- Mercredi 11 décembre
2024
- Environnement et développement durable - Pollution due aux rejets de granulés de plastique - Examen de la proposition de résolution européenne
- Relations UE-Suisse - Communication
- Questions sociales, travail et santé - Cotisations des travailleurs frontaliers pour les prestations chômage - Examen du rapport sur la proposition de résolution européenne
Mercredi 11 décembre 2024
- Présidence de M. Jean-François Rapin, président -
Environnement et développement durable - Pollution due aux rejets de granulés de plastique - Examen de la proposition de résolution européenne
Le compte rendu sera publié ultérieurement.
La réunion est ouverte à 16 h 40.
Relations UE-Suisse - Communication
Le compte rendu sera publié ultérieurement.
Questions sociales, travail et santé - Cotisations des travailleurs frontaliers pour les prestations chômage - Examen du rapport sur la proposition de résolution européenne
M. Jean-François Rapin, président. - Nous allons maintenant entendre nos collègues sur un autre sujet portant également sur les relations transfrontalières, mais cette fois pas uniquement avec la Suisse : il s'agit de l'indemnisation des travailleurs frontaliers, lorsque ceux-ci connaissent une période de chômage.
L'examen du projet de loi de finances pour 2025, interrompu brutalement par la motion de censure, a mis en évidence la situation désastreuse de nos finances publiques. Cet automne, les partenaires sociaux ont identifié une source d'économies importante, susceptible de résorber une part du déficit de l'Unédic, à savoir le changement des règles de l'assurance chômage relatives aux travailleurs frontaliers. À la mi-novembre, ils étaient même parvenus à un accord, censé diminuer les dépenses de l'Unédic de 710 millions d'euros de 2025 à 2028.
Cela a conduit notre collègue Cyril Pellevat à déposer aussitôt une proposition de résolution, que notre commission doit examiner dans le mois suivant son dépôt - donc, avant la suspension des travaux parlementaires. C'est pourquoi il était important que nous maintenions notre réunion de ce jour.
Je laisse la parole à nos rapporteurs pour présenter la situation, laquelle a encore évolué la semaine dernière... En effet, l'accord envisagé entre les partenaires sociaux n'obtiendra finalement pas l'agrément du Gouvernement. Dans ce contexte mouvant, les rapporteurs nous proposeront sans doute de faire évoluer la proposition de résolution européenne (PPRE).
M. Cyril Pellevat, auteur de la PPRE, rapporteur. - La liberté de circulation est l'une des libertés fondamentales sur lesquelles repose le marché intérieur. Le traité sur le fonctionnement de l'Union européenne permet ainsi à tout citoyen de l'Union de se déplacer et de séjourner librement sur le territoire des États membres pour rechercher ou occuper un emploi.
Dès lors, il est apparu nécessaire de s'assurer que les personnes qui exercent leur droit à la libre circulation puissent dans le même temps conserver leurs droits sociaux. Devant les difficultés que présenterait une harmonisation des différents systèmes de sécurité sociale, le législateur européen a opté pour leur coordination : le processus vise à fixer des règles de rattachement uniformes et simplifiées aux institutions nationales compétentes pour les différentes prestations de sécurité sociale servies aux travailleurs. Ces règles de rattachement devaient obéir à certains principes : d'une part, l'unicité de la législation applicable pour une prestation donnée ; d'autre part, l'égalité de traitement : le cas échéant, la législation s'applique indistinctement aux travailleurs qui ont exercé leur droit à la libre circulation et aux autres travailleurs.
Un premier règlement relatif aux travailleurs frontaliers est entré en vigueur dès 1963. Il prévoyait qu'un travailleur frontalier en situation de chômage partiel dans l'entreprise qui l'emploie serait indemnisé par l'institution compétente de l'État membre d'emploi, selon les dispositions prévues par la législation en vigueur dans cet État. En revanche, si le travailleur frontalier se trouve en situation de chômage complet, il est indemnisé par l'institution compétente de l'État où il réside, selon les dispositions prévues par la législation de cet État. Ces règles ont été reprises dans le règlement (CE) n° 883/2004 portant sur la coordination des systèmes de sécurité sociale, qui s'applique aujourd'hui.
Ce dernier règlement prévoit également que l'institution compétente de l'État d'emploi devra rembourser à l'institution compétente du lieu de résidence la totalité du montant des prestations servies par celle-ci pendant les trois premiers mois de l'indemnisation. Cette période est étendue à cinq mois lorsque l'intéressé a accompli, au cours des vingt-quatre derniers mois, des périodes d'emploi d'au moins douze mois dans l'État d'emploi.
