Mardi 14 janvier 2025

- Présidence de M. Laurent Burgoa, président -

La réunion est ouverte à 17 h 30.

Audition de Mmes Marie Dupin, journaliste membre de la cellule investigation de France Info, et Pascale Pascariello, journaliste au pôle « Enquêtes » de Médiapart

M. Laurent Burgoa, président. - Mes chers collègues, nous poursuivons notre série d'auditions avec celle de Mmes Marie Dupin, journaliste à la cellule d'investigation de Radio France, et Pascale Pascariello, journaliste à Médiapart.

Cette audition est diffusée en direct sur le site internet du Sénat.

Mesdames, je rappelle qu'un faux témoignage devant notre commission d'enquête serait passible des peines prévues aux articles 434-13, 434-14 et 434-15 du code pénal. Je précise également qu'il vous appartient, le cas échéant, d'indiquer vos éventuels liens d'intérêts ou conflits d'intérêts en relation avec l'objet de la commission d'enquête.

Je vous invite à prêter successivement serment de dire toute la vérité, rien que la vérité, en levant la main droite et en disant : « Je le jure. »

Conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, Mmes Marie Dupin et Pascale Pascariello prêtent serment.

M. Laurent Burgoa, président. - Je rappelle rapidement pour les internautes que le Sénat a constitué, le 20 novembre dernier, une commission d'enquête sur les pratiques des industriels de l'eau en bouteille.

Au début de l'année 2024, les médias qui sont les vôtres ont révélé les pratiques illégales de certaines entreprises du secteur des eaux embouteillées, en particulier le recours à des traitements interdits sur des eaux minérales naturelles et de source.

Notre commission d'enquête vise à faire la lumière sur ce dossier, sous réserve des éventuelles procédures judiciaires en cours.

Nous avons souhaité vous entendre en vos qualités de journalistes ayant mis au jour certaines pratiques des industriels des eaux conditionnées qui sont au coeur de notre commission d'enquête.

Comme je l'ai indiqué, par une enquête publiée à la fin de janvier 2024, vous avez révélé au public - cela inclut les parlementaires - que des traitements interdits avaient été pratiqués par nombre d'industriels pendant plusieurs années, sans que le consommateur n'en soit informé, alors même que l'État en avait eu connaissance.

Nous souhaiterions donc vous interroger sur plusieurs points.

Pourriez-vous revenir sur la chronologie complexe de cette séquence tout à fait confidentielle, qui débute en 2020 ? Quelles sont à votre sens les raisons ayant poussé les gouvernements successifs à ne pas rendre publiques ces pratiques ? À votre avis, quels sont les points les plus saillants de la séquence, les points qui mériteraient notre plus grande attention ?

D'après les informations dont vous disposez, les pratiques des industriels des eaux conditionnées sont-elles toujours à risque de non-conformité ? Comment voyez-vous l'avenir du secteur face aux contraintes pesant sur la ressource ?

Nous vous proposons un déroulement de l'audition en trois temps : une présentation liminaire de votre travail et de vos réflexions, suivie d'une première série de questions - en particulier de notre rapporteur, qui reprendra les points tout juste exposés -, puis, éventuellement, d'une dernière batterie de questions-réponses.

Mme Marie Dupin, journaliste membre de la cellule investigation de France Info. - Je vous remercie de cette invitation, mesdames, messieurs les sénateurs. Je remercie en particulier le rapporteur Alexandre Ouizille, qui a fait en sorte que cette commission d'enquête puisse voir le jour, et la sénatrice Antoinette Guhl, qui l'a soutenu dans cette démarche et a fourni un travail important sur le sujet.

Je suis très honorée d'être entendue, aux côtés de ma collègue Pascale Pascariello, dont l'enquête a permis de comprendre les enjeux financiers autour de cette affaire.

Le rôle d'une commission d'enquête est d'informer, de contribuer au débat public, mais aussi de contrôler et d'infléchir l'action de l'État. Dans le dossier qui nous occupe, il y a à faire en matière d'inflexion !

Si mon collègue du Monde Stéphane Foucart et moi-même avons commencé à travailler sur celui-ci, c'est grâce à des lanceurs d'alerte, notamment à un ancien salarié de l'entreprise Alma. Les lanceurs d'alerte jouent un rôle important aujourd'hui, ils prennent des risques en transmettant des informations, mais leur démarche permet de faire émerger la vérité.

De quelle vérité parlons-nous en l'occurrence ?

Votre commission d'enquête porte sur les pratiques des industriels du secteur de l'eau. Je voudrais me focaliser sur l'un d'entre eux, la multinationale suisse Nestlé : c'est, en effet, la seule entreprise dont nous savons qu'elle a utilisé des filtres interdits, car plusieurs de ses puits étaient - et sont toujours - contaminés par des bactéries potentiellement dangereuses pour l'homme et par des polluants chimiques. C'est d'ailleurs pour masquer cette contamination de la ressource en eau à l'administration et aux consommateurs que ces traitements illégaux ont été mis en place.

Depuis nos révélations, en janvier dernier, le groupe Nestlé et les responsables politiques qui étaient au courant de l'affaire tentent de minimiser le risque sanitaire, voire de l'occulter. La veille de nos révélations, alors qu'elle savait que nous allions faire une publication sur le sujet, l'entreprise a même tenté de prendre les devants, à travers un mea culpa dans le journal Les Échos : elle reconnaissait avoir enfreint la réglementation pour maintenir la sécurité de ses eaux et éviter que les consommateurs ne tombent malades.

La réalité est bien plus complexe. Pendant des années, dans les Vosges - où elle produit les marques Hépar, Vittel et Contrex - et dans le Gard - où elle produit la marque Perrier -, l'entreprise Nestlé a constaté que ses puits étaient contaminés, alors qu'une eau minérale naturelle doit se distinguer, par définition, par sa « pureté originelle » et, selon la réglementation, doit avoir été tenue à l'abri de tous risques de pollution. Pour masquer cette pollution de ses eaux aux inspecteurs des agences régionales de santé (ARS), elle a dissimulé, derrière des armoires électriques ou dans des bâtiments annexes, des lampes à rayons ultraviolets (UV), des filtres à charbon et des microfiltres destinés à désinfecter l'eau et à la purifier.

Tant que ces traitements étaient utilisés, il n'y avait a priori pas de risque sanitaire. Mais en 2021, ayant appris que la répression des fraudes enquête sur les pratiques des industriels du secteur de l'eau, Nestlé demande à être reçu par le cabinet d'Agnès Pannier-Runacher, alors ministre de l'industrie. Un rendez-vous est organisé, rendez-vous que l'industriel ne semble pas mentionner dans sa déclaration de lobbying auprès de la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique (HATVP). Au cours de cette réunion, Nestlé demande à pouvoir continuer à utiliser certains traitements - des microfiltres interdits par la réglementation européenne, car ils retiennent les bactéries qui, en réalité, ne doivent pas être présentes dans une eau considérée comme exempte d'une telle pollution. En parallèle, le groupe s'engage à arrêter d'autres traitements.

À l'issue de ce rendez-vous, le gouvernement de l'époque aurait dû prévenir la justice, comme l'impose l'article 40 du code de procédure pénale, au motif qu'il était informé de l'existence d'une tromperie. Il aurait également dû interdire la production de cette fausse eau minérale ou la rétrograder en eau de boisson. Au lieu de cela, il met en oeuvre des procédés dilatoires, qui vont permettre à Nestlé de continuer son activité jusqu'à aujourd'hui.

En quoi ont consisté ces manoeuvres ? Il y a d'abord eu la commande à l'Inspection générale des affaires sociales (Igas), par Bruno Le Maire, Olivier Véran et Agnès Pannier-Runacher, d'un rapport sur l'activité de tous les minéraliers. Ce rapport a été remis avec six mois de retard, en juillet 2022 ; il a été remis au gouvernement, et à lui seul - même pas aux ARS, pourtant chargées de contrôler les eaux minérales en France. Dans ce rapport, l'Igas explique que le maintien des microfiltres interdits dans les usines du groupe, comme celui-ci le demande, constituerait une fausse sécurisation et exposerait les consommateurs à un risque viral.

Le gouvernement se tourne alors vers l'Agence nationale de sécurité sanitaire de l'alimentation, de l'environnement et du travail (Anses) et lui demande s'il serait possible de laisser Nestlé continuer à utiliser certains microfiltres interdits. La réponse est exactement la même que celle de l'Igas. Dans un courrier de janvier 2023, l'Agence indique que la microfiltration peut avoir un impact sur la qualité microbiologique de l'eau, en particulier sur la rétention de bactéries, mais qu'elle est inefficace sur la rétention de virus. Elle ajoute que les industriels présentent l'utilisation de dispositifs de filtration avec des seuils de coupure inférieurs à 0,8 micron comme permettant d'assurer la sécurité sanitaire, mais qu'aucun élément de preuve n'est apporté pour étayer cette affirmation.

En février 2023, à l'issue d'une concertation interministérielle dématérialisée (CID) dont nous avons récupéré le « bleu », le cabinet de la Première ministre Élisabeth Borne a décidé, en réponse aux demandes de Nestlé, d'autoriser l'industriel à utiliser certains filtres non conformes, tout en demandant aux contrôles sanitaires d'assurer un suivi microbactériologique et virologique de l'eau. C'est la preuve que le gouvernement a déjà conscience, à ce moment-là, de l'existence d'un risque sanitaire. Il est vrai que celui-ci ne s'est jusqu'ici toujours pas matérialisé - et c'est tant mieux - mais jusqu'à quand ?

En octobre 2023, huit mois plus tard, l'Anses alerte de nouveau le gouvernement sur la qualité sanitaire des eaux du groupe Nestlé, évoquant des contaminations microbiologiques d'origine fécale. L'Anses écrit que « ces contaminations ne devraient pas conduire à la production d'eau embouteillée ». On ne peut pas être plus clair : il y a bien un risque sanitaire, et ce risque est accentué depuis que les autres traitements interdits ont été arrêtés.

Au printemps dernier, d'ailleurs, le préfet du Gard a été contraint d'ordonner la destruction de millions de bouteilles de Perrier en raison d'un risque de contamination par des matières fécales. Un puit a été fermé, mais d'autres continuent de fonctionner, dans des conditions toujours aussi opaques.

