Jeudi 5 décembre 2024

- Présidence de Mmes Muriel Jourda, présidente de la commission des lois et Dominique Vérien, présidente de la délégation aux droits des femmes et à l'égalité des chances entre les hommes et les femmes -

Mission conjointe de contrôle sur la prévention de la récidive en matière de viol et d'agressions sexuelles - Audition de représentants de centres ressources pour les intervenants auprès des auteurs de violences sexuelles (Criavs)

Mme Muriel Jourda, présidente de la commission des lois. - Je souhaiterais avant toute chose saluer le démarrage des travaux de la mission du Sénat sur la prévention de la récidive en matière de viol et d'agressions sexuelles, qui fait l'objet d'un travail conjoint de la commission des lois et de la délégation aux droits des femmes. Cette formule, qui reste rare sans être inédite, marque l'importance du sujet qui nous réunit ce matin.

Je tiens aussi à remercier les personnes auditionnées de s'être rendues disponibles à bref délai. Mesdames, Monsieur, je ne doute pas que votre témoignage et vos analyses apporteront une contribution précieuse à nos travaux sur ce sujet dont la complexité ne doit pas être sous-estimée.

Je remercie également nos six rapporteures, Catherine Di Folco, Audrey Linkenheld, Annick Billon, Evelyne Corbière Naminzo, Marie Mercier et Laurence Rossignol, qui représentent la diversité des sensibilités politiques du Sénat. Je sais qu'elles mobiliseront toute leur expertise pour aboutir rapidement à un rapport clair, étayé et pragmatique : la tradition du Sénat est en effet de partir du terrain, et c'est grâce à cela que notre assemblée parvient régulièrement à dégager des conclusions qui dépassent les clivages politiques.

Mme Dominique Vérien, présidente de la délégation aux droits des femmes et à l'égalité des chances entre les hommes et les femmes. - Je me réjouis d'ouvrir officiellement ce matin les travaux de notre mission conjointe de contrôle. Je suis convaincue de la pertinence d'une mise en commun de nos expertises et de nos regards sur cette problématique de la prise en charge des auteurs de viols et d'agressions sexuelles.

Chaque année, plus de 55 000 individus - à 97 % des hommes - sont mis en cause pour viols, agressions sexuelles ou atteintes sexuelles sur mineurs et 6 000 individus sont condamnés pour de tels faits. Un quart d'entre eux sont des mineurs. Si nous voulons que ces violences cessent, il faut bien sûr développer la prévention et l'éducation, mais également prendre en charge tous ces individus afin qu'ils ne récidivent pas. Cette prise en charge judiciaire, sociale, médicale et psychologique doit intervenir aussi bien lors de la détention qu'en amont et en aval de celle-ci.

Afin de dresser un premier panorama de la prise en charge aujourd'hui déployée, nous entendons ce matin des professionnels intervenant au sein des centres ressources pour les intervenants auprès des auteurs de violences sexuelles, les Criavs.

Je souhaite la bienvenue à Anne-Hélène Moncany, présidente de la Fédération française des Criavs, psychiatre et cheffe du pôle de psychiatrie en milieu pénitentiaire au centre hospitalier Gérard Marchant de Toulouse, Caroline Kazanchi, avocate pénaliste, docteure en droit, auteure d'une thèse sur la médicalisation de la sanction pénale et juriste correspondante pour le Criavs de Provence-Alpes-Côte d'Azur, Hélène Denizot-Bourdel, psychiatre, praticien hospitalier au CHU de Clermont-Ferrand, responsable médicale régionale du Criavs d'Auvergne-Rhône-Alpes et Walter Albardier, psychiatre, responsable du Criavs d'Île-de-France, qui reçoit également, dans le cadre de la consultation externe du groupe hospitalier universitaire (GHU) Paris Psychiatrie et Neurosciences, des individus soumis à des soins pénalement ordonnés.

Vous nous présenterez la façon dont s'opère aujourd'hui la prise en charge des auteurs de violences sexuelles, les différents intervenants impliqués dans cette prise en charge, ainsi que les outils, dispositifs et méthodes déployés.

Vous nous exposerez bien sûr le rôle des Criavs dans cette architecture et l'appui que vous fournissez aux intervenants. Les Criavs ne prennent pas directement en charge les auteurs, mais vous pouvez bien entendu être amenés, en tant que médecins psychiatres, à recevoir directement en consultation des auteurs de violences. Vous nous expliquerez en particulier quels sont vos liens avec les professionnels qui oeuvrent au sein des centres de détention « fléchés AICS » (auteurs d'infractions à caractère sexuel) ainsi qu'avec les conseillers pénitentiaires d'insertion et de probation (CPIP) et les médecins qui interviennent dans le cadre du suivi socio-judiciaire et de l'injonction de soins des auteurs libérés.

Vous nous direz en quoi l'organisation des Criavs diffère selon les régions et si certains services ou intervenants que vous accompagnez ont développé des initiatives qui vous semblent particulièrement intéressantes afin d'améliorer la prévention de la récidive.

Enfin, à la fois en tant qu'experts de Criavs et praticiens, vous pourrez nous faire part de vos retours d'expérience et de vos préconisations pour améliorer la prévention de la récidive.

Avant de laisser la parole à nos intervenants, je précise que cette audition fait l'objet d'une captation audiovisuelle en vue de sa retransmission en direct sur le site et les réseaux sociaux du Sénat.

Mme Anne-Hélène Moncany, psychiatre, présidente de la Fédération française des Criavs. - Les Criavs ont, depuis 2008, une certaine expérience sur ce sujet, et nous avons vu évoluer les préoccupations et les professionnels qui nous sollicitent. Je commencerai par décrire les missions des Criavs et leur mode de fonctionnement, avant de dire un mot des soins en détention. Je laisserai ensuite mes collègues aborder la question des soins en milieu libre, de la prévention et de l'articulation des différentes interventions en matière de justice, de santé et d'action sociale.

Créés par une circulaire de 2006, les premiers Criavs ont ouvert en 2008. Leur origine remonte à la loi de 1998 relative à la prévention et à la répression des infractions sexuelles ainsi qu'à la protection des mineurs, qui a échafaudé un dispositif de soins pénalement ordonné, conçu à partir d'une recherche de terrain et spécifiquement destiné aux auteurs d'infractions à caractère sexuel : l'injonction de soins. Ce dispositif suppose une articulation étroite entre les professionnels de la justice, de la santé et du social. Avec le recul, il a été néanmoins constaté que ce dispositif ne fonctionnait pas très bien, sans doute parce que les professionnels du soin et de la justice n'étaient pas toujours parfaitement formés à cette prise en charge spécifique et qu'ils n'étaient pas habitués à travailler ensemble. Les centres ressources ont précisément vocation à soutenir ces professionnels et à mieux articuler leurs interventions.

La circulaire de 2006 prévoyait la création d'un centre par région. On dénombre donc aujourd'hui 27 Criavs, un pour chaque ancienne région administrative. J'insiste sur l'enjeu du maintien et du développement de ces centres outre-mer, ces territoires ayant des problématiques spécifiques et des difficultés en lien avec la démographie des professions de santé.

Les Criavs sont pour l'essentiel rattachés à des établissements de santé et financés par le ministère de la santé à hauteur de 320 000 euros. Ils se composent essentiellement de professionnels de santé, mais aussi de juristes, de sociologues, de documentalistes.

Les Criavs ont cinq grandes missions, qu'ils doivent déployer sur l'ensemble du territoire régional.

Ils assurent une première mission de formation en direction des professionnels du soin et de la justice, évidemment, mais aussi du secteur social, de l'éducation nationale, de la jeunesse et des sports. Nous avons vu un élargissement de nos publics. Dans une optique de prévention, et alors que les violences sexuelles concernent tout le monde, il est important d'élargir autant que possible le champ des acteurs avertis et formés.

Ils assurent aussi une mission d'animation de réseau, qui passe notamment par l'organisation régulière de journées ou de soirées thématiques permettant aux professionnels de ces différents champs de se rencontrer et d'apprendre à mieux se connaître.

Ils mènent également une mission de recherche, en encadrant de nombreux travaux au niveau local, national et international, mais aussi de documentation, par l'intermédiaire du site internet ThèséAS, qui permet à tout un chacun d'accéder à une information actualisée.

