Jeudi 12 décembre 2024

- Présidence de M. Bernard Delcros, président -

La réunion est ouverte à 11 h 00.

Présentation des conclusions de l'étude portant sur l'expérimentation du transfert de la compétence « santé scolaire » aux collectivités volontaires et examen du rapport d'information

M. Bernard Delcros, président. - L'idée de mener un exercice inédit d'étude d'options est née du rapport de Françoise Gatel et Rémy Pointereau relatif à la simplification des normes imposées aux collectivités territoriales, publié en janvier 2023. Ce rapport a mis en avant la nécessité, avant de légiférer, d'évaluer l'intérêt même d'une nouvelle norme, c'est-à-dire de comparer les mérites de l'intervention d'un texte avec les autres solutions possibles. Cette approche supposait de développer notre culture de l'évaluation, laquelle ne constitue pas une pratique courante en France.

Françoise Gatel avait engagé une première application de cette démarche novatrice, qui fait appel à des experts indépendants et extérieurs au Parlement, à l'occasion de sa proposition de loi visant à expérimenter le transfert de la compétence « médecine scolaire » aux départements volontaires. Ce texte a été adopté, en première lecture par le Sénat, le 20 mars 2024.

J'ai naturellement souhaité poursuivre cette démarche vertueuse, qui s'inscrit dans la logique de sobriété et d'efficacité normatives, à laquelle nous tenons. Celle-ci sera d'ailleurs au coeur des prochaines « Assises de la simplification », qui pourraient se tenir le jeudi 3 avril 2025.

Afin de nourrir utilement les travaux parlementaires à venir sur cette proposition de loi, nous devons répondre à plusieurs questions : la réforme votée au Sénat est-elle toujours pertinente aujourd'hui, dans un contexte budgétaire qui a évolué, particulièrement pour les départements ? Des départements sont-ils d'ailleurs toujours volontaires ? D'autres collectivités pourraient-elles être concernées, car des délégations existent déjà en faveur de communes ? Quelles en seraient enfin les conséquences d'un point de vue normatif, financier et organisationnel ?

L'étude a été confiée au cabinet Ernst & Young (EY) aux termes du marché public passé par le Sénat. Nous l'avons chargé de formuler son analyse sur le fondement d'entretiens et de données provenant des administrations centrales et déconcentrées.

M. Hervé Reynaud, rapporteur. - J'apporte d'emblée une précision sémantique : il me paraît préférable de parler de « santé scolaire » plutôt que de « médecine scolaire ».

En effet, la médecine scolaire se réfère principalement aux interventions médicales réalisées dans les établissements scolaires. Elle est exercée par des professionnels de santé comme les médecins et infirmiers qui assurent le suivi médical, les bilans de santé, les urgences et les dépistages.

La santé scolaire est un concept plus global puisqu'il comprend non seulement la médecine scolaire, mais aussi toutes les actions destinées à promouvoir le bien-être des élèves et l'amélioration de leurs conditions de vie en milieu scolaire. Elle paraît plus adaptée à notre approche de sobriété et d'efficacité normatives, en ce qu'elle est susceptible d'inclure, en étant moins restrictive, d'autres évolutions à venir dans le domaine de la santé de l'enfant en milieu scolaire.

J'étais intervenu en séance publique, en mars dernier, lors de la discussion générale sur la proposition de loi de Françoise Gatel. J'avais présenté un double constat, ainsi que plusieurs défis à relever pour mener à bien le transfert de la compétence aux départements volontaires - j'insiste sur cet adjectif.

Tout d'abord, près de quatre-vingts ans après l'institution d'un service national d'hygiène scolaire sous la responsabilité du ministère de l'Éducation nationale, force est de constater que la politique de santé scolaire est défaillante. Les nombreux rapports et études parlementaires produits parviennent tous aux mêmes conclusions : en matière de santé scolaire, l'offre de service n'est pas adaptée aux besoins.

Quelques éléments chiffrés l'illustrent : la chute de plus de 28 % de l'effectif des médecins scolaires depuis 2013, un taux d'encadrement d'un médecin pour 12 800 élèves et d'un infirmier pour 1 303 élèves. Ce taux explique que moins de 20 % des élèves ont bénéficié de la visite médicale, pourtant obligatoire, en classe de sixième. En parallèle, les troubles dépressifs ont été multipliés par deux chez les adolescents, les tentatives de suicide ont augmenté de 63 % chez les 10-14 ans et de 42 % chez les 15-19 ans. S'y ajoute le recensement de plus de 700 000 cas de harcèlement scolaire.

