- Mardi 19 novembre 2024
- Mercredi 20 novembre 2024
- Proposition de loi tendant à supprimer certaines structures, comités, conseils et commissions « Théodule » dont l'utilité ne semble pas avérée - Désignation d'un rapporteur
- Projet de loi portant diverses dispositions d'adaptation au droit de l'Union européenne en matière économique, financière, environnementale, énergétique, de transport, de santé et de circulation des personnes - Échange de vues sur une éventuelle saisine pour avis et désignation d'un rapporteur pour avis
- Projet de loi de finances pour 2025 - Mission « Sécurités » (hors programme « Sécurité civile ») - Examen du rapport pour avis
- Projet de loi de finances pour 2025 - Mission « Justice » - Programme « Administration pénitentiaire » - Examen du rapport pour avis
- Projet de loi de finances pour 2025 - Mission « Pouvoirs publics » - Examen du rapport pour avis
- Projet de loi de finances pour 2025 - Mission « Outre-mer » - Examen du rapport pour avis
- Audition de M. Louis Laugier, directeur général de la police nationale
Mardi 19 novembre 2024
- Présidence de Mme Muriel Jourda, présidente -
La réunion est ouverte à 16 h 30.
Projet de loi de finances pour 2025 - Audition de M. François-Noël Buffet, ministre auprès du Premier ministre, chargé des outre-mer
Mme Muriel Jourda, présidente. - Nous procédons aujourd'hui à l'audition de François-Noël Buffet, ministre auprès du Premier ministre, chargé des outre-mer, dans le cadre de l'examen, par la commission des lois, des crédits de la mission « Outre-mer » prévus par le projet de loi de finances (PLF) pour 2025.
Je rappelle que notre commission a nommé Teva Rohfritsch rapporteur pour avis.
Monsieur le ministre, nous sommes très heureux de vous accueillir dans cette commission que vous connaissez bien, pour que vous puissiez nous présenter les évolutions du budget consacré aux outre-mer. Ces territoires, confrontés à des enjeux multiples, ont traversé des crises profondément déstabilisatrices au cours de l'année 2024 : je pense notamment aux émeutes et à la déclaration de l'état d'urgence en Nouvelle-Calédonie, ou, plus récemment, aux manifestations contre la cherté de la vie en Martinique.
Dans ce contexte, l'annonce d'une baisse massive des crédits attribués aux outre-mer a suscité de nombreuses interrogations même si, comme d'autres, ces crédits doivent nécessairement prendre en considération les contraintes majeures qu'impose la situation des finances publiques, laquelle conduit nécessairement à des arbitrages difficiles.
M. François-Noël Buffet, ministre auprès du Premier ministre, chargé des outre-mer. - Je suis, à mon tour, très heureux de revenir au Sénat, et singulièrement devant la commission des lois, à laquelle, vous le savez, j'ai un attachement tout particulier.
Je profiterai de cette audition devant vous pour, à la fois, évoquer les outre-mer en général et aborder de manière plus spécifique les aspects budgétaires qui les concernent.
Je suis convaincu que, sur les outre-mer, nous pouvons au moins aboutir à un constat commun et peut-être, dans les circonstances qui prévalent, à une conjonction de bonnes volontés.
Je rappelle que j'ai pris mes fonctions il y a à peine deux mois ; on peut sans doute admettre que les résultats de cette nomination ne soient pas tout à fait instantanés. Néanmoins, il est d'ores et déjà possible de souligner quelques éléments importants.
D'abord, ce ministère a été rattaché au Premier ministre. Ce rattachement revêt une importance qui n'est pas uniquement symbolique. Il montre en outre le caractère éminemment interministériel de la mission. À titre d'exemple, le budget global de l'État alloué aux outre-mer représente un peu plus de 21 milliards d'euros et je n'en gère directement que 14 %. La gestion des autres crédits revient à mes collègues du Gouvernement qui interviennent dans les différentes matières qui leur échoient.
La mission « Outre-mer » se caractérise ensuite par un budget d'intervention, qui vise avant tout à venir en appui des politiques sectorielles, afin d'atténuer les spécificités ultramarines, particulièrement génératrices d'inégalités entre les territoires. La politique du logement et le soutien aux collectivités territoriales, tant dans le portage de leurs projets qui sont structurants que dans le redressement de leurs finances - avec des dispositions particulières sur ce point dans le PLF pour 2025 -, ou encore dans le financement d'infrastructures essentielles, constituent le coeur des politiques publiques auxquelles contribue la mission.
Les crédits de la mission « Outre-mer » enregistrent une baisse d'environ 12 % en autorisations d'engagement (AE) et de 9 % en crédits de paiement (CP) par rapport à la loi de finances initiale (LFI) pour 2024. La baisse est particulièrement marquée dans le programme 123 « Conditions de vie outre-mer », avec une diminution de 37 % en AE. En revanche, pour le programme 138 « Emploi outre-mer », on note une légère hausse, entièrement motivée par l'augmentation du montant du remboursement des exonérations de cotisations sociales.
Depuis mon entrée en fonction, j'ai indiqué à plusieurs reprises que, face à la baisse annoncée de ces crédits, nous essayons de bâtir un budget autour d'une priorité qui peut paraître surprenante pour certains, mais qui est assez simple : tenir les engagements de l'État, qu'il nous revient d'honorer. C'est sur cette ligne en effet que nous pouvons construire une relation de confiance entre l'État, les territoires ultramarins et leurs élus.
Vous le savez, j'ai tenu un langage de vérité en prônant le nécessaire équilibre entre la juste contribution des outre-mer à l'effort national de redressement de nos comptes publics et la préservation des intérêts essentiels des territoires ultramarins. Nous y travaillons au quotidien avec Laurent Saint-Martin, ministre chargé du budget et des comptes publics, et j'ai bon espoir que le PLF soit rapidement adapté à ces orientations. La semaine dernière, à l'occasion d'une question d'actualité au Gouvernement et en mon absence, le ministre chargé du budget et des comptes publics a indiqué que nous arriverions vraisemblablement, à la fin du processus parlementaire, au niveau des crédits ouverts pour l'année 2024. Cet engagement a été non seulement pris par votre serviteur, mais aussi par le Gouvernement. Des échanges qui ont cours, il ressort donc un consensus sur le caractère essentiel de la préservation des engagements de l'État.
Les collectivités sont amenées à contribuer à la réduction de la dépense publique, au travers de la mise en place d'un fonds de précaution, inscrit dans les dispositions de l'article 64 du PLF 2025. S'il devait être appliqué, ce dispositif contribuerait à prélever quasiment 86 millions d'euros auprès des collectivités ultramarines. Le dialogue que Catherine Vautrin, ministre chargé du partenariat avec les territoires et de la décentralisation, et moi-même avons eu a permis, à l'exception de trois établissements publics de coopération intercommunale (EPCI) dont le sort demeure en discussion - deux d'entre eux sont situés à La Réunion -, d'aboutir à l'exonération totale des collectivités ultramarines de ce dispositif.
Par ailleurs, j'ajoute que les crédits obtenus doivent correspondre à la capacité des acteurs de les dépenser dans de bonnes conditions. Votre commission l'a déjà souligné dans les années précédentes. Du reste, je ne reprends pas à mon compte les propos de ceux qui affirment que les crédits budgétaires sont sous-consommés, ce qui ne correspond pas à la réalité. Je remarque simplement qu'il faut vérifier, à chaque fois qu'un euro est dépensé, qu'il est nécessaire pour tenir les engagements qui ont été pris.
De plus - et la commission l'a également déjà constaté -, il convient d'être vigilant quant à la consommation des fonds européens qui viennent souvent en appui des fonds nationaux et qui sont variables d'un territoire à l'autre. À un moment de forte contrainte sur les finances publiques nationales, il nous faut porter une attention toute particulière - et je l'aurai - sur leur emploi dans les territoires ultramarins.
Si je souhaite agir vite pour ce qui relève presque de l'évidence, nous pouvons aussi nous donner des perspectives de moyen, voire de long terme. C'est en ce sens, d'ailleurs, que le Premier ministre a rappelé devant les élus ultramarins rassemblés par le Président du Sénat qu'il fallait « relever la ligne d'horizon », autrement dit, sortir de l'urgence, pour se donner une stratégie à plus longue échéance.
Avec la réserve que commande la situation politique que nous connaissons, je vous indique que nous dirigerons, dans les mois qui viennent, nos efforts, en lien avec tous les ministres concernés, dans plusieurs directions.
Premièrement, nous renforcerons l'appui de l'État au développement des territoires et à la création de valeur.
La notion de création de valeur est particulièrement importante en ce qu'elle renvoie à la capacité de ces territoires à produire de la richesse et à entraîner un cercle vertueux lié à leur développement.
Pour soutenir l'investissement des collectivités et permettre de répondre aux attentes légitimes de nos compatriotes, qui supposent le portage de projets aussi divers que des équipements routiers ou des centres de santé, la nouvelle génération des contrats de convergence et de transformation (CCT) vient d'être signée avec un engagement de l'État à hauteur de 794 millions d'euros concernant la période de 2024 à 2027.
Pour 2025, il est souhaitable que les crédits que nous allons mobiliser répondent effectivement à la capacité d'engager des projets et qu'ils soient lissés sur une période plus longue de six années, à l'instar des contrats de plan État-région (CPER). Au-delà de l'aspect purement financier, cela nous permet de disposer d'échelles de délais harmonisées. Dans ce cadre, nous sommes parvenus à caler au plus près des besoins le montant de l'annuité nécessaire, en fonction, d'une part, de la montée en charge de ces nouveaux contrats, d'autre part, du solde de la génération de contrats précédente.
De la même manière, le niveau des crédits du fonds exceptionnel d'investissement (FEI) est fixé en fonction de ce qui apparaît soutenable pour les collectivités. Le montant de 160 millions d'euros adopté en 2024 n'a pas donné lieu à une exécution correspondante, ce qui traduisait sans doute le niveau trop élevé de ces crédits. Nous revenons donc cette année à 110 millions d'euros en AE. C'est finalement non une réduction, mais un ajustement avec l'exécution du budget de l'année courante.
Par ailleurs, les communes les plus fragiles seront accompagnées dans l'assainissement de leurs finances au titre des contrats de redressement en outre-mer (Corom), dispositif dont le bilan est très positif. Il y a deux ans, au cours d'un déplacement aux Antilles entrepris avec la commission des lois, j'observais que le dispositif commençait à se mettre en place, notamment dans la commune de Fort-de-France où nous nous étions rendus. À l'occasion d'un nouveau déplacement en Martinique la semaine dernière, j'ai constaté qu'il porte à présent ses fruits. Les crédits nécessaires à la mise en oeuvre des douze contrats en cours et au respect des engagements pris sur les précédents contrats s'élèvent à un peu moins de 10 millions d'euros en AE et à 21,7 millions d'euros en CP.
Il est essentiel que les moyens de l'Agence française de développement (AFD), consacrés tant au financement des collectivités territoriales, avec des prêts favorisant le développement durable des outre-mer, qu'au soutien à l'ingénierie locale, soient sanctuarisés. Sur l'ingénierie, l'idée est non de se substituer aux collectivités territoriales et à leurs élus, qui ont leur légitimité, mais de leur apporter ponctuellement, à leur demande, une aide pour débloquer des dossiers sur des missions de courte durée.
Je n'oublie pas les dispositifs fiscaux portés par la mission « Outre-mer », lesquels participent au développement des outre-mer. La défiscalisation des investissements productifs est ainsi prolongée jusqu'en 2029.
Deuxièmement, notre volonté est de donner des perspectives à la jeunesse de nos territoires.
La quasi-totalité de la jeunesse ultramarine est confrontée à des problématiques fortes en matière de formation, d'insertion professionnelle et de vie dans la Nation. Les besoins sont immenses et les réponses doivent être multiples pour, d'une part, faire face à la croissance démographique, par exemple à Mayotte et en Guyane. D'autre part et inversement, il faut remédier aux départs massifs des jeunes ultramarins : ainsi, en Martinique où l'on est passé en moins de dix ans de 380 000 à 340 000 habitants ; quant à la population de Guadeloupe, elle s'établit à 378 561 habitants, contre quelque 400 000 en 2011 ; et le même constat alarmant concerne Wallis-et-Futuna.
Afin de répondre à ces dynamiques démographiques, 115 millions d'euros sont mobilisés en faveur du financement de projets de construction, de rénovation ou d'extension d'établissements scolaires existants, pour accueillir dans de bonnes conditions les élèves du premier degré à Mayotte et en Guyane, du second degré en Guyane et en Nouvelle-Calédonie, hors, pour cette dernière, les cas de reconstruction des bâtiments détruits après les événements du 13 mai 2024, qui bénéficient d'un financement spécifique.
Parallèlement, nous appuyons notre effort sur la valorisation des talents et des résultats des jeunes ultramarins qui effectuent des parcours remarquables ainsi que sur le développement du vivier des cadres locaux au travers du programme « Cadres d'avenir », qui accompagne cette année près de 110 talents vers l'excellence. L'aide au retour des forces vives et l'accompagnement des étudiants seront également au centre des nouvelles mesures qui seront portées par l'Agence de l'outre-mer pour la mobilité (Ladom). Au total, 22 millions d'euros financeront l'aide à la formation professionnelle, dont 11 millions seront consacrés aux dispositifs locaux de formation des cadres.
Les moyens du service militaire adapté (SMA) s'élèveront à 73 millions d'euros en AE et à 59 millions d'euros en CP. C'est sincèrement le fleuron de l'insertion professionnelle d'un des publics les plus éloignés du marché de l'emploi. L'efficacité du dispositif n'est plus à démontrer : il a su atteindre au cours des dernières années un taux d'insertion supérieur à 75 % de ses 6 000 jeunes volontaires stagiaires.
Plus largement en matière d'emploi, nous sommes attentifs à l'efficacité du dispositif d'exonération des cotisations sociales, issu de la loi pour le développement économique des outre-mer (Lodéom). À cet égard, la réforme nationale des exonérations de cotisations sociales patronales, prévue par l'article 6 du projet de loi de financement de la sécurité sociale (PLFSS) devra être adaptée aux outre-mer. C'est pourquoi le Gouvernement a prévu une habilitation à légiférer par ordonnance en ce sens, dans le même article ; l'Assemblée nationale l'a cependant supprimé. Nous verrons si le Sénat le rétablira. Ici, le risque serait que nous ne maîtrisions pas assez rapidement les conséquences, potentiellement néfastes, de la réforme sur les outre-mer.
Troisièmement, nous devons conforter le pouvoir d'achat des ultramarins.
La question du pouvoir d'achat constitue évidemment une attente forte. Le protocole d'objectifs et de moyens de lutte contre la vie chère pour la Martinique signé le 16 octobre dernier par les collectivités locales, les entreprises et l'État permettra au 1er janvier prochain de baisser de 20 % les prix de 6 000 produits alimentaires de grande consommation, représentant 69 familles de produits. Les conditions de son adaptation à d'autres départements et régions d'outre-mer (Drom) doivent être étudiées, car une telle dynamique fondée sur la synergie des efforts de chacun semble être extrêmement positive.
Cette orientation complète les outils déjà mis en avant par le ministère : appui à la négociation des « boucliers qualité prix », moyens consacrés aux observatoires des prix, des marges et des revenus (OPMR), qui s'élèveront à 600 000 euros en 2025. Ce montant sera revu afin de tenir compte des engagements pris au profit de l'OPMR des Antilles.
Quatrièmement, notre priorité est l'amélioration des conditions de vie du quotidien.
Il convient d'insister sur le logement. Les crédits inscrits à la ligne spécifique qui le concerne dans le programme 123, la ligne budgétaire unique (LBU), atteignent 260 millions d'euros en AE et 184 millions d'euros en CP, soit une diminution de 32 millions d'euros en AE par rapport à la loi de finances pour 2024. Cette diminution des crédits ne remet en question ni le niveau de l'intervention de l'État, ni la dynamique engagée depuis plusieurs années, qui, en 2024, a notamment permis le financement de la construction et de la réhabilitation de plus de 8 500 logements ; elle tient compte de la difficulté à consommer l'ensemble du budget alloué.
Pour continuer à accélérer la construction et la réhabilitation de logements, au-delà même de la LBU, l'action conduite avec l'ensemble des parties prenantes, dont les collectivités, doit permettre d'innover, d'associer de nouveaux partenaires, de trouver des solutions moins coûteuses. D'ici au début de l'année prochaine, le plan Logement outre-mer (Plom) 3 fixera les priorités de cette action commune ainsi qu'une stratégie adaptée.
S'agissant enfin de la continuité territoriale, qui constitue un enjeu majeur d'équité et de solidarité envers nos compatriotes ultramarins, j'ai toutes les assurances que les moyens seront maintenus.
Nos compatriotes ultramarins formulent d'autres attentes fortes, notamment quant à la réponse au risque naturel spécifique qui les concerne. Aussi, le plan Séisme Antilles, pour atténuer les conséquences des séismes, sera-t-il financé à hauteur de 600 000 euros sur la mission « Outre-mer ». Ces crédits appuient des projets locaux, afin de préserver la viabilité des opérations lancées, en venant compléter les moyens mis en oeuvre par les différentes politiques sectorielles - logement, santé, infrastructures, entre autres. Par exemple, les crédits du fonds de prévention des risques naturels majeurs (FPRNM), plus connu sous le nom de « fonds Barnier », inscrits au titre du plan Séisme Antilles s'élèvent à pratiquement 32 millions d'euros dans le CCT de la Martinique et à 33 millions d'euros dans celui de la Guadeloupe pour la période 2024-2027. Nous avons conscience de l'importance capitale de ces dispositifs, tout en notant que nos compatriotes ultramarins sont parfois beaucoup plus en avance que nous, dans l'Hexagone, dans le traitement de ces risques auxquels la nature les expose.
Je veillerai également à ce que les crédits dédiés aux plans chlordécone et sargasses, contenus dans le programme 162 « Interventions territoriales de l'État », soient maintenus à un niveau compatible avec l'avancement des plans, lesquels en sont à la moitié de leur exécution et fonctionnent de manière plutôt satisfaisante.
Outre les crédits de mon ministère, de nombreuses missions financent des politiques publiques qui intéressent les outre-mer. Il importe, à l'occasion des discussions parlementaires qui s'ouvrent au Sénat sur le PLF 2025, d'y apporter une attention particulière, à la mesure de la résonance des événements qui traversent ces territoires. Je pense notamment à la situation spécifique de Mayotte et aux travaux en cours destinés à assurer sa convergence économique et sociale avec l'Hexagone selon un rythme adapté. Il faut également que l'effort de reconstruction et de refondation de la Nouvelle-Calédonie soit pris en compte. Des crédits d'urgence consacrés à ces deux territoires devront faire l'objet d'un traitement budgétaire propre.
Au-delà des enjeux du débat budgétaire lui-même, je n'ignore pas que de nombreuses réflexions relatives aux évolutions institutionnelles des territoires ultramarins existent. Nous ne sommes à cet égard fermés à rien par principe. Toutefois, il convient que d'éventuelles évolutions soient analysées avec précision ; de plus, elles ne peuvent constituer la seule réponse de l'État et des élus locaux aux difficultés qu'ils rencontrent. Je rappelle que nous attendons toujours le rapport de Pierre Egéa et Frédéric Monlouis-Félicité que le Président de la République leur a demandé de rédiger sur la question. Nous l'espérons pour la fin de ce mois de novembre. Il sera intéressant de prendre connaissance de la position de ses auteurs et de leurs propositions.
Je répète devant vous les propos que j'ai tenus hier ou lors de mes déplacements dans les territoires ultramarins : quelle qu'elle soit, toute modification institutionnelle ne saurait être vue comme une solution à tous les maux que vivent nos territoires. C'est un outil, non une fin en soi. Construisons au préalable les projets de développement à moyen et long termes, puis prévoyons, le cas échéant, des réformes institutionnelles pour les rendre plus efficaces. Cela me paraît de bon sens, mais on peut ne pas être d'accord avec cette approche.
Je rappelle encore, pour mémoire et quoiqu'elles ne relèvent pas directement de mon ministère, l'importance des questions migratoires, de sécurité et de lutte contre les ingérences pour plusieurs territoires ultramarins. Ces sujets ressortissent d'abord au ministère de l'intérieur, au ministère des affaires étrangères, voire, parfois, à celui des armées.
Les débats et échanges qui vont à présent s'ouvrir dans la perspective de la réunion du comité interministériel des outre-mer (Ciom) nous permettront d'aborder les enjeux des politiques publiques autour de quatre thèmes : la création de valeur, la jeunesse et l'insertion professionnelle ; la transition écologique et ses filières de décarbonation ; l'énergie et les transports ; et l'accès aux services publics - en particulier le logement, la santé et l'eau. L'objectif est de créer davantage de valeur dans les territoires, au profit de leurs habitants, avec une attention particulière en direction de la jeunesse et de l'accès aux services publics. Les enjeux de résilience de nos territoires ultramarins sont également au coeur des préoccupations.
Pour terminer, je tiens à évoquer trois grands sujets qui me tiennent à coeur.
En premier lieu, la souveraineté de nos territoires, qui s'exerce aussi au travers de la souveraineté alimentaire. Nourrir les populations ultramarines en assurant la sécurité alimentaire des territoires est une priorité. Il s'agit d'accompagner les principales évolutions de l'agriculture ultramarine en apportant un soutien aux filières de production qui permette aux exploitations et aux entreprises de tendre, dans leur organisation, vers un modèle durable et attractif. La question intéresse notamment au premier chef la Martinique, dont l'autonomie alimentaire ne dépasse pas 20 %, en dépit d'une incontestable capacité à mieux faire.
En deuxième lieu, l'économie bleue. L'Année de la mer, qui s'ouvrira en janvier prochain, constitue l'occasion de susciter un élan autour des enjeux maritimes. Ceux-ci représentent autant d'atouts et de leviers de développement économique et d'emploi dans nos outre-mer, particulièrement pour les plus jeunes à qui ils offrent des perspectives d'insertion professionnelle locale dans de nombreux secteurs : transports, pêche, aquaculture, tourisme bleu et métiers portuaires notamment.
En troisième lieu, évidemment, le pouvoir d'achat. En dehors des expérimentations qui ont cours et des outils de limitation des prix, je souhaite lancer une réflexion plus large en ouvrant un cycle d'échanges, de débats et d'engagements associant l'ensemble des acteurs autour d'un Oudinot de la vie chère. Il me semble que, sur ce point particulier, s'intriquent des choses inexactes, d'autres réelles, d'autres enfin que nous ne maîtrisons pas totalement. Pour ne pas se retrouver systématiquement dans des situations critiques, il est temps que nous ayons un instant de vérité sur ce sujet. Nous ne partons pas de rien : des études et des travaux existent. La délégation aux outre-mer du Sénat s'est également emparée de la question. Unissons donc nos forces avec l'ensemble des parlementaires, afin d'obtenir une vision claire de la situation, sur la base de laquelle nous tâcherons ensuite de construire une politique adaptée et équilibrée, qui permette de recouvrer quelque stabilité. C'est de cette stabilité que naîtra incontestablement la confiance de nos compatriotes et de tous les acteurs des territoires ultramarins, partant la capacité à y élaborer des projets durables.
Mme Muriel Jourda, présidente. - Les maires de Nouvelle-Calédonie ont demandé hier à l'État une aide exceptionnelle afin de procéder à la reconstruction de l'économie locale. La crise consécutive au projet de réforme du corps électoral aurait en effet représenté un coût évalué à 180 millions d'euros pour les communes calédoniennes, qui n'ont dès lors plus les moyens de répondre aux besoins urgents de leur population. Vous vous êtes rendu sur place et avez pu constater la gravité de la situation locale.
L'État a déjà apporté de premières aides financières et en a annoncé de nouvelles plus récemment à destination de la Nouvelle-Calédonie. Au-delà de la question budgétaire qui se pose indubitablement - et qui n'est pas nécessairement portée par la mission « Outre-mer », vous l'avez rappelé - la question est celle de la reprise du dialogue. Sur ce point, où en est-on ?
M. Teva Rohfritsch, rapporteur pour avis sur les crédits de la mission « Outre-mer ». - La commission des lois adoptera demain son avis sur les crédits de la mission « Outre-mer » et je compte beaucoup sur la présente audition pour parfaire le rapport dont elle m'a confié l'élaboration.
Monsieur le ministre, nous percevons votre souhait de bien faire et je partage l'ambition de « relever la ligne d'horizon » aux moyen et long termes. Il n'en demeure pas moins qu'avec l'échéance du PLF 2025, vous héritez d'une situation particulièrement complexe. Des crises se manifestent un peu partout, que ce soit en Martinique, en Guadeloupe, en Nouvelle-Calédonie, en Guyane ou à Mayotte. La Polynésie fait - j'en suis heureux - quelque peu exception en ce moment et nous travaillons tous à ce que cela demeure ainsi. Vous faites également face à une baisse exceptionnelle du budget dont vous êtes chargé, en dépit d'une petite hausse concernant le programme 138, qui intègre déjà une réforme des exonérations de cotisations sociales, prévue par l'article 6 du PLFSS. Outre les chiffres globaux que vous avez confirmés, ce qui est frappant, c'est l'effet en dents de scie des baisses : certaines actions connaissent en effet une diminution de leurs crédits jusqu'à 75 %, ce qui peut remettre en question la politique publique menée par l'État.
