- Mardi 5 novembre 2024
- Mercredi 6 novembre 2024
- Proposition de nomination de M. Didier Leschi, candidat proposé par le Président de la République, aux fonctions de directeur général de l'Office français de l'immigration et de l'intégration - Désignation d'un rapporteur
- Proposition de résolution tendant à la création d'une commission d'enquête sur les pratiques des industriels de l'eau en bouteille et les responsabilités des pouvoirs publics dans les défaillances du contrôle de leurs activités et la gestion des risques économiques, patrimoniaux, fiscaux, écologiques et sanitaires associés - Désignation d'un rapporteur
- Mission d'information sur l'exécution des peines - Désignation des rapporteurs
- Mission d'information sur les polices municipales - Désignation des rapporteurs
- Proposition de résolution tendant à la création d'une commission d'enquête sur les pratiques des industriels de l'eau en bouteille et les responsabilités de l'État dans les défaillances du contrôle de leurs activités et la gestion des risques sanitaires associés - Examen du rapport portant avis sur la recevabilité de la proposition de résolution
- Proposition de loi constitutionnelle visant à accélérer le redressement des finances publiques - Examen du rapport et du texte de la commission
- Proposition de loi instituant une ordonnance de sûreté de l'enfant victime de violences - Examen du rapport et du texte de la commission
- Proposition de loi visant à interdire la corrida et les combats de coqs en présence de mineurs de moins de seize ans - Examen du rapport et du texte de la commission
- Proposition de loi visant à interdire le démarchage téléphonique - Examen du rapport et du texte de la commission
Mardi 5 novembre 2024
- Présidence de M. Christophe-André Frassa, vice-président -
La réunion est ouverte à 14 h 00.
Proposition de loi tendant à renforcer les moyens de surveillance des individus condamnés pour des infractions sexuelles, violentes ou terroristes - Examen des amendements au texte de la commission
M. Christophe-André Frassa, président. - Nous examinons les amendements au texte de la commission sur la proposition de loi tendant à renforcer les moyens de surveillance des individus condamnés pour des infractions sexuelles, violentes ou terroristes. Nous commençons par l'examen des amendements du rapporteur.
EXAMEN DES AMENDEMENTS DU RAPPORTEUR
Mme Muriel Jourda, rapporteur. - L'amendement n° 19 vise à corriger une erreur matérielle. Je précise qu'il n'aura plus d'objet si l'amendement n° 18 du Gouvernement déposé à l'article 1er est adopté en séance.
L'amendement n° 19 est adopté.
Mme Muriel Jourda, rapporteur. - L'amendement n° 20 tend à étendre à plusieurs infractions graves le dispositif prévoyant le prononcé automatique d'une peine complémentaire d'interdiction d'exercer une activité au contact habituel des mineurs.
L'amendement n° 20 est adopté.
Mme Muriel Jourda, rapporteur. - L'amendement n° 21 vise à mettre en place une nouvelle obligation d'information par le procureur de la République, afin de garantir la pleine effectivité de cette peine complémentaire.
L'amendement n° 21 est adopté.
EXAMEN DES AMENDEMENTS AU TEXTE DE LA COMMISSION
Mme Muriel Jourda, rapporteur. - L'amendement n° 8 est contraire à la position de la commission. Avis défavorable.
La commission émet un avis défavorable à l'amendement n° 8.
Mme Muriel Jourda, rapporteur. - L'amendement n° 16 est également contraire à la position de la commission. Avis défavorable.
La commission émet un avis défavorable à l'amendement n° 16.
Mme Muriel Jourda, rapporteur. - L'amendement n° 9 vise à supprimer cet article. Avis défavorable.
La commission émet un avis défavorable à l'amendement n° 9.
Mme Muriel Jourda, rapporteur. - L'amendement n° 10 est contraire à la position de la commission. Avis défavorable.
La commission émet un avis défavorable à l'amendement n° 10, de même qu'à l'amendement n° 1.
Mme Muriel Jourda, rapporteur. - L'amendement n° 18 prévoit que le Gouvernement déterminera l'administration qui sera compétente pour informer l'officier de l'état civil du changement de nom ou de prénom. Avis favorable, car cela relève de l'organisation des services de l'État.
La commission émet un avis favorable à l'amendement n° 18.
Mme Muriel Jourda, rapporteur. - L'amendement n° 12 rectifié tend à fixer un délai maximal pour ce qui concerne les réponses aux saisines des collectivités territoriales quant à une inscription au fichier judiciaire national automatisé des auteurs d'infractions sexuelles ou violentes (Fijaisv). Même si je comprends l'intention des auteurs de cet amendement, je ne vois pas l'utilité de mettre en place une obligation qui ne soit pas assortie d'une sanction. Retrait ou, à défaut, avis défavorable.
La commission demande le retrait de l'amendement n° 12 rectifié et, à défaut, y sera défavorable.
Mme Muriel Jourda, rapporteur. - L'amendement n° 14 concerne l'honorabilité dans les associations cultuelles. Je propose aux auteurs de cet amendement de se rallier à l'amendement n° 7 de Mme Richard, dont la rédaction est plus générale. Avis défavorable.
La commission émet un avis défavorable à l'amendement n° 14.
Mme Muriel Jourda, rapporteur. - Les amendements identiques nos 2, 4, 11 et 17 visent à supprimer l'article 4, qui prévoit d'aligner le délai de rétention des étrangers interdits du territoire à la suite d'une infraction sexuelle ou violente grave sur celui a été retenu pour les étrangers condamnés en cas d'infraction terroriste. Les motivations des auteurs de ces amendements diffèrent. Je comprends l'intention du Gouvernement qui partage l'ambition de ce dispositif mais souhaite le voir figurer dans un autre texte, et ce dans le cadre d'une réflexion plus large encore sur cette question. C'est au bénéfice de cette perspective que je vous propose d'émettre un avis favorable sur ces amendements identiques.
La commission émet un avis favorable aux amendements identiques nos 2, 4, 11 et 17, de même qu'à l'amendement n° 3.
Mme Muriel Jourda, rapporteur. - L'amendement no 6 vise à réprimer pénalement les violations des interdictions de contact avec des mineurs, y compris en cas de simple tentative et pour des faits commis à l'étranger. Avis favorable.
La commission émet un avis favorable à l'amendement n° 6.
Mme Muriel Jourda, rapporteur. - L'amendement n° 7 prévoit une information quant à la faculté dont disposent les associations d'obtenir la présentation du bulletin n° 3 du casier judiciaire pour les bénévoles en contact avec les mineurs. Avis favorable.
La commission émet un avis favorable à l'amendement n° 7.
Mme Muriel Jourda, rapporteur. - L'amendement n° 5 prévoit, d'une part, que les employeurs ont la possibilité d'obtenir la présentation du bulletin n° 3 du casier judiciaire pour les emplois en contact habituel avec des mineurs et, d'autre part, que les plateformes de mise en relation pour les services de garde d'enfants ont l'obligation d'afficher cette possibilité. Avis favorable.
La commission émet un avis favorable à l'amendement n° 5.
Le sort des amendements du rapporteur examinés par la commission est retracé dans le tableau suivant :
La commission a donné les avis suivants aux autres amendements de séance :
La réunion est close à 14 h 10.
Mercredi 6 novembre 2024
- Présidence de Mme Muriel Jourda, présidente -
La réunion est ouverte à 9 h 00.
Proposition de nomination de M. Didier Leschi, candidat proposé par le Président de la République, aux fonctions de directeur général de l'Office français de l'immigration et de l'intégration - Désignation d'un rapporteur
La commission désigne Mme Muriel Jourda rapporteur sur la proposition de nomination, par le Président de la République, de M. Didier Leschi aux fonctions de directeur général de l'Office français de l'immigration et de l'intégration, en application de l'article 13 de la Constitution.
Proposition de résolution tendant à la création d'une commission d'enquête sur les pratiques des industriels de l'eau en bouteille et les responsabilités des pouvoirs publics dans les défaillances du contrôle de leurs activités et la gestion des risques économiques, patrimoniaux, fiscaux, écologiques et sanitaires associés - Désignation d'un rapporteur
La commission désigne Mme Muriel Jourda rapporteur sur la proposition de résolution tendant à la création d'une commission d'enquête sur les pratiques des industriels de l'eau en bouteille et les responsabilités des pouvoirs publics dans les défaillances du contrôle de leurs activités et la gestion des risques économiques, patrimoniaux, fiscaux, écologiques et sanitaires associés.
Mission d'information sur l'exécution des peines - Désignation des rapporteurs
La commission désigne Mme Elsa Schalk, Mme Laurence Harribey et Mme Dominique Vérien rapporteures de la mission d'information sur l'exécution des peines.
Mission d'information sur les polices municipales - Désignation des rapporteurs
La commission désigne Mme Jacqueline Eustache-Brinio rapporteure de la mission d'information sur les polices municipales.
Mme Muriel Jourda, présidente. - Chaque groupe a également désigné l'un de ses membres pour accompagner Mme Eustache-Brinio dans ce travail : M. Hervé Reynaud, Mme Isabelle Florennes, M. Hussein Bourgi, M. Dany Wattebled, M. Ian Brossat, Mme Patricia Schillinger, M. Guy Benarroche et Mme Sophie Briante-Guillemont.
Proposition de résolution tendant à la création d'une commission d'enquête sur les pratiques des industriels de l'eau en bouteille et les responsabilités de l'État dans les défaillances du contrôle de leurs activités et la gestion des risques sanitaires associés - Examen du rapport portant avis sur la recevabilité de la proposition de résolution
Mme Muriel Jourda, présidente, rapporteur. - La proposition de résolution présentée par Alexandre Ouizille, que le groupe Socialiste, Écologiste et Républicain demande dans le cadre du droit de tirage prévu par l'article 6 bis du Règlement du Sénat, respecte les conditions fixées par l'article 6 de l'ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires et par le Règlement.
D'une part, elle n'a pas pour effet de reconstituer une commission d'enquête ayant achevé ses travaux depuis moins de douze mois. À cet égard, je rappelle que le travail mené récemment par la commission des affaires économiques ne l'a pas été dans le cadre d'une commission d'enquête.
D'autre part, cette proposition de résolution respecte la condition des effectifs et ne dépasse pas la limite de 23 membres, fixée par l'article 8 ter de notre Règlement.
Si cette proposition a été suscitée par le scandale du traitement non autorisé des eaux minérales intervenu l'an dernier, le texte porte sur la gestion des services publics au sens large, les contrôles sanitaires et économiques de l'activité des industriels de l'eau en bouteille et le mécanisme de prise de décision en la matière.
Je vous invite à constater la recevabilité de cette proposition de résolution, sans avoir à interroger le garde des sceaux.
La commission constate la recevabilité de la proposition de résolution n° 517 rectifiée (2023-2024) tendant à la création d'une commission d'enquête sur les pratiques des industriels de l'eau en bouteille et les responsabilités des pouvoirs publics dans les défaillances du contrôle de leurs activités et la gestion des risques économiques, patrimoniaux, fiscaux, écologiques et sanitaires associés.
Proposition de loi constitutionnelle visant à accélérer le redressement des finances publiques - Examen du rapport et du texte de la commission
Mme Vanina Paoli-Gagin, auteur de la proposition de loi. - En tant que membre de la commission des finances, j'ai été guidée dans mon action par le nécessaire rétablissement des finances publiques. Il m'a paru opportun de modifier notre loi fondamentale pour y parvenir.
Le principal objet de ce texte est d'inscrire dans la Constitution la primauté de la pluriannualité sur l'annualité, en matière budgétaire. Aujourd'hui, l'inverse prévaut et le principe d'annualité a acquis une valeur constitutionnelle, ce qui n'est pas le cas de la pluriannualité. Il s'agit d'un paradoxe puisque la notion d'annualité ne figure pas explicitement dans notre texte fondamental, contrairement à celle de la pluriannualité, présente au travers des références aux lois de programmation.
Pour rétablir les finances publiques de façon durable, il faut inverser ce rapport et graver dans le marbre la primauté de la programmation sur les lois de finances annuelles.
De plus, le droit actuel nous fait courir un risque. En effet, nous ne sommes pas sûrs de pouvoir examiner le budget dans sa globalité, en raison de l'inflation chronique du nombre d'amendements déposés, qui témoignent néanmoins de notre droit le plus souverain. Nous parvenons ainsi à une situation ubuesque, dans laquelle le budget pourrait n'être voté ni à l'Assemblée nationale ni au Sénat. Le Parlement renoncerait alors à l'une de ses prérogatives essentielles.
J'ai consulté un certain nombre d'experts : des professeurs, comme Philippe Dessertine et Alain Pariente, le président de l'association « finances publiques et économie » (Fipeco), François Écalle, l'économiste et directeur adjoint de l'Observatoire français des conjonctures économiques (OFCE), Mathieu Plane, ou encore le directeur des études de Rexecode, Olivier Redoules.
Le dispositif proposé n'a rien de fantasque et s'inspire fortement d'un projet de loi constitutionnelle adopté par le Sénat et l'Assemblée nationale en 2011. Pour des raisons politiques et par crainte de ne pas parvenir à réunir la majorité qualifiée, le processus d'adoption n'a pas abouti.
La réforme proposée entre en résonnance avec le modèle européen du cadre financier pluriannuel. Ce cadre fonctionne bien et permet aux contributeurs de l'Union européenne (UE) d'avoir une meilleure visibilité, tout en préservant leur marge d'action en cas de crise. De la même façon, les parlementaires conserveraient une marge de manoeuvre, qu'il serait possible d'utiliser en cas de consensus politique.
Par ailleurs, cette proposition de loi constitutionnelle vise à renforcer le rôle du Haut Conseil des finances publiques (HCFP), afin d'éviter les erreurs de prévision, qui peuvent conduire à de graves dérapages.
