Mardi 17 décembre 2024

- Présidence de M. Laurent Lafon, président -

La réunion est ouverte à 17 h 30.

Audition de Martin Ajdari, candidat proposé par le Président de la République aux fonctions de président de l'Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique (Arcom)

M. Laurent Lafon, président. - Mes chers collègues, en application de l'article 13 de la Constitution, nous entendons aujourd'hui Martin Ajdari, candidat proposé par le Président de la République pour succéder à Roch-Olivier Maistre aux fonctions de président de l'Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique (Arcom).

Cette nomination s'exerce dans le cadre du cinquième alinéa de l'article 13 précité, qui dispose qu'en raison de l'importance de cet emploi « pour la garantie des droits et libertés ou la vie économique et sociale de la Nation, le pouvoir de nomination du Président de la République s'exerce après avis public de la commission permanente compétente de chaque assemblée. Le Président de la République ne peut procéder à une nomination lorsque l'addition des votes négatifs dans chaque commission représente au moins trois cinquièmes des suffrages exprimés au sein des deux commissions ».

D'après les dispositions législatives prises en application de cet article, je vous rappelle que cette audition est publique et que nous nous prononcerons, à l'issue de celle-ci, par un vote à bulletin secret sans possibilité de délégation de vote.

La commission des affaires culturelles de l'Assemblée nationale fera de même demain matin. L'ensemble des votes sera dépouillé simultanément dans les deux assemblées, à l'issue de cette seconde audition.

Je vous rappelle l'importance des responsabilités qui incombent au président de l'Arcom, autorité publique indépendante issue de la fusion au 1er janvier 2022 du Conseil supérieur de l'audiovisuel (CSA) et de la Haute Autorité pour la diffusion des oeuvres et la protection des droits sur internet (Hadopi).

L'Arcom est chargée d'accompagner un paysage audiovisuel et numérique qui poursuit une mutation engagée depuis deux décennies.

Les enjeux de cette transformation ne cessent de s'amplifier, sous l'effet de la concurrence des grandes plateformes numériques internationales et de l'évolution des usages.

L'Arcom traite d'enjeux majeurs touchant aux libertés publiques, au droit à l'information, au pluralisme, à l'économie du secteur et à la préservation de la création. Elle inscrit par ailleurs son action dans un cadre européen de plus en plus structurant.

Monsieur Ajdari, nous allons vous laisser le temps nécessaire pour vous présenter et partager votre vision sur ces évolutions, à l'issue d'une année 2024 particulièrement intense, marquée par des décisions et des avis majeurs de l'Arcom pour le secteur audiovisuel et numérique.

Ensuite, je donnerai la parole aux membres de la commission qui souhaiteraient vous poser des questions, en commençant par notre rapporteur, Cédric Vial.

Je vous précise que cette audition est publique et diffusée sur le site internet du Sénat.

M. Martin Ajdari, candidat proposé par le Président de la République pour exercer les fonctions de président de l'Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique (Arcom). - Mesdames, messieurs les sénateurs, je suis très honoré de me présenter devant vous, et pleinement conscient de l'importance de la mission que le Président de la République, sur proposition du Premier ministre, a envisagé de me confier le 28 novembre dernier.

Cela a été souligné, c'est dans un environnement en pleine mutation que l'Arcom est appelée à jouer plus que jamais un rôle de premier plan pour la qualité de l'information et du débat public, pour la diversité de la création, pour la protection du public et, en définitive, pour le fonctionnement de notre démocratie.

Cela explique, d'ailleurs, le lien si étroit qu'elle entretient avec le Parlement, en particulier avec votre commission.

Avant de vous exposer ma vision des principaux enjeux auxquels l'Arcom sera confrontée dans les mois et années à venir, permettez-moi de revenir brièvement sur le parcours professionnel qui me conduit devant vous. Ce parcours a une triple dimension - culturelle, bien sûr, mais aussi financière et européenne -, acquise au gré des responsabilités que j'ai exercées à Bercy, rue de Valois et, plus récemment, à l'Opéra de Paris. Il a une dominante forte : l'audiovisuel public, dont j'ai exploré de nombreuses facettes à Radio France internationale (RFI) et à Radio France, auprès de Jean-Paul Cluzel, puis à France Télévisions auprès de Rémy Pflimlin, au moment où les chaînes France 2, France 3, France 5 et Réseau France outre-mer (RFO) ont fusionné pour créer ce que l'on a appelé à l'époque l'entreprise unique.

J'ai ensuite élargi mon champ d'intervention à la tête de la direction générale des médias et des industries culturelles (DGMIC) de 2015 à 2019. Je m'y suis consacré au développement non seulement de l'audiovisuel - public et privé -, mais aussi de la presse, du livre et de la musique, en relation étroite avec les différents maillons de ces industries - sociétés d'auteurs, producteurs de musique ou de films, éditeurs de médias et de livres, distributeurs. Bref, tous ces maillons essentiels à la vitalité de nos politiques culturelles.

Cette étape m'a permis de contribuer à des évolutions importantes du cadre juridique de l'audiovisuel. J'en citerai trois. La directive européenne sur les services de médias audiovisuels (SMA), qui a permis d'intégrer les plateformes de vidéo à la demande dans notre écosystème de financement de la production, apportant ainsi une contribution supplémentaire de plus de 360 millions d'euros par an. La loi du 22 décembre 2018 relative à la lutte contre la manipulation de l'information, qui, au-delà des débats qu'elle a pu susciter à l'époque, a néanmoins marqué un vrai tournant. Enfin, le grand projet de loi audiovisuel que Franck Riester a présenté en 2020, mais dont l'examen a été interrompu en raison du covid. Ce texte a néanmoins abouti à la création de l'Arcom le 1er janvier 2022. Certaines des dispositions qu'il comprenait ont aussi préfiguré quelques-unes des propositions que vous avez vous-même présentées, monsieur le président Lafon, dans le cadre de la proposition de loi relative à la réforme de l'audiovisuel public et à la souveraineté audiovisuelle.

C'est aussi une période au cours de laquelle la DGMIC a soutenu de nombreux textes relatifs aux médias et à la presse dans leur ensemble, par exemple la loi de 2016 visant à renforcer la liberté, l'indépendance et le pluralisme des médias, dite « loi Bloche », ou en 2019 la loi tendant à créer un droit voisin au profit des agences de presse et des éditeurs de presse. L'année 2019 a également vu la création du Centre national de la musique (CNM), partenaire important de l'Arcom.

