- Jeudi 14 novembre 2024
- Audition de M. Vincent Lagneau, président de la Commission nationale d'évaluation des recherches et études relatives à la gestion des matières et des déchets radioactifs (CNE2), sur le dernier rapport annuel de la Commission
- Examen des conclusions de l'audition publique sur les impacts des plastiques sur la santé humaine (Philippe Bolo, député, rapporteur)
Jeudi 14 novembre 2024
- Présidence de M. Pierre Henriet, député, premier vice-président de l'Office -
La réunion est ouverte à 09 h 05.
Audition de M. Vincent Lagneau, président de la Commission nationale d'évaluation des recherches et études relatives à la gestion des matières et des déchets radioactifs (CNE2), sur le dernier rapport annuel de la Commission
M. Pierre Henriet, député, premier vice-président de l'Office. - Mes chers collègues, je suis très heureux d'accueillir aujourd'hui, à l'Assemblée nationale, la commission nationale d'évaluation des recherches et études relatives à la gestion des matières et des déchets radioactifs, plus connue sous le nom de CNE2. La commission est représentée par M. Vincent Lagneau, président, Mme Saida Laârouchi Engström, vice-présidente, ainsi que Mme Virginie Marry-Cassaigne et M. Philippe Gaillochet, membres de la commission. Je souhaite la bienvenue à tous les quatre dans le cadre d'un rendez-vous devenu traditionnel depuis de nombreuses années puisqu'il s'agit pour la commission de présenter son rapport annuel à l'Office.
Le réacteur EPR de Flamanville a connu sa première divergence il y a un peu plus de deux mois. Certains y voient le prélude à un renouveau du nucléaire porté par la construction annoncée de plusieurs EPR dans les années qui viennent. D'autres y voient une obstination regrettable dans ce qu'ils dénoncent comme une impasse écologique, industrielle et financière. Quoi qu'il en soit, Électricité de France (EDF) travaille activement à augmenter la durée de vie du parc électronucléaire actuel. De plus, des nouveaux acteurs bousculent le paysage industriel en concevant des projets de petits réacteurs classiques ou innovants. Enfin, lors du Conseil de politique nucléaire de février dernier, les pouvoirs publics ont confirmé le choix historique de la France en faveur du retraitement des combustibles usés.
Pour être moins visible, le sujet du cycle du combustible - depuis l'approvisionnement en uranium jusqu'à la gestion des déchets - reste donc absolument central dans ce contexte dynamique. Il est donc essentiel que nous prenions connaissance et discutions du rapport n° 18 de la CNE2, produit pour l'année écoulée. Ce document évalue les travaux scientifiques et évolutions technologiques concernant le traitement, l'utilisation, l'entreposage et le stockage des matières et déchets radioactifs. Il permet d'en apprécier les orientations, la pertinence et la cohérence ainsi que les difficultés rencontrées. En effet, il convient de savoir si notre pays est en mesure d'assurer une gestion sûre et responsable des déchets de l'industrie nucléaire.
Sans plus tarder, je donne la parole à M. Lagneau, président de la commission, et j'excuse le président de l'Office Stéphane Piednoir, retenu dans son département de Maine-et-Loire.
M. Vincent Lagneau, président de la CNE2. - Monsieur le premier vice-président, mesdames et messieurs les députés, mesdames et messieurs les sénateurs, c'est un plaisir d'être accueilli ici. Les travaux que nous vous présentons aujourd'hui ne sont pas si récents puisque nous les avons menés pendant toute l'année 2023-2024 et que nous avons élaboré ce rapport de mai à juin 2024. Comme vous le savez mieux que moi, du fait de l'agenda politique, il a fallu un délai pour pouvoir vous le présenter. Ceci ne bouleverse pas l'analyse, mais de petits changements ont pu intervenir entre-temps.
Avant d'entrer dans la présentation des travaux, je rappellerai ce qu'est la CNE2. Ensuite, j'aborderai brièvement la question de la relance du nucléaire - vous venez d'ailleurs de mentionner que le paysage du nucléaire en France évolue assez vite. Puis je parlerai des matières et de leurs implications sur les usines. Je passerai ensuite un peu de temps sur la gestion des déchets dans le futur Centre industriel de stockage géologique (Cigéo). Cependant, je ne m'y attarderai pas, car vous le savez, l'instruction de la demande d'autorisation de création de Cigéo a commencé et la CNE2 ne peut pas pleinement s'exprimer sur ce sujet tant que son analyse n'est pas consolidée. Comme tous les ans, nous terminerons par un panorama international. Cette année, il sera dédié à un aperçu sur le stockage géologique comme solution de référence à la gestion des déchets de haute activité à vie longue (HAVL).
La CNE2 est issue de la loi du 30 décembre 1991 confirmée par la loi du 28 juin 2006 qui fixe les dispositions relatives à la gestion durable des matières et déchets radioactifs en France. La commission est constituée de douze membres, français et étrangers. Leur expertise est variée et s'exerce en divers domaines de la science, y compris les sciences sociales et économiques. Aux termes de la loi, tous ses membres sont à la fois bénévoles et indépendants de la filière nucléaire française. Nous sommes nommés pour un mandat de six ans, renouvelable une fois. La liste des membres de la commission est à votre disposition. Notre mission consiste à évaluer les travaux scientifiques et évolutions technologiques portant sur l'ensemble du cycle du combustible nucléaire.
En ce qui concerne notre mode de fonctionnement, la commission auditionne toute l'année les acteurs de la filière nucléaire. En moyenne, pendant le début de l'année universitaire, nous procédons à deux auditions par mois, Nous menons également des visites techniques en France et à l'étranger. Je signale que toutes les visites techniques à l'étranger font l'objet d'un rapport qui est soumis à l'Office. Le dernier est issu de notre visite en Angleterre en 2023.
Le rapport annuel est remis à l'Office. Autrement dit, il est transmis au Parlement puis rendu public. Ce rapport est également remis chaque année aux commissions locales d'information et de surveillance (CLIS).
Enfin, la CNE2 peut être saisie par l'OPECST sur des sujets qui l'intéressent, en particulier des thèmes portant sur le cycle du combustible.
Vous avez rappelé que le contexte a radicalement changé ces dernières années. En effet, les pouvoirs publics ont décidé d'une relance de l'énergie nucléaire en France, à savoir la construction de nouveaux réacteurs nucléaires de puissance et le soutien à des projets de petits réacteurs modulaires. De plus, le Conseil de politique nucléaire du 26 février 2024 a confirmé la politique de retraitement des combustibles usés dans l'objectif de la fermeture complète du cycle.
Cette année, la commission a organisé sa réflexion autour de ces principes. J'ajoute que la recommandation qu'elle a émise il y a deux ans reste actuelle. Il nous semble important que l'objectif de puissance installée du parc électronucléaire soit fixé dès que possible et cela concerne aussi la programmation pluriannuelle de l'énergie (PPE). Ce point est important pour l'organisation de la filière, notamment pour mettre à jour les simulations d'évolution du parc visant cet objectif. Ceci inclut le type et le nombre de réacteurs, leur calendrier de construction ainsi que les durées de fonctionnement prévisibles et, parce que tout le cycle du combustible est impliqué, les besoins en usines du cycle ainsi que la quantité et la nature des déchets produits.
Enfin, considérant que seuls les réacteurs à neutrons rapides (RNR) de puissance sont capables de fermer complètement le cycle, les scénarios de fermeture devraient intégrer les phases de transition entre les différents types de réacteur.
Concernant le soutien aux petits réacteurs modulaires (Small Modular Reactor, dit SMR) ou petits réacteurs avancés (Advanced Modular Reactor, dit AMR), le plan « France 2030 » a sélectionné dix projets. La première étape prévoit la mise à disposition de fonds d'amorçage. La seconde prévoit des financements plus importants. La commission recommande que la suite du plan « France 2030 » concentre son soutien sur un nombre très restreint de projets pour plus d'efficacité. Cela permettra d'éviter la dispersion. En outre, il nous semble que ces projets devraient être sélectionnés en prenant en compte l'intérêt des technologies développées pour la stratégie énergétique nationale. En particulier, la CNE2 estime qu'il faut prendre en compte non seulement leur impact sur l'approvisionnement en combustible, sur le cycle et sur les déchets produits mais aussi, plus généralement, sur le service qu'ils rendent à la production d'énergie et à la décarbonation.
Il nous semble également que l'allocation des financements devrait intégrer un indicateur réaliste de la maturité des projets, indicateur qui devrait être certifié par une évaluation indépendante.
Ces projets ont souvent vocation à se déployer sur de nouveaux territoires et, parfois, à proximité de certaines activités, par exemple électrique ou thermique pour l'industrie. Par conséquent, la commission recommande que le cadre d'intégration de ces concepts dans des environnements industriels et urbains soit établi au plus tôt et qu'il prévoie une concertation avec les parties prenantes.
Dans le contexte de la relance du nucléaire en France, la commission s'est naturellement intéressée à la place du Commissariat à l'énergie atomique et aux énergies alternatives (CEA). Elle lui a consacré deux auditions pendant l'année 2023-2024. Vous le savez, le CEA a une activité importante sur différents sujets et, en particulier, sur le nucléaire.
Les travaux du CEA sont présentés selon quatre axes. Deux axes sont à court terme : ils concernent le soutien à l'industrie avec, par exemple, des travaux sur le fonctionnement des centrales actuelles ou sur l'allongement de leur durée de vie. À l'évidence, ces travaux sont très utiles. Le troisième axe est à moyen terme et concerne le soutien aux projets de SMR et d'AMR, les start-up ainsi que des réflexions systémiques sur les nouveaux usages du nucléaire. Le quatrième axe est à plus long terme et concerne le cycle avancé et les RNR.
Comme nous l'avons dit précédemment, la fermeture du cycle est l'un des axes majeurs de la stratégie nucléaire française. Par conséquent, la commission s'est particulièrement intéressée aux travaux de recherche et développement (R&D) devant conduire à la fermeture du cycle grâce à des réacteurs à neutrons rapides de puissance et au combustible associé. Il s'agit, comme je l'ai dit, d'un axe de R&D à plus long terme, pour lequel le CEA a présenté la consolidation de travaux antérieurs à 2019 qui se poursuivent à petite échelle, par la simulation et la veille.
Sur le cycle, le CEA mène un certain nombre de projets, notamment à travers le multi-recyclage en REP (réacteur à eau pressurisée). Cependant, celui-ci ne répond pas à tous les enjeux du combustible « Mélange d'oxydes avec un spectre RNR » (MOX-RNR).
Bien que ceci lui ait été demandé, le CEA n'a pas exposé à la commission de véritable stratégie R&D permettant de développer un cycle du combustible adapté aux RNR à l'échelle industrielle, de réduire le coût unitaire des réacteurs ou encore de déterminer comment accélérer leur arrivée dans le parc, si une telle décision devait être prise.
Il est vrai que la politique nucléaire de la France a beaucoup évolué au cours des dernières années. Peut-être le CEA a-t-il estimé qu'une telle présentation était prématurée, préférant attendre des orientations plus explicites des pouvoirs publics quant à l'avenir du retraitement. Malgré tout, la commission déplore que le CEA ne lui ait pas présenté sur ce sujet de stratégie de recherche ni un programme propre de R&D plus ambitieux. Il n'en demeure pas moins que la commission observe que le CEA dispose de personnel de haute qualité scientifique et technique, à même de mener des recherches de très haut niveau. C'est pourquoi définir un programme ambitieux, en particulier sur le programme de « génération IV », serait un puissant facteur de motivation, très utile dans le contexte de la relance du nucléaire.
Je vais maintenant aborder les matières nucléaires dans un contexte de souveraineté énergétique.
En remarque liminaire, je considère que les matières sont utiles pour leur contenu énergétique. Donc la commission recommande de ne pas envisager leur déclassement en déchets, sauf si leur absence d'intérêt est avérée.
L'industrie française est bien positionnée car elle dispose sur son sol des moyens nécessaires à la conversion et à l'enrichissement de l'uranium naturel dont elle a besoin. L'année dernière, nous avions évoqué ce sujet ici même. La commission recommande de mener à bien les actions qui permettront à la filière d'utilisation de l'uranium d'accéder au même degré de souveraineté.
Les diverses dispositions prises par l'industrie limitent fortement les risques conjoncturels pesant sur l'approvisionnement en uranium naturel, à court et moyen terme. Néanmoins, la situation est moins claire concernant les risques structurels à long terme. En effet, la montée en puissance annoncée du parc nucléaire mondial accélère la consommation des ressources et des tensions géopolitiques peuvent entraîner la perte d'accès à certaines de ces ressources. Même si la part du coût de l'uranium naturel dans le prix de l'électricité est assez faible, la commission considère que la décision de reporter à la fin du siècle le déploiement des RNR est insuffisamment fondée, car elle ne s'appuie que sur des considérations relatives au prix de l'uranium en négligeant les risques sur sa disponibilité.
