires (Acnusa) qui, du fait d'une situation d'intérim, ne pouvait plus prononcer de sanctions à l'encontre des compagnies aériennes depuis avril 2024, et cette proposition de nomination n'est finalement intervenue qu'en décembre dernier.
Le cas de VNF est certes différent et la longueur de votre intérim résulte surtout de facteurs exogènes : en l'espèce, l'absence de synchronicité entre les mandats des membres du conseil d'administration de VNF et celui du président, conjuguée à une instabilité politique inédite. Il n'en reste pas moins qu'une meilleure anticipation de ces nominations à des postes clés pour la vie de la Nation s'avère indispensable pour éviter le recours à de longues périodes d'intérim qui, de fait, reviennent à amputer les capacités d'action des acteurs concernés ainsi qu'à contourner le Parlement et affaiblir son pouvoir de contrôle.
Ce cadre général étant posé, j'en viens au sujet qui nous réunit ce matin : votre candidature au poste de président du conseil d'administration de VNF pour un second mandat.
Je souhaiterais vous interroger sur plusieurs points afin d'apprécier, d'une part, le bilan de votre première mandature et, d'autre part, votre vision d'avenir pour cet établissement public, au coeur de l'ambition fluviale de la France et de la région Hauts-de-France qui m'est chère.
Tout d'abord, vous avez pris la tête de VNF à un moment charnière, juste avant la promulgation de la loi du 24 décembre 2019 d'orientation des mobilités (LOM) qui a entraîné de profonds changements pour l'établissement, notamment à travers la définition d'une trajectoire d'investissement ambitieuse pour le réseau et la signature d'un contrat d'objectifs et de performance (COP) avec l'État. Dans ce contexte, vous aviez pris lors de votre audition plusieurs engagements devant nous ; j'en citerai deux.
Le premier visait à accompagner l'établissement dans cette transition postérieure à la LOM pour « l'installer dans le paysage » et à assister le directeur général dans la défense des intérêts de VNF, par un travail régulier avec le Parlement.
Sur ce sujet, VNF est incontestablement monté en puissance depuis 2019 et notre commission entretient des relations fréquentes et fructueuses avec sa direction générale, notamment à l'occasion de l'examen annuel du projet de loi de finances (PLF).
Pour autant, en amont de cette audition, certains collègues m'ont fait part de leur surprise - voire de leur déception - de n'avoir eu que rarement l'occasion de vous rencontrer au cours de votre mandat. L'examen attentif de ce point, qui m'a également interpellé, me conduit à penser que cette moindre visibilité découle surtout d'éléments structurels liés à la nature même de la fonction de président de VNF - celle-ci n'est pas exécutive et, à ce titre, n'est pas non plus rémunérée.
C'est en effet le directeur général qui est chargé de piloter l'établissement et de le représenter à l'extérieur, tandis que le président a pour mission de conduire les travaux du conseil d'administration - en y déminant un certain nombre de tensions et désaccords, ce qui n'est pas une mince affaire dans le contexte que connaît VNF - et d'apporter au directeur général un soutien politique supplémentaire lorsque cela est nécessaire. Or je dois dire que, à la lumière des entretiens préparatoires que j'ai conduits, le bilan de votre premier mandat - dans ce périmètre de missions bien particulier - apparaît très positif.
J'aimerais néanmoins que vous nous indiquiez comment vous avez envisagé votre rôle de président de VNF, compte tenu de ce positionnement institutionnel singulier, et quelle a été votre méthode de travail avec la direction générale de l'établissement pendant ces cinq ans. Aussi, si vous êtes reconduit à sa tête, comment comptez-vous continuer à assurer la fluidité et l'efficacité de ce « tandem » ?
Au demeurant, ces éléments devraient conduire les législateurs que nous sommes à interroger la manière dont a été définie la procédure prévue à l'article 13 de la Constitution s'agissant de VNF. En toute rigueur, il serait en effet plus logique que nous entendions dans le cadre de cette procédure les candidats au poste de directeur général, compte tenu de l'étendue des prérogatives qui s'y attachent. Un parallèle peut être fait avec d'autres établissements au fonctionnement institutionnel similaire, comme l'Agence nationale de la cohésion des territoires (ANCT) et l'Office français de la biodiversité (OFB), pour lesquels notre pouvoir de contrôle, en application de l'article 13 de la Constitution, porte non pas sur la présidence, mais bien sur la direction générale. Cette question dépasse bien évidemment le cadre de vos fonctions ; néanmoins, à l'aune de votre expérience à ce poste, pourriez-vous nous donner votre sentiment ?
J'en viens au second engagement que vous avez pris devant nous en 2019 et qui revêtait deux aspects : d'une part, parvenir à un rehaussement des investissements en faveur du réseau fluvial, après des décennies de sous-investissement, et, d'autre part, stabiliser les relations entre l'État et VNF et structurer les missions de l'établissement à travers le COP.
Sur ce point, l'amélioration a été tangible : à la faveur de la LOM, du COP signé en 2021 et du plan de relance, les moyens consacrés au réseau ont atteint 200 millions d'euros par an en 2021-2022, soit un doublement par rapport aux 90 millions d'euros qui y étaient dédiés en 2020. La révision du COP en décembre 2023 a permis de franchir un nouveau cap, en prévoyant environ 300 millions d'euros par an pour la régénération, la modernisation et le développement du réseau pour les prochaines années. Pour autant, cette trajectoire demeure encore en-deçà des besoins. Le rapport du Conseil d'orientation des infrastructures (COI) de février 2023 a d'ailleurs souligné la dégradation préoccupante du réseau de l'établissement, indiquant un indice d'état fonctionnel de 2,85 sur 4, caractérisant un état moyen à mauvais pour les barrages et écluses exploités par VNF.
J'ajouterai que la robustesse des capacités d'investissement de VNF est cruciale pour la réussite des chantiers de développement du réseau à grand gabarit dans lesquels l'établissement est impliqué, à commencer par le futur axe européen Seine-Escaut.
Monsieur le président, quel regard portez-vous sur la trajectoire d'investissement actuelle de VNF et quels seront vos objectifs sur ce point si vous êtes reconduit à la tête de l'établissement, notamment dans la perspective de la conférence nationale de financement des mobilités, promise par le précédent Gouvernement et qui se tiendra cette année ?
J'en viens à des questions plus prospectives pour l'avenir de l'établissement et l'ambition fluviale de notre pays.
Premièrement, comme vous le savez, la part modale de la voie d'eau n'a que peu progressé en France depuis les années 1990. Même si on relève d'importantes variations d'un territoire à l'autre, elle demeure en deçà des 3 % au niveau national. Cette différence avec certains de nos voisins européens découle notamment d'une plus faible prise en compte du transport fluvial dans les acheminements portuaires : ainsi, le transport fluvial détient seulement 10 % des flux dans les ports maritimes français, du fait notamment de délais et de coûts de manutention trop élevés, alors que cette part atteint 30 % à 40 % en Belgique et aux Pays-Bas.
Si vous êtes reconduit comme président de VNF, quelle sera votre « feuille de route » sur ce sujet, notamment dans la perspective de la stratégie nationale fluviale qui est en cours de préparation ?
Deuxièmement, alors que VNF a perdu 15 % de ses effectifs en dix ans et que la révision du COP avait permis de stabiliser la trajectoire d'emploi de l'établissement jusqu'en 2026, le Gouvernement a tenté de revenir sur cet engagement lors des discussions sur le PLF pour 2025 à l'automne dernier. Un amendement avait en effet été déposé à l'Assemblée nationale pour amputer de 37 équivalents temps plein (ETP) le plafond d'emploi global des trois opérateurs du programme 203 « Infrastructures et services de transport », dont VNF est le plus gros contributeur. Le rejet de la première partie du PLF par les députés puis l'interruption des travaux à la suite de la censure ont permis d'écarter temporairement cette mesure, mais il est très probable qu'elle revienne dans le débat lors de l'examen de ce texte par le Sénat dans les prochains jours. Or la stabilisation des ETP de VNF - comme l'État s'y était engagé - est essentielle pour l'accomplissement des missions de VNF et la protection du climat social de l'établissement ; elle est en outre indispensable pour prendre en compte la réalité du projet de modernisation des méthodes de travail de VNF, qui ne produira pleinement ses effets en termes de gains de productivité qu'à compter de 2027.