Le coeur de la mission des Criavs reste toutefois le soutien aux professionnels de terrain, qui ne doivent surtout pas rester isolés en cas de difficulté. Quand des professionnels rencontrent une situation de violences sexuelles ou doivent prendre en charge des auteurs de violences, nous les rencontrons, nous réfléchissons avec eux à ce qui peut être mis en place et nous suivons avec eux la situation. À l'origine, nous intervenions principalement auprès des professionnels qui prennent en charge les auteurs de violences sexuelles en détention ou en milieu ouvert : médecins, psychologues, CPIP... Aujourd'hui, nous sommes de plus en plus sollicités en cas de situations complexes à l'école ou dans des instituts médico-sociaux. Vous n'ignorez pas l'acuité des problématiques de violences sexuelles chez les personnes en situation de handicap et chez les mineurs - à la fois comme victimes et comme auteurs.

Enfin, nous avons beaucoup soutenu ces dernières années le développement des outils de prévention des violences sexuelles. On parle de prévention primaire pour la population générale, de prévention secondaire pour les publics à risque - les personnes attirées sexuellement par des enfants, par exemple, à destination desquelles nous avons déployé le dispositif d'appel téléphonique Stop (service téléphonique d'orientation et de prévention) afin qu'elles nous appellent et que nous puissions intervenir avant un passage à l'acte - et de prévention tertiaire pour les personnes ayant déjà commis des violences sexuelles.

Quand on s'adresse, en population générale, à une classe dans une école, il faut bien comprendre que l'on parle à des victimes potentielles, mais aussi à des auteurs potentiels. Or c'est bien en priorité les personnes susceptibles de commettre des violences qu'il faut responsabiliser, et auprès desquelles il faut travailler.

Les Criavs se sont réunis en 2009 au sein d'une fédération française, que je préside depuis cinq ans, afin d'unir leurs forces et de coordonner leurs travaux. Nous avons à notre actif la création de ce numéro d'appel Stop dont je viens de parler. Nous travaillons actuellement à l'organisation d'une audition publique sur les mineurs auteurs de violences sexuelles, qui se tiendra en juin 2025 à Paris, parce que ces jeunes représentent une population importante, que l'idée est d'agir le plus précocement possible et que les professionnels sont souvent démunis face à ces violences.

J'en viens maintenant aux soins en détention. La France compte 187 établissements pénitentiaires, une population carcérale en constante augmentation et 22 centres de détention fléchés AICS, qui ne concentrent pas tous les auteurs d'infractions sexuelles, mais qui disposent d'équipes sanitaires et de moyens spécifiques pour les prendre en charge.

Une évaluation récente, menée conjointement par la direction de l'administration pénitentiaire et le ministère de la santé, fait apparaître des réalités contrastées. Certains établissements rencontrent de grandes difficultés en raison du manque de soignants. C'est vrai en psychiatrie de manière générale, mais encore plus en milieu pénitentiaire.

Rappelons que le soin ne constitue pas l'alpha et l'oméga de la prise en charge des auteurs de violences sexuelles. Il est plus ou moins adapté selon les profils et n'est jamais suffisant pour prévenir la récidive.

Il est sans doute nécessaire de mieux prioriser les soins, ce qui n'est pas suffisamment le cas aujourd'hui, en particulier s'agissant des obligations de soins qui sont prononcées. Il est nécessaire de distinguer les auteurs qui relèvent du soin et de les prioriser ; et de ne pas emboliser les dispositifs de soins avec les auteurs pour lesquels le soin n'est pas la priorité.

Selon les recommandations internationales, la prise en charge médicale des auteurs d'infractions à caractère sexuel repose en premier lieu sur la psychothérapie, et parfois sur un traitement hormonal. Nous travaillons en lien avec les psychiatres exerçant en milieu libre, qui ne connaissent pas toujours très bien ces traitements, sans doute sous-prescrits aujourd'hui.

Enfin, toutes les études montrent que pour diminuer le risque de récidive il est essentiel de prévoir des aménagements de peines et d'éviter à tout prix les sorties sèches de prison. Les facteurs sociaux - hébergement, emploi, réseau social - comptent encore plus que les soins pour protéger du risque de récidive. Or beaucoup de patients sortent encore après de longues peines sans emploi, sans hébergement, sans aucun réseau social, et parfois même sans papiers ni carte vitale... Dans ces conditions, il n'est pas possible pour eux de poursuivre les soins.

Mme Caroline Kazanchi, avocate, juriste correspondante pour le Criavs Provence-Alpes-Côte d'Azur. - Le parcours judiciaire des auteurs d'infractions à caractère sexuel ne diffère pas fondamentalement de celui des auteurs d'infractions classiques, notamment en termes de durée de la garde à vue.

Toutefois, dès ce stade de la procédure, l'institution judiciaire cherche à préserver la présomption d'innocence tout en protégeant la victime présumée et d'autres victimes éventuelles d'un éventuel risque de réitération. L'expertise est obligatoire et le prévenu peut être inscrit par le juge d'instruction au fichier judiciaire national automatisé des auteurs d'infractions sexuelles et violentes (Fijais). Cette inscription est obligatoire en matière criminelle, facultative en matière délictuelle. Le procureur de la République a également la possibilité d'alerter les administrations, par exemple l'éducation nationale, là encore dans un souci de prévention.

Le contrôle judiciaire et la détention provisoire font aussi partie de la panoplie des mesures préventives, tout comme le soin. Un auteur présumé d'infraction à caractère sexuel peut être soumis à une obligation de soins lors de son placement sous contrôle judiciaire. Le juge décide seul de cette mesure ; aucun expert n'intervient, aucune coordination n'a lieu et une simple attestation de son médecin traitant suffit pour prouver la bonne exécution de la mesure.

Il s'agit d'une obligation de soin générique, sans prescription médicale, dont l'objectif est de sécuriser le parcours de la personne sous contrôle judiciaire en attente d'être jugée. On se dit qu'une telle obligation ne peut pas faire de mal... Pourtant, en pratique, elle peut se révéler assez stigmatisante pour l'auteur présumé, surtout s'il est par la suite relaxé. On peut aussi s'interroger sur la pertinence d'un soin aussi générique dans le contexte de pénurie de soignants qui a été rappelé.

Formellement, la question de la prévention de la récidive apparaît après la condamnation, principalement au travers de l'injonction de soins et, plus encore, du suivi socio-judiciaire, qui innerve l'intégralité du parcours carcéral et post-carcéral des auteurs d'infractions à caractère sexuel. Fruit d'une longue et intéressante recherche de consensus entre les sphères médicale et judiciaire, le suivi socio-judiciaire, introduit dans la loi en 1998, peut éventuellement être assortie d'une injonction de soins, dont la pertinence sera obligatoirement évaluée par un expert psychiatre, contrairement à l'obligation de soins.

Initialement, le suivi socio-judiciaire était presque exclusivement destiné aux auteurs d'infractions à caractère sexuel, et même principalement aux auteurs majeurs ayant commis des infractions sur des victimes mineures.

Affirmer cela aujourd'hui serait absolument faux : le suivi socio-judiciaire a été rendu générique, tout comme l'injonction de soins. De fait, il y a eu une sorte de boulimie de soins, avec la volonté de se persuader qu'il s'agissait de la seule solution. La société attendant d'être rassurée, à l'issue de la peine, sur la prévention de la récidive, la loi de 1998 est venue créer ce temps de l'après-peine. Alors qu'il était initialement question d'un suivi médical, le choix, en 1998, du terme même de suivi socio-judiciaire est né de la volonté de la sphère médicale d'alerter sur la nécessité de ne pas faire reposer la récidive sur le soin et d'éviter cet amalgame, à la fois grave et surtout faux pour certains profils d'auteurs d'infractions à caractère sexuel.

Le suivi socio-judiciaire s'étend donc désormais à l'ensemble des profils, avec une injonction de soins qui s'est elle-même déplacée vers la libération conditionnelle et le sursis probatoire, à tous les stades de la procédure sentencielle. Cette injonction de soins est pourtant lourde puisqu'elle nécessite, à la différence de l'obligation de soins, un médecin coordonnateur, alors que nous connaissons bien la pénurie qui affecte cette profession. Lorsque seulement deux ou trois médecins sont présents pour toute une région, il est difficile d'expliquer que ce soin et ce suivi post-carcéral peuvent être efficaces.

S'y ajoute le fait que le suivi ne s'appliquera jamais en détention et que l'injonction de soins ne pourra trouver un début d'application qu'une fois le détenu sorti de prison. L'exemple le plus typique est celui d'une condamnation à cinq ans d'emprisonnement, assortie d'un suivi socio-judiciaire pour une période de trois ans : le soin pourra commencer mais l'injonction de soins à proprement parler ne débutera qu'à la sortie de détention, ce qui est tout à fait logique puisque l'objectif consiste à assurer un suivi post-carcéral, avec l'espoir d'éviter les sorties sèches et de guider les sorties.

