Jeudi 14 novembre 2024
- Présidence de Mme Dominique Estrosi Sassone, présidente de la commission des affaires économiques, de M. Cédric Perrin, président de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées, et de M. Jean-François Rapin, président de la commission des affaires européennes -
La réunion est ouverte à 9 h 05.
Politique commerciale - Audition de Mme Sophie Primas, ministre déléguée auprès du ministre de l'Europe et des affaires étrangères, chargée du commerce extérieur et des Français de l'étranger
M. Jean-François Rapin, président de la commission des affaires européennes. - Mes chers collègues, nous sommes heureux d'accueillir ce matin notre ancienne collègue Sophie Primas, ministre déléguée chargée du commerce extérieur et des Français de l'étranger, pour évoquer en particulier un sujet brûlant : celui de l'accord qui pourrait être conclu prochainement entre l'Union européenne et le Mercosur. Ce dossier est largement évoqué à Bruxelles et dans la presse nationale et internationale, qui pointe parfois la France du doigt.
Voilà deux jours a été publiée la lettre ouverte que plus de 600 parlementaires, dont vos trois serviteurs et l'ensemble des présidents des groupes politiques du Sénat, ont adressée à la présidente de la Commission européenne pour marquer leur opposition à l'accord d'association envisagé avec le Mercosur tel qu'il a été négocié depuis 1999 et présenté en 2019, et pour rappeler les conditions posées par la France à sa signature.
Le ministre-président de Wallonie vient également d'exprimer l'opposition de la Wallonie à cet accord « en l'état », tout comme un certain nombre de députés européens français. « En l'état » : ces trois mots ont leur importance. Madame la ministre, je souhaiterais que vous nous précisiez d'entrée de jeu quelles conditions le gouvernement français pose aujourd'hui à la conclusion d'un accord avec le Mercosur et comment ces conditions vous semblent prises en compte par la Commission européenne dans les négociations qu'elle mène en ce moment avec ce dernier.
Je veux saluer votre engagement sur ce dossier. Nous avions conjointement déposé, l'an dernier, une proposition de résolution sur le sujet, que le Sénat a adoptée au mois de janvier de cette année. La position était claire et exigeante. Nous sommes heureux de constater que cette clarté et cette exigence se retrouvent aujourd'hui, par votre voix, dans le discours du Gouvernement.
Celui-ci aura besoin de votre détermination, alors que la Commission européenne, soutenue par de nombreux États membres, pousse en faveur de la conclusion politique rapide de cet accord avec le Mercosur, notamment pour des raisons géostratégiques et d'enjeux de concurrence avec la Chine, que le président de la commission des affaires étrangères évoquera sans doute.
J'étais récemment à la Conférence des organes spécialisés dans les affaires de l'Union européenne (Cosac), à Budapest. Tous mes homologues m'ont interrogé sur la position de la France. Nous nous défendons, mais il faut savoir que, même dans un tel cadre, la pression est forte.
Disons-le franchement, à la suite du vote intervenu au Sénat sur l'accord économique et commercial global (Ceta) avec le Canada, et devant l'exigence que nous martelons avant tout accord avec le Mercosur, la Commission européenne ne semble pas comprendre les critiques que nous formulons, notamment concernant le manque d'ambition de cet accord. Elle peut même avoir le sentiment que la France est aujourd'hui opposée, par principe, à tout accord commercial.
Or la volonté de nombreux États membres de parvenir à un accord avec le Mercosur pourrait avoir des conséquences sur la procédure retenue pour le faire adopter. L'accord négocié avec le Mercosur est un accord d'association ; il nécessite, à ce titre, l'unanimité au Conseil, l'approbation du Parlement européen et une ratification par les Parlements nationaux. En théorie, cela laisserait donc à la France la possibilité de s'y opposer. Mais est également à l'étude, au sein des services de la Commission européenne, non pas une scission de l'accord, mais, suivant le modèle retenu pour l'accord avec le Chili, la présentation d'un accord intérimaire qui reprendrait les seules dispositions relevant de la politique commerciale commune. Et un tel accord pourrait, cette fois, être approuvé par le Conseil à la majorité qualifiée et par le Parlement européen, sans vote des parlements nationaux. Ce scénario apparaît aujourd'hui très probable.
La décision de recourir à une telle procédure relève de la présidente de la Commission européenne, mais je voudrais que vous nous fassiez part de votre analyse concernant cet enjeu de procédure et le calendrier envisageable.
Je sais également que vous ne ménagez pas votre peine pour identifier les contours d'une minorité de blocage, dans l'hypothèse où un accord intérimaire serait soumis à la délibération du Conseil. Pouvez-vous nous faire part des premiers résultats de cette exploration que vous menez auprès de nos partenaires européens et des contacts que vous avez avec vos homologues ? En clair, la France est-elle isolée ou a-t-elle la capacité d'obtenir une minorité de blocage ? Avec qui, et à quelles conditions ?
M. Cédric Perrin, président de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées. - Madame la ministre, au nom de la commission des affaires étrangères, je vous souhaite la bienvenue pour cette audition. Je vous réitère également mes félicitations pour votre nomination au Gouvernement.
Avant d'aborder la question du Mercosur, je souhaitais vous interroger sur les conséquences des élections américaines du 5 novembre. Celles-ci ouvrent, en effet, une période d'incertitudes, en particulier dans le champ commercial. Le président Trump semble avoir donné le ton des relations qu'il entend entretenir avec l'Union européenne en la qualifiant, voilà quelques semaines, de « mini-Chine ». Il nous serait utile que vous nous indiquiez les répercussions que ce changement d'administration pourrait avoir sur l'état des relations commerciales que la France et, plus généralement, l'Union européenne entretiennent avec les États-Unis, même si l'imprévisibilité du président Trump peut parfois limiter l'étendue de la réponse.
J'en viens à la question de l'avenir de l'accord commercial entre l'Union européenne et le Mercosur.
Une délégation de notre commission s'est rendue au Brésil l'an dernier, où elle a pu mesurer une certaine attente du côté brésilien, avec une volonté que les discussions aboutissent rapidement. Nos collègues qui ont participé à ce déplacement ont cependant rappelé à leurs interlocuteurs brésiliens les lignes rouges françaises, qui n'ont pas bougé depuis : le respect de l'accord de Paris, l'inscription de clauses miroirs et la protection des filières sensibles, notamment la filière bovine.
À l'époque, si le Brésil, la Commission européenne et l'Espagne, qui s'apprêtait à assurer la présidence de l'Union européenne, étaient très allants pour une conclusion rapide de l'accord, des divergences demeuraient entre les pays du Mercosur, l'Argentine notamment étant alors opposée à cet accord. Entretemps, l'exécutif argentin a changé - cela n'aura échappé à personne -, et Javier Milei, très hostile à l'accord avant son élection, a opéré un virage à 180 degrés et y est désormais favorable.
Les autorités brésiliennes semblent, par conséquent, miser sur un possible aboutissement des négociations dès le G20 des 18 et 19 novembre. Vous nous direz si cette hypothèse est crédible, et comment l'empêcher dès lors que nos positions ne seraient pas prises en compte.
Il nous serait également utile de connaître précisément le contenu de l'instrument additionnel négocié depuis plus d'un an par la Commission européenne, sa portée juridique et les demandes du Mercosur auxquelles il a été fait droit.
Certes, le conflit ukrainien et ses conséquences sur l'économie mondiale ont rappelé la nécessité de diversifier nos sources d'approvisionnement. Pour autant, nous ne pouvons pas accepter que l'agriculture serve systématiquement de monnaie d'échange dans les négociations menées par l'Union européenne.
C'est pourquoi la France et l'Autriche y sont fortement opposées. Dans un entretien au journal L'Opinion du 22 octobre, vous avez rappelé avec fermeté l'opposition française à l'économie actuelle de l'accord.
Mais cette position semble de plus en plus minoritaire parmi nos partenaires, comme en témoigne le revirement de l'Allemagne sur le sujet, même si l'explosion de la coalition gouvernementale la semaine dernière rend les choses incertaines.
En tout état de cause, un scénario d'accord intérimaire qui reviendrait à contourner les parlements nationaux, comme l'a évoqué le président de la commission des affaires européennes, ne serait pas acceptable : il conduirait à détourner durablement les opinions publiques du projet européen, ce dont nous n'avons pas besoin en ce moment. Sentez-vous chez vos homologues européens une prise de conscience des risques que font peser sur l'Union européenne des décisions allant à l'encontre de la volonté de certains États membres ? Nous espérons que l'influence de notre commissaire européen permettra d'inverser la tendance...
Madame la ministre, vous l'avez compris, les éclairages que vous pourrez nous apporter sur ces différents sujets sont très attendus.
Mme Dominique Estrosi Sassone, présidente de la commission des affaires économiques. - Madame la ministre, chère Sophie Primas, je veux à mon tour me joindre aux propos de bienvenue du président de la commission des affaires européennes et du président de la commission des affaires étrangères et de la défense à votre endroit. Vous êtes ici chez vous, et nous vous accueillerons toujours avec grand plaisir. Nous vous remercions d'avoir trouvé un créneau dans votre agenda, pour le moins chargé depuis votre nomination au vu de vos nombreux déplacements, pour pouvoir participer à cette audition commune devant nos trois commissions.
