Mercredi 4 décembre 2024

- Présidence de Mme Dominique Estrosi Sassone, présidente -

La réunion est ouverte à 09 h 05.

Projet de loi de finances pour 2025 - Mission « Écologie, développement et mobilité durables » - Crédits « Énergie » - Examen du rapport pour avis

Mme Dominique Estrosi Sassone, présidente. - Mes chers collègues, nous entamons aujourd'hui notre réunion de commission avec la présentation, par notre collègue rapporteur Daniel Gremillet, de son avis sur les crédits « Énergie » de la mission « Écologie, développement et mobilité durables ».

Nous examinerons ensuite deux propositions de loi importantes : la proposition de loi visant à lever les contraintes à l'exercice du métier d'agriculteur, déposée par nos collègues Laurent Duplomb et Franck Menonville notamment ; et la proposition en faveur de la préservation et de la reconquête de la haie, de notre collègue Daniel Salmon.

M. Daniel Gremillet, rapporteur pour avis sur les crédits « Énergie » de la mission « Écologie, développement et mobilité durables ». - Madame la présidente, mes chers collègues, le projet de loi de finances initiale (PLF) pour 2025 intervient dans un contexte d'accalmie des prix des énergies. Ces prix s'élèvent ainsi entre 60 et 70 euros par mégawattheure (MWh) pour l'électricité et entre 25 et 40 euros par MWh pour le gaz ; ces prix, toujours élevés, sont très loin des niveaux atteints lors de la crise énergétique.

Les crédits « Énergie » de la mission « Écologie » s'établissent à 9,6 milliards d'euros pour 2025. Le programme 174 « Énergie, climat et après-mines » est en baisse de 60 %, en raison d'un effet périmètre. Le programme 345 « Service public de l'énergie » est en hausse de 30 %, compte tenu d'un effet prix. Enfin, le compte d'affectation spéciale « Financement des aides aux collectivités pour l'électrification rurale » (CAS Facé) est stable, avec 360 millions d'euros.

Ces crédits sont complétés par le plan « France 2030 » depuis 2022, rattaché à la mission « Investissements d'avenir », dont les crédits liés à la transition énergétique sont exécutés à plus de 60 %.

Je l'ai dit, nous assistons à une accalmie, certes relative mais toujours appréciable, des prix des énergies. Cette accalmie a été permise, d'abord et avant tout, par le rétablissement de notre production nucléaire, le pays étant redevenu exportateur net.

Cette accalmie autorise une sortie des mesures exceptionnelles de protection des consommateurs. Le Médiateur national de l'énergie (MNE) a ainsi indiqué qu'« il partage la nécessité de sortir du bouclier tarifaire pour revenir aux niveaux connus avant la crise, après les efforts très importants consentis par l'État pour protéger les Français ». Contrairement aux années passées, le volet fiscal du PLF pour 2025 ne comporte donc aucune de ces mesures. Je rappelle que, sur la période 2021 à 2024, le précédent gouvernement avait mobilisé 29,2 milliards d'euros. C'était une dépense justifiée mais qui n'est, en ce moment, ni de l'ordre du nécessaire, ni de l'ordre du possible.

Le volet fiscal du PLF pour 2025 propose plusieurs ajustements de la fiscalité énergétique, dont une réforme du marché de l'électricité. Je le dis tout net : je ne suis pas favorable à ce que soient présentées en loi de finances des dispositions ne relevant pas de son champ obligatoire. Cela noie les sujets de droit commun dans le débat budgétaire. Et cela prive notre commission de débats qui relèveraient de sa compétence. Pour autant, je ne proposerai pas de suppression d'articles car il faut bien avancer sur des réformes très attendues.

Tout d'abord, l'article 4 institue un dispositif de reversement des revenus issus de l'électricité nucléaire historique, en lieu et place de l'actuel accès régulé à l'électricité nucléaire historique (Arenh), qui arrive à échéance en 2025. Ce dispositif constitue la traduction législative de l'accord conclu entre l'État et le groupe EDF, le 14 novembre 2023. Cet accord a deux versants. D'une part, le groupe doit déployer des contrats de long terme pour la fourniture d'électricité. À date, 4 000 contrats et 6 lettres d'intention ont été conclus. D'autre part, le groupe doit être prélevé à hauteur de 50 %, au-dessus de 78 euros par MWh, et à hauteur de 90 %, au-dessus de 110 euros par MWh. Cela doit permettre de garantir un prix de l'électricité autour de 70 euros par MWh. Si je soutiens globalement ce dispositif, je pense que les seuils de taxation devraient relever de la loi, et non d'un arrêté. Ainsi, pour donner davantage de visibilité au groupe EDF comme aux consommateurs, les prix précités devraient être inscrits dans la loi, au moins pour la première année d'existence du dispositif, et l'inflation devrait être prise en compte. De plus, je pense que les gestionnaires de réseaux devraient être mieux intégrés et les consommateurs mieux informés.

L'article 6 institue un dispositif de capacité d'effacements, en lieu et place de l'obligation d'achat existante. Pour mémoire, les effacements de consommation sont des actions ponctuelles de réduction de la consommation d'électricité pour assurer l'équilibre entre l'offre et la demande. C'est un dispositif attendu, de nature à renforcer notre sécurité d'approvisionnement électrique, que j'appuie sans réserve.

L'article 7 modifie l'accise sur l'électricité. Si le tarif pour les professionnels serait maintenu au minimum européen, de 0,5 euros par MWh, celui pour les particuliers serait porté à 25 euros par MWh, avec une modulation entre 5 et 25 euros par MWh prise par arrêté. Si j'approuve globalement ce dispositif, je pense que la modulation réglementaire n'est pas admissible car les tarifs de taxation doivent relever de la loi, et non d'un arrêté, et les taxes sur l'électricité ne sauraient excéder ni leur niveau d'avant-crise, ni celles sur le gaz.

Ce même article 7 réforme aussi le financement des opérations liées à l'électrification rurale - via le CAS Facé - et des opérations liées à la péréquation tarifaire - via les charges de service public de l'énergie (CSPE) allouées aux zones non interconnectées (ZNI) -, qui ne serait plus assuré par le budget général, mais par une fraction de l'accise sur l'électricité. Ces réformes suscitent des inquiétudes parmi les parties prenantes, qui craignent que ces nouveaux financements ne permettent pas la compensation intégrale de ces opérations, qui relèvent pourtant de la solidarité nationale. Il me semble que la première réforme devrait être abandonnée, au moins pour cet exercice budgétaire, tandis que la seconde devrait être encadrée.

Plus encore, l'article 5 modifie plusieurs taxes sur les installations nucléaires de base (INB). D'une part, il rationalise les taxes appliquées aux installations de production et de stockage nucléaires. D'autre part, il proroge la taxe affectée au projet de stockage Cigéo à Bure. Enfin, il tire les conséquences de la fusion de l'Autorité de sûreté nucléaire (ASN) et de l'Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire (IRSN) au sein d'une Autorité de sûreté nucléaire et de radioprotection (ASNR). Il me semble que la fiscalité sur les installations de production devrait être contenue, avec un tarif plus faible, tandis que celle sur le projet Cigéo devrait être consolidée, avec une échéance plus tardive.

Enfin, l'article 10 recalibre le taux réduit de taxe sur la valeur ajoutée (TVA) appliquée aux dispositifs de chauffage. Il est nécessaire à la transposition de la directive sur la performance énergétique des bâtiments de 2024. Pour autant, je suis convaincu que nous pouvons proposer un dispositif plus favorable pour les chaudières hybrides et pour les énergies de récupération, au-delà de celles renouvelables.

Pour remédier à ces réserves, j'ai déposé 15 amendements fiscaux à titre personnel. Six de ces amendements ont été adoptés la semaine passée. J'ai appuyé, en particulier, la proposition du rapporteur général de la commission des finances du Sénat, d'abandonner la modulation réglementaire de l'accise sur l'électricité. De plus, j'ai consolidé le dispositif de reversement des revenus issus de l'électricité nucléaire historique, en inscrivant son prix dans la loi et en renforçant l'information des consommateurs. Enfin, j'ai obtenu gain de cause sur la compensation intégrale des charges liées aux opérations d'électrification conduites dans nos territoires ruraux et ultramarins. C'est une satisfaction !

Au-delà de la fiscalité énergétique, les crédits « Énergie » de la mission « Écologie » sont mis à contribution, dans l'effort - général et nécessaire - de modération budgétaire.

Premier point : la transition énergétique.

Les CSPE, qui sont au fondement des dispositifs de soutien publics aux énergies renouvelables, évoluent mécaniquement en fonction des prix des énergies. Lorsque ces prix diminuent, ces charges augmentent. Pour 2025, les charges doivent atteindre 4,3 milliards d'euros pour l'électricité renouvelable et 1,7 milliard d'euros pour le biogaz et la cogénération, chacun en hausse de 70 %. Dans le même esprit, l'hydrogène est doté de 692 millions d'euros, en hausse de 2 %, et les effacements de 187 millions d'euros, en hausse de 190 %. Pour autant, l'application du dispositif de soutien à la production d'hydrogène est conditionnée à l'autorisation préalable de la Commission européenne, encore attendue. Je le déplore car ce dispositif a été voté par notre commission, dans la loi « Climat-Résilience » de 2021.

Le dynamisme de ces différents dispositifs de soutien a largement contribué à l'atteinte des objectifs législatifs adoptés par notre commission dans la loi « Énergie-Climat » de 2019. En 2023, les énergies renouvelables ont représenté 22 % de la consommation, 30 % de l'électricité, 30 % de la chaleur, 10 % des carburants et 5,5 % du gaz. C'est un bon début mais 5 à 10 points de moins que les objectifs fixés d'ici 2030. De plus l'attribution des projets d'éolien en mer représente 1,5 gigawatt (GW) en 2023, contre un objectif de 1 GW par an. C'est mieux que prévu ! En revanche, en 2023, l'hydrogène décarboné ne représente que 0,2 % de la consommation, contre un objectif de 20 à 40 % d'ici 2030, et les effacements 4 GW, contre un objectif de 6,5 GW en 2028. Il faut combler ce retard !

Si les projets énergétiques se multiplient, les reconversions territoriales se poursuivent. Les fonds de revitalisation des territoires et d'accompagnement des salariés touchés par les fermetures de centrales - en l'espèce les 4 centrales à charbon et celle nucléaire de Fessenheim - bénéficient enfin de nouveaux crédits, contre aucun en 2023 et en 2024. C'est une bonne nouvelle car ces fonds ont été créés par notre commission, dans la loi « Énergie-Climat » de 2019. Pour aller plus loin encore, je vous propose un amendement budgétaire visant à relever de 30 millions d'euros ce fonds de revitalisation des territoires, afin de revenir au niveau de 40 millions d'euros promis à sa création. Je rappelle que ces centrales ne demandaient pas à être fermées mais que le gouvernement de l'époque avait pris une décision purement politique.

Deuxième point : la rénovation énergétique.

Les crédits alloués à MaPrimeRénov' diminuent de 1 milliard d'euros, compte tenu d'un transfert du programme 174, qui porte sur l'énergie, vers le programme 135, qui concerne le logement. Cette évolution est de nature à renforcer l'efficience de la gestion de ces aides. Cependant, je forme le voeu que les objectifs de décarbonation, propres à la rénovation énergétique, ne soient pas supplantés par les considérations plus générales de la politique du logement. Par ailleurs, il faudra revaloriser ces crédits, lorsque le contexte le permettra.

Pour 2025, l'ensemble des aides à la rénovation, énergétique ou non, représente un montant de 2,3 milliards d'euros. Je rappelle que le crédit d'impôt pour la transition énergétique (CITE), qui préexistait à MaPrimeRénov', n'a jamais dépassé les 2 milliards d'euros, au plus fort de son existence...

L'atteinte des objectifs de la prime progresse : en 2023, 600 000 primes ont ainsi été engagées, contre un objectif de 700 000 logements rénovés.

Si la prime monte en puissance, sa massification peut encore progresser. D'une part, seules 20 000 primes ont été versées à des propriétaires-bailleurs et 600 à des copropriétaires, soit 4 et 0,1 % du total. D'autre part, les ménages intermédiaires et supérieurs ne représentent que 31 % et 2 % des bénéficiaires, contre 70 % pour ceux modestes. Autre point, le montant de la prime atteint 3 300 euros, contre un reste à charge de 7 600 euros.

Enfin, ses modalités d'application doivent être consolidées. Par un décret et un arrêté du 21 mars 2024, l'ancien gouvernement est revenu sur le conditionnement de la rénovation par geste à un diagnostic de performance énergétique (DPE). L'actuel Gouvernement ayant annoncé son souhait de ne plus opposer la rénovation par geste à la rénovation globale ou d'ampleur, il faut inscrire ces assouplissements dans la durée : un décret et un arrêté sont en effet nécessaires pour proroger ces assouplissements à compter de 2025. Au-delà, un chantier de simplification de l'articulation entre la prime et les certificats d'économie d'énergie (C2E) doit à mon sens être poursuivi.

Troisième point : la précarité énergétique.

Les crédits alloués au chèque énergie sont reconduits en autorisations d'engagement, avec 900 millions d'euros, mais en baisse de 23 %, s'agissant des crédits de paiement, avec 615 millions d'euros. Ce différentiel s'explique par la réforme des modalités d'attribution du chèque énergie ; selon le projet annuel de performances (PAP), elles pourraient « conduire à une réduction transitoire du nombre de bénéficiaires la première année de mise en oeuvre ». Il est nécessaire de rétablir l'éligibilité automatique au chèque énergie, et de revaloriser ces crédits, lorsque le contexte le permettra.

L'atteinte des objectifs du chèque énergie progresse : en 2023, son taux d'usage s'est établi à 84 %, contre un objectif de 88 %, le nombre de ménages l'ayant utilisé ayant atteint 4,7 millions d'euros, un niveau proche des anciens tarifs sociaux.

Si le chèque énergie monte lui aussi en puissance, sa généralisation doit progresser : en 2023, l'inflation a été prise en compte dans le barème appliqué mais les montants perçus ont été inférieurs de 15 % aux anciens tarifs sociaux.

En outre, le chèque énergie connaît des difficultés d'application. L'article 60 du PLF pour 2025 prévoit que la liste des bénéficiaires ne soit plus établie sur la base de la taxe d'habitation, qui a été supprimée le 1er janvier 2023, mais d'une déclaration préalable sur une plateforme ou par courrier. Le MNE a alerté sur les difficultés posées par un tel système. Je plaide pour abandonner cette réforme ; il ne faudrait pas, pour 2025, ajouter à l'extinction des mesures exceptionnelles de protection des consommateurs une réforme mal calibrée ou, à tout le moins, mal perçue, du chèque énergie. C'est la raison pour laquelle, je vous propose un amendement budgétaire tendant à conserver l'éligibilité automatique au chèque énergie, selon les préconisations du MNE.

Quatrième point : la mobilité propre.

Les crédits alloués à la mobilité propre représentent 970 millions d'euros, en baisse de 55 %. Il faudra revaloriser ces crédits, lorsque le contexte le permettra. Pour autant, je rappelle que l'action portant sur la mobilité propre ne dépassait pas 800 millions d'euros à sa création en 2020...

Les dispositifs de soutien sont touchés par une instabilité normative. Par deux décrets du 19 septembre 2023 et du 12 février 2024, l'ancien gouvernement a conditionné à un score environnemental le bénéfice de ces dispositifs, suspendu le dispositif de leasing social et resserré les critères et les montants de la prime à la conversion et du bonus automobile. L'actuel gouvernement n'a pas encore précisé la répartition des crédits entre ces différents dispositifs. Or, sans dispositif de soutien lisible et pérenne, les ménages les plus vulnérables, notamment ruraux, seront laissés de côté ; n'aggravons pas la fracture sociale et territoriale de la mobilité.

Cette instabilité normative nuit à l'attractivité de ces dispositifs. D'une part, leur rythme de déploiement est inférieur à la dynamique de marché : en 2023, 298 000 primes à la conversion et 72 000 bonus automobile ont ainsi été attribués, ce qui reste en deçà des 600 000 véhicules électriques en circulation. D'autre part, en moyenne, la prime affiche un montant de 24 000 euros et un reste à charge de 19 000 euros, contre 33 800 et 20 800 euros pour le bonus automobile.

Dernier point : les opérateurs de l'État.

Cette année, l'Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie (Ademe) dispose de moyens renforcés, pour poursuivre l'instruction du plan « France 2030 ». De plus, l'Agence nationale pour la gestion des déchets radioactifs (Andra) bénéficie de moyens reconduits, pour assurer ses missions d'intérêt général, comme l'inventaire des déchets radioactifs et l'assainissement des sites pollués.

En revanche, le MNE, qui résout les litiges entre les fournisseurs et les consommateurs, est confronté à 9 000 litiges annuels, ce qui ne lui permet pas toujours de respecter le délai légal de résolution de 90 jours. Il a besoin de 5 équivalents temps plein travaillés (ETPT) supplémentaires. De son côté, la Commission de régulation de l'énergie (CRE), l'autorité régulatrice du secteur de l'énergie, doit assurer des missions de surveillance et de contrôle issues de la réforme du marché de l'électricité. Elle a besoin de 12 ETPT supplémentaires. Si l'heure n'est pas à la dépense, il faudra à terme répondre à ces demandes.

Un mot pour finir sur les crédits « Énergie » issus d'autres programmes.

Tout d'abord, le plan « France 2030 » prévoit 14 milliards d'euros pour la transition énergétique, sur un montant de 34 milliards d'euros. Environ 1 milliard d'euros a été consacré à l'énergie nucléaire, 2,9 milliards d'euros aux énergies renouvelables et à l'hydrogène et 4,5 milliards d'euros à la décarbonation de l'industrie.

En matière d'énergie nucléaire, le plan soutient les petits réacteurs modulaires et les réacteurs nucléaires innovants, dont le projet Nuward du groupe EDF, ainsi que la recherche et le développement en direction du stockage et du recyclage des déchets. Le plan promeut aussi, d'une part, les technologies de rupture pour les énergies renouvelables, d'autre part, les briques technologiques, les démonstrateurs industriels et les écosystèmes territoriaux, pour l'hydrogène, et enfin les batteries électriques et les carburants durables, pour les transports.

Pour 2025, 5,8 milliards d'euros de crédits de paiement perdurent. Le Commissariat à l'énergie atomique et aux énergies alternatives (CEA) joue un rôle d'exécution de premier plan, s'agissant de l'énergie nucléaire, et l'Ademe, concernant les énergies renouvelables et l'hydrogène. L'exécution des crédits liés à la transition énergétique est réalisée à plus de 60 % ; elle est très avancée pour l'énergie nucléaire (avec 70 %), à mi-parcours pour les énergies renouvelables et l'hydrogène (avec 47 %) et largement en retard pour la décarbonation de l'industrie (avec 31 %).

Je plaide pour ne pas relâcher le soutien en direction de la filière hydrogène. Cette dernière est inquiète, dans la mesure où la nouvelle stratégie nationale n'est pas parue, le nouveau dispositif de soutien à la production d'hydrogène est attendu et l'appel d'offres sur les écosystèmes territoriaux est suspendu. Je plaide aussi pour renforcer le soutien aux petits réacteurs modulaires, puisqu'ils ont été intégrés à la relance du nucléaire par notre commission dans la loi « Nouveau Nucléaire » de 2023. Au-delà, le maintien d'une neutralité technologique dans les soutiens alloués, entre les différentes énergies décarbonées, est de mon point de vue fondamental.

En deuxième lieu, le CAS Facé est stable, avec 360 millions d'euros. Ce compte soutient les opérations des autorités organisatrices de la distribution d'énergie (AODE), c'est-à-dire des collectivités propriétaires des réseaux d'énergie. La Fédération nationale des collectivités concédantes et régies (FNCCR), qui les réunit, souhaite, d'une part, revenir sur la réforme du financement du CAS Facé que j'ai indiquée, et, d'autre part, revaloriser ce compte, dont le montant est demeuré quasi inchangé depuis sa création. Je partage ce point de vue, d'autant que les AODE ont été dotées de compétences en matière de flexibilité et d'hydrogène par notre commission dans la loi « Aper » de 2023.

En dernier lieu, le fonds chaleur représente 500 millions d'euros, en baisse de 40 %. Mis en place par l'Ademe, ce fonds aide les entreprises et les collectivités dans leurs projets de chaleur renouvelable ou de récupération. Le montant proposé ne permettrait à l'Ademe que de couvrir les projets déjà programmés, c'est-à-dire que l'année 2025 serait une année blanche. Or le coût de gestion du fonds est remarquablement maîtrisé, aux alentours de 4,7 euros par MWh. C'est pourquoi je vous propose un amendement budgétaire prévoyant de rehausser de 20 millions d'euros les crédits de paiement de l'Ademe, ce qui permettrait, selon l'agence, de faire passer la force de frappe de son fonds chaleur de 500 à 820 millions d'euros, soit le niveau de l'an passé.