J'ajoute que la filière de retraitement allège la dépendance de la France à l'uranium naturel. Le MOX permet une économie significative dans l'usage de celui-ci.
Comme vous le savez, nous avons regardé pendant plusieurs années les travaux relatifs au multirecyclage en réacteur à eau pressurisée (MRREP) avec un certain scepticisme, lié aux solutions techniques et à l'organisation de la filière. Dans les travaux qui nous ont été présentés en 2023 et 2024, nous notons la proposition d'un nouveau combustible appelé le MOX MR. Ce choix conduit à des simplifications significatives de gestion. Il répond donc en partie aux critiques que nous avions formulées sur les premières orientations du projet. Il s'agit d'une amélioration sensible de la crédibilité technique du projet de multi-recyclage.
La commission observe cependant que le déploiement sera nécessairement limité dans la durée, en raison de la disponibilité insuffisante de plutonium issu du retraitement du combustible actuel nécessaire pour fabriquer ce nouveau combustible.
Si la mise en oeuvre du MRREP était décidée, la commission recommande de conduire des travaux de R&D permettant de s'assurer que le multi-recyclage en RNR sera disponible, au plus tard, au moment où la fabrication du MOX MR ne sera plus possible. Il faudra également piloter la gestion du parc pour garantir qu'un stock suffisant de plutonium de qualité fissile appropriée soit disponible à cette date.
Cela m'amène à faire deux rappels directs sur les RNR.
L'objectif de fermeture complète du cycle n'est accessible que par le déploiement d'un parc de RNR de puissance élevée. Un tel déploiement offre d'ailleurs des garanties contre les risques de crise structurelle d'approvisionnement en uranium. La commission est convaincue que ce but ne pourra être atteint qu'en réévaluant complètement les objectifs, dans une perspective globale, grâce à la création d'un nouveau programme d'ensemble à visée industrielle qui sera échéancé et financé. Celui-ci ira jusqu'au déploiement d'un parc RNR de puissance ainsi que des usines du cycle associées.
Afin de garantir que le programme arrivera à terme dans les temps fixés, tous les obstacles à sa réalisation devront être identifiés. Ainsi, le programme devra prévoir toutes les installations indispensables, y compris les outils d'irradiation pour qualifier, en spectre rapide, les combustibles et les matériaux. Il devra conduire à la fermeture complète du cycle en temps opportun, dans des conditions économiques acceptables. Vous pouvez observer que je ne fixe pas de date précise, mais que j'utilise l'expression « temps opportun » puisque ce temps est un choix politique et n'est donc pas du ressort de la commission.
Tout ceci a des implications sur les usines du cycle. Pour ce qui est de la fabrication des combustibles, une nouvelle usine doit être construite afin de prendre la suite de Mélox dans les années 2040. Nous attirons l'attention sur le fait que les cadences devront être significativement supérieures à celles atteintes dans la mise en oeuvre du monorecyclage. Évidemment, tout ceci dépend fortement de la puissance installée.
Pour le retraitement des combustibles MOX MR, deux options sont envisagées. On peut chercher à adapter les usines actuelles, quitte à dupliquer certains équipements de manière à atteindre la cadence nécessaire. On peut aussi envisager un changement des procédés. Il faut toutefois être vigilant sur ce point, car si divers procédés ont déjà été testés en laboratoire, des travaux importants sont encore nécessaires pour les qualifier à l'échelle industrielle. Concernant l'augmentation de la teneur en plutonium (Pu) des combustibles usés pour le MOX MR et, encore plus pour le MOX RNR, la commission observe que seule la seconde option permet aussi d'envisager le retraitement des MOX RNR très riches en plutonium. Nous recommandons donc d'intensifier et de concrétiser la R&D afin de porter les nouveaux procédés jusqu'à maturité industrielle et d'être attentif à concentrer en priorité les efforts sur les briques de l'édifice qui sont aussi utiles aux RNR.
Enfin, pour les usines de fabrication du combustible et de retraitement, la commission recommande que les études soient complétées afin de prendre en compte les besoins du parc RNR de puissance.
J'en arrive aux déchets de haute ou moyenne activité à vie longue (HA-MAVL). Nous poursuivons notre analyse de la demande d'autorisation de création (DAC) de Cigéo pour élaborer notre rapport. La publication de celui-ci est prévue pour la fin de l'année 2025. Par conséquent, je m'exprimerai assez peu sur Cigéo aujourd'hui. Je dois cependant vous délivrer quelques messages.
Le premier message est que la commission recommande que le décret d'autorisation de création fixe l'inventaire des déchets à stocker dans Cigéo comme étant celui qui est défini dans l'inventaire de référence.
Le deuxième message porte sur la phase industrielle pilote (Phipil). Nous rappelons que sa vocation première est de valider et de qualifier les processus industriels. Nous recommandons que les critères de réussite de la Phipil soient fixés en amont du décret de création, afin que chacun sache à quoi s'en tenir. Nous préconisons aussi que la mise en oeuvre soit de la pleine responsabilité de l'exploitant. Enfin, nous recommandons que les opérations de stockage ne soient pas interrompues pendant la phase d'instruction de la Phipil.
Le troisième message est que pendant cette phase d'instruction de la demande d'autorisation de création et pendant toute la vie de Cigéo (si le centre est créé), les recherches sur le stockage géologique ont vocation à continuer. C'est une excellente chose et nous encourageons la poursuite d'une activité de R&D tout au long de la vie du stockage. Il s'agit d'abord d'accompagner les innovations - qui ne manqueront pas d'apparaître - de manière à être capable d'en tirer tout le profit. Cela participe de l'adaptabilité du stockage. Il faut aussi maintenir une compétence scientifique et technique sur le long terme dans tous les domaines d'intérêt pour Cigéo. Enfin, la commission souligne que cette démarche de R&D continue, y compris les outils associés, contribue sur le long terme à la crédibilité de l'exploitant.
Mme Saida Laârouchi Engström, vice-présidente de la CNE2. - La commission a réalisé une revue de stratégie qui s'intéresse à la gestion des déchets de haute et moyenne activité, notamment des combustibles usés, dans le monde.
Il en ressort que le stockage géologique est la méthode de référence pour gérer ce genre de déchets. Cependant, la manière d'appliquer cette stratégie est très différente selon les pays. À ce jour, seuls deux pays ont pu obtenir le permis de créer un stockage géologique : la Finlande et la Suède. La Finlande, notamment, a une avance assez importante. En effet, les Finlandais sont déjà dans une phase d'essais préliminaires de leur stockage.
Le Canada et la Suisse ont aussi engagé un processus de travail en la matière. La Belgique a émis une proposition de sélection de sites, mais il faudra encore beaucoup de temps afin que ce pays réussisse à sélectionner un site.
La plupart des autres pays - même ceux qui ont mis en oeuvre de grands programmes nucléaires, comme les États-Unis - sont toujours victimes de blocages : politiques, juridiques, etc. La question de la sélection des sites est au coeur des blocages. La sélection de sites a des implications sociétales et politiques. Pour résumer, cela avance à petits pas.
M. Pierre Henriet, député, premier vice-président de l'Office. - Je vous remercie de cette présentation, qui va permettre aux collègues présents de poser un certain nombre de questions.
M. Maxime Laisney, député. - Je vous remercie de cette présentation. Je poserai deux séries de questions concernant deux sujets différents.
Vous avez indiqué que vous ne pouviez pas donner beaucoup de détails sur Cigéo. En dépit de cela, à partir des éléments que vous avez donnés et de ceux provenant du rapport, j'ai deux questions.
Ma première question porte sur la fin de la Phipil. Vous recommandez de ne pas interrompre la descente des colis à l'issue de la Phipil, avant d'avoir obtenu l'autorisation. En revanche, j'ai remarqué que, dans votre rapport, il n'est nulle part fait mention d'une décision du Parlement. Or, jusqu'ici, dans tous les documents - qu'il s'agisse de la DAC ou du PNGMDR actuel - une décision du Parlement est bien prévue pour décider de poursuivre ou non les actions entreprises.
Ma deuxième question concerne le réchauffement climatique, car Cigéo est placé sur le calcaire du Barrois. Votre rapport ne contient que deux mentions sur le changement climatique. L'une indique que l'on va réaliser des études, notamment pour déterminer si le dérèglement climatique est susceptible d'avoir une incidence sur les inondations et les structures. Cependant, il n'est rien dit de cette fameuse couche de calcaire. Au printemps, je suis allé visiter Cigéo et je suis descendu à cinq cents mètres sous terre. Il m'a été expliqué que le but de Cigéo n'était plus de construire un coffre-fort, mais d'organiser la compétition entre la migration des radionucléides et la décroissance de la radioactivité. Avec le changement climatique, j'imagine que cette couche de calcaire pourra évoluer et nous faire, pour ainsi dire, malheureusement perdre cette compétition.
Ma deuxième série de questions porte sur le cycle du combustible. Si j'ai bien compris, pour enrichir l'uranium de retraitement, nous sommes obligés de solliciter la Russie. Par conséquent, nous n'avons actuellement pas de vraies solutions pour l'uranium de retraitement appauvri, l'uranium de retraitement enrichi usé et le MOX usé. Donc, pour le moment, nous ne savons pas vraiment quoi faire de toutes ces matières. De plus, sur le MR-REP comme le RNR, la R&D a encore beaucoup de défis à relever. Par conséquent, tout ceci n'est pas gagné. Vous aviez dit que le politique bloque la situation, mais j'ai l'impression qu'il existe également des défis industriels et technologiques. La question des coûts se pose également et n'apparaît pas beaucoup. Si vous avez fait quelques alertes, nous manquons de chiffres.
Ma dernière question porte également sur le cycle. Beaucoup de choses devraient se dérouler sur le site de La Hague. Pour le moment, nous en ignorons la nature car il y a eu de nombreuses annonces quelque peu contradictoires durant l'année écoulée. De nombreuses installations nucléaires de base (INB) sont présentes dans le secteur : Flamanville est à peine à vingt kilomètres, avec deux réacteurs en fonctionnement et un EPR qui peine à diverger. Est-ce bien raisonnable ?
M. Daniel Salmon, sénateur. - Merci pour votre présentation. Je m'interroge : peut-on réellement réaliser un « recyclage complet », expression employée dans le titre du rapport de la commission ? Pour moi, des actinides mineurs et des déchets existent toujours. N'y a-t-il donc pas une petite tromperie sur ce titre ?
J'ai un certain nombre de questions qui font écho aux déclarations de Bernard Doroszczuk, qui vient de quitter ses fonctions de président de l'Autorité de sûreté nucléaire (ASN). Il pointait la fragilité de la filière, en lien notamment avec la gestion des déchets : il mettait en exergue le fait que le moindre aléa pouvait mettre à mal toute la filière.
J'ai des questions concernant les SMR, puisque nous finançons des start-up porteuses de projets plus ou moins crédibles. En particulier, j'ai noté que l'une d'entre elles se nomme Renaissance Fusion. Ces start-up ont-elles la capacité de travailler sur la fusion, lorsqu'on voit les difficultés rencontrées dans ce domaine ?
J'aimerais également que nous fassions le point sur la transmutation.
Votre rapport parle surtout de la gestion des déchets issus des combustibles, mais je m'interroge aussi sur celle des déchets liés au démantèlement des centrales. Ce sujet est également mis en avant par Bernard Doroszczuk ; il indique que nous ne possédons pas les sites adéquats pour procéder au démantèlement. J'avais visité Chinon et j'avais pu voir les trois réacteurs à l'arrêt ; ils ne sont toujours pas démantelés. Étant breton, je connais le site nucléaire de Brennilis qui a été arrêté en 1985, mais dont le coeur est toujours là. Donc la question du démantèlement reste à l'ordre du jour.
Ma dernière question est relative aux coûts.
En premier lieu, le coût économique est très peu présent dans votre rapport. Ce n'est peut-être pas son but, mais on y parle tout de même d'investissements conséquents et nous n'avons aucune idée des montants tant pour l'amont que pour l'aval. Or nous devrons produire de nouveaux combustibles, alors qu'aujourd'hui, une partie de nos combustibles est importée de l'ex-URSS. Qu'en est-il de ces investissements ?
En second lieu, le rapport dit que le CEA devrait faire davantage de recherche. Mais en a-t-il les moyens ? Faut-il mettre davantage de moyens sur la recherche nucléaire ou faut-il les orienter ailleurs ? Là encore, cette décision est politique. Vous n'allez sans doute pas répondre à cette question, mais nous avons vraiment besoin d'avoir une lisibilité sur l'ensemble de la filière ainsi que sur la totalité du coût énergétique de l'amont et de l'aval du cycle. Il faudrait déterminer l'énergie consommée dans la filière nucléaire pour la production du combustible et celle qui est consommée pour la gestion des déchets.
