- Mercredi 11 décembre
2024
- Pollution due aux rejets de granulés de plastique - Examen de la proposition de résolution européenne de Mme Marta de Cidrac et M. Michaël Weber
- Bilan semestriel de l'Assemblée parlementaire de l'Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (AP-OSCE) - Communication de M. Pascal Allizard
- Relations Union européenne-Suisse - Communication de Mme Florence Blatrix Contat et M. Cyril Pellevat
- Cotisations des travailleurs frontaliers pour les prestations chômage - Examen du rapport sur la proposition de résolution européenne
- Relations UE-Suisse - Communication
- Questions sociales, travail et santé - Cotisations des travailleurs frontaliers pour les prestations chômage - Examen du rapport sur la proposition de résolution européenne
Mercredi 11 décembre 2024
- Présidence de M. Jean-François Rapin, président -
Pollution due aux rejets de granulés de plastique - Examen de la proposition de résolution européenne de Mme Marta de Cidrac et M. Michaël Weber
M. Jean-François Rapin, président. - Avant de procéder à l'examen de la proposition de résolution européenne visant à lutter contre la pollution due au rejet de granulés de plastique, je veux souhaiter la bienvenue à Sophie Briante Guillemont, qui est désormais membre de notre commission.
Le Gouvernement est tombé, mais nous poursuivons nos travaux, car l'Union européenne, elle, se remet en ordre de marche et reprend son activité. Le Conseil européen doit se réunir dans huit jours. Nous avions d'ailleurs prévu d'organiser un débat préalable demain, en séance, mais les travaux de notre assemblée ont été ajournés.
Pour rappel, les ministres démissionnaires ne peuvent être entendus au Parlement qu'à titre exceptionnel, lorsque la continuité de l'État est en jeu. Cela justifie donc la présence, ce jour, des ministres Armand et Saint-Martin devant la commission des finances du Sénat, en vue de l'examen du projet de loi spéciale.
Nous ne pourrons donc pas recevoir le ministre chargé de l'Europe, les conditions de démission du Gouvernement suivant l'adoption d'une motion de censure n'étant pas les mêmes qu'après la dissolution de l'Assemblée nationale en juin.
Nous avons bien tenté de trouver une autre modalité pour débattre du prochain Conseil européen. Nous avons ainsi sollicité le Représentant permanent de la France auprès de l'Union européenne, mais il est retenu au Conseil Justice et affaires intérieures (JAI), qui doit avoir lieu demain.
Le débat préalable au Conseil européen ne pourra donc pas se tenir, ce que je regrette. C'est d'ailleurs la raison pour laquelle notre réunion de commission prévue demain a été déplacée à cet après-midi. Je vous prie de bien vouloir nous excuser pour cette modification de dernière minute, mais nous sommes contraints par la situation politique actuelle, qui évolue au jour le jour. Aussi, je vous demanderai d'être prudents quant à l'organisation de nos travaux la semaine prochaine.
Au sein du Conseil de l'Union européenne, les négociations avancent. Les États membres pourraient très prochainement parvenir à un accord sur une proposition législative de la Commission européenne visant à lutter contre la pollution due au rejet de granulés plastiques.
Cette lutte s'inscrit dans la stratégie d'ensemble de l'Union européenne pour réagir à la dégradation qu'a trop longtemps fait subir à notre environnement une évolution mal maîtrisée de nos modes de consommation et de production.
La présente proposition de résolution européenne porte sur la pollution résultant de microbilles, appelées aussi « larmes de sirène », qui s'échouent sur nos littoraux. Difficiles à ramasser, ces petits grains destinés à la production d'objets en plastique proviennent en grande partie de conteneurs perdus en mer par les cargos. Dans mon département, le Pas-de-Calais, nous les retrouvons très souvent sur nos plages, en vrac ou parfois dans des sacs arrachés.
D'après les estimations de la Commission européenne, jusqu'à 184 300 tonnes de granulés plastiques se sont échappées dans la nature en Europe, en 2019. Je remercie nos deux rapporteurs, Marta de Cidrac et Michaël Weber, d'avoir travaillé à nous éclairer sur cette proposition de règlement européen, mise sur la table il y a un an pour tenter de remédier à ce fléau.
Mme Marta de Cidrac, rapporteure. - Au cours des dernières années, nous avons constaté la multiplication de « marées blanches », celles par lesquelles des microbilles de plastique s'échouent sur les plages de la façade atlantique française et espagnole, du Finistère à la Gironde, en passant par la Galice. Ces granulés s'échappent très certainement de conteneurs perdus en mer par des navires.
Une telle pollution est difficile à traiter et il n'est pas aisé d'en retrouver les responsables. Elle cause des dommages importants à l'écosystème côtier et affecte directement l'attractivité des sites touristiques et les activités socioéconomiques des zones touchées.
Les opérations de nettoyage sont le plus souvent assurées par les collectivités territoriales, qui disposent de moyens humains et financiers insuffisants. Ainsi, comme l'a souligné l'Association nationale des élus du littoral (Anel), de nombreux échouements ne font l'objet d'aucune intervention. Quant au suivi de cette pollution, il repose essentiellement sur des initiatives locales, ce qui n'arrange pas les choses.
Les granulés plastiques sont utilisés comme matière première dans l'industrie pour la fabrication d'objets. Leur dispersion dans l'environnement se produit à la suite de pertes involontaires liées à des erreurs de manipulation et d'utilisation, ou à des accidents lors de leur transport par navire ou par camion - toutefois, les pollutions causées par des accidents routiers restent relativement rares. Ces granulés se retrouvent alors aux abords des sites industriels, le long des berges des cours d'eau et sur les plages, dans les milieux côtiers et marins.
Pourtant, ce type de pollution est largement évitable. La mise en place de bonnes pratiques de manipulation et de transport, tout au long de la chaîne d'approvisionnement, permet d'y remédier.
La proposition de règlement, présentée par la Commission européenne le 16 octobre 2023, vise à réduire cette pollution grâce à des mesures de prévention des pertes de granulés plastiques industriels. Elle exclut toute autre source de rejets non intentionnels de microplastiques. Ainsi, le cas des pneus est traité par le règlement Euro 7. Quant aux peintures et aux textiles synthétiques, ils relèvent, entre autres, de l'Ecodesign for Sustainable Products Regulation (ESPR), ou règlement sur l'écoconception des produits.
Cette proposition de règlement s'inscrit dans le cadre des réglementations déjà prises par l'Union européenne pour lutter contre la pollution plastique, en particulier celle des microplastiques, en cohérence avec le Pacte vert pour l'Europe. Ainsi, un objectif de réduction des microplastiques dans l'environnement de 30 % d'ici à 2030 a été fixé.
La proposition de règlement permettra de réaliser un quart des efforts en ce sens. Elle fait d'ailleurs écho aux négociations actuellement en cours en faveur d'un traité mondial pour lutter contre la pollution plastique, qui, pour l'heure, n'ont pas été conclusives.
Le texte de compromis, présenté lors de la session qui s'est tenue il y a huit jours à Busan, en Corée du Sud, prévoyait la mise en oeuvre par les parties prenantes de mesures destinées à prévenir, réduire et éliminer autant que possible les fuites et rejets de granulés plastiques dans l'environnement.
La proposition de règlement ne s'écrit pas sur une feuille vierge de tout principe ou recommandation. En effet, des recommandations de bonnes pratiques de manipulation et de transport ont déjà été formulées et adoptées x niveaux européen et international. Toutefois, leur mise en oeuvre par les opérateurs économiques et les transporteurs repose sur la bonne volonté. Il importe donc qu'un cadre plus contraignant soit adopté à l'échelon européen.
D'ailleurs, l'ensemble des parties prenantes - États membres, industriels, transporteurs et ONG - ont accueilli très favorablement la proposition de règlement ; les auditions que nous avons menées nous l'ont bien confirmé.
Les négociations au sein du Conseil européen ont commencé. Il est question d'adopter une orientation générale lors de la réunion des ministres de l'environnement, le 17 décembre prochain. Quant au Parlement européen, il s'est déjà prononcé sur cette proposition de législation, le 23 avril dernier. Les trilogues devraient donc débuter au premier semestre de l'année 2025.
Le texte vise à harmoniser et à renforcer, à l'échelon européen, les efforts de prévention déjà réalisés par l'industrie plastique et à créer des conditions de concurrence équitable entre les opérateurs économiques au sein du marché intérieur en leur imposant les mêmes mesures contraignantes.
Les mesures proposées par la Commission européenne s'inspirent de la recommandation sur les granulés plastiques industriels, adoptée en juin 2021, par les parties à la convention pour la protection du milieu marin de l'Atlantique du Nord-Est (Ospar). Elles suivent également les recommandations de l'Organisation maritime internationale (OMI), adoptées en mars 2024, et le programme européen Operation Clean Sweep (OSC), lancé en 2014 et mis en oeuvre volontairement par un certain nombre d'acteurs clés de l'industrie plasturgique.
Nous partageons l'ambition affichée par la Commission européenne de réduire les rejets non intentionnels de granulés plastiques dans l'environnement, à chaque étape de la chaîne de valeur.
Soulignons que la France a été pionnière dans l'adoption d'une législation visant à prévenir ces pertes. Pour l'instant, elle est le seul pays au monde à disposer d'un cadre juridique spécifique, depuis l'adoption de la loi relative à la lutte contre le gaspillage et à l'économie circulaire, dite loi Agec. Celui-ci s'applique, depuis le 1er janvier 2023, à l'ensemble des sites industriels produisant ou manipulant des granulés plastiques. Le cadre proposé par la Commission européenne s'en inspire, même s'il diffère sur certains points.
Vous le savez, l'Union européenne a placé la lutte contre la pollution plastique au coeur de ses politiques. La production plastique mondiale devrait continuer à augmenter au cours des prochaines années ; elle pourrait même tripler d'ici à 2060 si aucune mesure n'est prise. Nous le déplorons, le plastique est devenu omniprésent dans notre vie quotidienne, avec des effets significatifs sur notre environnement, en particulier sur les écosystèmes terrestres et marins, mais aussi sur la santé humaine et le climat.
Les granulés plastiques industriels sont des microplastiques dits primaires, dont les caractéristiques sont spécifiques. Ce sont des matières plastiques composées de polymères et d'additifs et commercialisées sous différentes tailles, couleurs et formes. Solides, persistants et souvent flottants, ces granulés se disséminent facilement dans l'environnement, dans les milieux aquatiques et marins, s'ils ne sont pas correctement gérés.
Une étude montre qu'ils sont majoritaires parmi les types de microplastiques les plus souvent retrouvés sur les littoraux français. Leur petite taille rend aussi leur récupération très difficile. Leur dispersion a des incidences non seulement sur les écosystèmes, puisqu'elle modifie les habitats et menace les espèces, mais aussi sur la biodiversité, les microplastiques étant ingérés par la faune. Elle affecte également la santé humaine, en contaminant la chaîne alimentaire, et contribue au changement climatique, dans la mesure où les granulés plastiques émettent des gaz à effet de serre à chaque étape de leur cycle de vie.
M. Michaël Weber, rapporteur. - Selon les données de la Commission européenne, entre 52 000 et 184 000 tonnes de granulés plastiques, soit l'équivalent de 2 100 à 7 300 chargements de camion, sont perdues annuellement au sein de l'UE. Nous ne disposons pas d'évaluation pour la France, mais nous savons que ces granulés constituent la troisième plus grande source de microplastiques non intentionnels libérés dans l'environnement en Europe, après les rejets issus de peintures et des pneumatiques.
La proposition de règlement permettrait de réduire les pertes de 54 % à 74 % par rapport à la situation de référence. Elle s'articule autour de plusieurs éléments : d'abord, elle concerne toute la chaîne d'approvisionnement ; ensuite, elle édicte une obligation générale d'éviter les pertes de granulés, ainsi qu'une obligation de certification pour les opérateurs les plus importants et de déclaration pour les autres ; enfin, elle repose sur une méthodologie harmonisée d'estimation des pertes, élaborée par des organismes de normalisation.
Il est prévu que les États membres adoptent des sanctions en cas de non-respect de ces dispositions.
La proposition de règlement pose une obligation générale de prévention des pertes de granulés plastiques pour tous les opérateurs économiques manipulant plus de 5 tonnes de granulés par an, ainsi que pour les transporteurs de l'Union européenne et des pays tiers, sans limites de seuil. Elle prévoit des procédures et des équipements spécifiques destinés à prévenir la perte et la dispersion des granulés plastiques à toutes les étapes de la chaîne d'approvisionnement.