En effet, une inspection inopinée, menée conjointement par l'inspection des fraudes et l'ARS d'Occitanie en juin dernier, prouve que Nestlé ne joue toujours pas le jeu de la transparence s'agissant de la production de ses eaux minérales naturelles. Dans leurs rapports préliminaires, les inspecteurs racontent comment on les fait patienter à l'accueil de l'usine Perrier près d'une heure et demie le matin de l'inspection, que l'on refuse de leur donner les documents demandés au motif du délai d'impression ou de problèmes de clés USB, que la direction est incapable de fournir une traçabilité de la production d'eau.

Or que relèvent les contrôles effectués ce jour-là ? Que les puits présentent encore des contaminations bactériennes « inacceptables pour une eau minérale naturelle » et engendrant un risque viral.

Aujourd'hui, plus de trois ans après le premier rendez-vous entre Nestlé et le gouvernement, près d'un an après nos révélations, l'industriel continue donc de produire une eau minérale naturelle, qui n'en est peut-être pas une, avec, possiblement, un risque sanitaire pour les consommateurs.

Pour résumer, nous parlons aujourd'hui d'une collusion avérée entre l'État et Nestlé, pour couvrir le groupe et servir des intérêts privés au détriment des intérêts fondamentaux de notre Nation. L'eau, en effet, est la base de la vie pour tous les êtres vivants. Dans cette affaire, le Gouvernement a failli à ses obligations, en ne saisissant pas la justice lorsqu'il aurait dû le faire ; en n'informant pas les consommateurs, ni la Commission européenne, ni les autres États membres ; en se mettant en situation de non-respect de la réglementation européenne, avec, à la clé, un possible risque de contentieux. Il a également, comme je l'ai dit, négligé la protection sanitaire des citoyens, malgré les alertes, notamment de l'Anses. Enfin, non seulement les pratiques interdites mises en place par Nestlé, et dissimulées par les autorités, sont d'une ampleur et d'une gravité inédites, mais elles perdurent très probablement.

Cette collusion soulève un problème démocratique et aura une conséquence invisible, celle d'entamer un peu plus la confiance des citoyens envers ceux qui les dirigent.

Mme Pascale Pascariello, journaliste au pôle « Enquêtes » de Médiapart. - Je vous remercie également de m'auditionner et félicite Marie Dupin pour l'ensemble du travail qu'elle a réalisé.

Pour ma part, membre du pôle « Enquêtes » de Mediapart, j'ai commencé à m'intéresser à Nestlé sur le fondement d'une interrogation quant à une possible surexploitation des ressources en eaux sur le site des Vosges.

Sur le plan légal, l'existence d'un forage dépend du code minier, du code de la santé publique, mais aussi du code de l'environnement, l'eau étant une ressource à protéger. Tout un travail doit donc être mené par les services de l'État pour contrôler les volumes et conditions de prélèvement. Or l'Office français de la biodiversité (OFB), chargé par le parquet d'Épinal d'enquêter à la suite d'une plainte pour prélèvements illégaux, en 2020, de plusieurs associations de défense de l'environnement, a confirmé que Nestlé prélevait en toute illégalité de l'eau sur neuf forages, notamment pour la production des marques Vittel et Contrex. Il n'y avait pas eu de déclaration au titre du code de l'environnement. Les enquêteurs ont également mis en lumière - et c'est tout le sens de ces affaires autour de Nestlé - une réelle faillite des instances de contrôle de l'État, voire le blanc-seing donné à l'industriel.

En 2010, lorsque celui-ci fait une demande pour un nouveau prélèvement, les services de la préfecture des Vosges s'intéressent au nombre de forages dont il dispose. Dans un premier temps, ils évaluent ce nombre à 31 ; plusieurs mois plus tard, ils l'estiment à 130 ! C'est dire l'ampleur de l'absence de contrôles par la préfecture. Il en va du reste de même du contrôle des traitements illégaux par l'ARS.

Alors que ses services viennent de découvrir l'ampleur des forages de Nestlé et l'exploitation illégale de certains d'entre eux, la préfecture décide de régulariser la situation. Certains dossiers sont pourtant incomplets, et au sein même de l'administration, la responsable de la police de l'eau émet des réserves sur cette régularisation massive.

Cette surexploitation des ressources, dont on ne connaît pas le volume, a duré vingt-sept ans - les enquêteurs de l'OFB ont d'ailleurs souligné qu'il n'y a aucune trace du paiement par Nestlé de la redevance pour prélèvement sur la ressource en eau pendant plusieurs années. Elle emporte par ailleurs des conséquences sur le niveau des nappes phréatiques. Entre 2019 et 2023, plusieurs villages autour du site Nestlé des Vosges ont manqué d'eau, ce qui n'a pas empêché l'industriel de continuer à pomper... Enfin, il y a des conséquences sur la qualité des eaux : la surexploitation est, en effet, la cause des contaminations régulières qui affectent notamment les eaux de Nestlé.

Dans le cadre de la convention judiciaire d'intérêt public (CJIP) conclue avec le parquet d'Épinal le 10 septembre dernier, le minéralier a reconnu les faits, y compris les traitements illégaux sur le site des Vosges, où sont embouteillées les eaux de Contrex, Hépar et Vittel.

Mediapart a eu accès aux conclusions de l'enquête menée par le service national d'enquête (SNE) de la direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF), instance qui avait déjà été alertée par un ancien salarié d'Alma. Cette enquête a été ouverte à la fin de l'année 2022 à la demande du procureur d'Épinal et à la suite du signalement par l'ARS des Vosges des traitements illégaux des eaux constatés lors de différentes inspections menées dans le cadre du rapport de l'Igas. Nestlé avait déjà avoué les faits.

Les conclusions de cette enquête sont accablantes, à la fois pour le groupe, l'ARS et les services de l'État. Elles indiquent que le recours à des traitements illégaux par Nestlé remonte au moins à 1993 pour les filtres à charbon, et à 2005 pour les lampes à UV et la microfiltration. Il s'agit donc d'une fraude inédite par sa durée - plus de vingt ans - et son montant, qui, selon les services de Bercy, dépasse les 3 milliards d'euros.

Au regard de la durée de cette fraude, le SNE estime qu'il s'agit d'un système organisé, et qu'il faut retenir, non pas la responsabilité de tel ou tel dirigeant du site Nestlé des Vosges, mais la responsabilité morale de l'entreprise, qui a sciemment caché la plupart des traitements lors des inspections de l'ARS.

Un ancien directeur de l'usine des Vosges, qui était au courant de l'ajout illégal de COdans l'eau de Vittel, a ainsi déclaré aux services de Bercy : « Nous l'avons montré à l'ARS lors des visites, mais ils n'ont jamais considéré cela comme un point important. »

Dans une note adressée à la préfète des Vosges dont j'ai eu connaissance, l'ARS alerte sur les détections récurrentes de bactéries, voire de virus avant et après les filtrations. Elle indique que celles-ci doivent conduire à la suspension de l'embouteillage, ou du moins à la perte de la mention « eau minérale naturelle ». Pour autant, l'agence n'a rien fait. Étant informée du traitement au CO2, elle aurait notamment pu interroger le minéralier sur l'usage d'autres traitements illégaux ; elle ne l'a pas fait.

Dans cette affaire, j'estime donc que les agences ne se sont pas donné tous les moyens. Certes, les traitements étaient dissimulés, mais l'ARS des Vosges n'a pas cherché plus loin, comme le montrent les auditions menées par le SNE. Le risque sanitaire a été enterré : ainsi, dans le signalement fait auprès du procureur d'Épinal, elle indique : « à ce stade des investigations, il convient de noter qu'aucun risque sanitaire lié à la qualité de l'eau embouteillée n'est identifié », sans, pour autant, avoir la preuve du contraire.

Les avis de l'Anses, qui indiquent au contraire que le recours à ces traitements soulève un risque, du fait notamment des virus que l'on peut retrouver dans les eaux, ont systématiquement été enterrés par l'ARS et par les services de l'État.

Les enquêteurs ont par ailleurs mis la main sur les plaintes des consommateurs. Alors que plus de 400 plaintes sont déposées par eux chaque année, pourquoi le procureur d'Épinal ne s'est-il pas donné les moyens d'enquêter sur la question sanitaire ?

L'État a essayé de sauver, et même de « blanchir » Nestlé, en portant le seuil de filtration de 0,8 à 0,2 micron, en contradiction avec une directive que, selon mes informations, l'Union européenne ne modifiera pas. En tout état de cause, avec un seuil de microfiltration à 0,2 micron, rien ne garantit l'absence de risque sanitaire. Dans cette affaire de traitement illégal des eaux, j'estime donc qu'il faut interroger la responsabilité de l'industriel, mais aussi celle de l'État.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Je vous remercie toutes deux, mesdames, car sans vous, la représentation nationale, les Françaises et les Français, n'auraient pas été informés de ce qui s'est passé, et se passe peut-être encore dans les usines Nestlé.

Cette affaire a été présentée par l'industriel comme une fraude à la consommation - c'est du reste ainsi que Bruno Le Maire l'a également présentée en séance publique. Les avis de l'Anses et les travaux de l'Igas ont toutefois brusquement conféré à cette affaire une dimension sanitaire. Comment les représentants de l'État, singulièrement les ministres, ont-ils abordé avec vous la dimension sanitaire de ce dossier ?

Mme Marie Dupin. - Désormais, les ARS n'enterrent plus ce risque sanitaire. En effet, le dernier rapport d'inspection de l'ARS d'Occitanie évoque bien l'existence d'un risque viral, non pas passé, mais actuel, concernant l'eau de Perrier. Cette inspection a été menée en juin dernier, c'est-à-dire après la publication de nos enquêtes.

Il est toutefois exact qu'après nos révélations, en janvier dernier, Bercy et le ministère de la santé ont réagi en indiquant qu'il y avait effectivement tromperie mais que les consommateurs n'étaient exposés à aucun risque sanitaire. C'était un mensonge, car les autorités étaient alors parfaitement au courant de l'existence de ce risque grâce au rapport de l'Igas et au courrier de l'Anses.