Comment comptez-vous vous mobiliser pour défendre les intérêts de VNF sur ce sujet stratégique de la trajectoire d'emploi ?
Troisièmement, j'aimerais aborder les missions de l'établissement, à l'aune des effets du changement climatique. En septembre 2024, notre commission - conjointement avec la commission des finances - a adopté un rapport d'information sur les dramatiques inondations survenues en France en 2023 et 2024 : 53 % des départements ont été touchés ; le bilan humain et matériel a été très lourd. Ces évènements ont néanmoins mis en avant le potentiel de la voie d'eau pour réguler les crues ou, du moins, réduire les dégâts qu'elles occasionnent.
Pourtant, si la gestion des barrages et écluses de VNF peut, dans une certaine mesure, contribuer à prévenir les crues, la réfection ou le rehaussement de berges ou de digues excède le champ des missions de l'établissement et relève de la compétence « Gestion des milieux aquatiques et prévention des inondations », dite « Gemapi ». Le développement de ce type de synergies entre VNF et les collectivités territoriales permettrait de favoriser l'adaptation des territoires face au changement climatique et il répond à une forte demande des élus locaux, en particulier dans le Nord et le Pas-de-Calais.
Seriez-vous prêt à soutenir une évolution des missions et des moyens de VNF en faveur de la prévention des inondations ? Plus globalement, ne faudrait-il pas réfléchir aux ambitions que nous voulons donner au secteur fluvial, au-delà du strict domaine des transports ?
Cette question m'amène à interroger la place des collectivités territoriales dans la gouvernance de l'établissement. Depuis un décret de 2023, le conseil d'administration de VNF ne compte plus de personnalités choisies parmi les élus locaux et l'établissement ne dispose plus de commissions territoriales des voies navigables. Je suis bien placé pour le savoir, puisque j'ai moi-même cessé de siéger au conseil d'administration de VNF à la suite de cette réforme.
Un décloisonnement du champ d'intervention de VNF ne justifierait-il pas une évolution de la gouvernance de l'établissement, afin de la rapprocher davantage des territoires ? Cela nous tient particulièrement à coeur au Sénat.
Je terminerai simplement en rappelant que, compte tenu du contexte difficile qu'il traverse et des nombreux défis à relever, VNF a sans doute besoin de stabilité et de visibilité. Aussi, il me semble que les liens de confiance que vous semblez avoir établis - d'après les informations que j'ai pu recueillir -, non seulement avec la direction générale de VNF, mais aussi avec les partenaires sociaux - ils m'ont dit le plus grand bien de votre présidence -, pourraient constituer des atouts dans la conduite des chantiers en cours, à commencer par celui de la modernisation.
M. Laurent Hénart, candidat proposé par le Président de la République pour exercer les fonctions de président du conseil d'administration de l'établissement public de l'État dénommé Voies navigables de France. - Pour vous répondre, je suivrai votre « feuille de route » en commençant par le rôle du président de VNF, qui est effectivement particulier. Pour les élus locaux que vous êtes tous, on pourrait dresser un parallèle avec l'implication de l'élu dans l'hôpital public ou la société d'économie mixte (SEM) d'aménagement quand l'élu est président du conseil d'administration. Son rôle est l'animation du dialogue dans l'établissement et autour de celui-ci, ainsi que l'orientation, le suivi et la surveillance. Plus qu'un « conseil d'administration », on pourrait parler d'un « conseil d'orientation et de surveillance ». C'est pourquoi la fonction n'est pas rémunérée, et je remercie le rapporteur de l'avoir mentionné.
Ces missions requièrent une bonne articulation avec celles du directeur général. J'y suis parvenu avec Thierry Guimbaud, et avec Cécile Avezard depuis sa nomination. Puisque le directeur général est le seul à avoir une fonction exécutive, à pouvoir engager l'établissement par sa signature, le représenter dans des actes de droit, avoir autorité sur les personnels et pouvoir rendre des arbitrages, il faut être à sa disposition pour lever les freins dans sa mission quotidienne. Pour ce faire, un échange hebdomadaire avec le directeur général permet de faire le point sur les dossiers en cours.
En outre, je me suis impliqué dans le dialogue social de l'établissement à ma manière. Le but était non pas de remplacer le directeur général ou les instances paritaires, mais de les compléter. J'ai donc organisé une rencontre annuelle avec chaque organisation syndicale et reçu les représentants dès qu'ils le demandaient, et ce en présence du directeur général. En cas de délibérations du conseil d'administration ayant un fort impact sur les conditions de travail des agents, je prévois avec le directeur général un temps de concertation spécifique.
Sur l'évolution de l'établissement, j'ai essayé d'être en défense et en ouverture.
Premièrement, en défense à l'égard du Gouvernement et du Parlement. Je suis désolé si certains auraient souhaité me voir davantage, et je promets d'y remédier au Sénat. Quand le budget n'allait pas dans le sens du COP, j'ai toujours fait en sorte de sensibiliser d'abord le Gouvernement, puis les parlementaires concernés sur les évolutions budgétaires négatives et sur les manières de les corriger. Je reviendrai ultérieurement sur la doctrine que nous avons établie avec les deux directeurs généraux successifs en matière d'effectifs, de frais de fonctionnement et de budget général de l'établissement.
Deuxièmement, en ouverture, car j'ai mis l'accent le plus possible sur les partenariats avec les collectivités locales. Mes déplacements ont été orientés vers la reconduction de partenariats existants ou l'ouverture de nouvelles coopérations entre VNF, les régions, les départements et le bloc communal.
Le travail d'animation du conseil d'administration implique le dialogue avec les opérateurs économiques, le monde associatif concerné par le fluvial et les partenaires sociaux.
Mon rôle consiste aussi à défendre l'établissement vis-à-vis de l'État, afin que celui-ci respecte ses engagements, et à le promouvoir auprès de ses partenaires : les collectivités locales, mais aussi, et de plus en plus, les institutions européennes.
Vous m'avez interrogé sur l'article 13 de la Constitution. Pourquoi la procédure s'applique-t-elle au président ? VNF est un établissement public administratif (EPA). Le directeur détient la totalité du pouvoir exécutif, mais le champ de ses décisions est plus faible en raison de l'importance du périmètre de délibération du conseil - contrairement aux établissements publics à caractère industriel et commercial (Épic). Le directeur général a donc besoin de l'inscription à l'ordre du jour du conseil d'administration de nombreuses délibérations. Il nous arrive parfois, pour assurer les affaires courantes, de convoquer des conseils d'administration à distance sur une délibération donnée, notamment pour les marchés publics. Aujourd'hui, la personnalité du président du conseil d'administration est légalement sensible, car il joue un rôle clé sur l'établissement de l'ordre du jour, la conduite des débats, l'ajout d'éventuels amendements et motions.
Démocratiquement, dans l'esprit de l'article 13 de la Constitution, il serait en effet logique que le Parlement contrôle la nomination du directeur général ou de la directrice générale de VNF. Quant à savoir si cela doit se faire en remplacement de la procédure aujourd'hui applicable au président ou en complément, je laisse le Parlement et l'exécutif en décider.
S'agissant de ma motivation, l'intérim long que j'ai exercé s'explique, non pas par des hésitations de ma part, mais par un grippage des rouages de l'État. J'ai adoré présider VNF pendant cinq ans et je souhaitais être candidat pour un nouveau mandat.
En ce qui concerne mon bilan, je veux souligner deux éléments principaux.
Lors de mon audition en 2019, la question centrale était celle de la « dénavigation », à la suite de la publication du rapport Duron de 2018. Aujourd'hui, elle n'est plus d'actualité, car les voies de petit gabarit ont retrouvé toute leur place. L'essentiel des politiques de partenariat avec les collectivités locales porte d'ailleurs sur la vitalité et le retour à un nouvel usage de ce petit gabarit.