Le texte impose également aux opérateurs économiques de mener, selon l'ordre suivant, des actions de prévention, de confinement et de nettoyage. Ils doivent ainsi élaborer, tenir à jour et communiquer un plan d'évaluation des risques par installation, avec une cartographie et une minimisation des risques, et procéder à une autodéclaration de respect des exigences auprès de l'autorité compétente de l'État membre.
Ces exigences entraîneront des coûts de mise en conformité, mais ceux-ci devraient être limités : la mise en oeuvre de meilleures pratiques de gestion est peu onéreuse par rapport au chiffre d'affaires du secteur, d'autant que cela réduira de façon significative les pertes de granulés.
Comme ils nous l'ont indiqué lors de leur audition, les industriels de la plasturgie sont largement favorables à ces mesures, car elles ont l'avantage de réduire le gaspillage de la matière première et contribuent à améliorer leur image de marque environnementale auprès d'un public aujourd'hui très sensible à ces questions.
Le seuil proposé par la Commission européenne et les exigences relatives aux bonnes pratiques, déjà respectées par un grand nombre d'entreprises européennes de la plasturgie, sont en cohérence avec la législation française. Selon nous, ce sont des critères déterminants pour atteindre l'objectif de réduction de la pollution par les microplastiques.
Il est essentiel de cibler à la fois les sites industriels les plus importants et ceux de plus petite taille, qui rencontrent parfois des difficultés dans la mise en place des bonnes pratiques de manipulation des granulés. En ce sens, nous nous félicitons que des initiatives soient prévues pour aider les petites et moyennes entreprises (PME).
En outre, nous sommes très satisfaits que la proposition de règlement intègre dans son champ d'application l'ensemble des transporteurs circulant dans l'Union européenne, ce qui n'est d'ailleurs pas le cas dans le dispositif français. Toutefois, la Commission européenne ne prévoit pas l'intégration du transport maritime.
Les discussions en cours au sein du Conseil européen sur cette restriction pourraient aboutir à des avancées positives. Compte tenu de la croissance du transport de granulés plastiques par voie maritime et des risques majeurs d'accidents en mer, il nous semble essentiel d'établir des mesures contraignantes pour ce mode de transport à l'échelon européen. Les littoraux français, y compris ceux des régions ultrapériphériques (RUP), sur lesquels pèsent aussi des menaces de fuites de granulés plastiques, bénéficieraient ainsi d'une meilleure protection.
Néanmoins, il nous semble que certaines dispositions, en s'écartant du dispositif mis en place à l'échelle nationale, atténuent la portée du texte et son ambition. La Commission européenne propose de fixer des obligations allégées pour les micros et petites entreprises ainsi que les moyennes et grandes entreprises exploitant des installations qui manipulent moins de 1 000 tonnes de granulés par an.
Ces entreprises ne seraient donc soumises à aucune obligation de certification et devraient seulement établir une autodéclaration de respect des exigences. De même, elles n'auraient ni l'obligation de procéder à des évaluations internes ni celle d'établir un programme de sensibilisation et de formation.
Le seuil d'assujettissement à l'obligation de certification nous semble trop élevé compte tenu de la structure de l'industrie plasturgique française, qui repose essentiellement sur des petites entreprises. En effet, 80 % des entreprises françaises manipulant des granulés plastiques sont des PME et 50 % d'entre elles emploient moins de dix salariés. D'après la direction générale de la prévention des risques (DGPR) du ministère de la transition écologique, le nombre d'entreprises susceptibles d'être couvertes par le règlement serait donc bien plus faible par rapport au nombre d'entreprises soumises au dispositif français.
Par ailleurs, un seuil de certification trop élevé risquerait d'augmenter la charge des autorités compétentes pour l'inspection des installations des opérateurs économiques simplement soumis à déclaration. C'est pourquoi nous recommandons de l'abaisser : il serait ainsi plus en phase avec la législation française.
En outre, nous considérons que des règles identiques doivent s'appliquer à toutes les entreprises, quelle que soit leur taille, uniquement en fonction du volume de granulés manipulés. C'est la raison pour laquelle nous ne sommes pas favorables à l'exemption de certaines obligations dont bénéficieraient les petites entreprises manipulant plus de 1 000 tonnes de granulés par an.
Au sein du Conseil européen, la France défend la possibilité de maintenir son dispositif national, le considérant plus ambitieux, en particulier en ce qui concerne les obligations imposées aux opérateurs économiques. Elle souhaiterait ne pas avoir à modifier les dispositions législatives déjà en vigueur. Elle aurait obtenu des assurances en ce sens ; l'article 193 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne (TFUE) permet aux États membres d'adopter, sous certaines conditions, des mesures de protection de l'environnement plus strictes que celles qui sont édictées par l'Union européenne.
En tout état de cause, il nous semble nécessaire d'assurer un contrôle rigoureux du respect des bonnes pratiques, tout en accompagnant les entreprises dans cette démarche. C'est pourquoi nous préconisons un renforcement des exigences en matière d'autoévaluation pour les entreprises non soumises à l'obligation de certification par un tiers.
Par ailleurs, nous estimons que l'obligation d'établir un programme de sensibilisation et de formation ne saurait, en aucun cas, faire l'objet d'une exemption. La formation des personnels est un facteur essentiel pour l'application de mesures de prévention.
Nous considérons également que la définition proposée pour les granulés plastiques industriels doit couvrir toutes les formes et tailles, y compris les plus petites. Les poudres, les paillettes et les flocons devraient ainsi être concernés.
Enfin, nous proposons de renforcer les exigences en matière d'emballages. Leur robustesse contribue, en effet, à prévenir les fuites de granulés dans l'environnement, en particulier lors des accidents en mer.
Telles sont les observations que nous avons souhaité formuler ; elles sont rassemblées dans la proposition de résolution européenne que nous vous soumettons aujourd'hui. Nous sommes très sensibles à ce sujet et, selon nous, la lutte contre la pollution plastique doit être une priorité dans la conduite des politiques nationales et européennes.
M. Jean-François Rapin, président. - Je remercie la rapporteure d'avoir cité l'Anel, dont j'ai été le président entre 2012 et 2022. Je me souviens que nous avions lancé une opération à l'échelle européenne pour lutter contre la pollution des microbilles plastiques, avec les grandes navigatrices Catherine Chabaud et Maud Fontenoy. C'est la preuve que cette pollution était déjà un objet de préoccupation émergent à l'époque.
Je suis triste de constater qu'il a fallu attendre presque douze ans pour que des dispositions soient enfin proposées par la Commission européenne pour lutter contre ce fléau. Toutefois, je suis fier de savoir que nous y avons contribué et me félicite que nous soyons près de les adopter. C'est notamment pourquoi j'applaudis le travail de nos rapporteurs.
Encore une fois, il s'agit d'une pollution d'ampleur. On retrouve ces microbilles sous toutes leurs formes sur le littoral. Elles sont parfois érodées par la mer, ce qui signifie qu'elles se trouvent dans l'eau depuis très longtemps.
Mme Christine Lavarde. - Les dispositions envisagées par l'Union européenne s'appliquent-elles à tous les bateaux qui transitent dans les eaux sous gouvernance d'un État membre ? Le cas échéant, que fait-on des paquebots complètement rouillés détenus par les armateurs non européens ?
La Commission européenne défend-elle ce sujet auprès des instances internationales de régulation du transport maritime ? Il conviendrait de ne pas aboutir à un système à deux vitesses avec, d'une part, des dispositions très contraignantes pour les armateurs européens et, d'autre part, un dispositif réservé aux autres transporteurs. Si l'objectif est de préserver la qualité des eaux, il est impératif que la réglementation prévue s'applique à tout le monde.
M. Jacques Fernique. - Je constate que la proposition de règlement européen va dans le sens du dispositif français, qui est précurseur dans la lutte contre la pollution des microplastiques.
Je me réjouis que la proposition de résolution européenne recommande d'intégrer le transport maritime et de tenir compte non pas de la nature des entreprises plasturgistes, d'autant que nos entreprises sont de petite taille, mais du volume de granulés. Les programmes de formation et de sensibilisation sont nécessaires, bien évidemment. Quant à la clarification de la définition des granulés, elle permettrait de mieux combattre les dégâts constatés, notamment ceux qui sont causés par les poussières.
Quels sont les intérêts qui résistent à cette réglementation, alors qu'elle a pour seule fin de lutter contre le rejet non intentionnel d'un volume considérable de plastique dans l'environnement ? Les industriels n'ont aucun avantage à perdre ainsi de la matière. Certes, la mise en place de bonnes pratiques coûte de l'argent et suppose d'accomplir un certain nombre d'efforts. On peut donc comprendre que les transporteurs fassent parfois preuve de négligence.
L'objectif de réduire de 30 % les rejets de microplastiques d'ici à 2030 me semble bien ambitieux, d'autant que, comme vous l'avez rappelé, cette proposition ne doit permettre de parcourir qu'un quart du chemin. Nous sommes donc loin d'avoir réglé le problème !
Les négociations à Busan portaient-elles, entre autres, sur les rejets non intentionnels de microplastiques ? Force est de constater qu'elles ont été un échec puisqu'aucun accord n'a été trouvé pour réduire les trajectoires d'augmentation de la pollution plastique.
Enfin, lors de l'élaboration de la présente proposition de règlement, la question de l'échelle des sanctions a été débattue. Avez-vous des éléments à nous communiquer sur ce sujet ?
Mme Marta de Cidrac, rapporteure. - Cette proposition de règlement européen est essentiellement un texte préventif, qui vise à éviter autant que possible les déversements non intentionnels de granulés plastiques. L'ensemble des transporteurs, européens et non européens, sont bien évidemment concernés.
En tant que Français, nous sommes particulièrement sensibles à cette pollution, vu que nous possédons le deuxième plus grand espace maritime du monde, grâce à nos RUP. Par définition, de très nombreuses côtes sont concernées par le travail de l'Anel.
À l'origine, le transport maritime n'était pas inclus dans la proposition de règlement. Il a été finalement pris en compte à la demande d'un certain nombre d'États membres, dont la France, afin de prévenir la pollution en mer. La présente proposition de résolution européenne met ainsi l'accent sur notre volonté d'inclure le transport maritime.
Par ailleurs, nous nous sommes interrogés sur la nécessité d'introduire des éléments concrets dans le système de sanctions. Il est tout de suite apparu difficile d'identifier l'auteur de l'infraction de façon flagrante, même si celle-ci a été causée de manière non intentionnelle. D'où l'aspect préventif du futur règlement européen. En ce sens, nous considérons que les transporteurs devraient s'efforcer d'améliorer la qualité des emballages, afin qu'ils résistent mieux aux tempêtes, aux accidents routiers et à tout déversement non intentionnel.
M. Michaël Weber, rapporteur. - La législation française est mieux-disante par rapport à la proposition de règlement européen. La Commission européenne s'est inspirée du modèle français, notamment en ce qui concerne les exigences qui s'appliquent aux opérateurs économiques. Nous nous sommes interrogés sur les sanctions possibles et avons confronté la pertinence de l'évaluation à celle de l'autoévaluation - d'ailleurs, nous n'avons pas tout à fait tranché ce point.
Le problème principal est celui de la perte de conteneurs en mer, qui ne permet aucune traçabilité des microplastiques. Il est donc difficile de retrouver l'entreprise responsable, surtout que les microbilles se trouvent déjà en mer depuis un certain temps lorsque la pollution est constatée.
On observe, en effet, quelques résistances à la mise en place d'une nouvelle réglementation. L'amélioration des emballages, notamment, représente un coût pour les industriels. Toutefois, il serait vite amorti vu la quantité considérable de granulés plastiques perdus. Néanmoins les industriels entrent dans les discussions et acceptent les règles du jeu, même si l'on peut considérer qu'elles sont insuffisantes.
Pour rappel, la dernière grande pollution aux microbilles plastiques est survenue en mai dernier, à Langres, en Haute-Marne. Cette pollution pouvant survenir aussi bien à l'intérieur des terres que sur le littoral, nous insistons sur la nécessité de renforcer les emballages.
M. Jean-François Rapin, président. - La Commission européenne a-t-elle prévu de mettre en place des sanctions financières ?
Mme Marta de Cidrac, rapporteure. - L'ensemble des acteurs, à commencer par l'industrie de la plasturgie, se sont rendu compte qu'il était temps de lutter contre cette pollution et de faire preuve de vertu. Voilà pourquoi cette proposition de résolution européenne a été accueillie favorablement, même si tout le monde est conscient qu'elle ne permettra pas, à elle seule, de résoudre le problème.
Je le reconnais, l'objectif de réduire de 30 % la pollution des microbilles plastiques d'ici à 2030 est ambitieux, mais il ne pourra pas être atteint par ce seul règlement. Celui-ci vise surtout à alerter les acteurs sur les risques de pollution liés aux granulés plastiques et la façon dont ils peuvent être évités.
