- Mardi 12 novembre 2024
- Mercredi 13 novembre 2024
- Projet de loi de finances pour 2025 - Crédits relatifs à l'audiovisuel public - Examen du rapport pour avis
- Contrats d'objectifs et de moyens 2024-2028 des sociétés de l'audiovisuel public - Examen du rapport d'information et vote sur l'avis de la commission, en application de l'article 53 de la loi n° 86-1067 du 30 septembre 1986 relative à la liberté de communication
- Projet de loi de finances pour 2025 - Crédits relatifs au cinéma - Examen du rapport pour avis
- Projet de loi de finances pour 2025 - Crédits relatifs aux patrimoines - Examen du rapport pour avis
Mardi 12 novembre 2024
- Présidence de M. Laurent Lafon, président -
La réunion est ouverte à 17 h 00.
Projet de loi de finances pour 2025 - Audition de Mme Annie Genevard, ministre de l'agriculture, de la souveraineté alimentaire et de la forêt
M. Laurent Lafon, président. - Madame la ministre, nous sommes heureux de vous accueillir pour votre première audition devant notre commission. Au nom de l'ensemble de mes collègues, je vous présente nos voeux de réussite pour votre mission, dont nous connaissons la difficulté et l'importance.
Nous vous remercions d'avoir accepté notre invitation. Il est en effet très important pour notre commission que l'enseignement technique agricole et ses 220 000 élèves, apprentis et étudiants ne soient pas oubliés. Nous faisons tout pour que ce ne soit pas le cas ; nous connaissons aussi votre attachement à cet enseignement. Nous espérons d'ailleurs que vous serez présente au côté de Mme Genetet, le 2 décembre prochain, lors de l'examen en séance publique de la mission « Enseignement scolaire », qui inclut les crédits relatifs à l'enseignement agricole.
En 2020, quelles que soient les travées sur lesquelles nous siégions, nous avions tiré la sonnette d'alarme face à la baisse croissante des moyens en faveur de l'enseignement agricole, qui risquait de remettre en cause son modèle de formation. De fait, comme nous aimons à le rappeler, il s'agit d'une voie de formation qui se distingue par un très fort taux d'insertion, à la fois sociale et professionnelle, et qui participe à l'animation de nos territoires. D'ailleurs, chaque département, à l'exception de celui que je représente, accueille au moins un établissement public ou privé sous contrat de l'enseignement agricole.
En raison de notre mobilisation, ainsi que des conclusions de la mission d'information sur l'enseignement agricole, outil indispensable au coeur des enjeux de nos filières agricoles et alimentaires, dont notre ancienne collègue Nathalie Delattre était rapporteure, l'hémorragie des équivalents temps plein (ETP) enseignants a été stoppée.
Madame la ministre, nous serons à vos côtés pour défendre l'enseignement agricole et renforcer son attractivité. Il y a, en effet, urgence : d'ici à 2030, entre 40 % et 60 % des agriculteurs français partiront à la retraite.
Pouvez-vous nous présenter les priorités de votre ministère en faveur de l'enseignement agricole ? Quels sont les grands axes du projet de loi de finances (PLF) pour 2025 ?
Par ailleurs, en janvier 2025, le Sénat examinera le projet de loi d'orientation pour la souveraineté alimentaire et agricole et le renouvellement des générations en agriculture (PLOA), qui était inscrit à l'ordre du jour de notre assemblée en juin dernier, mais dont l'examen a été repoussé en raison de la dissolution de l'Assemblée nationale. M. Christian Bruyen, rapporteur pour avis sur ce texte, vous posera certainement des questions à son sujet. Depuis juin dernier, la position du Gouvernement s'est-elle infléchie sur les principales mesures du projet de loi consacrées à l'enseignement agricole ?
Madame la ministre, je vous laisse la parole, non sans avoir rappelé que cette audition est diffusée en direct sur le site internet du Sénat. À l'issue de votre propos liminaire, Bernard Fialaire, rapporteur pour avis des crédits de l'enseignement technique agricole, et plusieurs de nos collègues vous poseront des questions.
Mme Annie Genevard, ministre de l'agriculture, de la souveraineté alimentaire et de la forêt. - Mesdames, messieurs les sénateurs, c'est un vrai plaisir de me trouver devant vous pour présenter le budget de l'enseignement agricole, alors que je siégeais voilà peu au sein de la commission jumelle à l'Assemblée nationale.
L'enseignement agricole est une chance pour notre pays, pour nos jeunes, pour notre agriculture et pour nos territoires. Issue d'un territoire rural comptant plusieurs établissements d'enseignement agricole, je connais bien cet enseignement, que j'ai eu l'occasion de défendre et de valoriser à de multiples reprises.
C'est avant tout un exemple de l'école de la réussite, comme en témoignent les excellents résultats aux examens et les très bons taux d'insertion professionnelle, les politiques d'inclusion et d'insertion menées, ainsi que le fort engagement citoyen de ses apprenants.
C'est également un enseignement très diversifié. Il offre la possibilité à tous les profils de trouver leur voie vers plus de 200 métiers du vivant : ceux de l'agriculture, de l'agroalimentaire, de la forêt, du paysage, de l'aménagement du territoire, de l'environnement ou encore du service en milieu rural. Il permet de se former en voie générale, technologique ou professionnelle, par voie scolaire et par apprentissage. C'est un système riche d'un enseignement public et privé, où chacun met ses spécificités au service de la diversité des jeunes.
Enfin, l'enseignement agricole est un puissant levier pour relever les défis du monde agricole : celui du renouvellement des générations et celui des transitions. Le renouvellement des générations n'est possible que si l'on amplifie le regain d'attractivité que connaît l'enseignement agricole depuis quatre ans, et qui se confirme encore en cette rentrée.
Les prochaines générations d'agriculteurs et d'actifs des métiers du vivant doivent aussi être formées aux compétences de demain, celles qui en feront des chefs d'entreprises économiquement performants et capables de répondre aux enjeux essentiels des transitions agroécologiques, agronomiques, environnementales et climatiques en cours.
Cette audition a lieu dans le contexte particulier du redressement des finances publiques. Ce dernier nous impose de faire le meilleur usage possible des moyens à notre disposition et de faire preuve de responsabilité dans l'utilisation des deniers publics. Malgré ce contexte budgétaire tendu, il est nécessaire de préparer l'avenir de l'agriculture, de défendre notre souveraineté alimentaire et d'anticiper au mieux les crises, dont nous mesurons l'ampleur cette année : crises sanitaires et météorologiques, crise du rendement, crise de sens, crise de confiance en l'avenir. L'enseignement et la recherche agricoles sont la clé pour atteindre ces objectifs.
Trois principes ont guidé l'élaboration du projet de budget.
Le premier est la nécessité de préserver la qualité de l'enseignement agricole en maintenant l'engagement de l'État. Le deuxième est d'aller plus loin pour ce qui fonctionne, en capitalisant sur les spécificités de l'enseignement agricole. Je pense, en particulier, à la capacité de ce dernier à inclure et à former des professionnels compétents et des citoyens éclairés : ces opportunités changent des vies et doivent continuer de le faire. Le troisième principe est de faire en sorte que les métiers de l'enseignement restent attractifs demain. Préserver la qualité, aller encore plus loin pour ce qui fonctionne, continuer de renforcer l'attractivité des métiers de l'enseignement : voilà les maîtres-mots du budget présenté.
Avec 2,162 milliards d'euros de crédits de paiement dédiés à l'enseignement technique et supérieur, nous vous proposons de conserver un haut niveau d'ambition pour l'enseignement agricole.
Premièrement, comme je l'ai indiqué, il était nécessaire de préserver la qualité de cet enseignement. L'enseignement agricole permet à plus de 200 000 apprenants, de la quatrième au brevet de technicien supérieur agricole (BTSA), et à 17 000 étudiants de l'enseignement supérieur de se former à des métiers qui ont du sens, d'être insérés sur le marché du travail et d'être formés en tant que citoyens.
La progression du nombre d'apprenants de l'enseignement technique de 1 % supplémentaire, en moyenne, chaque année nous oblige à maintenir la qualité de l'enseignement agricole. Ce pourcentage d'augmentation annuelle peut paraître faible au regard de l'objectif de 30 % d'apprenants supplémentaires d'ici à 2030, mais cette croissance régulière chaque année permet d'approcher l'objectif. Après de nombreuses années où son attractivité était en déclin, cet enseignement a désormais retrouvé de l'attrait. Il en va de même de l'enseignement supérieur agronomique et vétérinaire, dont le nombre d'étudiants a déjà crû de plus de 20 % depuis 2017, à moyens quasiment constants. Il faut saluer et préserver ces efforts. Ces chiffres sont la preuve que l'enseignement agricole est toujours plus attractif pour nos jeunes.
Le renouvellement des générations d'actifs dans l'agriculture est en marche. Il faut le soutenir, car c'est un enjeu majeur : à l'horizon 2035, 60 % des chefs d'exploitation sont susceptibles de partir à la retraite.
Pour le programme 143 « Enseignement technique agricole », plus de 35 millions d'euros de crédits de paiement supplémentaires sont prévus, ce qui permet d'atteindre un budget de 1,7 milliard d'euros, soit une hausse de 2 % par rapport à 2024.
Le très bon taux d'encadrement - un peu moins de vingt élèves par classe en moyenne - sera préservé, pour que chaque apprenant soit formé dans les meilleures conditions. Enfin, la hausse du budget a permis d'augmenter les moyens de façon plus ciblée, afin d'éviter que le service public de l'enseignement agricole, qu'il soit assuré par des établissements publics ou privés, ne se dégrade en raison des difficultés conjoncturelles.
Face à la crise à Mayotte, nous répondons présents : l'établissement public national d'enseignement et de formation professionnelle agricoles de Coconi sera doté d'environ 1 million d'euros supplémentaires pour répondre aux besoins induits et pour assurer le bon fonctionnement de son nouvel internat.
Pour ce qui concerne l'enseignement privé, une hausse est consentie pour la ligne budgétaire « Subventions aux fédérations », afin d'accompagner les établissements en difficulté financière. L'État accompagne aussi la hausse des besoins des établissements privés, comme le droit le prévoit : l'action qui regroupe les crédits dédiés à l'enseignement privé du temps plein et à l'enseignement privé du rythme approprié est ainsi dotée de 2,9 millions d'euros supplémentaires par rapport à la loi de finances initiale (LFI) 2024.
Les dépenses liées à l'enseignement supérieur sont quant à elles également préservées, malgré une légère diminution des crédits du programme par rapport à 2024. Mes équipes travaillent à des redéploiements pour que les huit postes prévus dans le cadre du plan de renforcement des quatre écoles nationales vétérinaires soient bien mis en oeuvre. Nous adoptons une trajectoire permettant de former 75 % de vétérinaires supplémentaires en 2030 par rapport à 2017. Je tiens à cette trajectoire, essentielle pour notre élevage : le territoire doit être maillé de vétérinaires.
Le budget 2025 du programme 142 « Enseignement supérieur et recherche agricoles », qui s'élève à 431 millions d'euros, permettra donc de garantir la qualité des enseignements délivrés et de poursuivre les efforts engagés les années précédentes en faveur de l'enseignement supérieur et de la recherche.
Je voudrais évoquer, en toute transparence, la question du rabot budgétaire annoncé. La situation budgétaire de notre pays impose que chaque ministère fasse davantage d'efforts pour retrouver une trajectoire des finances publiques soutenable. À cette fin, le Gouvernement a annoncé soumettre à votre appréciation un montant d'économies supplémentaires à réaliser de 5 milliards d'euros pour le budget de l'État par rapport à la version initiale du PLF.
Dans ce cadre, la contribution de mon ministère s'élèverait à 115 millions d'euros. J'ai choisi de faire contribuer l'ensemble des programmes du ministère à cet effort, au prorata de leurs crédits inscrits dans le PLF pour 2025. À mes yeux, c'est une mesure de bon sens. S'y ajoutent les dispositions annoncées ayant trait aux jours de carence et aux indemnisations des arrêts maladie des agents. Compte tenu de ces éléments, il serait proposé une baisse de crédits de 18 millions d'euros pour le programme 143 « Enseignement technique agricole » et de 8 millions d'euros pour le programme 142 « Enseignement supérieur et recherche agricoles ».
Je veux que ces mesures d'économie ne remettent pas en question les grands équilibres du budget présenté aujourd'hui ni les objectifs que je viens d'évoquer : préserver la qualité, aller encore plus loin pour ce qui fonctionne, continuer de renforcer l'attractivité des métiers de l'enseignement. Les services de mon ministère travaillent actuellement en ce sens. Je leur ai expressément indiqué qu'il fallait optimiser au plus juste nos politiques publiques ainsi que nos outils, et préserver le maillage des établissements et des classes dans nos territoires.
Deuxièmement, je voudrais que ce budget nous permette de capitaliser sur les spécificités de l'enseignement agricole, en particulier sa capacité à inclure.
Le nombre de jeunes en situation de handicap accueillis augmente de plus de 15 % par an. Ce projet de budget pour 2025 conforte le statut de nos établissements, qui sont en pointe en matière d'inclusion. À la suite d'une hausse de 26 % du nombre d'élèves bénéficiant d'une aide au titre d'un handicap, il était essentiel de poursuivre les augmentations des moyens dédiés. Ainsi, le financement de l'inclusion scolaire des élèves en situation de handicap, hors dépenses de personnel, poursuit sa progression, en passant de 14 millions d'euros en 2020 à près de 21 millions d'euros aujourd'hui.
Ce budget conserve le nombre d'ETP dédiés à l'accompagnement des élèves, qui avait connu une augmentation de 75 % entre 2019 et 2024. Nous avons voulu aussi indexer la rémunération des assistants d'éducation (AED) sur celle de leurs homologues de l'éducation nationale, au travers de 520 000 euros de crédits nouveaux par rapport à 2024. Enfin, les autres spécificités de l'enseignement agricole, comme ses capacités d'innovation et d'expérimentation, sa forte implication en faveur de l'engagement citoyen ou encore de la mobilité internationale, continueront d'être soutenues.
Troisièmement, ce budget nous permettra de poursuivre les réformes en faveur de l'attractivité des métiers de l'enseignement.
Si ce système a de bons résultats, c'est grâce à la qualité et à l'engagement de ses agents, présents partout sur le territoire national. Pour préserver ces résultats, il faut conserver l'attractivité de ces métiers pour les agents. Ce PLF est le premier à intégrer en base les 55 millions d'euros de crédits dédiés au pacte enseignant. C'est un signal fort en faveur des enseignants et des conseillers principaux d'éducation (CPE).
Le pacte enseignant permet, en effet, pour sa partie dite socle, d'améliorer le déroulement de carrière des personnels d'enseignement et d'éducation, ainsi que de revaloriser la rémunération de chacun. Il permet également à ceux qui le souhaitent, par sa partie dite pacte, d'exercer des missions complémentaires au service des élèves et des établissements pour lesquelles ils sont rémunérés.
Je souhaite rappeler mon attachement au pacte enseignant, qui a très vite rencontré un grand succès : pour l'année scolaire 2023-2024, 54 % des enseignants du secteur public et 80 % de ceux du secteur privé ont mené des actions volontaires dans ce cadre. Ce système reconnaît l'investissement des professeurs ; il faut le conserver.
Cette intégration des crédits du pacte en base en LFI s'inscrit dans la continuité de la dynamique favorable engagée ces dernières années. Je pense notamment aux revalorisations des grilles indiciaires, aux évolutions statutaires et à l'augmentation du point d'indice, qui ont induit des dépenses de personnel dynamiques lors des exercices précédents. Je sais l'engagement sans faille des personnels de l'enseignement. J'ai eu l'occasion de leur rappeler lors de mon intervention au séminaire des directeurs en octobre dernier. Ils pourront compter sur mon soutien.
Ce PLF n'est qu'une première étape, qui devra être approfondie dans le cadre de nos travaux futurs. Ainsi, la PLOA est l'une des réponses aux défis de l'enseignement agricole. Une plus grande attractivité des formations aux métiers du vivant, une montée en compétence des futurs actifs dans les secteurs de l'agronomie, de la zootechnie, des transitions, de la gestion d'entreprise, des ressources humaines ou encore du numérique : voilà ce à quoi la PLOA permettra de commencer à répondre afin notamment de préserver notre production alimentaire.
Le débat reprendra vite : la commission des affaires économiques du Sénat l'examinera dès la semaine du 9 décembre prochain, et les débats en séance publique débuteront la semaine du 14 janvier 2025. Les sujets de la PLOA me tiennent à coeur. J'avais, en tant que parlementaire, beaucoup travaillé sur ce texte et soutenu plusieurs mesures qui relevaient du bon sens, notamment en matière d'enseignement agricole.
Pour garantir que la bonne dynamique de l'enseignement agricole perdure, inscrire dans le droit l'objectif de 30 % de hausse du nombre d'apprenants dans l'enseignement technique d'ici à 2030 demeure nécessaire. Le futur bac+3, dit bachelor agro, contribuera à l'attractivité des métiers de l'agriculture, mais aussi, au-delà, à la montée en compétence des futurs actifs. Il est soutenu et attendu par tous les acteurs du monde éducatif et du monde agricole.
Il nous faudra, plus encore qu'aujourd'hui, créer des vocations vers les métiers du vivant pour que le renouvellement des générations d'agriculteurs s'opère. J'aurai l'occasion d'échanger sur ce sujet de l'attractivité de l'enseignement agricole, qui m'est particulièrement cher, avec mes homologues du ministère de l'éducation nationale, que je rencontrerai la semaine prochaine. Je suis certaine que, ensemble, nous enrichirons encore la PLOA d'idées neuves, pour faire briller un peu plus cette pépite qu'est notre enseignement agricole.
Mesdames, messieurs les sénateurs, grâce à ce budget, la transmission des savoirs et des compétences aux futurs actifs s'effectuera dans les meilleures conditions, tout en préparant le monde agricole aux défis de demain. C'est notamment de l'enseignement agricole que naîtront les solutions pour répondre aux défis économiques et agroclimatiques. De lui dépend aussi la hausse du nombre d'actifs, qui est nécessaire pour renouveler les générations dans les métiers du vivant.
Le budget est votre prérogative, et vous connaissez le sujet de l'enseignement agricole. Par conséquent, je veux qu'il soit le plus possible l'objet d'un dialogue constructif entre les services de mon ministère et vous-mêmes.
M. Bernard Fialaire, rapporteur pour avis des crédits de l'enseignement technique agricole. - Madame la ministre, je vous remercie de vous pencher sur l'enseignement technique agricole, qui représente une part importante de votre ministère.