Cela m'amène à la question de l'investissement. En 2018, dernier budget avant ma nomination, les investissements de VNF s'élevaient à 161 millions d'euros, contre 343 millions d'euros en 2023. Mais ce quasi-doublement du budget n'est pas encore suffisant. Les chiffres du rapport Duron restent valables, et ils doivent même être réévalués en tenant compte de l'inflation.
Aujourd'hui, il manque au moins 1 milliard d'euros pour assurer la régénération du réseau sur dix ans. On ne pourra pas aller plus vite, car la maîtrise d'ouvrage doit suivre. Dix ans pour rattraper presque cinquante ans de sous-investissement chronique sur le réseau, cela me semble raisonnable, et la direction générale de VNF s'honore d'avoir exécuté son budget à hauteur de 95 % pour chaque exercice, y compris en matière d'investissement.
Au-delà des engagements financiers contenus dans le COP, je souhaiterais obtenir des compléments budgétaires, non seulement de l'État, mais aussi de l'Europe, en travaillant davantage à l'échelle des bassins. Les collectivités locales peuvent également, comme elles le font déjà, accompagner la contractualisation d'objectifs et de moyens d'investissement pour l'établissement. Nous pouvons enfin développer l'autofinancement de l'établissement, pour lequel des marges de progrès existent incontestablement.
L'effort que l'on pourrait demander à la conférence nationale sur le financement des mobilités porte sur l'intermodalité. En cinquante ans, le fret s'est réduit de moitié, passant de 87 millions de tonnes transportées en 1973 à 44 millions en 2023, principalement en raison de la disparition de 90 % du fret sur le réseau à petit gabarit, accessoirement à cause de la moindre utilisation du charbon et du bois comme sources d'énergie. La logique de conteneurisation du transport à l'échelle nationale, européenne et planétaire en est la cause principale, les voies de grand gabarit étant les seules capables d'acheminer les conteneurs. Utiliser le petit gabarit implique des étapes logistiques supplémentaires pour « déconteneuriser », reconditionner la marchandise, puis « reconteneuriser » dans les ports.
Là où le grand gabarit existe, sa part de marché est significative. Mais on ne l'utilise, au mieux, qu'au tiers de sa capacité, sur le Rhin - et qu'à hauteur de 20 % pour la Seine. Les réserves de transport sont donc très importantes sur le grand gabarit, à condition de faire un effort significatif de transfert modal et d'investissement sur les ports fluviaux, dans une logique de partenariat avec les collectivités et les professionnels européens de la logistique.
En ce qui concerne le volet financier, s'il est logique que l'établissement participe à l'effort d'assainissement des finances publiques de l'État, VNF ne pourra pas faire d'économie sur les postes sans revoir son organisation.
Avoir encore des barrages avec des pales de bois manipulées manuellement au XXIe siècle n'est pas normal, et cela mobilise beaucoup d'emplois. L'automatisation et la numérisation permettraient des gains en effectifs, mais ces derniers ne peuvent intervenir qu'après la réalisation des investissements, contrairement à l'idée de Bercy qui veut souvent anticiper les possibles économies de deux, dix, voire vingt ans.
Nous avons donc débattu d'une trajectoire réaliste et demandé une pause de trois ans sur le plafond d'emplois dans le cadre du COP pour accélérer la modernisation du réseau. Puisque nous avons, enfin, des crédits pour la régénération du petit gabarit, nous devons accélérer puissamment sur la commande à distance des écluses et des barrages, l'automatisation et la numérisation. Si nous ne faisons pas cet effort d'investissement pendant trois à quatre ans, nous ne pourrons pas économiser sur les postes, sauf à porter atteinte au service public à certains moments de l'année, en particulier l'été, ou à risquer de manquer d'effectifs en cas d'incident - je pense par exemple aux crues du Nord-Pas-de-Calais, un département où 90 % du réseau fluvial est géré par VNF.
C'est la raison pour laquelle j'avais insisté auprès du Gouvernement pour éviter une diminution du plafond d'effectifs. J'avais même proposé au Gouvernement que VNF gère ses recettes et ses crédits d'intervention de manière optimisée pour garder ses effectifs. Cette suggestion n'a pas été retenue par le Gouvernement, qui a proposé une baisse du plafond d'effectifs dans l'amendement que vous avez évoqué. Conscient que certains pouvaient s'interroger sur mon indépendance politique vis-à-vis de la majorité, j'ai soumis au Conseil d'administration une résolution pour demander au Gouvernement de revenir sur le plafond d'effectifs dans le cadre de la poursuite des discussions budgétaires. Elle a été adoptée à l'unanimité.
Pour ma part, je me suis abstenu sur le vote sur le budget proposé par l'autorité de tutelle car celui-ci prévoyait, contrairement au COP, une baisse d'effectifs qui ne se justifie nullement selon moi. Nous pourrions en effet réaliser les mêmes économies sur les crédits courants de l'établissement, avec de surcroît une amélioration du climat social à la clé.
L'adaptation au changement climatique sera sans aucun doute le prochain grand chantier de VNF. Il est essentiel de tracer des perspectives pour les cinq ans à venir en poursuivant les investissements sur le réseau, en positionnant VNF comme un acteur majeur du fret et en modernisant les infrastructures portuaires. Le défi du fret réside dans la modernisation des ports et des axes ainsi que dans l'intermodalité. Actuellement, la France est dans une situation de cul-de-sac européen, avec des axes qui ne sont pas reliés : la Seine, la Moselle, l'Escaut, le dispositif Saône-Rhône. Il n'y a pas de lien entre ces grands axes européens.
La gestion de la ressource en eau, la transition écologique et la production d'énergies renouvelables sont aussi des sujets clés.
S'agissant de gestion de la ressource en eau, nous souhaiterions que VNF puisse être reconnue comme un acteur Gemapi. Nous gérons 6 700 kilomètres de réseau et 60 retenues d'eau : qui peut dire que nous ne contribuons pas à la régulation de la ressource en eau et à la prévention des sécheresses et des inondations ?
Parmi les axes qui ont fait l'objet d'investissements ces dernières années figure le canal des Vosges, une voie de petit gabarit que je connais bien. Les retenues d'eau sur ce canal ont vu leur capacité doubler, sans zone à défendre (ZAD) ni conflit majeur, car le réseau VNF et ses retenues d'eau font partie du paysage depuis la fin du XIXe siècle. Le développement des retenues d'eau permettrait à VNF d'être un acteur Gemapi de premier plan. Nous essayons d'agir intelligemment avec les collectivités locales. De nombreux exemples de délégations de maîtrise d'ouvrage à des collectivités locales peuvent déjà être cités, mais elles ne suffiront pas si VNF ne devient pas un acteur Gemapi de premier plan. Cette évolution, qui impacterait évidemment les équilibres financiers, nécessite une réflexion approfondie entre le Gouvernement, le Parlement et l'établissement.
S'agissant de la production d'énergie, nous multiplions les petits barrages et les microbarrages sur le réseau, nous testons des hydroliennes sur l'axe Rhône et nous avons identifié 40 000 hectares de foncier disponible. Ces espaces, qui ne sont pas aujourd'hui nécessaires à la modernisation du réseau des canaux et au développement des ports, pourraient faire l'objet d'une politique de solarisation. Nous pouvons être un partenaire majeur, direct et indirect, pour la gestion de l'eau et les énergies renouvelables.
Les centrales nucléaires sont les premières sources de prélèvement d'eau dans notre réseau et je rappelle aussi qu'on ne fait pas d'hydrogène vert sans eau. Nous sommes de plus en plus sollicités par des industriels à cette fin. Nous y voyons une utilité supplémentaire pour VNF, notre objectif étant de pouvoir participer à un tour de table avec les collectivités locales et les opérateurs de l'eau, et certainement pas de nous approprier une compétence nouvelle pour la retirer à d'autres.
Le statut de l'établissement mériterait aussi un travail de modernisation. La question de la transformation en Épic peut se poser si l'on veut développer les ressources propres de VNF. Le pouvoir exécutif du directeur général n'est pas à remettre en cause, selon moi, mais l'on pourrait imaginer un système à directoire et à conseil d'orientation et de surveillance au sein duquel les collectivités locales et les acteurs économiques du secteur auraient toute leur place.