Au total, l'accalmie des prix me semble autoriser un recalibrage des dépenses. Ce recalibrage permet tout de même de conserver un budget d'une dizaine de milliards d'euros en faveur de la transition énergétique, ce qui est méritoire vu la gravité du contexte budgétaire et financier que nous traversons. Sous réserve de l'adoption des amendements fiscaux et budgétaires que je vous ai présentés, je vous propose un avis favorable sur ce budget ainsi amendé.

M. Yannick Jadot. - Une partie des amendements proposés par notre collègue Daniel Gremillet va incontestablement dans le bon sens. L'argumentaire donné sur le chèque énergie me paraît essentiel, dans un contexte de débat plus général sur le pouvoir d'achat. Créer une machine dont Bercy sait pertinemment qu'elle est incompréhensible, afin de réaliser des économies, par la difficulté même de la procédure administrative, est effrayant !

En revanche, pour nous, la réduction très forte des crédits de l'automobile, avec notamment la modification du signal en direction du bonus écologique, est une mauvaise nouvelle, d'autant que le secteur automobile est en pleine crise. La nouvelle taxation de l'électricité est, de fait, pour l'instant ajournée. S'agissant du soutien à l'électrification du parc automobile, nous n'y trouvons pas notre compte. De la même manière, nous ne trouvons pas non plus notre compte concernant les crédits de la rénovation énergétique des bâtiments.

En raison de ces trop lourdes réductions, nous voterons contre les crédits de la mission mais nous soutiendrons une série d'amendements qui vont dans le bon sens.

M. Patrick Chaize. - Dans la première partie du PLF pour 2025, des amendements ont été votés sur le CAS Facé ; ils ont pour conséquence de revaloriser le montant de ce compte, à hauteur de 46 millions d'euros.

Dans cette seconde partie, serait-il donc possible de relever le montant global du CAS Facé, afin de le mettre en cohérence avec ce qui a été voté en première partie ? Le Gouvernement serait-il favorable à une telle modification ?

M. Franck Montaugé. - De manière générale, ce budget ne prend pas suffisamment en compte l'importance de l'électricité dans la transition énergétique et environnementale à laquelle nous sommes confrontés.

Le budget n'est sans doute pas le cadre approprié pour certaines réformes. Il y a des lois ordinaires qui sont nécessaires à cet égard et notre collègue Daniel Gremillet, dans la lecture de son avis, l'a évoqué. Certains sujets méritent par ailleurs d'être traités par des lois plutôt que par des actes réglementaires. Nous partageons aussi cette position.

Nous connaissons les débats qui ont eu lieu, y compris au sein du Gouvernement, sur la politique à mener sur l'accise sur l'électricité. Les orientations ne sont pas claires sur ce point, qui touche pourtant au pouvoir d'achat de nos concitoyens.

Dans ce contexte mouvant, nous nous abstiendrons à ce stade sur les crédits de la mission, tout en reconnaissant le bien-fondé de la plupart des amendements proposés par notre collègue Daniel Gremillet.

M. Daniel Gremillet, rapporteur pour avis sur les crédits « Énergie » de la mission « Écologie ». - Je suis effectivement très inquiet au sujet du chèque énergie, ce qui explique ma proposition. Je sais qu'elle interroge l'administration fiscale mais on ne peut pas se satisfaire d'une situation où tant de ménages ont besoin du chèque énergie et ne l'obtiennent pas. J'avais déjà relevé des fragilités l'an passé, s'agissant du PLF pour 2024. Aujourd'hui, les inquiétudes que j'avais fait remonter se sont hélas réalisées. Bercy n'est sans doute pas très favorable à ma proposition, mais nous avons aujourd'hui la capacité d'identifier - sans aucune difficulté - ceux qui peuvent en être bénéficiaires, puisque la taxe d'habitation ne peut plus être utilisée comme point de référence. Il faut donc trouver un moyen pour que ces ménages ne soient pas abandonnés.

Je ne vous cache pas que ce sujet me tient beaucoup à coeur et je sais que mon point de vue est très largement partagé au sein de notre commission. Il est important de dire que nous sommes aux côtés des familles ; nous ne pouvons pas nous satisfaire que, tous les ans, il y ait une dégradation du nombre des bénéficiaires en raison d'impossibilités techniques. Nous qui sommes dans la vraie vie, dans nos territoires, savons très bien que la plupart des bénéficiaires ne sont pas en capacité de procéder à une déclaration préalable.

Je vous remercie de votre soutien sur la question du CAS Facé. Je partage les propos de notre collègue Patrick Chaize. Toutefois, en tant que rapporteur et parlementaire, je ne peux pas proposer d'amendement visant à relever le montant global du compte en deuxième partie, en raison de l'application de l'article 40 de la Constitution. J'attends donc avec impatience le positionnement du Gouvernement. Ceux qui ont assisté en séance publique au débat de première partie sur ce compte ont pu constater que le sujet n'est pas simple et qu'il suscite une grande diversité d'interventions.

Enfin, je partage le propos de notre collègue Franck Montaugé. On ne peut pas se satisfaire, sur certains points aussi importants, que les règles applicables soient prévues par arrêté ou décret.

J'en viens à la présentation de mes trois amendements budgétaires.

Le premier amendement a pour objet de porter à 40 millions d'euros le fonds de revitalisation des territoires, destiné à accompagner les fermetures de centrales notamment à charbon. C'est le niveau d'engagement qui avait été promis à la création du fonds en 2020. La direction générale de l'énergie et du climat (DGEC) a reconnu, lors de son audition, que l'ensemble des besoins demandés n'étaient pas couverts par les crédits initialement proposés.

L'amendement n° II-1827 est adopté à l'unanimité.

Le deuxième amendement a pour objet de rehausser de 20 millions d'euros les crédits de paiement de l'Ademe. Cela doit permettre à cette agence de relever, par arbitrages internes, la force de frappe du fond chaleur de 500 à 820 M€, soit le niveau de l'an passé. Cette somme est nécessaire pour permettre le développement de nouveaux projets en 2025, ainsi que pour maintenir la capacité de soutien aux collectivités territoriales. Lors de son audition, l'Ademe a indiqué que le montant supplémentaire nécessaire était bien de 20 millions d'euros, et non de 10 millions d'euros, comme peuvent le proposer d'autres amendements.

L'amendement n° II-1828 est adopté à l'unanimité.

Le dernier amendement a pour objet de maintenir l'automaticité dans l'attribution du chèque énergie pour 2025, alors que l'article 60 du PLF pour 2025 prévoit que la liste des bénéficiaires ne soit plus établie sur la base de la taxe d'habitation, qui a été supprimée le 1er janvier 2023, mais d'une déclaration préalable des bénéficiaires sur une plateforme ou par courrier.

L'amendement n° II-1829 est adopté à l'unanimité.

La commission émet un avis favorable à l'adoption des crédits « Énergie » de la mission « Écologie, développement et mobilité durables ».

Proposition de loi visant à lever les contraintes à l'exercice du métier d'agriculteur - Examen du rapport et du texte de la commission

Mme Dominique Estrosi Sassone, présidente. - Nous passons à l'examen du rapport de Pierre Cuypers sur la proposition de loi visant à lever les contraintes à l'exercice du métier d'agriculteur, présentée par nos collègues Laurent Duplomb et Franck Menonville.

M. Pierre Cuypers, rapporteur. - Dans les circonstances politiques que tout le monde connaît, notre réunion de commission montre, s'il en était besoin, que le Sénat est au travail pour traiter les urgences du pays et notamment la grave crise agricole que nous connaissons depuis trop longtemps.

Notre commission entame d'ailleurs une séquence agricole, puisque le texte sur la haie sera débattu juste après celui-ci ; l'examen en commission du projet de loi d'orientation pour la souveraineté alimentaire et agricole et le renouvellement des générations en agriculture (PLOA) est prévu la semaine prochaine, sans parler des textes débattus et adoptés par nos collègues députés ces derniers jours.

Avant d'aller plus avant dans la description du texte et des conclusions de mes travaux, dans un souci de transparence et en application de l'article 91 quater de notre Règlement, je souhaite porter à la connaissance de notre commission que je suis moi-même agriculteur, notamment producteur de betteraves et donc utilisateur, jusqu'à leur interdiction, de produits phytopharmaceutiques contenant des substances actives de la famille des néonicotinoïdes.

Comme l'ont indiqué les auteurs de cette proposition de loi, Laurent Duplomb et Franck Menonville, le texte dont nous nous apprêtons à discuter n'a pas vocation à régler toutes les problématiques agricoles, mais il s'inscrit dans une indispensable complémentarité au projet de loi d'orientation agricole déposé par le précédent gouvernement, et qui fait l'impasse sur un certain nombre de mesures certes clivantes, j'en ai conscience, mais que je considère, comme plus de la moitié des sénatrices et sénateurs signataires du texte, nécessaires.

Je ne m'attarderai pas sur la situation de notre belle agriculture française, forte de son histoire, de ses traditions et de ses territoires, mais, comme chacun le sait, mise à rude épreuve depuis des années par la concurrence souvent déloyale, le poids des charges, des injonctions contradictoires ou encore des surtranspositions.

C'est donc avec la conscience aiguë que notre agriculture se trouve à la croisée des chemins que j'ai conduit mes travaux, dans le court laps de temps - quinze jours - qui a séparé les premières auditions de notre présente réunion. Dans cet intervalle, je suis tout de même parvenu à mener plus de 13 heures d'auditions, m'ayant permis d'entendre de nombreuses parties prenantes agricoles, notamment les représentants des filières, les syndicats, les associations de protection de l'environnement ou encore les administrations concernées par ce texte.

Je vais maintenant vous présenter dans les grandes lignes les six articles de ce texte et l'analyse que j'en fais au stade de la commission. Je tiens à préciser « au stade de la commission », puisqu'il est évident que nous sommes en liaison constante avec le ministère de l'agriculture, et que nos discussions n'ont pas encore abouti sur un certain nombre de points. Mais j'ai bon espoir que nous parvenions à trouver, en vue de son examen en séance publique, certaines voies d'accord pour ajuster certaines dispositions que, volontairement, nous n'avons pas voulu modifier, et ce sans dénaturer l'ambition initiale du texte.

L'article 1er vise à revenir sur trois mesures qui avaient été adoptées dans la loi du 30 octobre 2018 pour l'équilibre des relations commerciales dans le secteur agricole et alimentaire et une alimentation saine, durable et accessible à tous (Egalim), dans le but de réduire l'usage des produits phytopharmaceutiques en France. La première mesure interdisait les rabais, remises et ristournes, les « 3R », afin de ne pas inciter à leur surconsommation du fait d'opérations commerciales. La deuxième interdisait strictement le cumul des activités de conseil et de vente de ces produits pour éviter des conflits d'intérêts. Une troisième mesure rendait obligatoire d'en passer par deux « conseils stratégiques phytosanitaires » en cinq ans pour bénéficier du « certiphyto », agrément nécessaire à l'usage des produits phytopharmaceutiques.

La première mesure est peut-être la plus caricaturée. Je précise que ce n'est pas par plaisir que les agriculteurs achètent des produits phytosanitaires - et je tiens à ce terme, plutôt qu'au terme pesticide -, mais bien parce qu'ils en ont besoin. Bien sûr, chacun réagit au prix, et lorsque les prix sont plus bas, les ventes peuvent augmenter, pour refaire des stocks. Mais prétendre que les agriculteurs appliqueraient davantage ces produits, car on leur octroie une remise, serait faire insulte à leur intelligence. Chacun sait que ce ne sont pas des produits anodins pour la santé et l'environnement.

La deuxième mesure a fait l'objet de divers rapports, dont deux du député socialiste Dominique Potier, pointant son caractère contre-productif : elle a complètement asséché l'offre de conseil, les coopératives et les négociants ayant choisi la vente de produits phytosanitaires plutôt que le conseil. On sent que le Gouvernement est à la recherche de la bonne formule pour revenir sur sa réforme, tout en introduisant un garde-fou contre les conflits d'intérêts ; mais manifestement, il ne l'a pas encore trouvée. Nous serons attentifs à ses propositions d'ici à la séance, mais aussi exigeants pour ne pas remettre de frein inutile au conseil.

La troisième mesure, l'abandon du caractère obligatoire du conseil stratégique phytosanitaire, est une promesse du Gouvernement et ne pose donc pas de difficultés.

En gardant intactes les propositions initiales, la proposition que je vous ferai consiste à prévoir l'après-conseil stratégique phytosanitaire, en esquissant ce que pourrait être un conseil stratégique global, facultatif, replaçant la question de la réduction de l'usage des produits phytosanitaires dans un diagnostic d'ensemble de l'exploitation. Car il va de soi que nous ne pourrons pas nous contenter d'une suppression sèche, tant le besoin des agriculteurs en accompagnement, et en accompagnement de qualité, est important. C'est la condition pour que les agriculteurs, qui n'y seraient plus contraints, s'y engagent, mais j'y reviendrai.

L'article 2 contient trois mesures qui ne manqueront pas d'animer nos débats.

Premièrement, il prévoit que le ministre chargé de l'agriculture puisse suspendre une décision du directeur général de l'Agence nationale de sécurité sanitaire de l'alimentation, de l'environnement et du travail (Anses) après avoir effectué une balance des risques prenant notamment en compte une dimension économique. Cette mesure, qui vise à faire intervenir le politique dans la prise de décision, comme cela était le cas jusqu'en 2014, souffre toutefois d'une fragilité juridique, à savoir la référence à des intérêts économiques, exclue par le règlement européen en la matière. Je vous proposerai donc un amendement visant à sécuriser le dispositif, tout en respectant l'intention des auteurs du texte.

Je vous proposerai aussi d'inscrire dans la loi la possibilité pour l'Anses de traiter des dossiers par priorité. Je pense que cela est nécessaire au regard de la situation de plus en plus tendue de petites filières agricoles en matière de solutions disponibles pour protéger les cultures.

Deuxièmement, l'article 2 autorise, par dérogation, et sous des conditions très strictes, l'usage de drones pour la pulvérisation de produits phytopharmaceutiques. Je sais que cette question agite aussi nos collègues de l'Assemblée nationale, une proposition de loi sur ce sujet ayant été discutée avant-hier. Pour ma part, j'ai souhaité maintenir le dispositif en l'état, puisqu'il est tout à fait conforme au droit européen. Comme pour l'Anses, cette question avait déjà fait l'objet d'un vote de notre assemblée le 23 mai 2023, à l'occasion de l'examen de la proposition de loi pour un choc de compétitivité en faveur de la ferme France, présentée par les sénateurs Laurent Duplomb, Pierre Louault, Serge Mérillou et plusieurs de leurs collègues. Si l'on veut accroître la sécurité des applicateurs, tout en diminuant les quantités épandues, ce serait une erreur de nous priver des solutions technologiques, tout en gardant à l'esprit qu'il s'agit de dérogations particulièrement encadrées et non pas d'un retour de l'épandage par hélicoptère !

Troisièmement, l'article 2 abroge les dispositions issues de la loi du 8 août 2016 pour la reconquête de la biodiversité, de la nature et des paysages, dite « Biodiversité », et de la loi Egalim visant à interdire l'usage de produits phytopharmaceutiques contenant une ou des substances actives de la famille des néonicotinoïdes ou ayant des modes d'action identiques. Là aussi, j'ai souhaité à ce stade du débat laisser la disposition en l'état, en ce qu'elle revient sur une surtransposition française du droit européen. Je dois dire que j'ai été marqué par la détresse de certaines personnes auditionnées ; je pense au représentant de la filière de la noisette, qui nous a décrit par le menu l'effondrement qu'est en train de vivre sa filière sous pression de deux ravageurs pour lesquels il n'existe pas d'alternative à l'usage de l'acétamipride. Je pourrais parler de la betterave, de la cerise, et de beaucoup d'autres filières. Cette situation ne peut plus durer. S'il est évident que nous devons encourager la recherche de solutions alternatives - c'est tout l'objet du plan d'action stratégique pour l'anticipation du potentiel retrait européen des substances actives et le développement de techniques alternatives pour la protection des cultures (Parsada) -, nous avons également le devoir d'apporter des réponses à l'urgence dans laquelle se trouvent certaines filières, sauf à nous satisfaire de les voir disparaître au profit de concurrents européens ou extra-européens utilisant ces produits et donc sans gain ni pour l'environnement ni pour la santé.

J'en viens à l'article 3, qui vise à revenir sur un effet de bord récent, issu de la loi du 23 octobre 2023 relative à l'industrie verte, et sur une potentielle surtransposition ancienne de la directive 2010/75/UE relative aux émissions industrielles, appelée « directive IED », qui assujettissent l'élevage à des procédures environnementales, dans le cadre du régime français des installations classées pour la protection de l'environnement (ICPE). Les filières animales les présentent comme des freins importants à leur développement et craignent que la ferme France ne se donne plus les moyens de produire la viande que les Français consomment. Le taux de couverture de la consommation nationale par la production nationale n'est que de 58 % en poulet, et le précédent ministre, Marc Fesneau, disait que, « sauf à manger moins de volaille, il faudrait 400 poulaillers supplémentaires en France » pour atteindre un taux de couverture de 100 %.

Dans sa version initiale, l'article 3 comportait plusieurs assouplissements des procédures environnementales concernant les plus grands élevages : les obligations renforcées de motivation des avis de l'autorité environnementale ; la suppression du caractère systématique des réunions publiques d'ouverture et de clôture pour les projets de création, d'extension ou de regroupement d'élevages soumis à autorisation environnementale ; la reconnaissance des principes de spécificité et d'adaptation des procédures ICPE pour les exploitations agricoles ; la modification des seuils en dessous desquels peut s'appliquer la procédure d'enregistrement - ou d'autorisation simplifiée -, en permettant notamment de les relever de 30 000 à 40 000 volailles, de 450 à 750 truies, de 400 à 800 bovins à l'engraissement et de 150 à 400 vaches laitières.

Sur cet article, nous avons travaillé en lien étroit avec les deux ministères concernés pour harmoniser et consolider juridiquement le dispositif.

Par un amendement que je soumets à votre appréciation, il ne sera plus obligatoire de réaliser systématiquement des réunions publiques d'ouverture et de clôture en cas d'autorisation environnementale, le commissaire enquêteur pouvant les remplacer par une simple permanence en mairie. Cet amendement vaut pour tout projet, pas uniquement d'élevage, le ministère de la transition écologique voyant dans l'unicité du régime des ICPE un gage de clarté et de simplicité pour les pétitionnaires.

Un autre amendement prévoit une entrée en vigueur différée pour la « dé-surtransposition » sur les seuils, car il apparaît que, en l'état actuel de la directive IED, il ne serait finalement pas possible d'aller plus loin. Cependant, la directive a été révisée au printemps de cette année et entrera en vigueur sur ce point au plus tard dans un an et demi, quand un acte d'exécution sera pris. Je crois que nous pouvons attendre un peu pour ne prendre aucun risque juridique de nature à fragiliser le régime de l'enregistrement dans son ensemble au regard du droit de l'Union européenne.

Enfin, en lien avec le précédent, un amendement vise à mieux encadrer la possibilité pour le préfet de faire basculer au cas par cas certains projets de l'enregistrement à l'autorisation, une disposition demandée par les filières animales. La Coopération agricole nous indique que le coût d'un dossier d'autorisation pour un éleveur serait de 15 000 à 20 000 euros, tandis qu'un dossier d'enregistrement coûterait entre 5 000 et 15 000 euros.

L'article 4 du texte vise à mettre en place une procédure plus effective que la procédure actuelle de recours en cas de contestation des évaluations des pertes de récolte ou de culture, lorsque celles-ci sont fondées sur un indice. Il s'agit ici de la question de l'évaluation des pertes en prairie, qui est actuellement opérée par satellite et qui fait l'objet de nombreuses critiques de la profession agricole pour son manque de fiabilité. La proposition de loi reprend la rédaction retenue par le Sénat à l'occasion de la discussion de la loi du 2 mars 2022 d'orientation relative à une meilleure diffusion de l'assurance récolte en agriculture et portant réforme des outils de gestion des risques climatiques en agriculture, rapportée par notre collègue Laurent Duplomb et qui n'avait alors pas été retenue par la commission mixte paritaire. Je ne peux que le regretter et soutenir son rétablissement dans cette proposition de loi, car elle conduit à mettre en place un véritable recours, fondé sur l'intervention du préfet, du comité départemental d'expertise et de la chambre départementale d'agriculture.