Au gouvernement qui l'interrogeait sur la possibilité de laisser Nestlé poursuivre la microfiltration au seuil très bas de 0,2 micron, laquelle est, du reste, toujours pratiquée, l'Anses avait répondu par la négative en janvier 2023.

Mme Pascale Pascariello. - Ce risque n'est en effet plus enterré, mais compte tenu de l'ensemble des inspections qui ont été demandées depuis que le scandale a éclaté, l'ARS ne peut pas faire autrement.

Les situations diffèrent toutefois dans le Gard et dans les Vosges, où un arrêté a été pris très rapidement afin d'autoriser les microfiltrations au seuil de 0,45 micron. Dans le Gard, la vigilance du préfet a sans doute été accrue, puisque nous avons pu consulter des notes par lesquelles la préfecture pressait l'ARS de lui fournir les éléments relatifs à l'état des contaminations des sources Perrier.

Mais une ARS ne devrait-elle pas être réactive, y compris en l'absence de pression des médias ? Ne devrait-elle pas faire son travail en dehors de toute sollicitation de l'Igas ? Ne devrait-elle pas rendre publics tous les éléments de ses inspections, comme le prévoit le code de l'environnement, sans que les journalistes aient à en faire la demande à la Commission d'accès aux documents administratifs (Cada) ?

M. Laurent Burgoa, président. - Vous avez indiqué que Mme la Première ministre avait participé à la concertation interministérielle dématérialisée.

Mme Marie Dupin. - Il s'agissait de deux membres de son cabinet.

M. Laurent Burgoa, président. - Pourriez-vous nous indiquer leur nom ?

Mme Marie Dupin. - Je vous les communiquerai par écrit, car je n'ai pas le compte rendu de cette réunion avec moi.

M. Laurent Burgoa, président. - D'autres ministères étaient-ils représentés ?

Mme Marie Dupin. - Oui, mais leur nom n'est pas indiqué dans le compte rendu que je vous communiquerai.

M. Laurent Burgoa, président. - Je vous remercie, car nous nous devons d'être précis.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Nous souhaitons en effet interroger les participants à cette concertation interministérielle dématérialisée afin de savoir jusqu'où l'information est remontée, en particulier si la Première ministre en a eu connaissance.

Vous semblez avoir acquis la conviction que l'arbitrage rendu lors de la CID l'a été en toute conscience du risque sanitaire, puisque les ministères avaient alors connaissance de l'avis de l'Anses et du rapport de l'Igas. Est-ce trahir votre pensée que de la reformuler ainsi ?

Mme Marie Dupin. - Dans le « bleu » de CID, il est clairement indiqué qu'« en réponse aux demandes de l'industriel, il est décidé d'accorder à Nestlé la possibilité d'utiliser certains filtres non conformes ». C'est tout de même une décision politique.

Le compte rendu précise par ailleurs qu'il est demandé aux services de contrôle sanitaire d'assurer un suivi microbiologique et virologique de l'eau. S'il formule cette demande, c'est bien parce que le gouvernement de l'époque a conscience qu'en donnant son feu vert à Nestlé pour utiliser des microfiltres non conformes, donc interdits, il ouvre la voie à un risque microbiologique et virologique. Cette demande prouve, à mes yeux, que l'exécutif avait bien conscience de l'existence de ce risque, qui a du reste été soulignée quelques semaines auparavant par l'Anses...

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - ... ainsi que du caractère illégal des pratiques, puisque le « bleu » évoqué mentionne une non-conformité.

Mme Marie Dupin. - Exactement.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - J'ai une question pour Mme Pascale Pascariello. Au moment où cette commission a été lancée, j'ai reçu un courriel de Nestlé - d'ailleurs fort peu aimable - m'indiquant que j'aurais publiquement rapporté des informations inexactes concernant la présence d'arsenic dans les eaux de Nestlé, au-delà des seuils réglementaires. J'avais tiré ces informations de votre article « Un rapport confidentiel de Nestlé révèle "un risque élevé" d'arsenic dans les eaux de Vittel » le 31 octobre 2024. Selon le groupe, « ces informations sont totalement erronées et trompeuses concernant la sécurité alimentaire et la concentration en arsenic de l'eau minérale naturelle Vittel, information présentée au mépris de toute rigueur scientifique, juridique ou judiciaire ». Dans ce courriel, Nestlé affirme, de manière catégorique : « Il n'y a donc jamais eu d'arsenic au-delà du seuil réglementaire dans nos eaux embouteillées ».

Qui croire ? Que révèlent précisément les rapports internes du Nestlé auxquels vous avez eu accès ? Quelle analyse en faites-vous ?

Mme Pascale Pascariello. - Je pourrai vous transmettre ces documents. Il est question de notes internes confidentielles de l'industriel faisant état de la qualité des eaux sur le site des Vosges. Celle que j'ai sous les yeux, par exemple, dresse la liste de l'ensemble des pollutions bactériologiques et chimiques de ces eaux, en particulier de la source qui alimente la marque Hépar, dont l'exploitation a d'ailleurs été suspendue lorsque les traitements ont été retirés.

Fort intéressantes, ces notes internes confidentielles recensent l'ensemble des traitements illégaux, Nestlé signalant un défaut de conformité par rapport aux réglementations française et européenne. L'une d'entre elles concerne l'arsenic. On y rappelle que le traitement contre l'arsenic, contrairement aux autres traitements utilisés, est tout à fait autorisé. Cependant, l'industriel s'est rendu compte que le taux d'arsenic dans les eaux brutes n'avait pas été suffisamment pris en compte et qu'in fine, le taux d'arsenic pouvait s'élever à 12 - voire 13 - microgrammes par litre dans le produit fini, soit au-dessus du taux de 10 microgrammes par litre autorisé par l'Organisation mondiale de la santé (OMS).

Cette note interne existe et l'industriel n'a jamais contesté nos informations. Je suis désolé qu'il l'ait fait auprès de vous. Je pourrai vous fournir ce document.

M. Laurent Burgoa, président. - Nous l'intégrerons à notre rapport. Nous sommes d'ailleurs preneurs de tout autre document que vous souhaiteriez nous fournir, afin que nous instruisions à charge et à décharge.

Mme Marie Dupin. - J'ai retrouvé les noms des collaborateurs qui ont été destinataires du compte-rendu de la concertation interministérielle dématérialisée que nous avons évoquée sous la présidence de M. Arcos, conseiller technique santé et de M. Blonde, conseiller technique participations publiques, consommation et concurrence au cabinet de la Première ministre : pour le cabinet de la Première ministre, M. Lebras, chargé de mission et M. Puisais-Jauvin, secrétaire général ; pour le ministère de l'économie et des finances, M. Dumont, directeur de cabinet ; pour la ministre déléguée auprès du ministre de l'économie, Mme Brotons, directrice de cabinet ; pour le ministère de la santé, Mme Bousquet-Bérard, directrice de cabinet ; enfin, pour le ministre délégué auprès du ministre de la santé et de la prévention, Mme Épaillard, directrice de cabinet.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Disposez-vous d'éléments tangibles quant à une éventuelle contamination des consommateurs ?

Mme Pascale Pascariello. - Je ne dispose pas à ce stade d'éléments supplémentaires sur les conséquences des contaminations et les risques encourus par les consommateurs. En tout état de cause, ce risque a été signalé en interne par les ingénieurs de Nestlé, tandis que l'ARS a annoncé mener des investigations additionnelles sur ce problème.

Comme vous pouvez vous en douter, Nestlé n'a pas communiqué sur ce problème, l'industriel se permettant même de réfuter des informations fournies par ses propres ingénieurs, avec une façon de transformer la réalité des faits qui pose problème. Les enquêteurs du SNE ont d'ailleurs relevé ce côté mensonger, puisque Nestlé a bien traité frauduleusement ses eaux tout en prétendant vendre une eau minérale pure aux consommateurs.

À la suite de nos révélations sur le montant de la fraude - plus de 3 milliards d'euros, je le rappelle -, Nestlé a publié sur son site un « Point de situation sur nos eaux minérales » afin d'éteindre le scandale. À la question « Avez-vous fraudé le consommateur à hauteur de plus de 3 milliards d'euros en quinze ans, comme l'affirme Mediapart ? », le groupe répond : « Nous réfutons formellement les chiffres relayés dans les médias ».

Je tiens à préciser que ces estimations ne sont pas les miennes, mais celles de Bercy.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Madame Dupin, vous avez pour votre part publié, le 16 décembre 2024, un article présentant le rapport de l'ARS d'Occitanie qui envisage un « arrêt de production d'eau minérale naturelle sur le site de Vergèze ».

Selon vous, le Perrier est-il toujours une eau minérale naturelle ? Qu'est-ce qui vous a particulièrement marqué dans ce rapport de l'ARS, sachant que vous vous êtes toutes deux montrées critiques vis-à-vis de ces agences ? Quelle comparaison faites-vous, d'ailleurs, entre le travail des deux ARS concernées par ce dossier ?

Mme Marie Dupin. - La lecture des différents rapports que nous avons relayés m'amène à dire, par prudence, qu'il est difficile de répondre à la première question. Si l'on reprend la chronologie des événements, Nestlé a, après la découverte de ces pratiques, mis en place un plan de transformation dont l'un des volets consistait à demander, pour le site du Gard, à pouvoir détourner l'utilisation de certains de ses puits pour fabriquer non plus du « Perrier, eau minérale naturelle », mais une nouvelle marque de boisson gazeuse, « Maison Perrier », dont l'entreprise a assuré la promotion à grand renfort de battage publicitaire.

Cette nouvelle marque a bien été lancée afin que Nestlé puisse continuer à utiliser des puits à ce point contaminés qu'il n'était plus possible d'y recourir pour continuer à produire de l'eau minérale naturelle. Le groupe a obtenu, par arrêté préfectoral, l'autorisation de détourner l'utilisation des puits concernés pour produire non plus de l'eau minérale naturelle mais des boissons gazeuses.

À ce jour, pour ce qui concerne l'usine du Gard, un puits est fermé en raison d'une forte contamination ; deux installations ont été détournées pour produire la marque « Maison Perrier » ; d'autres puits, enfin, sont toujours en état de fonctionnement alors qu'il existe des questionnements à leur sujet, les rapports de l'ARS et de la DGCCRF ayant identifié des problèmes récurrents de contamination bactériologique.

