Jeudi 7 novembre 2024

- Présidence de M. Stéphane Piednoir, sénateur, président -

La réunion est ouverte à 9 h 05.

Audition conjointe de l'Autorité de sûreté nucléaire (ASN) et de l'Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire (IRSN) sur la mise en oeuvre de la réforme de l'organisation de la sûreté nucléaire

M. Stéphane Piednoir, sénateur, président de l'Office. - Nous avons le plaisir d'accueillir M. Bernard Doroszczuk, président de l'Autorité de sûreté nucléaire (ASN), M. Jean-Christophe Niel, directeur général de l'Institut de radioprotection et de sécurité nucléaire (IRSN), et M. Pierre-Marie Abadie, futur président de l'Autorité de sûreté nucléaire et de radioprotection (ASNR).

L'Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques (OPECST) a souhaité organiser une audition conjointe de l'ASN et de l'IRSN consacrée à la mise en place de la nouvelle organisation de la sûreté nucléaire de notre pays, à quelques semaines de l'échéance du 1er janvier 2025 fixée par la loi du 21 mai 2024 relative à l'organisation de la gouvernance de la sûreté nucléaire et de la radioprotection pour répondre au défi de la relance de la filière nucléaire.

Cette loi prévoit de réunir les activités de l'ASN et, pour une large part, celles de l'IRSN, au sein d'une nouvelle autorité ayant le statut d'autorité administrative indépendante, chargée du contrôle et de l'instruction des dossiers de sûreté et de radioprotection, ainsi que de la conduite de travaux de recherche dans ce domaine.

Depuis sa création en 1983, l'OPECST a dans son coeur de métier le suivi de la sûreté nucléaire, sujet essentiel. C'est l'Office qui a inspiré chacune des réformes de la gouvernance de la sûreté nucléaire dans notre pays. C'est l'Office qui a pesé sur la loi du 21 mai dernier, grâce aux recommandations du rapport qu'il a adopté le 11 juillet 2023, dont Jean-Luc Fugit et moi-même étions co-rapporteurs.

Plusieurs suggestions du rapport de l'Office figuraient dans le projet déposé par le Gouvernement ou y ont été ajoutées par voie d'amendements parlementaires votés par les deux assemblées avant le vote final. C'est dire si la mise en place de la sûreté nucléaire reste une priorité pour l'Office et pour nombre d'entre nous.

Certaines dispositions de cette loi concernent plus particulièrement l'OPECST.

Nous continuerons d'entendre chaque année l'Autorité de sûreté nucléaire qui, conformément à la loi, doit rendre public son rapport annuel sur l'état de la sûreté nucléaire en France, devant l'Office. C'est pour nous un moment très important et très suivi par les parlementaires membres de l'Office. Ces dernières années, les problèmes de soudure de l'EPR de Flamanville et de corrosion sous contrainte ont d'abord été évoqués lors de ces auditions annuelles, avant d'être plus rigoureusement approfondis lors d'auditions spécifiques de l'Office.

La loi prévoit aussi que l'Office devra se voir présenter le projet de règlement intérieur de l'ASNR, ainsi que ses modifications subséquentes éventuelles. C'est un document que nous attendons pour les prochaines semaines et sur lequel nous porterons un regard très attentif.

L'Office devra également être destinataire, chaque année, des programmes de recherche de l'ASNR. Il devra être informé, comme le Haut Comité pour la transparence et l'information sur la sécurité nucléaire (HCTISN), des sujets sur lesquels une association du public sera organisée, ainsi que des principaux résultats des programmes de recherche menés par l'ASNR.

Cette rapide description du contexte montre l'importance majeure de cette audition, que j'ai tenu à organiser dans les circonstances que vous connaissez. L'Office a été évidemment affecté par la dissolution de l'Assemblée nationale et a dû suspendre ses travaux jusqu'au renouvellement de la moitié de ses membres.

Nous souhaitons que l'audition confirme qu'il n'y aura pas de rupture dans le suivi et le contrôle de la sûreté nucléaire au cours des prochaines semaines. Nous souhaitons également que les acteurs de cette réforme - dont vous êtes, chacun dans votre rôle, les responsables - nous confirment que l'objectif visé par la loi, c'est-à-dire répondre dans de bonnes conditions au défi de la relance de la filière nucléaire, est bien pris en compte dans la mise en place de la future ASNR.

Je précise que cette audition est diffusée en direct sur le site de l'Assemblée et qu'elle pourra ensuite être regardée en vidéo à la demande sur les sites de nos deux assemblées. Les internautes qui le souhaitent ont la possibilité de poser des questions en direct sur la plateforme dédiée. Le premier vice-président Pierre Henriet et moi-même nous efforcerons de poser certaines des questions qui nous seront transmises.

M. Pierre Henriet, député, premier vice-président de l'Office. - Je veux tout d'abord saluer l'opportunité qui est donnée à nos invités de pouvoir présenter devant l'Office les deux rapports préparés par le Gouvernement sur l'avancement des travaux préparatoires à la création de l'ASNR ainsi que sur les ressources de l'Autorité, sujet que j'ai évoqué il y a quelques jours en commission des finances, en tant que rapporteur spécial du budget de la recherche.

Il serait intéressant de consacrer du temps aux moyens financiers et humains prévus pour cette fusion, qui conditionnent sa bonne réalisation, afin que l'ensemble des missions confiées à la nouvelle ASNR soient mises en place le plus efficacement possible et que notre modèle de sûreté nucléaire soit toujours en avance par rapport aux autorités homologues à l'étranger.

Des organisations syndicales ont demandé à être auditionnées. Je rappelle que l'Office n'est ni la commission des affaires économiques ni celle de l'aménagement du territoire et du développement durable. Il a vocation à se pencher sur les enjeux scientifiques et technologiques des choix publics, même s'il en regarde de près les enjeux sociaux grâce aux missions d'information, aux rapports budgétaires et à tous les travaux des commissions permanentes de l'Assemblée nationale et du Sénat.

D'ailleurs, monsieur le futur président, la loi du 21 mai 2024 prévoit qu'au plus tard le 1er juillet 2025, l'ASNR « évalue les moyens prévisionnels humains, techniques et financiers qui lui sont nécessaires dans les cinq années suivant l'entrée en vigueur [de la loi] pour exercer ses missions dans le nouveau contexte nucléaire ainsi que les mesures indispensables pour assurer l'attractivité des conditions d'emploi de ses personnels sur le marché du travail dans le domaine du nucléaire » ; elle doit présenter ses propositions au Gouvernement et à l'Office, en lien avec les commissions permanentes compétentes de l'Assemblée nationale et du Sénat. Il faudra donc organiser pour la présentation de cette évaluation un événement commun avec les commissions permanentes de l'Assemblée et du Sénat concernées, ce qui permettrait de traiter de ces enjeux conformément à la loi qui a été votée.

M. Bernard Doroszczuk, président de l'ASN. - Monsieur le président, je souscris à vos propos liminaires sur l'importance de ce rendez-vous pour faire un point de situation sur la mise en place de l'ASNR. Je suis accompagné de tous les membres du collège de l'ASN et de Daniel Delalande, directeur général adjoint chargé des fonctions support.

J'évoquerai d'abord les actions entreprises par le collège de l'Autorité de sûreté nucléaire au titre des dispositions de l'article 16 de la loi du 21 mai 2024. Celui-ci prévoit que le collège de l'Autorité de sûreté nucléaire peut consulter le comité social d'administration de l'ASN et, par le biais du directeur général de l'IRSN, le comité social et économique de cet institut sur un projet de décision relatif à l'organisation et au fonctionnement des services de l'ASNR ainsi que sur un projet de règlement intérieur pour cette même autorité. Le collège de l'ASN a donc élaboré un projet d'organisation des services qu'il a soumis le 20 juin dernier à l'avis des instances sociales de l'ASN et de l'IRSN. Compte tenu du délai limité entre la promulgation de la loi et la création de l'ASNR, le projet d'organisation que nous avons proposé vise à mettre en place le 1er janvier 2025 une organisation transitoire, en privilégiant une stabilité fonctionnelle et géographique qui assure la continuité des activités et des missions dans l'attente de la définition d'une organisation cible.

L'organisation que nous avons proposée prévoit une direction générale unifiée, le maintien en l'état et la juxtaposition des entités coeur de métier des deux organisations en matière de recherche, d'expertise, d'instruction et de contrôle, et enfin, un rapprochement, au sein d'entités nouvelles, des personnels exerçant des fonctions support, transverses et de pilotage.

Le projet d'organisation au 1er janvier 2025 ne modifie donc pas les directions métiers de la sûreté, de la radioprotection et de l'environnement, qui se connaissent, qui ont l'habitude de travailler ensemble, suivant des modes de relation et des processus établis dans le cadre d'une programmation réalisée en commun. Ce projet d'organisation transitoire conduit à limiter les évolutions au 1er janvier 2025. Il n'implique pas de changement de mission des personnels concernés, même au sein des directions support. Seules quelques dizaines de personnes à l'échelle de l'ASNR, qui en emploiera plus de deux mille, verraient leur poste reconfiguré. Aucune activité ne disparaît.

Les instances représentatives des personnels de l'IRSN et de l'ASN ont rendu leur avis sur le projet, respectivement le 12 septembre et le 16 septembre dernier. À la suite de ces avis, le collège a finalisé un projet de décision d'organisation des services au 1er janvier 2025. Ce projet, communiqué aux personnels le 7 octobre, servira de base au travail pour le pré-positionnement du personnel dans la future entité, lequel est engagé et va se poursuivre. L'objectif est que l'ensemble des personnels connaissent leur affectation au plus tard d'ici à fin novembre.

Parallèlement à ce travail sur l'organisation, le collège de l'ASN a établi un avant-projet de règlement intérieur qui intègre les dispositions de la loi en termes de délégations de pouvoir, de mise en place d'un comité d'éthique et de déontologie ainsi que d'un comité scientifique. Il prévoit les modalités de distinction et d'interaction entre les personnels chargés des activités d'expertise et les personnels chargés de la décision. Il prévoit enfin les modalités de publication des résultats d'expertise et des avis des groupes permanents d'experts.