Au-delà de la gouvernance, l'essentiel reste la contractualisation. On a conclu beaucoup de contrats nouveaux avec des collectivités locales, mais pas suffisamment. L'ensemble de notre réseau devrait faire l'objet d'une politique contractuelle avec les collectivités locales, et ce pour trois raisons. Les collectivités étant souvent appelées à financer des opérations, un conventionnement global qui s'appuie sur un diagnostic et des ambitions partagés est préférable à un conventionnement au cas par cas. Quand il s'agit de conférer un nouvel usage à des maisons éclusières, des ports de plaisance ou des canaux de petit gabarit, ce sont souvent les collectivités locales qui portent des initiatives. Enfin, les collectivités locales sont en première ligne sur le sujet de la transition écologique et de la gestion de la ressource en eau.
M. Stéphane Demilly. - Vous avez mentionné l'intérêt du grand gabarit. En tant que sénateur de la Somme, je souhaite vous interroger sur le canal Seine-Nord Europe, qui devrait être un maillon central de la liaison fluviale européenne en 2030.
Cette section fluviale à grand gabarit de 107 kilomètres traversera les Hauts-de-France et reliera le Grand Bassin parisien à l'Europe du Nord. Il permettra la navigation de bateaux de fret équivalant à 220 camions, sous réserve bien entendu de transfert modal.
Les travaux d'infrastructures ont commencé en 2022 dans l'Oise et débuteront cette année dans la Somme, les dernières années ayant été consacrées aux études, concertations et procédures d'autorisation, particulièrement longues et lourdes.
Seine-Escaut est le premier projet européen de transport, développé en partenariat entre la France, la Flandre et la Wallonie. Comment envisagez-vous la collaboration entre ces trois entités pour garantir la tenue d'un calendrier particulièrement exigeant ?
Ce projet bénéficie de subventions européennes dans le cadre du mécanisme pour l'interconnexion européenne (MIE). Quelle est votre stratégie pour continuer à bénéficier de financements suffisants, dans le contexte de fortes tensions européennes que nous connaissons ?
M. Jacques Fernique. - Ne pensez-vous pas que la stratégie nationale fluviale mérite d'être retravaillée selon deux axes, la régénération de l'entretien des canaux, d'une part, et le report modal, d'autre part ?
À mes yeux, il ne faut pas se focaliser seulement sur les grands axes, particulièrement la Seine ; il faut aussi considérer le potentiel du petit gabarit, comme le travail effectué en Nouvelle-Aquitaine le démontre.
Le COP devrait permettre de sécuriser le budget d'investissement de 300 millions d'euros par an sur dix ans, à condition bien entendu que la loi de finances ne contrecarre pas l'engagement d'une stabilisation des effectifs sur trois ans.
Ce contrat vise à rénover et moderniser le réseau, mais prévoit un financement qui repose pour une large part sur une hausse des redevances hydrauliques et des recettes propres, donc sur des augmentations conséquentes de tarif pour les usagers. Au regard du potentiel énergétique du réseau de VNF, ne faudrait-il pas sortir d'un modèle économique daté pour assurer une meilleure répartition du financement et de l'entretien ?
M. Olivier Jacquin. - En décembre 2023, une revoyure ambitieuse du contrat pluriannuel avec l'État a eu lieu. Faut-il renégocier ce contrat au regard des actuelles restrictions budgétaires ?
Quelles relations nouvelles, sans transfert de compétences, pourrions-nous imaginer avec les territoires et les acteurs publics locaux ?
Enfin, une modification du statut de VNF permettrait-elle d'améliorer la gestion du foncier ? Il est actuellement détenu par l'État et mis à disposition de VNF, ce qui est source de rigidité, tout mouvement étant soumis à avis ministériel.
Mme Marta de Cidrac. - À la suite des inondations de ces dernières années, certaines communes des Yvelines subissent de plein fouet la fragilisation des berges de la Seine. VNF constitue souvent le seul recours des communes inquiètes des risques encourus pour leur patrimoine touristique, les ouvrages situés à proximité ou la sécurité de leurs habitants.
Je prends l'exemple de la commune d'Andrésy, dont les berges ont été fortement fragilisées par les crues de 2018 et 2021, entraînant plusieurs effondrements. Or seules les berges situées à proximité des ouvrages de VNF ont bénéficié de travaux de renforcement en avril 2022, pour 5 millions d'euros. La commune s'inquiète car le problème d'ensemble est loin d'être résolu.
Quelle sera la position de VNF à l'égard des communes qui réclament d'être soutenues face à ces problèmes de plus en plus fréquents ?
Je profite enfin de cette intervention pour saluer le travail de vos équipes sur les berges d'Épône, où un grand chantier de déblaiement d'une décharge sauvage de 62 000 tonnes a été terminé fin novembre.
M. Rémy Pointereau. - Vous avez évoqué la volonté de VNF d'avoir la compétence Gemapi, transférée de l'État aux collectivités.
Dans mon département, l'État demande à trois communautés de communes de provisionner 150 millions d'euros dans leur bilan pour l'entretien des digues de la Loire et du canal latéral à la Loire. Les établissements publics de bassin ne souhaitent pas reprendre la compétence dédiée aux communautés de communes, pour des raisons financières, ce qui pose problème.
Êtes-vous prêt à vous associer à ces communautés de communes pour financer l'entretien de ces digues ?
M. Didier Mandelli. - Vous avez évoqué un potentiel foncier de 40 000 hectares pour implanter des centrales ou des parcs photovoltaïques. Où en êtes-vous précisément ? Allez-vous créer une structure ad hoc pour piloter l'ensemble de ces opérations ? Y a-t-il un échéancier ? Quelle puissance électrique pourrait être produite ?
Pour éviter de consommer des terres agricoles, je suggère que nous nous concentrions en priorité sur les bâtiments existants et les sols déjà artificialisés pour accélérer la transition avec le photovoltaïque.
M. Laurent Hénart. - Le projet Seine-Escaut, qui vise à relier l'Escaut à la Seine via 1 100 kilomètres de canaux, est dans une phase délicate. Il reste 200 kilomètres environ à réaliser, 100 kilomètres par la société du canal Seine-Nord Europe, 100 kilomètres à la charge de VNF via le projet de mise au gabarit européen de l'Oise (Mageo).
L'essentiel des coûts concerne le nouveau canal à grand gabarit, qui constitue le plus grand projet de mobilité actuellement inscrit dans les programmations de l'Union européenne. Un groupement européen d'intérêt économique, dont la gérance est assurée par VNF, a été constitué entre la société du canal, VNF et les administrations de la Flandre et de la Wallonie en charge de la navigation. Nous avons déjà perçu 1,8 milliard d'euros de la part de l'Union européenne, ce qui ne représente que 50 % des sommes sollicitées lors du dernier appel à projets. Ce décalage s'explique par la multiplication des demandes de financement et par le manque d'élasticité du budget européen. Pour obtenir les 1,2 milliard d'euros restants, j'envisage quatre étapes stratégiques.
Premièrement, remonter au créneau après avoir mis à jour notre projet d'investissement, l'inflation ayant rendu le coût et le calendrier du chantier trop imprécis. Cet effort est en cours.
Deuxièmement, élargir le champ des défenseurs du projet au-delà de la France et de la Belgique en allant chercher des appuis auprès des Pays-Bas, de l'Allemagne et du réseau Rhin-Danube.
Troisièmement, il importe de préparer le MIE suivant. Les programmes européens ont des séquences pluriannuelles et le MIE, pour lequel nous n'avons pas obtenu la somme que nous souhaitions, s'achève en 2027. Je propose que nous préparions notre stratégie pour 2028-2032, avec la maquette d'un nouveau MIE, étant précisé que les travaux déjà engagés se prolongeront au moins jusqu'en 2030 et que les finitions, abords, éléments portuaires et autres éléments connexes supposeront d'engager encore des investissements en 2031 et 2032.
Quatrièmement, nous devons remobiliser les acteurs économiques à l'échelle européenne. Si l'Union européenne s'est montrée dès l'origine favorable au projet, elle l'a été sous la réserve d'un niveau de financement maximal. Ce sont ces acteurs économiques qui, avec les États et les régions, ont obtenu le résultat que nous connaissons. Ils ont un intérêt évident au respect par l'Union européenne de son calendrier.
