Jeudi 28 novembre 2024
- Présidence de Mme Dominique Vérien, présidente -
Conférence de Mme Cécile Berly, historienne, sur la vie d'Olympe de Gouges
Mme Dominique Vérien, présidente. - Chères collègues, j'ai le plaisir d'accueillir ce matin l'historienne Cécile Berly, spécialiste d'Olympe de Gouges, auteure de la Déclaration des droits de la femme et de la citoyenne, que nous célébrons aujourd'hui. Nous venons d'inaugurer la salle qui porte désormais son nom, dans laquelle nous nous réunirons dorénavant avec un enthousiasme renouvelé, bien qu'elle se trouve en dehors du Palais.
Pour marquer le vingt-cinquième anniversaire de notre délégation, j'ai souhaité vous proposer une conférence sur cette figure historique et symbolique de la lutte pour les droits des femmes et, fait moins connu, du combat pour l'abolition de l'esclavage.
Cécile Berly est une écrivaine et historienne, spécialiste du XVIIIe siècle, plus particulièrement de Marie-Antoinette, mais aussi d'Olympe de Gouges. Je la considère comme une de mes amies. Elle est Icaunaise, preuve s'il en est que l'on trouve des femmes de valeur dans l'Yonne. J'ai eu l'opportunité d'assister à une de ses conférences, qui a eu lieu à La Maison de Colette.
Je remercie chaleureusement Cécile Berly d'avoir accepté notre invitation et lui cède maintenant la parole.
Mme Cécile Berly, historienne. - Merci Dominique pour cette invitation. C'est un honneur pour moi d'être à vos côtés aujourd'hui.
J'ai la chance d'exercer un métier qui est aussi ma passion : les femmes du XVIII? siècle m'accompagnent depuis près de vingt-cinq ans. Je leur consacre mon travail, mon temps et mon énergie. Je ne me considère pas comme une militante, mais comme une personne profondément engagée. Dédier ma carrière à ces femmes, écrire à leur sujet, parcourir la France et le monde pour partager leur histoire, c'est aussi reconnaître leur rôle de pionnières. Nous sommes, à bien des égards, leurs héritières : ces femmes ont eu l'audace de s'affranchir des conditions imposées par leur naissance, et notamment par le fait d'être nées femmes.
Quelle idée magnifique et symbolique de donner le nom d'Olympe de Gouges à cette salle prestigieuse ! J'aimerais néanmoins revenir un instant sur son nom, « Olympe ».
Née sous le nom de Marie Gouze en mai 1748 à Montauban, cette Occitane n'a pas 17 ans lorsqu'elle épouse Yves Aubry, une figure manifestement détestable. Dès son jeune âge, elle connaît ce que l'on qualifie aujourd'hui de violences conjugales. Lorsque son époux décède, elle refuse de jouer le rôle attendu de la veuve éplorée. Dans la France du XVIII? siècle, et sous l'Ancien Régime, le veuvage constitue souvent la seule qualité que l'on pourrait reconnaître à une femme prétendant à une relative liberté. Pourtant, la future Olympe refuse catégoriquement d'être appelée « veuve Aubry », déclarant : « Je détestais cet homme de son vivant, je le déteste autant mort. »
Ce refus est une manifestation précoce de l'incroyable liberté qu'elle revendique. Elle réfléchit, choisit et impose à la société une identité propre : non seulement en tant que femme, mais aussi en tant que femme de lettres. Elle opte ainsi pour le nom d'Olympe de Gouges. Ce choix est tout à fait inédit dans l'histoire des femmes, notamment en littérature. Alors que de nombreuses femmes écrivaines adoptent des pseudonymes masculins pour masquer leur identité, Olympe choisit une identité à la fois nobiliaire et céleste. Le prénom Olympe renvoie aux dieux et aux déesses de l'Olympe, révélant déjà une personnalité exceptionnelle.
Lors de l'inauguration de cette salle, tout à l'heure, j'ai particulièrement apprécié la vue du portrait d'Olympe de Gouges. Le 26 juillet 2024, jour de l'ouverture des Jeux olympiques, j'ai été saisie par une image inattendue : Olympe de Gouges surgissant comme sortie d'un piédestal doré, brandissant ses écrits. C'est sans doute la plus belle image que l'on puisse offrir d'elle. En tant qu'historienne, je ressens une grande frustration : il n'existe malheureusement aucun portrait authentique ni iconographie avérée d'Olympe de Gouges. Au mieux, il est possible de lui attribuer certains portraits, qu'ils soient en pied ou réduits à un simple buste, mais on ne connaît pas ses traits.