Ce renforcement ne remet pas en cause le rôle du Conseil constitutionnel, qui contrôle la constitutionnalité des lois de finances. Cependant, son avis serait éclairé par le HCFP.
Enfin, ce texte provoque de nombreuses réactions positives, venant de personnes de tous horizons, notamment de jeunes. Nous sommes confrontés à un problème systémique et ne maîtrisons pas les finances publiques. Il serait positif que le Sénat s'empare de cette question.
M. Stéphane Le Rudulier, rapporteur. - Cette proposition de loi constitutionnelle pose une question essentielle : la révision constitutionnelle est-elle un outil adéquat pour mener l'indispensable redressement de nos finances publiques ? Il s'agit d'un sujet hautement politique, sensible et actuel.
On ne peut que s'alarmer avec l'auteur du texte de la dégradation de nos finances publiques, qu'illustrent ces deux chiffres : un déficit public estimé à 6,1 % du PIB et une dette cumulée qui s'élève à 113 % du PIB à la fin de l'année 2024.
Cette situation résulte d'abord d'un échec politique, qui découle de l'absence de volonté de prendre des mesures fortes en la matière. Cependant, il s'agit aussi d'un échec juridique et normatif.
Ce texte s'inspire d'un projet de loi constitutionnelle de 2011, déposé dans un contexte de crise de la dette souveraine dans la zone euro. Ce texte n'a finalement jamais été soumis au référendum ni au Congrès et une décision du Conseil constitutionnel, selon laquelle il n'était pas nécessaire de modifier la Constitution pour transposer les exigences européennes a temporairement clôt ce débat. Face à la situation dégradée que nous connaissons, il est légitime de nous interroger à nouveau sur la pertinence d'une modification de notre loi fondamentale pour atteindre notre objectif.
Dans le cadre de sa mission d'information sur la dégradation des finances publiques depuis 2023, son suivi par l'administration et le Gouvernement et les modalités d'information du Parlement sur la situation économique, budgétaire et financière de la France, la commission des finances du Sénat a récemment formulé 15 recommandations, dont aucune ne porte sur le cadre constitutionnel. Celles-ci s'articulent autour de trois axes : améliorer les prévisions, notamment en matière de recettes ; renforcer la transparence des données utilisées ; et garantir l'information ainsi que le rôle du Parlement dans le vote du budget et dans le contrôle de l'exécution budgétaire.
La proposition de loi constitutionnelle poursuit trois objectifs. D'abord, il s'agit de créer une nouvelle catégorie de lois, portant cadre financier pluriannuel, qui se substitueraient aux lois de programmation des finances publiques (LPFP), mais qui, à la différence de ces dernières, s'imposeraient aux lois de finances et de financement de la sécurité sociale. Le deuxième objectif consiste à établir un monopole des lois de finances sur les mesures liées aux dispositions fiscales. Enfin, le texte vise à constitutionnaliser le HCFP, dont les prérogatives seraient également élargies.
En ce qui concerne le premier objectif, les lois-cadres porteraient sur la durée de la législature et comprendraient : des plafonds pour les charges des administrations publiques, une trajectoire des prélèvements obligatoires, des objectifs de solde public et une stratégie d'investissement public.
Premièrement, la terminologie employée est éclairante puisqu'elle reprend la notion de cadre financier pluriannuel utilisée pour le budget de l'Union européenne, qui doit respecter des plafonds fixés pour une période de sept ans. Cependant, cette comparaison avec le droit européen doit être maniée avec la plus grande prudence, l'Union européenne n'étant pas un État souverain et ne jouant pas un rôle majeur dans le fonctionnement des services publics.
Deuxièmement, ce texte induit une profonde remise en cause du principe de l'annualité budgétaire, qui constitue un grand acquis du parlementarisme, consacré par notre ordre juridique constitutionnel depuis la Constitution de 1791. Ce principe permet le consentement à l'impôt et l'exercice d'un contrôle de la dépense de manière régulière. Y revenir entraînerait une remise en cause de la garantie des droits budgétaires du Parlement.
Troisièmement, ces lois-cadres pluriannuelles pourraient être adoptées en ayant recours au « 49.3 ». Comment imaginer une situation dans laquelle le budget de l'État pourrait être fixé pour une durée de cinq ans sans avoir été voté par l'Assemblée nationale ?
De surcroît, la procédure proposée pour modifier les lois-cadres se veut très rigide. La réunion du Parlement en congrès et une majorité qualifiée des trois cinquièmes seraient nécessaires pour les réviser, ce qui entraîne une rupture du parallélisme des formes. De plus, d'un point de vue philosophique, la majorité des trois cinquièmes est en principe destinée à imposer des exigences dont la portée excède des engagements partisans. Or le budget est par essence un acte purement politique.
Quatrièmement, le texte comporte des risques de remise en cause de la libre administration et de l'autonomie financière des collectivités territoriales. En effet, les lois-cadres comporteraient des dispositions relatives à la trajectoire des prélèvements obligatoires, qui incluent les impôts locaux, et à la stratégie d'investissement public, portée à plus de 50 % par les collectivités. Cet instrument pourrait donc être utilisé par le Gouvernement pour contraindre davantage les finances des collectivités.
Cinquièmement, le fait de graver dans le marbre constitutionnel des critères de finances publiques pourrait engendrer des risques de contradiction avec le cadre européen. Ce dernier s'est avéré évolutif, quand notre loi fondamentale a vocation à rester stable. Ainsi, à chaque évolution du cadre européen, il nous faudrait voter une révision constitutionnelle.
À titre d'exemple, depuis que le pacte de stabilité et de croissance (PSC) de l'Union européenne a été modifié en avril 2024, le cadre européen n'est plus centré sur le déficit structurel, mais sur la croissance des dépenses publiques nettes. Or ce critère ne figure pas dans le dispositif de la proposition de loi constitutionnelle. Il faudrait plutôt prévoir d'introduire les critères au niveau organique, et le débat sur la définition des indicateurs pertinents aurait vocation à relever de la commission des finances plutôt que de notre commission.
Sixièmement, le fait de donner une portée contraignante à une norme de déficit ou à tout autre critère intégrant des prévisions de recettes peut être problématique. En effet, le Conseil constitutionnel pourrait-il censurer une loi de finances sur la seule base d'un indicateur prévisionnel ?
De même, les indicateurs de déficit ou de dépenses publiques globales posent un problème de périmètre. Le Conseil constitutionnel pourrait-il censurer une loi de finances qui porte sur le fonctionnement de l'État, sur la base d'un indicateur relatif à l'ensemble des administrations publiques ? Le seul critère qui pourrait être utilisé de manière fiable serait le plafonnement des crédits budgétaires de l'État. Néanmoins, un problème de nature politique se pose alors : peut-on figer dans la Constitution une certaine conception de la consolidation des finances publiques, exclusivement centrée sur la réduction des dépenses publiques ? Je ne le pense pas.
Pour conclure sur ce point, quels que soient les critères retenus, le Conseil constitutionnel serait placé dans une position inhabituelle, devenant juge financier, ce qui ne me semble pas souhaitable pour l'équilibre de nos institutions.
Septièmement, l'importante rigidité de la loi-cadre pourrait s'avérer préjudiciable à la conduite de la politique budgétaire, à plus forte raison dans un contexte économique et financier incertain. La crise de la Covid-19 a montré la nécessité de conserver souplesse et réactivité.
Enfin, il faut replacer cette proposition de loi constitutionnelle dans son contexte. Le cadre financier européen a été suspendu pendant la crise sanitaire, en raison des efforts budgétaires légitimes qu'il a fallu fournir. Il est désormais rétabli et, depuis juillet dernier, la France compte parmi les sept pays qui sont sous le coup d'une procédure pour déficit excessif. Le respect des règles européennes ne nécessite pas de révision constitutionnelle et peut entraîner, tout au plus, un réajustement au niveau organique.
J'en viens au deuxième objectif de la proposition de loi constitutionnelle : l'institution d'un monopole des lois de finances pour les dispositions fiscales, qui relèvent aujourd'hui du domaine partagé.
Le fait de circonscrire les mesures fiscales dans la loi de finances peut paraître pertinent d'un point de vue doctrinal, car il garantit la cohérence de la politique budgétaire. Cependant, cette doctrine est déjà largement respectée et l'on ne compte, chaque année, que deux à trois mesures fiscales adoptées en dehors des textes financiers. Laisser au législateur une certaine souplesse peut s'avérer utile. Cette proposition porte atteinte de façon importante à l'initiative parlementaire, déjà fortement contrainte par l'article 40 de la Constitution.
J'en viens au dernier objectif : la constitutionnalisation du HCFP et l'élargissement de ses prérogatives.
Crée en 2013, le HCFP a démontré son utilité, mais une telle évolution ne paraît pas nécessaire. Le Haut Conseil a été consacré par la loi organique et il émane de la Cour des comptes, qui a déjà un statut institutionnel. Concernant l'élargissement de ses prérogatives, le HCFP n'en a pas les moyens financiers et budgétaires. De plus, un risque de doublon existe puisque le ministère de l'économie et des finances ne renoncera probablement pas à ses capacités de prévision. Le Haut Conseil a démontré son utilité dans son rôle actuel, qui consiste à analyser et parfois à contester ou à pointer les zones d'ombre dans les prévisions gouvernementales.
Je propose donc de ne pas adopter cette proposition de loi constitutionnelle et j'ajouterai deux arguments complémentaires.
D'abord, le redressement des finances publiques est avant tout une question de prise de conscience politique et de volonté ; gardons-nous donc de donner au droit constitutionnel un rôle qu'il ne peut ni ne doit assumer.
Enfin, cette proposition de loi, si elle était votée dans des termes identiques par les deux chambres, devrait obligatoirement être soumise au référendum pour être adoptée. Voulons-nous saisir les citoyens de ce texte très technique, qui sanctionne une forme d'échec du politique sur la question budgétaire ?
M. Stéphane Sautarel, rapporteur pour avis de la commission des finances. - Le rapporteur, avec qui j'ai travaillé en parfaite coopération au cours des auditions, a fort bien rendu compte de notre analyse partagée de ce texte. Si je salue l'initiative de notre collègue Vanina Paoli-Gagin dans le cadre de cette proposition de loi constitutionnelle en ce qu'elle évoque des objectifs qui peuvent faire l'objet d'un large consensus, je ne pense pas que les réponses apportées soient adéquates face à la dégradation des finances publiques.
J'ai présenté hier mon rapport à la commission des finances en reprenant les arguments qui ont été développés par Stéphane Le Rudulier : nous avons proposé un avis de rejet du texte, notamment au regard de la perte de pouvoir du Parlement et de la remise en cause du consentement à l'impôt qu'il porte.
En conclusion, je rappelle que le paysage a bien changé depuis l'initiative de 2011. En 2012, le traité sur la stabilité, la coordination et gouvernance au sein de l'Union économique et monétaire (TSCG), ensuite traduit par le biais d'une loi organique nationale, a en effet profondément fait évoluer le cadre de nos réflexions. S'il est possible que des ajustements organiques soient encore nécessaires, il ne nous semble pas que l'outil proposé ici soit approprié.
M. Jérôme Durain. - Je m'inscris dans le droit fil des propos précédents, notre groupe estimant que cette proposition de loi constitutionnelle n'est pas adaptée à la situation. Il est surprenant de vouloir modifier la Constitution parce que nous avons des difficultés budgétaires. Pour notre part, nous entendons privilégier des choix politiques et des arbitrages budgétaires à la recherche de réponses institutionnelles.
Le caractère obligatoire des lois portant cadre financier pluriannuel et le monopole en matière fiscale paraissent alourdir et rigidifier des situations dans lesquels il serait préférable de disposer de souplesse et de réactivité. Il nous semble nécessaire, à l'inverse, de conforter une forme de liberté d'action et d'invention pour le Parlement. Telles qu'elles sont envisagées, les conditions d'édiction et de modification des lois pluriannuelles formeraient un carcan insupportable.
M. Stéphane Le Rudulier, rapporteur. - Nous partageons en effet la même appréciation.
EXAMEN DES ARTICLES
Article 1er
L'article 1er n'est pas adopté.
Article 2
L'article 2 n'est pas adopté.
Article 3
L'article 3 n'est pas adopté.
Article 4
L'article 4 n'est pas adopté.
Article 5
L'article 5 n'est pas adopté.
Article 6
L'article 6 n'est pas adopté.
Article 7
L'article 7 n'est pas adopté.
Article 8
L'article 8 n'est pas adopté.
Article 9
L'article 9 n'est pas adopté.
Article 10
L'article 10 n'est pas adopté.
Article 11
L'article 11 n'est pas adopté.
Article 12
L'article 12 n'est pas adopté.
La proposition de loi constitutionnelle n'est pas adoptée.
Conformément au premier alinéa de l'article 42 de la Constitution, la discussion en séance portera en conséquence sur le texte initial de la proposition de loi constitutionnelle déposée sur le Bureau du Sénat.
Proposition de loi instituant une ordonnance de sûreté de l'enfant victime de violences - Examen du rapport et du texte de la commission
Mme Marie Mercier, rapporteur. - La protection de l'enfance constitue un objectif impérieux, que nous partageons tous. Nous connaissons tous la vulnérabilité des enfants - et les horreurs qu'ils subissent parfois. C'est pourquoi nous sommes, je le sais, tous attachés à ce que notre cadre juridique garantisse leur protection et à ce que des dispositifs adaptés à la protection de ces victimes si particulières existent.