J'ai donc souhaité, à ce stade de la discussion, ne pas modifier cet article, tout en gardant à l'esprit que cette solution ne semble pas, aux dires du ministère, avoir les faveurs des assureurs. Si je ne suis certes pas ici pour plaire aux assureurs, il convient de prendre en compte la situation décrite par le ministère de l'agriculture, et plus largement le contexte délicat dans lequel se trouve la réforme de l'assurance récolte, avec la constitution difficile du pool de co-réassurance prévu par la loi. Mon objectif étant d'améliorer cette loi et non de la fragiliser, je resterai attentif aux propositions que la ministre de l'agriculture pourra formuler en séance publique.

L'article 5 du texte traite globalement de l'eau en agriculture. Il comporte diverses dispositions visant à mieux prendre en compte les usages agricoles de la ressource, partant du principe que l'activité agricole n'est pas une activité économique comme les autres, puisqu'elle consiste à nourrir la population. Je citerai notamment l'ajustement de la hiérarchie des usages de l'eau qui vise à accorder une place plus importante à l'agriculture, mais pas, comme j'ai pu l'entendre ici ou là, à placer l'agriculture au même niveau que l'eau potable !

Figurent également au sein de cet article des dispositions visant à mieux prendre en compte les intérêts agricoles dans les schémas directeurs d'aménagement et de gestion des eaux (Sdage) ainsi que dans leurs déclinaisons locales, les schémas d'aménagement et de gestion de l'eau (Sage), ce qui paraît aller dans le bon sens au regard de l'impact de ces documents sur les politiques de gestion de l'eau.

Enfin, la disposition relative à la définition de la zone humide figure également dans cet article et fera débat. Elle vise à inscrire dans la loi le caractère cumulatif de ces deux critères : la présence d'un terrain hydromorphe et celle de végétation hydrophile. Le ministère de l'agriculture m'a indiqué travailler à une proposition d'amendement en vue de la séance publique, dont je ne connais pas le contenu à ce stade. Cette disposition, qui ne pose pas de difficulté juridique, doit demeurer en l'état.

Enfin, l'article 6 s'inspire du rapport de notre collègue Jean Bacci sur l'Office français de la biodiversité (OFB) et vise à encourager, en cas d'infraction ayant causé un faible préjudice environnemental ou de primo-infraction, une suite administrative plutôt que judiciaire. Cette mesure s'inscrit dans la dynamique d'un travail mené par notre ministre au niveau réglementaire, voire par circulaire. Il s'agit de mettre en place un contrôle administratif unique annuel des exploitations agricoles ainsi que de privilégier le dialogue et, le cas échéant, les mesures administratives, plutôt que des poursuites faisant intervenir le procureur de la République, avec des peines encourues très élevées.

Je partage cette ambition et proposerai un amendement de rédaction globale, fruit de consultations menées la semaine dernière, qui me semble de nature à accompagner et à amplifier le mouvement engagé au niveau réglementaire par le Gouvernement, dans la continuité de la volonté des auteurs du texte.

Pour terminer, je tiens à remercier les auteurs de cette proposition de loi ainsi que Vincent Louault, qui a assisté à plusieurs auditions, avec lesquels j'ai travaillé étroitement.

Concernant le périmètre de cette proposition de loi, en application du vademecum sur l'application des irrecevabilités au titre de l'article 45 de la Constitution, adopté par la Conférence des présidents, je vous propose de considérer que sont susceptibles de présenter un lien, même indirect, avec le texte déposé les dispositions relatives aux produits phytopharmaceutiques, aux conditions de vente et d'utilisation de ces produits, aux procédures d'autorisation de leur mise sur le marché ; aux activités de conseil à destination des actifs agricoles, y compris sur l'utilisation des produits phytopharmaceutiques ; aux procédures relatives aux installations classées pour la protection de l'environnement et aux autorisations environnementales ; aux procédures permettant de contester une évaluation de perte de récolte ou de culture dans le cadre de la mise en oeuvre de contrats d'assurance récolte ; aux dispositions relatives à la hiérarchie des usages de l'eau, à la gestion de l'eau et aux documents de planification de gestion de la ressource ; à la définition des zones humides ; à la composition des comités de bassin ; aux activités de police de l'environnement et aux contrôles des exploitations agricoles.

Il en est ainsi décidé.

M. Laurent Duplomb, auteur de la proposition de loi. - Il faut rappeler le point de départ de ce texte et revenir sur la chronologie de notre travail, pour éviter les critiques qui consisteraient à dire que nous nous sommes contentés d'écouter certains lobbys.

En 2018, j'ai écrit un rapport qui démontrait le déclin de la ferme France. À ce moment-là, j'évoquais les risques d'une politique conduisant à la montée en gamme de notre production : diminution de notre souveraineté alimentaire et ouverture grandissante aux importations. En 2019, j'estimais à 1,5 le nombre de jours pendant lesquels les Français ne consommaient que des produits importés. En 2024, ce chiffre s'élève à 2,15. La réalité de ce déclin s'explique à 70 % par notre manque de compétitivité.

En 2021 et 2022, pour comprendre les problèmes rencontrés par les filières et le déclin lié au manque de compétitivité, je me suis intéressé, avec les sénateurs Pierre Louault et Serge Mérillou, à cinq produits emblématiques de la consommation française : la pomme, la tomate, le poulet, le lait et le blé. Ces travaux ont démontré que les filières concernées étaient de plus en plus confrontées à des impasses techniques tendant à les empêcher de produire et, surtout, à une multitude de surtranspositions et d'injonctions contradictoires.

Notre rapport a donné lieu à la proposition de loi pour un choc de compétitivité en faveur de la ferme France, très majoritairement votée au Sénat en mai 2023.

Pendant les manifestations de 2024, les agriculteurs ont mis à l'envers les panneaux d'entrée et de sortie d'agglomération pour dire que l'on marche sur la tête. Ils ont mis au grand jour les injonctions que nous avions dénoncées, nous amenant à écrire en une nuit une proposition de loi tendant à répondre à la crise agricole, comprenant 42 mesures dont les deux tiers, selon le Premier ministre, pouvaient être reprises. Malheureusement, pas grand-chose ne s'est réalisé.

Aujourd'hui, en parallèle du projet de loi d'orientation agricole pour la souveraineté alimentaire et agricole et le renouvellement des générations en agriculture (PLOA), qui fait abstraction de certains irritants, il semblait important de déposer cette proposition de loi, cosignée par 186 sénateurs et soutenue par une grande majorité de notre assemblée, parce qu'elle est en lien avec les territoires et avec ce que disent les agriculteurs. En effet, nous avons amené la France à surtransposer des règles européennes qui contraignent notre agriculture, tout en fermant les yeux sur les produits importés et en continuant de signer des accords de libre-échange. Si nous poursuivons ainsi, nous allons droit dans le mur.

Les contraintes à l'exercice du métier d'agriculteur sont aux antipodes de celles pesant sur le reste de la population. Qui accepterait d'investir autant ? Qui accepterait de voir sa récolte disparaître du jour au lendemain ? Qui accepterait de travailler autant pour une rémunération si faible ? Malgré les valeurs de ce métier, on continue de le contraindre. Nous allons faire disparaître les agriculteurs pour ne pas consommer certaines molécules, que nous retrouverons de plus en plus dans les produits importés. Qui peut accepter cette injonction contradictoire, alors que 80 % des Français aiment leurs paysans et les territoires que ces derniers façonnent depuis des générations ?

Il faut cesser de tergiverser et de brandir des totems. Des filières disparaissent, comme celles de la noisette et du kiwi. Nous sommes à la croisée des chemins et j'en appelle à un sursaut. Les agriculteurs n'accepteront plus longtemps que nous poursuivions dans la même logique. Nous devons conserver notre alimentation historique et emblématique, ainsi que les valeurs de travail dont les agriculteurs sont porteurs, pour faire perdurer une France forte, agricole et fière de ses agriculteurs.

M. Franck Menonville, auteur de la proposition de loi. - Ce texte est particulièrement attendu dans nos territoires par nos agriculteurs. Nous avons une occasion unique de passer de la parole aux actes.

Le travail d'investigation sur l'érosion de la ferme France a commencé en 2015 avec une proposition de loi de notre ancien collègue Jean-Claude Lenoir. Malheureusement, le mouvement à l'oeuvre s'est encore accentué depuis. Il n'est d'ailleurs pas propre à l'agriculture et touche aussi les domaines de l'industrie et de l'énergie. Il s'agit de reconstruire une logique. Le plus grand mérite de ce texte est de viser à faire correspondre notre agriculture et ses contraintes aux standards des agriculteurs, en matière de produits phytosanitaires, de réglementation, de seuils et de possibilités. Il s'agit de permettre à nos agriculteurs de trouver des solutions au quotidien pour développer une agriculture durable assurant notre souveraineté alimentaire, à armes égales, au niveau intra-européen.

M. Vincent Louault. - Quand Laurent Duplomb et Franck Menonville ont déposé ce texte, j'ai compris que le moment était venu de s'emparer de la question. Cette proposition de loi n'est pas parfaite et sera améliorée, mais elle est très attendue. Elle porte sur des sujets techniques, qui méritent que l'on sorte de l'émotion et de la caricature. Il s'agit aussi de défendre l'innovation française et une certaine vision, pour ne pas être contraints par des règlements qui tuent notre recherche. Cependant, pour prendre de bonnes décisions, les hommes politiques doivent respecter le scientifique.

M. Gérard Lahellec. - Étant fils d'ouvrier agricole et venant de Bretagne, où 65 000 actifs travaillent encore dans le secteur agricole et agroalimentaire, je ne peux être insensible à l'attention ici portée à la production agricole française. Je remercie nos collègues de nous donner l'occasion de regarder ces questions sous l'angle de l'attractivité du métier d'agriculteur.

Dans mon département des Côtes-d'Armor, 48 % des agriculteurs seront en situation de départ à la retraite d'ici à 2030. Dans la filière laitière, nous enregistrons un renouvellement pour trois départs. En un an, la production a diminué de 10 millions de litres de lait. De plus, durant l'année écoulée, le cheptel breton a perdu 120 bovins par jour. La production de volaille a baissé de 10 % et celle de porcs de 8 %. Le déficit de la filière légumière est patent. Dans notre région, où l'élevage est une dominante, les terres se végétalisent, ce pour quoi elles ne sont pas faites. La question à laquelle nous devons répondre aujourd'hui est la suivante : réglera-t-on nos problèmes en intensifiant notre productivité ?

Dans ce contexte, l'addition de normes ne peut que provoquer de l'exaspération et renforcer la colère. Cependant, adoptons une approche raisonnable de la portée de notre exercice : s'attaquer aux normes ne suffira pas à résoudre nos problèmes.

Notre région accueille l'Institut national de recherche pour l'agriculture, l'alimentation et l'environnement Bretagne-Normandie. Il abrite plus de 1 000 chercheurs, parmi les plus réputés d'Europe, qui ne veulent aucun mal aux agriculteurs. Au contraire, leurs recherches sont grandement utiles pour éviter de faire de mauvais choix. Je pense notamment aux agriculteurs victimes de maladies professionnelles.

Pour renforcer l'attractivité du métier, il ne suffira pas de remettre en cause les normes. Il nous faut adopter une approche scientifique de ces questions ; les compétences sont disponibles pour nous recommander la marche à suivre.

M. Daniel Salmon. - Nous sommes dans une opposition frontale sur cette proposition de loi, qui constitue une fuite en avant et vise à perpétuer un modèle dont nous connaissons le résultat : perte colossale du nombre d'agriculteurs, siphonnage de la population du monde rural et effondrement de la biodiversité. Lever les entraves, certes, mais pour courir où ?

Le texte est contradictoire : il tend à vouloir protéger les agriculteurs de la mondialisation et de la concurrence déloyale, mais s'inscrit dans la recherche de compétitivité à tout-va qui a conduit aux résultats que je viens d'évoquer. Il faut mettre un terme à cette fuite en avant.

Vous dites que les agriculteurs n'utilisent pas de pesticides par plaisir. Il ne s'agit pas non plus pour nous d'interdire les pesticides par plaisir, mais en raison de constats objectifs et d'analyses, qui montrent bien que notre modèle n'est ni soutenable ni durable, et menace la santé humaine. Les articles de cette proposition de loi semblent aller contre la science. J'ai déposé une motion tendant à opposer une exception d'irrecevabilité, que nous étudierons en séance, puisque l'article 2 contrevient au droit de l'Union européenne.

L'article 4 est le seul qui soit entendable. Il porte sur la contestation des pertes agricoles. En revanche, nous proposerons des amendements de suppression pour chacun des cinq autres articles. Ce texte vise à prôner le facultatif en tout. Certes, les agriculteurs ne sont pas des délinquants, mais certains peuvent outrepasser la loi. Il faut des gendarmes de l'environnement, qui sont les agents de l'OFB et qui sont aujourd'hui attaqués, alors que le Sénat défend souvent l'autorité et l'ordre. À cet égard, je rappelle que seules 3 000 fermes ont été contrôlées sur l'année. Les attaques frontales contre l'Office sont contreproductives et inquiétantes.

M. Jean-Claude Tissot. - Ce texte représente un terrible retour en arrière. Alors que notre agriculture aurait besoin d'une vision de long terme pour entamer son indispensable évolution agroécologique, les auteurs font le choix du recul et du repli, en revenant sur des avancées difficilement obtenues. Votre vision des organismes du monde agricole et vos mesures ciblant l'Anses, l'OFB ou les comités de bassin sont très inquiétantes. Elles ont pour objectif de limiter l'action de ces entités, pour laisser la voie libre à la seule agriculture productiviste.

La même approche est privilégiée pour le domaine de l'eau, dans lequel de grandes notions sont développées de manière dogmatique, alors que cette ressource de plus en plus rare nécessite davantage de concertations et d'échanges permettant de réfléchir à ses usages.

Enfin, les mesures concernant les produits phytopharmaceutiques ne sont pas acceptables d'un point de vue sanitaire et environnemental. Vous ouvrez la porte à de terribles abus et empêchez toute évolution de notre agriculture. Ce sont les agriculteurs, dont j'étais, qui en paieront le prix, en matière de santé et de qualité des sols.

Pour ces raisons, nous avons déposé des amendements de suppression portant sur cinq des six articles. Seule notre position de vote sur l'article 4 reste ouverte.

Mme Anne-Catherine Loisier. - Je voudrais revenir à la loi Egalim, que j'ai présentée en 2018. Nous sortions alors des États généraux de l'alimentation et des conférences citoyennes, dont les objectifs ont été traduits dans la loi par des expérimentations. Il s'agissait d'objectifs franco-français et, dans un contexte pré-covid et pré-inflation, nous avons omis de prendre en considération ce qui se passait ailleurs et l'impact à long terme des mesures. Il faut avoir le courage d'évaluer l'impact de ces dispositions et de revenir sur certaines idées.

Quel est le constat, six ans après l'adoption de cette loi ? Les importations ont explosé et les Français consomment les substances dont on voudrait les préserver, dans les produits importés. Nous sommes seulement parvenus à détériorer la compétitivité. Les agriculteurs sont des gens responsables et utilisent avec parcimonie des substances dont ils connaissent les effets. Je rappelle ce principe : pas d'interdiction sans solution. La France n'est pas une île et nous sommes en compétition. Nous avons plus intérêt à accompagner nos agriculteurs dans l'amélioration de leurs pratiques que de les sanctionner.

M. Henri Cabanel. - On voit bien le clivage droite-gauche se dessiner sur cette question et je vais tenter de garder mon bon sens paysan, qui consiste à résoudre les problèmes de manière simple et efficace.

La souveraineté alimentaire nécessite de répondre au marché et je me demande si toutes les filières agricoles que nous défendons le font, notamment celle de la volaille.

Nous avons suffisamment de recul pour évaluer l'efficacité des mesures déjà prises. En ce qui concerne les remises, rabais et ristournes, j'irai dans le sens du rapporteur : les agriculteurs n'emploient pas ces produits phytosanitaires par plaisir. De plus, on ne peut pas nier les efforts qu'ils fournissent depuis une décennie pour utiliser moins d'intrants.

Par ailleurs, la séparation des activités de conseil et de vente des produits phytosanitaires ne fonctionne pas. Les fournisseurs de ces produits ont compris la volonté des politiques en matière de baisse des intrants. Ils ont intégré dans leur activité des conseils particuliers aux agriculteurs pour les accompagner, ce qui a été assez efficace.

J'en viens aux seuils pour les procédures environnementales sur les poulaillers. Nous sommes tous opposés à la surtransposition. Mais alors qu'un poulet sur deux est importé, si nous ne produisons pas de poulets d'entrée de gamme, nous laisserons le marché à d'autres. Il s'agit d'une question stratégique et il semble possible de répondre aux normes environnementales, tout en relevant les seuils.

Il faut trouver les moyens de faire des retenues d'eau. Cependant, il faudra de la réciprocité et une reconstitution des sols en carbone, qui permettra à l'irrigation d'être efficace. Sur du sable et dans des zones quasi désertiques, cela ne fonctionnera pas.

Toutefois, certaines décisions franchissent la ligne rouge, notamment au travers de l'article consistant à donner au ministre de l'agriculture le dernier mot, par rapport à l'Anses. Il s'agit d'opposer une volonté politique à une volonté scientifique, ce qui va trop loin.

En ce qui concerne les néonicotinoïdes, je préférerais prévoir des dérogations, notamment pour des filières telles que celle de la noisette, plutôt que d'ouvrir les vannes.

Je ne suis pas contre cette proposition de loi, mais ne suis pas tout à fait pour toutes les mesures prévues.

M. Yannick Jadot. - Nous avons besoin de ce débat ; la question démocratique constitue un enjeu essentiel de la souveraineté alimentaire.

Dans les années 1990, je travaillais avec le ministère de l'agriculture au moment de la création de l'Organisation mondiale du commerce (OMC). La France avait créé un groupe international sur la multifonctionnalité de l'agriculture, parce que celle-ci recouvre des enjeux en termes de production, mais aussi d'aménagement des territoires, de sécurité alimentaire, d'entretien des paysages ou de protection de l'environnement. Il s'agissait de défendre cette idée dans la négociation internationale et de préserver un modèle agricole, de le protéger d'agricultures qui ne respectaient rien. Ensuite, le ministère a continué de se positionner en faveur de la multifonctionnalité sur la scène internationale, mais a souhaité mettre en place des restitutions aux exportations. Il s'agissait donc de refuser les importations, mais de subventionner les exportations ; le positionnement de la France sur la multifonctionnalité s'est alors effondré. Il nous faut résoudre cette contradiction.

À l'époque, je me suis battu pour garder les quotas laitiers et le protocole « sucre » quand certains pensaient qu'il fallait les supprimer pour gagner de la compétitivité internationale. Peut-on vraiment gagner en la matière sur le sucre face aux Brésiliens ? Je ne le crois pas. Notre compétitivité se joue sur la valeur ajoutée. Les coûts du travail en Europe seront toujours plus élevés qu'au Brésil, ce qui est du reste une bonne nouvelle.

Notre débat doit reposer sur des réalités. J'entends le débat sur la surtransposition mais, au sein de l'UE, nous ne sommes pas parmi les pays qui autorisent le moins de molécules, nous sommes dans la moyenne haute.

Il nous faut répondre à la question du revenu autrement qu'en faisant de la biodiversité, de la science et de la santé des variables d'ajustement. Nous, écologistes, devons mieux intégrer les difficultés de la transition. Le problème fondamental reste le revenu : des petits paysans ne touchent que 600 ou 700 euros par mois. Pourquoi tant de camions continuent de venir de plateformes à l'étranger et contournent la loi Egalim ? Pourquoi laisse-t-on autant l'agroalimentaire et l'agro-industrie imposer leurs prix ?

L'expérience conduite à Chizé a réuni 150 agriculteurs, qui ont réduit leur usage de pesticides de 50 % ; ils ont gagné en moyenne 20 000 euros de revenu parce qu'ils n'ont pas perdu en rendement et ont économisé sur les intrants. Nous devrions pouvoir en débattre sereinement pour avancer.

M. Pierre Médevielle. - Les discussions récentes sur le Mercosur ont montré les limites de la surtransposition française. Nous devons nous aligner le plus rapidement possible sur la législation européenne et les discussions en seront facilitées.

En ce qui concerne la santé, un sujet qui m'intéresse particulièrement, nous avons dérapé et fait la part trop belle aux marchands de peur. Certes, il y a eu des scandales sanitaires, mais nous avançons dans le bon sens. L'Anses, qui est parfois décriée, a mis en place un système calqué sur la pharmacologie humaine, qui prévoit des alertes et fonctionne bien. Il faut continuer d'avancer ainsi.

Les produits phytosanitaires ont mauvaise réputation, mais c'est la question du dosage qui pose problème. Le retour à une agriculture d'antan ne peut pas fonctionner ; c'est de l'idéologie pure.