Enfin, le projet Mageo, en ce qu'il consiste à intervenir par phases sur un réseau existant, est une opération moins longue et moins compliquée que celle de la Société du canal Seine-Nord Europe, engagée ex nihilo. Il devrait être possible d'en réaménager le calendrier afin de ne pas nuire à la seconde, sans cependant qu'il soit question d'y renoncer - elle reste d'ailleurs indispensable pour relier le nouveau canal à la Seine. Il nous faut articuler intelligemment les deux opérations.
Monsieur Fernique, quand j'évoque 1 milliard d'euros manquants sur dix ans, cette somme concernerait presque exclusivement la régénération du réseau.
Vous vous interrogez sur le réseau à grand gabarit et un centrage excessif sur la Seine. Nous ne nous centrons jamais trop sur un axe quand il marche bien. Or Haropa Port, une infrastructure originale dans l'organisation du fret fluvial et des transports en France, réussit pour l'instant. Développons donc cet axe, mais sans négliger les autres. Si le Rhin représente en effet 33 % de parts de marché, la Seine 20 %, la Moselle 18 %, l'axe Rhône-Saône atteint tout juste 10 %.
Le projet d'une gestion harmonisée, unifiée, des onze ports lorrains le long de l'axe de la Moselle n'est pas remis en cause dans son fondement, mais la solution envisagée d'une gestion par un EPA, plus précisément par un syndicat mixte ouvert (SMO), ne correspond pas à la dynamique souhaitée par les collectivités locales concernées. Nous allons le reprendre et envisager un dispositif plus souple de type SEM, familier aux collectivités locales.
Je conviens qu'il reste à définir dans la stratégie nationale fluviale un projet à la hauteur du potentiel de l'axe Rhône-Saône. La présence de la Compagnie nationale du Rhône (CNR), celle de centrales nucléaires, la tradition hydroélectrique le long de l'axe facilitent ce travail. Des éléments prennent forme et une priorité se dégage, celle d'en faire un axe exemplaire pour les mobilités vertes et les énergies renouvelables. Elle pourrait mobiliser l'État, les collectivités locales et VNF. Il faut à présent préciser les modalités d'une gestion coordonnée de l'axe, entre ses différents ports, dont le port maritime de Marseille-Fos.
Les lignes d'action relatives au Rhin et à la Seine sont pertinentes et doivent être poursuivies ; il importe en revanche de rattraper le retard pris sur la Moselle et d'achever la construction d'un projet relatif à l'axe Rhône-Saône.
Quant à la Gemapi, nous estimons qu'il n'y a pas lieu de remettre en cause les compétences actuelles des collectivités territoriales. Cependant, il nous semble que le rôle de VNF dans ce domaine doit être affirmé par le législateur, afin de lui permettre d'accélérer certaines procédures, par exemple en matière de gestion du domaine public fluvial, où, en l'état actuel du droit, les coopérations avec les collectivités locales demeurent complexes. La question du financement se pose néanmoins et il faudra que la discussion sur la Gemapi permette de dégager pour VNF, qui ne peut tout prendre à sa charge, une ressource budgétaire propre.
Cela pourrait être l'occasion de moderniser intelligemment la redevance hydraulique. En l'état, il s'agit d'une redevance non de consommation effective, mais de droit à tirer : contre son versement, VNF autorise un acteur à prélever ou à déverser de l'eau dans le réseau. Aujourd'hui, elle est payée essentiellement par EDF, pour l'exploitation des centrales nucléaires, et par huit à dix syndicats d'eau et d'assainissement français. En augmenter le montant ne rendrait pas service au secteur nucléaire de notre pays et grèverait un nombre restreint de territoires, toujours les mêmes. Pour financer le réseau national des voies et cours d'eau et dégager la ressource dont nous avons besoin pour intervenir, je lui préférerais le système « faible taux, large assiette », pour moi le plus efficace et qui a notamment fait ses preuves avec la redevance d'archéologie préventive.
Monsieur Jacquin, faut-il dès aujourd'hui prévoir une nouvelle clause de revoyure ou prendre le temps de préparer la prochaine - prévue en 2026 - de façon plus transparente avec les commissions concernées du Sénat et de l'Assemblée nationale ? Si l'État, respecte le COP, en particulier pour la période de 2024 à 2026, ce sera déjà positif. Le Parlement nous aiderait grandement, dans la négociation de la clause de revoyure, en n'étant pas une simple instance d'appel, à laquelle on s'adresse quand on n'a pas obtenu auprès de l'État ce que l'on en attendait, mais en travaillant avec nous en amont.
Sur la domanialité publique, vous avez raison, on doit pouvoir simplifier les conditions d'usage du foncier de l'État. Pour l'heure, si VNF veut octroyer une occupation de longue durée du domaine public ou céder un terrain dont aucun usage n'est fait, il lui faut, outre la procédure interne de contrôle budgétaire déjà assez substantielle, ajouter celle qui est inhérente à la cession de l'immobilier de l'État. Il conviendrait dans pareille hypothèse de ne conserver qu'une de ces deux procédures. On peut également imaginer ouvrir le débat sur le statut d'Épic : plus les financements proviennent d'autres acteurs que l'État - Union européenne, collectivités locales - et plus nous insistons sur l'autofinancement, plus nous devons nous diriger vers une organisation budgétaire réactive, qui ouvre davantage de possibilités de financement.
Sur le Grand Est, je souhaite d'abord que nous menions à son terme le contrat que nous avons passé avec la région et l'État. Le document s'organise autour de quatre axes : le canal des Vosges et celui des Ardennes, qui sont engagés, le canal de la Meuse et celui du Rhin au Rhône, qui restent à réaliser. Le principal progrès avec la région Grand Est tient aux ports lorrains, à la gestion intégrée des ports de la Moselle et au modèle multimodal. La région Grand Est ayant obtenu la délégation de l'autoroute A31 et exerçant très fortement sa compétence ferroviaire, elle est la candidate idéale pour un projet pilote en matière d'intermodalité.
Madame de Cidrac, au sujet des berges de la Seine, VNF hiérarchise ses interventions entre ce qui est directement utilisable à la navigation et ce qui ne l'est pas, faute de fonds suffisants. À terme, une partie de la réponse se trouvera dans la Gemapi. Les communes pourraient avoir VNF pour unique interlocuteur, que les cours d'eau soient ou non navigables. Néanmoins, j'accepterais, si vous le souhaitiez, de me déplacer afin de voir ce qui serait améliorable à brève échéance malgré l'état actuel de disette budgétaire. Nous pouvons par exemple aller plus loin dans le conventionnement avec la région Île-de-France - je connais l'intérêt que sa présidente porte au département des Yvelines.
Monsieur Mandelli, nous avons déjà une politique de filiales. Elle a jusqu'à présent pour l'essentiel servi à la valorisation du foncier de VNF, particulièrement à l'entour des ports, avec la création d'unités de logements, de commerces ou de bureaux. Le quartier La Confluence à Lyon en est un exemple. Le tiers de son foncier appartient à VNF et nous avions travaillé avec la métropole du Grand Lyon au travers d'une société civile immobilière (SCI). J'ai par ailleurs évoqué la mise en place de SEM en vue de valoriser les axes fluviaux et nous souhaitons désormais renforcer cette politique de développement de filiales dans deux directions : pour la gestion d'axes portuaires, qui intégrera la dimension des énergies renouvelables, et pour des projets donnés, via le conventionnement avec les collectivités locales.
Les 40 000 hectares de domaine public dont nous avons la responsabilité n'ont pas encore fait l'objet d'une catégorisation détaillée destinée à distinguer les terrains imperméables de ceux qui ne le sont pas, et dont les usages ne seront potentiellement pas les mêmes. L'établissement devrait achever ce travail d'ici à la fin de l'année 2025. Sa direction territoriale Est met par exemple un point final à l'inventaire des terrains qui la concerne. En revanche, nous avons déjà lancé des appels à manifestation d'intérêt (AMI), qui ont permis de réaliser des opérations relatives aux énergies renouvelables telles que des microbarrages ou de la solarisation.