Un second constat, tout aussi indiscutable : si l'on raisonne sous l'angle des blocs de compétence, le transfert de la compétence « santé scolaire » aux départements apparaît cohérent, car les services de santé de l'enfant réunissant les moyens et missions de la protection maternelle et infantile (PMI) leur sont déjà confiés. Cela permettrait une plus grande continuité de l'action, quant au volet de prévention notamment, et une meilleure réussite scolaire des enfants. L'intérêt prophylactique de l'enfant est donc bien au coeur de notre approche.

J'en viens aux principaux défis.

Premièrement, le transfert d'un secteur sous-doté inquiète les départements, la plupart d'entre eux rencontrant déjà des difficultés financières et fonctionnelles, dans le contexte très dégradé de nos finances publiques. À cet égard, l'association des départements de France (DF) a adopté, le 16 octobre 2024, une résolution visant à nous alerter sur la situation des départements. Il est à craindre que ceux-ci soient désormais moins enclins à expérimenter un tel transfert de compétence qu'ils ne l'étaient en mars dernier.

Deuxièmement, la question de la continuité de la santé scolaire au lycée se pose, à un moment où de plus en plus d'élèves de tout âge connaissent des difficultés psychologiques et mentales, ainsi que la question du suivi et de l'accompagnement des enfants porteurs d'un handicap.

Enfin, troisièmement, ce transfert nécessiterait probablement l'intégration dans la fonction publique territoriale d'agents relevant actuellement de l'Éducation nationale.

Nous sommes impatients de savoir si ces constats et défis sont partagés par le cabinet EY et quelles solutions il préconise dans le cadre de l'étude d'options que la délégation lui a confiée.

Mme Jessica Chamba, associée secteur public santé-social du cabinet EY France. - Merci de nous avoir mandatés sur ce sujet. L'équipe de consultants qui est intervenue travaille régulièrement dans le champ social, médico-social et sanitaire, et connaît bien les problématiques de santé dans les territoires.

Nous vous présenterons brièvement la méthode que nous avons retenue ainsi que quelques éléments complémentaires de contexte, avant de vous exposer les options ou scénarios que nous avons étudiés et les perspectives qui s'ouvrent quant à l'évolution de la compétence « santé scolaire ».

Sur la méthodologie, nous avons rapidement considéré que le périmètre de l'étude devait être celui, global, de la « santé scolaire » et non celui, plus spécifique, de la « médecine scolaire ». L'ensemble des acteurs que nous avons rencontré nous a confortés dans cette opinion. En dépit d'un travail assez ramassé dans le temps, nous avons rencontré une quinzaine de personnes pendant quatre à cinq semaines. Ces personnes représentent les différents niveaux de collectivités territoriales, l'Éducation nationale et les divers syndicats professionnels concernés. De plus, nous avons pris connaissance d'un grand nombre de rapports et de données en vue d'objectiver notre analyse.

Mme Airelle Genty, consultante senior secteur public santé-social du cabinet EY France. - L'analyse de l'état des lieux de la santé scolaire nous conduit à dresser trois constats.

En premier lieu, nous relevons le faible niveau de mise en oeuvre des missions relatives à la santé scolaire, en dépit des efforts financiers réalisés pour tenter de recruter des professionnels, notamment des médecins scolaires. Pour ces derniers, le taux de postes vacants atteignait 45 % en 2022.

En deuxième lieu, nous notons un manque de visibilité sur les activités des services de santé scolaire et des difficultés en matière de pilotage. Les rapports disponibles mettent en lumière l'absence de cadre budgétaire unifié, ce qui altère la lisibilité des crédits affectés à ces services, une gestion en silo des ressources humaines ainsi que le manque de système d'information centralisé, ce qui nuit au partage des informations et au suivi des élèves.

Enfin, il apparaît nécessaire de clarifier et de moderniser le cadre d'exercice de la santé scolaire. Le cadre centralisé actuel empêche l'adaptation rapide des services aux besoins spécifiques de chaque territoire. Les textes juridiques et les métiers existants sont en outre inadaptés aux besoins contemporains, en ce qu'ils ne répondent plus à des défis sanitaires tels que l'augmentation des troubles psychiques.

