Mardi 14 janvier 2025

- Présidence de M. Laurent Burgoa, président -

La réunion est ouverte à 17 h 30.

Audition de Mmes Marie Dupin, journaliste membre de la cellule investigation de France Info, et Pascale Pascariello, journaliste au pôle « Enquêtes » de Médiapart

M. Laurent Burgoa, président. - Mes chers collègues, nous poursuivons notre série d'auditions avec celle de Mmes Marie Dupin, journaliste à la cellule d'investigation de Radio France, et Pascale Pascariello, journaliste à Médiapart.

Cette audition est diffusée en direct sur le site internet du Sénat.

Mesdames, je rappelle qu'un faux témoignage devant notre commission d'enquête serait passible des peines prévues aux articles 434-13, 434-14 et 434-15 du code pénal. Je précise également qu'il vous appartient, le cas échéant, d'indiquer vos éventuels liens d'intérêts ou conflits d'intérêts en relation avec l'objet de la commission d'enquête.

Je vous invite à prêter successivement serment de dire toute la vérité, rien que la vérité, en levant la main droite et en disant : « Je le jure. »

Conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, Mmes Marie Dupin et Pascale Pascariello prêtent serment.

M. Laurent Burgoa, président. - Je rappelle rapidement pour les internautes que le Sénat a constitué, le 20 novembre dernier, une commission d'enquête sur les pratiques des industriels de l'eau en bouteille.

Au début de l'année 2024, les médias qui sont les vôtres ont révélé les pratiques illégales de certaines entreprises du secteur des eaux embouteillées, en particulier le recours à des traitements interdits sur des eaux minérales naturelles et de source.

Notre commission d'enquête vise à faire la lumière sur ce dossier, sous réserve des éventuelles procédures judiciaires en cours.

Nous avons souhaité vous entendre en vos qualités de journalistes ayant mis au jour certaines pratiques des industriels des eaux conditionnées qui sont au coeur de notre commission d'enquête.

Comme je l'ai indiqué, par une enquête publiée à la fin de janvier 2024, vous avez révélé au public - cela inclut les parlementaires - que des traitements interdits avaient été pratiqués par nombre d'industriels pendant plusieurs années, sans que le consommateur n'en soit informé, alors même que l'État en avait eu connaissance.

Nous souhaiterions donc vous interroger sur plusieurs points.

Pourriez-vous revenir sur la chronologie complexe de cette séquence tout à fait confidentielle, qui débute en 2020 ? Quelles sont à votre sens les raisons ayant poussé les gouvernements successifs à ne pas rendre publiques ces pratiques ? À votre avis, quels sont les points les plus saillants de la séquence, les points qui mériteraient notre plus grande attention ?

D'après les informations dont vous disposez, les pratiques des industriels des eaux conditionnées sont-elles toujours à risque de non-conformité ? Comment voyez-vous l'avenir du secteur face aux contraintes pesant sur la ressource ?

Nous vous proposons un déroulement de l'audition en trois temps : une présentation liminaire de votre travail et de vos réflexions, suivie d'une première série de questions - en particulier de notre rapporteur, qui reprendra les points tout juste exposés -, puis, éventuellement, d'une dernière batterie de questions-réponses.

Mme Marie Dupin, journaliste membre de la cellule investigation de France Info. - Je vous remercie de cette invitation, mesdames, messieurs les sénateurs. Je remercie en particulier le rapporteur Alexandre Ouizille, qui a fait en sorte que cette commission d'enquête puisse voir le jour, et la sénatrice Antoinette Guhl, qui l'a soutenu dans cette démarche et a fourni un travail important sur le sujet.

Je suis très honorée d'être entendue, aux côtés de ma collègue Pascale Pascariello, dont l'enquête a permis de comprendre les enjeux financiers autour de cette affaire.

Le rôle d'une commission d'enquête est d'informer, de contribuer au débat public, mais aussi de contrôler et d'infléchir l'action de l'État. Dans le dossier qui nous occupe, il y a à faire en matière d'inflexion !

Si mon collègue du Monde Stéphane Foucart et moi-même avons commencé à travailler sur celui-ci, c'est grâce à des lanceurs d'alerte, notamment à un ancien salarié de l'entreprise Alma. Les lanceurs d'alerte jouent un rôle important aujourd'hui, ils prennent des risques en transmettant des informations, mais leur démarche permet de faire émerger la vérité.

De quelle vérité parlons-nous en l'occurrence ?

Votre commission d'enquête porte sur les pratiques des industriels du secteur de l'eau. Je voudrais me focaliser sur l'un d'entre eux, la multinationale suisse Nestlé : c'est, en effet, la seule entreprise dont nous savons qu'elle a utilisé des filtres interdits, car plusieurs de ses puits étaient - et sont toujours - contaminés par des bactéries potentiellement dangereuses pour l'homme et par des polluants chimiques. C'est d'ailleurs pour masquer cette contamination de la ressource en eau à l'administration et aux consommateurs que ces traitements illégaux ont été mis en place.

Depuis nos révélations, en janvier dernier, le groupe Nestlé et les responsables politiques qui étaient au courant de l'affaire tentent de minimiser le risque sanitaire, voire de l'occulter. La veille de nos révélations, alors qu'elle savait que nous allions faire une publication sur le sujet, l'entreprise a même tenté de prendre les devants, à travers un mea culpa dans le journal Les Échos : elle reconnaissait avoir enfreint la réglementation pour maintenir la sécurité de ses eaux et éviter que les consommateurs ne tombent malades.

La réalité est bien plus complexe. Pendant des années, dans les Vosges - où elle produit les marques Hépar, Vittel et Contrex - et dans le Gard - où elle produit la marque Perrier -, l'entreprise Nestlé a constaté que ses puits étaient contaminés, alors qu'une eau minérale naturelle doit se distinguer, par définition, par sa « pureté originelle » et, selon la réglementation, doit avoir été tenue à l'abri de tous risques de pollution. Pour masquer cette pollution de ses eaux aux inspecteurs des agences régionales de santé (ARS), elle a dissimulé, derrière des armoires électriques ou dans des bâtiments annexes, des lampes à rayons ultraviolets (UV), des filtres à charbon et des microfiltres destinés à désinfecter l'eau et à la purifier.

Tant que ces traitements étaient utilisés, il n'y avait a priori pas de risque sanitaire. Mais en 2021, ayant appris que la répression des fraudes enquête sur les pratiques des industriels du secteur de l'eau, Nestlé demande à être reçu par le cabinet d'Agnès Pannier-Runacher, alors ministre de l'industrie. Un rendez-vous est organisé, rendez-vous que l'industriel ne semble pas mentionner dans sa déclaration de lobbying auprès de la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique (HATVP). Au cours de cette réunion, Nestlé demande à pouvoir continuer à utiliser certains traitements - des microfiltres interdits par la réglementation européenne, car ils retiennent les bactéries qui, en réalité, ne doivent pas être présentes dans une eau considérée comme exempte d'une telle pollution. En parallèle, le groupe s'engage à arrêter d'autres traitements.

À l'issue de ce rendez-vous, le gouvernement de l'époque aurait dû prévenir la justice, comme l'impose l'article 40 du code de procédure pénale, au motif qu'il était informé de l'existence d'une tromperie. Il aurait également dû interdire la production de cette fausse eau minérale ou la rétrograder en eau de boisson. Au lieu de cela, il met en oeuvre des procédés dilatoires, qui vont permettre à Nestlé de continuer son activité jusqu'à aujourd'hui.

En quoi ont consisté ces manoeuvres ? Il y a d'abord eu la commande à l'Inspection générale des affaires sociales (Igas), par Bruno Le Maire, Olivier Véran et Agnès Pannier-Runacher, d'un rapport sur l'activité de tous les minéraliers. Ce rapport a été remis avec six mois de retard, en juillet 2022 ; il a été remis au gouvernement, et à lui seul - même pas aux ARS, pourtant chargées de contrôler les eaux minérales en France. Dans ce rapport, l'Igas explique que le maintien des microfiltres interdits dans les usines du groupe, comme celui-ci le demande, constituerait une fausse sécurisation et exposerait les consommateurs à un risque viral.

Le gouvernement se tourne alors vers l'Agence nationale de sécurité sanitaire de l'alimentation, de l'environnement et du travail (Anses) et lui demande s'il serait possible de laisser Nestlé continuer à utiliser certains microfiltres interdits. La réponse est exactement la même que celle de l'Igas. Dans un courrier de janvier 2023, l'Agence indique que la microfiltration peut avoir un impact sur la qualité microbiologique de l'eau, en particulier sur la rétention de bactéries, mais qu'elle est inefficace sur la rétention de virus. Elle ajoute que les industriels présentent l'utilisation de dispositifs de filtration avec des seuils de coupure inférieurs à 0,8 micron comme permettant d'assurer la sécurité sanitaire, mais qu'aucun élément de preuve n'est apporté pour étayer cette affirmation.

En février 2023, à l'issue d'une concertation interministérielle dématérialisée (CID) dont nous avons récupéré le « bleu », le cabinet de la Première ministre Élisabeth Borne a décidé, en réponse aux demandes de Nestlé, d'autoriser l'industriel à utiliser certains filtres non conformes, tout en demandant aux contrôles sanitaires d'assurer un suivi microbactériologique et virologique de l'eau. C'est la preuve que le gouvernement a déjà conscience, à ce moment-là, de l'existence d'un risque sanitaire. Il est vrai que celui-ci ne s'est jusqu'ici toujours pas matérialisé - et c'est tant mieux - mais jusqu'à quand ?

En octobre 2023, huit mois plus tard, l'Anses alerte de nouveau le gouvernement sur la qualité sanitaire des eaux du groupe Nestlé, évoquant des contaminations microbiologiques d'origine fécale. L'Anses écrit que « ces contaminations ne devraient pas conduire à la production d'eau embouteillée ». On ne peut pas être plus clair : il y a bien un risque sanitaire, et ce risque est accentué depuis que les autres traitements interdits ont été arrêtés.

Au printemps dernier, d'ailleurs, le préfet du Gard a été contraint d'ordonner la destruction de millions de bouteilles de Perrier en raison d'un risque de contamination par des matières fécales. Un puit a été fermé, mais d'autres continuent de fonctionner, dans des conditions toujours aussi opaques.

En effet, une inspection inopinée, menée conjointement par l'inspection des fraudes et l'ARS d'Occitanie en juin dernier, prouve que Nestlé ne joue toujours pas le jeu de la transparence s'agissant de la production de ses eaux minérales naturelles. Dans leurs rapports préliminaires, les inspecteurs racontent comment on les fait patienter à l'accueil de l'usine Perrier près d'une heure et demie le matin de l'inspection, que l'on refuse de leur donner les documents demandés au motif du délai d'impression ou de problèmes de clés USB, que la direction est incapable de fournir une traçabilité de la production d'eau.

Or que relèvent les contrôles effectués ce jour-là ? Que les puits présentent encore des contaminations bactériennes « inacceptables pour une eau minérale naturelle » et engendrant un risque viral.

Aujourd'hui, plus de trois ans après le premier rendez-vous entre Nestlé et le gouvernement, près d'un an après nos révélations, l'industriel continue donc de produire une eau minérale naturelle, qui n'en est peut-être pas une, avec, possiblement, un risque sanitaire pour les consommateurs.

Pour résumer, nous parlons aujourd'hui d'une collusion avérée entre l'État et Nestlé, pour couvrir le groupe et servir des intérêts privés au détriment des intérêts fondamentaux de notre Nation. L'eau, en effet, est la base de la vie pour tous les êtres vivants. Dans cette affaire, le Gouvernement a failli à ses obligations, en ne saisissant pas la justice lorsqu'il aurait dû le faire ; en n'informant pas les consommateurs, ni la Commission européenne, ni les autres États membres ; en se mettant en situation de non-respect de la réglementation européenne, avec, à la clé, un possible risque de contentieux. Il a également, comme je l'ai dit, négligé la protection sanitaire des citoyens, malgré les alertes, notamment de l'Anses. Enfin, non seulement les pratiques interdites mises en place par Nestlé, et dissimulées par les autorités, sont d'une ampleur et d'une gravité inédites, mais elles perdurent très probablement.

Cette collusion soulève un problème démocratique et aura une conséquence invisible, celle d'entamer un peu plus la confiance des citoyens envers ceux qui les dirigent.

Mme Pascale Pascariello, journaliste au pôle « Enquêtes » de Médiapart. - Je vous remercie également de m'auditionner et félicite Marie Dupin pour l'ensemble du travail qu'elle a réalisé.

Pour ma part, membre du pôle « Enquêtes » de Mediapart, j'ai commencé à m'intéresser à Nestlé sur le fondement d'une interrogation quant à une possible surexploitation des ressources en eaux sur le site des Vosges.

Sur le plan légal, l'existence d'un forage dépend du code minier, du code de la santé publique, mais aussi du code de l'environnement, l'eau étant une ressource à protéger. Tout un travail doit donc être mené par les services de l'État pour contrôler les volumes et conditions de prélèvement. Or l'Office français de la biodiversité (OFB), chargé par le parquet d'Épinal d'enquêter à la suite d'une plainte pour prélèvements illégaux, en 2020, de plusieurs associations de défense de l'environnement, a confirmé que Nestlé prélevait en toute illégalité de l'eau sur neuf forages, notamment pour la production des marques Vittel et Contrex. Il n'y avait pas eu de déclaration au titre du code de l'environnement. Les enquêteurs ont également mis en lumière - et c'est tout le sens de ces affaires autour de Nestlé - une réelle faillite des instances de contrôle de l'État, voire le blanc-seing donné à l'industriel.

En 2010, lorsque celui-ci fait une demande pour un nouveau prélèvement, les services de la préfecture des Vosges s'intéressent au nombre de forages dont il dispose. Dans un premier temps, ils évaluent ce nombre à 31 ; plusieurs mois plus tard, ils l'estiment à 130 ! C'est dire l'ampleur de l'absence de contrôles par la préfecture. Il en va du reste de même du contrôle des traitements illégaux par l'ARS.

Alors que ses services viennent de découvrir l'ampleur des forages de Nestlé et l'exploitation illégale de certains d'entre eux, la préfecture décide de régulariser la situation. Certains dossiers sont pourtant incomplets, et au sein même de l'administration, la responsable de la police de l'eau émet des réserves sur cette régularisation massive.

Cette surexploitation des ressources, dont on ne connaît pas le volume, a duré vingt-sept ans - les enquêteurs de l'OFB ont d'ailleurs souligné qu'il n'y a aucune trace du paiement par Nestlé de la redevance pour prélèvement sur la ressource en eau pendant plusieurs années. Elle emporte par ailleurs des conséquences sur le niveau des nappes phréatiques. Entre 2019 et 2023, plusieurs villages autour du site Nestlé des Vosges ont manqué d'eau, ce qui n'a pas empêché l'industriel de continuer à pomper... Enfin, il y a des conséquences sur la qualité des eaux : la surexploitation est, en effet, la cause des contaminations régulières qui affectent notamment les eaux de Nestlé.

Dans le cadre de la convention judiciaire d'intérêt public (CJIP) conclue avec le parquet d'Épinal le 10 septembre dernier, le minéralier a reconnu les faits, y compris les traitements illégaux sur le site des Vosges, où sont embouteillées les eaux de Contrex, Hépar et Vittel.

Mediapart a eu accès aux conclusions de l'enquête menée par le service national d'enquête (SNE) de la direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF), instance qui avait déjà été alertée par un ancien salarié d'Alma. Cette enquête a été ouverte à la fin de l'année 2022 à la demande du procureur d'Épinal et à la suite du signalement par l'ARS des Vosges des traitements illégaux des eaux constatés lors de différentes inspections menées dans le cadre du rapport de l'Igas. Nestlé avait déjà avoué les faits.

Les conclusions de cette enquête sont accablantes, à la fois pour le groupe, l'ARS et les services de l'État. Elles indiquent que le recours à des traitements illégaux par Nestlé remonte au moins à 1993 pour les filtres à charbon, et à 2005 pour les lampes à UV et la microfiltration. Il s'agit donc d'une fraude inédite par sa durée - plus de vingt ans - et son montant, qui, selon les services de Bercy, dépasse les 3 milliards d'euros.

Au regard de la durée de cette fraude, le SNE estime qu'il s'agit d'un système organisé, et qu'il faut retenir, non pas la responsabilité de tel ou tel dirigeant du site Nestlé des Vosges, mais la responsabilité morale de l'entreprise, qui a sciemment caché la plupart des traitements lors des inspections de l'ARS.

Un ancien directeur de l'usine des Vosges, qui était au courant de l'ajout illégal de COdans l'eau de Vittel, a ainsi déclaré aux services de Bercy : « Nous l'avons montré à l'ARS lors des visites, mais ils n'ont jamais considéré cela comme un point important. »

Dans une note adressée à la préfète des Vosges dont j'ai eu connaissance, l'ARS alerte sur les détections récurrentes de bactéries, voire de virus avant et après les filtrations. Elle indique que celles-ci doivent conduire à la suspension de l'embouteillage, ou du moins à la perte de la mention « eau minérale naturelle ». Pour autant, l'agence n'a rien fait. Étant informée du traitement au CO2, elle aurait notamment pu interroger le minéralier sur l'usage d'autres traitements illégaux ; elle ne l'a pas fait.

Dans cette affaire, j'estime donc que les agences ne se sont pas donné tous les moyens. Certes, les traitements étaient dissimulés, mais l'ARS des Vosges n'a pas cherché plus loin, comme le montrent les auditions menées par le SNE. Le risque sanitaire a été enterré : ainsi, dans le signalement fait auprès du procureur d'Épinal, elle indique : « à ce stade des investigations, il convient de noter qu'aucun risque sanitaire lié à la qualité de l'eau embouteillée n'est identifié », sans, pour autant, avoir la preuve du contraire.

Les avis de l'Anses, qui indiquent au contraire que le recours à ces traitements soulève un risque, du fait notamment des virus que l'on peut retrouver dans les eaux, ont systématiquement été enterrés par l'ARS et par les services de l'État.

Les enquêteurs ont par ailleurs mis la main sur les plaintes des consommateurs. Alors que plus de 400 plaintes sont déposées par eux chaque année, pourquoi le procureur d'Épinal ne s'est-il pas donné les moyens d'enquêter sur la question sanitaire ?

L'État a essayé de sauver, et même de « blanchir » Nestlé, en portant le seuil de filtration de 0,8 à 0,2 micron, en contradiction avec une directive que, selon mes informations, l'Union européenne ne modifiera pas. En tout état de cause, avec un seuil de microfiltration à 0,2 micron, rien ne garantit l'absence de risque sanitaire. Dans cette affaire de traitement illégal des eaux, j'estime donc qu'il faut interroger la responsabilité de l'industriel, mais aussi celle de l'État.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Je vous remercie toutes deux, mesdames, car sans vous, la représentation nationale, les Françaises et les Français, n'auraient pas été informés de ce qui s'est passé, et se passe peut-être encore dans les usines Nestlé.

Cette affaire a été présentée par l'industriel comme une fraude à la consommation - c'est du reste ainsi que Bruno Le Maire l'a également présentée en séance publique. Les avis de l'Anses et les travaux de l'Igas ont toutefois brusquement conféré à cette affaire une dimension sanitaire. Comment les représentants de l'État, singulièrement les ministres, ont-ils abordé avec vous la dimension sanitaire de ce dossier ?

Mme Marie Dupin. - Désormais, les ARS n'enterrent plus ce risque sanitaire. En effet, le dernier rapport d'inspection de l'ARS d'Occitanie évoque bien l'existence d'un risque viral, non pas passé, mais actuel, concernant l'eau de Perrier. Cette inspection a été menée en juin dernier, c'est-à-dire après la publication de nos enquêtes.

Il est toutefois exact qu'après nos révélations, en janvier dernier, Bercy et le ministère de la santé ont réagi en indiquant qu'il y avait effectivement tromperie mais que les consommateurs n'étaient exposés à aucun risque sanitaire. C'était un mensonge, car les autorités étaient alors parfaitement au courant de l'existence de ce risque grâce au rapport de l'Igas et au courrier de l'Anses.

Au gouvernement qui l'interrogeait sur la possibilité de laisser Nestlé poursuivre la microfiltration au seuil très bas de 0,2 micron, laquelle est, du reste, toujours pratiquée, l'Anses avait répondu par la négative en janvier 2023.

Mme Pascale Pascariello. - Ce risque n'est en effet plus enterré, mais compte tenu de l'ensemble des inspections qui ont été demandées depuis que le scandale a éclaté, l'ARS ne peut pas faire autrement.

Les situations diffèrent toutefois dans le Gard et dans les Vosges, où un arrêté a été pris très rapidement afin d'autoriser les microfiltrations au seuil de 0,45 micron. Dans le Gard, la vigilance du préfet a sans doute été accrue, puisque nous avons pu consulter des notes par lesquelles la préfecture pressait l'ARS de lui fournir les éléments relatifs à l'état des contaminations des sources Perrier.

Mais une ARS ne devrait-elle pas être réactive, y compris en l'absence de pression des médias ? Ne devrait-elle pas faire son travail en dehors de toute sollicitation de l'Igas ? Ne devrait-elle pas rendre publics tous les éléments de ses inspections, comme le prévoit le code de l'environnement, sans que les journalistes aient à en faire la demande à la Commission d'accès aux documents administratifs (Cada) ?

M. Laurent Burgoa, président. - Vous avez indiqué que Mme la Première ministre avait participé à la concertation interministérielle dématérialisée.

Mme Marie Dupin. - Il s'agissait de deux membres de son cabinet.

M. Laurent Burgoa, président. - Pourriez-vous nous indiquer leur nom ?

Mme Marie Dupin. - Je vous les communiquerai par écrit, car je n'ai pas le compte rendu de cette réunion avec moi.

M. Laurent Burgoa, président. - D'autres ministères étaient-ils représentés ?

Mme Marie Dupin. - Oui, mais leur nom n'est pas indiqué dans le compte rendu que je vous communiquerai.

M. Laurent Burgoa, président. - Je vous remercie, car nous nous devons d'être précis.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Nous souhaitons en effet interroger les participants à cette concertation interministérielle dématérialisée afin de savoir jusqu'où l'information est remontée, en particulier si la Première ministre en a eu connaissance.

Vous semblez avoir acquis la conviction que l'arbitrage rendu lors de la CID l'a été en toute conscience du risque sanitaire, puisque les ministères avaient alors connaissance de l'avis de l'Anses et du rapport de l'Igas. Est-ce trahir votre pensée que de la reformuler ainsi ?

Mme Marie Dupin. - Dans le « bleu » de CID, il est clairement indiqué qu'« en réponse aux demandes de l'industriel, il est décidé d'accorder à Nestlé la possibilité d'utiliser certains filtres non conformes ». C'est tout de même une décision politique.

Le compte rendu précise par ailleurs qu'il est demandé aux services de contrôle sanitaire d'assurer un suivi microbiologique et virologique de l'eau. S'il formule cette demande, c'est bien parce que le gouvernement de l'époque a conscience qu'en donnant son feu vert à Nestlé pour utiliser des microfiltres non conformes, donc interdits, il ouvre la voie à un risque microbiologique et virologique. Cette demande prouve, à mes yeux, que l'exécutif avait bien conscience de l'existence de ce risque, qui a du reste été soulignée quelques semaines auparavant par l'Anses...

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - ... ainsi que du caractère illégal des pratiques, puisque le « bleu » évoqué mentionne une non-conformité.