Je me joins d'abord à l'interrogation du président de la commission des affaires européennes sur la procédure et l'existence ou non d'un droit de veto. La ministre de l'agriculture, Annie Genevard, que nous avons auditionnée la semaine dernière, nous a indiqué « travailler activement à l'instauration d'un droit de veto ». J'aimerais que vous nous éclairiez sur le sens de cette formule, parce que rien ne serait pire que de promettre ce dont ne pouvons pas être absolument sûrs.
J'aurais ensuite souhaité comprendre pourquoi et comment une telle divergence de points de vue s'est instaurée avec nos voisins. On entend parfois parler d'un accord « boeufs contre voitures » : des intérêts contradictoires expliquent sûrement partiellement cette divergence.
Pourtant, nous partageons un certain nombre d'intérêts. D'un côté, tous les pays européens cherchent à diversifier leurs approvisionnements pour limiter leur exposition à la Chine, en particulier dans les matières premières critiques pour la transition énergétique, comme le lithium, dont l'Argentine et la Bolivie, à l'instar du Chili, sont parmi les premiers producteurs au monde. De l'autre, tous les pays européens sont désireux de garantir le respect de l'accord de Paris, de limiter la contribution de leurs importations à la déforestation et d'éviter que des distorsions de concurrence ne viennent mettre en péril notre souveraineté alimentaire et le revenu de nos agriculteurs.
Aussi, au-delà de ce que peuvent expliquer ces intérêts contradictoires, j'ai l'impression que se creuse un clivage entre différentes philosophies du commerce international : une approche plus régulationniste, fondée sur des règles de réciprocité et de respect de nos engagements climatiques, défendue notamment par la France, et une approche qui suppose une forme d'autorégulation intervenant par le simple développement des échanges, défendue par les pays nordiques. Quelle est votre perception ? Pensez-vous qu'à l'avenir, les États européens parviendront à parler d'une voix plus unie dans un monde de plus en plus fragmenté ?
Enfin, il me faut parler plus spécifiquement des importations agricoles, à l'heure où la contestation reprend dans nos campagnes. Je rappelle les quotas à droits de douane nuls qui seraient accordés par l'Union européenne aux États du Mercosur : 3,4 millions de tonnes de maïs ; 450 000 tonnes d'éthanol, plus 200 000 tonnes à droits de douane réduits, et 180 000 tonnes de sucre ; 180 000 tonnes de volaille ; 61 000 tonnes de boeuf, plus 99 000 tonnes à droits de douane réduits ; ou, encore, 45 000 tonnes de miel, une filière plus petite mais qu'il ne faut pas négliger.
Quel est le plan du Gouvernement pour protéger au mieux ces filières, dans l'éventualité où un accord devrait aboutir dans les prochains mois malgré son opposition affichée ? Est-on au moins sûr que les denrées produites avec des pesticides ou des activateurs de croissance interdits dans l'Union européenne n'entreront pas au sein du marché intérieur ?
Les organisations agricoles ont relevé que l'Union européenne entendait mettre en place un fonds d'indemnisation, geste qu'elles ont perçu comme la reconnaissance du coup que l'accord porterait à notre agriculture. Les agriculteurs souhaitent et doivent pouvoir vivre de la vente de leur production, et non d'indemnisations ou de subventions ! Nous ne pouvons pas nous résigner à une telle issue, mais il est important que nous disposions de toutes les informations sur les options envisagées par la Commission européenne.
L'intérêt particulièrement marqué pour les questions agricoles dans notre commission, dont vous avez assumé la présidence, ne vous étonnera pas. Nous savons combien le sujet vous est cher ; il est d'ailleurs en lien étroit avec votre portefeuille ministériel. Je pense que vous aurez tout loisir de nous apporter un certain nombre de réponses.
Mme Sophie Primas, ministre déléguée auprès du ministre de l'Europe et des affaires étrangères, chargée du commerce extérieur et des Français de l'étranger. - Chers anciens collègues sénatrices et sénateurs, je vous remercie tout d'abord pour votre accueil et vos souhaits de réussite dans mes nouvelles fonctions. Il est vrai que, depuis maintenant une cinquantaine de jours, la question du Mercosur est au centre de mes préoccupations et de celles de mon équipe, dont je salue l'engagement à mes côtés
Je suis évidemment très heureuse de me retrouver au Sénat ce matin et de constater combien la Haute Assemblée reste fidèle à elle-même, puissamment mobilisée sur le sujet capital de l'accord avec le Mercosur. Plus que jamais, nous, Gouvernement et Parlement, devons unir nos forces sur cette question, qui est devenue à la fois pressante, incontournable et politiquement symbolique.
Voilà vingt-cinq ans que l'accord avec le Mercosur est en négociation. Or, depuis un quart de siècle, le monde a profondément changé. Depuis 2019, la France oppose un « non » catégorique à ce projet de traité dans sa version actuelle, considérant que celui-ci menace la cohérence même de la politique de l'Union européenne et le bien-fondé de son action volontariste de lutte contre le changement climatique. Ainsi, cet accord mettrait en péril notre force productive, ouvrant la voie à une concurrence totalement déloyale, touchant en premier lieu notre agriculture européenne et française.
Ces dernières semaines, les négociations menées par l'Union européenne s'emballent à mesure que les discussions entre la Commission et les pays du Mercosur gagnent en intensité. Je songe notamment à la visite au Brésil, voilà quelques jours, du commissaire européen au commerce, M. Valdis Dombrovskis, afin d'accélérer les tractations. Comme vous, je suis extrêmement attentive aux déclarations qui peuvent être faites.
Le calendrier mondial est par ailleurs propice à des annonces symboliques. La tenue du G20 dans quelques jours à Rio est une étape absolument clé. Celle du sommet des pays du Mercosur, au début du mois de décembre prochain, en est une autre. Et la fin de la mission de la précédente équipe européenne en est probablement une troisième.
Je veux donc le dire aujourd'hui devant vous avec une grande clarté : la position de la France ne change pas ; elle est ferme et inébranlable. Nous n'accepterons pas ce traité tel qu'il est aujourd'hui. De notre point de vue, ce traité, en l'état, est un accord obsolète, une « occasion manquée », pour paraphraser les conclusions du rapport de la commission conduite par le professeur Stefan Ambec en 2020.
La position du Premier ministre, qu'il a eu l'occasion de répéter hier à la présidente de la Commission européenne, la position du ministre de l'Europe et des affaires étrangères et celle de tout le Gouvernement sont alignées sur ce refus en l'état, déjà exprimé au G7 de Biarritz par le Président de la République.
En tant que ministre déléguée chargée du commerce extérieur, je défendrai donc la voix du « non » avec détermination, comme je l'ai défendue avec vous dans la résolution adoptée par le Sénat au mois de janvier dernier. J'ai évidemment emporté cette conviction avec moi au ministère ; elle est d'autant plus enracinée qu'elle reflète profondément mes convictions personnelles - vous le savez.
L'accord avec le Mercosur tel qu'il est écrit me semble déséquilibré et, surtout, porteur d'incohérences politiques à l'échelon européen. Depuis des années, notre pays arbore avec ferveur l'étendard d'une intégration ambitieuse des objectifs de développement durable au coeur des politiques publiques de l'Union européenne. Au nom des urgences environnementales et climatiques pressantes, nous imposons à nos entreprises et à nos agriculteurs des contraintes fortes, souvent coûteuses. N'est-il pas juste et naturel que notre politique commerciale s'inscrive en harmonie avec notre cap environnemental ? Je pense notamment aux engagements découlant de l'accord de Paris, d'ailleurs signé par quatre et bientôt par les cinq pays du Mercosur. Il semble en effet cohérent sur le plan politique de ne pas accepter l'entrée de marchandises moins-disantes du point de vue environnemental ou sanitaire quand les productions de nos propres acteurs économiques européens sont, par obligation, mieux-disantes. Cette exigence va au-delà des seuls pays du Mercosur et illustre notre aspiration à une concurrence saine et équitable.
Cette aspiration est d'autant plus légitime qu'elle est plébiscitée par les syndicats et par la société civile en France et, en dehors de la France, en Europe. Cependant, l'horizon concernant un accord sur ce traité est-il fermé ? Devons-nous rejeter l'accord en bloc sans proposer de solution de sortie ? Il apparaît en réalité, me semble-t-il, que des solutions simples et efficaces sont à notre portée pour procéder aux ajustements nécessaires. Quelles en sont les conditions ?