Toutes ces années assez intenses m'ont donné la conviction profonde qu'il est possible, souhaitable et nécessaire de se réarmer intellectuellement et juridiquement pour adapter nos politiques publiques face aux bouleversements engendrés par les technologies et les usages numériques. C'est fort de cette conviction que j'aspire aujourd'hui, si vous y consentez, à m'engager dans cette nouvelle mission.

Avec quel projet ? Avant toute chose, je voudrais saluer le bilan remarquable de l'Arcom et de son président, Roch-Olivier Maistre. La fusion du CSA et de la Hadopi, décidée par le Parlement, a fait émerger un nouvel acteur à mes yeux plus régulateur que gendarme, reconnu et respecté, avec une nouvelle identité et un périmètre sensiblement élargi à de nouveaux secteurs omniprésents dans la vie des Français, à savoir les plateformes et les réseaux sociaux. N'oublions pas que 67 % des Français s'informent tous les jours par les réseaux sociaux. Le périmètre s'est aussi élargi à de nouveaux défis, comme le déferlement de la haine en ligne, la désinformation ou l'exposition des enfants à la pornographie.

Ce mandat a aussi été celui de l'adoption du règlement européen sur les services numériques (DSA pour Digital Services Act), qui donne à l'Arcom un rôle renouvelé, reposant sur des outils de régulation et de supervision plus souples et coopératifs. C'est une compétence qu'il s'agit désormais de déployer et de concrétiser. Je compte m'appuyer sur cet acquis en même temps que sur les trois grands principes qui l'ont inspiré : la liberté de communication, l'impartialité de la régulation et la collégialité de la décision.

Le premier de ces principes fondateurs est la liberté de communication. La loi de 1986 qui définit les missions de l'Arcom est une loi de liberté, en aucun cas une loi de censure ou de police de la pensée. La liberté de communication est le bien le plus précieux. Elle doit le rester, son exercice allant bien sûr de pair avec son corollaire : le principe de responsabilité.

Le deuxième principe est l'impartialité de la régulation, qu'il s'agisse des courants de pensée ou des acteurs - publics ou privés, traditionnels ou numériques.

Le troisième principe est celui de la collégialité de la décision. D'une part parce que c'est l'une des garanties essentielles de l'indépendance du régulateur. D'autre part, parce que la collégialité est un gage d'intelligence collective grâce à la diversité des talents et des parcours qui composent le collège. Au cours des années à venir, ces grands principes devront être déployés au service de plusieurs enjeux d'importance.

Le premier de ces enjeux est regroupé sous la notion globale d'intérêt du public, qui prend différentes dimensions.

L'intérêt du public, c'est d'abord l'objectif de qualité et de diversité des programmes dans la gestion et l'attribution des fréquences. Ce sera l'une des préoccupations du prochain appel à candidature en vue de l'arrivée à échéance en 2027 des autorisations de la troisième vague de la télévision numérique terrestre (TNT). L'intérêt du public, ce sont aussi, dès à présent, les questions de numérotation qui se posent avec une acuité inédite, ce sont les perspectives de modernisation technologique avec la généralisation en marche de la télévision connectée, le déploiement de formats améliorés de la TNT, la télévision à ultra-haute définition (TVUHD) et le déploiement du DAB+ auquel votre commission est attentive - vous y avez d'ailleurs consacré une table ronde particulièrement édifiante.

L'intérêt du public et des publics, c'est également de poursuivre l'évolution engagée depuis vingt ans pour que l'offre audiovisuelle française soit plus représentative de la société française dans toutes ses composantes. Un récent rapport de l'Arcom pointait l'insuffisante représentation des personnes en situation de handicap dans les programmes. S'il faut se réjouir de l'exposition sans précédent du parasport permise par la séquence olympique, il convient de poursuivre l'effort et de capitaliser cet acquis. Il est aussi nécessaire que la présence à l'antenne et le temps de parole effectif des femmes continuent de progresser. Il faut également que l'audiovisuel s'adresse à tous les Français et à tous les territoires, y compris aux outre-mer.

L'intérêt du public c'est enfin et de plus en plus - vos travaux en témoignent - sa protection : protection contre les contenus en ligne illicites ou nocifs, protection des jeunes publics face à des enjeux d'éducation et de santé publique, protection contre les ingérences et tentatives de déstabilisation extérieures.

Le deuxième grand enjeu voisin est celui de la qualité de l'information et de la confiance dans l'information, les médias professionnels étant confrontés à des menaces bien identifiées : décrédibilisation, polarisation des débats, paupérisation des acteurs, risques associés à l'intelligence artificielle (IA). Sur le terrain de l'information, je m'emploierai en particulier à avancer sur la très délicate question du pluralisme et à travailler en lien étroit avec les éditeurs aux modalités concrètes de traduction de la délibération prise par l'Arcom en juillet. Des dispositions sont inscrites dans les conventions ; elles demandent maintenant à vivre et à faire la preuve de leur bon fonctionnement.

J'aurais aussi à coeur d'accompagner les évolutions en matière de concentration auxquelles nous engage le règlement européen sur la liberté des médias. Ces questions de concentration font l'objet de nombreuses réflexions. Les travaux passionnants des États généraux de l'information (EGI) l'ont illustré, de même que les propositions initiées par votre commission. La proposition de loi de Sylvie Robert a exploré les suites de ces États généraux de l'information. L'Assemblée nationale s'en est également saisie. Ces questions centrales pour la démocratie devront être pensées en étroite liaison avec le législateur, dans le cadre que vous aurez déterminé.

Le troisième enjeu majeur en résonance avec la question de l'information est la santé de l'écosystème audiovisuel. Il ne peut pas y avoir d'ambition culturelle et éditoriale sans dynamisme économique. Je vois trois objectifs prioritaires dans les prochains temps à ce titre.

Tout d'abord, il convient de soutenir la vitalité incroyable de notre production cinématographique et audiovisuelle en préservant les acquis de la directive SMA, qui pourrait être réexaminée en 2026.

Ensuite, il importe de réduire les asymétries de régulation entre les acteurs du numérique et les acteurs historiques - les acteurs historiques de l'audiovisuel assurent 80 % du financement de la création ; or les nouveaux acteurs sont sur le point d'accaparer deux tiers des recettes publicitaires. Il faudra d'ailleurs se pencher sur le fonctionnement et la transparence du marché de la publicité digitale.