Mme Marie Dupin. - Exactement.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - J'ai une question pour Mme Pascale Pascariello. Au moment où cette commission a été lancée, j'ai reçu un courriel de Nestlé - d'ailleurs fort peu aimable - m'indiquant que j'aurais publiquement rapporté des informations inexactes concernant la présence d'arsenic dans les eaux de Nestlé, au-delà des seuils réglementaires. J'avais tiré ces informations de votre article « Un rapport confidentiel de Nestlé révèle "un risque élevé" d'arsenic dans les eaux de Vittel » le 31 octobre 2024. Selon le groupe, « ces informations sont totalement erronées et trompeuses concernant la sécurité alimentaire et la concentration en arsenic de l'eau minérale naturelle Vittel, information présentée au mépris de toute rigueur scientifique, juridique ou judiciaire ». Dans ce courriel, Nestlé affirme, de manière catégorique : « Il n'y a donc jamais eu d'arsenic au-delà du seuil réglementaire dans nos eaux embouteillées ».

Qui croire ? Que révèlent précisément les rapports internes du Nestlé auxquels vous avez eu accès ? Quelle analyse en faites-vous ?

Mme Pascale Pascariello. - Je pourrai vous transmettre ces documents. Il est question de notes internes confidentielles de l'industriel faisant état de la qualité des eaux sur le site des Vosges. Celle que j'ai sous les yeux, par exemple, dresse la liste de l'ensemble des pollutions bactériologiques et chimiques de ces eaux, en particulier de la source qui alimente la marque Hépar, dont l'exploitation a d'ailleurs été suspendue lorsque les traitements ont été retirés.

Fort intéressantes, ces notes internes confidentielles recensent l'ensemble des traitements illégaux, Nestlé signalant un défaut de conformité par rapport aux réglementations française et européenne. L'une d'entre elles concerne l'arsenic. On y rappelle que le traitement contre l'arsenic, contrairement aux autres traitements utilisés, est tout à fait autorisé. Cependant, l'industriel s'est rendu compte que le taux d'arsenic dans les eaux brutes n'avait pas été suffisamment pris en compte et qu'in fine, le taux d'arsenic pouvait s'élever à 12 - voire 13 - microgrammes par litre dans le produit fini, soit au-dessus du taux de 10 microgrammes par litre autorisé par l'Organisation mondiale de la santé (OMS).

Cette note interne existe et l'industriel n'a jamais contesté nos informations. Je suis désolé qu'il l'ait fait auprès de vous. Je pourrai vous fournir ce document.

M. Laurent Burgoa, président. - Nous l'intégrerons à notre rapport. Nous sommes d'ailleurs preneurs de tout autre document que vous souhaiteriez nous fournir, afin que nous instruisions à charge et à décharge.

Mme Marie Dupin. - J'ai retrouvé les noms des collaborateurs qui ont été destinataires du compte-rendu de la concertation interministérielle dématérialisée que nous avons évoquée sous la présidence de M. Arcos, conseiller technique santé et de M. Blonde, conseiller technique participations publiques, consommation et concurrence au cabinet de la Première ministre : pour le cabinet de la Première ministre, M. Lebras, chargé de mission et M. Puisais-Jauvin, secrétaire général ; pour le ministère de l'économie et des finances, M. Dumont, directeur de cabinet ; pour la ministre déléguée auprès du ministre de l'économie, Mme Brotons, directrice de cabinet ; pour le ministère de la santé, Mme Bousquet-Bérard, directrice de cabinet ; enfin, pour le ministre délégué auprès du ministre de la santé et de la prévention, Mme Épaillard, directrice de cabinet.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Disposez-vous d'éléments tangibles quant à une éventuelle contamination des consommateurs ?

Mme Pascale Pascariello. - Je ne dispose pas à ce stade d'éléments supplémentaires sur les conséquences des contaminations et les risques encourus par les consommateurs. En tout état de cause, ce risque a été signalé en interne par les ingénieurs de Nestlé, tandis que l'ARS a annoncé mener des investigations additionnelles sur ce problème.

Comme vous pouvez vous en douter, Nestlé n'a pas communiqué sur ce problème, l'industriel se permettant même de réfuter des informations fournies par ses propres ingénieurs, avec une façon de transformer la réalité des faits qui pose problème. Les enquêteurs du SNE ont d'ailleurs relevé ce côté mensonger, puisque Nestlé a bien traité frauduleusement ses eaux tout en prétendant vendre une eau minérale pure aux consommateurs.

À la suite de nos révélations sur le montant de la fraude - plus de 3 milliards d'euros, je le rappelle -, Nestlé a publié sur son site un « Point de situation sur nos eaux minérales » afin d'éteindre le scandale. À la question « Avez-vous fraudé le consommateur à hauteur de plus de 3 milliards d'euros en quinze ans, comme l'affirme Mediapart ? », le groupe répond : « Nous réfutons formellement les chiffres relayés dans les médias ».

Je tiens à préciser que ces estimations ne sont pas les miennes, mais celles de Bercy.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Madame Dupin, vous avez pour votre part publié, le 16 décembre 2024, un article présentant le rapport de l'ARS d'Occitanie qui envisage un « arrêt de production d'eau minérale naturelle sur le site de Vergèze ».

Selon vous, le Perrier est-il toujours une eau minérale naturelle ? Qu'est-ce qui vous a particulièrement marqué dans ce rapport de l'ARS, sachant que vous vous êtes toutes deux montrées critiques vis-à-vis de ces agences ? Quelle comparaison faites-vous, d'ailleurs, entre le travail des deux ARS concernées par ce dossier ?

Mme Marie Dupin. - La lecture des différents rapports que nous avons relayés m'amène à dire, par prudence, qu'il est difficile de répondre à la première question. Si l'on reprend la chronologie des événements, Nestlé a, après la découverte de ces pratiques, mis en place un plan de transformation dont l'un des volets consistait à demander, pour le site du Gard, à pouvoir détourner l'utilisation de certains de ses puits pour fabriquer non plus du « Perrier, eau minérale naturelle », mais une nouvelle marque de boisson gazeuse, « Maison Perrier », dont l'entreprise a assuré la promotion à grand renfort de battage publicitaire.

Cette nouvelle marque a bien été lancée afin que Nestlé puisse continuer à utiliser des puits à ce point contaminés qu'il n'était plus possible d'y recourir pour continuer à produire de l'eau minérale naturelle. Le groupe a obtenu, par arrêté préfectoral, l'autorisation de détourner l'utilisation des puits concernés pour produire non plus de l'eau minérale naturelle mais des boissons gazeuses.

À ce jour, pour ce qui concerne l'usine du Gard, un puits est fermé en raison d'une forte contamination ; deux installations ont été détournées pour produire la marque « Maison Perrier » ; d'autres puits, enfin, sont toujours en état de fonctionnement alors qu'il existe des questionnements à leur sujet, les rapports de l'ARS et de la DGCCRF ayant identifié des problèmes récurrents de contamination bactériologique.

En principe pourtant, une eau contaminée régulièrement ne peut pas être utilisée pour produire de l'eau minérale naturelle : le rapport de l'Anses indique ainsi clairement que ces contaminations ne devraient plus permettre la production d'eau en bouteille. En croisant ces différents rapports et alertes, il est donc très probable que le Perrier ne soit plus aujourd'hui une eau minérale naturelle.

Concernant le rapport de l'ARS d'Occitanie, un changement de pied est intervenu à la suite de la publication de nos différents articles. Nous avons en effet beaucoup « feuilletonné », les premières révélations ayant été suivies du rapport de l'Anses au printemps 2024. À la suite de l'inspection de juin, l'ARS d'Occitanie a enfin indiqué qu'il existait un risque viral. Comment expliquer qu'il ait fallu attendre aussi longtemps pour l'évoquer ? Je ne peux pas répondre à cette question, mais l'ARS de cette région a effectivement changé de braquet, avec des conclusions qui mettent en cause la production d'eau minérale dans l'usine de Vergèze.

Quant aux différences entre l'ARS Grand Est et l'ARS d'Occitanie, il est important de noter que la première a signalé les faits sur la base de l'article 40 du code de procédure pénale, ce qui a donné lieu à l'enquête du SNE et à une convention judiciaire d'intérêt public. Là où l'ARS Grand Est a bien respecté l'obligation de saisir la justice, ce n'est toujours pas le cas de l'ARS d'Occitanie à ma connaissance. De fait, il n'existe aucune procédure judiciaire en cours pour la tromperie mise en place dans le Gard alors que des plaintes ont été déposées auprès du pôle de santé publique du tribunal judiciaire de Paris, notamment par l'ONG Foodwatch.

M. Laurent Burgoa, président. - Vos interventions ont montré que vous disposez de savoirs solides s'agissant de l'eau minérale. Aviez-vous des connaissances préalables en matière d'eau ou les avez-vous acquises après la découverte de ces faits ?

Par ailleurs, vous êtes-vous rendues sur place dans le cadre de vos investigations ou vous êtes-vous principalement appuyées sur des rapports ?

Selon vous, les agents des ARS disposent-ils des compétences adéquates pour contrôler ces sites industriels ?

Enfin, pourriez-vous encore boire du Perrier ?

Mme Pascale Pascariello. - Je buvais du Perrier au début de l'enquête, et je ne bois désormais plus d'eau en bouteille, y préférant l'eau du robinet au vu des éléments que j'ai pu recueillir.

Pour ce qui est de mes connaissances initiales, j'ai dû les approfondir, d'autant plus que je travaillais plutôt sur les questions de police et de justice au sein de la rédaction. Membre du pôle « enquêtes », j'ai été sollicitée en début d'année dernière pour venir en renfort sur les enquêtes relatives aux questions environnementales. J'avais déjà travaillé sur des sujets ayant trait à la pollution et à la sécurité sanitaire, mais j'ai dû parfaire mes connaissances de manière accélérée en potassant beaucoup et en sollicitant des experts indépendants afin de recueillir des avis extérieurs.

Par ailleurs, j'estime que la question principale n'est pas tant celle des compétences des agents des ARS que celle de leur indépendance et des missions qui leur sont confiées. S'agissant du traitement des eaux, je pense qu'il existe un problème d'effectifs et de moyens, car les agences ne sont pas en mesure de réaliser toutes les analyses requises afin de surveiller la qualité de l'eau et s'assurer de la sécurité sanitaire. Dans l'urgence, les moyens ont certes été renforcés avec des recours à des laboratoires, mais Nestlé continue à assurer la majorité des contrôles, dans le cadre d'une forme d'autosurveillance.

De plus, les contrôles dits « inopinés » de l'ARS ne le sont absolument pas dans la mesure où l'industriel en est informé à l'avance, comme l'ont relevé les enquêteurs.

Enfin, je me suis déplacée sur le site des Vosges dans le cadre de mes investigations.

Mme Marie Dupin. - Je ne buvais pas d'eau en bouteille avant de commencer cette enquête, qui m'a confortée dans ce choix. Si je pouvais boire du Perrier dans les cafés avant ce travail d'investigation, je n'en consomme désormais plus.

Je ne me suis pas déplacée sur les lieux, mais j'ai été en contact avec des membres d'associations présentes sur place, ainsi qu'avec des salariés du groupe Nestlé qui m'ont expliqué le fonctionnement des usines.

Comme l'a justement relevé Pascale Pascariello, les moyens des ARS ont été renforcés à la suite de nos révélations, mais la question de leur indépendance reste posée. La plupart des industriels s'autocontrôlent et les agents des ARS manquent souvent de moyens, même si le laboratoire d'hydrologie de l'Anses de Nancy leur vient désormais en appui pour réaliser les contrôles.

Mme Marie-Lise Housseau. - Sénatrice du Tarn, je m'interroge lorsque vous indiquez que, selon l'OFB, Nestlé prélevait illégalement de l'eau sur neuf forages. Normalement, lorsqu'un industriel de l'eau s'installe, il est censé fournir un certain nombre de documents, dont un plan faisant apparaître les emplacements de l'ensemble des forages, ainsi que les différents droits de propriété, servitudes et périmètres de protection sanitaire.

Toutes ces informations doivent être transmises à la préfecture, plus précisément à la direction régionale de l'environnement, de l'aménagement et du logement (Dreal). En outre, l'industriel doit s'engager à réaliser régulièrement des contrôles.

Par conséquent, le fait que neuf forages ont pu passer inaperçus me semble incroyable et met en lumière une responsabilité importante de l'État, d'autant plus que l'industriel est censé payer une redevance calculée sur le volume d'eau prélevé à la commune. La Dreal, la préfecture ou les communes auraient dû s'en apercevoir, surtout pour un industriel aussi important que Nestlé et pour une commune telle que Vittel, qui doit récupérer des royalties assez considérables. Je trouve ces éléments choquants et souhaiterais avoir votre avis sur le sujet.

Mme Pascale Pascariello. - Je vous rassure : les communes ont perçu des redevances non négligeables. Mais les enquêteurs ont relevé une absence de paiements pour l'une des sources.

Plus globalement, l'importance de Nestlé explique que le groupe a pu à ce point déroger aux règles du code de l'environnement, l'État s'étant mis au service de l'industriel en décidant de modifier la réglementation sur les microfiltrations, lui évitant ainsi de suspendre l'embouteillage.

S'agissant des prélèvements illégaux, la loi du 3 janvier 1992 sur l'eau demandait aux industriels de déclarer leurs forages et prélèvements, afin de vérifier les volumes prélevés. Ils disposaient de quatre ans pour se mettre en conformité, mais Nestlé n'a pas respecté cette échéance et la préfecture des Vosges n'a procédé à aucun contrôle, ce qui a permis au groupe de prélever des eaux en toute impunité sur les neuf forages non déclarés.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Avez-vous subi des pressions, de quelque nature que ce soit, lors de votre travail d'enquête ? Prévoyez-vous, ou avez-vous connaissance de nouvelles révélations de presse concernant notre périmètre ? Quelles convictions avez-vous acquises sur les raisons ayant poussé les gouvernements successifs à ne pas rendre ces pratiques publiques ?

Mme Marie Dupin- Je ne pense pas que l'on puisse évoquer des pressions à proprement parler. Néanmoins, par déontologie journalistique, nous prévenons Nestlé une semaine, voire dix jours avant la publication de notre enquête que nous avons connaissance de l'utilisation de filtres illégaux et posons à l'industriel une série de questions. Nous attendons ses réponses avant de publier. Celles-ci nous parviennent un dimanche soir et, le lendemain matin, nous découvrons le mea culpa de Nestlé à la une des Échos. Quand on travaille depuis six mois sur un sujet de cette nature, le coup est rude. C'est le premier industriel que je vois se comporter ainsi, en vingt ans de carrière journalistique, et je vous avoue que, depuis, j'envoie mes questions la veille de la publication de mes articles. Certains se plaignent du délai extrêmement court que je leur laisse, mais je ne suis plus réellement en confiance depuis cette tentative de nous court-circuiter en termes de communication.

Nous espérons qu'il y aura de nouvelles révélations et nous n'hésiterons pas à vous informer de nouvelles publications. Ce qui est sûr, c'est que des rapports sont encore attendus - le laboratoire d'hydrologie de Nancy, je l'ai dit, continue de mener des travaux d'analyse de la qualité des eaux - et un certain nombre de questions demeurent. Votre commission d'enquête a ainsi vocation à éclaircir les événements survenus sur le plan politique. Elle est donc pleinement ancrée dans l'actualité et, en cela, son rôle est capital.

Pourquoi les gouvernements successifs n'ont-ils pas rendu les informations publiques ? Pourquoi n'ont-ils pas informé la justice ou la Commission européenne, interdit la production ou reclassifié ces eaux minérales naturelles en eaux de boisson - autant d'actes politiques qui s'imposaient eu égard à la réglementation ? Il est certain que nous ne serions pas là aujourd'hui s'ils avaient fait tout cela. Mais je ne connais pas les motivations qui les ont poussés à privilégier les intérêts d'une multinationale au détriment de l'intérêt public. Je suis bien incapable de répondre à cette question.

Mme Pascale Pascariello- Moi non plus, je n'ai pas subi de pressions. Mais je rejoins Marie Dupin sur le caractère assez affligeant des pratiques de Nestlé, dont la communication, notamment, est particulièrement mensongère.

Je ne peux pas parler des révélations à venir, mais il y en aura d'autres, dont certaines qui concernent l'avenir d'eaux comme les eaux Perrier ou Hépar. Sans entrer dans des considérations techniques, j'insiste sur le fait que tout changement de microfiltration met en péril la dénomination d'eau minérale, et c'est tout l'enjeu des choix ministériels qui vont devoir être arrêtés, alors que la France, désormais sommée au niveau européen de prendre une décision, tente de sauver autant qu'elle le peut encore Nestlé.

D'ailleurs, puisque j'aborde la question de « sauver Nestlé », il me semble que cette affaire a vraiment été mal gérée. À force d'enterrer la responsabilité du minéralier, de fermer les yeux sur ses fraudes, sans doute dans l'espoir de sauver les emplois, le groupe annonce aujourd'hui la filialisation de ses eaux, ce qui constitue une menace encore plus grande pour les salariés. Tout le monde est perdant - consommateurs, salariés -, et c'est sans compter les risques sanitaires !

Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.

La réunion est close à 18h50.

Mercredi 15 janvier 2025

- Présidence de M. Laurent Burgoa, président -

La réunion est ouverte à 18 h 00.

Caractéristiques thérapeutiques des eaux minérales naturelles - Audition de Mme Marie-Pierre Sauvant-Rochat, responsable du laboratoire santé publique et environnement à l'université Clermont-Auvergne

M. Laurent Burgoa, président. - Nous poursuivons notre série d'auditions avec celle de Mme Marie-Pierre Sauvant-Rochat, directrice du laboratoire santé publique et environnement de l'université Clermont-Auvergne.

Avant toute chose, je vous rappelle qu'un faux témoignage devant notre commission d'enquête serait passible des peines prévues aux articles 434-13, 434-14 et 434-15 du code pénal. Je vous remercie par ailleurs de nous faire part de vos éventuels liens d'intérêts ou conflits d'intérêts en relation avec l'objet de la commission d'enquête.

Je vous invite à prêter serment de dire toute la vérité, rien que la vérité, en levant la main droite et en disant : « Je le jure. »

Conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, Mme Marie-Pierre Sauvant-Rochat prête serment.

Mme Marie-Pierre Sauvant-Rochat, professeur, responsable du laboratoire santé publique et environnement à l'université Clermont-Auvergne. - Je suis actuellement membre du comité d'experts spécialisés (CES) « Eaux » de l'Agence nationale de sécurité sanitaire de l'alimentation, de l'environnement et du travail (Anses) et je préside un groupe de travail sur l'évaluation des risques sanitaires en lien avec l'eau destinée à la consommation humaine (EDCH). Par le passé, j'ai terminé mon internat des hôpitaux au laboratoire de contrôle des eaux, qui était chargé du contrôle sanitaire des eaux minérales naturelles en Auvergne, et j'ai poursuivi par un doctorat d'université dans le cadre d'une convention industrielle de formation par la recherche (Cifre) au sein de la société des eaux de Volvic.

M. Laurent Burgoa, président. - Merci de ces informations.

Le Sénat a constitué, le 20 novembre dernier, une commission d'enquête sur « les pratiques des industriels de l'eau en bouteille » après que, au début de l'année 2024, les médias en ligne ont révélé les pratiques illégales de certaines entreprises du secteur des eaux embouteillées, en particulier le recours à des traitements interdits sur des eaux minérales naturelles et de source. Notre commission d'enquête vise à faire la lumière sur ce dossier, sous réserve des éventuelles procédures judiciaires en cours.

Notre audition de ce jour recouvre un thème bien précis : celui des caractéristiques thérapeutiques et des propriétés physico-chimiques des eaux conditionnées.

Peut-on établir des catégories différentes d'eaux minérales naturelles ? Sur quels fondements l'Académie nationale de médecine atteste-t-elle de leurs qualités thérapeutiques ? La remise en cause de la pureté originelle par le recours à certains traitements emporte-t-elle des conséquences sur les caractéristiques thérapeutiques des eaux ? Plus largement, quelle valeur pour le consommateur peut avoir la pureté originelle ? Pourrait-on imaginer, à terme, une dénomination « eau minérale naturelle » qui permette le recours à des traitements de désinfection afin d'en assurer la qualité sanitaire sans en dégrader le caractère naturel ? Enfin, je souhaite aborder la question des micropolluants. Sont-ils susceptibles de modifier les propriétés des eaux minérales naturelles et de porter atteinte à la santé des consommateurs ?

Nous vous proposons de faire une présentation liminaire de votre travail et de vos réflexions, qui sera ensuite suivie d'un temps de questions-réponses, en particulier avec notre rapporteur, puis avec les autres membres de la commission. Je rappelle que cette audition est diffusée en direct sur le site internet du Sénat.

Mme Marie-Pierre Sauvant-Rochat. - Merci de me donner l'occasion de m'exprimer sur un sujet qui me tient à coeur. Parler d'eau embouteillée et d'eau minérale naturelle donne souvent lieu à des confusions qui peuvent, pour le consommateur, avoir une importance majeure.

À la fin du XIXe siècle, on associait aux eaux minérales naturelles le thermalisme, l'idée d'une eau qui soigne, d'une eau miraculeuse. C'était à part entière un produit de santé. Par la suite, au cours du XXe siècle, ces eaux sont devenues un produit alimentaire banal. Dans les rayons des supermarchés, je défie désormais quiconque de distinguer parmi les eaux embouteillées entre celles qui relèvent, conformément à la réglementation, des eaux minérales naturelles, des eaux de source et des eaux rendues potables par traitement.

La réglementation française définit les trois types d'eaux dans le code de la santé publique. S'y ajoute une réglementation européenne qui inscrit ces eaux dans le paquet « hygiène », lequel englobe toutes les denrées alimentaires commercialisées. La coexistence de ces réglementations conduit à parfois s'interroger sur la gestion à mettre en place par les embouteilleurs.

Dans la définition que l'on en donne en France, les eaux minérales naturelles et les eaux de source doivent être embouteillées telles qu'elles sont à l'émergence, sans traitement. Les premières ont de plus la particularité de provenir d'une ressource unique qui doit être stable. Ces deux éléments influent sur la composition et la qualité physico-chimique des eaux.

Dans les supermarchés, on trouve d'autres types d'eaux : des eaux aromatisées, qui peuvent être produites à partir d'eaux minérales naturelles et d'eaux de source, des eaux qualifiées d'enrichies ou de supplémentées, voire des eaux purifiées reconstituées, à savoir des eaux totalement minéralisées, chargées artificiellement en minéraux dans des quantités définies. Ces différentes eaux ne sont pas identifiées en tant que telles par le consommateur et relèvent du contrôle de la direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF), dans son volet santé. Pourtant certaines, en particulier les eaux aromatisées, peuvent renfermer des quantités importantes de sucres potentiellement néfastes pour la santé - gardons à l'esprit que ce sont souvent les jeunes enfants qui les consomment.

Une dernière catégorie est celle des eaux que j'appelle les eaux « atypiques ». Elles commencent à gagner depuis quelques années le marché français. Il s'agit d'eaux aux provenances très diverses : eau des nuages, eau de pluie, eau obtenue à partir d'icebergs, eaux dites « fossiles » de couleur noire du fait de la présence naturelle d'acides fulviques. L'Ôdeep est une particularité française : c'est une eau de mer pompée en Méditerranée à plus de 300 mètres de profondeur, déminéralisée puis reconstituée avec une partie de ses sels minéraux. Ces eaux restent encore mal connues et difficiles à classer d'un point de vue réglementaire. On peut les considérer comme des boissons rafraîchissantes sans alcool (BRSA), qui relèvent également de la DGCCRF.