Tout d'abord, les 35 millions d'euros de crédits supplémentaires que vous avez évoqués sont-ils comptabilisés avant ou après le coup de rabot annoncé ?
Ensuite, pour ce qui concerne l'objectif ambitieux de 30 % d'apprenants supplémentaires d'ici à 2030, êtes-vous certaine qu'il faille atteindre de tels effectifs compte tenu des difficultés que rencontrent les jeunes à la sortie des lycées agricoles pour reprendre une exploitation, mais aussi des regroupements d'exploitations et des améliorations techniques et technologiques ? Avec quels moyens comptez-vous y parvenir ? Est-ce compatible avec un nombre d'enseignants stable, alors qu'il s'agit d'accueillir des élèves, apprentis ou étudiants supplémentaires et que, dans certaines matières, les formations ne doivent pas dépasser 16 élèves ? Quelles suites donnerez-vous à l'amendement de nos collègues de l'Assemblée nationale, qui ont proposé 170 ETP supplémentaires pour l'enseignement agricole ?
L'apprentissage est d'une importance majeure pour l'enseignement agricole, comme en témoigne l'augmentation du nombre d'apprentis. L'aide à l'apprentissage risque-t-elle d'être réduite ?
Selon le Conseil national de l'enseignement agricole privé (Cneap), que nous avons auditionné, les charges de fonctionnement des établissements d'enseignement privés agricoles relèvent, d'après la loi, de l'État, et non des régions, mais cette disposition n'est plus réellement appliquée. Si certains de ces établissements sont en grande difficulté, d'autres ont pu faire face grâce au succès de l'apprentissage. Aussi, ne risque-t-on pas de se retrouver dans une impasse en cas de baisse de l'aide à l'apprentissage ?
Vous avez revalorisé à 5 000 euros le coût de formation par élève au sein des maisons familiales rurales (MFR) ; or on compte 1 600 apprenants supplémentaires cette année, ce qui correspond à 8 millions d'euros. Tout cela entre-t-il dans les engagements pris ?
Enfin, le pacte enseignant est un succès, surtout dans l'enseignement agricole. Toutefois, il nous a été signalé que certains enseignants contractuels du privé n'y sont pas éligibles car leur temps de travail est inférieur à 50 %. Une simplification plus importante serait-elle envisageable - par exemple, au travers d'une enveloppe de crédits accordée au directeur des établissements concernés, qui se chargerait ensuite de la répartition des crédits ?
M. Christian Bruyen, rapporteur pour avis sur le projet de loi d'orientation pour la souveraineté alimentaire et agricole et le renouvellement des générations en agriculture. - Je vous remercie de votre présentation exhaustive, madame la ministre.
Pour ce qui est des perspectives pour 2025, il faut reconnaître un effort significatif : en dépit de quelques baisses, des augmentations sont à signaler et des lignes budgétaires restent à un niveau constant, malgré une hausse sensible des effectifs en formation.
Une progression de 1 % du nombre d'élèves, d'étudiants et d'apprentis, c'est encore un peu loin de l'ambition affichée pour 2030, puisque 30 000 apprenants supplémentaires sont nécessaires pour assurer l'indispensable renouvellement des générations - veillons à ce que cela perdure à l'avenir. Cependant, ce pourcentage témoigne de la préservation de l'attirance pour ces métiers en dépit d'un agribashing quasi permanent à l'égard d'une agriculture conventionnelle très pourvoyeuse d'emplois. C'est réconfortant et encourageant.
Afin de tenir l'ambition pour 2030, il faudra d'abord protéger les atouts de l'enseignement agricole, dont l'efficacité est reconnue : établissements à taille humaine, maillant bien le territoire, y compris en milieu rural, et offrant un taux d'encadrement raisonnable - je vous remercie d'avoir attiré l'attention sur ce point. Ces atouts tiennent aux moyens accordés et au maintien de l'équilibre public-privé, fondement de la qualité de l'enseignement agricole.
À propos du pacte enseignant, qui a très bien fonctionné dans l'enseignement agricole, a financé des projets innovants et contribué à mieux faire connaître ces métiers, ce qui est essentiel pour améliorer l'orientation vers ces professions, et qui sera reconduit pour 2025, la priorité sera-t-elle donnée aux remplacements de courte durée, comme le fera l'éducation nationale ? Il serait dommage de perdre la souplesse dont disposent les chefs d'établissements pour mettre en oeuvre les actions destinées à attirer de nouveaux jeunes. Le renforcement de l'attractivité des formations agricoles est indissociable de l'indispensable renouvellement des générations, qui est au coeur du PLOA.
Ce dernier a trait notamment aux filières agricoles et agroalimentaires et vise à renforcer les moyens qui leur sont accordés, ce qui est une très bonne chose. Qu'en est-il des formations relatives aux métiers de service à la personne et d'animation des territoires, qui sont souvent assurées par les établissements agricoles ? Ces formations répondent à des besoins importants dans la ruralité et sont souvent d'un grand intérêt pour les jeunes issus de familles exerçant dans le secteur de l'agriculture.
Lors de son audition au printemps dernier, votre prédécesseur a déclaré que, « à date » - on sait ce qui peut se cacher derrière cette formule -, la volonté du gouvernement n'était pas de prélever des moyens sur cette filière pour renforcer ceux des filières agricoles. Au regard des fortes contraintes budgétaires, l'intérêt des métiers de service à la personne sera-t-il reconnu ? Les moyens de ces formations seront-ils préservés ?
Mme Annie Genevard, ministre. - Pour répondre au rapporteur pour avis M. Bernard Fialaire, hélas ! les chiffres donnés sont ceux qui ont été définis avant le coup de rabot de 115 millions d'euros. Mais, vous l'avez noté, l'enseignement technique agricole ne supporte pas l'intégralité du coup de rabot demandé au ministère.
L'augmentation de 30 % d'apprenants, c'est l'objectif pour réaliser un remplacement « un pour un » : il s'agit non pas d'augmenter le nombre d'agriculteurs de 30 %, mais de garantir le renouvellement des générations. Actuellement, pour la seule agriculture, on compterait 70 000 emplois vacants. L'objectif de 30 % d'apprenants supplémentaire n'est pas un risque, car les taux d'insertion professionnelle sont excellents.
Je veux vous rassurer sur la réforme de l'aide à l'apprentissage. L'apprentissage est en croissance et a permis d'augmenter de nouveau les effectifs dans les établissements ; il est capital à l'attractivité de ces derniers. Par ailleurs, les centres de formation d'apprentis (CFA) contribuent à l'équilibre financier des lycées agricoles. Le Gouvernement n'envisage pas de réformer l'apprentissage dans le secteur agricole, qui connaît une croissance continue depuis la loi du 5 septembre 2018 pour la liberté de choisir son avenir professionnel : en cinq ans, le nombre d'apprentis a crû de 47 %. Le modèle de financement de l'apprentissage est en discussion, mais nous le défendrons, car c'est un facteur d'attractivité de l'enseignement agricole. J'échangerai prochainement avec la ministre du travail et de l'emploi sur ce sujet.
Monsieur le rapporteur pour avis Christian Bruyen, pour ce qui concerne le pacte enseignant, je le confirme, la priorité sera donnée aux remplacements de courte durée, comme c'est déjà le cas actuellement. Les remplacements réalisés par les agents sur la base du volontariat ont permis de réduire de 30 % le nombre d'heures de formation non assurées.
Vous avez eu raison de le souligner, l'attrait de l'enseignement agricole est préservé. Cette aventure du vivant connaît un regain d'attractivité encourageant en raison des perspectives d'insertion et du caractère concret des apprentissages lié au travail dans les exploitations. Le PLOA visera à amplifier cette attractivité, grâce à la sensibilisation des enfants aux métiers du vivant dès l'école primaire, ainsi qu'à la mise en place de contrats territoriaux et d'une sixième mission de l'enseignement agricole.
Nous préservons les formations dans les filières des métiers du service. Plusieurs amendements présentés lors de l'examen du PLOA visaient à montrer combien il était important de soutenir la vitalité des territoires ruraux dans lesquels ces établissements d'enseignement sont souvent implantés. Il n'y aura pas de redéploiement vers l'enseignement agricole : les deux filières sont essentielles à mes yeux.
À propos du financement des MFR, celui-ci est proportionnel au nombre d'élèves ; le ministère sera au rendez-vous s'agissant du protocole qui le lie aux MFR.
Les règles applicables aux enseignants qui exercent à temps partiel et qui ne sont pas éligibles au pacte enseignant sont valables dans l'ensemble des systèmes éducatifs. L'enseignement agricole n'y déroge pas.
Monsieur Bernard Fialaire, vous indiquiez que vous avez auditionné le Cneap ; pour ne rien vous cacher, j'ai échangé par téléphone avec Michel Dantin voilà quelques heures. L'enseignement agricole privé connaît clairement des difficultés en matière de financement, mais ce budget comprend des dispositifs destinés à apporter un soutien budgétaire aux établissements les plus en difficulté.
Mme Marie-Pierre Monier. - Je vous remercie de votre présence. Je souscris à plusieurs alertes lancées par mes collègues.
L'apprentissage permet aux élèves de donner du sens à leur formation ; nous en sommes tous convaincus. La diminution de l'aide aux employeurs est source d'inquiétudes. En effet, les maîtres d'apprentissage auront des difficultés à trouver des contrats pour tous les élèves qui en ont besoin.
Vous soulignez que le nombre d'élèves de l'enseignement agricole augmente. C'est une bonne chose, car la baisse des effectifs a longtemps été une source d'inquiétude, mais nous sommes encore loin du compte. Quelles mesures envisagez-vous pour donner l'envie aux élèves d'intégrer l'enseignement technique agricole ? Améliorerez-vous l'information des collégiens ?
Si j'ai bien compris, aucun poste d'enseignant n'est créé dans ce PLF, alors que 316 emplois ont été supprimés entre 2017 et 2022. En outre, des questions de sécurité peuvent se poser, par exemple lors d'ateliers de cuisine ou de travaux dirigés avec des animaux de grande taille. Êtes-vous sensible à cette question ?
Que le pacte enseignant puisse être dédié essentiellement aux remplacements m'inquiète. Tout d'abord, il n'est pas certain d'obtenir un remplacement pour la même matière, ce qui constitue un manque pour les élèves. Avez-vous des retours sur ce sujet ?
À propos des accompagnants d'élèves en situation de handicap (AESH) et de l'école inclusive, j'ai été alertée à propos de remplacements non effectifs d'AESH en arrêt maladie. Qu'en est-il ? L'enseignement agricole n'est pas doté de référents AESH comme il en existe dans l'éducation nationale depuis 2020. Or ces référents pourraient animer un collectif, proposer des actions de formation ou des temps d'échange sur les pratiques. Un tel réseau de référents pourrait être mis en place plutôt au niveau régional, au regard de la répartition de l'enseignement agricole public. Quel regard portez-vous sur cette proposition ?
Une dernière inquiétude a trait à l'aide sociale aux élèves, qui est une question récurrente lors de l'examen du budget. Depuis plusieurs années, on constate une baisse des crédits de l'action n° 03 « Aide sociale aux élèves et santé scolaire (enseignement public et privé) ». Pour les seuls crédits destinés aux bourses sur critères sociaux, la perte s'élève à 1,7 million d'euros. Alors que l'inflation perdure et qu'un nombre significatif d'élèves de l'enseignement agricole sont boursiers, est-il envisageable de revenir sur cette trajectoire ?
M. Jacques Grosperrin. - Madame la ministre, je vous remercie de votre engagement, de vos propos très forts sur l'agriculture et l'enseignement agricole. Je connais votre attachement à ce sujet.
Vous avez souligné l'importance de ce budget, qui ne varie pas. L'action de votre ministère est cohérente puisque les remplacements de courte durée dans l'éducation nationale seront prioritaires à hauteur de 50 %.
Vous avez évoqué l'enseignement agricole comme un enseignement de la réussite. Comment le PLOA, adopté le 28 mai 2024 en première lecture à l'Assemblée nationale, et qui sera examiné en séance publique au Sénat à partir du 14 janvier prochain, répondra-t-il en partie à l'enjeu de la formation agricole ?
Mme Annick Billon. - Madame la ministre, je vous remercie de vos réponses.
En tant que sénatrice de la Vendée, je suis convaincue de la nécessité de disposer d'un maillage important d'établissements d'enseignement agricole et de la qualité de ces établissements.
La qualité et l'agilité dont le réseau MFR fait preuve pour accueillir un public particulier et en difficulté sont bien connues. Ses effectifs augmentent, comme cela était souhaité, mais ses moyens restent stables. La demande du réseau, dont nous avons auditionné le directeur, est de disposer de 230 millions d'euros - et non pas de 210 millions d'euros - pour accueillir les élèves dans les meilleures conditions.
Une cinquantaine de MFR sont d'ores et déjà en difficulté, et certains établissements de l'enseignement agricole le sont également. Il était question, cet après-midi, de la fermeture d'établissements de l'enseignement agricole dans le Doubs et dans le Grand Est. Madame la ministre, vous y serez forcément sensible ! Nous devons éviter ces fermetures sèches. Le maillage du territoire est une garantie pour la filière tout entière.
Il est question de baisser l'aide pour les entreprises et les exploitations qui embauchent des apprentis. Ne pourrions-nous pas imaginer que cette aide soit versée de manière étalée le temps du contrat plutôt que lors de la première année d'apprentissage seulement ? Cela permettrait que le montant à verser soit moins important en 2025.
Il semble qu'une majorité des exploitations agricoles qui sont adossées aux établissements scolaires soient en grande difficulté. Or, même si elles sont souvent gérées par des budgets totalement différents, elles participent à la qualité de l'enseignement !
Le pacte enseignant est un succès, mais tous les enseignants n'y sont pas éligibles. Sur le terrain, les établissements scolaires me parlent d'un contrôle difficile, voire absent. Certains sont rémunérés sans que les heures aient été effectuées. En outre, il faudrait « 3 500 clics » pour enregistrer des opérations ... La charge administrative explique peut-être le manque d'attractivité du métier de chef d'établissement.
Mme Laure Darcos. - Je veux reprendre la question de Marie-Pierre Monier concernant les auxiliaires de vie (AVS) dans l'enseignement agricole. Au-delà même de la question du référent, ces derniers n'ont pas le même statut que les AESH. La situation est très compliquée pour eux. On ne peut faire que des contrats de bout de ficelle de quelques heures par élève, alors que les établissements sont de plus en plus nombreux à accueillir des jeunes en situation de handicap.
M. David Ros. - Merci, madame la ministre, de votre présence et de votre écoute.
Je regrette moi aussi la baisse des moyens au regard de l'ambition affichée, et notamment de l'objectif de 30 % d'apprenants à terme. Dans le contexte européen particulier qui est le nôtre, nous soutenons tous la valorisation de l'ensemble des filières agricoles, depuis les lycées techniques jusqu'aux filières d'innovation et de recherche, qui me tiennent particulièrement à coeur. Il y va de l'attractivité de ces filières. Je pense que les contraintes budgétaires doivent aussi être analysées à l'aune des enjeux, essentiels, que nous avons évoqués. Cela soulève les questions de l'utilité et de l'interdisciplinarité - je pense évidemment à l'agriculture et à l'enseignement supérieur et à la recherche, mais aussi à la santé.
Les établissements d'enseignement supérieur jouent un rôle clé dans le développement de la recherche et de l'innovation, en lien avec les enjeux agricoles, alimentaires et environnementaux. À cet égard, il est légitime de s'interroger sur le développement d'écoles vétérinaires dans le domaine public, compte tenu des besoins, extrêmement importants.
Autre point qui me tient particulièrement à coeur : la possibilité d'engranger des recettes pour les politiques agricoles grâce à la recherche. Les études montrent que de plus en plus d'industriels utilisent des éléments sucrés dans des produits salés : on pourrait très bien, à partir d'une étude de santé menée avec les chercheurs du domaine de l'agriculture, imaginer des taxes vertueuses sur ce genre de pratiques, permettant de financer d'autres politiques publiques dans le domaine de la santé.
Enfin, je m'interroge sur l'avenir des sites d'AgroParisTech situés dans l'Essonne. La cession du site de Massy est sans cesse repoussée, ce qui pèse sur les comptes d'AgroParisTech, le privant de sa mission principale d'enseignement supérieur et de recherche. Dans les Yvelines, nous avons l'occasion unique de faire du domaine de Grignon, lieu important pour l'agriculture, qui concerne aussi l'université Paris-Saclay, un centre d'innovation dédié aux transitions agricoles en cours. Les attentes sont fortes, à l'égard notamment de votre ministère.
Mme Annie Genevard, ministre. - Madame la sénatrice Marie-Pierre Monier, je vous ai dit, dans mon propos liminaire, à quel point l'apprentissage avait contribué à augmenter les effectifs dans l'enseignement privé. Je ne vous cache pas que nous nous interrogeons également sur l'effet que pourrait produire la diminution du nombre d'apprentis dans le secteur de l'enseignement agricole. C'est le ministère du travail qui instruit ce dossier ; nous aurons évidemment un échange nourri avec lui.
Il est remarquable que les apprentis du secteur agricole trouvent une insertion professionnelle aisément. C'est une école de la réussite ; c'est une école de l'insertion ; c'est une école de la confiance en soi. Je suis frappée par l'enthousiasme et l'autonomie des jeunes dans les MFR. Les fermes d'apprentissage jouent un rôle très important. D'ailleurs, le PLOA contient une disposition à leur sujet. J'avais déposé un amendement qui les rendait obligatoires, mais le ministre de l'époque a estimé que cela devait rester une simple possibilité.
Vous avez évoqué la question du remplacement ; j'en ai parlé.
Mmes les sénatrices Darcos et Monier m'ont interrogée sur l'insertion et l'inclusion. Il y a là aussi une particularité de l'enseignement agricole, qui inclut énormément d'enfants porteurs de handicap, dans des proportions, parfois, à la limite de la faisabilité. Pour inclure, il faut bien inclure ! Or, quand une classe comprend 50 % d'enfants porteurs de handicap, comme on a pu le voir dans certains établissements, cela pose la question de l'équilibre, pour les enfants porteurs de handicap, pour les enseignants comme pour l'ensemble des jeunes. Bien évidemment, la question du statut, que l'enseignement général résout progressivement, se pose également dans l'enseignement privé - peut-être même davantage, dans la mesure où il est plus inclusif encore.