Or, il est nécessaire que l'État tienne ses engagements. Je vous remercie de le présenter comme une priorité, car c'est un gage de stabilité et de confiance. Si, évidemment, il importe de participer à l'effort national, afin que la charge de la dette ne soit pas le premier budget de la nation, il convient de vous ménager la possibilité de déployer votre action et de faire en sorte que nous sortions de cette situation de crise permanente dans nos outre-mer.
Avez-vous une idée des échéances d'arbitrage qui se dessinent ? Dans le combat que vous menez actuellement, quelles perspectives pouvez-vous offrir à notre commission sur le rétablissement a minima d'une jauge acceptable, qui vous permette de mener à bien les nombreuses actions que vous avez citées ? Par ailleurs, au sujet du fonds vert, je signale qu'il est un outil précieux dans nos collectivités du Pacifique, où nous avons à coeur de contribuer à la lutte contre les effets du changement climatique.
Nous sommes nombreux à vos côtés pour rétablir cette jauge. Les rapporteurs spéciaux ont proposé un rejet des crédits de la mission, mais la commission des finances s'est ensuite prononcée différemment. Pouvez-vous nous en dire plus sur la situation qui prévaut, étant précisé que la direction générale des outre-mer (DGOM) a entrepris beaucoup d'efforts depuis quelques années avec nos collectivités pour aller dans le sens d'une consommation effective des crédits ?
Mme Corinne Narassiguin. - Je souhaite vous interroger plus particulièrement sur la Nouvelle-Calédonie. Vous avez annoncé, lors de votre déplacement, un prêt garanti par l'AFD de 500 millions d'euros et, lors des débats parlementaires, 170 millions supplémentaires. Est-ce toujours d'actualité ?
Le congrès de la Nouvelle-Calédonie, au travers de son plan quinquennal de reconstruction de l'archipel, avait sollicité 4,2 milliards d'euros sur cinq ans : nous sommes bien loin de ce chiffre. Quels sont donc les dispositifs à moyen et long termes prévus par le Gouvernement pour la reconstruction de la Nouvelle-Calédonie ? Il me semble que le consensus prévaut tant au sein du congrès et du gouvernement de Nouvelle-Calédonie que dans les groupes politiques au Sénat sur le fait que les prêts garantis et les avances de trésorerie ne suffiront pas et qu'il faut des investissements plus directs de l'État dans cet effort de reconstruction.
Par ailleurs, je ne vois aucun budget prévu pour l'organisation des élections des assemblées provinciales reportée en 2025. L'achat de matériel a-t-il déjà été effectué ? Des crédits sont-ils sanctuarisés afin de permettre la tenue de ces élections l'année prochaine ?
Enfin, après que vous avez évoqué Mayotte, il m'intéresserait d'entendre plus nettement votre position sur le sujet des réformes institutionnelles. Dès lors qu'il parlait de plan d'urgence économique et social pour Mayotte, votre prédécesseur y associait souvent, sinon systématiquement, la question de la suppression du droit du sol. Le fait que vous indiquiez que les réformes institutionnelles ne revêtent pas un caractère d'urgence signifie-t-il que la suppression du droit du sol à Mayotte n'est plus pour vous à l'ordre du jour ?
Mme Jacqueline Eustache-Brinio. - Le budget en discussion pour 2025 est difficile et contraint sur cette mission, comme il l'est dans tous les secteurs. En vous écoutant, je m'interroge : qu'avons-nous fait pendant dix ans dans ces territoires pour en être arrivés là ? Quand on la chance d'en connaître certains, on se dit que l'argent public n'y a peut-être pas été utilisé au bon endroit au bon moment. Aujourd'hui, nous n'avons d'autre solution que de vous suivre dans vos propositions. Une attitude contraire serait irresponsable. Mais probablement faudra-t-il désormais faire mieux avec moins.
Le sujet de la jeunesse m'est cher. Vous avez expliqué que, dans certains territoires, de nombreux jeunes partaient pour la métropole. Je ne suis cependant pas sûre que, en l'absence de formation, leur avenir soit meilleur en France. Envisagez-vous de soutenir la mise en place de formations sur place à leur attention et de les conduire véritablement vers des métiers dont on a besoin dans les territoires ultramarins, afin qu'ils puissent demeurer dans ces territoires et participer à leur développement ? Il faut donner de l'espoir à cette jeunesse ; une jeunesse sans espoir, c'est très triste !
M. François-Noël Buffet, ministre. - De nombreuses actions ont été entreprises depuis dix ans pour répondre aux problématiques auxquelles font face les outre-mer : il n'y a pas eu un territoire dans lequel l'État n'a pas investi, soit directement, soit en accompagnement des collectivités locales. En revanche, nous n'avons pas suffisamment travaillé sur des stratégies de moyen et long termes et nous nous sommes limités à une spécialisation de chacun de ces territoires - par tel ou tel investissement industriel - sans concevoir une politique globale. Il faut changer de méthode et, en prévision du Ciom de mars 2025, établir un document de synthèse portant une vision pour l'ensemble des territoires d'outre-mer, de manière à créer une stratégie d'avenir à laquelle tous les acteurs s'agrègent, avec une adaptation de nos politiques publiques en conséquence.
Ce travail, s'il est effectué dans un délai assez rapide, pourra servir de base durable pour l'avenir. Disons les choses telles qu'elles sont : les outre-mer ont souffert ces dernières années. En deux ans, je suis le quatrième ministre chargé de ce portefeuille : comment, dans ces conditions, inscrire une politique et une stratégie pour l'ensemble des outre-mer dans la durée ? Il nous faudra élaborer ce document stratégique pour contourner cette difficulté.
En ce qui concerne la jeunesse, des centres de formation de qualité existent en Martinique, notamment dans le secteur de l'hôtellerie et de la restauration, mais il reste difficile de trouver des emplois sur place une fois la formation terminée : les jeunes partent alors vers l'Hexagone ou ailleurs, mais ont souvent de grandes difficultés à revenir ensuite en raison de l'absence d'infrastructures correspondant à leur niveau de qualification.
Il conviendra de plus d'assurer le développement économique qui permettra de relever le niveau d'investissement et de donner la possibilité aux jeunes qui souhaitent rester de trouver le travail qu'ils souhaitent. Ce travail de fond prendra du temps et ne pourra fonctionner qu'à la condition de tenir une stratégie dans la durée, en précisant que nous connaissons les mêmes situations dans nos communes et nos départements. Ne nous y trompons pas : la possibilité pour ces jeunes d'accéder à l'emploi qualifié joue un rôle dans la perte de population enregistrée dans les différents territoires, même si nous ne l'avons pas quantifié précisément.
Pour en revenir au sujet budgétaire, nous avons rajouté 65 millions d'euros en AE et 78 millions d'euros en CP à la mission « Outre-mer » dans le projet de loi de finances de fin de gestion, ce qui permettra de « boucler » l'année 2024 dans de bonnes conditions. Pour ce qui est de 2025, nous avons d'ores et déjà évité un coup de rabot de 80 millions d'euros sur la mission « Outre-mer », ce qui est une bonne chose.
Au-delà de ce rappel, comment faire pour remonter le niveau ? Tout d'abord, rappelons que nous vivons une situation particulière, le budget n'étant pas finalisé. Certes, des lettres plafonds ont été rédigées au mois d'août, mais leurs conséquences nous ont placés - en particulier pour l'outre-mer - dans une difficulté majeure. Le débat parlementaire nous fournit l'occasion de progresser en marchant. Comme l'a expliqué tout à l'heure le Premier ministre lors des questions d'actualité à l'Assemblée nationale, il a dû construire un budget - dont il considère lui-même qu'il n'est pas abouti - en quinze jours.
Nous progressons donc au fur et à mesure, par le biais des arbitrages déjà obtenus qui nous permettent de reprendre environ 60 millions d'euros, et je ne désespère pas d'obtenir une nouvelle progression des crédits dans les heures et les jours qui viennent. À cet égard, j'attire votre attention sur l'importance du débat parlementaire, singulièrement au Sénat. Il est absolument essentiel que nous retrouvions un niveau satisfaisant de crédits. La situation n'est pas la plus confortable pour un ministre, car nous préférerions anticiper davantage, mais nous devons composer avec cette situation.
Pour ce qui concerne la Nouvelle-Calédonie, mon déplacement et la mission des présidents des deux assemblées ont continué à conforter un processus mettant l'accent sur le fait qu'il fallait se mettre autour de la table pour trouver des mesures de redressement économique et social pour le territoire, lequel est au bord du gouffre.
Outre des discussions entre les élus de Nouvelle-Calédonie, plusieurs initiatives sont en cours, dont le plan de sauvegarde, de refondation et de reconstruction (PS2R), dans le cadre d'une contractualisation sur trois ans. S'y ajoutent des propositions du congrès de la Nouvelle-Calédonie de diverses natures, le Gouvernement souhaitant aboutir à une convergence réelle des points de vue. Si j'ai un message à vous faire passer en amont des débats, c'est qu'il faut faire fi des problèmes de personnes et se soucier prioritairement des intérêts de la Nouvelle-Calédonie et de nos compatriotes, car nous n'avons plus la possibilité de commettre une erreur, ni le luxe d'attendre.
Sur le plan financier, je rappelle que le montant total des transferts de l'État vers la Nouvelle-Calédonie s'établit en temps normal à 1,7 milliard d'euros. Après les événements du 13 mai dernier, 400 millions d'euros ont été versés par l'État pour soutenir l'emploi, les entreprises et les collectivités, auxquels se sont ajoutés 250 millions d'euros pour financer le chômage partiel dans le cadre d'un dispositif qui devait s'arrêter en octobre et qui a été prolongé jusqu'en décembre, ainsi que 4 millions d'euros pour prendre en charge les navettes mises en place par la province Sud en raison de l'impraticabilité de la route de Saint-Louis à la suite d'exactions.
Pour 2025, l'État a annoncé 500 millions d'euros dans le cadre d'un prêt de l'AFD, sans oublier 170 millions d'euros supplémentaires de garanties pour les comptes sociaux et le logement. J'ai également signé à Nouméa une circulaire pour la reconstruction des bâtiments publics, avec une prise en charge intégrale par l'État s'agissant des bâtiments scolaires. Les discussions continuent, le Premier ministre ayant proposé d'augmenter le montant de garantie de l'État au prêt de l'AFD de 770 millions d'euros à 1 milliard d'euros.
Ces efforts suffiront-ils ? À l'évidence, pas à eux seuls. Emmanuel Moulin, à qui le Premier ministre a confié une mission, se rendra sur place dès la fin de cette semaine pour aider à la mise en oeuvre de toutes ces aides financières et à la reconstruction économique et sociale du pays. Il s'agit en tout cas d'une première étape importante afin de s'inscrire à la fois dans l'urgence et dans la durée, en vue de bâtir l'avenir.
Par ailleurs, la question de la filière du nickel reste posée. Parmi les points positifs à signaler, l'usine de la province Sud a pu redémarrer après la réparation d'un transformateur électrique, tandis que des repreneurs se sont manifestés pour l'usine de la province Nord.
Sur le plan institutionnel, la mission menée par Gérard Larcher et Yaël Braun-Pivet a permis d'établir un calendrier, en demandant à l'ensemble des groupes et partis politiques de faire des propositions d'ici au début du mois de décembre. En parallèle de la reconstruction économique, nous devrions pouvoir présenter une ébauche de solution au début de 2025.
Le financement des élections provinciales, quant à lui, dépend du ministère de l'intérieur.
Quant à Mayotte, trois textes pendants n'avaient pas été déposés par le gouvernement précédent et ne l'ont pas encore été par le Gouvernement. Les éventuelles évolutions législatives interviendront probablement dans le courant de l'année prochaine, et aucune proposition ne porte, à l'heure actuelle, sur le droit du sol ou d'autres sujets. La particularité budgétaire de Mayotte est qu'il faut sanctuariser 100 millions d'euros afin de permettre la convergence sociale.
La reprise du dialogue est à l'évidence une bonne chose et nous avons besoin de toutes les bonnes volontés afin que les choses avancent.
Quelques précisions, enfin, sur l'engagement budgétaire de l'État pour 2025, afin de nous rapprocher du niveau de 2024 : certains dispositifs pourraient être concernés par des hausses de crédits bienvenues, dont les CCT, le Corom, la LBU et les crédits d'intervention de l'AFD. Tous ces points sont en discussion.
M. Christophe Chaillou. - Je souhaite attirer votre attention sur la diminution de certains crédits, en particulier sur la baisse de 75 % des crédits de l'action 4 « Financement de l'économie » du programme 138 « Emploi outre-mer » qui concerne notamment l'aide au fret, ce qui recoupe la problématique de la cherté de la vie.
Par ailleurs, on constate une réduction de 30 % des crédits de Ladom, alors qu'il s'agit d'un acteur important de la mise en oeuvre de la politique de continuité territoriale.
Ces deux exemples nous interrogent sur le respect des engagements pris par l'État.
M. François-Noël Buffet, ministre. - Il s'agit en effet de deux lignes importantes sur lesquelles le débat parlementaire doit nous permettre de nous rapprocher du niveau de 2024, même s'il nous faudra participer à l'effort collectif.
Mme Muriel Jourda, présidente. - Merci pour votre venue.
Projet de loi de finances pour 2025 - Audition de M. Didier Migaud, garde des sceaux, ministre de la justice
Mme Muriel Jourda, présidente. - Nous allons entendre Didier Migaud, garde des sceaux, ministre de la justice, dans le cadre de l'examen par la commission des lois des crédits de la mission « Justice » prévus par la loi de finances pour 2025.
Je rappelle que la commission des lois a nommé plusieurs rapporteurs pour avis sur cette mission : sur les crédits du programme « Justice judiciaire », Lauriane Josende et Dominique Vérien ; sur les crédits du programme « Administration pénitentiaire », Louis Vogel ; et, sur les crédits du programme « Protection judiciaire de jeunesse », Laurence Harribey. Cette audition a été ouverte au rapporteur spécial de la commission des finances, Antoine Lefèvre.
Monsieur le ministre, vous savez toute l'importance que la commission des lois accorde au bon fonctionnement de la justice, qui dépend pour beaucoup des moyens humains et matériels qui lui sont assignés. Nous sommes donc heureux de vous accueillir dans cette commission - pour la première fois d'ailleurs dans vos nouvelles fonctions - pour que vous puissiez nous présenter les grandes lignes du budget consacré à la justice judiciaire, dans un contexte de finances publiques que nous savons particulièrement contraint et qui conduit à des arbitrages difficiles, quelles que soient les missions concernées.
En l'absence de Louis Vogel, retenu à la Cour de justice de la République, permettez-moi d'ores et déjà de formuler quelques questions qui je souhaitais vous poser concernant l'administration pénitentiaire. La première question porte sur le plan 15 000, dont vous avez annoncé avec une certaine objectivité, me semble-t-il, qu'il ne serait pas terminé pour 2027 comme initialement prévu. Plusieurs observateurs et rapports, d'ailleurs, dont ceux du Sénat, avaient critiqué l'excessive mobilisation des moyens alloués à l'administration pénitentiaire par la construction de ces nouvelles places. Au-delà de la question de la livraison, envisagez-vous l'abandon de certains projets ou des redéploiements de crédits ?
La deuxième question, en lien avec la première, porte sur l'état des prisons françaises, accentué par la surpopulation carcérale et qui engage la responsabilité de la France. Les crédits prévus pour l'entretien des prisons baissent pour 2025. Allez-vous abonder ces crédits pour permettre l'entretien du bâti existant ?
M. Didier Migaud, garde des sceaux. - Je suis très heureux de me retrouver parmi vous pour vous présenter le budget 2025 attribué à la justice.
Le projet de loi de finances (PLF) constitue incontestablement pour tous les acteurs de la justice - mais aussi et surtout pour l'ensemble de nos concitoyens - le marqueur de la force et de la réalité de nos engagements en matière de justice dans notre pays. Comme j'ai eu l'occasion de le dire, le PLF présenté sur la base de la lettre plafond ne pouvait pas être satisfaisant. Le volume de crédits ouverts pour la mission « Justice » - 10,2 milliards d'euros - était certes en augmentation de 100 millions d'euros par rapport au précédent exercice, mais ne correspondait pas aux engagements pris dans le cadre de la loi d'orientation et de programmation du ministère de la justice (LOPJ), et surtout ne permettait pas de répondre aux engagements pris en termes d'effectifs. Le PLF tel qu'il était présenté autorisait en effet 619 créations d'emplois, alors même que lesdits engagements portaient sur le recrutement de 1 500 magistrats, de 1 800 greffiers et de 1 100 attachés de justice d'ici à 2027.
C'est pour cette raison que j'ai demandé au Premier ministre de procéder à un arbitrage à la hausse en faveur du ministère de la justice. Ledit arbitrage s'élève à 250 millions d'euros, ce qui nous permet de respecter les engagements pris en termes d'effectifs et tous les accords, notamment sur les rémunérations et les positions indiciaires des chefs de juridiction et de cour, sans oublier tous les protocoles négociés avec les organisations syndicales des personnels pénitentiaires après le drame d'Incarville, que nous serons en mesure de respecter intégralement.
Entre 2024 et 2025, les crédits du ministère vont augmenter de 358 millions d'euros, soit une hausse de 3,5 % ; pour les rémunérations versées aux agents du ministère, l'enveloppe passera de 5,05 milliards d'euros en 2024 à 5,15 milliards d'euros, soit une hausse de 2 %. Ces moyens permettront d'alimenter chacune des grandes composantes de la justice et de mener à bien les missions cardinales du ministère, ainsi que la mise en oeuvre opérationnelle de la déclaration de politique générale du Premier ministre.
Je m'étais engagé en priorité à respecter les engagements pris sur les effectifs, qui sont une condition sine qua non, mais pas l'unique solution aux problèmes de la justice, qui ne tiennent pas qu'aux moyens, car il nous faut trouver en interne des solutions pour améliorer le fonctionnement de la justice. L'augmentation des effectifs n'en reste pas moins indispensable pour contribuer à désengorger les tribunaux et les cours, dont les délais d'audiencement sont devenus inacceptables dans un certain nombre de cas. L'exemple du délai de quatre ans entre la déclaration d'appel et l'audience de plaidoirie devant certaines chambres civiles de la cour d'appel de Lyon est à lui seul particulièrement éloquent.
Nous poursuivrons donc ces recrutements. Dans le détail, une autorisation de recrutement de 1 543 équivalents temps plein (ETP) supplémentaires est donnée pour 2025, soit 924 emplois supplémentaires par rapport à ce qui était prévu dans le PLF initial. Ces personnels se répartissent de la façon suivante : sur le champ judiciaire, plus de 970 ETP viendront renforcer les services judiciaires et le Conseil supérieur de la magistrature (CSM), dont 343 magistrats, 320 greffiers et 307 attachés de justice ; dans le champ pénitentiaire, 528 ETP viendront armer les établissements qui seront mis en service ; enfin, pour la protection judiciaire de la jeunesse (PJJ), qui a connu de sérieuses difficultés au cours de l'été 2024 compte tenu de la suppression d'un certain nombre de contrats, 45 ETP viendront renforcer les effectifs et accompagner l'ouverture de nouveaux établissements.
De manière générale, l'attention aux personnels et aux conditions de travail représente un engagement majeur de la LOPJ, tout comme la garantie de l'attractivité des rémunérations des métiers de la justice.
En outre, l'efficacité dans l'exécution des peines et l'accélération des procédures pénales seront deux axes essentiels de mon mandat. À ce titre, je rappelle que rien ne pourra se faire si nous ne disposons pas de la capacité de prendre en charge les personnes placées sous main de justice - en particulier les personnes détenues - dans le respect et la dignité dus à chacun. C'est pourquoi j'insiste sur l'importance des crédits dédiés à la réhabilitation et à la maintenance, au moins aussi essentiels que les moyens alloués à la construction.
S'agissant justement de la programmation immobilière pénitentiaire, Madame la présidente, les crédits dévolus dans le PLF pour 2025 permettront de poursuivre le plan de construction de 15 000 places supplémentaires, avec un accroissement de la capacité de la maison d'arrêt de Nîmes, ainsi que de celle de la structure d'accompagnement à la sortie de Ducos et du centre pénitentiaire des Baumettes 3, dont la construction et la réalisation se passent bien, comme j'ai eu l'occasion de le vérifier à Marseille. Sont également prévues les premières phases des opérations du centre pénitentiaire de Baie-Mahault et de la maison d'arrêt de Basse-Terre, qui seront livrés. Enfin, la rénovation et la modernisation du parc pénitentiaire existant se poursuivra. Des autorisations d'engagement (AE) permettront ainsi d'initier la restructuration du centre pénitentiaire de Fresnes, dont la vétusté nécessite une intervention à court terme.
Je tiens à confirmer que nous rencontrons des difficultés dans le calendrier des grandes opérations de construction. Ainsi, la réalisation du plan 15 000 est très en retard, puisque moins d'un tiers des opérations est déjà réalisé, tandis que 42 % d'entre elles le seront d'ici à 2027 : si tout se déroule correctement, 6 421 places seront mises à disposition au lieu des 15 000 places prévues, soit un écart considérable.
Ces difficultés sont liées à des aléas exogènes, indépendants de la volonté du ministère, dont certains sont d'ordre technique et environnemental. Des tensions sur l'approvisionnement découlant de différentes crises ont des répercussions sur les délais, sans oublier la fragilité du tissu économique, ainsi que le fait - je dois le dire très franchement devant votre Haute Assemblée - qu'il est souvent très difficile de convaincre les élus de nous laisser bâtir un établissement pénitentiaire sur leur territoire.
Ayant moi-même été élu local, je peux parfaitement comprendre ces réticences et ces résistances, qui n'expliquent pas toutes nos difficultés, mais je pense que le temps d'une prise de conscience collective est venu si nous souhaitons que ce programme se réalise.
L'achèvement du plan 15 000 ne sera pas possible sur le plan opérationnel avant 2029 dans le meilleur des cas et suppose des efforts budgétaires substantiels dans les prochaines années. Nous y travaillons avec le ministre du budget et des comptes publics dans la perspective du PLF pour 2026 et au-delà.
Un certain nombre de dossiers sont bloqués au niveau du conseil d'administration de l'Agence publique pour l'immobilier de la justice (Apij) par la direction du budget, qui considère que la soutenabilité budgétaire de ces opérations n'est pas assurée. Au-delà de 2025, ce plan n'était en effet pas financé, puisque vous ne retrouverez pas les sommes nécessaires à la réalisation de l'ensemble de ces places dans la LOPJ. Certes, il existait une clause de revoyure en 2025 qui devait éventuellement permettre d'abonder ces crédits, mais, en l'absence de ce rendez-vous, la direction du budget a, dans le rôle qui est le sien, bloqué les opérations.
Je m'en suis bien sûr ouvert auprès du ministre des comptes publics et du Premier ministre, afin que nous puissions lever ces blocages le plus rapidement possible et être en mesure d'accomplir le plan 15 000 à l'échéance de 2029.
Nous nous efforcerons d'agir sur l'ensemble des leviers pour tenter d'améliorer les résultats de l'année 2027, en proposant des solutions d'accélération juridique, en explorant toutes les pistes opérationnelles sur la base du foncier dont nous disposons et en réfléchissant à d'autres types de prisons tenant compte de la diversité de notre population de 80 000 détenus. En Allemagne, en Belgique, au Québec ou encore en Suisse, des solutions de type modulaire ont prouvé leur efficacité : elles peuvent à la fois être réalisées bien plus rapidement, offrir des conditions de sécurité satisfaisantes et être construites à des coûts moindres.
Nous essaierons donc d'encourager le développement de solutions de ce type afin de respecter les engagements qui ont été pris, en rappelant que la population carcérale augmente d'année en année, à un rythme d'environ 5 500 détenus par année, soit environ 450 détenus supplémentaires chaque mois. De fait, la construction de nouvelles places de prison ne suit pas le rythme d'augmentation du nombre de détenus, ce qui laisse présager une dégradation du ratio en 2027. Il nous faut donc trouver des solutions permettant de répondre à cette situation.
Concernant l'immobilier judiciaire, le budget permettra de couvrir les opérations d'ores et déjà en chantier et de poursuivre la mise à niveau du parc immobilier, notamment au regard de la sécurité des personnes, des mises aux normes réglementaires, de la mise en sûreté des palais de justice et des opérations de gros entretien indispensables à la pérennité du patrimoine, même si nous ne pourrons pas mener toutes les opérations en même temps. L'état d'un certain nombre de tribunaux et de cours d'appel montre que nous avons du retard, mais nos moyens ne nous permettent pas de répondre à toutes les attentes.
En outre, 7 millions d'euros seront consacrés à la construction de centres éducatifs fermés (CEF) sur le secteur associatif habilité. Parallèlement à l'état des lieux relatif au programme pénitentiaire, un état des lieux de ce plan sera réalisé, de même qu'un point sur les autres formats de prise en charge.
Je souhaite également mettre en lumière certaines enveloppes ayant vocation à moderniser et améliorer concrètement le fonctionnement du service public de la justice, ainsi que les conditions de travail de ses agents. Tout d'abord, les crédits d'investissement de l'informatique ministériel seront portés à 285 millions d'euros, soit une hausse de 4,7 % par rapport à 2024. Je m'en réjouis, dans la mesure où ces crédits permettront de poursuivre les projets du second plan de transformation numérique du ministère. En outre, les crédits consacrés aux techniques d'enquête numérique atteindront 49 millions d'euros.