J'en viens à la composition des eaux embouteillées et à leurs effets sur la santé.

Quelles qu'elles soient, les eaux minérales naturelles et les eaux de source, dont l'origine est souterraine, ont une composition conditionnée par leur provenance et les roches avec lesquelles elles ont été en contact. Elles contiennent dans des proportions variables huit minéraux, quatre cations majeurs - sodium, potassium, calcium, magnésium - et quatre anions majeurs - chlorures, sulfates, bicarbonates, carbonates -, qui en constituent le faciès. On y trouve également des éléments présents en plus petites quantités, dont des oligoéléments, qui donnent à ces eaux leur signature particulière. S'y ajoute enfin toute la flore microbienne, ou plus exactement bactérienne, qui caractérise la ressource dont elles proviennent.

La concentration en minéraux présents dans les eaux minérales plates ou gazeuses, représentée par le résidu sec, est très variable. Quand une eau comme Mont Roucous ne contient que quelques milligrammes de sels minéraux, une eau telle qu'Hépar en renferme plus de 2,5 grammes par litre. L'eau minérale gazeuse d'Hydroxydase est actuellement, en France, l'eau embouteillée la plus minéralisée, avec plus de 9 g/L.

Notre organisme a besoin des minéraux : l'alimentation ou ces eaux embouteillées les lui apportent. Ceux des eaux sont pris en compte lorsque l'on définit les références nutritionnelles pour la population française. Cependant, consommées très régulièrement, les eaux très minéralisées peuvent conduire à des surcharges de certains minéraux dans l'organisme. Il est donc important que des professionnels de santé accompagnent par des messages de prévention le choix des eaux minérales naturelles consommées au quotidien.

Pour les eaux minérales naturelles, la réglementation ne fixe pas de limites de concentration en cations et anions majeurs. Il faut en tenir compte dans les apports nutritionnels quotidiens. En ce qui concerne les eaux de source et les eaux rendues potables par traitement, la réglementation établit des concentrations maximales en sels minéraux, lesquelles permettent de déterminer le caractère potable ou non de l'eau. Concernant l'eau du robinet, la réglementation impose qu'elle ne dépasse pas une concentration en sels minéraux de 1,5 g/L. Nombre d'eaux minérales naturelles embouteillées excèdent ce seuil et le retenir à leur endroit conduirait à les qualifier de non potables.

Le terme d'eaux « minérales » peut parfois être mal compris si on l'entend dans un sens nécessairement positif pour la santé. La notion de dose n'est pas suffisamment prise en compte, y compris par les professionnels de santé dans l'accompagnement de certains de leurs patients. Dans les eaux minérales naturelles, des minéraux consommés en trop grande quantité peuvent induire des effets néfastes pour la santé.

Précisons que, réglementaires, les limites de qualité et les références de qualité fixent pour les minéraux et des paramètres microbiologiques des seuils à ne pas dépasser dans l'eau à partir de valeurs toxicologiques de référence (VTR). Il s'agit de quantités déterminées expérimentalement en appliquant le scénario d'un individu adulte qui boirait toute sa vie durant 2 litres d'eau par jour et en prenant en compte les autres sources alimentaires lui apportant ces minéraux.

En France, ces limites de qualité sont déterminées pour la population en général. En outre, dans une démarche de sécurité sanitaire, le code de la santé publique prévoit des niveaux de concentration inférieurs afin de protéger les nourrissons, plus vulnérables. Certains avis de l'Anses complètent ces valeurs réglementaires.

On parle beaucoup actuellement de traitement des eaux embouteillées. La directive européenne 2009/54/CE et, en France, l'arrêté du 14 mars 2007 identifient quatre types de traitements pouvant être appliqués à des eaux embouteillées. Ciblés, ils doivent répondre à un objectif particulier. Ils ont pour objet d'éliminer certains composants pour des raisons sanitaires ou esthétiques - la présence de fer ou de manganèse peut, par exemple, provoquer une coloration de l'eau.

Le premier traitement autorisé concerne l'élimination du gaz carbonique, CO2, par des procédés mécaniques. Le deuxième type de traitement autorisé est celui des filtrations et décantations destinées par un jeu de réactions d'oxydo-réduction à éliminer la présence dans l'eau de composés instables, en particulier le fer et le soufre. Le troisième type de traitement est un traitement par air enrichi en ozone, O3, un puissant oxydant, qui induit également des réactions d'oxydo-réduction permettant d'éliminer fer, manganèse, soufre et arsenic. Le quatrième type de traitement consiste en l'adsorption sélective sur des matériaux granuleux - des sables - recouverts d'oxyde métallique, d'hydroxyde de fer ou d'alumine activée. Ces matériaux adsorbent certains composés présents dans l'eau, par exemple le cadmium ou le chrome, susceptibles de provoquer des effets esthétiques indésirables ou des effets toxiques. L'alumine activée permet plus spécifiquement d'éliminer les fluorures, potentiellement néfastes pour la santé en cas de trop forte concentration.

Un des sujets au coeur de vos travaux est celui de la filtration. À l'origine, la filtration renvoyait à des filtres basiques de type charbon activé, connu depuis l'Antiquité pour retenir certains constituants. Des évolutions technologiques conduisent désormais à l'obtention de filtres à partir de matériaux de synthèse, avec des niveaux de porosité de plus en plus bas, de l'ordre de la microfiltration et de la nanofiltration.

La taille des composés est variable. Celle des champignons et protozoaires est généralement supérieure à 100 micromètres (ìm), celle des bactéries est comprise entre 0,5 et 10 ìm, celle des virus entre 0,01 et 0,4 ìm, celle des phages - des virus présents dans l'environnement et qui infectent des bactéries - entre 0,02 et 0,2 ìm, celle enfin des nanoparticules chimiques entre 0,001 et 0,1 ìm. Appliquer dans l'analyse des eaux un seuil de filtration à 0,2 ìm permet donc, grossièrement, de retenir parasites et bactéries, dont des bactéries constitutives de la flore microbienne des eaux minérales naturelles, mais peu de virus. Une eau minérale naturelle n'est pas stérile : elle renferme des bactéries provenant de son écosystème d'origine, lesquelles peuvent présenter un intérêt pour notre organisme, ce que l'on a tendance à oublier.

Cet effet bénéfique agit sur notre flore digestive. Nombre de travaux en cours mettent aussi en évidence des interactions entre les bactéries présentes naturellement dans les eaux minérales naturelles et les minéraux qu'elles contiennent par ailleurs. La flore bactérienne peut modifier la spéciation des minéraux. On suppose donc qu'éliminer trop de bactéries présentes dans les eaux serait susceptible de perturber la biodisponibilité des minéraux qui y sont également présents.

Comment reconnaître les effets bénéfiques des eaux minérales naturelles ? Le rôle en incombe à l'Académie nationale de médecine. Depuis 2007, la reconnaissance d'une eau minérale naturelle est réalisée à l'échelle locale, sous la tutelle des agences régionales de santé (ARS). En 2008, l'Agence française de sécurité sanitaire des aliments (Afssa) avait publié des lignes directrices relatives au montage des dossiers de demande d'autorisation de reconnaissance d'une eau minérale naturelle, que, depuis lors, les ARS utilisent. Il y est précisé qu'un dossier spécifique concerne les situations de demandeurs qui entendent faire reconnaître les propriétés thérapeutiques d'une eau. Dans ce cas, une fois la validation préfectorale et celle du Conseil départemental de l'environnement et des risques sanitaires et technologiques (Coderst) obtenues, l'Académie nationale de médecine s'empare du dossier. Il est alors constitué de deux parties : d'une part, l'étude par analogie, qui compare les caractéristiques de l'eau en question à ce qui existe par ailleurs, et, d'autre part, l'étude clinique, qui consiste en un véritable essai thérapeutique.

Le dernier point que j'évoquerai dans ma présentation liminaire concerne les contaminants des eaux.

On parle beaucoup de polluants émergents, de microcontaminants et de micropolluants. La liste en est longue. Je mettrai l'accent sur les microplastiques, car, lorsqu'il est question d'eau embouteillée, la bouteille en plastique est toujours présente. Je m'appuie sur des travaux conduits en 2023 et en 2024, dont il ressort, en résumé, que les plastiques sont un problème de notre société.

Dans l'environnement, les plastiques se dégradent de façon biotique par les bactéries, de façon abiotique par photo-oxydation avec les rayons ultraviolets (UV) solaires, mais dans tous les cas de manière très lente. Cette lenteur du processus peut conduire à un fractionnement et à l'apparition de microplastiques, terme utilisé pour les fragments inférieurs à 5 millimètres. À l'heure actuelle, les études portent plutôt sur des fragments de la taille du micromètre ou du nanomètre.

Ces plastiques sont de différentes natures chimiques et quasiment tous ceux que nous utilisons peuvent se retrouver sous forme de micro ou de nanofragments. Les plus employés pour l'embouteillage des eaux sont le polyéthylène téraphtalate (PET), les polyéthylènes, voire, en revenant quelque peu en arrière dans le temps, le polychlorure de vinyle (PVC). Ils contiennent des adjuvants de fabrication, qui sont des plastifiants, tels que le phtalate et le bisphénol, des colorants ou des adjuvants de synthèse, comme l'antimoine (Sb).

Ces contaminants sont ubiquitaires et on les détecte actuellement, partout dans le monde, dans presque toutes les ressources aquatiques, qu'elles servent à l'obtention de l'eau du robinet ou pour les eaux embouteillées. Une publication de 2024 a ainsi mis en évidence la présence de plus de 1, voire 10 millions de microfragments plastiques par litre d'eau, en fonction des produits analysés. Les dernières études réalisées soulignent une fréquence et des quantités plus importantes de microplastiques dans les eaux embouteillées que dans l'eau du robinet. On s'intéresse à leur origine et plusieurs pistes sont ouvertes. Elles renvoient aussi bien à la fabrication des bouteilles, avec la technique de l'extrudage et les process d'entretien des lignes d'embouteillage, qu'à la contamination de la ressource, voire à la manipulation des bouteilles par le consommateur. L'attention porte plus particulièrement sur les bouchons de bouteille utilisés.

En ce qui concerne les effets de ces contaminants sur la santé - le point le plus important pour nous -, nous n'en sommes encore qu'à la phase de constat : constat de la présence de microplastiques dans le sang et dans la plupart des organes du corps humain. Nous savons les y mettre en évidence. De premiers travaux, qui demandent encore à être confirmés, ont relié cette présence à des phénomènes de thrombose. Quant à d'autres effets sur la santé humaine, en particulier sur le placenta chez la femme enceinte, sur les reins et le cerveau, ils demeurent inconnus et animent les débats dans le monde scientifique.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Vous évoquez la question du dosage et du niveau approprié de minéraux qu'un individu peut absorber. Pouvez-vous revenir sur les bénéfices attendus en dessous d'un certain seuil et, au contraire, le risque pris pour la santé en cas de dépassement ? Existe-t-il un consensus scientifique sur la question ?

Mme Marie-Pierre Sauvant-Rochat. - Nous avons tous besoin dans notre organisme, pour des fonctions physiologiques basiques, des minéraux majeurs que j'ai cités dans ma présentation. Ils sont apportés par l'alimentation en général. On oublie que les eaux minérales qui présentent des concentrations importantes de ces minéraux contribuent également à leur apport. Il convient de s'en tenir à la dose appropriée, en s'appuyant sur les références nutritionnelles validées par les autorités sanitaires, sous le pilotage de l'Anses, et de ne pas la dépasser. À titre d'exemple, un excès marqué de potassium peut engendrer des effets cardiaques, trop de sulfates peuvent induire des effets laxatifs. On utilise ainsi l'eau d'Hépar parce qu'elle est riche en sulfates de magnésium, le premier laxatif inscrit à la pharmacopée. En définitive, la situation reste maîtrisée en France sur le respect des recommandations nutritionnelles relatives à ces éléments.

Certaines eaux renferment des oligo-éléments : cuivre, fer, cobalt, molybdène, vanadium, etc. Notre organisme en a également besoin et ils agissent souvent comme cofacteurs nécessaires au bon fonctionnement des enzymes de nos cellules. Ils possèdent cependant, au-delà d'une certaine dose, une toxicité intrinsèque. L'arrêté de 2007 a défini à leur sujet des seuils de concentration à ne pas franchir.

Dans le passé, un médecin célèbre affirmait que « c'est la dose qui fait le poison ». La réglementation actuelle, qui fixe des concentrations maximales pour les eaux embouteillées - que l'on appelle les limites de qualité -, s'appuie sur cette approche sanitaire et toxicologique. Le calcul servant à les déterminer retient l'hypothèse d'une consommation d'eau contenant l'élément en question, de deux litres par jour et toute une vie durant, sans effet néfaste sur la santé.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Je déduis de vos propos que vous jugez satisfaisante la réglementation en vigueur sur ce point.

Mme Marie-Pierre Sauvant-Rochat. - En effet. Il s'agit d'une démarche sanitaire de protection du consommateur.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Pouvez-vous par ailleurs approfondir les aspects de microfiltration, effectivement au coeur des questions que nous nous posons ?

Mme Marie-Pierre Sauvant-Rochat. - Je n'ai pas insisté sur la nature des filtres utilisés. Différents matériaux et procédés existent. J'ai davantage raisonné sous l'angle de la taille des éléments filtrés.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Pendant des années, des industriels ont utilisé des lampes à UV ou des filtres à charbon pour traiter leur eau, avant d'utiliser ces outils de microfiltration. D'un point de vue scientifique, le passage à une microfiltration à 0,2 ìm laisse apparemment passer un certain nombre de virus. En disant cela, est-ce que je ne trahis pas votre pensée ?

Mme Marie-Pierre Sauvant-Rochat. - Appliquée à l'eau du robinet, la microfiltration n'est pas problématique, car, derrière cette phase intervient en outre un traitement de désinfection, lequel permet d'éliminer ce que le filtre n'a, dans un premier temps, pas retenu.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Mais sans ce second traitement de désinfection, vous nous dites donc qu'il existe un risque virologique ?

Mme Marie-Pierre Sauvant-Rochat. - Si la ressource utilisée pour de l'embouteillage est contaminée par des virus, ils peuvent passer à travers le filtre dès lors qu'ils sont d'une taille inférieure à 0,2 ìm.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Je retiens aussi de votre présentation qu'une telle filtration serait susceptible de modifier le microbiologisme de l'eau. Il n'y a pas de certitudes, mais des études existent et ce point est discuté. Est-ce exact ?

Mme Marie-Pierre Sauvant-Rochat. - Oui. Quelques articles ont été publiés sur le sujet. Leurs auteurs cherchent à mieux comprendre la relation entre les bactéries et les minéraux concomitamment présents dans un aquifère. Le sujet a au départ été plutôt étudié sous l'angle des radionucléides. Les études s'étendent désormais à d'autres minéraux.

M. Laurent Burgoa, président. - Où les études en cours sont-elles conduites ?

Mme Marie-Pierre Sauvant-Rochat. - Elles le sont en France, dans d'autres pays européens et au sein d'une équipe aux États-Unis. Ce n'est pas mon propre sujet de recherche, mais je suis en contact avec des microbiologistes qui s'en sont emparés.

M. Laurent Burgoa, président. - L'équipe de l'Anses installée à Nancy, qui semble particulièrement performante sur les questions ayant trait aux eaux minérales, s'en occupe-t-elle ?

Mme Marie-Pierre Sauvant-Rochat. - Pas à ma connaissance. Cette équipe s'intéresse d'abord au volet chimique.

M. Laurent Burgoa, président. - Nous poserons la question à ses représentants.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Dans un chapitre d'un ouvrage collectif auquel vous avez contribué, vous écrivez que « La surveillance mise en place par les distributeurs doit s'inscrire dans un plan de gestion de la sécurité sanitaire de l'eau (PGSSE) », correspondant au Water Safety Plan (WSP) prôné par l'Organisation mondiale de la santé (OMS). Pouvez-vous revenir sur cette approche et considérez-vous qu'elle est aujourd'hui mise en oeuvre en France ? Nous la recommanderiez-vous et formuleriez-vous d'autres recommandations relatives au système en vigueur d'analyse et de régulation de l'eau ?

Mme Marie-Pierre Sauvant-Rochat. - L'OMS préconise depuis plusieurs années les Water Safety Plans, c'est-à-dire une responsabilisation accrue de tous les gestionnaires de l'eau, avec leur implication dans de l'autosurveillance, de l'anticipation et de la gestion des risques. On s'inscrit ici dans ce que l'on appelle les démarches d'analyse des dangers et de maîtrise des points critiques (HACCP, Hazard Analysis Critical Control Points), avec la mise en place de plans d'action de correction. Cette démarche, très présente dans l'industrie agroalimentaire, s'adapte tout à fait au secteur de l'eau embouteillée. L'OMS met l'accent sur l'anticipation des problèmes, de préférence à leur gestion une fois qu'ils sont apparus.

La directive européenne du 16 décembre 2020 relative à la qualité des eaux destinées à la consommation humaine, transposée en droit français par différents textes réglementaires dans le courant de l'année 2023, a intégré la démarche d'anticipation des plans de gestion de la sécurité sanitaire de l'eau (PGSSE), par l'identification a priori des dangers et la mise en place de moyens de maîtrise visant à limiter les risques de survenue d'événements indésirables. Cette réglementation s'applique à la seule eau du robinet parmi les EDCH. À l'heure actuelle, aucune contrainte équivalente ne concerne les eaux embouteillées et le chapitre de l'ouvrage que vous mentionnez visait principalement l'eau du robinet. Cependant, du fait que les eaux embouteillées s'inscrivent dans le domaine d'activité de l'industrie agroalimentaire, on peut penser que la culture des embouteilleurs intègre déjà la démarche HACCP fondée sur l'anticipation des risques.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Considérez-vous que la qualité de la ressource en eau, et en particulier en eau minérale naturelle et en eau de source, se dégrade de nos jours ? Dans l'affirmative, à quoi attribueriez-vous ce phénomène ? Outre les activités humaines anthropiques telles que l'agriculture, celle des industriels eux-mêmes, c'est-à-dire une forme d'exploitation trop intensive de la ressource, a-t-elle également des effets sur cette qualité ?

Mme Marie-Pierre Sauvant-Rochat. - C'est un vaste débat. On ne saurait nier l'impact de l'activité humaine sur la dégradation de tout environnement, et notamment sur les ressources souterraines en eau, qu'elles soient destinées au robinet ou à l'embouteillage.

Le changement climatique et des épisodes climatiques extrêmes interviennent. De fortes précipitations provoquent des percolations accélérées dans les sols, avec un entraînement de tous les polluants présents en surface vers les ressources souterraines. On constate ce phénomène quasiment partout. Des hydrogéologues vous répondraient néanmoins mieux que moi sur ce point.

M. Laurent Burgoa, président. - Vous nous avez indiqué que des traitements étaient autorisés pour des raisons sanitaires. Le sont-ils, par exemple, dans le cas d'une eau minérale susceptible d'être contaminée par des matières fécales ?

Par ailleurs, ne manque-t-il pas un label ou une certification des industriels ? Une proposition de ce type vous semblerait-elle intéressante et de nature à mieux protéger les consommateurs ?

Mme Marie-Pierre Sauvant-Rochat. - Pour l'eau embouteillée, les quatre traitements autorisés par la directive européenne de 2009 visent l'élimination de composés minéraux inorganiques, et non celle des bactéries. La directive dispose clairement qu'il ne doit pas y avoir de traitement de désinfection tendant à éliminer des contaminants bactériens et que les traitements mis en oeuvre, s'ils permettent d'enlever des éléments indésirables, ne doivent pas modifier le faciès, la composition physique de l'eau.

L'élimination d'éléments bactériens et viraux, potentiellement pathogènes pour la santé humaine, relève de ce que l'on appelle un traitement de désinfection. La réglementation tant européenne que française l'interdit donc expressément. De plus, les textes disposent que la mise en oeuvre par un industriel de l'un des traitements autorisés implique qu'il le signale sur l'étiquetage de la bouteille d'eau minérale naturelle. La mention de la composition en éléments minéraux majeurs y est d'ailleurs obligatoire. Pour les eaux de source et les eaux rendues potables par traitement, les contraintes sont moindres.

M. Laurent Burgoa, président. - Et que pensez-vous de l'idée de certifier les industriels ?

Mme Marie-Pierre Sauvant-Rochat. - L'industriel se doit de respecter la réglementation et celle-ci est très claire. La mise en oeuvre de traitements destinés à éliminer des bactéries ou des virus correspond à une démarche de désinfection de l'eau, laquelle est proscrite. Je ne vois pas ce qu'une certification apporterait de plus, dès lors que la réglementation est strictement appliquée.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Au vu de la réglementation, une eau filtrée à 0,2 ìm serait-elle, selon vous, une eau minérale naturelle ?

Mme Marie-Pierre Sauvant-Rochat. - Elle le serait à la condition que celui qui met en oeuvre ce traitement démontre que la technique ne modifie pas les caractéristiques originelles de l'eau, telles que la réglementation les définit.

Une filtration à 0,2 ìm n'est actuellement pas prévue. La réglementation dresse la liste des traitements susceptibles d'être mis en oeuvre et celle des éléments qui peuvent être éliminés, avec des informations éminemment factuelles sur la taille des organismes.

La question reste, à mon avis, entièrement posée.

Mme Jocelyne Antoine. - Connaissons-nous la taille à partir de laquelle les éléments minéraux sont soumis à la filtration ? La retenue par filtration de certains d'entre eux influerait sur la qualité minérale de l'eau, qui s'en trouverait modifiée par rapport à son état originel.

Mme Marie-Pierre Sauvant-Rochat. - La plupart des minéraux se dissolvent. Certaines réactions conduisent cependant à la formation de précipités visibles, par exemple dans le cas des hydroxydes ou des oxydes. Cela concerne les eaux fortement chargées en sels minéraux et l'exemple le plus caractéristique est celui de l'Hydroxydase, quand on en laisse à température ambiante une bouteille ouverte. Il s'opère alors une réaction chimique entre les minéraux présents dans l'eau et l'oxygène de l'air. Une telle réaction ne se retrouve pas avec la majorité des eaux embouteillées : Évian, Volvic, Hépar, Saint-Yorre, dans lesquelles les minéraux sont dissous.

Mme Jocelyne Antoine. - Ils passent donc à travers les filtres.

Mme Marie-Pierre Sauvant-Rochat. - Les filtres autorisés provoquent une adsorption, c'est-à-dire une réaction entre le support et les éléments indésirables que l'on veut éliminer.

Mme Jocelyne Antoine. - Indépendamment de la finesse de la filtration, certains filtres peuvent donc jouer, en raison de leurs caractéristiques, sur la composition minérale de l'eau ?

Mme Marie-Pierre Sauvant-Rochat. - Très codifiés, ces filtres ne sont pas les plus classiques et sont volontairement conçus comme des supports actifs provoquant des réactions spécifiques. On utilise, par exemple, des oxydes de fer dans le cas d'eaux naturellement chargées en arsenic.