En principe pourtant, une eau contaminée régulièrement ne peut pas être utilisée pour produire de l'eau minérale naturelle : le rapport de l'Anses indique ainsi clairement que ces contaminations ne devraient plus permettre la production d'eau en bouteille. En croisant ces différents rapports et alertes, il est donc très probable que le Perrier ne soit plus aujourd'hui une eau minérale naturelle.

Concernant le rapport de l'ARS d'Occitanie, un changement de pied est intervenu à la suite de la publication de nos différents articles. Nous avons en effet beaucoup « feuilletonné », les premières révélations ayant été suivies du rapport de l'Anses au printemps 2024. À la suite de l'inspection de juin, l'ARS d'Occitanie a enfin indiqué qu'il existait un risque viral. Comment expliquer qu'il ait fallu attendre aussi longtemps pour l'évoquer ? Je ne peux pas répondre à cette question, mais l'ARS de cette région a effectivement changé de braquet, avec des conclusions qui mettent en cause la production d'eau minérale dans l'usine de Vergèze.

Quant aux différences entre l'ARS Grand Est et l'ARS d'Occitanie, il est important de noter que la première a signalé les faits sur la base de l'article 40 du code de procédure pénale, ce qui a donné lieu à l'enquête du SNE et à une convention judiciaire d'intérêt public. Là où l'ARS Grand Est a bien respecté l'obligation de saisir la justice, ce n'est toujours pas le cas de l'ARS d'Occitanie à ma connaissance. De fait, il n'existe aucune procédure judiciaire en cours pour la tromperie mise en place dans le Gard alors que des plaintes ont été déposées auprès du pôle de santé publique du tribunal judiciaire de Paris, notamment par l'ONG Foodwatch.

M. Laurent Burgoa, président. - Vos interventions ont montré que vous disposez de savoirs solides s'agissant de l'eau minérale. Aviez-vous des connaissances préalables en matière d'eau ou les avez-vous acquises après la découverte de ces faits ?

Par ailleurs, vous êtes-vous rendues sur place dans le cadre de vos investigations ou vous êtes-vous principalement appuyées sur des rapports ?

Selon vous, les agents des ARS disposent-ils des compétences adéquates pour contrôler ces sites industriels ?

Enfin, pourriez-vous encore boire du Perrier ?

Mme Pascale Pascariello. - Je buvais du Perrier au début de l'enquête, et je ne bois désormais plus d'eau en bouteille, y préférant l'eau du robinet au vu des éléments que j'ai pu recueillir.

Pour ce qui est de mes connaissances initiales, j'ai dû les approfondir, d'autant plus que je travaillais plutôt sur les questions de police et de justice au sein de la rédaction. Membre du pôle « enquêtes », j'ai été sollicitée en début d'année dernière pour venir en renfort sur les enquêtes relatives aux questions environnementales. J'avais déjà travaillé sur des sujets ayant trait à la pollution et à la sécurité sanitaire, mais j'ai dû parfaire mes connaissances de manière accélérée en potassant beaucoup et en sollicitant des experts indépendants afin de recueillir des avis extérieurs.

Par ailleurs, j'estime que la question principale n'est pas tant celle des compétences des agents des ARS que celle de leur indépendance et des missions qui leur sont confiées. S'agissant du traitement des eaux, je pense qu'il existe un problème d'effectifs et de moyens, car les agences ne sont pas en mesure de réaliser toutes les analyses requises afin de surveiller la qualité de l'eau et s'assurer de la sécurité sanitaire. Dans l'urgence, les moyens ont certes été renforcés avec des recours à des laboratoires, mais Nestlé continue à assurer la majorité des contrôles, dans le cadre d'une forme d'autosurveillance.

De plus, les contrôles dits « inopinés » de l'ARS ne le sont absolument pas dans la mesure où l'industriel en est informé à l'avance, comme l'ont relevé les enquêteurs.

Enfin, je me suis déplacée sur le site des Vosges dans le cadre de mes investigations.

Mme Marie Dupin. - Je ne buvais pas d'eau en bouteille avant de commencer cette enquête, qui m'a confortée dans ce choix. Si je pouvais boire du Perrier dans les cafés avant ce travail d'investigation, je n'en consomme désormais plus.

Je ne me suis pas déplacée sur les lieux, mais j'ai été en contact avec des membres d'associations présentes sur place, ainsi qu'avec des salariés du groupe Nestlé qui m'ont expliqué le fonctionnement des usines.

Comme l'a justement relevé Pascale Pascariello, les moyens des ARS ont été renforcés à la suite de nos révélations, mais la question de leur indépendance reste posée. La plupart des industriels s'autocontrôlent et les agents des ARS manquent souvent de moyens, même si le laboratoire d'hydrologie de l'Anses de Nancy leur vient désormais en appui pour réaliser les contrôles.

Mme Marie-Lise Housseau. - Sénatrice du Tarn, je m'interroge lorsque vous indiquez que, selon l'OFB, Nestlé prélevait illégalement de l'eau sur neuf forages. Normalement, lorsqu'un industriel de l'eau s'installe, il est censé fournir un certain nombre de documents, dont un plan faisant apparaître les emplacements de l'ensemble des forages, ainsi que les différents droits de propriété, servitudes et périmètres de protection sanitaire.

Toutes ces informations doivent être transmises à la préfecture, plus précisément à la direction régionale de l'environnement, de l'aménagement et du logement (Dreal). En outre, l'industriel doit s'engager à réaliser régulièrement des contrôles.

Par conséquent, le fait que neuf forages ont pu passer inaperçus me semble incroyable et met en lumière une responsabilité importante de l'État, d'autant plus que l'industriel est censé payer une redevance calculée sur le volume d'eau prélevé à la commune. La Dreal, la préfecture ou les communes auraient dû s'en apercevoir, surtout pour un industriel aussi important que Nestlé et pour une commune telle que Vittel, qui doit récupérer des royalties assez considérables. Je trouve ces éléments choquants et souhaiterais avoir votre avis sur le sujet.

Mme Pascale Pascariello. - Je vous rassure : les communes ont perçu des redevances non négligeables. Mais les enquêteurs ont relevé une absence de paiements pour l'une des sources.

Plus globalement, l'importance de Nestlé explique que le groupe a pu à ce point déroger aux règles du code de l'environnement, l'État s'étant mis au service de l'industriel en décidant de modifier la réglementation sur les microfiltrations, lui évitant ainsi de suspendre l'embouteillage.

S'agissant des prélèvements illégaux, la loi du 3 janvier 1992 sur l'eau demandait aux industriels de déclarer leurs forages et prélèvements, afin de vérifier les volumes prélevés. Ils disposaient de quatre ans pour se mettre en conformité, mais Nestlé n'a pas respecté cette échéance et la préfecture des Vosges n'a procédé à aucun contrôle, ce qui a permis au groupe de prélever des eaux en toute impunité sur les neuf forages non déclarés.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Avez-vous subi des pressions, de quelque nature que ce soit, lors de votre travail d'enquête ? Prévoyez-vous, ou avez-vous connaissance de nouvelles révélations de presse concernant notre périmètre ? Quelles convictions avez-vous acquises sur les raisons ayant poussé les gouvernements successifs à ne pas rendre ces pratiques publiques ?

Mme Marie Dupin- Je ne pense pas que l'on puisse évoquer des pressions à proprement parler. Néanmoins, par déontologie journalistique, nous prévenons Nestlé une semaine, voire dix jours avant la publication de notre enquête que nous avons connaissance de l'utilisation de filtres illégaux et posons à l'industriel une série de questions. Nous attendons ses réponses avant de publier. Celles-ci nous parviennent un dimanche soir et, le lendemain matin, nous découvrons le mea culpa de Nestlé à la une des Échos. Quand on travaille depuis six mois sur un sujet de cette nature, le coup est rude. C'est le premier industriel que je vois se comporter ainsi, en vingt ans de carrière journalistique, et je vous avoue que, depuis, j'envoie mes questions la veille de la publication de mes articles. Certains se plaignent du délai extrêmement court que je leur laisse, mais je ne suis plus réellement en confiance depuis cette tentative de nous court-circuiter en termes de communication.

Nous espérons qu'il y aura de nouvelles révélations et nous n'hésiterons pas à vous informer de nouvelles publications. Ce qui est sûr, c'est que des rapports sont encore attendus - le laboratoire d'hydrologie de Nancy, je l'ai dit, continue de mener des travaux d'analyse de la qualité des eaux - et un certain nombre de questions demeurent. Votre commission d'enquête a ainsi vocation à éclaircir les événements survenus sur le plan politique. Elle est donc pleinement ancrée dans l'actualité et, en cela, son rôle est capital.

Pourquoi les gouvernements successifs n'ont-ils pas rendu les informations publiques ? Pourquoi n'ont-ils pas informé la justice ou la Commission européenne, interdit la production ou reclassifié ces eaux minérales naturelles en eaux de boisson - autant d'actes politiques qui s'imposaient eu égard à la réglementation ? Il est certain que nous ne serions pas là aujourd'hui s'ils avaient fait tout cela. Mais je ne connais pas les motivations qui les ont poussés à privilégier les intérêts d'une multinationale au détriment de l'intérêt public. Je suis bien incapable de répondre à cette question.

Mme Pascale Pascariello- Moi non plus, je n'ai pas subi de pressions. Mais je rejoins Marie Dupin sur le caractère assez affligeant des pratiques de Nestlé, dont la communication, notamment, est particulièrement mensongère.

Je ne peux pas parler des révélations à venir, mais il y en aura d'autres, dont certaines qui concernent l'avenir d'eaux comme les eaux Perrier ou Hépar. Sans entrer dans des considérations techniques, j'insiste sur le fait que tout changement de microfiltration met en péril la dénomination d'eau minérale, et c'est tout l'enjeu des choix ministériels qui vont devoir être arrêtés, alors que la France, désormais sommée au niveau européen de prendre une décision, tente de sauver autant qu'elle le peut encore Nestlé.