M. Skander Ben Abderahmen, manager secteur public du cabinet EY France. - Nous avons étudié plusieurs options ou scénarios d'évolution de la compétence « santé scolaire ».

Au niveau national, nous nous sommes intéressés à l'hypothèse du maintien, moyennant des changements d'organisation, de la compétence au sein du ministère de l'Éducation nationale, et à celle de son transfert au ministère de la Santé. Un tel maintien de la compétence à un niveau ministériel permet d'assurer une bonne couverture territoriale. Néanmoins, l'inconvénient demeure celui d'un certain éloignement par rapport aux territoires et de la complexité à obtenir que l'ensemble des acteurs travaillent de concert. La question de la fluidité et de la lisibilité budgétaire reste également posée.

À un niveau décentralisé, nous avons considéré la possibilité d'un transfert aux communes, aux métropoles via les établissements publics de coopération intercommunale (EPCI), aux associations, aux départements et aux régions. Nous avons finalement écarté ces dernières du fait de leur propre éloignement du sujet.

Mme Jessica Chamba. - Les représentants de l'association Régions de France ont eux-mêmes reconnu se sentir peu concernés.

M. Skander Ben Abderahmen. - Les autres acteurs du niveau décentralisé présentent des avantages et des limites en commun. Au titre des avantages, citons leur proximité, leur excellente connaissance des territoires, de leurs populations et de l'écosystème pouvant être mobilisée en matière de santé scolaire. En ce qui concerne les limites, l'aspect financier est revenu de manière insistante. Des communes, qui bénéficient par exemple déjà d'une délégation pour le volet santé scolaire, mettent en exergue la différence marquée qui existe entre son coût et la subvention qu'elles obtiennent du ministère de l'Éducation nationale pour sa prise en charge. Ce coût avoisinerait 40 euros, contre une subvention moyenne de l'État de 9,50 euros par élève et par an.

Le département apparaît comme l'échelon le plus pertinent. Il réunit en effet des métiers et des compétences techniques qu'il pourrait mobiliser dans le domaine de la santé scolaire. Bien que, au cours de nos entretiens conduits avec l'association DF, des acteurs ont fait part de leur intérêt pour une meilleure harmonisation du parcours de santé de l'enfant pendant toute leur scolarité, avec un accent sur les aspects de prévention, la difficulté demeure celle des ressources financières. L'évolution des derniers mois les conduit à reconnaître que le contexte financier actuel ne leur permet plus d'imaginer ce type de transfert.

Mme Jessica Chamba. - Il y a dix-huit mois, une vingtaine de départements avaient manifesté leur intérêt pour un essai du transfert de la compétence ; cependant, avec un ratio de subvention par rapport au coût de l'ordre de 1 à 4, un seul semble l'envisager encore.

M. Skander Ben Abderahmen. - Dans ces conditions, nous avons néanmoins approfondi deux scénarios et retenu, à côté d'eux, plusieurs recommandations d'ordre organisationnel.

Le premier scénario, constitutif de la commande initiale, est celui d'un transfert de compétence aux départements. D'un point de vue juridique, et s'il suppose des prérequis et des travaux préparatoires, il serait envisageable. Le frein que nous identifions est ainsi non pas juridique, mais financier.

Le second scénario, qui peut prendre différentes formes, substituerait une autre solution à celle d'un transfert de la compétence aux départements. La création de groupements d'intérêt public (GIP) faciliterait la mise en oeuvre de la santé scolaire dans les territoires. Ces groupements permettent à divers acteurs de mettre des ressources en commun et de coordonner leur action à l'échelle d'un territoire. Une autre possibilité, qui consiste à permettre aux agents publics de la santé scolaire, en particulier aux médecins scolaires, de cumuler leur emploi avec une autre activité publique ou privée lucrative, apporterait une réponse à la problématique de la rémunération et de l'attractivité de ces professions, que les syndicats professionnels, notamment, ne manquent pas de souligner. Bien qu'ouverts au recrutement, de nombreux postes restent en effet vacants et n'attirent pas les jeunes praticiens.

Mme Jessica Chamba. - La grille indiciaire des médecins de santé scolaire n'est en l'état pas suffisamment attractive. Regrouper leur fonction avec d'autres, dont celles de médecin de PMI et de médecin de centre municipal de santé, dans un métier de médecin de santé publique de proximité relevant du statut de fonctionnaire permettrait d'envisager une revalorisation indiciaire. Ce serait une piste à creuser.