Pourtant, le 26 juillet, une étape décisive a été franchie dans sa mise en lumière : l'attribution symbolique d'un visage, magnifié par une représentation dorée, à cette figure emblématique. Ce geste, ô combien émouvant, mérite un hommage appuyé à celui ou celle qui a eu l'idée de la représenter ainsi, brandissant ses écrits.
Car c'est cela, Olympe de Gouges : avant tout une femme de lettres. Je suis ravie de pouvoir enfin employer cette expression sans détour. En effet, les Français furent parmi les premiers à la dénigrer - Olympe de Gouges fut redécouverte tardivement, à la fin des années 1970 et au début des années 1980. Jusque-là, on réduisait souvent son apport, affirmant qu'elle écrivait, que cela l'occupait. On disait qu'elle pensait plutôt bien, qu'elle était gentille et humaniste, mais la discussion s'arrêtait là. Or elle n'était pas qu'une écrivaine. Certes, elle n'était pas une styliste préoccupée par l'élégance littéraire, et elle n'écrivait pas pour briller par son style. Elle écrivait avant tout pour défendre des idées. C'est précisément ce qui rend son oeuvre si remarquable.
À ce propos, je refuse d'employer le terme de « littérature féminine ». Les écrits de femmes relèvent de la littérature, tout court.
Lorsqu'elle commence à écrire, au début des années 1780, Olympe a à coeur de défendre des idées. En ce sens, elle peut être considérée comme une précurseure de Simone de Beauvoir. Plus encore, ces dernières années, je me bats pour qu'on la reconnaisse non seulement comme une femme de lettres - après tout, elle a produit près de 150 écrits -, mais également comme une philosophe des Lumières. Ses idées, d'une modernité saisissante et résolument progressistes, justifient pleinement ce titre. Il est temps de dépasser les préjugés pour enfin reconnaître en elle une authentique philosophe des Lumières.
Il est vrai que, pour une femme du XVIII? siècle, s'imposer dans le monde des écrivains relevait déjà de l'exploit. Mais intégrer le cercle des penseurs et des philosophes était une tâche encore plus ardue. Il convient ici de souligner - au risque de heurter quelques sensibilités - que les philosophes des Lumières étaient imprégnés d'une misogynie patentée, à des degrés divers. Certaines féministes contemporaines se revendiquent aujourd'hui de Rousseau ; l'ont-elles réellement lu ? En effet, celui-ci refuse purement et simplement aux femmes l'accès à l'éducation, à l'instruction, et même à la pensée. Pardonnez-moi cette digression, militante certes, mais nécessaire.
Ensuite, Olympe de Gouges a su transcender les obstacles de son époque. Issue d'une condition marquée par le stigmate de la bâtardise - elle est une enfant illégitime -, elle a transformé cette « faiblesse », cette blessure sociale, en une force extraordinaire. Elle a su faire de sa situation personnelle un moteur pour défendre les droits des enfants illégitimes dans ses écrits, en plaidant notamment pour que la société et le législateur les prennent en charge et leur assurent des droits fondamentaux, comme l'accès à l'héritage paternel.
Olympe de Gouges s'intéresse au sort des filles-mères, figures qui, au XVIII? siècle, étaient frappées du plus grand opprobre. Être fille-mère, dans cette société, revient à être assimilée ni plus ni moins à une prostituée. Elle se penche également sur ce que l'on désigne aujourd'hui comme les violences conjugales, un sujet qu'elle connaît malheureusement de manière intime, ayant elle-même vécu de telles épreuves. Elle se définit d'ailleurs comme une « sacrifiée sur l'autel du mariage ». Ce thème apparaît notamment dans la dernière partie de sa célèbre Déclaration des droits de la femme et de la citoyenne de 1791.
Elle y propose une réforme radicale : l'abolition du mariage, qu'il soit religieux ou, plus tard, civil, au profit d'un contrat d'union fondé sur le sentiment d'amour et la liberté des individus. Elle a compris, par sa propre expérience, que les femmes sont fréquemment sacrifiées dans cette institution.
Plus largement, toute son oeuvre témoigne d'une attention particulière à la « non-place » des femmes dans la société et à la question de leurs droits. Ces thématiques étaient déjà présentes dans ses écrits, bien avant la rédaction de sa célèbre déclaration.
On oublie souvent que ses premiers textes, qui lui valurent une certaine notoriété, portaient sur une autre forme d'injustice flagrante : la condition des noirs et la question de l'esclavage. En adoptant une méthode de réflexion comparable à celle de ses confrères philosophes, elle interroge la non-reconnaissance des droits des personnes que l'on qualifiait à l'époque de « nègres », hommes comme femmes. Elle dénonce l'injustice de leur réduction en esclavage et rejette catégoriquement les justifications prétendument fondées sur les « lois de la nature ». Elle démontre, dans ses écrits, que rien ne légitime un tel système et qu'il est incompatible avec toute prétention à une société juste.