Puisque le dispositif français est mieux-disant, nous avons préconisé d'abaisser le seuil à partir duquel la certification est obligatoire, mais aussi de revoir les modalités d'exemption aux obligations afin que celles-ci s'appliquent non pas en fonction de la taille de l'entreprise, mais du volume de granulés manipulés. En effet, ce n'est pas parce qu'une entreprise est petite qu'elle n'est pas responsable de pollutions massives.
Du reste, nous avons réfléchi à mieux définir la granulométrie et avons considéré les sanctions possibles, en évoquant, sans nous prononcer, le sujet de la mise à contribution des assurances souscrites par les transporteurs. Il s'agit surtout d'infliger des amendes en fonction de la gravité du non-respect des obligations par les opérateurs et les transporteurs.
Dans la proposition de résolution européenne, nous n'introduisons pas la notion de sanction en tant que telle ; nous nous basons sur ce qui existe déjà en la matière.
M. Jean-François Rapin, président. - En France, nous n'aimons pas l'impôt fléché. Cependant, au niveau européen, nous pourrions nous poser la question de ce qui est fait des amendes. On pourrait envisager un fléchage des sanctions perçues vers le budget bénéficiant à l'environnement. Il y a peut-être un principe de non-affectation mais, parfois, l'impôt doit avoir une certaine visibilité, notamment sur un sujet sensible comme celui que nous évoquons, dont l'impact sur l'environnement est indéniable.
Mme Marta de Cidrac, rapporteure. - Nous y avons songé. Cependant, il faut replacer cette question dans un contexte global. C'est sur la production de plastique et l'augmentation de son volume qu'il nous faut être particulièrement exigeants. Ces granulés ne sont que de la matière première destinée à la plasturgie. Ce texte est important parce qu'il montre à quel point la non-intentionnalité peut aussi causer des dommages importants. Nous nous sommes inscrits dans cette démarche, qui n'est sûrement pas suffisante. L'avantage du texte est de faire consensus.
M. Christophe-André Frassa. - L'affectation des amendes existe dans notre droit et serait permise par l'Union européenne. Ce serait efficace, intelligent et intelligible, pour ceux qui les payent et pour ceux qui subissent les dommages liés aux microplastiques. Ces derniers pourraient bénéficier d'une réparation, qui passerait par un fonds dédié ou le budget pour l'environnement de l'Union. L'ensemble serait lisible - dégâts, punition, réparation - et il s'agirait d'une piste intéressante.
Mme Marta de Cidrac, rapporteure. - Dans l'état actuel du texte, je ne sais pas si nous pouvons introduire ce type de disposition. Nous nous étions posé la question puisque, quand des granulés se déversent sur nos côtes, les communes et les collectivités prennent en charge le coût des opérations de nettoyage. C'est donc le contribuable qui paye et il faut mener une réflexion sur ce sujet. Le texte est loin d'être parfait, mais il va dans le bon sens et permet d'embarquer l'ensemble des acteurs concernés.
M. Michaël Weber, rapporteur. - Le parti pris de considérer la législation française comme un exemple représente déjà un pas énorme, y compris pour les responsables des organismes que nous avons entendus, qui étaient plutôt satisfaits de la proposition européenne, y trouvant des avantages.
M. Jacques Fernique. - J'ai été frappé par l'importance des volumes estimés de ces rejets non intentionnels mais aussi par la fourchette très large : de l'équivalent de 2 100 camions à plus de 7 000. La proposition de règlement permettra-t-elle d'adopter une méthodologie valide afin de produire une estimation plus fiable de ces pertes ?
M. André Reichardt. - J'ai aussi été étonné par l'importance des volumes concernés, particulièrement par les pertes de conteneurs en mer.
Par ailleurs, avez-vous travaillé sur ce qui se passe en dehors de l'Union en la matière ?
M. Michaël Weber, rapporteur. - Nous ne nous sommes pas vraiment penchés sur ce qui se passe ailleurs.
Nous avons aussi été frappés par l'ampleur de la fourchette. Les dispositions proposées permettront de connaître un peu mieux les volumes concernés. Le suivi sera amélioré et des estimations sont prévues dans le cadre d'une méthodologie normalisée. Je précise que les conteneurs de granulés sont plutôt placés en hauteur et ont donc plus tendance à tomber, quand les bateaux sont secoués. Lors de nos auditions, nous avons appris qu'il existe des solutions faciles à mettre en oeuvre pour éviter ces pertes.
Mme Marta de Cidrac, rapporteure. - Nous n'avons pas entendu d'acteurs internationaux en tant que tels. Cependant, la méthode proposée concerne l'ensemble des opérateurs et des transporteurs au sein de l'Union européenne.
Je précise que les ONG estiment que ce texte va dans le bon sens. Se montrer immédiatement très exigeants et contraignants risque de braquer les acteurs et de nous empêcher d'avancer. Cette proposition de résolution européenne s'inscrit dans une trajectoire vertueuse, qui permettra d'autres avancées autour de cette thématique.
La commission adopte, à l'unanimité, la proposition de résolution européenne, disponible en ligne sur le site du Sénat.
Bilan semestriel de l'Assemblée parlementaire de l'Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (AP-OSCE) - Communication de M. Pascal Allizard
M. Jean-François Rapin, président. - Nous entendons à présent Pascal Allizard, désormais président de la délégation française à l'Assemblée parlementaire de l'Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (AP-OSCE).
La semaine dernière, la réunion ministérielle de l'OSCE fut l'occasion du premier voyage dans un pays de l'Union européenne du ministre russe des affaires étrangères, depuis le début de l'invasion de l'Ukraine. Sergueï Lavrov a assisté à cette réunion à Malte, dans un climat de tension palpable. Nous sommes intéressés de savoir ce qu'il en est au niveau parlementaire.
M. Pascal Allizard, rapporteur. - Effectivement, les Russes n'assistaient plus aux réunions ministérielles de l'OSCE. Je n'étais pas à Malte car j'aurais dû intervenir en séance sur le projet de loi de finances, mais j'ai échangé avec le secrétariat général de l'AP-OSCE et avec mes collègues. Cette réunion ministérielle se tient au même moment chaque année et, la veille, l'AP-OSCE réunit son bureau. De plus, la présidente de l'Assemblée parlementaire assiste au conseil ministériel. Nous avons donc des retours précis.
Vous l'avez dit, Monsieur le Président : un climat de tension a régné. Le ministre des affaires étrangères ukrainien était également présent et l'on a bien mesuré à La Valette qu'un dialogue direct entre les deux parties n'était pas près d'advenir.
Pour autant, une OSCE sans Russie n'aurait aucun sens. Cette organisation a été créée en 1975 pour gérer les relations entre le bloc occidental et le bloc de l'Est. Il faut essayer de garder ouvert un canal de contact et c'est la mission même de l'OSCE.
Nous avons fortement réduit l'activité de nos collègues russes au sein de l'AP-OSCE. En tant que président de la sous-commission du Règlement de l'assemblée, j'avais proposé une procédure de réduction de la présence russe, afin d'éviter toute activité visible et de n'avoir de contact direct qu'entre la présidence et le président de la délégation russe. Il s'agissait de garder un canal ouvert et de ne plus associer la Russie aux travaux récurrents de l'Assemblée, tant que la guerre perdure. La règle de « l'unanimité moins un » s'applique à l'organisation et, quand deux pays s'opposent à une proposition, cette dernière est retoquée.
Ma proposition de réduction de la présence a fait l'objet d'une vive opposition de la part de la Russie et de la Biélorussie, mais aussi de pays européens. Certains demandaient une exclusion, ce qui est juridiquement impossible, et d'autres prônaient plutôt de ne rien faire. Ce débat sur la présence de la Russie dans les travaux de l'AP-OSCE a été très clivant. Nous avons une position de principe européenne condamnant l'agression russe mais, sur les relations avec la Russie et la construction d'un processus de paix, nous en sommes loin. Hormis l'anecdote de la présence de Sergueï Lavrov à Malte, il n'y a pas d'éléments concrets en la matière, d'autant que chacun attend la prise de fonctions du président Trump.
Selon l'usage, la réunion d'hiver de l'AP-OSCE se tient à Vienne et celles d'été et d'automne dans d'autres pays. Depuis le début du conflit, quand les réunions ont lieu ailleurs qu'à Vienne, siège de l'organisation, les pays d'accueil n'accordent pas de visas aux parlementaires de la délégation russe. À Vienne, ce n'est pas possible, et les Autrichiens accordent des visas, qui s'accompagnent d'une restriction de circulation. Quand ils viennent, les parlementaires russes peuvent seulement circuler entre leur ambassade, leur hôtel et la Hofburg. Ils étaient présents lors de la dernière réunion et, dès qu'ils prenaient la parole, nous sortions tous pour marquer notre désapprobation par rapport à ce qui se passe.
J'en viens aux missions d'observation électorale (MOE). Nous avons déjà présenté, avec Gisèle Jourda, celles que nous avons menées en Moldavie et en Géorgie. D'autres missions ont eu lieu cette année dans plusieurs des 57 pays que compte l'OSCE, qui s'étend, je le rappelle, du Canada à la Mongolie.
Le Bureau des institutions démocratiques et des droits de l'homme (BIDDH), satellite de l'OSCE, procède à des études d'opportunité sur la nécessité de conduire les MOE. Ensuite, le pays concerné invite ou non ces missions. Enfin, l'AP-OSCE décide des pays dans lesquels une mission peut être acceptée, en bureau ou en commission permanente, en fonction des situations nationales et des contraintes budgétaires. La situation budgétaire s'est compliquée puisque la Russie ne paye plus sa contribution. Il s'agissait du principal contributeur après les États-Unis, la France et le Royaume-Uni.
Du 21 octobre au 5 novembre, se sont succédé les élections présidentielles en Moldavie, les élections parlementaires en Ouzbékistan et en Géorgie, puis l'élection présidentielle aux États-Unis, où s'est rendue Valérie Boyer, avec Stéphane Demilly.
Par ailleurs, ce qui s'est passé à Malte était intéressant puisque l'OSCE connaissait une situation de blocage depuis plusieurs mois autour des nominations aux top jobs ou fonctions de haut niveau de l'OSCE. Ce blocage n'a pas empêché le fonctionnement de l'organisation, mais il était important de le dépasser. Le déblocage a eu lieu grâce à un accord global et à un accord intéressant entre la Turquie et la Grèce.
Ces nominations ont eu lieu à Malte. Le nouveau secrétaire général, M. Feridun Sinirlioglu, est un diplomate et ancien ministre des affaires étrangères turc, ancien représentant permanent de son pays à l'ONU. Cette nomination représente l'aboutissement d'un fort investissement des diplomates turcs dans l'OSCE et de nos collègues turcs de l'AP-OSCE. Il s'agit non pas d'entrisme, mais d'un activisme à surveiller. Nos collègues turcs participent activement et intensément à toutes les réunions, missions et commissions, particulièrement depuis deux ans.
Le BIDDH, organe clé de l'OSCE, sera dirigé par une diplomate grecque, Maria Telalian. La fonction clé de représentant pour la liberté des médias a été confiée à un diplomate norvégien, Jan Braathu, auparavant chef de la mission de l'OSCE en Serbie. Le quatrième poste à responsabilité de l'OSCE est celui de haut-commissaire pour les minorités nationales, qui a été confié à Christophe Kamp, ancien ambassadeur néerlandais auprès de l'OSCE, qui a également été en poste aux Nations unies et au Service européen d'action extérieure (SEAE).
On peut souligner l'intéressante convergence des efforts diplomatiques entre la Turquie et la Grèce, qui est appréciable quand on sait que la présidence annuelle de l'OSCE devrait être attribuée en 2027 à la République de Chypre, qui aura assuré en 2026 la présidence du Conseil de l'Union européenne.
D'autres décisions indispensables, comme la désignation de la présidence pour 2026, restent à prendre, si possible avant la fin de la présidence maltaise.
Par ailleurs, des ingérences informationnelles menacent nos systèmes démocratiques. À l'échelle de l'OSCE et de notre assemblée, nous avons beaucoup d'échanges sur le sujet, pour prévenir et atténuer les atteintes à notre sécurité collective.
Lors de la réunion d'été qui s'est tenue à Bucarest du 28 juin au 3 juillet, la délégation parlementaire française était en petit comité, nos députés étant en pleine campagne électorale. La délégation était conduite par son vice-président, Stéphane Demilly. Ce dernier a pris l'initiative d'un amendement sur la Biélorussie, qui a été examiné par la commission générale de la démocratie, des droits de l'homme et des questions humanitaires de l'AP-OSCE et a été défendu par la présidente de cette commission.