Mme Jocelyne Antoine. - Mais la filtration ne faisant l'objet ni d'une réglementation ni de contrôles, les consommateurs que nous sommes restons dans l'ignorance si un tel processus conduit à détériorer une eau minérale. Doit-on aller plus loin dans l'étude scientifique des conséquences de la filtration sur la minéralité de l'eau - qualité pour laquelle nous l'achetons - et, nous législateurs, dans l'élaboration de normes qui la régissent ?

Mme Marie-Pierre Sauvant-Rochat. - Il faut avant tout savoir de quel type de filtre nous parlons. Ceux qui sont autorisés présentent des spécificités, qui leur permettent d'éliminer des composants indésirables précis, comme le fer ou le manganèse. Personne n'a envie de boire une eau devenue rouge ou noire en raison de la précipitation de ces minéraux.

Nombre de moyens peuvent être utilisés sous le terme de « filtre » : des supports inorganiques, des supports fabriqués à partir de matières plastiques ou de céramique. On les utilise pour l'eau du robinet et je ne pense pas que ce type de filtration affecte franchement la présence d'éléments minéraux majeurs. Ce n'est cependant pas mon domaine de spécialité. Des traiteurs d'eau vous éclaireraient plus que je ne saurais le faire.

Mme Audrey Linkenheld. - Doit-on maintenant faire la différence entre eau originelle et eau naturelle ? Et faut-il comprendre que la minéralité apportée tant originellement que naturellement n'est plus garantie, mais que, sans une certaine forme de filtration, la qualité de l'eau ne l'est pas davantage, ce qui incite à recourir à la filtration ou à tout autre traitement et ce qui induit que l'eau originelle n'est plus une eau naturelle ? Peut-être cela nous conduirait-il à distinguer, pour les eaux comme pour d'autres produits, entre le bio et ce qui ne l'est pas ?

Auparavant, on pouvait boire l'eau minérale naturelle avec la garantie qu'elle était une eau saine ; paradoxalement, parce qu'elle reste originelle, nous ne sommes désormais plus tout à fait sûrs de sa qualité.

Mme Marie-Pierre Sauvant-Rochat. - À quoi reliez-vous le terme d'« originelle » ? Pensez-vous à l'eau présente dans la ressource ?

Mme Audrey Linkenheld. - Oui.

Mme Marie-Pierre Sauvant-Rochat. - Elle suit le grand cycle de l'eau et est en perpétuel mouvement. L'eau que nous consommons est celle que nos ancêtres consommaient aussi il y a des milliers d'années.

On peut dire que la qualité des ressources se dégrade parce que nous sommes toujours plus nombreux sur Terre, que nous y menons de plus en plus d'activités et que nous produisons toujours plus de composés de synthèse, susceptibles de se retrouver dans le grand cycle de l'eau. Tout le monde le reconnaît.

Pour l'eau du robinet EDCH, deux types de traitements interviennent : un traitement de potabilisation, avant utilisation, puis, après utilisation et avant retour à la nature, un traitement d'épuration. Ce qui n'est pas enlevé à la première étape le sera lors de la seconde, dans un cycle d'épuration continue. Ces traitements seront d'autant plus poussés que l'on utilise des eaux dites de surface : eaux de rivière, de barrage, etc.

En ce qui concerne les eaux minérales naturelles et les eaux de source, on considère que la ressource est suffisamment profonde, à plusieurs dizaines, voire centaines de mètres dans le sol, et protégée par les terres situées au-dessus d'elle, qui jouent un rôle de filtre naturel en retenant une partie des contaminants, pour que l'on n'ait pas besoin de traitement d'épuration. Celui-ci n'est donc pas autorisé.

Il convient de bien distinguer les contaminants chimiques des contaminants microbiologiques. La contamination microbiologique d'origine bactérienne peut survenir à n'importe quel moment, car nous n'évoluons pas dans des milieux stériles. Des pluies importantes provoquent un lavage des sols, des percolations, qui favorisent un entraînement de ces micro-organismes, ce qui peut conduire un embouteilleur à interrompre sa production. Le renouvellement de la ressource permet cependant de maîtriser ce type de contamination. Pour leur part, les contaminations chimiques résultent de la contamination environnementale en général. Les contaminants chimiques présents dans les sols ou à leur surface sont à leur tour entraînés par des précipitations importantes, mais, à l'inverse, des contaminants microbiologiques, une fois qu'ils atteignent une ressource souterraine, des années, des dizaines d'années, voire davantage, sont nécessaires pour récupérer la ressource.

Mme Marie-Lise Housseau. - Le consommateur est-il suffisamment informé sur les concentrations en minéraux très variables dans les eaux minérales naturelles, de quelques milligrammes à quelques grammes par litre, avec de possibles conséquences sur la santé humaine ? Ne faudrait-il pas, d'une part, inciter les embouteilleurs à enrichir l'information à ce sujet sur leurs étiquetages, et, d'autre part, instaurer dans les rayons de la grande distribution une séparation entre les eaux minérales naturelles, les eaux de source et les eaux rendues potables par traitement, de manière à éclairer le consommateur dans son choix ?

Par ailleurs, le danger principal ne se situe-t-il pas plutôt du côté des microplastiques, présents partout dans l'environnement et jusque dans le contenant lui-même, qui se dégrade sous l'effet des UV et du stockage ? Les industriels en ont-ils pris conscience et ne devrait-on pas évoluer vers des matériaux plus neutres, par exemple avec des contenants en verre ?

Mme Marie-Pierre Sauvant-Rochat. - Informer le consommateur, j'en suis tout à fait d'accord. Renforcer son information sur la composition des eaux minérales naturelles fortement minéralisées, dépassant un total de sels minéraux de 1,5 gramme par litre, j'en conviens. Néanmoins, ce message d'avertissement existe déjà chez les professionnels de santé, qui déconseilleront des eaux de type Saint-Yorre en cas d'hypertension, en raison de leur combinaison de sodium et de chlorure, peu compatible avec un régime sans sel strict à moins de 400 milligrammes de chlorure de sodium par jour. Du reste, la grande majorité des eaux minérales naturelles contiennent moins de 1,5 gramme de sels minéraux par litre, et même des quantités beaucoup plus faibles : 22 milligrammes par litre pour Mont Roucous, 130 mg/L pour Volvic, 300 mg/L pour Évian. Déclencher une alarme sur cet aspect ne paraît pas nécessaire. Et les minéraux que ces eaux apportent se combinent encore avec ceux des aliments que l'on ingère par ailleurs.

Séparer, dans les supermarchés, eaux minérales naturelles et eaux de source ne me paraît pas s'imposer lorsqu'il s'agit, pour les premières, d'eaux faiblement ou moyennement minéralisées. En revanche, alerter le consommateur sur celles qui sont les plus minéralisées ne manquerait pas de sens.

Il me semblerait surtout plus pertinent de séparer dans les rayons les eaux minérales naturelles et les eaux de source aromatisées des eaux minérales naturelles et des eaux de source véritables, parce que ces eaux aromatisées peuvent contenir des quantités de sucres phénoménales, peu visibles par le consommateur, mais équivalentes à celles que l'on trouve dans les sodas. Ces eaux appartiennent à la catégorie des BRSA. Dans certaines d'entre elles, des édulcorants de synthèse - aspartame ou autre - remplacent le sucre. Ils présentent toutefois l'inconvénient d'entretenir l'appétence du consommateur pour le sucre.

Quant à remplacer les bouteilles en plastique par des bouteilles en verre, j'y vois un premier problème, celui du poids des bouteilles. Des contenants plus lourds et difficiles à transporter - une bouteille en verre vide représente aisément de 700 à 800 grammes - ne seraient guère en accord avec l'attention que nous portons désormais, au titre de la transition écologique, à l'empreinte carbone de chaque produit. D'autre part, les bouteilles en verre supposent une chaîne de reconditionnement, afin de les récupérer, ce qui sous-entend des opérations de lavage poussées, l'hypothèse de produits toxiques stockés par inadvertance dans ces contenants ne pouvant jamais être écartée.

Le retour des bouteilles en verre était évoqué il y a quelques années. Pendant la préparation de ma thèse d'université, j'avais travaillé sur des comparaisons de stabilité minérale et d'effets toxiques pour des eaux identiques, mais embouteillées, selon les cas, en verre, en plastique, en PET, à un moment où s'opérait le passage de l'embouteillage des eaux du PVC vers le PET. Il en ressortait quelques surprises sur l'état de la bouteille en verre après usage.

Enfin, même en passant à des bouteilles en verre, nous n'éliminerions pas les microplastiques présents dans l'eau. Des études ont montré que même dans ces bouteilles, on les y retrouve. Sur leur provenance, l'hypothèse la plus reconnue est celle des chaînes d'embouteillage, parfois anciennes, et des frottements de leurs divers composants, qui libèrent des fragments de plastique.

M. Laurent Burgoa, président. - Au nom de l'ensemble des membres de la commission d'enquête, merci de l'éclairage que vous nous avez apporté de manière très pédagogique.

Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.

La réunion est close à 19 h 15.

Jeudi 16 janvier 2025

- Présidence de M. Laurent Burgoa, président -

La réunion est ouverte à 10 h 30.

Communication

M. Laurent Burgoa, président. - Mes chers collègues, je souhaiterais, avec M. le rapporteur, vous faire part de la réponse que nous devons donner aujourd'hui aux deux courriers que nous avons reçus du groupe Nestlé :

« Madame la présidente, nous avons pris connaissance avec un certain étonnement de la teneur de vos deux lettres des 10 et 14 janvier 2025.

« Vous soulignez en effet l'existence d'une plainte avec constitution de partie civile déposée par l'association Foodwatch, et qui viserait les pratiques de filtrage non autorisées révélées par voie de presse sur les sites industriels de Nestlé situés dans les Vosges - Vittel, Contrex et Hépar -, ainsi que dans le Gard - Perrier. Vous semblez en inférer que notre commission d'enquête serait illégitime, puisque vous affirmez notamment : “ La coexistence de la commission d'enquête parlementaire avec cette enquête pénale est susceptible d'être contraire à l'ordonnance de 1958. “

« Comme vous le savez, les dispositions de l'article 6 del'ordonnance n° 58-1100 du 17 novembre 1958 ont pour seul objet d'éviter que le Parlement ne s'immisce dans le fonctionnement de la justice et pour finalité de préserver la séparation des pouvoirs et l'indépendance de l'autorité judiciaire, proclamée par l'article 64 de la Constitution. En revanche, elles ne visent nullement à paralyser l'action de contrôle de la représentation nationale.

« Le Sénat a été amené à préciser que les poursuites judiciaires évoquées par l'article 6 de l'ordonnance de 1958 s'entendent de la saisine d'une juridiction, qu'il s'agisse d'un juge d'instruction ou d'une juridiction de jugement. Le simple dépôt d'une plainte avec constitution de partie civile ne peut être confondu avec l'ouverture effective d'une information judiciaire.

« En outre, de nombreuses commissions d'enquête ont, par le passé, été ouvertes concomitamment à des instructions judiciaires : tel a été le cas lors de l'affaire Cahuzac en 2013 ou, en 2018 et 2019, lors de l'affaire Benalla. Dans ce dernier cas, alors même qu'une information judiciaire était ouverte, la commission des lois du Sénat a considéré que le seul fait qu'un juge d'instruction ait posé, dans le cadre d'une enquête judiciaire, un certain nombre de questions pour comprendre un contexte donné, n'était pas un argument suffisant pour limiter le périmètre d'une commission d'enquête, dès lors que cela ne conduirait pas une personne auditionnée par le Parlement à faire des déclarations qui pourraient lui être par la suite reprochées par la justice. De fait, le Sénat a pu mener à leur terme ses travaux sur cette affaire, lesquels ont largement été reconnus comme exemplaires.

« Du reste, la commission des lois exerce un contrôle préventif de l'objet des commissions d'enquête lors de son examen de la recevabilité des propositions de résolution visant à les créer.

« S'agissant de la recevabilité de la proposition de résolution sollicitant la création de notre commission d'enquête, la commission des lois a ainsi relevé que les investigations projetées visaient à établir “ les raisons, les circonstances, l'ampleur et les risques, notamment sanitaires, des pratiques industrielles dans le secteur de l'eau en bouteille, ainsi que sur les contrôles administratifs, les informations détenues par les ministères compétents et les actions prises en conséquence “ et a conclu que “ le champ d'investigation retenu peut bien être regardé comme portant sur la gestion d'un service public au sens large, non sur des faits déterminés.

« C'est bien dans ce sens que nous travaillons. Si notre commission d'enquête trouve son origine dans différents scandales sanitaires de traitements non autorisés de l'eau minérale naturelle révélés par la presse, et ne peut évidemment faire comme s'ils n'existaient pas, elle ne vise pas à établir la matérialité d'éventuelles infractions pénales qu'il revient uniquement à la justice de caractériser. Notre commission d'enquête n'est par ailleurs pas circonscrite au champ de la plainte de Foodwatch ni aux activités d'un groupe minéralier spécifique, mais s'étend à l'ensemble de cette branche industrielle.

« En revanche, elle ne peut ni ne doit évidemment se désintéresser des pratiques des industriels sur lesquels doivent s'exercer les contrôles de l'État et que certains semblent parfois essayer de contourner, si l'on se fie au rapport de l'Igas de 2022, ne serait-ce que pour rendre ces contrôles plus efficaces, mais aussi parce qu'une part du dispositif de contrôle de la qualité des eaux relève d'une autosurveillance des exploitants.

« Il résulte de ces éléments que la commission d'enquête dispose d'un champ d'investigation très large et que la plainte que vous évoquez, quand bien même elle serait suivie de poursuites, ne saurait l'en priver.

« La commission d'enquête poursuivra donc son travail en faisant usage de toutes les voies de droit prévues par l'ordonnance de 1958, à son article 6, II et III, pour que les informations qui sont nécessaires à sa mission lui soient communiquées.

« S'agissant du cas de Nestlé, nous confirmons donc notre attente des documents que nous avons demandés ainsi que notre visite du site de Vergèze prévue dans les prochaines semaines.

« Bien sûr, les représentants du groupe Nestlé seront entendus, comme ceux des autres minéraliers, en audition publique par la commission. Ils pourront librement exposer leurs positions ainsi que leur interprétation des dysfonctionnements sur lesquels travaille la commission. Il leur sera du reste loisible, s'ils l'estiment nécessaire, de se faire accompagner par un conseil juridique.

« En tout état de cause, il nous semble important de faire comprendre qu'il est de l'intérêt de tous les acteurs de coopérer et de faire toute la transparence sur cette affaire qui engage la confiance de l'opinion dans un secteur auquel nous tenons tous.

« Vous comprendrez que, toujours dans un souci de transparence, nous porterons ce courrier à la connaissance de nos collègues de la commission d'enquête comme du public. »

Audition de Mme Sarah Lacoche, directrice générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF)

M. Laurent Burgoa, président. - Nous allons maintenant auditionner Mme Sarah Lacoche, directrice générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF), accompagnée de M. Thomas Pillot, chef du service de la protection des consommateurs et de la régulation des marchés, Mme Odile Cluzel, sous-directrice des produits et marchés agroalimentaires, M. Romain Guegan-Bertin, directeur adjoint du service national des enquêtes (SNE), et Mme Marie Suderie, directrice de cabinet.

Mesdames, messieurs je suis tenu de vous rappeler qu'un faux témoignage devant notre commission d'enquête serait passible des peines prévues aux articles 434-13, 434-14 et 434-15 du code pénal.

Je vous invite à prêter successivement serment de dire toute la vérité, rien que la vérité, en levant la main droite et en disant : « Je le jure. »

Conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, Mme Sarah Lacoche, M. Thomas Pillot, Mme Odile Cluzel, Mme Marie Suderie et M. Romain Guegan-Bertin prêtent serment.

M. Laurent Burgoa, président. - Madame la directrice, je vous remercie par ailleurs de nous faire part de vos éventuels liens d'intérêts.

Mme Sarah Lacoche, directrice générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes. - Je n'en ai pas, monsieur le président.

M. Laurent Burgoa, président. - Je précise que cette audition est retransmise sur le site du Sénat.

Je rappelle également pour les internautes que le Sénat a constitué, le 20 novembre dernier, une commission d'enquête sur les pratiques des industriels de l'eau en bouteille. Au début de l'année 2024, les médias ont révélé les pratiques illégales de certaines entreprises du secteur des eaux embouteillées, en particulier le recours à des traitements interdits sur des eaux minérales naturelles et de source. Notre commission d'enquête du Sénat vise à faire la lumière sur ce dossier, sous réserve des éventuelles procédures judiciaires en cours.

Mes chers collègues, notre audition du jour ouvre un nouveau chapitre de notre commission d'enquête consacré au dispositif de contrôle et de surveillance des eaux conditionnées.

Madame Lacoche, en tant que directrice générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes, vous avez à votre tête un réseau central et déconcentré d'agents dont la mission est d'assurer la loyauté des produits que nous consommons, c'est-à-dire que leurs caractéristiques soient conformes à leur étiquetage. À ce titre, votre administration joue un rôle central dans l'information du consommateur. Nous savons aussi que les agents de la DGCCRF ont été essentiels dans la séquence qui nous intéresse aujourd'hui, puisqu'ils ont mené de nombreux contrôles de sites d'embouteillage.

Pourriez-vous nous présenter la chaîne des contrôles au sein de laquelle intervient la DGCCRF pour contrôler les embouteilleurs ?

Pourriez-vous revenir sur l'enchaînement des événements depuis 2020 et le signalement d'un salarié de Sources Alma ayant conduit à la mobilisation de votre service national d'enquêtes ?

Comment la traçabilité des eaux minérales naturelles est-elle aujourd'hui assurée ?

Les nouvelles désignations commerciales, comme celle de Maison Perrier, qui ne repose plus sur de l'eau minérale naturelle, vous semblent-elles poser des difficultés en termes de loyauté et d'information du consommateur ?

Voilà quelques thèmes sur lesquels notre rapporteur va vous interroger.

Nous vous proposons de dérouler cette audition en trois temps. Vous présenterez successivement votre travail et vos réflexions durant une dizaine de minutes. S'ensuivra un temps de questions-réponses, en particulier avec notre rapporteur, puis par les autres membres de la commission. Nous pourrons terminer par une dernière série de questions-réponses.

Mme Sarah Lacoche. - En propos liminaire, je vous présenterai de façon assez synthétique le système de contrôle des eaux embouteillées en France et la place qu'y joue la DGCCRF.

La direction générale de la santé (DGS), la DGCCRF et, depuis la création de la police sanitaire unique le 1er janvier 2023, la direction générale de l'alimentation (DGAL) sont les trois autorités compétentes chargées des contrôles officiels prévus par le règlement européen qui les régit. Il existe deux niveaux d'autorités compétentes. Le premier est celui des autorités compétentes centrales, lesquelles doivent organiser et piloter les contrôles qui seront ensuite réalisés par les autorités compétentes locales. L'enjeu est d'avoir une couverture de l'ensemble de la chaîne, de la production primaire à la remise finale au consommateur, qui soit bien articulée et parfaitement coordonnée.

Les agences régionales de santé (ARS) sont chargées de l'instruction des demandes d'autorisation d'exploitation, à l'issue desquelles sont délivrés les arrêtés préfectoraux qui fixent les conditions de l'exploitation - ceux-ci doivent préciser les traitements autorisés, ainsi que les mentions d'étiquetage obligatoirement portées à la connaissance du consommateur. Elles s'occupent également du contrôle des eaux destinées à la consommation humaine, depuis l'exploitation de la source jusqu'à la mise en bouteille. Pour ce faire, elles regardent la conformité des installations par rapport à l'arrêté préfectoral, notamment la mise en oeuvre des mesures de sécurité sanitaire par l'exploitant.

À l'échelon local, les agents de la DGAL dans les directions départementales de la protection des populations (DDPP) et les directions départementales de l'emploi, du travail, des solidarités et de la protection des populations (DDETSPP) sont chargés de la sécurité sanitaire des eaux embouteillées. Les agents de la DGCCRF, dans ces mêmes directions, ont la responsabilité de la loyauté des eaux après embouteillage dès lors qu'elles sont distribuées sur le territoire national, que le site de production soit situé ou non en France. À ce titre, la DGCCRF doit s'assurer que l'étiquetage des eaux embouteillées respecte les différentes exigences réglementaires et que l'information donnée au consommateur n'est pas trompeuse. Pour cela, elle s'appuie sur le contenu des arrêtés préfectoraux d'autorisation d'exploitation.

En principe, ce ne sont pas les agents de la DGCCRF qui doivent veiller à l'adéquation des pratiques des opérateurs aux exigences des arrêtés d'autorisation d'exploitation. Cela incombe aux ARS. Dans quelques hypothèses, la DGCCRF peut être amenée à intervenir au stade de la production, notamment par le biais des pouvoirs particuliers d'intervention du SNE. Par exemple, une ARS pourrait solliciter la DGCCRF pour une opération de visite et saisie, sous contrôle du juge des libertés et de la détention (JLD). Un procureur pourrait, lui, solliciter le SNE de la DGCCRF, au titre de l'article 40 de la procédure pénale, pour mettre en oeuvre des enquêtes complexes.

Je vous donnerai quelques éléments de chronologie.

Au printemps 2024, un audit de la Commission européenne a formulé une recommandation aux différentes autorités compétentes afin de les inviter à une meilleure coordination. Un protocole de coopération est donc en cours d'établissement - j'espère qu'il pourra être signé dans les semaines à venir.

Par ailleurs, si nous avons souhaité que cette audition soit publique, les actions des services d'enquête de la DGCCRF sont couvertes par le secret de l'enquête pénale. Donc, nous ne pouvons pas révéler le contenu ou évoquer le détail du déroulement des actes d'enquête, ni confirmer ou commenter des informations qui auraient été révélées dans la presse. Seul le procureur peut autoriser la communication de certains documents. Cela dit, parfois, des éléments ont officiellement été rendus publics, par exemple dans le rapport de l'Inspection générale des affaires sociales (Igas) ou dans le cadre de la convention judiciaire d'intérêt public (CJIP), ou vous ont été transmis par écrit. Des précautions s'imposent en la matière.

Deux enquêtes ont été menées par notre Service national des enquêtes (SNE). La première a été diligentée au sein des établissements du groupe Alma, à la suite du signalement d'un salarié de l'entreprise, et a conduit à constater un certain nombre d'écarts à la réglementation. Ces éléments d'investigation ont été transmis au procureur, mais ils n'ont pas encore donné lieu à une décision de justice. Je ne pourrai donc pas vous donner plus de détails à ce sujet. La seconde enquête a été réalisée dans les établissements de la société Nestlé Waters Supply Est à la suite de la transmission du dossier par le procureur à l'ARS Grand Est. Il en est ressorti, tel que cela figure dans la CIJP, que des traitements étaient non-conformes : traitements ultraviolets, filtres au charbon actif, C02, microfiltres.

À la suite des contrôles, l'exploitant a cessé d'utiliser les trois premiers traitements en 2022 et le quatrième en 2024. Une régularisation a eu lieu, puisque des arrêtés préfectoraux d'autorisation des sources concernées ont été modifiés en juillet 2023. Quoi qu'il en soit, l'utilisation des traitements, dès lors qu'ils étaient non autorisés, était susceptible de revêtir la qualification de tromperie sanctionnée par le code de la consommation. Le procureur a opté pour une résolution commune, en prenant en compte des éléments qui avaient été relevés par l'Office français de la biodiversité (OFB) : le 2 septembre 2024 a été signée une convention judiciaire d'intérêt public en matière environnementale, par laquelle l'entreprise s'est engagée à payer une amende d'intérêt public de 2 millions d'euros et à indemniser les victimes identifiées, dont les associations de consommateurs. Je vous invite à contacter les procureurs pour obtenir plus de détails à ce sujet.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Nous cherchons à comprendre comment le système de contrôle public fonctionne et s'il a connu des défaillances puisque, comme vous le savez, les fraudes ont duré pendant de nombreuses années.