Il faut veiller à ce que l'orientation en milieu agricole ne soit pas une orientation par défaut. Il faut avoir le courage de le dire : cela doit demeurer un choix dans tous les cas de figure. Cela pose la question de l'accompagnement... Il faut y consentir des moyens considérables ! Plus on inclut, plus il faut accompagner l'inclusion.
La baisse des aides sociales constatée sur le budget 2025 est liée au fait que certains apprenants quittent le statut d'élève en cours d'année. Elle résulte d'une objectivation des coûts réels.
Je tiens à vous préciser que tous les remplacements sont financés. J'ai d'ailleurs renforcé le budget dédié au suivi des besoins en octobre 2024.
C'est vrai, nous n'avons pas de référent handicap par établissement. C'est un réseau national qui accompagne.
Monsieur le sénateur Grosperrin, vous avez demandé comment la LOA pouvait répondre à l'enjeu de la formation agricole. Ce texte pose une ambition certaine. Vous-même semblez douter de la possibilité d'atteindre le taux de 30 %. Je vous rappelle que, voilà quatre ans encore, l'évolution des effectifs était négative. Elle est redevenue positive et même, cette année, un peu supérieure à celle de l'année précédente. Il y a donc une dynamique, qu'il convient d'amplifier.
Il faut monter en compétences dans la formation dispensée à nos futurs agriculteurs. Il faut attirer plus. J'ai parlé du plan national de découverte : je pense que c'est une chose importante.
Nous avons beaucoup, à l'Assemblée nationale, débattu du nom du bachelor agro, certains considérant que le concept est un peu trop américain, ou regrettant que l'on use d'un mot anglais. Il se trouve que le bachelor plaît. Pour être littéraire de formation, je sais qu'un mot peut suggérer l'idée d'un renouvellement. Au-delà du marketing, on verra ce que le bachelor donne à l'usage s'il attire et s'il répond aux besoins du secteur, en offrant la possibilité à des jeunes de développer des compétences d'excellence.
Les professeurs eux-mêmes seront davantage formés. Nous avons beaucoup insisté sur la nécessité de compétences multiples. Pour former un agriculteur ou un chef d'exploitation, il faut le former à l'économie, à l'agronomie, à la recherche, à l'agroécologie ou encore à la transition.
Il faut le former aussi à la dimension sociale de l'agriculture. De fait, un chef d'exploitation, c'est possiblement un membre de groupement agricole d'exploitation en commun (Gaec) ! Je fréquente les agriculteurs depuis longtemps ; je connais leurs difficultés. Monsieur le rapporteur, l'agrandissement des exploitations est une tendance assez forte, mais elle a ses limites, dont la capacité à se sentir bien au sein d'un Gaec. C'est ainsi que l'on voit des « déconjugalisations de Gaec », si je puis dire.
Pour former nos jeunes, il faut former nos enseignants à tout cela. La mission de renouvellement des générations et des transitions impliquera évidemment que les établissements eux-mêmes développent des actions pour se rendre attractifs. Et l'ensemble des acteurs devront, dans le cadre d'un contrat territorial, s'engager à augmenter le nombre d'élèves accueillis dans une classe si celle-ci n'a pas suffisamment d'effectifs.
Madame la sénatrice Billon, vous évoquez les fermetures d'établissements. Je connais bien la situation de celui du Doubs - il se trouve que j'ai eu au téléphone, à son sujet, le président de son conseil d'administration hier soir et Michel Dantin tout à l'heure. Le lycée des Fontenelles dispose de très gros locaux : or il accueille, cette année, un peu plus de 70 élèves. Le rapport coût-enseignement ne fonctionne plus du tout. Il n'est plus attractif. Pour autant, si nous fermons cet établissement, ce que nous ne ferons naturellement pas avant la fin de l'année scolaire, cela ne veut pas dire que le contrat qui lie le lycée des Fontenelles au ministère de l'agriculture sur le volet de l'enseignement s'éteindra. Il pourra être utilisé dans d'autres territoires, au profit d'autres établissements qui ont besoin de moyens supplémentaires, parce qu'ils ont plus d'élèves, plus de demandes. Certes, ce n'est pas un jeu à somme nulle territorialement, mais, pour l'enseignement agricole, l'un compense l'autre.
Certains établissements sont en difficulté, mais sont sauvables ; nous voulons les aider dans le cadre des dispositifs budgétaires que je vous ai exposés tout à l'heure. D'autres, comme celui des Fontenelles, montrent les limites de l'exercice.
Les MFR exercent un rôle formidable en matière de remédiation : elles accueillent des élèves qui y trouvent un deuxième souffle, une raison d'étudier. Leur dotation a été augmentée en 2024. La hausse du nombre d'élèves en cette rentrée entraînera mécaniquement une nouvelle augmentation. C'est déjà prévu dans notre protocole.
Toutes les briques non mises en oeuvre du pacte enseignant seront recouvrées par le budget du ministère de l'agriculture, ce qui est bien normal. Le chiffre est de quelques centaines depuis septembre 2024.
Madame la sénatrice Darcos, nous avons déjà évoqué la question des AVS et des AESH.
Monsieur le sénateur David Ros, vous évoquez la question de la filière innovation et recherche des établissements supérieurs. Un rapport du Conseil général de l'alimentation, de l'agriculture et des espaces ruraux (CGAAER) va m'être présenté pour savoir s'il est opportun ou non de créer une nouvelle école supérieure, notamment vétérinaire. Nous serons attentifs à ses analyses. Je sais que ce sujet fait l'objet de vifs débats. J'ai été très alertée sur ce point.
En matière d'institut de recherche, l'Institut national de recherche pour l'agriculture, l'alimentation et l'environnement (Inrae) est déjà l'un des établissements de recherche de référence au niveau mondial, notamment sur les sujets alimentaires et de nutrition.
On m'a parlé du site de Grignon d'AgroParisTech. J'ai découvert que le ministère de l'agriculture était propriétaire de ce domaine extraordinaire. Une mission interministérielle sur le sujet a été conduite à la demande du précédent gouvernement. Ses conclusions nous orientent vers une société universitaire locale immobilière (Suli). Je dois évidemment évoquer de nouveau le sujet avec les autres ministères concernés. Les travaux vont reprendre rapidement. Il ne faudrait pas que ce site ne soit pas utilisé à sa juste valeur.
Enfin, je ne suis pas étonnée que vous m'interrogiez sur le rapport sur la fiscalité comportementale en santé, sur lequel je me suis exprimée à plusieurs reprises. Même si nous sortons un peu du champ de l'enseignement agricole, nous sommes pleinement dans celui du ministère de l'agriculture, de la souveraineté alimentaire et de la forêt. Je ne crois pas que les taxes comportementales suffisent à régler les défaillances de comportement. Je pense que c'est du côté de l'éducation à la santé et de l'alimentation familiale qu'il nous faut continuer à prospérer, l'alimentation collective étant déjà marquée, dans nos établissements scolaires, par le recours aux circuits courts, aux produits de qualité, issus de l'agriculture bio ou raisonnée. Nous devons inviter les parents à être vigilants sur les sodas, sur les bonbons.
Je veux rappeler que, derrière une taxe, il y a une production, et que, derrière une production, il y a une entreprise, une exploitation, une souveraineté alimentaire. Dès que vous touchez à une taxe, vous diminuez les capacités d'innovation, de recherche, d'investissement, de promotion. Cela dit, je pense que l'industrie agroalimentaire est prête à débattre avec nous sur la teneur en sucre et en sel des produits transformés et ultratransformés, dont je rappelle, du reste, qu'ils sortent en vert dans le Nutri-score, ce qui montre les limites de l'exercice. D'ailleurs, les industriels sont déjà engagés en ce sens.
On s'imagine que l'industrie agroalimentaire, ce ne sont que des entreprises énormes, qui réalisent des chiffres d'affaires considérables. Ceux d'entre vous qui sont allés au Salon international de l'alimentation (Sial) - je m'y suis rendue - savent qu'il y a, parmi les entreprises françaises du secteur, de toutes petites entreprises.
Monsieur le sénateur, il est question, par exemple, d'alourdir la taxe soda, de l'élargir à tous les segments. Pour ma part, je pense à mon petit limonadier de Morteau. Il n'est pas si petit, du reste, puisqu'il exporte sa limonade peu sucrée jusqu'aux États-Unis, mais ce n'est pas une multinationale de sodas : c'est une entreprise patrimoniale, familiale, identitaire remarquable. Comment vivra-t-elle la taxe soda ? Je l'ignore, mais je ne suis pas très optimiste.
Je préfère, pour ma part, parler de « secteur agroalimentaire », compte tenu de la diversité des entreprises. Je pense encore à une célèbre maison de Dijon qui fabrique du pain d'épices. Nous pouvons tous, dans nos secteurs, multiplier les exemples de production qui utilisent du sucre, notamment toute la filière pâtissière et boulangère - ce n'est pas rien ! Il faut être prudent, mais il y a des progrès à faire, notamment dans le secteur que vous évoquiez, monsieur le sénateur.
Au demeurant, je pense qu'il y a des choses à faire en matière d'innovation. Je ne voudrais pas que le sucre soit remplacé par des édulcorants de synthèse, parce que cela poserait d'autres questions de santé publique.
Pour terminer sur ce sujet, j'ai la conviction très profonde que la recherche, l'innovation, la technologie apporteront des réponses à ce que nous considérons aujourd'hui comme des impasses. Je leur fais vraiment confiance pour nous apporter les solutions qui nous font défaut pour le moment. C'est ainsi qu'il existe aujourd'hui des réponses techniques, mécaniques, qui permettent de traiter avec beaucoup moins d'intrants phytosanitaires des indésirables dans les cultures.
C'est sur cette note d'optimisme que je conclus, monsieur le président.
M. Laurent Lafon, président. - Merci beaucoup, madame la ministre, pour vos réponses.
Les membres de cette commission vous ont démontré à quel point ils étaient attachés à la question de l'enseignement agricole. Nous ne manquerons pas de poursuivre le dialogue avec vous sur ce sujet.
Mme Annie Genevard, ministre. - Monsieur le président, messieurs les rapporteurs pour avis, mesdames, messieurs les sénateurs, je vous remercie.
Cette audition a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.
La réunion est close à 18 h 10.
Mercredi 13 novembre 2024
- Présidence de M. Laurent Lafon, président -
La réunion est ouverte à 9 h 05.
Projet de loi de finances pour 2025 - Crédits relatifs à l'audiovisuel public - Examen du rapport pour avis
M. Laurent Lafon, président. - Mes chers collègues, je souhaite tout d'abord saluer la présence parmi nous de Mme Evelyne Corbière Naminzo, qui remplace M. Gérard Lahellec, devenu membre de la commission des affaires économiques.
Nous commençons aujourd'hui notre marathon budgétaire par l'examen des travaux de Cédric Vial consacrés à l'audiovisuel. Nous examinerons successivement son rapport pour avis sur les crédits alloués aux sociétés de l'audiovisuel public dans le cadre du projet de loi de finances (PLF) pour 2025, puis, dans un second temps, son rapport d'information, en application de l'article 53 de la loi du 30 septembre 1986 relative à la liberté de communication, sur les contrats d'objectifs et de moyens (COM) de ces mêmes sociétés pour la période 2024-2028.
M. Cédric Vial, rapporteur pour avis des crédits de l'audiovisuel public. - Les crédits de l'audiovisuel public pour 2025 sont stables, à un peu plus de 4 milliards d'euros. Toutefois - la ministre nous l'a confirmé en audition -, le Gouvernement souhaite prélever 50 millions d'euros sur ce budget, avant son adoption, dans le cadre de la politique de réduction des dépenses de l'État.
Si cette diminution des crédits est votée, le budget de l'audiovisuel public sera en baisse de 1,2 % par rapport à la loi de finances pour 2024, mais stable par rapport aux ressources réellement versées cette année. En effet, une partie des crédits que nous avons votés l'an dernier n'a pas été versée - j'y reviendrai.
Par ailleurs, les crédits de l'audiovisuel public sont inscrits, dans ce PLF, au sein d'une mission budgétaire. Cela signifie que ces crédits seront budgétisés, au moins l'année prochaine, si la proposition de loi organique (PPLO) portant réforme du financement de l'audiovisuel public que nous avons adoptée le 23 octobre dernier n'est pas définitivement adoptée avant l'entrée en vigueur de la loi de finances pour 2025.
La modification de la loi organique est d'autant plus nécessaire que cette année 2024 s'est caractérisée par une exécution budgétaire incomplète. Ce sera mon premier point.
Nous avions voté, l'an dernier, 69 millions de crédits inscrits au sein d'un nouveau programme, dit « de transformation ». Seuls 19 millions d'euros ont été perçus à ce titre par les entreprises : il manque donc 50 millions d'euros. 20 millions d'euros ont été annulés par le décret du 21 février 2024, qui a annulé, au total, 10 milliards d'euros de dépenses de l'État. Mais 30 millions d'euros ont été purement et simplement suspendus, sans préavis, alors que les entreprises avaient commencé à engager les dépenses correspondantes. Le programme de transformation a ainsi servi de support à des mécanismes de régulation budgétaire.
La ministre a promis de supprimer ce programme, ce qui me paraît souhaitable, pour deux raisons. D'une part, la loi de 1986 dispose que le Parlement approuve la répartition des crédits entre organismes. Or la répartition des crédits au sein de ce programme transversal peut être modifiée par l'exécutif. D'autre part, le versement des crédits de transformation dépend d'un mécanisme de conditionnalité qui donne la main au Gouvernement sur leur exécution.
Le financement par une fraction de TVA, que nous appelons de nos voeux, doit précisément permettre d'assurer un minimum de prévisibilité aux entreprises, au moins sur l'année. C'est la condition de leur indépendance et de leur capacité à engager des actions à moyen terme.
À ces incertitudes est venu s'ajouter un manque de visibilité pluriannuelle - c'est mon deuxième point. Compte tenu de la situation budgétaire du pays et de la nécessaire réduction des dépenses de l'État, le projet de loi de finances pour 2025 rompt avec la trajectoire haussière proposée par le Gouvernement l'an dernier. Le principe d'une telle trajectoire avait pourtant été salué par l'ensemble des acteurs. J'y reviendrai dans mon propos sur les contrats d'objectifs et de moyens : que la trajectoire soit haussière ou baissière, il me semble important qu'une trajectoire financière crédible assure un horizon aux entreprises.
Pour préciser les choses, dans le PLF pour 2025, les crédits de l'audiovisuel public sont inférieurs de 81,5 millions d'euros à la trajectoire publiée fin 2023 - et le seront de 131,5 millions d'euros si la réduction supplémentaire de 50 millions d'euros est adoptée.
J'en viens, pour terminer, à l'analyse par opérateur. En conséquence du non-versement des crédits de transformation, deux opérateurs au moins ont indiqué que leur budget 2024 serait probablement en déficit : Radio France et France Médias Monde (FMM). Ces budgets sont en cours de bouclage, dans un contexte d'incertitudes sur l'avenir des crédits suspendus, avec 30 millions d'euros qui pourraient être annulés en loi de finances de fin de gestion.
Pour 2025, la réduction supplémentaire de crédits de 50 millions d'euros sera principalement absorbée par France Télévisions, à hauteur de 35 millions d'euros. Pour cette raison, France TV sera le seul opérateur dont les crédits pourraient décroître légèrement l'an prochain. Tous les autres connaîtront une stabilité de leurs crédits par rapport à l'exécution 2024.
Au cours de cette année, France Télévisions et Radio France ont poursuivi, à petits pas, l'approfondissement de leur coopération. Un directeur de projet ICI et un directeur de projet France Info ont notamment été nommés en avril.
Mais, comme notre commission le rappelle régulièrement, le rapprochement entre France 3 et France Bleu et la mise en oeuvre de l'ambition numérique nécessitent un pilotage unifié, appelant la réforme de la gouvernance que nous avons initiée en 2023 en adoptant la proposition de loi du président Laurent Lafon. Pour que cette réforme soit un succès, nous devrons veiller à ce qu'elle engendre, à terme, une réduction - et non une augmentation - des coûts.
S'agissant de l'Institut national de l'audiovisuel (INA), la nouvelle trajectoire budgétaire risque de conduire à une nouvelle dégradation de la trésorerie, qui avait bénéficié, l'an dernier, d'une dotation exceptionnelle de 6,3 millions d'euros en loi de finances de fin de gestion.
Enfin, je dirai quelques mots de nos opérateurs tournés vers l'international, qui sont des vecteurs d'influence à préserver.
France Médias Monde est en première ligne dans la bataille de l'information et la lutte contre la désinformation. FMM est engagée dans un certain nombre de projets de développement au Sénégal, au Liban et en Europe centrale et orientale, financés par le Quai d'Orsay. La mise en oeuvre de ces projets pourrait être ralentie pour des raisons budgétaires.
Arte France poursuit son objectif de devenir une plateforme de référence dans toute l'Europe, ce qui implique l'acquisition de droits et un investissement dans le multilinguisme des programmes. Dans un contexte où la cohésion européenne est mise à l'épreuve, disposer d'une chaîne comme Arte, fédérant un projet culturel européen autour des deux acteurs centraux que sont la France et l'Allemagne, est un atout essentiel.
Enfin, TV5 Monde, chaîne de la francophonie, souhaite se moderniser et se développer en Afrique, où l'adhésion de sept pays africains est en cours de négociation.
En conclusion, la stabilité des crédits de l'audiovisuel public est plutôt une bonne nouvelle dans le contexte budgétaire que nous connaissons. L'adoption prochaine, je l'espère, de la PPLO devrait permettre de recréer le compte de concours financiers, transformé en mission budgétaire dans ce PLF.
C'est pourquoi je vous propose un avis favorable à l'adoption de ces crédits.
M. Jean-Raymond Hugonet, rapporteur spécial de la commission des finances des missions « Médias, livre et industries culturelles » et « Audiovisuel public ». - Merci pour cette invitation, qui me rappelle de bons souvenirs au sein de cette commission... Je tiens à saluer le travail du rapporteur pour avis, dont je partage les analyses. La première partie du budget n'ayant pas été votée à l'Assemblée nationale, le tempo s'accélère pour le Sénat.
Je vois, dans ce texte, deux bonnes nouvelles : deux amendements du Gouvernement prévoient le retour, d'une part, de 10 millions d'euros pour le fonds de soutien à l'expression radiophonique (FSER), et, d'autre part, de 20 millions d'euros d'aides à la presse. Mais il faut que l'effort budgétaire soit partagé par tous, qu'il soit juste et défendable. Les crédits de l'audiovisuel ont fait l'objet d'une ponction de 50 millions d'euros, et je ne sais pas si ce sera la dernière.