Olympe de Gouges va encore plus loin dans ses réflexions. Parmi les raisons qui la rendent si admirable, je me dois d'évoquer sa réflexion précoce sur ce que nous appelons aujourd'hui la laïcité, bien qu'elle n'emploie pas explicitement ce terme. Déiste, elle rejette néanmoins l'omniprésence et l'omnipotence de l'Église catholique dans la société française de son temps. Elle dénonce notamment les voeux religieux forcés imposés aux femmes, en particulier aux plus démunies, qui n'ont souvent que deux issues : la prostitution ou le cloître. Pour elle, ces pratiques sont inacceptables. Elle plaide pour l'interdiction des voeux religieux imposés et pour une séparation stricte entre l'Église et l'État. Elle revendique que la religion demeure une affaire privée.
Olympe de Gouges s'interroge par ailleurs sur les moyens de prendre en charge les filles-mères, les bâtards et les indigents. Elle imagine, bien avant George Sand et les débats de 1848, la création d'ateliers nationaux permettant d'offrir du travail à toutes et à tous. L'indigence et la pauvreté lui sont insupportables.
Elle se distingue également par une réflexion pionnière sur la prise en charge des personnes âgées, qui travaillent jusqu'à la mort. Selon elle, il appartient à la société et à l'État de veiller sur celles et ceux qui, n'étant plus en mesure de travailler, ont malgré tout le droit de vivre dignement. Cette pensée, inédite pour son époque, témoigne de son profond humanisme.
Par ailleurs, elle adopte une approche hygiéniste avant l'heure. Dans l'un de ses écrits, elle insiste sur l'importance de prendre soin des femmes enceintes, en particulier les plus pauvres, en leur permettant non seulement de vivre leur grossesse dans de meilleures conditions, mais aussi d'accoucher dans un environnement hygiénique. Elle a saisi que le fort taux de mortalité maternelle et infantile est lié à un manque cruel d'hygiène, faisant preuve d'une préoccupation anachronique pour son temps.
Olympe de Gouges s'intéresse également aux dérives de la violence utilisée à des fins politiques. En pleine Révolution, elle écrit abondamment pour dénoncer l'effusion de sang qui, selon elle, souille et discrédite toute révolution. Elle condamne catégoriquement le recours à la force armée, notamment à travers des soulèvements populaires. Fait notable, elle désapprouve encore plus fermement les violences commises par des femmes que celles perpétrées par des hommes, reflétant sa capacité à porter un regard nuancé sur l'humanité, bien qu'elle soit féministe avant l'heure. Dans sa Déclaration des droits de la femme et de la citoyenne, elle n'excuse jamais en rien les mauvais comportements des femmes.
Elle exprime également son opposition résolue à la peine de mort, s'inscrivant dans un courant de pensée humaniste traversant le XVIII? siècle. Bien qu'elle ne soit pas la première à défendre cette idée, sa position reste profondément marquante, surtout à la lumière des circonstances tragiques de son propre destin.
Alors, quelle est la place d'Olympe de Gouges aujourd'hui ? Elle est ici, dans cette salle. Depuis 2016, son buste trône dans les couloirs de l'Assemblée nationale, en face de celui de Jean Jaurès. Elle est la première à y être placée. Pourtant, sa véritable place devrait être au Panthéon. Plusieurs arguments plaident en faveur de sa panthéonisation.
D'abord, son oeuvre, marquée par la modernité, le progressisme et un humanisme visionnaire, justifie pleinement une telle distinction. C'est d'ailleurs la raison pour laquelle elle meurt guillotinée à l'âge de 45 ans, après cinq mois d'enfermement dans des conditions carcérales d'une extrême dureté, où l'on s'emploie méthodiquement à l'humilier. Les actes du tribunal révolutionnaire révèlent qu'elle est condamnée pour avoir écrit. Si l'on devait résumer sa vie et son oeuvre, ce serait par cette phrase : écrire et mourir pour ses idées. Si cela ne mérite pas le Panthéon, qu'est-ce qui le mérite ?
Face à ses juges, Olympe sait ce qui lui est reproché : ses écrits politiques, accusés de « tenter de fragiliser la République une et indivisible ». Elle assume pleinement ses convictions. Elle déclare ne rien renier de ses textes, qu'elle signe, diffuse et placarde dans tout Paris. Une telle insolence, pour une femme de son époque, est proprement extraordinaire. Surtout, elle est jusqu'au-boutiste, et pas hystérique et suicidaire, comme on peut l'entendre. Elle a simplement des idées. Elle les respecte, et se respecte. Elle va au bout de ses convictions. Devant le juge, elle le dit : elle ne renie aucune de ses idées. Tous ces textes sont de sa plume, relèvent de ses idées. Elle avait tout de même la guillotine pour perspective.
