- Mercredi 27 novembre 2024
- Projet de loi de finances pour 2025 - Mission « Action extérieure de l'État » - Programme 105 « Action de la France en Europe et dans le monde » - Examen du rapport pour avis
- Projet de loi de finances pour 2025 - Mission « Aide publique au développement » - Programmes 110, 209, 370 et 384 - Examen du rapport pour avis
- Projet de loi de finances pour 2025 - Mission « Défense » - Programme 144 - Environnement et prospective de la politique de défense - Examen du rapport pour avis
- Projet de loi de finances pour 2025 - Mission « Défense » - Programme 146 - Équipement des forces - Examen du rapport pour avis
- Projet de loi de finances pour 2025 - Mission « Défense » - Programme 178 - Préparation et emploi des forces - Examen du rapport pour avis
- Projet de loi de finances pour 2025 - Mission « Défense » - Programme 212 - Soutien de la politique de défense - Examen du rapport pour avis
- Projet de loi de finances pour 2025 - Mission « Sécurités » - Programme 152 - Gendarmerie nationale - Examen du rapport pour avis
- Jeudi 28 novembre 2024
Mercredi 27 novembre 2024
- Présidence de M. Pascal Allizard, vice-président -
La réunion est ouverte à 9 h 05.
Projet de loi de finances pour 2025 - Mission « Action extérieure de l'État » - Programme 105 « Action de la France en Europe et dans le monde » - Examen du rapport pour avis
M. Pascal Allizard, président. - Mes chers collègues, le président Perrin, qui va nous rejoindre dans quelques minutes, m'a demandé d'ouvrir cette longue réunion, au cours de laquelle nous devons examiner une série de rapports.
Sans perdre de temps, je donne la parole à Valérie Boyer et Jean-Baptiste Lemoyne pour présenter leur rapport sur le programme 105 « Action de la France en Europe et dans le monde ».
Mme Valérie Boyer, rapporteure pour avis de la mission « Action extérieure de l'État » sur le programme 105 « Action de la France en Europe et dans le monde ». - Le programme 105 de la mission « Action extérieure de l'État » regroupe les moyens de l'action diplomatique de la France et porte une part importante des contributions versées par la France aux organisations internationales.
Ses crédits atteindront 2,7 milliards d'euros en 2025, en recul de 4,6 % à périmètre constant. Le périmètre du programme a en effet été élargi pour inclure les crédits de personnel portés jusqu'alors par les programmes 151, 185 et 209. Le ministère en tirera sans doute davantage de souplesse dans le pilotage budgétaire et la gestion de sa masse salariale.
Cette diminution des crédits était annoncée par la dégradation du contexte budgétaire dès le début de l'année 2024. Le programme 105 a pris sa part des efforts demandés, avec l'annulation de 150 millions d'euros de crédits depuis le décret de février dernier. Nous devrions en rester là puisque, d'après la secrétaire générale du ministère de l'Europe et des affaires étrangères, le plan d'économies supplémentaires de 5 milliards d'euros devrait surtout peser sur le programme 209.
En 2025, comme en 2024, cet effort est rendu possible par la diminution des contributions internationales obligatoires de la France. Les moindres dépenses destinées à l'Ukraine portées par la Facilité européenne pour la paix et les modalités de calcul de notre contribution aux Nations unies et aux opérations de maintien de la paix, assise sur notre revenu national brut (RNB), lequel diminue relativement par rapport à celui des puissances émergentes, minorent ce poste d'une bonne centaine de millions d'euros en 2025.
Le schéma d'emploi du ministère peut donc rester positif. Il est toutefois deux fois moins ambitieux que celui qui était prévu l'an dernier. Au lieu de la création de 150 postes en 2025 puis de 200 postes par an en 2026 et 2027, la trajectoire revue à la baisse ne prévoit que 75 postes supplémentaires l'an prochain et 100 par an jusqu'en 2027, pour un total ramené de 700 équivalents temps plein (ETP) à 425 ETP sur quatre ans. Il s'agit d'un effort important, qui aura des conséquences sur l'influence de la France à l'étranger.
Ce ralentissement de la trajectoire de réarmement de notre diplomatie n'empêche pas la poursuite de notre agenda de transformation. La secrétaire générale du ministère nous indiquait que 80 % des 356 recommandations issues des états généraux de la diplomatie avaient d'ores et déjà été mises en oeuvre.
Les crédits consacrés au soutien progressent de 2 millions d'euros et les moyens fléchés vers les ressources humaines d'environ 1 million d'euros. Cette hausse concerne d'abord la formation, les concours et les stages. L'Académie diplomatique et consulaire est dotée de 5,5 millions d'euros dès 2025. Des moyens d'action sociale sont dégagés pour améliorer le quotidien des agents.
Les crédits relatifs au réseau diplomatique représentent 783 millions d'euros, en diminution de 8 millions d'euros. Le fonctionnement des ambassades mobilise 3,5 millions d'euros de moins que l'an dernier, les économies réalisées reposant essentiellement sur l'entretien lourd et les dépenses de location à l'étranger. Le lancement de certaines opérations d'envergure est toutefois poursuivi. Je pense, par exemple, au regroupement de l'Institut français et du consulat général à Barcelone ou à la reconstruction de l'Institut français à Mexico.
Au sein des crédits de coordination de l'action diplomatique, qui s'élèvent à 135 millions d'euros, les dépenses de protocole sont les plus dynamiques. Elles avaient déjà doublé en 2024, année des jeux Olympiques et du sommet de la francophonie, pour s'établir à 18 millions d'euros. En 2025, elles augmenteront de 60 % pour atteindre 29 millions d'euros. Cette enveloppe financera notamment deux manifestations internationales de grande ampleur à hauteur de 22 millions d'euros : le sommet pour l'action sur l'intelligence artificielle, qui aura lieu en février 2025, et la conférence des Nations unies sur l'océan, qui se déroulera à Nice du 9 au 13 juin 2025.
Ces dépenses peuvent sembler très élevées, mais elles participent du rayonnement de la diplomatie d'influence de notre pays, une compétence en voie de professionnalisation au sein du ministère. Les évènements internationaux nécessitent énormément de fonds, mais il serait dommage de fragiliser le savoir-faire français en la matière.
Nous insistons encore sur certaines fonctions du ministère de l'Europe et des affaires étrangères qui faisaient l'objet de notre rapport l'an dernier et qui occupent une place nécessairement plus étroite dans l'équation budgétaire proposée pour l'an prochain. Les dépenses du centre de crise et de soutien (CDCS) augmentent de 400 000 euros en 2025, pour atteindre 5,3 millions d'euros, ce qui permettra de continuer à équiper les postes en matériel de crise, de renforcer les capacités de réponse téléphonique et d'assurer le retour de nos ressortissants en tant que de besoin. Souhaitons que cette enveloppe soit sous-consommée. Ceux d'entre vous qui ont ont eu à faire face à des situations dramatiques, avec des personnes disparues ou en grandes difficultés à l'étranger, auront sans doute constaté pouvoir obtenir à toute heure du jour et de la nuit une réponse de la part du CDCS. Il faut soutenir ce service vital pour les Français à l'étranger, dont je tiens à saluer l'excellent travail.
Je souhaiterais aussi vous parler de la direction de la communication et de la presse, qui devrait poursuivre sa montée en puissance en 2025 grâce aux 18 ETP recrutés en 2024. Ses crédits baissent toutefois facialement d'un million d'euros en raison du non-renouvellement de mesures transitoires mises en oeuvre en 2024 en lien avec les jeux Olympiques et du financement par une autre direction de la chaîne vidéo de la Maison des mondes africains.
Le budget de la sécurité des emprises diplomatiques à l'étranger diminue de 5,5 % en autorisations d'engagement (AE) et de 3,8 % en crédits de paiement (CP), après avoir augmenté d'une dizaine de points de pourcentage en 2023 et d'une quinzaine en 2024. Le renouvellement du parc de véhicules blindés, qui est vieillissant, exige une enveloppe plus importante cette année. En matière de sécurité passive, les dépenses diminuent, ce qui conduit à repousser certaines interventions considérées comme moins urgentes.
La baisse de 10 % des crédits de coopération de sécurité et de défense implique de revoir certaines priorités. En Afrique subsaharienne, des académies de formation sont développées dans des bases militaires que l'armée française s'apprête à quitter. C'est le cas au Gabon, avec l'installation de l'école nationale à vocation régionale (ENVR) d'administration dans l'ancien camp de Gaulle, et en Côte d'Ivoire, avec la création d'une école spécialisée dans les transmissions dans l'ancien camp de Port-Bouët. La direction de la coopération de sécurité et de défense (DCSD) poursuit ses efforts à l'est de l'Union européenne ainsi qu'en zone indo-pacifique, où deux écoles de sécurité maritime seront inaugurées à La Réunion et au Sri Lanka.
Il convient d'insister sur la pertinence douteuse de certains indicateurs au regard des objectifs opérationnels poursuivis et de l'impératif de bonne évaluation de l'action menée par le Parlement. Certains ont certes été retirés, mais d'autres, tels ceux dont est assortie la politique de coopération de sécurité et de défense, sont maintenus en dépit de leur faible pouvoir explicatif. Comment, en effet, expliquer l'efficacité de la politique à partir du coût unitaire par élève, de la formation ou de la part des femmes participant aux formations ?
Je tiens, pour terminer, à souligner les efforts importants que porte cette proposition budgétaire et à saluer l'excellent travail réalisé par nos fonctionnaires en administration centrale et à l'étranger.
M. Jean-Baptiste Lemoyne, rapporteur pour avis de la mission « Action extérieure de l'État » sur le programme 105 « Action de la France en Europe et dans le monde ». - Avec Valérie Boyer, nous avons naturellement sollicité toutes les personnes auditionnées au sujet de l'adaptation de notre outil diplomatique, de notre action multilatérale et de notre politique d'influence aux bouleversements que connaît l'ordre mondial.
Celui-ci se caractérise notamment par l'émergence de puissances porteuses d'une vision alternative. La part des BRICS+ dans le PIB mondial a dépassé celle des pays du G7, à 36 % contre 29 %. Ce groupe représente d'ailleurs 45 % de la population mondiale, ce qui dit beaucoup du poids qu'il a déjà et de celui qu'il souhaite se donner, avec, par exemple, une nouvelle banque de développement et la volonté de se poser en alternative aux formes traditionnelles de gouvernance mondiale.
Il ne s'agit pas d'une opposition entre démocraties et régimes autoritaires, mais plutôt entre un Nord qui se veut occidental et un Sud qui se prétend global. Ce dernier bloc n'est pas monolithique, chacun des pays qui le composent disposant de son propre agenda et tous n'étant pas toujours alignés. Ils sont néanmoins animés par la volonté de porter une forme d' « altermultilatéralisme ». L'Organisation de coopération de Shanghai (OCS) a ainsi critiqué, lors de son dernier sommet, les sanctions mises en place à l'encontre de la Russie, tandis que l'Inde, l'Argentine et l'Indonésie, entre autres, ont refusé de se ranger aux côtés du G7 sur la question ukrainienne. Un « multialignement » est à l'oeuvre, dans la mesure où certains de ces pays participent à des formats qui intègrent les États-Unis ou d'autres pays affinitaires.
Dans ce contexte, la France doit jouer finement sa partition en rendant ses outils diplomatiques plus pertinents. Elle a ainsi augmenté ses contributions volontaires aux organisations internationales, passant du dixième rang au huitième rang en quatre ans. Cet effort reste assez fragile par rapport à celui de nations telles que l'Allemagne ou le Royaume-Uni, mais permet de flécher un certain nombre de priorités. Je pense à notre engagement au sein de l'Agence internationale de l'énergie atomique (AIEA), qui nous a permis de peser sur la stratégie de cette agence importante au regard des enjeux moyen-orientaux.
La France est en outre la deuxième nationalité la plus représentée au sein du personnel onusien tous postes confondus, avec 721 cadres contre 1143 pour les États-Unis. Néanmoins, nous avons perdu notre deuxième place au sein du Secrétariat de New York au profit de la Chine, qui a également surpassé les États-Unis. Nous conservons en revanche un certain nombre de postes clés, par exemple la direction des opérations de maintien de la paix avec Jean-Pierre Lacroix, diplomate français. Il est très important de préparer la relève, notamment avec le programme des jeunes experts associés (JEA), car les trois quarts d'entre eux continuent ensuite leur carrière dans le système onusien.
Par ailleurs, il faut se réjouir que la France soit toujours une terre d'accueil pour les organisations internationales, ce qui compte en termes d'influence, de rayonnement et de retombées économiques. Une ordonnance sur l'attractivité a été prise en 2022 pour leur permettre de bénéficier des privilèges et immunités dès leur installation, sans attendre l'accord de siège. Le nombre d'organisations présentes sur notre sol ne cesse de croître : nous allons dépasser les 70 l'année prochaine, qu'elles aient leur siège sur le territoire français - c'est le cas d'une quarantaine d'entre elles - ou qu'elles y disposent d'un bureau national ou régional - une trentaine d'organisations se trouvent dans cette situation.
Dans ce contexte international mouvant, avec l'émergence de concurrents internationaux très structurés, quid de notre réseau diplomatique et consulaire ? Une étude produite par un think tank australien, le Lowy Institute, place la France en cinquième position en matière de réseau, derrière la Chine, les États-Unis, la Turquie et le Japon et juste devant la Russie. Ce classement, en partie lié à un changement méthodologique, ne montre pas tant notre faiblesse en la matière, mais plutôt les efforts décuplés de certaines puissances, telles la Turquie ou l'Inde, pour étoffer leur réseau. Ankara a ouvert 24 postes à l'étranger en six ans, soit plus que n'importe quel pays au monde.
Nous ne sommes pourtant pas en reste : le réseau diplomatique français s'est étendu géographiquement ces dernières années pour prendre en compte les évolutions de nos priorités et de nos intérêts. Des créations d'ambassades sont prévues en 2025 aux Samoa et au Guyana. Ce dernier pays deviendra d'ailleurs très important sur le plan économique en raison des ressources naturelles qu'il exploite. Je veux à ce propos avoir une pensée particulière pour tous les personnels qui servent dans les postes de présence diplomatique (PPD), avec des équipes très réduites - ils sont parfois cinq ou six en comptant les personnels de soutien -, et permettent d'assurer la présence française dans de nombreux endroits. Nous disposons de 24 PPD, auxquels s'ajouteront les deux qui doivent être créés en 2025.
Au-delà des postes diplomatiques, des postes consulaires ont été créés à partir d'éléments existants qui ont été renforcés, à Monterrey en 2021 et à Séville et Athènes en 2024. Grâce aux moyens humains déployés à la suite des états généraux de la diplomatie, le ministère de l'Europe et des affaires étrangères a renforcé ses équipes en Asie-Océanie, zone cruciale où se jouent des enjeux importants et théâtre de la rivalité systémique entre les États-Unis et la Chine. L'équipe de l'ambassadrice auprès de la communauté du Pacifique a ainsi déménagé de Paris à Nouméa. De nouvelles formes de présence se mettent également en place, avec, par exemple, l'ouverture à Hyderabad, en Inde, d'un Bureau de France, qui nous permet d'être présents dans le plus grand incubateur du pays.
Le ministre Jean-Noël Barrot a, en outre, confié au Centre d'analyse, de prévision et de stratégie (Caps) la réalisation d'une étude comparative des outils innovants mis en place par d'autres diplomaties pour identifier ceux qui fonctionnent le mieux et en tirer des leçons.
Enfin, pour terminer sur ce sujet de l'adaptation de notre outil diplomatique à l'évolution du monde, l'attitude à adopter à l'égard des enceintes du Sud global reste à affiner. L'aspiration des nouvelles puissances à participer à la régulation des enjeux mondiaux est légitime, mais il faut être lucides et savoir lutter contre les ingérences et les programmes révisionnistes qui peuvent alimenter des tensions internationales. Dans ce contexte, nous nous devons de faire de l'influence, sous peine de subir celle des autres.
Je crois que nous pouvons encore muscler le jeu, par exemple en renforçant les programmes tels que « Personnalités d'avenir ». Nous recevons un peu moins d'une centaine de personnalités d'avenir chaque année dans le cadre de ce programme conduit par le Quai d'Orsay, alors que les États-Unis en accueillent 5000. Des marges de progression existent donc.
Il faut également se féliciter d'initiatives telles que l'Africa Infrastructure Fellowship Program, qui permet d'accueillir à Paris des cadres et des ingénieurs à responsabilités dans le domaine des infrastructures. Le Forum de Paris pour la paix, créé il y a six ans, a replacé la France dans la compétition pour l'accueil de forums internationaux de haut niveau et permis d'accueillir, depuis 2018, 45 000 participants venus de 175 pays et 147 chefs d'État et de gouvernement, ce qui montre l'importance de cette manifestation devenue rituelle au mois de novembre.
La France est plus que jamais légitime et crédible vis-à-vis de ce Sud protéiforme en continuant à plaider pour la réforme d'instances internationales, et en particulier pour celle du Conseil de sécurité des Nations unis. Elle doit veiller à utiliser à l'avenir les formats dont elle a la responsabilité pour préserver le lien avec ce Sud. Je pense notamment à notre présidence du G7 en 2026, qui sera l'occasion de conduire une politique de dialogue actif avec les pays non membres et de porter une attention particulière aux pays du Sud. Le sommet Afrique-France, qui aura lieu la même année à Nairobi, pourra également y contribuer.
Pour conclure, permettez-moi de rendre hommage aux femmes et aux hommes qui font vivre au quotidien cette diplomatie, avec parfois beaucoup de débrouillardise au regard des moyens alloués, même si ceux-ci ont augmenté nonobstant le léger frein lié aux contraintes budgétaires actuelles.
Un amendement à la première partie du projet de loi de finances (PLF) visant à assujettir à l'impôt sur le revenu l'indemnité de résidence perçue par les fonctionnaires civils et militaires en service à l'étranger a été adopté il y a deux jours par le Sénat. Je veux vous mettre en garde sur ce type d'idées qui peuvent paraître séduisantes pour récupérer quelques picaillons pour le budget de l'État. Il est nécessaire de préserver l'attractivité de ces fonctions et de couvrir, en matière de sécurité ou de logement, les dépenses de nos agents dans certains pays où le coût de la vie est beaucoup plus élevé qu'en France. Il faudra donc trouver une manière de revenir sur la disposition votée ou de l'atténuer car elle suscite beaucoup de craintes et d'émoi. J'ai peur que nous perdions des talents si celle-ci devait être conservée.
- Présidence de M. Cédric Perrin, président -
M. Pascal Allizard. - J'aimerais revenir sur ce malheureux amendement de la commission des finances voté dans la nuit de lundi à mardi avec un avis de sagesse de la commission et du Gouvernement.
Depuis hier, nous sommes tous assaillis de questions de la part d'un certain nombre de diplomates en poste. Il s'agit d'une initiative extrêmement malheureuse au sujet de laquelle nous avons longuement échangé avec le président Perrin depuis hier. Mon objectif, que vous partagerez peut-être, est d'obtenir une seconde délibération et le rejet de cet amendement.
Même s'il est nécessaire de trouver des pistes d'économies, il conviendrait d'éviter de se lancer dans le concours Lépine de la meilleure proposition. Je considère cet amendement comme particulièrement mal venu et crois, Monsieur le président, qu'il serait bon que notre commission se positionne sur cette question.
M. Cédric Perrin, président. - J'ai été personnellement alerté à ce sujet hier, notamment par Pascal Allizard. Nous avons reçu depuis de nombreux retours sur cet amendement, qui concerne à la fois les diplomates et les militaires.
Ses conséquences pour les diplomates sont relativement simples, même si elles n'ont malheureusement pas été comprises par ses auteurs. Nous commençons à recevoir des courriels d'ambassadeurs dont certains agents, notamment ceux de catégorie C, tirent déjà le diable par la queue pour essayer de survivre à l'étranger dans des conditions parfois difficiles. Ils nous expliquent que ceux-ci veulent rentrer en France car leur situation n'est pas tenable financièrement. Les diplomates étant obligés d'aller à l'étranger, le nombre de candidats à l'exercice de ces fonctions diminuera probablement, tandis que bien des militaires ne se porteront plus volontaires pour partir à l'étranger.
Ni la commission des finances, ni le Gouvernement, ni l'auteur de l'amendement ne semblent avoir mesuré les conséquences que ce dernier pouvait avoir sur notre capacité à continuer à être présents à l'étranger. Nous dénonçons depuis plusieurs années les coups de rabot faits sur le dos de notre diplomatie - le président Cambon est d'ailleurs allé manifester avec les diplomates à l'époque de la réforme de la haute fonction publique et de la décision de supprimer le corps diplomatique. Il n'est donc pas envisageable que nous en rajoutions ici, au Sénat.
Je suis allé voir hier le rapporteur général de la commission des finances ainsi que l'auteur de l'amendement, qui ne semble pas tout à fait comprendre le problème. Si notre commission me mandate pour en discuter avec le rapporteur général, je défendrai notre position. Il est possible que le Gouvernement demande un nouvel examen de cet amendement, mais celui-ci interviendrait à un moment aléatoire. Il faudra donc que le plus grand nombre d'entre nous soient présents en séance publique à ce moment-là pour porter notre position.