M. Skander Ben Abderahmen. - La dernière brique envisageable de ce second scénario est celle des conventions de délégation de compétences entre l'État et les départements volontaires. C'est vraisemblablement celle qui devait servir à titre expérimental pour un transfert temporaire de la compétence aux départements.

Mme Jessica Chamba. - J'en viens aux recommandations que nous formulons, étant précisé que l'Éducation nationale nous a indiqué qu'elle mettait en place un grand plan prioritaire de transformations, tant en matière d'organisation que d'outils, afin d'améliorer la mise en oeuvre nationale de la santé scolaire.

Premièrement, nous suggérons de décloisonner les différentes professions qui interviennent dans ce champ, en vue de créer de véritables équipes pluridisciplinaires. Elles pourraient du reste envisager des collaborations avec les équipes de santé présentes dans les territoires, à l'instar de ce qui existe dans le suivi de la scolarité des enfants qui présentent des troubles de l'apprentissage ou des handicaps. Cela ne nécessiterait aucune évolution législative.

Une deuxième recommandation consiste à améliorer la coordination avec les acteurs externes et à réaliser des diagnostics territoriaux partenariaux, tant à l'échelle des départements qu'à celle des EPCI, sans nécessairement créer de nouvelles structures administratives ou organisationnelles. Il s'agirait d'identifier les ressources de proximité disponibles pour traiter de la santé des enfants, aussi bien dans le secteur libéral que dans le secteur public, et de travailler de concert sur les forces et faiblesses d'un territoire. Les problématiques de santé ne sont en effet pas les mêmes d'un territoire à l'autre et elles évoluent dans le temps.

Une autre recommandation renvoie à la définition de protocoles de gestion entre les établissements et les professionnels de santé. Ils permettraient l'intervention d'autres professionnels de santé.

Par ailleurs, nous évoquons la nécessaire évolution des outils numériques permettant le partage des informations, ainsi que du pilotage et de la remontée des données. L'Éducation nationale y travaille.

En conclusion, si aucune solution n'est idéale, plusieurs peuvent être envisagées. La piste de travail la plus intéressante était bien celle d'un transfert de la compétence « santé scolaire » aux Conseils départementaux, mais elle se heurte au double constat d'un contexte financier défavorable et de la situation exsangue de la santé scolaire, et en particulier de la médecine scolaire, sachant que les départements peinent déjà à recruter leurs propres médecins de PMI.

Les acteurs territoriaux que nous avons entendus semblent s'accorder sur l'idée de travailler sur des modalités de coopération renforcée à l'échelle territoriale, éventuellement en la structurant juridiquement sous la forme d'un GIP, en mettant en commun des moyens, des ressources et des outils. Ces acteurs sollicitent avant toute chose qu'on leur confie davantage de responsabilités et promettent de s'organiser en conséquence. Si nous considérons que c'est une piste à ne pas négliger, elle présente néanmoins le risque d'inégalités entre les territoires, selon les initiatives qui y seraient prises et les moyens qui y seraient engagés.

M. Bernard Delcros, président. - Nous manquons de visibilité pour ce qui concerne les moyens financiers, qui ne semblent toutefois pas à la hauteur des enjeux au regard des quelque 45 % de postes de médecins scolaires non pourvus. Quel est le montant des crédits actuellement consacrés par l'État, au-delà de la seule médecine scolaire, à la santé scolaire dans son ensemble, sachant que la prévention doit, à mon sens, progressivement être prise en compte dans les établissements ? Et quel montant serait-il nécessaire d'y consacrer pour que cela fonctionne ?

M. Skander Ben Abderahmen. - Selon la Cour des comptes, entre 1 milliard et 1,2 milliard d'euros serait consacré à la santé scolaire chaque année. Cette évaluation peut varier de quelque 600 millions à 700 millions d'euros, si l'on adopte une définition très restrictive de la santé scolaire, à 1,3 milliard d'euros, selon la définition la plus large. Une des difficultés en la matière a trait à la comptabilisation des traitements des différentes catégories d'agents : par exemple, le traitement des psychologues de l'Éducation nationale ne relève pas du même budget que celui des médecins et des infirmiers scolaires. Cela contribue au flou existant dans ce domaine.