D'ailleurs, puisque j'aborde la question de « sauver Nestlé », il me semble que cette affaire a vraiment été mal gérée. À force d'enterrer la responsabilité du minéralier, de fermer les yeux sur ses fraudes, sans doute dans l'espoir de sauver les emplois, le groupe annonce aujourd'hui la filialisation de ses eaux, ce qui constitue une menace encore plus grande pour les salariés. Tout le monde est perdant - consommateurs, salariés -, et c'est sans compter les risques sanitaires !

Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.

La réunion est close à 18h50.

Mercredi 15 janvier 2025

- Présidence de M. Laurent Burgoa, président -

La réunion est ouverte à 18 h 00.

Caractéristiques thérapeutiques des eaux minérales naturelles - Audition de Mme Marie-Pierre Sauvant-Rochat, responsable du laboratoire santé publique et environnement à l'université Clermont-Auvergne

M. Laurent Burgoa, président. - Nous poursuivons notre série d'auditions avec celle de Mme Marie-Pierre Sauvant-Rochat, directrice du laboratoire santé publique et environnement de l'université Clermont-Auvergne.

Avant toute chose, je vous rappelle qu'un faux témoignage devant notre commission d'enquête serait passible des peines prévues aux articles 434-13, 434-14 et 434-15 du code pénal. Je vous remercie par ailleurs de nous faire part de vos éventuels liens d'intérêts ou conflits d'intérêts en relation avec l'objet de la commission d'enquête.

Je vous invite à prêter serment de dire toute la vérité, rien que la vérité, en levant la main droite et en disant : « Je le jure. »

Conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, Mme Marie-Pierre Sauvant-Rochat prête serment.

Mme Marie-Pierre Sauvant-Rochat, professeur, responsable du laboratoire santé publique et environnement à l'université Clermont-Auvergne. - Je suis actuellement membre du comité d'experts spécialisés (CES) « Eaux » de l'Agence nationale de sécurité sanitaire de l'alimentation, de l'environnement et du travail (Anses) et je préside un groupe de travail sur l'évaluation des risques sanitaires en lien avec l'eau destinée à la consommation humaine (EDCH). Par le passé, j'ai terminé mon internat des hôpitaux au laboratoire de contrôle des eaux, qui était chargé du contrôle sanitaire des eaux minérales naturelles en Auvergne, et j'ai poursuivi par un doctorat d'université dans le cadre d'une convention industrielle de formation par la recherche (Cifre) au sein de la société des eaux de Volvic.

M. Laurent Burgoa, président. - Merci de ces informations.

Le Sénat a constitué, le 20 novembre dernier, une commission d'enquête sur « les pratiques des industriels de l'eau en bouteille » après que, au début de l'année 2024, les médias en ligne ont révélé les pratiques illégales de certaines entreprises du secteur des eaux embouteillées, en particulier le recours à des traitements interdits sur des eaux minérales naturelles et de source. Notre commission d'enquête vise à faire la lumière sur ce dossier, sous réserve des éventuelles procédures judiciaires en cours.

Notre audition de ce jour recouvre un thème bien précis : celui des caractéristiques thérapeutiques et des propriétés physico-chimiques des eaux conditionnées.

Peut-on établir des catégories différentes d'eaux minérales naturelles ? Sur quels fondements l'Académie nationale de médecine atteste-t-elle de leurs qualités thérapeutiques ? La remise en cause de la pureté originelle par le recours à certains traitements emporte-t-elle des conséquences sur les caractéristiques thérapeutiques des eaux ? Plus largement, quelle valeur pour le consommateur peut avoir la pureté originelle ? Pourrait-on imaginer, à terme, une dénomination « eau minérale naturelle » qui permette le recours à des traitements de désinfection afin d'en assurer la qualité sanitaire sans en dégrader le caractère naturel ? Enfin, je souhaite aborder la question des micropolluants. Sont-ils susceptibles de modifier les propriétés des eaux minérales naturelles et de porter atteinte à la santé des consommateurs ?

Nous vous proposons de faire une présentation liminaire de votre travail et de vos réflexions, qui sera ensuite suivie d'un temps de questions-réponses, en particulier avec notre rapporteur, puis avec les autres membres de la commission. Je rappelle que cette audition est diffusée en direct sur le site internet du Sénat.

Mme Marie-Pierre Sauvant-Rochat. - Merci de me donner l'occasion de m'exprimer sur un sujet qui me tient à coeur. Parler d'eau embouteillée et d'eau minérale naturelle donne souvent lieu à des confusions qui peuvent, pour le consommateur, avoir une importance majeure.

À la fin du XIXe siècle, on associait aux eaux minérales naturelles le thermalisme, l'idée d'une eau qui soigne, d'une eau miraculeuse. C'était à part entière un produit de santé. Par la suite, au cours du XXe siècle, ces eaux sont devenues un produit alimentaire banal. Dans les rayons des supermarchés, je défie désormais quiconque de distinguer parmi les eaux embouteillées entre celles qui relèvent, conformément à la réglementation, des eaux minérales naturelles, des eaux de source et des eaux rendues potables par traitement.

La réglementation française définit les trois types d'eaux dans le code de la santé publique. S'y ajoute une réglementation européenne qui inscrit ces eaux dans le paquet « hygiène », lequel englobe toutes les denrées alimentaires commercialisées. La coexistence de ces réglementations conduit à parfois s'interroger sur la gestion à mettre en place par les embouteilleurs.

Dans la définition que l'on en donne en France, les eaux minérales naturelles et les eaux de source doivent être embouteillées telles qu'elles sont à l'émergence, sans traitement. Les premières ont de plus la particularité de provenir d'une ressource unique qui doit être stable. Ces deux éléments influent sur la composition et la qualité physico-chimique des eaux.

Dans les supermarchés, on trouve d'autres types d'eaux : des eaux aromatisées, qui peuvent être produites à partir d'eaux minérales naturelles et d'eaux de source, des eaux qualifiées d'enrichies ou de supplémentées, voire des eaux purifiées reconstituées, à savoir des eaux totalement minéralisées, chargées artificiellement en minéraux dans des quantités définies. Ces différentes eaux ne sont pas identifiées en tant que telles par le consommateur et relèvent du contrôle de la direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF), dans son volet santé. Pourtant certaines, en particulier les eaux aromatisées, peuvent renfermer des quantités importantes de sucres potentiellement néfastes pour la santé - gardons à l'esprit que ce sont souvent les jeunes enfants qui les consomment.

Une dernière catégorie est celle des eaux que j'appelle les eaux « atypiques ». Elles commencent à gagner depuis quelques années le marché français. Il s'agit d'eaux aux provenances très diverses : eau des nuages, eau de pluie, eau obtenue à partir d'icebergs, eaux dites « fossiles » de couleur noire du fait de la présence naturelle d'acides fulviques. L'Ôdeep est une particularité française : c'est une eau de mer pompée en Méditerranée à plus de 300 mètres de profondeur, déminéralisée puis reconstituée avec une partie de ses sels minéraux. Ces eaux restent encore mal connues et difficiles à classer d'un point de vue réglementaire. On peut les considérer comme des boissons rafraîchissantes sans alcool (BRSA), qui relèvent également de la DGCCRF.

J'en viens à la composition des eaux embouteillées et à leurs effets sur la santé.

Quelles qu'elles soient, les eaux minérales naturelles et les eaux de source, dont l'origine est souterraine, ont une composition conditionnée par leur provenance et les roches avec lesquelles elles ont été en contact. Elles contiennent dans des proportions variables huit minéraux, quatre cations majeurs - sodium, potassium, calcium, magnésium - et quatre anions majeurs - chlorures, sulfates, bicarbonates, carbonates -, qui en constituent le faciès. On y trouve également des éléments présents en plus petites quantités, dont des oligoéléments, qui donnent à ces eaux leur signature particulière. S'y ajoute enfin toute la flore microbienne, ou plus exactement bactérienne, qui caractérise la ressource dont elles proviennent.

La concentration en minéraux présents dans les eaux minérales plates ou gazeuses, représentée par le résidu sec, est très variable. Quand une eau comme Mont Roucous ne contient que quelques milligrammes de sels minéraux, une eau telle qu'Hépar en renferme plus de 2,5 grammes par litre. L'eau minérale gazeuse d'Hydroxydase est actuellement, en France, l'eau embouteillée la plus minéralisée, avec plus de 9 g/L.

Notre organisme a besoin des minéraux : l'alimentation ou ces eaux embouteillées les lui apportent. Ceux des eaux sont pris en compte lorsque l'on définit les références nutritionnelles pour la population française. Cependant, consommées très régulièrement, les eaux très minéralisées peuvent conduire à des surcharges de certains minéraux dans l'organisme. Il est donc important que des professionnels de santé accompagnent par des messages de prévention le choix des eaux minérales naturelles consommées au quotidien.

Pour les eaux minérales naturelles, la réglementation ne fixe pas de limites de concentration en cations et anions majeurs. Il faut en tenir compte dans les apports nutritionnels quotidiens. En ce qui concerne les eaux de source et les eaux rendues potables par traitement, la réglementation établit des concentrations maximales en sels minéraux, lesquelles permettent de déterminer le caractère potable ou non de l'eau. Concernant l'eau du robinet, la réglementation impose qu'elle ne dépasse pas une concentration en sels minéraux de 1,5 g/L. Nombre d'eaux minérales naturelles embouteillées excèdent ce seuil et le retenir à leur endroit conduirait à les qualifier de non potables.

Le terme d'eaux « minérales » peut parfois être mal compris si on l'entend dans un sens nécessairement positif pour la santé. La notion de dose n'est pas suffisamment prise en compte, y compris par les professionnels de santé dans l'accompagnement de certains de leurs patients. Dans les eaux minérales naturelles, des minéraux consommés en trop grande quantité peuvent induire des effets néfastes pour la santé.

Précisons que, réglementaires, les limites de qualité et les références de qualité fixent pour les minéraux et des paramètres microbiologiques des seuils à ne pas dépasser dans l'eau à partir de valeurs toxicologiques de référence (VTR). Il s'agit de quantités déterminées expérimentalement en appliquant le scénario d'un individu adulte qui boirait toute sa vie durant 2 litres d'eau par jour et en prenant en compte les autres sources alimentaires lui apportant ces minéraux.