Tous ces projets numériques doivent permettre d'améliorer les conditions de travail et surtout l'efficacité du travail de la justice. Je souhaite insister sur ces crédits supplémentaires qui permettront au ministère d'avancer de manière décisive dans sa transformation numérique, et en particulier de financer la poursuite de projets prioritaires qui déboucheront sur des gains majeurs d'efficacité et de temps dans nos services. Il s'agit également de refondre des outils dont l'état d'obsolescence met en risque la continuité de la justice et la qualité du service rendu au justiciable.
Ces crédits vont en particulier nous permettre de poursuivre la dématérialisation et la modernisation de nos chaînes judiciaires civiles et pénales avec la procédure pénale numérique, le projet de refonte de l'application Portalis, la dématérialisation complète du casier judiciaire national, la convergence de nos outils applicatifs pénaux ou encore le nouveau système d'information de l'application des peines, Prisme.
Les crédits dédiés à l'accès au droit et la justice s'élèveront à 802 millions d'euros pour 2025, contre 790 millions d'euros en 2024. Plus spécifiquement, les crédits dédiés à l'aide juridictionnelle continueront de croître pour atteindre 718 millions d'euros, soit une hausse de 6 millions d'euros par rapport à l'exercice précédent. Parallèlement, l'aide aux victimes est portée à 51 millions d'euros en 2025, soit une hausse de 4,5 millions d'euros. Sur ce point, je tiens à souligner que l'aide aux victimes de violences intrafamiliales constitue désormais 37 % du budget dévolu aux victimes, l'effort devant se poursuivre sur cette politique pénale.
En ce qui concerne l'action sociale offerte par le ministère à ses agents, essentielle pour contribuer à l'attractivité de notre institution, le projet de budget prévoit la mobilisation de plus de 36 millions d'euros. Ce budget permettra notamment d'agir en faveur de la politique d'aides aux familles, de réduire les restes à charge en termes de restauration et de faciliter l'accès des agents au logement et à la propriété.
J'en viens au plan de lutte contre la criminalité organisée. Le ministère a identifié quelques possibilités de recettes supplémentaires à compter de 2025 et travaille avec le ministère des comptes publics à de nouvelles propositions. Parmi celles-ci, deux mesures sont déjà en cours d'adoption dans le cadre du PLF, à savoir le rehaussement du droit fixe de procédure dû par les condamnés et la mise en oeuvre de la contribution pour la justice économique.
Nous avons suggéré au ministère des comptes publics qu'une partie de ces nouvelles recettes pourrait être rétrocédée au ministère de la justice pour financer les mesures qui lui incombent dans le cadre du plan de lutte contre la criminalité organisée que nous avons présenté le 7 novembre avec le ministre de l'intérieur.
Ce plan comprend, notamment sur le volet pénitentiaire, la création de quartiers de prise en charge spécifique nécessitant un abondement supplémentaire en PLF. Dans le combat contre la criminalité organisée, il me semble très important que nous puissions réaliser davantage de quartiers d'isolement dans les prisons, afin d'éviter qu'environ 300 de ces condamnés puissent continuer à organiser leurs trafics et à commanditer des meurtres depuis leurs cellules. Si nous éprouvons parfois des difficultés à brouiller un quartier complet, l'opération est en revanche plus aisée pour une ou deux cellules avec les appareils existants.
Pour terminer, je suis parfaitement conscient des contraintes budgétaires auxquelles est confronté le Gouvernement et je suis comme vous attaché à la crédibilité financière de notre pays. À ce titre, je rappelle que le ministère de la justice a pris part à l'effort budgétaire rendu nécessaire par la situation des finances publiques tout au long de l'exercice 2024.
Un certain nombre de régulations, de gels et de rabots sont ainsi intervenus au cours de l'année pour un total d'environ 730 millions d'euros que nous avons réussi à réduire à hauteur de 350 millions d'euros, ce qui nous permet d'aboutir à une fin de gestion acceptable. Nous sommes conscients de la nécessité de nous organiser pour réaliser les économies nécessaires, tout en faisant en sorte que la justice ait les moyens de fonctionner.
Pour ce qui est des frais de justice, l'enveloppe des crédits est portée à 748 millions d'euros en 2025 et augmentera de 11 % par rapport à 2024. Nous veillons à la maîtrise de ces dépenses, sans remettre en cause la capacité d'investigation de nos magistrats en la matière.
Mme Lauriane Josende, rapporteur pour avis de la mission « Justice », sur le programme 101 relatif à la justice judiciaire et à l'accès au droit et à la justice. - Vous soulignez les conséquences regrettables de la situation budgétaire du pays sur vos crédits : nous partageons votre inquiétude. Le Sénat est très attaché aux objectifs de la loi d'orientation et de programmation pour la justice, aussi vos annonces sur leur maintien nous réjouissent-elles, tout comme elles réjouissent les personnes que nous avons auditionnées - et c'est pourquoi aussi, les professionnels de la justice s'inquiètent à la lecture de ce projet de loi de finances.
La politique immobilière, d'abord, suscite beaucoup d'inquiétudes parmi le personnel judiciaire et les avocats, qui nous disent ne pas être suffisamment consultés, notamment au sujet du guide de programmation judiciaire récemment actualisé et lors de la réalisation des diverses opérations immobilières. David Barjon, directeur de l'Apij, nous assure que l'élaboration du guide a impliqué les professionnels concernés. Cependant, certains ont déploré que ce guide ne prévoyait plus de places de parkings pour les personnels de la justice ; on comprend leur préoccupation, sachant que les trois-quarts des actifs se rendent au travail en voiture, faute le plus souvent de transports en commun. La consultation des professionnels a-t-elle bien été menée - nous assurez-vous que les critiques énoncées seront prises en compte ? Quelles adaptations de la politique immobilière sont possibles sur la question des parkings ?
Quel bilan dressez-vous, ensuite, du recours au partenariat public-privé (PPP) pour les programmes immobiliers de la justice ?
Vous avez évoqué la hausse des frais de justice. Quelle vous paraît être la part incompressible de cette hausse ? Quel bilan tirez-vous du plan de maîtrise des frais de justice ?
Enfin, les personnels judiciaires que nous avons auditionnés ont tous critiqué l'organisation actuelle des juridictions. Elle a été perturbée par un déficit chronique de recrutement puis par le recours à des contrats pour des fonctions partiellement indéterminées. Les agents du ministère attendent une évolution significative pour clarifier les fonctions, les rôles de chaque profession au sein des juridictions. Qu'envisagez-vous en la matière ?
Mme Laurence Harribey, rapporteur pour avis sur la mission « Justice » sur le programme 182 relatif à la protection judiciaire de la jeunesse. - Les professionnels de la protection judiciaire de la jeunesse (PJJ) s'inquiètent également, vous l'avez dit.
Cet été, le non-renouvellement de contractuels a provoqué une grève du personnel de la PJJ et de grandes inquiétudes. Bien que la situation se soit améliorée, les auditions nous montrent un changement profond d'orientation depuis l'entrée en vigueur du code pénal de la justice des mineurs. Vous l'avez très justement dit, il ne s'agit pas uniquement d'une question de crédits, mais également de méthodes de travail et d'acculturation à une nouvelle manière de fonctionner. La réforme a, en fait, alourdi les charges de travail, ce que montre l'alourdissement du stock de mesures : il augmentait d'environ 1 000 mesures par an depuis 2021, puis il a bondi à 4 300 mesures nouvelles entre décembre 2022 et décembre 2023, en plus des 3 000 mesures en attente. Or, l'augmentation de la charge de travail n'est pas traduite dans les effectifs - les 45 créations d'équivalent temps plein ne suffiront pas à combler ce décalage. Nous avons été surpris par le manque de vision à long terme sur ces évolutions. Quelle analyse en avez-vous et que comptez-vous faire ?
Vous vous dites fier, ensuite, d'augmenter les crédits pour la numérisation et l'informatique, donc, pour le logiciel « Parcours », mis en place à la PJJ. C'est une très bonne chose, puisque ce logiciel devrait permettre aux éducateurs de suivre le parcours des jeunes, dont les professionnels déplorent le manque de traçabilité. Cependant, ce logiciel est en retard : la première phase n'est toujours pas achevée, alors que son déploiement a débuté en 2021, le secteur associatif habilité n'est toujours pas intégré et le coût du projet s'élève déjà à 19 millions d'euros. Qu'en pensez-vous ? Comment comptez-vous reprendre en main ce projet, qui semble se diriger dangereusement vers un échec ?
M. Antoine Lefèvre, rapporteur spécial de la commission des finances sur la mission « Justice ». - Le projet de budget du ministère de la justice marque un ralentissement dans la mise en oeuvre de la loi de programmation. Je comprends la nécessité de participer à l'effort d'assainissement des finances publiques et j'ai bien vu que le Gouvernement avait déposé un amendement augmentant ces crédits de 250 millions d'euros, alors que des économies supplémentaires sont demandées à la quasi-totalité des autres ministères.
La justice n'a pas été épargnée cette année avec une annulation de crédits de 328 millions d'euros le 21 février dernier, puis des « surgels » successifs qui ont causé de réelles difficultés dans certains services.
Dans le budget 2025, la priorité est donnée aux moyens humains : le projet de loi de finances prévoit d'augmenter les effectifs de 619 emplois, voire de plus de 1 500 emplois si les amendements du Gouvernement sont adoptés. Cette augmentation des effectifs s'appuie sur une politique de revalorisation des métiers, qui est indispensable pour attirer et retenir les personnels. Tout ceci est important pour améliorer le service public de la justice.
Je porte une attention toute particulière aux projets immobiliers, notamment la mise en oeuvre du plan « 15 000 ». Vous avez déclaré qu'il prendrait du retard et vous venez de nous en parler - mais conservez-vous au moins la cible, quitte à la reculer ? Ce plan n'est pas un luxe, il ne résout pas le problème de la surpopulation carcérale mais le contient tout au plus.
Les autres dépenses sont soumises à de fortes restrictions, ce qui pourrait par exemple impacter la modernisation de la fonction informatique.
J'ai été alerté sur la hausse des frais de justice : moins de 500 millions d'euros en 2017, près de 750 millions d'euros en 2025. Que peut-on faire, par exemple au sujet des frais de gardiennage de véhicules ou du coût des interceptions téléphoniques qui ne sont peut-être pas toujours indispensables ?
S'agissant de l'aide juridictionnelle, on nous a indiqué que certaines réformes sont en réflexion ou prévues au sujet du coût de l'aide juridictionnelle, par exemple une suppression de l'aide juridictionnelle partielle ou une ponction sur la trésorerie de la caisse des règlements pécuniaires des avocats (Carpa) en fin d'exercice budgétaire. Avez-vous des éléments à ce sujet ?
Enfin, vous avez annoncé, avec le ministre de l'intérieur, la création d'un parquet national consacré au narco-trafic, ce qui était l'une des recommandations de la commission d'enquête du Sénat. Pouvez-vous nous en dire plus et cela se fera-t-il à moyens constants, puisque ce n'est pas prévu dans le budget pour 2025 ?
M. Didier Migaud, garde des sceaux. - Le rapporteur Louis Vogel a dit que les crédits du programme 107 « Administration pénitentiaire » prévus pour la réhabilitation des établissements pénitentiaires seraient en diminution ; ils sont en réalité maintenus à 130 millions d'euros - alors qu'ils étaient autour de 60 millions d'euros avant 2019. Cela ne suffit certes pas à couvrir tous les besoins, mais l'enveloppe est maintenue.
Sur les changements de missions intervenues dans la PJJ depuis l'entrée en vigueur du code de justice pénale des mineurs, je signale qu'un rapport au Parlement de l'année dernière fait état de résultats positifs. Cependant, je sais que les personnels de la PJJ ne s'y retrouvent pas : une évaluation interne est en cours, pour objectiver les choses et ajuster ce qui doit l'être.
Le déploiement du logiciel « Parcours » est en retard, effectivement, mais les financements sont maintenus, nous voulons aboutir l'an prochain.
En matière de politique immobilière pour le programme pénitentiaire, ce que nous pouvons obtenir budgétairement est bien loin de suffire aux besoins, je le constate. Je vois aussi que ce programme souffre plus que les autres du décalage entre la loi de programmation et le PLF.
Normalement, les personnels des palais de justice ont été consultés sur leurs besoins de places de parking, il y a eu des groupes de travail ; la voiture reste effectivement très utilisée, des places de parkings restent nécessaires - si la consultation n'a pas bien défini les besoins, il faut peut-être y revenir.
Quelle est la part incompressible des frais de justice ? C'est une question difficile. Les magistrats peuvent vouloir engager plus de frais, mais ils sont conscients des faibles marges que nous avons, sur les interventions téléphoniques par exemple, ou sur le gardiennage des véhicules. Une gestion plus dynamique devrait permettre des économies. En matière d'écoutes judiciaire, par exemple, l'Agence nationale des techniques d'enquêtes numériques judiciaires (ANTENJ) est devenue un service performant et moins coûteux que les sociétés privées qui sont sollicitées par des parquets locaux, il faut habituer nos magistrats à y recourir davantage.
L'organisation des juridictions est un travail continu, elle pose la question du soutien au travail des magistrats. Les attachés de justice sont désormais très appréciés par les magistrats, ils sont un soutien utile. On le voit par exemple lorsque des tribunaux ont constitué un pôle « violences intrafamiliales », en affectant des attachés de justice à ce contentieux, le soutien au travail du juge est important - si au départ il y a eu du scepticisme, ce n'est plus le cas aujourd'hui, les magistrats apprécient cette aide ; c'est une réussite.
Le recours aux PPP a donné lieu à des rapports très critiques, notamment pour ce qui concerne le programme pénitentiaire et l'immobilier judiciaire. Il a permis de belles réalisations, qui malheureusement coûtent parfois cher en fonctionnement... Ces solutions résultent d'un défaut d'investissement de l'État, les entreprises ne sont pas des philanthropes et leur intervention représente un coût supplémentaire. Je ne propose donc pas, vous l'aurez compris, de revenir au PPP pour la réalisation du programme immobilier de mon ministère...
J'ai répondu sur les frais de justice, il y a des marges de progrès. L'enveloppe a augmenté, une mission de l'inspection générale de la justice (IGJ) est en cours pour mieux prendre en compte les demandes des magistrats, je vous en communiquerai les résultats.
Contre la criminalité organisée, la réponse passe par de nouveaux quartiers sécurisés et d'isolement, donc par des moyens supplémentaires ; ce point est très important parce qu'il y a urgence, on le sait bien. Il faut mieux isoler ces condamnés : il n'est pas acceptable que des trafiquants continuent leurs crimes depuis leur prison, qu'ils puissent même y commanditer des meurtres - c'est tout à fait inacceptable. Il faut donc les isoler de l'extérieur, ce qui nécessite des travaux puisque nos quartiers d'isolement sont déjà occupés, notamment par les condamnés pour terrorisme. En ce qui concerne le nouveau parquet national contre le narcotrafic, nous le financerons sur nos crédits. J'affecterai des magistrats pour renforcer le parquet de Paris et pour mettre en place une cellule de coordination ; je veux également renforcer le siège, pour juger plus rapidement, et je souhaite renforcer nos 8 juridictions interrégionales spécialisées dans la criminalité organisée - là encore, nous financerons ces postes supplémentaires sur nos crédits.
Mme Audrey Linkenheld. - Les quelque 316 millions d'euros prévus pour l'immobilier judiciaire devraient servir à la mise aux normes, à l'entretien des bâtiments, et aux opérations nouvelles en cours. L'une m'intéresse particulièrement : le nouveau palais de justice de Lille. Il est très attendu mais il défraie la chronique avant même sa livraison : on a appris, lors de la rentrée solennelle du barreau, que le ministère rechercherait des locaux supplémentaires parce que le nouveau palais de justice... serait trop petit pour accueillir les professionnels de justice ! Vous nous confirmez aujourd'hui que vos moyens ne suffiront pas à couvrir les besoins immobiliers, en général : est-ce à dire que vous n'en aurez pas non plus pour trouver un complément au nouveau palais de justice de Lille, comme on l'espère localement ?
Mme Marie-Pierre de La Gontrie. - Vous évoquez un amendement du Gouvernement qui augmente vos crédits : peut-on l'avoir, pour examiner la ventilation de ces crédits supplémentaires ?
Une remarque, ensuite : les Français vont avoir du mal à comprendre qu'il faut faire de nouveaux quartiers réservés parce qu'on ne parviendrait pas à brouiller des lignes téléphoniques...
Avec un taux d'occupation des prisons à 153,6 %, la situation carcérale est alarmante, nous soutiendrons donc votre demande de crédits supplémentaires. Mais ce qu'il faut voir, c'est que quand on a 450 détenus de plus chaque mois, la solution n'est plus de construire davantage de prisons : qu'en pensez-vous ? Nous avons, pour notre part, fait des propositions depuis des années pour éviter une telle surpopulation carcérale, c'est un sujet très complexe et sensible - du fait en particulier que l'opinion pense que la justice est laxiste, alors que les peines n'ont jamais été aussi lourdes, ni les prisons si pleines... Quelles sont vos perspectives et vos propositions sur ce qu'on a appelé communément la régulation carcérale ?
Par ailleurs, le 6 novembre dernier, la Commission nationale informatique et libertés (Cnil) a rappelé à l'ordre votre ministère pour non-conformité à la loi de votre fichier de traitement des antécédents judiciaires (Taj) - qui comprend 24 millions de fiches. Comment comptez-vous répondre à ce rappel à l'ordre ? Vous avez un an pour répondre, mais la question est là : les magistrats n'ont-ils pas mieux à faire que de mettre à jour les données d'un fichier national qui n'est jamais opérationnel ?
M. Georges Naturel. - J'évoquerai la situation carcérale en Nouvelle-Calédonie, qui a valu une condamnation de l'État tant les conditions d'incarcération sont indignes, les présidents des deux assemblées parlementaires l'ont constaté en se rendant sur place. Des moyens supplémentaires ont été annoncés pour les enquêtes, pour le traitement des dossiers, pour des places de prison - mais la prison de Nouméa est déjà surpeuplée, des prisonniers sont déjà envoyés dans l'Hexagone, en particulier des commanditaires des exactions et de jeunes délinquants. Un projet de construction d'une prison est annoncé, pour 2032 ; je doute que ce calendrier soit tenu, et que fait-on entre temps ? Vous évoquez d'autres solutions, et nous avons écrit dans ce sens à votre prédécesseur, en visant en particulier l'expérience d'une prison agricole en Corse : peut-on étudier de telles solutions en Nouvelle-Calédonie, surtout pour des jeunes délinquants, qu'il faut insérer ?
M. Didier Migaud, garde des sceaux. - Nous allons poursuivre la modernisation du parc immobilier, en particulier les travaux déjà lancés et inscrits dans la loi de programmation. Nous avons 269 millions d'euros en crédits de paiement pour 2025, en baisse par rapport à la loi de finances initiale. L'amendement du Gouvernement les augmente de 47,4 millions d'euros, ce qui réduit la baisse de moitié. Cela va nous permettre de poursuivre des opérations en phase études, comme la réhabilitation du palais de justice historique de l'île de la Cité, à Paris, l'extension du tribunal judiciaire de Bobigny et les autres projets prioritaires de Toulon, Perpignan et Meaux.
Pour le nouveau palais de justice de Lille, des solutions sont recherchées. Il y a eu des renforts d'effectifs qui n'étaient pas prévus initialement, il est certes dommage qu'il n'y ait pas eu d'anticipation, mais nous allons rechercher des solutions pour les magistrats supplémentaires.
L'amendement du Gouvernement est celui que nous avions déposé à l'Assemblée nationale, votre commission des finances devrait en être saisie. Il faut explorer toutes les solutions pour tenir l'objectif de 15 000 places d'ici 2029, donc augmenter le rythme actuel, qui vise les 6 400 places pour 2027 ; il faut imaginer des solutions diversifiées, en fonction de la population des détenus qui sont eux-mêmes très divers - il faut sortir du modèle de la prison unique, il y a déjà des alternatives, comme les centres fermés, il faut aller plus loin dans le panel de propositions pour faire exécuter les peines prononcées. Il y a aussi le problème du délai d'exécution des peines, des travaux sont conduits pour voir comment raccourcir ces délais quelle que soit la peine. On sait que les travaux d'intérêt général (TIG) sont moins utilisés qu'ils pourraient l'être, parce que le délai d'exécution peut atteindre jusqu'à deux ou trois années, ce qui n'a alors plus de sens. La justice fait preuve de fermeté, les peines prononcées sont plus longues qu'auparavant et il n'y a jamais eu autant de monde en prison, mais nos concitoyens ont davantage qu'avant l'idée que la justice est laxiste. Il faut aussi compter avec le temps de prévention, d'accompagnement ; il faut penser à la réinsertion, c'est un vrai défi - beaucoup se fait mais il y a des marges de progrès.
La Cnil nous rappelle à l'ordre sur un fichier national et elle a adressé ses observations au le ministère de l'intérieur dont dépend ce fichier ; nous avons une année pour nous mettre en conformité avec le règlement européen sur la protection des données, le RGPD, ce qui constitue un travail long et difficile. Nous nous y attelons et j'espère vous dire, l'an prochain, que nous y serons parvenus...
Parmi les systèmes de brouillage des téléphones, ceux qui portent sur des bâtiments entiers sont moins efficaces que ceux qui ne visent qu'une partie d'un bâtiment, et ils ont des conséquences sur le voisinage : ils sont donc moins utilisables en milieu urbain. C'est pourquoi nous préférons des brouilleurs ciblant une ou quelques cellules, où nous voulons isoler les grands trafiquants. Il faut être d'une fermeté absolue face à l'ultra-violence dont font preuve les narco-trafiquants. Les médias ne rendent pas compte de tous les faits, en particulier de la terreur qu'exercent les narco-trafiquants sur leurs victimes et sur leurs familles, en plus de crimes odieux qu'ils commanditent. Le phénomène a pris une dimension nouvelle ces dernières années : l'État doit se réarmer et augmenter sa puissance de combat contre ces organisations criminelles.
Je suis conscient de la situation carcérale en Nouvelle-Calédonie est indigne, la présidente de l'Assemblée nationale m'a adressé des photos édifiantes après sa visite ; il faut construire une nouvelle prison, mais le projet n'est pas financé - il n'est pas financé non plus à Mayotte... Vous avez raison d'appeler à l'action sans attendre la nouvelle prison. Il faut regarder ce qui se fait avec des bâtiments modulaires : cela s'est fait en Allemagne, en Suisse et en Belgique. Il faut trouver des solutions avant 2032. Il y a en France, 4 000 détenus qui dorment au sol, cela ne devrait pas exister.
Mme Muriel Jourda, présidente. - Merci pour toutes ces précisions.
La réunion est close à 19 h 05.
Mercredi 20 novembre 2024
- Présidence de Mme Muriel Jourda, présidente -
La réunion est ouverte à 9 h 00.
Proposition de loi tendant à supprimer certaines structures, comités, conseils et commissions « Théodule » dont l'utilité ne semble pas avérée - Désignation d'un rapporteur
Mme Muriel Jourda, présidente. - Nous avons désigné, la semaine dernière, François Bonhomme rapporteur sur la proposition de loi tendant à supprimer certaines structures, comités, conseils et commissions « Théodule » dont l'utilité ne semble pas avérée.
M. Bonhomme a demandé à être remplacé à cette fonction, car une impossibilité matérielle ne lui permettra pas d'être présent en séance lors de la discussion du texte. Je vous propose de désigner à sa place notre collègue Hervé Reynaud.
La commission désigne M. Hervé Reynaud rapporteur sur la proposition de loi n° 29 (2024-2025) tendant à supprimer certaines structures, comités, conseils et commissions « Théodule » dont l'utilité ne semble pas avérée, présentée par Mme Nathalie Goulet.
Projet de loi portant diverses dispositions d'adaptation au droit de l'Union européenne en matière économique, financière, environnementale, énergétique, de transport, de santé et de circulation des personnes - Échange de vues sur une éventuelle saisine pour avis et désignation d'un rapporteur pour avis
Mme Muriel Jourda, présidente. - L'Assemblée nationale a été saisie du projet de loi portant diverses dispositions d'adaptation au droit de l'Union européenne en matière économique, financière, environnementale, énergétique, de transport, de santé et de circulation des personnes, qui sera examiné par le Sénat le 23 janvier prochain.
Comme tous les textes portant diverses dispositions d'adaptation au droit de l'Union européenne (Ddadue), ce projet de loi protéiforme relève de plusieurs commissions. La plus concernée est la commission du développement durable, et c'est pourquoi ce projet de loi, une fois adopté et transmis par l'Assemblée nationale, lui sera renvoyé au fond.
Pour autant, le texte comporte des dispositions qui nous intéressent spécifiquement : l'action de groupe, notamment, ainsi que des mesures ponctuelles de commande publique et de visa. Je suggère donc que notre commission se saisisse pour avis de ces mesures, à savoir les articles 13 à 19 et 42, sur lesquels, en accord avec la commission du développement durable, nous pourrions obtenir une délégation et vous propose la désignation de Christophe-André Frassa, comme rapporteur pour avis.