M. Frédéric Buval. - J'ai entendu dire que la France n'était pas une île, mais la Martinique, qui subit depuis longtemps le scandale de la chlordécone, est bien une île, et c'est la France. Ce produit, déjà interdit aux États-Unis depuis vingt ans, a été utilisé pour lutter contre le charançon du bananier parce que des dérogations ont été accordées par plusieurs gouvernements successifs.

Les études médicales ont montré que l'explosion du nombre de cancers de la prostate à la Martinique est due à l'utilisation du produit. De plus, le traitement des bananeraies par voie aérienne a entraîné une exposition massive de la population, d'autant que les alizés balaient sans cesse. Toute la Martinique est affectée. Quand la chlordécone est utilisée, elle reste dans le sol pendant des siècles. Des bébés naissent malformés à cause de ce produit. Je m'abstiendrai ou voterai contre cette proposition de loi.

Mme Marie-Lise Housseau. - Globalement, j'adhère au texte, qui apporte des réponses attendues, notamment en ce qui concerne l'autorisation de certains produits actuellement autorisés en Europe.

Pour le stockage de l'eau, le texte précise qu'il doit concerner des projets présentant un intérêt général majeur. Il faut répondre aux attentes en la matière, à moins de condamner une partie de l'agriculture, notamment dans le Sud-Ouest. Je suis sénatrice du Tarn, département dans lequel j'ai dirigé la chambre d'agriculture.

En ce qui concerne les relations avec l'administration, les agriculteurs sont tétanisés par les contrôles, même si on peut trouver que ces derniers ne sont pas assez nombreux. Certains agents de l'OFB se comportent comme des « cowboys » et versent dans l'abus de pouvoir.

Je suis plus réticente sur l'article 1er et sur le fait de revenir sur la séparation du conseil et de la vente, pour redonner aux techniciens des coopératives agricoles la possibilité de se charger du conseil. Il faut continuer d'offrir aux agriculteurs un conseil indépendant. Il serait aussi dommage que le conseil ne soit plus obligatoire.

M. Franck Montaugé. - On peut être d'accord sur les constats sans approuver intégralement les solutions proposées. Il me semble que le sujet fondamental est d'inscrire l'agriculture française dans le cadre de la transition écologique et énergétique, ce qui vaut du reste pour tous les domaines de la vie économique et sociale du pays.

En 2014, à l'occasion de la discussion sur la loi d'avenir agricole engageant notre agriculture dans le développement durable, la notion de « triple performance » - économique, sociale et environnementale - avait été conceptualisée. Poursuivre dans cette direction correspond au sens de l'histoire. Toutefois, il faut le faire en tenant compte des difficultés rencontrées par de nombreux agriculteurs.

Les questions fondamentales sont celles du revenu, d'une part, et du soutien et de l'accompagnement à la production dans le cadre de stratégies de filières actualisées et adaptées, d'autre part. Je pense notamment à la filière du vin, engagée dans une réflexion pour reconsidérer la manière dont elle travaille afin de répondre au marché.

Le projet de loi d'orientation agricole que nous devons examiner ne contient aucune orientation. Il nous faut approfondir celle que nous avons dessinée en 2014, en étant pragmatiques. Tant que nous ne trouverons pas de mécanismes adaptés pour soutenir les revenus et accompagner les agriculteurs de certaines filières, nous ne résoudrons pas nos problèmes.

M. Daniel Gremillet. - Ce texte nous permet d'avoir un débat. La réalité nous rattrape, comme elle l'a fait sur la loi Egalim, et il nous faut prendre conscience du fait que nous perdons lentement pied.

L'agriculture travaille en vue de répondre à une attente sociétale de marché. Nos concitoyens, au travers de leurs achats, donnent parfois tort au législateur, puisqu'une partie de ceux-ci ne correspondent plus au modèle dans le cadre duquel nous produisons.

Nous avons évoqué la ligne politique et la ligne scientifique ; chacun doit rester sur la sienne. Inspirons-nous de ce qui se pratique en médecine : on n'arrête pas d'utiliser un médicament qui sauve des vies parce qu'il a des effets secondaires. Il s'agit d'un équilibre. Si nous ne prenons pas les bonnes décisions, des pans entiers de l'histoire paysanne et de nos territoires vont disparaître.

Mme Micheline Jacques. - Il faut faire confiance aux agriculteurs. Nous édictons des règles sans donner de marge de manoeuvre à ceux qui sont sur le terrain, en infantilisant nos concitoyens.

Savez-vous que la banane du Costa Rica, vendue sous le label agriculture biologique dans tous les supermarchés hexagonaux, est bien plus toxique que la banane produite dans les territoires ultramarins et ne disposant pas de ce label ? Je vous invite à regarder comment le Costa Rica utilise la chlordécone. Nous sommes en train d'asphyxier notre agriculture, alors que nous ouvrons nos portes à une agriculture qui n'est pas vertueuse.

M. Pierre Cuypers, rapporteur. - Il ne doit pas y avoir de clivage droite-gauche sur le sujet de l'avenir de notre agriculture, de notre alimentation et de notre indépendance. Tout le monde utilise le mot « souveraineté », mais il faut déjà s'inquiéter de l'autonomie nécessaire à notre survie.

Tout le monde est d'accord sur la compétitivité : un agriculteur ne peut produire que s'il a de quoi nourrir sa famille et se développer.

L'agriculture est une chance pour notre pays et pour l'Europe. La seule politique intégrée au niveau européen, ou presque, porte sur ce domaine. Il y a plus de quinze ans, le secteur agricole rapportait plus de 11 milliards d'euros dans la balance commerciale. Aujourd'hui, sans les vins et spiritueux, la balance est négative, ce qui signifie que nous ne représentons plus rien. Nous avons besoin de produire pour exporter, mais aussi pour être moins dépendants et vulnérables par rapport au reste du monde.

Il n'y a pas de « petits paysans » ni de « petites exploitations », mais une agriculture diverse et variée.

Enfin, je souhaiterais que nous puissions évacuer le mot « pesticide » de notre vocabulaire. En effet, ce terme n'existe pas en droit communautaire, hormis en anglais. Nous utilisons des « produits phytopharmaceutiques », consacrés à l'entretien, au développement et à la santé des plantes.

EXAMEN DES ARTICLES

Article 1er 

Les amendements identiques de suppression COM-2 et COM-7 ne sont pas adoptés.

Les amendements rédactionnels COM-28 et COM-29 sont adoptés.

M. Pierre Cuypers, rapporteur. - Il faut accepter de revenir sur des réformes quand elles n'ont pas produit les effets escomptés. Cependant, on ne saurait se contenter d'une suppression sèche de la séparation entre vente et conseil. L'amendement COM-27 vise à esquisser les contours d'un « conseil stratégique global », qui serait facultatif.

L'amendement COM-27 est adopté.

L'article 1er est adopté dans la rédaction issue des travaux de la commission.

Article 2

Les amendements identiques de suppression COM-3 et COM-8 ne sont pas adoptés.

M. Pierre Cuypers, rapporteur. - Les amendements identiques COM-33 et COM-24 rectifié visent à sécuriser juridiquement les dispositions de l'article 2 relatives aux pouvoirs du ministre chargé de l'agriculture en ce qui concerne l'Anses.

Les amendements identiques COM-33 et COM-24 rectifié sont adoptés. En conséquence, l'amendement COM-13 rectifié devient sans objet.

M. Vincent Louault. - L'amendement COM-14 rectifié vise à permettre au ministre de l'agriculture de saisir le comité de suivi des autorisations de mise sur le marché (AMM), pour demander un rapport afin de mieux évaluer les risques sanitaires et environnementaux, par rapport aux risques de distorsion de concurrence.

M. Pierre Cuypers, rapporteur. - Le comité de suivi n'a ni la capacité, ni les moyens, ni l'expertise de produire des rapports complets et détaillés. Ce n'est pas sa vocation. Avis défavorable.

L'amendement COM-14 rectifié est retiré.

M. Vincent Louault. - L'amendement COM-18 rectifié vise à créer une possibilité pour le comité d'évaluation des AMM, dans lequel la profession des agriculteurs est bien représentée, de saisir le directeur général de l'Anses.

M. Pierre Cuypers, rapporteur. - Le rôle du comité d'évaluation des AMM est de rendre des avis sur les conditions de mise en oeuvre des AMM, pas d'en solliciter. De plus, un autre amendement de Vincent Louault prévoit une évolution intéressante du comité. Avis défavorable.

L'amendement COM-18 rectifié est retiré.

M. Vincent Louault. - Je retire l'amendement d'appel COM-19 rectifié, qui vise à interdire à l'Anses de surtransposer des décisions européennes.

L'amendement COM-19 rectifié est retiré.

M. Vincent Louault. - L'amendement COM-20 rectifié tend à préciser la nécessité pour l'Anses d'encourager l'innovation et la création de solutions alternatives, notamment par l'émergence de technologies nouvelles qui pourront contribuer à l'adaptation au changement climatique. Il serait souhaitable que l'Anses se saisisse des questions de biocontrôle.

M. Pierre Cuypers, rapporteur. - Ce n'est pas le rôle de l'Anses, mais des instituts comme l'Institut national de recherche pour l'agriculture, l'alimentation et l'environnement (Inrae), ou encore les instituts techniques agricoles. Avis défavorable.

L'amendement COM-20 rectifié est adopté.

M. Vincent Louault. - L'amendement COM-21 rectifié vise à transférer à l'Anses la compétence en matière d'AMM et d'expérimentations relatives aux macro-organismes non indigènes, sur la base d'une analyse du risque incluant l'impact sur la biodiversité que cet organisme peut avoir. L'utilisation de biocontrôle à base d'insectes entraîne une suspicion d'atteinte à la biodiversité. Or, la technique des insectes stériles est prometteuse. De nombreuses solutions de ce type vont émerger ; il faudra pouvoir statuer.

M. Pierre Cuypers, rapporteur. - L'utilisation d'insectes stériles semble constituer une voie d'avenir pour lutter contre certains nuisibles. Je pense notamment à la lutte contre la drosophila suzukii. Un programme financé par le Parsada est d'ailleurs en cours de création.

Je suis donc sensible à cet amendement, que je vous invite à retirer et à redéposer en vue de la séance publique. En effet, il faudrait que nous ayons le temps d'échanger avec le ministère sur la question.

L'amendement COM-21 rectifié est retiré.

M. Vincent Louault. - L'amendement COM-25 rectifié prévoit que le comité de suivi des AMM puisse s'autosaisir.

M. Pierre Cuypers, rapporteur. - Avis favorable.

L'amendement COM-25 rectifié est adopté.

L'article 2 est adopté dans la rédaction issue des travaux de la commission.

Article 3

Les amendements identiques de suppression COM-4 et COM-9 ne sont pas adoptés.

L'amendement COM-30 est adopté. En conséquence, l'amendement COM-22 rectifié devient sans objet.

M. Pierre Cuypers, rapporteur. - L'amendement COM-32 vise à acter le relèvement possible des seuils de la procédure d'enregistrement, en cohérence avec la révision de la directive IED. L'objectif est de faciliter la création, l'extension ou le regroupement des élevages.

L'amendement COM-32 est adopté.

M. Pierre Cuypers, rapporteur. - La possibilité pour le préfet de procéder, au cas par cas, au basculement des projets de la procédure d'enregistrement vers la procédure d'autorisation correspond à une exigence de la directive 2011/92/UE concernant l'évaluation des incidences de certains projets publics et privés sur l'environnement, dite « directive EIE ».

L'amendement COM-31 vise à encadrer les motifs à partir desquels le préfet peut procéder à ce basculement, sans revenir sur le principe même de cette possibilité. En effet, l'autorisation est plus contraignante et par conséquent plus coûteuse, car elle est spécifique à l'exploitation et induit nécessairement une enquête publique allant de pair, depuis la loi relative à l'industrie verte, avec la tenue de deux réunions publiques obligatoires.

L'amendement COM-31 est adopté.

L'article 3 est adopté dans la rédaction issue des travaux de la commission.

Article 4

L'amendement COM-36 est retiré.

M. Pierre Cuypers, rapporteur. - Il faudra discuter du problème de l'assurance en séance.

L'article 4 est adopté sans modification.

Article 5

Les amendements identiques de suppression COM-5 et COM-10 ne sont pas adoptés.

M. Vincent Louault. - L'amendement COM-12 rectifié vise à conférer un caractère cumulatif aux critères relatifs à la définition d'une zone humide. La définition des zones humides rendait cumulatifs les deux critères - pédologique et botanique. Par effet rebond, toutes nos collectivités ayant développé des zones industrielles ont été touchées en raison des obligations de compensation écologique et ont perdu 20 %, 30 % ou 40 % de la surface des zones industrielles créées.

M. Pierre Cuypers, rapporteur. - Avis favorable.

L'amendement COM-12 rectifié est adopté. En conséquence, l'amendement COM-23 rectifié devient sans objet.

M. Pierre Cuypers, rapporteur. - L'amendement COM-34 tend à rationaliser la rédaction initiale en insérant, au sein du code de l'environnement, un nouvel article disposant que les projets destinés au stockage et au prélèvement de l'eau sont d'intérêt général majeur. Il s'agit également de sécuriser davantage le dispositif, en faisant explicitement référence à la directive 2000/60/CE établissant un cadre pour une politique communautaire dans le domaine de l'eau, qu'il convient de respecter.

L'amendement COM-34 est adopté.

M. Pierre Cuypers, rapporteur. - Je demande le retrait de l'amendement COM-15 rectifié, qui renvoie à des interprétations locales des critères relatifs à la définition des cours d'eau.

M. Vincent Louault. - Il y a deux irritants pour les agriculteurs : les zones humides et les cours d'eau. Nous avons besoin d'une définition robuste et fiable.

L'amendement COM-15 rectifié est retiré, de même que l'amendement COM-16 rectifié.

M. Vincent Louault. - L'amendement COM-17 rectifié vise à supprimer l'obligation de transmission des procès-verbaux dressés relatifs aux atteintes à l'environnement aux fédérations départementales concernées, de la pêche ou de la chasse.

Les fédérations transmettent ces procès-verbaux à de nombreuses associations, qui se portent parties civiles et cherchent à négocier avec le procureur. L'agriculteur préfère souvent payer que d'aller au tribunal. Il faut mettre fin à ce système.

M. Pierre Cuypers, rapporteur. - Avis défavorable. Je note que la Fédération nationale des chasseurs est opposée à ce changement.

M. Laurent Duplomb. - Il faudra redéposer cet amendement en séance. Ce phénomène pourrait devenir de plus en plus pénalisant pour l'agriculture.

M. Pierre Cuypers, rapporteur. - La mesure est un peu radicale ; on peut la retravailler.

M. Vincent Louault. - La mesure est un peu radicale parce que les choses sont ainsi écrites dans le texte ; il faut du pragmatisme !

L'amendement COM-17 rectifié est retiré.

L'article 5 est adopté dans la rédaction issue des travaux de la commission.

Article 6

Les amendements identiques de suppression COM-6 et COM-11 ne sont pas adoptés.

M. Pierre Cuypers, rapporteur. - Après avoir échangé avec l'OFB et ses tutelles, j'en suis venu à la conclusion qu'il pourrait être opportun d'inscrire dans la loi le principe du contrôle administratif annuel unique des exploitations agricoles, dans le cadre de la mission interservices agricole, récemment instituée par une circulaire de novembre 2024.

En outre, l'amendement COM-35 vise à préciser, conformément à l'intention initiale des auteurs, que la mission a également pour finalité de privilégier la remise en état aux autres sanctions.

Le sous-amendement COM-26 est adopté.

L'amendement COM-35, ainsi sous-amendé, est adopté.

L'article 6 est adopté dans la rédaction issue des travaux de la commission.

La proposition de loi est adoptée dans la rédaction issue des travaux de la commission.

Les sorts de la commission sont repris dans le tableau ci-dessous :

Article 1er

Auteur

N° 

Objet

Sort de l'amendement

M. TISSOT

2

Suppression de l'article

Rejeté

M. SALMON

7

Suppression de l'article

Rejeté

M. CUYPERS, rapporteur

28

Amendement rédactionnel

Adopté

M. CUYPERS, rapporteur

29

Amendement rédactionnel

Adopté

M. CUYPERS, rapporteur

27

Création d'un conseil stratégique global facultatif, dont le conseil stratégique phytosanitaire serait une déclinaison, facultative aussi

Adopté

Article 2

M. TISSOT

3

Suppression de l'article

Rejeté

M. SALMON

8

Suppression de l'article

Rejeté

M. CUYPERS, rapporteur

33

Pouvoir d'évocation du ministre chargé de l'agriculture en matière d'autorisation de mise sur le marché de produits phytopharmaceutiques

Adopté

M. Vincent LOUAULT

24 rect.

Pouvoir d'évocation du ministre chargé de l'agriculture en matière d'autorisation de mise sur le marché de produits phytopharmaceutiques

Adopté

M. Vincent LOUAULT

13 rect.

Signature conjointe des ministres chargés de l'agriculture et de l'environnement préalablement à des avis portant sur une demande de réévaluation européenne d'une molécule

Satisfait ou sans objet

M. Vincent LOUAULT

14 rect.

Mécanisme de saisine du comité de suivi des autorisations de mise sur le marché en cas de décision de l'Anses présentant un risque avéré de distorsion de concurrence

Retiré

M. Vincent LOUAULT

18 rect.

Possibilité pour le comité de suivi des AMM de saisir le directeur général de l'Anses

Retiré

M. Vincent LOUAULT

19 rect.

Interdiction faite à l'Anses de surtransposer des décisions européennes

Retiré

M. Vincent LOUAULT

20 rect.

Ajout d'une mission à l'Anses relative à l'innovation

Adopté

M. Vincent LOUAULT

21 rect.

Transfert à l'Anses de la compétence relative à la délivrance d'AMM et d'autorisations d'expérimentations en matière de macro-organisme non indigène utile aux végétaux

Retiré

M. Vincent LOUAULT

25 rect.

Capacité d'autosaisine du comité de suivi des AMM

Adopté

Article 3

M. TISSOT

4

Suppression de l'article

Rejeté

M. SALMON

9

Suppression de l'article

Rejeté

M. CUYPERS, rapporteur

30

Possibilité de transformer les réunions publiques en une simple permanence en mairie pour tout projet soumis à autorisation environnementale

Adopté

M. Vincent LOUAULT

22 rect.

Remplacement de la consultation du public par une simple information de ce dernier pour les projets qualifiés d'intérêt général (PIG) et opérations d'intérêt national (OIN)

Satisfait ou sans objet

M. CUYPERS, rapporteur

32

Report du relèvement des seuils d'animaux à l'entrée en vigueur de la révision de la directive IED

Adopté

M. CUYPERS, rapporteur

31

Encadrement de la possibilité pour le préfet de basculer des projets de l'enregistrement à l'autorisation dans le cadre des ICPE

Adopté

Article 4

M. GREMILLET

36

Automaticité de l'enquête de terrain

Retiré

Article 5

M. TISSOT

5

Suppression de l'article

Rejeté

M. SALMON

10

Suppression de l'article

Rejeté

M. Vincent LOUAULT

12 rect.

Caractère cumulatif des critères relatifs à la définition d'une zone humide

Adopté

M. Vincent LOUAULT

23 rect.

Caractère cumulatif des critères relatifs à la définition d'une zone humide

Satisfait ou sans objet

M. CUYPERS, rapporteur

34

Intérêt général majeur des ouvrages de prélèvement et de stockage d'eau aux fins agricoles

Adopté

M. Vincent LOUAULT

15 rect.

Critères permettant la caractérisation d'un cours d'eau

Retiré

M. Vincent LOUAULT

16 rect.

Caractère cumulatif des critères permettant la caractérisation d'un cours d'eau

Retiré

M. Vincent LOUAULT

17 rect.

Suppression de la transmission aux fédérations départementales de pêche et de chasse des procès-verbaux dressés dans leur domaine de compétence

Retiré

Article 6

M. TISSOT

6

Suppression de l'article

Rejeté

M. SALMON

11

Suppression de l'article

Rejeté

M. CUYPERS, rapporteur

35

Création d'une mission interservices agricole

Adopté

M. DUPLOMB

26

Transmission du procès-verbal des inspecteurs de l'environnement à leur autorité hiérarchique

Adopté

Proposition de loi en faveur de la préservation et de la reconquête de la haie - Examen du rapport et du texte de la commission

M. Bernard Buis, rapporteur. - Pour commencer ma présentation sur cette proposition de loi, présentée par Daniel Salmon, en faveur de la préservation et de la reconquête de la haie, j'aurais pu évoquer cette photographie qui trône dans la salle de notre commission, sur laquelle la haie brille plus par son absence que par sa présence, à la différence des éoliennes qui ont poussé au milieu des champs de colza.