M. Vincent Lagneau. - Je propose que Philippe Gaillochet réponde sur la Phipil.
M. Philippe Gaillochet, membre de la CNE2. - Le dossier de la Phipil va être instruit pendant un certain temps. À l'issue de cette instruction, le Parlement se prononcera - la commission n'élude pas ce fait. Ce que nous avons voulu dire est que cette durée d'instruction peut être plus ou moins longue et que, pendant celle-ci, il serait très difficile d'arrêter toute la mécanique de descente des colis et la marche de l'installation. En effet, on sait que le redémarrage d'une installation de type industriel représente un grand risque, car c'est toujours un processus très compliqué. Nous avons donc voulu souligner qu'il convient de faire attention à ne pas empêcher la cinétique de l'installation de se dérouler sauf à risquer des difficultés de redémarrage si une telle décision est prise.
M. Vincent Lagneau. - Je ne vais pas me prononcer sur le fonctionnement de Cigéo et sur le fait qu'il pourrait être affecté ou pas par le changement climatique. Je garderai ma réserve tant que l'instruction n'est pas terminée. Néanmoins, je peux donner quelques éléments.
Nous travaillons sur le réchauffement climatique, à court et à moyen terme, afin d'identifier ce qui nous attend dans les prochaines dizaines ou centaines d'années d'exploitation. Les installations sont-elles conçues pour résister au changement climatique ? C'est à cette échelle temporelle que des inondations peuvent arriver. De même, les installations sont-elles dimensionnées pour résister aux chutes de neige que nous pouvons attendre ?
Nous regardons aussi ce qui peut se passer sur le long terme, en considérant le changement climatique à l'échelle géologique - y compris la survenue des prochaines glaciations - et l'évolution des conditions aux limites de Cigéo, en lien avec l'évolution des paysages et des flux hydriques dans le milieu.
S'agissant du calcaire du Barrois et de la compétition entre migration et désintégration, le stockage comporte non seulement la partie souterraine qui sera construite de main humaine, mais aussi la totalité de la couche argileuse. C'est cette dernière partie qui est la plus importante et c'est celle-ci qui est concernée par la compétition qui a été évoquée. La couche calcaire du Barrois est située au-dessus, de même que d'autres couches ; ces couches intermédiaires avec la surface n'ont pas de rôle au regard de la sûreté du stockage, donc de l'objectif de confinement que poursuit Cigéo. Cela est bien déconnecté. Encore une fois, je ne détermine pas si cela est bien ou mal, je me contente de donner quelques éléments généraux.
La filière de l'uranium de retraitement (URT) est en train de s'organiser pour se consolider en France ou en Europe. Le but est de ne plus dépendre de la Russie. Cependant, je ne crois pas qu'un site soit définitivement choisi ; plusieurs options sont ouvertes. Je voudrais aussi relativiser la crainte de se mettre entre les mains de la Russie pour une partie de la filière. Ce n'est évidemment pas souhaitable, mais construire notre souveraineté est très long.
J'ajoute que la reconsommation de l'URT n'est pas une urgence. Nous sommes contents de ne pas avoir à le stocker car nous sommes capables de le valoriser afin d'en faire quelque chose ; si nous ne savons pas le faire, il devient un déchet. Nous avons du temps, ce n'est pas une priorité. Si cela exige quelques années, la structure française d'approvisionnement en combustible ne sera pas modifiée.
S'agissant des défis du multirecyclage en REP et en RNR, j'ai peut-être trop mis l'accent sur la dimension politique en indiquant que certaines choses ne concernent pas la commission, car elles relèvent de choix de société : comment souhaitons-nous produire notre électricité ? De combien d'énergie avons-nous besoin ? Le Parlement est le bon endroit pour en discuter et je suis là uniquement pour apporter un éclairage sur les aspects techniques et leurs implications.
À cet égard, il y a encore beaucoup de choses à faire sur la partie industrielle. Sur le MR-REP, le projet technique nous paraît plus solide que ces dernières années. Il reste cependant du travail à réaliser pour arriver au bout de l'analyse et je sais que la filière s'y attelle. En définitive, un choix politique devra être fait : est-ce une bonne idée de faire du MR-REP ou non ? L'année dernière, notre rapport indiquait qu'il serait préférable de faire directement du RNR sans passer par le MR-REP. Pour affirmer ceci, nous nous appuyions sur un certain nombre de difficultés que nous avions identifiées sur le MR-REP. Une partie de ces difficultés sont levées. Je réaffirme que le choix de faire du MR-REP, de passer directement au RNR ou de ne rien faire du tout est un choix politique.
Je ne vais pas répondre aux questions portant sur le site de La Hague. Effectivement, un certain nombre de projets y sont prévus, en particulier pour les usines du cycle. Je ne sais pas jusqu'où l'analyse de ces projets a été menée, donc je ne peux pas les commenter. Par ailleurs, la question que vous posiez portait plutôt sur la sûreté, qui ne fait pas partie du périmètre de la commission. Vous me permettrez donc d'éluder cette question ou de vous suggérer de la reposer aux personnes compétentes.
L'expression « recyclage complet » est-elle pertinente ? Je vais étendre la question à l'expression « fermeture du cycle » : celui-ci n'est pas fermé, même quand il est réputé l'être. Quand on parle de cycle « complètement fermé », cela signifie seulement que l'on n'y fait plus entrer d'uranium naturel, car il y a évidemment des choses qui en sortent. Justement : qu'est-ce qui en sort ? Il en sort des produits de fission qui seront, quoi qu'il arrive, des déchets ; il en sort le plutonium, qui devient un combustible dans le cycle fermé ; il en sort aussi des actinides mineurs qui sont difficilement valorisables sur un plan énergétique.
Ceci ramène à la question relative à la transmutation. Techniquement, certaines opérations pourraient être possibles, mais tout n'est pas démontré. La commission s'est déjà exprimée sur le fait que la transmutation peut avoir des effets bénéfiques, en particulier, pour diminuer l'emprise du stockage, notamment en éliminant une partie des actinides mineurs les plus chauds. Pour autant, il restera des déchets : produits de fission et actinides mineurs. Donc le « recyclage complet » désigne plutôt la meilleure valorisation possible de la matière : l'uranium et le plutonium, qui sortent de la boucle. Il faut l'entendre ainsi.
Ceci peut donner l'impression d'être un oxymore : ce n'est pas une entourloupe et il se trouve qu'il s'agit du langage consacré. À partir du moment où nous sommes au clair sur ce dont nous parlons, faire évoluer le langage me paraît secondaire.
Abordons la fragilité de la filière des déchets. J'ai assisté au discours de M. Doroszczuk et je ne l'ai pas interprété de la même manière que vous. Il a dit qu'il était important d'avoir consolidé la totalité des briques de toutes les filières de déchets - il s'agit de ma perception de son discours - de manière à ce que la production nucléaire ne soit pas fragilisée. Toute industrie, en particulier nucléaire, qui n'est pas capable de gérer ses déchets a un problème. Ma collègue suédoise soulignera peut-être qu'en Suède, il est interdit de pratiquer une activité industrielle si elle n'a pas d'exutoire. Donc je rejoins M. Doroszczuk sur le fait que nous devons trouver un exutoire pour tous les déchets.
C'est en cours d'instruction pour les déchets de haute activité et de moyenne activité à vie longue et je ne préjuge pas du résultat de cette instruction. C'est également le cas pour les déchets de faible activité. Enfin, si pour les déchets de faible et moyenne activité, il n'existe rien pour le moment, nous avons prévu d'étudier à nouveau ce problème cette année.
Le sujet des start-up est vaste et il se situe aux limites de notre compétence. Par conséquent, je ne porterai pas de jugement sur la maturité technique des projets. J'ai attiré l'attention sur le fait que nous souhaitons que cette maturité soit évaluée, non pas pour éliminer les projets les moins matures, mais pour être sûr de l'endroit où devrait être investi l'argent public. En tant que contribuable, je veux bien payer pour un projet dont l'aboutissement est prévu dans cinquante ans, mais il ne faut pas prétendre qu'il sera réalisé l'année prochaine. C'est le sens de cette remarque. Une analyse indépendante a été menée, mais ses résultats n'ont pas été communiqués et j'ignore quand ils le seront.
Renaissance Fusion travaille effectivement sur un projet de fusion nucléaire. Ce genre de projets est évidemment à plus long terme que ceux qui reposent sur des concepts déjà éprouvés. Je ne peux pas en dire beaucoup plus.
Toutefois, je veux préciser que nous sommes vigilants sur deux sujets importants que sont l'approvisionnement en matières et les déchets produits par ces start-up. Nous avons commencé à les rencontrer il y a trois ans. À cette date, la question des matières était accessoire.
Néanmoins, la situation évolue et il est très clair que ces sujets sont désormais intégrés aux préoccupations de tous les porteurs de projets que j'ai pu rencontrer - à des degrés plus ou moins forts. Pour un projet à très long terme, on peut comprendre que la question des matières soit secondaire par rapport à la consolidation du design du réacteur. Cependant, pour un porteur de projet qui a déposé sa DAC il y a quelques semaines, il est indispensable qu'il soit capable de répondre à la question de l'approvisionnement en matières et qu'il mentionne des idées sur la façon de gérer les déchets.
En outre, nous n'avons pas réalisé l'analyse des coûts en amont et en aval. Or tous ces développements sont évidemment réalisés sous contrainte économique. Il s'agit d'ailleurs d'un des points d'alerte que nous posons. En effet, il convient de bien réfléchir au choix avant de s'engager dans quelque chose que l'on pourrait regretter par la suite. L'année dernière, la commission avait dit qu'il serait souhaitable de passer directement du MR-REP au MR-RNR eu égard aux coûts du MR-REP. Cela semblait pertinent s'il était décidé d'utiliser le MR-RNR et que le MR-REP n'apportait pas un avantage significatif. Depuis, je suis légèrement revenu sur cette préconisation, me basant sur l'ensemble des éléments qui nous ont été fournis cette année sur l'évolution du concept. Il faut toujours se poser cette question-là. Et je suis maintenant moins hostile à l'égard de la partie MR-REP.
Le contenu énergétique de la matière nucléaire est tel que, du début à la fin, quel que soit le processus industriel, le bilan énergétique global est toujours largement gagnant. En effet, un gramme d'uranium contient autant d'énergie qu'une tonne de charbon. Il ne s'agit que d'un ordre de grandeur. Pour produire et traiter un gramme d'uranium, on ne mobilise pas du tout la même intensité énergétique que pour le charbon. Ainsi, la question du coût économique est extrêmement pertinente et la question du coût énergétique est résolue instantanément. Par conséquent, le bénéfice énergétique est gigantesque par rapport à l'investissement énergétique.
M. Daniel Salmon, sénateur. - Ma question n'était pas tout à fait orientée en ce sens. En fait, il s'agissait de savoir quelle est, aujourd'hui, la puissance nécessaire pour gérer les déchets en France ? Par exemple, j'ignore combien consomment les usines de retraitement de La Hague. La problématique est de mesurer combien de réacteurs sont nécessaires pour gérer la production de combustible en amont et la gestion des déchets en aval.
M. Vincent Lagneau. - Voici un début de réponse : l'enrichissement pour la totalité du parc nucléaire français coûte un dixième de réacteur. Donc, nous mobilisons un dixième de réacteur afin de réaliser l'enrichissement de tout le combustible dont nous avons besoin pour cinquante réacteurs.
M. Philippe Gaillochet. - Pour ce qui est de l'URT, vous avez certainement perçu que l'un des fils directeurs du rapport - ce qui correspond bien évidemment à nos préoccupations - est la pérennité de la fourniture de matières fissiles pour le parc électronucléaire. À ce sujet, nous avons insisté dans un précédent rapport sur l'importance de la valorisation de l'uranium appauvri. Nous possédons un stock d'uranium appauvri, résultant de l'enrichissement, qui garantit sept à huit années de fonctionnement du parc. C'est le premier élément. Donc, en cas de rupture d'approvisionnement, il y a cette capacité à répondre aux besoins.
En second lieu, la faisabilité de l'utilisation de l'uranium de retraitement a été démontrée sur plusieurs tranches à Cruas-Meysse. En vérité, le problème actuel est que la France dépend de la Russie pour la conversion et, évidemment, pour l'enrichissement. Ceci étant, l'industrie française, et en particulier Orano, sera en capacité de proposer une solution pour le réenrichissement de l'uranium de retraitement.
La question qui se pose actuellement est donc celle de la conversion. Il est envisagé de la traiter au niveau européen. D'ailleurs, la proposition de troisième Programmation pluriannuelle de l'énergie (PPE), pour la période 2025-2035, s'interroge sur la possibilité de mettre en place une filière européenne de réenrichissement et de conversion de l'uranium de retraitement.
En définitive, il s'agit d'une ressource importante qui, comme l'uranium appauvri, garantit une certaine durée d'approvisionnement du parc électronucléaire français.
Mme Dominique Voynet, députée. - Votre exposé et votre rapport sont intéressants. Je voudrais néanmoins revenir sur deux sujets.