Enfin, bien sûr, il est nécessaire de lutter contre le piratage, qu'il s'agisse des films, des séries ou des droits sportifs. Les sommes en jeu sont évaluées à 1,5 milliard d'euros. Les progrès réalisés ces dernières années grâce aux outils mis en place par le législateur sont encourageants. La consommation illégale a diminué d'à peu près un tiers, mais elle demeure élevée et sa recrudescence au cours des derniers mois nous engage à aller plus loin dans la capacité de réaction du régulateur.

Le quatrième grand enjeu concerne les évolutions de notre audiovisuel public, qui représente 30 % de l'audience de la télévision comme de la radio, et joue un rôle essentiel pour le financement de la création, l'accès à une information de référence, le rayonnement international et au sein des territoires. Nous en avons eu un exemple récent, hélas dramatique, avec la couverture qu'a assurée Mayotte La 1ère, dès les premières heures, des conséquences du cyclone Chido.

Le rôle et la singularité de l'audiovisuel public doivent être confortés, de même que son efficacité collective, grâce à des coopérations plus étroites. La promulgation toute récente de la loi organique portant réforme du financement de l'audiovisuel public, présentée sur votre initiative, monsieur le rapporteur, nous engage à cet effort d'efficacité collective. Je serai heureux d'y contribuer à mon niveau, dans le cadre que le législateur définira.

Un cinquième et dernier défi, plus prospectif, me semble s'imposer. Il s'agit d'anticiper le basculement, à l'horizon de la prochaine décennie, vers un monde plus largement délinéarisé, dont la régulation reste encore, pour une part, à inventer. Les délibérations récentes de l'Arcom, relatives à la mise en avant des services d'intérêt général nous montrent la voie. La TNT a et conservera longtemps des atouts considérables et une attractivité forte, que le récent appel à candidatures pour les fréquences hertziennes a démontrés, si besoin était. Pour autant, il faut se préparer à ces évolutions de long terme.

Pour finir, j'en viens aux moyens et modalités d'intervention de l'Arcom pour mettre en oeuvre ces priorités. D'abord, l'Autorité doit encore renforcer son expertise sur le numérique. Le Parlement a bien voulu accroître ses moyens d'une vingtaine d'emplois, sur un total de quatre cents, en même temps qu'il l'a dotée de nouvelles compétences. J'espère que ce mouvement se poursuivra, sachant que la réponse reposera aussi sur des redéploiements internes. J'en profite pour saluer la qualité et l'engagement des agents de l'Arcom.

Ensuite, l'Arcom doit plus que jamais être ouverte à ses partenaires et fonctionner en réseau. La coopération est essentielle, d'abord à l'échelle européenne et internationale, en particulier au travers de l'Erga (European Regulators Group for Audiovisual Media Services), qui va se transformer en Comité européen des services de médias. À l'échelle nationale, il nous faut également travailler avec différents acteurs, notamment pour mettre en oeuvre le règlement sur les services numériques avec la Commission nationale de l'informatique et des libertés (Cnil) et la direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF) ou encore avec le service de vigilance et de protection contre les ingérences numériques étrangères (Viginum) pour prévenir les ingérences extérieures.

Enfin, je veillerai à intensifier encore la pédagogie et la communication sur les enjeux de la régulation. L'éducation aux médias et à la citoyenneté numérique en est un élément central. C'est, je crois, la condition de la confiance et de l'efficacité même de la régulation.

J'ai commencé mon propos en évoquant l'importance des missions de l'Arcom pour le fonctionnement de la démocratie. Pour conclure, je veux aborder la question de la souveraineté, qui lui est associée. Nous sommes passés d'un écosystème médiatique cloisonné, dominé par quelques grandes chaînes nationales, à un environnement fragmenté et ouvert où les acteurs numériques, tous extraeuropéens - Netflix, Meta, X ou TikTok -, occupent une place centrale, et où se jouent des confrontations, parfois des guerres, économiques, culturelles et informationnelles. L'Arcom doit, dans ce cadre, être en première ligne et déployer une régulation efficace pour contribuer à un audiovisuel dynamique et à un internet plus sûr.

M. Cédric Vial, rapporteur. - Vous venez de présenter votre feuille de route pour l'Arcom. Comment envisagez-vous le rôle de cette institution dans un contexte de convergence croissante entre les médias traditionnels et les plateformes numériques ?

Quel rôle l'Arcom doit-elle jouer pour garantir l'indépendance éditoriale des médias publics, tels que France Télévisions ou Radio France, tout en veillant au respect de leur mission de service public ?

Quelle est votre vision du pluralisme interne ? Pensez-vous qu'il existe par exemple des chaînes d'opinion sur la TNT, ou qu'il pourrait en exister ? À ce titre, quel est votre regard sur la récente décision du Conseil d'État sur ce sujet et sur la réponse qui a été apportée par l'Arcom dans une délibération du mois de juillet ? Permettent-elles de définir clairement le pluralisme ? La notion de pluralisme, ou de neutralité, est-elle respectée dans les médias du secteur public ? Ceux-ci doivent-ils répondre aux mêmes règles que les chaînes privées ou ont-ils des obligations qui leur sont propres ?

Quel est votre avis sur la proposition de loi relative à la réforme de l'audiovisuel public et à la souveraineté audiovisuelle, dite Lafon ? Que pensez-vous d'un rapprochement du secteur audiovisuel public au sein d'une holding ? Dès votre prise de fonction, vous devrez lancer la procédure de renouvellement du mandat du nouveau PDG de France Télévisions, qui devra être nommé au plus tard au mois de mai. L'adoption de cette proposition de loi pourrait-elle bouleverser ce calendrier ? Cela ne risque-t-il pas de limiter le nombre de candidatures, voire de mettre en cause cette procédure ? Quel profil rechercherez-vous ? Lors de votre nomination, avez-vous évoqué avec le Président de la République ou l'un de ses collaborateurs le nom de certains candidats à cette fonction ? Comment comptez-vous rendre cette procédure réellement ouverte et transparente ?