Mme Hélène Conway-Mouret. - Je pourrais reprendre à mon compte les propos de Pascal Allizard et les vôtres, Monsieur le président. Notre commission a toujours été solidaire, peut-être parce que nous sommes sensibilisés au fonctionnement de notre réseau diplomatique.
Le vocabulaire utilisé dans le cadre de la réforme de la haute fonction publique était déjà très brutal, avec des termes tels que l'« extinction » du corps diplomatique, qui ont jeté un profond émoi. Cet amendement a engendré la possibilité non pas d'un jour de grève, mais d'une grève générale, ce qui serait absolument inédit et historique. L'inquiétude est palpable et il faut l'entendre.
Au problème de reconnaissance au sein de ce ministère s'ajoute désormais l'incompréhension du fait que le Sénat, qui a toujours été solidaire jusqu'à présent, attaque aujourd'hui le corps diplomatique. Les diplomates ne sont effectivement pas les seuls concernés, les militaires l'étant aussi. Je ne pense pas que les fonctionnaires seront motivés à l'idée de partir à l'étranger sans cette incitation, d'autant que l'amendement ne fait pas dans la dentelle et prévoit une taxation à hauteur de 100 %.
Notre groupe est entièrement solidaire de ce qui sera proposé pour revenir sur cet amendement.
M. Cédric Perrin, président. - Je serais tenté de dire qu'il ne s'agit pas seulement d'un acte de solidarité, mais aussi d'un acte de bon sens.
M. Christian Cambon. - Je veux souligner l'extrême gravité de cette histoire et appuyer la démarche du président Perrin, qui propose de le mandater pour faire en sorte que l'affaire tourne court.
J'ai encore échangé ce matin avec la secrétaire générale du Quai d'Orsay. L'émotion est immense et les réseaux ont fonctionné toute la nuit, avec des suggestions particulièrement sympathiques nous invitant par exemple à rendre imposables nos propres indemnités de résidence.
Les explications données en séance publique ont laissé entendre que tous les diplomates étaient logés gratuitement. C'est un contresens : à l'exception de l'ambassadeur, qui supporte d'ailleurs une partie des frais liés à son hébergement, tous les autres agents doivent se loger par eux-mêmes, dans des conditions parfois difficiles.
Le président Perrin a rappelé que cet amendement touchait également les militaires et l'ensemble des fonctionnaires expatriés. Il est regrettable que la commission des finances, qui déjà par le passé diminuait de plusieurs centaines de millions d'euros les crédits de l'aide au développement, ne se coordonne toujours pas avec notre commission.
La secrétaire générale du ministère est en train d'examiner la possibilité d'une seconde délibération avec le Gouvernement. À défaut, la seule solution - qui n'est pas pour tout de suite - sera la commission mixte paritaire (CMP). L'amendement sera écarté en CMP, mais d'ici là, le Sénat sera longuement remercié de son initiative. Je pense donc qu'il serait bienvenu que le président Perrin puisse porter une protestation générale de la commission.
M. Cédric Perrin, président. - De mon point de vue, sans aborder ni la composition de la CMP ni le fonctionnement de l'Assemblée nationale, le risque que présente l'attente de la réunion de la CMP est trop important.
Nous allons donc faire en sorte de provoquer une seconde délibération. Il nous reviendra alors d'être présents en séance publique et de faire passer le message au sein de nos groupes politiques respectifs.
M. Olivier Cigolotti. - Les diplomates se sont mobilisés très rapidement. Dès mardi, nos militaires, nos attachés de sécurité intérieure et nos gendarmes en poste à l'étranger ont eux aussi fortement réagi. Ce matin, ce sont les sapeurs-pompiers en position de coopération qui se sont manifestés.
L'amendement cible l'ensemble des personnels civils et militaires. Au-delà de l'objectif budgétaire affiché, ses conséquences seraient donc largement dommageables. Je m'associe totalement à la démarche du président Perrin tendant à revenir sur ce point.
M. Roger Karoutchi. - La seule solution est une seconde délibération, qui ne peut être demandée que par le Gouvernement ou le rapporteur général. Néanmoins, elle ne peut avoir lieu qu'à l'issue de la partie consacrée aux recettes, c'est-à-dire dimanche. Il est par conséquent nécessaire de mobiliser nos collègues pour qu'ils soient présents ce jour-là. Il faudrait demander un scrutin public, à condition que les groupes politiques suivent.
Mme Hélène Conway-Mouret. - Il serait bon d'être mieux coordonnés à l'avenir. Lorsqu'un de nos collègues a l'intention de déposer un amendement qui nous intéresse particulièrement, nous pourrions émettre un avis au préalable. Cela éviterait des situations inconfortables pour tout le monde.
M. Cédric Perrin, président. - Nous sommes d'accord, mais nous ne pouvons pas contraindre un sénateur souhaitant déposer un amendement à nous prévenir au préalable. Il aurait certes été logique que nous soyons informés, mais personne ne l'a été. Je vous propose donc un vote informel. Qui est favorable à ce que j'aille rencontrer le rapporteur général pour essayer de revenir sur cette erreur de parcours ?
La commission émet à l'unanimité un avis favorable à la proposition du président.
M. Jean-Baptiste Lemoyne, rapporteur pour avis. - La commission des finances propose un amendement visant à réduire les crédits de la mission de 50 millions d'euros, dont 30 millions d'euros pour le programme 105. Dans le détail, 20 millions d'euros seraient économisés sur l'immobilier, 2,5 millions d'euros sur le numérique, 2,5 millions d'euros sur le fonctionnement des ambassades et 5 millions d'euros sur la sécurité de nos emprises à l'étranger.
Cette proposition est très discutable. L'investissement dans le numérique doit être renforcé. Du reste, nous ne pouvons pas transiger sur la sécurité de nos emprises. Nous vous proposons donc d'émettre un avis favorable à l'adoption des crédits dans la version initiale du texte et d'être défavorables à l'amendement de la commission des finances.
Mme Valérie Boyer, rapporteure pour avis. - Il est temps de changer de paradigme et de cesser de cibler systématiquement l'immobilier, que ce soit en France ou à l'étranger. Nous sommes confrontés à une situation extrêmement difficile sur ce plan et je ne comprends pas cette obsession.
Dès qu'on parle d'immobilier, on pense à la spéculation ou à des châteaux. Or chacun a besoin d'un logement, qu'il réside en France ou à l'étranger. Il faut arrêter de stigmatiser l'immobilier. Nous sommes en train de briser les rêves de nos compatriotes.
Je suis particulièrement outrée par toutes les propositions qui sont formulées dans ce domaine, alors que nous devrions plutôt essayer de résoudre la crise immobilière à laquelle nous faisons face.
M. Cédric Perrin, président. - Il serait opportun d'envoyer certains de nos collègues dans les emprises diplomatiques françaises à l'étranger pour qu'ils se rendent compte de la manière dont nous traitons nos diplomates.
Ceux qui sont déjà allés à l'ONU savent que nous avons vendu nos emprises pour des sommes très importantes et que ceux où nous sommes installés aujourd'hui ne renvoient pas une image à la hauteur de la France. Nous contestons depuis des années ces coupes sombres dans l'immobilier.
M. Roger Karoutchi. - Je pense qu'une erreur a été commise dans la précipitation, ce qui est naturel compte tenu des délais impartis pour le débat budgétaire. Le Gouvernement nous a invités à trouver 4 milliards d'euros d'économies sur les dépenses pour limiter les augmentations d'impôts. La commission des finances s'est chargée de trouver elle-même ces 4 milliards d'euros à l'aveugle, alors qu'elle aurait dû laisser chaque commission formuler des propositions pour les secteurs relevant de sa compétence.
M. Christian Cambon. - Chaque année, c'est la même chose. J'ai connu cela pendant six ans. La question de l'immobilier des ambassades est pourtant très importante.
Je voudrais rappeler le résultat de la revente du palais Clam-Gallas, où se trouvait le centre culturel français à Vienne. Celui-ci a été acheté par le Qatar, qui y a installé son ambassade, tandis que nous sommes relégués dans un appartement sur le Ring. Inutile de vous dire que la France a tiré un grand profit de cette décision... Notre commission doit donc se battre sur ce sujet.
Monsieur Delahaye, quant à lui, devrait circuler dans les ambassades. Il y serait sans doute bien accueilli...
M. Cédric Perrin, président. - J'en suis certain. Nous allons passer au vote sur les crédits du programme 105.
M. Akli Mellouli. - Notre groupe n'a pas encore pris de décision. Dans la mesure où nous allons voter contre le budget, nous examinerons ligne par ligne ce que nous allons faire. Je vais donc m'abstenir.
Mme Michelle Gréaume. - Pour notre part, notre groupe ne prendra pas part au vote.
La commission émet un avis favorable à l'adoption des crédits du programme 105 « Action de la France en Europe et dans le monde ».
- Présidence de M. Cédric Perrin, président -
Projet de loi de finances pour 2025 - Mission « Aide publique au développement » - Programmes 110, 209, 370 et 384 - Examen du rapport pour avis
M. Cédric Perrin, président. - Nous en venons à l'examen du rapport pour avis de Christian Cambon et Patrice Joly sur les programmes 110, 209, 370 et 384 de la mission « Aide publique au développement » du projet de loi de finances (PLF) pour 2025.
M. Christian Cambon, rapporteur pour avis de la mission « Aide publique au développement » sur les programmes 110, 209, 370 et 384. - Ce budget 2025 est un budget singulier pour l'aide publique au développement (APD). En effet, les crédits de la mission sont en baisse de 1,3 milliard d'euros, en plus du décret d'annulation de février 2024, qui a déjà effectué une coupe de 742 millions d'euros.
Les crédits du programme 110 « Aide économique et financière au développement », placés sous la responsabilité du ministère de l'économie et des finances, diminuent de 9,6 % en autorisations d'engagement (AE) et de 26,4 % en crédits de paiement (CP). Cette diminution affecte en priorité la capacité de l'Agence française de développement (AFD) à effectuer des prêts bonifiés au profit des États à revenu modeste.
Le programme 209 « Solidarité avec les pays en développement », placé sous la responsabilité du ministère de l'Europe et des affaires étrangères, porte cependant l'essentiel de l'effort. Ses crédits devraient en effet diminuer de 1,05 milliard d'euros en AE et de 855,5 millions d'euros en CP, soit une baisse de 33 % et 26,2 %. Il s'agit essentiellement des crédits des dons-projets, distribués soit directement au profit des États et des collectivités locales étrangères, soit par le biais des organisations de la société civile (OSC), soit en soutenant la coopération décentralisée. Patrice Joly et moi-même avons déjà entendu, dans le cadre des auditions auxquelles nous avons procédé, de très nombreuses réactions négatives à ce sujet.
Prenons un peu de recul puisque ce budget s'inscrit dans le contexte de contrainte que nous connaissons. Le taux d'APD française en comparaison du revenu national brut (RNB), ratio scruté par la communauté internationale, connaît une évolution quelque peu erratique : après avoir atteint un niveau très faible de 0,4 % au milieu des années 2010, il est remonté à 0,56 % en 2022, puis s'est effondré en 2023. Il va retomber bien en dessous des 0,5 % en 2025, alors que la cible initiale de 0,7 % faisait l'unanimité.
Au cours des dernières années, notre commission s'est beaucoup investie sur ce sujet autour de trois axes principaux.
En premier lieu, nous avons soutenu l'augmentation des crédits, car nous sommes convaincus de l'utilité de cette politique pour lutter contre les désordres du monde, dans l'intérêt des pays aidés mais aussi de la France, que ce soit en termes de sécurité ou de lutte contre les migrations incontrôlées.
Par ailleurs, nous avons constamment plaidé auprès du Gouvernement pour que l'aide bénéficie d'abord aux pays les plus pauvres et aux secteurs fondamentaux : la santé, l'agriculture, l'éducation et la formation professionnelle. C'est ici que s'inscrit notre combat contre la transformation de l'aide en un soutien à des pays émergents parfois hostiles à la France, comme la Chine ou la Turquie. Vous constaterez à ce propos que 130 millions d'euros sont consacrés à l'Algérie au sein de ce projet de budget, alors qu'aucun dialogue n'a été amorcé avec le gouvernement algérien, qui a retiré son ambassadeur à Paris et manifesté son hostilité à l'égard de la France. Nous souhaitons également que l'aide soit plus bilatérale et moins multilatérale afin de reprendre le contrôle de nos crédits pour mieux les orienter en fonction de nos priorités.
Enfin, nous avons sanctuarisé l'ensemble de ces priorités dans une loi d'orientation et de programmation, que nous avons portée avec détermination et que le Sénat a votée à l'unanimité en août 2021.
Aujourd'hui, la situation des finances publiques nous oblige à un effort de diminution des crédits sans précédent. Cependant, il faut souligner que nous avions atteint un niveau qui rend cette diminution moins sévère. Nous revenons ainsi au niveau des crédits de 2021.
En réalité, nous ne sommes pas les seuls à demander à l'APD une contribution exceptionnelle à l'équilibre budgétaire. Le Royaume-Uni et la Suède ont dû en faire de même. Toutefois, il nous faut effectuer ici, pour employer une métaphore militaire, une retraite en bon ordre. Il ne s'agit pas de « casser l'outil », de façon à pouvoir remonter en puissance ultérieurement si notre situation budgétaire devait s'améliorer.
Le ministre a proposé de nous associer au choix des priorités qui doivent être définies. Pour ma part, j'en vois trois principales. D'abord, l'AFD avait récemment réinvesti le champ de l'éducation et de la formation professionnelle, enjeux considérables pour la population des pays africains, dont l'âge médian avoisine les 20 ans, avec des centaines de milliers de jeunes arrivant sur le marché du travail chaque année. Il faut donc préserver à tout prix notre effort dans ce domaine.
Longtemps délaissé, le secteur de l'agriculture est pourtant essentiel, non seulement pour garantir la sécurité alimentaire des populations, mais aussi en tant que filière économique qu'il faut structurer pour échapper au destin des économies exportatrices de produits bruts. Notre pays a, dans ce domaine, une expertise reconnue. Il faut donc préserver un apport en dons et en prêts bonifiés suffisant pour ce secteur dont la rentabilité est fluctuante.
Enfin, l'aide humanitaire ne doit pas revenir à l'étiage que nous avons connu il y a cinq ans car les crises se multiplient et jouent un rôle majeur dans les déplacements de populations et les migrations. Nous voyons les conséquences de ces difficultés en Méditerranée et dans la Manche. La sanctuarisation des crédits du centre de crise et de soutien (CDCS) prévue en 2025 est positive, mais il faudra aussi faire remonter la réserve pour crise majeure dans les prochaines années. Dans ce domaine plus encore que dans d'autres, l'image de notre pays est en jeu.
Pour conclure, je souhaiterais formuler deux remarques sur l'actualité de la mission. En premier lieu, la commission d'évaluation de l'APD n'est toujours pas en place. Même si le ministre nous a montré le texte du décret dans cette salle même, celui-ci n'est toujours pas signé. Il est regrettable que nous n'ayons pas pu bénéficier du concours de cette commission au moment où la croissance des engagements de l'AFD était à son maximum. En cette période de contrainte budgétaire, cette commission pourrait contribuer à l'identification des domaines prioritaires. Plus que jamais, nous réclamons la signature de ce décret pour que la commission d'évaluation puisse se mettre à l'oeuvre le plus rapidement possible.
D'autre part, nous attendons le nouveau contrat d'objectifs et de moyens de l'AFD. Le dernier s'achevait en 2022 et nous l'avons examiné à la fin de 2021. J'espère que les choses iront différemment pour le prochain car il serait ridicule de demander au Sénat de donner son avis sur un contrat presque arrivé à son terme.
Je vous propose pour ma part de donner un avis favorable aux crédits de la mission, sous réserve de la prise en compte par le Gouvernement de nos priorités et des remarques que nous ne cessons de formuler sur ces crédits.
M. Patrice Joly, rapporteur pour avis de la mission « Aide publique au développement » sur les programmes 110, 209, 370 et 384. - Je partage largement l'analyse de Christian Cambon, mais ma conclusion ne sera pas exactement la même.
En effet, l'ampleur de la diminution prévue par le PLF pour 2025 est disproportionnée par rapport à la part de l'APD dans le budget de l'État. Les efforts demandés à l'APD en 2025 représentent en effet près de 10 % du total des efforts demandés à l'État, alors que la mission ne pèse que 1 % des crédits.
Le message envoyé à nos partenaires internationaux par ce projet de budget affaiblit l'influence de la France à l'étranger. Notre pays semble en effet ne pas prendre en compte les multiples interdépendances, que ce soit en matière de lutte contre le réchauffement climatique ou d'accès à l'alimentation. De même, cette forte réduction des crédits laisse entendre à nos concitoyens que l'avenir de la France ne dépend que de notre politique intérieure. L'abandon des objectifs que nous nous étions nous-mêmes fixés au travers de la loi de 2021 illustre parfaitement nos errements sur les moyens dédiés à l'APD.
À titre d'exemple, la baisse prévue représente l'équivalent de la vaccination de base de plus de 71 millions d'enfants ou l'accompagnement scolaire de plus de 17 millions d'enfants sur un an. De nombreux projets au profit des populations seront annulés ou suspendus en cours de mise en oeuvre. Des programmes d'infrastructures essentielles, d'éducation, d'agriculture ou de soutien aux organisations féministes devront quant à eux être interrompus.
Je voudrais par ailleurs regretter la diminution drastique des crédits humanitaires et la suppression pure et simple de la provision pour crise majeure, qui a notamment permis, ces dernières années, de fournir une aide humanitaire à l'Ukraine et à la République démocratique du Congo, de faire face aux conséquences des tremblements de terre en Turquie et en Syrie, des incendies survenus au Chili et de la crise au Soudan et de soutenir la population haïtienne à la suite de la dégradation de la situation sécuritaire dans le pays.
Il s'agit ainsi d'un véritable coup d'arrêt à la progression des crédits humanitaires, qui avait permis à la France, au cours des années passées, de retrouver son rang - la dixième place - au sein des grands donateurs humanitaires mondiaux. Ceci va considérablement affecter notre image dans le monde.
Au total, avec cette diminution drastique des crédits, nous allons retrouver une aide essentiellement composée de prêts à destination de pays à revenu intermédiaire supérieur, voire de pays émergents, ce que nous souhaitions précisément éviter. Il y a encore quelques semaines, nous évoquions justement la nécessité d'intervenir prioritairement au travers de dons compte tenu de la solvabilité limitée d'un certain nombre de pays.
Cette évolution préoccupante s'accompagne d'une réforme menée pour des raisons d'orthodoxie budgétaire assez contestables : la réaffectation au budget général du produit de la taxe sur les transactions financières (TTF) et de celui de la taxe de solidarité sur les billets d'avion, auparavant affectés au Fonds de solidarité pour le développement (FSD).
La mission « Aide publique au développement » comprend ainsi un nouveau programme, le 384, qui se voit affecter un montant de crédits correspondant à celui qui était versé antérieurement au FSD. Le lien entre ces taxes et l'APD a été rompu : rien ne garantit, en effet, que d'éventuelles futures hausses de leur produit soient fléchées vers l'APD.
Il n'était pourtant pas absurde qu'une taxe sur les transactions boursières finance directement des biens communs mondiaux tels que le climat ou la santé compte tenu des externalités négatives mondiales de la spéculation.
En outre, la TTF représente un gisement majeur et sous-exploité de financement pour l'APD. Une étude de l'économiste Gunther Capelle-Blancard sur la TTF commandée par l'OSC Action santé mondiale a montré que 85 % de la base taxable échappait à la TTF en raison du cadre juridique de cette dernière. L'Autorité des marchés financiers (AMF) dispose pourtant d'un accès électronique à l'ensemble des transactions effectuées.
Ces phénomènes d'éviction découlent d'abord du fait générateur de la TTF, à savoir les transferts de propriété - et non les transactions en elles-mêmes -, lesquels prennent nécessairement un certain temps. D'autre part, cette taxe ne porte pas sur les transactions intraday, qui peuvent être considérées comme de la pure spéculation. Enfin, l'absence de contrôle de l'organisme de recouvrement Euroclear laisse penser que d'importantes fuites ont lieu en la matière. Il pourrait être utile, à cet égard, de transférer cette compétence à la direction générale des finances publiques (DGFiP), en lien avec l'AMF.
En attendant une réforme plus complète, il serait souhaitable, pour trouver les moyens de poursuivre notre action en matière d'APD, de porter le taux de la TTF de 0,3 % à 0,5 %, soit le taux appliqué par le Royaume-Uni et l'Allemagne. D'après les échanges que nous avons eus, cette mesure n'aurait qu'une incidence très limitée, voire nulle, sur les transactions en France et ne fragiliserait pas la place de Paris par rapport à ses concurrents étrangers.
Avec mon groupe, nous proposerons donc une telle augmentation en séance publique et je vous invite à y réfléchir sérieusement. Cela permettrait de générer facilement et rapidement environ 1,5 milliard d'euros de recettes supplémentaires en doublant pratiquement le produit actuel de la TTF et de compenser à peu près les économies proposées sur les dépenses. En parallèle, nous proposerons de ramener les crédits de l'APD à leur niveau de 2023.
Pour l'ensemble de ces raisons, je vous propose pour ma part de donner un avis défavorable aux crédits de la mission pour 2025.