Néanmoins, les attentes placées dans le soin ont été hypertrophiées, en ignorant qu'un suivi s'intègre dans une logique pluridisciplinaire, comme nous l'enseigne la criminologie : le passage à l'acte criminel ne peut être appréhendé au seul prisme d'un trouble psychiatrique - quel qu'il soit -, mais doit également intégrer des critères d'ordre environnemental.

Dès lors que l'infraction pour laquelle vous avez été condamné relève du champ du suivi socio-judiciaire, même si vous n'avez pas été condamné à un tel suivi, tout votre parcours en découlera, avec une incitation aux soins. Dès votre arrivée en détention, le juge de l'application des peines (JAP) vous informera que votre injonction de soins ne pourra commencer qu'à votre sortie de détention, tout en vous recommandant de commencer à recevoir des soins. Même quand une injonction de soins n'a pas été prononcée par le tribunal, le même juge considérera qu'il faudra vous affecter à un établissement fléché et vous incitera à entamer des soins. Pour que cette incitation de soins fonctionne, le juge pourra en faire dépendre les remises de peine auxquelles vous avez droit, en vous expliquant qu'un refus signifierait que vous ne fournissez pas d'efforts sérieux de réadaptation. De la même manière, il pourra décider de retirer le droit à la libération conditionnelle au motif que les soins n'ont pas commencé en détention.

Pour autant, en fin de peine, nous passerons notre temps à corriger les conséquences de l'incarcération, d'où le suivi socio-judiciaire. Le protocole santé-justice mis en place en 2011 portait sur ce parcours fléché, mais a également confié aux services pénitentiaires d'insertion et de probation (Spip) la mise en oeuvre de programmes de prévention extrêmement vastes dans les centres fléchés, en prenant en considération des éléments d'ordre criminologique et en créant des groupes de parole.

Nous disposons donc, en théorie, des dispositifs nécessaires en termes de soins et de suivi, mais sont-ils bien déployés en pratique ? J'en doute : ni le ministère de la santé, ni le ministère de la justice, ni l'administration pénitentiaire - tous trois concernés par la prévention de la récidive des auteurs d'infractions à caractère sexuel - n'ont réellement coopéré, en dépit du fait que la loi de 1998 était le fruit de leur association. Je ne dispose ainsi pas d'éléments chiffrés relatifs à la mise en oeuvre de ce protocole de 2011, en particulier au niveau des Spip, alors que ces services peuvent assurer le relais entre le soin en détention - spécifique - et le soin post-carcéral. Comment faire, en fin de détention, lorsqu'il faut aller consulter un psychiatre traitant ? Ce dernier a-t-il été suffisamment formé et informé ? Si ce rôle revient au médecin coordonnateur dans le cadre de l'injonction de soins, la démarche reste complexe.

En conclusion, je partage l'avis de ma collègue Anne-Hélène Moncany : si vous disposez de ressources, d'un cadre financier et d'un cercle familial, des mesures pourront être prises à votre sortie, mais, dans le cas contraire, vous peinerez à trouver un travail et un logement, qui sont pourtant des éléments importants en matière de prévention de la récidive. Ces facteurs complexes expliquent parfois les sorties sèches qui sont décidées, malgré les dispositifs déployés pour les éviter.

Si l'on entend se concentrer sur le soin, encore faut-il que celui-ci soit spécifique et non pas générique, afin d'être adapté à la population visée. Il importe, une fois encore, d'avoir conscience que le suivi et la prévention de la récidive ne peuvent pas être uniquement basés sur le soin. Des tentatives ont eu lieu pour procéder différemment, mais n'ont pas été mises en oeuvre, ou alors en oubliant d'autres acteurs tels que les Spip, qui se trouvent aujourd'hui isolés.

Lorsqu'on évoque l'enjeu de la pluridisciplinarité, il est ainsi triste de constater, au moment où les juridictions de l'application des peines se prononcent, que les rapports des Spip, des experts et des intervenants sociaux sont isolés les uns des autres. Une prise en charge de la récidive plus solide devrait s'appuyer sur une véritable pluridisciplinarité.

Mme Hélène Denizot-Bourdel, psychiatre, responsable médicale régionale du Criavs d'Auvergne-Rhône-Alpes. - Je me concentrerai sur les soins aux auteurs car je suis amenée, dans le cadre de ma fonction professionnelle, à organiser deux fois par an des réunions associant les psychiatres et les médecins coordonnateurs, voire les experts. J'accueille et j'accompagne aussi, dans le cadre de ma consultation, des auteurs ; en outre, j'ai créé une consultation spécifique pour l'évaluation et la mise en place de traitements pour certains auteurs.

L'intérêt du soin n'est globalement pas à remettre en question, comme cela a été relevé précédemment. Nous disposons d'une série de recommandations très précises, dont une recommandation de 2009 de la Haute Autorité de santé (HAS) relative aux bonnes pratiques, plus précisément en matière de prise en charge des auteurs d'agressions sexuelles sur les mineurs de moins de 15 ans, c'est-à-dire des pédocriminels. Je rappelle que cette catégorie compte environ pour moitié des personnes qui vivent avec un trouble pédophilique, pour lesquelles un traitement médicamenteux peut être particulièrement indiqué.

La deuxième recommandation résulte de l'audition publique menée en 2018 par la Fédération française des Criavs, avec des rapports d'experts français et des préconisations précises pour les soins. Nous disposons enfin des lignes directrices de la Fédération mondiale de psychiatrie biologique portant sur la prise en charge des troubles paraphiliques, établies en 2010 et réactualisées en 2020. Lesdits troubles concernent des personnes présentant des fantasmes, des obsessions ou des comportements centrés sur la sexualité qui entraînent des ressentis, de la honte, de la culpabilité, ainsi que des répercussions sur l'entourage. La catégorie comprend la pédophilie, mais aussi d'autres paraphilies telles que le voyeurisme, le fétichisme ou le frotteurisme.

Mme Anne-Hélène Moncany. - En effet, certains auteurs de violences sexuelles présentent des troubles paraphiliques définis dans la classification des troubles mentaux, le DSM : s'il ne s'agit pas de la majorité d'entre eux, il faut systématiquement déterminer si ces troubles sont présents, et les traiter le cas échéant. Le plus souvent, des traitements médicamenteux sont recommandés.

Mme Hélène Denizot-Bourdel. - Les auteurs de violences sexuelles présentent des profils extrêmement variés, d'où des risques de rechute et de récidive eux aussi très variés. S'il est question d'un père incestueux, les risques de récidive sont très limités une fois que le système familial a explosé ; en revanche, un violeur de femmes opportuniste, parfois stimulé par la pornographie et sous l'emprise de l'alcool, aura davantage besoin de soins addictologiques, voire d'un traitement destiné à traiter son hypersexualité.

Un autre cas de figure est celui d'une personne présentant une préférence quasi exclusive pour les enfants, ou qui est submergée par une obsession, un fantasme ou une pulsion : ces profils requièrent toute notre attention, car les risques de rechute et de récidive sont plus élevés. Je précise qu'il s'agit heureusement d'une infime partie des personnes que nous rencontrons et que le traitement peut être particulièrement recommandé pour cette catégorie, surtout lorsque des pulsions persistent.

Du fait de cette grande diversité de profils, c'est l'évaluation psychiatrique, psychologique, criminologique et sexologique qui va nous permettre d'individualiser les soins, qui comprendront un volet d'éducation à la sexualité - un sujet brûlant à l'heure actuelle -, car nous sommes parfois atterrés par le niveau d'éducation sexuelle des auteurs que nous recevons, d'où l'intérêt d'intervenir sur ces thématiques dans une démarche de prévention.

Le suivi psychothérapeutique, systématique, peut être effectué individuellement ou en groupe ; il nous permet de travailler sur l'histoire de la personne, ses difficultés d'interactions et la gestion de ses émotions, tout en nous focalisant sur sa capacité à changer. Afin de favoriser le changement, l'alliance thérapeutique doit être forte : sa mise en place est la base de tout soin et peut prendre du temps, temps permis par l'obligation ou par l'injonction de soins.

J'en reviens aux traitements médicamenteux, qui peuvent être indiqués pour une minorité d'auteurs présentant des troubles paraphiliques avec un risque de rechute important, notamment ceux qui présentent une préférence sexuelle pour les enfants. Nous disposons d'une littérature conséquente sur le sujet : en 2020, une équipe suédoise a publié dans le Journal of the American Medical Association une étude portant sur une population de personnes pédophiles recrutées via leur ligne d'aide téléphonique. Les trois quarts des participants ont reçu un traitement frénateur et ont relevé un effet positif sur leur sexualité au bout de deux semaines : les auteurs concluent que le traitement injectable réduit le risque de récidive chez les hommes présentant un trouble pédophilique.