Cet avant-projet de règlement intérieur a été soumis à l'avis des instances représentatives des personnels de l'ASN et de l'IRSN, le 17 octobre dernier. Leur avis est attendu pour mi-décembre. Au vu de ces avis, un projet de règlement intérieur sera établi et vous sera présenté par le collège de l'ASNR en janvier 2025, conformément aux dispositions de l'article 5 de la loi du 21 mai 2024. En l'attente de son adoption, le règlement intérieur de l'ASN restera applicable postérieurement au 1er janvier et vaudra règlement intérieur de l'ASNR, comme le prévoit l'article 16 de la loi.

Le second point de mon propos liminaire concerne le projet de loi de finances (PLF) pour 2025 et la création du programme 235 relatif à la sûreté nucléaire et à la radioprotection, qui accompagne la création de l'ASNR.

La création d'un tel programme était une revendication récurrente de l'ASN depuis quelques années, afin de rendre plus lisibles et plus visibles pour les parlementaires et le public les efforts consentis par l'État et le Parlement au profit du contrôle de la sûreté nucléaire et de la radioprotection.

À ce stade des discussions, la situation budgétaire de la future ASNR n'est pas encore consolidée. Des craintes subsistent quant aux moyens dont elle disposera. Je tiens à remercier les parlementaires qui nous ont apporté leur soutien et ont déposé des amendements visant à corriger les insuffisances criantes des propositions faites. Trois points restent insatisfaisants.

Pour l'ASN, dont le budget a supporté une partie des dépenses de 2024 pour la préfiguration de l'ASNR, non prévues dans la loi de finances pour 2024, un déficit de 1,3 million d'euros en crédits hors titre 2 subsiste en fin de gestion 2024, sans qu'aucune solution ne soit encore apparue pour le combler.

Le programme 235 du PLF 2025 est sous-doté, à la fois en crédits de titre 2, pour les personnels, et en crédits hors titre 2. La dotation des crédits de personnel est trop faible et elle devrait être rehaussée, à schéma constant d'emplois engagés, d'au moins 3,2 millions d'euros pour couvrir les mesures d'accompagnement de la mise en place de la réforme et opérer un correctif de l'évaluation initiale.

Mais le point le plus sensible reste celui des dotations hors titre 2 pour le fonctionnement, l'investissement et les interventions. Nous évaluons un manque de crédits de 19,4 millions d'euros sur une dotation globale estimée nécessaire de 158,1 millions d'euros, soit 12,5 %. Ces crédits sont indispensables au bon fonctionnement de l'Autorité dès la première année. La première année qui suit une réforme, non seulement il n'y a pas d'économies possibles, mais il y a un besoin de dépenses supplémentaires pour accompagner sa mise en place.

Les crédits de fonctionnement et d'investissement couverts par l'enveloppe hors titre 2 représentent plus de 90 % des dépenses incompressibles. En termes d'investissement et de fonctionnement, ces crédits correspondent aux programmes de recherche partenariale pluriannuels engagés par l'IRSN. Il paraîtrait déraisonnable et non soutenable que l'enveloppe de crédits de fonctionnement et d'investissement ne soit pas rehaussée au niveau nécessaire pour mettre en place de manière satisfaisante l'ASNR au 1er janvier 2025.

Le statut fiscal de la future ASNR, notamment son assujettissement à la TVA, qui reste à arbitrer, pourrait, selon le Gouvernement, combler une partie du déficit, mais sans aucune assurance à ce stade. Si tel était le cas, cela ne pourrait se faire qu'au prix d'une complexité accrue des systèmes de gestion. Il faudrait maintenir deux systèmes pour pouvoir, d'un côté, gérer l'assujettissement à la TVA et, de l'autre côté, interagir avec le système financier de l'État Chorus. Ce n'est pas une solution satisfaisante.

M. Jean-Christophe Niel, directeur général de l'IRSN. - C'est un honneur d'être auditionné par l'Office. J'interviens en équipe avec Karine Herviou, directrice générale adjointe chargée de la sûreté nucléaire, Jean-Christophe Gariel, directeur général adjoint chargé de la santé et de l'environnement, Patrice Deschamps, directeur adjoint de la stratégie, et Emmanuelle Mur, qui assure les relations avec vous et vos équipes. De fait, la sûreté nucléaire se construit dans un collectif.

L'Office ayant été partiellement renouvelé, je rappelle en préambule qu'avant d'être nommé directeur général de l'IRSN en 2016 et renouvelé en 2021, j'ai été pendant dix ans directeur général de l'ASN.

L'IRSN, établissement public scientifique et technologique chargé de l'évaluation des risques radiologiques et nucléaires, emploie 1 800 personnes, experts, chercheurs et chargées des domaines fonctionnels et support. L'activité de l'IRSN se répartit entre 25 à 30 % d'appui à l'ASN, 40 % de recherche et 30 % pour des activités de surveillance et d'appui à d'autres autorités : l'Autorité de sûreté défense, les ministères chargés de la santé, de l'environnement, de la défense ou des affaires étrangères, élément important dans une période de guerre en Ukraine qui affecte des installations nucléaires. Ce volant de prestations qui va perdurer dans la nouvelle organisation conduit à s'interroger sur l'assujettissement à la TVA, qui est lié à l'activité réalisée et non au statut des entités qui les réalisent. Je rappelle que l'ensemble des rapports de contrôle et d'audit, y compris des instances parlementaires, ont conclu au bon fonctionnement du système actuel et que l'IRSN avait toujours bien rempli ses missions.

Lorsque nous parlons de l'application de la loi du 21 mai 2024 relative à l'organisation de la gouvernance de la sûreté nucléaire et de la radioprotection pour répondre au défi de la relance de la filière nucléaire, nous parlons bien de la prévention de l'accident nucléaire ou radiologique et pas uniquement d'un processus budgétaire et administratif. D'ailleurs le rapport de l'Office paru en juillet 2023 évoquait le risque de faire apparaître ce projet comme un Mécano administratif.

Cette réorganisation représente trois chantiers à conduire d'ici la fin de l'année. Le premier est la création de l'ASNR, qui regroupera 1 600 salariés de droit privé de l'IRSN et 500 fonctionnaires de l'ASN. Le deuxième est le transfert de l'activité de dosimétrie passive de l'IRSN au Commissariat à l'énergie atomique et aux énergies alternatives (CEA). Le troisième est le transfert de l'expertise de défense de l'IRSN au ministère des armées, sachant que les personnels concernés seraient mis à la disposition du CEA pour être reversés au ministère des armées.

De fait, la disparition de l'IRSN au 31 décembre implique un quatrième chantier important, celui de la « fermeture » de l'IRSN. La Cour des comptes devrait se pencher sur ce mécanisme complexe d'intégration d'un établissement public industriel et commercial (EPIC), l'IRSN, au sein de l'État.

La nouvelle structure, l'ASNR, sera unique à plusieurs titres. Autorité administrative indépendante, elle sera, au niveau international, une autorité de sûreté faisant de la recherche. Or si nombre d'autorités de sûreté financent des recherches, aucune n'en fait.

Votre rapport et vos introductions respectives, monsieur le président et monsieur le premier vice-président, montrent l'intérêt, la motivation et la volonté de votre Office de suivre la mise en place de cette réforme visant à la relance de la filière nucléaire, dont je soulignerai les enjeux.

Il s'agit du maintien des activités de recherche, mentionné dans votre rapport. Il s'agit de la capacité de gérer les crises nucléaires et radiologiques dans le domaine civil ou de la défense. Il s'agit d'assurer la séparation entre l'expertise et la décision, ce qui a fait l'objet de nombreuses discussions et que doit traduire l'élaboration du projet de règlement intérieur auquel le collège de l'ASN a travaillé. Il s'agit d'assurer la cohérence entre la sûreté nucléaire civile et la sûreté nucléaire de défense, la poursuite de l'interaction avec la société civile et la transparence. Enfin, parce que tout cela repose sur des gens compétents et impliqués, il faut maintenir l'attractivité et la capacité à fidéliser les personnels.

La loi appelle un cadre réglementaire et prévoit quatorze décrets. Huit doivent être examinés par le Conseil d'État, dont l'un relatif au transfert des biens, droits et obligations de l'IRSN vers l'État et le CEA. Il s'agit notamment des contrats de vente, accords et partenariats, soit 1 300 contrats ou marchés d'achat et 5 300 biens mobiliers et immobiliers, ce qui nécessite un décret et un arrêté assorti d'une description précise. Un autre décret porte sur la mise en place des instances transitoires de dialogue social prévues par la loi. À la création de l'ASNR, les instances existantes disparaissent et l'instauration d'un dialogue social est nécessaire pour construire les futures instances de dialogue social.

Il convient de prévoir le transfert des activités des salariés de l'IRSN vers le CEA et le ministère des armées, donc un décret sur les conditions d'exercice d'activités rémunérées par l'ASNR. Lors du débat parlementaire, le maintien des activités rémunérées a été considéré comme nécessaire, position que soutient l'IRSN, ce qui nécessite un encadrement juridique.

Enfin, la loi conduit à modifier le code de la santé publique et le code du travail. L'activité de radioprotection étant régie par ces deux codes, des décrets sur ce sujet sont nécessaires. Un projet de décret a été transmis au Conseil d'État. Les autres sont en cours de rédaction.

À cela s'ajoutent des sujets relatifs à l'organisation et au fonctionnement de la future entité, qui ont motivé la mise en place de groupes de travail réunissant, selon les cas, des représentants de l'IRSN, de l'ASN, du CEA, du ministère des armées et d'un grand nombre d'administrations. Il s'agit de traiter l'articulation entre expertise, instruction et décision, la gestion de crise - donc des sujets métier - et des sujets fonctionnels et support comme les systèmes d'information, les ressources humaines, la gestion budgétaire comptable et financière.

Tous ces sujets font l'objet d'interactions fortes avec nos instances représentatives du personnel, notamment le comité social et économique (CSE), qui en est le navire amiral. En 2024, dix réunions ordinaires et onze réunions extraordinaires motivées par des dimensions spécifiques de la réforme ont été tenues.

La création de l'ASNR emporte des enjeux de convergence entre l'ASN et l'IRSN. Dans le domaine international ou celui de la gestion de crise, dans la réflexion sur l'articulation entre expertise et décision ou encore en matière de démarche stratégique scientifique, des divergences d'appréciation subsistent. Elles ne sont pas anormales, puisque l'on a affaire à des organismes dont les missions, les histoires, les cultures sont différentes. Ces divergences doivent être arbitrées. À cet égard, je salue la nomination de Pierre-Marie Abadie comme président de l'ASNR.