M. Cédric Perrin, président. - Je laisse au groupe Socialiste, Écologiste et Républicain (SER) le soin de déposer un amendement sur la TTF. Chacun votera ensuite en son âme et conscience.
Cette idée ne me paraît pas saugrenue, mais il aurait peut-être été préférable de s'attaquer prioritairement au recouvrement. Aujourd'hui, 50 % seulement du produit théorique de la TTF est effectivement recouvré. Il me semblerait intéressant de réfléchir à un changement du mode de recouvrement en transférant cette compétence à une entité autre qu'un organisme privé n'obtenant pas les résultats escomptés. En recouvrant un peu mieux, nous pourrions considérablement augmenter les recettes sans alourdir la taxe. Je lance la réflexion collective sur cette question.
Mme Marie-Arlette Carlotti. - Je voudrais exprimer ma consternation face à la diminution drastique de ces crédits, qui aura des conséquences concrètes sur le nombre de jeunes femmes scolarisées et d'enfants vaccinés dans les pays concernés.
Nous avons des solutions, dont deux viennent d'être évoquées, pour contribuer au redressement des finances publiques. Premièrement, le relèvement à 0,5 % du taux de la TTF permettrait de générer des recettes égales au montant des économies proposées. Ce taux est déjà appliqué par de grands pays, notamment le Royaume-Uni et l'Allemagne. Nous avons donc déposé un amendement en ce sens, que je vous invite à soutenir.
Concernant l'amélioration de la performance du recouvrement, l'amendement que nous avons déposé a malheureusement été déclaré irrecevable en application de l'article 40 de la Constitution. Nous ne connaissons pas les méthodes utilisées par Euroclear pour récolter la TTF. Confier cette compétence à l'administration de l'État nous permettrait de gagner plusieurs millions d'euros.
M. Cédric Perrin, président. - Avant de laisser la parole à Raphaël Daubet, rapporteur spécial de la commission des finances, je tiens à dire que j'ai souhaité déposer un amendement visant précisément à transférer la compétence en matière de recouvrement de la TTF à l'administration de l'État. Il m'a toutefois été indiqué que celui-ci serait considéré comme irrecevable en application de l'article 40 de la Constitution, dans la mesure où il impliquerait un transfert de charge d'un organisme privé vers les services de l'État. Malheureusement, la recette supplémentaire qui pourrait en résulter n'est pas prise en compte dans cette équation.
C'est la raison pour laquelle je n'ai pas déposé cet amendement. Cependant, il serait utile de sensibiliser nos collègues et le Gouvernement à cette question. Il serait dommage de ne pas pouvoir débattre en séance publique.
M. Raphaël Daubet, rapporteur spécial de la commission des finances. - Je tiens à préciser que je suis co-rapporteur spécial de cette mission pour la commission des finances avec notre collègue Michel Canévet et que nos avis divergent à ce sujet. Je vais donc tâcher de vous présenter le mien.
Cette mission est très fortement mise à contribution dans le cadre de l'effort de redressement de nos finances publiques cette année. Les CP diminuent d'environ 34,5 % par rapport à l'année précédente, ce qui en fait la mission dont les crédits diminuent le plus en volume. Un tel effort me paraît disproportionné.
Au-delà du renoncement à l'ambition internationale de la France que ce choix induit, une telle déstabilisation des volumes de crédits, décidée dans la précipitation, ne sera pas sans conséquence. Elle frappe jusqu'aux fondamentaux de l'APD que sont l'aide humanitaire, l'aide d'urgence et l'aide alimentaire, dont on aurait pu croire qu'elles seraient préservées compte tenu du contexte de crise dans lequel le monde est plongé. La suppression pure et simple de la provision pour crise majeure du Quai d'Orsay interroge eu égard à l'instabilité climatique et géopolitique du monde.
Concernant les contributions multilatérales, la réduction par la direction générale du Trésor des participations de la France au financement de nombreux organismes au sein du programme 110 répond à une partie des recommandations de la Cour des comptes. C'est néanmoins le programme 209 qui porte l'essentiel de l'effort. Nous risquons donc de limiter davantage nos contributions volontaires, qui résultent des choix stratégiques de la France, que nos contributions obligatoires. Cette mesure risque, selon moi, d'être sans effet sur le problème de la rigidification des dépenses.
Les diminutions de crédits opérées sans discernement contribueront certes à l'effort de redressement des finances publiques, mais passeront à côté de l'enjeu de rationalisation, très important aux yeux de la commission des finances. L'exemple du Fonds d'études et d'aide au secteur privé (Fasep), maintenu malgré les critiques de l'Inspection générale des finances (IGF) au sujet de son inefficience, est particulièrement édifiant et démontre que l'effort n'est pas ciblé sur les bonnes économies.
Enfin, l'APD constitue un canal de projection internationale pour nos entreprises, leur permettant d'accéder à des marchés émergents. Entre 2019 et 2023, la part de marché des entreprises françaises sur les appels d'offres internationaux financés par l'AFP s'est établie à 51 %, soit 800 marchés, pour un total de 2,5 milliards d'euros.
Je considère pour ma part que l'ampleur de cette coupe budgétaire porte atteinte à l'action humanitaire de la France à l'étranger, ne permet pas de rationaliser de manière qualitative nos contributions multilatérales et aura des conséquences économiques négatives qui ne sont pas prises en compte. L'effort légitime demandé à cette mission doit être abordé avec nuance et pragmatisme pour éviter la faute politique qui consisterait à abîmer la voix de la France à l'international. Ces mesures d'économie me paraissent de nature à nous faire perdre une part de notre influence dans le monde. J'ai donc émis, à titre personnel, un avis défavorable à l'adoption de ces crédits en commission des finances.
M. Roger Karoutchi. - Pour ma part, je m'abstiendrai sur ces crédits.
Je comprends bien tout ce qui est dit, mais il faudrait peut-être remettre sur la table la totalité des aides versées. Lorsque j'étais membre de la commission des finances, j'ai auditionné l'AFD à plusieurs reprises. Je reste aujourd'hui abasourdi par l'absence totale de contrôle. Des rapports de la Cour des comptes et de l'IGF ont été publiés et nous avons demandé une commission d'évaluation sans avoir pu obtenir de retour à ce sujet depuis. Tout le monde se demande si l'argent public est bien utilisé en la matière. Je rappelle tout de même que nous parlons d'un total de 13 à 14 milliards d'euros en 2023.
Je suis très sceptique quant au fonctionnement de l'AFD. J'étais opposé à la construction de 50 000 mètres carré de locaux à Paris-Austerlitz, n'étant pas convaincu qu'il s'agisse d'une excellente idée. Il y a deux mois, j'ai été sidéré de voir l'AFD inaugurer en grande pompe son siège en Guinée, un magnifique ensemble, alors que l'ambassade de France n'est installée que dans un tout petit immeuble. Nombre de nos ambassadeurs se plaignent du pouvoir de l'AFD, qui dépasse ou outrepasse le leur.
Sans remettre en cause l'aide aux pays les plus pauvres, il faudra à un moment donné que la gestion soit centralisée et mieux contrôlée. Il n'est pas possible que nous ne disposions pas d'une commission d'évaluation ou que les rapports de la Cour des comptes et de l'IGF restent lettre morte.
M. Alain Joyandet. - L'AFD est un formidable outil au service de la France, qui s'est heureusement développé par ses propres moyens. Lorsque j'étais membre du Gouvernement, l'AFD déployait quelques milliards d'euros seulement ; elle gère aujourd'hui 12 à 14 milliards d'euros. L'agence intervient à 80 % par le biais de prêts concédés à des pays du monde entier et financés par les marchés financiers internationaux, qui ne coûtent rien à l'État. Des crédits d'État lui sont également confiés pour bonifier des prêts ou faire des dons.
Les économies opérées sur le budget de l'AFD vont donc entraîner une diminution du volume des bonifications et des dons. L'agence va survivre, mais elle deviendra essentiellement une banque de développement - c'est-à-dire exactement ce que nous lui reprochons souvent d'être au sein de cette commission - intervenant dans les pays les plus solvables, et notamment dans les pays émergents, où elle peut accorder des prêts à des taux normaux et réaliser des bénéfices. Il est heureux, d'ailleurs, qu'elle dispose de cette faculté, qui lui permet d'aider en retour les pays pauvres.
Je suis, pour ma part, solidaire de l'action gouvernementale. Notre situation financière est dramatique et il faut bien trouver de l'argent quelque part. Je ne m'associerai donc pas à un vote défavorable, mais préfèrerais m'abstenir ; je me déciderai en séance publique en fonction de la tournure que prendront les débats.
Je suis ouvert aux solutions avancées pour préserver l'APD tout en générant des recettes supplémentaires pour le budget de l'État. C'est la raison pour laquelle j'ai moi-même déposé un amendement de repli pour augmenter le taux de la TTF, mais à un niveau moins élevé que celui que propose Patrice Joly, de façon à trouver 500 millions d'euros de recettes nouvelles. Toutefois, le produit de cette taxe n'étant plus affecté à l'AFD, les crédits de cette dernière pourraient diminuer même si un amendement de cette nature était adopté - et je n'y crois pas.
Enfin, je rappelle que, depuis quelques années, le montant global de l'APD ne correspond plus uniquement à celui des dons, mais aussi à celui des prêts. Il ne faut donc pas tirer en permanence sur l'AFD car la position de la France à l'étranger ne serait pas ce qu'elle est aujourd'hui si nous en étions restés à l'action directe de l'État.
M. Akli Mellouli. - Si nous n'avions de problèmes d'évaluation et de contrôle qu'avec l'AFD, la France se porterait sans doute mieux.
Est-ce en diminuant brutalement ses crédits que nous allons améliorer l'évaluation et le contrôle ? Effectivement, si l'AFD devenait une banque, elle irait prêter de l'argent à la Chine ou à d'autres pays émergents car ces opérations seraient plus rentables, affaiblissant d'autant le rayonnement de la France.
Comme nos collègues, nous allons donc déposer un amendement sur la TTF et voter contre ces crédits car cette méthode et ces coups de rabot sont indécents. Il faut certes réaliser des économies, mais celles-ci doivent être justifiées et ne pas porter atteinte à notre rayonnement. La perte de notre dernier lien avec certains pays d'Afrique au moment où la concurrence internationale s'intensifie ne saurait constituer une stratégie payante à long terme.
M. Christian Cambon, rapporteur pour avis. - Comme l'a souligné Alain Joyandet, la difficulté est structurelle : l'AFD joue deux rôles tout à fait différents. L'agence est aussi une banque de développement.
Il est dommage que le gouvernement précédent ait supprimé, en contradiction avec les dispositions de la loi d'orientation du 4 août 2021, la liste des 19 pays les plus pauvres, qui ciblait notre action et permettait de la mesurer. On se fonde maintenant sur les pays les moins avancés, au nombre d'environ 50, ce qui permet certes d'éviter de créer des droits acquis, mais noie complètement l'action de la France vis-à-vis des pays pauvres, et plus particulièrement des pays d'Afrique, qui méritent la plus grande attention. Cela nous ramène au sujet de la commission d'évaluation, qui nous permettra de savoir où va l'argent.
Je partage l'avis d'Alain Joyandet : l'AFD fait un travail extraordinaire. Il est vrai que, sur place, les moyens qu'elle déploie sont parfois bien plus considérables que ceux des ambassades, mais il importe surtout de vérifier si cet argent va bien vers les pays pauvres pour aider les populations à s'alimenter, à se soigner et à se former, comme notre commission l'a toujours souhaité. J'espère donc que le décret sera publié prochainement et que la commission d'évaluation pourra être installée le plus rapidement possible.
Mme Vivette Lopez. - Je partage pleinement les propos de Roger Karoutchi.
Lors de son audition, il y a trois semaines, j'ai été frappée d'entendre que l'AFD finançait l'irrigation agricole en Moldavie. Je n'ai rien contre ce pays, mais cette aide m'est quelque peu désagréable dans la mesure où nos agriculteurs font face à des difficultés similaires.
En outre, l'AFD participe à l'effort de reconstruction en Ukraine. Je sais qu'il faudra aider l'Ukraine à reconstruire des écoles et des hôpitaux, mais le moment choisi n'est sans doute pas opportun : la guerre n'étant pas terminée, les bâtiments reconstruits sont souvent détruits dans la foulée.
Au total, je reste sceptique et considère qu'une commission d'enquête sur ce sujet serait vraiment nécessaire.
M. Pascal Allizard. - Nous avons ce débat pratiquement tous les ans, pour ne pas dire plusieurs fois par an. Il est plus intense encore cette année car la situation budgétaire du pays induit des décisions plus graves.
Nous avons tous vécu des auditions du directeur général de l'AFD au cours desquelles nous posions des questions concrètes et n'obtenions que des réponses évasives, voire pas de réponse du tout. Je ne l'ai vu ouvert et coopératif que quand il lui a fallu venir chercher notre vote pour le renouvellement de son mandat.
L'AFD est-elle une agence ou une banque ? Je crois que toute la problématique réside dans la confusion entre ces deux statuts. S'il s'agit d'une banque qui intervient sur le marché, elle dispose d'une certaine latitude de fonctionnement ; s'il s'agit d'une agence qui mène une action publique avec des crédits d'État, il lui faut rendre des comptes.
Aujourd'hui, si nous disposons de ces comptes au sens comptable du terme, nous ne les avons pas au sens diplomatique. Lorsque nous nous rendons sur le terrain, nous constatons une quasi-autonomie d'action du responsable régional de l'AFD. Je trouve cette situation catastrophique en termes de lisibilité de notre action diplomatique.
Ce statut me semble mauvais. Il est nécessaire de clarifier la situation : si l'AFD est une banque, il faudra peut-être redéployer son activité de soutien sur les pays les plus pauvres.
Un certain nombre d'entre nous pensent que l'État consacre chaque année 12 à 14 milliards d'euros au fonctionnement de l'AFD, ce qui n'est pas vrai. Or il est assez tentant, en période de disette budgétaire, de prélever 200, 300 ou 500 millions d'euros à un organisme qui utilise 12 à 14 milliards d'euros de crédits d'État. C'est effectivement une erreur d'analyse, mais nous continuerons probablement à avoir ce type de discussion tant que le statut de cet établissement restera ambigu.
Mme Sylvie Goy-Chavent. - Personne ici ne souhaite remettre en question l'aide versée aux pays les plus pauvres. Néanmoins, il faut appeler un chat un chat : nous allons nous-même bientôt faire partie de ces pays. Nous vivons à crédit et nous nous faisons pourtant les banquiers d'autres pays. Je ne vois pas comment nous pouvons l'expliquer à nos concitoyens.
J'ai été administrateur de l'AFD, au sein de laquelle j'ai constaté une certaine opacité. Entre les dons et les prêts, l'agence brasse beaucoup d'argent, alors que la distinction entre ses modes d'intervention n'est pas toujours évidente, comme l'a rappelé Pascal Allizard. Il est nécessaire qu'une commission se penche vraiment sur cette question. Nous n'avons aucune visibilité sur le budget de fonctionnement de l'AFD.
En tout état de cause, nous ne pouvons pas continuer à prêter de l'argent à des pays tels que la Chine. Il n'est pas possible de donner 171 millions d'euros à la Turquie alors que nous n'arrivons pas à aider nos compatriotes.
Mme Valérie Boyer. - Je partage le profond malaise qui entoure la question des moyens de l'AFD. Il m'est difficile de comprendre la manière dont elle est organisée. Il est vrai qu'une clarification de son statut me paraît nécessaire.
Surtout, je ne comprends pas pourquoi la représentation française ne relève pas de la compétence exclusive des ambassades. Les ambassadeurs pourraient éventuellement être accompagnés de banquiers, mais il n'est pas envisageable de laisser deux antennes françaises mener chacune leur propre politique. Il ne peut en découler qu'une perte de force et d'influence pour la France, notre politique étant illisible et incompréhensible. Nous accordons par exemple un prêt à l'Algérie alors que son ambassadeur a été rappelé ! Cette situation est ubuesque.
Pourquoi ne voterions-nous pas pour que chaque antenne locale de l'AFD soit rattachée directement à l'ambassade de France dans le pays concerné ? Cela ne l'empêcherait pas de poursuivre son activité, mais sous l'égide de l'ambassadeur.
M. Christian Cambon, rapporteur pour avis. - C'est déjà le cas ! L'ambassadeur a autorité sur ses services.
M. Alain Joyandet. - C'est ce qui se passe dans le monde entier !
Mme Valérie Boyer. - En tout cas, cela ne se voit pas. Pourquoi ne sont-ils pas réunis physiquement ? Si tel est le cas, pourquoi avons-nous cette discussion chaque année ?
M. Christian Cambon, rapporteur pour avis. - Je souhaiterais revenir brièvement sur l'intervention de Patrice Joly. Nous avons en effet une légère différence d'appréciation.
Personnellement, je préfèrerais améliorer le recouvrement de la TTF que d'augmenter son taux. Créer des taxes est simple - elles reposent toujours sur les autres -, mais il faut d'abord penser à l'image de la place financière de Paris et se souvenir que la TTF frappe aussi les entreprises françaises.
Les points que soulève Patrice, notamment sur les mouvements intraday, sont exacts et l'on voit bien ce que ces pistes pourraient rapporter. Je pense néanmoins qu'il conviendrait d'abord de faire en sorte que le produit de la taxe soit effectivement récupéré. Quand vous allez acheter une baguette de pain, vous ne demandez pas qu'on vous exonère de la TVA ! Il est nécessaire que les entreprises qui procèdent à des mouvements financiers paient automatiquement la TTF, ce qui renforcerait les moyens de l'APD.
Il ne faudrait surtout pas jeter le bébé avec l'eau du bain car l'AFD fait un travail extraordinaire dans certains pays. Je pense que les décisions malheureuses prises par le comité interministériel de la coopération internationale et du développement (Cicid) sous le gouvernement précédent ont flouté les directives que nous avions données. Quoi qu'il en soit, je voterai ces crédits sous les réserves que j'ai formulées. Il en va de l'image de la France et de son rayonnement.
M. Patrice Joly, rapporteur pour avis. - Sur la question du contrôle et du pilotage, il convient de rappeler que l'AFD est dirigée par un conseil d'administration sous la tutelle du ministère de l'économie et des finances et contrôlée par la Cour des comptes et l'IGF. Bien qu'elle n'ait toujours pas été installée, la commission d'évaluation reste une perspective.
La question de la gouvernance se pose néanmoins, en particulier lorsque des contrats d'objectifs et de moyens ne nous parviennent qu'après avoir été déjà à moitié exécutés.
Par ailleurs, l'ambiguïté autour du statut de l'AFD permet de faire levier sur notre capacité à prélever sur les marchés financiers les moyens d'accompagner les pays qui en ont besoin. Si l'on ne veut pas qu'elle ne prête qu'aux pays émergents dont elle est certaine qu'ils rembourseront, l'agence pourrait avoir besoin d'être recapitalisée à un moment donné, ce qui représente un coût. Je trouve que l'ambiguïté peut présenter des avantages, en permettant notamment de faire plus avec une base budgétaire moindre.
Enfin, s'agissant de la refonte de la TTF, seul le levier du taux permettrait de dégager les moyens nécessaires dès 2025. Ces recettes supplémentaires devraient alors être affectées au programme 384, qui se substitue au FSD.
M. Cédric Perrin, président. - Merci pour la richesse de ces débats. Nous devrons sans doute revenir sur ce sujet au cours de l'année à venir pour revoir un certain nombre de points et mettre la pression sur le Gouvernement pour qu'il constitue cette commission d'évaluation.
La commission émet un avis favorable à l'adoption des crédits des programmes 110, 209, 370 et 384 de la mission « Aide publique au développement ».
Projet de loi de finances pour 2025 - Mission « Défense » - Programme 144 - Environnement et prospective de la politique de défense - Examen du rapport pour avis
M. Pascal Allizard, rapporteur pour avis. - Le programme 144 porte les crédits consacrés au renseignement et à la prospective du ministère des armées.
Le projet de budget qui nous est présenté respecte les engagements pris dans le cadre de la loi de programmation militaire (LPM) pour les années 2024 à 2030, qui fixe un haut niveau d'ambitions en la matière.
Le programme 144 sera ainsi doté de 2 milliards d'euros l'an prochain, soit une progression de près de 6 % par rapport à 2024.
Je me concentrerai sur les moyens qui seront consacrés à l'innovation et à la prospective ainsi que sur les questions relatives à l'accès au financement des entreprises de la base industrielle et technologique de défense, et Gisèle Jourda évoquera les crédits du renseignement.
Mes chers collègues, la LPM prévoyait un effort historique en faveur de l'innovation de défense, avec des besoins inscrits au titre du « patch » innovation s'élevant à plus de 10 Mds€ sur la période 24-30.
Le PLF pour 2025 va au-delà de la trajectoire prévue en LPM en fixant un niveau de crédits dédiés à l'innovation s'élevant à près de 1,3 milliard d'euros contre un peu plus de 1,2 milliard d'euros envisagés dans la LPM.
Hors dissuasion, les crédits d'études amont s'établiront ainsi à 832 millions d'euros, soit un montant supérieur de 68 millions d'euros à l'annuité 2025 de la LPM.