Par ailleurs, le 1er juillet, M. Demilly a fait adopter par la commission générale des affaires politiques et de la sécurité de l'AP-OSCE une résolution sur le renforcement du soutien à l'Ukraine, qui avait été proposée par mon prédécesseur à la tête de la délégation française.
La délégation française a donc été en pointe des débats lors de cette réunion.
La parlementaire finlandaise Pia Kauma a été réélue présidente de l'AP-OSCE à Bucarest pour un second et dernier mandat d'un an. En tant que président de la sous-commission du Règlement, j'ai fait adopter un amendement au règlement, qui porte à deux ans non renouvelables la durée du mandat des prochains présidents de l'AP-OSCE.
Notons que la situation au Proche-Orient a pris une part importante dans les discussions et dans la déclaration finale adoptée en assemblée plénière à Bucarest, préfigurant ce qui s'est passé ensuite lors de l'assemblée d'automne, qui s'est réunie à Dublin du 2 au 4 octobre, où j'étais avec nos collègues Valérie Boyer et Gisèle Jourda, ainsi que le député Thomas Portes.
À Dublin, j'ai présidé le Forum méditerranéen de l'AP-OSCE, qui a été marqué par une participation de la quasi-totalité des parlementaires des pays membres et de plusieurs représentants des pays partenaires. La délégation marocaine était fournie et nous avons eu des échanges constructifs avec la délégation algérienne.
Je remercie Gisèle Jourda, qui m'a représenté à la commission permanente à Dublin, en tant que vice-présidente de la délégation. Elle a plaidé pour le sérieux et la stabilité budgétaires de l'AP-OSCE, reprenant ainsi la position traditionnelle mais isolée de la France. À cet égard, je rappelle que les clés de répartition des participations datent de la création de l'OSCE et de l'AP-OSCE. Des pays qui ne sont plus pauvres payent des participations annuelles inférieures à 2 000 euros. Il suffirait de se mettre d'accord sur une cotisation minimale pour régler le sujet budgétaire, sans appeler de fonds supplémentaires chez les premiers contributeurs.
La présidente Pia Kauma a aussi inauguré un nouveau format de mission de terrain, afin que les parlementaires prennent connaissance des actions concrètes menées par l'OSCE dans différents pays. C'est ainsi que Valérie Boyer s'est rendue en Serbie, en octobre dernier. Elle a aussi participé à une mission de la commission ad hoc sur les migrations de l'AP-OSCE au Maroc, en septembre.
L'an prochain, la réunion d'hiver se tiendra à Vienne, les 20 et 21 février, et l'assemblée annuelle à Porto, du 28 juin au 3 juillet. Une incertitude demeure sur le lieu de la session d'automne. Outre ces réunions statutaires, nous attendons la liste officielle des missions de terrain et des MOE, dont deux devraient avoir lieu en Albanie et en Moldavie avant l'été.
- Présidence de M. André Reichardt, vice-président -
Mme Valérie Boyer. - Je vous remercie de me donner la parole pour rendre compte des trois missions que j'ai effectuées pour l'AP-OSCE cet automne, au Maroc, en Serbie et aux États-Unis. Les deux premières étaient des missions de terrain, visant à faire appréhender par les parlementaires certaines actions concrètes entreprises soit par l'OSCE, soit par des États membres ou partenaires.
La mission menée au Maroc a été particulièrement intéressante. Elle a eu lieu dans le cadre de la commission ad hoc sur les migrations, présidée par Daniela De Ridder, membre SPD du Bundestag. La mission comptait des parlementaires de la République tchèque, de Suède, d'Allemagne et de Turquie, entre autres. À cet égard, je voudrais corroborer ce que disait Pascal Allizard de la diplomatie turque. Nos collègues turcs sont nombreux, coordonnés, interviennent tout le temps et partout. Ils font preuve d'un entrisme fort, soutenus par leurs diplomates et accompagnés par leurs ambassadeurs et par des interprètes en langue turque.
Le Maroc est un pays clé pour la gestion des migrations en Méditerranée. Il s'agit à la fois d'un pays d'émigration mais aussi de destination, de flux nombreux et divers, en provenance principalement d'Afrique subsahélienne.
Nous avons rencontré à Rabat les membres de la délégation marocaine à l'AP-OSCE, le premier vice-président de la Chambre des représentants, ainsi que le premier vice-président de la Chambre des conseillers. Nous avons également rencontré des représentants des ministères concernés : affaires étrangères, intérieur, développement économique et emploi. Enfin, nous avons rencontré des représentants d'organisations internationales, telles que l'Observatoire africain des migrations, d'organismes consultatifs, d'ONG, parmi lesquelles la Fondation Orient-Occident, qui s'efforce de développer des programmes culturels et sociaux à l'attention de jeunes migrants.
Les autorités marocaines ont tenu à nous montrer le port international de Tanger, vaste, moderne et impressionnant, qui se veut un hub maritime de premier plan, destiné au commerce de l'Afrique avec l'Europe et le monde.
Cette mission de terrain nous a permis de mesurer combien le gouvernement marocain prend à bras-le-corps ses responsabilités en matière d'immigration, à l'égard des pays européens mais aussi des pays africains, des passeurs et des migrants. Les Marocains sont confrontés aux mêmes problématiques que nous.
Notre visite a aussi coïncidé avec un épisode particulièrement marquant : l'afflux de nombreux jeunes migrants à la « frontière » administrative avec les enclaves sous administration espagnole de Ceuta et Melilla. Malheureusement, malgré notre demande, nous n'avons pas pu nous y rendre. Les migrants ont été repoussés par les forces de l'ordre marocaines. Selon les services et autorités, cet afflux a été attisé par la diffusion de messages sur les réseaux sociaux. Une enquête était annoncée, dont je ne connais pas les résultats. Les représentants du ministère de l'intérieur nous ont présenté cet événement comme une attaque hybride, leur regard se tournant assez spontanément vers le voisin algérien.
Nous sommes restés sur notre faim en ce qui concerne l'action de terrain des ONG. Nos interlocuteurs marocains nous ont fait rencontrer essentiellement des responsables et des services très officiels. Ce n'est que lors d'une escapade improvisée près de la cathédrale Saint-Pierre de Rabat, que j'ai pu échanger avec des bénévoles de l'association Caritas. Nous avons alors pu voir comment se passait vraiment l'accueil des migrants.
J'en viens à la mission de terrain en Serbie, dont l'objectif était de prendre contact avec les autorités serbes et de prendre connaissance des actions menées par la mission de l'OSCE à Belgrade. Cette dernière dispose de deux antennes dans le pays, à proximité de la frontière avec le Kosovo et dans le sud de la Serbie, dans une région où vit une forte minorité albanaise. La mission a adopté un nouveau format, relativement restreint : elle comptait 14 parlementaires de 12 pays membres.
Nous avons notamment rencontré la présidente du Parlement et ancienne Première ministre, Ana Brnabic, femme impressionnante, au parcours remarquable et aux fortes convictions personnelles et politiques, le vice-premier ministre et ministre de l'intérieur, homme clé du régime, Ivica Dacic, ainsi que le chef de mission de l'OSCE, l'ambassadeur norvégien Jan Braathu, désormais représentant de l'OSCE pour la liberté des médias, et son équipe.
Nous avons également rencontré notre ambassadeur Pierre Cochard, fin connaisseur du pays. La rencontre a eu lieu dans notre ambassade, joyau architectural des années 1930, proche du parc Kalemegdan, dans lequel un monument de reconnaissance à la France a été construit en 1930 pour commémorer l'alliance entre la France et la Serbie durant la Première Guerre mondiale et les sacrifices conjointement consentis entre 1915 et 1918 sur le front d'Orient.
La mission de l'OSCE est en poste depuis qu'une invitation a été adressée à l'Organisation par l'ex-Yougoslavie et a été constamment prolongée depuis. Son objectif est de consolider les institutions démocratiques, ainsi que le respect des droits de l'homme et des droits des minorités, mais aussi les droits d'expression et le pluralisme des médias.
Nous sommes arrivés en Serbie en plein débat sur l'exploitation minière du lithium, sujet explosif dans le pays et sur lequel les considérations écologiques, économiques et géopolitiques s'entremêlent avec virulence.
Nous avons mené de nombreux entretiens. Je retiens d'abord l'importance de l'action de terrain des équipes de l'OSCE, qui sont dévouées, dans un contexte budgétaire difficile. Je retiens aussi la ligne de crête sur laquelle se déploie la diplomatie serbe, puissance régionale qui entend recueillir à la fois les fruits de sa relation particulière avec Moscou, et de sa disponibilité à l'égard des investisseurs européens et de son rapprochement progressif avec l'Union européenne.
J'en viens brièvement à la MOE que nous avons menée aux États-Unis, où je suis allée avec Stéphane Demilly et notre collègue député Thomas Portes, pour observer le déroulement de l'élection présidentielle à Baltimore.
La législation fédérale américaine n'autorise pas la présence d'observateurs internationaux partout et les conditions d'observation diffèrent selon les États. Ainsi, 17 États prohibent la présence d'observateurs étrangers, ce qui entre en contradiction avec les règles de l'OSCE. À cet égard, la France avait aussi refusé la présence d'observateurs internationaux lors des dernières élections. Notre mission s'est déroulée sans encombre, entre briefings à Washington, rencontre avec notre ambassadeur Laurent Bili et déplacements dans de nombreux bureaux de vote du Maryland le jour J.
Cette mission réunissait 249 observateurs de 45 pays, dont 85 observateurs du BIDDH et 164 observateurs parlementaires, répartis dans tous les États-Unis. L'organisation des opérations électorales nous a paru très bien menée dans les bureaux que nous avons observés. Mon impression avait été très différente il y a deux ans, quand je m'étais rendue dans des bureaux de vote de quartiers difficiles de New York.
Cependant, pour des Français, les différences observées selon les États, l'absence de contrôles d'identité, le manque de confidentialité parfois et le vote anticipé restent choquants. En ce qui concerne le contrôle des identités, les électeurs se présentent, donnent les trois premières lettres de leur nom de famille et de leur prénom, et votent. Cette question de la vérification des identités est apparemment explosive pour les Américains. Les minorités refuseraient ces contrôles qu'elles considèrent comme de la discrimination. On comprend les contestations, compte tenu de la façon dont tout cela est organisé. Nous n'avons pas pu observer la façon dont les votes anticipés étaient stockés et dépouillés. Par ailleurs, pour chaque scrutin, un nombre très important de questions est posé. Enfin, nous avons observé que la campagne électorale se poursuit devant le bureau de vote, jusqu'au jour même de l'élection.
M. Pascal Allizard. - Dans le cadre de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées, mon collègue Alain Joyandet et moi-même avons travaillé sur le cas du Sénégal et du Maroc. Les conclusions auxquelles nous sommes parvenus sont proches des observations dont Valérie Boyer vient de nous faire part ; si cela vous intéresse, nous pourrons vous communiquer le résultat de nos travaux.
Nous nous sommes déplacés au Maroc après la visite du Président de la République et avons pu constater un certain nombre d'évolutions. En tant que représentant spécial pour la Méditerranée à l'OSCE, je me rendrai prochainement au Maroc afin d'observer comment l'État marocain s'efforce de freiner les différentes vagues migratoires.
Du reste, j'ai apprécié les commentaires de notre collègue Valérie Boyer sur le fonctionnement électoral américain. À l'évidence, les processus de vote qui ont cours dans certaines grandes démocraties, telles que les États-Unis, sont parfois extrêmement différents des nôtres. Cela dit, qui détient la vérité ? C'est une autre question... Voilà pourquoi nous devons rester prudents dans la formulation de nos conclusions. Comme je l'ai dit à propos des élections législatives en Géorgie, on ne commente pas des résultats, mais seulement des processus. Nous sommes parfois persuadés de tout faire très bien, mais ce n'est pas pour autant que les autres pays ont tort.
Mme Valérie Boyer. - Les publicités électorales qui passent à la télévision américaine sont tout de même stupéfiantes ! On y voit des montages incroyables pour la seule élection de parlementaires locaux.
M. Pascal Allizard. - En effet, nous ne partageons pas les mêmes référentiels.
M. André Reichardt, président. - Comme toujours, ce sont les meilleurs qui sont élus ! Je remercie notre collègue Valérie Boyer de ce compte-rendu devant notre commission.
La réunion est close à 15 h 20.
La réunion est ouverte à 16 h 40.
Relations Union européenne-Suisse - Communication de Mme Florence Blatrix Contat et M. Cyril Pellevat
M. Jean-François Rapin, président. - Nous abordons cet après-midi des sujets connexes, tous deux en lien avec les pays voisins, notamment ceux avec lesquels nous partageons nos frontières à l'est et au nord.