Aujourd'hui, comme le souligne M. le rapporteur général, il convient de préférer les économies à l'augmentation de la pression fiscale. Eu égard à l'état actuel des finances publiques, des efforts peut-être plus importants que ceux qui étaient prévus seront demandés. Il faudra chercher, en responsabilité, le point d'équilibre le moins douloureux possible, celui qui permettra à tous d'avancer. Puisque le problème principal n'est toujours pas résolu, il est temps qu'une vraie réforme aboutisse afin que l'audiovisuel bénéficie des financements correspondant aux missions qui lui seront confiées.
Mme Sylvie Robert. - Merci aux deux rapporteurs. Je commencerai par une remarque sur la méthode, qui me semble bien singulière : on se penche sur les crédits affectés à l'audiovisuel public, alors que, parallèlement, la navette sur les modalités de son financement se poursuit. Quoi qu'il en soit, j'espère que la PPLO sera votée dans les mêmes termes à l'Assemblée nationale.
Nous avons effectivement appris l'annulation de 50 millions d'euros de crédits et la suppression pure et simple des crédits de transformation. Nous sommes favorables à leur réintégration dans le montant affecté à l'audiovisuel public. Mme la ministre nous a rassurés à ce sujet.
Monsieur le rapporteur spécial, nous comprenons tout à fait que l'audiovisuel public prenne sa part dans l'effort d'assainissement de nos comptes publics, mais ce secteur a déjà été mis à contribution, puisqu'il sort à peine de plusieurs cycles de réductions budgétaires - près de 196 millions d'euros ont été retirés entre 2019 et 2022, ce qui n'est pas négligeable compte tenu des autres précédents. Les missions qui lui sont attribuées sont toujours plus importantes. Certaines sociétés pourraient même présenter un résultat d'exploitation déficitaire en 2024 et 2025.
Il faut réfléchir à moyen terme au modèle économique de notre audiovisuel public, s'interroger sur l'indépendance et la plus grande capacité d'investissement, et, partant, sur la prévisibilité. D'autres pays européens, à commencer par le Royaume-Uni, s'attellent à ces questionnements.
Enfin, lorsque l'on fragilise l'audiovisuel public, d'autres filières, comme celle de la création, sont touchées.
Pour toutes ces raisons, de méthode et de fond, nous ne suivrons pas le rapporteur pour avis et voterons contre l'adoption des crédits relatifs à l'audiovisuel public.
Mme Monique de Marco. - Je souscris tout à fait aux propos de Sylvie Robert. J'avais cru comprendre que le projet de budget de l'audiovisuel public s'élevait à plus de 4 milliards d'euros. Je conçois qu'il faille consentir des efforts et trouver un point d'équilibre, mais, dans la perspective d'une diminution de 50 millions d'euros, dont 35 millions d'euros concerneraient France Télévisions, nous sommes très inquiets pour la création française. Ces crédits manquants vont notamment amputer les moyens du cinéma.
C'est pourquoi nous ne suivrons pas le rapporteur pour avis et voterons contre l'adoption des crédits.
Mme Catherine Morin-Desailly. - Merci aux deux rapporteurs. Le moins que l'on puisse dire, c'est que l'audiovisuel public a souffert d'un déficit continu depuis 2017 et a dû vivre au gré des changements gouvernementaux et ministériels. Tout cela a été préjudiciable à la trajectoire globale de l'audiovisuel public et à la réforme que le Sénat appelle de ses voeux depuis 2015.
J'avais déjà suggéré, lors de l'examen de la proposition de loi organique, de réfléchir au modèle économique de l'audiovisuel public. Cela inclut d'examiner l'ensemble des recettes constitutives de ce budget, notamment la part de la publicité dans le budget global de France Télévisions. Qu'est devenue la taxe sur les services fournis par les opérateurs de communications électroniques (Toce) ? Elle a été votée par le Parlement en 2009 pour compenser la suppression de la ressource publicitaire après 20 heures et éviter le recours aux parrainages et autres subterfuges. Et, jusqu'à preuve du contraire, elle n'a pas été abrogée ! Il y a peut-être là une clef pour compléter le budget fragilisé de l'audiovisuel pour 2025.
Chacun doit faire des efforts, et aucune entreprise n'en est exempte. Je remercie M. le rapporteur pour avis d'avoir souligné la situation particulière de l'INA, d'Arte, ainsi que de France Médias Monde, fragilisée dans ses missions à l'international et dans sa lutte contre la désinformation. Par ailleurs, il existe un gap entre la trajectoire des COM et le projet de loi de finances pour 2025. Quelle réponse peut-on y apporter ?
Il faut se pencher sérieusement sur un projet global pour l'audiovisuel public, qui réaffirme ses missions et s'interroge sur la bonne gouvernance et le modèle économique ad hoc en vue de les financer. Les propositions sont parfois incohérentes et continuent d'inquiéter les personnels du secteur.
M. Jérémy Bacchi. - Le budget proposé pourrait sembler honorable compte tenu de la stabilité globale des crédits. Toutefois, ceux qui ont été votés l'an passé n'ont pas été exécutés, puisque 50 millions d'euros ont été annulés ou suspendus en cours d'exercice.
Par ailleurs, lors de la négociation des COM, l'État s'était engagé à relever sensiblement le budget en 2025. On aurait pu croire que, après des années de casse, l'horizon s'éclaircirait. Mais non ! Les crédits inscrits dans le projet de loi de finances pour 2025 sont inférieurs de plus de 80 millions d'euros à la trajectoire prévue. Et les COM sont désormais caducs.
La réduction des moyens de l'audiovisuel public ne s'accompagne pas d'une adaptation de ses missions. Si le projet annuel de performance indique que le projet de COM des différents établissements devra être réinterrogé à l'aune du niveau de dotations retenues dans la loi de finances de 2025, les objectifs assignés demeurent pour l'instant inchangés, alors même que les moyens permettant de les atteindre sont diminués. En définitive, il est demandé au secteur de faire autant avec moins.
Pour toutes ces raisons, nous ne suivrons pas le rapporteur pour avis et voterons contre l'adoption des crédits.
M. Cédric Vial, rapporteur pour avis. - Il faut faire mieux avec moins, monsieur Bacchi, conformément au discours de politique générale du Premier ministre !
M. Jérémy Bacchi. - J'essaie de m'y faire !
M. Cédric Vial, rapporteur pour avis. -
Merci à tous pour ces remarques. Nous sommes dans une situation un peu particulière par rapport à l'an dernier. Mais, rappelez-vous, nous étions alors nombreux à déplorer le manque de sérieux du Gouvernement. Aujourd'hui, tout le monde constate que l'on avait raison. L'exercice est faussé, car les chiffres sont en forte baisse par rapport à une trajectoire imaginaire. Par rapport à la situation que l'on connaît, la diminution existe, mais est limitée.
Je comprends la position de principe de mes collègues de gauche, mais les 50 millions d'euros, s'ils apparaissent dans le débat, ne figurent pas dans le texte que je rapporte. Votre avis défavorable ne porte donc pas sur la baisse. Mais, vous avez raison, chers collègues : cette orientation existe ; j'en ai parlé. Le PLF est une base de travail, qui sera suivie de la discussion budgétaire au Sénat.
Madame Morin-Desailly, la Toce n'est plus affectée aujourd'hui. Le produit est utile à quelqu'un, mais pas nécessairement à celui qui était initialement visé. Pour ce qui concerne la publicité, l'année 2024 est particulière : en raison des Jeux olympiques et paralympiques (JOP), le budget publicitaire a été exceptionnel ; de plus, les coûts engendrés par les JOP étaient amortissables sur plusieurs années. Un retour à la normale sera observé en 2025.
Les entreprises comprennent très bien les efforts qui leur sont demandés. Encore faut-il que ceux-ci soient proportionnés et acceptables au regard des objectifs fixés.
Compte tenu des budgets de l'INA ou de France Médias Monde, ces efforts représentent pour eux des sommes importantes. C'est la raison pour laquelle l'économie envisagée de 50 millions d'euros serait concentrée sur France Télévisions. 35 millions d'euros, cela paraît énorme, mais c'est 1,2 % du budget de France Télévisions.
Sylvie Robert a relevé l'impact éventuel sur la création. C'est un risque modéré. Le budget des programmes au niveau national représente à peu près 900 millions d'euros pour France Télévisions. Sur un budget de 3 milliards d'euros, le groupe sera-t-il capable de faire porter l'effort à 100 % sur les fonctions support hors création ? La facilité serait de faire porter toutes les économies sur la création, ce qui serait une erreur : si l'on finance un audiovisuel public, c'est d'abord pour diffuser des programmes. Ce n'est donc pas sur eux que doit peser la majeure partie des mesures de régulation. C'est au groupe, en lien avec le ministère, de trouver les bons équilibres.
M. Jean-Raymond Hugonet, rapporteur spécial de la commission des finances. - Le prélèvement de 50 millions d'euros ne figure pas dans les crédits de la mission. Néanmoins, l'inscription de ces crédits au sein d'une mission signifie qu'ils sont budgétisés.
Comme l'a souligné à juste titre Catherine Morin-Desailly, la Toce et la publicité sont liées. Disons-le, la Toce a subi un kidnapping ! C'est la raison pour laquelle Bercy fait toujours preuve de bienveillance en ce qui concerne les plafonds de publicité. De la publicité sur le service public, c'est de l'argent en moins pris sur le budget général ; voilà, de manière navrante, quels sont les équilibres. Nous essaierons toutefois d'exhumer le rendement de la Toce.
Mme Catherine Morin-Desailly. - J'ai été rapporteure de la loi qui a créé la Toce en 2009. La ressource publicitaire avait été supprimée moyennant une compensation par cette taxe sur les opérateurs de communications électroniques. Il y a donc un vrai kidnapping.
Ce financement a subrepticement été diminué, puis il a disparu, mais jamais aucun ministre n'a réexpliqué le modèle économique et de financement de l'audiovisuel public. Puisque nous avons voté ce texte, il nous revient de rappeler avec force que nous sommes toujours sur cette base. C'est une question de principe.
M. Max Brisson. - On bricole avec l'audiovisuel public depuis des années. On a été de décision unilatérale en décision unilatérale, sans avoir pu poser aucune approche globale. À force de fragiliser le système, sans le remplacer par un autre, on a abouti à une situation qui n'est plus durable.
Notre commission doit redire clairement au Gouvernement qu'elle attend que l'on redéfinisse les missions de l'audiovisuel public, le cadre dans lequel elles s'exercent et le nombre de supports qui les porteront. Il est grand temps, sinon nous aurons de plus en plus de difficulté à exprimer un avis.
Je suis d'accord avec Sylvie Robert : le calendrier qui nous est imposé n'est pas le bon. Tout cela manque de cohérence.
Mme Sylvie Robert. - Très bien !
M. Cédric Vial, rapporteur. -L'audiovisuel public pose plusieurs questions. Quid tout d'abord de son financement ? C'est ce que nous examinerons dans le cadre du projet de loi de finances. Quid également de ses objectifs ? Pourquoi a-t-on besoin d'un service public de l'audiovisuel en France, et quelles missions lui assigne-t-on ? Ce sont essentiellement les COM qui doivent traduire cette ambition de la Nation. Quid ensuite de l'indépendance de ces médias ? C'est la question que pose la proposition de loi organique en cours d'examen. Quid enfin de l'organisation et de la gouvernance ? C'est le débat qu'ouvre la proposition de loi du président Laurent Lafon, votée au Sénat. Voilà les quatre questions que nous devons nous poser parallèlement.
La commission émet un avis favorable à l'adoption des crédits de la mission « Audiovisuel public » du projet de loi de finances pour 2025.
Contrats d'objectifs et de moyens 2024-2028 des sociétés de l'audiovisuel public - Examen du rapport d'information et vote sur l'avis de la commission, en application de l'article 53 de la loi n° 86-1067 du 30 septembre 1986 relative à la liberté de communication
M. Laurent Lafon, président. - Nous en venons à présent à l'examen des contrats d'objectifs et de moyens (COM) 2024-2028 des sociétés de l'audiovisuel public.
M. Cédric Vial, rapporteur. - En application de l'article 53 de la loi du 30 septembre 1986 relative à la liberté de communication, nous sommes appelés à rendre un avis sur les projets de contrats d'objectifs et de moyens de quatre sociétés de l'audiovisuel public pour la période 2024-2028 : France Télévisions, Radio France, France Médias Monde et l'Institut national de l'audiovisuel.
Je précise que le projet de COM d'Arte France suit une temporalité spécifique, puisqu'il découle du projet de groupe de la chaîne franco-allemande. Il sera la traduction, pour la partie française, du projet adopté le 9 octobre 2024 par l'assemblée générale du groupement européen d'intérêt économique (GEIE) d'Arte. Ce projet de COM 2025-2028 devrait nous être transmis prochainement pour avis. Quant à TV5 Monde, cette chaîne ne dispose pas de COM, mais possède son propre document de programmation stratégique multilatéral discuté entre États membres.
Si la loi prévoit l'obligation de conclure des COM, elle ne prévoit aucune sanction si l'État manque à cette obligation ou ne respecte par les termes du document. C'est ainsi que nous examinons fin 2024 des projets de COM déjà mis en oeuvre depuis presque un an. C'est un premier motif d'insatisfaction.
L'expérience a montré, par ailleurs, que ces COM étaient peu contraignants et qu'ils ne permettaient pas à l'État de mettre en oeuvre une véritable vision stratégique. La commission l'a regretté dans les avis défavorables qu'elle a rendus sur les projets de COM pour la période 2020-2022, puis sur les avenants qui ont prolongé ces COM sur l'exercice 2023.
Que penser des COM 2024-2028 ? Leurs objectifs s'inscrivent dans la continuité des orientations stratégiques définies par les précédents : notamment la poursuite de la transformation numérique, le renforcement de la place de l'information, des priorités données à la proximité et à la conquête du jeune public, ainsi qu'une offre culturelle diversifiée, adaptée à chaque antenne.
Les médias de service public sont confrontés à des défis communs, résultant de la transformation progressive du paysage audiovisuel depuis deux décennies. Si chaque société occupe une place particulière, la plupart des orientations sont partagées par l'ensemble des acteurs. Or les objectifs et indicateurs demeurent cloisonnés par société. Plus cloisonnés qu'avant, même, puisque des objectifs propres à France 2 ont été créés au sein de l'ensemble France Télévisions. Contrairement aux précédents COM, il n'y a plus de partie commune à toutes les entreprises dans les documents qui nous sont proposés.
Les synergies sont abordées a minima, l'accent étant principalement mis sur le projet ICI. Les coopérations ne sont pas abordées dans leur dimension structurelle, alors que leur mise en oeuvre nécessite de revoir l'organisation des sociétés pour redéfinir la stratégie, accélérer les rapprochements et optimiser la répartition des moyens. Comme leurs prédécesseurs, ces COM reflètent donc les projets séparés de chaque entreprise plutôt que la vision stratégique de leur actionnaire commun.
J'en viens au volet « moyens ». Les projets de COM font reposer les plans d'affaires des sociétés sur une trajectoire de moyens budgétaires ambitieuse. Cette trajectoire est déjà complètement dépassée. En effet, comme je vous l'ai indiqué dans mon propos sur le projet de loi de finances, une partie des crédits de 2024 n'a pas été versée, et ceux pour 2025 sont en retrait par rapport à la trajectoire des COM. Le Gouvernement nous demande donc notre avis sur une trajectoire qui n'existe plus et n'a jamais existé.
De simples ajustements ne suffiront pas à adapter les moyens à la réalité. Une réflexion doit s'amorcer sur de possibles sources d'économies et des priorités à identifier. Je suggère de sanctuariser autant que possible, d'une part, le financement de la création audiovisuelle et cinématographique et, d'autre part, la consolidation de notre audiovisuel extérieur, dans un contexte de guerre informationnelle au niveau mondial. Leur faire porter la plus grande part de l'effort serait, à mon avis, une solution de facilité.
Enfin, ces COM n'intègrent évidemment pas la réforme de la gouvernance que nous attendons toujours.
La proposition de loi du président Laurent Lafon, que nous avons adoptée en juin 2023, substitue aux COM des conventions stratégiques pluriannuelles. Une seule convention serait conclue, dans ce cadre, entre l'État et la holding France Médias, regroupant France Télévisions, Radio France, France Médias Monde et l'INA. Nous n'en sommes pas là, mais le Gouvernement s'était engagé sur cette voie avant la dissolution de l'Assemblée nationale, allant même jusqu'à programmer une fusion, sauf pour France Médias Monde.
Dans l'attente de cette réforme indispensable, je suggère l'élaboration, dans des délais resserrés, de contrats d'objectifs et de moyens qui pourraient être d'une durée de trois ans - 2024-2026 -, ce qui permettrait de respecter la loi de 1986 tout en préparant l'avenir à partir de données crédibles.
En l'état, je vous propose un avis défavorable sur les COM soumis à notre examen. Il s'agit de renvoyer la balle au Gouvernement. Je vous propose de nous en tenir plutôt à trois ans, car il paraît complètement illusoire de se prononcer sur une trajectoire que l'on sait fausse à l'avance. Tenons-en nous au minimum que la loi de 1986 nous impose, à savoir trois ans. L'année 2024 étant presque terminée, il s'agira donc d'un COM descriptif. On peut aussi prévoir 2025, car on sait ce qui va se passer. L'année 2026, quant à elle, sera une projection par rapport à 2025 ; la courbe est assez facile à construire. Mais abstenons-nous de tirer des plans sur la comète pour 2027 et 2028.
M. Laurent Lafon, président. - De facto, les COM proposés portent déjà sur quatre ans.
M. Jean-Raymond Hugonet, rapporteur spécial de la commission des finances des missions « Médias, livre et industries culturelles » et « Audiovisuel public ». - En sept ans, je n'ai pas souvenir d'avoir vu un COM qui ressemblait à autre chose qu'à un exercice de littérature. Les trajectoires budgétaires ne sont pas respectées. On navigue dans le sublime ! C'est grotesque. Je suis tout à fait d'accord avec Cédric Vial.
Actuellement, le sujet de l'audiovisuel public est aussi sur la table en Allemagne : il est en discussion dans tous les Länder. Les discussions sont très serrées, et les budgets ne sont pas à la hausse.