Nous considérons que cet effort consenti dès les premières années de mise en oeuvre de la loi de programmation militaire va dans le bon sens pour deux raisons.
D'abord, parce que cela limite les effets de l'inflation, un euro d'aujourd'hui valant plus qu'un euro de demain.
Ensuite, et c'est une stratégie délibérée de l'agence de l'innovation de défense, car contractualiser rapidement avec les entreprises, en particulier les petites et les moyennes, permet de leur donner de la visibilité sur leurs financements étatiques.
Cette situation est-elle pour autant idyllique ? Pas tout à fait. Si les armées affirment n'avoir identifié aucune impasse dans les études qui seront lancées au cours des prochaines années, les industriels ont mis en avant un certain nombre de points de vigilance. Pour ne citer qu'un exemple, dans le domaine terrestre, le développement de certaines munitions de nouvelle génération et de munitions dédiées à la lutte anti drones pourrait être entravé faute de budgets suffisants.
Par ailleurs, les conséquences de l'annulation de 33 millions d'euros prévue en 2024, qui touchera principalement les crédits dédiés à l'innovation, ne sont pas encore connues. Il n'est pas à exclure que cette coupe dans les moyens du programme 144 nécessitera de reporter certaines opérations dont le lancement était prévu en 2025.
J'ajoute que les crédits consacrés au financement des grands démonstrateurs prévus dans la LPM diminueront de 12 millions d'euros, pour atteindre 118 millions d'euros.
Nous appelons à ce que cette baisse des crédits consacrés aux démonstrateurs ne soit pas compensée par une augmentation excessive de la part d'autofinancement de certains projets par les industriels. En effet, si nous considérons qu'il n'est pas anormal que les entreprises, en particulier les grands groupes, prennent une part de risque qui témoigne de l'intérêt qu'elles portent au projet, nous estimons qu'un équilibre doit être trouvé afin, d'une part, d'éviter d'aggraver les difficultés d'accès aux financements privés qui peuvent être rencontrées par certaines entreprises de la base industrielle et technologique de défense (BITD) et, d'autre part, de ne pas rigidifier les dispositions contractuelles relatives à la propriété intellectuelle et industrielle, rendant difficiles ou impossibles les adaptations devenues nécessaires des matériels et équipements une fois acquis par les armées.
J'en viens à la question de l'accès au financement des entreprises de la BITD. Au cours de son audition devant notre commission, le ministère délégué auprès du ministre des armées et des anciens combattants, qui connaît bien cette question pour avoir beaucoup travaillé sur cette question lorsqu'il était parlementaire, s'est voulu optimiste sur l'évolution de la situation. J'ai d'ailleurs noté que le ministre avait laissé son ministre délégué répondre à ma question et avait « savouré » la réponse. Ce tableau est pourtant très éloigné de celui qui nous est présenté par les acteurs du secteur. Si des avancées peuvent être notées, grâce notamment aux alertes lancées par le Parlement et au volontarisme de la délégation générale de l'armement, force est de constater que des entreprises de la BITD continuent de rencontrer des difficultés d'accès au financement bancaire et aux investissements.
Certes, les cas remontés sont peu nombreux, mais s'élevaient tout de même à une vingtaine l'an dernier. Il faut être conscient que ces cas ne représentent que la partie émergée de l'iceberg. On peut comprendre que les entreprises préfèrent préserver leurs relations avec leurs banques et éviter d'exposer leurs difficultés de financement à leur donneur d'ordre. Nombre d'entreprises se voient ainsi refuser un prêt, un financement export, une garantie d'emprunt au seul motif que leur activité concerne la défense, ce qui est inacceptable dans un contexte où l'on parle d'économie de guerre. Par ailleurs, certains grands assureurs adopteraient ces mêmes restrictions. Loin d'une amélioration de la situation, nous constatons donc une forme d'aggravation.
C'est pourquoi nous appelons à des initiatives rapides de la part du Gouvernement sur ce sujet. Les propositions existent : il suffit de relancer les initiatives parlementaires suspendues depuis la dissolution !
J'ajoute et conclurai sur ce point que toute menace en provenance de certaines institutions européennes n'est pas écartée, comme en témoignent les lignes directrices de l'autorité européenne des marchés financiers sur la dénomination des fonds ESG, qui étend la définition des armes controversées au nucléaire.
Mes chers collègues, sous bénéfice de ces observations et celles de Gisèle Jourda, je vous proposerai d'adopter sans modification les crédits du programme 144.
Mme Gisèle Jourda, rapportrice pour avis. - Je m'attacherai à présenter la part des crédits du programme 144 consacrée au renseignement intéressant la sécurité de la France.
Concrètement, il s'agit des crédits de fonctionnement, d'investissement et d'intervention de la direction générale de la sécurité extérieure (DGSE) et de la direction du renseignement et de la sécurité de la défense (DRSD).
Avec 508 millions d'euros de crédits de paiement en 2025 contre 476 millions d'euros en 2024, le budget de ces deux services progresse conformément à l'objectif fixé par la LPM de doublement des crédits en 2030 par rapport à 2017. Les effectifs vont également progresser de 7 652 équivalents temps plein travaillés (ETPT) en 2024 à 7 814 ETPT en 2025, correspondant à 735 millions d'euros de crédits de paiement de titre 2 relevant du programme 212 « Soutien de la politique de défense ».
Ce sont donc au total sur les programmes 144 et 212 près de 1,25 milliard d'euros consacrés à la fonction de renseignement extérieur, de sécurité et de défense.
Il s'agit d'une année charnière particulière pour la DGSE qui vient de lancer le 12 novembre dernier les travaux du Fort neuf de Vincennes qui devront être livrés en 2030 pour une entrée en service en 2031. Nous avions d'ailleurs été convié à l'inauguration par le ministre de la défense, mais nous étions retenus par d'autres obligations. Cela fera certainement l'objet d'une visite prochaine à organiser avec le service.
L'année 2025 marquera également pour la DRSD une étape très importante de sa transformation. J'ai pu visiter avec le général Susnjara le nouveau bâtiment construit au coeur du fort de Vanves qui accueillera les systèmes et les équipes dans un nouvel environnement technologique et ergonomique de travail.
Au-delà du constat que l'allocation de crédit est conforme aux besoins programmés (les deux services ont exprimé leur satisfaction ce qui n'est pas courant en ce moment) je voudrais rappeler qu'elle s'inscrit donc dans la trajectoire visant un total de 5 milliards d'euros de crédits de renseignement sur la période de la LPM 2024-2030. C'est, je le rappelle encore, un des motifs qui avait conduit mon groupe à voter cette LPM.
Quelques observations tout de même :
- Je voudrais en effet souligner que le futur déménagement de la DGSE au Fort neuf de Vincennes comme la livraison du nouveau siège de la DRSD ne se limitent pas à des opérations immobilières. Celles-ci, de par leur contenu technologique et de nouvelles architectures de travail collaboratif, vont contribuer, pour la DRSD, à transformer dès la fin du premier semestre 2025 les méthodes de travail, à améliorer l'attractivité du recrutement et contribuer à la création d'un centre de formation, allant de pair avec la livraison d'un nouveau système d'information de renseignement et de contre ingérence de défense (SIRCID) ;
- S'agissant de la DGSE, notre attention a été attirée par l'accroissement de la conflictualité sur l'ensemble du spectre des missions du service tant sur les théâtres d'opération que sur la montée en gamme des menaces cyber et informationnelles, avec la nécessité de renforcer la sécurité opérationnelle de l'ensemble des postes et des agents. Je voudrais saisir cette occasion pour saluer ici l'ensemble de ces personnels qui travaillent à notre sécurité et dont certains sont détenus au Burkina Faso. Je leur exprime nos pensées ainsi qu'à leur famille. Leur libération est une priorité absolue.
Mes chers collègues, je proposerai comme mon collègue Pascal Allizard l'adoption sans modification de ces crédits du programme 144.
M. Ludovic Haye. - Je vous remercie d'avoir insisté sur la question de l'accès au financement des entreprises de la défense. Nous avons des retours d'industriels qui reçoivent des réponses négatives de leurs banques qui ne se cachent pas de refuser des prêts en raison de leur activité dans le secteur dans la défense. Comme le propose Pascal Allizard, je pense qu'il faut remettre sur la table les propositions qui ont été faites et d'en trouver d'autres peut-être au regard de l'évolution du contexte géopolitique.
M. Cédric Perrin, président. - Dans le cadre de la mission d'information que nous réaliserons sur la base industrielle et technologique de défense européenne (BITDE), à l'initiative du groupe socialiste notamment, nous reviendrons sur ces questions de financement, de conformité et de taxonomies.
M. Pascal Allizard, rapporteur pour avis. - Je précise qu'à Bercy, la direction générale des entreprises semble avoir saisi les enjeux, ce qui n'est pas le cas de la direction générale du Trésor, qui peut parfois donner le sentiment que ces sujets ne nous concernent pas. Du côté de la direction générale de l'armement, autant le directeur de l'agence de l'innovation de défense est conscient des problèmes rencontrés, autant le représentant du DGA s'est contenté de livrer les éléments de langage de la direction générale du Trésor. Il y a donc encore un vrai déni sur ce sujet dans certaines administrations. J'ajoute que ce qui se passe à Bruxelles est inquiétant.
M. Cédric Perrin, président. - J'ajoute que cette problématique touche désormais les assureurs. Certaines entreprises rencontrent des difficultés pour assurer des bâtiments. La proposition de flécher une partie de l'encours du livret A vers les entreprises de la défense ne visait pas à répondre à la totalité des besoins de financement de ces entreprises mais surtout à sensibiliser sur la nécessité d'accompagner les industriels de la BITD.
La commission donne un avis favorable à l'adoption des crédits du programme 144.
Projet de loi de finances pour 2025 - Mission « Défense » - Programme 146 - Équipement des forces - Examen du rapport pour avis
M. Cédric Perrin, président. - Nous passons maintenant au programme 146 d'équipement des forces. La parole est à Hélène Conway-Mouret.
Mme Hélène Conway-Mouret, co-rapporteur. - Monsieur le Président, mes chers collègues, le PLF 2025 qui met en oeuvre la deuxième année de la LPM avec sa marche de 3,3 Mds€ constitue un moment de clarification. Le ministère des Armées n'évoque plus, en effet, le passage à l'économie de guerre mais, de manière plus réaliste, la « préparation à l'économie de guerre ».
Vous vous souvenez peut-être que nous avions vivement regretté l'année dernière l'emploi de cette expression qui ne correspondait pas à la réalité. Le rythme de production des munitions et des matériels ne permettait pas, en effet, de répondre à un engagement de haute intensité ni à aider suffisamment l'Ukraine. Qu'en est-il aujourd'hui ? Les déplacements que nous avons effectués sur le terrain au mois de mai à Bourges et en octobre dernier à Roanne ont montré que les choses bougeaient. Les processus de fabrication ont été adaptés afin d'accroître les cadences de production. L'assemblage des blindés du programme Scorpion, par exemple, s'inspire maintenant des lignes de production des grands constructeurs automobiles. Ces mêmes industriels ont pris sur eux pour investir dans des machines-outils ultra-modernes et constituer des stocks de composants.
Cette remontée en puissance de notre BITD permettra de poursuivre en 2025 les livraisons d'équipements prévus par la LPM (une douzaine de CAESAR ; 20 Leclerc rénovés (XLR) ; 282 véhicules SCORPION ; 8 000 fusils HK416 ; 14 Rafale (standards F3 et F4), 5 Caracal et 5 Tigre rénovés ; un A400M Atlas ; une frégate de défense et d'intervention (FDI)). Mais les effets seront également visibles en matière de munitions, la hausse de 27% des crédits permettant de regarnir les stocks d'obus, de bombes et de missiles.
Si nous nous réjouissons de cette remontée en puissance, il convient néanmoins d'être réaliste sur son ampleur. Nous avons, en effet, demandé à l'état-major de nous indiquer ce qu'il entendait par « combat de haute intensité » et celui-ci nous a répondu qu'il avait pris pour référence un engagement de deux mois pour définir ses besoins en matériels, munitions et logistique. Ce délai de 2 mois ne peut que nous interroger après bientôt trois années de guerre en Ukraine. Il est en effet trop bref pour permettre aux industriels de passer en économie de guerre et prendre le relais. C'est la raison pour laquelle notre première recommandation est de porter de 2 à 6 mois la durée du référentiel retenu aujourd'hui par les Armées pour déterminer le niveau des stocks de munitions et de matériels de base nécessaires pour conduire un affrontement de haute intensité. Ce changement de référentiel nécessiterait bien évidemment des moyens supplémentaires que nous souhaitons évaluer précisément dans les mois qui viennent.
Le deuxième sujet important sur lequel je souhaiterais insister concerne le renouvellement des composantes de la dissuasion nucléaire qui sera engagé en 2025. Les autorisations d'engagement augmenteront de presque 700% à près de 26 Mds€ afin de permettre le renouvellement à la fois de la composante aéroportée (ASM4G) et de la composante océanique (M 51.3 et SNLE 3G). Ces équipements s'inscrivent dans le temps long mais ils sont fondamentaux pour garantir la sécurité des générations futures à un moment où le contexte stratégique est redevenu moins prévisible. Notre 2ème recommandation est donc de sanctuariser les moyens nécessaires à notre dissuasion nucléaire.
Si nous estimons nécessaire de rappeler la nécessité de garantir les moyens de la LPM c'est aussi parce que le ministre des Armées a volontairement entretenu le flou sur la gestion de ces crédits. Alors que le délégué général à l'Armement nous a rappelé que 532 M€ de crédits seraient annulés en 2024 sur le programme 146 (après l'annulation de 505 M€ en 2023) pour financer les OPEX, le ministre a ouvert la perspective qu'une part croissante des OPEX pourrait à l'avenir être financée par les crédits de la LPM, en contradiction avec le principe qui avait été réaffirmé lors des débats de 2023.
Compte tenu de l'importance que devraient prendre les missions de réassurance sur le front est-européen dans les années à venir, leur financement par le budget des Armées reviendrait en réalité à ne plus respecter la LPM. C'est la raison pour laquelle notre 3ème recommandation vise à préserver une contribution forfaitaire du ministère des Armées au financement des OPEX mais également à assurer la transparence du coût des OPEX « non combattantes » et des opérations menées sur le territoire national (Nouvelle-Calédonie, Sentinelle, JOP 2024...).
Avant de céder la parole à mon collègue co-rapporteur quelques mots sur le programme SCAF pour lequel l'année 2025 sera une année décisive. La coopération industrielle demeure complexe. Si le recours à la méthode des piliers a permis de répartir le travail en respectant les savoir-faire de Dassault et Safran, des inquiétudes existent. Nous rappelons donc la nécessité pour tous les industriels associés aux programmes allemand et espagnol, notamment sur la partie moteur, d'être au rendez-vous tant en termes d'excellence technologique que de niveaux d'investissement.
Mais le principal sujet d'achoppement concerne toujours la différence d'organisation entre la France et l'Allemagne en matière d'agrément des exportations d'armement. L'accord franco-allemand signé en octobre 2019 n'a en réalité pas permis de lever les incertitudes puisqu'il ne concerne que les exportations pour lesquelles les produits industriels allemands ne comptent que pour moins de 20% du total. L'expérience récente du contrat Eurofighter en Arabie saoudite a mis en évidence que le Bundestag n'entendait pas se dessaisir de cette compétence et qu'elle était un enjeu majeur des contrats de coalition. Le DGA nous a indiqué qu'un sommet organisé le mois prochain consacré au SCAF devrait permettre de clarifier le régime des exportations et les caractéristiques de l'avion qui doit être capable d'aponter et de porter le missile nucléaire. L'absence de restriction à l'export étant une condition sine qua non posée par la France pour engager ce programme, si elle devait ne pas être respectée c'est son avenir même qui serait remis en cause.
Il nous apparaît d'autant plus nécessaire de réaffirmer nos « lignes rouges » qu'on voit émerger outre-rhin l'idée de créer une instance multilatérale qui aurait le pouvoir de s'opposer à un contrat d'exportation négocié par les autorités françaises. Une telle contrainte aurait inévitablement pour conséquence de réduire considérablement les perspectives d'exportation et donc de fragiliser l'équation économique et financière du programme SCAF. C'est la raison pour laquelle notre 4ème recommandation vise à organiser un débat au Parlement en 2025, après les élections allemandes, sur l'avenir du SCAF. De même, notre 5ème recommandation consiste à refuser tout mécanisme de contrôle multilatéral des exportations d'armements ayant fait l'objet d'un programme commun européen. La France doit demeurer souveraine en matière d'exportation d'armements.
Avant de céder la parole à mon collègue co-rapporteur, je souhaitais vous faire part du dilemme auquel nous faisons face. D'un côté, le budget maintient la marche de 3,3 Mds€ et des progrès réels sont constatés sur le terrain. Mais nous devons aussi nous inquiéter des insuffisances persistantes pour nous préparer à la haute intensité et des impasses nombreuses qui effleurent dans ce budget (programmes non financés, reports de charges, référentiel insuffisant sur la haute intensité...). Le compte n'y est pas, il manque pas mal de crédits. C'est pourquoi je propose que la commission donne un avis de sagesse à l'adoption des crédits du programme 146 dans la mission « Défense ». Ce serait un signal lancé par notre commission afin que le ministre des Armées clarifie en séance ses priorités et nous indique quels programmes seront touchés par le manque de crédits. Pour ma part je m'abstiendrai en séance sur le vote des crédits de la mission défense.
M. Hugues Saury, co-rapporteur. - Monsieur le Président, mes chers collègues, il y a certes des interrogations sur les reports de charges, sur l'avenir du programme SCAF et j'ajouterai que le MGCS, l'autre grand programme mené en coopération avec les Allemands, n'est pas dans une meilleure situation depuis l'accord signé entre Rheinmetall et Leonardo en juillet 2024 pour développer le KF-51 Panther. Les armées française et allemande ont beau avoir défini une feuille de route commune pour disposer d'un même matériel, les industriels allemands poursuivent leur stratégie solitaire. Plus ennuyeux encore, KNDS Allemagne fait obstacle à ce que KNDS France propose sa propre solution du canon ASCALON monté sur un châssis allemand afin de ne pas nuire au LEOPARD.
Il faut avoir à l'esprit que notre affaiblissement dans le blindé lourd est directement la conséquence du non-choix fait dans la LPM concernant l'avenir de cette arme dont la guerre en Ukraine a pourtant démontré qu'elle demeurait incontournable. En excluant l'accroissement nos moyens lourds nationaux au-delà de la rénovation en cours des Leclerc existants, notre pays s'est créé une dépendance à l'égard d'un programme plurinational et a pour ainsi dire précipité notre affaiblissement dans le concert européen industriel. Alors que tous les pays de l'Union européenne ont relancé les commandes de chars lourds notre 6ème recommandation vise donc à ne pas exclure de rouvrir ce dossier à compter de 2027 en fonction de l'évolution de la menace et de la clarification des coopérations. La commande d'une évolution du char Leclerc permettrait, en effet, d'accroître le nombre de nos escadrons chenillés, de retrouver une place sur le marché international des blindés lourds et de peser véritablement dans le programme MGCS.
Si le SCAF et le MGCS occupent beaucoup notre attention, les moyens contraints de la LPM ont aussi pour conséquence de réduire notre capacité à adapter nos matériels aux nouvelles menaces. Les frégates FDI, par exemple, n'ont pas été armées pour des combats de haute intensité et nos navires comme nos blindés n'ont pas été prévus nativement pour lutter contre les drones. Il faut donc trouver des moyens pour répondre aux nouvelles menaces ce qui n'est pas simple comme l'illustre le retard pris pour développer de nouvelles munitions 30 mm et 40 mm Airbust pourtant utiles pour lutter contre les drones.
Dans ces conditions, on ne peut que saluer la relance du programme visant à donner un successeur au LRU. Les deux groupements constitués (Safran/MBDA et Thales/ArianeGroup) auront l'année 2025 pour réaliser un démonstrateur et mettre en valeur ses performances avant le lancement de commandes par l'État. Même s'il apparaît maintenant illusoire de pouvoir disposer de ces nouveaux matériels en 2027, date de retrait du service envisagée pour les LRU, le choix d'un matériel souverain constitue une satisfaction et notre 7ème recommandation vise à tenir le délai des commandes fin 2025.
J'en viens maintenant au sujet le plus important de l'année 2025 : le lancement du standard F5 du Rafale. Plus qu'une évolution il s'agira d'un tout nouvel avion doté d'un nouveau radar, de nouveaux capteurs optroniques, d'un nouveau système de guerre électronique et d'un drone de combat. Cet avion devra être capable de délivrer le missile nucléaire ASN4G qui sera plus lourd que le missile actuel. Or malgré les limites du moteur M. 88 et les besoins accrus, la LPM n'a pas prévu les crédits pour financer l'évolution T-REX qui doit porter de 7,5 à 9 tonnes la poussée du moteur M.88. Cette évolution est indispensable pour garantir la manoeuvrabilité de l'avion et donc la sécurité des pilotes. Elle doit aussi assurer la préservation du savoir-faire de Safran au niveau européen. Notre 8ème recommandation consiste donc à lancer le développement T-REX en même temps que le standard F5, dès 2025.