Avec l'ASN, nous avons identifié les actions à réaliser pour la création de l'ASNR, marquées par une cinquantaine d'« incontournables », dont la gestion des courriers, la téléphonie ou l'accès au site, dont cinq à finaliser avant le 1er janvier 2025. Ces sujets pèsent lourdement sur l'IRSN qui, absorbé par l'ASN, va devoir adapter ses modes de fonctionnement en matière de fonctions support et de gestion.

Le premier est la paie des salariés. Actuellement réalisée par notre propre agent comptable, elle le sera demain par le contrôleur budgétaire et comptable ministériel (CBCM) du ministère de la transition écologique (MTE). Or le CBCM ne gère pas la paie des fonctionnaires, qui est centralisée. C'est un sujet pratique mais complexe. Il y avait des problèmes de connexion pour le transfert de certains fichiers bancaires. Les premiers tests de versement sont positifs.

Le deuxième sujet est le positionnement des personnels. Le collège de l'ASN ayant défini l'organisation de l'ASNR, il faudra en définir la gouvernance. Les salariés doivent être positionnés en définissant les préfigurateurs de l'organisation, en traitant les situations individuelles d'une trentaine de cas et en organisant les délégations dans les champs métiers. Il existe des délégations dans les champs support et soutien, comme les ressources humaines, pour la signature de contrats, la validation de congés, etc. Organisme de recherche, l'IRSN possède des installations présentant des risques pour les travailleurs, et de ce fait le domaine hygiène, sécurité, environnement (HSE) est un sujet très sérieux qui doit faire l'objet de délégations organisées. Tout cela devra être inséré dans les workflows des systèmes d'information et de gestion de l'IRSN.

Le troisième sujet est le transfert des biens, droits et obligations. Le système informatique de gestion de l'IRSN, Agora, est basé sur le système d'Epic privé SAP. Or il n'est pas complètement compatible avec le système financier de l'État Chorus, qui ne peut pas traiter la paie des salariés de droit privé, la TVA ou aller dans le détail nécessaire à la comptabilité analytique. Pendant un certain temps, les deux systèmes vont cohabiter. À terme, c'est le système de l'État qui doit prévaloir. Entretemps, il faut créer une interface.

Le dernier sujet incontournable est l'agence comptable, pièce essentielle pour les actes budgétaires, comptables et financiers. L'agente comptable de l'IRSN et son équipe vont être rattachées au CBCM. Une convention est en cours de discussion. Les personnels de l'agence comptable devront être formés au système d'information et de gestion de l'État, Chorus.

Beaucoup reste donc à faire, d'ici le 1er janvier 2025, soit trente jours ouvrés. Malgré l'engagement et la mobilisation sans faille des équipes de l'IRSN, de l'ASN et des ministères concernés, il n'est pas garanti que l'ASNR puisse fonctionner correctement à cette date compte tenu d'incertitudes sur la réalisation de tâches essentielles.

M. Stéphane Piednoir, sénateur, président de l'Office. - La nomination de M. Pierre-Marie Abadie, prochain président de l'ASN et futur président de l'ASNR, a été validée par les commissions permanentes compétentes de l'Assemblée nationale et du Sénat. C'est pour ne pas dupliquer leurs travaux que j'ai souhaité organiser aujourd'hui non des auditions séparées mais une audition conjointe. Monsieur Abadie, je vous souhaite avec un peu d'avance la bienvenue, puisque vous prendrez officiellement vos fonctions le lendemain du 12 novembre, jour où prendra fin le mandat de M. Doroszczuk.

M. Pierre-Marie Abadie, futur président de l'Autorité de sûreté nucléaire et de radioprotection. - Merci de m'accueillir alors que je ne suis pas encore en fonction mais que le décret relatif à ma nomination comme président de l'ASNR vient d'être publié.

J'éviterai de paraphraser les propos que j'ai tenus lors de mes deux auditions, par le Sénat et l'Assemblée nationale, au cours desquelles je suis revenu sur les sujets de la recherche, des rapports entre expertise et décision, du dialogue avec la société et du grand chantier RH représenté par la création de la nouvelle Autorité de sûreté.

Depuis la validation de ma nomination, j'ai rencontré le collège de l'ASN, les comités exécutifs (comex) et les représentants du personnel de l'ASN et de l'IRSN. Je rencontre les différents directeurs des deux institutions, afin d'en comprendre le fonctionnement, de concevoir comment elles vont se projeter dans la nouvelle ASNR, d'identifier ce qui a été fait et ce qu'il reste à faire pour être au rendez-vous du 1er janvier. Il s'agit pour moi de partager les enjeux, les opportunités et les points de vigilance dans la perspective de la construction de la nouvelle ASNR, notamment de son organisation pérenne, à l'horizon du début 2026, en vue d'élaborer la méthode de travail et les arbitrages à rendre sur les sujets de fond.

Ces premiers échanges confortent les propos que j'ai tenus lors des auditions quant au respect de l'échéance du 1er janvier 2025. J'ai exprimé la conviction forte de basculer dans l'ASNR avec une autorité unique, une équipe intégrée de conduite de projet capable de construire rapidement la future organisation. Si j'ai trouvé partout une attente forte de cheminer ensemble pour construire cette organisation, les deux institutions discutent au sein de groupes de travail mais ne s'inscrivent pas encore pleinement dans la conduite intégrée du projet. De même, on ne communique pas de manière unique, intégrée et homogène vers l'ensemble des personnels. L'association des personnels de la chaîne managériale n'exprime pas non plus une pensée homogène sur la future ASNR. Pour réussir cette réforme, il convient d'engager la conduite du changement et de la construction collective avec l'ensemble des personnels en termes de méthode et d'arbitrage.

Cela suppose d'assurer le 1er janvier les fonctions essentielles, à savoir, d'abord, l'expertise de sûreté, la gestion de crise, puis le paiement des salaires, l'encaissement des recettes et le règlement des factures. Même si tout le monde est concerné par la réorganisation, le choix d'une organisation modifiée au minimum et juxtaposant les organisations métiers permet de limiter les effets, en se focalisant sur le fonctionnement, les questions comptables et procédurales. C'est un point important pour les fonctions métiers. J'ai commencé à vérifier dans mes premiers échanges l'absence de fragilisation de la capacité à produire des avis ou de l'expertise, puisque les processus sont conservés et les organisations métiers juxtaposées.

Un centre unique de gestion de crise a été mis en place. Il a déjà été testé à deux reprises et la démarche de progrès et d'apprentissage est engagée.

Nous sommes en train de résoudre un sujet particulier avec l'Autorité de sûreté nucléaire de défense (ASND). Un rendez-vous est déjà programmé pour régler les derniers arbitrages dans la perspective du 1er janvier.

J'en viens aux objectifs incontournables à atteindre pour le 1er janvier.

Grâce au pilotage à haut niveau, à la mobilisation interne de l'ASN et de l'IRSN et des services de l'État, notamment la direction générale des finances publiques (DGFIP), les problèmes sont en train de se résoudre journée après journée, voire demi-journée après demi-journée. Des projets de décrets sont déjà transmis au Conseil d'État et les autres sont sur le point de l'être. Le sujet de la cheffe de l'agence comptable a été clarifié et les dernières modalités du transfert de l'agence comptable vers le CBCM sont en cours de finalisation.

Concernant les biens, droits et obligations, l'enjeu n'est pas le décret mais l'arrêté. La liste des nombreux contrats à apporter à l'État, au CEA et aux armées sera finalisée à la fin de la semaine. Nous y parviendrons non seulement en nous focalisant sur ceux qui ont des incidences financières, mais surtout en prévoyant une mesure balai destinée à rattraper ceux qui éventuellement n'auraient pas été pris en compte.

La mise en oeuvre de la paie représente une tuyauterie comptable complexe. Les premiers tests de virement ont été réalisés hier. Nous avons finalement acquis les trois ordinateurs spécifiques nécessaires et nous réaliserons en décembre un exercice de paie. Début janvier, le versement d'acomptes à quelques personnes, assorti d'un plan de secours, permettra de s'assurer du bon versement de la paie à l'ensemble du personnel, à la fin du mois.

La plupart des personnels restent à l'endroit où ils sont. Seules 27 à 30 personnes, dont une dizaine de directeurs, nécessitent un traitement particulier, mais le positionnement complet requiert une chaîne hiérarchique. Dès ma prise de fonctions, je désignerai un comité exécutif. Les jours suivants, nous fixerons la liste de tous les directeurs préfigurateurs des futures directions de l'ASNR. Ceci permettra de traiter une dizaine de cas, puis, dans la foulée, les 17 restants, afin de définir l'organigramme de l'ASNR au 1er janvier.

Au cours des prochaines semaines, je rencontrerai les équipes et visiterai les sites de l'IRSN et de l'ASN. Le futur comité exécutif, le futur comité de direction et l'ensemble des personnels devront maintenir la mobilisation afin de résoudre les derniers sujets pratiques et d'être au rendez-vous du 1er janvier. Le futur comité exécutif et le futur comité de direction devront élaborer la méthode de travail et prévoir le cheminement nécessaire en 2025 afin de traiter les sujets de fond et d'assurer la mise en place d'une organisation pérenne. Dans une démarche progressive, le premier enjeu pour 2025 est la conception de l'organisation cible, quitte à recourir à des expérimentations, en traitant les questions d'expertise et de décision en termes de processus mais aussi de fonctionnement, et en n'hésitant pas à recourir à toute la boîte à outils du management.

L'autre grand sujet est la politique RH, en matière de gestion mais aussi de chaîne managériale, d'animation d'un comité des managers, de construction des parcours, de gestion des emplois et des parcours professionnels en entreprise (GEPP), en s'appuyant sur les outils que les uns et les autres, notamment l'IRSN, ont déjà déployés, ces dernières années.

M. Stéphane Piednoir, sénateur, président de l'Office. - Merci à tous les trois pour votre disponibilité et la qualité de vos propos. Je rappelle que cette audition fait suite au vote d'une loi et que nous ne sommes pas ici pour rediscuter du bien-fondé ou de la légitimité de ses dispositions.

Quant aux décrets, nous avons interrogé la ministre qui doit faire un état du sujet.