M. Laurent Lafon, président. - Nos collègues allemands travaillent, du reste, à la création d'une holding...
Mme Pauline Martin. - Comme bien souvent en période de vaches maigres, nous avons le sentiment de vivre un emballement de la politique de la « rustine ». Le rapporteur spécial de la commission des finances a exprimé le besoin d'une vraie réforme, ce qui est valable pour bien d'autres secteurs. Comme il nous appartient d'être force de proposition, tout particulièrement sur les COM, quelle stratégie de financement et quelle stratégie tout court devons-nous déployer, dans le flou artistique sur les moyens qui seront réellement mis à la disposition de l'audiovisuel public et face au cloisonnement pointé du doigt par notre rapporteur, afin de permettre l'émergence d'une filière audiovisuelle française forte face à la concurrence internationale ?
Mme Sylvie Robert. - Nous suivrons le rapporteur, en cohérence avec l'avis précédent sur l'audiovisuel public, les deux étant liés. Nous sommes effectivement amenés à nous prononcer sur une trajectoire qui n'existe pas, ce qui rend ces COM caducs. Comme l'a souligné Jean-Raymond Hugonet, la situation est particulièrement agaçante.
Si nous souscrivons aux arguments, je ne voudrais pas lier les COM à une quelconque réforme de la gouvernance. Dans le cadre de la présentation de son avis sur le projet de loi de finances, Cédric Vial a très justement rappelé qu'il existait différentes séquences - financement, indépendance, stratégie. Il faudrait procéder avec méthode et mettre d'abord l'accent, en 2025, sur la question de la sécurisation du financement, ce qui nous permettrait ensuite d'élaborer, de façon synoptique, à l'horizon d'une dizaine d'années, une véritable stratégie pour les sociétés de l'audiovisuel public. C'est cette stratégie qui manque aujourd'hui au Gouvernement. Or l'audiovisuel public est un secteur stratégique pour notre pays.
Je milite également pour que l'audiovisuel public devienne une référence en matière d'éducation aux médias et de lutte contre la désinformation. C'est le sens de l'outil « Le Vrai du faux ». La perspective d'une agence commune de vérification des faits, déployée à partir de 2026, serait une très bonne nouvelle.
Pour toutes ces raisons, à la fois de fond et de méthode, nous suivrons l'avis de notre rapporteur.
Mme Catherine Morin-Desailly. - Le décalage du calendrier des COM est une illustration supplémentaire de la gestion chaotique du dossier de l'audiovisuel public depuis 2017. Le Président de la République avait annoncé une réforme que nous attendons encore.
Certes, la trajectoire des finances publiques n'est pas à la hausse aujourd'hui, mais, comme l'a souligné, dans son avis, l'Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique (Arcom), le règlement européen sur la liberté des médias prévoit que ce secteur dispose des moyens nécessaires et suffisants pour exécuter ses missions d'intérêt général.
Une exigence mérite d'être rappelée : les COM devraient être concomitants à la nomination des présidents de l'audiovisuel public. En clair, il faudrait que le COM soit la traduction du projet pour lequel le président aura été retenu par l'Arcom.
Comme l'Arcom, Cédric Vial a souligné l'insuffisance du travail commun, pourtant nécessaire aux entreprises. Il faut rappeler cette carence aux responsables. C'est dans ce sens, bien sûr, qu'il convient de continuer à travailler.
Nous suivrons l'avis du rapporteur, en espérant que les mois à venir nous permettront d'avoir enfin une trajectoire lisible.
Mme Monique de Marco. - Nous sommes nous aussi en attente d'une réforme indispensable de l'audiovisuel public, sans doute différente de celle espérée par le rapporteur...
Ma première question concerne le programme ICI, qui a de la peine à se déployer. BFM Régions existe depuis 2019 et connaît une audience grandissante. De son côté, la part d'audience de la chaîne d'info en continu France Info a baissé, passant de 0,9 % à 0,8 % entre 2022 et aujourd'hui, contrairement aux audiences des chaînes privées comme BFM TV, CNews ou LCI.
Les deux projets de coopération entre France Télévisions et Radio France connaissent des échecs. Selon les syndicats, ils ont en commun le manque de moyens accompagnant leur déploiement. N'est-ce pas la preuve qu'il est difficile, voire impossible, de renforcer en réduisant les moyens ? Le projet de fusion ne peut avoir pour conséquence qu'un affaiblissement de l'audiovisuel public. Ces deux échecs ne montrent-ils pas également qu'il est vain de vouloir calquer les pratiques des chaînes publiques sur celles des chaînes privées ? Je pense, en particulier, aux chaînes d'info en continu. La vocation de l'audiovisuel public n'était-elle pas justement de permettre un autre traitement de l'information que celui de l'audiovisuel privé, entravé par des questions commerciales et de rentabilité ?
J'en viens maintenant aux contrats d'objectifs et de moyens. La trajectoire financière inscrite semble d'ores et déjà caduque, bien qu'en accord avec les objectifs assignés aux organismes audiovisuels. Si les objectifs sont bons, ils demeurent peu objectivés et insuffisamment précis. Les indicateurs associés sont peu nombreux et souvent flous, parfois dépourvus de cibles ou d'ambitions, ce qui peut compromettre le suivi.
Quant aux moyens, ils ne sont plus au rendez-vous. Il faut définir une trajectoire financière soutenable pour l'audiovisuel public, en adéquation avec les objectifs fixés dans les projets de COM. Les rapporteurs de l'Assemblée nationale ont appelé l'État à faire preuve d'une responsabilité accrue s'agissant de ses engagements contractuels envers les entités de l'audiovisuel public. Celles-ci ne peuvent exercer correctement leurs missions quand règne une incertitude permanente.
Pour toutes ces raisons, nous suivrons l'avis défavorable du rapporteur.
M. Cédric Vial, rapporteur. - Quelles missions voulons-nous pour l'audiovisuel public ? La question qui s'inscrit en creux est : a-t-on besoin en France d'un audiovisuel public ? C'est à nous d'y répondre, car il s'agit d'un choix politique. Si nous affectons des moyens à TV5 Monde, c'est que nous considérons la diffusion de la culture et de la langue française en dehors de nos frontières comme un enjeu. Idem pour France 24 ou RFI.
De la même façon, si nous avons créé Radio France, France Télévisions ou l'INA, c'est que nous avons pensé que, en laissant faire le marché, tout un pan de ce qui fait la France, la culture française et la création n'existeraient tout simplement plus.
Je suis donc d'accord avec vous, il y a un effort d'explication à faire pour reformuler les enjeux de l'audiovisuel public. On peut aussi parler de la qualité de l'information, de l'éducation aux médias, etc. Ce n'est pas uniquement avec des moyens que nous y arriverons : il faut aussi mieux définir les objectifs et mettre en place des outils comme les COM. C'est un peu comme la clef au début de la partition. Je profite de cette analogie pour regretter que ces COM ne fixent pas d'objectifs en termes de diffusion musicale à la télévision.
Mme Catherine Morin-Desailly. - Bravo !
M. Cédric Vial, rapporteur. - Pour finir, je note trois points d'accord avec Monique de Marco. Tout d'abord, il faut une réforme, car nous ne pouvons pas continuer avec les outils d'il y a trente ans.
Nous sommes également d'accord sur ICI. Nous avons besoin d'un audiovisuel public de proximité, d'où le rapprochement entre France 3 et France Bleu. France 3, aujourd'hui, c'est 80 % de programmes nationaux contre 20 % de programmes locaux. Il faudrait peut-être inverser la tendance. Sur le terrain, nous constatons que des problèmes de gouvernance gênent le rapprochement. Il importe donc de passer ce cap.
Enfin, nous sommes d'accord sur la nécessité d'avoir une trajectoire stable. Je l'ai dit devant la ministre, je ne veux pas jouer à faire semblant. Nous ne pouvons pas valider des documents qui n'ont aucune réalité concrète. Il y va de notre crédibilité. Quitte à faire des économies, soyons clairs et annonçons-les afin que les entreprises puissent se projeter. Si la PPLO est adoptée, il faut pouvoir leur garantir que les moyens que nous leur donnons sont bien ceux dont ils disposeront.
M. Laurent Lafon, président. - Mes chers collègues, dans la mesure où notre rapporteur nous propose de donner un avis défavorable à l'ensemble des contrats d'objectifs et de moyens, je vous propose, sauf avis contraire, de ne voter qu'une seule fois.
La commission émet un avis défavorable sur les contrats d'objectifs et de moyens 2024-2028 de France Télévisions, Radio France, France Médias Monde et de l'Institut national de l'audiovisuel.
La commission adopte le rapport d'information et en autorise la publication.
Projet de loi de finances pour 2025 - Crédits relatifs au cinéma - Examen du rapport pour avis
M. Laurent Lafon, président. - Nous examinons maintenant les crédits relatifs au cinéma.
M. Jérémy Bacchi, rapporteur pour avis des crédits relatifs au cinéma. - Le cinéma est passé cette année par tous les états possibles. Secoué dans ses fondations par les révélations si fortes de Judith Godrèche, affecté par l'absence de films américains pendant un semestre, menacé par les projets de restriction budgétaire, il devrait finalement ressortir de cette année plus fort et - oserais-je dire - plus vertueux. Analyser le monde du cinéma en 2024, c'est donc vivre en quelque sorte en direct un scénario avec de multiples rebondissements, des parts d'ombre, de la lumière et beaucoup de clair-obscur.
Je vais m'efforcer dans cette présentation de vous retracer les moments marquants de cette année et d'éclairer les enjeux pour les années à venir.
En termes de fréquentation, l'année 2024 a été à la fois éprouvante et tricolore.
Éprouvante, car les premiers mois, comme je le craignais l'année dernière, ont été catastrophiques, avec une baisse de la fréquentation de 15 %. Il faut y voir les conséquences de la grève des scénaristes à Hollywood, qui a tari la source des films américains pour plusieurs mois.
Tricolore, car à partir du mois d'avril, l'entrée en lice du Comte de Monte-Cristo et surtout d'Un p'tit truc en plus a littéralement « boosté » la fréquentation. Pour la première fois depuis dix ans, deux films français occupent les premières places du box-office. Je reviendrai dans quelques minutes sur ces deux films.
Finalement, l'année 2024 devrait, sous toutes réserves, s'achever à des niveaux proches, voire légèrement supérieurs à 2023, autour de 185 millions d'entrées, ce qui est d'excellent augure pour la suite et illustre de façon éclatante l'attachement du public au cinéma.
Cet attachement s'est manifesté de manière un peu paradoxale avec la sortie limitée du film Kaizen du youtuber Inoxtag. Le film a bénéficié d'un visa dérogatoire pour sortir sur 500 écrans pendant une journée. Il semble que les diffuseurs aient outrepassé les conditions d'octroi au visa puisque finalement 800 séances auraient été organisées. Pourquoi parler ici de ce film ? Parce que 400 000 spectateurs, en général jeunes, ont payé un billet pour une oeuvre qui allait être disponible gratuitement dès le lendemain. Au-delà des aspects juridiques, c'est une formidable leçon sur l'attrait de la salle pour tous les publics, et très précisément ce que cherche à susciter le cinéma : voir ensemble un film, partager des moments avec des amis, de la famille.
Si Kaizen a triomphé pendant quelques jours, l'année 2024 a surtout été marquante, car elle est la démonstration de ce qui fait la spécificité de notre cinéma, à savoir la diversité.
Je vous propose d'analyser trois succès de cette année, dont les différences illustrent très bien, à mon sens, la richesse de la production.
Premier film, Le Comte de Monte-Cristo. La nouvelle transposition à l'écran de l'oeuvre d'Alexandre Dumas a enregistré plus de 9 millions d'entrées en France et 2 millions à l'étranger. Produit avec le plus gros budget de l'année - 43 millions d'euros - et conçu pour vivre des années sur les différents supports, Le Comte de Monte-Cristo illustre la stratégie que nous avait présenté Jérôme Seydoux lors de son audition devant la commission le 15 mars 2023 : des films à grand spectacle, pour lesquels les spectateurs sont prêts à se déplacer massivement dans les salles.
Deuxième film, Un p'tit truc en plus. Le film d'Artus a coûté nettement moins cher, 6 millions d'euros, juste au-dessus de la moyenne pour une oeuvre française. Avec près de 11 millions d'entrées, cette comédie humaniste est déjà le neuvième plus grand succès français de tous les temps. C'est un résultat plus qu'impressionnant et qui a constitué une immense surprise, car nul ne le voyait à ce niveau. Il y a parfois une alchimie magique qui se crée autour d'une oeuvre, un sujet qui sonne juste : c'est aussi cela, la beauté de la culture et du cinéma.
Deux éléments sont intéressants à relever. D'une part, au-delà de son humour, Un p'tit truc en plus fait pour l'acceptation des personnes handicapées plus que toutes les campagnes officielles. De ce point de vue, le cinéma a merveilleusement rempli son rôle de projecteur, de mise en avant d'une réalité, comme avait pu le faire en son temps Intouchable. D'autre part, fait très curieux, le film a été nettement plus populaire en province qu'à Paris, avec un coefficient province-Paris de 15, soit trois fois supérieur à la moyenne.
Troisième film, Emilia Pérez de Jacques Audiard. Sur un sujet a priori baroque - un chef de gang mexicain qui change de sexe avant de fonder une association d'aide aux victimes de la drogue -, ce film, tourné en espagnol dans les studios de Bry-sur-Marne avec un casting international, a reçu de prestigieuses récompenses internationales.
Nous avons donc trois films : une production de prestige à gros budget basée sur une oeuvre déjà connue, une comédie humaniste sur un sujet de société et un film porté par la vision d'un auteur. Peu de pays peuvent se targuer non seulement d'un tel succès, mais aussi d'une telle diversité de sujets et de genre. Voilà un vrai motif de fierté et une belle preuve de l'efficacité de notre système !
Ce système, il fallait donc le préserver, ce qui n'a pas toujours été facile.
Le cinéma a été longtemps menacé par des coupes budgétaires, des limitations de ses crédits d'impôt, et l'ambiance était plutôt tendue en septembre. In fine, et je crois que nous pouvons en remercier la ministre de la culture, l'écosystème de financement n'a pas été touché.
Pour autant, le cinéma a apporté une contribution significative au désendettement, avec un prélèvement de 450 millions d'euros sur les réserves du Centre national du cinéma et de l'image animée (CNC) acté par l'article 33 du projet de loi de finances. C'est à la fois beaucoup et peu. Beaucoup, car cela correspond à la moitié des réserves du CNC. Peu, car ces sommes étaient en réalité des provisions passées pour des raisons comptables et n'avaient donc pas vocation à irriguer le financement des films.
Il ne devrait donc pas y avoir de conséquences pour l'activité du CNC. Cela étant, j'attire l'attention sur un point : il s'agit d'un « fusil à un coup » ; il ne sera plus possible l'année prochaine de prélever sur les réserves restantes, qui sont nécessaires au fonctionnement du centre. Dès lors, nous pouvons être sûr que le débat reprendra sur le bien-fondé du soutien au cinéma.
Pour le reste, les prévisions de recettes et de dépenses du CNC pour 2025 me paraissent crédibles et sont tout à fait en ligne avec un retour à la normale annoncé l'année dernière après la période pandémique. Tout juste peut-on noter 8 millions d'euros supplémentaires pour la création audiovisuelle, qui correspondent à l'éligibilité des plateformes aux aides du CNC.
Cependant, une actualité plus sombre a marqué l'année, avec les révélations en cascade sur les violences sexuelles et sexistes dans le cinéma. Nous nous rappelons tous du témoignage plein de courage et de dignité de Judith Godrèche, qui a libéré la parole de tant de victimes.
Notre commission n'est d'ailleurs pas restée insensible à ce sujet, avec une mesure forte adoptée dès le mois de février sur l'initiative de notre collègue Monique de Marco dans le cadre de la proposition de loi sénatoriale visant à conforter la filière cinématographique en France, texte sur lequel Sonia de La Provôté et Alexandra Borchio Fontimp étaient rapporteurs.
J'espère que notre texte pourra être rapidement examiné par l'Assemblée nationale afin que les aides du CNC puissent, comme prévu, être retirées aux producteurs qui n'ont pas établi les meilleurs dispositifs de protection sur les plateaux de tournage.
Le 4 juin dernier, nous avons également organisé, avec la délégation aux droits des femmes, une grande table ronde réunissant l'ensemble de la profession, dont l'actrice Anna Mouglalis.
Le cinéma a longtemps vécu dans l'illusion qu'il était un peu au-dessus des lois et l'acte de création a servi à certains d'alibi trop commode à des comportements pénalement répréhensibles. J'insiste sur ce point : le monde du cinéma et de l'audiovisuel doit faire son autocritique, et accepter de changer en profondeur. Le cinéma, si emblématique de notre culture, doit devenir irréprochable.
Je voudrais enfin souligner trois défis qui attendent le cinéma et qui pourraient, selon la manière dont ils seront traités, le renforcer durablement ou l'affaiblir définitivement.
Premier défi à court terme, la chronologie des médias.
Véritable marronnier du secteur, la négociation de la chronologie s'apparente à Un jour sans fin éternellement recommencé. Je vous rappelle que la chronologie règle le calendrier d'exposition des oeuvres sur les différents supports en fonction de l'investissement consenti dans le cinéma. Pour résumer, plus vous investissez, plus votre position est avantageuse. Cela pose d'innombrables difficultés entre les salles, les chaînes de télévision et les plateformes. L'actuelle chronologie doit s'achever le 24 janvier 2025. Le CNC a donc lancé un nouveau cycle de négociations au printemps que l'on imaginait être aussi fraternel qu'un film de Scorsese.
Cependant, alors que l'on s'attendait à vivre des discussions avec claquements de portes et montées de tension médiatisées, un scénariste jusque-là non crédité au générique a décidé d'ajouter un peu de piquant. L'Autorité de la concurrence s'est en effet autosaisie le 25 septembre 2024 d'éventuelles pratiques anticoncurrentielles dans le secteur de la télévision payante. Si son instruction, dont le résultat n'est pas attendu avant mi-2025, devait limiter la faculté des chaînes à conclure des accords avec les producteurs, ce serait tout l'édifice de la chronologie qu'il faudrait repenser. Nous ignorons encore s'il y aura un « twist » final façon Psychose, ou si l'Autorité de la concurrence confortera le système. Dans ce contexte, les négociations sont pour l'instant suspendues et les groupes hésitent à s'engager sur des montants d'investissements pour les années à venir.
Il s'agit donc d'un défi existentiel pour la production cinématographique en 2025, et je le suivrai avec une grande attention.