L'année 2025 constituera également un rendez-vous important pour le nouveau porte-avions nucléaire. Et comme pour le moteur du standard F5, les crédits n'ont pas été prévus de manière suffisante par la LPM puisqu'il manque 1 milliard d'euros sur la période 2025-2027 pour lancer sa réalisation. La construction d'un tel bâtiment exige une programmation très précise compte tenu de la disponibilité des chantiers, ce qui exclut la possibilité d'un étalement dans le temps. Et il ne serait pas davantage judicieux de rogner sur les performances techniques. Notre 9ème recommandation vise donc à clarifier rapidement les modalités de financement des projets d'intérêt majeur inscrits dans la LPM dont les crédits n'ont pas été prévus de manière suffisante.
Je terminerai en partageant avec vous mes interrogations concernant l'avenir de cette LPM. Il faut être vigilant car le respect de cette programmation n'est pas acquis dans le contexte budgétaire actuel. On découvre par ailleurs que plusieurs très grands programmes ne sont pas financés. Le ministre des Armées nous fait part de son intention de financer de plus en plus d'OPEX sur les crédits du P.146. On constate, ensuite, un recours croissant aux reports de charges ce qui reviendra à différer le paiement d'une partie des dépenses après 2027. Enfin, les retards pris dans le lancement de certains programmes comme le LRU et le T-REX auront aussi pour effet de ne pas respecter la programmation annuelle.
De telles difficultés sont inhérentes à la mise en oeuvre des lois de programmation militaires. Il reste à s'assurer néanmoins que ces accommodements demeureront dans la limite du raisonnable et ne viendront pas remettre en question les fondements même de la LPM. Ce sera notre mission d'y veiller.
Dans l'immédiat, je rappelle que le respect de la marche des 3,3 Mds€ est indispensable et que celui-ci est subordonné à l'adoption du PLF par le Parlement. Autrement dit, il y aurait tout lieu de s'inquiéter pour la LPM si l'Assemblée nationale n'adoptait pas le budget fin décembre. Notre 10ème et dernière recommandation vise donc l'adoption du PLF dans les délais constitutionnels.
Sous réserve de ces remarques, et compte tenu de la hausse des crédits, je recommande à la commission de donner un avis favorable à l'adoption des crédits du programme 146 dans la mission « Défense ».
M. Bruno Sido. - Je m'interroge sur les conséquences de la réélection de Donald Trump sur la défense européenne car on connaît nos difficultés à produire des obus et celles que nous aurions à soutenir un engagement de haute intensité. J'aimerais que l'on débatte de l'avenir de l'Europe face aux Etats-Unis et à la Chine et de notre capacité à unir nos forces.
Mme Hélène Conway-Mouret, co-rapporteur. - Nous allons travailler sur la base industrielle et technologique de défense européenne (BITDE) ce qui nous permettra d'examiner notre capacité à nous défendre collectivement. Je reviens sur ma proposition d'envoyer un signal au gouvernement sur le PLF pour obtenir des réponses du ministre à plusieurs sujets laissés dans le flou lors du débat en commission.
M. Alain Cazabonne. - Il y a un problème avec la dissuasion nucléaire. Les Etats-Unis ont mis en oeuvre un système de double clé avec les pays européens auxquels ils fournissent des charges nucléaires. La France et la Grande-Bretagne y sont-elles prêtes ?
M. Hugues Saury, co-rapporteur. - Je rappelle que la France produit entre 60.000 et 100.000 obus par an alors que 15.000 sont consommés par jour en Ukraine. Les Ukrainiens ont utilisé près de 3 millions de drones depuis le début du conflit alors que nous n'en possédons que quelques milliers. Nous aurions beaucoup de difficultés à soutenir un engagement de haute intensité.
La commission donne un avis favorable à l'adoption des crédits du programme 146.
Projet de loi de finances pour 2025 - Mission « Défense » - Programme 178 - Préparation et emploi des forces - Examen du rapport pour avis
M. Olivier Cigolotti, rapporteur. - Monsieur le président, mes chers collègues, Comme les rapporteurs précédents l'ont souligné, la Mission « Défense » connaît au sein du PLF 2025 une progression en ligne avec la loi de programmation militaire. En particulier, les crédits du programme 178 « Préparation et emploi des forces » augmentent de plus de 750 M€ par rapport à la LFI 2024, atteignant 14,3 Md€, soit+5,5 %. L'ambition portée par ce programme pour les années à venir s'énonce clairement : emmener nos armées à un niveau de préparation suffisant pour dissuader une agression de nos adversaires, et ainsi tenter de faire mentir le pessimisme de Jean Giraudoux qui disait que « la paix est l'intervalle entre deux guerres ».
Avant d'aborder les crédits pour 2025, il faut relever qu'on peut légitimement avoir quelque inquiétude pour la fin de gestion 2024. Nous avons là une équation à deux inconnues.
Première inconnue, les dégels budgétaires. Avec le « surgel » et le « sur-surgel » intervenus en février et juillet derniers, ce sont par exemple 9% des crédits du budget opérationnel de programme (BOP)-terre qui ont été gelés. Des crédits sont en cours de dégel mais nous n'avons pas été précisément informés à ce jour.
Deuxième inconnue, le financement des nombreuses opérations menées en 2024. Le projet de loi de finances de fin de gestion pour 2024 prévoit l'ouverture de 837 millions d'euros (677 millions au programme 178 et 160 millions au programme 212) pour couvrir les surcoûts des OPEX, des MISSINT, y compris les JOP et les interventions en Nouvelle-Calédonie, les déploiements sur le front oriental et le soutien à l'Ukraine. En tenant compte de la provision pour OPEX-MISSINT de 800 millions d'euros, 1 637 millions d'euros sont prévus pour couvrir l'ensemble des surcoûts. Or, nous n'avons pas été informés à ce jour du total des surcoûts effectifs en 2024. Les surcoûts OPEX-MISSINT devraient avoisiner les 1,3 milliards d'euros, mais ceux liés à l'aide à l'Ukraine n'ont pas été communiqués. Toutefois, ils seront nécessairement importants. Ainsi, les surcoûts ne seront probablement que très partiellement couverts par les crédits ouverts, ce qui semble assez inquiétant. Cette gestion de la fin 2024 conditionne en effet en partie la capacité des armées à exécuter la première année de la LPM et à atteindre leurs objectifs en matière d'activité et de préparation opérationnelles.
Au-delà de l'exercice 2025, le travail de clarification du statut des missions extérieures annoncé par le ministre est bienvenu. Il s'agit de distinguer : les OPEX relevant de l'article 35 de la Constitution ; celles qui n'impliquent que la légitime défense comme par exemple l'opération ASPIDES ; enfin les missions, telles Aigle et Lynx, qui visent à la réassurance de nos alliés sans impliquer dans l'immédiat l'usage de la force. En tout état de cause, une telle clarification devra respecter une triple exigence : se solder par une meilleure information et un contrôle accru du Parlement ; permettre une juste indemnisation des militaires engagés en fonction des sujétions et des risques encourus ; assurer une bonne répartition du financement entre la mission « Défense » et la solidarité interministérielle.
Deuxième sujet d'attention, les crédits de maintien en condition opérationnel. Les crédits d'entretien programmé des matériels (EPM), après avoir connu une hausse très significative en 2024, stagneront en 2025 pour les milieux terrestre et aérien, mais augmenteront pour les forces navales. Le défi est désormais double : permettre de faire remonter la disponibilité technique souvent insuffisante pour maintenir le niveau d'entraînement, tout en développant des stocks de pièces dans l'optique de la haute intensité, le tout à budget quasi constant pour les armées de terre et de l'air. Ceci suppose des réformes. Dans l'armée de terre, les marchés de soutien en service (MSS) seront progressivement transformés en marchés de soutien hybride (MSH). Ainsi, la fourniture des pièces spécifiques aux matériels maintenus restera du ressort de contrats verticalisés avec les industriels, mais avec une plus grande marge de manoeuvre financière pour l'approvisionnement en rechanges et le choix de réparations dans l'industrie étatique ou privée. Parallèlement, il sera recouru à des marchés d'approvisionnement dits « transverses » pour l'acquisition des rechanges non spécifiques et des consommables. Dès 2025, les véhicules blindés de combat d'infanterie (VBCI) seront concernés par cette évolution, puis les chars LECLERC (en 2027) et les véhicules blindés multi-rôles (VBMR, en 2027-2028). En revanche, le MCO aéronautique restera essentiellement verticalisé, mais devra gagner en productivité, notamment pour le Service industriel de l'aéronautique (SiAé) qui a reçu pour mission de s'adapter à la haute intensité. Tout ceci dessine une nouvelle doctrine du MCO pour la haute intensité, qu'il faudra impérativement préciser en 2025, pour que la remontée des crédits, qui arrivera ensuite, s'insère dans un système globalement plus performant.
S'agissant des chiffres de la disponibilité technique des matériels, vous savez qu'ils sont maintenant protégés. Toutefois, on peut indiquer que l'aéroterrestre reste un point de difficulté, tout comme les NH90 Caïman de la Marine, dont la disponibilité reste bien inférieure aux besoins malgré tous les efforts engagés depuis 2023, alors même qu'il doit servir au moins encore 20 ans. La pression ne doit donc pas se relâcher sur les industriels du programme pour qu'ils assurent correctement le MCO de ce matériel aux capacités par ailleurs exceptionnelles. Quant à l'armée de l'air et de l'espace, la progression de la disponibilité des avions de chasse est entravée par l'attrition des deux Rafale et les cessions de Mirage 2000 à l'Ukraine.
En conclusion, nous ne pouvons pas nous permettre de manquer les marches 2024 et 2025 car en matière de préparation des forces, l'adaptation à la haute intensité n'en est encore qu'à ses prémisses. Tout en gardant un oeil sur la fin d'exécution 2024, nous donnerons un avis favorable à ces crédits du programme 178 qui s'annoncent conformes à ceux prévus dans la trajectoire de la dernière LPM.
Mme Michelle Gréaume, rapporteure. - Monsieur le président, mes chers collègues, cette année encore, la progression vers les normes d'entraînement fixées par la loi de programmation militaire sera plus « qualitative » que « quantitative ».
S'agissant de l'armée de terre, les crédits sont en hausse mais permettront seulement de maintenir le niveau d'entraînement, comme en 2024, autour de 70% de la norme LPM, car beaucoup d'activité sera absorbée par des exercices de grande ampleur. L'objectif est de se préparer au déploiement d'une brigade aux meilleurs standards, dite « bonne de guerre », au premier semestre 2025, puis d'une division de combat au cours des années 2026 à 2028. La progression qualitative passe donc en 2025 par davantage de participation aux exercices de l'OTAN tels que DACIAN SPRING, WARFIGHTER et DIODORE. La France contribuera ainsi à la transformation de l'OTAN vers un modèle apte à la haute intensité, tout en effectuant de nombreux « signalements stratégiques » à destination de nos alliés et de nos adversaires.
Le défi sera selon nous de concilier ces exercices OTAN avec la préservation de l'entraînement classique, de l'entraînement interarmées jusqu'à celui au sein des garnisons. Les grands exercices sont en effet très utiles pour les états-majors, moins directement pour les militaires du rang. Enfin, l'amélioration qualitative devra également passer par un durcissement de l'entraînement et par une préparation opérationnelle plus réaliste par rapport à la haute intensité.
Les crédits d'activité opérationnelle de la Marine nationale augmentent également. En 2025, la logique de coopération internationale des forces se poursuivra avec un nouvel exercice POLARIS 25. L'accent devra être mis sur la navigation en groupe, avec l'ensemble du spectre des capacités. L'activité des navires sera très satisfaisante, l'amiral Vaujour parlant même de « suractivité » ; en revanche, la situation sera compliquée pour l'aéronavale, en particulier les hélicoptères, du fait des problèmes de disponibilité évoqués par mon co-rapporteur.
Enfin, pour l'armée de l'air et de l'espace, il faudra atteindre les prochaines annuités de la LPM pour constater des augmentations plus significatives de l'activité, compte tenu des cessions récentes à l'Ukraine, notamment les Mirage 2000-5 et des résultats très progressifs des contrats verticalisés. Surtout, le faible volume de la flotte a pour conséquence une sur-utilisation des matériels pour permettre une activité suffisante. Les cessions de Mirage 2000-5 se traduiront sans doute aussi par un report d'activité sur les Rafale et les Mirage 2000D, ce qui ne peut qu'aboutir à une augmentation des dépenses de maintien en condition opérationnelle à long terme.
Je voudrais ensuite faire un bref RETEX des Jeux olympiques de Paris et évoquer leurs conséquences pour nos armées. Trois points doivent être selon moi soulignés.
D'abord, il s'agit d'un indéniable succès pour nos armées, dont nos militaires peuvent être fiers. Ils ont en effet sécurisé efficacement les JO, mais aussi rehaussé le lien armées-Nation et démontré leur professionnalisme, aux yeux tant de nos concitoyens que des spectateurs venus du monde entier.
Deuxièmement, il y a nécessairement eu un impact sur la préparation opérationnelle. Durant la période de juin à octobre, les camps d'entraînement ont vu une baisse de leur taux de fréquentation d'environ 10 points. Cette conséquence a toutefois été anticipée et l'entraînement devrait être rattrapé progressivement sur trois ans.
Enfin et surtout, deux aspects mis en valeur lors de cette mission sont susceptibles de faire évoluer indirectement la mission Sentinelle. En effet, les armées ont démontré leur capacité à assumer des missions plus complexes et à mobiliser efficacement des capacités spécialisées : capacités cyno-techniques, de déminage, anti NRBC et anti drones, plongeurs, etc. Ces capacités spécialisées pourraient désormais être déployées de manière permanente pour répondre aux nouvelles menaces, y compris par exemple celles issues du changement climatique. En outre, la coopération civilo-militaire s'est avérée efficace, avec un dialogue plus fluide que par le passé. Après cette expérience réussie, les demandes émanant des préfets pourraient évoluer - du moins c'est ce que les militaires espèrent - vers des expressions de besoins en termes de missions et d'effets recherchés, et non plus en nombre de militaires. Ceci pourrait permettre de faire évoluer à la baisse le socle de Sentinelle, tout en ayant une partie de « réserve » plus souple et plus décentralisée, permettant une meilleure réactivité face aux demandes des autorités. Ces deux évolutions auraient un effet positif sur l'intérêt des missions et donc sur la fidélisation des militaires, ce qui constituerait un investissement pour l'avenir.
Avant de conclure mon propos, je voudrais évoquer les services de soutien, dont les crédits sont en hausse de +3,85 % entre la LFI 2024 et le PLF 2025. S'agissant en particulier du service de santé des armées (SSA), qui suit sa feuille de route de janvier 2024 pour remonter en puissance, les difficultés de recrutement et de fidélisation sont toujours un point d'attention. Toutefois, deux événements positifs peuvent être soulignés dans la vie du service. D'abord, s'agissant de la composante formation et recherche, il faut saluer l'inauguration de l'Académie du service de santé en avril 2024, permettant d'accroître la cohérence des capacités de formation. Ensuite, La phase d'analyse du futur hôpital national d'instruction des armées à Marseille est bien lancée et se poursuivra jusqu'en 2025. Le début de la construction devrait intervenir en 2028 pour une mise en service autour de 2031. Le financement de ce nouvel hôpital doit encore recevoir un soutien de l'OTAN et un soutien civil en raison de sa contribution à la santé publique des populations du nord de l'agglomération de Marseille.
Voici, monsieur le Président, mes chers collègues, les quelques points que je souhaitais soulever à propos de ce PLF 2025 qui préserve la hausse des crédits que nous avions inscrits dans la LPM, mais qui ne produira pas encore d'effets majeurs en 2025 en termes de préparation opérationnelle.
Je vous remercie.
La commission donne un avis favorable à l'adoption des crédits du programme 178.
Projet de loi de finances pour 2025 - Mission « Défense » - Programme 212 - Soutien de la politique de défense - Examen du rapport pour avis
Mme Marie-Arlette Carlotti, rapporteure pour avis du programme 212 « Soutien de la politique de défense ». - Le programme 212 porte, comme vous le savez, les crédits de soutien aux forces armées, et notamment l'ensemble des crédits de personnel.
Avant d'en venir au budget pour 2025, une remarque sur l'exécution du budget 2024. Le programme 212 n'a pas non plus échappé aux coupes budgétaires. Le décret du 21 février a en effet annulé 106 millions d'euros de dépenses de personnel, et le projet de loi de fin de gestion déposé le 6 novembre dernier a ajouté 400 millions à cette somme. Ces coupes portent, d'une part, sur les crédits mis en réserve et, d'autre part, sur la contribution aux pensions, compte tenu de moindres besoins provisionnels.
Les ouvertures de crédits réalisées en fin de gestion, moins élevées, représentent 160 millions d'euros de dépenses de personnel, qui sont justifiées par les surcoûts opérationnels liés aux opérations extérieures, aux jeux Olympiques et Paralympiques et au déploiement sur le flanc oriental de l'OTAN.
Tout cela est heureux, et l'impact concret des annulations de crédits sur les chantiers du moment semble limité, mais des mouvements d'une telle ampleur en gestion font peu pour contribuer à la sincérité du budget adopté à l'origine par le Parlement.
J'en viens au PLF pour 2025. Les crédits du programme 212 s'élèvent à presque 25 milliards d'euros, dont un peu plus de 23 milliards de dépenses de personnel, lesquelles sont quasiment stables par rapport à l'an dernier.
Le schéma d'emplois du ministère s'établit en 2025 à 630 ETP. Il sera décliné dans les secteurs identifiés comme prioritaires en recrutement par le ministère des armées : renseignement, cyberdéfense, soutiens, notamment.
C'est un chiffre dont nous nous félicitons mais, comme en 2024, le schéma d'emplois de l'année 2025 s'écartera de la trajectoire fixé par la LPM, dont l'article 7 prévoyait en effet un recrutement de 700 ETP supplémentaires en 2025.
La bonne nouvelle toutefois, c'est que les difficultés des armées à respecter leurs schémas d'emplois semblent avoir été en grande partie vaincues. Vous vous souvenez que l'année 2023 avait été inquiétante tant au plan du recrutement que de la fidélisation. Il semblerait que ce ne fût qu'un « trou d'air », puisque les chefs d'état-major nous ont dit successivement leur confiance dans leur capacité à atteindre leurs objectifs en 2024 et, on l'espère, en 2025 également.
Le récent rapport sur l'attractivité des armées a montré la complexité de la question. Parmi tous les facteurs qui entrent en compte, il serait injuste de ne pas faire de place aux mesures de fidélisation qui ont été mises en oeuvre ces dernières années.
Les dernières sont regroupées dans le plan « Fidélisation 360 » présenté par le ministre des armées en mars dernier. Ce plan est très complet mais il agrège des dispositifs assez hétérogènes - on y trouve par exemple la refonte des grilles indiciaires prévue par la LPM elle-même...
Évoquons tout de suite les aspects salariaux. Les mesures nouvelles dans ce domaine représentent environ 140 M€, sur lesquels 89 M€ correspondent à des mesures entrées en application en 2024 -, notamment la révision de la grille indiciaire des sous-officiers supérieurs, les mesures pour renforcer l'attractivité et la fidélisation des filières numérique et technique -, et 50 M€ des mesures nouvelles en 2025.
Parmi les mesures entrées en vigueur en 2024 figure la nouvelle grille indiciaire des sous-officiers supérieurs. Celle-ci devrait entrer en vigueur au 1er décembre, soit deux mois plus tard que prévu.
Quant aux officiers, le décret portant leur nouvelle grille indiciaire devrait être examiné par le Conseil supérieur de la fonction militaire dans les prochaines semaines, avant d'être transmis au guichet unique Bercy/DGAFP, puis soumis à l'avis du Conseil d'Etat. Le détail qui nous est parvenu exclut curieusement les aspirants du dispositif. La publication du décret est envisagée entre la fin du 2e trimestre et le début du 3e trimestre 2025, pour une entrée en vigueur le 1er novembre. Seuls deux mois sont donc budgétés, pour un montant de 12,5 M€.
Une autre mesure très attendue était l'intégration d'une partie des primes dans le calcul des pensions. Le Haut comité d'évaluation de la condition militaire avait proposé en juillet 2023 d'inclure l'indemnité d'état militaire dans le calcul de la retraite. L'annonce du Gouvernement est plus fine, qui promet « un mécanisme progressif adossé à la durée de service », mais nous ne sommes pas parvenus à en savoir davantage à ce stade sur la conception du dispositif.
Son calendrier est plus flou encore. La première version du plan « fidélisation 360 » promettait une telle mesure par voie d'amendement au PLF pour 2025, pour une modification des textes réglementaires et donc une entrée en vigueur en 2026. D'après les dernières informations que nous avons obtenues du ministère, il est plutôt question de l'intégrer au PLF pour 2026, et les premières pensions versées selon ces modalités ne le seront qu'en 2028. Relisant la réponse du ministre à ma question sur ce point lorsque nous l'avons auditionné en plénière, je suis à présent frappée par son caractère évasif...
Nous comprenons bien sûr la difficulté à faire entrer l'ensemble des promesses dans un cadre budgétaire devenu plus contraint. Il ne faudrait toutefois pas que l'ajournement de certaines ne donne le sentiment aux militaires que l'on compose avec les engagements pris, ce qui en découragerait certains de poursuivre leur carrière, au moment où l'on a le plus besoin d'eux.