Ces traitements hormonaux nécessitent une évaluation et un suivi : ils sont connus pour entraîner des effets secondaires gênants, dont une baisse de la testostérone, une prise de poids ou encore une déminéralisation osseuse. Certains patients appréhendent le traitement, qui nécessite un bilan préalable et une surveillance qui est d'ailleurs bien codifiée.

Pourtant, les patients interrogés expriment plutôt une très bonne acceptabilité de ces traitements : une étude menée par une équipe belge en 2021 a montré que les patients pédophiles prenant un traitement frénateur décrivent un effet positif sur leur bien-être. Ils sont ainsi moins anxieux grâce à la diminution de la fréquence et de l'intensité de leurs fantasmes et de leurs pulsions. Certains auteurs que j'ai reçus en consultation ont d'ailleurs demandé à intensifier leur traitement tant ils se sentaient soulagés de leurs obsessions, résultat auquel ils ne s'attendaient pas avant la mise en place du traitement.

Les soins peuvent donc prévenir la récidive, même si leur mise en place n'est pas toujours très simple. Les auteurs arrivent pour la plupart dans le parcours de soins par la voie judiciaire, soit en obligation de soins - qui peut débuter en contrôle judiciaire -, soit en injonction de soins, en post-peine et en milieu ouvert. Il est à noter que si la personne est incarcérée, l'obligation ou l'injonction de soins devient une incitation aux soins à effectuer contre une remise de peine, ce qui pose parfois le problème de la continuité des soins pour les personnes qui sont réincarcérées, voire entraîner des incohérences lorsque la personne est réincarcérée à la suite d'une inobservation de son injonction de soins.

Dans le cas d'une obligation de soins, l'auteur vient nous rencontrer en consultation, en centre médico-psychologique (CMP) ou en libéral, et nous expose la situation. Nous devons demander le dossier pénal pour avoir des éléments complémentaires, ce qui n'est pas toujours chose aisée. Nous remettons une attestation de suivi qui ne fait pas état de la qualité du soin, l'obligation étant en général d'une assez courte durée, d'un à deux ans. Elle est pourtant très utile, à mon sens, car elle permet de démarrer les soins. Dans le Puy-de-Dôme par exemple, elle est particulièrement prononcée en cas d'attaques sexuelles ou de consultation de contenus à caractère pédopornographique.

L'injonction de soins est, quant à elle, plus récente, spécifique aux auteurs de violences sexuelles et prononcée dans le cadre du suivi socio-judiciaire, avec un travail de concert entre l'administration pénitentiaire et la justice. Créée par la loi de 1998, elle se base principalement sur le rapport Balier, qui est venu rappeler l'importance des soins post-peine et mettre en avant le fait que la volonté de changement des délinquants est particulièrement active durant le temps de la judiciarisation et de la pénalisation de l'affaire.

Le rapport met également en exergue l'importance de l'articulation entre les acteurs qui accompagnent l'auteur de violences sexuelles : il est nécessaire que les professionnels de la justice, de l'administration pénitentiaire et du secteur sanitaire travaillent de concert et avec le même objectif d'un accompagnement cohérent.

La mise en place de l'injonction de soins nécessite une expertise psychiatrique - parfois psychologique - qui est réalisée au moment de l'instruction, et qui permet de statuer sur l'intérêt du soin. En tant qu'expert, il m'arrive de préciser quel type de soin peut être utile, voire nécessaire : il peut s'agir par exemple d'un traitement médicamenteux. Le prescripteur et le médecin coordonnateur peuvent ensuite s'appuyer sur cet écrit.

Nommé par le juge, le médecin coordonnateur reçoit le dossier pénal et sert d'interface entre la justice et le thérapeute. Après avoir reçu l'auteur une première fois, il évalue la situation et valide le dispositif de soins ou, dans le cas contraire, lui conseille un soignant qui pourra l'accueillir. Le médecin coordonnateur contacte ensuite le thérapeute, lui transmet le dossier pénal accompagné des expertises et peut également le conseiller.

Il revoit l'auteur une fois par trimestre afin d'évaluer son implication dans les soins et son évolution ; il établit aussi un rapport destiné au service de l'application des peines une fois par an, rapport qu'il transmet également au Spip. Distinct d'un expert, le médecin coordonnateur n'a donc pas vocation à se prononcer sur la dangerosité psychiatrique ou criminologique de l'auteur, il n'est pas non plus thérapeute traitant. Par ailleurs, le médecin coordonnateur est soumis au secret professionnel par le code de déontologie médicale, mais le code de la santé publique lui permet de transmettre tous les éléments nécessaires au contrôle du respect de la mesure.

Le thérapeute psychiatre et/ou psychologue, pour sa part, va accepter le suivi et informer le médecin coordonnateur dans le cas où le patient interrompt son suivi. Il peut aussi contacter le juge directement s'il existe une inquiétude et si le médecin coordonnateur n'est pas disponible.

L'auteur, quant à lui, a l'obligation de s'impliquer dans des soins adaptés avec un thérapeute et de rencontrer le médecin coordonnateur. Une peine d'emprisonnement est prévue en cas d'inobservation de cette obligation de soins - qui s'interrompra alors pour se transformer en incitation aux soins en cas d'incarcération. Dans le département du Puy-de-Dôme, la quasi-totalité des soins post-peine s'effectue en injonction de soins ; en revanche, dans le département du Cantal où je suis intervenue la semaine dernière, il existe une proportion à peu près équivalente d'obligations de soins et d'injonctions de soins, en raison d'un manque de médecins coordonnateurs. La JAP m'a d'ailleurs indiqué que la récidive était plus fréquente pour les personnes en obligation de soins, du fait du caractère plus lâche de ce dispositif.

J'en reviens à l'accès aux soins : l'enjeu consiste pour nous à mettre en place une alliance thérapeutique afin d'aider la personne à s'engager dans un parcours de soins. Le processus peut se déployer spontanément, exiger un travail considérable d'alliance thérapeutique, ou encore ne pas pouvoir se déployer du tout. Le temps laissé par l'obligation ou l'injonction est suffisant pour mettre en place des soins, dont certains peuvent s'enclencher en toute fin de mesure, au bout de quatre ou cinq ans.

Parmi les difficultés à signaler, le système de santé peine à accueillir les personnes souffrant de troubles psychiques puisqu'il faut parfois six mois pour obtenir un rendez-vous, tandis que les listes d'attente sont démesurées. Les CMP sont, quant à eux, submergés par des personnes souffrant de maladies très aiguës.

En Auvergne-Rhône-Alpes, il existe un dispositif spécifique d'évaluation et de prise en charge des auteurs d'infractions à caractère sexuel : il s'agit de plateformes mises en place en 2015 sur incitation de l'agence régionale de santé (ARS), avec un cahier des charges précis d'évaluation pluridisciplinaire. Adossées à des CMP, ces structures sont rattachées à des établissements de santé et dotées de crédits spécifiques, donc protégés. Elles présentent l'avantage de pouvoir proposer à l'auteur un rendez-vous dans les quinze jours et un début de l'évaluation dans un délai d'un mois. Ladite évaluation se termine par une réunion pluriprofessionnelle à laquelle peut participer le thérapeute qui a orienté le patient. Ces plateformes proposent également, pour les suivis les plus complexes, des soins individualisés et éventuellement des thérapies de groupe.

Pour aller un peu plus loin, j'ai sollicité les avis de quelques auteurs sur l'injonction de soins, voici quelques-unes de leurs paroles : « la détention ne soigne pas, on est un peu coupés du monde, on n'est pas dans la réalité de la vie » ou « on ne peut pas faire réellement de soins, mais on peut amorcer en détention ». Par rapport aux acteurs de l'injonction de soins : « le juge est plutôt compréhensif », « le conseiller pénitentiaire d'insertion et de probation (CPIP) fait un bilan sur la vie », « un expert ne peut pas tout voir en un temps aussi réduit », « un psychologue, on va plus aller dans le fond du sujet ». Concernant l'injonction de soins : « ça dépend si on est motivé ou pas », « ça sert à rien », « c'est pas une contrainte, ça m'aide à ne pas récidiver ».

En conclusion, je tiens à souligner que les soins ont prouvé leur utilité en venant prévenir la rechute et donc la récidive. L'injonction de soins et l'obligation de soins permettent d'installer une alliance thérapeutique et des soins de qualité : la première, avec la présence du médecin coordonnateur, permet une articulation spécifique et précieuse de tous les acteurs de la prise en charge pour une posture contenante et cohérente, avec un minimum de rupture.

Les difficultés résident dans l'accès aux soins et dans la mise en place - ou le maintien, parfois - de traitements spécifiques pour une minorité d'auteurs davantage à risque de rechute et de récidive.