En premier lieu, nous devons faire de l'application de l'accord de Paris un élément dit « essentiel » de l'ensemble du traité. Concrètement, cela signifie que la France demande que l'accord entre l'Union européenne et le Mercosur puisse être suspendu si nous constatons une violation majeure par l'une ou l'autre des deux parties. Cette requête est d'ailleurs en parfaite harmonie avec les engagements du Brésil sur le volet environnemental et en totale adéquation avec les travaux que le Brésil a lui-même initiés au cours du G20 Commerce, auquel je me suis rendue. Faire de l'accord de Paris une clause essentielle de nos accords commerciaux est une demande qui ne concerne pas que le Mercosur. Qu'il s'agisse des accords avec le Royaume-Uni, avec le Kenya ou la Nouvelle-Zélande, nous faisons valoir partout la même exigence : que cette notion d'élément essentiel soit intégrée dans les traités. Les pays du Mercosur ont, avec l'Amazonie et le Cerrado, un rôle décisif à jouer dans la protection de l'environnement et de la biodiversité ainsi que dans la lutte contre le réchauffement climatique à l'échelon mondial. Il est donc primordial et logique que l'accord envisagé avec l'Union européenne soit à la hauteur de ces enjeux.
En deuxième lieu, il est crucial que, dans le chapitre de l'accord consacré au commerce et au développement durable, nous nous assurions que les engagements environnementaux de l'accord soient effectivement mis en oeuvre. Tout manquement aux dispositions de ce chapitre doit être soumis à un mécanisme de règlement des différends introduisant la possibilité de sanctions. Ce mécanisme doit être prévu par l'accord, ce qui n'est pas le cas aujourd'hui. Il ne s'agit bien évidemment pas là d'une marque de défiance à l'endroit de nos partenaires du Mercosur ; au contraire, ils ont toute notre confiance. Mais cette confiance n'exclut ni la clarté des termes de l'accord, ni le contrôle, ni la prudence ; c'est même la réassurance de nos propres acteurs économiques européens. Notre exigence environnementale, souvent synonyme d'efforts coûteux en termes de transformation de nos outils de production et d'investissements pour nos entreprises et nos agriculteurs, est défendue par tous les acteurs européens et par notre société civile. C'est pourquoi, je le répète ici, nous serons inflexibles sur le respect des conditions que je viens d'évoquer. Il faut aussi des garanties sur le fait que les règles européennes relatives à la déforestation s'appliqueront sans dérogation, et je pense que l'Union européenne devrait appuyer cette position. Comment faire triompher ces prérequis dans les futurs accords si nous ne les défendons pas face à un partenaire aussi important et aussi stratégique que le Mercosur ?
En troisième lieu, notre position sur l'accord est aussi étroitement liée à la question agricole, qui, comme vous le savez, me tient particulièrement à coeur car elle touche à une valeur cardinale de l'Union européenne : notre souveraineté alimentaire. Depuis des années, nous alertons, avec les membres de cette Haute Assemblée, sur les effets dévastateurs qu'infligeraient à notre modèle agricole des échanges commerciaux déséquilibrés, en particulier sur les filières les plus fragiles que vous avez mentionnées. Nos filières agricoles, dont certaines font partie de nos fleurons à l'exportation qui leur permet d'ailleurs de consolider leur propre équilibre économique, participent également grandement au rééquilibrage de notre balance commerciale. Elles sont, enfin, les gardiennes de notre souveraineté alimentaire et, plus encore, de l'équilibre de nos territoires, qui est lui-même indispensable à une forme de stabilité démocratique en France et en Europe. C'est une conviction que je partage naturellement avec Annie Genevard, notre ministre de l'agriculture, qui, vous l'avez rappelé, ne ménage pas ses efforts pour répondre aux attentes des agriculteurs.
Ma mission est double : soutenir les productions agricoles dans leur conquête de marchés internationaux et les prémunir contre toute forme de concurrence déloyale.
Pour toutes ces raisons, nous continuerons évidemment à nous battre méthodiquement et sans relâche pour un accord d'association avec le Mercosur qui soit exigeant sur les questions environnementales et loyal pour notre agriculture. Quelle que soit l'issue de la négociation, il faudra des dispositifs pour protéger nos filières en ce sens.
L'opposition à la version actuelle de l'accord Mercosur est l'une des rares positions politiques qui fassent l'unanimité sur les bancs parlementaires, toutes couleurs politiques confondues. Je souhaite que nous soyons à la hauteur de ce consensus parlementaire, qui nous donne à nous, Gouvernement, un mandat d'autant plus fort et nécessaire pour défendre la position de la France sans concession.
Sous l'autorité du Premier ministre, avec Jean-Noël Barrot, ministre de l'Europe et des affaires étrangères, et Benjamin Haddad, ministre délégué chargé de l'Europe, nous faisons valoir cette position auprès de nos partenaires au sein de l'Union européenne avec une grande détermination.
L'Europe en laquelle nous croyons, c'est une Europe souveraine qui fait valoir son principal atout dans les négociations internationales, celui d'un marché fort de 450 millions de consommateurs, atout extrêmement important dont elle n'a parfois - je dois bien le dire - pas tout à fait conscience.
C'est aussi une Europe qui respecte les décisions des parlements nationaux. Le nôtre s'est exprimé à de nombreuses reprises contre un tel accord ; il n'est pas le seul. Vous pouvez compter sur la parlementaire que je fus et sur la ministre que je suis pour rappeler à la Commission européenne la position de la France.
Certes - il ne faut pas se le cacher -, cette position n'est pas majoritaire en Europe. Mais nous ne sommes pas les seuls à la défendre. D'autres États membres partagent nos inquiétudes. Nous nous appuyons évidemment sur eux pour dialoguer et persuader. J'entends les doutes et les scepticismes qui s'expriment ici ou là ; je lis la presse, qui est très prolixe en ce moment. Je le réaffirme donc ici, devant la représentation nationale : la voix de la France n'est pas isolée dans cette défense de l'environnement, dans la protection de son agriculture, dans la préservation des équilibres du monde rural et dans sa volonté de défendre la cohérence de nos politiques publiques européennes.
La forme actuelle de l'accord nous permet pour l'instant de faire usage de notre droit de veto, puisque le vote devrait être à l'unanimité. Néanmoins, nous n'aurions que difficilement la possibilité de nous opposer à une scission de l'accord, comme cela a été le cas pour le Chili. Nous ne pouvons pas empêcher le collège des commissaires de prendre cette décision, sur l'initiative de la présidente de la Commission européenne. Pour préparer cette éventualité, nous devons réunir un maximum d'États membres pour former alors une minorité de blocage.
Dans cette bataille, le Gouvernement ne peut être seul : tout le monde doit relayer notre message et inlassablement expliquer nos arguments à nos partenaires. Nous avons besoin de chacun de vous, de vos différences d'appréciation et de vos différents territoires. Nous avons besoin des partisans d'une Europe qui protège sans se fermer, des défenseurs de la planète, des syndicats et des fédérations d'agriculteurs, en France comme ailleurs. Je remercie nombre d'entre vous des prises de position récentes qu'ils ont prises, notamment via des tribunes transpartisanes.
Mesdames et messieurs les sénateurs, ce moment est important car il peut marquer une nouvelle rupture dans l'histoire de notre politique commerciale européenne. Je veux promouvoir une approche moins naïve, plus audacieuse et offensive de nos échanges commerciaux internationaux, qui tienne compte des impacts économiques, environnementaux, stratégiques et sociaux des accords en cours de négociation, dans la droite ligne des conclusions du rapport Draghi.
Je tiens à écarter toute méprise : la France est bien partisane d'un accord avec le Mercosur, mais d'un accord renégocié. Les pays du Mercosur sont des partenaires stratégiques de grande importance pour l'Europe. Je n'ignore ni l'intérêt diplomatique que cet accord revêt pour la reconnaissance de cette région ni les avantages commerciaux qu'il apporte pour des secteurs entiers de notre économie, tant dans l'industrie, l'agriculture que les services. La réduction des droits de douane, l'accès aux marchés publics et une meilleure protection des indications géographiques sont des éléments importants pour que nos entreprises accèdent à ce marché dans de meilleures conditions.
Toutefois, c'est précisément parce qu'il s'agit d'un partenaire exceptionnel que nous ne pouvons pas nous contenter d'un traité en demi-teinte. La fermeté ne doit pas être synonyme de fermeture : il est indispensable d'ouvrir de nouveaux marchés pour nos entreprises, d'autant plus compte tenu des tensions commerciales avec la Chine, des craintes à l'égard des États-Unis et des sanctions envers la Russie, ainsi que le président Perrin l'a rappelé,
Les accords de commerce, tant celui-ci que d'autres, sont indispensables. Dans cette marche vers l'avenir, l'Europe ne peut trahir son identité et doit rester fidèle à ses valeurs. Elle doit être à la hauteur de ses ambitions et de ce moment politique tendu de l'Histoire. Il est inconcevable de brandir la bannière du développement durable et de la cohésion des territoires tout en votant le Mercosur sous sa forme actuelle.
Cette voie nécessite le développement de mesures miroirs dans la réglementation européenne. Plus d'une fois, nous avons exhorté l'Union européenne à considérer sérieusement l'introduction de telles mesures dans sa législation sectorielle. Nous devons aux forces économiques européennes de faire tout notre possible pour que le choix de la vertu ne soit jamais sanctionné par la concurrence déloyale de produits venus de pays qui ne partagent pas notre ligne de conduite, car il en serait alors fini de nos capacités productives, insuffisamment compétitives.