M. Jean-Luc Fugit, député, vice-président de l'Office. - M. le directeur général Niel a dit : « La sûreté nucléaire se construit dans un collectif ». J'étais ravi de l'entendre et surtout de comprendre que la mise en oeuvre de l'ASNR permettra de renforcer ce collectif, puisque deux équipes qui oeuvraient pour un objectif commun vont être réunies. Cela va dans le sens des préconisations de l'OPECST. Dans le cadre de la loi, nous avons prévu un suivi renforcé des travaux de l'ASNR et de sa montée en puissance au fil des mois et des années à venir.

En tant qu'ancien chercheur, la recherche est un sujet qui me tient à coeur. Comment entendez-vous accompagner sa montée en puissance dans le cadre de la nouvelle Autorité ? La crainte qu'elle soit mise en difficulté a été exprimée dans les débats.

Mme Dominique Voynet, députée. - Aucun de vous n'a évoqué l'évolution des coopérations avec nos partenaires européens et, plus largement, internationaux. Qu'il s'agisse des programmes de recherche ou des coopérations structurelles en matière de gestion de crise, ce point a-t-il été examiné ?

M. Maxime Laisney, député. - Depuis l'examen du projet de loi, j'ai réussi à accéder au fameux rapport ayant entraîné la décision prise par le Président de la République de fusionner l'expert et le contrôleur, rapport que nous réclamions à cor et à cri. Il montre clairement que la réorganisation de la gouvernance de la sûreté nucléaire doit être incluse dans une réflexion générale sur la réorganisation de la gouvernance du nucléaire civil. Comme l'indique le titre de la loi, il s'agit de répondre au besoin de relance d'un nouveau programme nucléaire. On y lit, d'un côté, la volonté du chef de l'État d'avoir la main sur les décisions relatives au nucléaire civil, au travers du Conseil de politique nucléaire, de l'autre côté, une volonté d'accommodement avec les exploitants désireux d'un peu moins d'exigence en matière de sûreté nucléaire.

Monsieur Abadie, inscrirez-vous votre action dans les deux orientations du fameux rapport ? Comment voyez-vous l'année qui vient, marquée par la juxtaposition des instances de l'ASN et de l'IRSN et la disparition de l'IRSN ? Vous avez décrit les activités des trente prochains jours, mais qu'en sera-t-il pour l'année qui vient ?

Mme Géraldine Pina, commissaire de l'ASN. - Nous avons pris en compte la recherche dès la mise en oeuvre des premiers groupes de travail entre l'IRSN et l'ASN. L'actuel périmètre de recherche de l'IRSN sera conservé, tout en exploitant les synergies et la puissance de la future Autorité de sûreté nucléaire et de radioprotection. Entité unique au monde de par sa composition et ses activités allant de la décision à la recherche, cette Autorité pourra élargir ce périmètre, non seulement en maintenant la position de leader de l'IRSN aux niveaux européen et international, mais aussi en poursuivant toutes les coopérations internationales. Un des « points incontournables » est d'ailleurs de veiller à ce que le transfert des opérations de recherche à l'échelle européenne de l'IRSN vers la nouvelle ASNR soit réalisé sans difficulté de gestion. Je pense notamment au grand projet de recherche européen Opéra, coordonné par l'IRSN.

M. Bernard Doroszczuk. - La reconnaissance nationale et internationale de la capacité et de l'excellence de la recherche de l'IRSN, au travers de nombreux contrats partenariaux avec des centres de recherche à l'étranger, est un axe fort de la mise en place de la future Autorité. Loin de les affaiblir, il s'agit de les développer. En dehors même de la recherche, nous, IRSN et ASN, entretenons de très nombreuses relations avec nos partenaires à l'étranger, tant dans le domaine de l'expertise, qui est celui de l'IRSN, que dans celui de l'autorité et du contrôle, relevant de la compétence de l'ASN.

Un système défini par l'Agence internationale de l'énergie atomique (AIEA) impose une communication, une interface avec les autorités étrangères, notamment frontalières, lorsque le développement de situations de crise pourrait avoir des conséquences au-delà de nos frontières. Ce n'est pas une mission du gouvernement, c'est une mission dont l'ASN, autorité indépendante, est chargée directement. C'est un point crucial. Par le passé, il y a pu y avoir des critiques sur la transparence de l'information fournie à l'extérieur de nos frontières. Cette mission qui relève de la responsabilité de l'ASN relèvera de la responsabilité de l'ASNR. En situation d'urgence ou de crise, il lui reviendra de communiquer aux autorités homologues les développements d'une situation et ses conséquences éventuelles. Lorsque le scénario d'un exercice de crise peut avoir des conséquences à l'étranger, nous testons systématiquement la relation internationale avec l'AIEA et nos collègues.

Dans le cadre des travaux réalisés au titre du comité directeur pour la gestion post-accidentelle d'un accident nucléaire (Codirpa), nous utilisons un système d'information de proximité des pays riverains pour gérer la phase post-accidentelle et prévoir des dispositions homogènes en matière d'information des publics, de mesures dans l'environnement, de gestion des déchets liés à un événement significatif.

Tout ceci, directement pris en charge par l'ASN, pourra l'être par l'ASNR, et sera même renforcé, puisque les mesures radiologiques sur le terrain à la suite d'un événement accidentel sont réalisées par les équipes de l'IRSN. L'expertise de l'IRSN, intégrée dans la future ASNR, pourra être mise en oeuvre. Le partenariat de gestion des situations de crise avec les pays riverains sera renforcé par la mise en place de l'ASNR.

Nous avons également des contacts, chacun dans notre coeur de mission, avec des autorités à l'étranger, dont certaines, et non des moindres, ont une expertise intégrée. L'ASN rencontre ses homologues pour évoquer les sujets d'autorité et de contrôle, l'IRSN rencontre les mêmes homologues sur des sujets d'expertise. Demain, l'ASNR rencontrera ces homologues pour traiter de l'ensemble des sujets, y compris de recherche. Il apparaîtra nécessaire de parler des programmes de recherche, des besoins de programmation de recherche, des besoins de nouvelles connaissances, même si ces connaissances ne sont pas acquises par des travaux propres mais par d'autres organismes de recherche, tant en France qu'à l'étranger.

M. Jean-Christophe Niel. - Les activités de recherche et de partenariat de l'ASNR seront issues de l'IRSN. Je rappelle que celui-ci réalise une recherche orientée ayant vocation à alimenter l'expertise, l'expertise alimentant en retour la recherche. Le rapport de l'OPECST mentionne que ce modèle est reconnu par nos partenaires au niveau international.

Un organisme de recherche travaille dans la collaboration-compétition, tandis qu'une autorité agit en surplomb et en prescripteur. Le futur président, le collège et les équipes de la nouvelle structure devront marier les deux. Il faudra veiller à ce que l'autorité de décision et expertise n'intervienne pas au détriment de la recherche. Il faudra aussi attirer les bons chercheurs vers une autorité positionnée au sein de l'État. La bonne recherche, ce sont des plateformes expérimentales, des partenariats mais aussi des chercheurs. Je rappelle que l'IRSN accueille cent doctorants et en recrute trente par an.

En matière de coopération et de partenariats européens ou plus larges, la loi dit clairement que l'ASNR se substitue à l'IRSN. Cela résout le problème de la partie française, mais le cocontractant peut avoir son mot à dire. Dans les jours qui viennent, 2 500 courriers seront envoyés afin d'informer du changement de titulaire du contrat, ce qui suscitera, dans certains cas, des interrogations. Les responsables du Departement of Energy américain qui gère les grands laboratoires nationaux de recherche, n'ont pas exclu de s'interroger sur les conséquences du transfert. L'ASNR relevant pour partie de l'État, cela ne nécessite-t-il pas des accords de plus haut niveau ?

Nous sommes très fiers du partenariat PIANOFORTE, qui coordonne l'ensemble de la recherche européenne en matière de radioprotection.

M. Jean-Christophe Gariel, directeur général adjoint chargé du pôle Santé-Environnement de l'IRSN. - Au-delà du partenariat PIANOFORTE, l'IRSN est impliqué dans une cinquantaine de projets européens. Pour assurer leur continuité, soit, avec le Secrétariat général des affaires européennes (SGAE) et le ministère de l'enseignement supérieur, de la recherche et de l'innovation, nous parvenons à convaincre la Commission de ne pas avoir à reprendre l'ensemble des contrats européens, soit, à la fin de l'année, nous devrons élaborer des avenants pour ces cinquante projets européens, ce qui représentera un travail conséquent.

Nous recevons et redistribuons des fonds. Or nous ne savons pas quand nous serons en mesure de les recevoir et de les redistribuer. Dans le cadre du projet PIANOFORTE, je devrais redistribuer, aux mois de janvier et février, plusieurs millions d'euros à des partenaires européens, mais je ne vois pas encore clairement comment, dans cette nouvelle structure, nous serons en mesure de reverser ces fonds.

M. Bernard Doroszczuk. - La question de M. Fugit portait aussi sur les choix organisationnels faits par le collège pour prendre en compte cette composante forte de l'IRSN qu'est la recherche.

M. Olivier Dubois, commissaire de l'ASN. - Un élément très important à intégrer est la synergie entre expertise et recherche. Aujourd'hui, à l'IRSN, elle se concrétise à l'intérieur des différents pôles, tels que le pôle sûreté nucléaire et le pôle santé-environnement, au sein desquels travaillent des équipes proches les unes des autres. Nous avons souhaité maintenir cette organisation propice au soutien de la synergie expertise-recherche dans les domaines de la sûreté, de la santé et de l'environnement.

Considérant qu'il est nécessaire d'avoir au plus haut niveau une bonne visibilité des activités de recherche, nous avons créé un poste de directeur scientifique au sein du comex de la future ASNR, afin qu'il soit le porteur, le représentant, l'étendard des activités de recherche dans tous les domaines techniques. Nous avons voulu que ce directeur ou cette directrice scientifique soit appuyé par une direction du pilotage scientifique disposant de suffisamment de moyens, ayant une vision « tête haute » et transverse des activités de recherche opérationnelle des pôles, afin de faire approuver, in fine, les stratégies scientifiques par le collège dont c'est la mission. Le collège compte s'impliquer fortement dans les activités de recherche, nouvelles pour lui.