Le premier est la question du stockage géologique. Vous l'avez présenté, madame, comme la « solution de référence ». Je ne trouve pas que cette affirmation soit tellement pertinente au regard de la réalité. En fait, la plupart des pays nucléaires stockent en surface ou en sub-surface, de manière plus ou moins ordonnée et à proximité de sites de production ou dans des sites de stockage. D'ailleurs, en France, la loi prévoyait de tester plusieurs hypothèses et de retenir plusieurs laboratoires dans des sols différents : du granite et de l'argile.
Je constate aussi que les concepts ont évolué. Vous nous avez longtemps parlé de réversibilité. Cependant, vous parlez maintenant de récupérabilité sans pour autant préciser à quel horizon cette récupérabilité des colis est envisagée.
J'aurais donc aimé avoir un aperçu plus complet des hypothèses de devenir des matières nucléaires. De fait, leur stockage se complexifie au fur et à mesure que nous considérons que seuls doivent être tenus pour des déchets définitifs les actinides mineurs, les produits de fission et les déchets vitrifiés.
La deuxième question concerne les start-up. Avec beaucoup de lucidité, vous avez évoqué le risque de dissémination lié à l'approvisionnement en matières ou au devenir des déchets. J'aurais voulu en savoir davantage sur les liens que ces start-up entretiennent avec les « grands » du secteur ainsi qu'avec les autres puissances nucléaires, européennes ou mondiales. Est-ce que la gestion des matières est parfois envisagée en lien avec ces différents acteurs ?
Vous avez affirmé que de nombreux choix relèvent du politique et vous avez bien raison. Tout au moins, nous aimerions que ce soit vrai.
Concernant la fixation de l'objectif de puissance totale recherchée, vous avez répondu à Daniel Salmon il y a quelques instants. Pourtant, nous n'avons pas eu le sentiment que la puissance consommée par le fonctionnement endogène de l'ensemble du cycle soit sérieusement évaluée. Évidemment, nous aimerions obtenir des données sur ce point.
Sur le calendrier de déploiement et les coûts - ou plutôt sur la part de la richesse nationale - que nous entendons consacrer à la filière nucléaire, je pense que nous sommes dans une nasse. Vous dites que ce serait une bonne idée de faire du MR-REP ou des RNR. Serait-ce un choix politique opéré les yeux ouverts ou serait-ce plutôt un fantasme irrationnel nourri par des espoirs un peu puérils ? La question est posée. Je ne veux insulter personne ici, mais je constate qu'à ce stade, il y a sur la table davantage de questions que de réponses. En vérité, à chaque étape, on justifie la poursuite des programmes - voire la fuite en avant à bien des égards - par le fait que les phases précédentes ont déjà coûté beaucoup d'argent. Ainsi, en pratique, nous rendons les choses irréversibles.
En outre, la production d'électricité n'est pas le seul domaine du nucléaire où se pose la question de savoir s'il faut construire de nouvelles installations. L'Organisation européenne pour la recherche nucléaire (CERN) s'inscrit actuellement dans cette approche. Cela fait rêver : nous sommes dans un monde magique où les progrès de la R&D permettront de résoudre des questions qui ne sont pas encore totalement clarifiées, un monde dans lequel ne pèsent ni contraintes budgétaires ni contraintes techniques...
Je suis favorable à la recherche et je trouve qu'il est de notre responsabilité, en tant qu'être humain, de nous projeter dans les décennies à venir afin de préparer l'avenir des générations qui viendront après nous. Néanmoins, je constate aussi qu'objectivement, ce choix ampute notre marge de manoeuvre pour les décisions à prendre maintenant et qui concernent les deux prochaines décennies, particulièrement en ce qui concerne le développement des énergies renouvelables. Si celles-ci font parfois sourire dans l'Hémicycle, elles ne font sourire qu'en France.
Toutefois, je suis consciente que ce n'est pas à vous que je devrais poser ces questions.
M. Pierre Henriet, député, premier vice-président de l'Office. - Nous allons écouter plusieurs autres questions. Mes chers collègues, afin de rester dans la qualité de débat qui a toujours été celle de l'Office, évitez de parler de « puérilité » quand il s'agit d'avoir l'ambition d'approfondir la connaissance humaine et le rêve en science. Nous pourrions d'ailleurs avoir ce débat philosophique qui est un élément moteur pour la recherche scientifique. À mon sens, il en est même consubstantiel. Donc, faisons attention aux mots que nous utilisons, ne serait-ce que pour respecter nos invités qui sont, chaque jour, les ardents défenseurs de cette connaissance nouvelle.
Mme Dominique Voynet, députée. - Monsieur le premier vice-président, je les ai sentis bien plus prudents ! Cela fait déjà deux fois en deux réunions que vous me reprenez avec un peu de condescendance. Je constate que certaines choses affirmées ici relèvent, je ne vais pas dire de l'espoir puéril, mais de la méthode Coué. J'espère que notre débat montrera que je me trompe.
M. Pierre Henriet, député, premier vice-président de l'Office. - Je préside pour la première fois une réunion de l'Office depuis la nouvelle législature, mais je pense que nous devons nous en tenir à certains termes pour la bonne tenue de nos débats.
M. Jean-Luc Fugit, député, vice-président de l'Office. - Merci monsieur le premier vice-président. J'ignore si les débats énergétiques font parfois sourire dans l'Hémicycle. Avant de commencer, je me permets de rappeler à toutes les personnes présentes autour de cette table que Réseau de transport d'électricité (RTE) a publié hier les chiffres de la production d'électricité en France, à cette date et pour l'avenir. En fait, il ne faut pas choisir entre les énergies renouvelables et le nucléaire puisque cette dualité se porte bien et que nous observons un rétablissement du potentiel de production. Les chiffres publiés hier par RTE sur le nucléaire montrent une disponibilité du parc nucléaire qui continue de se rétablir depuis deux ans. La puissance disponible est supérieure de quinze gigawatts à celle de novembre 2022 et de neuf gigawatts à celle de novembre 2023. Simultanément, l'éolien, le photovoltaïque et l'hydraulique progressent aussi de manière significative.
Pour en revenir au débat, j'ajoute que je ne souris pas lorsque ces sujets sont évoqués et je travaille dessus avec sérieux, y compris quand il s'agit du renouvelable. J'ajoute que le renouvelable ne s'oppose pas au nucléaire, et réciproquement. En vérité, nous nous opposons aux énergies fossiles et la vérité n'est pas uniquement l'apanage de certains. Nous essayons simplement d'améliorer les choses.
Sur le rapport, je voudrais revenir sur la fermeture complète du cycle des RNR et sur la notion de trajectoire. J'essaie de comprendre ce document, car je ne suis pas une personne qui comprend les choses instantanément. Il faut qu'elles me soient expliquées. Vous dites que l'objectif de fermeture complète du cycle a été réaffirmé. Cependant - j'ai peut-être mal compris - je suis gêné par les problèmes liés à l'arrêt du projet de réacteur Astrid en 2019.
Vous affirmez également qu'il faut s'appuyer sur les acquis du passé et que ce programme devra, en temps opportun, obtenir la fermeture complète du cycle dans des conditions économiques acceptables. Ceci requiert, d'après vous, de mettre en place une organisation qui réunisse les différents acteurs de la recherche : Électricité de France (EDF), Framatome, Orano et le CEA. Je précise qu'étant enseignant-chercheur, je pose toujours un regard attendri sur la recherche. En effet, mener la recherche dans toutes les sciences permet justement que la science l'emporte sur les croyances. Par conséquent, que doivent faire les pouvoirs publics ? Aujourd'hui, considérez-vous que nous prenions le chemin de ce que vous avez évoqué ici ?
Vous pourriez peut-être nous faire une comparaison plus exhaustive de ce qu'il se passe à l'étranger, même si le rapport évoque brièvement les autres pays. Est-ce que ces pays opèrent des structurations qui seraient intéressantes pour nous ? (je n'ose tout de même pas parler « d'exemple à suivre ».)
Enfin, quel regard portez-vous sur la question des compétences de nos jeunes, notamment de nos jeunes scientifiques et étudiants, vis-à-vis du nucléaire en général et du secteur des déchets nucléaires en particulier ? Avez-vous le sentiment que, peut-être, nous sommes confrontés aujourd'hui à un déficit de compétences et de motivation pour travailler dans ce secteur ou, au contraire, considérez-vous que ce secteur est particulièrement important et nécessaire à notre transition énergétique ? En effet, pour réduire les énergies fossiles, nous devons nous appuyer à la fois sur les énergies renouvelables et sur le nucléaire sans jamais les opposer. Est-ce que cela motive les jeunes générations ?
M. Arnaud Saint-Martin, député. - Je vous remercie pour ce rapport et pour cette présentation. Ma question est transversale et prolongera ce que disaient Daniel Salmon et Dominique Voynet. Elle porte sur les modalités de la relance de la filière nucléaire, notamment pour ce qui des petits réacteurs modulaires, et de la place dévolue aux start-up, avec les interrogations sur le modèle économique associé. Je questionne la pertinence de ce choix et son efficacité, indépendamment de sa pertinence politique. Ne pourrions-nous pas améliorer les modalités de l'évaluation ? En vérité, vous suggérez cette question dans vos recommandations.
L'importance donnée aux start-up interroge aussi le contrôle de la sûreté. Donc est-ce le bon véhicule organisationnel pour mettre en place ce genre de projets et ces concepts innovants ? On observe dans d'autres secteurs une déperdition des ressources d'essaimage, qui parfois se dirigent un peu n'importe où, avec même du gaspillage. Les promesses techniques sont parfois mirobolantes, ou « très ambitieuses » si je reprends l'un des qualificatifs du rapport. Donc, je me demande si ce modèle est pertinent.
Vous indiquez aussi que des fonds privés pourraient concourir au financement de ces projets. De quel type de fonds privés s'agit-il ? Proviennent-ils du capital risque, du capital investissement ou encore de la stratégie d'acquisition de plus grands groupes ?
Avez-vous des informations sur les calendriers de développement de ces concepts ? Est-ce qu'ils fonctionnent par étape, chacune correspondant à une validation de financement ? Comment cela s'organise-t-il ? Est-ce vraiment adapté à des recherches nucléaires ?
N'y aurait-il pas intérêt à internaliser à nouveau ces compétences au sein d'acteurs de taille plus importante qui ont peut-être déjà une expertise consolidée sur ces questions ?
Que penser d'une évaluation indépendante de ces propositions, qui sont ajustées au calendrier de France 2030 ? J'ajoute que, si ces réacteurs voient le jour, ce sera après 2030. Donc, qu'en serait-il de la continuité de service pour ces propositions ?
M. Pierre Henriet, député, premier vice-président de l'Office. - Je trouve le propos d'Arnaud Saint-Martin très pertinent. Dans sa continuité, je pense qu'une question se pose peut-être sur la relation entre l'exploitant et les autorités, notamment l'autorité de sûreté mais aussi la CNE2 pour ce qui concerne la gestion des matières et déchets radioactifs. Peut-être faudrait-il réviser la façon dont sont supportés les coûts des instructions et des structures qui les réalisent. Faire supporter ces coûts à des institutions, donc à l'ensemble des contribuables, alors que certains acteurs entrent sur le secteur et perturbent parfois significativement l'écosystème conduit à ce que nous consacrons beaucoup de moyens à essayer de trouver des solutions d'inspection et de réglementation pour, en définitive, obtenir peu de résultats. Par conséquent, ceci interroge l'efficacité de l'utilisation des deniers publics.
Je souhaiterais également obtenir des précisions sur l'application d'ensemble de ces réglementations et sur le suivi des matières et déchets radioactifs.
Mme Saida Laârouchi Engström. - La stratégie de stockage géologique est la méthode de référence sur le plan international, car elle est le résultat d'une quarantaine d'années de recherches au sein de l'Agence pour l'énergie nucléaire (AEN) de l'OCDE et de l'Agence internationale de l'énergie atomique (IAEA). Tous les chercheurs et les experts du monde entier ont travaillé sur l'analyse de sûreté du stockage des déchets de moyenne et de haute activité à vie longue. Vous affirmez que l'on peut stocker ces déchets en surface. On ne peut faire ainsi qu'en attendant de disposer d'une solution passive sûre à long terme. Si je prends l'exemple de la Suède ou celui de la France, ces pays seront confrontés à de petites et grandes glaciations. Par conséquent, un stockage en surface n'est absolument pas une solution viable sur le long terme.
Les déchets - qu'ils soient issus du retraitement ou qu'ils soient des combustibles usés -doivent être isolés de la biosphère et de l'humanité pour cent mille ans. Cela nécessite une sûreté passive qui ne nécessite pas de contrôle humain journalier, ou périodique.
De plus, la sûreté nucléaire et la sécurité nucléaire vont de pair pour garantir la viabilité d'un stockage. La Suède est voisine de l'Ukraine et, vu l'actualité, je n'aurais pas aimé avoir des déchets nucléaires stockés en surface dans ce pays. Donc, le stockage géologique est bien pensé tant du point de vue de la sûreté que de la sécurité, car il est crucial que celles-ci - ainsi que la sûreté passive de stockage - soient envisagées à long terme, de mille à cent mille ans, et non à l'horizon d'une centaine d'années.