Des efforts ont certes été faits, mais souvent trop tard. Le bilan de la Commission reste largement en deçà des attentes, singulièrement de la France. Si quelques mesures ont vu le jour, d'autres ont été reportées, à l'instar du règlement européen contre la déforestation et la dégradation des forêts, dont le Brésil demanderait d'ailleurs à être quasiment exempté.
Laurent Duplomb nous a souvent alertés sur le sujet : il est urgent que l'Union européenne se dote d'une force de contrôle sanitaire afin de contrôler de façon effective un très grand nombre de produits importés, au regard notamment des limites maximales de résidus (LMR) de produits phytosanitaires. Le dernier audit de la direction générale de la santé et de la sécurité alimentaire de la Commission européenne, publié en octobre 2024, montre que des substances interdites en Europe, comme les promoteurs de croissance tels que le 17-â oestradiol, continuent d'être utilisées alors qu'elles sont interdites dans l'Union européenne depuis 1981 en raison de leurs effets potentiellement cancérigènes.
L'un des grands enjeux du mandat de la Commission européenne à venir sera donc de donner à nos réglementations la force et l'effectivité qu'elles méritent. Sans contrôle ni possibilité de sanction, nos normes resteront lettre morte. La Commission elle-même dresse un constat implacable : les contrôles sanitaires brésiliens manquent cruellement d'efficacité. Comment pourrions-nous en toute conscience exposer nos consommateurs à ces risques ?
Aussi ardu que soit le chemin, la main de la France ne tremblera pas. Je veux vous adresser un message de volontarisme et de fermeté. L'équipe de France est mobilisée dans ce combat juste, pour nos agriculteurs, nos industriels et nos concitoyens. Mon engagement contre la version actuelle de l'accord avec le Mercosur est entier : nos demandes doivent y être intégrées.
La bataille est rude, mais elle vaut la peine d'être menée ensemble, au-delà de la protection ou de la promotion de telle ou telle filière, car elle sera le marqueur d'une nouvelle politique européenne plus forte et plus exigeante. Le commerce international se complexifie, le contexte se durcit, et, si nous ne faisons pas maintenant bloc autour de nos convictions européennes et de nos ambitions communes, nous courons le risque de trahir le rêve des créateurs de l'Union, celui d'une Europe de paix, forte dans le monde, consciente de ce qu'elle représente sur la scène économique mondiale.
Monsieur le président Rapin, vous m'avez interrogée sur le calendrier des procédures envisagées pour l'adoption de l'accord avec le Mercosur. Comme vous l'avez indiqué, ce dernier a été négocié comme un accord d'association de nature mixte. Ce format est crucial pour déterminer les modalités de son adoption, et nous rappelons avec constance et fermeté à la Commission la nécessité de le conserver - hier encore, le Premier ministre l'a fermement rappelé lors de sa rencontre avec la présidente de la Commission européenne. Ce format impose que l'accord soit soumis à un vote à l'unanimité du Conseil, avant d'être transmis aux vingt-sept États membres pour ratification. Dans cette forme actuelle d'accord d'association mixte, nous disposons donc de deux leviers de taille pour faire entendre notre désaccord.
Le risque principal, que vous avez soulevé, est que la Commission revienne sur ce format d'association mixte, en introduisant une scission entre le volet commercial et le volet politique de l'accord. Le volet commercial échapperait alors à la règle de l'unanimité, pour pouvoir faire l'objet d'un vote à la majorité qualifiée du Conseil.
La Commission a réalisé de précédentes scissions, notamment lors de l'accord avec le Chili. Nous lui rappelons toutefois régulièrement que le mandat qu'elle a reçu du Conseil en 1999 était de négocier un accord d'association, et que le Conseil a ensuite rappelé que toute tentative de contournement de la forme juridique unique de l'accord pour éviter la règle de l'unanimité semblerait parfaitement illégitime.
Dans la lignée des propos du président Perrin, j'estime qu'il s'agirait d'une faute politique caractérisée : organiser le contournement d'autant de parlements nationaux risquerait de nourrir le sentiment anti-européen au plus mauvais moment.
C'est pour anticiper cette faute et combattre cette éventualité que nous avons pris contact avec l'ensemble de nos partenaires afin de constituer une minorité de blocage. Il s'agit pour nous de créer un front uni suffisamment fort pour dissuader la Commission.
Quant au calendrier, si la conclusion de l'accord était annoncée par la Commission, cet accord devrait être présenté au Conseil pour être formellement signé. Pour ce faire, il devrait d'abord être traduit dans les langues officielles de l'Union européenne, et la Commission devrait finaliser sa relecture juridique avant de présenter au Conseil une proposition de décision. Ce processus avait duré un an pour la modernisation récente de l'accord avec le Chili, mais, comme l'essentiel de la négociation de l'accord avec le Mercosur est finalisé depuis cinq ans, les choses pourraient aller plus vite. Viendraient ensuite le vote du Parlement européen et, en fonction de la forme de l'accord, un vote des parlements nationaux. La ratification du Conseil de l'Union européenne et du Parlement européen pourrait donc être assez rapide. Elle n'avait pris que trois mois pour l'accord avec le Chili. Devant ce calendrier très resserré, toutes nos institutions, Président de la République, Gouvernement et Parlement, doivent agir ensemble.
La France est-elle isolée ? Pour vous dire la vérité, la minorité de blocage, composée d'au moins quatre États représentant 35 % de la population européenne, est difficile à atteindre. En revanche, certains parlements nationaux au sein de l'Union européenne se sont prononcés contre ce traité avec le Mercosur. C'est sur ces pays, ainsi que sur les plus timides, qui se taisent actuellement, que nous comptons. Je ne souhaite mettre aucun de nos partenaires en porte-à-faux, et je ne vous en dirai donc pas davantage, mais nous nous intéressons à ceux pour lesquels l'économie agricole est extrêmement importante. La minorité de blocage est difficile à trouver mais elle n'est pas impossible à atteindre. Nous nous y attelons matin, midi et soir.
Monsieur le président Perrin, vous m'avez interrogée sur les répercussions de l'élection de Donald Trump à la tête des États-Unis. La France respecte évidemment le choix souverain du peuple américain et nous avons commencé à nouer des contacts avec la future administration. Sur le plan commercial, l'élection de Donald Trump induit un fort risque de crispation des relations entre l'Union européenne et les États-Unis. Dans son programme, le candidat Trump a promis l'application d'un droit de douane général de 10 à 20 % sur toutes les importations européennes. Si une telle guerre commerciale était déclarée, l'impact serait majeur pour notre économie. La perte est estimée par la direction générale du Trésor à 2,8 points de PIB pour l'Union européenne et à 2,1 points de PIB pour la France, à l'horizon 2030. L'enjeu est donc capital.
Cette élection doit être un électrochoc pour rassembler l'Union européenne et la faire sortir de la naïveté commerciale. Nous devons faire preuve d'unité et de fermeté, mais nous devons également d'ores et déjà engager un dialogue avec les États-Unis, avant que les décisions soient prises, pour envisager leurs conséquences d'un côté et de l'autre de l'Atlantique. Il me semble que nul n'a intérêt à une guerre commerciale. Rappelons que l'Union européenne compte 450 millions de consommateurs, ce qui représente un intérêt pour les États-Unis, comme pour la Chine.
Monsieur le président Perrin, vous m'interrogez également sur le contenu de l'instrument additionnel à l'accord. Depuis 2019, l'Union européenne en a fait une porte d'entrée dans les négociations environnementales avec le Mercosur. Cet instrument juridiquement contraignant est destiné à garantir des engagements internationaux. Cet instrument additionnel ne toucherait pas à l'accord issu des négociations finalisées en 2019, mais il vise à interpréter de manière plus large ses dispositions. Nous demeurons assez sceptiques quant à sa portée, et nous préférons, pour cette raison, que les termes de l'accord de Paris figurent dans l'accord avec le Mercosur.
Madame la présidente Dominique Estrosi Sassone, arriverons-nous à parler d'une voix unie dans un monde de plus en plus fragmenté ? C'est un enjeu capital alors que les relations commerciales et internationales avec la Chine se tendent. L'économie intérieure de la Chine fait face à des surplus de production élevés, et ce pays doit obligatoirement bénéficier d'un marché international favorable. La fermeture du marché américain la conduit à placer beaucoup d'espoirs dans le marché européen. L'Union européenne doit être fermement unie sur ces questions et ne doit pas afficher ses divisions. En particulier, le couple franco-allemand doit se réconcilier pour trouver des positions communes sur l'ensemble de ces sujets. Il s'agit d'un enjeu majeur de puissance : je le dis sans détour, si l'Union européenne est divisée, elle sera écrasée économiquement et commercialement. Il faut que nous retrouvions la voie de l'unité.