Pour le reste, le plan fidélisation 360 prévoit des choses intéressantes : la mise en place de cautionnement et d'octroi de prêts immobiliers à des taux avantageux, l'aide à la mobilité familiale et la mutation double pour le personnel civil, le référencement des médecins traitants pour les personnels en mutation, etc. C'est peu dire que la déclinaison opérationnelle de ces mesures sur le terrain est très attendue.
Le programme 212 porte enfin les crédits de chantiers numériques de grande ampleur, visant à moderniser les systèmes d'information de la gestion des ressources humaines, de la gestion des réservistes, ou encore de gestion des recrutements. Les enjeux financiers sont importants, et les gains d'efficacité attendus très grands. Il faudra y être attentifs, dans une maison où les grands chantiers informatiques ont parfois posé problème.
Mon groupe s'abstiendra sur les crédits de la mission.
M. Jean-Pierre Grand, rapporteur pour avis du programme 212 « Soutien de la politique de défense ». - Nous nous sommes également intéressés à la politique immobilière, de logement et d'hébergement du ministère, qui fait partie des principaux irritants pesant sur le moral des militaires.
Les dépenses immobilières du ministère pesant sur le P212 progressent de 5 % en autorisations d'engagement et de 35 % en crédits de paiement, pour atteindre respectivement 670 M€ et 827 M€.
Cette politique est pilotée par la direction des territoires, de l'immobilier et de l'environnement (DTIE), qui est aussi responsable de la politique de développement durable et de transition écologique du ministère et de l'amélioration des conditions de vie du personnel.
La politique élaborée par la DTIE est mise en oeuvre par le service d'infrastructures de la défense (SID), qui est compétent sur toute la chaîne de valeur de la construction et de l'exploitation : maîtrise d'ouvrage, maitrise d'oeuvre, maintenance, expertise technique, gestion et administration du patrimoine. Ses attributions sont très vastes puisque le SID gère tous types d'infrastructures, y compris aéronautiques, portuaires, relatives à la dissuasion, à l'entraînement des forces, etc.
Notons d'ailleurs que l'ambition de la LPM dans tous ses volets conduira l'activité du SID à croître de près de 30 %. Le service est par conséquent engagé dans des transformations internes et opérationnelles considérables, avec des effectifs contraints.
Abordons immédiatement le problème de la « dette grise », c'est-à-dire les crédits nécessaires pour remettre le patrimoine immobilier à niveau sur la base d'une performance ciblée par l'état-major. Il ne semble pas que le SID en ait réalisé une estimation plus récente que celle reprise par la Cour des comptes l'an dernier, qui l'estimait à 4,4 Md€ en 2021, et craignait qu'elle atteigne 4,5 Md€ en 2025.
Il faut cependant noter que ce concept embrasse l'ensemble des infrastructures gérées par le SID, et non seulement les bâtiments occupés pour loger des militaires, et que l'état des bâtiment portuaires, en particulier, pèse lourd dans l'addition.
Le SID insiste pour nuancer la pertinence du concept de dette grise, statique, et peu explicite sur l'utilité des bâtiments visés. Il propose plutôt d'ouvrir la réflexion aux contours de la notion de « maintenance », en cherchant à distinguer ce qui relève du « gros entretien renouvellement » d'une part, et des opérations d'investissement d'autre part.
Le SID estime en fin de compte qu'avec un flux annuel de 450 millions d'euros de « gros entretien renouvellement », le patrimoine utile serait maintenu en état bon ou moyen au bout de dix ans.
S'agissant plus spécifiquement des bâtiments d'hébergement, rappelons qu'un plan inédit, lancé en 2019, visait à améliorer les conditions d'hébergement en enceinte militaire proposé aux militaires du rang et aux cadres célibataires ou célibataires géographiques.
Les objectifs d'engagements de ce « plan hébergement » ont jusqu'à présent été tenus : plus d'1 Md€ de travaux ont été engagés jusqu'à la fin 2024, pour près de 23 500 places livrées.
Sur la nouvelle enveloppe de 1,2 Mds prévue par la LPM 2024-2030, le PLF 2025 prévoit 120 M€ pour financer la commande de plus de 2 000 places. La livraison de près de 4 100 places est prévue au regard des programmes déjà lancés.
L'état des bâtiments visés par le plan Hébergement s'améliore doucement. Sur les 53 bâtiments d'hébergement du périmètre considérés comme dégradés ou très dégradés en 2019, environ la moitié ont vu leurs notes d'état s'améliorer en 2024. Sur 64 ouvrages déjà jugés en bon état en 2019, 53 voient leur état s'améliorer ou rester stable. La part des ouvrages qui voient leur état s'améliorer est de 30 %, la part des ouvrages qui restent stables est de 59 %, et la part des ouvrages qui voient leur état se dégrader est de 11 %.
Quelques rapports récents relèvent toutefois le besoin d'outils de pilotage plus fins, qu'il s'agisse de la mesure du célibat géographique et de ses impacts, des points noirs du parc immobilier ou même du niveau d'occupation et des besoins d'hôtellerie, mal appréhendés faute de systèmes d'information unifiés.
Par ailleurs, le ministère poursuit ses actions d'intégration de la transition écologique dans ses projets, et notamment la réduction des consommations énergétiques et de décarbonation des infrastructures et des mobilités non opérationnelles. Douze contrats de performance énergétique ont ainsi été notifiés entre 2011 et à 2024 et plus de 20 devraient être actifs d'ici la fin 2030, pour des gains énergétiques estimés de 40 % à 60 % selon les sites.
La politique du logement absorbera quant à elle 325 M€ en 2025, contre 273 M€ en 2024.
Le parc domanial en métropole est géré depuis le 1er janvier 2023 par la société Nové dans le cadre d'un contrat de concession, le contrat « Ambition Logement ». Ce contrat prévoit notamment la rénovation complète de ce parc ainsi que
la construction de près de 2 800 logements neufs d'ici à 2030. Son exécution semble pour l'instant donner globalement satisfaction.
Il faudra cependant surveiller certains points. À compter du 30 septembre 2025, le concessionnaire sera habilité à proposer aux commandants de base de défense, à la place des bureaux logements, les logements domaniaux à attribuer aux candidats. Les modalités informatiques de cette compétence sont en cours d'élaboration.
Le déploiement du système d'information Atrium avait justement permis, depuis 2022, d'améliorer progressivement le service rendu aux usagers en dématérialisant une grande partie de la procédure, qui restait un irritant pour beaucoup de demandeurs.
Plus généralement, l'amélioration du taux de réalisation des demandes doit rester un objectif prioritaire, en particulier pour les militaires qui font l'objet d'une mutation, qui étaient plus de 50 000 en 2023.
Cette amélioration de l'offre immobilière est accompagnée par un certain nombre de mesures utiles dans le plan « fidélisation 360 », destinées à surmonter les obstacles financiers et administratifs : cautionnement, recherche de dispense de dépôt de garantie, partenariats bancaires, soutien à l'accession à la propriété, amélioration de l'information et du service rendu par la création d'une ligne téléphonique spécifique, etc.
D'une manière générale, les chantiers sont de très grande ampleur, et il faut se féliciter, compte tenu du contexte budgétaire général, que des progrès, aussi lents qu'ils nous paraissent, soient réalisés.
La question fondamentale reste celle de savoir si la restauration des bâtiments du quotidien peut être maintenu à ce rythme sans dommage significatif sur le moral des militaires, ou bien si ce rythme doit être accéléré, mais alors, au détriment des dépenses consenties pour les autres types d'infrastructures. Cette question dépasse, donc, les enjeux du seul programme 212.
Nous vous proposons d'émettre un avis favorable à l'adoption des crédits du programme 212.
M. Alain Cazabonne. - Voilà dix ans qu'un rapprochement est envisagé entre l'hôpital de ma ville de Talence, géré par une fondation protestante, et l'hôpital militaire de la commune voisine de Villenave-d'Ornon. Compte tenu de la taille et des moyens respectifs des deux établissements, l'idéal aurait été de déplacer le premier au sein du second. L'État n'ayant pas d'argent, c'est l'inverse qui a été décidé. Là-dessus, le président Macron décide de soutenir le projet d'un grand hôpital militaire à Marseille, ce qui a dégradé davantage encore les moyens des hôpitaux militaires en Gironde. Alors qu'il devait apporter 20 millions d'euros au projet pour sa deuxième année de construction, le ministère des armées a ramené sa contribution à 3 millions, avant que la somme de 13 millions n'émerge dans la négociation. Je trouve anormal que les engagements pris ne soient pas tenus, même si l'on peut bien sûr discuter du montant.
M. Jean-Pierre Grand, rapporteur pour avis. - En tout cas, la rapidité avec laquelle sont traités les chantiers des hôpitaux militaires est très impressionnante. C'est tout à l'honneur de nos armées.
M. Cédric Perrin, président. - La question s'adressait sans doute plutôt aux rapporteurs pour avis du programme 178.
Mme Michelle Gréaume, rapporteure pour avis. - Je n'ai pas été alerté de ce dossier en particulier. Nous avons réussi à arrêter certains démantèlements - je songe à Metz, où je me suis rendue -, et la santé ne s'en tire globalement pas trop mal dans ce budget. Je reste toutefois à votre disposition pour regarder certaines situations locales de plus près.
M. Olivier Cigolotti, rapporteur pour avis. - Michelle Gréaume a raison : le service de santé des armées avait touché le fond, mais il a entamé une petite remontée en puissance. Je voudrais souligner l'effort d'investissement important consenti pour l'hôpital de Laveran, à Marseille. Il produira ses effets en 2030-2031. S'il reste des difficultés ponctuelles localement, nous revenons progressivement à une situation plus normale, en termes d'effectifs notamment.
La commission donne un avis favorable à l'adoption des crédits du programme 212.
Projet de loi de finances pour 2025 - Mission « Sécurités » - Programme 152 - Gendarmerie nationale - Examen du rapport pour avis
M. Cédric Perrin. - Nous passons maintenant au programme 152 « Gendarmerie », dont les rapporteurs sont Philippe Paul et Jérôme Darras.
M. Philippe Paul, co-rapporteur. - Cette année, la hausse globale du budget de la gendarmerie nationale, en conformité avec la trajectoire prévue par la Lopmi, est marquée, avec 11,4 milliards d'euros en autorisations d'engagement et 10,9 milliards d'euros en crédits de paiement, contre 10,9 milliards en AE et 10,4 mds en CP dans la loi de finances initiales pour 2024 - soit une augmentation de 500 millions d'euros. Le maintien de cette trajectoire dans un contexte budgétaire difficile est un vrai motif de satisfaction. Ce chiffre global recouvre néanmoins une situation assez binaire que l'on pourrait résumer ainsi : effort sur l'investissement, coup d'arrêt sur les effectifs. Je m'arrêterai sur le premier point, et mon co-rapporteur Jérôme Darras sur le second.
En effet, contrairement à l'année dernière, où l'augmentation des crédits avait été largement absorbée par les dépenses de personnel au titre des diverses mesures de revalorisation issues du Beauvau de la sécurité et par l'inflation, cette année c'est le « hors titre 2 », et principalement l'investissement, qui bénéficie - enfin - de l'essentiel de la hausse.
L'investissement immobilier avait été le grand oublié des deux derniers exercices. 2024, surtout, avait été une quasi-année blanche, avec 50 millions d'euros en autorisations d'engagement et surtout 13,4 millions d'euros de crédits de paiement engagés pour les nouvelles opérations immobilières - alors que le besoin d'investissement annuel est désormais estimé par la gendarmerie elle-même à 400 millions d'euros.
Cette année, les crédits d'investissement immobilier sont portés à 295,2 millions d'euros en autorisations d'engagement et 175,5 millions d'euros en crédits de paiement. C'est le signe d'une véritable volonté de « réamorcer la pompe » : la réinjection de crédits financera notamment un plan d'urgence de maintenance pour résorber les « points noirs » du parc immobilier, à hauteur de 120 millions d'euros, et 180 millions des opérations de construction et de maintenance spécialisée : 70 millions pour des opérations de réhabilitation, 17,5 millions pour des opérations de réhabilitation avec extension ou déconstruction, et 57 millions pour des opérations de construction notamment.
À plus long terme, quatre projets structurants entreront dans la programmation immobilière, à Satory au bénéfice du GIGN et du GBGM, à Melun, à Mayotte et à Dijon.
Il faut évidemment se féliciter de cet effort notable, car on connaît l'importance du casernement, qui est intimement lié à la condition militaire du gendarme et à sa capacité à intervenir en tout lieu et en toute heure. Le directeur général de la gendarmerie nationale, le général Bonneau, a reconnu lui-même lors de son audition par notre commission que les conditions de logement de certains de nos gendarmes étaient indignes.
Pourtant, cet effort n'est toujours pas suffisant, puisqu'il y a loin des 295 millions d'euros de crédits de paiement aux 400 millions d'euros nécessaires.
De plus, il faudrait que l'effort financier s'accompagne d'un effort comparable en direction des collectivités. Celles-ci seront très sollicitées dans le cadre du déploiement des 239 nouvelles brigades, toutes en locatif, or les conditions financières des montages immobiliers ne sont pas satisfaisantes. Les coûts-plafonds, qui déterminent le montant maximum des loyers versés aux collectivités propriétaires des logements, sont inférieurs de 30 à 50% aux coûts réels supportés par le maître d'ouvrage ; et le décret devant réviser ces coûts, recommandé depuis 2019 par un groupe de travail interministériel sur le sujet, n'a toujours pas été publié.
L'incident de gestion de la suspension du paiement de certains loyers, annoncée en octobre, n'aura pas contribué à renforcer la confiance entre la gendarmerie et les collectivités. En raison des coûts imprévus liés à la situation en Nouvelle-Calédonie - 127 millions - et du dérapage lié à la sécurisation des Jeux olympiques (122 millions contre 89 millions initialement prévus), il a été décidé de suspendre le paiement des loyers à environ 5 000 collectivités propriétaires de casernes, pour un montant total de 90 millions d'euros. Le paiement devrait intervenir au mois de décembre, grâce à la loi de fin de gestion qui débloquera les crédits nécessaires, assorti de pénalités d'environ 1,6 million d'euros. Mais au-delà du coût financier, ce retard de paiement est un coup de canif à la relation de confiance entre la gendarmerie et les collectivités.
Concernant l'investissement en moyens de mobilité, le tableau est très similaire : un réel effort, avec des crédits à 104 millions euros en autorisations d'engagement et 106 millions en crédits de paiement, après une année quasi-blanche. Mais il ne financera que 1 850 véhicules, soit la moitié des besoins d'investissement annuel pour maintenir le parc en l'état.
Au total, s'il y a de quoi se satisfaire de l'effort consenti en matière d'investissement, les motifs d'inquiétude restent nombreux pour l'avenir. Ce « stop and go » d'une année sur l'autre est incompatible avec une vision à long terme de l'immobilier de la gendarmerie, pourtant seul moyen d'éviter une dégradation irrémédiable du parc et un glissement vers le locatif, qui coûtera plus cher et privera le gestionnaire de ses marges de manoeuvre.
Il existe néanmoins des pistes d'amélioration. On peut déjà se féliciter de l'annonce, par le directeur général de la gendarmerie nationale, d'un schéma directeur de l'immobilier lors de son audition par notre commission - reste à déterminer quelles formes prendra ce schéma, et surtout s'il s'accompagnera d'un financement à la hauteur.
Il conviendra également d'imaginer de nouveaux montages financiers avantageux à la fois pour la gendarmerie et pour les constructeurs. Les marchés de partenariat, qui consistent à confier le financement d'un projet immobilier à un acteur économique, qui se rémunère par le versement d'une redevance par la gendarmerie nationale pendant une période donnée jusqu'au retour en propriété à l'État, est une solution à privilégier pour les opérations de grande ampleur. Il devrait être utilisé pour les projets structurants de Satory, Melun, Mayotte et Dijon.
Une solution est également à l'étude par la Caisse des dépôts et consignations pour le financement de constructions de casernes par les collectivités et leur prise à bail par la gendarmerie. C'est le système de la redevance transparente, déjà utilisé dans le logement social, où le loyer payé par le locataire est égal aux annuités payées par le bailleur pour financer le bâtiment, auxquelles s'ajoute une provision pour financer les travaux à venir et ses coûts annexes (TFPB, frais de gestion).
Au fond, la trajectoire budgétaire de la gendarmerie ressemble à un mouvement de balancier : soit on finance les augmentations d'effectifs en sacrifiant l'investissement immobilier, soit, comme cette année, on fait porter l'effort sur l'investissement en gelant les augmentations prévues par la Lopmi. Ce n'est pas une situation satisfaisante, mais il n'y a pas de solution miracle. Nous vous proposerons donc d'adopter les crédits du programme 152, avec les limites que moi-même et mon co-rapporteur aurons détaillées.
M. Jérôme Darras, co-rapporteur. - De prime abord, le titre 2 de ce projet de budget de la gendarmerie apparaît correctement doté, avec 5 milliards d'euros hors Compte d'affectation spécial pensions, soit une hausse de 83 millions par rapport à la Loi de finances initiale 2024. Mais cette augmentation ne couvre en fait que la hausse des rémunérations, en application des mesures catégorielles dites « coups partis », correspondant à l'extension en année pleine des décisions mises en oeuvre en 2024 - notamment la refonte de la grille indiciaire des sous-officiers.
Cela signifie en conséquence un coup d'arrêt marqué au mouvement de reconstitution des effectifs engagé en 2012, après une période d'attrition des forces de sécurité intérieure. Cette reconstitution a été lente car on compte aujourd'hui le même nombre de gendarmes qu'en 2007, mais avec 3,5 millions d'habitants supplémentaires, soit 2,9 gendarmes pour 1 000 habitants, contre 3,2 en 2007. Elle a été sanctuarisée par la Lopmi, qui prévoyait des schémas d'emploi positifs respectivement de 950, puis 1045, 500, 400 et enfin 645 ETP sur les cinq années de programmation, dans une volonté affirmée de retour à la proximité et de déploiement de la doctrine de « l'aller vers ».
La plus grande partie de ces nouveaux effectifs a été fléchée sur le déploiement des 239 nouvelles brigades annoncées par le Président de la République et déployées à partir de l'exercice 2024. Sur les 500 emplois prévus initialement en 2025, 464 devaient alimenter les 57 nouvelles brigades prévues par le plan de charge initial.
Or le schéma d'emplois est finalement à zéro, avec 12 970 entrées prévues, dont 10 701 primo-recrutements, pour 12 970 départs anticipés. Ce coup d'arrêt est d'autant plus dommageable qu'il est difficile ensuite de combler le retard, l'appareil de formation par exemple devant en effet monter en charge de manière anticipée et coordonnée avec les recrutements.
Monsieur le ministre de l'Intérieur a exprimé à deux reprises, lors de ses auditions par la commission des finances de l'Assemblée nationale, puis par la commission des lois du Sénat le 12 novembre, son intention d'obtenir une modification de ce schéma d'emplois. La suite de la discussion budgétaire nous éclairera donc sur la mise en oeuvre effective du déploiement des brigades, qu'il ne nous semble ni raisonnable, ni compréhensible de suspendre pour les communes d'implantation identifiées. Mon co-rapporteur a montré avant moi combien la relation de confiance entre la gendarmerie et les communes a besoin d'être renforcée. Elle est d`autant plus nécessaire, alors que les quelque 3000 casernes que la gendarmerie occupe hors parc domanial appartiennent le plus souvent à des collectivités ou à des organismes HLM, et que les communes ne peuvent déduire la TVA sur l'opération de construction et sont aujourd'hui confrontées aux contraintes budgétaires sans précédent imposées par ce projet de loi de finances.
Pour le cas où le plan de charge initial ne serait pas respecté, priorité serait donnée aux communes qui ont déjà entrepris les démarches d'accueil ; 37 sont dans cette situation. Un étalement serait alors envisagé au-delà du terme prévu de 2027.
Le second sujet de préoccupation concernant les effectifs est la baisse très marquée du budget de la réserve, là encore en contradiction avec la trajectoire prévue dans le cadre de la Lopmi. L'objectif fixé pour 2027 est en effet de 50 000 réservistes. En 2024, nous en étions à un peu moins de 36 000 avec un budget de 90 millions d'euros hors mobilisation pour les Jeux olympiques et paralympiques. En 2025, les crédits alloués passent à 75,6 millions d'euros, soit une baisse significative de 16 %.
C'est d'autant plus dommageable que la réserve assume un rôle de plus en plus important au sein de la gendarmerie. Elle est plus particulièrement sollicitée lors des évènements de grande ampleur, comme on l'a constaté à l'occasion des jeux olympiques et paralympiques, événements qui tendent à se multiplier. Plus généralement, elle assume la plus grande partie du spectre des missions de la gendarmerie nationale, à l'exception des opérations programmées de maintien de l'ordre. La baisse du budget obligera à opérer un choix : soit reconnaître que l'objectif de 50 000 réservistes, que la Cour des comptes jugeait déjà irréaliste dans son analyse de l'exécution budgétaire 2023, ne sera pas tenu, soit diminuer le nombre de jours annuels effectués, au risque d'un effet délétère sur la motivation de nos réservistes.