Ces dispositions s'appliquent à la Suisse qui a signé avec l'Union européenne un accord de libre circulation. En revanche, le Luxembourg bénéficie d'une dérogation prévue par le règlement n° 883/2004 : la période d'indemnisation devant faire l'objet d'un remboursement par l'institution luxembourgeoise compétente est limitée à trois mois, indépendamment de la durée d'emploi du salarié dans cet État.
Ces règles entraînent un déficit particulièrement important pour l'Unédic, qui annonce un montant de prestations de chômage versées aux demandeurs d'emploi frontaliers d'un milliard d'euros en 2023. Par ailleurs, le montant reçu des institutions compétentes des États frontaliers au titre des remboursements prévus par le règlement s'élève à seulement 200 millions d'euros. Le montant du déficit de l'Unédic imputable à l'indemnisation des travailleurs frontaliers est donc de 800 millions d'euros. Ce déficit est essentiellement lié à l'indemnisation des demandeurs d'emploi ayant exercé une activité en Suisse ou au Luxembourg en raison de leur nombre et du montant des salaires pratiqués dans ces pays, le montant des derniers salaires déterminant le montant des prestations de chômage.
Face à cette situation, l'Unédic a décidé de réagir : cet automne, l'organisme a proposé un avenant au protocole d'accord du 10 novembre 2023 relatif à l'assurance chômage. L'avenant visait notamment à appliquer un coefficient modérateur au montant des prestations de chômage versées aux frontaliers.
Il aurait eu des conséquences sociales particulièrement désastreuses sur les quelque 77 000 demandeurs d'emploi frontaliers indemnisés par la France aujourd'hui, dans la mesure où le montant de leurs prestations aurait été nettement diminué. C'est pourquoi j'ai pris l'initiative de déposer une proposition de résolution européenne le 18 novembre dernier : celle-ci ne prévoyait pas de modifier les règles portant sur le montant et la durée de l'indemnisation chômage des travailleurs frontaliers ; elle plaidait plutôt en faveur d'une révision du règlement européen de 2004 afin que la charge de l'indemnisation soit supportée par l'État membre ayant perçu les cotisations lorsque le frontalier y a travaillé pendant au moins douze mois ; enfin, elle appelait à engager dès à présent des négociations bilatérales pour obtenir de nos voisins un remboursement plus élevé des indemnités chômage que l'Unédic verse aujourd'hui aux travailleurs frontaliers ayant cotisé dans ces pays.
Le Gouvernement a finalement annoncé, il y a deux semaines, qu'il ne donnerait pas son agrément à cet avenant négocié par les partenaires sociaux, en raison du risque juridique associé. En effet, cela créerait une rupture d'égalité entre les demandeurs d'emploi ayant exercé une activité en France et ceux qui ont exercé une activité dans un État frontalier.
Néanmoins, face au déficit engendré par l'indemnisation des travailleurs frontaliers, Florence Blatrix Contat et moi-même avons décidé d'ajuster la proposition de résolution, tout en maintenant la demande d'une révision de la législation européenne en vigueur.
Mme Florence Blatrix Contat, rapporteure. - Il faut bien comprendre que la législation actuelle présente deux incohérences majeures. Tout d'abord, elle prévoit que les demandeurs d'emploi frontaliers perçoivent des prestations de chômage auprès d'un État qui n'est pas celui dans lequel ils ont versé des contributions à l'assurance-chômage. Le règlement n° 883/2004 organise ainsi une déconnexion entre la contribution versée et la prestation reçue, ce qui n'est pas conforme au concept même d'assurance. En outre, selon la législation actuelle, le demandeur d'emploi se met à la disposition des autorités compétentes de l'État de résidence pour organiser son retour à l'emploi. Or les associations de travailleurs frontaliers que nous avons auditionnées nous ont toutes expliqué que le demandeur d'emploi frontalier aura tendance à vouloir retrouver un emploi dans l'État où il exerçait sa dernière activité.
Par conséquent, l'idéal serait d'obtenir une révision du règlement (CE) n° 883/2004. La Commission européenne avait proposé en 2016 de le modifier : la responsabilité du versement des prestations de chômage aurait été attribuée à l'État de dernier emploi, dès lors que le travailleur frontalier y a travaillé pendant au moins douze mois, et à l'État de résidence dans les autres cas. Notre commission avait alors adopté une proposition de résolution encore plus ambitieuse puisque nous demandions qu'à partir de trois mois d'activité dans l'État d'emploi, les prestations de chômage soient versées par ce même État.
Malheureusement, l'absence de majorité au Conseil n'a pas permis l'adoption de nouvelles règles. Toutefois, la lettre de mission du nouveau commissaire européen aux questions sociales prévoit que ce dernier devra examiner les moyens de faciliter davantage la mobilité de la main-d'oeuvre, en travaillant à la modernisation, à la simplification et à la numérisation de la coordination des systèmes de sécurité sociale, ce qui ouvre la perspective d'une révision du règlement de 2004. En outre, en octobre 2024, la présidente du Parlement européen a adressé au président du Conseil un courrier lui indiquant que le Parlement souhaitait la reprise des travaux sur ce texte.