Enfin, l'établissement est convaincu que le retour du petit gabarit dans le fret fluvial est possible. Nous ne voulons pas nous concentrer exclusivement sur le grand gabarit nicantonner le petit gabarit au tourisme, qu'il soit fluvial, cyclable ou de randonnée. Cependant, chaque fois que nous avons eu du fret de petit gabarit, ce sont les régions, compétentes en matière de développement économique, ainsi que le bloc communal qui nous ont permis d'en identifier le potentiel et d'en qualifier les éléments constitutifs, comme la saisonnalité, la fréquence ou les volumes. J'analyse par conséquent cette question sous l'angle du conventionnement avec les collectivités locales.
Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo, disponible en ligne sur le site du Sénat.
Vote sur la proposition de nomination, par le Président de la République, de M. Laurent Hénart aux fonctions de président du conseil d'administration de l'établissement public de l'État dénommé Voies navigables de France (VNF)
M. Jean-François Longeot, président. - Nous avons achevé l'audition de M. Laurent Hénart, candidat proposé par le Président de la République pour exercer les fonctions de président du conseil d'administration de l'établissement public de l'État dénommé Voies navigables de France. Nous allons maintenant procéder au vote sur cette proposition.
Le vote se déroulera à bulletin secret, comme le prévoit l'article 19 bis de notre Règlement. En application de l'article 1er de l'ordonnance n° 58-1066 du 7 novembre 1958 portant loi organique autorisant exceptionnellement les parlementaires à déléguer leur droit de vote, les délégations de vote ne sont pas autorisées.
Je vous rappelle que le Président de la République ne pourrait procéder à cette nomination si l'addition des votes négatifs des commissions de l'Assemblée nationale et du Sénat représentait au moins trois cinquièmes des suffrages exprimés dans les deux commissions.
Il est procédé au vote.
Proposition de résolution européenne sur la proposition de règlement du Parlement européen et du Conseil relatif à la prévention des pertes de granulés plastiques en vue de réduire la pollution par les microplastiques - Communication
M. Jean-François Longeot, président. - Notre troisième point à l'ordre du jour concerne la communication de Marta de Cidrac et Michaël Weber ayant pour objet de restituer leurs travaux et leurs réflexions sur la proposition de résolution européenne no 203, adoptée par la commission des affaires européennes le 11 décembre 2024 et devenue résolution du Sénat au terme du délai réglementaire d'un mois prévu par notre Règlement. Cette résolution porte sur la proposition de règlement européen visant à prévenir les pertes de granulés plastiques et à réduire ainsi la pollution par les microplastiques, actuellement en cours d'examen au niveau européen.
Je tiens tout d'abord à féliciter Marta de Cidrac et Michaël Weber pour la qualité du travail accompli. Résultat de plusieurs mois de travaux préparatoires, leur texte propose une réglementation européenne équilibrée pour lutter contre la pollution aux granulés plastiques, tout en conciliant la protection de l'environnement avec la préservation des enjeux économiques.
Je les remercie chaleureusement d'avoir accepté de présenter cette résolution devant notre commission, car elle aborde un sujet essentiel, celui de la lutte contre la pollution plastique, qui relève pleinement de nos compétences. Notre commission a d'ailleurs suivi de près ces enjeux et mené de nombreux travaux dans ce domaine.
La commission de l'aménagement du territoire et du développement durable a, en effet, joué un rôle important dans la lutte contre la pollution plastique. La loi du 10 février 2020 relative à la lutte contre le gaspillage et à l'économie circulaire (Agec), que notre commission a largement contribué à enrichir tout au long des débats parlementaires, constitue un cadre national ambitieux. Sous l'impulsion de sa rapporteure, Marta de Cidrac, cette loi a mis en place des mesures innovantes de lutte contre la pollution plastique, qui ont ensuite inspiré plusieurs textes européens. Le projet de règlement relatif aux pertes de granulés plastiques s'inscrit dans cette continuité et s'inspire largement des mesures françaises. Nous pouvons légitimement être fiers d'avoir été des précurseurs dans ce domaine en Europe.
En mars 2021, notre commission avait également examiné une proposition de loi déposée par Angèle Préville visant à renforcer la régulation de l'usage des granulés plastiques, dans la continuité de la loi Agec. Bien que ce texte n'ait jamais été examiné à l'Assemblée nationale, ce que je regrette, il illustre l'engagement constant de notre commission sur ces questions.
La proposition de résolution européenne no 203 s'inscrit donc dans le droit fil de ces travaux. Il n'est pas surprenant que ses deux auteurs, membres de notre commission, aient souhaité poursuivre cet engagement au sein de la commission des affaires européennes.
Je leur laisse à présent la parole pour présenter en détail cette résolution.
Mme Marta de Cidrac, rapporteure. - L'Union européenne déploie une stratégie d'ensemble pour réagir à la dégradation qu'a trop longtemps fait subir à notre environnement une évolution mal maîtrisée de nos modes de consommation et de production. Dans ce cadre, la Commission européenne a proposé, il y a un an, un règlement destiné à lutter contre la pollution résultant de microplastiques, ces granulés qui sont destinés à la production d'objets en plastique et qui se perdent dans la nature : c'est une pollution qui se mesure en dizaines, voire centaines de milliers de tonnes par an.
Le 11 décembre dernier, mon collègue Michaël Weber et moi-même avons présenté à la commission des affaires européennes une proposition de résolution européenne relative à cette proposition de règlement, et la commission l'a adoptée à l'unanimité. Comme le prévoit le Règlement du Sénat, ce texte a été envoyé à la commission de l'aménagement du territoire et du développement durable qui pouvait, ou non, s'en saisir : notre commission disposait d'un mois pour l'approuver expressément, le modifier ou le rejeter ; dans son silence, le texte devait être considéré comme adopté tacitement par elle, puis devenir résolution du Sénat. En accord avec le président Longeot, il a été décidé de ne pas en saisir formellement notre commission. Néanmoins, nous avons été invités à vous en présenter les grandes lignes.
La Constitution permet en effet au Sénat d'adopter des résolutions sur des projets de textes européens et de prendre ainsi position sur les règles législatives que propose la Commission européenne et qui sont négociées ensuite, d'une part, au niveau du Parlement européen, et d'autre part, au niveau du Conseil de l'Union européenne entre les ministres des 27 États membres qui s'y trouvent réunis. La résolution européenne nous sert à indiquer au Gouvernement les objectifs que le Sénat souhaite voir défendus dans le cadre de cette négociation au sein du Conseil de l'Union, donc à peser en amont, avant l'adoption définitive du texte européen que la France devra ensuite appliquer.
C'est dans cet esprit, avec Michaël Weber, que j'ai proposé à mes collègues de la commission des affaires européennes de conduire des travaux sur cette proposition de règlement qui tend à introduire de nouvelles mesures pour prévenir la dispersion dans l'environnement des granulés plastiques industriels, utilisés comme matière première pour la fabrication d'objets en plastique. Ces mesures pourraient permettre de réduire jusqu'à 74 % des pertes de granulés plastiques dans l'environnement.
Leur dispersion se produit à la suite de pertes involontaires liées soit à des erreurs de manipulation ou d'utilisation, soit à des accidents lors de leur transport par camion ou, le plus souvent, par navire. Solides, persistants et souvent flottants, ils se disséminent facilement sur de grandes distances, en particulier dans les milieux marins, s'ils ne sont pas correctement canalisés. Selon la Commission européenne, entre 52 000 et 184 000 tonnes de granulés sont ainsi perdues dans l'Union européenne tous les ans. Ils constituent la troisième source de microplastiques libérés de manière non intentionnelle dans l'environnement en Europe, après les peintures et les pneumatiques. Or force est de constater que cette pollution est largement évitable par la mise en place d'actions de prévention tout au long de la chaîne d'approvisionnement.