En ce qui concerne les filières agricoles affectées par cet accord, Annie Genevard et moi-même travaillons pour répondre à leurs inquiétudes. Nous ne voulons pas d'un plan de compensation de l'accord avec le Mercosur, car nous ne voulons pas de cet accord sous la forme actuelle. Nous réfléchissons avec l'Union européenne aux modes de soutien des agriculteurs, nous avons parlé du milliard d'euros d'aides envisagé par l'ancien commissaire européen Phil Hogan, mais nous ne sommes pas en train de marchander. Nous ne voulons pas détruire notre outil de production : nous voulons conforter nos filières agricoles, et ce n'est pas avec des compensations que nous rémunérerons nos agriculteurs ou que nous répondrons à l'impératif de la souveraineté alimentaire. Nous accordons beaucoup d'attention à ces filières, mais nous n'acceptons pas l'accord actuel avec le Mercosur et nous travaillons d'abord à trouver des minorités de blocage.
M. Jean-François Rapin, président de la commission des affaires européennes. - Madame la ministre, avant de laisser la parole à nos collègues, je souhaite rebondir sur vos propos au sujet de la déforestation. Il y a des signaux forts, et vous portez vigoureusement la volonté exprimée quasi unanimement, mais il y a aussi des signaux faibles.
La commission des affaires européennes du Sénat vient d'examiner deux textes au titre de sa mission de contrôle du respect du principe de subsidiarité, dont l'un concerne la déforestation. Je veux alerter tous mes collègues à ce sujet. En effet, la Commission européenne, propose de repousser d'un an l'entrée en vigueur du règlement européen contre la déforestation et la dégradation des forêts, qui vise à interdire la mise sur le marché européen ou l'exportation européenne de produits y ayant contribué, qu'il s'agisse de bovins ou d'huile de palme. Cela satisferait le Brésil mais ne va pas dans le sens des préoccupations environnementales actuelles dont la France se fait l'écho ; en tout état de cause, une telle proposition n'est pas contraire au principe de subsidiarité.
Il est important de bien comprendre la position de nos partenaires, notamment grâce aux réunions interparlementaires que nous tenons. La Pologne est, par exemple, un État clé. Nous renouons avec elle un dialogue précieux. Historiquement, ce pays a toujours défendu l'agriculture. Quelle est sa position ? La Hongrie et l'Italie, dont nous sommes plus éloignés politiquement, peuvent aussi, sur ces points, devenir des alliés.
Mme Évelyne Renaud-Garabedian. - L'accord prévoit l'ouverture des marchés publics des pays du Mercosur aux entreprises européennes. Beaucoup de PME françaises pourraient en bénéficier, mais on ne peut que douter de l'accès effectif de nos entreprises aux commandes publiques. L'exemple le prouve : sept ans après la mise en application provisoire de l'accord économique et commercial global avec le Canada (AECG-CETA), qui comportait des dispositions similaires, la participation des PME européennes à la commande publique canadienne demeure très limitée.
Pouvez-vous davantage détailler les secteurs qui seraient concernés par l'ouverture des marchés publics prévue dans cet accord, ainsi que les modalités retenues pour y accéder ? De quelles garanties disposons-nous quant à la réelle ouverture de ces marchés aux entreprises européennes ?
M. Jacques Fernique. - L'appel transpartisan de 622 parlementaires à la présidente de la Commission européenne constitue un acte très significatif, qui doit être déterminant. Il énonce trois conditions au soutien à l'accord : ne pas augmenter la déforestation importée, mettre le traité en conformité avec l'accord de Paris, instaurer des mesures miroirs en matière sanitaire et environnementale.
Au sujet de la déforestation importée, c'est-à-dire de l'interdiction d'importation et d'exportation depuis l'Europe de produits ayant contribué à la dégradation des forêts, je m'interroge sur la fermeté des positions européennes. Le Brésil voudrait en être exempté, et l'Union européenne envisage de reporter l'application du règlement sous la pression de pays tiers, africains, asiatiques et sud-américains. Ce report n'envoie pas un signal d'exigence.
Permettez-moi de me faire le porte-parole de notre collègue Didier Marie, contraint de se rendre à une autre réunion. Certaines avancées ont été enregistrées durant la précédente mandature d'Ursula Von der Leyen, notamment l'adoption au premier semestre 2024 du règlement établissant un cadre visant à garantir un approvisionnement sûr et durable en matières premières critiques. De premières mesures ont-elles été prises à l'échelon européen au sujet des importations et des exportations de telles matières premières ? À cet égard, des projets ont-ils déjà été reconnus comme stratégiques ? La France a-t-elle conduit son programme national d'exploration des minéraux et des matières premières critiques, que le règlement demande de réaliser d'ici au 24 mai 2025 ?
De plus, Didier Marie avait, à la fin de l'année 2023, interrogé votre prédécesseur Olivier Becht sur la signature d'accords de libre-échange entre l'Union européenne et des pays lointains, notamment la Nouvelle-Zélande. Celui-ci avait répondu avoir « le sentiment qu'il sera de plus en plus compliqué de signer des accords globaux, car on ne peut aligner tous les pays du monde sur nos standards du jour au lendemain. » Partagez-vous ce sentiment ? Est-il possible de bâtir des accords de libre-échange de nouvelle génération, prenant en compte les enjeux sociaux et environnementaux ? Un premier bilan de l'accord avec la Nouvelle-Zélande peut-il être dressé depuis son entrée en vigueur le 1er mai 2024 ?
Enfin, les négociations entre l'Union européenne et le Kenya ont abouti en juin 2023 à un accord ambitieux. Il s'agit d'une bonne nouvelle pour la diversité des partenariats de l'Union européenne, qui permet de répondre aux stratégies chinoise et russe en Afrique. Des accords de ce type avec d'autres États africains sont-ils envisagés ?
M. Jean-Claude Tissot. - Franck Montaugé, retenu dans son département, souhaitait vous interroger sur la situation de la filière armagnac. Alors que la Chine a augmenté ses droits de douane le mois dernier, l'élection de Donald Trump n'est pas de nature à rassurer les producteurs, qui anticipent déjà une nouvelle augmentation des tarifs douaniers américains. Face à ces deux protectionnismes, la filière risque de se retrouver exsangue. Quelle stratégie le Gouvernement compte-t-il adopter pour soutenir concrètement la filière en cas d'augmentation des droits de douane en Chine et aux États-Unis, qui sont les deux principaux importateurs d'armagnac ?
La conclusion de l'accord entraînerait des conséquences très importantes sur l'agriculture française et européenne. La distorsion de concurrence en matière de normes environnementales et sanitaires mettrait à mal tous les efforts réalisés depuis de nombreuses années pour faire évoluer notre agriculture. L'unité des syndicats contre ce traité témoigne du fait que le monde agricole le rejette en bloc, et ce ne sont pas les compensations financières évoquées à Bruxelles qui apporteront des solutions.
Les fameuses lignes rouges énoncées par le Président de la République ont été rappelées. Dans l'hypothèse où l'on tenterait d'obtenir un accord à tout prix, je crains que les exigences environnementales ne soient abaissées. Les pays du Mercosur ont le droit d'utiliser certains produits, mais la volonté d'avoir une concurrence loyale avec eux ne doit pas servir de prétexte pour réduire nos exigences environnementales.
Mme Sophie Primas, ministre déléguée. - Le règlement européen contre la déforestation et la dégradation des forêts a été adopté par le Conseil le 16 mai 2023. Cet outil, relativement récent, s'applique à toutes les importations, y compris celles qui proviennent des pays du Mercosur. Concrètement, ce texte interdit l'entrée sur le marché européen de sept matières premières et de certains de leurs dérivés ayant contribué à la déforestation. Il s'agit de l'huile de palme, du boeuf, du bois, du café, du cacao, du caoutchouc et du soja. Ce règlement est compatible avec nos engagements internationaux, en particulier avec les règles de l'Organisation mondiale du commerce (OMC).
À la demande de plusieurs pays tiers, dont ceux du Mercosur, la Commission européenne a proposé - mais rien n'a encore été décidé - d'en retarder d'un an l'entrée en application. Nous sommes partagés sur cette requête : certes, il y a urgence, mais il faut aussi laisser aux producteurs, y compris français, le temps de s'adapter aux nouvelles règles. Actuellement, il est prévu que les dispositions s'appliquent à partir du 30 décembre 2024. En cas de report, les mesures deviendraient contraignantes au 30 décembre 2025 pour les grandes entreprises, et au 30 juin 2026 pour les petites entreprises.
Par ailleurs, au cours des négociations actuelles avec l'Union européenne, l'ensemble des États du Mercosur ont demandé à être classés dans la catégorie « risque faible », parmi les trois niveaux de risque établis par le règlement contre la déforestation et la dégradation des forêts. Pour l'heure, la Commission a refusé de répondre à cette requête, que la France juge inacceptable.
Nous souhaitons laisser à nos entreprises le temps de s'adapter à cette réglementation, sans pour autant repousser son entrée en application aux calendes grecques.