Enfin, par souci de transparence, je me dois de vous interroger sur un dernier sujet. Vous avez fait l'objet d'une condamnation par la Cour de discipline budgétaire et financière (CDBF) dans un arrêt de jugement rendu au nom du peuple français le 28 juillet 2020. Les faits en cause, qui se sont déroulés après octobre 2011 et qui n'étaient pas prescrits lors du jugement, concernaient plusieurs dizaines de millions d'euros de contrats passés irrégulièrement et sans mise en concurrence à l'époque où vous travailliez à la direction de France Télévisions. J'ai retrouvé un certain nombre d'articles concernant, en outre, une procédure judiciaire, indiquant que vous aviez été cité comme témoin assisté dans l'affaire Bygmalion. Quelle a été la conclusion de cette procédure ? Pourriez-vous revenir sur ces deux épisodes ?

M. Martin Ajdari. - Je répondrai d'abord aux questions me concernant personnellement.

Il est vrai que mon nom a été associé à l'une des affaires dites Bygmalion, durant une période aussi longue que pénible. La société Bygmalion était en relation avec France Télévisions avant mon arrivée dans le groupe. C'est d'ailleurs sur cette période qu'a porté l'essentiel de l'instruction conduite par la justice. À ma prise de fonction, j'ai signé l'un des derniers contrats pour mettre un terme à cette relation. Or ce contrat a été utilisé pour m'associer à l'affaire, de manière malveillante, de la part d'un acteur du monde audiovisuel de l'époque - je ne souhaite pas m'étendre sur le sujet. J'ai donc été cité comme témoin assisté, ma signature figurant sur l'un des contrats. J'ai été auditionné à deux reprises par le juge Van Ruymbeke. J'ai ensuite été totalement mis hors de cause. Je n'ai pas même été sollicité par la justice, car rien ne pouvait m'être reproché.

Par ailleurs, en 2020, la Cour de discipline budgétaire et financière a prononcé, à mon encontre et celle de mon successeur, une amende administrative au titre des fonctions de cadre dirigeant que j'ai exercées à France Télévisions entre 2012 et 2014. Il m'était alors reproché un défaut d'organisation et de surveillance, au motif que les services placés sous ma responsabilité et celle de mon successeur avaient effectué des achats sans respecter pleinement les règles de la commande publique.

Lors de ma prise de fonction à France Télévisions, en 2010, l'application à l'audiovisuel public de règles de la commande publique datant de 2006 n'avait pas encore été clairement tranchée par la jurisprudence. En tout cas, France Télévisions ne les appliquait pas. Nous avions d'ailleurs instauré, avec mon adjoint, qui est ensuite devenu mon successeur, plusieurs mesures pour assurer le respect de ces règles, en commençant par les contrats dont les montants étaient supérieurs à 1,5 million d'euros. J'ai notamment créé une commission des marchés. Ces décisions ont été prises en toute transparence, avec le comité d'audit.

La direction suivante de France Télévisions a reconnu devant la Cour des comptes que ces efforts avaient été engagés dès le début des années 2010. La CDBF a considéré que cela n'était pas allé assez vite, et qu'alors que je travaillais à France Télévisions, des contrats ne respectant pas ces règles avaient été signés, sans prendre en considération le doute qui existait alors sur leur applicabilité.

Compte tenu des actions engagées, la CDBF m'a accordé le bénéfice des circonstances atténuantes, ainsi qu'à mon successeur. Elle n'a relevé aucune prise d'intérêts personnels ni aucun préjudice pour France Télévisions. C'est une décision que j'ai assumée, en tant que responsable d'une entreprise publique, bien que je la trouve, aujourd'hui encore, quelque peu injuste, au regard des efforts que j'ai déployés.

La CDBF a été supprimée en 2023 et le régime de responsabilité des gestionnaires publics a été modifié, notamment pour éviter que le nom de certains dirigeants soit associé à des condamnations alors qu'aucun préjudice pour la collectivité ou les deniers publics n'est constaté.

J'en viens à vos questions sur mes perspectives pour l'Arcom. L'Autorité est un pôle de régulation audiovisuelle, solidement construit autour des règles de la loi relative à la liberté de communication de 1986 et de ses objectifs de diversité, de qualité et de pluralisme des programmes, d'honnêteté de l'information et de financement de la création. L'Arcom intègre progressivement de nouveaux acteurs audiovisuels, comme Netflix ou Disney Plus, notamment grâce à des outils comme la directive SMA de 2018 ou le décret du 22 juin 2021 relatif aux services de médias audiovisuels à la demande (Smad). Ces évolutions sont en bonne marche. Ces nouveaux acteurs audiovisuels occupent une place croissante. Nous devons donc pleinement les intégrer à la régulation. L'un des enjeux de la directive SMA est de prendre en compte les événements sportifs d'importance majeure dans les obligations des plateformes. La diffusion de la Ligue 1 par Amazon Prime a montré l'intérêt de ces plateformes pour la diffusion d'événements sportifs.

Par ailleurs, les très grandes plateformes, objet du règlement européen sur les services numériques, n'appellent pas réellement à une régulation audiovisuelle, mais davantage à une supervision, grâce à des outils de transparence et d'obligation d'information. Lorsque des effets nocifs, illégaux ou dangereux sont constatés, nous pourrons ainsi nous armer pour répondre à ces enjeux.

Ces deux régulations, de nature assez différente, viendront peut-être à être exercées conjointement. Pour l'heure, ces champs sont séparés. En créant l'Arcom, qui réunit le CSA, chargé de la régulation de l'audiovisuel, et la Hadopi, qui travaillait davantage à la régulation numérique, nous avons lancé une synergie, que nous devons désormais renforcer et déployer au service de nos différents objectifs.

En tant qu'autorité indépendante, l'Arcom nomme les dirigeants des médias publics. D'abord, les règles déontologiques propres à chacun de ses membres garantissent l'indépendance de l'institution. Ensuite, cette indépendance est assurée par le collège de l'Arcom, qui compte neuf membres, nommés par cinq autorités différentes, et qui rassemble ainsi des parcours variés - d'éminents juristes, des journalistes, des producteurs, de hauts fonctionnaires, des femmes et hommes de culture... Cette organisation garantit que les décisions ne puissent se fonder que sur la mission assignée à l'Arcom et sur l'intérêt général. La proposition de loi de M. Lafon retient d'ailleurs cette modalité de nomination. Je serai heureux de contribuer à cette affirmation de l'indépendance de l'audiovisuel public.