Lorsqu'elle arrive au tribunal révolutionnaire, Olympe de Gouges devrait avoir un avocat. Il n'est pas venu. Elle s'en étonne, et demande au président si elle pourrait en avoir un autre, dans le respect du droit de la défense. Celui-ci lui rétorque « Madame, vous avez suffisamment d'esprit pour vous défendre seule ». Elle se défend donc seule, quand on lui en laisse le temps. Son procès ne dure que quelques heures. Elle est exécutée le lendemain, le 3 novembre 1793, sur l'actuelle place de la Concorde, alors appelée place de la Révolution.
Même depuis ses différentes prisons - cinq en cinq mois - elle continue d'écrire et parvient à faire sortir ses textes. Ses brochures, feuilles volantes et placards inondent le tout Paris, défiant les autorités révolutionnaires, qui ne trouvent qu'une solution pour la faire taire : la guillotine.
Son exécution précipite son oubli. Pendant plus d'un siècle, Olympe de Gouges est absente des livres d'histoire consacrés à la Révolution, y compris ceux traitant des femmes à cette période. Louise Michel y est mentionnée, souvent pour être qualifiée de folle. C'est aux États-Unis et dans les pays anglo-saxons, au sein des premiers mouvements féministes comme celui des suffragettes, qu'elle est redécouverte. En France, il faudra attendre les années 1980 pour que son oeuvre soit véritablement mise en lumière.
Olympe de Gouges mérite de reposer au Panthéon, aux côtés de son ami Nicolas de Condorcet, qui fut panthéonisé en 1989 grâce au couple Badinter. Condorcet, tout comme Olympe, avait une vision profondément progressiste de la place des femmes dans la société du XVIII? siècle. Ensemble, ils ont échangé, écrit, philosophé et « politiqué », comme on le disait à l'époque. Elle a sa place à ses côtés, au Panthéon.
Mme Dominique Vérien, présidente. - Merci beaucoup pour cette présentation. Elle fait écho à de nombreux travaux de la délégation. Nous constatons que beaucoup des combats qu'elle menait sont toujours d'actualité et recoupent nos propres axes de réflexion. C'est encourageant, car ce constat montre que nous ne nous sommes pas trompés en mettant en avant Olympe de Gouges, mais il est aussi préoccupant de réaliser qu'après 231 ans, nous luttons encore pour les mêmes causes. Vingt-cinq ans d'existence de la délégation ne suffiront pas. Il nous faudra continuer à nous battre sans relâche. Comme le disait Simone de Beauvoir, et cela a d'ailleurs inspiré le titre d'un de nos rapports, « il suffira d'une crise... » Nous ne pouvons rien lâcher. L'historienne et écrivaine Claudine Monteil, amie de Simone de Beauvoir, à qui cette phrase a été adressée, nous le rappelle à chaque fois que nous la rencontrons.
Par ailleurs, j'ai été particulièrement marquée par l'idée exprimée de « la guillotine pour la faire taire ». Aujourd'hui, dans le cadre des violences domestiques, nous observons une recrudescence inquiétante des phénomènes de strangulation et d'étouffement, dont l'objectif premier, au-delà de la mort, est de réduire la femme au silence. Force est de constater que 231 ans plus tard, ces violences ne se manifestent plus dans la rue, mais persistent au sein du foyer. C'est une lutte que nous devons continuer à mener avec détermination.
Le combat d'Olympe de Gouges l'a finalement menée à l'Assemblée nationale et au Sénat, ici, rue Casimir Delavigne. Poursuivons notre chemin jusqu'au Panthéon.
Mme Annick Billon. - Merci, Madame, pour cette présentation détaillée. Vous nous avez permis de ressentir le personnage. Vous disiez qu'elle était humaniste. On ressent aussi beaucoup d'humanité dans vos propos.
La place des femmes dans l'espace public reflète, à mon sens, leur place dans l'Histoire. Il y a quelques années, moins de 15 % des rues et places portaient des noms de femmes. L'attribution du nom d'Olympe de Gouges à une salle du Sénat constitue une avancée significative dans ce cadre. Je félicite la présidente, qui a porté cette initiative avec succès. Comment pouvons-nous réhabiliter toutes les femmes qui ont joué un rôle majeur dans l'Histoire, mais restent absentes de l'espace public, des rues et des manuels scolaires ? Que faire pour mettre en valeur ces femmes de lettres, ingénieures et autres figures ayant contribué à notre société ?