La récupérabilité est également une notion très connue dans le milieu nucléaire. Pendant la phase opérationnelle d'une installation, à tout moment et pour n'importe quelle raison, nous devons avoir la possibilité technique d'interrompre les opérations, par exemple pour récupérer un conteneur de déchets. Ceci est une obligation légale. Je précise que la phase opérationnelle a une durée d'environ cent à deux cents années. Au-delà, l'installation sera close.
La réversibilité est, quant à elle, une décision comportant des dimensions techniques, politiques et administratives. En prenant aujourd'hui la décision de créer un stockage géologique, nous ne devons pas empêcher les générations futures de prendre d'autres décisions. L'AEN a beaucoup travaillé sur ce sujet de la réversibilité. Ainsi, la décision de bâtir un stockage va de pair avec le renoncement à récupérer ce qui y est stocké. Néanmoins, une telle possibilité devrait techniquement exister, quitte à avoir un coût important et à exiger un effort aussi important que celui que nous avons consenti pour bâtir le stockage. Tout cela relève de l'équité intergénérationnelle qui doit rester ouverte aux générations futures.
Je reviens brièvement sur le granite et l'argile. La Suède possède beaucoup de granite. Nous espérions avoir plus d'argile, mais ce n'est pas le cas. La présence de granite s'accompagne de la présence d'eau. Ceci implique qu'il faudra avoir un conteneur qui résiste à la corrosion opérée par l'eau dans le stockage. Après avoir beaucoup travaillé sur cette question, nous avons retenu le cuivre, mais les coûts restent importants. En France, le site retenu est dans de l'argile, donc les mouvements d'eau ne sont pas très importants et le conteneur est conçu pour être placé dans une formation argileuse. Le concept est le même, mais les déchets doivent être stockés dans un conteneur approprié à la formation géologique choisie par chaque pays. Ainsi, la France a l'argile, la Suède a le granite et les États-Unis ont une roche volcanique, le tuff, et le concept s'y s'applique de manière identique. Il convient seulement de s'adapter à la géologie locale et de fabriquer le conteneur approprié pour qu'il résiste aux conditions offertes par cette formation géologique.
M. Vincent Lagneau. - J'ajoute que la question du granite a été étudiée en France. Le site identifié dans la Vienne a été abandonné quand il a été démontré que le temps de résidence de l'eau dans la formation granitique ne se comptait qu'en dizaine ou en centaines d'années et non en centaines de milliers d'années. Donc, la piste du granite a été suivie jusqu'au moment où l'on a compris que ce n'était pas la peine d'aller plus loin.
Mme Saida Laârouchi Engström. - Nous ne pouvons pas comparer le granite et l'argile en considérant que l'un ou l'autre est le meilleur. Vous pouvez réaliser le même travail sur un stockage géologique avec l'un quelconque de ces deux matériaux si vous adaptez à la formation géologique en question le conteneur et toutes les barrières d'ingénierie qui constitueront l'installation de stockage.
M. Vincent Lagneau. - Pour ce qui concerne les start-up. Je m'en tiendrai à mon champ de compétences.
Sur la dissémination et la prolifération, je n'ai pas d'avis autorisé, mais je peux mentionner que les start-up travaillent avec les services de l'État, que ce soit l'Autorité de sûreté nucléaire (ASN) ou le Haut fonctionnaire de défense et de sécurité (HFDS). Je sais qu'ils sont en relation très tôt, avant même l'instruction des projets.
L'ASN a établi des contacts avec les start-up très en amont de l'instruction des futurs dossiers. Elle a réussi à faire comprendre qu'il était préférable de se concerter en amont plutôt que d'arriver avec un concept tout prêt qui sera refusé à la fin du processus. L'approche actuelle pousse donc les start-up à engager un dialogue avec l'ASN afin d'écarter des idées qui seraient de toute façon inacceptables du point de vue de celle-ci, et se concentrer sur d'autres aspects. Ce processus ne remplace pas l'instruction complète, qui aura lieu plus tard, mais évite aux porteurs de projets de s'engager dans des impasses. Je précise également que l'ASN s'est dotée d'un service spécifique dédié aux start-up.
Je suis incapable de vous donner le coût de ce dispositif ; il faudrait poser la question directement à l'ASN. Néanmoins, je pense qu'avoir cette démarche graduée est vertueux, car ceci permet d'éviter de passer du temps sur des projets qui n'auraient aucune chance d'être menés à terme si, dès leur conception, ils comportaient des éléments rédhibitoires. Donc, je considère que cette démarche progressive est une économie d'énergie tant pour les start-up que pour l'ASN.
Les relations entre les start-up et d'autres acteurs du secteur comme EDF, Framatome, Orano, l'Agence nationale pour la gestion des déchets radioactifs (Andra) et le CEA sont bien organisées. La presse s'en est fait l'écho. Par exemple, un laboratoire commun entre une start-up et une université a été créé récemment.
Jusqu'à quel point les start-up comptent-elles sur les acteurs établis et inversement ? Je ne peux pas parler à la place des acteurs concernés mais je pense qu'il s'agit pour eux d'une opportunité économique, par exemple un nouveau marché pour Orano. En effet, si vous devez fabriquer un nouveau combustible, alors vous devez aussi retraiter un nouveau combustible. Pour autant, je pense qu'Orano serait suffisamment raisonnable pour procéder à l'évaluation de l'économie de l'ensemble et ne pas consentir un investissement démesuré pour des volumes qui seraient extrêmement faibles. Donc, une discussion interviendra à un certain moment et je suis certain que, sans marché, Orano ne souhaitera pas supporter presque seul ces investissements. Tout ceci relève d'une logique purement économique.
Une question porte sur la mobilisation de fonds privés. Les start-up ont vocation à être privées. L'État a apporté un soutien avec France Relance puis France 2030. Toutefois, ceci ne couvre qu'une partie des coûts. Le prix du démonstrateur d'un nouveau projet se compte en centaine de millions d'euros, un montant largement supérieur à ce qui est promis par France 2030. En définitive, ces start-up arrivent à lever d'importants fonds privés.
J'en arrive à la question du contrôle. Quand nous recommandons de contrôler si une start-up a un impact sur la politique énergétique française, sur le cycle, etc., il est important, à mon sens, de considérer ce sujet du point de vue de l'argent public. Je le réaffirme en tant que contribuable et en tant que membre de cette commission qui répond devant le Parlement : il convient d'être très attentif et de ne pas recommander de financer des projets qui ne sont pas conformes aux ambitions de la politique énergétique française.
Enfin, les fonds privés sont une affaire privée. S'il s'agit de capital risque ou si une grande fortune a envie de se lancer dans une aventure, soit. Nous vivons dans une économie de marché : cela marchera ou non, des acteurs gagneront de l'argent et d'autres en perdront. Je n'ai pas d'avis sur ce point, mais je sais où j'accepterai de placer, ou non, l'argent de ma retraite, certes simple goutte d'eau par rapport aux besoins de ces start-up...
Je suis concerné à deux titres : quand il s'agit d'argent public, et quand des impacts se font sentir sur la politique du cycle, la souveraineté de la France, l'apport à la décarbonation et, évidemment, la sécurité des matières, la non-prolifération et la dissémination.
M. Philippe Gaillochet. - Je reviens sur les échéances de ces projets de start-up. Il faut être conscient de ce qu'un processus de sélection progressive a été mis en place. Bien évidemment, tous les projets (au nombre d'une dizaine) ne vont pas continuer indéfiniment : des mécanismes de concentration ou d'absorption interviendront. Cette émergence de projets portés par des start-up a suscité de nombreuses vocations chez des jeunes ingénieurs, qui sont attirés vers le nucléaire.
Ceci est un élément très important, car, comme vous l'avez signalé, nous sommes confrontés à un problème de compétences qu'il faut impérativement résoudre. Toute une génération a participé à la fois au programme ayant conduit au parc actuel et à l'émergence de la filière RNR. Hier, nous avons procédé à une audition sur cette question et sur la détermination des compétences que nous devons pérenniser. Il est clair que l'essor des start-up a joué un rôle très important pour le marketing des carrières dans le domaine du nucléaire.
Au début de l'année 2025, nous tiendrons d'ailleurs une audition qui s'intéressera aux filières de formation et aux recrutements nécessaires, une question extrêmement importante à long terme. En effet, la filière a besoin de dix mille ingénieurs par an pendant dix ans. C'est énorme.
Puisque j'ai utilisé l'expression « à long terme », je souhaite répondre à la question concernant la trajectoire qui s'imposera si les pouvoirs publics prennent la décision de mettre en place une filière complémentaire à la filière REP afin d'accroître l'indépendance énergétique de la France. Vous avez bien évidemment connaissance de la troisième version de la PPE, qui va porter sur la période 2025-2035. S'inscrire dans cet horizon est déjà très positif, mais il est évident que certains aspects de la PPE doivent être vus à beaucoup plus long terme. Ainsi, il faudra très probablement concevoir un instrument complémentaire, inscrit dans le très long terme, à l'horizon 2050 voire au-delà, pour programmer les projets qui seront éventuellement adoptés.
M. Vincent Lagneau. - Certaines de vos questions concernent la fermeture du cycle et les RNR. Je ne vais pas revenir sur l'arrêt du réacteur Astrid, car c'est une décision du passé. En revanche, tirer les acquis de ce passé est essentiel. Or, je sais que les acteurs concernés, en particulier le CEA, le font.
Nous avons peut-être usé d'un langage trop prudent. Il n'est pas question de dire qu'il faut un RNR demain matin, en 2050 ou en 2090. Il s'agit plutôt de déterminer ce dont nous avons besoin, et à quel moment. Or le besoin qui justifie l'existence des RNR est la souveraineté et la meilleure valorisation possible des matières. Donc, à partir du moment où l'objectif est celui-ci, le pays doit se mettre en capacité de fabriquer un RNR. C'est ensuite seulement que devra être posée la question du moment opportun de le faire - et ce ne sera certainement pas demain matin... Il faut déterminer la durée nécessaire pour développer cette stratégie et, à partir de là, les autorités pourront élaborer un rétroplanning. Autrement dit, la bonne question à se poser est : quelles sont toutes les briques (y compris les démonstrateurs) dont on a besoin pour arriver au point choisi au moment choisi ?
La Chine et la Russie ont engagé un programme de RNR très significatif en complément de leurs programmes de réacteurs thermiques. Je vous laisse imaginer quelles sont les raisons qui sous-tendent ce choix.
Pour sa part, la France travaille beaucoup avec le Japon sur la conception des RNR. Ceci ne veut pas dire que nous ne travaillons pas avec d'autres acteurs, mais la relation avec le Japon est très étroite sur ce domaine de recherche.
En matière de besoins de formation, je suis professeur dans une école d'ingénieurs et je peux témoigner que les étudiants sont très sensibilisés aux questions énergétiques et de décarbonation. Nombre d'entre eux choisissent l'option Génie nucléaire. Depuis deux ans, l'effectif est toujours au complet et il en va de même dans d'autres écoles.
M. Philippe Gaillochet. - Quand nous interrogeons les grands groupes, tels que Framatome, sur ce qu'apportent les nouvelles méthodes de travail des start-up, ils répondent que les enseignements et innovations portés par celles-ci les intéressent. Ceci ne leur est pas forcément utile sur le plan technologique, mais plutôt sur ceux du management de projet et des procédés d'industrialisation. Je rappelle que le modèle économique des start-up nucléaires repose en partie sur la standardisation, et donc sur la préindustrialisation, de leur production.
Par conséquent, plusieurs groupes industriels s'interrogent sur la façon dont ils pourront intégrer à des structures beaucoup plus importantes les jeunes ingénieurs qui auront participé à ces start-up lorsque sera advenue la phase d'« écrémage » de tous les projets en cours. Nous savons que le travail dans la filière nucléaire était jugé, encore jusqu'à récemment, comme très bureaucratique et très procédural par beaucoup d'ingénieurs et de scientifiques. C'était un frein à leur entrée dans cette filière. Désormais, l'enjeu est d'opérer une sorte d'hybridation entre les modes de fonctionnement de ces start-up et ceux de grands groupes, qui vont inévitablement en absorber quelques-unes.
M. Pierre Henriet, député, premier vice-président de l'Office. - Je vais formuler une dernière question. Dans votre rapport, vous portez un regard assez critique sur la contribution actuelle du CEA à la recherche sur les RNR et sur sa volonté de s'y investir véritablement. Il est intéressant de se pencher sur la façon dont il justifie ce positionnement : pour le moment, le contexte n'est pas celui d'une raréfaction de l'uranium naturel et d'une augmentation considérable de son prix, et ce n'est pas avant la fin du siècle qu'il sera nécessaire de se pencher sur le sujet.
Pour autant, dans le même temps, il estime à quarante-cinq ans la durée du processus qui doit conduire de la décision de démarrage d'un projet à celle de la mise en service du premier réacteur de série. Donc, si nous prenions une décision en 2025, elle aurait vocation à aboutir à l'horizon 2070. Ainsi, au vu du contexte et du dérèglement climatique, nous serions proches de la situation qu'évoque le CEA.