Le point de départ de toute cette affaire réside dans des contrôles réalisés au sein du groupe Alma. Quelles suites ont-elles été données aux enquêtes menées par la DGCCRF sur les sites de Saint-Yorre et Châteldon ?

Mme Sarah Lacoche. - Le dossier est entre les mains de la justice, à qui nous avons transmis le procès-verbal.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Vous n'échangez plus avec l'autorité judiciaire après cette transmission de procès-verbal ?

M. Romain Guegan-Bertin, directeur adjoint du service national des enquêtes. - Nous avons eu plusieurs échanges avec le procureur de Cusset, seul responsable de l'opportunité des poursuites. Pour l'instant, aucune suite judiciaire n'a été donnée, mais il peut se passer du temps entre la transmission au parquet et la judiciarisation.

M. Laurent Burgoa, président. - À quelle date précisément avez-vous transmis le procès-verbal ?

M. Romain Guegan-Bertin. - En juillet 2022.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Le parquet envisage-t-il également une CJIP dans cette affaire ?

M. Romain Guegan-Bertin. - Les infractions que la DGCCRF peut relever ne sont, par principe, pas éligibles à la CJIP. Elles peuvent toutefois l'être quand elles sont connexes à une infraction éligible, comme ce fut le cas dans le dossier Nestlé Waters.

Nous n'avons pas connaissance d'une possibilité de CJIP dans le cas de l'opérateur Alma.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Quels événements ont déclenché l'ouverture des enquêtes portant sur Nestlé Waters ? Comment en avez-vous eu connaissance ? Quelle est la teneur de la saisine du parquet d'Épinal par l'ARS Grand Est ?

Mme Sarah Lacoche. - La société Nestlé Waters a souhaité rencontrer le cabinet de la ministre de l'industrie de l'époque, Agnès Pannier-Runacher. Au cours de cette réunion, elle a indiqué avoir recours à des traitements non autorisés.

Une première enquête étant déjà en cours pour un autre groupe, la question du caractère général de ces pratiques s'est posée.

Une deuxième réunion a été organisée par le cabinet de la ministre de l'industrie avec celui du ministre de la santé, chef de file sur le volet sanitaire du dossier. La DGCCRF et la DGS étaient présentes.

À cette occasion, la décision est prise de lancer une mission de l'Igas pour répondre à plusieurs questions : s'agit-il de pratiques généralisées ? Quelles peuvent en être les causes ? Faut-il informer la Commission européenne ? La DGCCRF a été associée aux échanges qui ont eu lieu pour préparer la lettre de mission de l'Igas. Elle a proposé des amendements qui n'ont pas tous été retenus. Le SNE a été mobilisé lors du lancement de la mission pour partager les éléments qui avaient été relevés dans le cadre des enquêtes en cours. En revanche, la DGCCRF n'a pas participé à la conduite de la mission et n'a pas été associée à la rédaction du rapport. Nous en avons eu connaissance début 2024.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Vous évoquez des recommandations qui n'ont pas été suivies dans la formulation de la lettre de mission. Pouvez-vous nous préciser lesquelles ?

Mme Sarah Lacoche. - Ce sont plutôt des éléments de forme, sur lesquels il est assez classique d'échanger lors de la rédaction d'une lettre de mission. Dans les documents que nous vous avons transmis, vous pouvez voir les modifications que nous avions proposées et la version finale.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - La DGCCRF était-elle représentée lors de cette réunion de cabinet du 31 août 2021 ?

Mme Sarah Lacoche. - Oui.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Pouvez-vous nous communiquer le nom de la personne présente ?

Mme Sarah Lacoche. - Je n'étais pas encore en fonction. Nous allons rechercher et nous vous transmettrons l'information.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Confirmez-vous que vous avez prêté main-forte à l'ARS lors de certains contrôles chez Nestlé ?

Mme Sarah Lacoche. - Le SNE a été mobilisé dans le cadre de l'article 40 du code de procédure pénale. Dans ce cas, il est entièrement placé sous l'autorité du juge, qui peut lui demander d'aller assez loin dans les actes d'investigation : perquisitions, saisie de documents... C'est un cadre différent de celui qui s'applique à notre surveillance habituelle de la loyauté du marché.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Comment se sont déroulées ces investigations ? La société Nestlé a-t-elle été coopérative ?

M. Romain Guegan-Bertin. - Les infractions constatées par l'ARS ont fait l'objet de suites administratives. Quant au volet pénal, il a été transmis au procureur sur le fondement de l'article 40. C'est dans ce cadre que nous avons été saisis pour réaliser une enquête.

Les contrôles se sont bien passés, le groupe Nestlé a été coopératif, car il avait lui-même fait état d'infractions à la réglementation. Les contrôles ont permis de caractériser des pratiques non conformes à la réglementation. La CJIP rédigée par le procureur d'Épinal en fait état.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Au terme de votre enquête, vous avez chiffré le montant de la fraude à 3 milliards d'euros. Comment avez-vous établi cette estimation ?

M. Romain Guegan-Bertin. - Elle a été rendue publique par la presse, mais elle ne fait pas partie de la CJIP. Elle est donc couverte par le secret de l'enquête.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - En l'absence de dispositif transactionnel, quels étaient les risques pénaux encourus par Nestlé ? Pour quels montants en jeu ?

M. Romain Guegan-Bertin. - Le parquet aurait pu décider d'un audiencement classique ou d'une comparution sur reconnaissance préalable de culpabilité (CRPC). Le code de la consommation prévoit une peine maximale de 1,5 million d'euros ou jusqu'à 10 % du chiffre d'affaires de la société. Dans ses procès-verbaux, la DGCCRF essaye toujours de quantifier la fraude.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - En l'occurrence, au regard du montant de la fraude estimé par la DGCCRF, quel regard portez-vous sur la CJIP ?

M. Romain Guegan-Bertin. - C'est une décision du parquet pour apporter une réponse rapide à ce dossier.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Vous n'avez pas d'avis sur cette décision ?

M. Romain Guegan-Bertin. - Nous avons eu des échanges avec le parquet, comme nous le faisons sur tous les dossiers, mais la décision lui appartient. Notre rôle n'est pas de commenter les décisions de justice.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Lorsque la DGCCRF assiste, en août 2021, à la réunion avec le cabinet de la ministre, il est aussi fait état de fraudes en Occitanie. Or, à notre connaissance, un seul signalement a été effectué sur le fondement de l'article 40, pour le Grand Est. La DGCCRF s'est-elle posé la question d'un signalement pour l'Occitanie ?

Mme Sarah Lacoche. - La première décision a été de solliciter une mission de l'Igas, c'est l'Igas qui a décidé de faire un signalement au titre de l'article 40. La DGCCRF, en tant qu'institution, en a été informée, mais c'est le parquet qui en a été destinataire, et qui a saisi à son tour le service national des enquêtes.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Vous avez eu des échanges avec le cabinet de la ministre, notamment une fiche établie par vos services le 14 septembre 2021. Cette fiche évoque l'idée d'une évolution de la réglementation européenne. D'où vient cette proposition ?

Mme Sarah Lacoche. - Il s'agit d'une fiche d'information destinée à la ministre, et non d'une note de propositions. Elle alerte notamment sur l'hypothèse d'une pratique plus large et pose effectivement la question de la réglementation européenne comme un élément de contexte. Cette réglementation laisse aux États des marges de manoeuvre qui peuvent entraîner certaines différences d'appréciation, notamment sur le sujet de la filtration.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Avez-vous effectué une analyse de droit comparé avant de formuler cette proposition ?

M. Thomas Pillot, chef du service de la protection des consommateurs et régulation des marchés. - Dans ce passage du courrier, nous nous posons la question des conséquences de ces pratiques sur le fonctionnement du marché, c'est-à-dire sur les autres entreprises, et non sur les consommateurs.

Si ces pratiques de traitements interdits s'avéraient isolées, elles porteraient préjudice aux concurrents qui font l'effort de respecter la réglementation. Ce ne serait pas le cas si ces pratiques étaient généralisées.

Les deux branches de l'alternative sont décrites dans le courrier. Si aucun exploitant ne parvient à respecter la réglementation, on peut effectivement s'interroger sur l'opportunité d'une évolution de la réglementation.

Nous nous interrogeons ensuite sur le dommage pour le consommateur. En l'occurrence, les pratiques de Nestlé posent un problème de loyauté de l'information délivrée au consommateur.

Cette note ne vise qu'à informer la ministre, notamment sur la compétence du ministère de la santé comme chef de file sur la question du traitement des eaux et de la sécurité sanitaire, et sur celles des ARS pour contrôler le processus de production au regard de l'arrêté préfectoral. Elle ne se prononce pas à ce stade sur les suites à envisager.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Vous émettez l'hypothèse que personne ne respecte la réglementation. Mais, à ce stade, avez-vous d'autres éléments que votre enquête chez Alma et votre entretien avec Nestlé ?

M. Thomas Pillot. - C'est un raisonnement hypothétique. On ne sait pas quelle est la situation sur le reste du marché.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Vous avez évoqué aussi ce protocole sur lequel vous travaillez pour assurer une meilleure coordination entre les différentes autorités de contrôle. J'imagine que la réflexion sur un nouveau protocole répond à un constat de carence, à des dysfonctionnements identifiés, notamment dans ce dossier.

Mme Sarah Lacoche. - Ce protocole fait suite à l'avis de la Commission européenne qui recommande de voir comment on peut améliorer la coordination entre les différentes autorités compétentes. Il n'existait pas de protocole pour formaliser la coordination. On essaye de le faire aujourd'hui de façon assez systématique, car il est très fréquent que les champs de compétences se chevauchent. Cela permet de formaliser une coopération qui existait déjà en pratique. Le cadre écrit permet de réduire le risque d'actions divergentes et de sécuriser le dispositif.

Par ailleurs, lorsque nous procédons à des constats qui pourraient avoir une incidence sur la qualification des eaux et sur la bonne information du consommateur, il est important pour ce dernier que nous puissions envisager rapidement les suites à donner, sous forme d'injonctions, voire de publicité. C'est une stratégie de suites que nous sommes en train de développer sur tous les sujets de loyauté alimentaire.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Vous exposez une réponse de principe, mais les conclusions de l'enquête de la Commission européenne sont très sévères pour le système de contrôle français. Quel est votre retour d'expérience sur l'affaire Nestlé ? Avez-vous vraiment le sentiment qu'entre vous, les ARS et l'Igas, tout a parfaitement fonctionné ?

Mme Sarah Lacoche. - Je vous dis simplement qu'il est important de formaliser dans un protocole écrit les relations entre les autorités de contrôle, même s'il existe déjà une bonne coopération entre eux. C'est un élément fondamental en termes de maîtrise des risques, au regard de la multitude des acteurs.

Dans l'affaire des eaux en bouteille, l'enchaînement des décisions s'explique aussi par un doute sur l'étendue potentielle des pratiques. Pour un dossier strictement individuel, le processus aurait sans doute été différent, et la saisine de l'Igas n'aurait peut-être pas été envisagée.

Nous avons répondu précisément à l'audit de la Commission et, à ma connaissance, elle n'a pas remis en cause la nécessité de clarifier le rôle des uns et des autres.

Mme Antoinette Guhl. - J'entends que vous ne pouvez pas dire grand-chose sur ce qui s'est passé dans les Vosges, madame la directrice générale, en raison de la procédure judiciaire en cours. Je me contenterai donc de vous poser des questions sur les pratiques en Occitanie, sur lesquelles vous êtes non seulement libre de parole, mais aussi tenue de nous communiquer les informations que nous demandons.

Compte tenu de la fraude aujourd'hui avérée dans les usines Perrier du groupe Nestlé, avez-vous transmis un procès-verbal au procureur du Gard ?

Mme Sarah Lacoche. - Sur ce cas précis, nous attendons le résultat du contrôle de l'ARS qui inspecte le site de production.

Mme Antoinette Guhl. - Votre réponse me surprend. Voilà dix ans que l'ARS contrôle Perrier et d'autres marques. J'ai eu connaissance de résultats de contrôles par l'Agence, dont le journal Le Monde s'est aussi fait l'écho. On sait que la fraude dure depuis très longtemps. Pourquoi n'intervenez-vous pas ?

Mme Sarah Lacoche. - Je le redis : nous attendons les conclusions de l'ARS.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Pourtant la DGCCRF est compétente en matière de tromperie...

Mme Sarah Lacoche. - L'ARS enquête sur le point de savoir si les traitements pratiqués correspondent aux arrêtés préfectoraux. Si les conclusions de l'ARS ont une incidence en matière de loyauté, nous prendrons le relais.

Mme Antoinette Guhl. - Vous prétendez donc qu'à ce jour, l'ARS n'a pas encore conclu à l'utilisation de traitements interdits.

M. Thomas Pillot. - Nous posons régulièrement des questions à la DGS et à l'ARS sur les articles de presse que nous pouvons lire. Pour l'instant, je ne dispose pas de conclusions qui me permettraient de fonder une action en recherche de pratiques trompeuses pour le consommateur.

Vous pointez le recours à des traitements qui ne correspondraient pas à ceux que prévoit l'arrêté préfectoral fondant la qualification d'eau minérale naturelle. Les enquêtes pour rechercher l'existence de tels traitements relèvent de la compétence de l'ARS et de la DGS. Nous ne sommes pas compétents, sauf saisine du SNE par le procureur ou demande formelle des ARS, car nous disposons de certains pouvoirs d'enquête, sous le contrôle du JLD, qu'elles n'ont pas.

Je peux juste constater que les étiquettes des bouteilles d'eau sont conformes à l'arrêté préfectoral, mais je n'ai pas d'éléments de conclusion sur le process de production.

Le courrier de mission de l'Igas prévoit que la DGCCRF devra être associée si des pratiques trompeuses en matière d'étiquetage ou d'information des consommateurs sont identifiées. Il rappelle aussi que les inspecteurs des ARS et de l'Igas ont toute latitude pour rechercher et constater des infractions dans le cadre de leur mission.

M. Laurent Burgoa, président. - Je ne comprends pas. C'est la presse qui vous informe des enquêtes de l'ARS ? Celle-ci ne vous transmet pas ses rapports ?

M. Thomas Pillot. - S'agissant des affaires individuelles, nous sommes tenus au secret pénal, qu'il y ait eu ou non un jugement. Je ne peux pas m'exprimer sur une enquête en cours.

M. Laurent Burgoa, président. - Il n'y a pas de procédure pénale pour l'instant en Occitanie. Nous avons le rapport de l'ARS... Les différentes administrations travaillent-elles donc à ce point en silo ?

M. Thomas Pillot. - Nous n'avons pas de difficulté à nous échanger des rapports d'enquête. Ils doivent nous être transmis quand ils caractérisent des infractions.

M. Laurent Burgoa, président. - Votre direction dispose-t-elle du dernier rapport de l'ARS datant de juin 2024 ?

M. Thomas Pillot. - Cette question s'inscrit dans la recherche potentielle d'infractions de nature pénale.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Il n'y a pas d'enquête pénale aujourd'hui en Occitanie.

M. Laurent Burgoa, président. - Disposez-vous de ce rapport ? Je vous demande de répondre par oui ou par non.

Mme Sarah Lacoche. - Nous disposons d'un prérapport, mais il ne s'agit pas d'un rapport final.

Mme Odile Cluzel, sous-directrice des produits et marchés agroalimentaires. - Nous avons effectivement le prérapport de l'ARS. Le principe du contradictoire implique une procédure assez longue avec les opérateurs contrôlés. Les articles de presse que vous mentionnez ne constituent pas, formellement, des constats définitifs.

M. Laurent Burgoa, président. - Nous avons depuis la semaine dernière le rapport définitif de l'ARS. Nous allons l'interroger, mais je suis un peu surpris de vos réponses. Vous ne disposez vraiment pas de ce document ?

Mme Odile Cluzel. - Nous disposons du rapport provisoire, pas du rapport définitif.

Mme Antoinette Guhl. - Sur décision préfectorale, 2,9 millions de bouteilles d'eau Perrier ont été détruites au mois d'avril dernier. Vos équipes participent aussi aux contrôles sur place, aux côtés de l'ARS. J'ai interrogé certains de vos inspecteurs, qui m'ont raconté le déroulement des contrôles et m'ont confié qu'ils avaient attendu une heure et demie avant que Nestlé ne leur ouvre la porte...

N'y a-t-il pas un caractère d'urgence dans cette affaire ? Ne pouvez-vous pas agir sur la tromperie sans attendre les conclusions définitives de l'ARS ? Vous êtes garants de la lutte contre la fraude, et si l'État décide de détruire 3 millions de bouteilles, c'est bien qu'il a acquis la certitude d'une pollution !

Mme Sarah Lacoche. - Les enjeux de sécurité sanitaire sont de la responsabilité des ARS et de la DGS. Il peut aussi y avoir un problème de sécurité sanitaire sans tromperie du consommateur.

Mme Antoinette Guhl. - Le groupe Nestlé a lui-même admis qu'il trompait le consommateur en filtrant l'eau !

Mme Sarah Lacoche. - Les arrêtés préfectoraux ont fait l'objet d'ajustements.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Lors de la réunion d'août 2021, vous êtes informés de tromperies commises par l'entreprise Nestlé en Occitanie. Pourquoi ne donnez-vous pas suite ?

Mme Sarah Lacoche. - Du fait du lancement de la mission de l'Igas.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Cette mission avait pour but d'expertiser l'ensemble du secteur, pas de donner suite à la tromperie qui vous avait été révélée.

Mme Sarah Lacoche. - Elle pouvait aussi déboucher sur un volet répressif.

M. Laurent Burgoa, président. - Dans mes souvenirs de droit pénal, dès lors que vous avez connaissance d'une infraction, quelle qu'elle soit, vous devez saisir le procureur au titre de l'article 40. Pourquoi votre service ne l'a-t-il pas fait ? L'Igas a bien saisi l'ARS sur le volet santé...

Mme Sarah Lacoche. - Nous transmettons au titre de l'article 40 des infractions lorsqu'elles ne relèvent pas de notre champ de compétences.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Il me semble que l'article 40 est de portée générale.

Mme Sarah Lacoche. - La mission de l'Igas vise à faire l'état des lieux des pratiques, mais aussi à mener des investigations assez poussées, avec toute latitude pour rechercher et constater des infractions.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - En quoi l'application de l'article 40 est-elle incompatible avec la mission de l'Igas ?

M. Romain Guegan-Bertin. - Les pouvoirs d'enquête des agents de la DGCCRF et des agents des ARS permettent de relever directement des infractions pénales dans leurs champs de compétence et de dresser des procès-verbaux directement transmis au procureur de la République.

Les agents de la DGCCRF ne font pas de signalement au titre de l'article 40 dans ce cas, puisqu'ils rédigent eux-mêmes les procès-verbaux caractérisant les éléments matériel et intentionnel de l'infraction. Le procureur n'a plus qu'à poursuivre sur la base de ces éléments.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Dans ce cas, pourquoi ne pas avoir dressé de procès-verbal quand Nestlé vous a fait part de ses pratiques frauduleuses ?

M. Romain Guegan-Bertin. - C'est ce que vous a rappelé la directrice générale : le but de l'audit de l'Igas était de dresser un état des lieux, ce qui ne signifiait pas que nous n'allions pas poursuivre les infractions qui auraient pu être caractérisées.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Ces dernières font-elles l'objet de poursuites aujourd'hui ?

M. Romain Guegan-Bertin. - Vous savez que deux dossiers donnent lieu à des poursuites.

M. Alexandre Ouizille. - Est-ce le cas pour l'Occitanie ?

M. Romain Guegan-Bertin. - Ce n'est peut-être pas le cas pour cette région, mais cela ne signifie pas qu'il n'y aura pas de poursuites à l'avenir.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - L'article 40 s'applique à tout agent public et votre service est habilité à dresser des procès-verbaux. Malgré les informations que vous avez reçues au sujet d'infractions commises sur une partie du territoire dans laquelle aucune poursuite judiciaire n'a été déclenchée, vous avez décidé de ne pas poursuivre.

M. Romain Guegan-Bertin. - Nous menons d'abord une enquête qui peut être longue, à l'issue de laquelle nous dressons un procès-verbal. Il n'y a, dans ce cas, pas lieu de recourir à l'article 40 puisque nous disposons de pouvoirs propres nous permettant de relever les infractions. L'enquête est en cours.

M. Laurent Burgoa, président. - Avez-vous transmis un procès-verbal concernant l'Occitanie à la procureure de la République de Nîmes ?

M. Romain Guegan-Bertin. - Pas à ce stade.

Mme Sarah Lacoche. - Nous attendons le rapport définitif de l'ARS.

M. Laurent Burgoa, président. - Vous pouvez le lui demander, car nous l'avons.

Mme Sarah Lacoche. - Une voie possible aurait pu consister à organiser une mission sur site de la DGCCRF, mais la saisine de l'Igas incluait un volet de constat d'infractions, et donc potentiellement des poursuites. Ladite mission ne se bornant pas à dresser un état des lieux, la DGCCRF n'avait pas vocation à lancer des investigations en parallèle.

Mme Antoinette Guhl. - Je voudrais revenir sur vos propos sur la mise à jour des arrêtés, qui sont faux. J'ignore si vous avez lu le rapport de la mission d'information que j'ai conduite - Politiques publiques en matière de contrôle des traitements des eaux minérales naturelles et de source -, mais ces arrêtés n'ont pas été actualisés.

M. Laurent Burgoa, président. - Merci d'employer un ton plus mesuré, chère collègue.

Mme Antoinette Guhl. - Je tenais simplement à rappeler que ce rapport mentionnait le fait que la microfiltration à 0,2 micron, pratiquée dans le Gard, n'avait pas été autorisée par un arrêté préfectoral. Si vous le souhaitez, vous pouvez donc dès aujourd'hui faire votre travail de lutte contre la fraude et de mise en cohérence entre les pratiques et les arrêtés préfectoraux.

Mme Sarah Lacoche. - Vous parlez du nouveau dossier, dans lequel nous attendons, encore une fois, des éléments de la part de l'ARS.

M. Laurent Burgoa, président. - Si je peux me permettre de faire un peu d'humour, nous allons vous transmettre le rapport de l'ARS, madame la directrice générale. Compte tenu de votre niveau de responsabilité, il est tout de même surprenant que vous n'en disposiez pas. Je vous conseille donc, dès la fin de cette réunion, de contacter Didier Jaffre, directeur général de l'ARS Occitanie, qui vous le transmettra. Je suis prêt à vous fournir son numéro de téléphone portable... Je le répète, la situation est très surprenante !

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - J'en reviens aux modalités de contrôle. Des fraudes ont eu lieu pendant de nombreuses années et je souhaiterais savoir ce qui a changé dans votre vision : avez-vous systématisé les contrôles à l'aune de la fraude ? Avez-vous adopté une nouvelle doctrine ?

Nous comprenons que les contrôles sur pièces se sont avérés plus efficaces que les contrôles sur place, des factures ayant permis d'identifier l'installation d'un certain nombre de dispositifs. Enfin, quelle est désormais la part de l'autocontrôle ?