Concernant le calendrier de nomination du prochain PDG de France Télévisions, en l'absence d'adoption de cette proposition de loi, l'Arcom devra lancer l'appel à candidatures au mois de mars. Si un texte modifiant ce cadre devait être voté par la suite, cela soulèverait des questions complexes, auxquelles je n'ai pas de réponse immédiate.

Je ne cherche pas de profil particulier pour ce poste. Celui qui l'occupera devra être un professionnel, qui apportera tous les gages de compétences nécessaires pour remplir la mission que la loi assigne à France Télévisions. En 2015, le Gouvernement, représentant l'actionnaire, avait aussi émis des priorités stratégiques. Il serait utile que le collège soit informé des intentions du Gouvernement en ce sens.

Enfin, je n'ai pas évoqué ce sujet avec le Président de la République. La procédure de nomination offre tous les gages de transparence. Je ne vois pas de modalités particulières à y ajouter, au-delà de l'engagement et du professionnalisme de ceux qui y contribueront.

Mme Sylvie Robert. - Concernant le pluralisme de l'information, l'Arcom a étoffé sa doctrine à la suite de la décision du Conseil d'État du 13 février 2024. À vos yeux, l'Autorité est-elle désormais suffisamment outillée ? La délibération de l'Arcom, qui propose une nouvelle méthode de mesure du pluralisme, ne mentionne pas la question de l'indépendance de l'information, pourtant soulevée par le Conseil d'État. La question doit-elle être travaillée plus avant ?

Quelle est votre opinion sur l'état de notre espace informationnel et sur la qualité de notre débat public ? La Fondation Jean Jaurès a publié une étude sur la fatigue informationnelle. Elle parle maintenant d'un exode informationnel. Ces questions intéressent particulièrement le législateur.

Enfin, les États généraux de l'information ont rendu un certain nombre de conclusions. Quelles mesures le législateur doit-il urgemment reprendre, notamment en matière de rééquilibrage de la concurrence entre les plateformes et les médias traditionnels ?

M. Max Brisson. - Le 5 décembre dernier, le groupe Canal+ annonçait le retrait de ses chaînes payantes de la TNT, tirant les conséquences du retrait de la fréquence de la chaîne C8 par l'Arcom. Plusieurs chaînes devraient disparaître des ondes de la TNT, pour la première fois de son histoire. L'Arcom est donc pointée du doigt. J'avais déjà interrogé Roch-Olivier Maistre, qui ne m'a pas apporté de réponse convaincante.

Par cette décision, Canal+ accélère sa transformation vers une plateforme numérique similaire à Netflix et Prime Video. Les pouvoirs publics, dont l'Arcom, auront facilité cette mutation. La TNT risque de subir de plein fouet la concurrence de la télévision connectée et du streaming. Or la TNT est indispensable au maintien d'une offre audiovisuelle de qualité dans tout le territoire, pour un public qui n'a pas toujours ni les moyens financiers ni les moyens techniques de recourir à une autre offre. L'universalité et la pérennité de la TNT ne sont-elles pas menacées ?

À ce titre, il me paraît légitime que le législateur interroge le régulateur sur ses critères de choix et ses motivations dans l'exercice de ses missions. Jusqu'à présent, je n'ai pas eu réellement de réponse.

Pouvez-vous rassurer les sénateurs de mon groupe sur votre volonté que l'Arcom assure bel et bien une gestion optimale du spectre hertzien, conformément à la mission que le législateur lui a confiée en matière de délivrance des autorisations ?

Mme Annick Billon. - La lutte contre l'accès des mineurs aux sites pornographiques est une question essentielle pour la délégation aux droits des femmes du Sénat. La volonté politique pour protéger nos mineurs, malheureusement, ne semble pas être la même que pour lutter contre la haine en ligne.

L'Arcom a publié le 11 octobre dernier le référentiel dictant les règles de vérification d'âge des visiteurs des sites. Les éditeurs ont trois mois pour se mettre en règle, et gardent une forme de latitude pour une seconde période de trois mois.

Depuis la loi du 30 juillet 2020 visant à protéger les victimes de violences conjugales, les éditeurs et les autorités se renvoient la balle en matière de vérification d'âge, les premiers arguant qu'il n'existe pas de solution simple. La loi du 21 mai 2024 visant à sécuriser et à réguler l'espace numérique, dite loi Sren, a imposé au gendarme des médias de publier un référentiel technique sur les prérequis des systèmes de vérification d'âge. À compter d'avril 2025, les sites devront proposer des outils plus sécurisés et plus fiables. En cas de manquement, ils pourront être sanctionnés par l'Arcom, qui peut désormais les fermer ou les bloquer sans passer par un juge.

Cependant, à la suite de passes d'armes entre la France et Bruxelles, la procédure pourrait être très longue et complexe si le site est installé dans un autre pays de l'Union européenne. Or l'accès des mineurs aux sites pornographiques est un véritable problème de santé publique. Un tiers des enfants de moins de douze ans accèdent à des images pornographiques de manière volontaire ou involontaire - et deux tiers des moins de quinze ans y ont accès. Comment l'Arcom pourra-t-elle travailler avec la Commission européenne pour améliorer la lutte contre l'accès des mineurs aux images pornographiques ?

Mme Laure Darcos. - Ma question concerne la production audiovisuelle. À cause du secret des affaires, nous ne savons pas précisément si les plateformes remplissent leurs obligations et respectent les quotas. Quelle est la politique de l'Arcom en la matière ? J'espère que vous serez vigilant sur cette question.

Mme Monique de Marco. - Les règles relatives aux conflits d'intérêts sont très strictes, notamment pour garantir l'indépendance de l'Arcom. Pouvez-vous nous confirmer que vous ne possédez aucun intérêt dans une quelconque entreprise audiovisuelle ou médiatique ?

Votre candidature intervient dans une période grave pour la vie politique française et à un moment charnière pour cette autorité administrative indépendante. L'Arcom a pris des décisions historiques contre certaines chaînes du groupe de Vincent Bolloré, qui se sont illustrées par leur souhait délibéré d'enfreindre la loi de 1986 relative à la liberté de communication, dans une stratégie commerciale qui n'est pas sans impact sur la vie politique française.

Lors de l'examen de la proposition de loi de Sylvie Robert, nous avions envisagé une aggravation des sanctions. J'avais proposé un amendement visant à réduire les délais d'instruction impartis à l'Arcom en période électorale de deux mois à quinze jours. Roch-Olivier Maistre avait confirmé qu'il travaillait sur le sujet. L'Arcom dispose-t-elle de moyens suffisants pour lutter contre les manquements à la loi, notamment en période électorale ?