Ma seconde question porte sur l'héritage politique d'Olympe de Gouges. Comment peut-elle inspirer les générations actuelles, notamment en politique ? Elle a exercé la politique de manière noble, fidèle à ses convictions jusqu'au bout, sans se soucier des conséquences. Dans un contexte où l'on reproche souvent aux personnalités politiques d'afficher des convictions fluctuantes selon les échéances électorales, comment peuvent-ils s'inspirer de son exemple ?
Mme Olivia Richard, présidente. - Je vous remercie, Madame la Présidente, pour cet événement qui fait du bien. J'ai remarqué de nombreux sourires ce matin. Ils sont rares ces temps-ci.
J'ai lu un ouvrage consacré à Olympe de Gouges cet été, passionnant. Votre présentation a soulevé de nombreuses questions. Quel écho a-t-elle eu ? Vous indiquiez qu'elle avait inondé Paris. Était-elle suivie ? Déconsidérée ? Dérangeait-elle ? Comment expliquez-vous qu'une femme de cette envergure ait été niée pendant si longtemps ?
Nous savons qu'un mouvement d'études féministes s'est développé dans les années 1970, ce qui explique le regain d'intérêt à cette époque. Mais pourquoi l'avait-on oubliée auparavant ?
Mme Laure Darcos. - Je vous remercie pour cet exposé passionnant sur cette femme remarquable. Bien que j'aie déjà lu des éléments sur sa vie, votre présentation a ravivé mon intérêt et m'incite à approfondir mes connaissances sur son parcours. Je partage votre conviction : elle mériterait amplement sa place au Panthéon.
Ses combats m'ont particulièrement interpellée, notamment celui en faveur des personnes âgées. À une époque où l'espérance de vie était bien plus courte qu'aujourd'hui et où la vieillesse survenait plus tôt, son intérêt pour cette cause est remarquable. Je m'interroge sur les raisons de cet engagement : a-t-elle été inspirée par l'expérience de parents âgés ou de proches ayant atteint un âge avancé pour l'époque ?
De même, sa lutte contre l'esclavage soulève des questions. A-t-elle été en contact avec des esclaves émancipés dans son entourage ? Quel a été le cheminement qui l'a conduite à cette prise de conscience, particulièrement notable pour une personne évoluant dans les cercles parisiens de l'époque ?
Mme Béatrice Gosselin. - Merci pour cet exposé captivant. Olympe de Gouges s'est engagée dans de multiples combats : contre l'esclavage, mais aussi contre l'illégitimité des enfants. Il me semble également qu'elle s'opposait à la guerre. En 1792, elle avait rédigé deux textes dénonçant l'inutilité de la guerre et ses conséquences funestes.
Par ailleurs, d'autres femmes contemporaines d'Olympe de Gouges ont-elles pu constituer un réseau avec elle ? J'ai bien saisi qu'elle était relativement isolée, mais était-elle néanmoins entourée de quelques figures féminines notables ?
Mme Cécile Berly. - D'abord, comment féminiser nos espaces publics, tels que les places, les rues, etc. ? Au cours des dernières années, un nombre important d'établissements scolaires, de crèches, de places et de rues ont été dédiés à Olympe de Gouges. Sa présence est plus en plus remarquée. Cependant, cette question reste complexe et mérite une réflexion approfondie sur la méthodologie à adopter, car elle soulève des problématiques considérables. Parfois, ces difficultés ne sont même pas directement liées à la question de la féminisation de la voie publique, mais résultent plutôt de considérations logistiques, telles que la matérialité de la rue. Ce changement engendre de nombreuses interrogations qui dépassent largement le cadre des femmes et du féminisme.
Comme vous l'avez compris, mon travail consiste à mettre en lumière toutes ces femmes. Il me semble qu'il est important d'accepter que le temps fasse son oeuvre : plus nous abordons ces sujets de manière apaisée, sereine et non conflictuelle, plus les choses finiront par se dérouler naturellement. Tout à l'heure, vous évoquiez les sourires. Effectivement, aujourd'hui, nous avons souri lors de l'inauguration de cette salle, car elle était porteuse d'un véritable sens.
J'organise des interventions dans des collèges et lycées, notamment pour parler d'Olympe de Gouges. Je parcours de nombreux établissements avec elle et d'autres femmes. J'ai le sentiment que petit à petit, la situation évolue sans précipitation. Par exemple, il est possible de lancer un projet citoyen et de solliciter les citoyens et citoyennes pour connaître les noms de rues et de places qu'ils aimeraient voir attribués.
Je suis convaincue que ces évolutions, certes lentes, sont inéluctables. En effet, les jeunes générations, tant les filles que les garçons, sont de plus en plus sensibilisées à la question de la place des femmes. Souvent de manière un peu naïve, elles expriment leur incompréhension : « Mais pourquoi parle-t-on si peu des femmes ? » Je pense que nous sommes ici confrontés à une véritable question de méthode de travail.