Les travaux de la Commission indépendante sur l'inceste et les violences sexuelles faites aux enfants (Ciivise) ont récemment rappelé la situation. Permettez-moi de citer quelques chiffres : 160 000 enfants seraient victimes de violences sexuelles chaque année, ce qui représenterait une victime d'inceste, de viol ou d'agression sexuelle toutes les trois minutes. L'agresseur appartiendrait à la famille de l'enfant dans 81 % des cas et, une fois sur deux, les violences s'étendraient sur plus d'une année.
Ces quelques chiffres, bien que leur mode de calcul ne fasse pas consensus, suffisent toutefois à souligner l'ampleur des violences que peuvent subir les enfants et donc la nécessité, pour les législateurs que nous sommes, de tout faire pour les protéger. Ce n'est ni de sympathie ni d'empathie dont nous devons faire preuve, mais de compassion, c'est-à-dire de bienveillance et de volonté d'aider la jeune victime. Nous avons d'ailleurs, à deux reprises en 2024, renforcé les dispositifs de protection judiciaire de l'enfant présumé victime de violences, avec la loi du 18 mars 2024 dite « loi Santiago », que j'ai eu l'honneur de rapporter ; et, plus indirectement, avec la loi du 13 juin 2024, dite « loi Chandler », rapportée par notre collègue Dominique Vérien, dont je veux saluer ici l'engagement de longue date et sans faille contre toute forme de violence intrafamiliale.
En l'état actuel du droit, la protection de l'enfant en danger repose sur de nombreux dispositifs spécifiques, qui mobilisent, en fonction de la nature du danger et de la situation familiale de l'enfant, le juge des enfants, le juge aux affaires familiales (JAF), le procureur de la République et, lorsque les violences de l'adulte semblent avérées, le juge pénal. Il est vrai que l'articulation de tous ces dispositifs n'est pas aisée et notre collègue Maryse Carrère, qui est à l'initiative de ce texte, a raison de pointer une certaine difficulté de lecture pour le justiciable.
Citons, en premier lieu, les mesures d'assistance éducative que peut ordonner le juge des enfants en l'absence de parent protecteur.
Ce juge spécialisé dans la protection de l'enfance peut notamment se prononcer exceptionnellement sur les droits de visite et d'hébergement des parents, ou placer un enfant présumé victime de violences par la délivrance d'une ordonnance de placement, un outil à ma connaissance au moins aussi ancien que la Ve République. Cette dernière mesure peut également être ordonnée en urgence, dans le cadre d'une ordonnance de placement provisoire, par le procureur de la République, qui doit alors, sous huit jours, saisir le juge des enfants.
La saisine du juge des enfants n'est pas seulement protectrice parce qu'elle permet d'obtenir le prononcé de ces mesures. Elle est protectrice en elle-même, grâce aux garanties qui l'accompagnent.
Le juge des enfants est en effet tenu d'effectuer un entretien individuel avec l'enfant, une obligation qui n'est d'ailleurs pas prévue par le texte que nous examinons. Il peut par ailleurs demander au bâtonnier la désignation d'un avocat, ou, pour l'enfant non capable de discernement - c'est très souvent le cas -, d'un administrateur ad hoc.
Ces deux exemples rappellent la spécialisation de ce juge, sa connaissance de la protection de l'enfance en danger et son souci de statuer au regard du seul intérêt de l'enfant.
Évoquons, en second lieu, les différents dispositifs auxquels un parent protecteur peut recourir pour protéger un enfant présumé victime de violences.
Il existe, tout d'abord, un dispositif général, qui figure à l'article 373-2-8 du code civil. Celui-ci permet à l'un des parents ou au ministère public de saisir le JAF pour qu'il se prononce sur les modalités d'exercice de l'autorité parentale. Le JAF peut aussi être saisi en urgence à cette fin, dans le cadre de l'assignation à bref délai, prévue à l'article 1137 du code de procédure civile. L'audience doit alors se tenir dans un délai maximal de quinze jours, soit le même délai que celui que prévoit le texte que nous examinons.
Rappelons, par ailleurs, que l'ordonnance de protection et la nouvelle ordonnance provisoire de protection immédiate peuvent bénéficier par extension aux enfants, lorsqu'ont lieu des violences conjugales - nous aurons l'occasion d'y revenir.
Enfin, le code civil prévoit la suspension de l'exercice de l'autorité parentale et des droits de visite et d'hébergement d'un parent poursuivi par le ministère public ou mis en examen par un juge d'instruction, les motifs de suspension ayant été élargis récemment par la loi du 18 mars 2024 précitée. Cela atteste de notre volonté légitime et pérenne d'améliorer la protection de l'enfance.
Notre collègue Maryse Carrère entend poursuivre le même objectif en instituant une nouvelle ordonnance de sûreté de l'enfant victime de violences, qui se superposerait aux dispositifs précités. Sa proposition mettrait ainsi en oeuvre la préconisation nº 26 du rapport de la Ciivise, publié en novembre 2023.
Inspirée très largement de l'ordonnance de protection qui s'applique, pour mémoire, aux cas de violences conjugales entre deux adultes, cette ordonnance de sûreté de l'enfant victime de violences serait, elle aussi, un dispositif d'urgence, permettant au JAF de prononcer des mesures temporaires visant à protéger une victime présumée de violences, sans que cette ordonnance ne préjuge d'une reconnaissance de culpabilité. Aucun dépôt de plainte ne serait en effet exigé en parallèle.
Alors que l'ordonnance de protection repose sur un double critère de vraisemblance de violences au sein du couple - ces violences pouvant également toucher les enfants dudit couple - et de l'existence d'une situation de danger, l'ordonnance de sûreté aurait un périmètre plus large que celui du couple et de la famille, puisqu'elle s'adresserait aux cas vraisemblables de viol incestueux, d'agression sexuelle incestueuse ou de faits de violence susceptibles de mettre en danger un enfant, commis par une personne titulaire sur celui-ci d'une autorité de droit ou de fait, ce qui pourrait concerner, outre le cercle familial, un professeur ou un adulte encadrant lors d'une activité extrascolaire. Le critère de la vraisemblance de ces faits de violences, lesquels ne seraient pas, en l'état du texte, limités aux cas d'incestes parentaux comme le préconisait la Ciivise, devrait en outre se cumuler avec une crainte de récidive, c'est-à-dire « lorsqu'il est à redouter qu'une nouvelle infraction soit commise ».
Si un parent ou le ministère public estime que ces deux critères sont réunis, chacun d'eux pourrait alors saisir le JAF pour que celui-ci prononce, dans un délai de quinze jours, contre six jours pour l'ordonnance de protection, et après procédure contradictoire, des mesures relevant aussi bien du droit pénal que du droit civil, telles que le retrait total ou partiel de l'autorité parentale ou le retrait de l'exercice de cette autorité sur l'enfant présumé victime, ainsi que sur ses frères et soeurs mineurs ; la redéfinition des modalités du droit de visite et d'hébergement ; l'interdiction de contact, de quelque façon que ce soit, avec l'enfant présumé victime et éventuellement ses frères et soeurs ; l'interdiction pour le parent présumé violent de se rendre dans certains lieux ; ou encore le port d'un bracelet anti-rapprochement.
S'il s'agit d'un éventail de mesures moins large que celles que peut prononcer le juge lors d'une ordonnance de protection, toutes les mesures que je viens de citer peuvent également être prononcées lors d'une ordonnance de protection, à l'exception notable du retrait de l'autorité parentale, une décision d'une particulière gravité. Je note toutefois que certaines mesures utiles de l'ordonnance de protection, comme la faculté pour le juge de statuer sur le logement commun du couple ou de statuer sur la contribution à l'entretien et à l'éducation des enfants, n'ont pas été retenues par l'auteure de la proposition de loi.
Les mesures de l'ordonnance de sûreté seraient valables pour une durée maximale de six mois, contre un an pour l'ordonnance de protection, sans possibilité de prorogation, mais avec la faculté pour le juge de les modifier, compléter, suspendre temporairement ou supprimer pendant cette période de six mois.
Si l'objectif de ce texte est tout à fait compréhensible et louable, en plaçant l'enfant au coeur des préoccupations, les acteurs de la protection de l'enfance ont toutefois exprimé à la quasi-unanimité, lors des auditions que j'ai conduites, de grandes réserves à son égard.
Qu'il s'agisse des magistrats concernés - les juges des enfants, les JAF ou les procureurs de la République -, des avocats, du ministère de la justice, de deux des quatre associations que j'ai entendues, et même de la Ciivise, tous ont soit manifesté une absence de soutien au dispositif, soit pris une distance remarquée avec ledit dispositif en demandant des modifications significatives. Cette prudence partagée et cette absence de consensus en faveur du texte m'ont alertée : ni la nécessité ni l'utilité d'une ordonnance de sûreté de l'enfant ne semblent ainsi démontrées, contrairement à l'idée que l'on pouvait s'en faire en première approche.
L'ordonnance de sûreté pourrait en effet entraîner plus de problèmes qu'elle n'en résoudrait, et ce au détriment de l'objectif louable qu'elle porte.
Signalons quelques-unes des difficultés juridiques que ce dispositif soulève, difficultés par ailleurs visiblement en grande partie partagées par nos collègues du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain, au regard des amendements qu'ils ont déposés. Je les remercie d'ailleurs d'avoir suivi avec assiduité les auditions.
Tout d'abord, cette ordonnance repose sur des conditions de saisine non seulement inédites, mais moins favorables que celles des autres dispositifs évoqués à l'instant. Au surplus, cette saisine n'exige pas le dépôt d'une plainte pénale, ce qui est contraire au devoir de protection qu'un parent doit à son enfant. Il apparaît par ailleurs qu'aucune sanction n'est prévue, contrairement à l'ordonnance de protection, en cas de méconnaissance de l'ordonnance, ce qui la priverait d'effectivité.
Elle permettrait en outre de retirer tout ou partie de l'autorité parentale, et non d'en suspendre seulement l'exercice. Il s'agit là d'une mesure particulièrement grave, tout à fait inadaptée à une procédure d'urgence qui ne conclut pas à une reconnaissance de culpabilité. Plus largement, ce dispositif méconnaît l'office du JAF, à qui il ne revient pas de se prononcer sur une potentielle infraction pénale commise par un adulte extérieur au cercle familial.
Enfin et surtout, cette ordonnance serait redondante avec les dispositifs existants, que j'ai jugé utile de vous présenter. Cette proposition de loi risque donc d'altérer tant la lisibilité du cadre juridique actuel que les équilibres sur lesquels il repose.
En conséquence, l'institution de cette ordonnance, conçue pour améliorer la protection de l'enfance, pourrait aboutir au résultat inverse. C'est là la crainte que partagent les magistrats, les avocats, le ministère de la justice, et dans une certaine mesure la Ciivise et plusieurs associations de protection de l'enfance.
Au-delà des difficultés juridiques qu'elle soulève et du risque d'instrumentalisation qu'elle entraîne, cette proposition de loi intervient à l'issue d'une séquence législative riche. Comme je l'ai mentionné en introduction, nous avons voté de nombreux textes, ces dernières années, voire ces derniers mois, qui portent sur les violences intrafamiliales en général, et sur la protection de l'enfance en particulier.
Toutes ces évolutions récentes n'ont pas encore porté leurs fruits. Les décrets d'application relatifs à l'ordonnance provisoire de protection immédiate ne sont pas même encore parus !
Bien sûr, l'activité législative soutenue dans le domaine de la protection de l'enfance n'est pas un argument suffisant pour justifier un rejet du texte. Je note toutefois que ce sont les acteurs de la protection de l'enfance eux-mêmes qui souhaitent disposer du temps nécessaire pour suivre le rythme soutenu du législateur.
À ce stade, et pour toutes les raisons que je viens d'évoquer, la création d'une nouvelle ordonnance de sûreté de l'enfant ne me paraît donc ni pertinente ni souhaitable en l'état ; c'est pourquoi je vous propose de ne pas adopter ce texte.
Cependant, une solution alternative, moins lourde que la création d'un dispositif ad hoc, m'a été suggérée à la toute fin de mes travaux. Il s'agit d'étendre l'ordonnance de protection aux violences commises au sein de la famille et non plus au seul couple. Il semblerait, selon l'Association française des magistrats de la jeunesse et de la famille (AFMJF), que ce soit une pratique déjà suivie par une partie des JAF, lorsque des violences à l'égard d'enfants sont manifestes, mais qu'il n'y a pas de violences au sein du couple, car l'article 515-9 du code civil ouvre la voie à plusieurs interprétations.
S'il est, à ce stade, trop tôt pour me prononcer définitivement, cette solution me paraît intéressante. Toutefois, l'ordonnance de protection étant un dispositif identifié, de plus en plus utilisé et d'une importance capitale pour la lutte contre les violences intrafamiliales, nous ne pouvons décemment pas envisager une modification de son cadre juridique à l'aveugle sans consultation des principales parties prenantes, puisque mes auditions n'ont pas porté sur ce sujet. C'est pourquoi je vous propose de mener quelques consultations d'ici à la séance publique afin de déterminer si cette « solution de secours » est réellement pertinente.
Le rejet du texte que je vous suggère aujourd'hui est donc un rejet « constructif », dans l'attente d'une solution plus satisfaisante. La protection de nos enfants vaut bien quelques auditions supplémentaires ! Maryse Carrère a été informée du résultat de nos auditions et de la piste envisagée.
Mme Dominique Vérien. - Je tiens à saluer l'initiative de Maryse Carrère et le travail de Marie Mercier. Au début des auditions, je n'avais pas saisi tout l'objet de cette proposition de loi, pensant que le juge des enfants pouvait protéger les enfants dans tous les cas, mais j'ai découvert qu'il fallait que les deux parents soient défaillants pour qu'il intervienne, sans quoi il incombait au JAF de se saisir du sujet.