Madame Renaud-Garabedian, l'accord avec le Mercosur semble en effet présenter de grands bénéfices dans le domaine des marchés publics : il favorise une ouverture significative des pays du Mercosur, avec lesquels l'Union européenne n'est liée par aucun engagement juridique à ce jour. Je pense en particulier aux transports, au développement urbain, aux télécommunications, à l'énergie ou encore à l'eau, secteurs d'excellence de l'industrie française.
Cependant, pour l'heure, seuls les marchés publics des institutions centrales et fédérales du Mercosur sont directement intégrés à l'offre, tandis qu'au niveau subfédéral, les autorités du Mercosur se sont engagées à ouvrir une offre complémentaire d'accès sous deux ans. Certes, cette avancée est bienvenue, mais elle est extrêmement modeste et peu effective.
Monsieur Fernique, des ressources stratégiques sont bien disponibles dans les pays du Mercosur. Avant de me rendre au Brésil dans le cadre du G20 Commerce et investissement, j'ai fait escale au Chili, qui ne fait pas partie du Mercosur, mais avec lequel nous avons signé des accords satisfaisants. Le commerce avec ces États n'a rien de nouveau. Toutes les entreprises du CAC 40 sont présentes en Amérique du Sud, à l'exception de l'une d'entre elles, et entretiennent des relations commerciales depuis plusieurs décennies avec ces pays. Ceux-ci jouent donc un rôle important dans l'approvisionnement stratégique de notre continent en métaux critiques. J'ai soutenu auprès du gouvernement chilien un grand projet d'exploitation du lithium dans le nord du pays. Cette stratégie fait partie de notre feuille de route sur les métaux critiques.
Certaines mesures de l'accord avec le Mercosur favorisent l'approvisionnement en matériaux stratégiques, mais il ne s'agit pas non plus d'avancées spectaculaires. Là encore, des quotas sont en jeu.
Nos revendications environnementales risquent effectivement de rendre plus difficile la signature d'accords globaux. Il y va toutefois de la cohérence des politiques publiques européennes. Nous ne pouvons y renoncer. Les négociations commerciales prendront de fait une nouvelle dimension. Nous devrons nous assurer de l'effectivité de nos normes et du contrôle appliqué aux importations et aux exportations. Les exigences de nos partenaires à notre égard seront aussi renforcées.
Cependant, nous devons continuer à négocier des accords de libre-échange. Nos acteurs économiques ont besoin de nouveaux marchés.
En contrepartie, nous pourrons sans doute plus facilement avancer sur des accords bilatéraux. Je pense notamment aux pays d'Afrique ou de l'Association des nations de l'Asie du Sud-Est (Asean).
Monsieur Tissot, je ne méconnais pas la crise du cognac, de l'armagnac et des brandys liée à l'augmentation de certains droits de douane. Sur ce sujet, le ministre Jean-Noël Barrot a répondu hier aux interrogations de Daniel Laurent lors de la séance de questions d'actualité au Gouvernement. Les mesures de rétorsion de la Chine sont à la fois injustifiées et incompréhensibles. Le prétexte invoqué du dumping est difficile à entendre, quand on sait qu'il s'agit de produits de luxe et quand on voit l'écart considérable entre les prix des brandys français et chinois. En outre, le président Xi Jinping s'est engagé, en mai 2024, à ne pas appliquer de taxes sur ces produits. Le ministre du commerce de la République de Chine, Wang Wentao, que j'ai interrogé à ce sujet, m'a dit que son gouvernement avait bien respecté cet engagement « pendant cinq mois » - une réponse qui ne manquait pas de cynisme ! (Sourires.)
Le Président de la République lui-même a réaffirmé son soutien aux producteurs de brandy français. Nous avons établi la feuille de route de la renégociation. Je me suis rendue à Shanghai, en compagnie de l'ancien Premier ministre Jean-Pierre Raffarin, qui bénéficie d'une certaine popularité en Chine. Nous y avons obtenu la réouverture du dialogue. C'est une première étape. Le Président de la République aura l'occasion d'aborder ce sujet avec son homologue chinois à l'occasion du G20 la semaine prochaine. Le Premier ministre aura aussi un rôle à jouer dans la négociation globale.
Enfin, la Chine a récemment permis aux importateurs de présenter une garantie bancaire, au lieu du dépôt de caution auprès des douanes qui était initialement exigé. Nous y voyons un signal positif - bien que léger - en faveur d'une réouverture des négociations.
D'autres enquêtes sont en cours, notamment sur la viande de porc et les produits laitiers. Nous souhaiterions également que l'Union européenne puisse mener des analyses croisées sur les lois antidumping en Chine.
Cependant, la France ne peut pas céder sur les véhicules électriques. Les mesures de rétorsion ont en effet été prises par la Chine en réaction à la décision de l'Union européenne de taxer les véhicules électriques importés. Une enquête de la Commission européenne avait révélé que les constructeurs chinois bénéficiaient de subventions massives. Un droit compensateur à hauteur des aides reçues a ainsi été instauré à chaque constructeur. Même si elle est importante et qu'elle déplaît à la Chine, cette taxation ne permet malheureusement pas de rattraper l'écart de compétitivité dont souffre l'industrie européenne. Contrairement à d'autres pays, nous ne fermons pas notre marché aux véhicules chinois, mais nous imposons des conditions de concurrence loyale. Telle est la voie de la fermeté de l'Europe que nous devons appliquer dans notre nouvelle politique commerciale.
Mme Hélène Conway-Mouret. - Malgré l'engagement dont vous faites preuve, nous avons le sentiment d'un isolement de la France en Europe. La Première ministre italienne rappelait ainsi hier, à la COP29, que les normes environnementales n'étaient pas sa priorité. Il faut aussi regretter que notre ancien commissaire européen, Thierry Breton, si prompt à défendre les normes européennes, ait été écarté. Enfin, l'élection de Donald Trump marque le début d'une nouvelle politique transactionnelle dans tous les domaines. Comment convaincre nos partenaires, au sein de l'Union européenne, de nous suivre ?
Les pays en voie de développement du Sud global semblent aujourd'hui tout miser sur la croissance économique. Ne risquent-ils pas de considérer, en matière environnementale, qu'il est suffisant d'adopter les normes minimales exigées par les États-Unis ou par d'autres ? Quelle est notre stratégie, dans la guerre commerciale qui se profile, pour éviter que d'autres secteurs d'activité, comme la défense, soient affectés ?
M. Rémi Cardon. - Les plans sociaux s'accumulent, en raison, souvent, d'une concurrence déloyale. Comment envisagez-vous cette série de batailles, produit par produit, que la puissance publique et les chefs d'entreprises doivent mener de front ?
Vous avez pour objectif de relocaliser une centaine de catégories de produits essentiels ou stratégiques, comme les médicaments, les batteries, la filière hydrogène ou encore les pompes à chaleur. L'ensemble de ces importations représente aujourd'hui un coût de 100 milliards d'euros. Faisons preuve de bon sens industriel dans la liste de ces produits ! Lesquels sont prioritaires ? Quelle est votre feuille de route ? Connaissez-vous l'avis du haut-commissaire au plan sur le sujet ?
M. Daniel Gremillet. - Les négociations avec le Mercosur ont débuté il y a vingt-cinq ans. Depuis 2019, la France semble plutôt défavorable à la conclusion de cet accord. Mais, depuis cette date, nous avons également assisté à des évolutions importantes de la politique agricole commune (PAC), pour ne citer que cet exemple. L'écart n'a cessé de se creuser entre nos attentes au titre de la politique agricole européenne et nos attentes envers les pays avec lesquels nous souhaitons échanger. Comment un tel décalage est-il possible ?
Votre situation n'est pas simple. Il n'y a que deux mois que vous êtes ministre. Mais nous payons aujourd'hui la faiblesse de la France dans nos discussions bilatérales avec les autres membres de l'Union européenne. Paris seul ne saura faire entendre sa voix. Nous avons besoin de temps pour nous mettre d'accord avec les différents États membres sur un projet européen. Je ne peux m'expliquer autrement la situation d'urgence que nous connaissons.
Par ailleurs, c'est une véritable offense que de dire au monde paysan qu'il obtiendra des compensations financières. De tels propos sont impensables. Comment pourrions-nous accepter de l'argent en remplacement du métier des femmes et des hommes qui nous nourrissent dans chacun de nos territoires ? Cette situation me fait de la peine et m'interroge.
Vous savez aussi l'attachement du Sénat à la question des contrôles aux frontières. Mais ce contrôle n'est pas suffisant pour certains produits alors qu'en France, nous disposons, par exemple, d'une traçabilité complète des animaux d'élevage. C'est un sujet d'importance, car il a trait à la sécurité sanitaire.
Enfin, concernant les échanges internationaux, l'élection américaine va amplifier l'importance stratégique du coût de l'énergie en matière de compétitivité de notre économie, en France comme en Europe. Nous entrons dans une zone de turbulences. Nous constatons, en même temps, le ralentissement des investissements dans les pays où les perspectives énergétiques à moyen et long termes semblent incertaines. Comment assurer notre compétitivité, alors que l'énergie fait partie des conditions essentielles de la relocalisation industrielle ?