Nous apprécierions que la loi nous aide davantage afin de mettre en place des structures spécifiques telles que les plateformes que j'ai évoquées, permettant un accueil et une prise en charge optimale des auteurs par des professionnels formés. Nous aimerions aussi que la loi nous aide tous - thérapeutes, citoyens, femmes, enfants - à rendre obligatoire, dans certains cas, une indication de traitement pour les auteurs multirécidivistes dès lors qu'elle est validée par l'expert ou le thérapeute, voire par le médecin coordonnateur. Enfin, nous souhaiterions que l'obligation de soins se poursuive en milieu carcéral, afin de garantir une logique dans la continuité des soins.

Mme Caroline Kazanchi. - Nous ne sommes pas tous d'accord sur ce dernier point. Lors de l'adoption de la loi de 1998, la sphère médicale a adhéré au principe de l'injonction de soins car le soin imposé ne commençait pas en détention. L'autre problématique a trait à la computation du temps : si vous partez du principe selon lequel le soin commence ou se poursuit en détention, comment faut-il le comptabiliser ? Lorsqu'une personne est condamnée à une peine de suivi socio-judiciaire de cinq ans à l'issue d'une peine d'emprisonnement, il est complexe de déduire de ces cinq années de suivi deux ans d'obligation ou d'injonction de soins qui aurait été entamée dès la détention. N'oublions pas qu'en matière pénale tout a un début et une fin, d'où les difficultés à mêler ce qui est censé être un suivi post-carcéral et ce qui est censé commencer en détention.

M. Walter Albardier, psychiatre, responsable du Criavs d'Île-de-France. - Les Criavs sont en général très fréquentés : au départ, leurs missions étaient centrées sur l'articulation entre la santé et la justice, mais ils sont devenus des structures importantes dans l'animation du réseau des intervenants prenant en charge les auteurs de violences sexuelles.

Pour ce qui concerne la justice, nous travaillons étroitement avec les CPIP, les psychologues du ministère de la justice, les magistrats et avocats, ainsi qu'avec des représentants du champ associatif qui interviennent parfois dans le contrôle judiciaire et dans l'accompagnement des auteurs de violences sexuelles, par exemple au sein de centres d'hébergement et de réinsertion sociale (CHRS).

S'y ajoutent des intervenants auprès des mineurs - qui sont même devenus la majorité des intervenants que nous rencontrons - appartenant à la protection judiciaire de la jeunesse (PJJ) ou à l'aide sociale à l'enfance (ASE). Nous intervenons également auprès de la police et de la gendarmerie, de structures sportives ou encore de l'Église catholique.

Pour ce qui est du secteur sanitaire, nous commençons à éprouver des difficultés à mobiliser des acteurs de terrain. Les problèmes vont grandissant, notamment en raison d'un engorgement général du champ sanitaire, dépassé par le manque d'effectifs. Les Criavs, y compris celui de Paris, peinent eux-mêmes à recruter en raison des conditions épouvantables du secteur hospitalier.

En outre, le secteur psychiatrique est débordé et ne trouve pas nécessairement sa place dans la prise en charge des auteurs de violences sexuelles, peut-être en raison d'un manque de formation, mais sans doute aussi en raison d'un élargissement considérable des missions. Mes collègues ne rechignent absolument pas à prendre en charge des auteurs de violences sexuelles lorsqu'ils sont atteints de schizophrénie ou de troubles bipolaires, mais ils ne savent pas forcément quel type de suivi ou d'orientation mettre en oeuvre.

J'ajoute qu'ils sont également fatigués par des obligations et injonctions de soins qui se sont systématisées et qui s'apparentent davantage à des pseudo-mesures de sécurisation sociale qu'à de véritables dispositifs d'incitation à la rencontre et au soin psychique.

L'engorgement est aussi dû à une quasi-absence de sélection et à la faiblesse de l'évaluation mise en oeuvre pour choisir une prise en charge appropriée des différents profils. De nombreuses décisions de justice se basent désormais sur une obligation ou sur une injonction de soins, avec des durées parfois incroyables : je suis ainsi une partie de mes patients depuis cinq ou six ans dans la phase pré-sentencielle, ce qui contribue à congestionner le dispositif.

Par ailleurs, nous manquons d'outils et de consensus d'experts qui nous permettraient de dire que telle problématique relève d'une injonction de soins, et procédons en quelque sorte au doigt mouillé. L'injonction de soins sera ainsi parfois préconisée au motif que la personne présente une pathologie mentale, et dans d'autres cas seulement parce que la personne est dangereuse.

Le manque d'outils se manifeste également en matière d'évaluation du risque de récidive, les mesures les plus draconiennes étant parfois dégainées de manière inadaptée. Cette pratique permet sans doute de satisfaire certains soignants qui se prévaudront de leurs résultats, mais on pourrait leur objecter que des personnes ne disposant pas d'un suivi n'auraient peut-être pas non plus récidivé. Je rappelle d'ailleurs que les auteurs d'infractions à caractère sexuel ne présentent pas les taux de récidive les plus élevés - même si la récidive est synonyme d'énormes dégâts quand elle survient.

Certes, des commissions d'évaluation et des commissions pluridisciplinaires des mesures de sûreté ont été instituées ces dernières années, mais elles restent insuffisamment outillées et procèdent à une évaluation sans échelle valable. Nous utilisons parfois des échelles d'évaluation du risque de récidive bâties dans d'autres pays, car ce travail n'a pas été accompli en France, ce qui est regrettable. L'utilisation d'échelles « actuarielles » permettrait pourtant, par la validation du réel, de déterminer les populations sur lesquelles il conviendrait de concentrer nos efforts.

Certains de mes collègues du champ sanitaire ne comprennent guère mes missions, car ils considèrent qu'ils s'occupent uniquement de patients schizophrènes ou atteints de troubles bipolaires et peinent à investir les espaces dédiés aux auteurs d'infractions sexuelles. L'« affichage » même de ces derniers - et encore plus des soins pénalement ordonnés - représente parfois un frein à l'accès aux soins, les psychiatres n'étant par exemple pas particulièrement intéressés par la prise en charge d'une catégorie de personnes qui souffre d'une très mauvaise réputation. Ils oublient ainsi que les troubles de la sexualité sont des problématiques psychiatriques qui doivent être prises en charge.

Il faut également noter la paupérisation accrue de la population suivie. Des obligations ou des injonctions de soins décidées pour des personnes qui dorment dans la rue n'ont guère de sens, et j'estime qu'il faut arrêter de prendre ce type de décisions. Étant moi-même médecin coordonnateur, j'estime qu'environ 15 % des personnes que je suis ne viennent pas me voir car elles ne disposent ni de téléphone ni d'adresse fixe. S'y ajoute la multiplication des obligations de quitter le territoire français (OQTF), qui ne facilitent pas le travail de réinsertion.

Il me semble que nous avons véritablement besoin de faire un tri dans les mesures et dispositifs que nous mettons en place, et que nous devons construire des outils d'évaluation, ne serait-ce que pour identifier les personnes qui récidivent, ainsi que le cadre dans lequel ces faits se produisent, afin de concentrer nos efforts.

De manière plus générale, nous pourrions nous interroger sur l'importance acquise par le soin. Sur le terrain, les CPIP accomplissent un travail extraordinaire, mais sont confrontés au sous-effectif : tant que chaque conseiller aura 90 dossiers, voire 100 ou 115 dossiers, il sera difficile de rêver à une prise en charge plus solide. Je pense qu'il est temps de construire une filière spécifique « psycho-criminologique » ou « psycho-éducative », dans la mesure où la filière de la santé mentale continuera à se concentrer sur les patients atteints de troubles psychiatriques. De surcroît, la société développe un discours assez particulier en disant que les violences sexuelles sont systémiques et en renvoyant en même temps aux psychiatres la prise en charge individuelle de personnes qui présenteraient des fonctionnements psychiques bizarres.

Menons une réflexion sur les aspects éducatifs et clarifions tout cela, car travailler sur le systémique, c'est travailler sur la prévention et sur les modalités relationnelles dans la société, les programmes de prévention primaire ayant toute leur utilité. La majorité des mineurs auteurs de violences sexuelles que nous rencontrons ne sont pas des grands malades, mais ont pu être poussés par la pornographie, ainsi que par des enjeux interpersonnels qui les dépassent, à faire n'importe quoi. C'est d'ailleurs aussi le cas de certains adultes, le travail éducatif pouvant très bien être effectué au-delà de l'âge de 18 ans, même si cet aspect n'est guère intégré en France.