Les représentants des JAF nous ont expliqué qu'il existait une assignation à bref délai, d'où de nouveaux doutes quant à l'utilité d'une ordonnance de sûreté. En approfondissant le sujet, il est apparu que les assignations à bref délai présentent plusieurs inconvénients, dont celui d'être adressées par écrit. Au stade de la demande d'assignation, le JAF ne voit pas les parties,; ensuite, la décision du juge d'assigner les parties à une audience est à sa discrétion, sachant que certaines juridictions, surchargées, rejettent systématiquement ces demandes ; enfin, le JAF statue de manière définitive, là où l'ordonnance de sûreté permet - comme l'ordonnance de protection - d'adopter une solution provisoire de protection par rapport à une suspicion de violences qui n'aurait pas été complètement instruite ou démontrée, quitte à revenir ensuite sur cette solution.
Je comprends parfaitement la décision de la commission et suivrai les préconisations du rapporteur. Il semblerait malgré tout que l'ordonnance de sûreté serait bien un outil d'urgence complémentaire de l'assignation à bref délai, puisqu'elle permettrait de protéger sans avoir instruit l'ensemble des faits.
Mme Marie-Pierre de La Gontrie. - Si nous pouvons nous réjouir de la mobilisation parlementaire sur ces sujets, force est de constater que la multiplicité des dispositifs fait que l'on ne s'y retrouve plus.
La proposition de loi de Maryse Carrère a la vertu d'identifier le segment qui n'est sans doute pas couvert par une disposition existante. J'ignore si les amendements de notre groupe seront votés, mais j'insiste sur la nécessité, pour la commission, de se positionner par rapport à une série d'options.
Premièrement, le délai d'adoption de l'ordonnance de sûreté doit, selon nous, être court et aligné sur l'ordonnance de protection, c'est-à-dire inférieur à quinze jours.
Deuxièmement, nous ne sommes pas favorables à la possibilité de retrait de l'autorité parentale, seule sa suspension pouvant s'envisager. Sur ces sujets, il existe bien une instrumentalisation dans les procédures de divorce, ce qui rend la prise de décision difficile. Ce retrait de l'autorité parentale me paraît disproportionné.
Troisièmement, il est question d'un dispositif anti-rapprochement pour les enfants, ce qui paraît difficile à mettre en oeuvre : imaginez un enfant portant cet équipement dans une cour de récréation !
Quatrièmement, il s'agit d'abaisser de six mois à trois mois la durée des mesures prises dans le cadre de l'ordonnance de sûreté, sans empêcher un éventuel renouvellement.
Enfin, la proposition de loi prévoit que l'ordonnance de sûreté puisse être adoptée en l'absence d'une plainte préalable : j'y serais au contraire plutôt favorable, car le dépôt de plainte conditionne le déclenchement d'une enquête. Cette condition permet également d'apprécier le degré de motivation des parents.
À ce stade, nous avons donc déposé des amendements et sommes favorables à ce texte ainsi amendé. S'il venait à être rejeté, je vous rends attentifs à la communication que fera le Sénat et il conviendrait de recueillir l'avis de l'auteure de la proposition de loi.
M. Michel Masset. - Je remercie le rapporteur et l'auteure de la proposition de loi, présidente de notre groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen. Ce texte est très simple et fait le constat qu'il n'existe pas un outil clair et unique qui serait totalement dédié à la protection d'urgence de l'enfant.
Nous devons avoir une prise de conscience face à cette situation dans laquelle l'enfant n'est pas en mesure de se défendre contre les violences, ce texte ayant le mérite de s'interroger sur les dispositifs actuels et de tenter de les améliorer.
Mme Marie Mercier, rapporteur. - Il ne s'agirait pas d'un dispositif unique, mais d'un dispositif supplémentaire qui viendrait se superposer à d'autres. Nous risquerions d'y perdre en clarté et d'aller à l'encontre du but recherché.
Madame de La Gontrie, nous souhaitons toujours aller vite pour protéger les enfants, mais il faut savoir raison garder. Les amendements que vous avez déposés rejoignent nos observations et j'ai échangé avec Maryse Carrère tout au long du processus. Sans me positionner définitivement avant de solliciter l'avis des professionnels de la protection judiciaire de l'enfance, je vous ai proposé de bâtir un autre dispositif, avec l'accord de l'auteure du texte, afin de compléter l'ordonnance de protection.
En tout état de cause, ce débat replace l'enfant au centre des préoccupations. Un enfant cabossé ou blessé pendant sa petite enfance aura besoin de se reconstruire par d'autres moyens et mérite une attention particulière de notre part. Or il me semble que ce texte ne réponde pas véritablement à ces attentes, d'où la nécessité de proposer un autre mécanisme.
M. Guy Benarroche. - Concrètement, concernant les amendements, comment allons-nous procéder ?
Mme Muriel Jourda, présidente. - La proposition de Marie Mercier, en accord avec l'auteure de la proposition de loi, consiste à rejeter le texte pour travailler d'ici à la séance. Il y aura ensuite, comme pour tous les textes, des amendements de séance sur lesquels nous aurons à nous prononcer. Nous ne pouvons pas adopter des amendements qui n'ont pas été acceptés par l'auteure, en vertu d'une décision prise par la Conférence des présidents.
Marie Mercier n'a pas d'autre choix que d'émettre un avis défavorable sur les amendements déposés. Des amendements de séance permettront, le cas échéant, d'apporter des modifications.
Mme Marie-Pierre de La Gontrie. - J'ai déposé des amendements. Dois-je comprendre que la commission refuse de les examiner ?
Mme Muriel Jourda, présidente. - Non. Je rappelle simplement qu'ils ne pourront pas être adoptés aujourd'hui au regard du gentlemen's agreement arrêté par la Conférence des Présidents, qui vise à permettre la discussion en séance publique d'une proposition de loi sénatoriale inscrite en espace réservé dans son texte original si son auteur ne souhaite pas sa modification au stade de la commission.
Mme Dominique Vérien. - Le dispositif envisagé par Marie Mercier pour la séance publique vise à réécrire le texte, sans doute sous la forme d'un amendement global qui intégrera lui-même un certain nombre d'amendements qui devraient faire consensus au sein de la commission, par exemple au sujet du raccourcissement des délais.
M. Christophe-André Frassa. - Nous ne pouvons pas en préjuger.
Mme Muriel Jourda, présidente. - En effet. Le dialogue se poursuivra après cette réunion.
Mme Cécile Cukierman. - Les règles arrêtées en Conférence des Présidents existent avant tout pour protéger les plus faibles, à savoir, dans un hémicycle tel que le nôtre, les groupes minoritaires. Un fait majoritaire pourrait aisément conduire à détricoter ou à fausser toute initiative parlementaire émanant d'un groupe ou d'un sénateur. Je suis assez surprise par la méthode retenue par le groupe socialiste, écologique et républicain : d'habitude, nous ne faisons pas d'amendement collectif sur un texte examiné dans le cadre d'un espace réservé, sans juger du fond des amendements qui seront présentés.
Dès lors qu'ils sont examinés, les amendements doivent être mis aux voix ; s'ils sont adoptés, alors sera examinée en séance publique la proposition de loi dans la rédaction issue des travaux de la commission. Faisons collectivement attention à ces règles du jeu qui encadrent notre action !
Mme Marie-Pierre de La Gontrie. - Je partage totalement ce point de vue et vous fais donc une proposition dans le cadre de ce processus atypique : afin que la rapporteure puisse travailler de manière utile, je suggère de débattre des amendements, quitte à les retirer immédiatement. Nous risquerions, dans le cas inverse, de construire sur du sable.
Mme Muriel Jourda, présidente. - Comme c'est l'usage, il me revient, mes chers collègues, de vous indiquer quel est le périmètre indicatif de la proposition de loi.
Je vous propose de considérer que ce périmètre inclut les dispositions relatives à la protection judiciaire des enfants victimes de violences.
Il en est ainsi décidé.
Mme Marie-Pierre de La Gontrie. - L'amendement COM-5 vise à rendre obligatoire le dépôt d'une plainte pénale en parallèle d'une demande d'ordonnance de sûreté.
L'amendement COM-5 est retiré.
Mme Marie-Pierre de La Gontrie. - L'amendement COM-1 prévoit d'aligner le délai de délivrance de l'ordonnance de sûreté sur celui de l'ordonnance de protection, soit six jours.
L'amendement COM-1 est retiré.
Mme Marie-Pierre de La Gontrie. - L'amendement COM-2 vise à supprimer la possibilité de retirer l'autorité parentale, pour y préférer une éventuelle suspension de l'exercice de celle-ci.
L'amendement COM-2 est retiré.
Mme Marie-Pierre de La Gontrie. - L'amendement COM-3 prévoit de supprimer le dispositif anti-rapprochement pour l'enfant.
L'amendement COM-3 est retiré.
Mme Marie-Pierre de La Gontrie. - L'amendement COM-4 vise à réduire la durée des mesures de sûreté de six mois à trois mois.
L'amendement COM-4 est retiré.
L'article unique constituant l'ensemble de la proposition de loi n'est pas adopté.
Conformément au premier alinéa de l'article 42 de la Constitution, la discussion en séance portera en conséquence sur le texte initial de la proposition de loi déposée sur le Bureau du Sénat.
Le sort des amendements examinés par la commission est retracé dans le tableau suivant :
Proposition de loi visant à interdire la corrida et les combats de coqs en présence de mineurs de moins de seize ans - Examen du rapport et du texte de la commission
Mme Muriel Jourda, présidente. - Nous passons maintenant au rapport de Louis Vogel sur la proposition de loi visant à interdire la corrida et les combats de coqs en présence de mineurs de moins de seize ans. Nous accueillons Samantha Cazebonne pour nous la présenter, à qui je rappelle qu'elle devra quitter la salle après sa présentation.
Mme Samantha Cazebonne, auteure de la proposition de loi. - Nous abordons une question qui transcende les clivages politiques et les traditions : il s'agit de la protection de nos enfants contre l'exposition à la violence, en particulier au travers des spectacles tels que la corrida et les combats de coqs. Ces pratiques sont reconnues comme des actes de cruauté selon l'article 521-1 du code pénal. Bien que ces pratiques bénéficient d'une exception pénale lorsqu'une tradition est évoquée, ce motif dérogatoire d'ordre culturel ne saurait atténuer leur caractère cruel et violent.
Il est indéniable que, ces dernières années encore, l'État et les législateurs ont exprimé la volonté de protéger les mineurs de l'exposition à la violence, en vertu de leur vulnérabilité unanimement reconnue par des dispositions légales telles que les articles 226-14 et 434-3 du code pénal. L'article 227-24 pénalise également les messages violents accessibles aux mineurs, tandis que l'article D 4153-37 du code du travail interdit d'affecter les jeunes à à des travaux liés à l'abattage, à l'euthanasie et à l'équarrissage des animaux.
L'Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique (Arcom) encadre, quant à elle, la diffusion de la tauromachie à la télévision pour éviter de heurter la sensibilité des téléspectateurs, imposant une signalétique jeunesse obligatoire et interdisant la diffusion de la mise à mort. Il est aussi essentiel de rappeler qu'une écrasante majorité des Français - à hauteur de 80 % - soutient cette proposition de loi interdisant l'accès à ces spectacles violents pour des mineurs de moins de 16 ans. Ce soutien transcende les divisions partisanes, même dans les départements taurins, et témoigne d'une conscience collective qui appelle à une action législative cohérente pour la protection de nos enfants sur l'ensemble du territoire national.
Je me permets d'insister sur la cohérence du droit et des recommandations : comment comprendre, dans un esprit rationnel, qu'un enfant spectateur de corrida derrière un écran devrait en être écarté par ses parents - comme le demandent les experts de l'enfance pour le protéger -, mais que, pour assister exactement aux mêmes scènes de cruauté in vivo, les recommandations et la loi s'effaceraient ? Qui peut le comprendre ?
Pour que nous nous comprenions bien, je prendrai un autre exemple. Qui parmi nous pourrait comprendre que l'Arcom et le législateur demandent aux parents de ne pas exposer leurs enfants à des scènes de pornographie à la télévision, mais que, sous prétexte de voir les mêmes scènes dans le réel, affranchissent ces mêmes parents de cette obligation ?
Pour ceux qui ne connaissent pas la corrida, je vous invite à imaginer l'expérience d'un enfant dans une arène. Le picador s'avance vers le taureau, plonge sa lance dans le dos de l'animal avec force ; la douleur étant immédiate, le taureau pousse un rugissement déchirant ; le sang s'écoule lentement, marquant le sol de l'arène ; le taureau, déjà affaibli, tente de charger ; le picador plante son arme effilée dans son cou et ses flancs, chaque impact accentuant sa souffrance ; l'expression du taureau trahit une lutte désespérée contre la douleur, son corps ensanglanté et fatigué montre les signes d'une agonie prolongée ; enfin, le matador entre dans l'arène avec un air de défi, avance sur le taureau ; même dégradé et abattu, celui-ci charge ; lors de l'estocade, le matador plante sa lame avec précision, mais la mort ne vient pas toujours instantanément. Le taureau s'effondre alors lentement, ses yeux implorant de l'aide, une dernière plainte se perd dans le tumulte avant que son corps ensanglanté ne reste sans vie sur le sol de l'arène, l'écho de son agonie résonant encore dans l'esprit des témoins, dont des enfants qui garderont à vie ces images.
C'est parce qu'elle a été forcée d'assister à cette cruauté que, dans son livre intitulé Grand-père, Marina Ruiz-Picasso évoquait avec franchise les traumatismes subis quand elle était enfant à la vue des corridas, traumatismes douloureux et encore présents à l'heure actuelle.
Quelle place une scène de violence où un taureau souffre doit-elle avoir pour un enfant de cinq ans ? Est-il acceptable qu'il soit témoin de la souffrance d'un être vivant, alors que sa compréhension des valeurs de compassion et de bienveillance est encore en pleine formation ? Nous avons le devoir de les protéger, de protéger leur innocence.