J'aimerais donc obtenir des précisions sur le rôle du CEA et sur l'évaluation que vous pouvez faire de l'investissement qu'il consent pour la recherche sur ce sujet très stratégique.
M. Vincent Lagneau. - Le RNR à horizon 2070 et le changement climatique sont décorrélés et il n'est pas question de dire que le changement climatique sera résolu par les RNR. Le cadre de réflexion est ici une relance du nucléaire qui passe d'abord par des REP. La question est de savoir à quel moment les RNR arrivent en complément ou en transition d'EPR 2 ou autres réacteurs à neutrons thermiques.
La commission a dit qu'elle n'identifie pas la stratégie du CEA pour aller rapidement - au sens de « dans la perspective de l'horizon utile » - vers les RNR et pour travailler sur la réduction des coûts. Je rappelle qu'il y a quarante ans, la France n'a pas adopté la filière RNR car elle coûtait plus cher que la filière REP. Est-on capable aujourd'hui de supporter des surcoûts pour les bénéfices que sont une meilleure valorisation de la matière et davantage de souveraineté, ou est-on capable de réduire ces surcoûts, ce qui facilitera la décision ?
Nous ne disons pas que le CEA ne fait rien sur les RNR. Nous en avons à nouveau eu la preuve hier en prenant connaissance de plusieurs projets développés en son sein, en particulier sur le cycle du combustible.
Quel est le rôle du CEA ? Il a un rôle d'appui : si la trajectoire RNR est celle que nous espérons, il doit aider la filière à capitaliser les connaissances acquises et écarter les obstacles qui sont anticipés. Je reviens à cet égard sur la recommandation que nous avons faite : quel est l'objectif que l'on se fixe et quels sont les moyens dont il faut se doter pour l'atteindre ? Il faut s'inscrire dans une réflexion systémique qui doit conduire à choisir un nombre raisonnable de RNR, associés à tous les outils du cycle et dans le cadre de technologies qualifiées. Nous aurons besoin d'une réflexion globale intégrant l'ensemble des acteurs, en particulier les acteurs industriels qui seront en définitive les exploitants, donc les prescripteurs de l'outil.
M. Philippe Gaillochet. - Dans son rapport, la commission a d'abord voulu souligner l'extrême qualité du personnel du CEA. L'audition sur la filière RNR que nous avons tenue hier a montré que cette filière a obtenu des résultats très intéressants sur les plans scientifique et technique. Elle est enviée par de nombreux pays. La question de la compétence et de la qualité du personnel ne se pose pas.
Nous avons voulu souligner que la stratégie du CEA ne nous a pas été exposée d'une manière claire et synthétique. Peut-être était-ce parce qu'en 2023 la France était en pleine reformulation de sa stratégie nucléaire. Donc, il est possible que le CEA n'ait pas eu la latitude de s'exprimer. En tout état de cause, il est sûr que le CEA a activement participé à l'élaboration des dossiers des conseils de politique nucléaire.
J'ajoute que la conduite d'un projet doit faire la distinction entre la recherche et la phase d'industrialisation : les rôles doivent être bien répartis. Si certains projets n'ont pas fonctionné comme attendu, peut-être était-ce parce que la répartition des rôles et du leadership n'avait pas été clairement identifiée. Le CEA n'est pas forcément bien armé pour faire de la direction de projet, qui est plutôt une démarche industrielle.
M. Pierre Henriet, député, premier vice-président de l'Office. - Nous vous remercions pour cette présentation et pour toutes les réponses que vous nous avez apportées ce matin. Je tiens à souligner - nous le répétons à chaque audition de la CNE2, car il est important de le rappeler - que vous êtes tous bénévoles pour l'ensemble de ces activités de la commission. Je me réjouis des excellentes relations que la CNE2 et l'Office entretiennent. Il est important de réaffirmer que votre éclairage est essentiel pour nous, parlementaires, mais aussi pour le débat public. Ce lien avec le débat public, au-delà du seul débat d'experts, est un élément moteur pour l'Office, pour vous-même et pour toute la filière sur laquelle vous portez votre regard.
M. Vincent Lagneau. - Il me reste à vous demander si l'Office donne à la commission l'autorisation formelle de publier son rapport.
M. Pierre Henriet, député, premier vice-président de l'Office. - L'Office vous donne volontiers l'autorisation de publier ce rapport.
Examen des conclusions de l'audition publique sur les impacts des plastiques sur la santé humaine (Philippe Bolo, député, rapporteur)
M. Pierre Henriet, député, premier vice-président de l'Office. - Mes chers collègues, nous avons un deuxième point à l'ordre du jour, l'examen des conclusions de l'audition publique sur les impacts des plastiques sur la santé humaine. Je laisse la parole à Philippe Bolo qui va nous les présenter.
M. Philippe Bolo, député, rapporteur. - Je vais essayer de vous faire un résumé des conclusions de cette audition publique en quinze minutes afin de nous laisser le temps d'échanger entre nous.
Pourquoi avons-nous organisé cette audition publique ? Elle s'inscrit dans la continuité des travaux de l'Office. La production de plastique a été multipliée par deux lors de ces vingt dernières années et atteint aujourd'hui cinq cents millions de tonnes. Cela représente à peu près soixante kilogrammes par terrien. Les perspectives dressées par l'Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) prévoient que la production devrait s'élever à sept cent cinquante millions de tonnes en 2040, soit quatre-vingt-dix kilogrammes par terrien et à plus d'un milliard de tonnes en 2050, soit cent vingt kilogrammes par terrien.
Cette progression est également corrélée à une croissance exponentielle des déchets. Cela met deux choses en exergue : la non-circularité du cycle de vie des plastiques et l'importance de l'usage unique. Ainsi, seulement 32 % des emballages sont recyclés. Cette croissance exponentielle entraîne une autre conséquence : l'explosion de la présence des microplastiques dans tous les compartiments de l'environnement : sur terre, dans les océans, dans les fleuves, dans les rivières, dans les sols, dans l'air que nous respirons et dans les organismes vivants.
L'une des solutions pour lutter contre la pollution plastique réside dans l'adoption du traité international actuellement en cours de négociation. Dans une dizaine de jours, va s'ouvrir la dernière séquence de négociation à Busan, en Corée du Sud, du 25 novembre au 1er décembre.
Deux sujets majeurs y seront débattus. Le premier porte sur la réduction de la quantité de plastique produit en réponse à ce que je viens d'énoncer. Cette proposition est loin de faire consensus entre, d'une part, ceux qui militent pour ne pas infléchir la trajectoire de production de plastique, d'autre part, les pays qui veulent modifier les choses. Le second sujet qui sera débattu est celui de la préservation de la santé humaine au regard des impacts de la pollution plastique. Il fait davantage consensus.
L'audition publique qui s'est déroulée le 17 octobre a réuni dix chercheurs français, suédois, anglais et australien, dont plusieurs sont membres de la coalition internationale des scientifiques qui vise à donner une base scientifique aux travaux du traité international. L'audition publique était organisée sous forme de deux tables rondes. La première concernait le plastique particulaire et ses impacts sur la santé, la seconde traitait des substances chimiques associées au plastique.
Il faut retenir deux grandes conclusions de la première table ronde.
La première concerne les difficultés méthodologiques mises en avant par les chercheurs. De quoi s'agit-il ? Nous sommes en face de particules dont la taille et la forme sont variables et qui correspondent à différents polymères. Cela se traduit par de vraies difficultés pour les mesurer. Concrètement, quand vous mesurez la teneur en plastique de l'eau du robinet ou de l'eau en bouteille, les résultats varient en fonction des études, même dans le cas où vous retenez la même ressource en eau. C'est la raison pour laquelle un effort de réglementation a été réalisé : il existe aujourd'hui une norme de l'Association française de normalisation (AFNOR) qui permet de standardiser la façon dont sont caractérisés les microplastiques dans l'eau.
Une autre difficulté méthodologique est liée à la présence de nanoplastiques. Il est très difficile de les doser et leur plus petite taille est un enjeu important. Dès qu'ils sont absorbés par notre organisme, leur petite dimension leur donne la capacité de circuler librement dans le sang.
Il est aussi difficile de mesurer la quantité de plastique que nous ingérons. Une étude de 2019, qui avait eu un grand écho médiatique, montrait que nous absorbons l'équivalent d'une carte de crédit par an. Elle est d'ailleurs citée dans le rapport. Cependant, ce chiffre a été revu à la baisse et est très variable selon les publications scientifiques.
Une dernière complexité méthodologique concerne les études in vitro. Vous pouvez utiliser des particules plastiques et les exposer à des organismes vivants afin d'analyser leurs impacts. Toutefois, les particules vendues dans le commerce sont sphériques et constituées de polystyrène. Donc, elles ne sont pas représentatives de la diversité des particules plastiques présentes dans le milieu naturel.
La deuxième conclusion de cette première table ronde est la multiplication des signaux d'alarme sur les risques que les plastiques font peser sur la santé.
Nous sommes confrontés au plastique par trois voies d'exposition : la respiration, le contact cutané et l'alimentation. Les chercheurs nous ont fait remarquer que la quantité de plastique absorbée par inhalation est aussi importante que celle absorbée par ingestion. Même si nous n'y pensons pas spontanément, nous respirons en réalité énormément de particules plastiques.
Ensuite, une fois respirées ou ingérées, ces particules peuvent atteindre des organes profonds dans l'organisme par différents chemins. Les surfaces d'absorption sont la peau, les poumons et le colon. Le transport s'opère par le sang et par les nerfs. Les dernières recherches montrent que sont aussi concernés des organes comme le placenta, les reins, les testicules et le cerveau. Les recherches montrent également des corrélations entre cette présence de plastique et des désordres de santé.
La première preuve de l'impact des plastiques sur la santé humaine nous a été apportée à travers l'étude du microbiote qui est, vous le savez, cette cohorte de micro-organismes qui contribuent à notre bonne santé. La présence de microplastiques peut influencer le métabolisme des micro-organismes. Par exemple, certains acides gras à chaîne courte sont plus ou moins bien synthétisés. Ils sont indispensables à la santé et moins bien synthétisés chez l'enfant dont le microbiote est exposé aux microplastiques. Il existe également différentes familles de micro-organismes qui sont plus ou moins présentes suivant la quantité de microplastiques observée. Cela peut provoquer des dysbioses - des déséquilibres du microbiote - qui induisent des effets néfastes sur notre santé.
La complexité est que ces déséquilibres sont également influencés par le régime alimentaire. En effet, certains régimes - notamment ceux riches en gras et en sucres - favorisent la survenue de telles conséquences.
Les chercheurs nous ont également indiqué que dans le cadre de la respiration, il existe un système d'évacuation des particules plastiques qui entrent dans nos poumons. Il s'agit de la clairance macrocytaire. Cette dernière est parfois mise à mal par certaines formes et par certaines tailles de microplastiques qui parviennent à entrer dans la circulation sanguine et peuvent avoir un impact sur la fonction pulmonaire. Ainsi, certaines pathologies respiratoires telles que les rhinites allergiques sont par exemple corrélées à la présence dans le corps d'une grande quantité de microplastiques.
Enfin, les microplastiques ont un impact sur la plaque carotidienne et sur les risques d'infarctus du myocarde. Des chiffres nous ont été donnés : trois cents personnes ont été suivies parce qu'elles avaient subi des chirurgies carotidiennes. Le risque de la survenue d'un infarctus est quatre à cinq fois plus élevé chez les personnes avec les taux de microplastiques les plus élevés.
La seconde table ronde, qui s'intéressait aux substances chimiques associées aux microplastiques, a permis de mettre en exergue trois conclusions.
La première est qu'il existe une grande méconnaissance de toutes les substances chimiques que nous utilisons et qui sont associées aux polymères. Il y a d'abord des additifs : les plastifiants, les antioxydants et les retardateurs de flamme qui sont utilisés avec les plastiques. Sont également présents des auxiliaires de fabrication, qui sont des catalyseurs des réactions de polymérisation. Certaines substances chimiques apparaissent de manière non intentionnelle telles que les impuretés des produits dérivés. Au total, seize mille substances associées au plastique ont été recensées.
Quatre critères permettent de caractériser leur dangerosité : la persistance, la bioaccumulation, la mobilité et la toxicité. 4 000 substances sont jugées dangereuses et sur 10 000 autres, aucune donnée n'est disponible sur les quatre critères de dangerosité. De plus, seulement 6 % de ces substances font l'objet d'une réglementation internationale, ce qui montre la difficulté à laquelle nous devons faire face.
Un autre effet est loin d'être négligeable : tel un cheval de Troie, les particules plastiques - issues notamment de la dégradation et de l'altération de surface des macrodéchets présents dans l'environnement sur des temps longs - ont, du fait de leurs propriétés physiques et chimiques, la capacité d'absorber toutes sortes de polluants présents dans l'environnement. Ceux-ci vont donc s'associer à ces microplastiques et être à même de franchir des barrières qu'ils n'auraient normalement pas passées.