Pour ce qui concerne la dotation des différents pôles, un même constat résulte des divers rapports analysés : certains postes ouverts ne sont pas pourvus. Depuis 2017 ou 2018, les budgets dédiés aux infirmiers scolaires ont évolué sous l'effet de l'augmentation de ces postes et des traitements associés. À l'inverse, la petite revalorisation salariale accordée aux médecins scolaires ne suffit pas à attirer de nouveaux praticiens. Aussi, dans nombre de départements ou de territoires, certains postes ne sont pas pourvus.

Cela pose la question de l'efficience des moyens accordés : il s'agit non pas de consacrer davantage d'argent à l'augmentation du nombre de postes ouverts, mais d'offrir par exemple de meilleures conditions statutaires. En effet, comme l'indiquait Jessica Chamba, selon les représentants des organisations syndicales concernées, les grilles indiciaires des médecins scolaires n'offrent pas de rémunérations suffisamment élevées pour encourager un investissement de long terme de ces professionnels. Ainsi, autoriser l'exercice mixte de la profession de médecin, c'est-à-dire la possibilité de travailler dans plusieurs structures, ce qui permettrait aux médecins d'enrichir leur formation sur le plan clinique et de percevoir une rémunération plus valorisante, serait peut-être une solution.

M. Hervé Gillé. - Que pensez-vous de l'éventuelle inscription des stratégies de coopération dans les contrats locaux de santé (CLS), qui donnerait davantage de sens à la création de réseaux de santé et améliorerait l'information et la communication en la matière ? Cela entrerait en résonance avec d'autres initiatives en quête de sens et peu lisibles.

Compte tenu de la difficulté à recruter des médecins au regard des grilles indiciaires proposées, ma seconde question porte sur le développement d'une stratégie où les infirmiers diplômés d'État (IDE) en pratique avancée, moyennant une formation complémentaire, joueraient un rôle affirmé d'orientation et, ce faisant, amélioreraient la prise en charge des patients et la mise en réseau de leur traitement, et où les médecins seraient davantage considérés comme des référents territoriaux.

M. Bernard Buis. - Dans les établissements scolaires, l'infirmière et l'assistante sociale sont en lien. Très souvent, les assistantes sociales travaillent avec les familles et sont obligées de recourir à l'assistante sociale du secteur pour connaître le suivi des enfants concernés, car celle-ci a généralement déjà reçu ces enfants. Nous perdons alors du temps et de l'efficacité.

Il faudrait donc envisager un transfert de compétences pour ces deux professions, car si elles dépendent de deux entités différentes, nous risquons de perdre ce lien.

Mme Jessica Chamba. - Monsieur Gillé, vous avez raison ; nous avons échangé avec nos interlocuteurs sur les dispositifs déjà en place, mais aussi sur ce qu'il était possible d'organiser dans les territoires. Reste, toutefois, la question de la bonne échelle d'intervention. En effet, lorsque ces initiatives sont portées par les villes qui les ont mises en place, la démarche est pertinente.

Pour obtenir la couverture territoriale la plus importante possible, la réflexion a porté sur l'éventuelle réalisation, par les départements et les préfets représentant l'État dans les territoires, de diagnostics territoriaux coordonnés au niveau départemental et infradépartemental. Cela pourrait aussi correspondre à la somme de plusieurs CLS ou de plusieurs conseils territoriaux de santé (CTS). L'ensemble de nos interlocuteurs a souligné sa volonté de mettre en place une meilleure coordination des acteurs de la santé dans les territoires.

Un point de vigilance doit toutefois être signalé : nombre d'acteurs ont insisté sur la nécessité de ne pas recréer, au travers d'un transfert de compétences, un fonctionnement en silo entre les secteurs de la santé et de l'éducation. Pour les acteurs interrogés, la plus-value de la santé scolaire réside dans sa présence au sein des établissements scolaires, aux côtés des équipes éducatives. Les représentants des départements soulignent que le transfert de cette compétence aux départements compliquerait ce travail avec des collègues dépendant de l'Éducation nationale. L'enjeu est donc de travailler ensemble sur les enjeux de santé dans le cadre de l'Éducation nationale, tout en conservant ses rattachements administratifs respectifs, et de pouvoir entrer dans les établissements scolaires pour être au contact des enfants.

Au sujet des IDE en pratique avancée, un transfert budgétaire a en quelque sorte déjà eu lieu. En effet, les postes de médecins n'étant pas tous pourvus, on recrute davantage d'infirmières, dont le rôle, de fait, dépasse celui qui était initialement le leur. Néanmoins, ce processus n'est actuellement ni encadré ni validé et les médecins et les infirmières fonctionnent en silo.