De plus, nous devons prendre en compte le conflit de loyauté auquel, souvent, nos enfants peuvent être confrontés. Combien d'entre eux osent dire « non » lorsqu'ils se trouvent sous l'influence d'un parent enthousiaste à l'idée d'assister à de telles atrocités ? Cette pression émotionnelle peut les pousser à des spectacles qui violent les normes fondamentales du respect de la vie. Les traumatismes qui résultent de l'exposition à ces images violentes ne sont pas à sous-estimer : de nombreuses études documentent l'impact négatif que cela a sur le développement moral et le comportement de nos jeunes.
Comment alors justifier une exposition réelle à de telles violences ? Le Comité des droits de l'enfant de l'ONU a, depuis 2016, recommandé à la France de redoubler d'efforts pour interdire l'accès des enfants aux spectacles de tauromachie, soulignant l'importance de l'intérêt supérieur de l'enfant. Nos États doivent rendre des comptes et veiller à ce que ces recommandations soient suivies, car l'absence de mention de ces pratiques dans les rapports fournis au Comité témoigne d'une complaisance que nous ne pouvons plus accepter.
Là encore, avec Arnaud Bazin ainsi qu'avec d'autres cosignataires, de manière transpartisane, nous demandons de la cohérence pour protéger les enfants. Je tiens aussi à souligner le soutien affirmé d'Élisabeth Badinter et de Simone Veil pour une telle interdiction : l'expression de ces femmes d'engagement et de conviction, si estimables et remarquables, est un soutien qui constitue un puissant appel à l'action que nous ne pouvons ignorer.
Enfin, permettez-moi de saluer l'engagement de toutes celles et de tous ceux qui se battent pour protéger les enfants et faire reconnaître la souffrance d'êtres vivants.
En conclusion, il est de notre devoir de refuser toute forme de complaisance face à cette réalité ; nous devons agir avec conviction et voir la réalité en face, sans laisser penser ou dire que cette proposition de loi n'aurait pas lieu d'être au prétexte que le canal législatif ne serait pas le bon. Préférer la forme au fond serait un mauvais procès, car nous sommes là pour écrire la loi et l'amender si besoin.
Je le redis, ce véhicule législatif est le bon, car il s'agit d'un régime dérogatoire. La loi relative à la protection des enfants ne doit pas faire exception et cette proposition de loi ne mérite pas d'être présentée comme étant hors sujet. Nous n'avions d'autre choix, même s'il nous sera peut-être dit le contraire.
Protéger nos enfants de la violence n'est pas uniquement une question de législation, c'est un impératif moral. Ensemble, faisons en sorte que notre engagement mène à un avenir où les droits des enfants sont respectés sur l'ensemble du territoire, sans exception : il ne doit pas y avoir de territoire où les enfants ont le droit d'être traumatisés au nom de la tradition, alors qu'ailleurs en France le législateur fait voter des lois pour les protéger.
Le Comité des droits de l'enfant à l'ONU nous regarde, les Français nous regardent et, comme l'a fait le législateur en Catalogne, dans le pays aux origines de la tradition taurine, ne permettons plus à un seul enfant d'être exposé.
M. Louis Vogel, rapporteur. - Les objectifs qui nous ont été présentés à l'instant sont partagés par des membres de plusieurs groupes, qui ont cosigné le texte. De plus, cette proposition de loi n'est pas la seule à avoir été déposée sur le sujet. À ce titre, la rédaction du texte de Raymonde Poncet Monge semble plus précise.
L'objet de la proposition de loi que nous examinons n'est pas le bien-être animal, mais la protection des enfants. Il ne s'agit donc pas d'être pour ou contre la corrida et les combats de coqs, mais de s'interroger sur l'impact d'une forme de spectacle violent sur les enfants. Ce sujet est important et a fait l'objet de recommandations, qui ont été adressées à la France par le Comité des droits de l'enfant des Nations unies.
De fait, certains spectacles de corrida sont organisés de manière à inciter à la présence de mineurs et de familles, notamment en prévoyant la gratuité de l'entrée pour les moins de 12 ans.
J'ai entendu des experts psychiatres et des pédopsychiatres engagés sur cette question : ils ont condamné l'exposition des mineurs aux combats d'animaux, tout en laissant plusieurs questions en suspens, dont celle de l'âge.
En droit, se pose d'emblée la question de l'autorité parentale et de la nécessité pour le législateur de se substituer aux parents, pour déterminer si un mineur de moins de 16 ans doit assister ou non à une corrida.
Plus largement, j'ai été conduit à m'interroger sur la capacité de ce texte à atteindre l'objectif qu'il vise. Au terme de cette analyse, il m'apparaît qu'il est inapplicable et que, si l'on parvenait quand même à le mettre en oeuvre, il n'aurait pas d'autre effet que d'interdire purement les corridas et les combats de coqs.
Je commencerai par évoquer le régime actuel.
En droit, les corridas et les combats de coqs relèvent d'une dérogation aux dispositions du code pénal sanctionnant les sévices et le fait de provoquer la mort d'un animal. La lutte contre la violence faite aux animaux est ancienne et la première loi en la matière, dite Grammont, date de 1850. Elle a été modifiée en 1951, en 1963 et en 1964, pour aboutir à l'article 521-1 du code pénal, qui sanctionne le fait « d'exercer des sévices graves ou de commettre un acte de cruauté envers un animal domestique, ou apprivoisé, ou tenu en captivité ».
Les sanctions prévues ont été renforcées par l'ajout de circonstances aggravantes dans la loi du 30 novembre 2021 visant à lutter contre la maltraitance animale et conforter le lien entre les animaux et les hommes : elles atteignent jusqu'à cinq ans d'emprisonnement et 75 000 euros d'amende. La loi de 2021 a également créé l'article 522-1, qui sanctionne le fait de donner la mort à un animal sans nécessité.
Ces articles précisent que les qualifications et les sanctions prévues ne sont pas applicables « aux courses de taureaux lorsqu'une tradition locale ininterrompue peut être invoquée ». Elles ne sont pas non plus applicables « aux combats de coqs dans les localités où une tradition ininterrompue peut être établie ».
Toutes les « courses de taureaux » ne sont pas des corridas - ce terme est réservé aux combats aboutissant à la mise à mort de l'animal. Il existe aussi, entre autres, les courses dites camarguaises, qui sont plutôt des joutes sportives ou des jeux d'adresse, au cours desquels l'animal n'a pas vocation à être blessé ou tué.
Cette distinction est importante, du point de vue du bien-être animal, mais aussi sur le plan juridique, car le juge interprète la notion de tradition, qui fonde la possibilité d'organiser des courses de taureaux, de manière stricte : là où il n'existe qu'une tradition de course de taureaux sans mise à mort, on ne pourra organiser de corrida.
C'est également la jurisprudence qui a défini la zone géographique où des courses de taureaux peuvent être organisées : dans le territoire qui s'étend « entre le pays d'Arles et le Pays basque, entre garrigue et Méditerranée, entre Pyrénées et Garonne, en Provence, Languedoc, Catalogne, Gascogne, Landes et Pays basque ».
Les combats de coqs constituent une pratique très différente puisqu'il s'agit d'un combat entre deux animaux dont la combativité naturelle a été artificiellement exacerbée. Les territoires concernés sont, pour la France métropolitaine, une cinquantaine de communes des départements du Nord et du Pas-de-Calais et, pour les départements et collectivités d'outre-mer, La Réunion, la Guadeloupe, la Martinique, la Guyane et la Polynésie française.
L'organisation des combats de coqs fait l'objet d'un régime plus restrictif que pour les courses de taureaux. L'article 521-1 du code pénal prévoit l'interdiction de construire de nouveaux gallodromes, appelés « pitts » dans les outre-mer. Dans sa décision du 31 juillet 2015, le Conseil constitutionnel a souligné qu'en interdisant la construction de nouveaux gallodromes, le législateur a entendu « accompagner et favoriser l'extinction de ces pratiques ».
Si l'extinction du combat de coqs est un objectif du législateur, tel n'est pas le cas pour les courses de taureaux, pour lesquelles la construction de nouvelles infrastructures est autorisée.
La proposition de loi entend restreindre la dérogation posée aux articles 521-1 et 522-1 du code pénal, en interdisant la présence de mineurs de moins de 16 ans. Elle vise donc à atteindre un objectif de protection des mineurs en modifiant deux articles sanctionnant la violence contre les animaux, ce qui soulève des difficultés insurmontables en termes de légistique. De plus, la proposition de loi vise à couvrir des situations très différentes par un dispositif unique, ce qui représente une source majeure d'incohérence.
Tout d'abord, il me paraît impossible de traiter la question des combats de coqs de la même manière que celle des corridas. Alors que la tradition des premiers semble sur le déclin dans les communes du Nord et du Pas-de-Calais, elle demeure très vivante dans les outre-mer. Le combat de coqs y est lié à la pratique des paris, assimilables aux paris hippiques. De ce fait, il s'agit d'abord d'une activité d'adultes. En outre, s'il existe des exceptions, la pratique générale est celle d'un accès libre, sans vente de billets.
Pour être applicable, le dispositif proposé entraînerait donc la mise en place d'un contrôle d'accès aux combats de coqs et une forte implication des services de l'État, alors même que le nombre de mineurs présents ne paraît pas a priori le justifier.
La pratique traditionnelle des combats de coqs se trouverait ainsi fortement affectée, spécialement dans les outre-mer, sans concertation préalable avec les acteurs de terrain. Outre le risque de déport vers des pratiques de combats illégaux qu'elle comporte, une telle mesure pourrait être perçue par les populations locales comme une mesure unilatérale, remettant en cause les cultures locales. C'est ce que laissent craindre mes échanges avec les services de l'État dans les départements ultra-marins. Créer un nouveau sujet de tension dans ces territoires, alors même que la nécessité de protéger les mineurs de moins de 16 ans du spectacle des combats de coqs n'est pas suffisamment établie, ne me paraît pas opportun.
J'en viens aux corridas. Du fait de sa construction, la proposition de loi interdirait la présence de mineurs de moins de 16 ans, y compris pour les courses de taureaux sans mise à mort, mais ce point est secondaire. J'examinerai successivement les questions suivantes : la participation active et passive du mineur, l'apprentissage, le régime pénal, le seuil d'âge, la contradiction avec l'autonomie des collectivités et l'autorité parentale.
D'abord, mes auditions et la comparaison avec les autres propositions de loi ayant le même objet laissent penser que ce texte vise à interdire deux situations distinctes : celle dans laquelle le mineur de moins de 16 ans assiste à la course ou au combat - visée dans l'exposé des motifs -, mais également celle où il y participe.
Cette dernière situation a déjà entraîné des débats sur le cadre juridique permettant à des enfants soumis à l'obligation scolaire de se produire en spectacle, de manière rémunérée ou non. On comprend que les auteurs du texte souhaitent interdire la participation active, dont l'effet sur les mineurs est nécessairement plus important que la position de spectateur. La clarté de la loi imposerait cependant que les deux circonstances soient explicitement visées.
De plus, la proposition de loi ne dit rien des écoles taurines. Si l'effet des mesures proposées est d'interdire aux mineurs de moins de 16 ans de participer aux corridas, la question de l'apprentissage de ces pratiques dans les écoles de tauromachie reste donc entière.
En effet, la loi pénale étant d'interprétation stricte, l'interdiction des écoles qui forment à la tauromachie n'entre pas dans son champ d'application, tant que ces institutions n'organisent pas de courses. Le régime proposé interdirait donc aux mineurs de moins de 16 ans d'assister aux corridas, mais permettrait aux parents d'inscrire leurs enfants dans les quelques écoles de tauromachie existant en France, dès l'âge de 6 ou 8 ans. Il s'agit là d'une incohérence fondamentale du texte.
En outre, le texte n'apporte aucune modification au régime pénal et fait donc reposer sur l'organisateur la responsabilité liée à la présence d'un mineur de moins de 16 ans. La proposition de loi ne prévoit de régime de responsabilité ni pour les parents, adultes ou mineurs de 16 à 18 ans, qui auraient facilité la présence du mineur de moins de 16 ans, ni a fortiori pour le mineur lui-même, qui se serait introduit malgré les contrôles et interdictions.
Le régime de responsabilité de l'organisateur n'est pas sans parallèle et nous pourrions citer le cas des exploitants de salles de cinéma. Cependant, cette responsabilité s'exerce généralement conjointement à la responsabilité parentale et elle est sanctionnée par une contravention, peine qui paraît la plus adaptée au regard de la gravité des faits.
Tel que le texte est rédigé, la présence d'un seul mineur de moins de 16 ans transformerait, du point de vue du droit pénal, un spectacle légal en sévices graves infligés à un animal. Le fait que ces sévices aient été commis en présence d'un mineur et qu'ils aient entraîné la mort de l'animal constituerait des circonstances aggravantes.
Ainsi, les personnes physiques seraient exposées à la peine maximale de cinq ans d'emprisonnement et de 75 000 euros d'amende. Les personnes morales risqueraient notamment l'interdiction d'exercice de l'activité professionnelle, en application de l'article 131-39 du code pénal.
Pareilles sanctions, qui aboutiraient de fait à l'interdiction des spectacles de corrida si elles étaient mises en oeuvre par le juge, ne paraissent pas conformes à l'échelle des peines, si l'on se place sur le terrain de la protection des mineurs.
Par ailleurs, les auditions que j'ai menées n'ont pas permis d'établir le seuil d'âge le plus adapté à l'objectif de protection poursuivi. Le seuil de 16 ans correspond à la fin de l'obligation scolaire et à la possibilité de l'émancipation. Il établit un parallèle avec le système de classification des oeuvres cinématographiques.