Deuxième défi, la directive Services de médias audiovisuels (SMA)
Adoptée le 14 novembre 2018 et transposée en droit français par l'ordonnance du 21 décembre 2020, cette directive a permis d'insérer les plateformes dans le financement des oeuvres cinématographiques et audiovisuelles. Je crois pouvoir dire, et mes collègues Sonia de La Provôté et Alexandra Borchio Fontimp ne me contrediront pas, qu'elle a donné un réel élan aux productions françaises et européennes. Cependant, son article 33 en prévoit l'évaluation pour la fin de l'année 2026. Or nous savons que cet exercice s'accompagnera inévitablement de son lot de pressions diverses et variées, et que les plateformes américaines excellent à ce jeu au moins autant qu'à la conception de « blockbusters ».
Dès lors, le Gouvernement devra être extrêmement vigilant. J'en profite pour signaler que, dans cette optique, la nomination rapide d'un président au CNC, poste vacant depuis le mois de juin, serait d'une grande utilité, l'actuelle titulaire par intérim, par ailleurs tout à fait remarquable, étant également directeur général. Il faudra donc, dès 2025, que notre pays se mette en ordre de bataille pour préserver les apports de cette directive si centrale dans la protection de nos intérêts.
Enfin, troisième et dernier défi de long terme, l'intelligence artificielle (IA).
La commission a consacré une table ronde passionnante à cette question le 20 décembre dernier. Les potentialités, les opportunités, mais aussi les risques de l'IA sont encore mal évalués. Côté pile, elle peut permettre de faciliter les tournages, d'assister à l'écriture de scénario ou aux traductions. Côté face, comment nous positionner face à ces nouvelles technologies, pour l'instant américaines, qui menacent notre diversité culturelle et font peu de cas des droits d'auteur ? Quand je dis qu'il s'agit là d'un défi à long terme, j'ai peur de pécher par optimisme, car tout va très vite, comme le cinéma l'avait d'ailleurs anticipé.
Avant de conclure et de proposer un avis que vous devinez favorable, je voudrais insister sur deux points. Le cinéma conforte en 2025 son statut très privilégié dans les industries culturelles, en étant relativement épargné par les restrictions budgétaires. Nous ne pouvons que nous féliciter de cette marque de confiance.
Cependant, elle doit aller de pair avec la responsabilité. Le secteur du cinéma, très emblématique, doit se montrer exemplaire aussi bien sur la question des violences sexuelles et sexistes qu'en matière de gestion des deniers publics. Je crois que le CNC en a parfaitement conscience. Je suis donc optimiste, mais là encore, il nous appartiendra d'y veiller.
Je vous propose donc d'émettre un avis favorable sur les crédits alloués au cinéma en 2025.
M. Pierre-Antoine Levi. - Notre collègue Jérémy Bacchi, dans un excellent rapport sur les crédits du cinéma, a parfaitement détaillé les enjeux qui se présentent à nous. L'année 2024 a été marquée par les inquiétudes légitimes concernant la pérennité du modèle français de financement du cinéma. Dans un contexte budgétaire particulièrement contraint, qui impose des efforts à l'ensemble des politiques publiques, certaines pistes évoquées, comme le plafonnement des taxes affectées ou leur réaffectation, auraient pu mettre en péril l'édifice patiemment construit depuis 1946.
Le projet de loi de finances qui nous est soumis apporte des réponses que nous jugeons équilibrées. Tout d'abord, le maintien du budget du CNC à 780 millions d'euros démontre la volonté de l'État de préserver les fondamentaux de notre politique cinématographique. L'effort demandé de 450 millions d'euros sur la trésorerie du CNC est certes substantiel, mais il a été calibré pour ne pas affecter sa capacité d'intervention.
C'est un point essentiel, l'argent des spectateurs continuera d'être intégralement consacré au soutien de la création et à la modernisation du parc de salles. Je veux souligner quatre avancées significatives.
Premièrement, la sanctuarisation des quatre dispositifs de crédits d'impôt. Les chiffres parlent d'eux-mêmes : pour chaque euro de dépense fiscale, ce sont 6 à 7 euros de dépenses générées sur notre territoire, dont près de 3 euros de recettes sociales et fiscales. Le succès d'accueil de grandes productions internationales, comme Emily in Paris, en est la meilleure illustration.
Deuxièmement, l'engagement fort en direction des territoires ruraux. Le plan de 5 millions d'euros pour soutenir les festivals locaux et les circuits itinérants, auquel s'ajoutent un second volet d'un montant équivalent pour la modernisation des salles, et le soutien aux cinémathèques en région traduit une volonté réelle de maintenir un accès au cinéma sur l'ensemble du territoire.
Troisièmement, la poursuite du programme « La grande fabrique de l'image ». Avec 300 millions d'euros dans le cadre de France 2030, ces investissements dans nos studios et nos écoles sont essentiels pour maintenir notre compétitivité face à une concurrence internationale de plus en plus vive.
Quatrièmement, l'adaptation réussie de notre système de financement à l'ère numérique, avec désormais 20 % des ressources du CNC qui proviennent des plateformes internationales.
Cela a été rappelé, les succès publics récents, qu'il s'agisse d'Un p'tit truc en plus ou du Comte de Monte-Cristo, ne sont pas le fruit du hasard. Ils démontrent la pertinence de notre modèle de soutien à la création, qui permet de conjuguer ambitions artistiques et succès populaire.
Néanmoins, deux points de vigilance méritent d'être soulignés. Tout d'abord, la nécessité de nommer rapidement une présidence stable à la tête du CNC pour porter les nombreux chantiers en cours. Ensuite, le suivi attentif de la proposition de loi adoptée par notre Haute Assemblée pour conforter la filière cinéma, dont nous espérons qu'elle pourra prospérer sous cette forme ou reprise par le Gouvernement, comme vous l'avez suggéré.
Pour toutes ces raisons, le groupe Union Centriste considère que ce budget, fruit d'un équilibre délicat, permet de préserver l'exception culturelle française tout en participant à l'effort de redressement des comptes publics. Notre groupe votera donc en faveur de ces crédits, tout en maintenant sa vigilance sur la bonne exécution au service de la création cinématographique française.
Mme Laure Darcos. - À mon tour de remercier notre rapporteur de son exposé et de son travail. Comme je l'ai dit à Mme la ministre, pour l'instant, tous les crédits d'impôt sont maintenus. Je suis néanmoins très inquiète de la position de la commission des finances du Sénat qui, chaque année, sans nous prévenir, dépose des amendements de suppression. Idem pour les sociétés de financement de l'industrie cinématographique et de l'audiovisuel (Sofica). Il faudrait peut-être, monsieur le rapporteur, que vous vous rapprochiez de la commission des finances pour être sûr qu'il y ait un accord avec le Gouvernement. Le maintien de ces crédits d'impôt est incontournable pour le milieu du cinéma. Faisons en sorte d'éviter les mauvaises surprises de fin de soirée lorsque les amendements de suppression nous sont présentés dans la discussion budgétaire.
Mme Sylvie Robert. - Nous suivrons l'avis favorable de notre rapporteur sur les crédits du cinéma. Les films extrêmement réjouissants qui ont été cités attestent de la vitalité et de la diversité de notre cinéma. J'invite celles et ceux qui ne l'auraient pas encore fait à aller voir cette comédie musicale assez inédite qu'est Emilia Pérez.
Nous sommes globalement satisfaits de l'équilibre trouvé pour préserver l'écosystème du cinéma par le maintien des crédits d'impôt. Il importe que nous nous mobilisions lors de l'examen du PLF pour défendre en séance ces crédits contre les éventuels assauts de la commission des finances. Ce système a eu des conséquences économiquement favorables sur notre territoire. Évitons d'affecter le rendement des taxes qui « nourrissent » le CNC et prélevons plutôt sur son important fonds de roulement - de l'ordre de 800 millions d'euros. Quoi qu'il en soit, notre rapporteur l'a souligné, il s'agit d'un one shot.
J'évoquerai quelques sujets de préoccupation. Comme notre rapporteur l'a rappelé, la chronologie des médias devra être revue l'année prochaine. Nous savons déjà que les plateformes souhaitent une réduction de leur fenêtre de diffusion.
Je pense aussi à l'évaluation de la directive SMA, qui interviendra en 2026. Le CNC a publié un rapport extrêmement intéressant qui propose de faire passer le quota d'oeuvres européennes dans le catalogue des plateformes de 30 % à 50 %, ce qui impliquerait d'introduire une dérogation au fameux principe du pays d'origine.
L'étude d'Unifrance est aussi intéressante : les oeuvres françaises sont particulièrement visionnées en Europe, mais elles arrivent très loin derrière les autres dans la sphère francophone hors Europe. Cela doit nous interroger.
Enfin, je me réjouis du nouveau dispositif mis en place par le CNC sur les cinémas itinérants. J'espère que la proposition de loi sénatoriale que nous avons votée à l'unanimité sera rapidement inscrite à l'ordre du jour de l'Assemblée nationale.
J'évoquerai également les incertitudes persistantes autour de l'intelligence artificielle. Hollywood a été paralysé pendant près de six mois l'année dernière. Aujourd'hui, le monde culturel a choisi d'appliquer l'opt-out, ce qui signifie qu'il n'a pas confiance dans l'écosystème de l'intelligence artificielle. Nous aurions tout intérêt à diligenter une mission de suivi sur l'intelligence artificielle et le droit d'auteur dans le secteur du cinéma, de l'audiovisuel et de l'édition. Cela nous permettrait d'anticiper une éventuelle réouverture de la directive sur le droit d'auteur à l'échelle européenne.
Enfin, je suis toujours préoccupée par tous les dispositifs d'éducation à l'image. Le département du Nord, pour les raisons budgétaires, vient de supprimer le dispositif collège au cinéma. La ministre Belloubet avait reconnu que les effets de bord n'avaient pas été mesurés correctement : les enseignants ne peuvent donc plus procéder à ces séances de formation sur le temps scolaire. Beaucoup d'acteurs nous le disent, c'est tout l'écosystème qui s'en trouvera fragilisé. Aujourd'hui, nous n'avons pas de solution. Je n'ai pas entendu la nouvelle ministre de l'éducation nationale s'emparer de ce sujet, qu'elle doit trouver tout à fait accessoire...
Mme Alexandra Borchio Fontimp. - Nous nous réjouissons que le cinéma français se porte plutôt bien en dépit d'un contexte budgétaire difficile. Cependant, un certain nombre de défis restent encore à relever.
Tout t'abord, nos cinémas d'art et d'essai pâtissent de l'implantation des grands complexes. J'évoquerai également les cinémas implantés en zone rurale. Pouvez-vous nous rassurer quant à leur attractivité ?
En matière d'accès à la culture dans les territoires ruraux, nombreuses sont les communes à ne pas disposer d'espaces muséaux et de cinéma. À Cannes, la ministre de la culture avait annoncé un soutien pour les circuits de cinéma itinérants. Quel regard portez-vous sur ce dispositif qui a été acté le mois dernier par le CNC ?
Enfin, vous avez rapidement évoqué la lutte contre les violences sexuelles dans le cinéma. C'est un objectif que nous avions défendu ensemble au Sénat en tant que rapporteurs de la proposition de loi visant à conforter la filière cinématographique en France, en introduisant des mesures pour prévenir et sanctionner ces violences. Une commission d'enquête a même été créée à l'Assemblée nationale. Notre texte sera-t-il examiné au Palais Bourbon ?
En tout état de cause, le groupe Les Républicains suivra l'avis favorable du rapporteur.
M. Pierre Ouzoulias. - Je remercie notre rapporteur de la qualité de son travail et je le félicite de l'agilité dialectique avec laquelle il nous a expliqué que la ponction sur la trésorerie du CNC était une excellente chose !
Mon groupe n'est pas toujours favorable aux crédits d'impôt, mais ceux-là ont montré qu'ils avaient un effet de levier important et qu'ils rapportaient de l'argent. Il convient donc de les défendre, car ils participent au dynamisme économique du cinéma. De surcroît, ils procurent des recettes fiscales importantes au Gouvernement. Le contexte des élections américaines fait qu'entre nous et les États-Unis, « il va faire mauvais temps ». Nous pouvons présager que les attaques de l'administration américaine seront assez fortes contre ce qui fait la spécificité de la culture en France et en Europe, notamment le droit d'auteur. Il faudra absolument résister, mais je ne suis pas sûr que tous les pays européens aient la même vision que nous de la singularité culturelle et du droit d'auteur.
Notre groupe suivra l'avis du rapporteur.
Mme Sonia de La Provôté. - Certes, le cinéma a une place privilégiée dans les industries culturelles, mais il est également partie prenante de façon intégrale des politiques culturelles de la Nation. Il convient de le réaffirmer à l'occasion des discussions budgétaires, notamment par la participation financière, mais aussi par la participation au plan France ruralités - puisque, on le sait, l'accès au cinéma est très souvent l'une des principales portes d'entrée vers la culture dans de très nombreux territoires. La participation à la programmation du cinéma itinérant et à son développement est importante.
Deux sujets me semblent essentiels.
Tout d'abord, la question déjà soulevée du cinéma au collège et au lycée. Si on en est là, c'est aussi parce que l'on a un public de cinéphiles. Les Français aiment le cinéma et apprécient sa diversité. Il est donc important de favoriser l'accès aux oeuvres cinématographiques et à leur compréhension.
Ensuite, les réflexions sur le fait que la qualification « Art et Essai » soit accordée à des oeuvres qui ne relèvent pas toujours du cinéma d'auteur. Un travail devait être engagé sur la question. Le maintien des crédits d'impôt représentant un soutien à la filière, le CNC doit prouver que l'écosystème du cinéma est capable de mener une telle réflexion. S'il n'est pas choquant d'accompagner financièrement des oeuvres exigeantes et complexes pour favoriser la créativité des auteurs et l'émergence de grands films, il est important que les aides ne soient pas automatiquement adressées à ceux qui en ont le moins besoin.
Mme Monique de Marco. - En prenant connaissance du PLF, je me suis tout de suite inquiétée de la ponction de 450 millions d'euros prévue dans la trésorerie du CNC. Cela répond au rapport de la Cour des comptes jugeant disproportionnée la trésorerie du centre, au regard de celles des autres opérateurs distribuant les aides. Vous nous avez rassurés, monsieur le rapporteur, mais nous devrons nous montrer vigilants à l'avenir.
Notre vigilance doit également porter sur les discussions autour de la chronologie des médias, sur la directive SMA et sur l'essor de l'intelligence artificielle. À cet égard, je m'inquiète de la nomination d'Elon Musk dans l'administration Trump.
Toutefois, la vigilance n'exclut pas l'optimisme : le cinéma français est en bonne santé et nous pouvons nous en réjouir.
Nous attendons toujours que la proposition de loi visant à conforter la filière cinématographique en France, que nous avons adoptée en février, soit inscrite à l'ordre du jour de l'Assemblée nationale. Vous avez interrogé la ministre à ce sujet la semaine dernière, mais sa réponse n'était pas très claire, si ce n'est qu'elle souhaitait que l'Assemblée nationale s'en saisisse. Cette proposition de loi comporte notamment un important volet sur les violences sexistes et sexuelles, qu'il serait particulièrement opportun d'adopter après que plusieurs affaires ont été mises au jour dans le milieu.
Nous suivrons l'avis du rapporteur.
Mme Catherine Morin-Desailly. - Notre rapporteur a souligné le fait que l'écosystème du financement du cinéma avait globalement été épargné. Il est vrai que les crédits d'impôt ont heureusement été reconduits et que nous avons sanctuarisé le soutien à la création cinématographique au travers de notre proposition de loi organique portant réforme du financement de l'audiovisuel public.
J'attire votre attention sur le fait que la production française est également financée par les collectivités territoriales, en particulier les régions. À elles seules, elles financent davantage les tournages en région que le CNC. De plus, les collectivités investissent beaucoup dans les cinémas pour les moderniser et maintenir leur activité. L'idée du CNC de consacrer un dispositif aux circuits itinérants vient également des territoires. Aussi, l'effort que ce PLF fait peser sur les collectivités peut affecter indirectement l'écosystème et empêcher les collectivités d'investir autant qu'elles le voudraient.
Par ailleurs, Sylvie Robert a abordé la question des dispositifs d'éducation à l'image. Nous avons interrogé en vain la ministre de l'éducation nationale il y a quinze jours ; je lui ai donc écrit. Nicole Belloubet s'était engagée à trouver des solutions dans le cadre d'une réponse à une question écrite. Pour l'instant, pas de son, pas d'image...
Dans ma région, 30 % d'élèves en moins bénéficieront du dispositif. Dans un temps de difficultés budgétaires, inutile de dire que les collectivités territoriales trouvent une porte ouverte pour ne plus assumer le coût des transports scolaires et des billets de cinéma.
Alors que les États généraux de l'information ont conclu à l'importance de l'éducation à l'image, que peut-on faire pour soutenir celle-ci ?
Enfin, nous devrons nous montrer extrêmement vigilants par rapport au développement de l'intelligence artificielle. L'application du règlement européen sera observée avec attention, car certains points restent en suspens, notamment la question de l'opt-out, évoquée par Sylvie Robert, mais aussi le système des licences. La nouvelle commissaire doit trancher en décidant de revoir, ou non, la directive européenne sur le droit d'auteur.
M. Jérémy Bacchi, rapporteur pour avis. - Nous pouvons nous réjouir des 300 millions d'euros programmés sur « La grande fabrique de l'image », dont 200 millions d'euros sont contractualisés et 77 millions ont déjà été versés.
Je partage la crainte que plusieurs d'entre vous ont exprimée sur la question des crédits d'impôt du cinéma, qui revient chaque année - avec peut-être moins d'insistance cette année. À mon sens, ceux-ci relèvent d'ailleurs davantage de l'investissement public, tant le retour sur investissement est important. Restons vigilants sur le sujet et soyons présents en séance lors de l'examen des crédits de la mission.
En ce qui concerne l'éducation à l'image, je ne peux que déplorer le constat que nous faisons tous. Le président de la Fédération nationale des cinémas français (FNCF), Richard Patry, nous a dit souhaiter davantage de souplesse dans le choix des films par le corps enseignant, ce qui ne réglerait pas la question des moyens, mais pourrait faciliter l'accès à la salle de cinéma.
Sonia de La Provôté a évoqué la cinéphilie du public français ; celle-ci est rendue possible par l'éducation à l'image, qui offre aux spectateurs les clés pour apprécier les oeuvres cinématographiques à leur juste valeur. En y renonçant, nous mettons en péril des pans entiers de notre industrie cinématographique.
Toutefois, notre corps enseignant demeure impliqué. J'ai d'ailleurs visité la semaine dernière un lycée marseillais ayant récemment ouvert des filières de préparation aux écoles de cinéma. Il nous faut cultiver cette richesse.