M. Hervé Gillé. - Les IDE en pratique avancée ne sont pas pris en considération.

Mme Jessica Chamba. - Tout à fait. Il faudrait travailler sur leur statut afin d'étendre leurs compétences, comme cela est déjà le cas dans d'autres secteurs de la santé qui manquent de médecins. L'Éducation nationale réfléchit aux moyens de décloisonner le travail de ces deux professions.

M. Skander Ben Abderahmen. - Nous avions évoqué cette hypothèse avec les représentantes du syndicat des infirmières - j'emploie le féminin car cette profession est majoritairement féminine. À leurs yeux, au regard du rôle des infirmières en milieu scolaire en matière de santé mentale et de santé sexuelle, mais aussi à l'occasion des visites médicales des enfants âgés de six ans et douze ans, cette évolution est envisageable. Reconnaître le savoir-faire de certaines infirmières ayant un parcours en pratique avancée serait une solution pour pallier le manque cruel de médecins dans certains territoires.

Elles attiraient toutefois notre attention sur un point de vigilance : actuellement, rien ne définit leur périmètre d'activité ; en outre, il n'existe aucun diplôme d'infirmier en pratique avancée (IPA) qui reconnaît un savoir-faire dans ce domaine. Pour elles, cette reconnaissance qui les différencierait d'une infirmière « classique » est essentielle.

En ce qui concerne le lien entre les infirmières et les assistantes sociales, ces dernières sont souvent mentionnées dans les entretiens comme étant celles qui orientent les enfants vers les professionnels médicaux - infirmières ou médecins -, car elles entrent d'abord en contact avec eux au travers d'autres sujets.

Pour autant, les assistantes sociales de l'Éducation nationale travaillent de façon très cloisonnée au regard de l'écosystème social départemental. Par exemple, lorsqu'un enfant victime de maltraitance est détecté au sein d'un établissement scolaire, le signalement peut être fait par l'assistante sociale de l'établissement, mais elle n'aura aucune visibilité sur la suite donnée à cette procédure en raison de l'absence de lien avec ses pairs au sein de l'aide sociale à l'enfance (ASE) et de la PMI. Cela souligne la logique de silo à l'oeuvre, entre ce qui se passe à l'intérieur de l'école et à l'extérieur de l'école, qu'il est de plus en plus urgent de supprimer.

Si votre question portait sur le rôle des assistantes sociales en matière d'orientation scolaire, ce volet ne comprend pas de difficultés particulières.

M. Bernard Delcros, président. - S'agissant de la mise en place d'un GIP, pouvez-vous nous en dire davantage ? Quels en seraient les avantages et les inconvénients ? Cela permettrait de régler le problème du fonctionnement en silo, mais créerait une structure nouvelle.

Mme Jessica Chamba. - Le GIP est la structure juridique permettant de mettre en commun des ressources humaines, financières ou matérielles, par exemple informatiques ou numériques. Concrètement, pour un territoire donné, le département et l'Éducation nationale pourraient mettre à la disposition d'un GIP différentes catégories de professionnels ou s'associer pour réaliser des actions de prévention. Des ressources seraient ainsi mises à la disposition de la mission santé scolaire sans modifier la répartition des compétences de chacun. Ce GIP pourrait commander des prestations informatiques, partager des ressources ou des locaux ou organiser la répartition géographique du travail des médecins ou des infirmières sur l'ensemble du territoire concerné.

Juridiquement, cela nous semble une solution intéressante pour mettre en commun les moyens nécessaires à la réalisation de ce service public, mais sa principale limite est l'ajout d'une structure supplémentaire au paysage institutionnel. Un GIP, c'est une convention constitutive et plusieurs instances de suivi. Potentiellement, il s'agirait d'ajouter des GIP au niveau des départements. Les maisons départementales des personnes handicapées (MDPH), qui sont des GIP, ont des avantages et des inconvénients que vous connaissez. En outre, leur mise en place s'est traduite par une reprise en main des départements. Néanmoins, rien n'empêche de faire la même chose au travers de conventions, plus souples, comme des pactes territoriaux.