Mme Sarah Lacoche. - La DGCCRF peut être amenée à approfondir ses investigations dès lors qu'il est question de loyauté alimentaire. Dans le domaine des eaux conditionnées, le contrôle de la production relève de la compétence des ARS.

De manière générale, si le SNE a été saisi, nous « tirons le fil » et nos actions peuvent recouvrir le contrôle sur place, la saisie de documents ou encore la vérification de la comptabilité. Encore une fois, le domaine des eaux conditionnées est assez particulier, le premier champ de contrôle relevant de l'ARS.

M. Olivier Jacquin. - Quelles évolutions de la réglementation seraient selon vous nécessaires afin d'améliorer la protection du consommateur, compte tenu de la situation paradoxale dont vous faites état ? En effet, vous ne pouvez pas mener de contrôle de loyauté sans intervention de l'ARS.

Mme Sarah Lacoche. - Il est surtout question d'articulation des compétences, la réglementation imposant déjà la mention de nombreuses informations sur les étiquettes. L'enjeu est selon moi davantage opérationnel, d'où l'importance du protocole de coopération qui permettra de bien matérialiser le rôle des uns et des autres et d'améliorer la programmation des contrôles.

M. Laurent Burgoa, président. - Je vous remercie pour ces échanges assez intenses.

Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.

La réunion est close à 11 h 50.

La réunion est ouverte à 14 h 00.

Audition de M. Charles de Batz de Trenquelléon et Mme Frédérique Simon-Delavelle, auteurs du rapport intitulé Les eaux minérales naturelles et eaux de source : autorisation, traitement et contrôle de l'Inspection générale des affaires sociales (Igas)

M. Laurent Burgoa, président. - Mes chers collègues, nous poursuivons notre série d'auditions avec M. Charles de Batz de Trenquelléon et Mme Frédérique Simon-Delavelle, auteurs du rapport de l'Inspection générale des affaires sociales (Igas) de juillet 2022 intitulé Les eaux minérales naturelles et eaux de source : autorisation, traitement et contrôle.

Je rappelle qu'un faux témoignage devant notre commission d'enquête serait passible des peines prévues aux articles 434-13, 434-14 et 434-15 du code pénal. Je vous invite à prêter serment de dire toute la vérité, rien que la vérité, en levant la main droite et en disant : « Je le jure. »

Conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, M. Charles de Batz de Trenquelléon et Mme Frédérique Simon-Delavelle prêtent serment.

M. Laurent Burgoa, président. - Je dois par ailleurs vous demander si vous avez d'éventuels liens d'intérêts par rapport à l'objet de notre commission d'enquête.

Mme Frédérique Simon-Delavelle, co-auteure du rapport intitulé Les eaux minérales naturelles et eaux de source : autorisation, traitement et contrôle de l'Igas. - Je n'en ai aucun.

M. Charles de Batz de Trenquelléon, co-auteur du rapport intitulé Les eaux minérales naturelles et eaux de source : autorisation, traitement et contrôle de l'Igas. - Je n'ai aucun lien d'intérêts avec l'affaire qui nous concerne.

M. Laurent Burgoa, président. - Le rapport d'inspection que vous avez rendu en juillet 2022 est absolument essentiel pour notre commission d'enquête puisqu'il a été diligenté par les ministres de l'industrie, de l'économie et de la santé à la suite de l'autosignalement de Nestlé Waters concernant le recours à des traitements interdits.

Pourriez-vous revenir sur les conclusions de ce rapport, qui évoquent 30 % de non-conformités entre les pratiques des industriels et les arrêtés d'autorisation d'exploitation ? Quelles sont les causes de ce taux particulièrement élevé ?

Quelles ont été les suites données aux contrôles des agences régionales de santé (ARS) dans le cadre de votre mission d'inspection ? Avez-vous constaté des traitements interdits, relevant de pratiques trompeuses ?

À la suite de votre mission, toutes les non-conformités ont-elles été corrigées ? En outre, votre rapport formule un certain nombre de recommandations : ont-elles été mises en oeuvre ?

Voilà quelques questions sur lesquelles notre rapporteur vous interrogera.

Mme Frédérique Simon-Delavelle. - Ces travaux sont déjà un peu anciens puisqu'ils ont été engagés en 2021 et réalisés en 2022.

Je commencerai par rappeler le cadre de notre mission : nous avons travaillé sur les eaux minérales naturelles et les eaux de source, que nous appellerons de manière générique « eaux conditionnées ». Il s'agit d'eaux naturellement pures, d'origine souterraine, auxquelles il est possible d'appliquer un niveau de traitement peu élevé.

À la fois français et mondial, le marché des eaux conditionnées est lucratif, tandis que les grandes usines d'embouteillage peuvent être des employeurs locaux importants, en précisant que les installations sont souvent situées dans des zones montagneuses et rurales.

Comme vous l'avez rappelé, l'Igas a été saisie par les trois ministres de l'industrie, de l'économie et de la santé à la fin de l'année 2021, d'une part sur des faits qui ont été établis par le service national des enquêtes (SNE) de la direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF), et, d'autre part, sur des faits qui ont été révélés par l'industriel lui-même au cabinet de la ministre de l'industrie.

Il nous est alors demandé de réaliser un travail plus exhaustif et plus large afin d'examiner l'intégralité de la filière des minéraliers en France. Une fois nos investigations achevées, nous rédigeons un rapport qui est adressé par notre chef de service aux trois commanditaires. Cette transmission s'effectue par un e-mail accompagné d'une note d'explication et de la mention « sauf avis contraire, nous transmettons aux directions d'administration centrale ». Quelques jours après, nous avons transmis le rapport aux services relevant de notre périmètre ministériel, à savoir la direction générale de la santé (DGS) et le secrétariat général des ministères chargés des affaires sociales (SGMAS), compétents pour le pilotage du réseau des ARS.

Le rapport est donc transmis en juillet 2022 aux cabinets de l'industrie et de l'économie. En revanche, l'Igas n'a pas vocation à transmettre ce document directement aux administrations centrales de ces ministères, se limitant aux services de son ministère de rattachement. Il appartient ensuite aux commanditaires de décider des suites à donner au rapport, qu'il s'agisse de sa publication ou de la mise en oeuvre des recommandations qu'il contient. De ce fait, nous serons donc sans doute moins affûtés sur ces suites, si vous nous questionnez à ce sujet.

J'en termine avec ce point sur le positionnement de l'Igas en soulignant qu'il s'agissait d'une mission assez atypique. En effet, le contrôle des installations de production d'eaux conditionnées est exercé en premier niveau par les ARS et les directions départementales de l'emploi, du travail, des solidarités et de la protection des populations (DDETSPP), et il a été demandé à l'Igas, service dont le positionnement est plutôt national, d'intervenir dans ce champ des inspections locales, ce qui est assez rare.

En termes de méthodologie, la première étape a comme toujours consisté en une appropriation du sujet, en prenant connaissance de la réglementation applicable et des aspects techniques liés aux traitements des eaux. Nous nous sommes appuyés sur des lectures et de nombreux entretiens avec des spécialistes, afin d'être au plus près de la réalité scientifique, tout en procédant à l'analyse des données du contrôle sanitaire.

Nous avons ensuite utilisé trois sources de données pour conclure à l'existence de 30 % de non-conformités : tout d'abord, nous avons récupéré l'ensemble des arrêtés préfectoraux et ministériels, soit un total d'environ 270 textes ; nous avons ensuite réalisé, avec l'aide d'un groupe d'ARS et de spécialistes du traitement des eaux, un questionnaire assez imposant comportant une centaine de questions ; enfin, nous avons analysé une trentaine de rapports d'inspections réalisées par les ARS, sous la forme de rapports provisoires.

J'ajoute que nous nous sommes déplacés sur le terrain afin de garder le contact avec la réalité des installations. Nous avons effectué un déplacement en commun à Laqueuille dans le Puy-de-Dôme et je me suis rendue seule à Évian.

M. Charles de Batz de Trenquelléon. - Pour ma part, je me suis rendu seul à Voeuil-et-Giget, en Charente.

Mme Frédérique Simon-Delavelle. - Nos travaux ont permis de confirmer que le taux de conformité des eaux était très élevé : ledit taux est rendu public chaque année par la DGS et oscille entre 95 % et 100 %. En revanche, 30 % de non-conformités ont été relevées dans les installations, avec le recours à des traitements interdits - UV et charbon - et à la microfiltration, à un seuil inférieur à 0,8 micron.

Nous avons également constaté que la réglementation applicable aux eaux manquait de clarté, chacun des types d'eau étant encadré par une directive européenne ensuite transposée en droit français. Cette complexité a créé des possibilités de contournement et des difficultés pour les services de contrôle.

Rappelons qu'il existe deux types de filtration : d'une part, la filtration explicitement autorisée dans l'arrêté du 14 mars 2007 et qui vise à retenir les particules en suspension ; d'autre part, la microfiltration, qui n'apparaît pas dans les textes réglementaires, mais dans un avis scientifique de l'Agence française de sécurité sanitaire des aliments (Afssa) devenue l'Agence nationale de la sécurité sanitaire de l'alimentation, de l'environnement et du travail (Anses). Donnant lieu à une tolérance et censée au départ être exceptionnelle, la microfiltration est désormais présente sur 80 % des installations.

Par ailleurs, nous avons dressé le constat d'un manque d'information des consommateurs, en établissant une comparaison avec les eaux du robinet. Pour ces dernières, les résultats sont disponibles en ligne et les consommateurs reçoivent des informations avec leur facture ; tel n'est pas le cas pour les eaux minérales et les eaux de source, le bilan de la DGS que j'évoquais étant assez général. Qu'il s'agisse de la qualité des eaux ou des traitements appliqués, l'information dispensée nous a en effet paru faible au regard de la communication entourant ces produits.

J'en viens à des éléments plus transverses, en soulignant au préalable que nous évoquons des installations industrielles parfois extrêmement complexes, pouvant compter jusqu'à 50 kilomètres de réseau afin de collecter toutes les sources.

Les services santé-environnement des ARS, compétents dans ce domaine des eaux conditionnées, ont perdu des moyens alors qu'ils sont également chargés de l'eau du robinet, de l'habitat ou encore des nuisances sonores : dans ce contexte de ressources contraintes, ces structures priorisent leurs actions et, compte tenu des résultats satisfaisants du contrôle sanitaire, il est possible que les eaux conditionnées aient été reléguées au second plan.

Enfin, nous tenons à bien distinguer le risque sanitaire de la maîtrise du risque sanitaire. Le risque zéro n'existant pas non plus dans ce secteur, il incombe aux pouvoirs publics de mettre en oeuvre des mesures de gestion permettant de réduire le risque sanitaire. Dans le cas d'espèce, cette maîtrise du risque repose sur deux piliers, à savoir des eaux minérales et de source de bonne qualité d'une part et un faible niveau de traitements d'autre part.

Cette méthode de gestion du risque a été déterminée au niveau européen. Dès lors que l'un de ces piliers est déséquilibré, avec une diminution de la qualité des eaux ou le recours à d'autres traitements, la maîtrise du risque n'est plus certaine.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Nous vous remercions à double titre, non seulement parce que votre rapport est très riche, mais aussi parce que sa non-publication, dont nous ne comprenions pas les raisons, nous a aiguillés vers la constitution de cette commission d'enquête.

Pourriez-vous revenir en détail sur les destinataires de ce document ? La question de la coordination des autorités de contrôle est en effet au coeur de nos discussions : nous avons eu ce matin un échange avec le SNE, qui a indiqué ne pas avoir été associé « de manière contradictoire » lors de la diffusion du rapport.

Mme Frédérique Simon-Delavelle. - Une fois notre rapport finalisé, nous l'avons transmis aux commanditaires, en l'occurrence M. Le Maire, M. Véran et Mme Pannier-Runacher. Nous avons alors informé les ministres que le rapport allait être transmis, sauf avis contraire, aux directions d'administration centrale compétentes.

Dans le cas présent, l'Igas a informé les cabinets des trois ministres que le rapport allait être envoyé à la DGS et au SGMAS ; en revanche, l'Igas n'avait pas vocation à transmettre directement ce document à la DGCCRF. Nous avons pensé, assez naïvement, que les ministères de l'économie et de l'industrie s'en chargeraient, mais nous avons découvert que la DGCCRF ne l'avait pas reçu.

M. Laurent Burgoa, président. - Les cabinets des ministres vous ont-ils autorisé à transmettre le rapport ?

Mme Frédérique Simon-Delavelle. - Nous attendons en général trois jours avant de transmettre le document aux administrations centrales. En l'espèce, il n'y a pas eu d'avis contraire.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - La DGCCRF ne faisait donc pas partie de la chaîne de transmission.

Mme Frédérique Simon-Delavelle. - Tout à fait, pour des raisons tenant aux découpages ministériels. Il en va de même pour les ARS.

Le processus ne s'est pas arrêté là puisque nous avons pour habitude de proposer des réunions de restitution aux directions d'administration centrale concernées : une réunion de ce type s'est tenue avec la DGS et la DGCCRF quelques jours après l'envoi aux cabinets des ministres, ce qui nous a permis de présenter nos conclusions. Une autre réunion de restitution associant les conseillers techniques des cabinets des ministères de l'industrie et de la santé a eu lieu après l'été 2022.

M. Laurent Burgoa, président. - Pourrez-vous nous communiquer les noms des personnes présentes, en particulier ceux des membres de la DGCCRF ?

Mme Frédérique Simon-Delavelle. - Nous vous transmettrons ces informations par écrit.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - De manière paradoxale, votre rapport invite à une meilleure information du public sur la qualité des eaux, tout en portant la mention « confidentiel ».

Mme Frédérique Simon-Delavelle. - L'Igas a précisé ce caractère confidentiel pour deux raisons : premièrement, le rapport comprenait des éléments couverts par le secret de l'instruction pénale initiée par le SNE ; deuxièmement, il comportait des informations couvertes par le secret des affaires. En tout état de cause, nous ne souhaitions pas que le rapport soit transmis dans les services sans prendre les précautions requises. Pour autant, ce caractère confidentiel n'est pas synonyme d'une impossibilité de publier le rapport, puisqu'il est toujours possible d'en noircir certaines parties.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Qui a décidé de ne pas publier le rapport ?

Mme Frédérique Simon-Delavelle. - Le principe général est que les commanditaires décident d'une éventuelle publication, l'Igas n'ayant pas l'initiative en la matière.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - C'est donc le cabinet du ou des ministres qui vous donnent le feu vert.

Mme Frédérique Simon-Delavelle. - Les échanges se font avec le secrétariat de direction ou avec le service chargé des rapports.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - La non-publication de vos travaux est-elle habituelle ?

Mme Frédérique Simon-Delavelle. - C'est très variable en fonction des sujets, le calendrier pouvant lui aussi fluctuer.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Au point nº 23 du rapport, vous indiquez : « La mission a été interrogée par ses commanditaires sur le risque sanitaire associé à la consommation des eaux conditionnées qui subiraient des traitements non conformes ou à l'arrêt desdits traitements. L'Igas n'a pas vocation à procéder à une évaluation des risques, compétence dévolue aux agences de sécurité sanitaire. Elle peut néanmoins apporter un éclairage [...]. »

Avez-vous eu des discussions avec vos commanditaires sur ce point précis ? Vous n'étiez pas en mesure d'assumer complètement cette mission.

M. Charles de Batz de Trenquelléon. - Lorsque des missions sont envisagées, les commanditaires s'assurent en général de leur faisabilité et des échanges ont lieu. Dans le cas de cette mission, le déroulé a été différent puisque l'Igas a été destinataire de la lettre signée par les trois ministres. Nous avons ensuite évalué ce qui était demandé afin de déterminer ce que nous allions pouvoir faire dans le délai imparti, qui était très court, d'où notre souhait de nous concentrer sur les points sur lesquels nous étions susceptibles d'apporter une plus-value, c'est-à-dire une vision nationale appuyée sur les retours des ARS.

Mme Frédérique Simon-Delavelle. - À la suite de crises successives, le ministère de la santé a décidé de bien séparer l'évaluation des risques de leur gestion, raisonnement qui a prévalu lors de la création des agences de sécurité sanitaire. C'est à ce titre que l'Igas indique qu'elle n'est pas compétente pour procéder à une évaluation des risques à proprement parler, tâche qui relevait de l'Afssa, puis de l'Anses.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Le rapport évoque cependant le risque virologique. Comment l'avez-vous appréhendé et caractérisé ?

Mme Frédérique Simon-Delavelle. - À l'époque où nous avons mené nos travaux, seul un avis de l'Afssa était disponible. Ce dernier n'avait pas un caractère général, mais était fondé sur un dispositif précis, et concluait que le seuil adéquat à retenir pour la filtration était celui qui ne modifiait pas la composition de l'eau. Au vu de la littérature scientifique disponible, l'Afssa avait déterminé que le seuil de filtration qui pouvait être toléré était de 0,8 micron.

Pour rappel, la microfiltration est effectuée au moyen de membranes percées de trous plus ou moins grands et dont la taille définit le seuil de coupure. Les virus étant de très petite taille, nous avons concentré notre attention sur ces microorganismes. Précisons qu'un seuil de coupure de 0,2 micron n'arrête pas tout.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Comment avez-vous accueilli la décision du gouvernement d'autoriser le plan de transformation de Nestlé, qui ne permettait pas d'écarter ce risque ? Avez-vous fait un suivi de cet aspect ?

Mme Frédérique Simon-Delavelle. - Nous n'avons pas effectué de suivi à proprement parler. Après la mission, M. de Batz de Trenquelléon est parti à la retraite, tandis que je me suis consacrée à d'autres missions. L'Igas fonctionne ainsi : notre travail stricto sensu s'arrête après la remise du rapport, même si nous avons pris connaissance des informations rendues publiques dans ce dossier. Les conclusions du rapport ne changent pas dans la mesure où l'expertise rendue par l'Afssa n'a pas été modifiée.

M. Laurent Burgoa, président. - Un service de l'Igas est-il chargé du suivi des rapports ?

Mme Frédérique Simon-Delavelle. - Deux cas de figure sont possibles : dans le premier cas - le plus fréquent -, la vie du rapport s'arrête après la réunion de restitution, même si nous restons à disposition des administrations dans le cas où elles souhaitent obtenir des compléments ; dans le second cas, des missions de contrôle d'un organisme peuvent donner lieu à un contrôle des suites.

L'Igas est, par exemple, compétente pour contrôler les organismes qui font appel à la générosité du public, contrôle qui prévoit une procédure contradictoire. Dans ce cadre, une commission des suites peut revenir sur les événements, même quelque temps après.

Le rapport considéré ne s'inscrivait pas dans ce schéma puisqu'il ne s'agissait pas d'un contrôle « pur et dur » donnant lieu à une procédure contradictoire. La majorité de nos rapports, consacrés à l'évaluation des politiques publiques, ne font donc pas l'objet de suites particulières.

M. Laurent Burgoa, président. - De manière générale, l'Igas peut-elle déclencher une procédure sur la base de l'article 40 du code de procédure pénale après avoir constaté des faits frauduleux dans le cadre d'un rapport ?

Mme Frédérique Simon-Delavelle. - L'article 40 peut être utilisé par tout agent public, l'Igas pouvant s'appuyer sur ce texte au même titre que les autres fonctionnaires.

M. Laurent Burgoa, président. - Pourquoi aucune procédure basée sur l'article 40 n'a-t-elle été enclenchée dans ce dossier ?

Mme Frédérique Simon-Delavelle. - La question est parfaitement légitime. Nous avons été saisis sur la base d'une lettre de mission qui partait elle-même de faits avérés, alors que deux procédures pénales étaient déjà en cours. Nous avons été sollicités pour apporter un éclairage plus fin sur les événements survenus dans les entreprises de conditionnement et avons décidé de ne pas lancer une procédure s'ajoutant aux deux qui étaient déjà initiées.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Ce sujet a-t-il fait l'objet d'un débat entre vous ?

M. Charles de Batz de Trenquelléon. - Cette question se pose régulièrement et j'ai moi-même eu l'occasion de recourir deux fois à l'article 40 pour d'autres missions de l'Igas. En l'espèce, nous n'avons pas jugé utile de déclencher cette procédure.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Comment expliquez-vous qu'il ait fallu attendre janvier 2024 pour que les informations soient révélées au grand public ?

M. Charles de Batz de Trenquelléon. - La question est essentielle, et pas uniquement pour l'ego des inspecteurs. Nous menons des contrôles parfois délicats et sensibles et, pour avoir réalisé de nombreux rapports portant sur l'aide sociale à l'enfance (ASE), j'ai pu regretter que certaines informations ne soient pas rendues publiques.

Il n'est pas toujours possible de publier un rapport puisque l'accord du commanditaire est requis et qu'il a besoin d'un certain temps pour s'approprier les conclusions de nos travaux, ainsi que pour mettre en oeuvre un plan d'action s'il le juge utile, plan dont il faut ensuite attendre les résultats. Dans le cas d'espèce, notre rapport a effectivement été diffusé avec un certain décalage, mais nous n'y pouvons rien. Nous avons sans doute perdu un peu de temps.

M. Laurent Burgoa, président. - Dans la mesure où les faits étaient connus, d'autres administrations auraient-elles pu déclencher une procédure sur la base de l'article 40 ?

Mme Frédérique Simon-Delavelle. - Il est délicat de répondre à cette question et je n'entends pas imputer telle ou telle responsabilité à un autre service, ce qui donnerait une mauvaise image de l'État. Peut-être que l'article 40 aurait pu être mobilisé à un moment donné, mais il me paraît difficile de réécrire le passé.

M. Laurent Burgoa, président. - Vous comprendrez que nous devons mieux comprendre l'articulation entre les différents services de l'État et les discussions qui ont alors eu lieu quant aux suites à donner à des faits avérés.

Mme Frédérique Simon-Delavelle. - Tout à fait. Je crois que la question de l'article 40 s'est posée en amont de la saisine de l'Igas, mais il faudra vérifier ce point.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Pour en venir à la qualité des contrôles et de la surveillance des eaux, avez-vous identifié d'autres pistes d'amélioration ?

Mme Frédérique Simon-Delavelle. - Une fois encore, la mise en oeuvre des contrôles est particulièrement complexe dans certaines installations. S'agissant du cas particulier des traitements interdits qui ont été dissimulés pendant des années, je pense que le meilleur service de contrôle du monde aurait peiné à déceler ces pratiques délibérément masquées.

En outre, toutes les non-conformités ne doivent pas être placées sur le même plan, certaines pouvant être liées à la méconnaissance d'une réglementation peu claire, tandis que d'autres ont pu avoir cours en raison d'une tolérance accordée par les autorités, mais avec un périmètre imprécis.

La clarification de la réglementation aiderait donc grandement à la fois les industriels et les services de contrôle. Le seuil de filtration de 0,8 micron reconnu comme ne modifiant pas la composition de l'eau n'apparaît ainsi dans aucune réglementation, mais uniquement dans l'avis d'une agence, ce qui rend la règle faible en comparaison d'un arrêté. La réglementation française n'étant qu'une traduction de la directive européenne, ces points doivent être discutés au niveau communautaire.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - La microfiltration vous semble-t-elle suffisamment robuste afin de faire face au risque sanitaire de la dégradation de la qualité des eaux et au risque virologique ? Peut-elle permettre la poursuite de l'exploitation des eaux minérales ?