En France, ces limites de qualité sont déterminées pour la population en général. En outre, dans une démarche de sécurité sanitaire, le code de la santé publique prévoit des niveaux de concentration inférieurs afin de protéger les nourrissons, plus vulnérables. Certains avis de l'Anses complètent ces valeurs réglementaires.

On parle beaucoup actuellement de traitement des eaux embouteillées. La directive européenne 2009/54/CE et, en France, l'arrêté du 14 mars 2007 identifient quatre types de traitements pouvant être appliqués à des eaux embouteillées. Ciblés, ils doivent répondre à un objectif particulier. Ils ont pour objet d'éliminer certains composants pour des raisons sanitaires ou esthétiques - la présence de fer ou de manganèse peut, par exemple, provoquer une coloration de l'eau.

Le premier traitement autorisé concerne l'élimination du gaz carbonique, CO2, par des procédés mécaniques. Le deuxième type de traitement autorisé est celui des filtrations et décantations destinées par un jeu de réactions d'oxydo-réduction à éliminer la présence dans l'eau de composés instables, en particulier le fer et le soufre. Le troisième type de traitement est un traitement par air enrichi en ozone, O3, un puissant oxydant, qui induit également des réactions d'oxydo-réduction permettant d'éliminer fer, manganèse, soufre et arsenic. Le quatrième type de traitement consiste en l'adsorption sélective sur des matériaux granuleux - des sables - recouverts d'oxyde métallique, d'hydroxyde de fer ou d'alumine activée. Ces matériaux adsorbent certains composés présents dans l'eau, par exemple le cadmium ou le chrome, susceptibles de provoquer des effets esthétiques indésirables ou des effets toxiques. L'alumine activée permet plus spécifiquement d'éliminer les fluorures, potentiellement néfastes pour la santé en cas de trop forte concentration.

Un des sujets au coeur de vos travaux est celui de la filtration. À l'origine, la filtration renvoyait à des filtres basiques de type charbon activé, connu depuis l'Antiquité pour retenir certains constituants. Des évolutions technologiques conduisent désormais à l'obtention de filtres à partir de matériaux de synthèse, avec des niveaux de porosité de plus en plus bas, de l'ordre de la microfiltration et de la nanofiltration.

La taille des composés est variable. Celle des champignons et protozoaires est généralement supérieure à 100 micromètres (ìm), celle des bactéries est comprise entre 0,5 et 10 ìm, celle des virus entre 0,01 et 0,4 ìm, celle des phages - des virus présents dans l'environnement et qui infectent des bactéries - entre 0,02 et 0,2 ìm, celle enfin des nanoparticules chimiques entre 0,001 et 0,1 ìm. Appliquer dans l'analyse des eaux un seuil de filtration à 0,2 ìm permet donc, grossièrement, de retenir parasites et bactéries, dont des bactéries constitutives de la flore microbienne des eaux minérales naturelles, mais peu de virus. Une eau minérale naturelle n'est pas stérile : elle renferme des bactéries provenant de son écosystème d'origine, lesquelles peuvent présenter un intérêt pour notre organisme, ce que l'on a tendance à oublier.

Cet effet bénéfique agit sur notre flore digestive. Nombre de travaux en cours mettent aussi en évidence des interactions entre les bactéries présentes naturellement dans les eaux minérales naturelles et les minéraux qu'elles contiennent par ailleurs. La flore bactérienne peut modifier la spéciation des minéraux. On suppose donc qu'éliminer trop de bactéries présentes dans les eaux serait susceptible de perturber la biodisponibilité des minéraux qui y sont également présents.

Comment reconnaître les effets bénéfiques des eaux minérales naturelles ? Le rôle en incombe à l'Académie nationale de médecine. Depuis 2007, la reconnaissance d'une eau minérale naturelle est réalisée à l'échelle locale, sous la tutelle des agences régionales de santé (ARS). En 2008, l'Agence française de sécurité sanitaire des aliments (Afssa) avait publié des lignes directrices relatives au montage des dossiers de demande d'autorisation de reconnaissance d'une eau minérale naturelle, que, depuis lors, les ARS utilisent. Il y est précisé qu'un dossier spécifique concerne les situations de demandeurs qui entendent faire reconnaître les propriétés thérapeutiques d'une eau. Dans ce cas, une fois la validation préfectorale et celle du Conseil départemental de l'environnement et des risques sanitaires et technologiques (Coderst) obtenues, l'Académie nationale de médecine s'empare du dossier. Il est alors constitué de deux parties : d'une part, l'étude par analogie, qui compare les caractéristiques de l'eau en question à ce qui existe par ailleurs, et, d'autre part, l'étude clinique, qui consiste en un véritable essai thérapeutique.

Le dernier point que j'évoquerai dans ma présentation liminaire concerne les contaminants des eaux.

On parle beaucoup de polluants émergents, de microcontaminants et de micropolluants. La liste en est longue. Je mettrai l'accent sur les microplastiques, car, lorsqu'il est question d'eau embouteillée, la bouteille en plastique est toujours présente. Je m'appuie sur des travaux conduits en 2023 et en 2024, dont il ressort, en résumé, que les plastiques sont un problème de notre société.

Dans l'environnement, les plastiques se dégradent de façon biotique par les bactéries, de façon abiotique par photo-oxydation avec les rayons ultraviolets (UV) solaires, mais dans tous les cas de manière très lente. Cette lenteur du processus peut conduire à un fractionnement et à l'apparition de microplastiques, terme utilisé pour les fragments inférieurs à 5 millimètres. À l'heure actuelle, les études portent plutôt sur des fragments de la taille du micromètre ou du nanomètre.

Ces plastiques sont de différentes natures chimiques et quasiment tous ceux que nous utilisons peuvent se retrouver sous forme de micro ou de nanofragments. Les plus employés pour l'embouteillage des eaux sont le polyéthylène téraphtalate (PET), les polyéthylènes, voire, en revenant quelque peu en arrière dans le temps, le polychlorure de vinyle (PVC). Ils contiennent des adjuvants de fabrication, qui sont des plastifiants, tels que le phtalate et le bisphénol, des colorants ou des adjuvants de synthèse, comme l'antimoine (Sb).

Ces contaminants sont ubiquitaires et on les détecte actuellement, partout dans le monde, dans presque toutes les ressources aquatiques, qu'elles servent à l'obtention de l'eau du robinet ou pour les eaux embouteillées. Une publication de 2024 a ainsi mis en évidence la présence de plus de 1, voire 10 millions de microfragments plastiques par litre d'eau, en fonction des produits analysés. Les dernières études réalisées soulignent une fréquence et des quantités plus importantes de microplastiques dans les eaux embouteillées que dans l'eau du robinet. On s'intéresse à leur origine et plusieurs pistes sont ouvertes. Elles renvoient aussi bien à la fabrication des bouteilles, avec la technique de l'extrudage et les process d'entretien des lignes d'embouteillage, qu'à la contamination de la ressource, voire à la manipulation des bouteilles par le consommateur. L'attention porte plus particulièrement sur les bouchons de bouteille utilisés.

En ce qui concerne les effets de ces contaminants sur la santé - le point le plus important pour nous -, nous n'en sommes encore qu'à la phase de constat : constat de la présence de microplastiques dans le sang et dans la plupart des organes du corps humain. Nous savons les y mettre en évidence. De premiers travaux, qui demandent encore à être confirmés, ont relié cette présence à des phénomènes de thrombose. Quant à d'autres effets sur la santé humaine, en particulier sur le placenta chez la femme enceinte, sur les reins et le cerveau, ils demeurent inconnus et animent les débats dans le monde scientifique.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Vous évoquez la question du dosage et du niveau approprié de minéraux qu'un individu peut absorber. Pouvez-vous revenir sur les bénéfices attendus en dessous d'un certain seuil et, au contraire, le risque pris pour la santé en cas de dépassement ? Existe-t-il un consensus scientifique sur la question ?

Mme Marie-Pierre Sauvant-Rochat. - Nous avons tous besoin dans notre organisme, pour des fonctions physiologiques basiques, des minéraux majeurs que j'ai cités dans ma présentation. Ils sont apportés par l'alimentation en général. On oublie que les eaux minérales qui présentent des concentrations importantes de ces minéraux contribuent également à leur apport. Il convient de s'en tenir à la dose appropriée, en s'appuyant sur les références nutritionnelles validées par les autorités sanitaires, sous le pilotage de l'Anses, et de ne pas la dépasser. À titre d'exemple, un excès marqué de potassium peut engendrer des effets cardiaques, trop de sulfates peuvent induire des effets laxatifs. On utilise ainsi l'eau d'Hépar parce qu'elle est riche en sulfates de magnésium, le premier laxatif inscrit à la pharmacopée. En définitive, la situation reste maîtrisée en France sur le respect des recommandations nutritionnelles relatives à ces éléments.

Certaines eaux renferment des oligo-éléments : cuivre, fer, cobalt, molybdène, vanadium, etc. Notre organisme en a également besoin et ils agissent souvent comme cofacteurs nécessaires au bon fonctionnement des enzymes de nos cellules. Ils possèdent cependant, au-delà d'une certaine dose, une toxicité intrinsèque. L'arrêté de 2007 a défini à leur sujet des seuils de concentration à ne pas franchir.

Dans le passé, un médecin célèbre affirmait que « c'est la dose qui fait le poison ». La réglementation actuelle, qui fixe des concentrations maximales pour les eaux embouteillées - que l'on appelle les limites de qualité -, s'appuie sur cette approche sanitaire et toxicologique. Le calcul servant à les déterminer retient l'hypothèse d'une consommation d'eau contenant l'élément en question, de deux litres par jour et toute une vie durant, sans effet néfaste sur la santé.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Je déduis de vos propos que vous jugez satisfaisante la réglementation en vigueur sur ce point.

Mme Marie-Pierre Sauvant-Rochat. - En effet. Il s'agit d'une démarche sanitaire de protection du consommateur.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Pouvez-vous par ailleurs approfondir les aspects de microfiltration, effectivement au coeur des questions que nous nous posons ?