La commission désigne Christophe-André Frassa rapporteur pour avis sur le projet de loi n° 529 (XVIIe législature) portant diverses dispositions d'adaptation au droit de l'Union européenne en matière économique, financière, environnementale, énergétique, de transport, de santé et de circulation des personnes, sous réserve de sa transmission.
Projet de loi de finances pour 2025 - Mission « Sécurités » (hors programme « Sécurité civile ») - Examen du rapport pour avis
Mme Muriel Jourda, présidente. - Nous examinons maintenant le rapport pour avis de la mission « Sécurités », à l'exception du programme « Sécurité civile », du projet de loi de finances (PLF) pour 2025 qui fait l'objet d'un avis qui sera présenté ultérieurement par Françoise Dumont.
M. Henri Leroy, rapporteur pour avis sur la mission « Sécurités » (hors programme « Sécurité civile »). - Avant de vous livrer mon analyse du budget prévu pour l'année prochaine, je souhaiterais formuler certaines observations sur l'exercice 2024, qui est riche de leçons pour l'avenir.
Première observation : le défi de la sécurisation des jeux Olympiques et Paralympiques a été relevé.
Le coût fut certes important pour les forces de l'ordre : il a été évalué à 1,1 milliard d'euros, en incluant l'ensemble de la période de préparation. Mais nous devons ce succès à un engagement sans faille, d'une rare intensité, des femmes et des hommes de la police et de la gendarmerie, qui ont été durement mis à l'épreuve.
Nos concitoyens en ont eu bien conscience et le climat dans lequel les jeux se sont déroulés a bien montré que, dans leur immense majorité, et en dépit de ce que l'on peut parfois entendre, ils aiment leur police et leur gendarmerie.
Il est impératif que le Gouvernement, de son côté, honore les engagements qu'il avait pris envers les policiers et les gendarmes, notamment en termes de primes et de versement des heures supplémentaires. Les ouvertures de crédits prévues dans le projet de loi de finances de fin de gestion doivent permettre leur mise en paiement dès cette année.
Une leçon, à la fois essentielle et simple, peut être tirée de l'organisation des jeux : il est possible de sécuriser efficacement l'espace public dès lors qu'on s'en donne les moyens.
Deuxième observation : la police et la gendarmerie ont dû faire face à une succession de crises, qui ont culminé avec les émeutes en Nouvelle-Calédonie, où une quarantaine d'escadrons sont actuellement engagés.
L'année qui s'achève a également été marquée par un certain nombre de mouvements sociaux violents : contre l'autoroute A69, contre les méga-bassines, contre la vie chère en Martinique et en Guadeloupe... L'année précédente, il y avait eu les émeutes urbaines de l'été.
La récurrence de ces menaces à l'ordre public, tout particulièrement dans les outre-mer, doit nous interpeller. Les conflits sociaux qui traversent la France présentent aujourd'hui davantage de risque de dégénérer en crise. C'est un fait dont nous devons prendre pleinement conscience, y compris lorsque nous nous intéressons au budget des forces de sécurité, car la gestion de ces crises représente toujours un surcoût.
À cet égard, je verse au débat la proposition suivante : nous pourrions engager une réflexion pour intégrer à ces budgets une forme de provision pour surcoûts liés aux crises, comme cela se fait déjà dans le budget de la défense au titre des surcoûts pour opérations extérieures (Opex), lesquels sont chroniques. Cela irait, me semble-t-il, dans le sens d'une sincérisation du budget de la sécurité intérieure.
Troisième et dernière observation sur l'exercice 2024 : le contexte budgétaire a radicalement changé. Alors même que la crise sanitaire est derrière nous, le déficit public a continué à se détériorer fortement en 2024, pour atteindre 6,1 % du PIB.
Pris au piège de ses erreurs de prévisions, le gouvernement précédent a tenté de rectifier le tir en février dernier avec un décret d'annulation de crédits à hauteur de 10 milliards d'euros, qui n'a pas épargné la mission « Sécurités ». La police a principalement été concernée, avec une annulation de 134 millions d'euros, soit 7 % de son budget de fonctionnement et d'investissement.
La situation dégradée de nos finances publiques est une donnée structurelle que nous devons malheureusement intégrer pour les années à venir.
J'en viens maintenant à mon analyse du budget pour 2025. Commençons par souligner que celui-ci est en augmentation.
En effet, le projet de loi de finances pour 2025 prévoit une enveloppe totale d'environ 24 milliards d'euros, dont environ 13 milliards d'euros pour la police et 11 milliards d'euros pour la gendarmerie. Cela représente une hausse en crédits de paiement d'environ 1 milliard d'euros par rapport à la loi de finances initiale pour 2024, soit une progression de 4,2 %, ce qui n'est pas négligeable. La hausse concerne d'ailleurs les deux forces : elle est de 3,4 % pour la police nationale et de 5,2 % pour la gendarmerie nationale.
Pour autant, peut-on considérer que ce budget respecte la loi du 24 janvier 2023 d'orientation et de programmation du ministère de l'intérieur (Lopmi) ? Assurément, il s'inscrit dans la dynamique que nous avons souhaité impulser en votant ce texte il y a bientôt deux ans. Toutefois, si l'on regarde les choses dans le détail, la réalité est plus complexe.
De manière globale, les crédits prévus pour le programme 176 « Police nationale » et le programme 152 « Gendarmerie nationale » respectent la cible prévue. S'agissant de la gendarmerie, ils la dépassent même. Cependant, deux éléments doivent nous conduire à nuancer ce constat.
Premièrement, les dépenses de fonctionnement et d'investissement de la police ne sont pas à la hauteur escomptée. Il faut le rappeler, la Lopmi distinguait deux trajectoires : l'une pour les crédits totaux du programme, l'autre pour les seuls crédits de fonctionnement et d'investissement, dits hors titre 2. L'un des objectifs majeurs de la Lopmi était d'interrompre l'effet ciseau qui avait été observé à la fin des années 2010 entre la masse salariale et les moyens matériels des forces : immobilier, équipement, numérique...
Or, pour la police, les crédits hors titre 2 resteraient stables à périmètre constant par rapport à la loi de finances pour 2024, tandis qu'une progression de 100 millions d'euros était requise pour atteindre la cible de la Lopmi. En termes d'investissement, ce sont les plans de renouvellement automobile qui en font les frais, alors que les besoins en la matière demeurent importants.
S'agissant de la police, la Lopmi n'a, au fond, pas réussi à enrayer durablement l'effet ciseau que je viens d'évoquer. Les différentes mesures salariales générales et catégorielles qui ont été prises au cours des années récentes, comme la hausse du point de la fonction publique, ont entraîné une dynamique incompressible des dépenses de personnel, qui « cannibalisent » l'enveloppe de la Lopmi. Le constat est sans appel : sur les 4,8 milliards d'euros de crédits supplémentaires prévus pour la police, 70 % devaient être affectés à des dépenses hors titre 2. In fine, la proportion s'est plus qu'inversée, de telle sorte que les dépenses de personnel devraient consommer 78 % de l'enveloppe.
Deuxièmement, se pose la question des effectifs. La Lopmi prévoyait la création de 356 ETP (équivalents temps plein) dans la police et 500 ETP dans la gendarmerie en 2025. Au final, il n'en sera rien : le PLF prévoit un schéma d'emplois nul pour ces deux programmes. Le ministère sera uniquement autorisé à recruter pour compenser les départs, alors que les missions supplémentaires confiées aux forces de sécurité dans le cadre de la Lopmi resteraient, quant à elles, inchangées.
À court terme, ce schéma d'emplois nul pose avant tout problème pour la gendarmerie. La police a en effet bénéficié d'augmentations d'effectifs massives en 2023 et 2024, lui permettant d'atteindre environ 80 % de la cible totale prévue par la Lopmi.
En plus des sept escadrons déjà créés, la gendarmerie doit « armer » 238 nouvelles brigades. À la fin de 2024, 80 brigades auront été créées, qui mobilisent déjà environ 600 militaires ; 57 nouvelles créations sont prévues pour l'an prochain. La préservation de cet objectif suppose inévitablement un rattrapage important des créations d'emplois au cours des exercices 2026 et 2027, ce qui risque d'être difficile à atteindre dans le contexte budgétaire actuel. À défaut, l'atteinte de l'objectif sera inévitablement compromise, sauf à « désarmer » partiellement certaines brigades fixes existantes, ce qui paraît difficilement acceptable compte tenu des besoins.
Cela dit, et malgré ses défauts, nous devons replacer ce budget dans le contexte de la situation actuelle des finances publiques.
Le PLF 2025, dans son ensemble, doit enrayer la dynamique de la hausse de la dépense publique qui a marqué la période précédente. Il prévoit même, à périmètre constant, une contraction des dépenses nettes de l'État. Dans ce contexte, les budgets de la police et de la gendarmerie paraissent relativement préservés.
En effet, sur les trente-deux missions du budget général de l'État, si l'on exclut la charge de la dette, seules neuf autres missions connaîtraient en 2025 une hausse des crédits de plus de 100 millions d'euros, tandis que trois autres missions connaîtraient une hausse de plus de 500 millions d'euros. Les crédits de la police et de la gendarmerie progresseraient, je le rappelle, de 1 milliard d'euros.
Nous pouvons donc prendre acte d'une forme de sanctuarisation des budgets des forces de l'ordre. On peut donner crédit au Gouvernement d'avoir fait preuve de lucidité sur ce point, ce qui était indispensable au vu de l'ampleur et de la multiplicité des enjeux sécuritaires pesant sur notre pays, cela était indispensable.
Des efforts importants restent à mener, car la police comme la gendarmerie font encore face à certaines problématiques structurelles majeures. Ces efforts, pour l'essentiel, sont remis à plus tard.
Je pense aux nécessaires créations d'emplois restant à réaliser pour accomplir les missions, sans cesse plus larges, confiées à nos forces de l'ordre. J'en ai dit un mot s'agissant de la gendarmerie, mais le constat peut également s'appliquer à la police.
Je pense aussi à l'indispensable remise à niveau du parc immobilier de la gendarmerie. Cet important parc - environ 600 casernes - se trouve aujourd'hui dans un état fortement dégradé. Dans le cadre d'un récent contrôle budgétaire, notre collègue Bruno Belin, rapporteur spécial de la commission des finances, évaluait à 2,2 milliards d'euros le sous-investissement dont les emprises de la gendarmerie ont pâti au cours des dix dernières années : une véritable « dette grise ».
Le chantier qui est devant nous est donc colossal. Le budget 2025 permet d'amorcer un redressement, mais il est loin d'être suffisant pour engager des opérations de grande envergure. L'enjeu est pourtant essentiel. L'état dégradé du parc domanial conduit la gendarmerie à se reporter de façon accrue sur le parc locatif. Il en résulte une dynamique très importante des dépenses de loyers, qui s'élèvent aujourd'hui à près de 600 millions d'euros. Cet automne, la gendarmerie s'est même retrouvée en situation de ne pas pouvoir payer certains loyers, ce qui a suscité l'indignation bien légitime des collectivités territoriales bailleresses. Une telle situation ne doit pas se reproduire.
Face à cela, il est donc impératif de
rechercher des solutions pérennes. Le ministre de l'intérieur
nous a indiqué, lors de son audition la semaine dernière, qu'il
ne s'interdisait aucune piste, quitte à innover et faire appel au
privé. S'agissant d'opérations de grande envergure, le recours
à des partenariats public-privé pourrait constituer une piste
intéressante pour l'État en termes de trésorerie. Lors de
cette même audition, notre
collègue Marc-Philippe Daubresse a suggéré
la création d'une « foncière logement »
pour la gendarmerie. Une telle solution, innovante, mérite
assurément d'être expertisée.
En tout état de cause, nous ne pouvons laisser la situation telle quelle. Il y va de la bonne gestion de l'argent public et, surtout, de la dignité des conditions de travail que nous offrons aux militaires engagés dans les casernes de la gendarmerie.
Pour autant, je vous propose de donner un avis favorable à l'adoption des crédits de la mission « Sécurités », hors programme « Sécurité civile ». Le fait que ce budget, malgré ses limites et ses lacunes, continue d'augmenter alors que les dépenses de l'État sont soumises à une baisse générale constitue, indéniablement, un motif de satisfaction.
M. Hussein Bourgi. - Je remercie le rapporteur, dont tout le monde connaît l'expertise et l'attachement à ces corps de métier. Je souscris à l'essentiel de ses propos, mais je veux relever trois points qui suscitent notre inquiétude.
Il s'agit, d'abord, de l'objectif, voté dans la Lopmi, de la création de 8 500 postes d'ici à la fin du quinquennat. Pour cela, il aurait fallu créer des postes dès cette année, ce qui n'est pas le cas. Cet objectif ne sera donc pas atteint.
Il s'agit, ensuite, de la diminution de 8 % du budget consacré à la police judiciaire (PJ), laquelle a été soumise à une réforme, imposée au forceps. Pourtant, au même moment, les ministres concernés ont indiqué, lors d'un déplacement à Marseille, que 25 enquêteurs seraient affectés à la lutte contre le narcotrafic dans cette ville...
Il s'agit, enfin, de la création, prévue également dans la Lopmi, de 200 brigades de gendarmerie d'ici à la fin du quinquennat. Or le budget immobilier n'est pas au rendez-vous ; il ne permet déjà pas de payer les loyers dus aux collectivités et aux bailleurs.
Sans budget suffisant, la Lopmi sera vidée de sa substance.
Mme Jacqueline Eustache-Brinio. - Merci pour ce rapport détaillé.
Il faut regarder de près le budget consacré à la lutte contre le narcotrafic, en particulier dans les territoires ultramarins. Je veux évoquer le cas spécifique de la Polynésie française, où l'on constate une augmentation du trafic lié à une drogue de synthèse appelée « ice ». Les services compétents demandent les moyens dont ils ont besoin pour surveiller ce vaste territoire.
M. Georges Naturel. - Je remercie les gendarmes - 40 escadrons sont présents actuellement - qui permettent, depuis près de six mois, d'éviter qu'il y ait encore plus de drames en Nouvelle-Calédonie. Je rappelle qu'il y a eu treize morts, dont deux gendarmes. Les gendarmes ont notamment permis de rouvrir l'axe de Saint-Louis, longtemps bloqué, qu'ils surveillent et sur lequel il est maintenant possible de circuler de 6 heures à 18 heures.
Je veux évoquer le patrimoine immobilier. Les deux projets de construction de caserne, une à La Foa et l'autre à Bourail - la caserne avait été dévastée par un cyclone en 2003 -, sont pilotés par un opérateur social, la Société immobilière calédonienne (SIC).
Les collectivités et les opérateurs sociaux sont soumis à des contraintes budgétaires et financières. Ainsi, 55 % des locataires de la SIC, qui gère 11 000 logements, ne payent plus leurs loyers depuis trois ou quatre mois.
L'État ne pourrait-il pas accompagner cet opérateur social afin de permettre la construction des casernes ?
Mme Marie-Pierre de La Gontrie. - Le coût de sécurité des jeux Olympiques et Paralympiques a été estimé, pour la période 2020-2024, à 1,1 milliard d'euros, dont 600 millions d'euros de dépenses non prévues pour 2024, incluant les primes. L'ancien ministre de l'intérieur avait indiqué avoir obtenu 400 millions d'euros de crédits supplémentaires de Bercy. Ces primes seront-elles bien versées en décembre ?
Les plus anciens d'entre nous se rappellent les 23 millions d'heures supplémentaires impayées des policiers, qui représentaient environ 270 millions d'euros. Christophe Castaner, alors ministre de l'intérieur, avait mis en place en 2018 un dispositif de résorption. Qu'en est-il aujourd'hui ?
M. Alain Marc. - Je félicite Henri Leroy pour son rapport exhaustif. Il a évoqué l'absence de recrutement de gendarmes supplémentaires, alors même que, en parallèle, des brigades sont créées. Je m'inquiète donc pour les petites brigades rurales. À effectifs constants et avec plus de missions, je ne vois pas comment elles vont y arriver ! Il est vrai qu'il faut souvent faire plus avec moins, mais lorsqu'il s'agit d'hommes et de femmes qui assurent la sécurité, cela est difficilement tenable.
Je voudrais être rassuré : pouvez-vous me confirmer qu'il n'y aura pas de fermeture de brigades ?
M. Olivier Bitz. - Je commencerai par une observation d'ordre général : la mission « Sécurités » ne reflète que très imparfaitement et de manière incomplète les efforts réalisés par la Nation pour sa sécurité. Au fil des années, nous nous sommes de plus en plus appuyés sur les polices municipales et le secteur privé de la sécurité. C'est également le cas au niveau technique : de nombreux investissements sont réalisés par les collectivités locales, avec le soutien de l'État, mais sur d'autres lignes que celles inscrites dans la mission « Sécurités ».
J'aimerais exprimer mon inquiétude quant au schéma d'emplois des policiers et des gendarmes. Je ne vois pas comment on peut donner la priorité à la lutte contre le narcotrafic en gardant les mêmes effectifs, ni comment nous allons porter à 3 000 le nombre de places en centres de rétention administrative (CRA) si l'on n'a pas les policiers pour surveiller les personnes retenues. Un schéma d'emplois nul ne permettra pas de réaliser ces objectifs.
Je suis également préoccupé par l'érosion des effectifs dans les brigades territoriales, d'autant que l'objectif est de créer 238 brigades. Des engagements ont été pris par l'État à l'égard des territoires, mais je ne vois pas de commencement d'exécution, ni sur le plan immobilier ni sur le plan des ressources humaines. Les engagements de l'État doivent être tenus.
Se pose aussi la question de l'attractivité des postes. Dans mon département, l'Orne, des postes ont été ouverts au commissariat de Flers, mais personne n'a postulé. Il faut attirer et fidéliser des policiers et des gendarmes, notamment dans les territoires ruraux.
Autre motif d'inquiétude, la réserve de la gendarmerie : la diminution préoccupante des crédits en fin d'année a conduit la gendarmerie à se débrouiller avec ses seuls moyens permanents. On sait que la réserve est une variable d'ajustement facile, car cela permet de ne pas toucher aux effectifs. Avec un schéma d'emplois nul, nous comprenons que des efforts doivent être faits. Cependant, il est essentiel d'augmenter concrètement les possibilités d'intervention de nos forces sur le terrain. Pour cela, il faut que les crédits d'intervention de la réserve soient maintenus tout au long de l'année, et qu'ils ne soient pas gelés après l'été.
Mme Patricia Schillinger. - Je reviendrai sur un point déjà abordé par mes collègues : les postes ouverts et non pourvus. En tant qu'élue d'un territoire frontalier, proche de la Suisse, j'ai constaté que des policiers et des gendarmes démissionnaient pour travailler en Suisse, où les salaires sont plus rémunérateurs. L'attractivité de notre territoire n'est pas à la hauteur. J'y insiste, dans les zones situées près de Genève et le long de la frontière suisse, les agents restent peu de temps en poste, ce qui entraîne un turnover incroyable, alors même que la délinquance et le trafic de stupéfiants ont beaucoup augmenté.
M. Michel Masset. - Je partage l'inquiétude exprimée quant au nombre de gendarmes en milieu rural. Il est indispensable de mettre en place une politique pour revaloriser et rendre attractive cette profession. La création de nouvelles casernes pose question, si elles restent vides...
Enfin, je déplore l'absence de modernisation, dans le cadre du Beauvau de la sécurité, des critères de répartition du montant de la taxe spéciale sur les conventions d'assurances (TSCA) versée aux services départementaux d'incendie et de secours (Sdis). Je le rappelle, les départements, déjà en difficulté et qui le seront encore plus demain, financent 60 % à 70 % de l'enveloppe du Sdis.
Mme Muriel Jourda, présidente. - J'entends vos inquiétudes, mes chers collègues : le rapporteur les a également évoquées, mais il a aussi tenu compte de la situation budgétaire - nous ne pouvons pas l'ignorer, sinon cela nous poserait in fine encore plus de difficultés. L'augmentation du budget est réelle, et plutôt inattendue dans ce contexte.
M. Henri Leroy, rapporteur pour avis. - Monsieur Bourgi, lorsque nous avons voté la Lopmi, nous avons décidé, dans un élan d'enthousiasme, de créer 8 500 postes. En réalité, cet objectif était utopique, et la situation budgétaire actuelle nous permet pas de l'atteindre. J'y insiste, le budget des forces de sécurité est tout de même en hausse de 1 milliard d'euros.
Sur la police judiciaire, il faut rappeler que les gendarmes qui ont passé le diplôme d'officier de police judiciaire (OPJ), les commissaires, les officiers et les gradés sont des OPJ. Mais plus personne ne veut faire de la police judiciaire, car les primes sont insuffisantes et le volume de travail plus lourd. Alors, effectivement, la police judiciaire est en crise.
Sans revalorisation des primes, les agents se tournent vers d'autres missions. L'ancien directeur général de la police nationale (DGPN) a voulu rassembler localement tous les services opérationnels de la police. Voilà la philosophie qui a animé la réflexion au sein du Beauvau de la sécurité.
Dans le cadre de la Lopmi, nous avions décidé de créer 239 brigades - 80 d'entre elles ont été mises en place. Le ministre de l'intérieur a évoqué ce sujet lors de son audition : il va demander au nouveau directeur général de la gendarmerie nationale (DGGN) d'établir un calendrier pour atteindre l'objectif et prévoir le budget nécessaire, au moins pour 2025. Les maires et les services concernés seront informés.
Madame Eustache-Brinio, vous avez raison de souligner l'importance de la lutte contre le narcotrafic. Le ministre de l'intérieur a d'ailleurs fixé cet objectif comme l'une de ses priorités. Nous avons constaté en Guyane, en Martinique et en Guadeloupe que les territoires ultramarins sont particulièrement touchés. Nosoutre-mer sont en voie de devenir l'une des principales voies de passage pour le narcotrafic vers l'Europe.
Monsieur Naturel, je connais bien la situation à La Foa et à Bourail. Les locaux à La Foa sont notamment dans un état catastrophique. Je le redis, le ministère de l'intérieur avertira les élus locaux, notamment les maires, ainsi que les parlementaires, dès que le calendrier sera établi par le DGGN.
Madame de La Gontrie, la sécurité des jeux Olympiques a effectivement coûté 1,1 milliard d'euros sur le périmètre de la mission. Les primes et les heures supplémentaires devraient être payées d'ici à la fin de l'année, comme cela m'a été confirmé lors des auditions que j'ai conduites.
Monsieur Marc, la création d'une brigade mobile nécessite six effectifs, contre dix pour une brigade territoriale. Les chiffres annoncés ne correspondent pas à ce qui a été concrètement fait : certains territoires, dont le vôtre, sont confrontés à de vrais problèmes d'effectifs. Le calendrier demandé par le ministre de l'intérieur sera communiqué aux maires concernés. La mise en place de l'ensemble des nouvelles brigades pourra-t-elle se faire en 2025 ? Certainement pas ! Car armer une brigade nécessite non seulement du personnel, mais également du matériel et des moyens. Pour répondre à votre question, a priori, aucune fermeture de brigade n'est envisagée.
Monsieur Bitz, le schéma d'emplois des forces est en effet problématique eu égard à l'augmentation des places en CRA. Le ministre essaie d'obtenir des « rallonges » pour mettre en oeuvre l'ensemble des engagements pris.
Madame Schillinger, il faut améliorer l'attractivité des métiers de gendarme ou de policier. Les gendarmes sont soumis à une rotation. Les agents affectés dans une brigade en zone défavorisée, dans laquelle l'exercice de leurs missions est difficile, y restent trois à quatre ans : ils vivent dans l'espoir d'être mutés pour améliorer leurs conditions de vie. Le « turnover » est donc, en effet, important.
Le volume de recrutement, quant à lui, est toujours satisfaisant.
Mme Marie-Pierre de La Gontrie. - Pouvez-vous apporter des précisions sur les heures supplémentaires ?
M. Henri Leroy, rapporteur pour avis. - Auparavant, on favorisait les départs anticipés : aujourd'hui, la situation s'est inversée. Alors que certains, principalement dans la police, acceptaient de partir en retraite plus tôt, ils sont de plus en plus nombreux à souhaiter bénéficier des versements dus au titre de leurs heures supplémentaires.
Mme Marie-Pierre de La Gontrie. - Il est plus sain que les heures supplémentaires soient payées. En effet, l'agrégation des heures à récupérer faisait que les postes étaient maintenus, mais non pourvus, car les personnes quittaient leurs fonctions.
Même si cela ne relève pas de ce budget, je veux évoquer un autre problème, que l'on observe aussi à Paris. Les agents qui habitent à 50 kilomètres de leur lieu de travail préfèrent travailler près de chez eux : cet effet d'éviction touche même les polices municipales.
M. Henri Leroy, rapporteur pour avis. - On constate un transfert des gendarmes et des policiers nationaux vers la police municipale. Les maires qui ont une police municipale sont susceptibles d'augmenter les primes de ces agents, qui rendent des services importants dans leur commune : ils assurent la police administrative, la police routière et exécutent les arrêtés du maire. Les policiers municipaux sont ainsi « choyés » par les maires, ce qui les incite à se rapprocher de leur domicile d'origine pour intégrer une police municipale proche de chez eux. Ce sujet a vocation à être abordée dans le cadre du « Beauvau » des polices municipales.