M. Jacques Grosperrin. - L'Arcom est certes indépendante, mais j'aime à dire que le peuple a souvent raison quand les élites ne l'entendent pas. Je ne regarde pas les émissions de Cyril Hanouna, mais les Français ont le sentiment qu'il n'existe pas de pluralisme dans les médias. On a le sentiment que le niveau d'exigence de l'Arcom n'est pas le même pour les chaînes publiques, notamment pour France Télévisions ou France Inter. Pourriez-vous nous rassurer, car il y va de la liberté d'expression en France ? Les Français ont le sentiment que l'Arcom se comporte en censeur vis-à-vis d'un groupe politique.

M. Patrick Kanner. - Comment l'Arcom peut-elle anticiper l'impact de l'intelligence artificielle sur la production, la diffusion et la régulation des contenus audiovisuels et numériques ? Faut-il prévoir une réglementation spécifique pour les contenus générés par l'IA, notamment en matière de droits d'auteur et de protection des consommateurs ?

M. Adel Ziane. - Le rapport de la Fondation Jean Jaurès intitulé Les Français et la fatigue informationnelle montre que nos concitoyens fuient un espace médiatique répétitif, saturé et anxiogène. Que pensez-vous du nombre de chaînes d'information sur la TNT ?

De plus, la soutenabilité économique des candidats à la TNT doit-elle être un critère déterminant pour autoriser l'usage des fréquences ?

Enfin, le millefeuille de sanctions prévu par les conventions est-il efficace ? Doit-on envisager la suppression de la caducité quinquennale des mises en demeure, afin que l'Arcom puisse prendre en compte les manquements passés d'une chaîne et vérifier les mesures correctives mises en oeuvre par le candidat ?

M. Jean Hingray. - Je me suis déplacé en Afrique avec certains collègues pour une mission sur la restitution d'oeuvres d'art. Lors des auditions, de nombreux interlocuteurs nous ont fait part de certaines dérives de France 24 et du fait que des journalistes dénigraient l'action de notre pays en Afrique. Que pensez-vous de cette chaîne, et êtes-vous prêts à défendre les intérêts de la France à travers France 24 ?

M. Martin Ajdari. - Plusieurs questions concernent le pluralisme de l'information, la mise en oeuvre des règles posées par l'Arcom et les chaînes d'opinion. Tout cela relève, en grande partie, de la responsabilité du législateur.

Dans les années 1980, le nombre de chaînes était réduit, et nous avions une vision du pluralisme interne fondée sur le temps de parole des personnalités politiques. Le Conseil d'État a été invité à préciser la lecture que l'Arcom devait faire de la loi. Il a défini le champ d'application du pluralisme, qui devient plus large et inclut l'ensemble des intervenants et des programmes. C'est ce que l'Arcom a pris en compte dans sa délibération de juillet, en retenant trois critères - thèmes exposés, intervenants et opinions évoquées à l'antenne -, avec une temporalité de trois mois pour les chaînes générales et un mois pour les chaînes d'information. Ce cadre est clair et compréhensible, et semble ne pas être critiqué pour ce qui concerne sa définition générale.

Ensuite, il va falloir mettre en oeuvre ce cadre avec chacune des chaînes. Il faut, pour chaque projet éditorial, examiner comment procéder, sans définir des grilles a priori, ce qui pourrait s'apparenter à une forme de censure. Grâce aux différentes saisines qui ne manqueront pas de se manifester, le régulateur pourra explorer ce terrain. Les principes de base me semblent pertinents, et s'ils s'avéraient insuffisants, il reviendrait au législateur de faire des propositions.

Concernant les chaînes d'opinion, les conditions de la concurrence ont bien changé en trente ans. Cette question décisive est entre les mains du législateur, et il ne me revient pas de m'exprimer plus avant sur ce point.

J'en viens au service public. Il fait l'objet d'interventions diverses et d'un dialogue avec l'Arcom, pour rectifier des déséquilibres constatés dans les temps de parole ou faire évoluer les conditions de maîtrise de l'antenne. Les règles s'appliquent à tous, au service public comme aux chaînes privées, le premier ayant, d'une certaine manière, un devoir d'exemplarité, notamment aux yeux de la population.

L'étude de la fondation Jean Jaurès sur la fatigue informationnelle montre aussi une forme de perte de repères, une difficulté à distinguer une information vraie d'une fausse. C'est inquiétant. Dans le cadre des EGI, précisément au sein du groupe de travail sur le numérique, une proposition intéressante a été formulée : le développement d'un pluralisme d'algorithmes, permettant à l'utilisateur de choisir un algorithme l'amenant vers des contenus de qualité ou répondant à ses souhaits, sans avoir à subir une information de provenance indistincte, voire suspecte.

D'autres propositions sur la gouvernance et la transparence le sont tout autant : le fait d'avoir un administrateur indépendant, référent pour la déontologie et les conflits d'intérêts ; l'extension de la qualité de société à mission aux entreprises d'information, qui renforcerait la gouvernance et donnerait accès à des aides supplémentaires ; l'adaptation de la fiscalité ou des conditions économiques, pour réduire les asymétries et assurer une meilleure rétribution des chaînes. À ce dernier égard, nous pourrions - je parle ici en tant que simple citoyen, sans vouloir effrayer les fiscalistes - envisager une fiscalité adaptée en fonction de la finalité de la publicité sur les plateformes numériques, selon que cette même publicité finance des médias professionnels et de qualité ou qu'elle alimente des services dont le modèle même repose sur l'incitation au clic.

J'en viens aux décisions du régulateur en matière d'attribution de fréquences, la question m'ayant été posée portant, d'une part, sur la façon dont celui-ci fait ses choix et, d'autre part, sur la gestion de la plateforme TNT par l'Arcom.

La TNT possède de nombreux atouts tels que la gratuité, la simplicité et l'universalité, elle se modernise et demeure un outil indispensable de la régulation. Ses utilisateurs exclusifs représentent seulement 16 % du total - en conséquence, 84 % des téléspectateurs accèdent à la télévision par d'autres moyens -, mais ce pourcentage est une moyenne et, dans certains territoires ou dans certaines catégories de la population, la TNT revêt une importance beaucoup plus significative. Elle conserve ainsi son rôle d'aiguillon fondateur.