La deuxième conclusion est que la population est exposée aux substances chimiques associées au plastique. Les chercheurs ont précisé que 25 % des 14 000 substances des matériaux et plastiques utilisés dans les contenants alimentaires étaient identifiés dans le corps humain. 15 % de la population européenne présente des teneurs dans le sang au-dessus des seuils tolérables pour quatre composés perfluorés les plus fréquents et dont la toxicité est la plus reconnue.
De surcroît, une étude - une revue générale qui réalise la synthèse de 50 revues systémiques, soit environ 1,5 million de données - s'est intéressée à trois molécules (les PBDE, le BPA et le DEHP). Elle démontre, avec des degrés de certitude plus ou moins forts, que de vraies conséquences existent sur les enfants et les adultes. Ces substances peuvent perturber le système endocrinien, provoquer des malformations génitales à la naissance et entraîner une perte de capacités cognitives. L'impact n'est donc pas négligeable.
La troisième conclusion a trait au coût sanitaire de ces substances chimiques dans les plastiques. Une étude exploratoire a été menée aux États-Unis sur les trois molécules citées précédemment et sur un ou deux de leurs impacts sanitaires sur la population américaine. Les coûts sont estimés à 675 milliards de dollars par an pour les seuls États-Unis. Même s'il y a une erreur de 20 % ou de 30 %, ces coûts restent très importants.
Finalement, cela nous montre que si le plastique n'est pas cher pour le producteur et pour le consommateur, il coûte très cher à la société qui doit réparer ses effets néfastes. Outre ceux que j'ai déjà cités, vous pouvez ajouter la contribution croissante de la production de plastique au changement climatique via les émissions de CO2 et les coûts liés à la pollution des sites de production.
À l'issue de ces deux tables rondes, neuf recommandations construites sur la base des propos des scientifiques et destinées aux négociateurs du traité international vous sont proposées. Ces recommandations doivent alimenter la réflexion sur le traité international. Elles figurent dans le document qui vous a été distribué.
La première recommandation est d'aboutir à un traité ambitieux. Elle résulte d'un triple constat :
- la pollution plastique n'est pas présente uniquement dans les océans, mais également dans les autres milieux ;
- la pollution plastique existe tout au long du cycle de vie des plastiques : de l'extraction du pétrole jusqu'à la gestion des déchets en fin de vie ;
- le troisième élément fondamental est qu'on ne résout pas la pollution plastique en s'intéressant uniquement à la gestion des déchets.
Ensuite, il convient de réduire la production de polymères vierges même si cela peut heurter certaines consciences et poser un certain nombre de questions.
Pourquoi ? Parce que les scientifiques nous ont montré que des corrélations existent entre l'explosion de cette production, la présence des déchets qui explose également et l'augmentation de la quantité des microplastiques dans tous les compartiments de l'environnement notamment dans les organismes vivants. Il faut donc réagir.
La réduction, le réemploi et le recyclage sont trois leviers qui permettent de moins produire, de pétrole utilisé pour la fabrication des plastiques. Il faut introduire davantage de circularité dans le cycle de vie des plastiques.
De plus, nous produisons quantité de plastiques absolument inutiles dont nous pouvons nous passer sans difficulté.
Il faudra ensuite renforcer les moyens des gouvernements et des scientifiques afin d'approfondir nos connaissances. Au niveau gouvernemental, il faudrait pouvoir échanger les données d'une manière plus efficace pour accroître notre capacité collective à analyser les substances chimiques et les réglementer. Au niveau scientifique, il faudrait disposer de financements plus pérennes afin de pouvoir réaliser des travaux de suivi sur le long terme et ne pas perdre des connaissances lorsque les projets de recherche arrivent à leur terme.
Trois recommandations concernent les substances chimiques : la transparence, la réduction de leur nombre et le renforcement de l'efficacité des réglementations. Il faut également améliorer les analyses du cycle de vie (ACV) des plastiques pour intégrer les coûts générés par la présence durable des microplastiques dans l'environnement. À défaut, on s'expose à des comparaisons stériles entre verre, papier et plastique. Surtout, il faut tenir compte de tous les impacts du plastique en matière de collecte, de tri, de traitement des déchets, d'environnement et de santé pour déterminer son prix.
La huitième recommandation vise à promouvoir des critères pour la définition des plastiques non essentiels afin de faciliter leur élimination.
La dernière recommandation est de limiter les pertes dans l'environnement, car le traitement et la gestion des déchets ne vont pas tout résoudre. Il ne faut pas oublier que la perte dans l'environnement ne concerne pas seulement les objets que nous avons entre nos mains mais aussi les granulés de polymère industriel utilisés comme matière première dans la fabrication des matériaux et objets plastiques et qui s'égarent dans la nature. Il convient donc de limiter au maximum ces pertes.
M. Pierre Henriet, député, premier vice-président de l'Office. - Je vous félicite pour cette présentation qui témoigne non seulement d'une parfaite maîtrise du sujet, mais aussi d'une vraie passion.
M. Jean-Luc Fugit, député, vice-président de l'Office. - Félicitations également pour ce travail. Nous connaissons la passion de notre collègue sur le sujet. J'ai deux questions à lui poser.
Premièrement, le Di(2-ethylhexyl) phtalate (DEHP) évoqué dans le rapport comme l'une des trois molécules n'avait-il pas été interdit ?
Deuxièmement, il a été évoqué tout à l'heure que des recherches sont menées sur la présence des microplastiques dans l'air. Aujourd'hui, pouvons-nous les mesurer, les identifier et déterminer la taille de ces particules ? Cette taille est-elle inférieure à dix micromètres, ce qui permettrait de les inclure dans la fameuse base de données sur les particules (PM10) ? Comment mesure-t-on la qualité de l'air ?
M. Philippe Bolo, député, rapporteur. - Le DEHP a-t-il été interdit ? Les propos tenus par Martin Wagner, chercheur suédois, portent sur la mise en place d'une base de données internationale qui recense, pour l'ensemble des pays, l'identification des molécules, leur dangerosité, etc. La réponse dépend des pays et des produits.
Sonja Boland a parlé des différentes tailles des particules. Elle a donné une fourchette de 3 à 10 tonnes de particules plastiques présentes dans l'air déposées chaque année en région parisienne. Sachez qu'une application existe et que vous pouvez la télécharger sur votre téléphone portable. Un modèle avait été mis en place : il calculait, en fonction de la météo, la quantité de microplastiques qui tombait sur l'aire de la région parisienne. Depuis, il a été actualisé. Évidemment, plus les particules sont fines, plus elles ont la possibilité de pénétrer profondément dans l'organisme, donc jusqu'à la circulation sanguine.
M. Daniel Salmon, sénateur. - Merci pour cette présentation et pour cette implication dans ce dossier qui me semble essentiel. J'ai deux ou trois questions à vous poser.
Lors de l'audition publique sur l'impact des plastiques sur la santé, nous avons été alertés sur les problématiques cognitives liées au plastique et sur les baisses de quotient intellectuel (QI). À mon avis, ces sujets vont intéresser le public. De plus, nous ne les avions pas anticipés.
L'autre question porte sur la communication. La plupart du temps, le plastique est associé aux déchets visibles. Cependant, nous oublions que ces particules sont également liées à l'usure, car tout objet plastique finit par s'user. Des microparticules sont présentes en permanence autour de nous. Par exemple, lorsque nous mettons nos vêtements à laver, des particules vont se retrouver dans la chaîne alimentaire. Donc, je pense qu'une communication claire sur cet aspect est importante.
Est-ce que l'usure des pneus est considérée comme un déchet plastique ? Il y a en ce moment une campagne « Agir pour l'environnement » sur les pneus. Nous savons que 40 % des particules émises par un véhicule viennent des pneus, c'est donc aussi une vraie problématique. A-t-on quantifié la proportion de particules liées à l'usure des pneus parmi les 3 à 10 tonnes de plastiques qui contaminent l'air en Île-de-France ?
M. Philippe Bolo, député, rapporteur. - En effet, la communication est essentielle, car, aujourd'hui, beaucoup voient dans la pollution plastique un « continent plastique », qui n'existe pas. Cette image est médiatiquement forte. Le problème ne se cantonne pas aux bouteilles plastiques présentes dans la nature ou au recyclage plus ou moins vertueux. Par conséquent, il faut consacrer beaucoup de temps à expliquer que la pollution plastique concerne tous les objets. La question des microfibres textiles est très importante, car elle relie notre sujet à la fast fashion dont le volume explose et pose, de fait, un certain nombre de problèmes en termes de microplastiques, de déstructuration et de déstabilisation des systèmes de collecte et de tri des vêtements.
La deuxième question portait sur la contribution des différents secteurs économiques à la pollution plastique. C'est un vaste sujet. Il y a vingt ans, le Britannique Richard Tompson a été le premier à écrire un article très intéressant sur les microplastiques. Récemment, il a créé une revue pour recenser l'ensemble des résultats scientifiques sur le sujet.
La première difficulté que nous rencontrons est que l'on cherche avant tout à déterminer la part de responsabilité de chacun. Je ne suis pas sûr que ce soit la bonne approche. S'il est nécessaire de traiter le sujet de manière à ce que les consommateurs connaissent les conséquences de leurs actes de consommation et la question de la gestion des déchets, ce n'est pas suffisant.
Depuis les années 1950, une grande partie des objets plastiques produits (dont seulement 8 % sont recyclés) sont encore en circulation. Le reste est dispersé dans la nature et se dégrade petit à petit. Sans être chercheur, en écoutant les uns et les autres, je suis persuadé que la quantité la plus importante de déchets plastiques reste à venir. C'est la raison pour laquelle nous parlions de « bombe à retardement » dans le rapport de 2020. Ces objets sont en train de se dégrader et émettent un flux continu de microplastiques.
M. Alexandre Allegret-Pilot, député. - J'aurais souhaité avoir des informations complémentaires sur les impacts sanitaires provoqués par les substances chimiques associées aux plastiques.
M. Philippe Bolo, député, rapporteur. - Cela se trouve en page 15 du rapport, mais les effets de trois molécules seulement sont répertoriés alors que nous en comptons 16 000 au total. Ce travail est très documenté.
Ce sont des substances chimiques qui entrent dans l'organisme et minent le système hormonal à tous les stades. Par exemple, lorsqu'une femme enceinte est exposée à ces molécules, cela va avoir un impact sur le développement du foetus avec de possibles malformations génitales à la naissance. Ces molécules ont également un impact sur les adultes sous d'autres formes : il y a une perte des capacités cognitives, le développement de maladies cardiovasculaires, de l'obésité, du diabète, etc.
M. Arnaud Saint-Martin, député. - Il est vrai que la dégradation de tous ces plastiques en sommeil invite presque à s'interroger sur l'opportunité de lancer une grande collecte nationale de tous les plastiques à l'abandon pour les recycler.
Je retiens deux grandes choses de ce que vous dites.
La première est que nous sommes confrontés à un enjeu de modèle industriel, économique, et global à l'échelle mondiale, ainsi qu'à un enjeu d'internalisation des externalités négatives.
La seconde concerne la recherche, le suivi de la connaissance afin de pouvoir véritablement mesurer en détail ces externalités pour pouvoir, ensuite, les répercuter sur les producteurs de plastiques.
Quel est, d'après vous, le chiffrage budgétaire d'un projet qui serait suffisamment ambitieux, tout en restant soutenable, pour avoir la capacité de financer ce suivi et cette recherche ? Le cas échéant, à quel niveau de centralisation interviendrait-il ?
M. Philippe Bolo, député, rapporteur. - J'apprécie la première partie de votre prise de parole sur le modèle économique.
Il ne s'agit pas de dire que tous les plastiques sont inutiles. En effet, comme nous l'avons vu à Valence, des industriels construisent des barrières en plastique qui se gonflent automatiquement, permettant ainsi d'éviter les catastrophes liées aux inondations. Les plastiques dans les satellites permettent aussi de mesurer les paramètres physiques de la Terre et de prévoir des catastrophes naturelles. Les plastiques présents dans des véhicules évitent l'émission de CO2, etc.
Pour autant, certains plastiques sont complètement inutiles, conférant à ce matériau une mauvaise image auprès du public.
Combien faudrait-il investir ? La question est complexe car elle concerne tout le cycle de vie. Donc, que peut-on effectuer comme recherches pour réduire le volume des plastiques produits sans perdre les propriétés physiques de ces matériaux ? Si je devais travailler à l'autre bout de la chaîne, je ferais en sorte d'avoir à ma disposition les meilleurs systèmes de gestion. J'ajoute que je me place toujours dans le cadre du traité international. En France, nous connaissons le coût des plastiques à travers les impôts locaux pour le tri et la collecte des déchets. Quand vous êtes dans un pays où il n'y a aucune infrastructure de gestion des déchets, cela génère d'autres types de coût. Ces derniers varient donc considérablement d'un pays à l'autre.