Depuis 2008, l'Union européenne propose à la Suisse de négocier un accord pour harmoniser le cadre juridique de leurs relations. Après de multiples soubresauts, ces négociations avaient été gelées, avant de reprendre au début de l'année ; elles entrent à présent dans leur dernière ligne droite, l'objectif affiché étant de conclure l'accord avant la fin de l'année. La presse suisse s'en fait l'écho régulièrement, ce qui n'est pas le cas de ce côté-ci de la frontière. Aussi je remercie nos collègues Florence Blatrix Contat et Cyril Pellevat d'avoir bien voulu nous présenter l'état actuel des discussions.
M. Cyril Pellevat. - Je souhaite vous présenter - avec Florence Blatrix Contat - l'état des négociations sur les nouveaux accords bilatéraux entre l'Union européenne et la Suisse.
Cette question revêt une grande importance pour la France et, en particulier, pour nos départements respectifs, la Haute-Savoie et l'Ain, étant donné les liens étroits de nos territoires avec la Suisse. Je rappelle qu'environ 340 000 citoyens européens, dont 200 000 Français, principalement frontaliers, se rendent tous les jours en Suisse pour y travailler.
Pour préparer cette communication, nous nous sommes rendus à Bruxelles le 14 novembre dernier : nous y avons rencontré des représentants de la Commission européenne, de la mission suisse auprès de l'Union européenne, de la représentation permanente de la France auprès de l'Union européenne, ainsi que des entreprises.
Nous nous sommes également entretenus avec le président de la délégation du Parlement européen chargée des relations avec la Suisse, le député européen allemand Andreas Schwab, et le rapporteur, notre collègue député européen Christophe Grudler.
Nous avons également échangé à Paris avec l'ambassadeur de Suisse en France.
J'en viens au contexte de cette négociation.
Au cours des dernières décennies, l'Union européenne et la Suisse ont tissé d'étroites relations, étant donné leur proximité géographique et leurs liens économiques, culturels et humains.
Les échanges économiques sont très denses, l'Union européenne étant le premier partenaire commercial de la Suisse.
Je rappelle aussi qu'environ 1,4 million de citoyens européens résident en Suisse, représentant 16 % de la population, tandis que 400 000 citoyens suisses vivent dans les pays de l'Union européenne. Par ailleurs, comme je l'ai déjà indiqué, plus de 340 000 citoyens européens se rendent tous les jours en Suisse pour y travailler.
Actuellement, les relations reposent sur un accord de libre-échange datant de 1972 et sur plus de 120 accords bilatéraux, qui portent sur des domaines très variés, allant des relations économiques et commerciales à la culture et l'éducation, en passant par la transparence fiscale et la lutte contre la fraude.
La Suisse est membre de l'espace Schengen depuis 2008 et un accord de libre circulation des personnes confère aux ressortissants européens et suisses le droit de résider et de travailler dans un pays de l'Union ou en Suisse, à condition d'avoir un emploi ou de disposer de revenus suffisants.
Le cadre des relations entre l'Union européenne et la Suisse reposant sur des accords bilatéraux s'est toutefois révélé peu satisfaisant, tant du côté suisse, que de celui de l'Union européenne.
En effet, ces accords sont par nature statiques et ne permettent pas la prise en considération du caractère dynamique de l'intégration européenne.
Afin de tenir compte de l'évolution de la législation européenne, il faudrait renégocier à chaque fois les différents accords bilatéraux ; or il s'agit d'une procédure complexe et lourde, notamment du fait du système institutionnel suisse.
Par ailleurs, ces accords ne contiennent pas de mécanismes de règlement efficace des différends.
Pour cette raison, l'Union européenne et la Suisse étaient convenues en 2014 de négocier un nouvel accord-cadre sur leurs relations, incluant une reprise dynamique du droit européen et un mécanisme de règlement des différends.
Les négociations sur ce nouvel accord-cadre avaient toutefois été interrompues unilatéralement par la Suisse, le 26 mai 2021. À l'époque, les inquiétudes de nos voisins portaient déjà sur la crainte d'une immigration massive et d'un dumping social de la part de l'Union européenne.
À la suite de discussions exploratoires, des négociations ont été relancées en mars 2024 par la présidente de la Commission européenne et par la présidente de la Confédération helvétique. Un mandat autorisant la Commission européenne à négocier avec la Suisse au nom des Vingt-Sept a été adopté le 7 mars dernier par le Conseil. Ouvertes le 18 mars 2024, les négociations ont bien avancé et l'objectif est de les achever avant la fin de l'année.
Plusieurs précautions ont été prises des deux côtés pour éviter le psychodrame de 2021.
Du côté de l'Union européenne, les négociations ont été menées non plus par le Service européen pour l'action extérieure (SEAE), comme précédemment, mais par la Commission européenne, qui apparaît mieux outillée dans ce domaine. Comme nous l'ont indiqué nos interlocuteurs, la France se montre particulièrement active dans le suivi des négociations, car elle est, avec l'Allemagne, l'Autriche et l'Italie, parmi les États membres les plus directement concernés.
De son côté, le Conseil fédéral suisse a mené une vaste consultation interne auprès des commissions parlementaires concernées, des cantons, ainsi que des partenaires économiques et sociaux, notamment les syndicats, qui étaient assez hostiles au départ.
Surtout, comme nous l'ont précisé nos interlocuteurs suisses, le contexte géopolitique a considérablement changé, avec la guerre menée par la Russie contre l'Ukraine. La Suisse, tout en demeurant fidèle à son statut de neutralité, s'est beaucoup rapprochée de l'Union européenne.
Du côté de l'Union européenne, le principal enjeu des discussions concerne les relations économiques et commerciales.
À cet égard, le mandat de négociations adopté par le Conseil prévoit d'assurer une concurrence loyale entre les entreprises européennes et leurs homologues helvétiques. Sont ainsi prévues des dispositions institutionnelles portant sur l'alignement du droit suisse sur l'acquis de l'Union, sur l'interprétation et l'application uniformes du droit européen, ainsi que sur un mécanisme de règlement des différends entre les parties.
Ce dernier reposerait sur un tribunal arbitral composé de trois juges : un juge pour chacune des deux parties et un juge indépendant. Cependant, si le litige touche au droit européen, le tribunal arbitral devra saisir la Cour de justice de l'Union européenne (CJUE), dont l'avis sera juridiquement contraignant pour le tribunal arbitral.
Cela représenterait un progrès certain pour les entreprises européennes par rapport à la situation actuelle, marquée par l'absence de mécanisme efficace de règlement des différends. Or, comme le dit un proverbe suisse, mieux vaut avoir un compte en Suisse qu'un contentieux !
Par ailleurs, l'Union européenne souhaite introduire des dispositions sur les aides d'État, afin de garantir une concurrence loyale entre les entreprises européennes et leurs homologues helvétiques.
En outre, les Vingt-Sept tiennent à pérenniser la contribution financière de la Confédération helvétique à la politique de cohésion de l'Union, en contrepartie de l'autorisation d'accéder au marché intérieur.
La Suisse s'était en effet engagée à verser une contribution de 1,3 milliard d'euros aux nouveaux États membres ayant rejoint l'Union européenne en 2004 et à ceux qui sont touchés par d'importants flux migratoires - l'Italie, la Grèce et Chypre, notamment. Mais l'Union européenne souhaiterait rendre pérenne et juridiquement contraignante cette contribution suisse à la cohésion.
La Suisse souhaite, de son côté, pouvoir participer à différents programmes européens, dont Horizon Europe qui soutient la recherche et l'innovation, ou encore Erasmus+. Elle dispose, en effet, de laboratoires de recherche très réputés au niveau international.
La Suisse souhaite également renforcer sa coopération avec l'Union européenne en matière de santé, à la lumière de l'expérience de la pandémie de covid-19.
L'interconnexion de la Suisse avec le marché européen de l'électricité représente également un enjeu important, compte tenu de sa position géographique ; il en est de même de son interconnexion avec les réseaux de transport, notamment ferroviaire et aérien.
Sur tous ces aspects, les négociations ont plutôt bien avancé.
La principale pierre d'achoppement reste la libre circulation des personnes, un thème particulièrement sensible dans l'opinion publique suisse.
Je rappelle que le parti populiste de droite UDC, l'Union démocratique du centre, est arrivé en tête lors des dernières élections, en octobre 2023, avec 28,6 % des voix, contre 18 % pour le Parti socialiste. L'UDC dispose de deux représentants au sein du gouvernement collégial, le Conseil fédéral, composé de sept membres.
Ce parti s'oppose depuis longtemps aux négociations avec l'Union européenne, et en particulier à la participation de la Suisse à l'espace Schengen. L'UDC dénonce l'immigration massive et l'affaiblissement du système social suisse qui en résulteraient, selon elle.
Les syndicats suisses se montrent hostiles à un potentiel accord en l'état entre l'Union et la Confédération, à l'image de l'Union syndicale suisse (USS). Le premier syndicat suisse demande des garanties suffisantes sur la protection des salaires face à la menace d'un dumping salarial de la part des travailleurs étrangers. À l'inverse, les syndicats patronaux sont quant à eux favorables à un accord.
Les autorités suisses tiennent à maintenir une clause de sauvegarde qui leur permettrait de protéger le marché du travail en cas de chômage ou d'afflux massif. De leur côté, les Vingt-Sept souhaitent assouplir l'ensemble des obligations et sanctions applicables pour l'emploi de travailleurs de l'Union en Suisse et pour la prestation de services transfrontaliers, comme l'obligation de déclaration préalable ou bien le dépôt de garantie.
J'en viens aux perspectives.
L'objectif reste d'achever les négociations d'ici à la fin de l'année, ce qui permettrait d'envisager une adoption formelle au Conseil et au Parlement européen, et une signature au printemps de l'année prochaine.
Il convient de relever que les négociations sont menées « en paquet ». Selon ce principe, qui avait présidé à la négociation du Brexit, « il n'y a d'accord sur rien tant qu'il n'y pas d'accord sur tout » afin de maintenir l'équilibre du « paquet ».
Comme dans le roman de Francis Walder, Saint-Germain ou La négociation, ces discussions ne sont pas exemptes de rebondissements et de coups de bluff. Si celles-ci sont assez peu suivies en France, c'est tout l'inverse en Suisse, avec quasiment un article par jour dans la presse helvétique.
En vertu de l'article 218 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne (TFUE), l'accord final entre l'Union et la Suisse devra être approuvé par le Conseil et le Parlement européen, puis ratifié par l'ensemble des États membres selon leurs règles constitutionnelles respectives.
Le Sénat et l'Assemblée nationale devraient donc se prononcer sur le projet de loi autorisant la ratification de l'accord, notamment sur le volet relatif à la libre circulation des personnes.
Du côté suisse, le Conseil fédéral pourrait approuver l'accord au printemps 2025 et il est fort probable qu'une votation populaire soit organisée, soit à la majorité simple, c'est-à-dire à la majorité de la population, soit à la double majorité, à savoir celle de la population et celle des cantons.
Cette votation populaire pourrait avoir lieu avant les prochaines élections législatives suisses, qui doivent se tenir en 2027.
En tout état de cause, une votation populaire en Suisse semble incontournable ; le résultat est par essence imprévisible.
En réalité, le choix qui se présentera aux citoyens suisses est relativement simple : soit l'érosion progressive des accords existants, soit un renforcement des relations avec l'Union européenne, dans le respect de la souveraineté de la Suisse.
En tout état de cause, avec ou sans ces accords, les relations entre l'Union et la Suisse continueront de s'inscrire dans le cadre général des relations de l'Union européenne avec ses voisins : la Suisse restera un partenaire de l'Union européenne, mais elle bénéficiera d'un statut moins favorable que celui d'un État membre et même que celui d'un État associé au sein de l'Espace économique européen (EEE).
Comme cela a été le cas lors des négociations sur le Brexit, l'enjeu pour l'Union européenne est d'éviter une Europe à la carte, c'est-à-dire d'accorder à un pays tiers les mêmes droits et avantages qu'un pays membre.
M. Jean-François Rapin, président. - Merci pour cette présentation. Les négociations avec la Suisse me semblent toutefois plus simples que celles avec Monaco : nous sommes près du but.
M. Christophe-André Frassa. - Contrairement à la Suisse, la principauté de Monaco n'est pas demandeuse de négociations avec l'Union européenne. Or elle a été associée aux discussions menées avec deux autres micro-États : Andorre, à qui la France et l'Espagne ont demandé de faire évoluer sa fiscalité, et Saint-Marin, qui espère un accord d'association avec l'Union pour sauver son économie.