À mon sens, la principale réserve soulevée par ce type d'organisation a trait au principe d'équité territoriale : les territoires dynamiques se doteront spontanément de telles structures et ceux en difficulté, situés dans une zone grise, en seront dépourvus, ce qui risquerait d'accroître encore les écarts existants.

M. Bernard Delcros, président. - Je vous remercie de ce travail qui alimentera les réflexions du rapporteur Hervé Reynaud.

Mme Jessica Chamba, Mme Airelle Genty et M. Skander Ben Abderahmen quittent la salle de réunion.

M. Hervé Reynaud, rapporteur. - Plusieurs enseignements peuvent être tirés de cette étude d'options.

Tout d'abord, la pertinence de cette démarche inédite, lancée par Françoise Gatel et poursuivie par Rémy Pointereau, notre Premier vice-président puis par le président Bernard Delcros, est démontrée. À la suite de la publication en janvier 2023 du rapport d'information rédigé par Rémy Pointereau et Françoise Gatel, qui visait la simplification des normes pesant sur les collectivités territoriales et l'amélioration de la fabrique de la loi, il semblait fondamental d'analyser les différentes options en présence avec le maximum d'objectivité possible, en faisant appel à des organismes indépendants ; les études d'impact du Gouvernement peuvent, parfois, apparaître comme des outils d'autojustification, ce que nous souhaitons éviter.

Ensuite, sur le fond, en premier lieu, le contexte financier a changé la donne pour ce qui concerne l'expérimentation du transfert de la compétence « santé scolaire ». L'enthousiasme des départements a vécu - il convient de le souligner -, ce qui soulève de légitimes interrogations sur la proposition de loi visant à expérimenter le transfert de la compétence « médecine scolaire » aux départements volontaires que le Sénat a adoptée, en première lecture, le 20 mars 2024. Selon l'article unique de ce texte, chaque département disposerait d'une année, à compter de la promulgation de la loi, pour demander l'exercice de cette compétence, par une délibération motivée du Conseil départemental.

Or, lors de l'examen du texte par le Sénat, l'association Départements de France avait indiqué que, selon un sondage réalisé en 2023, la moitié des quarante départements interrogés s'était déclarée prête à un tel transfert. Toutefois, en novembre 2024, de nouveau interrogée par le cabinet EY à la demande de notre délégation, l'association soulignait que le contexte financier avait modifié l'avis des départements : désormais, ces derniers redoutent de récupérer une compétence qui serait insuffisamment compensée financièrement par l'État. Chacun se souvient des restes à charge résultant de transferts de compétences antérieurs : ce fut le cas du revenu de solidarité active (RSA), de l'allocation personnalisée d'autonomie (APA) ou de la prestation de compensation du handicap (PCH).

Seul le département de la Nièvre serait toujours volontaire pour cette expérimentation. Il paraît donc essentiel de recueillir la position actuelle des départements sur le sujet, dans le cadre de la poursuite de l'examen de la proposition de loi.

En deuxième lieu, l'étude d'options a le mérite de faire émerger un sujet qui ne figurait pas dans la proposition de loi précitée : en effet, l'étude rappelle que certaines communes de grande taille, comptant au moins de 50 000 habitants, exercent d'ores et déjà des compétences en matière de santé scolaire, le plus souvent sur la base d'une convention signée avec l'État. Il s'agit d'une résurgence de la loi de décentralisation de 1983. Étant quelque peu départementaliste, j'avais occulté ce point qui avait été identifié par la Cour des comptes et mentionné dans son rapport, « Les médecins et les personnels de santé scolaire », publié en avril 2020. Les services municipaux concernés, chargés de la santé scolaire, ont vu leurs missions s'élargir au fil du temps, même si celles-ci ne s'étendent pas au-delà des établissements du premier degré. Selon la Cour des comptes, le taux de réalisation de la visite médicale des enfants dans leur sixième année est bien plus élevé dans les villes délégataires que dans les académies : « en 2018-2019, alors que les médecins de l'Éducation nationale ont examiné 18 % des enfants, ce taux est quatre fois plus élevé dans les villes délégataires puisqu'il s'établit à 72,8 % ».