Avec mon collègue, nous avons souhaité plus particulièrement étudier un dispositif dans lequel la réserve est significativement sollicitée : la lutte contre l'immigration illégale et clandestine sur les côtes de la Manche et de la Mer du Nord. Cette façade maritime est en effet devenue le principal point de franchissement vers un État hors de l'Union européenne. Si le nombre de tentatives de franchissement a baissé d'environ 30 % en 2023, il reste à un niveau élevé, avec depuis le début de l'année 53000 tentatives individuelles, 34 000 passages et malheureusement le record de 71 décès enregistrés.
Le dispositif de surveillance du littoral, visant à empêcher en amont l'embarquement dans les bateaux, implique 441 réservistes par jour, pour une cible à 473 au 1er avril 2025. Ils constituent donc la grande majorité des effectifs déployés, qui comprennent également 150 gendarmes départementaux et un escadron de 72 gendarmes mobiles.
Il est à souligner que l'emploi de ces réservistes est financé par le Royaume-Uni dans le cadre des accords de Sandhurst.
Cet exemple illustre le degré d'intégration de nos réservistes dans l'ensemble des missions de la gendarmerie. Loin de constituer une force de seconde ligne, ils sont ici employés dans des conditions particulièrement difficiles, avec une organisation de passeurs qui se professionnalise, employant de plus gros bateaux et n'hésitant pas à user de violence ou à se servir d'enfants comme boucliers contre l'intervention des gendarmes. Ils sont également confrontés à des méthodes de plus en plus sophistiquées, comme l'emploi de « taxi boats » qui récupèrent les candidats au passage sur les rives des fleuves côtiers ou sur la côte afin de compliquer l'intervention. Celle-ci ne peut en effet se dérouler qu'à terre, l'interception en mer ne pouvant relever que d'une action de sauvetage. Ensuite, les passeurs n'ont plus qu'à se signaler en difficulté, tout en refusant le secours proposé, aux seules fins de se faire accompagner par les moyens de l'État jusqu'aux limites des eaux britanniques.
La réserve apparaît donc bien comme une composante indispensable à la gendarmerie, y compris dans des conditions d'emploi les plus dures.
En conclusion, un point général sur l'exécution de la Lopmi pour la gendarmerie serait bienvenu, alors que nous approchons de la mi-parcours, afin d'évaluer si les à-coups constatés résultant des contraintes budgétaires, dans la trajectoire des effectifs ou dans la gestion immobilière, comme le souligne mon co-rapporteur, ne remettent pas en cause l'objectif de mise en oeuvre de la vision stratégique initiale.
En l'attente, nous préconisons un avis favorable à l'adoption des crédits de ce programme.
M. Jean-Pierre Grand. - Arrêtons de dire que ce sont les mairies qui doivent mettre la main à la poche pour le terrain, ceci ou cela. Ce n'est plus l'ingénierie financière d'aujourd'hui ! Tous les outils sont disponibles pour que la construction de gendarmeries rapporte un peu d'argent aux communes. Il y a de grands opérateurs - avant la société nationale immobilière (SNI), aujourd'hui CDC Habitat - qui savent le faire, et les communes ne devraient pas s'en charger à leur place.
La commission donne un avis favorable à l'adoption des crédits du programme 152.
La réunion est close à 12 heures 30.
Jeudi 28 novembre 2024
- Présidence de M. Jean-François Rapin, président de la commission des affaires européennes, de Mme Muriel Jourda, présidente de la commission des lois, et de M. Rachid Temal, vice-président de la commission des affaires étrangères -
La réunion est ouverte à 8 h 30.
Étude annuelle du Conseil d'État relative à la souveraineté - Audition de M. Didier-Roland Tabuteau, vice-président du Conseil d'État
M. Jean-François Rapin, président de la commission des affaires européennes. - Nous accueillons aujourd'hui M. Didier-Roland Tabuteau, vice-président du Conseil d'État, que nous avons invité à présenter l'étude annuelle que le Conseil d'État a récemment publiée et qui porte cette année sur la notion de souveraineté, notion fondatrice de l'État et de l'ordre international, mais aujourd'hui questionnée, à l'extérieur par les interdépendances économiques, les rapports de force ou les défis globaux tels que le dérèglement climatique, et à l'intérieur par la crise de la démocratie représentative.
Parallèlement, et paradoxalement, le discours politique décline de plus en plus la souveraineté au pluriel, l'invoquant en matière énergétique, numérique, sanitaire ou encore alimentaire, le plus souvent à l'échelon européen.
Au nom de la commission des affaires européennes, je me concentrerai sur vos recommandations pour mieux articuler souveraineté nationale et intégration européenne. La construction de l'Union européenne repose sur le choix libre de ses États membres de partager leur souveraineté en certains domaines, dans l'espoir d'apporter une valeur ajoutée et même de faire émerger une forme augmentée de souveraineté, à plus grande échelle. L'incantation en faveur d'une souveraineté européenne, sous l'impulsion de la France, a pris corps dans la déclaration de Versailles au lendemain de l'agression de l'Ukraine par la Russie, pour devenir progressivement admise par l'ensemble de nos partenaires européens. J'ai même eu lundi dernier la surprise, lors d'une réunion en format Weimar qui se tenait à Berlin entre commissions des affaires européennes des parlements allemand, polonais et français, de voir mon homologue allemand proposer lui-même de retenir le mot « souveraineté », au lieu « d'autonomie stratégique », dans notre déclaration commune.
Dans le volet européen de votre étude, vous insistez, d'une part, sur l'articulation entre souveraineté nationale et européenne, qui repose sur le principe de subsidiarité, et, d'autre part, sur le vecteur de puissance renouvelée que peut représenter la souveraineté exercée au niveau européen.
Si votre rapport valorise l'importance du respect du principe de subsidiarité, il est presque silencieux sur l'action des parlements nationaux en ce domaine, alors que les traités européens leur confient une responsabilité particulière à cet égard et qu'ils se trouvent souvent bien seuls à le défendre.
Sur l'initiative du Sénat, un groupe de travail interparlementaire a été constitué au sein de la Conférence des organes spécialisés dans les affaires de l'Union (Cosac) pour proposer des moyens de renforcer le rôle des parlements nationaux dans l'Union européenne : son rapport de juin 2022 plaide pour simplifier les règles de déclenchement du contrôle de subsidiarité - par l'allongement du délai imparti pour ce contrôle et l'abaissement du seuil de déclenchement du « carton jaune » -, mais aussi pour instaurer un droit d'initiative législative des parlements nationaux - « carton vert » - ou encore institutionnaliser un droit de questionnement écrit des parlementaires nationaux à l'égard des institutions européennes.
Ces propositions peinent toutefois à se concrétiser, même si nous sommes fiers d'avoir réussi à faire adopter des amendements en ce sens lors de la dernière Cosac, qui s'est tenue en Hongrie.
Monsieur le vice-président, comment réagissez-vous à ces propositions ? Quelle est votre vision du rôle des parlements nationaux dans la défense du principe de subsidiarité ?
L'étude annuelle insiste aussi sur la part que l'exécutif devrait prendre dans le contrôle du principe de subsidiarité et dans la préservation des compétences nationales en matière de sécurité, notamment par l'insertion d'une « clause bouclier » dans les nouvelles législations européennes en ces domaines. Cela me semble essentiel : concrètement, comment mieux impliquer le Conseil dans le contrôle de subsidiarité ? Comment l'inciter à se montrer plus vigilant sur la base juridique retenue par la Commission pour fonder une initiative législative, sur le choix de l'instrument juridique - règlement ou directive - et sur l'opportunité du recours aux actes délégués et aux actes d'exécution ?
L'empiétement de l'Union sur la souveraineté nationale semble par ailleurs alimenté par l'interprétation « constructive » des traités européens que fait la Cour de justice de l'Union européenne (CJUE) : au vu de cette tendance, la CJUE peut-elle vraiment jouer le rôle d'arbitre que mentionne votre rapport ? Pourquoi le Conseil d'État s'est-il jusqu'à présent refusé de contrôler l'intervention de la CJUE ultra vires, en vérifiant, comme le fait par exemple la Cour constitutionnelle allemande, que la CJUE n'excède pas ses compétences ? Croyez-vous que le dialogue des juges puisse suffire à amener la CJUE à mieux reconnaître la « marge nationale d'appréciation » des États membres dans leurs domaines de compétence les plus sensibles, comme le fait la Cour européenne des droits de l'homme (CEDH) ?
Votre rapport nourrit aussi l'ambition de faire du niveau européen un vecteur de puissance renouvelée. Pourriez-vous apporter quelques précisions sur la « méthode d'action coordonnée » que votre rapport préconise au niveau européen pour réduire le travail en silo et développer une approche plus pragmatique ?
Quels seraient les avantages de la codification du droit de l'Union européenne que vous recommandez. Ne craignez-vous pas, au regard de l'expérience de notre propre processus de codification, qu'elle soit trop lourde à mettre en oeuvre ?
Enfin, n'est-il pas paradoxal que votre étude annuelle insiste sur le respect de la souveraineté tout en plaidant pour l'extension du vote à la majorité qualifiée au Conseil ?
Mme Muriel Jourda, présidente de la commission des lois. - Monsieur le vice-président, dans cette nouvelle étude du Conseil d'État, vous prenez à bras-le-corps une réflexion sur une question difficile, mais essentielle pour un État, celle de la souveraineté.
Attribut fondamental de l'État, sans lequel il ne serait pas, la souveraineté est aujourd'hui questionnée par d'autres formes de pouvoirs, en particulier les organisations internationales gouvernementales, les organisations non gouvernementales et les entreprises multinationales, à commencer par les Gafam - Google, Apple, Facebook, Amazon, Microsoft.
Des questions essentielles de cohérence de l'action juridique et juridictionnelle de la France avec celle des organisations internationales auxquelles elle appartient, en particulier l'Union européenne, se posent donc.
Votre étude, très complète, aborde aussi les modalités de l'expression démocratique. Plusieurs travaux du Sénat, notamment sous l'autorité du président Larcher, ont été conduits sur cette thématique, et votre étude y fait d'ailleurs référence. La plateforme des pétitions mise en place par le Sénat depuis 2019 offre également un espace d'expression et de proposition aux citoyens ; elle a donné lieu à l'examen par le Sénat de plusieurs textes législatifs et à la mise en oeuvre de travaux de contrôle spécifiques.
Il nous faut trouver un équilibre entre l'expression démocratique directe et l'expression de la démocratie représentative, qui reste le meilleur système, même s'il est toujours améliorable... L'exercice de la démocratie directe peut sans doute être renforcé, mais celle-ci, pour fonctionner, doit impérativement être éclairée. On voit bien tout ce que le monde actuel permet en termes de manipulation de l'information et des différents dispositifs démocratiques.
Vous proposez à cet égard de créer un « espace civique de confiance numérique », qui permettrait, si j'ai bien compris, de mettre à disposition des éléments de débat préalablement à une consultation référendaire. J'aimerais que vous approfondissiez devant nous cette proposition, en nous indiquant comment, en pratique, vous voyez la mise en place et l'administration quotidienne de cette innovation.
M. Rachid Temal, vice-président de la commission des affaires étrangères. - Il n'est guère de sujet plus actuel pour notre commission que celui de ce rapport.
La situation stratégique du continent européen, dans le climat géopolitique instable et belliqueux que nous connaissons, a fortiori depuis la dernière élection présidentielle américaine, pose de nouveau la question de l'organisation de notre défense et de nos alliances à l'échelle pertinente.
Le rapport conjugue fort opportunément les aspects juridiques et politiques des questions touchant à la souveraineté.
La « souveraineté européenne » reste pour l'heure un motif de rhétorique politique, mais les passages de votre rapport consacrés à l'accroissement des interdépendances de fait, au caractère théorique des « réserves de souveraineté » ménagées aux États ou à l'effet cliquet des compétences transférées à l'Union semblent parfois démontrer la supériorité des faits communautaires sur le droit national. Vous nous direz, monsieur le vice-président, dans quelle mesure vous estimez que cette souveraineté européenne peut se concrétiser juridiquement. À partir de quand le transfert progressif, par petits pas, de compétences à Bruxelles conduit-il à lui attribuer, quoi qu'en disent les traités, des pans entiers de souveraineté ?
Après la directive sur le temps de travail des militaires, le programme européen pour l'industrie de la défense (Edip) interroge, même si son objectif - améliorer l'efficacité du marché intérieur, en particulier pour faciliter l'aide militaire à l'Ukraine - apparaît légitime. Notre commission a déjà rendu, après celle des affaires européennes, un avis critique sur le respect du principe de subsidiarité par ce programme.
On aurait tort de réduire ces questions à de simples spéculations théoriques : en l'occurrence, on parle d'une compétence qui permet de donner l'ordre de tuer et de mourir pour la collectivité, ce qui n'est pas rien.
Le projet de communauté européenne de défense a donné lieu en 1954 à des débats politiques houleux, mais aussi à une vigoureuse controverse opposant certains des juristes les plus en vue de l'époque - Georges Burdeau et René Capitant d'un côté, Georges Vedel ou Paul Reuter de l'autre -, notamment dans les colonnes du journal Le Monde. Quel regard portez-vous sur la nature de ce débat juridique et intellectuel en 2024, notamment dans le cadre du projet de directive que j'évoquais ?
M. Didier-Roland Tabuteau, vice-président du Conseil d'État. - Nous sommes très honorés de pouvoir vous présenter notre étude annuelle sur le thème de la souveraineté, et nous nous réjouissons de tout ce qui contribue au renforcement des relations entre le Parlement et le Conseil d'État. C'est aussi le cas lorsque nous sommes saisis pour avis d'une proposition de loi ou lorsque nous accueillons une délégation parlementaire au sein de notre institution.
Je suis accompagné ce matin de Martine de Boisdeffre, présidente de la section des études, de la prospective et de la coopération, de Fabien Raynaud, président adjoint de cette même section, et de Mélanie Villiers, rapporteure générale adjointe de la présente étude sur la souveraineté. Cette dernière étant le fruit d'un travail collégial, validé par une délibération de la section puis de l'assemblée générale, c'est bien la voix du Conseil d'État que nous portons ce matin, et non celle de chacun d'entre nous.
Nous pouvons produire des études à la demande du Gouvernement - nous menons actuellement un chantier important sur la simplification du droit -, mais l'étude annuelle revêt pour le Conseil d'État une importance particulière, a fortiori depuis que le décret de mars 2024 prévoit sa présentation lors de notre rentrée de septembre.
Nous nous efforçons aussi de prévoir un enchaînement aussi cohérent que possible de nos différents travaux. Nous avons ainsi réalisé une étude sur le dernier kilomètre, c'est-à-dire la façon dont les politiques publiques peuvent atteindre leurs objectifs, et nous travaillons actuellement sur la façon de produire des politiques à long terme, autant de sujets qui sont intimement liés à celui de la souveraineté.
Comme vous l'avez souligné, le terme de souveraineté s'accompagne de plus en plus fréquemment d'adjectifs - numérique, agricole, sanitaire, etc. -, ce qui démontre au demeurant toute l'actualité du sujet.
La souveraineté interroge la manière dont un peuple assure son indépendance et décide librement de son destin. À l'échelle du citoyen, elle implique un double besoin : participer démocratiquement à l'orientation de l'État souverain, garantir que les choix établis démocratiquement puissent se concrétiser.
Juridiquement - je me permets de le réaffirmer très clairement -, la souveraineté se manifeste par la supériorité de la Constitution. Chaque nation choisit les règles qui l'organisent et fondent son État. Ni l'intégration de la France dans l'ordre international ni la construction européenne n'ont modifié ce principe fondamental. La Constitution prime les traités en vertu des jurisprudences convergentes et explicites du Conseil constitutionnel, de la Cour de cassation et du Conseil d'État depuis les années 1990.
Le juge s'assure du respect des traités internationaux conclus par la France, car la Constitution le prévoit explicitement. L'arrêt rendu par l'assemblée du contentieux le 21 avril 2021, French Data Network, précise que le Conseil d'État écarterait l'application d'un acte de l'Union qui aurait pour effet de priver de garantie effective une exigence constitutionnelle. Ce n'est pas la voie du contrôle ultra vires retenue par les juges allemands, mais le résultat est similaire.
L'étude rappelle que la souveraineté se trouve au coeur de notre Constitution, à travers son article 3 : « La souveraineté nationale appartient au peuple qui l'exerce par ses représentants et par la voie du référendum. » Ainsi, le peuple souverain, lorsqu'il agit en constituant, détient nécessairement le dernier mot.
La France est un État souverain, mais elle peut envisager d'affermir sa souveraineté pour faire face aux grands défis contemporains, en particulier l'accroissement des dépendances et des interdépendances liées à la mondialisation. Menaces épidémiques, dérèglements climatiques, tensions entre les États et résurgence des guerres mettent à nu un certain nombre de faiblesses sectorielles affectant les États. Nous faisons très souvent écho à ces difficultés dans notre étude, sans négliger non plus la montée en puissance de nouveaux acteurs non étatiques comme les grandes fondations ou les géants du numérique.
Autre champ de défi, l'intégration européenne, bien évidemment, qui permet potentiellement aux États d'additionner leur puissance, mais qui crée aussi des frustrations liées notamment à l'effet de cliquet de la construction européenne - un transfert de compétences vers l'Union n'est que rarement remis en cause.
Enfin, la crise de la représentation traditionnelle conduit à se réinterroger sur les modes d'expression démocratiques et les moyens d'intéresser et de faire participer les citoyens aux décisions publiques. Cela relève de l'évidence, mais la démocratie s'étiole si les citoyens s'en détournent.
Face à ces constats, notre étude délivre trois messages principaux.
La souveraineté, tout d'abord, suppose une citoyenneté active. Nous envisageons certaines pistes pour renforcer l'esprit de défense des citoyens et leur intérêt pour les décisions politiques, notamment au travers des référendums locaux ou du vote préférentiel. L'étude invite également à développer l'esprit civique des citoyens, en renforçant encore l'enseignement civique et en garantissant les conditions d'existence d'une information fiable, indépendante et pluraliste.
Il nous faut ensuite améliorer l'articulation nécessairement complexe entre l'Union européenne et les États souverains. La souveraineté se définissant depuis plusieurs siècles dans le cadre de l'État-nation, le dépassement des frontières ne peut se faire sans précaution. Nous devons nous assurer que l'Union ne remette pas en cause les intérêts fondamentaux de notre nation et que chacun exerce ses compétences avec mesure et considération réciproque.
Nous recommandons en particulier d'améliorer la production normative en faisant plus strictement respecter le principe de subsidiarité. Nous proposons également d'associer les États dès le choix de l'instrument juridique par la Commission - les règlements tendent à supplanter progressivement les directives - et d'insérer plus fréquemment dans les textes de droit dérivé une clause bouclier rappelant que les dispositions du texte ne portent pas atteinte à l'intégrité territoriale de l'État ni à ses fonctions essentielles en matière d'ordre public et de sécurité nationale.
Nos propositions s'orientent aussi vers la marge d'appréciation laissée par la CJUE aux États membres et sur les moyens pour ces derniers de peser collectivement dans les relations internationales. Nous suggérons de renforcer la méthode d'action coordonnée, qui repose sur la fixation d'objectifs stratégiques communs et sur la conciliation de politiques parfois contradictoires, un exercice qui suppose des échanges réguliers entre les États membres et les institutions européennes. Il pourrait avoir lieu autour de la présidence du Conseil européen et entre commissaires européens, de façon à associer pleinement les parlements et les autres responsables nationaux. La méthode retenue pour le Brexit, où les négociateurs européens avaient d'abord veillé à la solidarité entre États membres, est sans doute une source d'inspiration.
Compte tenu de l'ampleur du sujet, dans un souci opérationnel, nous avons fait le choix de réaliser une étude à traités et Constitution constants. Certaines des pistes que vous avez évoquées ne sont donc pas explorées, hormis un commentaire sur l'évolution de la majorité qualifiée.
Notre troisième axe, qui sera complété par l'étude que nous menons pour 2025, vise à inscrire l'exercice de la souveraineté dans une stratégie de long terme qui permettrait, sur des sujets fondamentaux, de dépasser les contingences du moment et de mobiliser des moyens dans la durée. Cela suppose d'abord de cartographier les secteurs essentiels pour notre souveraineté, puis de fixer un cap et de dégager des moyens financiers, par exemple dans le cadre d'une programmation pluriannuelle. Nous proposons, pour chaque secteur, de désigner un groupe de pilotes dont la légitimité serait reconnue par les autres acteurs.
Ne négligeons pas non plus certains sous-jacents qui nous semblent importants, en particulier la nécessité de disposer de personnes aptes à éclairer et à traduire dans nos politiques publiques les progrès de la science et de la technologie. Ces derniers sont extrêmement mouvants, mais nous savons qu'ils pèseront de plus en plus à l'avenir sur les questions de souveraineté. C'est à cette condition, nous semble-t-il, que notre pays pourra préserver au mieux sa souveraineté, relever les défis auxquels il est confronté et continuer de faire entendre sa voix singulière dans l'ordre international. Il retrouvera ainsi des leviers d'action pour décider de son destin, selon des orientations qui, bien entendu, ne relèvent plus du Conseil d'État, mais du seul champ politique, et donc de la représentation nationale.