Les mesures proposées par la Commission européenne s'appuient sur les recommandations de bonnes pratiques de manipulation et de transport, adoptées par les organisations maritimes européennes et internationales ; des efforts ont également déjà été réalisés en ce sens, sur la base du volontariat, par l'industrie plastique. La proposition de règlement s'inspire aussi largement de la législation française - notre pays étant le seul au monde à disposer d'une législation en la matière -, issue de la loi Agec de 2020. Le texte envisagé au niveau européen diffère néanmoins sur certains points du dispositif de cette loi et apparaît globalement moins ambitieux.
Ce texte a été accueilli très favorablement par les États membres, les industriels, les transporteurs et les ONG, ce dont nous nous félicitons. Nous soutenons la mise en oeuvre de mesures efficaces pour prévenir ces pertes de granulés plastiques dans l'environnement.
La Commission européenne propose ainsi d'établir un cadre réglementaire harmonisé concernant l'ensemble des activités liées à l'utilisation de granulés plastiques à tous les stades de la chaîne d'approvisionnement. Elle fixe des obligations de prévention des pertes, applicables à tous les opérateurs économiques manipulant plus de 5 tonnes de granulés par an ainsi qu'aux transporteurs de l'Union européenne et des pays tiers, à l'exception du transport maritime. Le texte européen prévoit la mise en place de procédures et d'équipements spécifiques tels qu'un plan d'évaluation des risques et une autodéclaration de respect des exigences. Il propose d'établir une obligation de certification pour les opérateurs les plus importants, à savoir ceux manipulant plus de 1 000 tonnes de granulés par an, et de déclaration pour les autres entreprises.
Une méthodologie harmonisée d'estimation des pertes devra aussi être élaborée par des organismes de normalisation. Il est enfin prévu que les États membres définissent des sanctions en cas de non-respect des dispositions du règlement, ce qui n'est pas encore le cas dans la législation française.
M. Michaël Weber, rapporteur. - Ce texte s'inscrit dans un contexte marqué par des épisodes récents de pollution des littoraux français et espagnols, liés à des déversements de granulés plastiques sur les plages, échappés de conteneurs perdus en mer par des navires les transportant. Ces granulés sont très difficiles à récupérer en raison de leur très petite taille et les responsabilités ne sont pas aisées à déterminer. Or les opérations de nettoyage incombent généralement aux collectivités territoriales qui disposent rarement des moyens financiers et humains suffisants pour y faire face.
C'est pourquoi nous avons estimé nécessaire de plaider pour l'extension du champ d'application du règlement au transport maritime, qui représente 38 % de l'ensemble des granulés transportés dans l'Union européenne en 2022, en s'appuyant sur les recommandations de l'Organisation maritime internationale (OMI), afin d'assurer une meilleure protection des zones géographiques maritimes, qui sont les plus exposées à ce type de pollution. Dans ce cadre, nous avons préconisé un renforcement des exigences en matière d'emballages.
La proposition de résolution européenne formule aussi plusieurs recommandations qui visent à aligner davantage les obligations prévues par le projet de règlement sur le dispositif déjà en vigueur en France.
Nous considérons que les exemptions envisagées pour les moyennes et grandes entreprises manipulant moins de 1 000 tonnes de granulés par an ainsi que pour les petites entreprises ne sont pas pertinentes. Du fait de la structure des entreprises françaises de la plasturgie, peu d'entre elles seraient effectivement soumises à l'obligation de certification prévue dans le texte européen. Or une telle dérogation n'existe pas dans le droit français, tous les opérateurs étant soumis à une procédure de certification. Nous estimons, par conséquent, que le critère retenu doit reposer sur le volume de granulés manipulés annuellement, et non sur la taille de l'entreprise. C'est pourquoi nous proposons, compte tenu des enjeux environnementaux, d'abaisser le seuil d'assujettissement à l'obligation de certification à un niveau plus proche de celui retenu dans la loi française.
En tout état de cause, il nous semble nécessaire d'assurer un contrôle rigoureux du respect des exigences en matière de bonnes pratiques, tout en accompagnant les entreprises dans cette démarche. À ce titre, nous avons préconisé de renforcer les exigences pour les entreprises soumises à l'autodéclaration.
Enfin, nous plaidons pour rendre obligatoire la formation des personnels quelle que soit la taille de l'entreprise, car une telle formation constitue un facteur essentiel pour la mise en application de mesures de prévention.
Le 17 décembre 2024, le Conseil de l'Union européenne a adopté une orientation générale qui rehausse l'ambition du texte et qui donne satisfaction à certaines des préconisations formulées dans la proposition de résolution européenne adoptée par la commission des affaires européennes. L'approche du Conseil prévoit notamment d'introduire des obligations pour le transport maritime, en particulier en matière d'emballages et d'informations relatives aux marchandises, avec toutefois un délai transitoire de trois ans pour ce secteur, et d'obliger les petites entreprises manipulant plus de 1 000 tonnes de granulés par an à obtenir un certificat de conformité délivré par un tiers. Le critère du volume de granulés manipulés a été considéré comme déterminant.
Nous sommes donc plutôt satisfaits par l'évolution de la négociation à ce stade.
Le Parlement européen s'est déjà prononcé sur ce texte en avril dernier : il a été décidé notamment d'inclure le transport maritime dans le champ du règlement, d'imposer aux opérateurs l'étiquetage des conteneurs utilisés pour transporter ces granulés, et de préciser les exemptions pour les microentreprises. Nous ne pouvons que nous féliciter de cette convergence sur ces points.
Les trilogues, c'est-à-dire la négociation finale entre le Parlement européen et le Conseil de l'Union européenne sous l'égide de la Commission européenne, devraient débuter très prochainement. Nous les suivrons avec attention naturellement et vous tiendrons informés de la prise en compte dans les négociations des positions adoptées par le Sénat.
M. Ronan Dantec. - Dans le pays bigouden, la dernière marée plastique a été spectaculaire, avec des plages recouvertes de billes de plastique et extrêmement difficiles à nettoyer. Compte tenu du risque environnemental que leur transport comporte, ne faudrait-il pas se poser la question de la nécessité de faire venir ces matériaux de l'autre bout du monde ? J'ignore si les différences de coûts de fabrication entre l'Asie et l'Europe justifient leur importation, mais, de même que cela avait été fait en réaction aux marées noires, la responsabilité du transporteur maritime qui arrime mal ses conteneurs devrait pouvoir être engagée, afin que lui revienne la charge des montants considérables de la réparation des dégâts causés. Voilà qui l'inciterait à prêter davantage attention à ne pas perdre ses conteneurs en mer. Nous parlons ici d'une pollution pire encore, sur le long terme, que celle des marées noires, les micro-organismes ne parvenant jamais à dissoudre le plastique. L'enjeu est majeur. Je vous félicite pour votre travail.
Mme Marta de Cidrac, rapporteure. - Nous sommes d'accord et c'est le sens même de cette proposition de résolution européenne. La prévention prévaut, nous amorçons une réflexion qui doit se poursuivre et dont nous devrons collectivement nous saisir.
M. Michaël Weber, rapporteur. - Soulignons que nous n'avons pas de réelle connaissance de la quantité exacte de billes de plastique perdues. Notre rapport l'estime dans une fourchette de 52 000 à 184 000 tonnes par an, soit des quantités énormes.
Les auditions que nous avons menées ont dégagé des problématiques d'ordre technique : les conteneurs qui contiennent les billes de plastique, parce que considérés comme plus légers que d'autres, sont disposés en hauteur dans les porte-conteneurs et plus enclins à tomber sous l'effet des mouvements de mer. Par ailleurs, il reste très difficile d'identifier l'origine de ces billes de plastique lorsqu'elles apparaissent à l'occasion de pollutions.
C'est pourquoi nous évoquons les modalités d'installation des conteneurs en vue de leur transport et la formation de ceux qui en ont la responsabilité, afin d'éviter la chute en mer de ces caissons, ainsi qu'une meilleure traçabilité des produits plastiques.
M. Jacques Fernique. - Nous traitons des pertes non volontaires, liées à des accidents. Une question de méthodologie se pose afin de les estimer de manière plus fiable. La fourchette que vous donnez s'étend en effet du simple au triple.