En conclusion, il faut noter que la loi de 1998 a été construite alors que les CPIP n'existaient pas ; il y avait des éducateurs dans les centres de détention et des assistantes sociales dans les maisons d'arrêt mais c'est seulement par la suite que les CPIP se sont structurés. Parallèlement, c'est sur les psychiatres que reposait la question du soin : il faudrait réinterroger ces aspects alors que la psychiatrie ne dispose plus des mêmes moyens qu'hier. C'est sans doute une erreur de penser que les psychiatres régleront l'ensemble des difficultés. Ils vont régler des choses car quand un patient est malade il a un rapport altéré à l'altérité et au consentement, et cela peut se soigner. Mais pour de nombreuses personnes, la réponse est sans doute davantage à rechercher du côté de l'éducatif, y compris pour les adultes.

Mme Dominique Vérien, présidente. - Il existe actuellement un débat autour de l'éducation à la vie affective et sexuelle. Nous sommes allés visiter le centre de détention de Joux-la-Ville, dont les responsables nous ont expliqué qu'ils démarraient parfois les travaux avec les prisonniers par Le guide du zizi sexuel de la série de bandes dessinées Titeuf, afin de s'assurer que chacun connaisse son corps, ce qui est parfois bien loin d'être le cas.

Une première question : pourriez-vous nous expliquer la différence entre obligation, incitation et injonction de soins, trois termes que vous avez employés dans vos interventions liminaires ?

Mme Catherine Di Folco, rapporteur. - Je souhaitais également vous poser cette question qui me paraît fondamentale. Il me semble comprendre que l'incitation aux soins intervient pendant l'incarcération, l'injonction de soins après l'incarcération...

Mme Anne-Hélène Moncany. - C'est bien cela.

Mme Catherine Di Folco, rapporteur. - L'obligation de soins me laisse en revanche perplexe.

Mme Annick Billon, rapporteure. - Il a été question des 187 établissements pénitentiaires et des 22 établissements pénitentiaires spécialisés dans l'accueil d'auteurs de violences sexuelles qui existent dans notre pays - Dominique Vérien, Marie Mercier, Laurence Rossignol et moi-même avons visité l'un de ces établissements spécialisés, situé dans l'Yonne. Identifiez-vous à l'heure actuelle une volonté accrue de spécialiser les lieux de détention dans les cas de violences sexuelles ? Par ailleurs, quels résultats les établissements spécialisés obtiennent-ils ? Ces résultats justifient-ils les investissements engagés ?

Je m'interroge également sur la différence qui prévaut entre obligation et injonction de soins. S'agit-il de dire que la première concerne les soins, quand la seconde combine soins et justice ? En outre, l'orientation vers l'une ou l'autre de ces mesures est-elle toujours identique quel que soit l'endroit où l'on se trouve en France, ou varie-t-elle, au contraire, en fonction de certains facteurs, tels que la formation ou la prédilection des professionnels ?

Il ressort de vos propos que la récidive en matière de violences sexuelles et sexistes est un sujet complexe en ce qu'il ressort concomitamment aux deux domaines du soin et de la justice, voire à d'autres domaines. Lors du Grenelle des violences conjugales, nous avions vu que ces différents professionnels n'étaient pas habitués à travailler ensemble et qu'ils utilisaient des méthodes de mesure distinctes. Comment contribuez-vous à les rapprocher dans votre propre travail ?

Vous nous indiquez manquer de données chiffrées. Quelles sont celles dont vous auriez besoin pour que nous progressions sur le sujet de la récidive ?

Vous nous dites que l'inscription au Fijais est possible dès l'engagement de la procédure pénale. Compte tenu de notre attachement en France à la présomption d'innocence, correspond-elle à une réalité ou à une simple possibilité, peu utilisée en fait ? La fréquence du recours à cette mesure est-elle par ailleurs à géométrie variable en fonction des intervenants judiciaires ?

Pensez-vous que la formation des acteurs engagés dans la prévention de la récidive, tant dans le domaine de la justice que dans celui de la santé, soit aujourd'hui suffisante ?

Vous évoquez un déficit de moyens des Criavs en ce qui concerne le personnel de santé ; d'autres moyens, humains ou financiers, vous font-ils défaut ?

Enfin, pourquoi le fonctionnement de vos structures n'atteint-il pas le même niveau de résultat d'un territoire à l'autre ?

Mme Evelyne Corbière Naminzo, rapporteure. - Monsieur Albardier, vous pointez la paupérisation des personnes suivies en raison de violences à caractère sexuel. S'y associe-t-il un risque de rupture de traitement, notamment du traitement injectable, et, dans l'affirmative, quelles mesures spécifiques prenez-vous ? Vous relevez par ailleurs les lacunes de la politique éducative à l'égard de ces publics et évoquez la création d'une filière psycho-éducative qui réponde mieux à leurs besoins. Disposez-vous déjà d'une ébauche de ce qu'elle pourrait être ?

Par rapport à la clarification que nous sollicitons sur la distinction entre obligation, incitation et injonction de soins, pourriez-vous préciser quels outils, au-delà du seul champ de la loi, vous permettraient d'orienter au mieux votre choix dans la réponse aux besoins de ceux que nous appelons les auteurs, mais qui sont plutôt pour vous, professionnels de santé, des patients ?

Vous soulignez le fait que faire reposer la prévention de la récidive des violences sexuelles sur les seuls professionnels de santé ou les CPIP ne suffit sans doute pas. Quels corps professionnels devraient selon vous rejoindre vos équipes, afin que vous soyez en mesure de proposer un suivi plus adapté ?

Mme Laurence Rossignol, rapporteure. - Merci, docteur Albardier, d'avoir clarifié la contradiction entre la dimension systémique des violences sexuelles et la psychiatrisation de leurs auteurs, ainsi que d'avoir distingué entre les auteurs atteints de paraphilie et le « tout-venant » du violeur, qui présente d'abord un problème de respect de l'altérité et de limites morales. Si je vous entends bien, ces derniers ne requièrent pas automatiquement votre intervention de psychiatre. Or la loi de 1998, si elle offre un socle intéressant, souffre néanmoins, outre d'un manque d'effectifs, d'une pratique judiciaire qui tend à multiplier les injonctions de soins. On retrouve une attitude analogue dans d'autres domaines avec le recours aux expertises, en particulier en droit civil dans la pratique des juges aux affaires familiales (JAF) qui, en présence d'un conflit parental, n'hésitent pas à faire appel à un expert.

Aucune culture de l'évaluation n'existe à la Chancellerie, et je doute qu'un état des lieux de la loi de 1998 ait été entrepris. Or les pistes d'amélioration ne reposent peut-être pas sur des solutions législatives. C'est ce qu'il nous faut déterminer.

Différentes difficultés que vous soulevez, telles que l'absence de pluridisciplinarité ou une forme de laisser-aller entre les décisions des juges et leur mise en oeuvre effective, se retrouvent également dans d'autres secteurs du travail socio-judiciaire, par exemple dans celui de la protection de l'enfance.

Je vous soumets deux questions.

D'une part, quand on parle de récidive, s'agit-il de récidive d'infraction criminelle ou intègre-t-on dans cette notion les infractions délictuelles ? Considérera-t-on ainsi comme récidiviste une personne condamnée une première fois pour délit sexuel, qui commettrait par la suite un crime sexuel ?

D'autre part, l'émergence du mouvement #MeToo et l'essor du débat public sur les violences sexuelles ont-ils eu des conséquences sur votre activité ? Êtes-vous davantage ou différemment sollicités et, dans l'affirmative, vos moyens ont-ils suivi cette évolution ?

Mme Dominique Vérien, présidente. - Vous parlez de conduire une étude en vue de mieux identifier ceux qui relèvent véritablement de vos services. Qui réaliserait ce travail ? Ne reviendrait-il justement pas aux Criavs de s'en occuper ?

Ces centres ont une compétence régionale. Ne sont-ils cependant pas déjà trop éloignés des praticiens qui interviennent auprès des auteurs de violences sexuelles, en particulier dans les établissements pénitentiaires ? Je pense notamment à la localisation du Criavs à Dijon alors que l'établissement fléché AICS de la région se situe à Joux-la-Ville, dans l'Yonne.

M. Walter Albardier. - Il y a plus d'auteurs de violences sexuelles en dehors de ces établissements que dedans...

Mme Dominique Vérien, présidente. - Mais on ne les laisse pas toujours à la rue, comme vous le dites, on les reloge parfois autour de la prison.

M. Walter Albardier. - En effet. Cependant, davantage de personnes qui se sont rendues coupables de violences sexuelles se trouvent à l'extérieur plutôt qu'à l'intérieur des lieux de privation de liberté, et ce, un peu partout en France. Certes, nous observons des endroits de plus fortes concentrations, parfois autour des structures spécialisées.

Ces dernières sont apparues il y a plus de dix ans. Elles n'ont pas tout à fait permis d'atteindre les taux de non-récidive que l'on visait. Leur implantation ne correspond pas non plus toujours aux régions où l'on constate le plus d'agressions sexuelles et il importe qu'elle soit reconsidérée.