Le départ de Canal+ de la TNT payante doit être relativisé : les modèles payants ne sont pas forcément les plus présents là où la TNT est utilisée à titre exclusif et le groupe laisse entendre depuis quelques années qu'il s'interroge sur son maintien dans ce dispositif, compte tenu du faible nombre d'abonnés y subsistant.

La question de l'avenir de la TNT doit donc se poser à tout moment. Celle-ci conserve beaucoup d'atouts, des fréquences ont été libérées et il convient d'examiner ce qui doit en être fait, au regard de la capacité d'absorption du marché publicitaire concernant les chaînes gratuites. L'Arcom, dans son instruction des candidatures reçues, a conclu qu'il n'y avait pas aujourd'hui de place pour accueillir de nouvelles chaînes financées par la publicité sans menacer la santé économique de l'ensemble. Nous disposons d'un an, d'ici aux appels à candidatures de 2026, pour déterminer comment ces ressources peuvent être utilisées, peut-être pour déployer plus largement de nouveaux formats, comme l'ultra-haute définition ou le format HDR, qui améliore la qualité avec une meilleure performance environnementale.

Concernant la décision rendue sur les appels à candidatures, je ne vais évidemment ni la commenter ni la refaire. Elle a suivi une procédure très bien décrite par la loi, avec de nombreuses étapes : étude d'impact, appel à consultation publique, appel à candidatures, auditions publiques. Les motivations des choix d'attribution ou de non-attribution seront notifiées aux chaînes qui n'ont pas été retenues ; j'imagine que certaines d'entre elles les contesteront et que la discussion pourra se poursuivre dans d'autres enceintes.

Ce sujet prend place dans le cadre législatif d'une autorisation d'émettre pour une durée donnée qui, par définition, finit par arriver à échéance. On ne peut que comprendre la déception, la frustration, voire l'incompréhension des candidats qui ne sont pas retenus. Pour autant, il ne s'agit pas d'un retrait d'autorisation ; nous parlons d'un non-renouvellement, allant de pair avec le choix de faire advenir de nouveaux entrants, considérés comme légitimes par le régulateur et portant d'autres projets, d'autres objectifs, d'autres valeurs.

Concernant l'accès des mineurs à la pornographie en ligne, Annick Billon a parfaitement décrit la situation et ses dangers, le caractère frustrant des échanges avec la Commission européenne, ainsi que la difficulté à imposer nos règles, désormais claires, notamment depuis la modification par la loi Sren de la loi du 21 juin 2004 pour la confiance dans l'économie numérique.

Néanmoins, en observateur encore lointain, il me semble que les choses se mettent en place : le référentiel a été établi et les opérateurs connaissent les règles qu'ils doivent respecter, même si certains d'entre eux continueront à prétendre qu'il n'existe pas de solution technique. Toutefois, à ma connaissance, des solutions se développent, permettant d'assurer le droit à la vie privée, qui est primordial. La filiale numérique de La Poste, Docaposte, se fait ainsi fort de proposer des solutions de double vérification.

L'existence d'un référentiel et de règles incitera à l'émergence de solutions, car rien ne justifie que l'on n'en trouve pas. Des contestations surviendront vraisemblablement, cela dit. À terme, la solution se trouve certainement au niveau européen : la Commission devra s'emparer pleinement du sujet, ce qu'elle a commencé à faire en lançant un appel à projets pour une solution de vérification applicable au niveau européen. Les choses se mettent en place, même si la situation est frustrante compte tenu du danger déjà présent.

Une dernière considération sur ce thème : il ne faut évidemment pas cesser de lutter contre les sites proposant des contenus pornographiques sans vérification de l'âge des utilisateurs respectueuse de la vie privée. Il convient sans doute également que tous les terminaux utilisés par les enfants ou les adolescents offrent des modalités de contrôle plus en amont, à la main des adolescents ou de leurs parents, et pas uniquement en aval. L'action doit s'effectuer à ces deux niveaux.

Concernant la question de Mme la sénatrice Darcos, le chiffre d'affaires exact réalisé par les plateformes mondiales telles que Netflix ou Disney en France n'est pas public ; il est couvert par le secret des affaires, de même que la répartition des usages entre cinéma et audiovisuel. De ce fait, les professionnels de l'audiovisuel et du cinéma qui négocient avec ces plateformes, comme la loi et le décret du 22 juin 2021 relatif aux services de médias audiovisuels à la demande les y invitent, n'ont pas connaissance du chiffre d'affaires sur lequel les contributions pourraient être fondées, ce qui est évidemment frustrant de leur point de vue. L'Arcom, tenue par le secret des affaires, ne peut communiquer ces données. Un échange a été engagé entre l'Arcom et le Gouvernement pour examiner comment le secret des affaires, dans un véhicule législatif futur, pourrait être levé pour répondre à ce besoin, au motif de l'intérêt général poursuivi. Je n'y vois évidemment que des avantages pour la transparence de la négociation entre producteurs et plateformes.

Mme la sénatrice de Marco m'a interrogé sur les intérêts éventuels que je pourrais détenir dans les entreprises audiovisuelles ou cinématographiques. Je peux l'affirmer ici : je n'en possède aucun, et cela me semble effectivement important.

Concernant le régime de sanction de l'Arcom, j'ai le sentiment que son arsenal est assez adapté : l'Autorité ne se plaint pas d'une insuffisance, et ce régime a vu les garanties procédurales qui le sous-tendent renforcées. Cela allonge la procédure, mais lui confère aussi davantage de sécurité, ce qui constitue plutôt un point positif. Donc, à mon sens, bien que je ne sois pas complètement informé, ce régime ne me semble pas défaillant : il s'agit d'un régime de liberté, puis de responsabilité dès lors qu'un manquement est observé. Il convient donc de l'exercer et de sanctionner si la loi n'est pas respectée ; pour autant, le principe de base demeure la liberté.

M. le sénateur Kanner m'a interrogé sur l'intelligence artificielle, une question que tout le monde garde à l'esprit et dont on perçoit plus facilement les dangers, les risques ou les menaces que le potentiel. Je tiens à rappeler que l'IA recèle un potentiel formidable pour ses utilisateurs, y compris pour les médias - et sans doute aussi pour le régulateur, dont elle peut améliorer l'efficacité dans l'exercice de ses missions.