La commission émet un avis favorable à l'adoption des crédits de la mission « Sécurités » (hors programme « Sécurité civile »).
Projet de loi de finances pour 2025 - Mission « Justice » - Programme « Administration pénitentiaire » - Examen du rapport pour avis
Mme Muriel Jourda, présidente. - Nous examinons maintenant les crédits du programme 107 consacré à l'administration pénitentiaire au sein de la mission « Justice ».
M. Louis Vogel, rapporteur pour avis de la mission « Justice » sur le programme « Administration pénitentiaire ». - Les crédits du programme 107 devraient s'établir en 2025 à 5,24 milliards d'euros, contre 5 milliards d'euros en 2024. Ce niveau historique résulte d'une augmentation des crédits de 4,8 % par rapport à 2024.
Cette augmentation est doublement importante : d'une part, par rapport à l'augmentation de 1,5 % du budget en 2024 ; d'autre part, par rapport à l'augmentation globale du budget de la justice, telle qu'elle figure dans le projet initial, qui est de 1,1 %.
Le Gouvernement présente la perspective budgétaire pour 2025 comme la poursuite de la modernisation du service public pénitentiaire. De fait, les crédits du titre 2 - dépenses de personnel hors pensions - augmentent de 40 millions d'euros au profit de la mise en oeuvre de la réforme de la filière de surveillance, laquelle prévoit notamment la revalorisation des postes et l'augmentation de catégories des personnels, ainsi que la création de 349 emplois supplémentaires.
Ces perspectives budgétaires, si elles sont favorables eu égard à la situation actuelle des finances publiques, ne permettent cependant pas de faire face aux défis auxquels est confrontée l'administration pénitentiaire. Elles ne répondent pas non plus aux impératifs de financement du milieu ouvert et aux ambitions d'une déclinaison de sanctions pénales adaptées. Enfin, comme l'a montré l'audition du garde des sceaux hier, ce projet de loi de finances est l'occasion de redéfinir les priorités de ce programme, notamment la nécessaire réorientation du plan 15 000.
Permettez-moi tout d'abord d'insister sur le fait que l'administration pénitentiaire fait face à une crise d'une ampleur inconnue depuis 1946. Ce constat est le fait non pas d'observateurs extérieurs parfois excessifs, mais de l'administration elle-même.
La crise actuelle repose sur quatre facteurs.
Le premier est, à l'évidence, la surpopulation carcérale : au 1er octobre 2024, 79 631 personnes étaient détenues pour environ 62 000 places opérationnelles. En pratique, 3 600 à 4 000 détenus dorment par terre chaque nuit dans les prisons françaises.
Le deuxième est l'évolution de la population incarcérée : les personnes impliquées dans la criminalité organisée y tiennent une part de plus en plus importante. Environ 15 000 détenus le sont en lien avec le narcotrafic. Le garde des sceaux a annoncé que 300 nouvelles places à l'isolement seraient créées pour les criminels les plus dangereux et mieux brouillées pour éviter les communications avec l'extérieur.
Le troisième est le nombre trop faible d'agents, qui conduit à un taux de couverture insuffisant de la population carcérale. Il y a actuellement 30 600 agents de surveillance au sein de l'administration pénitentiaire ; ce nombre est doublement insuffisant.
Insuffisant, d'une part, au regard de l'organigramme de référence, qui, s'il était respecté, aboutirait à la création de 2 600 postes supplémentaires pour couvrir les besoins de surveillance de 60 000 détenus avec des personnels travaillant 39 heures par semaine.
Insuffisant, surtout, au regard de la réalité de la situation, qui conduit l'administration à estimer que ce ne sont pas 2 600, mais 6 000 postes qui lui manquent. La création de 349 nouveaux postes prévue en 2025 paraît donc être un minimum qui ne permettra pas de combler les manques ni, surtout, de développer des missions rendues nécessaires par l'évolution de la population carcérale, comme le renseignement pénitentiaire.
Le quatrième facteur, l'inadaptation du budget, vient aggraver les trois premiers. En effet, le budget de l'administration pénitentiaire ne lui permet pas d'effectuer les recrutements et investissements nécessaires pour envisager une sortie de crise, à moins d'engager dès à présent des réorganisations profondes. À l'urgence de régler la situation pour 2024 s'ajoutent des questions stratégiques pour 2025.
Permettez-moi de revenir un instant sur l'exécution budgétaire pour 2024. Les crédits gelés depuis février s'élèvent à près de 17 % du budget. Or ce dernier est très rigide puisqu'il compte près de 85 % de dépenses contraintes, ce qui est problématique. Les auditions que j'ai menées m'ont permis de mesurer les effets concrets de ces gels sur les établissements pénitentiaires, dont certains ne peuvent assurer leurs paiements au-delà des dépenses courantes depuis le mois de septembre. Le dégel partiel des crédits pour 2024 apparaît donc comme une nécessité.
Le 31 octobre 2024, nous avons appris que la réduction prévue des crédits de la mission « Justice » serait moitié moins importante qu'annoncée et s'élèverait à 250 millions d'euros, ce qui devrait donner de nouvelles marges de manoeuvre à l'administration pénitentiaire. Je note que l'information du Parlement sur la ventilation de cette somme a été particulièrement incomplète et tardive. Si les circonstances liées à la dissolution justifient certains délais, elles ne les excusent pas.
Le montant des sommes prévues pour l'administration pénitentiaire est significatif. Cependant, cet abondement doit s'accompagner à court terme d'une réorientation des crédits, afin de faire face à la difficulté première du moment : la surpopulation carcérale. Les personnels sont, avec les détenus, les premiers exposés à la crise que connaît cette administration en la matière. Un constat est partagé tant par l'administration que par la Contrôleure générale des lieux de privation de liberté : la promiscuité liée à la surpopulation entraîne une augmentation de la violence et des agressions dans les prisons. Elle conduit à l'impossibilité pratique de gérer la détention autrement que de manière sécuritaire et réduit l'accompagnement et la réinsertion, qui font le sens de la peine et celui du métier.
L'emprise de la criminalité organisée expose également les personnels au risque de menace et de pression, ainsi qu'à celui de compromission et de corruption.
Le 14 mai 2024, l'administration pénitentiaire a connu un drame lors de l'attaque d'un convoi pénitentiaire à Incarville. Cette attaque a entraîné le décès de deux agents pénitentiaires et trois autres ont été blessés, dont deux grièvement. Un protocole d'accord a été signé le 21 mai 2024 entre le garde des sceaux et les organisations syndicales représentatives des personnels, qui comprend 33 mesures pour empêcher qu'un tel événement ne se reproduise. Nous nous félicitons que la mise en oeuvre de mesures de renforcement de la sécurité des agents pénitentiaires soit devenue une priorité et trouve sa traduction dans le budget pour 2025. Les achats de véhicules et d'équipements ont été engagés avec rapidité par l'administration, pour un déploiement rapide auprès des équipes.
Les moyens de visioconférence et l'aménagement permettant la tenue d'audiences dans les établissements ont également été développés et continueront de l'être en 2025.
Plus largement, l'action « Garde et contrôle des personnes placées sous main de justice », qui représentait un peu plus de la moitié des crédits en 2024, en représentera près des trois quarts en 2025.
J'en viens au sujet qui a été au coeur des budgets de l'administration pénitentiaire depuis plus de cinq ans : l'immobilier et la création de nouvelles places de prison. Le 10 novembre dernier, le garde des sceaux a annoncé à la presse que l'objectif de créer 15 000 nouvelles places ne serait pas tenu pour 2027, ce qui a eu le mérite d'officialiser un constat objectif déjà formulé par l'ensemble des observateurs. Hier, le ministre a aussi indiqué que l'objectif de création de ces places serait fixé à l'horizon 2029, que des bâtiments modulaires seraient utilisés d'ici là et que 42 % des places seraient créées à l'horizon 2027, à moyens constants, mais nous savons que constants ils ne le seront pas.
Le projet de budget marque ainsi un tournant dans le « plan 15 000 ». En effet, si les crédits de paiement (CP) augmentent d'un peu plus de 100 millions d'euros, les autorisations d'engagement (AE) baissent de moitié, ce qui correspond à l'état d'avancement du plan.
Les éléments chiffrés sur l'avancement du programme sont difficiles à établir, en raison des confusions entre le nombre de places construites et celles qui relèvent du programme. L'Agence publique pour l'immobilier de la justice (Apij) a indiqué que, sur 50 projets prévus, 48 étaient engagés, qu'elle disposait de la maîtrise du foncier pour 13 400 places, que 12 500 étaient contractualisées et que 6 800 seraient livrées en 2027.
En pratique, les crédits prévus permettront de poursuivre les travaux engagés pour huit établissements pénitentiaires. Il est vraisemblable que, pour les vingt autres, qui atteignent des degrés divers de réalisation - cinq sont en phase d'étude et de conception, dix en appel d'offres et cinq en études préalables -, les travaux seront gelés ou menés largement au-delà de 2027.
Fondamentalement, comme nous l'avions souligné à l'occasion de l'examen du PLF 2024, la construction de places de prison supplémentaires ne peut être la solution à la surpopulation carcérale. Selon l'administration, pour maintenir la parité entre nombres de places et de détenus, il faudrait construire un centre de détention par mois !
Le PLF 2025 offre l'occasion de faire des choix stratégiques pour réorienter les crédits des projets immobiliers vers des actions qui permettraient d'améliorer plus rapidement les conditions de détention, de remplir ainsi les obligations qui incombent à la France et d'améliorer les conditions de travail des personnels. L'entretien des bâtiments et la fermeture des établissements vétustes ou inadaptés doivent devenir la priorité.
Le budget de l'action « Accueil et accompagnement des personnes placées sous main de justice », qui représentait près de 40 % des crédits, n'en représente plus que 18 %. Les frais de fonctionnement des établissements se trouvent réduits de près de 80 % en AE. Cette réduction est en partie due à la conclusion d'un contrat pluriannuel en 2024.
Ces perspectives remettent en question la possibilité de faire face aux besoins des établissements dans les années à venir, ainsi que la possibilité de lutter contre la dégradation des locaux et d'assurer des conditions dignes de détention. Même si les CP consacrés à cette action augmentent légèrement et que les crédits de maintenance des bâtiments en gestion publique, qui représentent des montants modestes, sont maintenus au niveau de 2024, les crédits pour l'entretien des bâtiments seront largement insuffisants.
Je terminerai cet examen en m'intéressant au parent pauvre de la détention : le milieu ouvert. Le nombre de personnes suivies est plus de deux fois supérieur à celui des personnes détenues. Or les crédits alloués à ces missions sont en légère décroissance et s'élèvent à 121,8 millions d'euros, contre 123,2 millions pour 2024, ce qui confirme une attention moindre portée à ces actions, dont l'administration pénitentiaire et les acteurs de terrain soulignent pourtant l'importance.
Les mesures de milieu ouvert sont trop souvent vues comme des alternatives à l'incarcération plutôt que comme des sanctions adaptées. De manière significative, les mesures les mieux financées sont liées au bracelet électronique et sont celles qui s'apparentent le plus à la détention. De même, le recours aux travaux d'intérêt général (TIG), d'abord conçu comme un dispositif de réinsertion, est aujourd'hui utilisé comme une peine et concerne désormais des profils éloignés de la réinsertion. Ainsi, le dispositif devient inadapté et dévoyé. Le temps nécessaire à la mise en oeuvre des TIG en résulte pour partie.
Une revalorisation des mesures de milieu ouvert est nécessaire. Elle doit notamment passer par le développement de l'évaluation et des mesures de suivi, qui permettront de lutter contre la surpopulation carcérale et de permettre le prononcé de peines utiles socialement. Il faut aussi rappeler le coût particulièrement faible des mesures de milieu ouvert, qui s'élève à 5 ou 6 euros par jour, comparé à celui d'une journée de prison, qui atteint 130 euros en moyenne.
En l'état, les mesures de milieu ouvert souffrent non seulement d'un financement insuffisant sur le budget de l'administration pénitentiaire, mais également du désengagement prévisible des collectivités territoriales, soumises à d'importantes contraintes budgétaires.
Le nombre de conseillers d'insertion et de probation paraît insuffisant pour assurer un suivi adapté des personnes, ce que le rapport du Sénat remis par Marie Mercier et Laurence Harribey avait déjà souligné. Sous réserve des amendements à venir, le budget pour 2025 ne respecte pas les objectifs de la loi du 20 novembre 2023 d'orientation et de programmation du ministère de la justice 2023-2027. La part de conseillers manquants a fait l'objet d'estimations variables lors des auditions que j'ai menées et représenterait jusqu'à 40 %. Ce manque de moyens est en décalage avec les objectifs de l'administration pénitentiaire et le rôle que les services pénitentiaires d'insertion et de probation (Spip) pourraient être amenés à jouer en tant qu'experts de la dangerosité et du risque de récidive, notamment au moment du prononcé de la peine. De plus, l'inquiétude demeure autour du nouveau logiciel conçu par les métiers de l'insertion et de la probation, malgré les 80 millions d'euros déjà dépensés.
En dépit de ces difficultés importantes, un rejet des crédits ne pourrait qu'entraîner l'incompréhension : c'est la raison pour laquelle je propose d'émettre un avis favorable à leur adoption. Il faut cependant accompagner notre vote d'un message clair sur la nécessité de sortir de la crise actuelle, en adoptant une politique pénale et carcérale dont l'objectif affiché serait d'assurer la protection de la société et de répondre aux besoins de réinsertion des détenus.
Mme Laurence Harribey. - Pour la deuxième année consécutive, je ne peux qu'aller dans le sens de votre rapport, qui est très révélateur de la situation de l'administration pénitentiaire. Néanmoins, d'une année sur l'autre, cette situation ne change pas et je parviens à une conclusion différente de la vôtre en ce qui concerne le vote des crédits de la mission. Il faut savoir dire non. Ce budget est l'aboutissement de choix qui sont en contradiction avec la volonté de modifier les fondamentaux de la politique carcérale.
En ce qui concerne les places de prison, je prendrai l'exemple du centre pénitentiaire de Bordeaux-Gradignan. J'ai visité ce bel établissement, après m'être rendue deux fois dans l'ancienne maison d'arrêt, dans laquelle j'avais eu des frissons. Cependant, le taux d'occupation y atteint déjà 120 % et 140 matelas sont installés par terre. La construction tous azimuts de places de prison ne résout donc pas le problème.
Le garde des sceaux rappelait hier soir qu'il faut compter 450 détenus supplémentaires chaque mois. Compte tenu de la structuration des établissements, du manque de moyens en matière d'insertion et de suivi de la politique carcérale, du manque de différenciation de traitement des détenus, nous fabriquons de la récidive au lieu de favoriser la réinsertion. Il est fondamental d'opérer un tournant dans la politique immobilière.
J'en viens aux personnels pénitentiaires, dont les cris d'alarme nous saisissent. Il ne suffit pas de créer des postes ; encore faut-il qu'ils soient pourvus. Or le taux de vacance dans ces professions est catastrophique. Nous sommes donc confrontés à une double maltraitance : celle des détenus et celle des personnels, qui conduit à des drames. Le taux de démission et le manque de candidats aux concours montrent qu'il est très difficile d'atteindre les objectifs en la matière. Le garde des sceaux ne nous a pas beaucoup rassurés, même s'il est parvenu à limiter les dégâts et à obtenir une enveloppe supplémentaire de 250 millions d'euros, qui lui permettra juste d'honorer les protocoles d'accord déjà signés.
Enfin, pour que le milieu ouvert ne soit plus le parent pauvre de l'administration pénitentiaire, il faut revoir les fondamentaux de la politique carcérale. Je voudrais revenir à la nécessité de mener un travail de fond sur les peines alternatives et l'exécution des peines. Je sais que c'est au programme, mais je voudrais que ce soit effectif et que nous ne soyons pas obligés de répéter les mêmes choses l'an prochain.
Mme Muriel Jourda, présidente. - Effectivement, c'est au programme et vous être membre et rapporteure de la mission d'information sur l'exécution des peines, qui commencera bientôt ses travaux.
Mme Jacqueline Eustache-Brinio. - Le constat est effrayant, entre manque de moyens, années perdues, promesses non tenues et réalisations trop peu nombreuses. La société a changé depuis quinze ans et nous ne nous sommes pas donné les moyens d'y faire face, en matière tant d'incarcération que d'insertion et de suivi. Enfin, un certain nombre de personnes n'ont pas leur place en prison puisqu'elles sont malades.
En tant que membre de la délégation aux outre-mer, j'ai visité le centre pénitentiaire de Faa'a-Nuutania en Polynésie française. J'ai eu honte et j'ai mis 48 heures à m'en remettre. Il n'y a pas de surpopulation et le personnel n'y est pas menacé, mais il s'agit probablement de la prison la plus indigne du pays. Il y a urgence.
M. Georges Naturel. - Je voudrais aborder la problématique de l'immobilier pénitentiaire en Nouvelle-Calédonie, où des exactions ont récemment eu lieu. La gendarmerie a déployé des enquêteurs supplémentaires, ce qui a permis de retrouver les commanditaires et les auteurs. La justice a aussi fait son travail, mais il faut désormais prévoir la détention des condamnés. Le centre pénitentiaire de Nouméa n'offrant plus de place, certains ont été envoyés dans l'Hexagone, en particulier des jeunes.
La prison de Nouméa se trouve dans les bâtiments du bagne, ce qui vous laisse imaginer sa date de construction. Elle est surpeuplée et indigne. L'État a d'ailleurs été condamné plusieurs fois à ce sujet. La construction d'un nouvel établissement a été annoncée par le précédent garde des sceaux, mais aucun crédit n'est prévu. Si un tel projet était lancé, il ne serait réalisé au mieux qu'en 2030. Que faire en attendant ? Que faire des jeunes que nous incarcérons, ce qui n'est pas le meilleur moyen de leur redonner envie de s'insérer ?
M. André Reichardt. - Le constat est connu depuis quelques années et les crédits ne sont pas à la hauteur des besoins ; nous gérons la pénurie. Je ne suis pas sûr qu'il faille donner un avis favorable, malgré la situation financière du pays.
Comment lutter contre la présence de téléphones portables dans les établissements ? On parle beaucoup de brouillage ; que prévoit-on en la matière ?
En ce qui concerne le programme immobilier, vous avez dit que près de 90 % du foncier était déjà acquis. Y a-t-il encore des blocages de projets liés au refus de certaines communes et populations d'accueillir des établissements pénitentiaires ?
Les besoins en matière de quartiers dédiés aux détenus radicalisés sont-ils couverts ?
Enfin, est-on confronté à un problème de recrutement du personnel dans l'administration pénitentiaire, notamment après le drame d'Incarville ?
Mme Marie Mercier. - Avec la prison, il y a un avant, un pendant et un après. Avant, il faut prévenir, notamment grâce à l'aide à la parentalité et aux bases éducatives. Pendant, il faut se pencher sur la question du travail pour les détenus et de la prise en charge, mais aussi vider les établissements de ceux qui n'ont rien à y faire et relèvent de structures psychiatriques. Après, les questions de la réinsertion et de la lutte contre la récidive se posent. Des budgets sont-ils prévus pour la justice restaurative ?
M. Olivier Bitz. - Le rejet des crédits du PLF 2025 serait mal vécu par l'administration pénitentiaire.
Vous avez évoqué le fait que cette administration est confrontée à sa plus grande crise depuis l'après-guerre, ce qui est vrai. À cette époque, il a été décidé non pas d'augmenter les crédits, mais de procéder à une grande réforme pour reposer la question des fondamentaux et de la gestion de l'incarcération. Nous n'arriverons pas à répondre à la demande seulement en augmentant les crédits ; il faut réformer les peines et la détention.
En détention, la sécurité coûte cher. Or, aujourd'hui, notamment dans les maisons d'arrêt, nous traitons tous les détenus comme s'ils étaient des personnes dangereuses, même s'ils ne posent pas de difficulté particulière au sein de l'établissement. Une gradation des niveaux de sécurité serait nécessaire pour se concentrer sur les détenus dangereux.
Le drame d'Incarville a mis en lumière les questions de sécurité posées par les extractions judiciaires. Par ailleurs, ces extractions consomment des postes budgétaires qui pourraient être mis à profit pour des missions plus traditionnelles. Il faut utiliser davantage la visioconférence et les magistrats doivent accepter de se déplacer. Je ne parle pas ici des juges de l'application des peines (JAP), qui le font déjà. Il s'agirait de rendre la justice de manière plus humaine, mais aussi de renforcer les moyens et la sécurité de nos agents. Je rappelle aussi que, lorsque les missions d'extractions judiciaires sont passées de la responsabilité des forces de sécurité intérieure à celle de l'administration pénitentiaire, plus de 700 postes n'ont pas été transférés.
Pour éviter une explosion des crédits, il faut réfléchir autrement, notamment autour des mesures de milieu ouvert, qui permettent de décider de peines adaptées et de réaliser des économies importantes.
J'en viens au personnel. J'ai récemment visité les deux établissements pénitentiaires de mon département : le centre pénitentiaire d'Alençon-Condé-sur-Sarthe et le centre de détention d'Argentan. Les agents et les organisations syndicales ont exprimé leur ras-le-bol. Les effectifs ne sont pas couverts, un nombre d'heures supplémentaires délirant est demandé aux agents, qui sont épuisés. Nous sommes à bout de souffle. Des mesures ont été prises dans le cadre du protocole d'accord signé après le drame d'Incarville, mais elles ne suffiront ni à développer l'attractivité des postes et la fidélisation des personnels ni à améliorer les conditions de travail de l'École nationale d'administration pénitentiaire (Enap), qui doit former les agents toujours plus rapidement.
Mme Marie-Pierre de La Gontrie. - Je partage ce qui a été dit par le rapporteur mais pas sa conclusion.
Je ne comprends pas pourquoi il faudrait construire des quartiers spécifiques pour brouiller les communications, comme l'explique le garde des sceaux. Certes, la question des riverains peut se poser. De plus, les personnels pénitentiaires veulent conserver leur téléphone, alors qu'ils n'en ont théoriquement pas le droit. Pourquoi ne pas mettre des brouilleurs dans les cellules concernées plutôt que de construire des quartiers spécifiques ? Pourrait-on formuler une préconisation en ce sens ?
Quand aura-t-on le courage d'aborder le sujet de la régulation carcérale ? Nous construisons des prisons, qui sont toujours surpeuplées. Sachant que les peines sont de plus en plus longues, il va falloir prendre des décisions et travailler à cette question.
M. Teva Rohfritsch. - La Polynésie française est confrontée à un paradoxe puisque nous accueillons, à la fois, le centre de détention très moderne de Tatutu - ce qui se fait de mieux - et l'établissement de Faa'a-Nuutania, maison d'arrêt et centre de détention pour femmes qui continue de se dégrader, malgré quelques rustines et coups de peinture, et dont la situation est très inquiétante en termes de délabrement et d'insalubrité. De plus, les catégories de prévenus y sont mélangées et des violences y ont lieu régulièrement.
La France a été condamnée par la Cour européenne des droits de l'homme (CEDH) en 2020. Dans son rapport du 16 juin 2022, l'Observatoire international des prisons (OIP) pointe du doigt le fait que la situation n'a pas avancé. Un effort a été fourni pour limiter la promiscuité avec l'ouverture du centre de Tatutu. Ainsi, si le taux d'occupation était de 150 % à 200 %, il est aujourd'hui de 100 % à 120 %. En raison de la flambée du narcotrafic, il augmente de nouveau. Les conditions de détention y restent inacceptables pour la République.
M. Michel Masset. - Malgré la qualité de son travail, nous ne suivrons pas l'avis du rapporteur.
J'aimerais connaître le nombre de détenus qui sont en préventive.
Je voudrais aussi vous alerter sur le niveau très bas de recrutement des agents de la pénitentiaire, dû au manque d'attractivité de la profession.
M. Alain Marc. - Nous évoquons la surpopulation carcérale, mais j'aimerais avoir accès à une comparaison internationale. J'ai reçu récemment le président de la Cour constitutionnelle de Taïwan, qui indiquait que son pays compte 40 000 détenus pour 23 millions d'habitants.
Par ailleurs, nous avons beaucoup entendu que les maires s'opposaient à la construction des prisons et que les établissements devaient être situés dans des bassins de délinquance. Au nom de quelle doctrine s'attache-t-on à ce dernier point ? Certains maires seraient favorables à accueillir des prisons, dans des lieux qui ne sont pas forcément situés dans ces bassins. Nous pourrions ainsi augmenter le nombre de places disponibles.
M. François Bonhomme. - La maison d'arrêt de mon département connaît un taux d'occupation de 160 % et de nombreux détenus dorment sur des matelas au sol. Les conditions de travail des personnels y sont dégradées et les ateliers professionnels ne sont pas toujours assurés, faute de personnels disponibles ou de taux de vacance élevés.
J'ai le sentiment que plus nous faisons d'annonces, moins nous construisons de places de prison. Le garde des sceaux a admis que l'objectif de 15 000 places pour 2027 n'était pas tenable. Le précédent avait déjà reconnu les difficultés et l'inertie rencontrées en la matière. Un nouvel objectif de 6 800 places a été annoncé à l'horizon 2027. Au-delà des aléas techniques et environnementaux, des problèmes de foncier et d'acceptabilité, est-il possible d'avoir les leviers nécessaires - pas seulement financiers - pour réévaluer ce chiffrage ?