Cependant, ce seuil a été critiqué au cours des auditions. Certains le jugent trop bas, d'abord pour des raisons juridiques puisque, en ce qui concerne les sévices sur animaux, l'article 521-1 du code pénal considère comme circonstance aggravante la présence de mineurs, sans distinction d'âge. De plus, il est nécessaire de protéger le développement cognitif et psychologique des adolescents le plus longtemps possible.
À l'inverse, d'autres jugent le seuil de 16 ans trop élevé au regard de la majorité sexuelle, fixée à 15 ans. Reprenant le parallèle avec la classification des oeuvres cinématographiques, certaines des personnes entendues ont même considéré que le seuil de 12 ans serait le plus adapté.
Ces multiples difficultés me semblent rendre impossible l'adoption de la proposition de loi. De plus, même si elles étaient surmontées, un autre problème fondamental se poserait : l'interdiction proposée substitue l'appréciation du législateur à celle des collectivités concernées et à celle des parents. Or ce choix pose question, au regard du régime juridique spécifique des courses de taureaux et des combats de coqs, mais aussi des dispositifs de protection de la jeunesse.
La possibilité d'organiser des courses de taureaux et des combats de coqs se fonde sur des traditions locales ininterrompues, semblables à des coutumes. Or c'est moins l'absence de pratique qui met fin à la coutume que l'évolution des moeurs et la pratique contraire. Les traditions locales en matière de tauromachie et de combat de coqs reposent sur la transmission d'une culture. Les maires de villes taurines que j'ai entendus ont ainsi insisté sur le caractère familial et transgénérationnel des spectacles de corrida. En conséquence, l'intervention du législateur dans les traditions locales reconnues comme légitimes ne saurait se faire sans concertation avec les acteurs locaux.
Les règlements taurins adoptés par chacune des municipalités concernées paraissent représenter le véhicule le mieux adapté tant pour encadrer le fonctionnement des écoles taurines que pour faire évoluer la présence et la participation des mineurs à ces spectacles, en fonction du contexte local et du souhait de chaque municipalité, dont le degré d'attachement aux corridas est variable.
Surtout, l'exclusion totale prévue par le texte substitue l'appréciation du législateur à celle des parents. En cela, elle rompt avec une position traditionnelle du droit de la famille, qui laisse aux titulaires de l'autorité parentale la liberté de faire le choix qu'ils estiment le meilleur pour garantir la sécurité, la santé, la vie privée et la moralité de leurs enfants. Sur le terrain de la protection des mineurs, deux systèmes sont possibles : soit on fait confiance à l'autorité parentale et, en cas de désaccord, le juge intervient, soit on prévoit une exclusion quand il existe un risque, notamment de dépendance, comme dans le cas des jeux d'argent.
La décision de permettre à un mineur d'assister à une corrida relève de l'exercice conjoint de l'autorité parentale et de l'obligation pour les parents d'associer l'enfant aux décisions qui le concernent, comme le prévoit l'article 371-1 du code civil. Déroger à l'application de ces règles générales impose la plus grande prudence.
Pour toutes ces raisons et sans nier le caractère intrinsèquement violent des spectacles de combats d'animaux, la proposition de loi me paraît inapplicable et ses effets juridiques disproportionnés. Je vous propose donc de ne pas l'adopter.
- Présidence de M. Christophe-André Frassa -
M. Guy Benarroche. - Vous avez démontré que ce qui est utile et nécessaire, voire indispensable, pour la santé et la construction psychologique des enfants, pouvait être mis à mal par un argument : le législateur ne peut pas se substituer à une collectivité locale ou à des parents.
Or le législateur se substitue en permanence, y compris à des autorités locales et à des parents, en particulier quand un risque existe, comme c'est le cas avec les jeux d'argent ou la pornographie. Cependant, il existe aussi un risque avec les corridas, vous l'avez montré, et tous les pédopsychiatres et psychologues le disent.
De plus, la corrida avec mise à mort relève d'un régime dérogatoire et une dérogation peut être revue. C'est ce que prévoit ce texte, qui vise à défendre les droits des enfants, mais évoque aussi des traitements cruels à l'égard des animaux, qui ont lieu dans le cadre d'un spectacle.
Depuis quand ces traditions locales sont-elles « ininterrompues » ? Depuis des siècles ? Non. De plus, de nombreuses traditions ont disparu au cours de l'histoire, comme celle des jeux du cirque romains.
Vous dites qu'il faut respecter la légitimité des traditions locales, mais celle-ci est aussi liée à la perception que les gens ont de ces coutumes. Or, aujourd'hui, plus de 80% des Français sont opposés à ces pratiques, y compris dans les zones concernées. Quelle est la légitimité d'une autorité locale en la matière, dont l'intérêt essentiel est de défendre une activité économique et pas une tradition, contre l'avis de la population ?
Moins précis et complet que la proposition de loi de Raymonde Poncet Monge, le texte que nous examinons nous permet cependant d'entrer dans un processus important. Nous déposerons des amendements, notamment sur l'interdiction des écoles taurines pour les mineurs. Par la suite, nous demanderons l'interdiction des corridas.
Mme Marie-Pierre de La Gontrie. - À titre personnel, je voterai ce texte. Cependant, il s'agit d'une question compliquée et le groupe Socialiste, Écologiste et Républicain prévoira peut-être une liberté de vote.
Sur la question de la protection des mineurs, l'argument de l'autorité parentale me semble faible puisque des interdictions existent déjà dans un certain nombre de domaines.
Par ailleurs, je regrette que l'auteure du texte ait décrit les corridas de manière univoque. Il s'agit aussi d'un spectacle inouï et d'un combat dans lequel les deux combattants risquent leur vie, le torero comme le taureau.
En ce qui concerne les effets psychologiques, l'âge retenu me semble un peu élevé. Cependant, l'adoption de ce texte rendrait probablement nécessaire de faire la liste d'un certain nombre d'autres situations, dans lesquelles la question des conséquences se pose, y compris économiques. Je n'y suis pas hostile, mais il faut y être prêt et les appréciations divergeront.
Quant aux traditions culturelles, elles ont leurs limites. Ainsi, certains pays essaient de modifier les textes internationaux relatifs aux droits des femmes, pour introduire le concept de tradition culturelle. Cependant, il faut les prendre en considération et la coutume est source de droit.
Enfin, si nous nous attachons au critère de la cruauté, il faudrait aussi nous préoccuper des abattoirs. Guy Benarroche a raison : dans les abattoirs, ce n'est sans doute pas beaucoup plus glorieux que dans une corrida...
Je n'ai fait qu'indiquer mon positionnement personnel. Certains des collègues de mon groupe expliqueront, en séance publique, en quoi ce texte ne leur paraît pas bienvenu.
M. Olivier Bitz. - Je remercie vivement le rapporteur de la qualité du travail qu'il a produit. Il n'est pas évident de se plonger dans une telle législation, qui, finalement, touche à beaucoup de choses.
J'ai un point de désaccord avec vous, monsieur le rapporteur. Vous estimez qu'il s'agit d'un sujet de protection de l'enfance. Non ! Le sujet est évidemment le bien-être animal ! D'ailleurs, ceux qui promeuvent cette initiative sont généralement mobilisés sur les questions animales plus que sur la protection de l'enfance. En réalité, ils n'ont qu'un objectif : interdire la corrida et les combats de coqs. Ce texte n'est qu'une étape sur la trajectoire de l'interdiction. L'intention des auteurs du texte doit être claire.
La protection de l'enfance se trouve dans un état absolument déplorable dans notre pays. Nous savons bien que nos services départementaux de protection de l'enfance croulent sous les difficultés. Si l'on s'intéresse vraiment à la protection de l'enfance, il faut l'aborder un peu plus sérieusement !
On sait bien que, parmi ceux qui veulent interdire ces spectacles au nom d'une certaine conception du bien-être animal, on trouve très souvent des personnes qui se positionnent contre la chasse et s'adonnent à un agribashing permanent, des personnes qui, fondamentalement, par certains aspects, veulent nous faire changer de civilisation.
Allons-nous, depuis cette salle, expliquer à nos compatriotes polynésiens, à 16 000 kilomètres d'ici, quelles sont les traditions acceptables et quelles sont celles qui ne le sont pas ? Quoi que l'on pense à titre personnel de ces pratiques, je vois dans cette initiative une forme de mépris à l'égard de nos territoires, voire l'expression d'une certaine vision néocoloniale.
M. Guy Benarroche. - C'est ce qu'a fait la colonisation pendant des centaines d'années...
M. Olivier Bitz. - Vu le nombre de difficultés auxquelles notre pays est confronté dans les territoires d'outre-mer aujourd'hui, il n'est vraiment pas nécessaire d'en rajouter. Cela vaut pour l'outre-mer comme pour les départements métropolitains. Je ne vois pas au nom de quoi nous pourrions nous opposer à une tradition locale ancrée qui ne pose pas de difficultés.
Enfin, je terminerai sur la manière dont ces travaux peuvent être perçus sur le territoire national. Dans le département de l'Orne, j'entends parler de désertification médicale, de pouvoir d'achat, d'éducation, de vieillissement de la population, mais jamais de tels sujets ! Nos compatriotes ne manqueront pas de s'étonner que nous ayons du temps et de l'énergie à consacrer à ce sujet, compte tenu de la situation de notre pays.
M. Guy Benarroche. - Ne faisons rien, en ce cas ! L'argument est spécieux...
M. Éric Kerrouche. - Il fallait un traitement juridique rigoureux du sujet. C'est ce que vous avez fait, monsieur le rapporteur, et je vous en remercie.
Sur le fond, la présentation du texte par son auteure est un peu particulière. Je pense qu'elle dessert profondément sa cause. La question qui nous est posée n'est pas une question de droit. Cette proposition de loi est hypocrite : on peut être contre la corrida, mais il n'est pas convenable de traiter le problème de manière détournée. On sait très bien que la protection des enfants est, au sens littéral, un prétexte.
Je suis sénateur des Landes. Il m'arrive d'assister à des spectacles de corrida et à des courses landaises. En parlant de « courses de taureaux », le texte ne fait pas de distinction entre les deux, ce qui pose un problème majeur. On ne saurait dire que les courses landaises posent un problème de bien-être animal - encore que certains le contestent...
Le sujet est compliqué. Je peux tout à fait entendre que certains soient opposés à la corrida, c'est un spectacle qui peut paraître violent et cruel. Cependant, je ne peux que conseiller à l'auteure du texte de lire L'animal et la mort, de l'anthropologue Charles Stépanoff : ce très bel ouvrage montre que la sacralisation de l'animal peut conduire à faire oublier la brutalité du vivant.
Le sujet est loin d'être univoque. Néanmoins, il a des conséquences bien plus larges sur la réalité territoriale que ce que peut laisser penser une certaine bien-pensance. Je ne suis pas pour l'usage du terme « tradition », la tradition pouvant être négative, mais il existe, en France, des cultures locales. Et faire comme si ces cultures locales pouvaient être niées sur la base de valeurs morales présentées comme universelles, qui s'appliqueraient de manière homogène sur l'ensemble du territoire, c'est faire une erreur d'analyse sur ce qu'est et ce qui constitue notre pays. Expliquer à des gens que ce qu'ils font depuis des siècles n'est pas acceptable, c'est la porte ouverte à l'intolérance. Pour reprendre un mot connu, la France est une « composition », faite de la variété de ces cultures locales. Je peux entendre que certains, avec l'évolution des moeurs, puissent être dérangés par ces cultures locales. Mais il serait risqué de vouloir les éradiquer au nom de valeurs prétendues universelles on ne sait pas jusqu'où peut aller un tel mouvement.
Encore une fois, je regrette que le texte ne soit pas franc dans ses intentions. L'autorité parentale n'est pas la bonne porte d'entrée. Sinon, d'autres spectacles et d'autres pratiques pourraient poser des difficultés... Laissons vivre les cultures locales qui existent depuis des années !
La question se pose également pour la chasse et il serait dommageable de perdre le rapport particulier à l'espace, à la vie locale qu'ont les chasseurs.
Il nous faut traiter ce sujet avec un peu de hauteur. Or ce texte entre dans la caricature et ne fait pas avancer le débat !
Mme Sophie Briante Guillemont. - Merci, monsieur le rapporteur, pour la clarté de votre rapport.
Avez-vous pu faire un point de droit comparé ? Comme l'indique l'auteure de la proposition de loi, plusieurs pays ont déjà procédé à une interdiction pour les mineurs, notamment des pays où existe une tradition de corridas, comme l'Espagne, plusieurs États du Mexique ou encore le Portugal.
L'un des arguments avancés contre ce texte est qu'il n'existe pas d'étude spécifique permettant de prouver qu'assister à ces spectacles serait dangereux pour les enfants, mais on trouve des études plus générales sur les spectacles impliquant des animaux. Pouvez-vous y revenir ?
L'un des sénateurs du groupe RDSE m'a fait savoir que, dans les faits, peu de mineurs assistaient à ces spectacles. A-t-on une idée de leur nombre ?
Mme Patricia Schillinger. - Je remercie le rapporteur de son travail.
Je veux rassurer Olivier Bitz : j'ai signé ce texte, mais je ne suis ni antichasse ni anticorrida.
Les adultes sont libres d'assister ou non à une corrida. Pour ma part, voilà quarante-cinq ans que je vais chaque année dans les Landes, je connais donc les corridas. J'ai assisté à l'une d'entre elles, et je n'irai plus, parce que je ne souhaite plus voir des oreilles de taureau voler dans le public. C'est mon choix.
Il faut faire la différence entre les jeunes qui connaissent la corrida par tradition, familiale ou locale, et les jeunes touristes qui ignorent à quoi ils vont être exposés. C'est pour cette raison que j'ai cosigné ce texte. Cependant, je comprends qu'il existe des traditions...