Non seulement la principauté n'est pas demandeuse, mais elle s'est vu imposer un rythme de négociations et des mesures qu'elle ne souhaitait pas. La rupture des négociations est sans doute à mettre sur le compte d'une décision unilatérale de sa part. Jean Bizet, Simon Sutour et moi-même avions mené une mission sur le sujet : Monaco ne souhaitait pas être inclus dans un canevas de négociations identique à celui d'Andorre et de Saint-Marin.
La situation est bien différente en Suisse. Les tiraillements et les aléas de la vie politique expliquent les va-et-vient permanents dans ses négociations avec l'Union européenne.
M. André Reichardt. - Les discussions actuelles portent-elles également sur l'appartenance de la Suisse à l'espace Schengen ?
Mme Florence Blatrix Contat. - La Suisse fait partie de l'espace Schengen depuis 2008 et les négociations ne portent pas sur ce sujet.
M. Cyril Pellevat. - La principale pierre d'achoppement porte sur la libre circulation des personnes. L'UDC craint une immigration de masse. Le « stress lié à la densité », ou « Dichtestress » en allemand, est un sujet sensible dans l'opinion publique suisse, alors que paradoxalement la prospérité du pays repose pour une grande partie sur la main d'oeuvre étrangère et sur les travailleurs frontaliers. C'est pourquoi les autorités suisses plaident pour l'instauration d'une clause de sauvegarde.
M. André Reichardt. - L'UDC ne varie pas dans son discours. Elle est vent debout contre l'intégration de la Suisse au sein de l'espace Schengen. C'est précisément pour cela que je souhaitais savoir si les négociations portaient sur une éventuelle remise en cause de cet aspect. Merci pour votre réponse.
Mme Florence Blatrix Contat. - La méthode est différente par rapport au précédent accord-cadre. Elle pose moins de difficultés. Les accords pourraient être signés rapidement, mais il resterait deux étapes : la ratification par les deux chambres du Parlement suisse puis la votation, sans oublier qu'un autre projet de votation déposé par l'UDC vise à figer la population de la Suisse à moins de 10 millions d'habitants. La Suisse n'échappe pas aux mêmes mouvements que ses voisins : il faudra beaucoup de pédagogie pour montrer aux Suisses l'intérêt - manifeste - de ces accords.
Cotisations des travailleurs frontaliers pour les prestations chômage - Examen du rapport sur la proposition de résolution européenne
M. Jean-François Rapin, président. - Nous allons maintenant entendre nos collègues sur un autre sujet portant également sur les relations transfrontalières, mais cette fois pas uniquement avec la Suisse : il s'agit de l'indemnisation des travailleurs frontaliers, lorsque ceux-ci connaissent une période de chômage.
L'examen du projet de loi de finances pour 2025, interrompu brutalement par la motion de censure, a mis en évidence la situation désastreuse de nos finances publiques. Cet automne, les partenaires sociaux ont identifié une source d'économies importante, susceptible de résorber une part du déficit de l'Unédic, à savoir le changement des règles de l'assurance chômage relatives aux travailleurs frontaliers. À la mi-novembre, ils étaient même parvenus à un accord, censé diminuer les dépenses de l'Unédic de 710 millions d'euros de 2025 à 2028.
Cela a conduit notre collègue Cyril Pellevat à déposer aussitôt une proposition de résolution, que notre commission doit examiner dans le mois suivant son dépôt - donc, avant la suspension des travaux parlementaires. C'est pourquoi il était important que nous maintenions notre réunion de ce jour.
Je laisse la parole à nos rapporteurs pour présenter la situation, laquelle a encore évolué la semaine dernière... En effet, l'accord envisagé entre les partenaires sociaux n'obtiendra finalement pas l'agrément du Gouvernement. Dans ce contexte mouvant, les rapporteurs nous proposeront sans doute de faire évoluer la proposition de résolution européenne (PPRE).
M. Cyril Pellevat, auteur de la PPRE, rapporteur. - La liberté de circulation est l'une des libertés fondamentales sur lesquelles repose le marché intérieur. Le traité sur le fonctionnement de l'Union européenne permet ainsi à tout citoyen de l'Union de se déplacer et de séjourner librement sur le territoire des États membres pour rechercher ou occuper un emploi.
Dès lors, il est apparu nécessaire de s'assurer que les personnes qui exercent leur droit à la libre circulation puissent dans le même temps conserver leurs droits sociaux. Devant les difficultés que présenterait une harmonisation des différents systèmes de sécurité sociale, le législateur européen a opté pour leur coordination : le processus vise à fixer des règles de rattachement uniformes et simplifiées aux institutions nationales compétentes pour les différentes prestations de sécurité sociale servies aux travailleurs. Ces règles de rattachement devaient obéir à certains principes : d'une part, l'unicité de la législation applicable pour une prestation donnée ; d'autre part, l'égalité de traitement : le cas échéant, la législation s'applique indistinctement aux travailleurs qui ont exercé leur droit à la libre circulation et aux autres travailleurs.
Un premier règlement relatif aux travailleurs frontaliers est entré en vigueur dès 1963. Il prévoyait qu'un travailleur frontalier en situation de chômage partiel dans l'entreprise qui l'emploie serait indemnisé par l'institution compétente de l'État membre d'emploi, selon les dispositions prévues par la législation en vigueur dans cet État. En revanche, si le travailleur frontalier se trouve en situation de chômage complet, il est indemnisé par l'institution compétente de l'État où il réside, selon les dispositions prévues par la législation de cet État. Ces règles ont été reprises dans le règlement (CE) n° 883/2004 portant sur la coordination des systèmes de sécurité sociale, qui s'applique aujourd'hui.
Ce dernier règlement prévoit également que l'institution compétente de l'État d'emploi devra rembourser à l'institution compétente du lieu de résidence la totalité du montant des prestations servies par celle-ci pendant les trois premiers mois de l'indemnisation. Cette période est étendue à cinq mois lorsque l'intéressé a accompli, au cours des vingt-quatre derniers mois, des périodes d'emploi d'au moins douze mois dans l'État d'emploi.
Ces dispositions s'appliquent à la Suisse qui a signé avec l'Union européenne un accord de libre circulation. En revanche, le Luxembourg bénéficie d'une dérogation prévue par le règlement n° 883/2004 : la période d'indemnisation devant faire l'objet d'un remboursement par l'institution luxembourgeoise compétente est limitée à trois mois, indépendamment de la durée d'emploi du salarié dans cet État.
Ces règles entraînent un déficit particulièrement important pour l'Unédic, qui annonce un montant de prestations de chômage versées aux demandeurs d'emploi frontaliers d'un milliard d'euros en 2023. Par ailleurs, le montant reçu des institutions compétentes des États frontaliers au titre des remboursements prévus par le règlement s'élève à seulement 200 millions d'euros. Le montant du déficit de l'Unédic imputable à l'indemnisation des travailleurs frontaliers est donc de 800 millions d'euros. Ce déficit est essentiellement lié à l'indemnisation des demandeurs d'emploi ayant exercé une activité en Suisse ou au Luxembourg en raison de leur nombre et du montant des salaires pratiqués dans ces pays, le montant des derniers salaires déterminant le montant des prestations de chômage.
Face à cette situation, l'Unédic a décidé de réagir : cet automne, l'organisme a proposé un avenant au protocole d'accord du 10 novembre 2023 relatif à l'assurance chômage. L'avenant visait notamment à appliquer un coefficient modérateur au montant des prestations de chômage versées aux frontaliers.
Il aurait eu des conséquences sociales particulièrement désastreuses sur les quelque 77 000 demandeurs d'emploi frontaliers indemnisés par la France aujourd'hui, dans la mesure où le montant de leurs prestations aurait été nettement diminué. C'est pourquoi j'ai pris l'initiative de déposer une proposition de résolution européenne le 18 novembre dernier : celle-ci ne prévoyait pas de modifier les règles portant sur le montant et la durée de l'indemnisation chômage des travailleurs frontaliers ; elle plaidait plutôt en faveur d'une révision du règlement européen de 2004 afin que la charge de l'indemnisation soit supportée par l'État membre ayant perçu les cotisations lorsque le frontalier y a travaillé pendant au moins douze mois ; enfin, elle appelait à engager dès à présent des négociations bilatérales pour obtenir de nos voisins un remboursement plus élevé des indemnités chômage que l'Unédic verse aujourd'hui aux travailleurs frontaliers ayant cotisé dans ces pays.
Le Gouvernement a finalement annoncé, il y a deux semaines, qu'il ne donnerait pas son agrément à cet avenant négocié par les partenaires sociaux, en raison du risque juridique associé. En effet, cela créerait une rupture d'égalité entre les demandeurs d'emploi ayant exercé une activité en France et ceux qui ont exercé une activité dans un État frontalier.
Néanmoins, face au déficit engendré par l'indemnisation des travailleurs frontaliers, Florence Blatrix Contat et moi-même avons décidé d'ajuster la proposition de résolution, tout en maintenant la demande d'une révision de la législation européenne en vigueur.
Mme Florence Blatrix Contat, rapporteure. - Il faut bien comprendre que la législation actuelle présente deux incohérences majeures. Tout d'abord, elle prévoit que les demandeurs d'emploi frontaliers perçoivent des prestations de chômage auprès d'un État qui n'est pas celui dans lequel ils ont versé des contributions à l'assurance-chômage. Le règlement n° 883/2004 organise ainsi une déconnexion entre la contribution versée et la prestation reçue, ce qui n'est pas conforme au concept même d'assurance. En outre, selon la législation actuelle, le demandeur d'emploi se met à la disposition des autorités compétentes de l'État de résidence pour organiser son retour à l'emploi. Or les associations de travailleurs frontaliers que nous avons auditionnées nous ont toutes expliqué que le demandeur d'emploi frontalier aura tendance à vouloir retrouver un emploi dans l'État où il exerçait sa dernière activité.
Par conséquent, l'idéal serait d'obtenir une révision du règlement (CE) n° 883/2004. La Commission européenne avait proposé en 2016 de le modifier : la responsabilité du versement des prestations de chômage aurait été attribuée à l'État de dernier emploi, dès lors que le travailleur frontalier y a travaillé pendant au moins douze mois, et à l'État de résidence dans les autres cas. Notre commission avait alors adopté une proposition de résolution encore plus ambitieuse puisque nous demandions qu'à partir de trois mois d'activité dans l'État d'emploi, les prestations de chômage soient versées par ce même État.
Malheureusement, l'absence de majorité au Conseil n'a pas permis l'adoption de nouvelles règles. Toutefois, la lettre de mission du nouveau commissaire européen aux questions sociales prévoit que ce dernier devra examiner les moyens de faciliter davantage la mobilité de la main-d'oeuvre, en travaillant à la modernisation, à la simplification et à la numérisation de la coordination des systèmes de sécurité sociale, ce qui ouvre la perspective d'une révision du règlement de 2004. En outre, en octobre 2024, la présidente du Parlement européen a adressé au président du Conseil un courrier lui indiquant que le Parlement souhaitait la reprise des travaux sur ce texte.
Dans l'attente d'un éventuel accord au Conseil, il est urgent que le gouvernement français engage des négociations bilatérales avec la Suisse, le Luxembourg, la Belgique et l'Allemagne, afin d'obtenir le remboursement d'un montant plus important des prestations servies ou, à défaut, le reversement à l'Unedic des contributions à l'assurance chômage prélevées par l'État d'emploi sur les salaires des travailleurs frontaliers. .
Comme l'a indiqué Cyril Pellevat, une procédure de remboursement est actuellement en vigueur : le règlement européen n° 883/2004 permet aux États qui le souhaitent d'étendre la période durant laquelle la totalité du montant des prestations servies par l'institution compétente de l'État de résidence est remboursée par l'institution compétente de l'État d'emploi. Plus particulièrement, ce règlement de 2004 prévoit la mise en oeuvre de telles dispositions avec le Luxembourg. Mais rien n'a jusqu'ici été négocié sur cette base entre ce pays et la France. Il est donc nécessaire d'identifier les centres d'intérêts des différentes parties et les points de convergence pour pouvoir aboutir à un accord.
Ces négociations bilatérales pourraient également avoir pour objectif le versement direct des contributions d'assurance chômage perçues par l'institution compétente de l'État d'emploi. Certes, les montants seraient moins importants, mais ils seraient néanmoins supérieurs aux sommes aujourd'hui remboursées à l'Unédic.
Dans l'attente, nous voulons insister sur la nécessité de mettre en place rapidement des mesures conformes au droit de l'Union : celles-ci permettraient un meilleur contrôle des demandeurs d'emploi frontaliers, afin d'éviter, notamment, des reprises d'activité non déclarées. Il faut donc renforcer la coopération entre les États et leurs institutions compétentes. Un échange systématique de données électroniques limiterait la fraude.
Tel est l'objet de la proposition de résolution, modifiée, que nous vous proposons d'adopter aujourd'hui.