Pour ma part, je crois profondément en l'efficacité des projets citoyens. Il y a quelques années, dans la ville des Lilas, j'ai mené un projet qui a abouti à l'inauguration du parc Simone Veil. J'avais fait créer par des élèves de seconde générale une exposition permanente, permettant aux visiteurs de déambuler dans le parc et de suivre l'histoire de Simone Veil, celle de la Shoah, à travers le parcours d'une famille française laïque et parfaitement intégrée. J'avais également demandé qu'un panneau soit dédié à Simone Veil et à son amie Marceline Loridan-Ivens.
Je crois fermement à l'importance de telles initiatives, qui nécessitent bien entendu des compétences spécifiques pour être menées à bien. Ces projets peuvent être mis en place par le biais d'ateliers d'écriture, de conférences, etc., afin que progressivement, les femmes s'imposent dans la matérialité de la rue et de l'espace public. Cela prendra du temps.
Vous le souligniez plus tôt, nous parlons ici de femmes écrivaines, de femmes politiques, mais les femmes sont aussi ingénieures, sportives, scientifiques. Elles se sont distinguées dans des domaines variés. Il reste encore des histoires à écrire. Je pense que c'est d'ailleurs l'une des raisons pour lesquelles, en France, il existe une telle demande sociale pour l'histoire. Il y a encore tant à raconter.
Je rêve qu'un jour, on n'évoque plus seulement l'histoire des femmes de manière isolée, mais que toutes ces femmes trouvent leur place sur les étagères des librairies, comme une partie intégrante de notre histoire, de notre mémoire, de notre citoyenneté. Pour cela, il est indispensable de les avoir étudiées. Bien sûr, nous aurons besoin de temps.
J'ai une bonne nouvelle pour vous : notre jeunesse adore Olympe de Gouges, notamment grâce au travail éditorial réalisé autour de sa personne. Je pense en particulier aux romans graphiques de Catel et Bocquet, publiés pour la première fois en 2012 et réédités chaque année depuis. Il est vrai que certains aspects historiques y sont légèrement biaisés, mais ce n'est peut-être pas si important. Ce qui est essentiel, c'est qu'Olympe, à travers ce roman graphique, ait enfin un visage. Catel a dû en créer sa représentation. C'est fascinant. D'ailleurs, la nouvelle Olympe de Gouges est celle que l'on a vue lors de la cérémonie d'ouverture des Jeux olympiques.
Les jeunes générations sont nombreuses à être sensibles à sa figure. Au cours des dernières années, j'ai donné de nombreuses conférences, tant en France qu'à l'étranger, dans les lycées français, sur Olympe de Gouges, à destination des jeunes. Filles comme garçons la trouvent extraordinaire. Pour eux, c'est une sorte de compagne idéale, de meilleure amie rêvée. J'avais d'ailleurs mené des ateliers d'écriture où j'invitais des jeunes à écrire une lettre à Olympe de Gouges. Écrire à une personne qui ne peut pas répondre est un exercice délicat. Pourtant, j'ai pu constater la proximité qu'ils ressentent avec elle. Ils ont compris sa modernité, son humanité qui les touche profondément.
Vous m'interrogiez ensuite sur l'écho que les idées et l'oeuvre d'Olympe de Gouges ont rencontré de son vivant. Il a été quasi inexistant. La diffusion, le 14 septembre 1791, de la Déclaration des droits de la femme et de la citoyenne n'a eu aucune résonnance. Pourtant, Olympe s'est donné les moyens de la diffuser ; c'est l'un des rares écrits auxquels elle a véritablement consacré du temps. Encore une fois, ce n'était pas une styliste, mais elle a pris le soin de le réfléchir et de le mûrir. Elle l'a même dédiée à la reine Marie-Antoinette, bien que celle-ci soit peu intéressée par les droits des femmes. On ne pouvait pas, à l'époque, lui demander de changer son système de pensée.
Il est à noter qu'Olympe de Gouges n'a jamais gagné le moindre argent grâce à ses écrits. Ce n'était d'ailleurs pas son objectif. Elle dépensait plutôt toutes ses ressources au service de ses textes, ce qui témoigne d'un investissement profond et généreux.