Mme Marie-Pierre Sauvant-Rochat. - Je n'ai pas insisté sur la nature des filtres utilisés. Différents matériaux et procédés existent. J'ai davantage raisonné sous l'angle de la taille des éléments filtrés.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Pendant des années, des industriels ont utilisé des lampes à UV ou des filtres à charbon pour traiter leur eau, avant d'utiliser ces outils de microfiltration. D'un point de vue scientifique, le passage à une microfiltration à 0,2 ìm laisse apparemment passer un certain nombre de virus. En disant cela, est-ce que je ne trahis pas votre pensée ?

Mme Marie-Pierre Sauvant-Rochat. - Appliquée à l'eau du robinet, la microfiltration n'est pas problématique, car, derrière cette phase intervient en outre un traitement de désinfection, lequel permet d'éliminer ce que le filtre n'a, dans un premier temps, pas retenu.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Mais sans ce second traitement de désinfection, vous nous dites donc qu'il existe un risque virologique ?

Mme Marie-Pierre Sauvant-Rochat. - Si la ressource utilisée pour de l'embouteillage est contaminée par des virus, ils peuvent passer à travers le filtre dès lors qu'ils sont d'une taille inférieure à 0,2 ìm.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Je retiens aussi de votre présentation qu'une telle filtration serait susceptible de modifier le microbiologisme de l'eau. Il n'y a pas de certitudes, mais des études existent et ce point est discuté. Est-ce exact ?

Mme Marie-Pierre Sauvant-Rochat. - Oui. Quelques articles ont été publiés sur le sujet. Leurs auteurs cherchent à mieux comprendre la relation entre les bactéries et les minéraux concomitamment présents dans un aquifère. Le sujet a au départ été plutôt étudié sous l'angle des radionucléides. Les études s'étendent désormais à d'autres minéraux.

M. Laurent Burgoa, président. - Où les études en cours sont-elles conduites ?

Mme Marie-Pierre Sauvant-Rochat. - Elles le sont en France, dans d'autres pays européens et au sein d'une équipe aux États-Unis. Ce n'est pas mon propre sujet de recherche, mais je suis en contact avec des microbiologistes qui s'en sont emparés.

M. Laurent Burgoa, président. - L'équipe de l'Anses installée à Nancy, qui semble particulièrement performante sur les questions ayant trait aux eaux minérales, s'en occupe-t-elle ?

Mme Marie-Pierre Sauvant-Rochat. - Pas à ma connaissance. Cette équipe s'intéresse d'abord au volet chimique.

M. Laurent Burgoa, président. - Nous poserons la question à ses représentants.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Dans un chapitre d'un ouvrage collectif auquel vous avez contribué, vous écrivez que « La surveillance mise en place par les distributeurs doit s'inscrire dans un plan de gestion de la sécurité sanitaire de l'eau (PGSSE) », correspondant au Water Safety Plan (WSP) prôné par l'Organisation mondiale de la santé (OMS). Pouvez-vous revenir sur cette approche et considérez-vous qu'elle est aujourd'hui mise en oeuvre en France ? Nous la recommanderiez-vous et formuleriez-vous d'autres recommandations relatives au système en vigueur d'analyse et de régulation de l'eau ?

Mme Marie-Pierre Sauvant-Rochat. - L'OMS préconise depuis plusieurs années les Water Safety Plans, c'est-à-dire une responsabilisation accrue de tous les gestionnaires de l'eau, avec leur implication dans de l'autosurveillance, de l'anticipation et de la gestion des risques. On s'inscrit ici dans ce que l'on appelle les démarches d'analyse des dangers et de maîtrise des points critiques (HACCP, Hazard Analysis Critical Control Points), avec la mise en place de plans d'action de correction. Cette démarche, très présente dans l'industrie agroalimentaire, s'adapte tout à fait au secteur de l'eau embouteillée. L'OMS met l'accent sur l'anticipation des problèmes, de préférence à leur gestion une fois qu'ils sont apparus.

La directive européenne du 16 décembre 2020 relative à la qualité des eaux destinées à la consommation humaine, transposée en droit français par différents textes réglementaires dans le courant de l'année 2023, a intégré la démarche d'anticipation des plans de gestion de la sécurité sanitaire de l'eau (PGSSE), par l'identification a priori des dangers et la mise en place de moyens de maîtrise visant à limiter les risques de survenue d'événements indésirables. Cette réglementation s'applique à la seule eau du robinet parmi les EDCH. À l'heure actuelle, aucune contrainte équivalente ne concerne les eaux embouteillées et le chapitre de l'ouvrage que vous mentionnez visait principalement l'eau du robinet. Cependant, du fait que les eaux embouteillées s'inscrivent dans le domaine d'activité de l'industrie agroalimentaire, on peut penser que la culture des embouteilleurs intègre déjà la démarche HACCP fondée sur l'anticipation des risques.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Considérez-vous que la qualité de la ressource en eau, et en particulier en eau minérale naturelle et en eau de source, se dégrade de nos jours ? Dans l'affirmative, à quoi attribueriez-vous ce phénomène ? Outre les activités humaines anthropiques telles que l'agriculture, celle des industriels eux-mêmes, c'est-à-dire une forme d'exploitation trop intensive de la ressource, a-t-elle également des effets sur cette qualité ?

Mme Marie-Pierre Sauvant-Rochat. - C'est un vaste débat. On ne saurait nier l'impact de l'activité humaine sur la dégradation de tout environnement, et notamment sur les ressources souterraines en eau, qu'elles soient destinées au robinet ou à l'embouteillage.

Le changement climatique et des épisodes climatiques extrêmes interviennent. De fortes précipitations provoquent des percolations accélérées dans les sols, avec un entraînement de tous les polluants présents en surface vers les ressources souterraines. On constate ce phénomène quasiment partout. Des hydrogéologues vous répondraient néanmoins mieux que moi sur ce point.

M. Laurent Burgoa, président. - Vous nous avez indiqué que des traitements étaient autorisés pour des raisons sanitaires. Le sont-ils, par exemple, dans le cas d'une eau minérale susceptible d'être contaminée par des matières fécales ?

Par ailleurs, ne manque-t-il pas un label ou une certification des industriels ? Une proposition de ce type vous semblerait-elle intéressante et de nature à mieux protéger les consommateurs ?

Mme Marie-Pierre Sauvant-Rochat. - Pour l'eau embouteillée, les quatre traitements autorisés par la directive européenne de 2009 visent l'élimination de composés minéraux inorganiques, et non celle des bactéries. La directive dispose clairement qu'il ne doit pas y avoir de traitement de désinfection tendant à éliminer des contaminants bactériens et que les traitements mis en oeuvre, s'ils permettent d'enlever des éléments indésirables, ne doivent pas modifier le faciès, la composition physique de l'eau.

L'élimination d'éléments bactériens et viraux, potentiellement pathogènes pour la santé humaine, relève de ce que l'on appelle un traitement de désinfection. La réglementation tant européenne que française l'interdit donc expressément. De plus, les textes disposent que la mise en oeuvre par un industriel de l'un des traitements autorisés implique qu'il le signale sur l'étiquetage de la bouteille d'eau minérale naturelle. La mention de la composition en éléments minéraux majeurs y est d'ailleurs obligatoire. Pour les eaux de source et les eaux rendues potables par traitement, les contraintes sont moindres.

M. Laurent Burgoa, président. - Et que pensez-vous de l'idée de certifier les industriels ?

Mme Marie-Pierre Sauvant-Rochat. - L'industriel se doit de respecter la réglementation et celle-ci est très claire. La mise en oeuvre de traitements destinés à éliminer des bactéries ou des virus correspond à une démarche de désinfection de l'eau, laquelle est proscrite. Je ne vois pas ce qu'une certification apporterait de plus, dès lors que la réglementation est strictement appliquée.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Au vu de la réglementation, une eau filtrée à 0,2 ìm serait-elle, selon vous, une eau minérale naturelle ?

Mme Marie-Pierre Sauvant-Rochat. - Elle le serait à la condition que celui qui met en oeuvre ce traitement démontre que la technique ne modifie pas les caractéristiques originelles de l'eau, telles que la réglementation les définit.

Une filtration à 0,2 ìm n'est actuellement pas prévue. La réglementation dresse la liste des traitements susceptibles d'être mis en oeuvre et celle des éléments qui peuvent être éliminés, avec des informations éminemment factuelles sur la taille des organismes.

La question reste, à mon avis, entièrement posée.

Mme Jocelyne Antoine. - Connaissons-nous la taille à partir de laquelle les éléments minéraux sont soumis à la filtration ? La retenue par filtration de certains d'entre eux influerait sur la qualité minérale de l'eau, qui s'en trouverait modifiée par rapport à son état originel.

Mme Marie-Pierre Sauvant-Rochat. - La plupart des minéraux se dissolvent. Certaines réactions conduisent cependant à la formation de précipités visibles, par exemple dans le cas des hydroxydes ou des oxydes. Cela concerne les eaux fortement chargées en sels minéraux et l'exemple le plus caractéristique est celui de l'Hydroxydase, quand on en laisse à température ambiante une bouteille ouverte. Il s'opère alors une réaction chimique entre les minéraux présents dans l'eau et l'oxygène de l'air. Une telle réaction ne se retrouve pas avec la majorité des eaux embouteillées : Évian, Volvic, Hépar, Saint-Yorre, dans lesquelles les minéraux sont dissous.

Mme Jocelyne Antoine. - Ils passent donc à travers les filtres.

Mme Marie-Pierre Sauvant-Rochat. - Les filtres autorisés provoquent une adsorption, c'est-à-dire une réaction entre le support et les éléments indésirables que l'on veut éliminer.

Mme Jocelyne Antoine. - Indépendamment de la finesse de la filtration, certains filtres peuvent donc jouer, en raison de leurs caractéristiques, sur la composition minérale de l'eau ?

Mme Marie-Pierre Sauvant-Rochat. - Très codifiés, ces filtres ne sont pas les plus classiques et sont volontairement conçus comme des supports actifs provoquant des réactions spécifiques. On utilise, par exemple, des oxydes de fer dans le cas d'eaux naturellement chargées en arsenic.

Mme Jocelyne Antoine. - Mais la filtration ne faisant l'objet ni d'une réglementation ni de contrôles, les consommateurs que nous sommes restons dans l'ignorance si un tel processus conduit à détériorer une eau minérale. Doit-on aller plus loin dans l'étude scientifique des conséquences de la filtration sur la minéralité de l'eau - qualité pour laquelle nous l'achetons - et, nous législateurs, dans l'élaboration de normes qui la régissent ?