Enfin, le rapporteur mentionne 76 600 détenus et le garde des sceaux évoque le chiffre de 62 000 places de prison ; comment expliquer ce décalage ?
M. Louis Vogel, rapporteur pour avis. - Madame Harribey, nos conclusions diffèrent. D'abord, il faut tenir compte des circonstances et de la crise financière. Or le budget de la justice et de l'administration pénitentiaire augmente malgré tout, ce qui est exceptionnel. De plus, les engagements par rapport aux personnels sont tenus. Enfin, le garde des sceaux reconnaît la situation et, pour la première fois, considère qu'il faut dire la vérité : nous n'y arriverons pas en construisant plus de prisons et il faut des modes nouveaux d'enfermement. Nous devons lui en faire crédit, et nous jugerons l'année prochaine.
Madame Eustache-Brinio, je suis d'accord sur le fait que beaucoup de détenus ne devraient pas être en prison, notamment ceux qui ont des problèmes psychiatriques et qui sont à l'origine de 80 % des incidents. Nos surveillants ne sont pas formés pour les soigner. Il s'agit d'un problème de diversification des modes d'enfermement, que la construction de nouvelles prisons ne résoudra pas.
La prison de Faa'a-Nuutania doit être détruite et remplacée. Nous verrons si le garde des sceaux comprend qu'il y a des priorités dans ce qui reste à faire.
Monsieur Naturel, la surpopulation chasse les détenus ailleurs. Il faut trouver d'autres solutions : changer le système et la politique pénale.
Les brouilleurs sont financés dans le projet de budget, mais des problèmes techniques se posent. Je note le paradoxe de la proposition du garde des sceaux qui acte le fait que des téléphones sont disponibles jusque dans les cellules d'isolement.
Il faut aussi procéder à une gradation des établissements, pour adapter nos prisons aux prisonniers et pas l'inverse. Certaines doivent être très sécurisées alors que, dans d'autres, il n'est pas nécessaire de gaspiller de l'argent car les prisonniers n'ont pas particulièrement besoin d'être encadrés.
La construction de prisons se heurte à des oppositions locales. Certaines doivent être remplacées de façon urgente, comme celle de Melun, qui est inondable.
Madame Mercier, les crédits pour la justice restaurative ne relèvent pas du programme.
Monsieur Bitz, je suis d'accord sur les extractions. À Fleury-Mérogis, j'ai vu les équipements permettant d'organiser des visioconférences, ainsi que la salle d'audience. Il faudrait avoir davantage recours à ce type de dispositif. La mentalité des magistrats doit évoluer, et ces derniers doivent interagir davantage avec l'administration pénitentiaire.
La régulation carcérale n'est pas une solution en soi. Il faut changer de politique pénale car c'est à l'entrée de la prison qu'il faut agir, pas à la sortie.
Monsieur Masset, le pourcentage de détenus à titre provisoire s'élève à 28 % de la population carcérale totale. Il s'agit d'une question importante. Par ailleurs, il me semble que le système de comparution immédiate est à revoir.
Monsieur Marc, j'aimerais aussi avoir davantage d'informations sur le niveau de sévérité des juges, le nombre de personnes détenues et les différentes formes de détention dans les autres pays. Nos juges sont de plus en plus sévères car les textes prévoient des peines de plus en plus lourdes. Le législateur doit mieux s'attacher au respect de l'échelle des peines. Mieux vaut appliquer des peines moins lourdes, mais le faire rapidement après la commission du délit.
Monsieur Bonhomme, nous comptons quasiment 80 000 détenus pour 62 000 places de prison. Les chiffres du ministère de la justice ne correspondent pas toujours à la réalité et il est difficile pour le législateur de se faire une idée précise de la situation.
La commission émet un avis favorable à l'adoption des crédits du programme 107 « Administration pénitentiaire » de la mission « Justice ».
Projet de loi de finances pour 2025 - Mission « Pouvoirs publics » - Examen du rapport pour avis
Mme Muriel Jourda, présidente. - Nous examinons à présent les crédits de la mission « Pouvoirs publics ».
M. Éric Kerrouche, rapporteur pour avis sur la mission « Pouvoirs publics ». - La mission comporte les crédits de la présidence de la République, de l'Assemblée nationale, du Sénat, de la chaîne parlementaire, du Conseil constitutionnel et de la Cour de justice de la République.
Le budget total s'élevait initialement à 1 156,5 millions d'euros pour 2025, soit une hausse de 1,64 % par rapport à l'année précédente. Cette augmentation concernait les crédits de toutes les institutions de la mission, à l'exception de ceux du Conseil constitutionnel et de la Cour de justice de la République. Elle correspondait en partie à une indexation sur l'inflation de la dotation sollicitée.
Cependant, la présidence de la République, l'Assemblée nationale et le Sénat ont renoncé à l'augmentation qu'ils avaient demandée. Ces institutions représentant 95,4 % des crédits de la mission, la dotation sera probablement équivalente à celle de 2024 au terme du débat parlementaire.
On peut se féliciter de la participation de la présidence de la République et des assemblées parlementaires à l'effort commun demandé aux citoyens et aux administrations pour redresser nos finances publiques. Cependant, je déplore fortement la baisse continue des ressources de la démocratie parlementaire, qui pèse sur notre capacité d'action collective, en grande partie dépendante des moyens humains dont nous disposons pour mener nos travaux législatifs et de contrôle. À cet égard, nos équipes de collaborateurs sont notoirement trop peu nombreuses et leurs rémunérations sont trop contraintes.
Il ne faut pas refuser le coût de la démocratie parlementaire, qui est essentiel à un fonctionnement équilibré de notre régime politique, notamment pour contrebalancer les moyens d'expertise de l'exécutif, qui sont bien plus importants.
Je partage les réflexions engagées par Grégory Blanc, rapporteur spécial de la commission des finances, qui visent à comparer les moyens affectés, toutes proportions gardées, aux différents parlements des États européens, et dans lesquelles je m'inscrirai pleinement.
J'en viens à la présentation des crédits. La dotation demandée par la présidence de la République progressait initialement de 2,5 % par rapport à l'exercice précédent et s'établissait à environ 126 millions d'euros. Cette augmentation était la plus importante de la mission, tirée par l'augmentation des dépenses de personnel, qui devaient s'élever à environ 80 millions d'euros, soit une hausse de 3,9 %. Il convient de s'interroger sur le dimensionnement des dépenses de personnel de la présidence, notamment lorsqu'elles sont rapportées aux moyens humains mis à disposition des assemblées parlementaires. À elle seule, la présidence de la République représente un tiers du budget du Sénat.
Toutefois, il faut reconnaître les efforts fournis depuis un an pour rationaliser les dépenses de fonctionnement et de déplacement. Si ces dépenses ont respectivement augmenté de 25,2 % et de 40,7 % entre 2022 et 2024, les services de la présidence sont parvenus à les stabiliser en 2024. Pour l'exercice budgétaire à venir, la volonté de rationalisation a été illustrée par de multiples exemples. Ainsi, les « déplacements couplés » sont désormais privilégiés, qui permettent de visiter plusieurs pays situés dans une même zone géographique au cours d'un même voyage.
Les dépenses d'investissement baisseront, traduisant notamment la fin des travaux relatifs à la Maison Élysée et à la géothermie. Ces derniers permettront de faire baisser substantiellement, à hauteur de 87 %, les émissions de carbone de la présidence. Il s'agit d'une bonne initiative, au coût important, qui sera rapidement rentabilisée grâce aux économies de fluides, évaluées à 250 000 euros par an.
Le renoncement à l'augmentation de la dotation initialement sollicitée devrait limiter l'ampleur des dépenses puisque, conformément au communiqué de la présidence et au terme du débat parlementaire, la dotation finalement perçue sera équivalente à celle de 2024, soit un peu moins de 123 millions d'euros. Néanmoins, cette dotation a été largement revalorisée au cours des derniers exercices : entre 2017 et 2024, alors que l'inflation cumulée a été de 17,7 % sur la période, les crédits de la présidence ont augmenté de 23 %. Le contraste est fort avec ce que connaissent les assemblées parlementaires.
Dans ses nouvelles prévisions budgétaires, la présidence prévoit un total de dépenses de 125,6 millions d'euros, à comparer aux 128,7 millions initialement envisagés. Cette diminution sera notamment répercutée sur les dépenses d'investissement, en baisse de 18,1 %, et sur les dépenses de personnel, dont la progression sera contenue à 1,3 % grâce à des suppressions de postes. Je m'interroge néanmoins sur l'importance des crédits liés aux activités présidentielles, en hausse de 35,3 % dans le budget révisé. Cette augmentation n'est ni détaillée ni justifiée.
Malgré la renonciation à l'augmentation de leur dotation, les services de la présidence ont annoncé maintenir leur objectif de reconstituer une trésorerie très affectée par les choix budgétaires. Les disponibilités sont passées de 22,9 millions d'euros en 2017 à 3 millions d'euros en 2023. J'appelle à être particulièrement attentif à ce point.
J'en viens aux crédits des deux assemblées. Initialement, ils devaient augmenter à hauteur de l'inflation, soit de 1,7 %, pour s'établir à 618 millions d'euros pour l'Assemblée nationale et à 359,5 millions d'euros pour le Sénat. Ces dotations seront finalement équivalentes à celles perçues en 2024 : 607,6 millions d'euros pour l'Assemblée nationale et 353,5 millions d'euros pour le Sénat.
Entre 2018 et 2024, alors que l'inflation cumulée sur la période a été de 17,15 %, la dotation de l'Assemblée nationale a progressé de 17,34 %, tandis que celle du Sénat n'a progressé que de 9,24 %. Je rappelle également que les dotations sollicitées par l'Assemblée nationale ont stagné de 2012 à 2021 et celles du Sénat de 2013 à 2021. J'aimerais mettre en garde nos institutions contre la mise en oeuvre d'une concurrence institutionnelle d'affichage entre les deux assemblées, qui ne peut aboutir qu'à l'affaiblissement des moyens effectifs de l'exercice démocratique.
En outre, le budget nécessaire au fonctionnement des assemblées comporte des dépenses liées à l'entretien et à la modernisation d'un patrimoine commun. Pour éviter une confusion budgétaire entre les moyens affectés au fonctionnement de nos institutions et ceux destinés à l'entretien du patrimoine, j'appelle à envisager la création d'une dotation dédiée à cet entretien, pour les futurs exercices budgétaires.
L'Assemblée nationale prévoyait initialement un budget de 643,2 millions d'euros de dépenses, en hausse de 3,4 %. Cette évolution s'explique notamment par les conséquences financières de la dissolution du 9 juin 2024, par la progression structurelle des charges de personnel, par la persistance des effets de l'inflation et par une progression des dépenses d'investissement, tirées par de dynamiques investissements immobiliers. Ces 643,2 millions d'euros de dépenses sont à mettre en regard des ressources, estimées à 620,1 millions d'euros. Le déficit budgétaire prévisionnel, qui s'élève donc à 23,1 millions d'euros, sera compensé par un prélèvement sur les réserves de l'Assemblée nationale, qui sont de plus en plus faibles.
En ce qui concerne le Sénat, les dépenses sont estimées à 378,9 millions d'euros et ne sont couvertes ni par la dotation de l'État ni par le produit des ressources propres. Le budget sera équilibré par un prélèvement sur les disponibilités de 18,7 millions d'euros. La soutenabilité de ce mode de financement sera probablement remise en question au cours des exercices futurs, en particulier à compter de 2026, puisque de nombreux chantiers devront être engagés pour entretenir et préserver le patrimoine historique du Sénat.
En ce qui concerne le Conseil constitutionnel, les crédits demandés présentent une diminution de 6 %, passant de 17,9 millions à 16,8 millions d'euros. Je précise que la dotation du Conseil constitutionnel a bénéficié l'année dernière d'une revalorisation importante, du fait d'une enveloppe exceptionnelle affectée aux travaux de rénovation de l'accueil de la rue de Montpensier. Ce chantier, qui touche à sa fin, a permis de renforcer la sécurité des lieux, tout en garantissant leur accessibilité aux personnes extérieures. Il a également été l'occasion de procéder à un raccordement au futur réseau de climatisation Fraîcheur de Paris.
En conséquence, les dépenses d'investissement prévisionnelles sont en baisse de 0,8 million d'euros. La dotation sollicitée par le Conseil constitutionnel reste toutefois en augmentation relative, si l'on compare la diminution de 6 % des crédits avec leur hausse de 34,9 % l'année précédente. Les services du Conseil constitutionnel ont indiqué que la dotation pour 2025 visait en particulier à reconstituer une marge de trésorerie suffisante. Le Conseil est dans la même situation que les autres institutions quant à ses ressources propres. Sa trésorerie a été presque intégralement consommée, les déficits budgétaires des exercices précédents ayant été financés par des prélèvements sur disponibilités.
Le Conseil envisage de consacrer 14,5 % de son budget à l'action « Relations extérieures et communication ». J'aimerais souligner le dynamisme du Conseil constitutionnel dans ses activités de communication, qui visent à diffuser une culture juridique et la connaissance de l'outil QPC (question prioritaire de constitutionnalité). La poursuite de la tenue d'audiences hors les murs et des déplacements des membres du Conseil participent de la diffusion d'une bonne connaissance juridique.
Cependant, je regrette de ne pas disposer, cette année encore, d'éléments d'information plus exhaustifs sur les prévisions d'exécution du budget du Conseil et je l'invite à veiller, de manière plus attentive à l'avenir, à la qualité et à la transparence des informations budgétaires transmises, ainsi qu'à la qualité de ses prévisions. À ce titre, la surexécution systématique de ses dépenses de fonctionnement pose question.
Je n'ai pas de remarque particulière à faire sur la Cour de justice de la République (CJR) - sauf une, qui est tout de même essentielle : son loyer représente plus de la moitié de ses dépenses ! Sans mettre en cause la responsabilité de la Cour, je m'interroge sur la rationalité des choix immobiliers dont elle est tributaire. Un loyer de plus de 500 000 euros pour loger une institution composée de huit personnes n'apparaît pas justifiable. En outre, l'acquittement de ce loyer revient à attribuer à un acteur privé une rente de situation, à rebours des principes de bonne gestion des deniers publics.
En conclusion, l'analyse de l'évolution des dotations dans le temps permet de dégager deux tendances générales.
D'une part, les dotations sollicitées par les institutions de la mission « Pouvoirs publics » sont structurellement insuffisantes pour couvrir leurs dépenses. En conséquence, ces institutions équilibrent leur budget via des prélèvements sur leurs trésoreries respectives, conduisant au tarissement progressif de celles-ci.
D'autre part, il apparaît que les institutions de la mission « Pouvoirs publics » prennent part à une forme de concurrence institutionnelle, visant à l'affichage d'une certaine vertu budgétaire. Si je souscris évidemment à la participation de nos institutions à l'effort budgétaire demandé à tous, je m'inquiète de l'amenuisement des moyens des institutions parlementaires, essentielles au bon fonctionnement de notre régime politique.
Telles sont les quelques remarques que je souhaitais vous présenter, au terme desquelles je vous propose de donner un avis favorable à l'adoption des crédits de la mission « Pouvoirs publics », du fait du contexte budgétaire.
M. Hussein Bourgi. - Je remercie notre collègue Éric Kerrouche pour son rapport. Je souhaiterais reprendre certains de ses propos dans des termes moins policés...
Dans un mouvement général, unanime, toutes les institutions ont décidé de renoncer à une augmentation de dotations, pourtant nécessaire, afin de répondre à la demande d'économies budgétaires.
À la présidence de la République, l'effort portera principalement sur les emplois - pourquoi pas ! Je m'interroge néanmoins sur l'intérêt de la frénésie de déplacements à l'étranger et sur l'augmentation substantielle du budget de réception de l'Élysée. On ne peut pas faire porter l'effort de la rigueur sur le personnel, tout en affichant un accroissement de 35 % de ce budget.
Les deux chambres - Sénat et Assemblée nationale - ont elles aussi voulu prendre leur part. Mais toute élection est source de dépenses... La dissolution et les élections législatives de 2024 ont nécessairement engendré des dépenses exceptionnelles pour l'Assemblée nationale. Si, « par accident », une nouvelle dissolution devait survenir l'an prochain, je ne suis pas certain que le budget prévu lui permette de remplir ses missions et obligations, à moins d'épuiser toutes ses réserves. De même, le Sénat ne pourra pas maintenir l'effort qu'il a consenti cette année, du fait du renouvellement partiel de septembre 2026. Il ne faudrait pas que nous nous imposions, au motif d'être vertueux, des choix qui - passez-moi l'expression - nous mettraient dans la seringue.
En ce qui concerne le Conseil constitutionnel, quand on est garant de la loi fondamentale, sourcilleux du respect des textes, il faut s'imposer à soi-même un minimum de rigueur dans la justification de ses dépenses. Sans faire offense aux membres, y compris les plus éminents, de cette institution, il me semble que c'est entendable.
Je termine par la CJR : une institution qui consacre la moitié de son budget au paiement de son loyer, c'est inadmissible, indécent et immoral ! Ce n'est pas acceptable ! La Cour peut tout à fait siéger ailleurs, dans des quartiers de Paris moins onéreux.
Mme Sophie Briante Guillemont. - Avez-vous plus d'informations sur les déplacements du Président de la République à l'étranger ? Si je prends le seul exemple du Maroc, la délégation comptait 130 personnes. C'est énorme !
J'entends qu'il y a un manque de transparence au niveau du Conseil constitutionnel. Mais notons que certains de ses membres n'ont même pas un assistant personnel à leur disposition. En comparaison d'un juge de la Cour suprême des États-Unis ou d'autres exemples internationaux, il y a clairement une sous-dotation. Des demandes sont-elles formulées pour accroître les moyens en personnel ?
Mme Catherine Di Folco. - Je voudrais apporter un correctif aux propos de Hussein Bourgi. La CJR, dont je suis membre, siège dans les locaux du palais de justice, et non rue de Constantine où se trouvent les bureaux.
M. Hussein Bourgi. - C'est encore pire !
Mme Catherine Di Folco. - Le rapporteur a indiqué que l'institution est composée de huit agents. Sans doute faudrait-il plus de précisions sur le fonctionnement. Je pense que le travail d'instruction des dossiers et les auditions se font rue de Constantine.
M. Olivier Bitz. - Je salue la stabilisation des crédits demandés par le Sénat. Il est toujours difficile de mesurer l'intérêt d'une demande de crédits sans prendre en compte les réserves existantes, naturellement destinées à servir d'ajustement en période de crise. Je le dis sans esprit polémique : c'était la moindre des choses que l'on pouvait faire ; on ne peut pas demander des efforts à tout le monde et s'en exonérer !
M. Éric Kerrouche, rapporteur pour avis. - S'agissant des déplacements du Président de la République, il y a une délégation officielle, sur laquelle la présidence à la main, et une délégation non officielle.
Sans que l'on puisse me soupçonner de défendre la présidence de la République, je voudrais tout de même apporter quelques précisions factuelles. Tout d'abord, une partie de l'augmentation des frais de réception est liée à une volonté de minimiser les déplacements. Ensuite, ce n'est pas nécessairement le Président de la République qui décide de ses déplacements - le déplacement en Nouvelle-Calédonie, par exemple, est imposé par l'actualité. Enfin, des explications rationnelles nous ont été données par l'Élysée sur la question. Je pense notamment à l'explosion des prix des chambres d'hôtel : lors d'un déplacement, toutes les délégations se rendent au même endroit et certaines négociations avec les spécialistes de l'hôtellerie ne sont plus possibles depuis la crise du covid.
Pour autant, le manque de transparence quant à l'augmentation finale demandée dans le budget 2025 pose problème.
De mémoire, le coût de la dissolution est de 28,4 millions d'euros. Cela nous donne une idée des conséquences financières, si l'exercice devait être reproduit l'an prochain.
Il n'y a pas de pouvoir judiciaire en France ; il y a une autorité judiciaire comme l'indique la Constitution. Le statut actuel du Conseil constitutionnel n'a plus rien à voir avec ce qu'il était en 1958, l'instance ayant un développement endogène. Néanmoins, je reconnais que ce statut est un entre-deux et qu'il faudrait le revoir. Avons-nous besoin d'une cour constitutionnelle, au sens où on l'entend dans certains pays ? Je ne sais pas, mais nous avons besoin d'un Conseil constitutionnel jouant pleinement son rôle.
Sur la CJR, que les choses soient claires : il ne s'agit pas de prétendre que cette institution, dont le sort est en suspens depuis sa constitution, a un fonctionnement problématique, ou de s'arrêter sur le fait que, certes, du travail est réalisé dans les bureaux de la rue de Constantine, mais une partie seulement. Le problème, en réalité, est non pas qu'il y ait, ou non, des réunions rue de Constantine, mais qu'un choix se soit enraciné dans le temps et que la renégociation du loyer, pour des sommes considérables, soit passée comme une lettre à la poste. C'est symptomatique de la façon dont est géré l'immobilier de l'État, et c'est ce qui pose problème.
M. Hussein Bourgi. - Que peut-on faire pour remédier à ce genre de situations ?
M. Éric Kerrouche, rapporteur pour avis. - La CJR ne gère pas ses propres locaux, et cette remarque nous ramène au problème global de la gestion du patrimoine. Prenons le cas de l'Élysée : il n'est pas totalement maître de la planification des travaux sur son patrimoine, car celui-ci est géré par l'Opérateur du patrimoine et des projets immobiliers de la culture (Oppic), qui dépend du ministère de la culture.
Autre exemple avec l'Assemblée nationale et le Sénat : chaque chambre se situe dans des locaux patrimoniaux et doit consacrer une partie de son budget à la gestion de ce patrimoine. Cette dimension patrimoniale mériterait manifestement une gestion plus fine et rigoureuse.
La commission émet un avis favorable à l'adoption des crédits de la mission « Pouvoirs publics ».
Projet de loi de finances pour 2025 - Mission « Outre-mer » - Examen du rapport pour avis
Mme Muriel Jourda, présidente. - Nous passons à l'examen du rapport pour avis sur la mission « Outre-mer ».
M. Teva Rohfritsch, rapporteur pour avis sur la mission « Outre-mer ». - Dans le cadre de l'examen du projet de loi de finances pour 2025, il me revient aujourd'hui de vous présenter les crédits de la mission « Outre-mer », dont notre commission s'est saisie pour avis.
Le projet de loi de finances (PLF) pour 2025 prévoit une forte baisse des crédits de cette mission, ainsi que, plus globalement, de l'effort financier global de l'État en faveur des outre-mer ; je rappelle, à ce propos, que les crédits de la mission « Outre-mer » ne représentent que 14 % des crédits alloués aux outre-mer.
Les crédits de la mission diminueraient ainsi de plus de 12 % en autorisations d'engagement (AE) et de 9 % en crédits de paiement (CP).
Si l'on rentre un peu plus dans le détail, on constate une légère augmentation des crédits du programme 138 « Emploi outre-mer », qui vise à améliorer la compétitivité des entreprises situées en outre-mer. Il s'agit toutefois d'une hausse à reconsidérer, car elle est liée à l'augmentation des compensations d'exonérations de cotisations sociales dont bénéficient les entreprises ultramarines au titre du dispositif dit « Lodéom ».
Tous les autres dispositifs financés par ce programme subissent des baisses importantes de leurs crédits, parmi lesquels des dispositifs d'une importance cruciale pour le développement économique des outre-mer. Je pense, par exemple, aux prêts de développement outre-mer, lancés en 2017, qui permettent à des petites et moyennes entreprises (PME) ultramarines d'accéder à des financements pour développer leur activité, et sans lesquels ces entreprises ne pourraient se financer, le coût du financement privé étant plus élevé outre-mer que dans l'Hexagone. Autre exemple : l'aide au fret, permettant de compenser les surcoûts de transports de marchandises liés à l'éloignement des collectivités ultramarines, qui favorise ainsi la production locale tout en faisant baisser les prix pour les consommateurs. Je rappelle, à ce titre, que les prix sont beaucoup plus élevés en outre-mer : chez moi par exemple, en Polynésie, les prix de l'alimentation sont 51 % plus élevés qu'en métropole !
Je regrette aussi les autres diminutions de crédits qui empêcheront l'extension du dispositif « Cadres d'avenir », pourtant utile, ou encore la baisse de la subvention pour charges de service public de l'Agence de l'outre-mer pour la mobilité (Ladom), acteur essentiel de la formation professionnelle, qui exerce une mission capitale au vu des taux de chômage constatés dans nos collectivités.
Le programme 123 « Conditions de vie outre-mer » voit ses crédits amputés de plus d'un tiers, tant en AE qu'en CP. Je constate de plus d'importantes disparités entre les lignes budgétaires : ainsi, les financements relatifs à l'aménagement du territoire connaissent une baisse massive de plus de 75 % de leurs crédits !
Là encore, les économies prévues apparaissent mal ciblées puisqu'elles diminuent les moyens de dispositifs qui sont cruciaux pour les outre-mer.
Je constate d'abord une diminution des crédits de la ligne budgétaire unique (LBU), alors que 150 000 habitats indignes et insalubres sont encore recensés dans les territoires ultramarins, et que les besoins en logements, notamment sociaux, ne cessent de s'accroître.