Mme Frédérique Simon-Delavelle. - J'en reviens à un point évoqué en introduction : c'est bien parce que les eaux ne sont pas contaminées que le niveau de traitement peut être limité. Dès lors que la qualité des eaux est dégradée, nous sortons de la logique combinant un bon niveau de qualité et des traitements réduits. La microfiltration a été tolérée par l'Anses pour des eaux faiblement contaminées et je ne peux donc pas vous dire si un seuil de 0,2 micron ou de 0,8 micron suffirait à maîtriser le risque.

M. Olivier Jacquin. - Le risque lié aux eaux minérales est perçu comme limité, car il n'existe pas un danger de mort pour le consommateur. Cette image d'un produit bon pour la santé n'explique-t-elle pas un certain laisser-aller ?

Mme Frédérique Simon-Delavelle. - Les autorités sanitaires se fondent sur le respect du contrôle sanitaire afin de déterminer l'existence d'un risque. Le secteur est régi par le code de la santé publique, qui fixe les conditions de ce contrôle.

Outre l'autosurveillance effectuée par les industriels, qui contrôlent régulièrement la qualité de leurs eaux, un contrôle sanitaire officiel est mené par les ARS, qui font appel à des laboratoires habilités. Tous ces résultats alimentent le bilan annuel de la DGS que j'ai mentionné, et qui permet de connaître le niveau de conformité des eaux.

Quand nous commençons nos travaux, nous avons ainsi connaissance d'un très bon niveau de conformité et le risque sanitaire paraît extrêmement faible.

M. Laurent Burgoa, président. - La DGS a-t-elle assuré une forme de suivi des préconisations de votre rapport, notamment de celles qui sont relatives à la gestion des non-conformités ?

M. Charles de Batz de Trenquelléon. - Nous lui avons transmis des éléments de travail, en particulier des fichiers de données du contrôle sanitaire, permettant de mesurer les évolutions dans le temps. Je ne saurais dire ce qu'il en a été fait et je ne suis sans doute pas le mieux placé pour répondre à la question des suites données à nos recommandations.

Mme Frédérique Simon-Delavelle. - L'Igas ne se désintéresse pas des sujets qu'elle a traités, mais l'application des préconisations de ses rapports ne revêt aucun caractère obligatoire et il relève du libre choix des administrations centrales de se les approprier et de les appliquer ou non. Notre rapport n'avait ainsi pas vocation à être appliqué in extenso, il visait à aider les décisionnaires à mettre en oeuvre des évolutions s'ils le souhaitaient.

En ce qui concerne spécifiquement ce rapport, des suites lui ont été données, notamment sous la forme du déclenchement d'un audit, à l'occasion duquel l'Igas a été amenée à présenter ses travaux. Mais les représentants de la DGS seront plus à même que nous d'établir le bilan que vous sollicitez de ce qui a été mis en oeuvre de nos recommandations par les administrations.

Mme Audrey Linkenheld. - Le rapport recommande-t-il de faire évoluer la réglementation applicable, en vue d'autoriser dans certaines circonstances l'application de traitements aux eaux minérales naturelles, et y a-t-il eu, à votre connaissance, des initiatives gouvernementales ou parlementaires en ce sens ? Nous identifions en effet une injonction contradictoire entre, schématiquement, le respect de la santé et celui de la loi.

Mme Frédérique Simon-Delavelle. - Nous constatons dans le rapport que la réglementation manque de clarté et qu'elle s'avère difficile à comprendre. Par suite, nous avons recommandé qu'elle soit rendue plus intelligible et que les notions de filtration et de pureté originelle, sujettes à interprétation, y soient explicitées.

Nous nous situons cependant dans un marché mondialisé et, a minima, communautaire, où les approches peuvent différer selon les États. L'Espagne a ainsi retenu un seuil de filtration de 0,45 um par litre, quand la France a pu tolérer le passage de 0,8 à 0,2 um par litre. C'est pourquoi nous avons aussi recommandé une clarification et une mise en cohérence de cette question de la microfiltration entre les États membres de l'Union européenne.

Au-delà, je ne saurai pas vous dire si des initiatives ont déjà été prises. Il conviendrait de poser la question aux directions d'administration centrale.

Mme Marie-Lise Housseau. - Une société a fraudé et l'a déclaré. L'affaire est connue depuis 2021. Trois ministres ont été saisis, l'Igas a mené une enquête, l'ARS a commencé l'élaboration d'un rapport, la DDETSPP était également informée, mais, en 2025, personne n'a encore déclenché la moindre action officielle.

Je trouve la situation quelque peu inquiétante, même en l'absence de véritable problème sanitaire, car je me demande si la chaîne de responsabilités ne se dilue pas complètement et s'il n'y a pas une volonté délibérée des ministères de mettre l'étouffoir sur cette affaire. Si nombre de raisons, dont celle de l'emploi, peuvent l'expliquer, une telle attitude ne risquerait-elle pas, dans d'autres circonstances, d'aboutir à de nouveaux scandales sanitaires ? Je m'adresse là davantage aux citoyens que vous êtes qu'aux représentants de l'Igas.

Mme Frédérique Simon-Delavelle. - Nous témoignons aujourd'hui devant vous comme représentants de l'Igas, et je m'en tiendrai à cette qualité.

On ne peut pas dire que rien n'a été fait : deux procédures pénales sont engagées. Mais je suis d'accord avec vous pour reconnaître qu'elles peuvent paraître longues.

M. Charles de Batz de Trenquelléon. - Leur durée est peut-être le défaut de toutes nos procédures. Dès lors qu'il n'y a pas eu de risque sanitaire avéré, avec des cas d'intoxication, comme cela s'est produit en Espagne, les choses ont traîné. L'entreprise Perrier a trouvé elle-même une partie de la solution en passant de la catégorie d'eau minérale naturelle à celle d'eau rendue potable par traitement.

Par ailleurs, d'autres sujets difficiles mobilisent ou ont mobilisé les contrôleurs de l'ARS, notamment celui des captages d'eau potable pour la distribution au robinet, avec une orientation nationale d'inspection-contrôle qui a perduré jusqu'en 2021, et celui de la gestion de la crise covid.

Le rapport ne manque pas non plus de souligner que les effectifs consacrés à l'inspection-contrôle ont beaucoup diminué et que l'intensité de ce contrôle a sans doute décru au cours des dernières années sur la partie des eaux minérales naturelles. Ce constat explique peut-être aussi qu'un certain retard ait été pris dans le traitement des dossiers.

Mme Antoinette Guhl. - Avez-vous conscience que l'étude de l'Igas a constitué la pierre angulaire des demandes ministérielles à l'origine du temps pris pour traiter cette fraude, pour autant que celle-ci le soit véritablement, ce qui n'est pas tout à fait certain ?

Ce matin, dans nos échanges avec les représentants de la DGCCRF, il nous a été dit que vous formuliez dans votre rapport la recommandation que les ARS poursuivent les contrôles. Avez-vous eu la volonté d'affranchir la DGCCRF de son rôle de contrôle ou d'avertissement ?

Mme Frédérique Simon-Delavelle. - Notre rapport invite à prévoir des inspections conjointes de l'ARS et de la DDETSPP, dont nous recommandons par ailleurs qu'elles soient inopinées. Cette double compétence nous semble importante et nous n'avons pas opéré de dichotomie entre les deux services.

M. Daniel Gremillet. - La diminution du rythme des contrôles au cours des dernières années entretient-elle un lien avec l'évolution de la réglementation tant européenne que nationale ? Auparavant, toute entreprise qui mettait sur le marché des produits alimentaires dépendait du contrôle et de l'autorisation préalable des pouvoirs publics ; désormais, sous l'influence de la réglementation européenne, la responsabilité de la mise sur le marché incombe directement à cette entreprise, qui doit assurer ses propres contrôles et en signaler les éventuelles anomalies de résultats aux services concernés de l'État.

Mme Frédérique Simon-Delavelle. - Dans le cas des eaux minérales naturelles et des eaux de source, il existe un double niveau de contrôle : l'autosurveillance, effectivement assurée par les industriels, et le contrôle sanitaire officiel effectué par les ARS avec le recours à des laboratoires agréés.

M. Charles de Batz de Trenquelléon. - Les modalités de ce contrôle sanitaire ont quelque peu évolué depuis que les ARS en ont repris la compétence, ce que nous avons rappelé dans le rapport. La compétence en était auparavant dévolue aux directions départementales des affaires sanitaires et sociales (DDAS), qui disposaient de leurs propres équipes de préleveurs. Des agents publics réalisaient donc les prélèvements. Ils connaissaient bien les établissements d'embouteillage, qu'ils visitaient régulièrement. Le corps de ces agents préleveurs a été mis en extinction et ce sont à présent des laboratoires, le plus souvent privés, parfois publics, qui interviennent. Ils abordent tout à fait différemment la façon de se rendre dans les usines de production et ne portent plus le même regard sur les installations, ce qui change aussi la nature des relations entre les industriels et les agences de l'État.

M. Laurent Burgoa, président. - L'État, et notamment les ARS, labellise-t-il ces laboratoires ou cabinets privés de contrôle et vérifie-t-il leur absence de conflits d'intérêts ?

M. Charles de Batz de Trenquelléon. - Les laboratoires qui interviennent sont agréés, c'est-à-dire qu'ils doivent répondre à un certain nombre de critères.

M. Laurent Burgoa, président. - Mais s'assure-t-on qu'ils ne travaillent pas déjà pour un industriel qu'ils sont appelés à contrôler ?

Mme Frédérique Simon-Delavelle. - Je ne suis de nouveau pas sûre que nous soyons les mieux placés pour répondre à cette question et je ne voudrais pas que l'on jette le discrédit sur le contrôle sanitaire des eaux, qui est bien le plus surveillé. La DGS vous éclairerait mieux que nous sur la manière dont on retient ces laboratoires. Ce sont néanmoins en principe des établissements sérieux, choisis au terme d'appels d'offres régionaux lancés par les ARS sur le fondement d'un cahier des charges bien précis.

M. Laurent Burgoa, président. - Je vous remercie de la qualité de nos échanges ainsi que des informations que vous avez pu nous fournir, qui nous permettent d'améliorer notre connaissance du sujet.

Cette audition a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.

Risques de pollution des sols et des nappes - Audition de M. Vincent Bessonneau, directeur du laboratoire d'étude et de recherche en environnement et santé, Mme Pauline Rousseau-Gueutin, responsable des enseignements en hydrologie-hydrogéologie à l'École des hautes études en santé publique (EHESP) et M. Jean-Luc Boudenne, professeur des universités à l'université d'Aix-Marseille

M. Laurent Burgoa, président. - Nous reprenons nos travaux avec l'audition de M. Vincent Bessonneau, directeur du laboratoire d'étude et de recherche en environnement et santé à l'École des hautes études en santé publique (EHESP), de Mme Pauline Rousseau-Gueutin, responsable des enseignements en hydrologie-hydrogéologie dans le même établissement, et de M. Jean-Luc Boudenne, professeur à l'université d'Aix-Marseille.

Je rappelle qu'un faux témoignage devant notre commission d'enquête est passible des peines prévues aux articles 434-13, 434-14 et 434-15 du code pénal. Je vous remercie par ailleurs de nous faire part de vos éventuels liens d'intérêts en relation avec l'objet de la commission d'enquête.

Je vous invite à prêter successivement serment de dire toute la vérité, rien que la vérité, en levant la main droite et en disant : « Je le jure. »

Conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, Mme Pauline Rousseau-Gueutin, M. Vincent Bessonneau et M. Jean-Luc Boudenne prêtent serment.

M. Laurent Burgoa, président. - Le Sénat a constitué, le 20 novembre dernier, une commission d'enquête sur les pratiques des industriels de l'eau en bouteille à la suite de certaines révélations par la presse. La commission vise à faire la lumière sur ce dossier, sous réserve des éventuelles procédures judiciaires en cours.

La présente audition, diffusée en direct sur le site internet du Sénat, nous permet d'entamer une nouvelle thématique essentielle à notre commission d'enquête : la pollution des sols et des nappes phréatiques, étant entendu que nous nous intéressons principalement aux eaux souterraines. Après les effets du changement climatique sur la ressource en eau, que nous avons explorés lors de plusieurs auditions, il nous semblait important d'étudier les risques de pollution.

Pensez-vous que la qualité des eaux souterraines se dégrade ? Dans l'affirmative, quelles en sont selon vous les causes ? Quelles sources de pollution des eaux souterraines identifiez-vous et quelles préconisations formulez-vous afin d'y remédier ? S'agit-il de pollutions chroniques ou de pollutions plus ponctuelles, voire accidentelles ? Du fait du périmètre de protection, les sources d'eau minérale ou les sources d'eau exploitées à des fins de conditionnement ne sont-elles pas moins exposées aux pollutions que d'autres eaux souterraines ? Quels études ou travaux avez-vous menés sur la présence de microplastiques, de produits phytosanitaires ou de polluants émergents dans les eaux que nous consommons ? Enfin, quels pourraient être les outils de politiques publiques propres à endiguer ces risques de pollution ?

Vous nous exposerez votre travail et nous ferez part de vos réflexions dans une présentation liminaire, que suivra un temps de questions-réponses.

Mme Pauline Rousseau-Gueutin, responsable des enseignements en hydrologie-hydrogéologie à l'École des hautes études en santé publique (EHESP). - À votre première interrogation, je répondrai que l'on observe effectivement une dégradation globale de la qualité des eaux souterraines comme celle des milieux naturels. Les causes en sont multiples.

Des pollutions d'origine principalement anthropique atteignent ces eaux souterraines, dont la vulnérabilité varie fortement en fonction de leur milieu hydrogéologique. Les milieux calciques, qui se développent dans des carbonates, sont par exemple particulièrement vulnérables à ce type de contaminations, à l'inverse de systèmes aquifères plus profonds et recouverts par des roches moins perméables qui les protègent.

Les pollutions accidentelles font en France l'objet de textes normatifs qui permettent d'en limiter la fréquence. Ces textes sont notamment relatifs aux installations classées pour la protection de l'environnement (ICPE).

Parmi les pollutions chroniques, je m'intéresse plus spécifiquement aux pollutions diffuses, celles qui touchent un large territoire et dont, contrairement aux pollutions ponctuelles, nous n'identifions pas clairement l'origine.

Selon qu'ils concernent les eaux souterraines destinées à la consommation humaine (EDCH) ou celles exploitées pour un usage spécifique d'eaux minérales, les périmètres de protection diffèrent. Dans les deux cas cependant, l'objectif est principalement de protéger les eaux contre les pollutions ponctuelles et ce ne sont pas des outils que l'on utilise contre les pollutions diffuses.

Outre le milieu hydrogéologique, l'exploitation des gisements joue sur la vulnérabilité des ressources. L'exploitation par pompage d'une nappe d'eau souterraine entraîne en effet un cône de rabattement qui, lui-même, provoque des flux verticaux dits de drainance, lesquels peuvent être descendants, de la nappe superficielle vers les nappes profondes, et occasionner des contaminations de ces dernières. Si les phénomènes de drainance sont naturels entre différents aquifères, le développement de cônes de rabattement est susceptible de les exacerber.

Peut-être convient-il d'aborder plus tard dans le cours de cette audition la question des outils de politiques publiques.

M. Vincent Bessonneau, directeur du laboratoire d'étude et de recherche en environnement et santé à l'EHESP. - Le laboratoire que je dirige, le Leres, exerce une double mission de service public. Il est chargé, d'une part, du contrôle sanitaire des eaux destinées à la consommation du département d'Ille-et-Vilaine, d'autre part, de mettre au service de la communauté scientifique une plateforme analytique pour la mesure des contaminants chimiques et microbiologiques présents tant dans l'environnement qu'au sein de la population humaine, via des mesures d'imprégnation.

Le laboratoire bénéficie de l'accréditation du Comité français d'accréditation (Cofrac), notamment pour la réalisation de mesures de contaminants dans les eaux. Il est un laboratoire de la zone de défense Grand Ouest dans le réseau de laboratoires Biotox-Eaux, disponibles pour des astreintes 24 heures sur 24, sept jours sur sept, et dont l'action est coordonnée par le laboratoire d'hydrologie de Nancy, un établissement de référence de l'Agence nationale de sécurité sanitaire de l'alimentation, de l'environnement et du travail (Anses).

Son coeur de métier réside dans le développement de méthodes multi-résidus : nous mesurons, en particulier à partir d'échantillons d'eau, un certain nombre de substances chimiques afin de quantifier la contamination des différents environnements et de respecter les normes définies par le contrôle sanitaire, celles de l'arrêté du 22 octobre 2013 pour ce qui concerne les eaux conditionnées et les eaux minérales naturelles.

La passation d'un marché avec l'agence régionale de santé (ARS) de Bretagne nous permet d'en être pendant quatre ans le laboratoire agréé pour tout ce qui a trait aux mesures du contrôle sanitaire de son ressort.

Pour la partie recherche, nous développons de nouvelles méthodes qui s'intéressent aux polluants émergents, et spécialement aux polluants émergents organiques tels que les sous-produits de chloration, les pesticides, les résidus vétérinaires et, plus récemment, les substances perfluorées, plus connus sous le nom de PFAS - des polluants éternels.

Nos travaux évaluent le niveau de contamination globale de l'environnement, en quantifiant et en développant des données objectives sur cette contamination, pour ensuite alimenter des études épidémiologiques ou toxicologiques sur les effets potentiels sur la santé humaine et permettre le déploiement de politiques publiques visant à protéger la population humaine contre ces risques chimiques.

En ce qui concerne les eaux embouteillées, l'Ille-et-Vilaine compte peu de sources. Ce que je comprends de la réglementation et du contrôle sanitaire en la matière, c'est que des prélèvements sont à effectuer, dont le nombre est défini en fonction du volume d'eau produit par les embouteilleurs et les minéraliers, et en lien avec l'ARS qui en établit le plan. Ces prélèvements consistent à mesurer la présence de substances qui entrent dans le cadre de la réglementation, au même titre que pour les eaux potables classiques.

Nous constatons, au cours des dernières années, la découverte de nouvelles familles de substances chimiques dans l'eau de consommation, et notamment de composés organiques. Par ailleurs, nous nous interrogeons sur les conséquences du changement climatique quant à la qualité de cette eau. Des événements climatiques extrêmes, fortes pluies et crues, peuvent induire une contamination microbiologique de la ressource par l'effet du ruissellement. Les épisodes de sécheresse, de plus en plus prégnants et fréquents, peuvent quant à eux s'accompagner de phénomènes de concentration des polluants, avec un risque de dépassement des valeurs toxicologiques de référence (VTR) et de non-conformité des eaux embouteillées.

Notre compétence consiste donc d'abord à réaliser des mesures et à accompagner nos partenaires. Au niveau national, il s'agit de collaborations-cadres avec Santé publique France et l'Anses sur le volet recherche et développement, avec la mise au point de méthodes permettant des mesures précises, que ce soit localement sur un territoire ou à une échelle nationale pour de grands programmes. Enfin, nous accompagnons les chercheurs qui entendent documenter les niveaux d'exposition de la population humaine à certaines substances.

M. Jean-Luc Boudenne, professeur des universités à l'université d'Aix-Marseille. - J'ai participé au groupe de travail sur les eaux minérales naturelles, dont le rapport a été remis en mai 2008 pour le compte de l'Agence française de sécurité sanitaire des aliments (Afssa). Celle-ci, devenue ultérieurement l'Anses, est intervenue jusqu'en 2007 pour autoriser l'exploitation des ressources en eau minérale naturelle et elle souhaitait, avant de perdre cette prérogative, éditer un guide à l'usage des instances départementales qui lui succédaient dans la délivrance des autorisations de captage.

Dès cette époque, des questions se posaient sur la stabilité et la qualité des ressources. Nous évoquions plusieurs scénarios et abordions déjà les conséquences du réchauffement climatique sur les nappes phréatiques. Un autre effet dont nous traitions tenait au pompage, avec la surexploitation de ces nappes. Nous constations des cas où les pompages étaient tellement importants, en s'étendant à d'autres nappes souterraines, voire à des nappes alluviales ou à des cours d'eau, que l'on ne pouvait plus dire qu'ils concernaient une ressource d'origine et une eau minérale naturelle. Le réchauffement climatique risque de renforcer le recours à ces ressources qui ne correspondent plus à la ressource de départ.

Quant à la protection des captages, je ne sais pas si les périmètres qui ont été accordés à des ressources en eau minérale parfois très anciennes l'ont été sans limite temporelle, ce qui ne serait guère souhaitable, ou s'ils font objet de renouvellements en fonction de l'évolution du climat ou d'autres facteurs. Lors de l'élaboration de notre rapport, nous avions observé une contamination d'origine clairement humaine de certaines eaux minérales et j'en retirais l'impression que les périmètres de protection qui les concernaient n'étaient plus suffisamment étendus pour en protéger la ressource.

En tant qu'enseignant-chercheur en chimie analytique de l'environnement, mon domaine de recherche est complémentaire à celui du Leres, parce qu'en plus de nous intéresser aux molécules réglementées ou émergentes, nous étudions la formation des sous-produits, les voies de biodégradation, les voies de photolyse de ces composés, puisque les toxicologues montrent souvent que les sous-produits sont parfois plus toxiques que les molécules initiales. Dans notre laboratoire, plusieurs personnes travaillent sur les PFAS, les pesticides, les composés pharmaceutiques, et également tous les composés métalliques, qu'ils soient d'origine naturelle ou anthropique.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Merci pour votre présence. En auditionnant les responsables du BRGM, nous avons eu l'impression qu'ils avaient une vision quantitative précise, utile puisqu'elle est mobilisée dans le cadre des arrêtés de sécheresse et qu'elle permet une gestion de la rareté - mais qu'en revanche, ils n'avaient qu'une vision imprécise des questions qualitatives, qu'ils avaient une sorte de méconnaissance sur un certain nombre de sujets. Qu'en pensez-vous ? Savez-vous s'il y a, en particulier, une cartographie des zones vulnérables ?

Mme Pauline Rousseau-Gueutin. - En hydrogéologie, on distingue deux types de vulnérabilités d'une ressource : la vulnérabilité intrinsèque, qui est propre au milieu géologique que l'on étudie - et l'on dispose de connaissances plus ou moins éparses en fonction des territoires, certains étant très bien connus, tandis que d'autres, qui présentent une hydrogéologie plus complexe, sont plus compliqués à connaître ; ensuite, nous examinons les pressions d'occupation du sol pour évaluer une vulnérabilité complète. Ainsi, on peut avoir une ressource très vulnérable intrinsèquement, mais qui se situe sous une forêt, qui la protège ; à l'inverse, des nappes peuvent être intrinsèquement peu vulnérables, mais le devenir du fait d'activités anthropiques qui mettent une forte pression avec des sources de contamination importantes.

Nous disposons de nombreuses données quantitatives, mais aussi de données qualitatives. Le BRGM a mené de grandes campagnes de recherche de contaminants et dispose de suivis de qualité sur certaines de ses stations. Il s'agit de suivis de qualité concernant des paramètres tels que les nitrates, la température, la conductivité, qui peuvent être suivis en continu dans des captages facilement.

M. Vincent Bessonneau. - Il y a de grandes campagnes nationales réalisées notamment par l'Anses, pour établir l'état des lieux des eaux de surface et les eaux souterraines, donc bien au-delà des eaux minérales, des campagnes qui sont consacrées à une famille de substances chimiques - par exemple sur les PFAS en 2015, et une nouvelle campagne est d'ailleurs en préparation. Ces grandes campagnes sont très parcellaires et ponctuelles, elles sont conduites de temps en temps, quand il y a une inquiétude particulière sur des substances.