En 2023, la fréquentation des salles de cinéma labellisées « Art et Essai » a atteint un record historique : plus de 70 millions de billets y ont été vendus, ce qui représente 40 % de l'ensemble des billets vendus en France ; leur nombre a progressé de 30 % en dix ans ; elles accueillent 41 % des écrans. Ces salles diffusent des films d'une grande diversité, certains étant plutôt grand public tandis que d'autres sont plus exigeants.
En ce qui concerne le cinéma en zone rurale - qui désigne également les zones urbaines de moins de 20 000 habitants -, il représente 3,2 millions d'entrées annuelles, soit environ 2 % du total. Cela confirme malheureusement la relative concentration des salles : sur les 36 000 communes françaises, moins de 2 000 sont équipées d'une salle ; c'est le cas de seulement 2,8 % des villes de moins de 10 000 habitants. Cela dit, le cinéma demeure un loisir relativement accessible d'un point de vue géographique grâce au maillage territorial efficace.
Nous avons abordé la question des cinémas itinérants dans notre rapport d'information intitulé Le cinéma contre-attaque : entre résilience et exception culturelle, un art majeur qui a de l'avenir. Il en existe une centaine, dont plus de la moitié est classée « art et essai ». En 2019, ces cinémas ont réalisé 1,5 million d'entrées, ce qui est à la fois peu et beaucoup. Cela prouve l'utilité de cette itinérance pour couvrir l'ensemble de notre territoire.
Enfin, en ce qui concerne les violences sexistes et sexuelles, j'espère comme vous que notre proposition de loi sera inscrite à l'ordre du jour de l'Assemblée nationale. Si la ministre s'est montrée évasive lors de son audition, son cabinet m'a rappelé par la suite pour préciser qu'il poussait pour que le texte soit inscrit dans le cadre d'une niche transpartisane. À défaut, le Gouvernement devrait prendre ses responsabilités et l'inscrire dans son espace réservé. Une adoption de cette proposition de loi n'a pas vocation à régler tous les problèmes, mais elle constituerait une grande avancée contre les violences sexistes et sexuelles.
Enfin, les collectivités territoriales jouent effectivement un rôle important dans le financement du cinéma : leur contribution a atteint 77 millions d'euros en 2023. Je partage donc les inquiétudes exprimées. Les collectivités sont prises à la gorge et devront opérer des choix. Nous devrons faire preuve d'une vigilance accrue pour que les régions continuent de soutenir la production cinématographique et que les communes continuent d'investir dans les salles de cinéma.
La commission émet un avis favorable à l'adoption des crédits consacrés au cinéma au sein de la mission « Médias, livre et industries culturelles » du projet de loi de finances pour 2025.
Projet de loi de finances pour 2025 - Crédits relatifs aux patrimoines - Examen du rapport pour avis
M. Laurent Lafon, président. - Nous poursuivons nos travaux par l'examen de l'avis préparé par Sabine Drexler sur les crédits consacrés aux patrimoines.
Mme Sabine Drexler, rapporteure pour avis sur les crédits des patrimoines. - Je me trouve dans une situation inédite pour vous présenter les crédits du programme 175 « Patrimoines » de la mission « Culture ». En effet, mon analyse porte sur un budget qui, nous le savons par avance, pourrait être largement remanié par l'amendement gouvernemental dont le dépôt nous a été annoncé en commission par la ministre, le 5 novembre dernier.
Cet amendement est loin d'être neutre. Il vise à abonder le programme à hauteur de 200 millions d'euros en crédits de paiement (CP) et de 300 millions d'euros en autorisations d'engagement (AE). S'il était adopté, le programme 175 ferait l'objet d'une reconfiguration majeure : les CP seraient réhaussés de 17 % ; les AE de 26 %.
Mais nous n'en sommes pas encore là ! J'en viens donc à la présentation du programme prévu dans le PLF initial.
Les crédits proposés pour les patrimoines offrent au moins un motif de satisfaction : après une hausse continue de plusieurs années, les crédits de paiement sont reconduits au niveau historique de 2024, à hauteur de 1,2 milliard d'euros. Dans le contexte de maîtrise des finances publiques, cette préservation budgétaire témoigne d'une réelle attention portée aux patrimoines, dont je me félicite.
Ce premier sentiment positif doit cependant être tempéré par une analyse plus attentive du programme. Pour reprendre l'image éloquente employée par la ministre, il s'agit d'une stabilisation budgétaire en trompe-l'oeil, qui masque une décorrélation entre le niveau des crédits proposés et les besoins immenses d'investissement de notre patrimoine, notamment dans son versant monumental.
En effet, un quart des quelque 45 000 édifices protégés au titre des monuments historiques sont en mauvais état, et 5 % sont même en état de péril. La situation des édifices religieux est plus dégradée encore, ceux-ci étant souvent situés dans de petites communes à faibles ressources. Alors que le coût des chantiers a fortement augmenté, il en résulte un besoin de financement non seulement colossal, mais également urgent.
Devant ce constat, le budget initialement proposé pour notre patrimoine monumental m'inspire plusieurs motifs d'inquiétude.
Tout d'abord, je m'inquiète du manque de financements dévolus à l'entretien des édifices, qui ne mobilise que 14 % des crédits des monuments historiques. Cette situation perdure depuis de nombreuses années et a entraîné la formation d'un véritable cercle vicieux, la dégradation des édifices alimentant le mur d'investissements qui se trouve devant nous.
Ensuite, je m'interroge sur la baisse affichée des investissements programmés par le ministère : les autorisations d'engagement diminuent de 341 millions d'euros sur l'ensemble du programme.
Enfin, la concentration des dépenses sur les grands projets me préoccupe, car elle se fait au détriment des édifices des territoires. Seuls 5 % des nouveaux crédits arbitrés profitent à ces derniers, en particulier à l'abbaye de Clairvaux, au château de Gaillon et à la tour Saint-Nicolas de La Rochelle. Du fait du contexte budgétaire, cette concentration porte désormais également préjudice à d'autres grands projets. Je pense notamment aux schémas directeurs des château de Versailles, de Chambord et de Fontainebleau, ainsi qu'au Palais de la Porte Dorée.
En dépit de l'impératif de maîtrise des comptes publics, nous ne pourrons, me semble-t-il, accueillir l'amendement annoncé par la ministre qu'avec soulagement. Pour autant, j'observe que les crédits supplémentaires proposés au travers de cet amendement ne dégageront pas de fortes marges de manoeuvre pour mener de nouveaux projets : en AE, ils ne feront que compenser la baisse décidée dans la version initiale du PLF.
De plus, l'annonce tardive de ces financements additionnels empêche le Parlement de jouer pleinement son rôle, dans la mesure où nous ne pourrons pas nous prononcer avec un niveau d'information suffisant sur l'affectation de ces considérables crédits supplémentaires. Aussi devrons-nous nous montrer très attentifs à leur ventilation, notamment pour nous assurer que le patrimoine monumental des territoires en reçoive sa part.
Malgré ces remarques, l'adoption de cet amendement aura au moins le grand mérite de permettre à plusieurs grands chantiers, comme celui de Versailles, de se poursuivre sereinement pendant au moins un an encore. Pour des chantiers patrimoniaux qui s'inscrivent dans le temps long, il est crucial de pouvoir se projeter.
Permettez-moi à présent de me pencher plus précisément sur les crédits déconcentrés du patrimoine monumental, c'est-à-dire les crédits affectés aux directions régionales des affaires culturelles (Drac) en vue de leur distribution aux projets de réhabilitation qui maillent le territoire. Sans surprise, ces crédits seront en baisse, alors que, selon les remontées de terrains dont je dispose, certaines Drac ont déjà attribué la totalité de leur budget non seulement pour 2025, mais également pour 2026.
Dans ce climat budgétaire morose, les pouvoirs publics s'efforcent depuis 2018 de diversifier les financements destinés au patrimoine des petites collectivités, en s'appuyant principalement sur deux outils.
Tout d'abord, le fonds incitatif et partenarial (FIP) permet de relever le taux de soutien par l'État des projets financés à l'échelle territoriale, à condition que la région s'engage à hauteur d'au moins 15 %. Depuis cette année, l'ensemble des régions françaises y participent et 850 opérations ont été financées par cet outil, dont les trois quarts dans des communes de moins de 2 000 habitants.
À l'heure de la mise en oeuvre du plan Culture et ruralité, cet outil m'apparaît particulièrement intéressant pour soutenir le patrimoine des petites communes, dont je redis qu'il constitue le premier vecteur d'accès à la culture pour nombre de nos concitoyens. Alors que le FIP ne reçoit que 6 % des crédits des monuments historiques fléchés vers les Drac, et dans la mesure où les demandes ont pour la première fois cette année dépassé le montant de 20 millions d'euros inscrit dans le budget, il me semble que cet outil partenarial vertueux mériterait de recevoir une plus large part des crédits déconcentrés.
À côté de cela ont été développés des financements reposant sur un appel à la générosité publique. Ceux-ci accroissent à la fois les moyens du patrimoine et sa visibilité auprès du grand public. Les résultats obtenus grâce à ces outils sont contrastés : si le Loto du patrimoine permet à la mission Patrimoine en péril de recueillir 25 millions à 28 millions d'euros annuels, la collecte en faveur du patrimoine religieux, qui vient de fêter son premier anniversaire, enregistre en revanche des résultats très en-deçà des attentes.
Pour mémoire, cette collecte a été créée par l'article 30 de la loi de finances pour 2024 sous la forme d'un taux exceptionnel de 75 % de réduction d'impôt sur le revenu. Elle a été déployée par la Fondation du patrimoine, désignée par la loi comme collecteur unique de l'opération, et prend la forme d'une collecte nationale, assortie d'une pluralité de collectes locales en faveur de projets précis.
Le principal intérêt du dispositif est de financer le patrimoine religieux n'étant ni classé ni inscrit au titre des monuments historiques. Ainsi, cent édifices représentant tous les cultes ont été sélectionnés pour bénéficier de la collecte nationale, dont un tiers se situent dans des communes de moins de 500 habitants.
Alors que 10 millions d'euros annuels de dons étaient attendus, 2,9 millions d'euros seulement ont à ce jour été recueillis auprès de 15 000 participants par la collecte nationale. Les collectes locales ont davantage mobilisé les donateurs, 9 millions d'euros ayant été versés par plus de 22 000 participants.
Deux enseignements peuvent être tirés de ces premiers résultats. En premier lieu, nos concitoyens souhaitent pouvoir choisir les projets auxquels ils apportent leur soutien financier. En second lieu, si le choix d'un collecteur unique avait l'avantage de la simplicité opérationnelle et de la lisibilité, il n'a sans doute pas permis de toucher tous nos concitoyens susceptibles de se mobiliser.
Je présenterai donc un amendement visant à élargir le socle des opérateurs de la collecte en faveur du patrimoine religieux au-delà de la seule Fondation du patrimoine, afin d'y intégrer d'autres fondations reconnues d'utilité publique. J'invite chacun d'entre vous qui partage mon analyse à le cosigner.
La ministre a laissé entendre devant notre commission que le patrimoine religieux pourrait prochainement bénéficier de nouvelles sources de financement, grâce à l'instauration d'un droit d'entrée pour visiter la cathédrale Notre-Dame de Paris. Je comprends les critiques qui s'élèvent contre cette proposition inédite dans notre pays, mais elle pourrait se révéler nécessaire pour gérer l'afflux certainement très important de visiteurs lors de la réouverture au public, ne serait-ce que pour assurer la sécurité et le confort de visite. Un tel système aura un coût certain, qu'il sera de toute façon nécessaire de financer.
J'en viens à présent aux crédits affectés aux dispositifs d'ingénierie dans les espaces patrimoniaux protégés, c'est-à-dire aux travaux et aux études qui permettent le déploiement des sites patrimoniaux remarquables (SPR) et des périmètres délimités des abords (PDA), mais également le fonctionnement de certains labels comme les villes et pays d'art et d'histoire.
La faiblesse de cette ligne budgétaire - 10 millions d'euros - contraste avec les effets très positifs de ces outils sur la protection du patrimoine, ainsi que sur la qualité des relations entre les élus locaux et les unités départementales de l'architecture et du patrimoine (Udap), comme nous l'avons vu au cours de la mission d'information sur le périmètre d'intervention et les compétences des architectes des bâtiments de France (ABF), présidée par Marie-Pierre Monier.
Le plan Culture et ruralité comporte d'ailleurs quatre mesures destinées à renforcer l'ingénierie dans les territoires ruraux, parmi lesquelles l'emblématique annonce de disposer d'au moins deux ABF dans tous les départements de la ruralité. Toutefois, aucun horizon ni temporel ni budgétaire ne nous a été précisé. Sont également annoncées la création d'une filière de spécialisation en ingénierie rurale, l'augmentation du cofinancement par l'État de l'assistance à maîtrise d'ouvrage et une augmentation des vacations des architectes-conseils de l'État dans les Drac, au bénéfice des petites communes.
Je dois dire que la traduction de ces annonces dans le budget des patrimoines n'est pas évidente, puisque les crédits relatifs à l'ingénierie sont reconduits à leur niveau de 2024. Je relève en particulier que seulement 2,5 millions d'euros sont prévus au titre des études préalable à la mise en place des PDA, alors que la mission d'information sur les ABF les a identifiés comme un outil majeur de la protection patrimoniale. J'ai d'ailleurs appris, au fil des auditions que j'ai menées, que le ministère projetait d'externaliser complètement ces études préalables auprès de bureaux spécialisés afin de décharger les Udap de ces tâches très chronophages. Pour ce faire, des marchés publics seraient passés à l'échelle régionale.
Je note également que 2,9 millions d'euros sont prévus pour financer les conseils d'architecture, d'urbanisme et de l'environnement (CAUE), dont le modèle économique pourrait être menacé par le ralentissement de la taxe d'aménagement dans les années à venir.
Le statu quo prévaut sur les autres actions du programme.
Les crédits relatifs aux acquisitions des collections publiques restent ainsi stables à près de 10 millions d'euros, soit un niveau inchangé depuis 2017, en dépit de l'envolée des prix sur le marché de l'art. Cette ligne budgétaire pèse bien peu dans les acquisitions des grands musées nationaux, qui sont soumis à la concurrence de leurs homologues internationaux. En effet, pour enrichir leurs collections, les trente-et-un musées nationaux ont déboursé 111 millions d'euros en 2023, soit onze fois plus que le montant budgété. Pour cela, ils ont mobilisé d'autres sources de financement, au premier rang desquelles les libéralités et les dispositifs fiscaux incitant au mécénat.
Par ailleurs, 40 % de ces 10 millions sont destinés à l'enrichissement des collections publiques n'appartenant pas à l'État, parmi lesquels 1,8 million d'euros sont affectés aux fonds régionaux d'acquisition des musées et 2,2 millions d'euros aux acquisitions des musées des collectivités territoriales. Si les marges de manoeuvre sont bien minces, la piste d'une tarification différenciée pour les visiteurs extra-communautaires des grands musées pourrait changer la donne.
Les opérateurs publics de l'archéologie préventive font l'objet d'un même statu quo, y compris en ce qui concerne les revendications des services des collectivités territoriales. Ces derniers estiment que la réforme de 2023 du barème des indemnités versées au titre de leurs interventions ne suffit pas à compenser la hausse des coûts d'intervention résultant de la complexité technique croissante des diagnostics, ceux-ci étant de plus en plus souvent réalisés en zone urbaine. En conséquence, ils demandent que les indemnisations versées par l'État soient alignées sur le niveau de celles qui sont versées aux agents de l'Institut national de recherches archéologiques préventives (Inrap), ainsi qu'un montant minimal d'indemnisation de 10 000 euros pour toute opération réalisée.
Quant à l'Inrap, il alerte sur le fait que la dégradation de sa situation financière à cause des mesures salariales intervenues en 2023 et des annulations de crédits de 2024 pourrait entraîner une réduction de ses capacités opérationnelles.
Le ministère ne partage pas la même analyse. Mettant en avant la tendance à la réduction des diagnostics effectués par les services des collectivités territoriales, il estime que leur situation ne peut être comparée à celle de l'Inrap, qui a l'obligation d'intervenir en dernier ressort sur tout le territoire. Il indique par ailleurs qu'il se montrera attentif à ce que le niveau de prescription émanant des Drac ne conduise pas à mettre l'Inrap en difficulté.
Il m'est difficile de me forger une opinion sur la question dans le cadre de ce simple avis budgétaire. Compte tenu de l'importance du sujet pour tout l'écosystème d'aménagement de notre pays, j'appelle le ministère à engager un travail d'analyse approfondi au cours duquel il pourra dresser un bilan de la réforme du barème intervenue l'année dernière.
Sans surprise, j'en terminerai avec ce qui constitue, comme vous le savez, mon centre d'intérêt majeur en même temps qu'un immense impensé de ce budget des patrimoines : la rénovation énergétique du bâti patrimonial.
En effet, le PLF pour 2025 ne comporte aucune mesure d'aide spécifique à la rénovation énergétique du bâti patrimonial ancien. Par ailleurs, alors qu'une revue prochaine des aides dédiées à la rénovation énergétique du bâti ancien avait été annoncée au cours des travaux conduits par la mission d'information sur les ABF, il semble que les objectifs de maîtrise des finances publiques aient mis fin à cette ambition.
Pour ma part, j'estime indispensable d'accorder à cette thématique une place au sein de ce programme, ne serait-ce que pour s'assurer que les travaux de rénovation énergétique réalisés ne sont pas délétères pour le bâti ancien, et donc plus coûteux pour la collectivité au bout du compte. Je proposerai un amendement visant à intégrer les enjeux de la rénovation énergétique dans le dispositif Malraux, et j'invite tous ceux d'entre vous qui partagent cette préoccupation à le cosigner.
Mes auditions m'ont également permis de faire le point sur les travaux de mise en adéquation du diagnostic de performance énergétique (DPE) avec les spécificités des bâtiments anciens. Je suis heureuse de vous faire part de deux avancées majeures : l'ajout au QCM de sélection des diagnostiqueurs de questions portant sur le bâti ancien, qui a opportunément rendu cet examen plus sélectif ; l'achèvement de la rédaction de guides nationaux, qui devraient être disponibles dans les prochains mois. Le ministère de la culture est par ailleurs très mobilisé pour enrichir la bibliothèque des matériaux disponibles sur la plateforme de diagnostic.