Je citerai plutôt le géographe Louis Poirier, lequel n'est autre que le véritable nom de l'écrivain Julien Gracq qui, dans les années 1930, prédisait : « Le bocage nous apparaît comme une forme autrefois rationnelle d'exploitation de la terre [...]. On peut le définir comme une forme de vie économique aujourd'hui fossile. [...] Le bocage est une forme économique qui mourra d'une transformation sociale. »

Les années d'après-guerre lui ont donné raison. Considérée comme un « obstacle à l'utilisation rationnelle du sol » dans un décret de 1955, la haie a fait les frais du remembrement. Le ministre Edgard Pisani a regretté les conséquences du remembrement sur le paysage, tout en reconnaissant sa légitimité pour la productivité et l'amélioration des conditions de travail agricole.

Il faut cependant se garder d'une histoire linéaire de la haie, pour au moins deux raisons : d'une part, la haie était une « culture » économique, visant à produire des fagots pour le chauffage et de la litière - loin des idéalisations nostalgiques du bocage ; d'autre part, les chiffres montrent une accélération récente de la perte de haies, passant de 10 500 kilomètres par an entre 2006 et 2014 à 23 600 kilomètres par an entre 2017 et 2021, sur environ 1,55 million de kilomètres sur pied - des chiffres qui, comme notre collègue Laurent Duplomb ne manque pas de le souligner, gagneraient à être fiabilisés par l'observatoire de la haie, un réseau entre les deux ministères compétents, l'Institut national de l'information géographique et forestière (IGN), l'Office français de la biodiversité (OFB) et l'Institut national de recherche pour l'agriculture, l'alimentation et l'environnement (Inrae), chargé d'élaborer un référentiel cartographique pour connaître et suivre la progression des haies, et qui a d'ores et déjà été lancé dans le cadre du pacte en faveur de la haie.

Les politiques publiques ont changé du tout au tout : il y a quatre-vingts ans, l'État finançait la destruction de haies ; désormais, il finance leur plantation et parfois leur entretien.

Faut-il voir là une incohérence temporelle de la puissance publique ? Je ne le crois pas : c'est un mouvement dialectique. « Les haies ont été plantées pour des raisons économiques, avant d'être détruites pour de nouvelles raisons économiques », et elles sont replantées aujourd'hui pour des raisons écologiques. De ce point de vue, les haies sont un outil « tout en un » : effet brise-vent, régulation thermique, stockage de carbone, auxiliaires de culture, rétention d'eau, lutte contre l'érosion, abri et nichage pour toute la petite faune de nos campagnes.

Mais l'intuition, que je partage et qui sous-tend la proposition de loi, c'est que la reconquête des haies aura besoin de s'appuyer sur des motivations économiques plus concrètes pour les agriculteurs, au-delà de l'évitement des coûts provoqués par la dégradation de l'environnement, lesquels restent souvent diffus.

En résumé, la proposition de loi vise à mettre en place une certification publique fiable, prévue à l'article 2, afin d'établir un cadre incitatif à la gestion durable des haies, en favorisant une valorisation économique du bois des haies par les chaufferies, à l'article 3, et en rémunérant les agriculteurs pour leur gestion durable des haies via un crédit d'impôt, à l'article 4. En effet, le bonus « haies », qui serait porté de 7 euros à 20 euros par hectare en 2025, est loin d'épuiser la problématique du financement de la haie.

À cela s'ajoute la consécration législative d'une stratégie de reconquête de la haie, avec des objectifs en kilomètres de haies, et un observatoire pour suivre cette progression, prévu à l'article 1er.

Pourquoi légiférer, me direz-vous ? L'exécutif a déjà agi : le pacte en faveur de la haie, annoncé fin 2023, prévoyait 110 millions d'euros par an pour atteindre un objectif de 50 000 kilomètres de gain net du linéaire de haies. Cependant, la réduction de 73 % des crédits alloués à la haie, dès la deuxième année de ce pacte, témoigne de ce que les priorités peuvent changer. Il est donc naturel d'ancrer certaines mesures dans la loi. La haie ne remplit toutes ses fonctions qu'au bout de plusieurs années et a besoin de prévisibilité.

Nous avons mené une dizaine d'auditions en une petite semaine : l'impression que j'en ai retirée est que la proposition de loi et l'ambition qu'elle traduit étaient très bien reçues par la plupart des acteurs entendus.

Des réserves ont été exprimées sur la coordination de cette proposition de loi avec d'autres textes ou logiques : le projet de loi de finances (PLF), le pacte en faveur de la haie et l'adaptation aux réalités de terrain, trois sujets autour desquels je vais structurer mon propos.

Notre premier souci a été d'articuler l'article 4 de la proposition de loi avec le PLF en cours d'examen. Dans sa rédaction initiale, cet article prévoit d'accorder un crédit d'impôt forfaitaire de 3 500 euros par an aux agriculteurs certifiés pour la gestion durable de leurs haies.

Avec Daniel Salmon, nous proposons de supprimer cet article. Nous avons déposé un amendement au PLF prévoyant que 60 % des dépenses engagées pour la gestion durable des haies soient éligibles au crédit d'impôt, avec un plafond de 4 500 euros.

Cet amendement, cosigné par soixante-cinq collègues de tous les groupes du Sénat, a été adopté vendredi, recevant un double avis de sagesse de la commission des finances et du Gouvernement. C'est une très bonne chose et un premier pas, car je suis persuadé que c'est par des incitations et non par des sanctions que les pouvoirs publics changeront le regard des agriculteurs sur les haies, souvent perçues aujourd'hui comme des charges.

L'article 4 est la carotte financière nécessaire pour s'engager dans la gestion durable, par opposition au bâton du droit pénal environnemental.

Notre collègue Laurent Duplomb, qui était le troisième cosignataire de l'amendement au projet de loi de finances, a également été intéressé par cette démarche incitative. Le projet de loi d'orientation pour la souveraineté agricole et alimentaire et le renouvellement des générations en agriculture (PLOA) se concentre sur l'arrachage des haies, négligeant le besoin d'une mesure incitative pour leur gestion durable, sur le modèle du dispositif d'encouragement fiscal à l'investissement en forêt (Defi forêt) pour les « bons élèves », recommandée par le Conseil général de l'alimentation, de l'agriculture et des espaces ruraux (CGAAER) en 2023. Or, au-delà de l'arrachage, l'érosion du linéaire se produit plutôt par un défaut d'entretien.

Pour autant, ne nous méprenons pas : le souhait de mettre en place un tel crédit d'impôt ne signifie pas que la haie serait une charge nécessitant des subventions.

Notre intention est non pas de « convertir les derniers paysans en gardiens d'une nature transformée en paysage pour citadins », mais de les aider à trouver un intérêt dans la gestion durable des haies, qui sont aussi des actifs économiques, sources de revenus.

En effet, elles rendent des services écosystémiques. Au-delà de l'intérêt écologique, il s'agit aussi d'un gain en résilience à l'échelle de la parcelle se traduisant par un gain économique à l'échelle de l'exploitation. Les haies peuvent améliorer le rendement des cultures sur une surface allant jusqu'à vingt fois leur hauteur.

Elles sont aussi source de revenus grâce au bois-énergie issu de haies gérées durablement, qui est en lui-même une ressource valorisable. La filière bois-énergie est de plus en plus demandeuse d'un approvisionnement durable en bois bocager, répondant aux attentes de leurs clients, notamment les chaufferies publiques.

Un deuxième point d'attention au cours de mes travaux a été l'articulation entre la proposition de loi, et en particulier son article 1er, qui a été déposée en juillet 2023, et le pacte en faveur de la haie du ministère de l'agriculture, publié en octobre 2023.

Pour capitaliser sur ce qui existe déjà, nous proposons différents amendements.

Ceux-ci visent, premièrement, à faire du pacte la première déclinaison de la stratégie en la matière, en harmonisant les temporalités pour fixer les premiers objectifs en 2030 - nul besoin de tout reprendre à nouveau. La proposition de loi va toutefois plus loin que le pacte puisqu'elle fixe des objectifs allant jusqu'à 2050, soit au terme de quatre plans d'actions.

Ils tendent, deuxièmement, à renommer la stratégie en « stratégie pour la gestion durable et la reconquête de la haie » pour insister sur le caractère dynamique et quantitatif de la gestion. Cela peut paraître symbolique, mais les symboles ont leur importance : Daniel Salmon a accepté de renommer son texte en proposition de loi « en faveur de la gestion durable et de la reconquête de la haie ». Cette formule de « gestion durable » me semblait bien, en outre, souligner l'opportunité tant économique qu'écologique que recouvrent la plantation et l'entretien des haies.

Troisièmement, les amendements visent à préciser que les objectifs fixés dans la loi demeurent bien des objectifs et, partant, ne sauraient constituer des engagements sur le fondement desquels l'État pourrait faire l'objet d'une condamnation - les termes « tendre à » sont ainsi préférés au terme « atteindre ». Le salut pour les haies viendra non pas des à-coups des décisions de justice condamnant l'État pour inaction, mais bien plutôt d'une dynamique choisie par les acteurs de terrain.

Quatrièmement, ils prévoient de réviser à la baisse, de façon substantielle, les objectifs quantitatifs fixés dans la loi en termes de linéaire de haies, de haies gérées durablement - 50 000 kilomètres nets en 2030 contre le double initialement - ou de biomasse mobilisée, afin de les rendre plus crédibles et plus en phase avec le pacte.

J'en viens au troisième, et dernier, point d'attention : l'adaptation aux réalités de terrain, notamment en ce qui concerne la certification, un des points sans aucun doute les plus discutés avec l'auteur du texte.

Nous avons rapidement convergé sur la nécessité de fixer des principes de gestion durable dans la loi et de reconnaître, par arrêté conjoint des ministres compétents, une ou plusieurs certifications satisfaisant ces principes. Il aurait également été possible de laisser la concurrence jouer sans régulation publique ou, au contraire, de faire du label Haie porté par l'association Afac-Agroforesteries un label public unique, sur le modèle de l'agriculture biologique ou des différents labels de la qualité et de l'origine des produits.

Il y a, comme souvent en matière de labels, une tension entre l'ambition et la lisibilité de la certification, d'une part, et sa massification, de l'autre. Nous avons retenu une option médiane afin de laisser la possibilité à d'autres démarches d'émerger, tout en garantissant un haut niveau d'exigence par une décision conjointe des ministres.

Actuellement, il n'y a pas de doute : seul le référentiel de l'Afac-Agroforesteries est suffisamment mature et rigoureux pour remplir les critères fixés dans la loi, et il n'est pas envisageable de reconnaître publiquement une démarche qui serait moins-disante.

Nous avons aussi acté le principe d'un cahier des charges national incluant des critères adaptés aux différentes caractéristiques du sol et du climat d'une région donnée : on ne peut évidemment attendre la même approche s'agissant de haies bocagères, de haies basses en milieu méditerranéen, ou encore de haies des grandes plaines céréalières. Pour autant, il est clair que cela ne doit pas être le prétexte à un éclatement des référentiels, voire à leur assouplissement - nous y veillerions avec un soin particulier dans le suivi de l'application de la loi, si le texte était voté.

Pour finir, à l'article 3, nous précisons que les schémas régionaux biomasse devront inclure des objectifs d'approvisionnement en bois issu de haies gérées durablement. Nous reviendrons peut-être sur cet article en séance, car le Gouvernement semble réticent à l'idée de détailler dans la loi la stratégie nationale de mobilisation de la biomasse. C'est un point important : on parle là du débouché économique de la haie.

Vous l'aurez compris, le travail a été intense et constructif avec notre collègue Daniel Salmon qui a pu participer à la plupart des auditions. Nous avons convergé sur le fait que l'on replanterait des haies avec et pour l'agriculture, et non contre elle.

Au total, nous avons donc co-déposé dix-sept amendements à l'identique avec Daniel Salmon, afin de respecter le gentlemen's agreement conclu en 2009 s'agissant des propositions de loi inscrites dans le cadre d'un espace réservé d'un groupe d'opposition : la commission ne peut ainsi modifier le texte au stade de son examen en commission qu'avec l'accord du groupe l'ayant inscrit à l'ordre du jour.

Mes chers collègues, j'espère que ce rapport et ce texte recueilleront l'unanimité : c'est, me semble-t-il, à notre portée !

Il ne me reste plus qu'à vous donner lecture du périmètre de l'article 45 que je vous propose de retenir. Sont susceptibles de présenter un lien, même indirect, avec le texte déposé, les dispositions relatives : à la stratégie, à la trajectoire et aux objectifs chiffrés en matière de gestion durable de la haie, ainsi qu'au suivi de cette programmation ; à la certification de la gestion et la distribution durables de la haie, à ses modalités d'agrément par l'État, de suivi et de contrôle ; à la stratégie, à la trajectoire et aux objectifs chiffrés en matière d'approvisionnements énergétiques issus de haies gérées durablement, ainsi qu'au suivi de cette programmation ; enfin, aux mesures incitatives de nature fiscale en matière de gestion et de distribution durables de la haie.

Il en est ainsi décidé.

M. Daniel Salmon, auteur de la proposition de loi. - Je remercie le rapporteur et rappelle que, même si l'examen de cette proposition de loi - programmé le 19 décembre prochain - est compromis du fait de la perspective d'une censure du Gouvernement, cette étape de l'examen en commission enverra un signal positif aux acteurs de la filière et à l'ensemble des parties prenantes de la gestion durable de la haie.

Depuis 1950, près de 70 % du linéaire de haies ont disparu des territoires ruraux. La déprise agricole qui a été à l'oeuvre a, en effet, conduit à une augmentation de la surface de la forêt française et à la disparition, en parallèle, des haies, en raison des évolutions du monde agricole : alors qu'elles bénéficiaient du statut d'infrastructures, qu'elles étaient considérées comme un patrimoine essentiel et qu'elles occupaient une place prépondérante dans les baux ruraux jusqu'aux années 1950, elles ont ensuite été vues non plus comme une source de richesses, mais comme un élément improductif et inutile.

Depuis plusieurs années pourtant, les bénéfices des haies sont peu à peu reconsidérés dans leurs dimensions agronomique, environnementale et économique : stockage de carbone, renforcement de la biodiversité et des trames vertes, contribution à l'attractivité et à l'économie des territoires par la production de biomasse - on pense d'ailleurs au bois, mais les feuilles viennent également enrichir les sols -, modification des conditions climatiques locales, allongement du cycle de l'eau - nécessaire, comme l'ont illustré les récents aléas climatiques -, limitation de l'érosion des sols, ombre et confort apportés au bétail.

Avec le lancement du pacte en faveur de la haie en début d'année, l'ensemble des acteurs - administration et agriculteurs - se sont mobilisés dans un calendrier serré, et le développement de filières de valorisation a été lancé par appel à projets afin que la haie retrouve une place économique dans les exploitations agricoles et dans les territoires.

Cette proposition de loi se veut complémentaire du pacte en faveur de la haie ; elle doit permettre de fixer un niveau suffisant d'ambition pour être à la hauteur des enjeux cités. Elle veut non pas concurrencer le pacte, mais au contraire l'appuyer sur de nombreux points. À l'heure où le Gouvernement réduit de manière draconienne le financement du pacte, elle définit un cadre incitatif et rémunérateur, utile pour les agriculteurs, en se concentrant en priorité sur le linéaire existant, qu'il convient d'entretenir dans le cadre d'une gestion durable.

Il s'agit donc de redonner à la haie une attention suffisante pour qu'elle remplisse ses fonctions, et de prévoir les moyens financiers et techniques nécessaires pour une gestion durable. Il est primordial qu'elle devienne un atelier économique à part entière des exploitations - avec les filières de l'énergie et de la litière animale notamment - et que ses services environnementaux soient reconnus. Ce cadre économique est indispensable pour ne plus mettre la préservation des haies sous perfusion d'argent public ou uniquement sous obligation réglementaire. On le voit bien, c'est par l'incitation et la rentabilité que l'on fera évoluer la vision qu'ont les agriculteurs de la haie.

Ce cadre incitatif et rémunérateur est un point essentiel de cette proposition de loi au travers du crédit d'impôt inscrit dans le PLF, aux côtés du développement de filières bois locales, vertueuses pour l'économie du territoire et adossées à l'approvisionnement des chaufferies collectives issues des haies gérées durablement.

Le rapporteur et moi-même avons déposé en commun dix-sept amendements de compromis en vue d'atteindre des objectifs quantitatifs en termes de kilomètres de haies gérées durablement à l'horizon 2030, ainsi qu'en termes de production de biomasse : nous avons tâché de retenir les chiffrages les plus probants, sur la base d'une concertation avec les différents acteurs, cette proposition de loi n'étant en aucun cas « hors sol » et s'appuyant sur les réalités de terrain. Des compromis ont également été trouvés sur les différents labels qui doivent conditionner le crédit d'impôt.

J'espère que ce travail stimulant et constructif portera ses fruits, afin d'aller vers une reconstruction de la haie, au bénéfice de nos agriculteurs et de l'environnement de notre pays.

M. Lucien Stanzione. - Depuis 1950, nous avons perdu 70 % de nos haies, amer constat quand on connaît la richesse et les services inestimables que ces infrastructures naturelles sont capables d'offrir : elles protègent les sols, améliorent la qualité de l'eau, renforcent la biodiversité par leurs fonctions d'habitat et de corridor, tout en jouant un rôle clé pour l'aménagement du territoire et la lutte contre le changement climatique.

Sénateur d'un département à vocation agricole, je mène un travail en faveur de l'agriculture diversifiée, de la gestion durable de l'eau et de la biodiversité, et je mesure chaque jour l'importance de la préservation et de la reconquête des haies. Cette proposition de loi est essentielle en termes d'aménagement du territoire, pour l'avenir de nos paysages et pour la préservation de la biodiversité. Elle fixe des objectifs à la fois ambitieux, réalistes et surtout indispensables : 100 000 kilomètres supplémentaires de haies d'ici à 2030, un linéaire en gestion durable d'environ 1,5 million de kilomètres en 2050. Elle repose de plus sur des mesures concrètes, dont la création d'un observatoire national, un label de la gestion durable, des incitations fiscales fortes pour les agriculteurs et l'intégration des haies dans notre stratégie nationale de biomasse.

Malheureusement, face aux renoncements du Gouvernement en matière de planification écologique qui affectent les crédits consacrés à la haie dans le PLF pour 2025, nous avons une responsabilité historique : mettre fin à la disparition massive de nos haies, dont le solde annuel reste largement négatif, et engager l'indispensable reconquête des écosystèmes.

Le temps presse, mais nous avons les moyens et la volonté politique pour agir, ce texte ayant en effet largement été cosigné par les membres de notre groupe. Je tiens à souligner la grande qualité du travail effectué par notre collègue Daniel Salmon et le rapporteur Bernard Buis. L'ensemble des sénateurs du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain votera en faveur de ce texte. Un amendement en faveur des haies sera d'ailleurs peut-être défendu par notre groupe dans le cadre du PLF pour 2025, en fonction des événements parlementaires de ce mercredi 4 décembre.

M. Henri Cabanel. - Je salue le travail accompli par le rapporteur et l'auteur de la proposition de loi. Nous voterons en faveur de ce texte. Au travers de cette proposition de loi, nous reconnaîtrons les services rendus à la société par les haies, qu'il s'agisse du stockage du carbone ou de la rétention de l'eau. Représentant un département dans lequel la viticulture est prédominante, je souligne que les haies sont aussi essentielles pour les petites parcelles que pour les grandes étendues propres aux régions céréalières.

M. Vincent Louault. - Lors de mon installation, j'ai commencé par planter cinq kilomètres de haies : il y a un mois, j'ai reçu un courrier de l'un de mes propriétaires me demandant de les arracher au motif que je porterais atteinte à son bien, ce qui montre bien les contradictions qui peuvent exister.

Si j'entends les arguments qui justifient cette proposition de loi, certains aspects me semblent complexes, notamment en termes de labellisation : évitons les usines à gaz alors que nous venons de débattre d'un texte permettant d'alléger les contraintes pesant sur la profession agricole. Si 70 % des haies ont disparu depuis 1950, je tiens à souligner que le nombre d'agriculteurs a diminué dans les mêmes proportions, même si cet aspect n'a pas l'air de vous poser problème. J'ignore si les deux phénomènes sont liés...

M. Yannick Jadot. - Bien sûr qu'ils le sont !

M. Vincent Louault. - Il faut bien évidemment se préoccuper de la protection des haies, même si le chiffre de 23 000 kilomètres de haies disparaissant chaque année fait l'objet de débats. J'ai en effet un doute sur notre capacité à recenser précisément les haies, l'IGN éprouvant apparemment des difficultés dans ce domaine.

Votre initiative est louable, mais il convient d'éviter toute complexification supplémentaire.