L'ASNR présentera la particularité, à ma connaissance unique, d'être une autorité administrative indépendante réalisant un important volume d'activité opérationnelle. Dans le domaine de la recherche, elle aura, au moins pour deux raisons, une forte attractivité. D'une part, la grande variété des activités de recherche de l'IRSN, dans le domaine de la sûreté, de la santé et de l'environnement, sera un atout fort de l'ASNR. D'autre part, l'ASNR aura une vision de tous les sujets de l'amont à l'aval, depuis la recherche presque fondamentale jusqu'à l'application concrète sur le terrain. Ainsi les pathologies du béton des centrales décrites par les inspecteurs sur les sites seront de l'information partagée de l'expertise jusqu'à la recherche. La création de l'ASNR renforcera la fluidité des liens, de la recherche amont jusqu'au terrain.

M. Pierre-Marie Abadie. - Pour avoir dirigé pendant dix ans un établissement de recherche, j'ai été habitué à une interaction forte entre, d'une part, une recherche orientée, une expertise et une conduite de projets, et d'autre part, l'élaboration de stratégies de recherche. C'est un exercice auquel nous nous sommes livrés récemment dans l'établissement que je dirigeais. Je suis convaincu que l'expertise doit se nourrir de la recherche, se frotter à la recherche, avoir une proximité avec le monde de la recherche, non seulement pour se nourrir de la connaissance la plus pointue mais aussi pour creuser les questions qui émergent.

Pour être attractive, la recherche doit être lisible, visible, partenariale, en interaction avec l'établissement mais aussi avec les autres acteurs. Elle doit être soutenable, ce qui rejoint le propos de Bernard Doroszczuk sur le budget, puisque la recherche, domaine présentant le moins de rigidité, pâtit en premier d'ajustements budgétaires. Or le budget est un moyen de soutenabilité de la recherche.

La soutenabilité est un sujet antérieur à la réforme. Si le rapport du Haut Conseil de l'évaluation de la recherche et de l'enseignement supérieur (Hcéres) de 2023 saluait la qualité de la recherche réalisée à l'IRSN et le développement des partenariats, il posait la question de la soutenabilité, laquelle n'est pas une question de budget uniquement mais aussi de stratégie. La priorité pour les deux ans à venir, c'est construire une stratégie de recherche intégrée, lisible, visible et projetable à l'extérieur. Quels sont les thèmes matures ? Dans les thèmes matures, quelles sont les connaissances restant à acquérir ? Quels sont les enjeux de maintien des compétences ? Comment répondre aux thèmes émergents et être à l'écoute des sujets nouveaux en signaux faibles ? Quel est mon positionnement ? Suis-je en situation de leader reconnu tirant la recherche ? Suis-je au contraire dans une logique partenariale, voire de suiveur, parce que, sur une thématique telle que l'IA, la dynamique de recherche est ailleurs ? C'est typiquement, dans l'établissement que j'ai dirigé, le type de raisonnement que nous avons tenu quand nous avons dû reconstruire notre vision programmatique de la recherche.

Il convient d'intégrer le changement de contexte des dernières années induit par la reprise de projets nucléaires, les nouveaux réacteurs et le travail engagé sur le cycle et les combustibles. Qu'il s'agisse de sûreté, de santé ou d'environnement, le principe d'une proximité forte entre l'expertise et la recherche demeure. Dans ce domaine, il y a moins un sujet organisationnel qu'un enjeu de portage stratégique renvoyant à une direction scientifique soutenant les enjeux programmatiques, d'intégrité scientifique, le pilotage stratégique des partenariats et capable d'incarner la recherche de l'ASNR. Comme il n'est pas spontané d'incarner simultanément un régulateur et un institut de recherche, il importe qu'un visage reconnu sur le plan scientifique, charismatique et programmatique représente la recherche à l'extérieur, notamment dans les coopérations internationales.

Concernant le fonctionnement au 1er janvier et après, nous avons insisté sur la juxtaposition, mais on n'accole pas l'ASN à l'IRSN. On crée une structure nouvelle dénommée ASNR, incluant des fonctions communes, des services fonctionnels - RH, comptabilité, finances -, le dialogue avec la société, les relations internationales, la gestion de crise, le pilotage stratégique et le contrôle interne, tenus par une seule direction. Ce n'est pas qu'une question de fonctionnement, puisque le dialogue avec la société et les relations internationales sont des fonctions stratégiques rapportant directement au directeur général ou à la directrice générale et au collège.

En revanche, nous avons juxtaposé les fonctions métiers, installant, d'un côté, expertise et recherche, de l'autre côté, l'instruction. Les processus fonctionneront dès le 1er janvier. Ils n'ont pas vocation à être révolutionnés puisqu'ils traduisent tout ce qui a été discuté autour de l'articulation entre ce qui relève de l'expertise - j'ai coutume de dire que l'expert doit dire toute la technique et rien que la technique - et de ce qui relève de l'instruction, qui intègre cette expertise avec de la contre-expertise - par exemple celle des groupes permanents d'experts - et croise l'ensemble avec des enjeux de faisabilité et de temporalité. Il n'y a pas de débat sur ces processus. Au-delà du fonctionnement rigoureux du processus d'expertise-instruction, il faut aller chercher des opportunités supplémentaires.

Ceci me conduit à ouvrir une parenthèse sur la comparaison entre le modèle dual et le modèle intégré. Le modèle dual a l'avantage de séparer clairement les métiers et de permettre à l'organisation de s'adapter au plus près de chacun d'eux. Toutefois, dans une logique institutionnelle, chacun tend à s'affirmer face à l'autre, ce qui ne produit pas nécessairement une stratégie et une programmation unifiées. En revanche, le modèle intégré assure un pilotage stratégique, une programmation et une gestion unifiées des compétences ou des parcours et une meilleure visibilité, mais il exige d'être très rigoureux sur les processus.

Pour construire l'organisation finale, l'enjeu consiste à repartir des objectifs afin de dépasser les crispations et les difficultés non encore tranchées. Quelles opportunités du modèle intégré veut-on rechercher en matière de programmation, de stratégie, d'esprit de communauté ? Certes, l'expertise est une certaine posture et un certain métier, l'instruction est une autre posture et un autre métier, mais tous sont exercés par des ingénieurs traitant du même objet, qui n'ont pas attendu la réforme pour se parler, travailler ensemble, inspecter ensemble. Comment créer un esprit de communauté quand il y a beaucoup de sujets émergents : SMR, cycle, nouveaux dossiers à instruire, etc. ? J'évoquais la boîte à outils du management, sachant que plus on a de modèles hiérarchiques techniques duaux, plus on doit mobiliser d'outils forts pour faire travailler tout le monde ensemble. Plus le modèle est intégré, plus il faut ré-isoler des chaînes de management hiérarchiques techniques pour arbitrer les expertises séparément de l'instruction. Il va falloir aller chercher des outils de management permettant de mieux gérer l'ensemble qui doit être construit.

M. Bruno Sido, sénateur. - Monsieur le président de la future Autorité, d'ici trente jours, vous passerez du mode dual au mode intégré. Ce changement représente beaucoup de travail et va perturber certains. Sur le terrain, l'annonce de l'intégration de l'IRSN dans l'ASN inquiète les gens, en particulier autour de Bure et de Saudron. Pouvez-vous garantir qu'il n'y aura pas de flottement et que la continuité de la vérification et du contrôle de la sûreté est assurée ?

M. Gérard Leseul, député, vice-président de l'Office. - Par souci de transparence, je précise que j'ai déposé une proposition de loi tendant au report d'un an de la fusion.

Au-delà des concertations mises en place par les directions, la nomination tardive du nouveau président de l'ARSN n'est-elle pas préjudiciable à la fusion au 1er janvier prochain ?

Vous avez évoqué la question budgétaire et l'insuffisance des crédits. Quelles sont les marges de manoeuvre ? Quelles pourraient être les conséquences concrètes d'un manque budgétaire ?

Conformément à la loi, l'IRSN va fermer le 31 décembre. Quelle sera alors sa situation comptable et financière ? Existe-t-il des marges de manoeuvre pour faciliter la transition vers l'ASNR ?

M. Arnaud Saint-Martin, député. - Les interrogations qui viennent d'être formulées trahissent une certaine perplexité à l'égard de cette restructuration, opérée en application d'une loi que je n'ai pas votée, puisque je n'étais pas encore député.

Il s'agit de faire converger des cultures organisationnelles différentes selon les méthodes plus ou moins éprouvées du management agile. Or on constate des inerties inévitables liées à une adaptation à marche forcée, engagée selon un calendrier hyper-contraint, voire aberrant, contre une fraction significative des personnels et de leurs représentations syndicales. Il aurait été intéressant de les auditionner aussi ce matin, parce qu'ils représentent les personnes qui font vivre ces organisations, actuelles et future, et des personnels que l'on enjoint de prendre le pli rapidement. Ce changement est opéré selon la rhétorique à la mode de la simplification, mot piège désignant le contraire de ce à quoi il est supposé référer, comme le montrent les questions administratives pratiques et opérationnelles évoquées. J'ai découvert la non-interopérabilité des systèmes d'information budgétaire et comptable, Chorus et Agora, et les tuyauteries comptables pour lancer des paies. C'est inquiétant quand on prône une intégration rapide de l'organisation.

Cela se retrouve dans la complexification de la gouvernance. On peut craindre des luttes d'autorités, une surenchère dans la comitologie et la réunionnite, des concurrences pour l'accès aux ressources.

M. Stéphane Piednoir, sénateur, président de l'Office. - Venez-en à votre question, cher collègue, pour ne pas ajouter à la réunionnite !

M. Arnaud Saint-Martin, député. - Cette présentation illustre les risques liés à la fusion. Je m'interroge sur la conduite des travaux de recherche et leur pilotage stratégique, sur leur autonomie, leur indépendance, leur crédibilité technique et scientifique, sur les modalités de contrôle et de publicisation, voire de publication, des résultats sur la base des données collectées et consolidées.

Quid des recherches qui dévieraient du discours et du point de vue institutionnels ? Quid des recherches mettant en évidence des failles, des fragilités, des vulnérabilités, des dysfonctionnements ? En tant que sociologue, je rappelle le cas assez médiatisé, en 2021, de ma collègue Christine Fassert, chercheuse au département des sciences humaines et sociales de l'IRSN, spécialiste de Fukushima, qui a été licenciée « pour comportement inadapté et insubordination récurrente avec défiance vis-à-vis de la hiérarchie », donc tenue pour coupable de trahison institutionnelle. Elle travaille désormais dans une autre enceinte, peut-être de façon plus confortable, ce qui est dommage car on gagne à explorer tous les terrains, les sujets nouveaux, y compris ceux qui sont sources de dissensus, qui font utilement bouger les lignes, notamment le dialogue avec la société. Dans le cadre de la relance du nucléaire civil, comment assurer l'autonomie de ces recherches qui sont aussi des leviers d'attractivité pour les chercheurs ?