La loi de 1998 n'a jamais fait l'objet d'une véritable évaluation. Une tentative de recherche quantitative, qualifiée d'état des lieux d'un dispositif de soins pénalement ordonnés, avait impliqué les Criavs. Le travail, réalisé à partir de 2 000 dossiers d'injonction de soins, s'était cependant avéré éminemment complexe, en dépit de la contribution de l'administration pénitentiaire, et n'avait pas réellement abouti.

À ce jour, nous sommes incapables en France de savoir immédiatement combien d'injonctions de soins sont en cours d'exécution. L'absence de données nous met en difficulté et une étude ne suffirait pas ; il faudrait, à l'instar de ce qui existe à l'étranger, accumuler et conserver les informations, pendant dix ou quinze ans, pour disposer ensuite d'éléments concrets d'appréciation sur les profils des récidivistes et leurs divers déterminants socio-économiques, psychologiques, etc. Les Criavs n'ont pas accès aux ressources de données nécessaires à la réalisation d'un tel travail. Celui-ci ne pourrait s'élaborer qu'à partir des données pénitentiaires et judiciaires.

Les seuls chiffres de la récidive nous font déjà défaut, par manque de clarté dans notre approche de la notion. Entre récidive légale pour des faits similaires de violences sexuelles sur une période donnée, et récidive générale - où par exemple un auteur de violences sexuelles se retrouve poursuivi pour un délit routier -, on ne parle jamais de la même chose.

Mme Anne-Hélène Moncany. - Trois modalités de soins pénalement ordonnés par la justice coexistent en France. Elles s'appliquent aux personnes reconnues responsables de leurs actes et s'ajoutent à la sanction pénale qui, par ailleurs, est prononcée à leur endroit.

La plus ancienne, l'obligation de soins, date de 1954 et concernait à l'origine les alcooliques dangereux. Elle a ensuite été très largement étendue, les magistrats la préconisant désormais dans la grande majorité des cas de violences en estimant qu'elle ne saurait nuire. C'est, d'une part, discutable du point de vue individuel ; c'est, d'autre part, assurément préjudiciable sous l'angle systémique puisque cela sature nos dispositifs de soins de situations qui ne devraient pas en relever. Les magistrats partent du présupposé que les psychiatres leur signaleront, le cas échéant, l'inutilité de la mesure prescrite ; or ces derniers considèrent qu'ils ne peuvent la remettre en question puisqu'elle a été prononcée par un juge. L'articulation santé-justice pâtit de son absence de structuration.

Introduite en 1970, l'injonction thérapeutique concerne les personnes avec des problèmes d'addiction.

L'injonction de soins remonte à la loi de 1998 et s'intègre dans le suivi socio-judiciaire des auteurs d'infractions à caractère sexuel. Deux grandes avancées devaient l'accompagner : d'une part, l'expertise psychiatrique, afin de déterminer qui a besoin de soins et qui n'en a pas besoin, mais celle-ci fonctionne assez mal, faute de consensus en France sur les critères à retenir - les associations d'experts commencent à y réfléchir - ; d'autre part, le médecin coordonnateur, qui occupe une place intermédiaire entre santé et justice.

L'incitation aux soins est rattachée à l'injonction de soins et au suivi socio-judiciaire.

Mme Caroline Kazanchi. - L'incitation aux soins correspond à des méthodes utilisées en milieu carcéral à l'usage des personnes pour lesquelles un suivi socio-judiciaire a été prononcé ou qui encouraient une décision en ce sens. De fait, leur parcours en détention est marqué par l'incitation aux soins : dès leur entrée en détention, le JAP les incite à recourir à des soins par divers moyens plus ou moins coercitifs, le plus souvent fondés sur la promesse d'une contrepartie, telle que l'obtention d'une libération conditionnelle ou d'un crédit normal de réduction de peine.

L'incitation aux soins est ainsi non pas une mesure supplémentaire, mais une méthode prévue par le code de procédure pénale, qui supplée à l'absence d'obligation judiciaire d'entamer des soins en détention.

Mme Dominique Vérien, présidente. - Cette incitation ne tient-elle pas au fait qu'un certain nombre de psychiatres refusent de rencontrer une personne qui ne serait pas volontaire ?

Mme Anne-Hélène Moncany. - Actuellement, notre système pénal n'impose en principe aucun soin pendant la période de détention. Par exception, les seules personnes à qui des soins peuvent être prodigués sans leur consentement, y compris en détention, sont celles qui présentent un trouble psychiatrique grave ou un trouble délirant, à la condition toutefois qu'elles fassent l'objet d'une hospitalisation.

Les soins pénalement ordonnés reposent sur le principe du consentement de la personne, même si ce consentement peut être « orienté », par exemple par la menace d'une remise en détention quand la personne est en milieu ouvert ou par celle du refus d'une remise de peine. On considère que ces personnes, parce qu'elles sont responsables de leurs actes, le sont aussi de ce qu'elles mettront en oeuvre en vue d'éviter la récidive.

En pratique, l'incitation aux soins est efficace : les moyens employés sont suffisamment incitatifs pour que la grande majorité des personnes en détention acceptent de se soigner.

Mme Caroline Kazanchi. - La juridiction pénale qui condamne le mis en cause à un suivi socio-judiciaire avec injonction de soins doit aussitôt l'avertir qu'aucun soin ne saurait être engagé sans son consentement, mais que, en cas de refus de sa part, une peine d'emprisonnement spécifique lui sera appliquée.

M. Walter Albardier. - La problématique à l'origine des différences que l'on constate entre les régions tient à ce que, dans certaines d'entre elles, les personnes incitées à suivre des soins ne peuvent guère obtenir autre chose, y compris auprès d'établissements fléchés ou de structures extérieures spécialisées comme les CMP, que la preuve qu'ils sont inscrits sur une liste d'attente. Les pratiques varient selon les régions en fonction des contraintes qui y prévalent. Par endroits, des injonctions de soins interviennent sans médecin coordonnateur faute d'un tel spécialiste. Ailleurs, les Spip et les JAP doivent se satisfaire d'un document qui atteste d'une démarche pour obtenir des soins auprès d'un psychologue ou d'un psychiatre, à défaut de disponibilité de ces professionnels.

Mme Anne-Hélène Moncany. - Une précision : les soins ne figurent pas directement dans les missions des Criavs, même si certains d'entre eux se sont adossés à des dispositifs de soins spécifiques. Ils y consacrent cependant des moyens distincts, ce qui est indispensable, en considération des sollicitations dont ils peuvent alors être l'objet.

À cet égard, le mouvement #MeToo a été très intéressant dans le revirement des mentalités qu'il a opéré. En 1998, nous assistions à une forme de dépolitisation de la problématique des violences sexuelles, laissant la place à leur pathologisation ; celle-ci explique que le soin ait pris tant d'importance. Mais nous avons vu les écueils d'une telle approche et #MeToo a mis en exergue le fait que le violeur n'est pas uniquement un malade mental ou un monstre. De notre côté, nous le soulignions depuis longtemps, car les chiffres des violences sexuelles - nous en avons malgré tout quelques-uns - nous apprennent que ces violences sont bien souvent le fait de personnes de l'entourage de la victime qui ne souffrent pas de troubles mentaux.

Nous soutenons qu'il faut accompagner ce revirement des mentalités en reconnaissant que le soin n'est pas l'alpha et l'oméga de la prévention des violences sexuelles. Il faut d'abord, en matière sociétale, rééduquer les esprits et circonscrire les systèmes de domination - de l'adulte sur l'enfant, de l'homme sur la femme, du supérieur hiérarchique sur son subordonné -, ce qui ne relève nullement du soin. Le soin ne revêt un intérêt qu'après, et seulement dans certains cas. Paradoxalement, nous en avons à ce point élargi l'acception des soins que nous ne parvenons plus à soigner ceux qui en ont réellement besoin.

Quant à la disponibilité des psychiatres, reconnaissons qu'elle est pour tout un chacun en bien des endroits des plus limitée, voire inexistante, y compris pour la prise en charge d'une dépression. C'est, bien plus que la réticence de certains professionnels - travailler avec des personnes qui ne sont pas forcément volontaires pour se soigner est notre quotidien en psychiatrie -, cette réalité qui explique que les personnes sortant de prison avec une injonction de soins à la suite d'une condamnation pour viol éprouvent autant de mal à obtenir l'aide d'un professionnel. Nous ne progresserons pas sans soutenir et étoffer notre système de soins psychiatriques.