Une fois qu'elle avait fait imprimer ses textes - car à l'époque, l'imprimeur jouait le rôle de l'éditeur -, elle faisait appel à un petit métier parisien, celui du colporteur, chargé de distribuer ses pamphlets, brochures et autres tracts. Elle inondait ainsi Paris de ses textes, en plaçant certains d'entre eux sur des affiches de couleur rouge ou jaune, qui étaient visibles de loin. D'ailleurs, à Paris, on entendait souvent cette expression dans l'espace public : « C'est encore la de Gouges. » Cela signifiait qu'un attroupement s'était formé autour d'une affiche rouge ou jaune. Souvent, des individus se rassemblaient pour lire ou se faire lire le texte, car beaucoup, à l'époque, étaient analphabètes. Quand on disait « c'est encore la de Gouges », cela signifiait que ses écrits étaient devenus familiers et qu'ils étaient lus ou vus régulièrement. En d'autres termes, même si la réception de ses idées n'était pas immédiate, elle avait réussi son pari : elle était lue, et peut-être même qu'elle influençait. Olympe de Gouges avait parfaitement compris que l'écrit était un pouvoir, pour ne pas dire le pouvoir.
Pourtant, la réception d'un texte comme la Déclaration des droits de la femme et de la citoyenne fut extrêmement contrastée. Pendant cette décennie de la Révolution, la question des droits politiques des femmes n'a jamais franchi les portes des assemblées nationales, qu'il s'agisse de la Constituante, de la Législative ou de la Convention. Ce n'était tout simplement pas un sujet. Il était donc logique que ce texte, aujourd'hui considéré comme féministe, n'ait pas été accueilli favorablement.
Au XVIIIe siècle, comme déjà au siècle précédent, les individus qui s'intéressaient aux droits des femmes étaient extrêmement rares. On pourrait compter sur nos dix doigts ceux qui en parlaient. De toute façon, ce n'était n'est pas un sujet, ni pour les hommes, ni pour les femmes. Ces questions ne suscitaient pas d'intérêts, car elles n'étaient pas perçues comme pertinentes.
Pourquoi Olympe de Gouges s'intéressait-elle à des sujets comme la vieillesse ou l'esclavage ? Je l'indiquais plus tôt, elle est née bâtarde, un terme épouvantable, mais c'est ainsi que l'on désignait une personne née hors mariage au XVIIIe siècle. Depuis sa plus tendre enfance, dont on ne connaît que peu de choses, elle a porté la lourde charge de cette condition sociale. À Montauban, sa ville natale, tout le monde savait qu'elle était la fille bâtarde du seigneur local. Elle vivait donc avec le stigmate de la bâtardise, mais aussi avec la conscience que son existence était le fruit d'un adultère, et que son père était un riche seigneur.
Ensuite, Olympe de Gouges s'est beaucoup occupé de sa mère, Anne Olympe, qu'elle chérissait profondément. Celle-ci vécut jusqu'à un âge avancé pour l'époque. On peut imaginer que ce lien avec sa mère a nourri sa réflexion, car Olympe lui envoyait régulièrement de l'argent à Montauban.
Je pense aussi que les personnes dotées d'une véritable humanité, celles qui regardent les autres sans peur de l'altérité, sont naturellement sensibles à ces questions. Olympe a fréquenté de nombreux salons parisiens dans les années 1770 et 1780. Elle y a croisé le fameux Chevalier de Saint-Georges, un homme noir, très cultivé, excellent musicien, mais perçu comme une sorte de curiosité exotique, toujours entouré de condescendance et de mépris, malgré ses qualités exceptionnelles. Elle a bien vu, dans ces cercles, la manière dont il était traité.
Je n'hésite plus à dire qu'Olympe de Gouges n'était pas simplement une humaniste ; elle avait l'humanité chevillée au corps. Elle ne craignait pas la différence. À une époque où être une femme signifiait déjà devoir affronter de nombreuses difficultés, ne pas avoir peur de la différence représentait une véritable révolution mentale. Elle faisait preuve d'une empathie rare. Elle faisait partie de ces voix, sous la Révolution, qui revendiquaient le droit à la modération. Pour elle, un opposant politique n'était jamais un ennemi. Il ne s'agissait pas de se livrer à un combat, mais de promouvoir un véritable dialogue. Elle s'opposait à toute forme de radicalité. Elle le démontre, et c'est là où réside sa force.
En décembre 1792, le procès du roi commence, un moment fondateur dans l'histoire de la Révolution et de notre société actuelle. L'avocat du roi est le célèbre Malesherbes, un personnage que l'historienne Élisabeth Badinter a très bien étudié. Olympe de Gouges rend public un texte. Tout le monde se moque d'elle : elle se propose de prendre la défense du roi. Elle affirme être déçue de son comportement, car il a trahi la révolution, mais elle distingue l'homme du roi. Dans ce texte, elle se propose de devenir la deuxième avocate de Louis XVI, ou, comme on disait à l'époque, de Louis Capet. Cette proposition suscite moqueries et mépris : une femme qui dit le droit, qui ose prêter sa voix à celui qui fut roi de France, un monarque absolu ! Cela semble inconcevable. Non seulement on se moque d'elle parce qu'elle s'agite dans l'espace public, mais aussi parce qu'on lui reproche de vouloir se faire remarquer, de prétendre savoir ce qu'est le droit.