Les villes délégataires semblent donc plus efficaces que l'Éducation nationale en la matière. Mais ce volontarisme local représente un coût important pour les communes concernées. Les données budgétaires fournies par l'association France urbaine dans le cadre de l'étude d'options établissent que le coût de la prise en charge s'élève, pour ces communes, à près de 40 euros par enfant et par an, alors que l'État verse une subvention moyenne de 9,50 euros aux onze villes gestionnaires du service de médecine scolaire. À titre d'exemple, la ville de Lyon dépense chaque année 4 millions d'euros pour un service de santé scolaire, mais ne reçoit que 1 million d'euros de subventions de la part de l'État. On peut se demander comment la ville peut poursuivre une telle mission au regard de son impact budgétaire.

En troisième lieu, l'étude d'options conduit, de nouveau, à nous interroger sur les voies et moyens de nature à faciliter l'exercice de leur métier pour les professionnels qui interviennent dans le domaine de la santé scolaire. Agir dans ce sens suppose de réfléchir à plusieurs améliorations : rendre les conditions de travail plus attractives - parler de santé scolaire plutôt que de médecine scolaire permettrait d'y parvenir tout en élargissant le champ concerné par ces missions -, proposer des formations continues adaptées aux enjeux contemporains tels que la santé mentale, mettre en place une plateforme numérique pour centraliser les données de santé des élèves et faciliter le suivi, autoriser des cumuls d'activités plus étendus pour les médecins scolaires, ou encore offrir de meilleures rémunérations comme cela a été évoqué.

Ce ne sont, à ce stade, que des pistes de travail et de réflexion, mais elles démontrent tout l'intérêt qui s'attache à la démarche novatrice lancée par notre délégation.

M. Bernard Delcros, président. - Je remercie le rapporteur de cette analyse.

Mme Sonia de La Provôté. - Combien de communes ont pris cette compétence ?

M. Hervé Reynaud, rapporteur. - Onze.

Mme Sonia de La Provôté. - Lyon est une métropole, qui cumule les compétences communales et départementales. Quels sont les résultats pour les communes de plus petite taille ?

Parmi les propositions du rapport figure la création de GIP. Dans les contrats de réussite éducative, un GIP était souvent mis en place pour le suivi individuel des jeunes. Il permettait des échanges d'informations sur les enfants - tout en respectant le secret des entrevues - entre les médecins et l'accompagnement social, puisque de nombreux sujets relevaient à la fois de la santé et du social. C'est une structure lourde, mais qui offre un cadre particulièrement sécurisé pour le suivi. À Caen, nous avons ainsi pu suivre attentivement un certain nombre de jeunes tout en évitant de qualifier de handicaps des problèmes qui n'en relevaient pas et, par conséquent, d'encombrer ensuite les MDPH.

Les objectifs de la visite obligatoire réalisée entre la fin de la grande section de maternelle et le début du CP sont différents de celle qui est réalisée plus tardivement. La première est souvent réalisée par la PMI, car de nombreux départements lui ont attribué cette mission, favorisant ainsi un dépistage précoce des handicaps. Leur bonne prise en charge conditionne un meilleur suivi scolaire et règle de nombreux problèmes - je pense notamment aux handicaps visuels et auditifs. Certains enfants, avec des prises en charge médicales adaptées, peuvent ainsi suivre une scolarité normale. Les départements ont un rôle particulier à jouer dans la santé scolaire. Quelle que soit la méthode choisie, ils doivent être proactifs.

M. Hervé Gillé. - Merci de ces propositions. Ces pratiques sont rendues plus visibles par leur inscription dans les projets d'établissement, notamment pour certains aspects prioritaires comme la lutte contre le harcèlement. Celle-ci repose aussi sur une écoute des médiations. On peut détecter des indices de souffrance via la médecine scolaire.

M. Hervé Reynaud, rapporteur. - Voilà les onze communes qui ont pris la compétence : Antibes, Bordeaux, Clermont-Ferrand, Lyon, Nantes, Rennes, Grenoble, Paris, Strasbourg, Vénissieux et Villeurbanne.

La notion de projet d'établissement est importante. L'approche en matière de santé scolaire dépasse l'acte médical. Nous manquons aussi de psychologues pour éviter des tentatives de suicide ou le harcèlement scolaire, dont sont victimes 700 000 enfants. Cela montre l'urgence d'agir et l'étendue du champ d'intervention de la santé scolaire.

M. Bernard Delcros, président. - Je vous remercie de ce travail. Actuellement, nous ne sommes pas à la hauteur des enjeux, et cela risque de ne pas s'arranger à l'avenir.

La délégation adopte, à l'unanimité, le rapport d'information et en autorise la publication.

La réunion est close à 12 h 00.