Mme Anne-Catherine Loisier. - Prenons garde, en effet, à ne pas empiler un trop grand nombre de dispositifs. S'agissant du crédit d'impôt, faut-il comprendre que nous allons subventionner des agriculteurs qui arrachent des haies ?

M. Franck Montaugé. - Je souscris à la proposition relative à la mise en place de paiements pour services environnementaux (PSE) pour les haies au regard des services écosystémiques qu'elles rendent.

Par ailleurs, ce débat s'inscrit dans le cadre plus général de la qualité des sols, même s'il n'existe guère de consensus entre nous à ce sujet, ce que je regrette. Un texte portant sur la qualité des sols - en particulier agricoles -, récemment examiné ici, n'a hélas pas été accueilli favorablement.

M. Bernard Buis, rapporteur. - M. Louault peut être rassuré sur la complexité dans la mesure où le dispositif est entièrement facultatif. En revanche, l'intégration dans le dispositif est obligatoire pour bénéficier du crédit d'impôt : ce dernier n'est pas une subvention, mais il est lié aux travaux effectivement réalisés, à hauteur de 60 % du montant des dépenses.

Mme Anne-Catherine Loisier. - Une personne qui a précédemment arraché des haies pourrait donc en bénéficier.

M. Bernard Buis, rapporteur. - Une coupe peut être bénéfique pour une haie, puisqu'elle peut entraîner un recépage et la création de nouvelles haies, les variétés n'étant parfois plus adaptées aux besoins actuels.

M. Daniel Salmon. - Ce crédit d'impôt est orienté vers la gestion durable des haies et ne s'assimile pas à une aide à la replantation. Le coût d'entretien d'un kilomètre linéaire de haie est estimé à 450 euros par an, et pèse sur l'agriculteur. Dans la mesure où il est question d'une haie productive et d'une culture, le crédit d'impôt a vocation à valoriser cet entretien.

Par ailleurs, monsieur Louault, vous avez raison de souligner les doutes existant sur les chiffres. L'IGN travaille sur le sujet et procédera, à l'avenir, à une mise à jour des linéaires tous les trois ans, en rappelant que personne ne s'était plus occupé des haies pendant des décennies. De surcroît, la définition des haies était très floue, d'où l'intérêt de créer un observatoire dédié.

EXAMEN DES ARTICLES

Article 1er

Les amendements rédactionnels identiques COM-18 et COM-1 sont adoptés.

M. Bernard Buis, rapporteur. - Les amendements identiques COM-19 et COM-2 tendent à remplacer les mots « atteindre » par les mots « tendre vers », les objectifs de la stratégie devant être atteints parce qu'il y a une volonté politique et non sous la contrainte de décisions de justice.

Les amendements identiques COM-19 et COM-2 sont adoptés.

M. Bernard Buis, rapporteur. - Les amendements identiques COM-21 et COM-4 visent à préciser que la trajectoire d'augmentation du linéaire de haies sur le territoire métropolitain s'entend de façon nette, et non de façon brute. La nuance est de taille, car on aura beau replanter, si l'on ne tient pas compte des arrachages ou disparitions de haies, le linéaire n'augmentera pas.

Les amendements identiques COM-21 et COM-4 sont adoptés.

M. Bernard Buis, rapporteur. - Les amendements identiques COM-20 et COM-3 prévoient de modifier les objectifs quantitatifs fixés dans la loi et dans la stratégie à l'horizon 2030 et 2050, afin de les rendre plus crédibles, comme l'ont suggéré tous les acteurs entendus.

Les amendements identiques COM-20 et COM-3 sont adoptés.

M. Bernard Buis, rapporteur. - Les amendements identiques COM-25 et COM-8 tendent à porter la durée de la stratégie pour la gestion durable et la reconquête de la haie prévue à l'article 1er à six ans, contre cinq ans dans le texte de départ. Ce faisant, nous entendons mettre en cohérence la temporalité de cette stratégie avec celle du pacte en faveur de la haie.

Les amendements identiques COM-25 et COM-8 sont adoptés.

M. Bernard Buis, rapporteur. - Les amendements identiques COM-23 et COM-6 visent à préciser le périmètre au sein duquel l'objectif de gain net de linéaire de haies en kilomètres s'applique, en précisant que cela concerne également les territoires d'outre-mer. L'enjeu des haies y est important dans la mesure où peuvent s'y observer de fortes pluies provoquant l'érosion des sols, ce qui constitue une menace pour leur autonomie alimentaire,

Les amendements identiques COM-23 et COM-6 sont adoptés.

M. Bernard Buis, rapporteur. - Les amendements identiques COM-24 et COM-7 prévoient de renommer la stratégie « de reconquête de la haie » en « stratégie pour la gestion durable et la reconquête de la haie ».

Les amendements identiques COM-24 et COM-7 sont adoptés.

Les amendements rédactionnels identiques COM-26 et COM-9 sont adoptés.

M. Bernard Buis, rapporteur. - Les amendements identiques COM-22 et COM-5 visent à modifier les objectifs quantitatifs fixés dans la loi et dans la stratégie en termes de mobilisation de matière sèche issue de haies gérées durablement. Nous formulons l'hypothèse que 500 000 tonnes de matière sèche par an seraient déjà un progrès très significatif.

Les amendements identiques COM-22 et COM-5 sont adoptés.

L'article 1er est adopté dans la rédaction issue des travaux de la commission.

Article 2

M. Bernard Buis, rapporteur. - Les amendements identiques COM-28 et COM-11 visent à supprimer les diverses mentions du « label Haie » opérées directement dans la loi dans la version initiale de la proposition.

Les amendements identiques COM-28 et COM-11 sont adoptés.

M. Bernard Buis, rapporteur. - Les amendements identiques COM-33 et COM-17 tendent à clarifier les critères de gestion durable qui s'appliqueraient dans le cadre de la certification prévue au présent article.

Les amendements identiques COM-33 et COM-17 sont adoptés.

Les amendements rédactionnels identiques COM-29 et COM-12 sont adoptés.

M. Bernard Buis, rapporteur. - Je suis très attaché aux amendements identiques COM-34 et COM-16, qui visent à préciser que la ou les certifications qui seraient agréées pour la gestion durable des haies devront nécessairement inclure des critères et prescriptions territoriaux spécifiques.

Une évolution en cours du label Haie vise à intégrer cette exigence d'adaptation territoriale, mais il semble que des marges de progrès demeurent. Le but n'est pas de multiplier les méthodes d'une même certification, ce qui se traduirait par une perte de lisibilité pour l'ensemble des acteurs et par un risque de contournement : c'est pour cela qu'il reste un cahier des charges national, ce qui rassure notre collègue Daniel Salmon.

Les amendements identiques COM-34 et COM-16 sont adoptés.

M. Bernard Buis, rapporteur. - Les amendements identiques COM-27 et COM-10 sont parmi les plus structurants de cette proposition de loi. Ils définissent les conditions dans lesquelles les certifications publiques ou privées satisfaisant les conditions de gestion durable de la haie et de distribution durable de la haie prévues dans la loi peuvent être reconnues par la puissance publique.

Il est bon de laisser jouer un peu la concurrence, mais la concurrence et la régulation des labels doit les pousser vers une amélioration constante. Cela ne saurait en aucun cas être un prétexte à un affaiblissement des critères de gestion et de distribution durables.

Les amendements identiques COM-27 et COM-10 sont adoptés.

L'article 2 est adopté dans la rédaction issue des travaux de la commission.

Article 3

M. Bernard Buis, rapporteur. - Pour faire exception au consensus sur les autres points, je dois confesser que j'aurais préféré « écraser » la rédaction de l'article 3, car les ministères étaient un peu réticents à l'idée de détailler dans la loi cet aspect particulier de la stratégie nationale de mobilisation de la biomasse. Ce n'est le cas pour aucune autre source d'énergie, mais l'auteur de la proposition de loi tenait à cette mesure et n'a pas souhaité co-déposer un tel amendement.

En attendant d'y revenir peut-être, les amendements identiques COM-30 et COM-13 visent à inscrire l'objectif d'approvisionnement en bois issu de haies gérées durablement dans les schémas régionaux biomasse, à ce stade en complément de son inscription dans la stratégie nationale biomasse. Cela me semble mieux traduire l'intention initiale de l'auteur du texte, à savoir des objectifs fixés dans chaque région.

Les amendements identiques COM-30 et COM-13 sont adoptés.

L'article 3 est adopté dans la rédaction issue des travaux de la commission.

Article 4

M. Bernard Buis, rapporteur. - Un amendement transpartisan au PLF pour 2025 a été déposé et reprend, de manière consolidée, le dispositif proposé par l'article 4, d'où ces amendements identiques de suppression COM-31 et COM-14.

Les amendements identiques COM-31 et COM-14 sont adoptés.

L'article 4 est supprimé.

Article 5

L'article 5 est adopté sans modification.

Intitulé de la proposition de loi

M. Bernard Buis, rapporteur. - Les amendements identiques COM-32 et COM-15 visent à changer l'intitulé de la proposition de loi par cohérence avec les modifications apportées dans le texte et dans l'intitulé de la stratégie afin d'insister, avec la notion de « gestion durable », sur les interventions actives de l'homme et sur une approche plus qualitative et moins quantitative de la haie.

Les amendements identiques COM-32 et COM-15 sont adoptés.

L'intitulé de la proposition de loi est ainsi modifié.

La proposition de loi est adoptée dans la rédaction issue des travaux de la commission.

Les sorts de la commission sont repris dans le tableau ci-dessous :

Article 1er

Auteur

N° 

Objet

Sort de l'amendement

M. BUIS, rapporteur

18

Amendement rédactionnel

Adopté

M. SALMON

1

Amendement rédactionnel

Adopté

M. BUIS, rapporteur

19

Stratégie "haies" rendue non contraignante dans ses objectifs

Adopté

M. SALMON

2

Stratégie "haies" rendue non contraignante dans ses objectifs

Adopté

M. BUIS, rapporteur

21

Formulation de l'objectif de gain de linéaire de haie en net et non en brut

Adopté

M. SALMON

4

Formulation de l'objectif de gain de linéaire de haie en net et non en brut

Adopté

M. BUIS, rapporteur

20

Révision des objectifs quantitatifs de la stratégie à la baisse pour les rendre plus crédibles et mobilisateurs

Adopté

M. SALMON

3

Révision des objectifs quantitatifs de la stratégie à la baisse pour les rendre plus crédibles et mobilisateurs

Adopté

M. BUIS, rapporteur

25

Modification de la durée de la stratégie et de son point de départ

Adopté

M. SALMON

8

Modification de la durée de la stratégie et de son point de départ

Adopté

M. BUIS, rapporteur

23

Inclusion explicite des territoires ultramarins dans la stratégie "haies"

Adopté

M. SALMON

6

Inclusion explicite des territoires ultramarins dans la stratégie "haies"

Adopté

M. BUIS, rapporteur

24

Modification de l'intitulé de la stratégie pour y inclure la gestion durable

Adopté

M. SALMON

7

Modification de l'intitulé de la stratégie pour y inclure la gestion durable

Adopté

M. BUIS, rapporteur

26

Amendement rédactionnel

Adopté

M. SALMON

9

Amendement rédactionnel

Adopté

M. BUIS, rapporteur

22

Révision à la baisse des objectifs quantitatifs de bois issu de haies gérées durablement dans l'approvisionnement en bois énergie, pour plus de crédibilité

Adopté

M. SALMON

5

Révision à la baisse des objectifs quantitatifs de bois issu de haies gérées durablement dans l'approvisionnement en bois énergie, pour plus de crédibilité

Adopté

Article 2

M. BUIS, rapporteur

28

Suppression des mentions du "label haie" opérées directement dans la loi

Adopté

M. SALMON

11

Suppression des mentions du "label haie" opérées directement dans la loi

Adopté

M. BUIS, rapporteur

33

Amendement de clarification sur les critères de gestion durables des haies

Adopté

M. SALMON

17

Amendement de clarification sur les critères de gestion durables des haies

Adopté

M. BUIS, rapporteur

29

Rédactionnel

Adopté

M. SALMON

12

Rédactionnel

Adopté

M. BUIS, rapporteur

34

Principe d'adaptation des critères et prescriptions de gestion durable au contexte pédoclimatique dans le cahier des charges des certifications publiquement reconnues

Adopté

M. SALMON

16

Principe d'adaptation des critères et prescriptions de gestion durable au contexte pédoclimatique dans le cahier des charges des certifications publiquement reconnues

Adopté

M. BUIS, rapporteur

27

Reconnaissance au cas par cas par arrêté ministériel conjoint d'une ou plusieurs certifications répondant aux critères de gestion durable fixés dans la loi en lieu et place de la consécration d'une certification publique unique

Adopté

M. SALMON

10

Reconnaissance au cas par cas par arrêté ministériel conjoint d'une ou plusieurs certifications répondant aux critères de gestion durable fixés dans la loi en lieu et place de la consécration d'une certification publique unique

Adopté

Article 3

M. BUIS, rapporteur

30

Inscription de l'objectif d'approvisionnement en bois issu de haies gérées durablement dans les schémas régionaux biomasse

Adopté

M. SALMON

13

Inscription de l'objectif d'approvisionnement en bois issu de haies gérées durablement dans les schémas régionaux biomasse

Adopté

Article 4

M. BUIS, rapporteur

31

Suppression de l'article 4

Adopté

M. SALMON

14

Suppression de l'article 4

Adopté

M. BUIS, rapporteur

32

Modification de l'intitulé de la proposition de loi

Adopté

M. SALMON

15

Modification de l'intitulé de la proposition de loi

Adopté

La réunion est close à 12 h 20.

Jeudi 5 décembre 2024

- Présidence de Mme Dominique Estrosi Sassone, présidente de la commission des affaires économiques, de M. Jean-François Rapin, président de la commission des affaires européennes, et de M. Olivier Rietmann, président de la délégation aux entreprises -

La réunion est ouverte à 8 h 35.

Avenir du marché intérieur - Audition de M. Enrico Letta

M. Jean-François Rapin, président de la commission des affaires européennes. - Nous avons le plaisir d'accueillir ce matin M. Enrico Letta, ancien président du Conseil italien, aujourd'hui membre de la Chambre des députés d'Italie, où il siège au sein de la commission chargée des politiques de l'Union européenne. M. Letta est également le président de l'Institut Jacques Delors, think tank influent sur la scène européenne.

Monsieur Letta, vous avez remis au Conseil européen, lors de sa réunion extraordinaire des 17 et 18 avril derniers, un rapport que les chefs d'État ou de gouvernement vous avaient commandé sur l'avenir du marché intérieur. Ce rapport, dont le titre peut se traduire en français par « Bien plus qu'un marché », a vocation à inspirer la nouvelle Commission européenne, au même titre que les rapports rendus ensuite par MM. Mario Draghi et Sauli Niinistö.

Vous analysez en profondeur l'un des éléments fondateurs et centraux de la construction de l'Union européenne qui est aussi l'un de ses atouts essentiels : le marché unique. Vous relevez qu'il reste une pierre angulaire de l'intégration et des valeurs européennes, mais vous soulignez le profond changement de contexte intervenu ces dernières années. Guerre en Ukraine, avancées technologiques rapides qui sont au coeur des transitions numérique et écologique, accroissement de la compétition économique mondiale dans un monde qui se fragmente, y compris sur le plan commercial, auxquels il convient d'ajouter les défis politiques actuels eu égard à ce qui s'est produit en France hier soir : autant de ruptures qui, selon vous, nous imposent de développer un nouveau marché unique « inscrit dans le monde d'aujourd'hui », pour éviter que l'Europe ne décroche, qu'elle soit durablement dépendante d'États tiers pour ses technologies et son innovation. L'enjeu est majeur.

Pour faire face à cette situation, vous avancez des propositions fortes ! Disons-le franchement, toutes ne vont pas de soi pour les parlementaires nationaux, en tout cas pour nous, sénateurs français. D'où l'importance de l'échange que nous avons ce matin.

Je voudrais pour ma part relever quelques points, en commençant par la méthode législative.

Vous mettez en évidence la fragmentation du marché unique, qui résulte d'une réglementation excessive et du cloisonnement qui préside à la mise en oeuvre nationale et régionale de cette réglementation. Vous prônez dès lors la redécouverte, en quelque sorte, de « la méthode Delors d'harmonisation maximale couplée à la reconnaissance mutuelle, pleinement consacrée par les arrêts de la Cour européenne de justice ».

Vous marquez à ce titre clairement votre préférence pour les règlements, éléments simples, efficaces et non équivoques d'harmonisation. Vous souhaitez même encadrer les directives, lorsque celles-ci restent nécessaires, en limitant alors leur déclinaison à « deux choix clefs pour garantir leur mise en oeuvre effective ».

Je veux vous assurer que nous veillons, au Sénat français, au respect du principe de subsidiarité dont vous soulignez l'importance, mais qui n'est pas évident pour les institutions européennes. À ce titre, nous sommes réservés sur le recours systématique aux règlements, qui prive les parlements nationaux de toute marge de manoeuvre. Nous en avons eu un exemple récent avec la proposition de règlement sur les délais de paiement, en substitution d'une directive. Les transpositions nationales rendent peut-être le cadre juridique plus complexe pour les entreprises, et le cadre actuel est en l'espèce certainement perfectible. Mais il présente aussi le mérite d'être bien plus adapté aux réalités économiques des secteurs concernés que le cadre uniforme, et sans aucune exception, proposé par la Commission européenne.

Il me semble par ailleurs que cette réflexion devrait s'accompagner, d'une part, d'une analyse du rôle et de la place des parlements nationaux dans la procédure législative européenne et, d'autre part, d'une remise à l'honneur de l'accord interinstitutionnel « Mieux légiférer », les études d'impact réalisées par la Commission européenne étant trop souvent bâclées, voire, dans certains cas, inexistantes.

Vous recommandez également de privilégier systématiquement l'utilisation de la base juridique qui fonde le marché unique, notamment l'article 114 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne (TFUE).

Cette base juridique nous semble déjà largement utilisée par la Commission européenne, de manière parfois très extensive, voire trop extensive au regard d'autres articles des traités. En disant cela, je pense notamment au secteur de l'industrie de la défense et à la volonté de la Commission européenne de créer un véritable marché unique des produits et services de défense. Nous avons examiné la proposition de règlement sur le programme européen pour l'industrie de la défense (Edip) et nous avons formulé des remarques sur ce point, car nous considérons que les produits de défense ne sont pas des produits comme les autres dans la mesure où ils soulèvent des enjeux particuliers de souveraineté.

Sur l'ensemble de ces sujets d'élaboration des normes européennes, notre commission a adopté hier un rapport que j'ai présenté avec deux de mes collègues vice-présidents, et qui appelle l'Union européenne à améliorer son processus législatif pour mieux tenir compte de la diversité nationale et des réalités de terrain.

Dernier point, vous soulignez à juste titre la nécessité de stimuler l'innovation et plaidez pour une « cinquième liberté » dans le cadre du marché unique, « afin de renforcer la recherche, l'innovation et l'éducation », pour en faire des moteurs d'intégration du marché unique. Nous serions intéressés que vous précisiez votre pensée et la manière dont cette cinquième liberté pourrait être mise en oeuvre. Je souhaiterais également que vous puissiez évoquer l'enjeu de l'intégration financière au sein du marché unique et, plus largement, celui du financement de l'innovation en Europe. Alors que la Commission européenne travaille déjà à l'élaboration du prochain cadre financier pluriannuel, avez-vous des recommandations à faire en ce domaine ?

Mme Dominique Estrosi Sassone, présidente de la commission des affaires économiques. - C'est un très grand plaisir que de vous accueillir ici aujourd'hui devant nos deux commissions et la délégation aux entreprises. En tant que sénatrice des Alpes-Maritimes, je sais combien les relations franco-italiennes sont précieuses. Et en tant que présidente de la commission des affaires économiques du Sénat, je mesure combien le marché intérieur est le socle de la prospérité européenne.

Votre contribution récente sur le renforcement du marché intérieur s'inscrit dans un contexte préoccupant de décrochage de l'Europe par rapport aux économies chinoise et américaine. Le rapport de votre compatriote Mario Draghi, publié peu après le vôtre, confirme ce diagnostic. Vous pointez, notamment, la fragmentation réglementaire et fiscale du marché intérieur comme une cause structurelle de cette torpeur, par contraste avec les États-Unis, qui capitalisent sur leur capacité d'innovation et leur prise de risque.

Je souhaiterais m'arrêter sur deux de vos propositions pour remédier à cette fragmentation.

En premier lieu, vous soulignez que les Européens épargnent 33 000 milliards d'euros chaque année, mais que ces capitaux, insuffisamment mobilisés, sont investis ailleurs - notamment 300 milliards d'euros dans des entreprises américaines. Vous proposez donc la création d'une « Union de l'épargne et des investissements » pour parachever le projet ancien d'Union des marchés de capitaux.