M. Jean-François Rapin, président de la commission des affaires européennes. - M. Gremillet s'interroge, en réalité, sur l'influence française. J'espère que le cabinet du commissaire européen chargé de l'agriculture et de l'alimentation comptera des Français parmi ses membres. Mais ce n'est pas la voie qui semble se profiler...
Mme Sophie Primas, ministre déléguée. - Plusieurs d'entre vous ont évoqué l'isolement de la France au sein de l'Union européenne et l'affaiblissement de son influence. Pour ma part, je constate un manque de cohérence de l'Europe entre les politiques publiques qu'elle adopte et sa politique commerciale extérieure. La question est donc celle du projet politique de l'Union européenne. Il est urgent que la nouvelle Commission, sans jamais perdre de vue le rapport Draghi, redéfinisse la cohérence de ses politiques publiques.
M. Gremillet dit, avec pudeur, que la situation lui fait de la peine. Plus que cela, la situation nous révolte, et tout le peuple européen finira bientôt par éprouver un tel sentiment ! Nous vivons réellement un moment charnière. Nous devons réaffirmer ce que nous voulons pour l'Europe. Ce n'est pas simple, car les États membres ont des modèles sociaux, des préoccupations environnementales, des aspirations qui diffèrent. Mais nous devons redéfinir notre vision de l'Europe et en faire un Graal absolu dans la négociation de tous les traités de libre-échange. J'ai entamé mon tour de l'Union européenne. En échangeant avec mon homologue hongrois, j'ai bien compris qu'un long chemin restait à parcourir sur de nombreux sujets. Mais la quête de cette cohérence doit devenir l'alpha et l'oméga des futures discussions de la prochaine Commission européenne.
Sans cela, la Chine n'hésitera pas à instrumentaliser nos dissensions, comme elle sait si bien le faire. M. Wang Wentao m'a dit qu'il était bien conscient que les Allemands étaient opposés à la taxation des véhicules électriques importés de Chine.
Nous ne pouvons prendre des décisions importantes sans qu'un accord soit trouvé entre les deux piliers fondateurs de l'Europe, la France et l'Allemagne, d'abord, puis avec le reste des membres de l'Union européenne.
Bien entendu, il s'agit d'un long travail. Mais il se résume en ces termes : donnons suite au rapport Draghi, préservons la compétitivité de l'Europe, assurons la cohérence de nos politiques publiques, et tenons-en compte dans nos négociations commerciales internationales. Sinon, nous nous ferons écraser.
N'oublions pas que notre force repose, certes, sur une industrie conquérante et puissante, mais aussi sur un marché de 450 millions de consommateurs. La Chine saurait difficilement s'en passer pour vendre ses véhicules électriques : faisons peser cet argument dans la balance.
Monsieur Gremillet, vous soulignez à raison l'importance des contrôles, non seulement à la frontière, mais aussi au sein des pays producteurs.
Monsieur Cardon, vous avez évoqué les fermetures d'industries historiques, comme Michelin. Il faut d'abord penser au devenir des salariés.
Ensuite, ces fermetures m'apparaissent comme la confirmation des conclusions du rapport Draghi, qui souligne le manque de compétitivité de nos industries et l'insuffisante capacité d'investissement dans les nouveaux marchés.
En contrepartie, ces fermetures ne remettent pas en cause l'attractivité de la France pour les investisseurs industriels étrangers. Nous restons le premier pays européen à attirer les investissements. De nouvelles entreprises s'installent en France. L'économie est en pleine transformation. En suivant les conclusions du rapport Draghi, nous devons dégager des capacités d'investissement pour permettre l'évolution vers les industries d'avenir. En déplacement à Dunkerque hier, j'ai eu l'occasion d'admirer l'attractivité de son port et le véritable fourmillement d'entreprises nouvellement installées.
Certes, la France connaît des drames économiques. Nous devons les accompagner au mieux, mais nous devons aussi chercher à retrouver notre compétitivité et nos capacités d'investissement.
Je sais que les mesures relatives à la fiscalité des entreprises prévues dans le projet de loi de finances ont suscité des critiques. Toutefois, pour avoir discuté avec nombre d'investisseurs étrangers, notamment au Brésil, au Chili, en Chine ou en Hongrie, je puis vous dire que l'attractivité de la France n'est pas uniquement d'ordre fiscal. Nous avons coutume de dire que notre pays est très complexe d'un point de vue administratif ; ce n'est pas toujours ainsi qu'il est vu hors de nos frontières ! Il offre, par ailleurs, un important accompagnement à l'installation. Enfin, la mobilisation territoriale de tous les acteurs - État, chambres de commerce, secteur économique - est un atout considérable en termes d'attractivité. Mon état d'esprit est donc positif à cet égard.
J'ajoute que l'Europe ne manque pas d'outils défensifs, en l'occurrence 182 mesures de défense commerciale, qui ont d'ores et déjà permis de protéger 500 000 emplois. Nous devons mettre en oeuvre concrètement ces instruments antidumping, antisubventions et de sauvegarde.
M. Cédric Perrin, président de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées. - J'ai apprécié les propos de Daniel Gremillet, car nous faisons face à un problème de souveraineté et de crédibilité des élus. Comment pouvons-nous encore peser sur les décisions et changer les choses ? L'appel contre l'accord entre l'Union européenne et le Mercosur a été signé par 622 parlementaires ; ce n'est tout de même pas rien ! J'éprouve donc de la tristesse, mais aussi de la colère, voire un sentiment de révolte face à la position de la Commission.
Mme Sophie Primas, ministre déléguée. - C'est exactement ce que le Premier ministre a défendu hier auprès de Mme von der Leyen. Les décisions ont des conséquences économiques, mais aussi des conséquences politiques dont il faut tenir compte. L'Allemagne traverse aujourd'hui une période politique compliquée, de même que la France. Si l'Union européenne devait passer outre l'avis de la France, cela poserait un problème politique majeur. J'espère que ce discours sera entendu !
M. Cédric Perrin, président de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées. - À défaut, ce serait le signe d'une déconnexion totale...
M. Jean-Luc Ruelle. - Après l'Afrique, la Chine renforce significativement sa position commerciale en Amérique du Sud. En effet, les investissements chinois sur le continent ont été multipliés par 34 entre 2020 et 2022. La construction du mégaport de Chancay, au nord de Lima, largement financée par la Chine, en est un récent exemple. Ce port, qui pourra accueillir les plus gros porte-conteneurs du monde, s'inscrit dans le programme des nouvelles routes de la soie, auquel le Pérou, l'Argentine, le Chili, la Bolivie, l'Équateur et le Venezuela ont déjà adhéré. Le président Xi Jinping s'est d'ailleurs rendu, cette semaine, au sommet de la coopération économique pour l'Asie-Pacifique (Apec), à Lima, en marge duquel il devait inaugurer cette infrastructure portuaire.
Autre indicateur significatif, le Brésil est devenu le premier marché étranger pour les véhicules électriques chinois. L'accord UE-Mercosur permettra-t-il de freiner l'influence chinoise en Amérique du Sud et de préserver les débouchés commerciaux de la France et de l'Europe ?
M. Henri Cabanel. - Je tiens à souligner l'importance du secteur des vins et spiritueux pour notre balance commerciale. Or la France se sent isolée : outre les taxes chinoises, notre pays risque de subir de nouveau les « taxes Trump », aujourd'hui suspendues, mais qui le visaient tout particulièrement.
Pour ce qui est de l'exportation de nos vins, nous sommes très mal placés par rapport à nos principaux concurrents européens, l'Italie et l'Espagne. Nous exportons en effet un peu plus de 14 millions d'hectolitres, contre 23 millions d'hectolitres de vins italiens et 20 millions d'hectolitres de vins espagnols. Si nos résultats sont plutôt bons en termes de valeur, ils ne le sont pas sur le plan des volumes. Cerise sur le gâteau, la France est le premier pays importateur européen de vin, ce qui met la filière en difficulté - raison pour laquelle celle-ci a récemment mis en place une stratégie de filière.
Notre pays est divisé entre les Bourguignons, les Bordelais, les Languedociens, etc., alors que les producteurs italiens, par exemple, font bloc. Comment les convaincre de travailler ensemble et de rejoindre cette « équipe de France » - je reprends votre expression, madame la ministre -, qui ne doit exclure aucun vignoble, afin de valoriser nos exportations ?
M. Jean-Baptiste Lemoyne. - Lors de la conférence ministérielle de l'OMC de décembre 2017, le Président de la République a donné une feuille de route claire : éviter que les ministres européens ne s'y mettent d'accord au sujet de l'accord UE-Mercosur. Cecilia Malmström, alors commissaire européenne au commerce, n'avait pas pu annoncer de consensus sur ledit accord, et nous avions temporairement remporté la bataille, qui avait été féroce.