Sur la communication, le modèle d'organisation de notre consommation est la grande distribution. Cette dernière est un grand utilisateur de tous ces plastiques à usage unique. En définitive, nous réalisons que la part des financements consacrés à la recherche et à la transition du modèle économique est variable d'un pays à l'autre.
La seule chose certaine est que nous devons agir. Dans cette perspective, il serait intéressant d'avoir une première estimation des coûts pour un pays. Je rappelle que chacune des trois molécules précédemment évoquées entraîne un type de dommage qui lui est propre.
Ainsi, contrairement à l'image que nous en avons, ce matériau coûte cher à la société et son usage induit des conséquences néfastes. Si nous décidons d'éviter ce coût, le chiffrage est un levier important. En effet, ce dernier est indispensable pour s'orienter vers la transition sociale, industrielle qui nous est nécessaire pour sortir du problème.
Mme Dominique Voynet, députée. - Merci pour ce travail précieux d'intérêt général. J'ai une question qui fait le lien avec ce que vous disiez concernant l'expertise à consolider et le fait que la recherche indépendante ne devrait pas bénéficier uniquement d'appels à projets, mais de réels financements. Je m'associe à cette recommandation, car elle est nécessaire. Nous devons pérenniser des budgets et des équipes. Est-ce que vous avez des éléments à nous fournir sur le type d'espace qu'il faudrait construire ? Est-ce couplé à de la recherche universitaire ?
Bien évidemment, il faudrait former du personnel à ces recherches. Devrions-nous créer un organisme public ad hoc afin d'assurer l'indépendance et l'intégrité de la recherche publique en ce domaine ? Auriez-vous des informations sur les modalités d'une institutionnalisation de cette recherche ? De fait, elle pourrait peut-être apporter des savoirs nouveaux sur cette vie du plastique.
M. Philippe Bolo, député, rapporteur. - Ce que je peux vous répondre est qu'il y a un véritable intérêt et une plus-value à ce qui s'est passé en parallèle des négociations du traité avec la formation d'une coalition internationale de scientifiques. De manière spontanée, 400 chercheurs ont décidé de travailler ensemble. Nous voyons bien qu'il y a une sorte d'émulation en plus d'une prise en compte de la diversité des enjeux selon les pays. Donc, tout cela est très riche et important. Dans le rapport de l'Office de 2020, parmi nos quarante-neuf recommandations, nous voulions mettre en place l'équivalent du Groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat (GIEC) pour le plastique. Toute la communauté scientifique aurait ainsi pu échanger.
Je pense que nous sommes à un moment charnière. Dans le rapport de 2020, concernant l'effet des microplastiques sur la biodiversité, chacun citait la taille du polymère étudié, la durée d'exposition, la concentration et l'espèce cible. À partir de ces résultats, des convergences se dégageaient permettant d'identifier d'éventuelles conséquences. Cependant, il restait difficile d'associer ou de comparer les études entre elles. Donc, je crois beaucoup à une approche internationale menée dans cet esprit d'harmonisation et d'homogénéisation des méthodes d'analyse.
En France, les débats dépassent la recherche sur le plastique et portent sur toutes les recherches. Je suis persuadé qu'un pays puissant investit dans la recherche et, du même coup, dans sa vision de son avenir. Cela nécessite des financements pérennes et la capacité de mener des recherches à long terme.
Mme Dominique Voynet, députée. - Je voudrais évoquer un problème en devenir : la banalisation de la consommation excessive d'eau ou de sodas encouragée par les énormes campagnes de marketing réalisées par de puissantes multinationales comme Coca-Cola au moment des jeux Olympiques de 2024, ou encore Nestlé. Ces pratiques ont été dénoncées par de nombreux travaux comme ceux de Jean Ziegler ou, plus récemment, par ceux de notre collègue sénatrice, Raymonde Poncet Monge. Je vous remercie pour l'utilité de votre travail. Grâce à cela, nous savons désormais que le contenant pose des problèmes énormes et génère des coûts directs, indirects, sanitaires et environnementaux, etc., que vous avez bien décrits.
Cependant, le contenu cause aussi des problèmes et je n'évoquerais même pas les coûts générés par le transport et l'impact de ces produits sur le porte-monnaie des personnes aux revenus modestes. En effet, bien des travaux évoquent l'impact des sodas sucrés : diabète, obésité, AVC, hypertension, etc. De plus, l'eau du robinet disponible pour presque rien est aussi contaminée par des particules, notamment par les plastiques. Donc, j'espère ne pas alimenter le procès de l'écologie punitive en plaidant pour une régulation, non seulement des produits, que ce soit les molécules plastiques elles-mêmes ou leurs adjuvants, mais également des usages.
Une société qui se pose la question de son avenir peut-elle se contenter de laisser le marché décider et laisser à la collectivité le soin d'assumer les coûts ? Non.
Le moment viendra où il faudra peut-être créer une nouvelle régulation afin de réserver l'emploi de produits pétroliers précieux et rares à des usages plus nobles que celui des bouteilles plastiques qui vont se retrouver en décharge. Je n'évoque même pas la Polynésie française. À Mayotte, avec la crise de l'eau, des millions de bouteilles plastiques se retrouvent dans les ruisseaux, disséminées sur l'île d'une façon insupportable, car nous n'avons pas de filière de recyclage.
M. Philippe Bolo, député, rapporteur. - Mon implication sur le traité international m'a appris une chose que je n'avais pas nécessairement vue. Nous avons évoqué Mayotte. Des pays sans bouteille d'eau existent aussi et ils sont confrontés à de grandes difficultés. J'ai pu rencontrer des personnes de ces régions qui expliquent ne pas avoir de ressource en eau superficielle ou souterraine. En définitive, la seule solution est le recours à la bouteille d'eau.
Ici, le contexte est complètement différent et cela nécessite effectivement d'étudier à nouveau le sujet chez nous. Je fais partie des personnes qui considèrent que l'eau du robinet est de très bonne qualité en France, même si nous pouvons y trouver parfois des choses que nous préférerions ne pas y trouver. Elle est payée par nos impôts et elle est beaucoup moins chère que l'eau en bouteille. À ce titre, je ne comprends toujours pas que certaines personnes se plaignent de payer trop d'impôts pour pouvoir bénéficier de l'eau du robinet alors qu'elles achètent de l'eau en bouteille qui coûte jusqu'à deux cents fois plus cher que l'eau du robinet. Nous entrons ici dans la dimension sociologique du sujet. Ceci pose des questions sur le modèle de consommation et notamment sur les petits contenants. Nous échangerons sur ces questions quand nous débattrons de la proposition de loi visant à l'interdiction des micro-emballages plastiques destinés à contenir des liquides, déposée par le député Pierre Cazeneuve le 29 octobre 2024.
Cependant, je n'irai pas jusqu'à considérer que l'existence de ces contenants n'a aucune utilité. Ils peuvent être utiles dans certains cas à l'échelle planétaire ou dans le cadre de certaines crises où l'eau du robinet n'est plus potable.
Se pose aussi la question de la quantité des contenants que nous utilisons et la gestion des déchets qu'ils génèrent. Il faut rester prudent et ne pas se bercer d'illusions concernant ce qui nous est affirmé sur la capacité à recycler indéfiniment les bouteilles.
Cela nous interroge sur un aspect que je juge essentiel. Nous recourons tous à ces objets plastiques - souvent inutiles - pour assurer notre confort. Or, il est difficile de rebrousser chemin, car l'usage du plastique est commode, pratique et réduit les charges. Par exemple, nous n'allons plus faire les courses tous les jours.
M. Gérard Leseul, député, vice-président de l'Office. - Merci pour ce travail précieux et argumenté et pour votre investissement sur ce sujet. Je partage les interrogations des intervenants précédents. La question de la place du plastique dans les filières m'intéresse aussi. J'ai bien entendu la réponse : il ne faut pas que chacun se renvoie la responsabilité, mais il est aussi important d'avoir une vision, notamment en ce qui concerne la responsabilité de l'alimentation à emporter dans l'ensemble des pollutions plastiques et microplastiques. Bien sûr, il faut aller vers des régulations des produits, des usages et des contenants, ce qui poussera le consommateur à s'interroger et à s'impliquer.
Je voudrais savoir ce que nous pourrions faire dans le cadre d'un dialogue avec les professionnels de la filière plastique afin de les entraîner éventuellement vers une transition. Nous voyons bien que toutes les filières plastiques sont organisées et structurées. Donc, en tant que rapporteur, quelles relations avez-vous eues et quelles relations pourrions-nous avoir avec la Fédération de la plasturgie, le Syndicat des films plastiques, le Syndicat national de l'extrusion plastique, le Syndicat professionnel national de la plasturgie et des composites, etc. ?
M. Philippe Bolo, député, rapporteur. - Il est vrai qu'il est important de connaître le degré de responsabilité des uns et des autres. Quand nous connaissons l'étendue de notre responsabilité, nous pouvons nous mettre autour d'une table pour déterminer comment agir.
Cela renvoie à un autre sujet tout aussi important : celui du mode de comptabilisation. Par exemple, les chercheurs ont indiqué que l'empreinte du plastique sur l'ensemble du cycle de vie est supérieure à celle de l'aviation.
Sur le lien avec les professionnels, au-delà de ces conclusions, l'héritage du rapport de 2020 apparaît à travers des sollicitations quasi hebdomadaires sur ce sujet de la part d'ONG mais aussi de professionnels. Rien n'est caché : il y a quinze jours, j'ai rencontré l'un des syndicats qui traitent cette problématique. Grâce à ces dialogues, nous pouvons mesurer la complexité du sujet. Nous sommes en présence d'enjeux portant sur l'industrie, des emplois, des familles et des bassins de production. Avec la présence de tous ces plastiques inutiles, je suis convaincu qu'un levier d'action existe. Les professionnels s'en rendent compte et, lors des échanges, nous pouvons constater qu'ils ont deux positionnements opposés.
Certains sont en avance dans leur pratique et ont anticipé un certain nombre de virages qu'ils devront prendre afin d'éviter d'être montrés du doigt. Ainsi, ils ne craignent parfois pas la réglementation car ils ont déjà anticipé plus que ce qu'elle exige.
D'autres pratiquent le business as usual et ne changent rien en prétendant ne pas connaître les impacts des microplastiques.
Au sein de la profession, nous sommes en présence de différentes manières d'observer la situation. Il ne faut jamais oublier non plus que les industriels sont confrontés à une contrainte économique. Néanmoins, ils peuvent être sincères dans leur démarche. De plus, le sujet est mondial de sorte que beaucoup de plastiques que nous considérons inutiles viennent d'Asie. Par conséquent, les professionnels du secteur peuvent penser qu'une transition bien menée chez eux peut éviter la mise en concurrence de certains produits.
Nous pouvons citer l'exemple du sac plastique. En France, nous avons beaucoup légiféré sur son épaisseur. Celle-ci a donc évolué et le sac plastique est devenu de meilleure qualité et, parfois même, réutilisable. Toutefois, des sacs plastiques d'origine chinoise ne respectant pas cette norme reviennent sur le marché.
Le sujet de la pollution plastique est complexe, mais nous avons l'obligation de dialoguer avec les industriels. J'invite chacun de nous à le faire. De cette manière, nous pourrons nous faire rapidement une opinion sur les interlocuteurs qui viennent avec l'idée de construire et sur ceux qui pratiquent leur lobbying en utilisant des cas d'espèce. Pour conclure, je considère qu'il ne faut surtout pas fermer la porte au dialogue et je m'applique cette règle.
M. Pierre Henriet, député, premier vice-président de l'Office. - Le dernier cycle de négociation sur le traité se tiendra dans quelques jours à Busan.
M. Philippe Bolo, député, rapporteur. - Oui, du 25 novembre au 1er décembre.
Si le rapport que je vous présente est adopté, il sera traduit et largement diffusé. Je l'enverrai même au président du Comité international de négociations, Luis Vayas Valdivieso, ainsi qu'aux scientifiques.
Le rapport de 2020 avait permis de créer une coalition internationale de parlementaires à l'initiative d'Angèle Préville et de moi-même. Aujourd'hui, cette coalition regroupe 26 parlementaires issus de 15 pays différents : nous sommes la voix de 2,3 milliards de citoyens. Chaque membre de la coalition parlementaire recevra la note en anglais et en français. Je les invite à prendre le temps dans leurs parlements respectifs, de réunir les chercheurs de leur pays et d'aller parler avec leurs industriels. En coordonnant nos actions, nous serons plus forts et nous pourrons peser sur les négociations.
M. Pierre Henriet, député, premier vice-président de l'Office. - Je propose que nous adoptions les conclusions de l'audition publique, ce qui permettra de diffuser ce support dans le cadre des négociations prochaines.
L'Office adopte à l'unanimité les conclusions de l'audition publique sur les impacts des plastiques sur la santé humaine et autorise la publication, sous forme de rapport, du compte rendu de l'audition et de ces conclusions.
La réunion est close à 11 h 20.