À cet égard, que pensez-vous des initiatives nationales telles qu'en France le « livret industrie », le plan d'épargne avenir climat (Peac), on encore les projets de mobilisation des dépôts du livret A pour financer l'agriculture ou la défense ? Ces outils, bien qu'éclatés, viennent répondre à un besoin de financement bien identifié pour certains secteurs, notamment nos TPE et nos PME. Que vous inspire cette multiplication d'outils nationaux d'épargne réglementée ? Cette question du financement de notre économie peut-elle être davantage intégrée au niveau européen à brève échéance ? Plutôt que de miser, rapport après rapport, sur un essor du financement désintermédié, par le marché, sur le modèle des États-Unis, ne faudrait-il pas davantage faire avec ce que l'on a et s'appuyer sur nos banques, dont le maillage territorial est un véritable atout ?

En second lieu, vous insistez sur l'articulation entre politique de concurrence et politique industrielle, alors que, dans les télécommunications, dans l'énergie et les marchés financiers, le marché pertinent est européen et non plus national. Vous défendez les projets importants d'intérêt européen commun (Piiec), qui permettent depuis 2018 de déroger aux règles de concurrence pour investir dans des technologies stratégiques. C'est un outil que la commission des affaires économiques avait salué et appelé à mobiliser dans son rapport transpartisan de 2022, intitulé Cinq plans pour la souveraineté économique.

Cependant, vous proposez également de « taxer » les aides d'État à hauteur de 10 % pour financer des initiatives paneuropéennes, afin de limiter les distorsions de concurrence. Si cela peut se justifier au regard de l'objectif d'une souveraineté à l'échelle européenne, cette taxe ne risque-t-elle pas en pratique de freiner les soutiens nationaux à nos entreprises, déjà sous pression face à l'Inflation Reduction Act américain ou aux subventions d'État chinoises ? Alors que les règles ont été assouplies et les plafonds des aides de minimis relevés en réponse au covid-19 et à la guerre en Ukraine, il ne faudrait pas aller à l'encontre de ce retour en grâce des politiques industrielles, qui est un acquis majeur des dernières années.

Enfin, permettez-moi une question plus générale : vous rappelez que 80 % de notre législation découle désormais de décisions adoptées à Bruxelles ou à Strasbourg. C'est du reste l'un des signes que l'intégration européenne est bel et bien une réalité malgré son relatif inachèvement. Dans ce contexte, les législations nationales sont plus souvent vues à Bruxelles comme des obstacles à la libre circulation que comme des atouts, non sans susciter un mécontentement politique de plus en plus manifeste à l'encontre de l'Europe... Dès lors, quelles marges de manoeuvre nous reste-t-il, en tant que parlementaires nationaux, pour légiférer sans surtransposer et sans mettre en péril la compétitivité de nos économies ? Autrement dit - et vous me pardonnerez de reformuler ma question avec cette pointe de malice -, le véritable achèvement du marché intérieur, que vous appelez de vos voeux, pourra-t-il advenir tant que des parlements nationaux existent et continuent de légiférer ?

Votre expertise, nourrie par votre expérience politique et académique, est particulièrement précieuse pour éclairer ces enjeux.

M. Olivier Rietmann, président de la délégation aux entreprises. -Nous sommes très heureux de vous recevoir aujourd'hui au Sénat. Votre rapport et nos travaux au sein de la délégation aux entreprises convergent pour souligner l'impact de la charge réglementaire sur les entreprises. Nous connaissons bien la formule : « Les États-Unis innovent, la Chine réplique, l'Europe régule. » L'économie européenne est sous-performante, notamment en raison de sa réglementation excessive. Les régulateurs américains réagissent lorsqu'il existe des preuves de situations préjudiciables pour les entreprises, tandis que les régulateurs européens interviennent en amont des possibles difficultés, dans l'hypothèse de leur potentielle réalisation. Ce principe de précaution peut étouffer l'innovation.

Votre rapport plaide en faveur d'une simplification des réglementations existantes. Mais il faut s'attaquer à la manière d'écrire la norme. Le code européen du droit des affaires que vous proposez risque de ne pas suffire. Je parle en tant que législateur d'un pays qui possède 77 codes, mais n'en consacre pas un seul spécifiquement à l'entreprise. Je considère également que le numérique masque souvent l'abandon de la volonté de simplifier. Proposer une plateforme aux entreprises équivaut souvent à leur transférer la charge de gérer la complexité administrative.

Les conclusions du Conseil européen du 24 mai dernier évoquent un choc de simplification, que nous avons connu en 2014, mais qui n'a pas été pérennisé, la promotion du principe « Penser en priorité aux PME », des études d'impact de qualité et le retour aux « tests PME ». J'ai proposé de transposer ces deux derniers outils de décision pour le Parlement français, qui ne dispose ni d'études pour l'impact de la norme sur les entreprises ni de « tests PME » permettant de confirmer la faisabilité ou de chiffrer le coût pour cette catégorie d'entreprises, mais aussi pour les entreprises de taille intermédiaire (ETI), de normes nouvelles. Le Sénat a adopté une proposition de loi en ce sens le 26 mars, et l'a intégrée dans le projet de loi de simplification de la vie des entreprises, dont on espère vivement la reprise à l'Assemblée nationale dès que possible.

Ursula von der Leyen a suivi les recommandations du rapport Draghi en nommant un commissaire européen qui, outre l'économie et la productivité, est en charge de la mise en oeuvre et, surtout, de la simplification. Le rapport Draghi prône une simplification d'un vaste ensemble de réglementations, qu'il s'agisse du devoir de vigilance des entreprises, de la récente taxonomie verte, du reporting extrafinancier sur la durabilité environnementale des entreprises et des obligations de transparence dans la finance dite durable, ou encore de la législation européenne sur la gestion des déchets et des règlements Reach sur les produits chimiques. Ces réglementations sont nécessaires à la transition écologique, mais trop lourdes pour les entreprises. Nous avons récemment auditionné les ETI, qui ont chiffré le coût moyen de la directive sur la publication d'informations en matière de durabilité par les entreprises (CSRD) à 200 000 euros, soit un total de plus d'un milliard d'euros pour les 5 400 ETI françaises.

Quel est donc, selon vous, le point d'équilibre à trouver pour alléger cette charge et l'outil le plus efficace pour prévenir une réglementation excessive susceptible de brider la compétitivité des entreprises européennes ?

M. Enrico Letta. - Merci de cette invitation et de vos propos liminaires. Je suis très honoré de pouvoir vous présenter les idées principales de mon rapport et de préciser les points sur lesquels il a vocation à devenir non pas un simple exercice rhétorique ou de débat politique, mais quelque chose de concret lors de cette législature européenne très complexe.

Si j'étais venu ici au mois de mai dernier, tout de suite après la présentation du rapport, je vous aurais parlé de façon différente. Mais entre-temps, la Commission a pris mon rapport et celui de M. Draghi comme points centraux de son programme. Ceux-ci figurent notamment dans la feuille de mission que la présidente a adressée aux commissaires, parmi lesquels le vice-président français. En outre, à l'issue du Conseil européen du mois dernier, ces deux points ont été adoptés à l'unanimité dans la déclaration de Budapest.

Ce dont je vous parle aujourd'hui n'est pas un exercice académique, puisqu'il s'agit du futur programme de la Commission et du Conseil dans les cinq prochaines années. C'est pourquoi je tiens à être très concret et à répondre explicitement aux questions que vous avez posées.

Pourquoi ce rapport ? Sa principale raison d'être résulte de la comparaison entre le marché unique d'aujourd'hui et celui des années 1980. Tout a commencé avec Jacques Delors, président de la Commission européenne de 1985 à 1995, et la naissance, de 1985 à 1992, du marché unique dans un monde totalement différent d'aujourd'hui. À l'époque, l'importance économique de la France ou de l'Italie équivalait à celle cumulée de la Chine et de l'Inde, qui représentent aujourd'hui ensemble 25 % de l'économie mondiale - dix fois plus que la France ou l'Italie.

S'agissant de la compétitivité dans les secteurs clés du marché unique, la donne a radicalement changé durant les quarante dernières années. Désormais, nous devons être réunis pour être performants. Le meilleur exemple est celui de l'industrie aéronautique : s'il y avait 27 Airbus et non un seul, Boeing l'emporterait.

Le marché unique, comme je l'explique dans le rapport, ne concerne en fait que quelques secteurs ; tel est le point central de ma réflexion. On évoque souvent l'idée de trois grands blocs : la Chine, les États-Unis et l'Europe. En vérité, dans de nombreux secteurs, l'Europe n'est qu'une expression géographique, et non économique.

Trois secteurs - les télécommunications, les services financiers et l'énergie -, auxquels j'ajoute un autre plus spécifique - la défense - sont au centre de ma réflexion. Ces trois secteurs sont intégrés au marché commun. La défense, quant à elle, relève du domaine national, mais, depuis le 24 février 2022, nous sommes entrés dans une configuration différente.

Dans ces trois secteurs, nous n'avons pas affaire à une seule, mais à 27 entités différentes. Les entreprises de ces domaines traitent avec des régulateurs nationaux, et non européens. Ainsi il n'existe pas une autorité de régulation européenne, quelque chose d'équivalent à la Banque centrale européenne (BCE) de Francfort.

Deux éléments de méthode ont présidé à la rédaction de ce rapport.

Premier élément, j'ai eu la chance de rencontrer M. Delors trois mois avant son décès, et il m'avait donné comme indication de ne pas m'enfermer dans un bureau à Bruxelles, de visiter tous les pays sans m'arrêter aux seules capitales, et de rencontrer les acteurs partout où ils se trouvent ; c'est ce que j'ai fait pendant neuf mois.

Second élément, je ne propose pas de changer les traités. J'insiste sur le fait de travailler dans le cadre des traités existants. Certes, il faudrait changer ces traités, mais le niveau d'alerte sur la compétitivité européenne, alors que s'intensifie la concurrence des Chinois et des Américains, nous oblige à agir rapidement.

Mes propositions ne sont pas idéologiques. Lorsque nous les Européens travaillons ensemble, comme ce fut le cas avec Airbus, l'Europe est capable de rivaliser avec les Chinois et les Américains ; quand ce n'est pas le cas, ces derniers gagnent.

Dans les secteurs évoqués, le manque d'intégration fait le bonheur des industries chinoises et américaines. Je cite l'exemple de l'épargne des populations européennes qui se déplace vers les États-Unis, car la fragmentation de l'industrie financière européenne n'apporte pas les mêmes retours que l'industrie financière américaine. Le Nasdaq seul est deux fois plus important que toutes les bourses européennes réunies.

Autre exemple : nous sommes ravis de régler nos achats avec des cartes de crédit américaines alors que nous n'acceptons pas des cartes de pays européens voisins. Le marché financier unique n'existe pas, aussi nous ne disposons pas des instruments financiers pour un paiement digital européen unique. Nous sommes en train de devenir une colonie financière américaine.

Concernant la défense, je propose un marché non pas unique, mais commun. En Europe, nous disposons d'une dizaine d'industries de défense qui ne se parlent pas entre elles. Ces deux dernières années, nous avons dépensé 140 milliards d'euros pour aider militairement l'Ukraine, et il faut continuer à le faire ; mais 80 % de cette somme a fait la fortune du Michigan, de la Pennsylvanie, de l'Anatolie ou de la Corée du Sud, toutes ces régions où nous avons acheté du matériel militaire en raison de notre fragmentation. Nous disposons, par exemple, d'une quinzaine d'hélicoptères différents en Europe, alors que les Américains en proposent deux types.

Dans tous ces secteurs, la seule solution est une intégration ; ou alors, je le répète, nous allons devenir - nous le sommes déjà - des colonies américaines ou chinoises.

Sur le sujet des télécommunications, à la fin des années 1990, alors que j'étais membre du gouvernement italien et que je m'occupais de ces questions, toute l'industrie parlait européen. Le global system for mobile communication (GSM) et la troisième génération (3G) s'établissaient à partir des technologies européennes. Aujourd'hui, l'industrie des télécommunications parle américain ou chinois.

La fragmentation en 27 marchés entraîne des conséquences. Ainsi, chaque opérateur chinois dispose de 467 millions de clients, chaque opérateur américain de 107 millions et chaque opérateur européen de 5 millions. La différence s'explique par le fait que nous ayons 80 opérateurs, alors que les États-Unis ou la Chine en ont trois ou quatre. Cela se traduit par des capacités d'investissement dans l'innovation très différentes. Il existe une grande entreprise européenne de télécommunication, mais celle-ci doit ses bons résultats à sa présence aux États-Unis.

Pour quelles raisons devons-nous changer de préfixe - + 33, + 34, + 39, etc. - chaque fois que nous passons une frontière ? Une seule raison à cela : les commissions que les opérateurs de télécommunication doivent payer aux Trésors nationaux. Je comprends cela, mais les Trésors pourraient également recevoir cette somme s'il existait un préfixe commun à tous les pays de l'Union européenne (UE) - + 0 par exemple.

Dans le rapport, je propose une feuille de route pour faire avancer l'intégration dans ces trois secteurs. La situation du marché financier me semble la plus grave, car, si nous devenons une colonie américaine dans ce domaine, cela entraînera des conséquences sur l'économie réelle.

De cette indépendance européenne dépend également le financement de la transition verte. Je suis pragmatique sur le sujet ; il s'agit de débloquer un financement important pour accompagner cette transition, et cela ne peut se réaliser que sous une forme mixte, avec de l'argent public et privé. Cela ne peut s'effectuer seulement avec de l'argent public, car une partie des pays européens n'accepteront jamais cela ; d'où la nécessité de fonctionner, comme aux États-Unis, avec les deux piliers, public et privé.

Madame Estrosi Sassone, vous avez cité les instruments français qui permettent de lier l'épargne à l'investissement ; ceux-ci doivent être une source d'inspiration pour le reste de l'Europe. Ce lien entre l'épargne privée et l'investissement doit aider les entreprises dans la transition verte. Pour élaborer ce rapport, j'ai rencontré des agriculteurs, des travailleurs de l'industrie automobile, ainsi que des propriétaires de maisons dans tous les pays européens ; nous ne pouvons pas à dire à ces personnes qu'en raison de la transition verte, elles vont perdre leur emploi, leur entreprise ou leur habitation, à moins qu'elles soient prêtes à payer. Ce serait socialement injuste et politiquement irréalisable. Seul un grand plan est envisageable pour réaliser cette transition.

Je me réjouis que Mme von der Leyen ait donné la mission à M. Séjourné, vice-président exécutif de la Commission européenne, de mettre en oeuvre ce projet d'union entre l'épargne et l'investissement. Il s'agit également de mettre fin à l'Union des marchés de capitaux qui, depuis la sortie du Royaume-Uni de l'UE, n'a plus de sens. Ainsi, la finance doit toujours être dirigée vers l'économie réelle.

Je conclurai mon propos par quelques points essentiels de mon rapport. Le marché unique européen repose sur quatre libertés, celles des biens, des services, des personnes et des capitaux. Ces libertés renvoient à une économie du siècle précédent ; nous avons besoin d'ajouter une liberté supplémentaire, pour l'innovation, la connaissance et la recherche. Dans le rapport, vous trouverez une série de propositions sur le sujet.

La liberté de bouger a toujours constitué l'un des piliers du marché unique. Dans le rapport, je propose une autre liberté, celle de rester. La mobilité change le panorama de nos pays en exerçant une forte pression sur des régions saturées, alors que s'accroît la désertification d'autres régions plus périphériques. La sauvegarde des services d'intérêts généraux dans ces régions ainsi que le sujet de la fuite des cerveaux doivent être au centre de nos réflexions.

Monsieur Rietmann, vous avez évoqué le droit des affaires. Aujourd'hui, les PME n'exploitent pas le marché unique européen pour une raison simple : nous avons 27 droits des affaires différents et, dans certains pays comme l'Espagne, s'y ajoutent également des droits régionaux. Pour un investisseur international, il est inconcevable d'investir dans un territoire où chaque pays dispose d'un système différent.

J'aurais pu proposer de créer un droit des affaires européen qui élimine les droits des affaires nationaux, mais cela n'aurait jamais fonctionné, dans la mesure où chaque pays souhaite défendre son propre droit des affaires. J'ai donc proposé de créer un vingt-huitième État européen virtuel, en le dotant d'un droit des affaires optionnel ; ce dernier permettrait aux entreprises, et notamment aux PME, de passer partout sans devoir s'adapter à la législation de chaque pays.

Concernant le rôle des parlements nationaux, la situation actuelle ne fonctionne pas. Aujourd'hui, l'édifice européen repose sur beaucoup de directives, et chaque pays fait comme il veut. À l'échelle de l'Europe, cette attitude est négative, les entreprises ne tirant aucun bénéfice du marché unique. Ces dernières années, pour des raisons politiques, la Commission n'a plus demandé à la Cour de justice de l'Union européenne (CJUE) de sanctionner les pays qui n'appliquent pas les directives européennes.

Il est préférable que les parlements interviennent en amont du parcours, et non à la fin. Cette participation en amont donnera la possibilité de préciser, le cas échéant, certaines dérogations ; mais une fois la décision prise, celle-ci doit s'appliquer partout.

Dans ce rapport, j'ai volontairement employé un langage d'urgence. L'inertie nous conduit au déclin. Si nous n'accélérons pas l'intégration dans les secteurs évoqués, nous aurons le choix entre devenir une colonie chinoise ou américaine. Dans nos poches, nous avons le symbole de l'intégration dans le domaine le plus souverainiste qui soit : la monnaie. Celle-ci, écrite dans des alphabets différents, est la même pour nous tous. L'euro était un bon choix, comme le pensent d'ailleurs aujourd'hui 75 % des citoyens européens. Les gens ont compris une chose essentielle : l'euro est un parapluie qui protège de la globalisation et de la Chine. Dans les années 1980, au début du marché unique, l'Italie et la France, toutes seules, gagnaient davantage de médailles d'or aux jeux Olympiques que la Chine ; ce n'est plus le cas aujourd'hui. Il s'agit de tenir compte de ce changement, sans quoi nous en paierons les coûts sociaux, économiques et politiques.

M. Michel Canévet. - Vous avez évoqué l'absence d'autorité de régulation européenne ; il existe pourtant l'Autorité européenne des marchés financiers (Esma), implantée à Paris. Et concernant la supervision bancaire, la BCE joue un rôle très actif. Celle-ci, parfois considérée comme trop rigoriste, a permis de protéger le marché européen lors de la précédente décennie.

Je souhaite vous interroger sur le secteur des télécommunications. Pour lutter contre la fragmentation, vous proposez une consolidation du secteur, avec un socle réglementaire plus solide. Que pourrait-il advenir si nous ne mettions pas en oeuvre vos préconisations ?

M. Patrick Chaize. - Il existe de nombreuses entreprises européennes de télécommunications, mais, à chaque tentative de concentration, des voix alertent sur le risque de monopole. Comment peut-on s'accorder pour atteindre les objectifs sur le sujet ?

Je souhaite élargir la question au numérique. Aujourd'hui, le sujet est porté par l'Europe, notamment en termes de régulation. Je viens, cette semaine, de remettre un rapport sur l'intelligence artificielle. Lors de nos échanges avec les grandes entreprises américaines, nous avons ressenti que celles-ci attendaient la régulation européenne, dans la mesure où cela définissait un cadre qui leur ouvrait un marché. Dans le secteur du numérique, nous sommes déjà une sorte de colonie américaine.

Vous avez évoqué le déclin de l'Europe en matière de développement des technologies. Le GSM, en effet, s'est construit en Europe, et peu à peu nous avons laissé aux Chinois et aux Américains le rôle de normalisateurs. Ce déclin s'explique notamment par le manque de chercheurs susceptibles aujourd'hui de participer à ces comités de normalisation. Des réflexions sont-elles en cours pour remédier à ce manque ?

M. Didier Marie. - Pour atteindre vos objectifs, il faut, à la fois, mobiliser les financements et avoir un pilotage politique efficace. Pour ce qui concerne le financement, que pensez-vous de la proposition d'un emprunt commun, semblable à celui réalisé dans le cadre du plan de relance, afin de porter la croissance européenne ? Comment pouvons-nous mobiliser des ressources propres aujourd'hui indispensables ?

Sur la mobilisation de l'épargne privée, des initiatives ont été prises dans le cadre du plan Juncker. Souhaitez-vous développer un modèle similaire d'utilisation des fonds publics et privés ? Pourquoi ce modèle n'a-t-il pas porté ses fruits ?

Concernant le pilotage politique, vous ne souhaitez pas une réforme des traités, mais une partie de l'inertie européenne tient à l'usage du droit de veto et aux difficultés à mobiliser les 27 États membres ensemble. Comment peut-on favoriser une généralisation de la majorité qualifiée, en particulier sur les sujets prioritaires ?