Mme Marta de Cidrac. - Vous avez longuement abordé les cas du Luxembourg et la Suisse, pour des raisons que nous comprenons bien. Les mêmes problématiques existent-elles avec d'autres États frontaliers, comme l'Espagne ou l'Italie ? J'aimerais avoir un aperçu de la situation vis-à-vis de ces pays.
Mme Florence Blatrix Contat, rapporteure. - Nous n'avons pas approfondi la situation de ces pays, car les montants en cause sont beaucoup plus modestes. Les travailleurs frontaliers exerçant leur activité en Espagne ou en Italie représentent moins de 2% des travailleurs frontaliers résidant en France alors que ceux exerçant une activité en Suisse ou au Luxembourg représentent respectivement 48% et 22%. Nous avons donc concentré nos efforts sur la Suisse et le Luxembourg, car ces pays sont à l'origine de l'essentiel du déficit. Depuis 2011, la perte pour l'Unédic atteint 9 milliards d'euros !
Mme Marta de Cidrac. - Cela signifie-t-il que la PPRE ne s'appliquerait qu'à la Suisse et au Luxembourg ?
Mme Florence Blatrix Contat, rapporteure. - Non, son cadre est bien général. D'ailleurs, nous ciblons également la Belgique et l'Allemagne. Une révision du règlement s'appliquerait quant à elle à tous les États frontaliers sans distinction.
M. Cyril Pellevat, auteur de la PPRE, rapporteur. - En effet, nous avons largement abordé les cas du Luxembourg et de la Suisse dans notre présentation, car les salaires y sont bien plus élevés, ce qui, d'une part, en fait une source importante du déficit de l'Unédic et, d'autre part, conduit les chômeurs issus de ces pays à rester plus longtemps sans emploi.
Par ailleurs, en raison des récentes annonces relatives aux fermetures d'usines, les employeurs du nord-est de la France craignent un afflux massif de travailleurs frontaliers d'Allemagne).
Mme Silvana Silvani. - Je vous remercie pour cette initiative en faveur des transfrontaliers. Mon département de Meurthe-et-Moselle est particulièrement concerné, du fait de la proximité du Luxembourg. L'essentiel des travailleurs luxembourgeois sont effectivement issus des communes voisines françaises. C'est une donnée importante à prendre en compte, au-delà de la seule question de l'indemnisation chômage.
À titre indicatif, à qualification égale, un travailleur touche un salaire deux, trois, voire quatre fois plus élevé au Luxembourg qu'en France. En Suisse, l'écart est sans doute plus important encore. Les indemnités de chômage associées ne représentent sans doute pas une part importante du budget de l'Unédic, mais, de fait, le versement de ces prestations crée un déficit pour l'Unédic.
Cette proposition de résolution s'intéresse donc avant tout à la Suisse et au Luxembourg. Pourtant, la situation de ces deux pays est très différente, et les relations qui lient la France avec chacun d'entre eux ne sont pas de même nature. Le Luxembourg, en particulier, bénéficie de dérogations particulières. Le nombre de travailleurs dans chacun des pays diffère également.
Aussi, comment votre proposition de résolution entend-elle prendre en compte ces différences ?
Mme Florence Blatrix Contat, rapporteure. - Nous vous présentons un dispositif en plusieurs étapes, pour tenir compte du délai important que nécessiterait une révision du règlement permettant aux travailleurs frontaliers d'être indemnisés par l'État d'emploi et des nombreux désaccords que cette révision pourrait susciter.
Dans un premier temps, nous proposons d'engager des négociations bilatérales pour garantir le reversement à la France des contributions à l'assurance chômage des travailleurs frontaliers concernés. Il y aurait un manque à gagner, certes, puisque le taux de cotisation en Suisse - de l'ordre de 2,2 % - est bien plus faible qu'en France.
Dans un deuxième temps, d'autres négociations bilatérales permettraient d'obtenir un remboursement plus important des prestations servies, avec une extension du nombre de mois remboursés, notamment avec le Luxembourg.
Enfin, dans un troisième temps, il s'agirait de revoir le règlement européen de 2004, de manière à résoudre intégralement le problème.
Mme Silvana Silvani. - Comment mettre un terme au régime dérogatoire dont bénéficie le Luxembourg ?
Mme Florence Blatrix Contat, rapporteure. - Seule une négociation bilatérale le permettra.
M. Christophe-André Frassa. - Si je comprends bien la démarche de nos deux collègues, il me semble que la prise en charge sociale des travailleurs se fait au travers des conventions de sécurité sociale. C'est donc ce levier que nous devons d'abord activer, avant d'agir au niveau de l'Union européenne.
Ma circonscription de Monaco ne compte que 35 000 habitants, mais en 2021, selon l'INSEE, 33 000 frontaliers venant des Alpes maritimes s'y rendent tous les jours pour travailler. À ceux-là s'ajoutent, en 2019 selon l'Ambassade d'Italie à Monaco, 4 200 italiens. La convention sur la sécurité sociale, qui a été établie en 1952, prévoit que les cotisations sont prélevées par Monaco avant d'être reversées au système d'assurance chômage français, qui prend ensuite le relais.
Ainsi, si des défaillances du système sont constatées en Belgique, au Luxembourg et en Suisse, seule la négociation de conventions bilatérales permettra de parvenir à une solution, du moins dans un premier temps. Mais pour cela, il faut l'accord des deux parties !
Mme Florence Blatrix Contat, rapporteure. - N'oublions pas que tout cela pourrait interférer avec les négociations sur l'accord-cadre avec la Suisse.
M. André Reichardt. - Puisque l'accord auquel sont parvenus les partenaires sociaux en France n'a pas donné lieu à l'agrément du gouvernement sortant, nous devons nous orienter vers d'autres solutions, dans l'attente qu'un accord européen soit conclu entre les différents États membres pour résoudre les problématiques actuelles. Deux mesures doivent être rapidement mises en oeuvre.
Premièrement, nous devons agir en faveur de la lutte contre la fraude. Je sais que ce n'est pas le principal objectif de cette proposition de résolution. Pour autant, puisque nous en avons le temps, tentons d'établir des mesures en ce sens, au niveau national. Il n'est pas acceptable que des personnes qui travaillent de l'autre côté de la frontière continuent à toucher le chômage en France !
Deuxièmement, nous devons nous assurer que la contribution de l'État d'emploi soit plus importante. Cette mesure peut être discutée dans le cadre d'accords bilatéraux.
Dans tous les cas, il faudra in fine un accord européen, mais, comme vous le dites, cela n'est pas près d'arriver...
M. Cyril Pellevat, auteur de la PPRE, rapporteur. - Plusieurs des acteurs que nous avons auditionnés nous ont interpellés sur le risque de sanctionner les travailleurs frontaliers en divisant par deux le montant de leur indemnisation. Quant aux situations de fraude que vous évoquez, il faut y mettre fin : certains de ceux qui en bénéficient ne s'en cachent même pas !
Malgré les déficits, l'État français n'est jamais revenu à la table des négociations afin de tenter de conclure un accord bilatéral avec la Suisse, pour des raisons qui seraient liées à des enjeux commerciaux étrangers au sujet... Il est regrettable de faire peser les lacunes de l'État sur les travailleurs frontaliers !
La commission autorise la publication du rapport et adopte, à l'unanimité, la proposition de résolution européenne modifiée, disponible en ligne sur le site du Sénat.
Relations UE-Suisse - Communication
Le compte rendu sera publié ultérieurement.
Questions sociales, travail et santé - Cotisations des travailleurs frontaliers pour les prestations chômage - Examen du rapport sur la proposition de résolution européenne
M. Jean-François Rapin, président. - Nous allons maintenant entendre nos collègues sur un autre sujet portant également sur les relations transfrontalières, mais cette fois pas uniquement avec la Suisse : il s'agit de l'indemnisation des travailleurs frontaliers, lorsque ceux-ci connaissent une période de chômage.
L'examen du projet de loi de finances pour 2025, interrompu brutalement par la motion de censure, a mis en évidence la situation désastreuse de nos finances publiques. Cet automne, les partenaires sociaux ont identifié une source d'économies importante, susceptible de résorber une part du déficit de l'Unédic, à savoir le changement des règles de l'assurance chômage relatives aux travailleurs frontaliers. À la mi-novembre, ils étaient même parvenus à un accord, censé diminuer les dépenses de l'Unédic de 710 millions d'euros de 2025 à 2028.
Cela a conduit notre collègue Cyril Pellevat à déposer aussitôt une proposition de résolution, que notre commission doit examiner dans le mois suivant son dépôt - donc, avant la suspension des travaux parlementaires. C'est pourquoi il était important que nous maintenions notre réunion de ce jour.
Je laisse la parole à nos rapporteurs pour présenter la situation, laquelle a encore évolué la semaine dernière... En effet, l'accord envisagé entre les partenaires sociaux n'obtiendra finalement pas l'agrément du Gouvernement. Dans ce contexte mouvant, les rapporteurs nous proposeront sans doute de faire évoluer la proposition de résolution européenne (PPRE).
M. Cyril Pellevat, auteur de la PPRE, rapporteur. - La liberté de circulation est l'une des libertés fondamentales sur lesquelles repose le marché intérieur. Le traité sur le fonctionnement de l'Union européenne permet ainsi à tout citoyen de l'Union de se déplacer et de séjourner librement sur le territoire des États membres pour rechercher ou occuper un emploi.
Dès lors, il est apparu nécessaire de s'assurer que les personnes qui exercent leur droit à la libre circulation puissent dans le même temps conserver leurs droits sociaux. Devant les difficultés que présenterait une harmonisation des différents systèmes de sécurité sociale, le législateur européen a opté pour leur coordination : le processus vise à fixer des règles de rattachement uniformes et simplifiées aux institutions nationales compétentes pour les différentes prestations de sécurité sociale servies aux travailleurs. Ces règles de rattachement devaient obéir à certains principes : d'une part, l'unicité de la législation applicable pour une prestation donnée ; d'autre part, l'égalité de traitement : le cas échéant, la législation s'applique indistinctement aux travailleurs qui ont exercé leur droit à la libre circulation et aux autres travailleurs.
Un premier règlement relatif aux travailleurs frontaliers est entré en vigueur dès 1963. Il prévoyait qu'un travailleur frontalier en situation de chômage partiel dans l'entreprise qui l'emploie serait indemnisé par l'institution compétente de l'État membre d'emploi, selon les dispositions prévues par la législation en vigueur dans cet État. En revanche, si le travailleur frontalier se trouve en situation de chômage complet, il est indemnisé par l'institution compétente de l'État où il réside, selon les dispositions prévues par la législation de cet État. Ces règles ont été reprises dans le règlement (CE) n° 883/2004 portant sur la coordination des systèmes de sécurité sociale, qui s'applique aujourd'hui.
Ce dernier règlement prévoit également que l'institution compétente de l'État d'emploi devra rembourser à l'institution compétente du lieu de résidence la totalité du montant des prestations servies par celle-ci pendant les trois premiers mois de l'indemnisation. Cette période est étendue à cinq mois lorsque l'intéressé a accompli, au cours des vingt-quatre derniers mois, des périodes d'emploi d'au moins douze mois dans l'État d'emploi.
Ces dispositions s'appliquent à la Suisse qui a signé avec l'Union européenne un accord de libre circulation. En revanche, le Luxembourg bénéficie d'une dérogation prévue par le règlement n° 883/2004 : la période d'indemnisation devant faire l'objet d'un remboursement par l'institution luxembourgeoise compétente est limitée à trois mois, indépendamment de la durée d'emploi du salarié dans cet État.
Ces règles entraînent un déficit particulièrement important pour l'Unédic, qui annonce un montant de prestations de chômage versées aux demandeurs d'emploi frontaliers d'un milliard d'euros en 2023. Par ailleurs, le montant reçu des institutions compétentes des États frontaliers au titre des remboursements prévus par le règlement s'élève à seulement 200 millions d'euros. Le montant du déficit de l'Unédic imputable à l'indemnisation des travailleurs frontaliers est donc de 800 millions d'euros. Ce déficit est essentiellement lié à l'indemnisation des demandeurs d'emploi ayant exercé une activité en Suisse ou au Luxembourg en raison de leur nombre et du montant des salaires pratiqués dans ces pays, le montant des derniers salaires déterminant le montant des prestations de chômage.
Face à cette situation, l'Unédic a décidé de réagir : cet automne, l'organisme a proposé un avenant au protocole d'accord du 10 novembre 2023 relatif à l'assurance chômage. L'avenant visait notamment à appliquer un coefficient modérateur au montant des prestations de chômage versées aux frontaliers.