M. Stéphane Piednoir, sénateur, président de l'Office. - Nous ne sommes pas responsables des dissolutions et remettre en cause les textes de loi votés poserait un problème démocratique. En outre, loin de craindre la réunionnite, je tiens à remercier l'ensemble des acteurs présents ce matin, qui consacrent beaucoup de temps à ce rapprochement.

Mes chers collègues, l'OPECST n'est pas une tribune politique. Veuillez ne pas allonger inutilement les débats et en venir rapidement à vos questions !

M. Bernard Doroszczuk. - Nous avons démarré la réflexion sur l'organisation fonctionnelle des métiers de la future Autorité dès le mois de décembre 2023. Vous soulignez le délai de trente jours, mais nous ne commençons pas à nous pencher sur le fonctionnement de la future Autorité. En particulier, sur le point central de la loi qu'est l'articulation entre expertise et décision, nous avons souhaité redéfinir le workflow, c'est-à-dire la circulation de l'information et des dossiers, la façon dont vont s'interfacer les différentes étapes d'expertise - interne et externe - ainsi que les décisions prises, soit au niveau des services, soit au niveau du collège. Ce travail démarré assez tôt a conduit à une définition précise, que nous avons exploitée dans la rédaction du projet de règlement intérieur pour respecter les prescriptions de la loi en termes de séparation entre personnes responsables de l'expertise et personnes responsables de la décision.

Y aura-t-il une période de flottement ? Y a-t-il un risque pour la sûreté ? Nous avons voulu faire en sorte que non, en définissant clairement l'évolution des services métiers. Il reste à traiter les fonctions support et de pilotage pour tirer bénéfice de la mise en place d'une structure unifiée. Y aura-t-il un flottement léger ? Un peu plus que léger ? Je ne peux pas répondre en toute garantie, mais il faut déconnecter le questionnement général du sujet des « trente jours ».

Dans notre choix fort de retenir le principe d'une organisation transitoire, qui n'était pas évident, nous sommes arrivés progressivement à la conclusion que pour réduire au strict minimum le risque de flottement, il valait mieux mettre en place au 1er janvier 2025, pour les fonctions métiers, une juxtaposition des services actuels de recherche, d'expertise, d'instruction, de décision et de contrôle. Nous avons pris toutes les précautions possibles pour réduire l'effet potentiellement négatif de la mise en place de la réforme au 1er janvier. Il faudra ensuite tirer profit de la nouvelle ASNR en fixant un objectif de définition des conditions d'évolution de l'organisation des services.

Quant à la question budgétaire, ce n'est pas la première fois que je tire la sonnette d'alarme. Je remercie tous les parlementaires ici présents des amendements qu'ils ont proposés, dont certains ont été adoptés. Nul ne peut préjuger de leur devenir dans le contexte de discussion budgétaire que nous connaissons, mais le message est passé. Chaque jour, je me préoccupe de ce sujet, à tous les niveaux, tant en termes de relations avec les parlementaires qu'auprès du Gouvernement.

La restriction drastique de l'enveloppe de crédits proposée par le Gouvernement n'est pas liée à la fusion, elle touche tous les opérateurs de l'État. Sans la fusion, chacun serait confronté à cette difficulté. Ce serait peut-être pire. En revanche, la mise en place de la nouvelle structure au 1er janvier est inconcevable si elle ne dispose pas des moyens de fonctionnement nécessaires en matière de contrôle de la sûreté, d'expertise et de recherche en sûreté de radioprotection. J'ai bon espoir de faire bouger les choses.

M. Jean-Christophe Niel. - En réponse à M. Sido, je lirai une phrase du rapport de l'Office : « Puisqu'est projetée une évolution structurelle, il faut s'attendre à ce que son appropriation par les acteurs fasse l'objet d'une courbe d'apprentissage : le risque n'est pas exclu que l'organisation ait d'abord tendance à piétiner, voire légèrement régresser avant de s'engager sur la voie du progrès global. »

Je suis entièrement d'accord avec Bernard Doroszczuk. Le budget a été construit par l'ASN, l'IRSN et le ministère de la transition écologique, de l'énergie, du climat et de la prévention des risques, notamment la direction générale de la prévention des risques (DGPR). Nullement opportuniste, il s'inscrit dans la continuité des engagements et des actions définis, notamment le projet de loi de programmation des finances publiques (PLFP), engagement pluriannuel. Je rencontre aussi des parlementaires et je leur fais passer le message. Le président de l'ASN et moi-même avons écrit à ce sujet une lettre à la directrice du budget. Nous avons accueilli positivement les 20 millions d'euros supplémentaires, mais le compte n'y est pas. Cela pourrait affecter les personnels, qui sont la première variable d'ajustement, ce qui signifierait moins d'expertises, moins de recherche. Cela s'est déjà produit par le passé à l'IRSN.

Pour ce qui concerne la fermeture de l'IRSN à la fin de l'année, il n'y a pas de complexité technique mais un travail considérable à réaliser. La secrétaire générale de l'IRSN, qui fait un travail remarquable, a donné pour consignes de faire ce que l'on appelle des entrées de marchandises anticipées et de remplir les écritures. Nous avons rencontré les commissaires aux comptes par anticipation. Il n'y a pas de difficulté technique mais un enjeu de capacité à faire dans les délais.

Mme Karine Herviou, directrice générale adjointe, chargée du pôle Sécurité des installations et des systèmes nucléaires de l'IRSN. - Les groupes de travail se sont longuement penchés sur l'optimisation de l'articulation entre instruction et expertise. Des processus sont en cours de test. Une mise en place dès le 1er janvier me semble impossible : il faut réaliser des expérimentations et en tirer un retour d'expérience sur l'évolution de l'équilibre avec les exploitants, sujet qui n'a pas été totalement abordé avec les intéressés. On parle beaucoup de l'ASN et de l'IRSN, mais le sujet est l'évolution d'un équilibre qui est aujourd'hui à trois mais qui va forcément changer. C'est un élément particulièrement délicat dans la définition de ce processus, car il ne doit pas y avoir de confusion des rôles. De leur côté, les exploitants vont devoir s'adapter.

Je rappelle que la charge d'expertise est très forte. Nous sommes en train de finaliser les avis sur le quatrième réexamen périodique des réacteurs de 1 300 mégawatts et nous avons déjà les dossiers EPR2. Nous devons faire face à l'arrivée des projets de SMR et AMR, avec par exemple le dépôt cette semaine d'un dossier d'options de sûreté. Le point d'équilibre entre les exploitants, l'ASN et l'IRSN aujourd'hui, devra être retrouvé demain entre l'ARSN et les exploitants. Cela n'aura peut-être pas d'effet direct sur les délais de fourniture des expertises et des décisions, mais cela induira nécessairement des questionnements et un repositionnement des acteurs. Certains exploitants s'interrogent sur le niveau de signature des réponses aux questionnaires d'expertise : dans la mesure où ils s'adresseront à une Autorité et non plus à un expert technique, ce niveau de signature ne doit-il pas être rehaussé ? Si tel doit être le cas, nous ne gagnerons pas en fluidité. Nous devons en discuter avec l'exploitant ou donner des gages pour montrer que l'instruction est séparée de l'expertise et que les modalités actuelles du dialogue technique peuvent continuer sereinement.

M. Jean-Christophe Niel. - Notre budget de clôture de fin d'année étant déséquilibré, nous avons besoin de la trésorerie mais celle-ci est fléchée.

Nous allons vous rediffuser le plan de charge actualisé des expertises. Comme le rappelait le président de l'ASN, le volet expertise et décision est l'un des éléments du règlement intérieur sur lequel nous avons des commentaires à faire. À votre demande, monsieur le président, je vous ai transmis notre courrier sur le projet de règlement intérieur. Nous sommes à la disposition de l'Office, le moment venu, pour expliciter les enjeux de cette décision.

M. Daniel Salmon, sénateur. - Nous sommes au pied du mur. Les difficultés qui avaient été pointées sont présentes. Nous ne savons pas si les trente prochains jours seront suffisants. Monsieur Abadie, vous avez devant vous une lourde tâche. On a parlé de courbe d'apprentissage et de progression et sans doute de régression entre les deux. Quand aurons-nous vraiment l'ASNR performante dont nous avons besoin ?

J'ai lu qu'un rattrapage des salaires avait un coût de 15,7 millions d'euros. La problématique budgétaire n'est pas complètement étanche à cette fusion. Au Sénat, nous défendrons un budget à la hauteur, parce qu'on ne doit pas mégoter avec la sûreté.

J'entends qu'il faut à la fois réunir et séparer. C'est un peu la quadrature du cercle. Comment être sûr que le fonctionnement corresponde à nos attentes ? Nous avions un système performant et nous allons vers une entité beaucoup plus floue.

M. Pierre Henriet, député, premier vice-président de l'Office. - Je souhaiterais obtenir des compléments d'information en vue de la discussion budgétaire du programme 235 consacré à la recherche. Dans la loi de finances initiale pour 2024, 322,9 millions d'euros de crédits de paiement étaient inscrits pour l'ASN et l'IRSN, au titre des subventions pour charge de service public et de la taxe affectée, tandis que le projet de loi de finances pour 2025 prévoit 384,7 millions d'euros après la renégociation, une première amélioration étant intervenue depuis notre dernier échange. La dimension budgétaire ne doit pas être un sujet pour la fusion. Avec mes collègues, nous réaliserons un travail commun dans le cadre de la discussion budgétaire pour vous fournir les moyens nécessaires au bon fonctionnement de la nouvelle Autorité.

J'ai échangé avec le CEA car il existait quelques différences d'appréciation sur divers sujets financiers, notamment sur l'activité de dosimétrie opérationnelle ; celle-ci apportait des recettes à l'IRSN et alimentait son budget général. Nous avons retravaillé le sujet afin de donner au CEA les moyens nécessaires pour reprendre dans de bonnes conditions cette activité de dosimétrie, tout aussi importante en termes de souveraineté.