M. Walter Albardier. - Le mouvement #MeToo a également conduit à une modification des profils auxquels nous sommes confrontés. Avec la loi de 1998, les soins étaient conçus à partir de la représentation d'un auteur de violences sexuelles qui était celle du violeur en série. Désormais, dans notre activité médicale, nous rencontrons parfois des gens qui ont reçu une injonction de soins pour avoir regardé des images pédopornographiques, alors que ces dernières viennent « contenir » leur sexualité pédophile...

Mme Dominique Vérien, présidente. - Ou la développer.

M. Walter Albardier. - Peut-être, bien qu'il n'y ait encore aucun consensus sur la question au sein même de l'Académie nationale de médecine. Je ne cherche pas à excuser certains comportements. Je souligne le fait que nous rencontrons maintenant des personnes aux profils très variés, certaines nous étant adressées pour des violences non plus sexuelles, mais sexistes.

Par ailleurs, l'échelle n'est pas du tout la même entre l'injonction de soins et l'obligation de soins. La seconde est bien plus habituelle que la première. Pour Paris, j'évoquerai une proportion approximative de 200 contre 6 000. Les obligations de soins se rapportent à tout type de délinquance et à tout stade de la procédure pénale, en dehors de l'incarcération. Elles engorgent les structures de soins, dont elles mobilisent les professionnels de la psychiatrie qui les distinguent mal des injonctions de soins.

Mme Dominique Vérien, présidente. - À défaut de psychiatre disponible, le traitement par injection peut-il être délivré par un médecin généraliste ?

Mme Hélène Denizot-Bourdel. - Oui, il est possible de consulter un généraliste afin de recevoir le traitement injectable, pour un renouvellement d'ordonnance. Cependant, l'initiative du traitement revient normalement à un psychiatre. En pratique, ce type de traitement concerne un nombre très restreint d'auteurs d'infractions sexuelles. Lorsqu'il est mis en place en cours de détention, un lien est nécessairement établi avec un prescripteur extérieur, afin que les soins puissent se prolonger au terme de la détention. Dans des situations problématiques, il peut être associé à un système de soins sous contrainte, c'est-à-dire sans le consentement de l'intéressé, avec un contrôle renforcé de la mesure.

M. Walter Albardier. - De quoi parlons-nous ? Il y a deux types d'injection. Vous vous référez sans doute au traitement inhibiteur de la libido, ou castration chimique, qui existe également sous forme de comprimés. Ce traitement, bien distinct des traitements classiques de la psychiatrie fondés notamment sur les neuroleptiques, ne peut être administré qu'avec l'adhésion de la personne.

Outre qu'il n'est pertinent que dans un nombre très limité de cas, avec une indication extrêmement complexe, il ne peut être prescrit qu'associé à une psychothérapie, à l'instar du traitement de substitution des opiacés (TSO) - une autre classe de traitement. Il faut de plus l'administrer avec mesure et savoir y mettre un terme tant ses effets secondaires sont importants, en particulier sur l'ossature.

J'y recours uniquement dans des situations où le contrôle de soi pose chez la personne de grandes difficultés et à la condition de l'assortir de toute une série de mesures d'accompagnement. À son sujet, la solution de s'adresser aux médecins généralistes me paraît marginale ; ils ne sont en effet, pour la plupart d'entre eux, que peu formés à la prise en charge de psychothérapies de la nature de celle que j'évoque.

Mme Anne-Hélène Moncany. - Du reste, les personnes qui sortent de prison peinent aussi à obtenir des rendez-vous auprès des médecins généralistes.

Quant à l'évaluation des outils de prévention de la récidive, des études existent, y compris en France. La vice-présidente de notre fédération, Ingrid Bertsch, a ainsi consacré sa thèse de doctorat à l'évaluation standardisée du risque de récidive des auteurs d'infractions à caractère sexuel. Aucun outil n'offre évidemment de solution miraculeuse, mais certains outils semi-structurés s'avèrent particulièrement intéressants. À l'étranger, les soignants ne sont pas les seuls à les utiliser et les travailleurs sociaux y recourent également. La difficulté, aujourd'hui, consiste à les implanter dans la pratique française. Le Centre national d'évaluation (CNE) pourrait par exemple en faire usage. Nous y travaillons.

J'insisterai sur la désistance, autrement dit sur le processus de sortie des parcours de délinquance - en l'occurrence d'agressions sexuelles - qui permet d'éviter la récidive, ce qui conduit à mettre en évidence les facteurs protecteurs davantage que les facteurs de risque. Les études internationales sont claires : le soin y contribue dans une certaine mesure, mais l'hébergement, le travail ou le réseau social jouent également. Des outils ont été mis en place, par exemple les cercles de réseau et de soutien. Outils de justice restaurative, ils consistent à instaurer, avec l'aide de bénévoles formés, un réseau social pour ceux qui n'en ont pas - un film récent en donne une illustration : Je verrai toujours vos visages. La loi de 2014 les préconise et nous savons qu'ils donnent des résultats probants. Ils demeurent cependant marginaux en pratique et il conviendrait de les soutenir.

Mme Catherine Di Folco, rapporteur. - Lorsqu'un auteur d'infraction sexuelle pénalement condamné, suivi pendant sa détention et recevant une injonction de soins à son terme, récidive par un acte criminel, la situation donne-t-elle lieu à une analyse circonstanciée de ce qui n'a pas fonctionné, à une forme de retour d'expérience, afin de prévenir tout nouvel échec ?

M. Walter Albardier. - Rien de systématique n'est mis en place. Pour autant - et j'ai personnellement déjà suivi des récidivistes -, les structures les plus spécialisées ne restent pas indifférentes et analysent ce type de situations, au moins sous l'angle sanitaire. Cependant, nous voyons parfois arriver les choses sans pouvoir les empêcher, particulièrement en présence de personnes en situation de grande précarité, quand les différents acteurs des sphères sanitaire, judiciaire et sociale ne parviennent pas à créer autour d'elles un cadre plus favorable. Les analyses existantes de ces situations ne sont à ce jour pas répertoriées. Peut-être faudrait-il s'en occuper, sous réserve du respect du secret professionnel.

Mme Catherine Di Folco, rapporteur. - Quand une analyse des causes de la récidive est conduite, il faudrait pouvoir en profiter. Ces analyses ne sont-elles donc pas transmises par les structures qui en sont les auteurs ?

Mme Caroline Kazanchi. - Nous partons ici du postulat que l'analyse des causes de la récidive reposerait sur un retour d'expérience du milieu soignant. Or la récidive représente un échec global et la réflexion à son sujet ne saurait être elle-même que globale. La réflexion qui amène un tribunal de l'application des peines à se prononcer sur une libération conditionnelle s'appuie sur l'interdisciplinarité, avec la saisine du CNE, plusieurs expertises psychiatriques, voire des expertises psychologiques, et le recueil de l'avis des Spip.

Mme Dominique Vérien, présidente. - Dans l'hypothèse que nous évoquons, le soin psychiatrique n'est pas nécessairement en cause.

Mme Anne-Hélène Moncany. - La question s'avère extrêmement importante. Dans des affaires dramatiques, des professionnels de santé se sont en effet sentis désavoués, ce qui a eu des répercussions majeures sur le terrain, certains préférant renoncer à la prise en charge de ces personnes. Le poids de leur responsabilité peut aussi les conduire à s'en remettre à la solution de l'enfermement et à des mesures strictement sécuritaires, dont nous savons qu'elles sont contre-productives. Les retours d'expérience sont précieux dès lors que nous les concevons comme un outil d'amélioration à l'usage de tous, mais n'omettons pas de soutenir les praticiens concernés.

Mme Dominique Vérien, présidente. - Il ne s'agit pas de lier ces outils à une obligation de résultat, laquelle n'existe pas en matière médicale. Les retours d'expérience dont j'ai pu prendre connaissance sur des cas de féminicides interrogeaient toute la chaîne des intervenants, afin de pointer l'écueil. Leurs résultats se révèlent utiles. À la suite de l'affaire de Bordeaux, le travail a conduit à ce que l'on prévienne dorénavant les victimes de violences sexuelles de la sortie de prison de leur agresseur.

Mme Anne-Hélène Moncany. - Remarquons que, dans le domaine de la récidive, on identifie plus aisément les dysfonctionnements que les succès, alors que ces derniers représentent la majorité des cas de figure ; et jamais un soignant ou un Spip ne s'attribue le mérite du succès de la prise en charge d'un délinquant sexuel. Dans les retours d'expérience, analysons aussi ce qui marche.

Mme Dominique Vérien, présidente. - Je vous remercie pour vos explications.

Je note que votre première préconisation consiste à mieux identifier qui doit ou qui ne doit pas être dirigé vers le soin, afin d'éviter l'engorgement du système de prise en charge sanitaire.