L'actuel calendrier - G20 à Rio, sommet du Mercosur, entrée en fonction de la nouvelle Commission - s'accompagne d'un risque avéré de scission de l'accord, avec un détachement de sa partie commerciale. La compétence commerciale étant pleinement communautaire, le Parlement européen serait alors le seul parlement appelé à se prononcer sur ce volet. Seule sa forme mixte, prévue par le mandat confié à la Commission en 1999, permettrait aux parlements nationaux de s'exprimer sur le volet commercial de l'accord. Il est important d'explorer toutes les voies, y compris juridiques, pour faire barrage à une scission du texte !
Si la Commission européenne adoptait une stratégie de scission, l'un des États membres pourrait-il saisir la Cour de justice de l'Union européenne (CJUE), laquelle doit s'assurer du respect des traités et du bon fonctionnement des institutions de l'UE ? Cette demande pourrait-elle se fonder sur l'argument suivant : le mandat qui lui a été confié prévoyant un accord d'association - donc une forme mixte -, la Commission ne saurait décider d'une telle scission de l'accord ?
M. Bernard Buis. - Ce matin, à Tain-l'Hermitage, les jeunes agriculteurs contestent l'accord avec le Mercosur, lequel est par ailleurs unanimement dénoncé par la classe politique française. Que préconisez-vous pour reconstruire la souveraineté économique de la France ? Mettrez-vous en oeuvre les « cinq plans pour reconstruire la souveraineté économique » préconisés dans le rapport d'information sénatorial que vous aviez rédigé avec nos collègues Amel Gacquerre et Franck Montaugé ?
M. Guillaume Gontard. - Le secteur de la chimie est en crise aux niveaux français, européen et mondial. En Isère, l'entreprise Vencorex, en redressement judiciaire, risque de perdre 500 emplois faute de repreneur. D'autres entreprises - Arkema, Atanor, Air Liquide - sont également en difficulté, et l'ensemble de la filière risque de s'effondrer ; cela aura des conséquences sur les entreprises de l'armement, les centrales nucléaires, le programme Ariane, et cela pose un problème de souveraineté économique.
Dans ce contexte, quels instruments antidumping comptez-vous mettre en oeuvre ? Comment l'État peut-il soutenir nos secteurs hautement stratégiques, notamment celui de la chimie ?
Mme Anne-Catherine Loisier. - Dans la perspective d'une scission de l'accord - une tentative de contournement dont la Commission se rendrait coupable -, le mandat de négociation de cette dernière pourrait-il être réexaminé ?
À la suite de l'élection de Donald Trump, pensez-vous que l'Union européenne soit capable de prendre les devants sur des dossiers de commerce international ou d'organisation multilatérale, sujets qu'il conviendrait de revoir complètement ?
M. Yannick Jadot. - Le mandat de la Commission a été adopté par le Conseil et continue de valoir, le Parlement européen n'ayant pas son mot à dire à cet égard, ce qui est triste d'un point de vue démocratique. Et, puisque les États membres du Mercosur ne souhaitent pas renégocier l'accord UE-Mercosur, convenu en 2019, seul celui-ci sera soumis à signature, à la différence des autres textes, comme l'instrument additionnel.
Le président brésilien Lula da Silva tente de nous rassurer en faisant montre de sa bonne volonté, par exemple concernant l'Amazonie. Mais, si Jair Bolsonaro était réélu dans deux ans, l'accord tiendrait toujours et l'on ne pourrait rien faire, quoi que M. Bolsonaro décide... On ne peut pas moduler l'application d'un accord en fonction du contexte politique des pays.
La France s'est isolée, notamment face à l'Allemagne. N'ayant pas réussi à constituer une minorité de blocage, elle dispose d'un seul levier : la non-dissociation de la partie commerciale de l'accord. Il faut tenir sur ce point.
Mme Sophie Primas, ministre déléguée. - Monsieur Ruelle, la Chine était présente en Amérique du Sud bien avant l'inauguration du mégaport de Chancay, et sa volonté d'expansion sur ce marché est ancienne.
Je ne suis pas certaine que l'accord UE-Mercosur nous permette de lutter économiquement contre la Chine. Notre outil de guerre absolu réside dans la compétitivité de nos entreprises, au sein d'une « équipe de France » de l'exportation de nos savoir-faire. Nous sommes d'ailleurs présents dans ces pays d'Amérique du Sud et il me semble que nos parts de marché sont en train d'y augmenter en volume, contrairement à ce que j'entends dire. Ainsi, au Brésil, des sociétés françaises, notamment du CAC 40, sont implantées depuis longtemps, ce qui favorise notre balance des paiements.
Il est vrai que la Chine est conquérante en Amérique du Sud ; à nous de l'être également, et nous avons des atouts pour cela.
Monsieur Cabanel, pour ce qui concerne nos vins et nos alcools, nous allons engager un processus de dialogue avec les États-Unis afin que les taxes décidées lors de la première présidence Trump, actuellement suspendues, ne soient pas appliquées de nouveau. Je le rappelle, les exportations de vin français vers ce pays représentent presque 4 milliards d'euros. Pour être plus performants à l'export - cela fait partie de ma feuille de route -, nous devons jouer collectif, comme le fait l'Italie dans les expositions universelles par exemple. Les interprofessions, avec lesquelles je souhaite travailler sur le pavillon France, et les producteurs doivent agir en ce sens, car l'État ne peut pas tout. Il faut chasser en meute !
Monsieur Lemoyne, la saisine de la CJUE me semble être une voie incertaine, voire contre-productive, si je me réfère à la jurisprudence de cette cour sur les accords commerciaux... La question n'est pas juridique ; elle est politique : que veut faire Mme von der Leyen de l'Europe ? Souhaite-t-elle la voir unie ou attiser les désaccords entre les États membres ? Je rejoins Yannick Jadot : nous devons obtenir une décision purement politique rejetant la dissociation de l'accord.
Monsieur Gontard, le secteur de la chimie est, en effet, en difficulté partout en Europe. Le ministre chargé de l'industrie, Marc Ferracci, est très mobilisé sur ce sujet ; il présentera une feuille de route. Pour s'en sortir, il est essentiel de se conformer aux recommandations de Mario Draghi. Par ailleurs, le plan France 2030 prévoit de consacrer 4 milliards d'euros à ces entreprises, notamment à leur décarbonation.
L'action du Gouvernement est coordonnée. Pour ma part, je m'efforce de nouer un dialogue constant avec mes homologues au sein de l'Union européenne. Jean-Noël Barrot, Benjamin Haddad et le Premier ministre sont également très investis sur les sujets européens. Quant au Président de la République, il dialogue de façon continue avec la présidente de la Commission européenne et s'exprime au sein des grands forums. Le G20 qui va se tenir à Rio sera ainsi l'occasion d'échanges importants avec nos collègues européens et certains pays du Mercosur. Il sera également l'occasion de faire progresser nos relations avec la Chine. En tout cas, au sein de l'équipe gouvernementale, nous sommes unis !
Pour en revenir à l'accord, je ferai toujours preuve de transparence sur les actions que je mène et sur nos marges de manoeuvre, notamment lors de mes échanges avec les interprofessions agricoles. C'est pour moi une question de crédibilité de la parole publique.
Enfin, je tiens à vous dire que je n'ai pas perçu, chez les ministres des pays du Mercosur avec lesquels j'ai pu échanger, un enthousiasme délirant à l'égard de cet accord ; des accords bilatéraux m'ont même été proposés. Ce sont plutôt les pays européens attirés par ce marché, ainsi que le secteur de l'agrobusiness en Amérique du Sud, qui souhaitent qu'il aboutisse.
Monsieur le sénateur Bernard Buis, je suis frappée de voir combien le rapport que vous avez mentionné a fait école ; en tout cas, il a été très lu. J'espère modestement que certaines de ses conclusions pourront être intégrées parmi les réflexions menées dans le prolongement de la présentation du rapport Draghi.
Madame la sénatrice Anne-Catherine Loisier, comme l'a indiqué M. Jadot, il est effectivement difficile de revenir sur le mandat de la Commission.
Je pense que l'élection de Donald Trump est un électrochoc. Elle conduit à une prise de conscience européenne quant à la nécessité d'une réaction.
Je suis en train de préparer quatre feuilles de route : une sur l'export, une sur l'attractivité, une sur la politique commerciale, et la dernière sur les Français de l'étranger, que je n'oublie évidemment pas. Lorsque celles-ci seront prêtes, ce qui ne saurait tarder, j'aurais plaisir à revenir devant le Sénat pour vous les présenter.
Mme Dominique Estrosi Sassone, présidente de la commission des affaires économiques. - Madame la ministre, nous vous remercions des réponses que vous nous avez apportées au cours de cette audition intense. Elles étaient précises et étayées par les déplacements que vous avez effectués, ainsi que par les contacts que vous avez pu nouer dans différents pays. Cela les rend d'autant plus précieuses pour nous.
Notre commission a effectivement prévu de vous auditionner au début de l'année 2025, sitôt que les feuilles de route auront été publiées.
Nous savons combien vous et le gouvernement auquel vous appartenez ne ménagez pas vos efforts sur le dossier, si important pour la France et l'Europe, de l'accord avec le Mercosur. Nous vous souhaitons beaucoup de courage dans votre mission.
Cette audition a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.
La réunion est close à 11 h 10.