Dans l'attente d'un éventuel accord au Conseil, il est urgent que le gouvernement français engage des négociations bilatérales avec la Suisse, le Luxembourg, la Belgique et l'Allemagne, afin d'obtenir le remboursement d'un montant plus important des prestations servies ou, à défaut, le reversement à l'Unedic des contributions à l'assurance chômage prélevées par l'État d'emploi sur les salaires des travailleurs frontaliers. .
Comme l'a indiqué Cyril Pellevat, une procédure de remboursement est actuellement en vigueur : le règlement européen n° 883/2004 permet aux États qui le souhaitent d'étendre la période durant laquelle la totalité du montant des prestations servies par l'institution compétente de l'État de résidence est remboursée par l'institution compétente de l'État d'emploi. Plus particulièrement, ce règlement de 2004 prévoit la mise en oeuvre de telles dispositions avec le Luxembourg. Mais rien n'a jusqu'ici été négocié sur cette base entre ce pays et la France. Il est donc nécessaire d'identifier les centres d'intérêts des différentes parties et les points de convergence pour pouvoir aboutir à un accord.
Ces négociations bilatérales pourraient également avoir pour objectif le versement direct des contributions d'assurance chômage perçues par l'institution compétente de l'État d'emploi. Certes, les montants seraient moins importants, mais ils seraient néanmoins supérieurs aux sommes aujourd'hui remboursées à l'Unédic.
Dans l'attente, nous voulons insister sur la nécessité de mettre en place rapidement des mesures conformes au droit de l'Union : celles-ci permettraient un meilleur contrôle des demandeurs d'emploi frontaliers, afin d'éviter, notamment, des reprises d'activité non déclarées. Il faut donc renforcer la coopération entre les États et leurs institutions compétentes. Un échange systématique de données électroniques limiterait la fraude.
Tel est l'objet de la proposition de résolution, modifiée, que nous vous proposons d'adopter aujourd'hui.
Mme Marta de Cidrac. - Vous avez longuement abordé les cas du Luxembourg et la Suisse, pour des raisons que nous comprenons bien. Les mêmes problématiques existent-elles avec d'autres États frontaliers, comme l'Espagne ou l'Italie ? J'aimerais avoir un aperçu de la situation vis-à-vis de ces pays.
Mme Florence Blatrix Contat, rapporteure. - Nous n'avons pas approfondi la situation de ces pays, car les montants en cause sont beaucoup plus modestes. Les travailleurs frontaliers exerçant leur activité en Espagne ou en Italie représentent moins de 2% des travailleurs frontaliers résidant en France alors que ceux exerçant une activité en Suisse ou au Luxembourg représentent respectivement 48% et 22%. Nous avons donc concentré nos efforts sur la Suisse et le Luxembourg, car ces pays sont à l'origine de l'essentiel du déficit. Depuis 2011, la perte pour l'Unédic atteint 9 milliards d'euros !
Mme Marta de Cidrac. - Cela signifie-t-il que la PPRE ne s'appliquerait qu'à la Suisse et au Luxembourg ?
Mme Florence Blatrix Contat, rapporteure. - Non, son cadre est bien général. D'ailleurs, nous ciblons également la Belgique et l'Allemagne. Une révision du règlement s'appliquerait quant à elle à tous les États frontaliers sans distinction.
M. Cyril Pellevat, auteur de la PPRE, rapporteur. - En effet, nous avons largement abordé les cas du Luxembourg et de la Suisse dans notre présentation, car les salaires y sont bien plus élevés, ce qui, d'une part, en fait une source importante du déficit de l'Unédic et, d'autre part, conduit les chômeurs issus de ces pays à rester plus longtemps sans emploi.
Par ailleurs, en raison des récentes annonces relatives aux fermetures d'usines, les employeurs du nord-est de la France craignent un afflux massif de travailleurs frontaliers d'Allemagne).
Mme Silvana Silvani. - Je vous remercie pour cette initiative en faveur des transfrontaliers. Mon département de Meurthe-et-Moselle est particulièrement concerné, du fait de la proximité du Luxembourg. L'essentiel des travailleurs luxembourgeois sont effectivement issus des communes voisines françaises. C'est une donnée importante à prendre en compte, au-delà de la seule question de l'indemnisation chômage.
À titre indicatif, à qualification égale, un travailleur touche un salaire deux, trois, voire quatre fois plus élevé au Luxembourg qu'en France. En Suisse, l'écart est sans doute plus important encore. Les indemnités de chômage associées ne représentent sans doute pas une part importante du budget de l'Unédic, mais, de fait, le versement de ces prestations crée un déficit pour l'Unédic.