Il est vrai, toutefois, qu'elle comporte aussi des menaces ou risques de trois natures. Il y a tout d'abord un risque juridique d'atteinte à la propriété littéraire et artistique, au droit moral des créateurs, qu'ils soient journalistes, auteurs ou interprètes. Par ailleurs, un risque de nature économique a été assez bien mis en évidence par une étude de la Confédération internationale des sociétés d'auteurs et compositeurs (Cisac) : d'après elle, une perte de valeur supérieure à 20 % ou 25 % menace les créateurs audiovisuels ou musicaux d'ici à 2028. Enfin, la concurrence que les médias synthétiques sont susceptibles de faire subir aux médias d'information engendre un troisième risque, de nature informationnelle : le risque de désinformation, ainsi que tout ce que l'on désigne sous le terme barbare de deep fake - risque d'usurpation de marque et d'identité, déstabilisation, etc. Tout cela est très préoccupant.

Pour y répondre rapidement, un objectif de transparence s'impose ; le règlement sur l'intelligence artificielle de 2022, qui a vocation à évoluer, en pose les bases, notamment en mettant à la disposition des ayants droit un résumé des référentiels, c'est-à-dire des oeuvres, utilisés pour entraîner les modèles d'IA. Les modèles et les plateformes devraient produire un résumé de ces oeuvres pour que les ayants droit puissent accepter ou refuser leur usage, et s'ils acceptent, être rémunérés pour cela, ce qui est normal.

Ces questions sont extrêmement complexes juridiquement et me rappellent un peu les débats des années 2005-2010 sur la licence globale, en réponse à l'arrivée des oeuvres sur Internet. Je forme le voeu que la réponse soit élaborée de manière plus coopérative, avec un peu moins de déchirement et un peu moins de passion qu'alors. Indiscutablement, il faut encore trouver des solutions en la matière.

Concernant la qualité de l'information et les risques de désinformation, le DSA constitue certainement le bon cadre pour traiter ces questions au niveau européen. La Commission européenne, en tant que superviseur pour ces très grandes plateformes par lesquelles transitent les usages les plus importants et qui comportent donc aussi les risques les plus conséquents, est bien le niveau auquel l'action doit être entreprise.

M. le sénateur Ziane m'a interrogé sur les chaînes d'information : y en a-t-il suffisamment, ou trop ? La question s'était posée en 2016 à propos de l'offre gratuite, car des chaînes existaient déjà lorsque LCI est passée à ce régime. Depuis cette époque, toutes les chaînes ont vu leur audience s'accroître, ce qui montre qu'un potentiel de développement existait bien et que l'augmentation de l'offre a suscité une nouvelle demande ; c'est positif. En outre, mon impression de téléspectateur est que chacune de ces chaînes possède une couleur éditoriale et une identité qui lui est propre, elles ne se ressemblent pas. Ce constat me semble plutôt rassurant sur le principe, quelle que soit l'opinion que l'on porte sur le contenu de chacune d'entre elles.

La soutenabilité économique me semble constituer un critère important d'attribution des autorisations : ouvrir une fréquence, notamment en télévision en clair, à des projets qui ne seraient pas soutenables n'aurait guère de sens. Cette qualité peut s'apprécier à un instant t, ou au long du développement d'un projet de trois ou de cinq ans. Cela relève du rôle du régulateur.

M. le sénateur Hingray m'a interrogé sur France 24 et sur les tensions que crée parfois l'exercice légitime par cette chaîne de l'indépendance de sa ligne éditoriale, ainsi que sur la manière dont cet exercice est occasionnellement perçu, voire instrumentalisé, dans certains États. Du point de vue du régulateur, la réponse s'impose : sa mission consiste à garantir l'indépendance de l'audiovisuel public, y compris extérieur. Un travail éditorial peut naturellement s'effectuer, qui relève en toute indépendance de la responsabilité des rédactions. Des échanges réguliers entre le corps diplomatique, d'une part, et les journalistes, d'autre part, ne me paraissent aucunement tabous ; de tels échanges existent d'ailleurs déjà. Pour autant, il est primordial que le régulateur s'abstienne de toute ingérence et que l'indépendance des rédactions soit strictement préservée. À mes yeux, ce principe est véritablement essentiel.

Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo, disponible en ligne sur le site du Sénat.

Vote sur la proposition de nomination, par le Président de la République, de Martin Ajdari aux fonctions de président de l'Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique

M. Laurent Lafon, président. - Nous avons achevé l'audition de Martin Ajdari, candidat proposé par le Président de la République pour exercer les fonctions de président de l'Arcom. Nous allons maintenant procéder au vote sur cette proposition.

Le vote se déroulera à bulletin secret, comme le prévoit l'article 19 bis de notre Règlement. En application de l'article 1er de l'ordonnance n° 58-1066 du 7 novembre 1958 portant loi organique autorisant exceptionnellement les parlementaires à déléguer leur droit de vote, les délégations de vote ne sont pas autorisées.

Nous procéderons au dépouillement demain, à 12 h 15, de manière simultanée avec la commission des affaires culturelles et de l'éducation de l'Assemblée nationale.

Je vous rappelle que le Président de la République ne pourrait procéder à cette nomination si l'addition des votes négatifs des commissions de l'Assemblée nationale et du Sénat représentait au moins trois cinquièmes des suffrages exprimés dans les deux commissions.

Il est procédé au vote.

La réunion est close à 19 h 00.

Mercredi 18 décembre 2024

- Présidence de M. Laurent Lafon, président -

La réunion est ouverte à 12 h 15.

Dépouillement du scrutin sur la proposition de nomination, par le Président de la République, de Martin Ajdari aux fonctions de président de l'Arcom

La commission procède au dépouillement du scrutin sur la proposition de nomination, par le Président de la République, de Martin Ajdari aux fonctions de président de l'Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique (Arcom), simultanément à celui de la commission des affaires culturelles de l'Assemblée nationale.

M. Laurent Lafon, président. - Voici le résultat du scrutin, qui sera agrégé à celui de la commission des affaires culturelles de l'Assemblée nationale :

- nombre de votants : 29

- bulletins blancs ou nuls : 0

- suffrages exprimés : 29

- pour : 12

- contre : 17

La commission donne un avis défavorable à la proposition de nomination, par le Président de la République, de Martin Ajdari aux fonctions de président de l'Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique.

La réunion est close à 12 h 30.