Les moyens alloués à la continuité territoriale diminuent également, alors qu'il s'agit de dispositifs majeurs pour les populations ultramarines. Ils permettent, par exemple, de financer une partie des frais liés aux transports pour les étudiants inscrits dans une université en dehors de leur collectivité de résidence. Les crédits prévus risquent donc de ne pas couvrir tous les besoins, au moment où de nouveaux dispositifs d'aide à la continuité territoriale, créés par la loi de finances pour 2024, devraient entrer en vigueur en 2025 et engendrer un besoin budgétaire supplémentaire.
L'appui aux collectivités territoriales connaît aussi une forte baisse.
Comme je l'ai déjà évoqué, la baisse des crédits relatifs à l'aménagement du territoire - crédits permettant le financement de projets d'investissements structurants portés par les collectivités territoriales - touchera notamment les moyens affectés aux contrats de convergence et de transformation (CCT), un dispositif de cofinancement d'opérations d'investissement visant à réduire les écarts de développement avec la métropole.
S'ajoute à cela une diminution des moyens dédiés aux collectivités territoriales, qui empêchera la construction d'équipements scolaires en Guyane en 2025, ou encore la signature de nouveaux contrats de redressement en outre-mer (Corom), au bilan pourtant positif.
Enfin, les crédits du fonds exceptionnel d'investissement (FEI) diminuent, limitant les moyens pour financer certains équipements collectifs, alors qu'ils sont déterminants pour le développement économique et social des territoires concernés.
Cette baisse des crédits de la mission « Outre-mer » intervient, il est vrai, dans un contexte de déficit public élevé ; celui-ci devrait atteindre, voire dépasser, 6,1 % du PIB en 2024. Ce contexte nous oblige à réaliser des économies pour garantir la soutenabilité de la dette publique, alors que la France fait l'objet, depuis juillet 2024, d'une procédure de déficit excessif à l'initiative de la Commission européenne.
Dans le cadre de ce nécessaire redressement des finances publiques, la quasi-intégralité des missions budgétaires voient donc leurs crédits diminuer. Si je souscris, bien évidemment, à la nécessité d'endiguer la dégradation des finances publiques et de diminuer le déficit public, je constate toutefois que les collectivités ultramarines sont confrontées à des difficultés économiques et sociales persistantes, et que le budget qui leur est octroyé en temps normal est déjà faible au regard des enjeux.
Parmi ces enjeux, je citerai notamment un taux de chômage plus élevé que dans l'Hexagone - 34 % à Mayotte -, un fort taux de pauvreté - 900 000 personnes sont sous le seuil de pauvreté en outre-mer -, des prix plus élevés qu'en métropole, des difficultés d'accès à l'eau potable, un nombre important d'habitats insalubres ou indignes, sans oublier la nécessité de reconstruire la Nouvelle-Calédonie au lendemain des émeutes.
Les tensions économiques et sociales se sont, de plus, aggravées au cours de l'année 2024. Je viens d'évoquer la crise consécutive au projet de réforme du corps électoral en Nouvelle-Calédonie, qui a provoqué le décès de treize personnes, plus de 2,2 milliards d'euros de dégâts et la destruction de 6 000 emplois. Les manifestations contre la cherté de la vie, qui se sont déclenchées en Martinique depuis septembre 2024, ont entraîné des violences et la mise en place d'un couvre-feu. La crise de l'eau à Mayotte, placée sous pression migratoire, a privé d'eau la moitié sud de l'île pendant vingt-quatre heures, voilà une semaine. Nous pourrions multiplier les exemples...
Dans ce contexte, nous ne pouvons que déplorer la diminution des crédits de la mission « Outre-mer », qui ampute de leur budget des dispositifs pourtant cruciaux, ayant prouvé leur efficacité. Cette diminution de crédits ne peut qu'aggraver les problématiques rencontrées par les territoires ultramarins au cours de l'année 2024.
Je relève toutefois l'engagement pris par le Gouvernement : le ministre du budget et des comptes publics, le 12 novembre dernier, à l'Assemblée nationale, a ainsi annoncé une hausse substantielle des crédits, pour se rapprocher du niveau des crédits ouverts par la loi de finances initiale pour 2024. Cet engagement a été confirmé par le ministre des outre-mer, François-Noël Buffet, hier, lors de son audition par la commission des lois. Ce « combat », pour reprendre ses termes, doit reposer sur la stabilité et la confiance sur lesquelles il souhaite fonder son action. Je souscris aux annonces faites dans ce cadre, et ce sans naïveté, puisque le ministre s'est engagé à travailler avec l'ensemble des rapporteurs sur des ajustements à venir.
Si le seul maintien des crédits ouverts en 2024 ne permettra pas de résoudre l'ensemble des problématiques auxquelles font face les collectivités ultramarines, il s'agit toutefois d'un compromis que j'estime acceptable, au vu de la situation financière de notre pays.
De ce fait, et compte tenu de l'engagement pris par le ministre hier, je vous propose de donner un avis favorable à l'adoption de ces crédits. Il nous faudra néanmoins rester vigilants, d'ici à l'examen en séance publique du PLF, aux annonces du ministre des outre-mer et au détail des abondements de crédits qui seront apportés et, je l'espère, votés par notre assemblée.
Mme Jacqueline Eustache-Brinio. - Je remercie le rapporteur pour son travail. Il s'est montré très critique sur ce budget 2025, mais cette analyse critique doit être mise en lien avec le constat - sévère - de tout ce qui n'a pas été fait dans les outre-mer au cours des dernières années. Qu'avons-nous fait jusqu'à présent ?... Quatre ministres se sont succédé à ce ministère en deux ans. Dans un tel contexte, il est compliqué de construire une ligne et une vision pour des territoires, qui, rappelons-le, ont chacun leurs spécificités !
Je veux insister sur ce point : au-delà de l'unité de la Nation, il faut prendre en compte les spécificités de chaque collectivité ultramarine et, comme le ministre l'a dit hier, avoir une vision et des objectifs pour chaque territoire ultramarin. Ce n'est pas ce qui a été fait pendant des années : on a distribué de l'argent, mais quelle était la vision ? On peut regretter, aujourd'hui, une diminution du budget ; dans le même temps, tout le monde doit faire des efforts face à une réalité extrêmement complexe. Je suis persuadée que si, ensemble, indépendamment de nos appartenances politiques, nous travaillons une vision à court, moyen et long termes pour chacun de ces territoires, nous pourrons faire de belles choses.
M. Hussein Bourgi. -Avant l'audition de François-Noël Buffet devant la commission hier, nous nous apprêtions à voter contre ces crédits. Nous allons finalement nous abstenir, dans l'attente des améliorations qui seront apportées d'ici au vote dans l'hémicycle. Nous sommes tous conscients des défis et enjeux qui concernent les outre-mer : sargasses, chlordécone, cherté de la vie, désespérance de la jeunesse, fracture territoriale et sociale, etc.
Parmi les diminutions de crédits, la baisse de 75 % de l'aide au fret nous a interpellés. On parle de produits de première nécessité, qui sont déjà bien plus chers que dans l'Hexagone... Cette mesure ne pourra qu'accentuer l'écart de prix, avec une répercussion sur les consommateurs.
Vous l'avez compris, les premières orientations budgétaires n'étaient pas satisfaisantes, mais nous nous fions à la volonté du ministre de les rectifier, d'où notre abstention.
Sans préjuger des améliorations proposées par le Gouvernement, nous pourrions nous inspirer des amendements que l'Assemblée nationale avait adoptés...
Mme Lana Tetuanui. - Merci au rapporteur pour cet exposé assez inquiétant : on n'a jamais vu ça, ai-je envie de dire... Je ne réprimanderai pas l'actuel ministre car il faut prendre en compte les événements de cette année : dissolution de l'Assemblée nationale ; absence de majorité dans la nouvelle assemblée ; maintien du premier ministre démissionnaire jusqu'à la nomination du Premier ministre actuel ; lettres plafonds... On en voit le résultat aujourd'hui !
Peut-être faut-il que les ministres arrêtent de venir dans les territoires ultramarins... Si c'est pour aboutir à cette diminution de crédits, je leur conseille de rester à Paris. Car nous en avons reçu plusieurs en visite, et à chaque fois, ils nous ont dit : « Vous êtes la France. Vous êtes la chance de la France. » À ce prix-là ? C'est tout de même malheureux !
Les crédits annoncés pour la Présidence de la République lors de l'examen de la mission « Pouvoirs publics » m'ont surprise. Ce qui est réclamé, pourquoi ne pas le donner aux outre-mer ? Mais non ! Aux outre-mer, on demande encore des efforts, et après on s'étonne de ce qui se déroule en Nouvelle-Calédonie ou en Martinique.
La logique voudrait que l'on vote contre les crédits de cette mission, tels qu'ils nous sont présentés. Pour autant, je fais confiance au ministre chargé des outre-mer, François-Noël Buffet. Il hérite d'une situation qui, comme cela a été dit, ne date pas d'hier. Pour ma part, je compte sur l'efficacité et la solidarité des sénateurs ultramarins ; nous allons devoir tous nous mobiliser pour aider notre ministre à réajuster le tir.
Je veux bien comprendre que l'on demande des efforts à tout le monde en temps de crise, mais il y a une limite : les outre-mer ne peuvent pas être sacrifiés sur l'autel du déficit public !
Le groupe Union Centriste votera ces crédits, sous réserve de l'adoption de nos amendements.
M. Olivier Bitz. - Je ferai d'abord une observation de nature politique. Aujourd'hui, une large majorité sénatoriale soutient le Gouvernement ; certains dans cette majorité sénatoriale soutenaient le gouvernement précédent. J'appelle donc les uns et les autres à ne pas faire croire que l'on passerait de l'ombre à la lumière par la seule magie de la nomination d'un nouveau gouvernement. Les choses sont plus complexes ! Gardons-nous de jugements trop hâtifs !
Nous savons tous, par ailleurs, dans quelles conditions l'actuel gouvernement a été constitué et dans quels délais il a dû préparer ce PLF. Je considère que certaines méthodes budgétaires employées ne valent que pour cette année. Il ne faudrait pas que cela devienne une habitude : c'est bien le texte déposé par le Gouvernement dont nous devons discuter, et non pas de ce texte amendé par des déclarations politiques.
En tant que sénateur métropolitain, je suis très attentif aux crédits pour l'outre-mer, dans la mesure où nous faisons Nation : les territoires ultramarins figurent parmi les territoires les plus fragiles, que nous devons absolument soutenir en temps de crise.
Je déplore que les crédits de la mission ne reflètent qu'imparfaitement l'engagement de l'État pour les outre-mer. Comme Teva Rohfritsch l'indiquait, nous discutons de 14 % des crédits totaux de l'action envers ces territoires. Comment juger de l'engagement de l'État dans ces conditions ? Le fait de ne pas avoir de vision consolidée est regrettable.
Mme Salama Ramia. - J'entends qu'il faille faire un effort au niveau national, mais je voudrais dire que Mayotte est en pleine phase de rattrapage de son retard de développement. Hier, j'entendais dans l'hémicycle des présentations d'amendements sur le dispositif « Lodéom » : les entreprises mahoraises n'en bénéficient même pas ; nous nous battons pour qu'elles puissent y avoir accès !
Jusqu'à hier, comme mes collègues, j'étais assez pessimiste. Je me dis maintenant que rien n'est perdu et qu'il y a peut-être une lueur d'espoir. Je rejoins Jacqueline Eustache-Brinio sur le manque de vision globale pour un territoire comme Mayotte, qui est au bord de l'explosion sur les plans économique et social.
M. Teva Rohfritsch, rapporteur pour avis. - Nous regrettons tous les lettres plafonds envoyées en août dernier. Était-ce une sanction ou un cadeau empoisonné ? De manière inconcevable, elles ont acté une baisse draconienne des moyens mis à disposition des outre-mer : c'est non plus un effort qu'on leur demande, mais un sacrifice budgétaire ! Le Gouvernement actuel pouvait-il en quinze jours rectifier la situation, alors qu'il entrait dans le tunnel budgétaire ? Cela semblait difficile...
Je le redis, j'étais au départ défavorable à l'adoption des crédits de la mission. Mais il faut s'accrocher à l'espoir qui nous a été donné. Dans la situation politique exceptionnelle que vit notre pays, je propose que la commission des lois accompagne l'élan de responsabilité que représentent les engagements pris par Laurent Saint-Martin, ministre chargé du budget et des comptes publics, à l'Assemblée nationale et par le ministre chargé des outre-mer auprès de notre commission, dont nous savons combien elle lui est chère. Il ne s'agit pas d'un élan de naïveté commune : ces engagements nous donnent bon espoir de parvenir à rétablir le budget au niveau de celui de 2024.
François-Noël Buffet a évoqué hier plusieurs sujets prioritaires, notamment la question du Plom 3 (plan Logement outre-mer) et du logement, celle de l'eau, et les contrats avec les collectivités territoriales. Il s'est engagé à lancer un Oudinot de la vie chère, à traiter les urgences et à rétablir les crédits à un niveau acceptable pour les Corom. J'insiste, il nous faut travailler avec le Gouvernement pour rétablir la jauge de crédits de l'année 2024, qui peut être un compromis acceptable dans le contexte budgétaire actuel.
Le ministre plaidait, lors de son audition, en faveur de la stabilité et de la confiance. Je crois qu'il revient au Sénat de donner des gages en ce sens par son vote.
Je remercie Hussein Bourgi pour son intervention. La cherté de la vie a été évoquée par le ministre. Quant aux sargasses, elles sont financées par une autre mission budgétaire : nous devons toutefois rester attentifs, car des questions restent en suspens sur les crédits y afférents.
Au travers des deux programmes de la mission « Outre-mer », nous ne traitons que 14 % de l'effort national en faveur des outre-mer. Les élus ultramarins souhaiteraient débattre du reste des crédits, qui sont « noyés » dans d'autres missions budgétaires nationales. Certes, cet éparpillement se justifie par le fait que nos territoires font partie de la République, mais leurs spécificités, ainsi que les statuts qui les régissent, nécessiteraient que nous consacrions peut-être davantage de temps à évaluer l'ensemble de l'effort national en faveur de nos outre-mer.
Salama Ramia a raison de rappeler que, lorsqu'on pense à Mayotte, la notion d'effort est toute relative. Quant aux Calédoniens, ils attendent la reconstruction et veulent prendre un nouveau départ, dans un contexte de dialogue à rétablir - le ministre et le président du Sénat s'y emploient. Chacun de nos territoires a conscience que, pour éviter que la charge de la dette ne devienne le premier poste du budget de la Nation, l'effort doit être partagé par tous. Dans le même temps, on ne peut ignorer que ceux qui ne peuvent pas se loger, se nourrir ou être en sécurité ont de fortes attentes en direction de l'État.
Je le redis, j'étais plutôt opposé à l'adoption des crédits avant que nos deux ministres prennent des engagements. Je vous propose maintenant, dans une démarche de confiance et d'encouragement, de les adopter, tout en restant vigilants. J'espère que nous pourrons, collectivement, contribuer utilement à rétablir un niveau de budget plus acceptable pour les outre-mer.
La commission émet un avis favorable à l'adoption des crédits de la mission « Outre-mer ». La réunion, suspendue à 12 h 10, est reprise à 16 h 35.
Audition de M. Louis Laugier, directeur général de la police nationale
Mme Muriel Jourda, présidente. - Nous procédons aujourd'hui à l'audition de Louis Laugier, directeur général de la police nationale. Ce moment est l'occasion de faire connaissance avec vous, monsieur le directeur général, à la suite de votre récente nomination, et d'aborder la question plus spécifique de la lutte contre le narcotrafic, qui se développe sur l'ensemble du territoire national.
Le Sénat a récemment consacré des travaux importants à cette question, dans le cadre d'une commission d'enquête créée à la demande du groupe Les Républicains, dont Etienne Blanc fut le rapporteur et Jérôme Durain, membre de notre commission, le président. Cette commission d'enquête a établi le constat d'un territoire submergé par le narcotrafic et d'une réponse insuffisamment adaptée à l'urgence et à l'importance des enjeux. Elle a préconisé plusieurs évolutions qui, pour celles requérant l'intervention du législateur, sont traduites dans une proposition de loi qui sera discutée en janvier prochain au Sénat.
Dans le cadre des travaux préparatoires à cet examen, j'ai souhaité, en ma qualité de présidente de la commission des lois, mais également de corapporteur, avec M. Durain, de ce texte, que vous puissiez être entendu aujourd'hui.
Le narcotrafic ne concerne pas seulement les zones dans lesquelles la police nationale exerce ses compétences ; il s'insinue dans l'ensemble des territoires, y compris les plus ruraux. Pour autant, le phénomène est particulièrement prégnant dans les grandes agglomérations, qui relèvent de la police nationale. Aussi votre témoignage est-il pour nous d'une particulière importance.
Monsieur le directeur général, pouvez-vous tout d'abord nous présenter l'état de la menace et les principales difficultés rencontrées par les forces de l'ordre pour y faire face ? Dans le cadre des évolutions envisagées par la proposition de loi, pouvez-vous également nous indiquer celles qui vous apparaissent les plus pertinentes et, le cas échéant, celles qui vous sembleraient pouvoir être modifiées ou complétées par d'autres mesures pour en assurer la pleine effectivité opérationnelle ?
M. Louis Laugier, directeur général de la police nationale. - Je vous remercie de me donner l'occasion de m'exprimer devant vous sur cette priorité nationale dont j'ai pu mesurer l'importance dans tous les territoires où j'ai exercé en tant que préfet de département. Je salue l'ampleur et la qualité du travail réalisé par la commission d'enquête sur l'impact du narcotrafic en France.
Concernant l'état de la menace, nos constats convergent avec ceux du Sénat. Le marché des stupéfiants, porté par une forte demande des consommateurs et une offre abondante, est en expansion. Les niveaux de production - en Amérique latine pour la cocaïne, en Afghanistan pour l'héroïne, au Maroc pour la résine de cannabis et en Europe pour les drogues de synthèse - sont très élevés. Les organisations criminelles maîtrisent les chaînes logistiques qui permettent d'acheminer des quantités importantes de stupéfiants en Europe.
Les saisies importantes de cocaïne réalisées dans les grands ports européens traduisent le dynamisme des réseaux criminels qui ont su exploiter la mondialisation des échanges et l'impossibilité physique de contrôler tous les flux de marchandises.
Sur la période récente, l'augmentation importante du trafic de cocaïne, dont les saisies sur le territoire national ont été multipliées par cinq en dix ans, constitue le fait majeur.
En métropole et dans les territoires ultramarins, les trafics sont aux mains d'acteurs multiples. Si les groupes criminels français se structurant autour de membres issus des mêmes cités sensibles et des mêmes communautés dominent le marché français, celui-ci est également investi par des groupes criminels étrangers ; je pense notamment aux groupes albanais et aux réseaux nigérians.
Les services font également le constat que les violences liées au trafic ont tendance à se généraliser sur l'ensemble du territoire. Autrefois réservées aux grandes agglomérations, ces violences touchent désormais les villes moyennes, avec des épisodes de fortes violences observés dans des villes qui n'y étaient jusqu'alors pas confrontées.
Sur le premier semestre 2024, on observe toutefois une baisse du nombre de victimes liées à des règlements de compte en France - 43 victimes en 2024, contre 72 sur la même période en 2023 -, sachant que 80 à 90 % de ces règlements de compte sont liés au trafic de stupéfiants. Il convient d'être prudent, car ces évolutions restent fragiles et reposent notamment sur les arrestations menées par la police judiciaire (PJ).
Le rajeunissement des auteurs des violences commises est un phénomène récent qui doit nous alerter. À cela s'ajoute une banalisation du recours aux armes qui conduit à une augmentation des victimes collatérales.
La France ne se trouve pas dans une situation singulière. Tous les États de l'Union européenne (UE), et plus largement les pays développés, sont confrontés à des situations identiques. En 2024, Europol - l'agence de l'UE pour la coopération des services répressifs - a indiqué que la moitié des réseaux criminels les plus menaçants était impliquée dans le trafic de stupéfiants au niveau européen. Celui-ci constitue l'infraction dominante en termes de criminalité organisée, avec des atteintes graves à la sécurité intérieure.
La mobilisation des services pour lutter contre les crimes et les trafics s'avère, plus que jamais, à l'ordre du jour. Nous avons la responsabilité de faire encore davantage et mieux. Les nombreuses recommandations formulées par la commission d'enquête sont, de ce point de vue, très utiles ; celles relatives à la coopération internationale ont notamment retenu notre attention, afin de renforcer les relations opérationnelles et diplomatiques avec les zones de production, de transit et d'investissement des avoirs criminels.
Il me semble d'abord utile de revenir sur certaines observations du rapport, liées à l'action de la police nationale, qui me paraissent un peu sévères, avant de vous présenter la position de la police nationale sur les dispositions de la proposition de loi, et de conclure en formulant d'autres pistes de réflexion.
Concernant l'action de la police nationale dans la lutte contre les trafics de stupéfiants, le rapport décrit un paysage morcelé des services engagés dans la lutte contre les stupéfiants. Il évoque des risques de « guerre des polices » et, de manière plus générale, une coordination insuffisante des acteurs engagés dans la lutte contre les trafics. Ce constat mérite à mon sens d'être nuancé sur trois points.
Premier point : il est nécessaire de prendre en compte la réforme de la police nationale, qui unifie sa filière judiciaire. Cette réforme, définitive depuis le 1?? janvier 2024, a créé des filières métiers. Désormais, au niveau central comme territorial, tous les services judiciaires sont placés sous une même autorité qui assure le pilotage de la filière.
Il s'agit de la réforme la plus importante de la police nationale depuis 1966. La coordination globale de la filière est assurée par la direction nationale de la police judiciaire (DNPJ), qui définit la stratégie nationale de la lutte contre les stupéfiants, dans le cadre des orientations ministérielles. Elle articule l'action des différentes unités judiciaires, aussi bien sur la même thématique que sur des thématiques complémentaires - stupéfiants, blanchiment, règlements de compte, problématiques liées au cyber. Cette organisation récente garantit l'action coordonnée des services.
Deuxième point : l'Office anti-stupéfiants (Ofast) joue un rôle prépondérant de coordination. Cela tient au caractère interministériel de cette agence et à son maillage territorial dense. Parmi les 200 personnels de l'Ofast au niveau central, on retrouve des policiers, vingt-deux gendarmes, sept douaniers, un agent du ministère de l'économie et des finances, un agent de l'administration pénitentiaire et six officiers de liaison étrangers. Le responsable adjoint de l'Ofast est un magistrat de l'ordre judiciaire et, sur les trois pôles de l'agence, un a été confié à un douanier et un autre à un officier supérieur de la gendarmerie. Ce caractère interministériel n'est donc pas factice et permet d'assurer des échanges fluides et réguliers entre le ministère de l'intérieur et les autres administrations chargées de la lutte contre le narcotrafic.
Les effectifs de l'Ofast ont été multipliés par deux depuis 2020. L'agence dispose d'un maillage territorial dense avec quinze antennes, ainsi que neuf détachements dépendant de ces antennes, implantés en métropole et en outre-mer, dans des directions territoriales et interdépartementales de la police nationale. Il nous semble nécessaire de privilégier le renforcement des effectifs de ces structures territoriales, dans la mesure où le renfort de la structure centrale a déjà été effectué.
Le dispositif dans la zone Antilles-Guyane est particulièrement dense, avec deux antennes localisées à Cayenne et Fort-de-France, ainsi que deux détachements à Pointe-à-Pitre et Saint-Martin. Cette organisation se justifie par le positionnement de ces territoires au plus près des zones de production en Amérique latine et des pays servant de transit dans la région.
Cette organisation nous permet d'obtenir de bons résultats. La coordination des services, notamment avec la Marine nationale, est satisfaisante, comme en attestent les saisies significatives réalisées ces derniers mois sur le secteur maritime - 10 tonnes saisies dans les Caraïbes en 2024.
L'Ofast coordonne l'action des services lorsque des difficultés se manifestent et qu'il convient de proposer le ou les services les mieux placés pour intervenir sur le plan opérationnel. La réforme de la police nationale, en réunissant sous une même bannière tous les enquêteurs, participe de cette cohérence globale. Actuellement, 64 % des dossiers qui sont dans le portefeuille de l'office sont en cosaisine avec d'autres services, tels que les antennes de l'Ofast, les sections de recherche de la gendarmerie ou encore le service d'enquête judiciaire des finances, devenu Office national anti-fraudes (ONAF). L'Ofast exerce ainsi le rôle de coordination opérationnelle prévu par son décret de création.
En matière de trafic de stupéfiants, nous avons affaire à un contentieux de masse. Les services de police et les unités de gendarmerie ont constaté près de 17 000 faits de trafic sur les dix premiers mois de l'année 2024. Il est inévitable que des dysfonctionnements ponctuels soient observés.
Au regard de la masse des dossiers abordés, il est évident que l'Ofast ne peut coordonner l'ensemble des enquêtes. Il existe des outils de « déconfliction » pour éviter les chevauchements d'enquête ; je pense notamment au fichier anti-stupéfiants (Fast), qui permet de connaître la prise en compte d'un objectif ciblé. Dans ce domaine, l'enjeu est que tous les services de police, unités de gendarmerie et services de la douane inscrivent leurs objectifs pour rendre possible cette coordination.