Cette proposition de résolution s'intéresse donc avant tout à la Suisse et au Luxembourg. Pourtant, la situation de ces deux pays est très différente, et les relations qui lient la France avec chacun d'entre eux ne sont pas de même nature. Le Luxembourg, en particulier, bénéficie de dérogations particulières. Le nombre de travailleurs dans chacun des pays diffère également.
Aussi, comment votre proposition de résolution entend-elle prendre en compte ces différences ?
Mme Florence Blatrix Contat, rapporteure. - Nous vous présentons un dispositif en plusieurs étapes, pour tenir compte du délai important que nécessiterait une révision du règlement permettant aux travailleurs frontaliers d'être indemnisés par l'État d'emploi et des nombreux désaccords que cette révision pourrait susciter.
Dans un premier temps, nous proposons d'engager des négociations bilatérales pour garantir le reversement à la France des contributions à l'assurance chômage des travailleurs frontaliers concernés. Il y aurait un manque à gagner, certes, puisque le taux de cotisation en Suisse - de l'ordre de 2,2 % - est bien plus faible qu'en France.
Dans un deuxième temps, d'autres négociations bilatérales permettraient d'obtenir un remboursement plus important des prestations servies, avec une extension du nombre de mois remboursés, notamment avec le Luxembourg.
Enfin, dans un troisième temps, il s'agirait de revoir le règlement européen de 2004, de manière à résoudre intégralement le problème.
Mme Silvana Silvani. - Comment mettre un terme au régime dérogatoire dont bénéficie le Luxembourg ?
Mme Florence Blatrix Contat, rapporteure. - Seule une négociation bilatérale le permettra.
M. Christophe-André Frassa. - Si je comprends bien la démarche de nos deux collègues, il me semble que la prise en charge sociale des travailleurs se fait au travers des conventions de sécurité sociale. C'est donc ce levier que nous devons d'abord activer, avant d'agir au niveau de l'Union européenne.
Ma circonscription de Monaco ne compte que 35 000 habitants, mais en 2021, selon l'INSEE, 33 000 frontaliers venant des Alpes maritimes s'y rendent tous les jours pour travailler. À ceux-là s'ajoutent, en 2019 selon l'Ambassade d'Italie à Monaco, 4 200 italiens. La convention sur la sécurité sociale, qui a été établie en 1952, prévoit que les cotisations sont prélevées par Monaco avant d'être reversées au système d'assurance chômage français, qui prend ensuite le relais.
Ainsi, si des défaillances du système sont constatées en Belgique, au Luxembourg et en Suisse, seule la négociation de conventions bilatérales permettra de parvenir à une solution, du moins dans un premier temps. Mais pour cela, il faut l'accord des deux parties !
Mme Florence Blatrix Contat, rapporteure. - N'oublions pas que tout cela pourrait interférer avec les négociations sur l'accord-cadre avec la Suisse.
M. André Reichardt. - Puisque l'accord auquel sont parvenus les partenaires sociaux en France n'a pas donné lieu à l'agrément du gouvernement sortant, nous devons nous orienter vers d'autres solutions, dans l'attente qu'un accord européen soit conclu entre les différents États membres pour résoudre les problématiques actuelles. Deux mesures doivent être rapidement mises en oeuvre.
Premièrement, nous devons agir en faveur de la lutte contre la fraude. Je sais que ce n'est pas le principal objectif de cette proposition de résolution. Pour autant, puisque nous en avons le temps, tentons d'établir des mesures en ce sens, au niveau national. Il n'est pas acceptable que des personnes qui travaillent de l'autre côté de la frontière continuent à toucher le chômage en France !
Deuxièmement, nous devons nous assurer que la contribution de l'État d'emploi soit plus importante. Cette mesure peut être discutée dans le cadre d'accords bilatéraux.
Dans tous les cas, il faudra in fine un accord européen, mais, comme vous le dites, cela n'est pas près d'arriver...
M. Cyril Pellevat, auteur de la PPRE, rapporteur. - Plusieurs des acteurs que nous avons auditionnés nous ont interpellés sur le risque de sanctionner les travailleurs frontaliers en divisant par deux le montant de leur indemnisation. Quant aux situations de fraude que vous évoquez, il faut y mettre fin : certains de ceux qui en bénéficient ne s'en cachent même pas !
Malgré les déficits, l'État français n'est jamais revenu à la table des négociations afin de tenter de conclure un accord bilatéral avec la Suisse, pour des raisons qui seraient liées à des enjeux commerciaux étrangers au sujet... Il est regrettable de faire peser les lacunes de l'État sur les travailleurs frontaliers !
La commission autorise la publication du rapport et adopte, à l'unanimité, la proposition de résolution européenne modifiée, disponible en ligne sur le site du Sénat.
La réunion est close à 17 h 25.