Malheureusement, mon enthousiasme a été tempéré - et le mot est faible - par mes échanges avec les services du ministère de la transition écologique. Si les choses ne progressent pas davantage au cours des prochains mois, il me semble que nous pourrions envisager de nous inspirer du modèle belge, où il existe une filière de diagnostiqueurs spécialisés dans le bâti patrimonial disposant d'un agrément spécifique. Il s'agit le plus souvent d'architectes ou d'ingénieurs à haut niveau de formation, auxquels les propriétaires peuvent choisir de recourir - pour des tarifs, bien entendu, plus élevés. Sans être idéale, cette solution aurait au moins le mérite d'offrir une solution aux propriétaires de bâtiments anciens, qui se trouvent lésés par le système actuel.
Telles sont les observations dont je souhaitais vous faire part. Sur le patrimoine, les crédits ne sont jamais à la hauteur des besoins. Toutefois, comme la plupart des personnes que j'ai auditionnées, j'ai été soulagée de la préservation initiale des crédits, et plus rassurée encore par l'annonce de l'amendement gouvernemental, dont l'adoption permettra de poursuivre plusieurs grands chantiers engagés.
Je vous propose donc de donner un avis favorable à l'adoption des crédits du programme 175. Si l'essentiel devrait être préservé en 2025, il faudra être vigilant quant aux mesures affectant nos territoires. À l'heure du resserrement budgétaire, les compétences non obligatoires des collectivités territoriales, dont fait partie le patrimoine, seront les premières à être sacrifiées.
Mme Marie-Pierre Monier. - Je vous remercie de tout le travail que vous réalisez sur le patrimoine, en général, et, en particulier, sur cette question des DPE et du bâti ancien.
Les échanges avec le ministère de la transition écologique ont en effet été très décevants et inquiétants. Nous ressentons une volonté de bouger, mais celle-ci ne se traduit ni dans le PLF ni dans les propos qui nous sont tenus. Il convient donc de se mobiliser à l'échelle de la commission. Globalement je partage l'ensemble de vos analyses.
Dans un contexte marqué par une restriction des dépenses publiques, le programme 175 n'échappe pas à une logique austéritaire. Cette année, nous examinons le budget dans des conditions particulières. Des bleus budgétaires nous ont été soumis, mais on ne cesse de nous annoncer des évolutions de crédits, à la hausse ou à la baisse. Il est très difficile de travailler dans ces conditions.
Les CP de ce programme stagnent ; ils baissent même légèrement en euros constants, tandis que les AE subissent une baisse significative de 23,6 % par rapport à 2024. Rappelons que ce programme avait subi en février dernier une coupe budgétaire de 99,5 millions d'euros sur les crédits initialement programmés pour 2024.
Cette évolution budgétaire défavorable s'inscrit dans un contexte où la hausse des prix de l'énergie continue d'affecter le secteur du patrimoine et où les coupes budgétaires programmées sur les budgets des collectivités territoriales risquent d'avoir des répercussions en cascade sur la revalorisation et la sauvegarde du patrimoine.
Certes, la ministre nous a annoncé lors de son audition avoir préparé un amendement pour rehausser les crédits du programme de 300 millions d'euros en autorisations d'engagement et 200 millions en crédit de paiement. Il s'agit d'une bouffée d'air bienvenue, mais aussi d'un aveu de reconnaissance de la très grande fragilité du budget consacré à notre patrimoine. Nous manquons de visibilité sur la manière dont ces crédits seront fléchés, mais 55 millions d'euros devraient être destinés aux monuments historiques en région, 23 millions d'euros pour les musées dans les territoires et 8 millions d'euros pour les musées en ruralité. Nous devons porter une attention particulière à la vitalité culturelle de nos territoires.
L'action n° 1 « Monuments historiques et patrimoine monumental » accuse une baisse de crédits de 7,33 % en AE et de 3,53 % en CP. Quelque 394 millions d'euros sont mobilisés en CP pour financer l'entretien et la restauration des monuments historiques, en baisse par rapport à 2024, ce qui est inquiétant.
Les crédits de l'action n° 2 « Architecture et sites patrimoniaux » sont en stagnation à 0,7 %, ce qui constitue une baisse en euros constants.
Je me réjouis que vous ayez appelé notre attention sur une disposition de la loi relative à la liberté de la création, à l'architecture et au patrimoine, dite loi LCAP, que nous avons votée : la création des sites patrimoniaux remarquables. Cela a permis une simplification importante, dans la mesure où nous avons supprimé les zones de protection du patrimoine architectural, urbain et paysager (ZPPAUP) et les aires de mise en valeur de l'architecture et du patrimoine (Avap). Encore faut-il que les communes aient les moyens de les mettre en place. Or le budget pour 2025 ne prévoit pas de crédits supplémentaires par rapport aux 9,9 millions d'euros, ce qui empêche une montée en puissance du dispositif.
Par ailleurs, les travaux que j'ai menés avec Pierre-Jean Verzelen ont montré que les architectes des bâtiments de France sont en sous-effectifs au regard des dossiers qu'ils doivent traiter. Je vous rappelle que le nombre d'avis rendus par ces derniers entre 2013 et 2023 a augmenté de 63 %, ce qui engendre une surcharge de travail au détriment de leur mission de conseil et d'accompagnement des élus. C'est pourquoi je proposerai un amendement visant à recruter un ABF supplémentaire par département.
L'action n° 3 « Patrimoine des musées de France » fait l'objet d'une forte baisse en AE et d'un léger mieux en CP. Les subventions aux musée nationaux augmentent de manière modique, alors que leur fréquentation a augmenté.
La trajectoire de l'action n° 4 « Acquisition et enrichissement des collections publiques » est quant à elle inquiétante : les crédits sont inchangés après des années de stagnation, dans un contexte d'inflation du marché de l'art et de forte concurrence internationale.
Enfin, j'ai été contactée par l'Inrap au sujet des crédits de l'action n° 9 « Patrimoine archéologique », qui déplore l'insuffisance du niveau de subventions pour charges de service pour réaliser les diagnostics archéologiques préventifs. En découle un allongement potentiellement conflictuel des durées d'aménagement, qui poserait des difficultés aux élus locaux.
Compte tenu de ces remarques, nous nous abstiendrons sur ce programme.
Mme Else Joseph. - Madame la rapporteure, je vous remercie de ces éléments argumentés, équilibrés et tempérés. Comme cela a été dit, nous examinons ces crédits dans un contexte très compliqué, dans lequel nous ne disposons d'aucune marge de manoeuvre.
Lors d'examen de l'avis budgétaire sur le même programme il y a un an, nous avions souligné la nécessité d'appuyer les communes, qui sont livrées à elles-mêmes en ce qui concerne le patrimoine non protégé et font face à des problèmes d'ingénierie. Pourtant, je constate qu'aucun effort n'est fourni à cet égard, dans un contexte budgétaire contraint, ce qui risque d'avoir des conséquences dramatiques pour les collectivités locales.
Ces dernières années, les membres de cette commission n'ont cessé d'appeler au renforcement de l'action des collectivités territoriales en matière de rénovation et de protection du patrimoine. Ce volet mérite d'être renforcé.
Comment aider les communes à agir dans le domaine du patrimoine ? Comment préserver leur marge d'action ?
Enfin, je partage les inquiétudes exprimées, en particulier en ce qui concerne l'acquisition des collections muséales et la collecte lancée l'an dernier par le Président de la République auprès des particuliers pour restaurer les milliers d'édifices religieux en péril.
Nous suivrons l'avis de notre rapporteure sur ces crédits.
M. Pierre Ouzoulias. - Je vous remercie du travail très pointu que vous avez réalisé, dont émerge une stratégie qui est complètement absente de l'ambition ministérielle.
Comme vous le dites très justement, nous ne savons pas ce qu'il advient du plan pour la ruralité, pourtant très intéressant. Est-il abandonné ? Est-il remis à plus tard ? Les 200 millions de crédits de paiement supplémentaires y seront-ils consacrés ? Nous l'ignorons.
Il faut obliger le ministère de la culture à réfléchir à une question fondamentale que nous nous sommes posée, Anne Ventalon et moi-même, en réalisant le rapport d'information intitulé Patrimoine religieux en péril : la messe n'est pas dite. Les services déconcentrés de l'État sont-ils encore en mesure d'assurer l'aide à la maîtrise d'ouvrage et l'ingénierie dont ont besoin les collectivités ? Les services du ministère nous ont répondu par la négative à plusieurs reprises. Nous devons en prendre acte et trouver des solutions. Nous avions par exemple proposé de passer par les CAUE. Nous devons mettre le ministère face à ses engagements et le pousser à réfléchir à une nouvelle organisation.
Le fait que les services déconcentrés s'occupent exclusivement du patrimoine classé ne me pose pas de problème, mais des structures doivent prendre en charge le reste du patrimoine. Il s'agissait de la vocation initiale de la Fondation du patrimoine. Celle-ci devait être bâtie sur le modèle des trusts britanniques, mais elle n'a jamais disposé de ressources comparables.
Au sujet de l'instauration d'un droit d'entrée pour visiter Notre-Dame de Paris, je voudrais revenir sur les propos de la ministre, qui a, à plusieurs reprises, cité l'exemple du patrimoine religieux italien. Celui-ci représente 100 000 édifices, dont la visite est payante pour seulement 75 d'entre eux, et encore, elle n'est payante que dans le cas d'une visite particulière dans les deux tiers des cas. Il ne s'agit pas d'un contre-exemple à la situation française. J'ai compris que la ministre compte profiter de la réouverture de Notre-Dame de Paris, qui va bien entendu attirer un grand nombre de personnes, pour permettre au Centre des monuments nationaux d'augmenter son circuit de visites. L'épiscopat s'y opposant, nous devrions refermer le dossier.
Je ne peux pas m'empêcher de me demander si cette manoeuvre ne vise pas en réalité à combler le manque de recettes lié à la baisse de fréquentation du Mont-Saint-Michel, mais surtout au coût de la Cité internationale de la langue française de Villers-Cotterêts, qui représente une charge supplémentaire non compensée pour le Centre des monuments nationaux, comme nous l'avons souligné à plusieurs reprises.
Par ailleurs, une ambiguïté existe dans la législation française entre un article de la loi de 1905, qui interdit toute visite privée d'un monument classé, et un autre du code général de la propriété des personnes publiques, qui permet de telles visites. Un travail législatif doit être mené pour redonner de la cohérence à une stratigraphie législative, qui en est actuellement dépourvue.
Enfin, l'archéologie préventive fait les frais des mesures gouvernementales sur la non artificialisation des sols. Si les élus ne peuvent plus construire sur des terrains qui se trouvent en dehors des centres urbains médiévaux et antiques, ils sont obligés de concentrer les travaux sur les centres-villes, où le patrimoine archéologique est bien plus important. Il s'agit d'une charge supplémentaire en matière de diagnostic et de fouilles. Le ministère de la culture devra envisager une autre configuration de l'Inrap pour s'adapter à la réalité de l'aménagement du territoire. Par ailleurs, l'Inrap a longtemps compté sur les grands programmes autoroutiers pour conforter sa masse financière. Or ceux-ci ont presque tous disparu.
Comme souvent au sein de cette commission, nous constatons un manque de réflexion de la part du ministère de la culture sur l'évolution de ses missions.
Pour toutes ces raisons, nous nous abstiendrons sur l'adoption des crédits de ce programme, malgré l'excellent travail de Mme la rapporteure, que je remercie de sa volonté de dessiner une politique et un horizon au nom de la commission de la culture.
Mme Sonia de La Provôté. - Je vous remercie également de votre excellent rapport, qui dresse un état des lieux très complet à la fois du budget du patrimoine et de la politique du ministère en matière de patrimoine.
J'insisterai sur ce que vous avez appelé la stabilisation budgétaire en trompe-l'oeil, du fait de la décorrélation entre les crédits et les besoins qui vont croissant dans les territoires. Cette situation découle de plusieurs exercices budgétaires durant lesquels l'entretien a été quelque peu négligé. Or l'entretien est une forme de prévention, qui limite in fine les dépenses des communes.
Par ailleurs, les Drac, faute de temps pour se déplacer au chevet du patrimoine de toutes les communes auxquelles elles sont affectées, ne sont pas en mesure de piloter l'entretien des édifices dans le temps. Aussi les interventions sont-elles bien souvent réalisées dans l'urgence, moyennant des sommes colossales que les communes pourront de moins en moins assumer.
Nous demandons depuis des années d'inventorier le bâti patrimonial, classé ou non. La ministre a de nouveau souligné cette nécessité. Faute de bien connaître notre patrimoine, nous ne sommes pas en mesure de prévenir les problèmes.
Pour répondre à l'immensité des besoins dans les territoires, le seul fonds à la main des collectivités est le FIP, mais celui-ci, comme l'entretien, est réduit à la portion congrue dans ce budget. Pourtant, ce fonds constitue peut-être la meilleure porte d'entrée pour entretenir le patrimoine non classé.
Tout cela renforce le sentiment d'une centralisation des crédits de l'État autour des grands monuments - auxquels la rallonge budgétaire devrait d'ailleurs être consacrée -, qui irrigue de moins en moins le patrimoine à mesure que l'on s'éloigne des grands centres urbains. Nous devons alimenter ce FIP pour qu'il joue au moins son rôle d'orientation ministérielle.
Enfin, l'action n° 2 « Architecture et sites patrimoniaux » est fort peu valorisée, alors qu'elle est un outil de préservation du patrimoine dans les territoires dont le ministère devrait s'emparer pour développer une réelle stratégie patrimoniale.
Nous ne pouvons que soutenir ce rapport budgétaire ; il met en exergue la nécessité de porter une réelle vision sur le patrimoine, qui est notre marque de fabrique, notre histoire et probablement notre avenir.
Mme Monique de Marco. - Je remercie moi aussi Mme la rapporteure de son excellent travail.
Dans ce contexte d'austérité budgétaire, la rallonge annoncée par la ministre est certes bienvenue, mais je ne pense pas qu'elle nous permette de faire face au mur d'investissement qui se trouve devant nous.
J'ai écouté avec attention les analyses et l'état des lieux dressés sur ce programme, qui m'a semblé plutôt critique, à tel point que j'ai presque été surprise de vous entendre émettre un avis positif.
Pour notre part, nous nous abstiendrons sur l'adoption de ces crédits.
Mme Béatrice Gosselin. - À mon tour de vous remercier de cet excellent rapport, très précis.
J'abonderai dans le sens de Sonia de La Provôté, les lignes budgétaires du programme 175 me semblent insuffisamment définies, ce qui fait craindre aux professionnels du patrimoine une politique générale et centralisée, laissant de côté les édifices disséminés partout sur le territoire. Je le signale bien que ces aides ne figurent pas dans le programme, ces derniers s'inquiètent également des aides relatives à l'apprentissage, qui ne sont plus à la hauteur.
En outre, nous savons qu'un euro investi pour préserver le patrimoine engendre 21 euros de recettes touristiques.
Je partage les inquiétudes de notre rapporteure ; nous devrons nous montrer vigilants.
Mme Catherine Morin-Desailly. - Lors du salon du patrimoine, nous avons été interpellés par le Groupement des entreprises de restauration des monuments historiques, inquiet du niveau de financement des travaux patrimoniaux et des conséquences négatives qui pourraient en découler pour l'emploi et le travail des entreprises. Pouvez-vous nous rassurer à cet égard, madame la rapporteure ?
Mme Sabine Drexler, rapporteure pour avis. - Je vous remercie de l'intérêt que vous portez à ces questions.
Marie-Pierre Monier, je suis d'accord avec vos remarques sur ces questions que vous connaissez bien, notamment en ce qui concerne l'ingénierie. Les chiffres que vous avez retenus sont les bons. Les crédits à destination des collectivités méritent d'être renforcés, car ces dernières ne sont plus en mesure d'assumer le coût des travaux de rénovation. Même les travaux de sécurisation et d'entretien minimaux sont difficiles à assurer.
Pierre Ouzoulias, le « zéro artificialisation nette » (ZAN), qui est l'une des conséquences de la loi du 22 août 2021 dite Climat et Résilience, bouleverse en effet les opérations d'archéologie préventive, et je crois comme vous qu'il est à présent temps de réaliser un travail de fond sur les missions d'archéologie préventive.
Par ailleurs, vous déplorez l'absence de vision à long terme sur le patrimoine et vous interrogez sur la destination des crédits supplémentaires et sur le déficit d'ingénierie, en particulier sur le patrimoine non classé - Sonia de la Provôté a également soulevé ce problème. Le plan Culture et ruralité comportait quelques propositions à cet égard, notamment celle d'affecter des architectes dans les Drac rurales pour leur simplifier la tâche.
L'idée d'instaurer une entrée payant pour visiter Notre-Dame de Paris met au jour les problèmes criants que rencontrent d'autres monuments nationaux, comme le Mont-Saint-Michel. Pour l'instant, cette éventualité ne concerne pas d'autre monument.
M. Pierre Ouzoulias. - Cela viendra !
Mme Sabine Drexler, rapporteure pour avis. - Nous devrons nous montrer vigilants.
Sonia de la Provôté, vous insistez sur la nécessité d'entretenir le patrimoine pour éviter des interventions plus coûteuses par la suite, ainsi que sur l'importance d'inventorier le patrimoine non protégé. Ce dernier est particulièrement fragile, car nous ne le connaissons pas. Ses propriétaires ne sont pas toujours informés des travaux à réaliser. Nous devons absolument réfléchir à ces sujets au sein de la commission et les faire avancer.
Monique de Marco, il est clair que les crédits ne permettront pas de faire face au mur d'investissement.
Béatrice Gosselin, je partage votre préoccupation sur l'apprentissage. Des gestes si précieux pour la préservation du patrimoine sont en train de disparaître avec les métiers qui les cultivent. Même dans les territoires qui peuvent engager des moyens importants, les artisans ont du mal à répondre à la demande. Il convient de redonner leurs lettres de noblesses aux métiers du patrimoine. Ils le méritent, comme nous avons eu l'occasion de le constater lors du salon du patrimoine.
Else Joseph, les petites communes sont en effet prises à la gorge. C'est désolant, mais elles ne sont même plus en mesure de réaliser des travaux strictement nécessaires sur leur église.
Pour conclure, nous avons dressé un bilan amené à évoluer en fonction de l'adoption de l'amendement gouvernemental, qui rebattra les cartes. Nous devons être attentifs à l'affectation des crédits et tout faire pour que ces derniers soient fléchés sur les points de faiblesse que nous avons identifiés, en particulier le patrimoine des territoires et l'ingénierie. Nous devons nous montrer imaginatifs et soutenir de nouveaux moyens de financement, voire participer à leur élaboration.
La commission émet un avis favorable à l'adoption des crédits du programme 175 « Patrimoines » au sein de la mission « Culture » du projet de loi de finances pour 2025.
La réunion est close à 11 h 45.