Le pilotage unifié dont a parlé M. Abadie est fondamental parce que, contrairement à ce qu'a affirmé Daniel Salmon, l'IRSN et l'ASN ont très bien fonctionné jusqu'à maintenant. La loi de mai 2024 ne met nullement en cause le fonctionnement de l'une ou l'autre entité, car son enjeu est la relance de la filière nucléaire. D'ici les dix prochaines années, le nombre de décisions à prendre par l'Autorité doublera, voire triplera. Serez-vous en mesure de gérer l'afflux de ces nouvelles expertises et décisions ? Sur le plan humain, la capacité actuelle suffira-t-elle ? Dans le cadre d'un pilotage unifié, un travail plus harmonieux avec les agents encore rattachés pour quelques jours à l'IRSN suffirait-il à combler les manques qui pourraient apparaître au regard du développement de la filière nucléaire ? C'est l'enjeu principal de la loi. Pour les grands opérateurs, des innovations comme les SMR nécessiteront des moyens nouveaux d'évaluation et d'expertise. Or la feuille est quasiment blanche, ce qui est une belle opportunité pour se mettre à niveau et garantir le maintien d'une avance pour des start-up qui seront confrontées à des enjeux de régulation auxquels elles ne s'attendent pas nécessairement. Il faudra garantir à ces futurs programmes la qualité de la recherche et de l'évaluation de sûreté.

M. Stéphane Piednoir, sénateur, président de l'Office. - Je partage la préoccupation budgétaire exprimée par le premier vice-président de l'Office. Nous regarderons de près le budget que l'Assemblée nationale transmettra au Sénat.

Avez-vous identifié des difficultés particulières pour le transfert de l'activité de dosimétrie au CEA, qui représente une part importante de l'activité de l'IRSN ?

Parmi les innombrables dossiers que vous aurez à gérer, où en est celui du renforcement du rôle des groupes permanents d'experts, demandé par la loi ?

Vous dites avoir testé les mécanismes de gestion de crise, un des sujets régulièrement évoqués dans les auditions préalables à l'élaboration de notre rapport. Quels sont les attendus de la gestion de crise unifiée pour l'année prochaine ?

M. Pierre Henriet, député, premier vice-président de l'Office. - Je précise que nous sommes très attentifs aux questions des internautes. Elles recoupent un certain nombre de questions sur la recherche précédemment évoquées.

M. Jean-Christophe Niel. - Pour l'IRSN, la fusion représente trois chantiers pour les équipes support : le transfert de l'activité de dosimétrie au CEA ; le transfert de l'expertise de défense au ministère des armées, avec un montage compliqué puisque les salariés seront transférés au CEA mais mis à la disposition du ministère des armées ; les conséquences budgétaires, qui ne sont pas faciles à traiter puisqu'on coupe en quelque sorte l'IRSN en trois morceaux, et il y a donc des discussions de « marchands de tapis ».

M. Jean-Christophe Gariel. - L'enjeu principal de la dosimétrie, c'est la continuité d'activité car il s'agit d'une activité commerciale. Si le transfert ne se passe pas bien, la loi du marché s'appliquera, ce qui peut faire très mal. Quatre groupes IRSN-CEA sont actifs sur le sujet. Le volume de travail est énorme et nous ne serons pas totalement au point au 1er janvier ; cela va « passer » mais ce sera très difficile. J'étais hier avec le chef de service directement responsable, qui travaille quasiment jour et nuit.

Sur le sujet de la souveraineté, à partir du 1er janvier 2025, les salariés de l'IRSN seront équipés de dosimètres américains alors qu'ils l'étaient jusqu'à présent de dosimètres IRSN. En effet, les personnels de l'ASN sont équipés de dosimètres américains et le marché public correspondant va être étendu aux personnels venant de l'IRSN.

Mme Karine Herviou. - Il a été décidé assez tôt de créer un centre de crise unique rassemblant les équipes de l'IRSN et de l'ASN. Deux exercices d'ampleur limitée ont révélé des opportunités intéressantes du fait du rapprochement, notamment pour une communication plus directe entre l'expertise et le conseil à la décision, qui est assuré par l'ASN pour le préfet. Il va falloir ajuster les rôles pour trouver un équilibre avec les exploitants. En effet, le délai entre l'expertise IRSN et le conseil à la décision de l'ASN sera très bref, alors qu'EDF a encore deux équipes distinctes.

Il n'y a pas eu d'exercice ni d'accord sur la façon de gérer une crise sur une installation nucléaire de défense au 1er janvier.

M. Bernard Doroszczuk. - Pour revenir sur les sujets budgétaires, j'ai orienté mon propos sur les crédits de fonctionnement, d'investissement et d'intervention, hors titre 2, mais il y a aussi un sujet de préoccupation sur les crédits de titre 2, bien que moins important. Nous avions demandé collectivement, IRSN et ASN, pour le projet de loi de finances pour 2025, vingt-neuf emplois supplémentaires, en relation avec l'importance des instructions, des décisions et des contrôles, justifiés par des activités nouvelles et prenant en compte des baisses d'activité potentielles. Nous avons obtenu trois équivalents temps plein. Si l'on en restait là, il y aurait un sujet de charge de travail lié non à la réforme mais à l'insuffisance de ressources. Or l'intégration dans les équipes et la montée en compétences de ces ressources nouvelles demandent du temps et un report de ce renfort ne serait pas sans incidence sur le délai d'expertise. La bonne solution réside peut-être entre les deux nombres. En revanche, les mesures salariales d'accompagnement décidées en 2023 ont été intégrées dans l'enveloppe de titre 2. De ce point de vue, il n'y a pas de difficulté.

M. Olivier Dubois. - Le rôle des groupes permanents d'experts est maintenu dans le projet de règlement intérieur que nous avons rédigé. Les mandats des membres sont prolongés jusqu'au terme prévu, soit très au-delà du 1er janvier 2025, en fonction des différents groupes permanents. Un changement est toutefois à venir. Jusqu'à présent, le rapport présenté aux groupes permanents est préparé par des experts, provenant souvent de l'IRSN, en vue de la rédaction de l'avis du groupe permanent, qui est transmis à l'ASN pour décision. À partir du 1er janvier 2025, ces rapports seront faits par les mêmes experts, qui seront désormais rattachés à l'ASNR. L'idée est que les groupes permanents consacrent plus de temps à la préparation des réunions car celles-ci ne devront pas se limiter à la présentation du rapport d'expertise et à la formulation d'un avis à la fin de la réunion. Les membres du groupe devront s'approprier pleinement les conclusions de l'expertise venant de l'ASNR et les discuter pour élaborer une véritable expertise externe - ou contre-expertise, selon le terme employé par M. Abadie - à même de nourrir la décision qui sera prise par l'ASNR. La réflexion est en cours. Nous avons commencé à y travailler, sans avoir abouti car ce n'est pas la priorité principale pour la mise en route de l'ASNR au 1er janvier 2025.

Mme Stéphanie Guénot Bresson, membre du collège de l'ASN. - Il était inconcevable que l'ASNR ne soit pas prête à traiter une éventuelle crise le 1er janvier. Le collège a très vite demandé aux services de travailler, et ceux-ci se sont employés à réaliser les deux exercices nationaux évoqués, précédés de deux exercices régionaux, soit quatre exercices, et à tester une organisation de crise.

En matière de gestion de crise, l'ASNR a quatre missions : le conseil aux préfets, l'information des autres pays, la préparation de la phase post-accidentelle de façon à pouvoir accompagner tous les services publics et la mise en oeuvre d'une communication indépendante, parce que l'ASNR est une autorité administrative indépendante. L'ASN aujourd'hui, l'ASNR demain, doit pouvoir communiquer indépendamment du gouvernement sur une crise en cours. Cela passe par une bonne évaluation de la situation au sein des installations et dans l'environnement. L'IRSN est un acteur important d'une telle évaluation et nous travaillons ensemble depuis toujours. Il dispose de moyens pour réaliser les analyses de terrain et d'experts pour conduire les évaluations. Nous cherchons juste la meilleure organisation pour travailler dans le même local. Nous avons encore prévu deux exercices nationaux d'ici la fin de l'année, mais cette transformation ne présente pas un caractère révolutionnaire, car nous partons d'une situation bien établie et il ne nous reste qu'à « patiner » les procédures. Cela nécessite beaucoup de travail mais les équipes sont très mobilisées.

L'Autorité de sûreté nucléaire de défense (ASND) a aussi un rôle pour la gestion de crise sur l'installation elle-même et pour l'aide à la décision du préfet, mais l'ASNR reste responsable de la protection de l'environnement et du conseil pour la protection des populations. L'ASND a besoin de l'expertise de l'IRSN pour faire un état des lieux. Les services de l'IRSN réalisent les mesures environnementales dont ont besoin à la fois l'ASND et aujourd'hui l'ASN, demain l'ASNR. Il faut donc pouvoir mobiliser sur deux plans la capacité d'évaluation de la situation. C'est un peu plus compliqué que dans le domaine civil dans la mesure où, pour des raisons de secret défense, il faut mettre au bon niveau le partage des informations et la séparation des informations, ce qui doit se traduire dans l'aménagement des locaux.

L'ASND a indiqué qu'elle ne se sentait pas prête pour un prochain exercice en « mode ASNR ». Nous réfléchissons avec elle car nous voudrions tout de même essayer, quitte à ce que l'exercice soit un peu moins réussi, l'essentiel étant d'apprendre. Les portes ne sont pas fermées. Des réunions ont lieu chaque semaine pour dessiner la coordination. Nous y travaillons et rien ne dit que, demain soir, la situation ne sera pas réglée.

M. Pierre-Marie Abadie. - Par construction, je serai opérationnel à partir du 13 novembre. Pour ce faire, je disposerai à la fois d'une longue expérience et du fait d'intégrer une structure comportant un collège, dont le principe même est d'assurer la continuité lors de mouvements des commissaires ou du président, ainsi que des services de l'IRSN ou de l'ASN.

Le préfigurateur était une fonction très attendue mais il ne faut pas surestimer son rôle dans cette période intermédiaire. Le traitement de sujets complexes, de sujets de fond, nécessite du temps et ne peut se faire dans la précipitation. Cette transformation dans la durée ne peut être le fait que d'une autorité unique. Ce n'est pas simplement un président de l'ASN mais bien un comité de direction, un comex, une équipe soudée qui peut construire ce chantier dans la durée.

On a évoqué le processus d'instruction et la gestion de crise. Nous ne sommes pas en train de déterminer comment gérer la crise mais de tester un dispositif. Nous entrons dans la courbe d'apprentissage du centre de gestion de crise unifié. Des sujets organisationnels de fond ne pourront être tranchés que par une équipe intégrée, mais sur le fonctionnement métier, beaucoup a été fait.