Un autre point important, en termes de coordination, réside dans l'établissement d'une liste commune des objectifs les plus importants. Cette liste, établie par l'Ofast avec la contribution de la police, de la gendarmerie, de la douane et de la juridiction nationale chargée de la lutte contre la criminalité organisée (Junalco), existe sous le nom de : « Top nat' des cibles d'intérêt prioritaire ». Nous souhaitons dupliquer cette démarche au niveau territorial. Les antennes et détachements de l'Ofast pourront être chargés de cette mission, en associant les unités de gendarmerie nationale et les échelons de la direction nationale du renseignement et des enquêtes douanières (DNRED).
La coordination de l'Ofast s'exerce également par l'animation du réseau des cellules de renseignement opérationnel sur les stupéfiants (Cross). Les Cross départementales collectent, traitent et enrichissent le renseignement criminel. Elles l'adressent au service de police nationale ou de gendarmerie le plus adapté.
Nous mesurons, chaque année, la montée en puissance de ces structures. Preuve de l'efficacité et de la popularité du dispositif, les informations transmises entre janvier et septembre 2024 sont en progression de 23 % par rapport à la même période en 2023. Cette hausse est liée au bon travail des Cross, mais également au fait que les plateformes de signalement sont de plus en plus utilisées. En 2023, plus de 13 300 informations ont été reçues, soit une augmentation de 18 % par rapport à 2022.
Au-delà de l'Ofast, les services de la filière judiciaire oeuvrent collectivement en prenant en compte des infractions liées au trafic, telles que les règlements de compte et les affaires de blanchiment traités respectivement par les brigades criminelles et les services financiers. Les interactions entre les services dédiés à la lutte contre les trafics, en particulier les services financiers, sont nombreuses et nécessaires. De ce point de vue, l'idée de positionner l'Ofast en dehors de la direction générale de la police nationale (DGPN) semble de nature à affaiblir le dispositif national, en coupant la brigade des stupéfiants des infractions liées.
L'Ofast n'existe que depuis janvier 2020 ; sa montée en charge a été progressive. Les deux premières années ont permis de construire ou de faire évoluer les outils sur lesquels l'office peut asseoir son pilotage, de rédiger un état de la menace et de mettre en place des Cross - ainsi que, depuis septembre 2021, des Cross portuaires et aéroportuaires -, en parallèle du resserrement des liens avec les administrations partenaires et du développement de la coopération internationale.
L'année 2023 a été celle de la rédaction d'un nouvel état de la menace s'appuyant sur la collecte et l'analyse de tous les renseignements parvenus à l'Ofast. Elle a également été consacrée au chantier de rénovation du plan national de lutte contre les stupéfiants, ou « plan stups », embarquant de nouveaux acteurs tels que le secrétariat général de la mer (SGMer), essentiel pour tout ce qui concerne l'arraisonnement ou la coordination de la sécurisation des ports, ainsi que le renseignement pénitentiaire ou la Mission nationale de contrôle des précurseurs chimiques (MNCPC).
Cette montée en puissance n'a pas empêché les résultats que l'on peut attribuer directement à l'Ofast. Parmi la cinquantaine de personnes constituant des cibles prioritaires, 29 ont été interpellées, dont certaines à l'étranger, ce qui montre la qualité du travail de coopération internationale.
Pour toutes ces raisons, le rapport de la commission d'enquête me semble un peu sévère sur le rôle de l'Ofast. Il ne mesure pas tout le chemin parcouru et la jeunesse de cette structure très sollicitée.
Troisième point, après la réforme de la police nationale et le rôle de l'Ofast : la mobilisation des services ne saurait être remise en cause. La police a interpellé plus de 18 100 trafiquants en 2023 et déjà 17 300 sur les dix premiers mois de l'année 2024. Entre 2010 et 2023, le nombre annuel de trafics de stupéfiants démantelés par les services de police a été multiplié par 3,5 ; nous sommes passés de 2 500 trafics démantelés en 2013 à 11 000 en 2023. De manière constante, la police nationale traite plus de 85 % de l'ensemble des trafics constatés de stupéfiants et du crime organisé en France.
Concernant les avoirs criminels en lien avec les stupéfiants, 75,3 millions d'euros ont été saisis en 2023. Entre 2018 et 2023, on observe une hausse de 60 % des avoirs criminels saisis, ce qui traduit une inflexion profonde de la stratégie de la police dans ce domaine, avec un développement des enquêtes patrimoniales.
À titre d'exemple, en 2023, 23,2 tonnes de cocaïne ont été saisies ; en 2024, les services français chargés de la lutte contre les stupéfiants ont déjà saisi 44,8 tonnes de cocaïne. Cela démontre l'engagement des services et leur capacité de coordination. Les saisies de nouvelles drogues sont également en forte hausse par rapport à 2023, avec une augmentation de 33 % pour les amphétamines et méthamphétamines. Ces chiffres viennent étayer les tendances présentées dans le rapport de la commission d'enquête.
Depuis septembre 2020, sur un total de 609 000 amendes forfaitaires délictuelles (AFD) dressées par la police nationale, plus de 434 000 l'ont été pour usage de stupéfiants.
Au 10 septembre 2024, plus de 16 100 opérations visant au démantèlement de points de deal ont été conduites par la police nationale. Sont incluses dans ce total les 302 opérations menées par la préfecture de police et les six opérations menées conjointement avec la gendarmerie nationale.
Certaines de ces opérations ont été labellisées « place nette ». Celles-ci ont suscité des interrogations de la part de la commission d'enquête, notamment sur leur portée et leur efficacité. Pourtant, les résultats sont incontestables. En un an, les services de la DGPN ont lancé 279 opérations de cette nature, qui ont conduit à l'interpellation de 6 800 personnes, ainsi qu'à la saisie de 690 armes, 115 véhicules, 7,5 millions d'euros d'avoirs criminels et plus de 1,7 tonne de produits stupéfiants.
Si nous estimons que les opérations « place nette » doivent être maintenues dans leur principe, nous n'avons jamais considéré qu'elles se suffisaient à elles seules. La circulaire du ministre de l'intérieur du 19 novembre 2024 relative à la lutte contre la délinquance invite à poursuivre ces opérations dans leur esprit, en les inscrivant dans la durée et en combinant des opérations judiciaires d'envergure avec une occupation prolongée du terrain.
Notre stratégie vise à les compléter par des actions en profondeur. Cela se traduit par des enquêtes de fond visant à démanteler les organisations criminelles qui approvisionnent les points de deal et celles qui organisent le blanchiment des espèces. L'objectif est d'optimiser, en amont, la préparation avec le monde judiciaire, de manière à pouvoir s'attaquer davantage aux filières dans leur intégralité. Nous entendons mener une action globale sur l'ensemble des aspects du trafic, « de la cage d'escalier à l'international », comme nous le résumons en une formule.
Je souhaite maintenant aborder certaines dispositions de la proposition de la loi, dont l'article 1er prévoit de placer l'Ofast sous la tutelle conjointe du ministère de l'intérieur et de celui de l'économie et des finances. En positionnant l'Ofast en dehors de la DGPN, alors qu'il existe un consensus pour constater les interactions très fortes entre la lutte contre les trafics et d'autres champs criminels - règlements de compte, blanchiment, trafic d'armes - majoritairement pris en compte par les services de police, on provoquerait un affaiblissement de la réponse publique.
Cette porosité entre les enquêtes justifie, plus que jamais, une unicité de leur traitement afin de garantir la fluidité des échanges entre les services, la centralisation des renseignements pour les recouper et les exploiter, un croisement maximal d'éléments issus des enquêtes et la mise en place de stratégies opérationnelles prenant en compte la multiplicité des enquêtes en interaction les unes avec les autres. Coupée des autres services de police, l'Ofast et ses structures territoriales disposeraient de moins d'informations et bénéficieraient plus difficilement du soutien opérationnel des autres services, avec un risque accru de conflits entre les services et d'actions non coordonnées sur le terrain. Pour rappel, la réforme de la police nationale a unifié cette filière judiciaire dont l'Ofast est partie prenante.
Si je ne suis pas favorable à une modification du positionnement de l'Ofast en dehors du périmètre de la police nationale, il convient toutefois de faire évoluer les modalités de la coordination entre les services pour renforcer l'agence. Il est nécessaire que le niveau de coopération entre les différents acteurs de la lutte contre les trafics soit très élevé. Des travaux sont en cours au ministère de l'intérieur pour identifier les moyens de renforcer cette coordination autour de la police nationale. Les autres administrations seront naturellement associées à ces réflexions.
Sur les autres dispositions de la proposition de loi, nous sommes favorables à celles qui répondent aux besoins opérationnels des enquêteurs : l'élargissement des conditions de transmission aux services de renseignement d'informations recueillies dans les dossiers judiciaires ; la création d'un « dossier coffre », afin de préserver la confidentialité de la pose de techniques spéciales d'enquête - seulement les conditions de mise en place des techniques, et non leurs aspects qui concourent au respect du contradictoire - ; la réforme du statut des repentis, notamment pour élargir son périmètre aux crimes de sang, comme pour le crime organisé ou les stupéfiants ; l'alignement des délais de détention provisoire pour les délits de l'article 706-73 du code de procédure pénale sur ceux prévus en matière criminelle ; la modification des délais d'examen des demandes de mise en liberté, ou encore la fermeture d'un commerce qui soutient, abrite ou participe à un trafic de stupéfiants.
Une disposition mérite des réflexions complémentaires ; je pense ici à la délicate question des informateurs. Il est exact que la situation actuelle n'est pas satisfaisante en raison de l'insécurité juridique qu'elle suscite pour les officiers traitants et les informateurs. Au-delà du constat, nos réflexions internes sur le sujet ne sont pas encore abouties.
La redéfinition de la notion de « provocation » dans un sens plus libéral, comme le propose la commission d'enquête, est une piste intéressante, de même que l'encadrement de l'activité des policiers traitants. À ce stade, il est toutefois impossible de déterminer avec certitude la meilleure solution, qui devra également être discutée avec la chancellerie.
Selon nous, deux propositions doivent être écartées. La première concerne l'inscription des Cross au niveau législatif, ces structures devant conserver leur vocation opérationnelle et ne pas constituer des instances stratégiques de décision ; le dispositif doit rester souple dans sa mise en oeuvre et relever de l'organisation interne des services de police. La seconde est relative à l'hyper-prolongation médicale de la garde à vue pour les passeurs in corpore. Au-delà des enjeux constitutionnels, la garde à vue étant incompatible avec l'état d'une personne nécessitant des soins, cette mesure poserait d'importantes contraintes opérationnelles aux services, qui devraient garder plus longtemps les personnes dans les structures hospitalières.
En conclusion, je souhaite évoquer cinq mesures non contenues dans la proposition de loi mais qui pourraient utilement compléter l'arsenal juridique et renforcer l'efficacité des enquêtes.
La première concerne la création d'un cadre juridique d'une technique spéciale d'enquête de captation des données à distance. Il serait opportun d'étudier de nouveau cette proposition, en partie censurée par le Conseil constitutionnel en 2023, qui donnerait la possibilité d'activer à distance des appareils connectés aux fins de captation de sons et d'images, dans le cadre d'enquêtes relatives aux infractions relevant de la criminalité et de la délinquance organisées.
Nous faisons face à des délinquants de plus en plus informés des méthodes policières, qui surveillent les véhicules et lieux privés dans lesquels ils échangent pour éviter ou détecter la pose de matériel permettant ces captations ou leur localisation par les forces de l'ordre. La mesure que je propose donnerait aux enquêteurs un cadre juridique leur permettant de conduire ces opérations sans risquer de trahir leur présence, via l'utilisation d'un appareil connecté.
La deuxième mesure porte sur la généralisation du pseudonyme pour les enquêteurs. Cela permettrait d'élargir le dispositif de protection de l'identité des enquêteurs à l'ensemble du périmètre infractionnel, sans autorisation administrative préalable. Cette demande des enquêteurs correspond à ce qui se fait déjà dans la lutte antiterroriste.
La troisième mesure permettrait d'introduire la corruption liée au trafic dans le régime de la criminalité organisée. Disposant d'une importante surface financière, les réseaux criminels ont la capacité de corrompre des agents privés ou publics utiles à leurs activités. Aujourd'hui, la corruption d'agents publics permet, partiellement, de bénéficier du régime de la criminalité organisée. En revanche, le régime dérogatoire de la garde à vue n'est pas applicable. Par ailleurs, la corruption d'agents privés n'est couverte par aucune disposition de ce régime. Il est donc proposé que la corruption d'agents privés et publics puisse être introduite dans le régime complet de la criminalité organisée.
En effet, dans la mesure où ces réseaux criminels ont gagné en sécurité et en dissimulation, notamment avec les messageries chiffrées, les techniques traditionnelles d'enquête ne sont plus suffisantes pour mettre au jour cette infraction. Le régime de la criminalité organisée, avec ces techniques d'enquête, s'avère aujourd'hui nécessaire aux investigations en la matière.
La quatrième mesure est relative à l'interdiction de paraître sur un point de deal. Il serait opportun de créer une mesure de police administrative d'interdiction de paraître pour les individus causant un trouble à l'ordre et à la tranquillité publics, dans la mesure où les actions judiciaires se sont révélées inefficaces ou impossibles.
Enfin, la cinquième mesure concerne la modification de la durée initiale de garde à vue en matière de criminalité organisée. En cas de garde à vue dérogatoire, l'officier de police judiciaire pourrait être autorisé à décider un placement en garde à vue pour une durée initiale de 48 heures et non plus seulement 24 heures. La prolongation de la mesure serait sollicitée auprès de l'autorité judiciaire à l'issue de ce délai. La complexité croissante des moyens mis en oeuvre par les délinquants, mais aussi les outils déployés par les enquêteurs afin de rassembler les preuves pendant le temps de la garde à vue, ainsi que le renforcement des droits des personnes, ont conduit à réduire pour l'enquêteur le temps de mise à disposition d'un suspect, notamment pour les auditions.
Mme Muriel Jourda, présidente. - Je souhaite revenir sur la question de la corruption. Dans la criminalité organisée, et singulièrement dans le trafic de stupéfiants, les masses d'argent sont considérables et de nature à corrompre de nombreux agents publics ou privés. Existe-il, dans la police nationale, des dispositifs prévus pour répondre à cette menace ?
M. Jérôme Durain. - Ma question concerne les conclusions et les recommandations formulées par la commission d'enquête, dont j'ai été le président.
Vous avez trouvé nos conclusions sévères concernant l'Ofast, notamment. Notre volonté est que l'office soit le plus efficace possible, et la sévérité de notre avis visait l'organisation globale de la riposte face au narcotrafic dans notre pays. Nous avons notamment évoqué la nécessité d'un chef de filât et d'une coordination interministérielle plus forte, avec une intégration plus forte des services de Bercy. Nous comprenons la nécessité pour vous de rester opérationnel, mais la question de la place de Bercy me semble centrale.
Concernant le dispositif « place nette » - et cela vaut également pour d'autres outils -, il s'agit non pas de contester son efficacité dans l'absolu, mais d'évaluer le prix à payer par rapport aux moyens déployés.
Concernant les informateurs, le souci n'est pas de trouver un cadre nouveau : il faut répondre à la demande de sécurité juridique des agents de terrain qui déclarent travailler « à la mexicaine », car ils ne se sentent pas confortés par la loi.
Mme Lauriane Josende. - Je suis sénatrice des Pyrénées-Orientales, département frontalier touché par les problématiques du narcotrafic et de la criminalité organisée. Tout le monde se félicite de la création des directions interdépartementales. Les services de la police aux frontières (PAF) au sein de mon département ont créé un service spécialisé dans la fraude documentaire. Il s'agit d'un sujet transversal, qui demanderait à être mieux organisé. Avez-vous prévu des moyens supplémentaires pour répondre à cette problématique ? Les agents sont amenés à former leurs collègues partout en France, et ils le font aujourd'hui avec les moyens du bord.
Mme Marie-Pierre de La Gontrie. - Lors de la mission réalisée en avril 2023 par la commission des lois aux Antilles, nous avons été frappés à la fois par l'investissement des agents de l'Ofast et par leur incroyable dénuement en termes matériels. Nous avons également observé un sous-équipement des aéroports antillais, dans la mesure où aucun ne dispose de scanners, par exemple. Comment comptez-vous faire face à ces difficultés ?
Vous avez évoqué la captation des données à distance ; il sera difficile, sur un tel sujet, de ne pas encourir la censure du Conseil constitutionnel. Par ailleurs, qu'entendez-vous par une intégration de l'infraction de corruption dans le régime de la criminalité organisée ? Pouvez-vous également préciser les contours de l'interdiction de paraître évoquée dans votre propos, dont j'ai compris que le seul critère serait le trouble à l'ordre public ?
Mme Corinne Narassiguin. - Je souhaite évoquer la manière dont la police est aujourd'hui perçue dans les quartiers populaires. Je suis sénatrice de la Seine-Saint-Denis, où le sujet est sensible. Ces relations détériorées entre la police et une partie de la population sont un frein à l'efficacité du travail de la police. La qualité du renseignement en pâtit, et cela rend difficile la prévention auprès des jeunes qui se laissent aspirer dans les trafics. L'articulation avec la police municipale est également problématique.
Je souhaite également revenir sur une déclaration récente de Frédéric Lauze, le président du Syndicat des commissaires de la police nationale, qui déplorait que la police ne fonctionne plus que sur la seule jambe du répressif. Nous avons également besoin de l'autre jambe, c'est-à-dire le volet préventif, qui renvoie à l'idée d'une police de proximité. Dans le contexte actuel de restrictions budgétaires qui empêche l'apport de nouvelles ressources humaines pour accomplir ces tâches différentes et bénéficier d'un dispositif plus complet, n'est-il pas envisageable de redéfinir les missions quotidiennes de la police ?
M. Teva Rohfritsch. - L'antenne de l'Ofast effectue un travail important en Polynésie française. La région est très touchée par la problématique de la métamphétamine, appelée « ice ». Moins répandue en métropole, cette drogue fait des ravages dans la jeunesse polynésienne ; on parle de 10 000 consommateurs, ce qui est considérable à l'échelle de notre territoire. Avec l'Ofast, on a observé une augmentation du nombre de saisies et d'affaires transmises au pouvoir judiciaire. Avez-vous envisagé des moyens supplémentaires concernant la métamphétamine ? Par ailleurs, la cocaïne transite également par nos îles, entre l'Amérique latine et l'Australie.
M. Louis Laugier. - Nous menons actuellement un travail de sensibilisation, car cette ampleur nouvelle du narcotrafic s'impose à tous et nécessite de travailler différemment, avec davantage de coordination encore.
Concernant l'aspect interministériel, les liens avec Bercy sont déjà effectifs, notamment avec les douanes. Sans doute est-il possible d'approfondir encore le sujet avec d'autres services. Sur la question du rattachement, il est important de comprendre que les enquêteurs ne sont pas interchangeables et que le traitement du crime organisé concerne toutes les subdivisions de nos services. De l'échelon de terrain jusqu'au sommet de la filière judiciaire, les échanges sont fluides entre les différents services. Ainsi, un enquêteur s'occupant de blanchiment ou d'assassinat peut communiquer avec un agent s'occupant des stupéfiants.
Le phénomène du narcotrafic, dont l'ampleur ne cesse de croître, touche tous les pays développés. La question des moyens, inévitablement, se posera à nouveau. À moyens constants, avec les recrutements déjà réalisés, il s'agit de travailler sur la coordination afin d'obtenir de meilleurs résultats ; nous en sommes tous convaincus.
Le dispositif « place nette », comme j'ai pu le constater, donne des résultats très positifs sur le terrain, mais produit également une forme d'insatisfaction. Pour schématiser, on arrive à mettre temporairement fin à une situation, qui reprend plus tard... Il convient donc d'accompagner le dispositif dans la durée. Cela ne suppose pas nécessairement une présence quotidienne, mais des retours réguliers au bon moment, ainsi qu'un important travail judiciaire. Le fait d'afficher une force sur le terrain est important, mais cela ne doit pas ensuite créer un effet déceptif.
Pour ces opérations « place nette », l'unité d'investigation nationale (UIN) apporte également son expertise, notamment au niveau judiciaire, en appui du travail des enquêteurs sur le terrain.
Sur le sujet important des informateurs ,je ne peux aujourd'hui que répéter qu'en dépit des avancées de la technologie, la source humaine reste essentielle.
Ayant servi dans deux départements frontaliers, j'ai vu le travail des services de la PAF concernant la fraude documentaire. Ces derniers disposent d'une véritable expertise sur le sujet. Il existe, par ailleurs, des formations au niveau national. L'importance des flux nécessitant une augmentation des capacités, ce travail devra s'amplifier à l'avenir.
Dans certains cas, en effet, les agents de l'Ofast manquent d'équipements. Nous avons toujours besoin d'augmenter nos capacités opérationnelles afin de répondre à la menace, et tous les pays sont aujourd'hui confrontés à la même difficulté.
Poursuivant une démarche de sécurité du quotidien, le contact avec la population est essentiel. Dès ma prise de fonction, j'ai insisté sur la nécessité d'être visible sur le terrain au bon moment. Il faut savoir parler avec les gens, même si, dans certains endroits, ce n'est pas facile. Ce travail a parfois été occulté, du fait de l'action immédiate en réponse à la délinquance. L'aspect préventif implique une relation normalisée, tout en assumant une capacité répressive lorsque cela est nécessaire ; l'équilibre entre ces deux aspects ne peut s'établir qu'avec finesse. Le contexte des dernières années, marqué par des crises successives, n'a pas non plus facilité les choses.
Le sujet de la corruption a donné lieu à une série d'actions. Je pense, en premier lieu, à l'ajout d'une formation aux risques d'atteinte à la probité pour les élèves gardiens de la paix et policiers adjoints dans les écoles de police. Dès le début de la formation, cela permet de faire passer des messages clairs, rappelant les exigences du métier. Nous avons également créé, à l'attention des enquêteurs, une formation en ligne sur les atteintes à la probité et les situations de vulnérabilité, afin d'améliorer la détection précoce de ces faits.
L'élaboration d'un état de la menace concernant la corruption permettra de décliner un plan d'action national portant sur le traitement du phénomène. La mise en place de nouveaux indicateurs statistiques doit permettre d'affiner la connaissance des procédures relevant des atteintes à la probité. À cela s'ajoute la mise en place d'un dispositif de protection des lanceurs d'alerte ou de gestion des signalements en matière de corruption. Enfin, une réflexion est en cours sur un outil permettant de renforcer le contrôle automatisé des consultations de fichiers.
Tout cela doit être rappelé au moment de la formation des cadres de la police nationale, afin notamment de détecter en amont les fragilités. Ce rôle managérial est, à mes yeux, essentiel.
Sur le trafic des drogues de synthèse, j'ai évoqué le nombre important des saisies. Monsieur le sénateur, pensez-vous à une disposition particulière ?
M. Teva Rohfritsch. - Je souhaite savoir si vous envisagez un renforcement des actions de l'Ofast et s'il s'avère nécessaire de mettre l'accent, au niveau local, sur la coordination interministérielle. En Polynésie, nous sommes très loin des moyens dont on peut disposer en métropole. Plus le nombre des saisies augmente, plus les choses à saisir semblent elles aussi en expansion. Nos prisons, actuellement, se remplissent de trafiquants. La criminalité organisée n'existait pas en Polynésie, et nous avons récemment déploré un premier décès en raison d'un règlement de compte.
M. Louis Laugier. - Nous devons intensifier notre travail au niveau international concernant certaines filières ; je pense, notamment, à nos relations avec l'Australie.
J'en viens au sujet des interdictions de paraître. Certaines personnes, pour lesquelles les actions judiciaires ne sont pas efficientes, entraînent des troubles sur la voie publique. Il s'agit d'envisager une possibilité administrative d'interdiction de s'installer à certains endroits. Un point de deal est comme un abcès, avec des personnes qui restent là toute la journée ; celles-ci peuvent recevoir des AFD ou même être poursuivies, sans que ces sanctions ne les éloignent du point de deal. Je suis conscient que cette interdiction est complexe à mettre en place.
Mme Muriel Jourda, présidente. - Les infractions liées au trafic sont justifiées par le souci du gain financier. Il faut donc agir par le biais de la saisie des biens. Pensez-vous à des outils qui nous permettraient d'aller plus loin dans notre capacité de saisie et de confiscation des avoirs criminels ?
M. Louis Laugier. - Il conviendrait de réaliser des confiscations provisoires sur des comptes, mais cela est difficile à mettre en place. On peut également geler des biens immobiliers. En termes de saisies des avoirs, nous effectuons déjà un travail important, notamment par le biais des groupes interministériels de recherche (GIR). Cela demande un temps considérable à nos enquêteurs pour traiter les dossiers. Les montages s'avèrent, le plus souvent, très complexes, avec une dimension internationale qui a notamment permis une partie des 29 interpellations sur la cinquantaine de personnes initialement ciblées. Il est complexe de capter des avoirs au niveau international. Cette phase de confiscation provisoire pourrait déstabiliser les personnes ciblées. Je mesure mal, en revanche, les conséquences pour les services en termes de procédure.
Mme Muriel Jourda, présidente. - Monsieur le directeur général, je vous remercie.
La réunion est close à 17 h 35.