Mme Marie-Pierre Sauvant-Rochat. - Il faut avant tout savoir de quel type de filtre nous parlons. Ceux qui sont autorisés présentent des spécificités, qui leur permettent d'éliminer des composants indésirables précis, comme le fer ou le manganèse. Personne n'a envie de boire une eau devenue rouge ou noire en raison de la précipitation de ces minéraux.

Nombre de moyens peuvent être utilisés sous le terme de « filtre » : des supports inorganiques, des supports fabriqués à partir de matières plastiques ou de céramique. On les utilise pour l'eau du robinet et je ne pense pas que ce type de filtration affecte franchement la présence d'éléments minéraux majeurs. Ce n'est cependant pas mon domaine de spécialité. Des traiteurs d'eau vous éclaireraient plus que je ne saurais le faire.

Mme Audrey Linkenheld. - Doit-on maintenant faire la différence entre eau originelle et eau naturelle ? Et faut-il comprendre que la minéralité apportée tant originellement que naturellement n'est plus garantie, mais que, sans une certaine forme de filtration, la qualité de l'eau ne l'est pas davantage, ce qui incite à recourir à la filtration ou à tout autre traitement et ce qui induit que l'eau originelle n'est plus une eau naturelle ? Peut-être cela nous conduirait-il à distinguer, pour les eaux comme pour d'autres produits, entre le bio et ce qui ne l'est pas ?

Auparavant, on pouvait boire l'eau minérale naturelle avec la garantie qu'elle était une eau saine ; paradoxalement, parce qu'elle reste originelle, nous ne sommes désormais plus tout à fait sûrs de sa qualité.

Mme Marie-Pierre Sauvant-Rochat. - À quoi reliez-vous le terme d'« originelle » ? Pensez-vous à l'eau présente dans la ressource ?

Mme Audrey Linkenheld. - Oui.

Mme Marie-Pierre Sauvant-Rochat. - Elle suit le grand cycle de l'eau et est en perpétuel mouvement. L'eau que nous consommons est celle que nos ancêtres consommaient aussi il y a des milliers d'années.

On peut dire que la qualité des ressources se dégrade parce que nous sommes toujours plus nombreux sur Terre, que nous y menons de plus en plus d'activités et que nous produisons toujours plus de composés de synthèse, susceptibles de se retrouver dans le grand cycle de l'eau. Tout le monde le reconnaît.

Pour l'eau du robinet EDCH, deux types de traitements interviennent : un traitement de potabilisation, avant utilisation, puis, après utilisation et avant retour à la nature, un traitement d'épuration. Ce qui n'est pas enlevé à la première étape le sera lors de la seconde, dans un cycle d'épuration continue. Ces traitements seront d'autant plus poussés que l'on utilise des eaux dites de surface : eaux de rivière, de barrage, etc.

En ce qui concerne les eaux minérales naturelles et les eaux de source, on considère que la ressource est suffisamment profonde, à plusieurs dizaines, voire centaines de mètres dans le sol, et protégée par les terres situées au-dessus d'elle, qui jouent un rôle de filtre naturel en retenant une partie des contaminants, pour que l'on n'ait pas besoin de traitement d'épuration. Celui-ci n'est donc pas autorisé.

Il convient de bien distinguer les contaminants chimiques des contaminants microbiologiques. La contamination microbiologique d'origine bactérienne peut survenir à n'importe quel moment, car nous n'évoluons pas dans des milieux stériles. Des pluies importantes provoquent un lavage des sols, des percolations, qui favorisent un entraînement de ces micro-organismes, ce qui peut conduire un embouteilleur à interrompre sa production. Le renouvellement de la ressource permet cependant de maîtriser ce type de contamination. Pour leur part, les contaminations chimiques résultent de la contamination environnementale en général. Les contaminants chimiques présents dans les sols ou à leur surface sont à leur tour entraînés par des précipitations importantes, mais, à l'inverse, des contaminants microbiologiques, une fois qu'ils atteignent une ressource souterraine, des années, des dizaines d'années, voire davantage, sont nécessaires pour récupérer la ressource.

Mme Marie-Lise Housseau. - Le consommateur est-il suffisamment informé sur les concentrations en minéraux très variables dans les eaux minérales naturelles, de quelques milligrammes à quelques grammes par litre, avec de possibles conséquences sur la santé humaine ? Ne faudrait-il pas, d'une part, inciter les embouteilleurs à enrichir l'information à ce sujet sur leurs étiquetages, et, d'autre part, instaurer dans les rayons de la grande distribution une séparation entre les eaux minérales naturelles, les eaux de source et les eaux rendues potables par traitement, de manière à éclairer le consommateur dans son choix ?

Par ailleurs, le danger principal ne se situe-t-il pas plutôt du côté des microplastiques, présents partout dans l'environnement et jusque dans le contenant lui-même, qui se dégrade sous l'effet des UV et du stockage ? Les industriels en ont-ils pris conscience et ne devrait-on pas évoluer vers des matériaux plus neutres, par exemple avec des contenants en verre ?

Mme Marie-Pierre Sauvant-Rochat. - Informer le consommateur, j'en suis tout à fait d'accord. Renforcer son information sur la composition des eaux minérales naturelles fortement minéralisées, dépassant un total de sels minéraux de 1,5 gramme par litre, j'en conviens. Néanmoins, ce message d'avertissement existe déjà chez les professionnels de santé, qui déconseilleront des eaux de type Saint-Yorre en cas d'hypertension, en raison de leur combinaison de sodium et de chlorure, peu compatible avec un régime sans sel strict à moins de 400 milligrammes de chlorure de sodium par jour. Du reste, la grande majorité des eaux minérales naturelles contiennent moins de 1,5 gramme de sels minéraux par litre, et même des quantités beaucoup plus faibles : 22 milligrammes par litre pour Mont Roucous, 130 mg/L pour Volvic, 300 mg/L pour Évian. Déclencher une alarme sur cet aspect ne paraît pas nécessaire. Et les minéraux que ces eaux apportent se combinent encore avec ceux des aliments que l'on ingère par ailleurs.

Séparer, dans les supermarchés, eaux minérales naturelles et eaux de source ne me paraît pas s'imposer lorsqu'il s'agit, pour les premières, d'eaux faiblement ou moyennement minéralisées. En revanche, alerter le consommateur sur celles qui sont les plus minéralisées ne manquerait pas de sens.

Il me semblerait surtout plus pertinent de séparer dans les rayons les eaux minérales naturelles et les eaux de source aromatisées des eaux minérales naturelles et des eaux de source véritables, parce que ces eaux aromatisées peuvent contenir des quantités de sucres phénoménales, peu visibles par le consommateur, mais équivalentes à celles que l'on trouve dans les sodas. Ces eaux appartiennent à la catégorie des BRSA. Dans certaines d'entre elles, des édulcorants de synthèse - aspartame ou autre - remplacent le sucre. Ils présentent toutefois l'inconvénient d'entretenir l'appétence du consommateur pour le sucre.

Quant à remplacer les bouteilles en plastique par des bouteilles en verre, j'y vois un premier problème, celui du poids des bouteilles. Des contenants plus lourds et difficiles à transporter - une bouteille en verre vide représente aisément de 700 à 800 grammes - ne seraient guère en accord avec l'attention que nous portons désormais, au titre de la transition écologique, à l'empreinte carbone de chaque produit. D'autre part, les bouteilles en verre supposent une chaîne de reconditionnement, afin de les récupérer, ce qui sous-entend des opérations de lavage poussées, l'hypothèse de produits toxiques stockés par inadvertance dans ces contenants ne pouvant jamais être écartée.

Le retour des bouteilles en verre était évoqué il y a quelques années. Pendant la préparation de ma thèse d'université, j'avais travaillé sur des comparaisons de stabilité minérale et d'effets toxiques pour des eaux identiques, mais embouteillées, selon les cas, en verre, en plastique, en PET, à un moment où s'opérait le passage de l'embouteillage des eaux du PVC vers le PET. Il en ressortait quelques surprises sur l'état de la bouteille en verre après usage.

Enfin, même en passant à des bouteilles en verre, nous n'éliminerions pas les microplastiques présents dans l'eau. Des études ont montré que même dans ces bouteilles, on les y retrouve. Sur leur provenance, l'hypothèse la plus reconnue est celle des chaînes d'embouteillage, parfois anciennes, et des frottements de leurs divers composants, qui libèrent des fragments de plastique.

M. Laurent Burgoa, président. - Au nom de l'ensemble des membres de la commission d'enquête, merci de l'éclairage que vous nous avez apporté de manière très pédagogique.

Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.

La réunion est close à 19 h 15.

Jeudi 16 janvier 2025

- Présidence de M. Laurent Burgoa, président -

La réunion est ouverte à 10 h 30.

Communication (sera publié ultérieurement)

Le compte rendu relatif à ce point de l'ordre du jour sera publié ultérieurement.

Audition de Mme Sarah Lacoche, directrice générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF) (sera publié ultérieurement)

Le compte rendu relatif à ce point de l'ordre du jour sera publié ultérieurement.

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La réunion est close à 11 h 50.

La réunion est ouverte à 14 h 00.

Audition de M. Charles de Batz de Trenquelléon et Mme Frédérique Simon-Delavelle, auteurs du rapport « Les eaux minérales naturelles et eaux de source : autorisation, traitement et contrôle » de l'Inspection générale des affaires sociales (IGAS) (sera publié ultérieurement)

Le compte rendu relatif à ce point de l'ordre du jour sera publié ultérieurement.

Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.

Risques de pollution des sols et des nappes - Audition de M. Vincent Bessonneau, directeur du Laboratoire d'étude et de recherche en environnement et santé, Mme Pauline Rousseau-Gueutin, responsable des enseignements en hydrologie-hydrogéologie à l'École des études en santé publique (EHESP) et M. Jean-Luc Boudenne, professeur des universités à l'université d'Aix-Marseille (sera publié ultérieurement)

Le compte rendu relatif à ce point de l'ordre du jour sera publié ultérieurement.

Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.

La réunion est close à 17 h 00.