Cela dit, quand je constate que l'Espagne ou des pays d'Amérique latine ont opté pour une telle interdiction, je me dis que la France tergiverse sur de nombreux sujets. Sur le mariage pour tous, certains pays n'ont pas débattu durant trois ans !
M. Alain Marc. - Comme Éric Kerrouche et Olivier Bitz, je pense que ce texte est la première étape vers d'autres interdictions, ce qui me gêne particulièrement. En cette période extrêmement compliquée, on a peut-être autre chose à faire qu'à « emmerder les Français », pour reprendre l'expression d'un homme politique célèbre...
Je reviens sur l'angle de la protection de l'enfance qui a été choisi. Mes chers collègues, beaucoup d'entre nous sont issus de familles d'agriculteurs. Combien d'entre nous ont assisté à la mise à mort d'un lapin par leur grand-mère ? Je ne pense pas que cela nous ait durablement perturbés... Il me semble que l'on s'égare, et je suis d'accord avec Éric Kerrouche pour dire que cette proposition de loi est complètement hypocrite. Entrer dans le sujet par le biais de la protection de l'enfance est une erreur fondamentale et un faux-nez. Je suis bien évidemment favorable au rejet du texte.
J'entends que 80 % de la population serait favorable, mais voulez-vous que nous fassions un sondage sur la peine de mort aujourd'hui ? Cet argument ne rime à rien.
M. Stéphane Le Rudulier. - Je suis d'accord avec Eric Kerrouche et Olivier Bitz : il y a une forme d'hypocrisie dans cette proposition de loi, puisqu'il s'agit, en réalité, d'interrompre la transmission intergénérationnelle d'une culture. Monsieur Benarroche, cette tradition ne date pas de plusieurs millénaires ! Elle a 150 ans en Provence.
Au-delà des aspects sociétaux, il y a des enjeux économiques. À Arles, ville chère à mon coeur, les retombées financières s'élèvent à 12 millions d'euros. Les élevages taurins, en France, ce sont des milliers d'emplois !
Ne soyons pas univoques. Abordons le sujet de manière beaucoup plus apaisée.
Du reste, je doute que cette proposition de loi soit en conformité avec le droit européen, puisque l'Union européenne nous incite à préserver nos cultures et nos traditions locales.
M. Guy Benarroche. - Je n'aime pas l'argument d'hypocrisie. Je ne veux pas défendre l'auteure de la proposition de loi, mais il n'y a pas plus d'hypocrisie à défendre l'interdiction aux mineurs des corridas qu'à justifier la corrida par la tradition ! On voit bien que les gens qui défendent la corrida aujourd'hui viennent des territoires qui y ont un intérêt économique - les propos de Stéphane Le Rudulier sont éloquents.
S'il hypocrisie il y a, elle est des deux côtés.
M. Louis Vogel, rapporteur. - Alain Marc et Éric Kerrouche ont employé le mot « hypocrisie ». Olivier Bitz affirme qu'il n'est pas d'accord sur le fait que ce soit un texte de protection de l'enfance. Mon cher collègue, je n'ai pas voulu faire de procès d'intention à l'auteure du texte !
Cela dit, ce décalage entre l'objectif et le moyen utilisé se paie juridiquement : toutes les incohérences juridiques qui rendent ce texte inapplicable sont précisément dues au fait que, sous couvert de protection de l'enfance, on veut, en réalité, protéger les animaux. On n'instrumentalise pas le droit si facilement.
Bien sûr, madame Briante Guillemont, il y a des exemples de droit comparé, mais sur des approches frontales du sujet, c'est-à-dire sur la volonté de supprimer les corridas ou les combats de coqs. En revanche, on n'a pas d'élément de droit comparé précis sur la protection de l'enfance dans le cadre des corridas.
Marie-Pierre de La Gontrie a rappelé que la coutume était source de droit. C'est fondamental ! En portant atteinte à une coutume reconnue par le législateur, nous prendrions une décision très grave.
Si le texte qui nous est soumis attaquait frontalement le sujet, on pourrait en discuter, mais ce n'est absolument pas le cas.
Monsieur Benarroche, vous avez dit que nous justifions le maintien des corridas en avançant des arguments économiques. C'est très réducteur ! L'intégration dans les quartiers à Arles se fait grâce aux corridas ! Les écoles de tauromachie permettent d'intégrer la population. C'est une vraie culture locale. Les corridas sont très importantes socialement.
Vous avez également déformé mes propos. Je n'ai jamais dit que le législateur ne pouvait pas se substituer aux parents ! J'ai dit qu'il ne fallait toucher au droit de la famille qu'« avec une main tremblante », pour citer Portalis - tous les spécialistes sont de cet avis.
Les exclusions du type de celle qui nous est soumise ne sont possibles que dans des cas extrêmement graves. L'autorisation d'assister à un spectacle relève de l'autorité parentale ; en cas de désaccord, c'est le juge aux affaires familiales qui tranche. Le texte est donc complètement en décalage par rapport à ce qui se fait par ailleurs en matière de protection de l'enfance.
M. Christophe-André Frassa, président. - Mes chers collègues, en application du vade-mecum sur l'application des irrecevabilités au titre de l'article 45 de la Constitution, adopté par la Conférence des présidents, je vous propose de considérer que le périmètre de la proposition de loi comporte les mesures encadrant l'organisation des courses de taureaux et des combats de coqs.
Il en est ainsi décidé.
EXAMEN DES ARTICLES
Article 1er
L'article 1er n'est pas adopté.
Article 2
L'article 2 n'est pas adopté.
La proposition de loi n'est pas adoptée.
Conformément au premier alinéa de l'article 42 de la Constitution, la discussion en séance portera en conséquence sur le texte initial de la proposition de loi déposée sur le Bureau du Sénat.
Proposition de loi visant à interdire le démarchage téléphonique - Examen du rapport et du texte de la commission
M. Christophe-André Frassa, président. - Nous en venons à l'examen du rapport d'Olivia Richard sur la proposition de loi visant à interdire le démarchage téléphonique.
Nous accueillons Pierre-Jean Verzelen, auteur de la proposition de loi, qui va la présenter.
M. Pierre-Jean Verzelen, auteur de la proposition de loi. - Ayant tous des téléphones portables, nous sommes tous confrontés aux mêmes problèmes. En vérité, le sujet du démarchage traverse toutes les sociétés occidentales, avec des résultats plus ou moins différents selon les politiques mises en place. En toile de fond, il soulève le sujet des données à caractère personnel, qui sont massivement captées, utilisées, échangées et vendues.
D'après Le Petit Larousse, le démarchage téléphonique est « une technique qui consiste, pour un commercial, à solliciter par téléphone quelqu'un qui n'a pas manifesté de l'intérêt pour les produits ou services qu'il vend ». La proposition de loi vise à stopper le démarchage téléphonique tel qu'ainsi défini.
Les spécialistes parlent d'« opt-in » et d'« opt-out », mais je ne suis pas certain que cela parle à la majorité des Français. Nous vivons aujourd'hui dans l'ère de l'opt-out : cela veut dire que nous sommes tous par défaut présumés consentants à être démarchés téléphoniquement.
Tout ce qui a été fait depuis de nombreuses années vise à encadrer les choses dans le cadre de l'opt-out. C'est le cas de la liste d'opposition au démarchage téléphonique « Bloctel », dont le résultat est somme toute très relatif. De fait, sur « Bloctel », il faut créer son profil, puis renseigner le numéro de téléphone de celui qui nous a démarchés téléphoniquement, expliquer pourquoi on a été démarché... Au final, très peu de gens inscrits sur « Bloctel » s'en servent réellement à des fins de signalement.
Je suis convaincu que réorganiser l'opt-out reviendrait à verser de l'eau dans du sable : cela ne fonctionnera pas. Ce qu'il faut, c'est inverser la donne, c'est-à-dire basculer vers une présomption de refus du démarchage téléphonique. Il y a différents curseurs - ce sera l'objet de la discussion en séance publique la semaine prochaine -, mais là est l'idée.
Nous sommes tous, je suppose, préoccupés par l'impact économique d'une nouvelle loi qui irait en ce sens. D'ailleurs, depuis quelques semaines, je suis régulièrement sollicité par tous les acteurs ayant un intérêt lié au démarchage téléphonique.
Je prends avec beaucoup de pincettes les chiffres des emplois concernés que l'on nous annonce. Un courtier en assurances dont 1 % du chiffre d'affaires est réalisé grâce au démarchage n'hésitera pas à se requalifier comme société de démarchage ! En France, les plateformes téléphoniques qui font du démarchage ont souvent une activité de relation commerciale, qui évidemment continuerait. En revanche, il y a, de l'autre côté de la Méditerranée, des plateformes qui sont des centres d'appels purs. Prenons donc un peu de distance avec la question du nombre d'emplois qu'une nouvelle loi impacterait. Peut-être le texte permettra-t-il d'ailleurs au Gouvernement d'objectiver les choses...
Il faut bien comprendre le système tel qu'il fonctionne désormais : les données sont captées, et ce sont des robots qui tournent. Ces machines génèrent des numéros toute la journée, et, dès que le numéro créé est réel, un appel de démarchage commercial est lancé, et les données sont conservées.
J'en viens à l'impact économique. Le risque d'un tel texte est que nous fixions des contraintes qui compliquent considérablement la vie de tous ceux qui respectent les règles, sans frapper ceux qui ne les respectent pas.
Bien évidemment, des exceptions existent en matière de démarchage, à des fins sociales ou d'intérêt général : pour des associations caritatives, pour les sondages, pour les abonnements de presse. D'ailleurs, les acteurs concernés sont demandeurs d'un texte comme celui-ci, afin de trier les bons des mauvais, si je puis m'exprimer ainsi. De fait, le business model de ceux qui respectent la règle est en train de s'effondrer, les gens décrochant de moins en moins le téléphone, ou raccrochant dès qu'ils comprennent qu'ils ont affaire à du démarchage.
J'ai regardé de près l'exemple de l'Allemagne, qui est entrée, en 2009, dans le système de l'opt-in. Les résultats ont été en demi-teinte durant quelques années, mais cela fonctionne bien mieux depuis deux ou trois ans car le Gouvernement s'est emparé du sujet et a décidé de taper au porte-monnaie les entreprises faisant l'objet de signalements. Cela prouve bien que, comme souvent, il y a, d'un côté, ce qui va être voté et, de l'autre, les moyens que le Gouvernement se donnera pour faire appliquer les choses.
En France, nous avons la chance que les opérateurs téléphoniques soient tenus de sourcer les appels : ils peuvent retrouver l'ADN de n'importe quel appel et le tracer dans le temps. Ils ont un rôle éminemment important, en ce qu'ils peuvent identifier les numéros et couper les appels à la base.
Je sais qu'un certain nombre d'intérêts peuvent être bousculés, ce qui, du reste, est peut-être la raison pour laquelle nous n'avons pas avancé plus vite sur le sujet. Mais ce sont 60 millions de personnes qui sont exaspérées chaque jour ! Le démarchage fait partie de ces sujets à bas bruits qui intéressent les gens au quotidien.
Le dispositif proposé mérite probablement d'être amélioré ; nous aurons l'occasion de le faire en séance publique.
Je ne suis pas jusqu'au-boutiste : si l'on parvient déjà à inverser la donne, en passant à l'opt-in, je pense que l'on aura déjà fait un grand pas. Lorsqu'un texte permet de mettre un pied dans la porte et de faire en sorte que le Gouvernement s'empare d'un sujet politiquement, c'est déjà beaucoup !
Mme Olivia Richard, rapporteure. - L'auteur de la proposition de loi propose de renforcer l'encadrement du démarchage téléphonique légal. Je dis « encadrer » plus qu'« interdire », parce qu'il reprend les exceptions, assez larges, déjà prévues dans la loi : l'exception client, la prospection non commerciale - associations, sondages - et la presse.
Comme vient de l'expliquer Pierre-Jean Verzelen, nous sommes actuellement en France sous un régime d'opt-out. Nous sommes, par défaut, considérés comme appelables, charge à chacun d'entre nous de faire respecter un droit d'opposition. Ce dernier se matérialise par l'inscription sur la liste d'opposition au démarchage téléphonique « Bloctel ». Les professionnels peuvent néanmoins appeler les gens inscrits sur Bloctel dès lors qu'ils entrent dans l'une des trois catégories que je viens de citer.
Il n'y a que deux secteurs pour lesquels l'interdiction est totale : le compte personnel de formation (CPF) et la rénovation énergétique, à la suite de nombreuses fraudes.
Le cadre légal et réglementaire actuel prévoit également un encadrement des plages horaires et des fréquences d'appels autorisées. Un consommateur ne peut être contacté plus de quatre fois en trente jours. S'il exprime une opposition pendant la conversation téléphonique, il ne peut être rappelé avant un délai de soixante jours.
Pour achever cet état des lieux, il existe une obligation d'information du consommateur démarché. Le démarcheur est censé indiquer sa qualité, la nature commerciale de l'appel et la possibilité de s'inscrire sur Bloctel. À titre personnel, il ne m'est jamais arrivé que l'on me précise tout cela...
Je précise par ailleurs que le règlement général sur la protection des données (RGPD) s'applique, et que le cadre d'ensemble est d'autant plus difficile à lire que chaque vecteur de communication est soumis à un régime différent. Ainsi, le démarchage électronique n'est pas le démarchage téléphonique. Contrairement au courrier postal et au démarchage téléphonique, qui relèvent de l'opt-out, avec un droit d'opposition après coup, les courriels, SMS et MMS relèvent de l'opt-in. Le consentement préalable du consommateur est ici obligatoire.