Enfin, la question de l'élargissement est souvent évoquée aujourd'hui. Est-ce une chance ou une difficulté pour l'UE ?

M. Enrico Letta. - Sur les télécommunications, je propose de passer de 27 à une seule entité. Pour cela, il faudrait parvenir à une gestion intégrée au niveau européen du spectre de fréquences radioélectriques. La chose essentielle est de s'entendre sur la répartition des commissions payées par les opérateurs, de manière à ce que chaque Trésor national s'y retrouve. Nous passerions de 80 opérateurs à une dizaine ou une vingtaine, cela permettrait encore aux consommateurs de choisir.

Je ne plaide absolument pas pour faire en Europe la même chose qu'aux États-Unis. Nous devons préserver ce mélange entre grands et petits tout en favorisant la montée en puissance de ce que nous avons de plus fort, ce qui est possible dans le domaine des télécommunications. Le marché unique garantit la concurrence. Aujourd'hui, en tant que consommateurs de télécommunications, nous sommes plus heureux que les Américains : les prix sont plus élevés et le service de moindre qualité aux États-Unis. Mais les effets négatifs de la situation très complexe du système des télécommunications se feront sentir dans quelques années, l'infrastructure n'arrivant plus à suivre. Je propose un seul marché avec une dizaine d'opérateurs solides, capables soit de se faire concurrence, soit d'engager d'importants investissements au niveau des infrastructures.

Monsieur Chaize, vous avez évoqué le rôle des chercheurs. De nombreux entrepreneurs européens dans les start-up migrent vers les États-Unis, car ils y trouvent le bon environnement pour lever de l'argent et faire monter en puissance leurs idées. Pour remédier à cela, nous revenons à la question de l'union de l'épargne et des investissements. Il s'agit de créer un marché financier européen unique, capable d'investir beaucoup d'argent sur les bonnes idées, sans considérer qu'une faillite tue définitivement ; dans le domaine de l'intelligence artificielle, avant de connaître le succès, les entrepreneurs américains ont parfois subi plusieurs faillites.

Aux États-Unis, 333 milliards d'euros seront investis dans l'intelligence artificielle dans la prochaine décennie ; ce montant s'élève à 100 milliards d'euros en Chine et à 20 milliards d'euros en Europe. Il est évident que nous devons changer d'échelle sur le sujet. Un investissement seulement national ne suffira pas. Nous disposons de chercheurs de qualité, mais ceux-ci préfèrent partir aux États-Unis.

Monsieur Marie, les grands pays me semblent irresponsables sur le sujet. Dans les domaines relevant du marché intérieur, le droit de veto n'existe que dans le jeu politique, pas en droit : les règles du marché unique peuvent être adoptées à la majorité qualifiée, mais les États membres préfèrent toujours attendre le wagon le plus lent ; or, dans de nombreux domaines, il s'agit d'avancer.

En effectuant mon tour d'Europe, j'ai rencontré tous les gouvernements ; chacun m'a fait part des limitations au marché unique du pays voisin sans jamais évoquer ses propres limitations. Il est possible d'agir avec les règles actuelles. Les choses sont naturellement différentes pour la politique de défense.

Concernant les ressources propres, je vous renvoie aux pages 30 et 31 de mon rapport ; j'y évoque les quatre instruments techniques susceptibles de mobiliser l'épargne privée. Le lien avec les investissements doit beaucoup aux expériences françaises.

Le plan Juncker, de mon point de vue, était bon. Je reprends quelques éléments de ce plan, notamment le fait de travailler sur des investissements mêlant public et privé.

J'en viens à l'élargissement, sur lequel porte un chapitre de mon rapport. Je propose la création d'un dispositif appelé Enlargement Solidarity Facility, essentiel, car l'élargissement doit être accompagné.

Il faut distinguer deux processus différents : l'élargissement aux pays des Balkans et celui qui concerne l'Ukraine. En matière agricole, l'Ukraine joue dans un autre championnat que nos pays européens, même les plus grands. Elle joue dans celui du Canada, de la Russie ou du Brésil. On ne peut pas traiter l'élargissement à l'Ukraine comme on traite l'élargissement à l'Albanie dont l'entrée, quand ce pays sera prêt, ne devrait pas poser de difficulté majeure.

Certes, en ce qui concerne l'élargissement aux pays des Balkans, il faut éliminer tous les obstacles politiques, notamment le droit de veto. En effet, on ne peut pas accepter que la politique étrangère soit « capturée » par le droit de veto de ces pays. L'entrée de l'Ukraine, qu'il faut continuer à aider, entraînera d'autres conséquences. Nous devrons accompagner ce processus de façon beaucoup plus attentive.

M. Louis Vogel. - Je voudrais revenir sur l'articulation entre la politique industrielle et la politique de concurrence. Nous avons doté les États membres d'autorités administratives indépendantes, qui contrôlent les concentrations. Chacune a tendance à raisonner en termes de marché national plutôt que de marché européen ou international. Cette situation aboutit au blocage d'opérations de concentration, lesquelles seraient pourtant utiles à la politique industrielle européenne, puisque nous aurions enfin des acteurs à la hauteur du marché mondial. Comment faire pour qu'une politique industrielle européenne puisse l'emporter sur les politiques de concurrence nationales ?

M. Ronan Le Gleut. - En ce qui concerne l'industrie de défense, vous avez rappelé que nous avions dépensé 140 milliards d'euros pour aider l'Ukraine et que 80 % de cette somme avaient servi à l'achat de matériel non européen, notamment américain, ce que vous avez expliqué par notre fragmentation. La véritable cause ne serait-elle pas plutôt l'absence d'autonomie stratégique ? L'article 5 du traité de l'Atlantique Nord prévoit la garantie de sécurité américaine, ce qui pousse les États-Unis à exercer une pression sur certains États membres pour qu'ils achètent du matériel américain en échange de cette protection. L'ancienne ministre des armées Florence Parly avait résumé cette question dans une formule : « clause de solidarité de l'Otan est l'article 5, pas l'article F-35 ».

Mme Marta de Cidrac. - Je reviendrai sur le volet politique et stratégique. Quel est le bon vecteur pour porter la mise en oeuvre des mesures que vous proposez ? Vous avez évoqué une possible mission de Stéphane Séjourné. Un des grands États fondateurs pourrait-il jouer un rôle moteur ?

Quel avenir envisagez-vous pour votre rapport ? A-t-il reçu un bon accueil de la part des instances européennes ? Des politiques s'en sont-ils déjà saisis au sein de l'UE ou de la Commission européenne pour en faire un objet d'action ?

M. Enrico Letta. - Monsieur Vogel, il y a six mois encore, nous aurions abordé ces sujets autrement. Les deux rapports ont fait évoluer le débat. Aujourd'hui, même au niveau de la Commission, on arrive à discuter de concurrence de façon différente. L'idée que la concurrence se joue non pas entre nous, mais avec les autres devient une question de plus en plus importante. Cette dernière va de pair avec celle de la défense du consommateur européen ; nous ne voulons ni oligopoles ni monopoles.

Je plaide pour ce modèle dans les télécommunications. Il faut que la dimension géographique soit européenne pour consolider le secteur à ce niveau-là, tout en créant une concurrence afin d'aider le consommateur. Nous devons travailler de plus en plus à cette dimension européenne. À cet égard, je salue le travail très important mené par Thierry Breton.

La question de l'autonomie stratégique a du sens, mais ne peut pas expliquer la façon dont 80 % des 140 milliards d'euros versés ont été utilisés. Il s'agit d'une question technique : nous n'avons pas la taille nécessaire pour procéder à des investissements immédiats, en raison de notre fragmentation, parce que nos pays ne travaillent pas suffisamment ensemble.

Je plaide pour que nous agissions en deux temps.

D'abord, il faut un temps politique, durant lequel les Premiers ministres ou les ministres de la défense et de l'industrie des sept pays ayant une industrie de défense se mettront à travailler ensemble, invitant à la table les chefs des industries de défense nationale. Aujourd'hui, plutôt que de travailler ensemble, nos pays travaillent avec d'autres. Cependant, les choses sont en train de bouger, ce que je salue.

Ensuite, il faut procéder à des consolidations et à des projets communs. Le fait qu'un commissaire soit chargé de ces questions est très important.

J'en viens à l'avenir du rapport. Au mois de mai, je n'aurais jamais imaginé que la déclaration de Budapest reprendrait des éléments centraux du rapport ni que des feuilles de route de commissaires y feraient référence. Toutefois, il faut que tout cela devienne réalité et vous jouez un rôle très important. Il faut exercer un jeu de pression sur les institutions européennes. Les stakeholders et députés européens le font, mais le rôle des gouvernements nationaux reste fondamental.

Je fais en ce moment un tour d'Europe des parlements nationaux parce que la clé se trouve au niveau national. Les grands pays européens ont un rôle essentiel et les difficultés politiques que rencontrent la France et l'Allemagne ont des conséquences négatives sur l'Europe. Le rôle des parlements nationaux est de pousser les gouvernements à faire en sorte que nous fassions des pas en avant sur ce sujet, pour établir une souveraineté européenne, qui seule peut apporter la prospérité. Travailler sur les seules souverainetés nationales profitera aux Américains et aux Chinois. Nous avons besoin de gouvernements proactifs sur cette question et d'un couple franco-allemand qui fonctionne bien.

M. Daniel Gremillet. - Ma première question concerne l'énergie, qui est au coeur de la compétitivité du monde industriel. Aujourd'hui, chaque État membre choisit librement son mix énergétique. La France a mis beaucoup de temps à obtenir la reconnaissance de ses choix stratégiques en matière énergétique dans le cadre de la taxonomie. Nous allons payer très cher la transition énergétique. Dans le domaine de l'industrie automobile, nous étions les champions au niveau européen de la motorisation thermique, mais, à l'avenir, nous serons dépendants d'autres États.

Où en est l'ambition agricole européenne dans le contexte international ? Dans les salons européens de l'alimentation, la présence européenne est de plus en plus faible tandis que la présence internationale se renforce.

M. Patrick Chauvet. - Quelles sont les répercussions du départ du Royaume-Uni sur le fonctionnement du marché unique ? Lors de votre tour des pays européens, avez-vous eu l'impression que certains États membres envisageaient une démarche similaire ?

Mme Florence Blatrix Contat. - Vous prônez un marché plus intégré afin d'atteindre une taille pertinente et de produire des champions européens, qui pourraient permettre des économies d'échelle. Cette ambition n'implique-t-elle pas une spécialisation industrielle au niveau européen, qui pourrait avoir des conséquences sociales, même si ce type d'écosystème est favorable à la recherche et au développement des compétences, lesquels manquent à la compétitivité de nos entreprises ?

Vous insistez sur la nécessité de mieux mobiliser l'épargne. Toutefois, de nombreux investissements, notamment en matière de transition écologique ou de lutte contre les conséquences du changement climatique, n'auront de rentabilité qu'à très long terme. Comment concilier la logique de marché avec ces besoins d'investissement ?

Enfin, nous avons remis, avec Pascal Allizard, un rapport sur l'euro numérique. Ce dernier pourrait-il contribuer à notre souveraineté financière ? À quelles conditions ?

M. Enrico Letta. - Monsieur Gremillet, effectivement, la question énergétique est centrale puisqu'elle crée un problème de compétitivité énorme pour les entreprises. Je donnerai un exemple. Dans le domaine du solaire, les investissements des pays européens en Europe représentent le double de ce que les Américains investissent chez eux. Pourtant, notre retour sur investissement est similaire à celui des États-Unis, ce qui signifie qu'il est moitié moins efficace. Pourquoi ? Parce que l'investissement dans le solaire concerne surtout les pays européens les moins ensoleillés et parce que nos États souffrent d'un manque d'interconnexions.

Cet exemple m'amène à penser que, dans le futur, nous ne ferons pas de choix exclusifs en matière de sources énergétiques. La mixité des sources doit être un élément de force, ce qui ne peut fonctionner qu'au travers des interconnexions. En effet, certains pays n'auront jamais le nucléaire quand d'autres l'auront toujours. Certains pays ont investi dans le vent, surtout dans le Nord, quand d'autres doivent investir dans le soleil ou l'hydroélectrique. Nous avons toutes les sources énergétiques en Europe et il faut profiter de cette diversité. Pour y parvenir, il faut des interconnexions, qui ne sont pas suffisantes aujourd'hui. Je propose donc un grand investissement en la matière, pour que chacun puisse profiter des sources énergétiques des autres. Il n'y a pas d'autre moyen de s'en sortir dans ce domaine compliqué.

Techniquement, l'agriculture ne fait pas partie du marché unique. Cependant, vous avez raison et c'est pourquoi j'ai parlé d'Enlargement Solidarity Facility. L'agriculture est le domaine le plus touché par un futur élargissement à l'Ukraine. Un accompagnement sera nécessaire.

Monsieur Chauvet, les répercussions du départ du Royaume-Uni ont été très négatives, surtout dans le domaine financier. Nous avions un projet : Londres devait être une capitale financière capable de nous aider tous, mais cela n'a pas fonctionné.

Lors de mon tour d'Europe, je n'ai vu aucun pays souhaitant suivre le Royaume-Uni. En fait, j'ai même vu le contraire. En Suède, je ne me suis pas permis d'évoquer le sujet de l'entrée dans l'euro, dont je pensais qu'il était tabou. Cependant, les Suédois m'en ont parlé spontanément. Ils ont évoqué ce qu'ils appellent « l'autonomie des cinq minutes », qui renvoie aux cinq minutes qui s'écoulent entre le moment où la Banque centrale européenne annonce un changement de taux et celui où le gouverneur de leur banque centrale nationale prend la même décision. Le fait que la Suède soit en train de réfléchir à ce sujet est intéressant.

Madame Blatrix Contat, je suis favorable à la création de champions européens, qui aura trois conséquences. Premièrement, nous serons compétitifs face aux Américains et aux Chinois. Deuxièmement, cette création permettra de faire travailler les PME. Troisièmement, les champions européens représentent une garantie d'investissement dans la recherche. En ce qui concerne le mix public-privé dans les investissements écologiques, il est fondamental de l'appréhender avec une logique de règles publiques.

Enfin, je vous félicite d'avoir pris l'initiative de ce rapport sur l'euro numérique, que je vais lire. Je suis un grand fan de l'euro numérique, qu'il faut absolument développer et auquel je consacre un chapitre de mon rapport.

M. Michel Masset. - Vous avez parlé de la nécessité de construire ensemble alors que l'on sent, dans certains pays et certaines régions, une tendance au repli sur soi. Quels moyens imaginez-vous pour défendre cet intérêt général et cette nécessité ? Quel est l'avenir de nos PME ? Votre vision passe-t-elle par des groupes beaucoup plus puissants ? Comment imaginez-vous l'organisation autour des fédérations ou des chambres consulaires ?

M. Michaël Weber. - Vous évoquez la « cinquième liberté », pour la recherche, l'innovation et les compétences. Les quatre libertés actuelles du marché ont pour point commun d'être des libertés que l'on pourrait qualifier de négatives : il s'agit de ne pas entraver la circulation des biens, des services, des capitaux et des personnes. Or ce que vous proposez est un peu différent. L'union des savoirs nécessite que les institutions européennes prennent une part active dans la création d'un réseau d'universités, en harmonisant les systèmes universitaires européens, ou d'une plateforme européenne pour la recherche. L'UE ne risque-t-elle pas d'être limitée en la matière par le fait qu'elle a une compétence partagée dans le domaine de la recherche et de l'enseignement supérieur, mais pas dans celui de l'éducation ?

Enfin, existe-t-il des divergences ou des différences entre votre rapport et celui de Mario Draghi ?

Mme Martine Berthet. - Ma première question concerne le marché unique. Quel est son avenir après la manière dont les prix ont flambé avec la guerre en Ukraine, alors que nous produisons une énergie d'origine nucléaire très peu chère ? Quelles adaptations vous semblent les plus intéressantes ?

Ensuite, la protection à nos frontières européennes est-elle pertinente ? Comment la mettre en oeuvre pour nos entreprises électro-intensives et hyper électro-intensives, qui ne sont pas compétitives par rapport aux entreprises américaines et chinoises, en raison du coût élevé de l'énergie ?

M. Enrico Letta. - Monsieur Masset, je vous invite à lire le chapitre que j'ai consacré à la liberté de rester. Il s'agit d'une façon de donner force et importance à nos territoires, dans un moment où nous sommes obligés, par la mondialisation, de joindre certaines de nos actions pour assurer notre compétitivité. Il est possible de tenir les deux éléments ensemble.

Sur les PME, j'ai cité la question du droit des affaires, qui offre une piste potentielle pour les aider. De nombreuses idées et initiatives existent. Je plaide largement pour ce sujet dans mon rapport.

En ce qui concerne la cinquième liberté, vous avez raison, monsieur Weber : au regard des traités, la question de la souveraineté nationale pour l'éducation se pose. En même temps, on peut faire ensemble sans aller contre les traités. Pour battre nos concurrents américains ou asiatiques, nos investissements dans la recherche et l'université doivent prendre une autre dimension. On ne peut que le faire tous ensemble. Le projet des universités européennes, lancé par le Président de la République française, existe aujourd'hui physiquement. Cependant, il faut multiplier l'investissement. De manière pragmatique, je propose d'agir ensemble de façon très fonctionnelle, sans tout remettre en cause.

Mon rapport et celui de M. Draghi ont beaucoup de similitudes entre eux, même s'ils sont différents, le mien étant plus ciblé sur le marché unique et le sien étant plus général.

La question sur la flambée des prix de l'énergie et la protection de nos entreprises me donne la possibilité d'aborder les aides d'État sur l'énergie. Il est compréhensible que les États aident dans une situation complexe comme celle que nous vivons. Pendant les trois dernières années, 50 % des aides d'État ont été mises en place et utilisées par un seul pays : l'Allemagne. Il est donc évident qu'il faut un pilotage européen sur cette question. En effet, quand un pays a recours à ces aides, ceux qui n'y ont pas recours, en particulier les États frontaliers, en subissent les conséquences négatives. Je propose donc qu'on soutienne aussi ceux qui sont aux frontières, à hauteur de 10 % des aides d'État. Il s'agit d'agir de façon concertée.

Sur la question de l'énergie, il faudra voir comment la montée en puissance du système d'interconnexions donnera la possibilité à nos entreprises d'employer de l'énergie venant d'autres pays. C'est la question essentielle. Pour la France, il s'agira de vendre de l'énergie et, pour d'autres, comme l'Italie, il faudra en acheter. Dans ce domaine, le manque d'interconnexions a un prix énorme, notamment en termes de compétitivité.

M. Dominique de Legge. - Avec Gisèle Jourda et François Bonneau, nous récemment présenté un rapport sur le programme européen pour l'industrie de la défense. Une question politico-juridique se pose puisque, formellement, l'Union n'a pas de compétence en matière de défense. Pour autant, nous sommes convaincus de la nécessité de coopérer dans ce domaine. Vous avez fait remarquer, à juste titre, que seuls sept pays ont une véritable base industrielle et technologique de défense (BITD). Quel est le bon niveau pour cette coopération ? La Commission ou le Conseil ? Comment articuler la nécessité de coopérer et le fait que la défense relève d'une compétence nationale ?

M. Enrico Letta. - Les deux institutions européennes doivent coopérer. Certaines activités, en matière de financement, ont besoin de la Commission. Cependant, vous avez raison : les traités donnent aux gouvernements nationaux un rôle central. C'est la raison pour laquelle de nombreuses solutions doivent être trouvées grâce à la coopération entre gouvernements. Le Conseil doit jouer un rôle fondamental et j'espère qu'il le fera. Je suis assez optimiste, car l'année commencera avec la présidence polonaise du Conseil des ministres et la Pologne est très mobilisée sur ce sujet. D'ailleurs, ce premier semestre sera important pour de nombreux sujets. La Pologne est un grand pays européen, qui veut jouer un rôle de leadership.

Je conclurai en vous remerciant pour ces échanges, qui sont précieux. Ils me permettent aussi de tester les réactions à mon rapport et d'ajuster mon discours. Un rapport fait sens s'il vit concrètement.

M. Jean-François Rapin, président de la commission des affaires européennes. - Nous vous remercions d'avoir répondu à notre invitation, car nous savons que vous êtes très sollicité. Il est très intéressant de vous entendre, car vos points de vue ont une hauteur très appréciable, sur un grand nombre de sujets liés au marché unique. Votre rapport est, à nos yeux, un rapport de référence.

Mme Dominique Estrosi Sassone, présidente de la commission des affaires économiques. - Merci aussi pour votre pragmatisme.

Cette audition a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.

La réunion est close à 10 h 20.