Il faut savoir aussi que la mesure de la température ou du pH est simple et peu onéreuse, donc plus facile à déployer largement sur un territoire que la recherche de micropolluants organiques, qui demande beaucoup plus d'analyse et de logistique, et qui est donc beaucoup plus coûteuse à déployer à l'échelle nationale.

M. Jean-Luc Boudenne. - Je confirme ce qui a été dit. Ce qui est fait à l'échelle nationale dans les eaux souterraines se base sur des anciennes grilles, celles du système d'évaluation de la qualité des eaux (SEQ-Eau), qui a été remplacé par les normes de qualité environnementale (NQE) - mais je ne sais pas si la grille du suivi national a évolué. En réalité, nous suivons des paramètres très classiques et sommes loin de suivre des polluants émergents, organiques ou métalliques, nous ne couvrons pas tous les aspects. Il y a donc des démarches de progression importantes à mettre en oeuvre.

Les eaux minérales naturelles n'ont pas la même réglementation que les eaux potables, les EDCH : pour la protection de la ressource, les règles de protection ne sont pas les mêmes. Pour l'EDCH, on établit un périmètre de protection, mais on s'intéresse aussi à l'aire d'alimentation du captage, ce qui n'est pas le cas pour les eaux minérales naturelles.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - La réglementation est plus limitée sur les eaux minérales naturelles, que sur les eaux de consommation humaine, l'eau du robinet ?

M. Jean-Luc Boudenne. - Oui. En ce qui concerne la protection du captage, la réglementation actuelle est satisfaisante. Elle est très bien élaborée pour les eaux potables et des progrès ont été réalisés pour les eaux minérales, avec des normes qui se rapprochent de celles de l'eau potable, même si ce n'est pas sur tous les paramètres. Cependant, en ce qui concerne la protection du captage, il y a un certain retard, qui est également dû à des raisons historiques. Les eaux minérales ont une longue histoire en France.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Est-ce que chacun d'entre vous partage ce constat ?

M. Vincent Bessonneau. - Je n'ai pas d'expertise sur ce point.

Mme Pauline Rousseau-Gueutin. - Effectivement, la réglementation est beaucoup plus stricte pour les périmètres de protection des captages d'EDCH, puisqu'au-delà du périmètre de protection immédiate - très restreint, qui vise à protéger physiquement le captage contre toute malveillance ou dégradation, l'équivalent du périmètre sanitaire d'émergence -, nous avons la possibilité, sur un deuxième périmètre plus large, dit périmètre de protection rapprochée, d'interdire des activités. Pour cela, l'ARS consulte un hydrogéologue agréé qui rend un avis, trace les périmètres et indique, en fonction de la vulnérabilité de la ressource et de l'occupation du sol, quelles activités sont interdites ou encadrées, avec des règles précises.

Les eaux minérales naturelles, elles, font l'objet d'une déclaration d'intérêt public, pas d'une déclaration d'utilité publique (DUP). Initialement, ces déclarations d'intérêt public avaient pour fonction de protéger les minéraliers contre des captages concurrents, c'était une protection quantitative et non qualitative. En fait, cette réglementation est moins contraignante parce que si elle devait l'être autant que celle de l'utilité publique, elle donnerait à une personne privée un pouvoir sur la propriété d'autres personnes privées, elle empêcherait d'autres particuliers d'avoir une pleine possession de leur terrain. C'est pour cela que la réglementation est plus légère sur les eaux minérales que sur les EDCH qui sont déclarées d'utilité publique.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Existe-t-il une présomption de qualité de ces eaux en raison de leur caractère souterrain ? Aurait-elle pu jouer un rôle ?

Mme Pauline Rousseau-Gueutin. - Cela a pu jouer, mais des forages sont utilisés pour l'exploration et la production de combustibles fossiles qui sont tout aussi bien protégés, mais il y a alors un plan de prévention des risques, ce n'est pas le cas pour l'eau.

Dans l'aire d'alimentation de captage, les périmètres de protection rapprochés visent à prévenir les pollutions accidentelles et ponctuelles, pas les pollutions diffuses. Ces pollutions diffuses peuvent être recherchées dans l'aire d'alimentation de captage, mais sa définition n'est pas obligatoire pour tous les captages. Pour l'instant, elle fait l'objet d'une phase de volontariat de trois ans et peut devenir obligatoire si la qualité de l'eau ne s'améliore pas, concernant 1 000 captages sur les 33 000 captages existant en France. Cela concerne en premier lieu les captages les plus vulnérables aux pollutions diffuses.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Plusieurs éléments participent à la pollution des nappes, notamment les activités humaines au sol, et vous avez également évoqué la question de la surexploitation.

Sommes-nous capables de mesurer cette surexploitation ? Si vous connaissez une nappe par sa forme et son volume, et la quantité prélevée par un minéralier, êtes-vous capable de dire si cette nappe est en surexploitation ? Est-ce que cette donnée est pilotée ? Les arrêtés comportent-ils des quantités maximales déployées ? Sur quelle base ?

Sur un site des minéraliers que nous étudions, nous constatons que la mondialisation du marché a entraîné des augmentations considérables des quantités prélevées. Si vous pensez que la nature des sols a des effets sur la qualité, quelles sont les orientations de la recherche à ce sujet ? Quels sont les résultats obtenus ? Sommes-nous capables d'évaluer cette question ?

M. Jean-Luc Boudenne. - Il y a nécessairement des effets si l'on pompe trop, mais ma collègue hydrogéologue en parlera mieux que moi. Nous l'avions constaté dans notre étude en 2008 qu'un minéralier pompait tellement qu'il y avait eu un appel d'eau, de nappes à proximité, et puis après un moment c'était la nappe alluviale qui venait alimenter le bassin d'alimentation en eau potable.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Où était-ce ? Pourriez-vous nous communiquer des informations précises sur ce cas ?

M. Jean-Luc Boudenne. - Je retrouverai ces informations. Quand il y a surexploitation, les hydrogéologues nous disent qu'il y a un rabattement des nappes, c'est le mécanisme. Ce que je critique, c'est le principe d'un accord sans limite temporelle délivré au minéralier. L'arrêté préfectoral fixe un débit maximum, peut-être faudrait-il le revoir, à l'aune du réchauffement climatique, à intervalles réguliers - des niveaux de prélèvements ont été accordés il y a des décennies, la nappe a pu beaucoup évoluer depuis, il me paraît normal de revoir régulièrement les niveaux de prélèvement.

Mme Pauline Rousseau-Gueutin. - La surexploitation des nappes est un problème complexe. Estimer un volume d'eau de manière précise dans un système aquifère est une tâche difficile. Nos outils de modélisation comportent toujours une certaine incertitude. Cependant, nous parvenons à obtenir des résultats, et le schéma d'aménagement et de gestion de l'eau (SAGE) a la mission d'évaluer la quantité disponible d'eau dans la ressource et d'éviter ces surexploitations.

Nous pouvons donc estimer la quantité d'eau disponible, avec une marge d'incertitude. Quand une nappe est surexploitée, il est rare que le minéralier soit le seul à prendre de l'eau dans cette nappe. En réalité, il y a souvent un conflit d'usage, les minéraliers ne font qu'y participer, ils ne sont pas seuls responsables de la surexploitation.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Quelles seraient vos préconisations réglementaires pour mieux protéger la ressource en eau minérale naturelle, donc ne pas la surexploiter - puisque si une ressource est protégée et non polluée, il n'y a pas besoin de jouer avec les catégories d'appellation d'eau ?

Mme Pauline Rousseau-Gueutin. - Vous paraissez dire que si les ressources étaient bien protégées, il n'y aurait pas de problème de contamination. Cela dépend des sols, de leur composition. Les ressources karstiques, par exemple, posent problème, même lorsqu'elles sont protégées et que des périmètres de protection sont créés. Nous constatons presque systématiquement des problèmes de turbidité ou de contamination, car nous sommes dans des systèmes où l'eau s'engouffre. De plus, avec les changements climatiques et les phénomènes extrêmes, nous avons encore plus d'eau qui s'engouffre à certains moments, ce qui entraîne des bouffées de contamination.

Pour ce qui est de la réglementation, je pense que les périmètres de protection pourraient être étendus et renforcés. En réalité, les déclarations d'intérêt public ne sont pas très contraignantes, mais le raisonnement vaut aussi pour les EDCH, il faudrait aussi étendre et renforcer leurs périmètres de protection, une grande partie de la population française boit de l'eau du robinet et mériterait d'être mieux protégée. Les aires d'alimentation de captage sont des outils intéressants, mais il y a beaucoup de choses à changer dans notre système et notre société pour qu'ils soient véritablement efficaces.

M. Vincent Bessonneau. - La protection des ressources constitue l'enjeu majeur, aussi bien pour les eaux minérales que pour les eaux potables. Les traitements n'ont pas une capacité infinie et si l'on ne protège pas la ressource, l'eau potable sera trop chère et sa production demandera trop d'énergie, puisqu'elle implique de recourir à la nanofiltration, à l'osmose inverse - cela représente un coût non négligeable pour la société.

Ensuite, l'une des solutions consiste à limiter les activités anthropiques qui contaminent la ressource. Cela dépend fortement du territoire et des activités qui y sont exercées. Comment limiter, en particulier, la contamination aux pesticides ? L'épandage constitue un polluant éternel, on constate une contamination globale, nationale, voire européenne, extrêmement importante. Je suis convaincu que la protection de la ressource en eau reste l'enjeu majeur aujourd'hui.

M. Olivier Jacquin. - Les fermetures de captage qui surviennent régulièrement dans notre pays sont-elles documentées, au moins sur la cause de fermeture ? L'agriculture biologique est-elle une solution de protection intéressante et les périmètres de protection rapprochés sont-ils pertinents ?

M. Jean-Luc Boudenne. - L'Anses est informée quand une commune ferme un captage parce qu'elle demande alors l'autorisation d'ouvrir un autre captage, et l'on peut voir alors la cause de fermeture - mais cette information n'est pas publique et elle est liée à la demande de nouveau captage.

L'agriculture biologique est un sujet de débat. Elle autorise par exemple l'usage du cuivre, à des doses certes faibles, mais ce n'est pas bon pour l'ingestion.

Mme Pauline Rousseau-Gueutin. - Les rapports annuels de la Direction générale de la santé (DGS) comportent aussi des informations sur les fermetures de captages, avec leur motif, souvent lié à des problèmes microbiologiques ou chimiques, notamment liés à l'utilisation de pesticides ; cette information ne dit pas, cependant, quelles molécules précises sont en cause, nous n'avons pas d'information à ce niveau de détail.

S'agissant de l'agriculture biologique, il faut regarder chaque cas individuellement, il est difficile de répondre de manière générale.

M. Vincent Bessonneau. - Je reviens à votre question sur l'information du public sur la qualité des eaux embouteillées. Les résultats du contrôle sanitaire des eaux potables sont publics et disponibles en mairie, avec la quantité de chaque élément mesuré ; ce n'est pas le cas pour les eaux embouteillées, les résultats de leur contrôle sanitaire ne sont pas rendus publics.

Mme Marie-Lise Housseau. - Vous paraissez peu optimistes sur l'évolution de la qualité des nappes. Quels sont, à votre avis, les éléments qui menacent le plus la qualité des eaux minérales naturelles ? En Bretagne, on parle beaucoup des nitrates, mais il y a aussi les microplastiques, les médicaments, etc. Au vu des évolutions que vous anticipez, l'appellation « eau minérale naturelle » aura-t-elle encore un sens d'ici 10 ans, 20 ans, 30 ans ?

M. Jean-Luc Boudenne. - L'expression devrait avoir beaucoup moins de sens pour les quelque 58 eaux minérales exploitées actuellement en France - sur les 70 qui sont autorisées. Il y a des ressources profondes qui ne sont pas encore trop touchées, mais une forte proportion ne devrait plus être considérée comme telle dans les années futures. En fait, celles qui sont déjà traitées ne devraient plus avoir le titre d'eau minérale naturelle. Je crois qu'une bonne partie des eaux minérales naturelles vont perdre leur titre, à cause soit de la surexploitation, soit du réchauffement climatique, soit des deux. Le réchauffement climatique va entraîner plus de pollution anthropique. Je suis pessimiste sur le nombre d'eaux qui pourront encore avoir le titre de minérales naturelles - resteront celles qui viennent de nappes profondes sous un sol non karstique, donc bien protégées géologiquement.

M. Vincent Bessonneau. - On mesure un grand nombre de paramètres dans l'eau, qu'elle soit potable ou minérale et on en vient à s'interroger sur la qualité de l'eau potable. Mais il faut bien voir que l'eau est l'un des environnements que l'on mesure et contrôle le plus. On pourrait améliorer nos pratiques, peut-être modifier le plan de prélèvement et de contrôle sanitaire pour tenir compte des événements climatiques extrêmes, avec des mesures plus rapprochées après un événement climatique important pour vérifier ses effets et s'assurer d'un retour à la normale. Il est important de se rappeler que l'eau, comme l'air, est un bien commun qu'il faut protéger au maximum. Cependant, plus on utilise de produits manufacturés dans la vie de tous les jours, plus l'impact sur l'environnement est important : c'est de la consommation, en réalité, dont on débat ici aussi.

M. Laurent Burgoa, président. - Quels seraient, selon vous, les meilleurs outils de politique publique pour endiguer les risques de pollution ?

M. Vincent Bessonneau. - Il serait utile de voir comment harmoniser le contrôle sanitaire des eaux potables et des eaux embouteillées, harmoniser le nombre de prélèvements et de contrôles. Mais il faut tenir compte des événements climatiques extrêmes. En période de sécheresse intense, on aura une concentration des polluants puisqu'il y a moins d'eau. Il faudra alors prendre des mesures ciblées, qui n'auraient pas à être généralisées sur le territoire national, les contrôles et les mesures de correction pourraient être définies en fonction de l'hydrogéologie dynamique du territoire.

Laurent Burgoa, président. - Votre laboratoire, Monsieur Bessonneau, est agréé par l'ARS Bretagne, vous avez obtenu un marché pour l'expertise que vous lui délivrez ; des questions de déontologie se posent-elles, si un industriel vous demande aussi des expertises ? L'appel d'offres de l'ARS comporte-t-il des clauses contre d'éventuels conflits d'intérêts dans le secteur que vous devez contrôler ?

M. Vincent Bessonneau. - Oui, nous avons des clients privés, des particuliers plutôt que des industriels, en particulier ceux qui ont des puits, nous expertisons leur eau, c'est un service que nous facturons.

L'ARS établit un planning de prélèvement pour l'EDCH sur l'ensemble du territoire. Nos techniciens se déplacent sur le terrain, ils prélèvent aux points de prélèvement définis, notre laboratoire mesure les paramètres définis dans le marché avec l'ARS et nous transmettons ces résultats à l'Agence, à laquelle il appartient d'agir, en fonction des résultats. Ce marché passé avec l'ARS ne comporte pas de clause qui nous empêcherait de travailler avec d'autres acteurs. Si des industriels nous demandent d'effectuer des mesures de certains types de micropolluants non inclus dans la réglementation, nous serons ravis de les accompagner pour mieux comprendre la qualité de leur eau. Cela ne pose aucun problème.

En tant que laboratoire public, plateforme technologique, de recherche et développement, nous pouvons accompagner l'ARS sur des mesures complémentaires. C'est ce que nous avons fait sur les PFAS, par exemple, en amont de la réglementation prévue pour l'an prochain. Nous développons une méthode qui mesure plus de 40 substances et nous aurons des informations qui iront au-delà de celles que demande la réglementation. Nous travaillons aussi avec l'ARS sur des dossiers particuliers, c'est ce que nous avons fait avec les métabolites du chlorothalonil, par exemple, l'ARS en avait besoin, mais très peu de laboratoires étaient compétents pour le faire, donc nous avons travaillé ensemble sur la méthode elle-même.

Nous développons aussi des analyses non ciblées, qui sont des mesures qualitatives, un peu comme cela existe pour contrôler le dopage dans le sport. Sur un échantillon d'eau, nous mesurons l'ensemble des molécules pour regarder quels types de polluants sont présents. Cela ne donne pas une information sur la concentration, mais sur l'occurrence des molécules chimiques. C'est important de le faire, d'aller au-delà de la mesure de nos cibles réglementaires - sur les PFAS, par exemple, la réglementation demandera de mesurer 20 molécules, mais nous savons qu'il y a plus de 4 500 molécules chimiques... Ces analyses non ciblées donnent un complément d'information sur la présence d'autres molécules qui ne sont pas encore réglementées, mais qui pourraient être intéressantes à suivre, car elles sont fréquemment détectées dans les ressources et pourraient avoir un effet sur la santé.

Mme Marie-Lise Housseau. - L'analyse de l'eau potable est rendue publique, pas celle de l'eau embouteillée. Y aurait-il un avantage à demander aux industriels de l'eau en bouteille de rendre leurs analyses publiques, par exemple sur leur site internet, et de le faire avec la même régularité que celle qui prévaut dans le circuit de l'eau potable ?

M. Vincent Bessonneau. - Cela apporterait de la transparence sur la qualité de l'eau qui est produite et vendue aux consommateurs, donc participerait à la confiance de ces derniers.

M. Jean-Luc Boudenne. - Il y a plusieurs aspects à considérer. Le consommateur se fie à l'étiquette de la bouteille d'eau minérale. L'eau minérale naturelle est définie d'abord par la stabilité chimique et physico-chimique de l'eau et par l'absence de pollution microbiologique, l'étiquette garantit une composition spécifique. L'étiquette n'indique évidemment pas que l'eau « contient des pesticides » ou « contient des résidus de médicaments », elle présente au consommateur uniquement les concentrations majeures. Le bilan de l'eau potable ne présente pas beaucoup plus d'informations : on y trouve les éléments majeurs, avec la mention « conforme » ou « non conforme », on pourrait aller plus loin.

Le problème est que les paramètres de qualité définis pour les eaux minérales naturelles sont limités, les paramètres chimiques et microbiologiques sont très restreints, peut-être une trentaine, alors que la liste des paramètres pour l'eau potable s'allonge régulièrement.

Il y a une contradiction entre eau minérale naturelle et santé du consommateur, qu'il faudra bien trancher. Pour le dire crûment, est-ce la santé du consommateur ou la tromperie du consommateur qui doit primer ? Lorsqu'il achète une eau minérale naturelle, le consommateur pense qu'elle est meilleure que l'eau du robinet. Cela peut être vrai, mais cela peut aussi être faux. Le producteur d'eau minérale se dit : si mon eau contient des micro-organismes, elle n'est plus une eau minérale. Mais il ne le dit pas. Il préfère dire : je ne vais pas vendre une eau avec des micro-organismes, donc je vais la traiter - c'est l'intérêt du consommateur, de sa santé, mais alors on ne devrait plus parler d'une eau minérale naturelle, et le consommateur est trompé, il achète une eau potable, mais pas « minérale naturelle ».

Faut-il trancher, et comment ? C'est à vous d'en décider. Qui doit intervenir, entre la Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF) ou la Direction générale de la Santé (DGS) ? Il faut trancher. Est-ce qu'on réserve vraiment les termes « minérale naturelle » aux eaux qui respectent tous les critères ? Il en restera peu... Ou bien, donne-t-on une nouvelle appellation pour ces eaux, par exemple « eau de source » ? Mais il faudra quand même indiquer s'il y a un traitement, puisqu'elle doit être microbiologiquement saine...

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Il serait intéressant d'avoir les listes de critères contrôlés, selon qu'on parle d'eau minérale naturelle ou d'eau potable. Dans les deux cas, l'eau est consommée, donc il y a un enjeu sanitaire ; cependant, il y a une présomption positive vis-à-vis des eaux minérales naturelles, alors qu'elles ne sont pas soumises à la même réglementation que l'eau du robinet. Êtes-vous d'accord avec cela ?

M. Jean-Luc Boudenne. - Oui, et sur certains paramètres communs, les seuils de qualité ne sont pas les mêmes - par exemple sur le fluor ou l'arsenic.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Pourquoi ?

M. Jean-Luc Boudenne. - Il faut se rapporter à l'histoire des eaux minérales. Elles n'étaient vendues qu'en pharmacie jusqu'à une certaine époque : à l'origine, ce sont des eaux médicinales, qui sont prescrites parce qu'elles contiennent tel ou tel élément dont l'effet est bénéfique contre certaines maladies - et c'est pourquoi la réglementation évolue très lentement, il a fallu attendre 2007, je crois, pour inclure des paramètres chimiques dans le contrôle de ces eaux. Et si on leur applique la liste de l'EDCH, on considère que le minéralier doit pouvoir traiter l'eau minérale naturelle comme l'eau du robinet. On tourne en rond, tant qu'on ne répond pas à cette question : l'expression « eau minérale naturelle » peut-elle être utilisée pour des eaux traitées ?

J'ai un tableau comparatif de la réglementation sur l'eau potable et les eaux minérales, avec les paramètres de contrôle et leurs seuils, je pourrai vous le communiquer.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Vous dites qu'il y a d'un côté les eaux traitées et de l'autre les eaux minérales naturelles. Aujourd'hui, Maison Perrier, par exemple, produit des eaux de boisson qui sont déclassées, qui ne sont plus des eaux minérales naturelles. La réglementation qui s'applique à ces eaux est-elle celle de l'eau potable, ou bien celle des eaux minérales ? Les eaux rendues potables par traitement sont-elles soumises à la même réglementation ?

Mme Pauline Rousseau-Gueutin. - S'il y a un traitement, alors c'est la réglementation de l'eau potable qui s'applique.

M. Jean-Luc Boudenne. - Ce qui signifie que les minéraliers peuvent faire alors ce qu'ils veulent.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Qu'est-ce à dire ? La surveillance est alors la même que pour l'eau du robinet ?

M. Jean-Luc Boudenne. - Oui.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Cet arbitrage à faire entre la dénomination et la santé au coeur de notre réflexion. Nous constatons que des industriels, pour garder l'appellation d'eau minérale naturelle, ont mis en place des pratiques pouvant entraîner des risques sanitaires, alors que le traitement les éviterait, mais ils évitent le traitement pour garder l'appellation. La question est donc de savoir si, dans ce cas-là, on devrait déclasser l'eau, ne plus la considérer comme une eau minérale naturelle, un peu comme le fait Maison Perrier. L'enjeu pour les industriels, c'est la valeur : le prix n'est pas le même selon le signal au consommateur. Mais il faut bien marquer la limite, entre d'un côté des eaux qui sont minérales naturelles parce que non traitées, et les autres.

Mme Pauline Rousseau-Gueutin. - Nous n'avons parlé que de microbiologie, mais il y a aussi la virologie. Les virus se trouvent naturellement dans les eaux souterraines et, bien qu'ils ne soient pas nécessairement pathogènes, nous avons trouvé des virus aussi dans des eaux souterraines profondes. Si nous ajoutons les virus aux paramètres de recherche de contamination microbiologique, il faut faire attention au type de virus recherché et à leurs indicateurs. Car si nous recherchons des indicateurs environnementaux, nous allons en retrouver ; en revanche, si nous recherchons des virus d'origine fécale, nous n'en trouverons pas. Les virus suscitent beaucoup de questions, ils sont si petits qu'ils passent à travers les aquifères, alors que les bactéries sont pour la plupart filtrées mécaniquement avant d'atteindre les nappes.

M. Laurent Burgoa, président. - Merci pour votre participation.

Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.

La réunion est close à 17 h 00.