Je ne suis pas sûr que le préfigurateur aurait été très utile pour les fonctions support, car on a toujours tendance à traiter l'intendance dans le sprint final. Je le répète, je suis frappé de constater que les équipes de l'État non seulement sont très mobilisées mais qu'elles le sont au plus haut niveau. Quand nous rencontrons des problèmes aussi simples que la fourniture de trois ordinateurs pour assurer le circuit de paie, nous pouvons prendre les contacts au bon niveau à la DGFIP ou au CBCM du ministère pour les résoudre en très peu de temps.

Inversement, nous ne traitons pas les sujets de fond à marche forcée. Le choix d'une réorganisation en deux temps, auquel tout le monde s'est rallié, permet de traiter dans la durée les sujets les plus compliqués : intégration, processus stratégiques, animation, communautés, gestion des ressources et des compétences.

Je ne suis pas en situation de vous livrer une programmation des moyens. Le changement de contexte pose des questions en termes de moyens, d'organisation et de planification du travail. Mais face au nombre de dossiers qui sont devant nous - futures instructions, réexamens de sûreté, usines, nouveaux EPR -, il faut redire que la réforme en cours n'est pas une réforme de moyens qui dégagera par elle-même des moyens d'optimisation et d'efficacité suffisants pour faire face aux besoins. Nous aurons maintes fois l'occasion d'y revenir. Ce n'est pas une réforme budgétaire. Elle coûte un peu en fonctionnement en 2024, mais les montants indiqués sont destinés à faire le travail tel que nous le faisions et tel qu'il se finançait auparavant - et comme l'IRSN l'a rappelé à plusieurs reprises, en prenant parfois sur sa propre substance pour boucler le fonctionnement.

La nouvelle organisation prévoit une organisation dédiée aux nouveaux réacteurs, parce que les modes de fonctionnement sont nécessairement différents. Ceci nécessite en amont des dossiers d'instruction d'avoir beaucoup plus d'interactions avec les porteurs de projet pour les accompagner, les alerter suffisamment tôt dans leur processus de développement et d'innovation. Ces nouveaux réacteurs posent des questions techniques, de connaissances, de régulation, de dialogue avec la société. Quelles seront les capacités techniques de l'exploitant de ce genre de réacteur dans le futur ?

Des questions d'organisation du travail interne et externe se posent aussi. Karine Herviou a évoqué les incidences sur les exploitants. Le collectif de la sûreté a régulièrement insisté sur l'importance de l'anticipation des connaissances et des études. C'est le cas pour la future ASNR mais aussi pour les exploitants, qu'il s'agisse des allongements de durée de vie ou de la stratégie de rénovation des usines du cycle. Un énorme travail doit être fait par les exploitants pour être aux rendez-vous en termes d'instruction des dossiers et d'interaction avec la société. Cela a été très bien fait pour les quatrièmes visites décennales des réacteurs de 900 MWe. Cela doit être le cas sur les autres sujets, notamment les usines du cycle.

Mme Dominique Voynet, députée. - Monsieur le président, vous nous aviez invités à poser des questions courtes. Je m'étais donc privée de signaler que je n'étais pas en accord avec votre invitation à nous concentrer sur les enjeux scientifiques et techniques et à éviter les enjeux sociaux, comme s'il était possible de les déconnecter. Quand on parle des enjeux scientifiques, les sciences humaines ne doivent pas être mises de côté.

Je ne serais pas revenue sur la question si je n'avais pas été étonnée par l'intervention de Bruno Sido, qui a évoqué des inquiétudes autour de la zone de Bure, la confiance forte des acteurs locaux dans l'indépendance et la qualité du travail de l'IRSN. Sans porter de jugement, l'inquiétude ou la confiance relèvent bien d'enjeux sociaux ou sociétaux et pas d'enjeux purement techniques.

Puisque Maxime Laisney n'a pas obtenu de réponse claire à sa question, je redemande : quelle politique la réforme va-t-elle en réalité servir ? Certes, le rapport fondant la réforme est confidentiel, mais dans la mesure où certains d'entre nous l'ont eu, il aurait été bon de le diffuser aujourd'hui. La loi ayant été votée, il n'est pas question de revenir dessus, dissolution ou pas, mais nous devons être assurés que la gouvernance sera fondée sur des critères plus techniques et scientifiques que politiques. La publication de ce rapport nous aiderait peut-être à nous en convaincre.

Quelle est la difficulté des exercices de crise programmés dans les jours à venir avec l'Autorité de sûreté nucléaire de défense ? Vous avez dit qu'il s'agissait de partager la capacité d'évaluation et de se caler au bon niveau. Quel est ce bon niveau ? S'agit-il d'un problème de transparence des informations ou de procédure ? Entre l'intervention de Mme Herviou et celle de Mme Guénot Bresson, cela n'est pas clair pour moi.

Mme Mereana Reid Arbelot, députée. - Qu'est-il prévu pour la surveillance radiologique des sites d'expérimentation nucléaire, puisque l'IRSN est jusqu'ici le responsable de cette surveillance en Polynésie ?

M. Jean-Christophe Niel. - L'IRSN est responsable de la surveillance dans l'environnement, autour des sites militaires. Il n'a pas la responsabilité du suivi de la radioactivité sur les sites eux-mêmes. La surveillance de l'environnement fait partie des missions transférées à l'ASNR et elle sera poursuivie. Nous avons sur place un laboratoire en interaction étroite avec les différentes autorités locales qui réalise ce travail en lien avec nos laboratoires de la région parisienne. Nous continuerons à faire, tous les deux ans, un bilan public de la radioactivité. Nous sommes à la disposition des habitants pour répondre à leurs questions dans notre champ de compétence, à l'extérieur des installations militaires.

Mme Karine Herviou. - Le centre de crise de l'IRSN peut intervenir en appui de l'ASN ou de l'ASND et il couvre le spectre de l'expertise sur l'installation, qu'elle soit civile ou de défense, et dans l'environnement. D'ailleurs, dans nos équipes de crise, nous avons à la fois des personnes de la direction défense, qui vont partir au CEA, et des équipes qui travaillent au sein de mon pôle et de celui de Jean-Christophe Gariel sur les installations civiles.

Le centre de crise de l'IRSN devient le centre de l'ASNR. C'est le choix qui a été fait pour des raisons de commodité, puisque nous avons beaucoup d'outils. Il devient donc un centre de crise relevant de l'Autorité. En cas d'accident sur une installation nucléaire de défense, l'ASNR aura aussi un rôle à jouer. Dès qu'un becquerel sort de l'installation dans l'environnement, l'ASNR doit se positionner sur les mesures de protection des populations. On se retrouve entre deux à devoir faire une expertise pour l'ASND et pour l'ASN. Il faut trouver un modus vivendi pour une bonne articulation. Une convention doit définir cette articulation ; elle est en cours de rédaction. Les choses ne sont pas claires. Il y a des avancées, notamment sur la mise à disposition de personnels pour maintenir nos viviers de crise, mais il n'y a pas encore eu de tests sur la façon d'articuler la gestion de crise sur les installations nucléaires de défense et nous ne sommes pas au bout de la réflexion pour définir les modalités de fonctionnement.

M. Stéphane Piednoir, sénateur, président de l'Office. - Je vous remercie de la disponibilité que vous montrez pour l'Office, qui n'est pas une commission permanente. Nous sommes ici pour orienter les choix scientifiques et technologiques du pays, pour mettre à la disposition de nos collègues parlementaires les rapports les plus étayés possible, en conclusion des travaux que nous conduisons. Priorité n'est pas donnée à tel ou tel aspect sociétal. Nous maintenons les perspectives données lors de la création de l'Office en 1983.

Merci donc de votre disponibilité et de la profondeur de vos réponses. Je le dis sans flagornerie. On s'autoflagelle trop souvent dans notre pays et il ne faut pas hésiter à affirmer qu'il peut compter sur des responsables de très haut niveau. Nous avons besoin d'une élite - j'emploie le mot à dessein - qui nous gouverne et dirige les grandes institutions de notre pays, et vous en faites indéniablement partie.

Je remercie M. Doroszczuk pour les relations que nous avons eues, à quelques jours de la fin de son mandat comme président de l'ASN, date qui va marquer le début de l'aventure pour M. Abadie. Vous êtes ici parce que nous avions pris l'engagement de faire cette réunion avec l'ensemble des acteurs de la réforme, afin de mettre au clair les difficultés qui sont devant nous.

Je remercie également M. Niel pour la qualité des relations que j'ai eues avec lui depuis 2018 en tant que membre du conseil d'administration de l'IRSN.

M. Jean-Christophe Niel. - Puisqu'il s'agit de la dernière audition de l'IRSN par l'Office, je tiens à vous remercier pour la qualité de nos relations et je veux noter avec beaucoup de satisfaction, à travers les interventions des membres de l'Office, de l'ASN et de Pierre-Marie Abadie, la reconnaissance de l'excellence de l'IRSN.

M. Bernard Doroszczuk. - Merci, monsieur le président, de vos propos. Mon mandat se termine dans six jours. J'ai conscience de passer le témoin à Pierre-Marie Abadie avec le défi redoutable mais passionnant qu'est la création de l'ASNR. J'ai toujours apprécié les moments d'échange avec l'Office. Vous avez rappelé la présentation annuelle du bilan de la sûreté nucléaire et de la radioprotection en France, mais c'est le cas de toutes les réunions techniques et scientifiques tenues à l'initiative de l'Office sur des événements importants intervenus sur les installations nucléaires. Ce haut niveau de dialogue scientifique, technologique, est indispensable au bon fonctionnement de la sûreté ; il est également indispensable pour relever un défi, celui d'assumer nos responsabilités vis-à-vis de la représentation nationale.

Je remercie tous les membres de l'Office, dont la composition a évolué au fil de mon mandat de six ans. J'ai une pensée pour Gérard Longuet, qui était président au début de mon mandat, toujours très vigilant quant au respect des règles que vous avez rappelées.

Puisque notre audition est publique, je voudrais exprimer ma reconnaissance envers la totalité des personnels de l'ASN qui ont soutenu, durant ces six années, la mission dont nous avons rendu compte à l'Office.

M. Stéphane Piednoir, sénateur, président de l'Office. - Je vous renouvelle mes remerciements et lève la séance.

La réunion est close à 11 h 35.