Si nos échanges insistent sur la dissémination dans les océans, avec des marées plastiques spectaculaires, notons que vous évaluez les pertes de microplastiques primaires qu'on retrouve dans les océans à 42 %, ce qui signifie qu'ils se retrouvent d'abord majoritairement dans les sols. Ils s'y retrouvent notamment dans les boues d'épuration. L'enjeu est donc là aussi majeur et les principales recommandations tendent à aligner davantage l'Union européenne sur les avancées pionnières de la France et de sa loi Agec de 2020 dans ce domaine.
M. Jean-François Longeot, président. - Je remercie les deux rapporteurs pour le travail réalisé.
Mme Marta de Cidrac, rapporteure. - Nous vous remercions à notre tour de nous avoir donné l'occasion de partager avec vous ce travail conduit au sein de la commission des affaires européennes.
Projet de loi de finances pour 2025 - Désignation d'un rapporteur pour avis
M. Jean-François Longeot, président. - Vous n'ignorez pas que notre collègue Philippe Tabarot a été nommé ministre chargé des transports le 24 décembre dernier. Je me réjouis de ce choix du Premier ministre, qui montre que la qualité des travaux menés par notre commission sur cette thématique au coeur de ses compétences est pleinement reconnue.
En tant que rapporteur pour avis sur les crédits relatifs aux transports ferroviaires, fluviaux et maritimes du projet de loi de finances (PLF), Philippe Tabarot a toujours défendu la nécessité d'investir dans les infrastructures permettant d'assurer le report modal et la décarbonation des mobilités. Je suis très satisfait qu'il puisse maintenant défendre ses convictions au Gouvernement. J'ai bon espoir que la conférence sur le financement des services express régionaux métropolitains aura enfin lieu !
L'examen du PLF pour 2025 n'est pas encore achevé. La mission « Écologie, développement et mobilité durables » sera examinée en séance publique ce lundi 20 janvier. En effet, le Sénat reprendra l'examen du budget là où il s'était arrêté du fait du vote de la motion de censure. Je vous propose en conséquence, dans un souci de pragmatisme et d'efficacité, de prendre au pied levé le relais de Philippe Tabarot dans ses fonctions de rapporteur pour avis et de présenter les principaux axes de son rapport en séance publique.
M. Jean-François Longeot est désigné rapporteur pour avis sur les crédits relatifs aux transports ferroviaires, fluviaux et maritimes.
Proposition de loi visant à instaurer une trajectoire de réduction de l'artificialisation concertée avec les élus locaux - Demande de saisine pour avis et désignation d'un rapporteur pour avis
M. Jean-François Longeot, président. - Il nous reste à procéder à la désignation d'un rapporteur pour l'examen de la proposition de loi dite « Trace », déposée par nos collègues Guislain Cambier et Jean-Baptiste Blanc, visant à instaurer une trajectoire de réduction de l'artificialisation concertée avec les élus locaux. Ce texte suscite un très vif intérêt au sein de notre assemblée ; j'en veux pour preuve le fait qu'il a été cosigné par plus de 170 sénateurs.
Il faut dire que la stratégie de sobriété foncière est entrée dans une nouvelle dimension à la suite de la loi « Climat et résilience » d'août 2021, en instaurant des objectifs de réduction de la consommation d'espaces d'une ambition inédite : une cible de 50 % de baisse à l'issue de la première décennie par rapport aux dix années précédant la promulgation de la loi et l'absence de toute artificialisation nette d'ici à 2050. Il n'est donc pas surprenant que les élus locaux, les principaux intéressés par cette réforme, soient vigilants aux incidences de cette stratégie et expriment leur inquiétude quant à la neutralisation potentielle des leviers dont ils disposent en vue de favoriser leur développement. La sobriété foncière est pourtant une nécessité, un fort consensus se dégage autour de cette priorité : l'artificialisation des sols est en effet lourde d'enjeux pour l'environnement, la préservation de la biodiversité, le maintien de notre potentiel agronomique ou encore la régulation du cycle de l'eau.
Malgré cela, il ne se passe pas une semaine sans que je sois sollicité sur la question du « zéro artificialisation nette » (ZAN) par des élus partageant l'objectif de sobriété foncière, mais inquiets sur les modalités retenues par le législateur. Les défauts de la loi ont été bien identifiés par le groupe de suivi sur la mise en oeuvre de la stratégie de réduction du rythme de l'artificialisation, auquel six sénateurs de la commission ont participé. Elle souffre de plusieurs lacunes, que le dialogue territorial au sein des régions et des collectivités compétentes en manière d'urbanisme a permis d'identifier : un manque d'intelligibilité, un accompagnement défaillant de l'État, une approche comptable et arithmétique, une indifférence aux dynamiques locales, aux efforts passés et à la qualité des sols.
C'est dire si l'ambition de la proposition de loi Trace est scrutée avec attention par les élus locaux et les acteurs publics : elle intervient à la suite de la loi dite « ZAN 2 » du 20 juillet 2023, d'initiative sénatoriale, qui avait levé certains blocages et irritants, mais sans remédier à l'ensemble des difficultés ni répondre à toutes les attentes du terrain. Aujourd'hui, nous approchons des échéances fixées par la loi pour la modification des documents d'urbanisme et nous n'avons pas le droit à l'erreur. Nous devons résoudre la périlleuse équation qui consiste à maintenir une stratégie environnementale de réduction marquée de l'artificialisation, tout en préservant la capacité des territoires à répondre à leurs besoins fonciers et à se développer.
Ce texte a été envoyé pour examen au fond à la commission des affaires économiques, qui a désigné ce matin ses rapporteurs, Jean-Marc Boyer et Amel Gacquerre. Le calendrier est très serré, puisque ce texte sera débattu en séance publique dès les 18 et 19 février prochains, ce qui implique que nous puissions l'examiner au sein de notre commission dès le mardi 11 février.
Je forme le voeu de travailler en bonne intelligence et en étroite collaboration avec la commission des affaires économiques, dans l'intérêt des territoires, pour « tracer » un chemin concerté et réaliste de sobriété foncière, tout à veillant à tirer parti des bénéfices environnementaux attendus de la réduction de l'artificialisation.
Je vous propose de nommer Daniel Guéret rapporteur pour avis pour l'examen de la proposition de loi.
M. Ronan Dantec. - Il est curieux que seule la commission des affaires économiques traite à présent du ZAN, alors que le choix d'une commission spéciale aurait été plus opportun, comme ce fut le cas pour l'examen de la proposition de loi qui a abouti à la loi du 20 juillet 2023 : il s'agit d'un cadre propice au croisement des expertises et des sensibilités. Je ne comprends donc pas pourquoi nous n'avons pas conservé la logique qui sous-tendait la constitution de cette dernière.
M. Jean-François Longeot, président. - La commission spéciale avait pour objectif que nous travaillions de concert au sein de notre assemblée et l'expérience a montré que cela fonctionnait bien. Cependant, pour la proposition de loi Trace, il n'y a pas eu la volonté de poursuivre plus avant cette méthode d'examen des textes. Le rapporteur pour avis et moi-même n'en serons pas moins vigilants à la conduite des travaux par la commission des affaires économiques.
M. Ronan Dantec. - À défaut d'instaurer une commission spéciale, la commission de l'aménagement du territoire et du développement durable aurait pu reprendre à son compte ce travail. Cela n'aurait pas semblé illogique étant donné les incidences environnementales de la stratégie de sobriété foncière.
M. Jean-François Longeot, président. -C'est précisément la raison pour laquelle nous nous saisissons pour avis, étant précisé que la nature des dispositions de la proposition de loi conduit logiquement à confier son renvoi à la commission des affaires économiques, compte tenu de son champ de compétences en matière d'urbanisme.
La commission demande à être saisie pour avis sur la proposition de loi no 124 (2024- 2025) visant à instaurer une trajectoire de réduction de l'artificialisation concertée avec les élus locaux, présentée par MM. Guislain Cambier, Jean-Baptiste Blanc et plusieurs de leurs collègues, et désigne M. Daniel Guéret rapporteur pour avis.
Intervention de M. le sénateur Saïd Omar Oili sur Mayotte (sera publié ultérieurement)
Le compte rendu relatif à ce point de l'ordre du jour sera publié ultérieurement.
La réunion est close à 11 h 45.