Le cadre législatif issu de la loi « Naegelen », rapportée par notre collègue André Reichardt en 2019, et, initialement, de la loi « Hamon » de 2014, était, en quelque sorte, celui de la dernière chance pour les démarcheurs. Or ce système a trouvé ses limites : tout le monde s'accordera pour dire qu'il ne fonctionne pas.
Six millions de Français et 12 millions de numéros de téléphone sont inscrits sur « Bloctel », mais cela ne représente que 9 % des Français et 10 % des lignes en circulation. Les signalements à la direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF) sont en baisse sur la période récente, mais cela s'explique soit par une lassitude des consommateurs, qui voient bien que cela ne sert à rien, soit par une redirection des plaintes vers SignalConso lorsque cela concerne l'énergie.
Cependant, les infractions sont toujours là. Elles sont très nombreuses, et la Commission nationale de l'informatique et des libertés (Cnil) comme la DGCCRF constatent bien au cours de leurs contrôles que plus de la moitié des entreprises s'exonèrent totalement de l'obligation d'expurger leurs listes des numéros figurant sur « Bloctel ».
Par ailleurs, les sanctions sont complètement insuffisantes au regard des millions d'appels passés : 200 amendes administratives ont été prononcées en 2023, pour un montant total de 4,4 millions d'euros. C'est dire à quel point les mailles du filet sont larges !
Précisons néanmoins que l'essentiel des nuisances résulte de démarcheurs « voyous » totalement indifférents au cadre légal et qui seraient probablement hermétiques aux modifications législatives auxquelles nous pourrions procéder. C'est notamment vrai des entreprises situées à l'étranger.
On peut également vivement regretter le déploiement embourbé des solutions techniques prescrites par le législateur pour limiter les nuisances. La loi « Naegelen » imposait aux opérateurs téléphoniques de déployer un mécanisme d'authentification des appels avant juillet 2023. Ce dernier n'est entré en vigueur que le 1er octobre dernier et pour les seules lignes fixes. Pour les lignes mobiles, il nous est répondu que cela pourrait venir « dans les prochains mois » ... Nous dépendons complètement des opérateurs, qui se servent eux-mêmes largement du démarchage téléphonique.
Face à ces échecs répétés, et dans la lignée de ce qui a été acté en 2020 par notre commission, on peut se demander si nous ne sommes pas arrivés au bout de la logique de l'opt-out. Ne faut-il pas basculer vers un régime d'opt-in ? C'est la question que cette proposition de loi permet de soulever.
À mon sens, une telle évolution irait dans le sens de l'histoire. Non pas que la solution soit parfaite, ou simplement meilleure, mais il n'y en a plus vraiment d'autres, les encadrements drastiques mis en place en 2020 n'ayant rien donné.
Les associations de consommateurs, que nous avons rencontrées, font état d'une exaspération à hauteur de 97 % des gens démarchés, tandis que 72 % des Français sont démarchés au moins une fois par semaine sur leur portable, dont 38 % quotidiennement. Ce taux est de 58 % pour les lignes fixes.
Bien évidemment, la préservation de l'emploi est une préoccupation majeure. Il faut trouver un équilibre entre l'emploi et la protection du consommateur. Comme l'a dit l'auteur du texte, le nombre d'employés qui ne font que du démarchage téléphonique est quasiment impossible à déterminer. Les centres d'appel emploieraient entre 29 000 et 40 000 personnes, mais ces dernières ne font pas seulement du démarchage. Du reste, on peut estimer que l'évolution du cadre légal n'entraînera pas nécessairement des licenciements ; selon les modalités retenues c'est une simple réadaptation des pratiques qui s'imposerait.
La proposition de loi présente deux lacunes. La première est juridique : non que je sois hostile au renversement de la charge de la preuve en matière de consentement - c'est une démarche qui, dans d'autres domaines, peut me paraître intéressante -, mais la création d'une liste de consentement qui remplacerait « Bloctel » ne serait pas opérationnelle, le RGPD imposant que le consentement soit spécifique. On ne peut consentir dans l'absolu à être démarché par n'importe quel professionnel pour n'importe quel produit.
Seconde lacune, il est évident que personne ne s'inscrira sur une liste de consentement au démarchage téléphonique, ce qui va tuer tout le secteur, y compris les opérateurs qui respectent les règles. Il ne paraît donc pas pertinent d'établir cette liste.
L'auteur de la proposition de loi a exprimé le souhait que son texte d'origine soit présenté dans l'hémicycle. Je vous propose donc de ne pas adopter la proposition de loi en l'état et de renvoyer notre débat à la séance publique. Je vous proposerai alors des amendements visant trois objectifs. Premièrement, je vous proposerai d'établir un système d'opt-in permettant une meilleure conciliation entre protection des consommateurs et sauvegarde de l'emploi. Nous pourrions, par exemple, nous aligner sur ce qui existe en matière de prospection électronique, avec un consentement au cas par cas, souvent par l'intermédiaire d'une case à cocher. Ne plus avoir différents régimes aurait déjà le mérite de la clarté.
Je n'exclus pas de vous proposer également un amendement sur les horaires et, surtout, sur la fréquence des appels.
Deuxièmement, je vous proposerai de protéger les personnes vulnérables. De fait, les centres d'appels nous ont bien expliqué qu'ils visaient essentiellement les personnes fracturées électroniquement, soit 18 % de la population française, parmi lesquelles on compte évidemment les personnes âgées. Il convient d'agir davantage sur les abus.
Troisièmement, il faut poursuivre et sanctionner. Les sanctions ne sont pas du tout suffisamment dissuasives. Le démarchage téléphonique reste rentable, même de façon totalement illégale.
Pour permettre une meilleure enquête et de meilleures sanctions, il faut autoriser les trois entités qui agissent dans le domaine - la Cnil, l'Autorité de régulation des communications électroniques, des postes et de la distribution de la presse (Arcep) et la DGCCRF - à se transmettre les éléments permettant d'identifier les auteurs, ce qui n'est pas le cas aujourd'hui, en raison du secret de l'instruction.
Pour l'heure, je vous propose, de nous en tenir au gentlemen's agreement arrêté par la Conférence des Présidents et de renvoyer l'examen de la proposition de loi à la séance.
Mme Audrey Linkenheld. - Je veux d'abord remercier l'auteur de cette proposition de loi ainsi que la rapporteure pour la sincérité de leurs présentations, qui montrent à la fois les raisons pour lesquelles cette proposition de loi est intéressante, mais aussi les questions que l'on se pose encore et les limites du système. Nous partageons leur constat.
La position de notre groupe est constante. Lors de l'examen de la proposition de loi « Naegelen », nous étions déjà favorables à un basculement du droit d'opposition vers le principe du consentement préalable. Nous n'avons pas changé de point de vue sur ce sujet.
Depuis la loi « Hamon » de 2014, nous avons tenté beaucoup de choses. Or force est de constater que, à l'heure où nous parlons, malgré le cadre réglementaire dont nous nous sommes dotés voilà maintenant dix ans et que nous avons fait évoluer régulièrement, nos concitoyens sont exaspérés au quotidien par les démarchages intempestifs qui continuent, à la fois sur les téléphones fixes et sur les mobiles.
Le système allemand, qui existe désormais depuis plusieurs années, semble fonctionner. Il y a donc sans doute des solutions opérantes à imaginer ! À cet égard, nous serons très attentifs aux amendements que déposera la rapporteure.
Il est vrai que des questions économiques se posent, mais, compte tenu des évolutions technologiques, ce sont aujourd'hui soit des robots, soit des personnes employées à l'étranger qui sont derrière les démarchages téléphoniques.
Les opérateurs qui font les choses correctement ne devraient normalement pas être les plus touchés par les évolutions législatives et réglementaires que nous proposons, notamment parce que les appels sortants ne représentent qu'une minorité de leur activité - de l'ordre de 17 %. Vous avez bien fait de rappeler que ces opérateurs téléphoniques sont à la fois le canal et l'émetteur. Il faudra l'avoir en tête lorsque nous serons sollicités d'ici à la séance.
Nous sommes favorables à ce que nous protégions davantage les consommateurs, en particulier les plus fragiles, susceptibles de se laisser berner, les démarchages téléphoniques, étant, dans leur très grande majorité, frauduleux.
M. Jean-Michel Arnaud. - Je remercie l'auteur de la proposition de loi et la rapporteure de ce texte du travail réalisé.
Il est absolument nécessaire d'apporter des réponses, à la fois pour protéger les plus vulnérables, mais aussi pour réguler davantage.
Cette proposition de loi concerne essentiellement les émetteurs de démarches commerciales de droit français. A-t-il été question, lors des auditions que vous avez menées, des acteurs situés en dehors du cadre strictement national ? Si nous avons une démarche à faire, elle doit être au moins de niveau européen, voire extra-européen, puisque les opérateurs de démarchage actifs dans les pays francophones s'organisent à partir de plateformes installées ailleurs.
Il me semble que l'on doit, d'une manière ou d'une autre, faire écho aux revendications récurrentes des associations de consommateurs, qui démontrent l'impuissance des dispositifs mis en oeuvre jusqu'à aujourd'hui. Si la liste « Bloctel » a bénéficié d'une large campagne de communication, il s'agit néanmoins clairement d'un échec patent.
Le législateur doit se montrer résolu pour régler ce problème, particulièrement aigu pour les usagers, notamment les plus vulnérables.
Mme Olivia Richard, rapporteure. - Monsieur Arnaud, oui, une grosse partie du problème vient d'opérateurs qui agissent hors de France. Oui, il faut agir !
La loi « Naegelen » a prévu la création d'un système d'authentification des appels permettant de couper les appels frauduleux. Cela peut notamment être utile en cas d'usurpation des numéros de téléphone. Je pense notamment au « spoofing », à savoir l'usurpation du numéro de téléphone d'un interlocuteur connu, par exemple son conseiller bancaire, qui permet de mettre la victime en confiance avant de lui soutirer de l'argent.
Puisque les opérateurs qui sont à l'étranger n'ont pas le droit d'utiliser un numéro français - ce serait de la fraude -, l'authentification des numéros permettra aux opérateurs de couper les appels. Depuis que ce mécanisme est en place pour les lignes fixes, ce sont 3 à 4 millions d'appels qui ont été coupés chaque jour durant les premiers jours et 60 000 appels par jour qui le sont depuis. Dans un monde idéal, les mobiles, qui sont majoritaires et bien plus démarchés, seront concernés par ce système ; tout un pan de la fraude pourrait ainsi tomber.
L'échelon européen intéresse d'autres que nous : une proposition de résolution européenne a été déposée à l'Assemblée nationale, avec, entre autres cosignataires, notre ancien collègue Philippe Bonnecarrère. Cette proposition appelle à ce que le règlement « ePrivacy 2 » en cours de négociation impose un basculement vers l'opt-in s'agissant du démarchage téléphonique. Néanmoins, les négociations patinent, et il ne devrait pas y avoir d'évolution majeure sur ce dossier dans l'immédiat. Il y a eu d'autres initiatives à l'Assemblée nationale, notamment une proposition de loi.
Nous pourrons mieux lutter contre la fraude quand les entités compétentes pourront communiquer entre elles. La Cnil nous a fait part de son désespoir : elle doit faire appel à l'annuaire inversé pour identifier les démarcheurs, sur la base des numéros de téléphone fournis par les personnes qui l'ont saisie. Dans le même temps, la DGCCRF procède à des enquêtes, mais n'a pas le droit de dire qui elle trouve derrière les numéros...
Reste un problème de moyens. Les services de l'État ne sont pas du tout calibrés pour répondre à la masse des appels passés. Il faut automatiser, ce qui justifie l'intervention de l'Arcep, et faciliter les communications entre les trois entités.
M. Christophe-André Frassa, président. - Mes chers collègues, en application du vade-mecum sur l'application des irrecevabilités au titre de l'article 45 de la Constitution, adopté par la Conférence des présidents, il nous appartient d'arrêter le périmètre indicatif de la proposition de loi.
Je vous propose de considérer que ce périmètre comprend les dispositions relatives à l'encadrement des communications à des fins de prospection commerciale ; à la protection des consommateurs contre les nuisances liées à la prospection commerciale ; à la lutte contre les pratiques téléphoniques frauduleuses.
Il en est ainsi décidé.
EXAMEN DE L'ARTICLE UNIQUE
Mme Olivia Richard, rapporteure. - L'amendement COM-1 de M. Houpert vise à supprimer l'obligation d'inscription sur une liste de consentement.
L'amendement COM-1 n'est pas adopté.
Mme Olivia Richard, rapporteure. - Je suis d'accord avec le principe prévu à l'amendement COM-3 de Mme Bellurot. Je remercie ma collègue d'avoir attiré notre attention sur ce point, mais je déposerai, en séance publique, un amendement dont le dispositif me semble plus approprié.
L'amendement COM-3 n'est pas adopté.
Mme Olivia Richard, rapporteure. - Nous sommes défavorables à l'amendement COM-2 de M. Houpert, qui vise à élargir l'exception client.
L'amendement COM-2 n'est pas adopté.
M. Christophe-André Frassa, président. - Je rappelle que c'est l'auteur de la proposition de loi lui-même qui a souhaité que l'on n'amende pas son texte en commission.
Mme Olivia Richard, rapporteure. - Si nous nous rejoignons sur le principe d'un basculement vers l'opt-in, le dispositif technique proposé ne nous semble en pratique pas le plus approprié et nous proposerons de l'amender en séance.
L'article unique constituant l'ensemble de la proposition de loi n'est pas adopté.
Conformément au premier alinéa de l'article 42 de la Constitution, la discussion en séance portera en conséquence sur le texte initial de la proposition de loi déposée sur le Bureau du Sénat.
Les sorts des amendements examinés par la commission sont retracés dans le tableau suivant :
La réunion est close à 12 h 00.