Mme Martine de Boisdeffre, présidente de la section des études, de la prospective et de la coopération du Conseil d'État. - J'ajoute mes remerciements à ceux que M. le vice-président vous a exprimés. Je vous remercie aussi, madame la présidente de la commission des lois, d'avoir indiqué que l'étude était très complète. Elle peut l'être, car elle fait plus de 500 pages - mais elle comporte une synthèse de 20 pages. L'acuité et la pertinence de vos questions montrent que vous l'avez bien lue. J'ai coutume de dire en souriant que son plus beau résumé, c'est un dessin de Plantu qui figure à la page 530.
Monsieur le président de la commission des affaires européennes, vous avez apporté un bémol à ce caractère complet en nous disant que nous n'avions pas assez traité du rôle des Parlements nationaux et que, en tous les cas, nous n'avions pas formulé de propositions à cet égard. Or c'est un positionnement que nous prenons de manière générale. Car nous considérons que nos recommandations s'adressent plus à l'exécutif et que, dans le cadre national, il ne nous appartient pas de nous prononcer sur le rôle du Parlement.
Comme l'a dit M. le vice-président, nous avons regardé ce qui existe, à savoir l'organisation du rôle des parlements nationaux par le protocole n° 1 - relatif à ce rôle lui-même - et le protocole n° 2 - sur l'application des principes de subsidiarité et de proportionnalité -, annexés au traité d'Amsterdam. La Commission européenne soumet aux Parlements nationaux tous les textes concernés, mais il nous a semblé que l'usage qui en était fait par les parlements n'était peut-être pas aussi répandu qu'il pourrait l'être. Cela dit, nous avons un démenti par l'action que vous évoquiez, monsieur le président, afin de faciliter la mise en oeuvre du carton jaune et d'initier le carton vert. Un second démenti, apporté par M. le vice-président de la commission des affaires étrangères, est celui de l'avis motivé que vous avez rendu sur EDIP. Nous ne pouvons que nous en féliciter.
À nos yeux, une plus grande implication des parlements nationaux serait en effet intéressante, mais nous l'avons abordée sous un autre angle que celui de l'action propre des parlements nationaux : il s'agirait d'une plus grande présence devant les parlements de l'ensemble des représentants de la Commission, voire des commissaires eux-mêmes, qui pourraient leur donner plus d'informations et, au besoin, s'y déplacer.
Nous avons également beaucoup insisté sur les actions à mener du côté du Conseil. Un « Monsieur subsidiarité » existe déjà au sein de la Commission. Nous pourrions imaginer qu'il vienne expliquer devant tel ou tel Parlement comment mieux faire respecter le principe de subsidiarité. Mais le Conseil mériterait d'être plus présent, car il est la voix des États dans le système institutionnel européen. D'où nos propositions : un point régulier - chaque semestre - au Conseil des affaires générales sur la question de la subsidiarité ; la création auprès du Conseil d'un autre « Monsieur subsidiarité ». Ce dernier pourrait s'appuyer sur le secrétariat général et le service juridique du Conseil. Ces créations, à traité constant, seraient de nature à faire évoluer les esprits.
Dans le même sens, il serait utile que le président du Conseil européen puisse passer plus de temps dans les capitales des 27 États membres afin de jouer un rôle de trait d'union entre le niveau européen et le niveau national. Cela avait été fait par le Premier ministre au moment du Brexit et auparavant par Jacques Delors, alors président de la Commission.
Enfin, il est très important que nos négociateurs soient attentifs au respect de la subsidiarité pour déterminer si la limite n'est pas franchie et quel est l'instrument juridique le plus adéquat : à l'heure actuelle, les règlements deviennent de plus en plus longs, et la frontière entre directive et règlement n'est plus aussi nette.
Par ailleurs, il faut veiller à la base légale retenue pour éviter que les modalités d'adoption ne soient modifiées indûment.
J'en viens aux « clauses boucliers ».
Le traité de l'Union européenne, au paragraphe 2 de son article 4, stipule que l'Union européenne « respecte les fonctions essentielles de l'État, notamment celles qui ont pour objet d'assurer son intégrité territoriale, de maintenir l'ordre public et de sauvegarder la sécurité nationale ». Il ajoute que « la sécurité nationale reste de la seule responsabilité de chaque État membre ». Mais dans la pratique et en vertu de la jurisprudence de la CJUE, lorsqu'elle est amenée à interpréter la portée de tel ou tel texte de droit dérivé, l'on peut observer une tendance à accorder une moindre attention à cette clause de limitation de la compétence de l'Union.
Nous recommandons donc de bien anticiper les choses, ce qui n'a peut-être pas été le cas pour le temps de travail des militaires, et de prévoir systématiquement l'ajout dans les textes de droit dérivé de cette « clause bouclier » qui fasse expressément écho à la réserve générale. Cela se fait déjà dans le domaine de la justice et des affaires intérieures (JAI). L'objectif serait, texte par texte, de permettre un véritable équilibre dans l'interprétation des dispositions, plutôt que de s'en remettre à la clause générale.
Enfin, nous sommes favorables au dialogue des juges. Sur les données de connexion, la dernière décision de la Cour de justice, qui modifie les exigences pour mettre en oeuvre la conservation de certaines de ces données, me paraît être le signe d'une évolution en ce sens.
M. Fabien Raynaud, président adjoint de la section des études, de la prospective et de la coopération du Conseil d'État. - Sur la marge d'appréciation, nous recommandons que la Cour de justice donne davantage de latitude aux États membres dans tous les domaines qui touchent à leur rôle essentiel : la sécurité nationale, l'intégrité du territoire, l'ordre public, etc. Cette notion est bien connue de la CEDH. Dans la mesure où celle-ci doit appliquer un texte unique, relativement ancien, à des situations concrètes, actuelles, elle admet une marge d'appréciation entre les États membres. La Cour de justice part d'un rôle inverse : elle doit assurer l'application uniforme, dans un espace intégré, de normes techniques et évolutives.
Au demeurant, le droit de l'Union européenne se développe dans certains domaines et peut porter atteinte au rôle essentiel des États en matière de sécurité nationale. Outre la clause de réserve générale et les « clauses boucliers », dont nous appelons de nos voeux le développement, il est nécessaire que la Cour de justice tienne compte des différences de situation qui existent entre les États membres.
Dans une certaine mesure, la Cour de justice a envoyé certains signaux intéressants, notamment dans l'affaire du temps de travail des militaires. Elle a dit que les États membres n'étaient pas confrontés à la même situation géostratégique, aux mêmes menaces, et que leurs responsabilités internationales n'étaient pas identiques. Elle a semblé être prête à s'engager dans une évolution positive. Pour réaliser notre étude, nous avons auditionné le président de la Cour de justice, avec lequel nous avons eu un dialogue constructif.
Pourquoi le Conseil d'État ne s'est-il pas engagé dans un contrôle de l'ultra vires ?
Dans nos arrêts du 21 avril 2021 et du 17 décembre 2021, French Data Network et Bouillon, qui n'étaient que le développement de l'arrêt Sarran du 30 octobre 1998 et de l'arrêt Arcelor du 8 février 2007, nous avons clairement déclaré que, en cas de divergences irréconciliables entre un principe constitutionnel et les exigences du droit de l'Union, nous ferions prévaloir le premier. Fort heureusement, nous n'avons pas encore été confrontés à une telle situation.
Il est vrai que nous avons refusé de nous engager dans le contrôle de l'ultra vires. Pourquoi ? Ce contrôle porte sur la validité du droit dérivé au regard des règles de compétences entre les États et l'Union telles qu'elles sont définies par les traités. Or cette mission relève de la Cour de justice. Il ne nous a pas semblé possible d'aller jusque-là.
Même si ces deux voies sont théoriquement très différentes, en pratique, elles aboutissent à un résultat très proche ; car in fine, c'est la Constitution française qui prévaudrait.
Pour ce qui est de la méthode d'action coordonnée, l'une des difficultés dans l'exercice de la souveraineté réside dans le fait que certains instruments ont été transférés au niveau européen tandis que d'autres restent au niveau national. Or, pour être efficaces, nous devons mobiliser tous nos instruments au service d'objectifs stratégiques définis en commun. Par exemple, la politique de la concurrence est exercée au niveau européen, tandis que la politique industrielle reste nationale. Pour une meilleure articulation entre les deux, un groupe de personnes qualifiées pourrait soumettre des propositions à l'autorité politique. Cela permettrait d'éviter les effets de silo, qui peuvent être à la fois verticaux et horizontaux.
Mme Martine de Boisdeffre. - Nous sommes en pointe sur la question de la codification depuis 220 ans, le code civil datant de 1804. Certes, la codification existe à l'échelle de l'Europe avec un code des douanes, mais de manière moins développée. De plus, la méthode suivie est plus complexe dans la mesure où la codification est plus ponctuelle et ne se fait pas à droit constant, ce qui nécessite bien plus de temps.
La codification menée en France a pour objectif de faciliter l'accès au droit et d'améliorer sa lisibilité : de manière symétrique, il pourrait être intéressant de reproduire cette démarche à l'échelle européenne, afin de rendre le droit européen plus organisé, plus lisible et sans doute plus cohérent. L'effort de codification impose en effet de vérifier l'absence de contradiction entre les textes.
Toutefois, même si certains promeuvent, en France comme en Allemagne, l'idée très ambitieuse d'un code européen des affaires - cela a du sens -, travailler à la codification dans le domaine européen devrait pouvoir, au moins dans un premier temps, se faire à droit constant, sans avoir à créer complètement un autre corpus.
M. Didier-Roland Tabuteau. - Sur un autre point, je précise que nous avons analysé les enjeux de l'extension du vote à la majorité qualifiée, mais sans émettre de recommandations dans un sens ou dans l'autre.
Mme Mélanie Villiers, rapporteure générale adjointe de l'étude annuelle relative à la souveraineté. - Notre proposition relative à l'espace civique de confiance numérique s'inscrit dans le cadre d'un axe essentiel de l'étude visant à conforter les modes d'expression de la démocratie et à repenser plus particulièrement, en contrepoint du primat de la démocratie représentative, les outils de la démocratie directe.
Nous nous sommes ainsi interrogés quant à la meilleure manière de préparer l'organisation d'un éventuel référendum, en tenant compte du fait que notre pays est exposé, comme certains de nos voisins l'ont éprouvé récemment, à des risques de manipulation et de désinformation en ligne.
Nous proposons que notre pays se dote d'outils permettant d'éclairer le débat public sur la question soumise à référendum, à l'instar de ce que pratiquent d'autres pays. En Suisse, par exemple, des brochures d'information sont élaborées à destination des électeurs ; aux États-Unis, l'Oregon pratique depuis un certain nombre d'années une forme assez aboutie de ce dispositif avec la Citizens' Initiative Review : une assemblée de citoyens tirés au sort produit ainsi, à l'attention des électeurs invités à se prononcer sur une question issue d'une initiative citoyenne, une analyse présentant à la fois les enjeux et les arguments en faveur du « oui » et du « non ».
L'espace civique de confiance numérique représente un autre moyen pour améliorer la qualité de la délibération, afin de tirer parti de toute la potentialité du numérique et du fait que nos concitoyens se nourrissent beaucoup d'informations sur les réseaux. Concrètement, il s'agirait de mettre en place une plateforme numérique leur offrant un accès à une information vérifiée et à une présentation structurée des effets à attendre de tel ou tel choix.
Nous avons identifié plusieurs prérequis au déploiement de cet espace civique de confiance numérique : tout d'abord, il faudrait éviter l'écueil consistant à donner l'impression que l'on cherche à édicter une sorte de bonne parole, ce qui réduirait l'initiative à néant. Une approche plus adaptée pourrait consister à mettre en perspective les positions en présence sur un sujet déterminé, sur la base de données partagées.
Une telle démarche implique d'associer les parties prenantes à l'élaboration des contenus. Naturellement, la construction d'un espace civique numérique de confiance doit prendre en compte les enjeux de cybersécurité. Afin d'éviter l'écueil d'une parole qui serait descendante ou purement étatique, il nous semble important d'associer un large panel d'acteurs dès la conception, dont des autorités administratives indépendantes telles que l'Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique (Arcom) ou la Commission nationale du débat public (CNDP), qui pourraient jouer le rôle de cheville ouvrière et de point d'accueil des projets. Des fondations politiques, des chercheurs, des acteurs de la Civic Tech et des médias pourraient également participer à la conception de l'outil.
Nous suggérons dans l'étude la constitution d'un groupe de travail à froid, avant même qu'un texte référendaire ne soit mis à l'ordre du jour, afin de se pencher sur ces questions méthodologiques essentielles, sur les aspects techniques du projet et sur les règles de la gouvernance de la plateforme. Il est en effet indispensable de garantir son indépendance et son impartialité, ce qui suppose la mise en place de règles de supervision.
M. Fabien Raynaud. - Un autre aspect de l'étude nous conduit à rappeler que la compétence en matière de défense est essentiellement nationale, même s'il existe des éléments de compétences au niveau de l'Union européenne au travers de la politique européenne de sécurité et de défense (PESD), notamment avec la clause de défense mutuelle de l'article 42.7 du traité sur l'Union européenne. La France en avait d'ailleurs été une grande promotrice lors de la révision des traités, car elle souhaitait y inclure des responsabilités plus grandes dans le domaine de la défense.
Par ailleurs, il existe des domaines dans lesquels l'Union européenne, en exerçant ses compétences, est susceptible d'affecter positivement ou négativement la capacité des Européens à se défendre. Je pense ici au domaine de l'armement, situé à la frontière entre les compétences classiques et les compétences de défense.
Là encore, et en lien avec ce qu'a rappelé la Mme de Boisdeffre à propos de la subsidiarité et de la méthode d'action coordonnée, il convient d'être vigilants afin d'éviter, d'une part, une ingérence de l'Union européenne dans des domaines dans lesquels son rôle n'est que second ; et de s'assurer, d'autre part, que l'exercice des compétences de l'Union aille dans le sens d'une meilleure défense des Européens. Telles sont les questions qui se posent à nous compte tenu de la situation actuelle et des échos du débat autour de la Communauté européenne de défense (CED).
Mme Martine de Boisdeffre. - Je vais conclure sur ce point en tant que présidente du comité d'histoire du Conseil d'État. Le débat autour de la CED avait profondément divisé le pays, mais dans un contexte totalement différent : la Communauté économique du charbon et de l'acier (Ceca) était en pleine construction et la CED était une initiative française qui visait à éviter que le réarmement allemand ne se fasse dans un cadre national, avec l'idée de le « communautariser ».
La situation actuelle est fort différente : si l'Union européenne a été construite par les États, la défense relève toujours de leur compétence. De surcroît, le contexte actuel est marqué par le retour de la guerre en Europe, la montée de menaces directes comme diffuses, et enfin par des incertitudes quant au niveau - voire au principe - de l'engagement américain.
Nous devons donc nous poser l'ensemble de ces questions, avant d'effectuer un choix politique et démocratique.
M. Jean-François Rapin, président de la commission des affaires européennes. - J'y ajoute la question de la dissuasion nucléaire, qui est en quelque sorte le chapeau de cette problématique de la défense européenne.
M. Rachid Temal, vice-président de la commission des affaires étrangères. - Je partage cette opinion. Vous avez évoqué à juste titre, madame la présidente, le caractère démocratique des questions posées : nous en convenons, mais convenez également que l'utilisation de règlements européens n'est pas la panacée en termes de débat démocratique, alors qu'il conviendrait de permettre d'aborder ces questions de fond dans les Parlements nationaux.
Si l'urgence pouvait se justifier dans le dossier ukrainien, il n'en reste pas moins que nous avons mis le doigt dans l'engrenage. Le débat qui doit nous préoccuper porte bien sur les modalités démocratiques qui permettraient d'aborder les enjeux liés à l'article 4 du traité sur l'Union européenne et à la dissuasion nucléaire, le choix du règlement ne permettant pas un débat serein.
Mme Martine de Boisdeffre. - C'est pourquoi nous avons tant insisté sur le respect du principe de subsidiarité.
M. Rachid Temal, vice-président de la commission des affaires étrangères. - J'ai été rapporteur de la commission d'enquête sur les politiques publiques face aux opérations d'influences étrangères présidée par notre collègue Dominique de Legge, et l'une de ses conclusions a mis l'accent sur le fait qu'une mobilisation de l'ensemble de la société était nécessaire pour combattre les ingérences.
Vous avez évoqué la perspective d'un renforcement de l'enseignement civique, qu'il conviendrait sans doute d'élargir à l'ensemble de l'enseignement, quelles que soient les matières. Pour prendre l'exemple des mathématiques, l'apprentissage de la lecture d'une courbe permet d'acquérir une méthode dans l'analyse des données.
Par ailleurs, j'apporterai un bémol sur l'espace civique de confiance numérique : s'il faut, comme vous l'avez indiqué, éviter l'écueil qui consisterait - pour caricaturer - à recréer l'Office de radiodiffusion télévision française (ORTF), n'oublions pas que les Gafam sont désormais dotés d'une telle puissance qu'ils participent même à la défense nationale américaine. Comment un tel dispositif pourrait-il exister face à ces géants ? L'Union européenne a réalisé quelques avancées pour défendre sa souveraineté numérique et il faut saluer le travail accompli par le commissaire Thierry Breton. Dans ce domaine, la souveraineté européenne aurait tout son sens.
Mme Martine de Boisdeffre. - Vous avez entièrement raison de souligner la force normative de l'Union européenne en matière numérique. Très critiqué, le règlement général sur la protection des données (RGPD) a néanmoins eu un rôle d'entraînement vis-à-vis de pays tels que le Japon ou l'Inde, qui ont élaboré des documents qui s'en inspirent. De plus, les Gafam ont dû s'y plier afin de conserver l'accès au marché européen, qui reste considérable.
De la même manière, le Digital Markets Act (DMA) et le Digital Services Act (DSA) ont instauré des règles fortes pour les grandes plateformes, à la fois en termes de concurrence et de contenus. Nous avions dit, à l'occasion de notre étude portant sur les réseaux sociaux, qu'il faudrait que la Commission européenne ait les moyens de mettre en oeuvre cette réglementation. D'après les échos dont nous disposons, il semble que ce soit le cas. Là aussi, nous pourrions parler de méthode d'action coordonnée entre les directions concernées au niveau européen - la DG Connect, par exemple - et les autorités administratives impliquées au niveau national.
S'agissant de la possibilité de positionner l'espace civique de confiance numérique face aux Gafam, un travail considérable est mené en France sous l'égide de l'Agence nationale de la sécurité des systèmes d'information (Anssi), ce qui permet de déjouer un certain nombre de cyberattaques. Au-delà des aspects techniques, nous devons être conscients de l'importance de ce risque cyber : si les entreprises et les administrations y sont sensibilisées, les citoyens doivent également l'être, ce qui m'amène à l'éducation civique.
Cette dernière doit intégrer une sensibilisation aux avantages et aux inconvénients du numérique, ainsi qu'à « l'esprit de défense » qui avait été mis en exergue par le général André Lanata, ancien chef d'état-major de l'armée de l'air. Il faut développer cet esprit chez nos concitoyens, à l'instar de la Finlande.
Mme Mélanie Villiers. - Pour poursuivre sur la dimension éducative, l'étude suggère la présence un peu plus marquée, dans les établissements scolaires, d'acteurs tels que les élus et les représentants des administrations, afin qu'ils puissent présenter et expliquer leurs fonctions : on nourrit encore mieux la compréhension des enjeux démocratiques du système quand on en est un acteur, avec des anecdotes à transmettre. L'association Parlons démocratie, qui monte actuellement en puissance, joue ce rôle.
Par ailleurs, nous proposons de prendre davantage appui sur les collectivités territoriales et sur le monde universitaire afin de développer la réserve citoyenne et la Garde nationale. Certaines collectivités se sont déjà engagées : le président de la région des Hauts-de-France vient ainsi de signer une convention avec le secrétaire général de la Garde nationale. Il reste cependant beaucoup à faire pour élargir cet esprit citoyen, en permettant à des fonctionnaires ou à des étudiants de s'engager.
Concernant les Gafam et l'espace civique numérique, les premiers disposent certes de l'information, mais cela n'interdit en rien à la puissance publique de construire un outil destiné à éclairer le débat. En outre, les Gafam eux-mêmes ont conscience de ces enjeux démocratiques : une fondation liée à Google a ainsi lancé un appel à projets au niveau européen afin d'identifier les pratiques permettant de renforcer la démocratie. Il existe donc des marges de co-construction avec ces acteurs.
M. Didier-Roland Tabuteau. - Au-delà de l'enseignement civique, indispensable pour connaître les bases de la citoyenneté, des institutions et du service public, je crois qu'il faut encourager l'enseignement dans son ensemble, dans la mesure où il conduit les enfants et les jeunes à la rationalité, au raisonnement et au maniement de l'esprit critique, et ce dans toutes les disciplines. L'apprentissage d'une méthode de raisonnement a un effet sur la manière d'analyser les informations, l'enseignement étant ainsi un puissant facteur de confortation de notre citoyenneté et donc du bon exercice de notre souveraineté.
M. Jean-François Rapin, président de la commission des affaires européennes. - Merci pour ces réponses très éclairantes, ce débat ayant vocation à se prolonger.
Cette audition a fait l'objet d'une captation vidéo disponible en ligne sur le site du Sénat.
La réunion est close à 9 h 45.