Elle expose sa position de manière très claire dans son texte : malgré la trahison du roi, derrière cette figure de souverain se cache un homme, et c'est cette humanité qui, selon elle, mérite d'être défendue. C'est l'un des moments les plus beaux et émouvants de son parcours, car elle veut défendre un homme qui, certes, a trahi, mais qui reste un être humain.
Concernant la guerre, Olympe de Gouges affiche une position un peu plus complexe. Elle ne l'aime pas, ce qui, somme toute, est assez rassurant. Les personnes qui aiment la guerre sont souvent source de préoccupations. Cependant, sa pensée sur ce sujet est nuancée. Elle a bien compris que la France, si elle se lançait dans la guerre sans avoir accompli la révolution, risquait d'entrer dans une période de chaos, ce qui s'est effectivement produit. Les armées françaises étaient désorganisées, les officiers avaient émigré, et la situation était en grande partie vouée à l'échec.
Cependant, Olympe de Gouges, à l'instar de Mme Théroigne de Méricourt, de qui elle est très proche, va réclamer que les femmes puissent, elles aussi, porter les armes. Elle le demande non seulement pour assurer le maintien de l'ordre public, mais aussi pour participer à la Garde nationale, composée uniquement d'hommes. Elle souligne que si ce sont des citoyens qui portent les armes, les citoyennes devraient en faire autant, afin de préserver l'ordre public. Il ne s'agit pas de permettre aux femmes de se défendre en tant que femmes, mais de participer, en tant que citoyennes, à l'ordre révolutionnaire et républicain. Olympe de Gouges s'interroge : pourquoi les femmes, puisqu'elles sont aussi des citoyennes, ne pourraient-elles pas devenir des soldats ?
Là aussi, elle se heurte à la moquerie et au rejet. C'est un point de vue radicalement nouveau, et, comme on pouvait s'y attendre, il n'est pas accueilli favorablement. D'ailleurs, cette revendication fait partie des dix-sept articles de sa Déclaration des droits de la femme et de la citoyenne. Selon elle, les femmes doivent pouvoir porter les armes, tout comme les hommes.
Enfin, vous m'interrogiez sur un éventuel réseau de femmes. Anne-Josèphe Théroigne de Méricourt, de qui elle a été très proche, a porté plusieurs combats avec elle. Malgré ce qu'on entend souvent, celle-ci n'était pas une « hystérique de virago ». Elle se positionnait, elle aussi, clairement dans la modération.
Olympe de Gouges se méfie aussi des femmes qui, comme Pauline Léon ou Claire Lacombe, affichent une radicalité politique parfois très forte.
En tant qu'historienne, je m'interroge : a-t-elle connu Madame Roland ? Elles affichent exactement la même sensibilité politique. Elles ont des amis communs, tels que le député girondin Vergniaud, l'un des plus grands orateurs de la Révolution.
Elle est surtout très proche des Condorcet, tant Nicolas que Sophie. Elle aime réellement les hommes, qui n'ont eu de cesse de la protéger. Louis-Sébastien Mercier l'a encouragée dans ses ambitions littéraires. Jacques Biétrix de Rozières, son ancien amant et compagnon, l'a demandée en mariage à plusieurs reprises et l'a soutenue financièrement dans sa carrière, malgré ses refus. Elle est restée veuve et célibataire jusqu'à sa mort. Beaucoup d'hommes éprouvaient non seulement de l'affection, mais aussi de l'admiration pour elle.
Elle évoluait dans un milieu assez élitiste, probablement proche des loges maçonniques. Bien que sans preuve archivistique, on pense qu'elle aurait intégré celle des Neuf Soeurs, l'unique loge féminine.
Cependant, de nombreuses femmes l'ont détestée pendant la Révolution, car elle remettait en question les normes établies et encourageait les femmes à rejeter leur condition de naissance. Son attitude me rappelle celle d'Ahou Daryaei, cette jeune Iranienne qui a osé se déshabiller en public le 2 novembre 2024, allant à contre-courant. Je pense à ces femmes qui détournent le regard, ayant peur de ne poser ne serait-ce qu'un oeil sur cette jeune femme, qui revendique sa liberté au péril de sa vie. J'associe beaucoup Olympe à cette image de femme libre et courageuse.
Mme Dominique Vérien, présidente. - Nous concluons cette session en évoquant cette figure contemporaine de la lutte pour les droits des femmes.
Merci, Cécile. Grâce à toi, j'ai découvert Olympe de Gouges. À chacune de nos discussions, j'apprends à mieux la connaître. Je suis ravie d'avoir pu partager ce moment avec vous. Merci à celles qui ont pris part à cette conférence.