Il aurait eu des conséquences sociales particulièrement désastreuses sur les quelque 77 000 demandeurs d'emploi frontaliers indemnisés par la France aujourd'hui, dans la mesure où le montant de leurs prestations aurait été nettement diminué. C'est pourquoi j'ai pris l'initiative de déposer une proposition de résolution européenne le 18 novembre dernier : celle-ci ne prévoyait pas de modifier les règles portant sur le montant et la durée de l'indemnisation chômage des travailleurs frontaliers ; elle plaidait plutôt en faveur d'une révision du règlement européen de 2004 afin que la charge de l'indemnisation soit supportée par l'État membre ayant perçu les cotisations lorsque le frontalier y a travaillé pendant au moins douze mois ; enfin, elle appelait à engager dès à présent des négociations bilatérales pour obtenir de nos voisins un remboursement plus élevé des indemnités chômage que l'Unédic verse aujourd'hui aux travailleurs frontaliers ayant cotisé dans ces pays.
Le Gouvernement a finalement annoncé, il y a deux semaines, qu'il ne donnerait pas son agrément à cet avenant négocié par les partenaires sociaux, en raison du risque juridique associé. En effet, cela créerait une rupture d'égalité entre les demandeurs d'emploi ayant exercé une activité en France et ceux qui ont exercé une activité dans un État frontalier.
Néanmoins, face au déficit engendré par l'indemnisation des travailleurs frontaliers, Florence Blatrix Contat et moi-même avons décidé d'ajuster la proposition de résolution, tout en maintenant la demande d'une révision de la législation européenne en vigueur.
Mme Florence Blatrix Contat, rapporteure. - Il faut bien comprendre que la législation actuelle présente deux incohérences majeures. Tout d'abord, elle prévoit que les demandeurs d'emploi frontaliers perçoivent des prestations de chômage auprès d'un État qui n'est pas celui dans lequel ils ont versé des contributions à l'assurance-chômage. Le règlement n° 883/2004 organise ainsi une déconnexion entre la contribution versée et la prestation reçue, ce qui n'est pas conforme au concept même d'assurance. En outre, selon la législation actuelle, le demandeur d'emploi se met à la disposition des autorités compétentes de l'État de résidence pour organiser son retour à l'emploi. Or les associations de travailleurs frontaliers que nous avons auditionnées nous ont toutes expliqué que le demandeur d'emploi frontalier aura tendance à vouloir retrouver un emploi dans l'État où il exerçait sa dernière activité.
Par conséquent, l'idéal serait d'obtenir une révision du règlement (CE) n° 883/2004. La Commission européenne avait proposé en 2016 de le modifier : la responsabilité du versement des prestations de chômage aurait été attribuée à l'État de dernier emploi, dès lors que le travailleur frontalier y a travaillé pendant au moins douze mois, et à l'État de résidence dans les autres cas. Notre commission avait alors adopté une proposition de résolution encore plus ambitieuse puisque nous demandions qu'à partir de trois mois d'activité dans l'État d'emploi, les prestations de chômage soient versées par ce même État.
Malheureusement, l'absence de majorité au Conseil n'a pas permis l'adoption de nouvelles règles. Toutefois, la lettre de mission du nouveau commissaire européen aux questions sociales prévoit que ce dernier devra examiner les moyens de faciliter davantage la mobilité de la main-d'oeuvre, en travaillant à la modernisation, à la simplification et à la numérisation de la coordination des systèmes de sécurité sociale, ce qui ouvre la perspective d'une révision du règlement de 2004. En outre, en octobre 2024, la présidente du Parlement européen a adressé au président du Conseil un courrier lui indiquant que le Parlement souhaitait la reprise des travaux sur ce texte.
Dans l'attente d'un éventuel accord au Conseil, il est urgent que le gouvernement français engage des négociations bilatérales avec la Suisse, le Luxembourg, la Belgique et l'Allemagne, afin d'obtenir le remboursement d'un montant plus important des prestations servies ou, à défaut, le reversement à l'Unedic des contributions à l'assurance chômage prélevées par l'État d'emploi sur les salaires des travailleurs frontaliers. .
Comme l'a indiqué Cyril Pellevat, une procédure de remboursement est actuellement en vigueur : le règlement européen n° 883/2004 permet aux États qui le souhaitent d'étendre la période durant laquelle la totalité du montant des prestations servies par l'institution compétente de l'État de résidence est remboursée par l'institution compétente de l'État d'emploi. Plus particulièrement, ce règlement de 2004 prévoit la mise en oeuvre de telles dispositions avec le Luxembourg. Mais rien n'a jusqu'ici été négocié sur cette base entre ce pays et la France. Il est donc nécessaire d'identifier les centres d'intérêts des différentes parties et les points de convergence pour pouvoir aboutir à un accord.
Ces négociations bilatérales pourraient également avoir pour objectif le versement direct des contributions d'assurance chômage perçues par l'institution compétente de l'État d'emploi. Certes, les montants seraient moins importants, mais ils seraient néanmoins supérieurs aux sommes aujourd'hui remboursées à l'Unédic.
Dans l'attente, nous voulons insister sur la nécessité de mettre en place rapidement des mesures conformes au droit de l'Union : celles-ci permettraient un meilleur contrôle des demandeurs d'emploi frontaliers, afin d'éviter, notamment, des reprises d'activité non déclarées. Il faut donc renforcer la coopération entre les États et leurs institutions compétentes. Un échange systématique de données électroniques limiterait la fraude.
Tel est l'objet de la proposition de résolution, modifiée, que nous vous proposons d'adopter aujourd'hui.
Mme Marta de Cidrac. - Vous avez longuement abordé les cas du Luxembourg et la Suisse, pour des raisons que nous comprenons bien. Les mêmes problématiques existent-elles avec d'autres États frontaliers, comme l'Espagne ou l'Italie ? J'aimerais avoir un aperçu de la situation vis-à-vis de ces pays.
Mme Florence Blatrix Contat, rapporteure. - Nous n'avons pas approfondi la situation de ces pays, car les montants en cause sont beaucoup plus modestes. Les travailleurs frontaliers exerçant leur activité en Espagne ou en Italie représentent moins de 2% des travailleurs frontaliers résidant en France alors que ceux exerçant une activité en Suisse ou au Luxembourg représentent respectivement 48% et 22%. Nous avons donc concentré nos efforts sur la Suisse et le Luxembourg, car ces pays sont à l'origine de l'essentiel du déficit. Depuis 2011, la perte pour l'Unédic atteint 9 milliards d'euros !
Mme Marta de Cidrac. - Cela signifie-t-il que la PPRE ne s'appliquerait qu'à la Suisse et au Luxembourg ?
Mme Florence Blatrix Contat, rapporteure. - Non, son cadre est bien général. D'ailleurs, nous ciblons également la Belgique et l'Allemagne. Une révision du règlement s'appliquerait quant à elle à tous les États frontaliers sans distinction.
M. Cyril Pellevat, auteur de la PPRE, rapporteur. - En effet, nous avons largement abordé les cas du Luxembourg et de la Suisse dans notre présentation, car les salaires y sont bien plus élevés, ce qui, d'une part, en fait une source importante du déficit de l'Unédic et, d'autre part, conduit les chômeurs issus de ces pays à rester plus longtemps sans emploi.
Par ailleurs, en raison des récentes annonces relatives aux fermetures d'usines, les employeurs du nord-est de la France craignent un afflux massif de travailleurs frontaliers d'Allemagne).
Mme Silvana Silvani. - Je vous remercie pour cette initiative en faveur des transfrontaliers. Mon département de Meurthe-et-Moselle est particulièrement concerné, du fait de la proximité du Luxembourg. L'essentiel des travailleurs luxembourgeois sont effectivement issus des communes voisines françaises. C'est une donnée importante à prendre en compte, au-delà de la seule question de l'indemnisation chômage.
À titre indicatif, à qualification égale, un travailleur touche un salaire deux, trois, voire quatre fois plus élevé au Luxembourg qu'en France. En Suisse, l'écart est sans doute plus important encore. Les indemnités de chômage associées ne représentent sans doute pas une part importante du budget de l'Unédic, mais, de fait, le versement de ces prestations crée un déficit pour l'Unédic.
Cette proposition de résolution s'intéresse donc avant tout à la Suisse et au Luxembourg. Pourtant, la situation de ces deux pays est très différente, et les relations qui lient la France avec chacun d'entre eux ne sont pas de même nature. Le Luxembourg, en particulier, bénéficie de dérogations particulières. Le nombre de travailleurs dans chacun des pays diffère également.
Aussi, comment votre proposition de résolution entend-elle prendre en compte ces différences ?
Mme Florence Blatrix Contat, rapporteure. - Nous vous présentons un dispositif en plusieurs étapes, pour tenir compte du délai important que nécessiterait une révision du règlement permettant aux travailleurs frontaliers d'être indemnisés par l'État d'emploi et des nombreux désaccords que cette révision pourrait susciter.
Dans un premier temps, nous proposons d'engager des négociations bilatérales pour garantir le reversement à la France des contributions à l'assurance chômage des travailleurs frontaliers concernés. Il y aurait un manque à gagner, certes, puisque le taux de cotisation en Suisse - de l'ordre de 2,2 % - est bien plus faible qu'en France.
Dans un deuxième temps, d'autres négociations bilatérales permettraient d'obtenir un remboursement plus important des prestations servies, avec une extension du nombre de mois remboursés, notamment avec le Luxembourg.
Enfin, dans un troisième temps, il s'agirait de revoir le règlement européen de 2004, de manière à résoudre intégralement le problème.
Mme Silvana Silvani. - Comment mettre un terme au régime dérogatoire dont bénéficie le Luxembourg ?
Mme Florence Blatrix Contat, rapporteure. - Seule une négociation bilatérale le permettra.
M. Christophe-André Frassa. - Si je comprends bien la démarche de nos deux collègues, il me semble que la prise en charge sociale des travailleurs se fait au travers des conventions de sécurité sociale. C'est donc ce levier que nous devons d'abord activer, avant d'agir au niveau de l'Union européenne.
Ma circonscription de Monaco ne compte que 35 000 habitants, mais en 2021, selon l'INSEE, 33 000 frontaliers venant des Alpes maritimes s'y rendent tous les jours pour travailler. À ceux-là s'ajoutent, en 2019 selon l'Ambassade d'Italie à Monaco, 4 200 italiens. La convention sur la sécurité sociale, qui a été établie en 1952, prévoit que les cotisations sont prélevées par Monaco avant d'être reversées au système d'assurance chômage français, qui prend ensuite le relais.
Ainsi, si des défaillances du système sont constatées en Belgique, au Luxembourg et en Suisse, seule la négociation de conventions bilatérales permettra de parvenir à une solution, du moins dans un premier temps. Mais pour cela, il faut l'accord des deux parties !
Mme Florence Blatrix Contat, rapporteure. - N'oublions pas que tout cela pourrait interférer avec les négociations sur l'accord-cadre avec la Suisse.
M. André Reichardt. - Puisque l'accord auquel sont parvenus les partenaires sociaux en France n'a pas donné lieu à l'agrément du gouvernement sortant, nous devons nous orienter vers d'autres solutions, dans l'attente qu'un accord européen soit conclu entre les différents États membres pour résoudre les problématiques actuelles. Deux mesures doivent être rapidement mises en oeuvre.
Premièrement, nous devons agir en faveur de la lutte contre la fraude. Je sais que ce n'est pas le principal objectif de cette proposition de résolution. Pour autant, puisque nous en avons le temps, tentons d'établir des mesures en ce sens, au niveau national. Il n'est pas acceptable que des personnes qui travaillent de l'autre côté de la frontière continuent à toucher le chômage en France !
Deuxièmement, nous devons nous assurer que la contribution de l'État d'emploi soit plus importante. Cette mesure peut être discutée dans le cadre d'accords bilatéraux.
Dans tous les cas, il faudra in fine un accord européen, mais, comme vous le dites, cela n'est pas près d'arriver...
M. Cyril Pellevat, auteur de la PPRE, rapporteur. - Plusieurs des acteurs que nous avons auditionnés nous ont interpellés sur le risque de sanctionner les travailleurs frontaliers en divisant par deux le montant de leur indemnisation. Quant aux situations de fraude que vous évoquez, il faut y mettre fin : certains de ceux qui en bénéficient ne s'en cachent même pas !
Malgré les déficits, l'État français n'est jamais revenu à la table des négociations afin de tenter de conclure un accord bilatéral avec la Suisse, pour des raisons qui seraient liées à des enjeux commerciaux étrangers au sujet... Il est regrettable de faire peser les lacunes de l'État sur les travailleurs frontaliers !
La commission autorise la publication du rapport et adopte, à l'unanimité, la proposition de résolution européenne modifiée, disponible en ligne sur le site du Sénat.
La réunion est close à 17 h 25.