- Mercredi 6 novembre 2024
- « La coopération et l'intégration régionale outre-mer - bassin Océan Indien » - Enjeux européens du rapport d'information de la délégation sénatoriale aux outre-mer - Communication
- LXXIIe réunion de la Conférence des organes spécialisés dans les affaires de l'Union européenne (Cosac) à Budapest du 27 au 29 octobre 2024 - Communication
Mercredi 6 novembre 2024
- Présidence de Jean-François Rapin, président -
La réunion est ouverte à 13 h 30
« La coopération et l'intégration régionale outre-mer - bassin Océan Indien » - Enjeux européens du rapport d'information de la délégation sénatoriale aux outre-mer - Communication
M. Jean-François Rapin. - Mes chers collègues, nous allons aujourd'hui évoquer une dimension trop souvent négligée au niveau européen, la dimension ultramarine. Très récemment, en échangeant avec nos collègues du Bundesrat, nous avons pu constater à quel point les sujets des outre-mer leur paraissaient éloignés ; mais il importe de les aborder. Notre pays est en effet riche de collectivités et de territoires d'outre-mer qui ont un statut différent à l'égard de l'Union européenne. Au sein de l'Union européenne, la Guyane, la Guadeloupe, Saint-Martin, la Martinique, La Réunion, Mayotte, les Canaries, les Açores et Madère bénéficient du statut de régions ultrapériphériques (RUP). Les RUP font partie intégrante de l'UE et sont assujetties au droit communautaire, au même titre que les autres régions européennes. Toutefois, leur statut leur ouvre la possibilité d'un traitement différencié dans l'application du droit de l'Union, depuis l'entrée en vigueur du traité d'Amsterdam en 1999. Ce statut est reconnu par l'article 349 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne qui ouvre la possibilité d'adapter les règles européennes pour ces territoires aux caractéristiques particulières : éloignement, insularité, climat, faible superficie et dépendance économique vis-à-vis d'un nombre limité de produits, le tout engendrant des surcoûts. Les dispositions spécifiques en faveur des RUP couvrent aujourd'hui la politique régionale, la politique agricole commune, la politique commune de la pêche et le régime applicable aux aides d'État.
On peut noter d'emblée sur la carte que les RUP françaises présentent une spécificité par rapport aux RUP espagnoles ou portugaises : leur très grand éloignement.
Contrairement aux régions ultrapériphériques, les pays et territoires d'outre-mer (PTOM) ne font pas partie intégrante de l'UE mais ils bénéficient d'un régime d'association. Le droit de l'Union ne leur est donc pas applicable, mais ils sont néanmoins éligibles à de nombreux programmes horizontaux de l'Union et bénéficient maintenant d'un instrument de financement dédié, au sein du budget général de l'Union européenne, dans l'actuel cadre financier pluriannuel 2021-2027. Depuis le départ du Royaume-Uni, les PTOM sont au nombre de 13 et liés à trois États membres : le Danemark, les Pays-Bas et la France. Les PTOM français sont la Nouvelle-Calédonie, la Polynésie française, Saint-Pierre-et-Miquelon, Saint-Barthélemy, les Terres australes et antarctiques française (TAAF) et Wallis-et-Futuna.
J'ai proposé à la délégation aux outre-mer de présenter aujourd'hui à notre commission le fruit du travail approfondi qu'elle mène sur l'intégration régionale des outre-mer et dont le premier volet porte sur le Bassin de l'océan Indien. Dans ce bassin, notre pays compte un PTOM, les TAAF, et deux RUP, La Réunion et Mayotte, passée il y a dix ans du statut de PTOM à celui de RUP.
Le rapport que nos collègues Christian Cambon, Stéphane Demilly et Georges Patient ont présenté à la délégation aux outre-mer en septembre avance des recommandations très importantes, notamment à dimension européenne, pour favoriser l'intégration de nos outre-mer dans l'océan Indien. En effet, même si la Commission européenne publie à intervalles réguliers des stratégies relatives aux RUP, la dernière de mai 2022 ayant même été suivie, sous l'impulsion de la Présidence française, de conclusions du Conseil entièrement consacrées aux RUP, les outre-mer se trouvent encore trop souvent dans l'angle mort de Bruxelles.
C'est pourquoi j'ai souhaité vous proposer, Madame la Présidente de la délégation aux outre-mer, d'organiser cette réunion pour sensibiliser notre commission à cet enjeu décisif, au moment où débute un nouveau cycle institutionnel européen et où s'annonce la préparation du prochain cadre financier pluriannuel. Je tiens à vous remercier pour votre présence et je remercie notre collègue Georges Patient qui appartient à votre délégation et à notre commission d'avoir accepté de nous présenter le volet européen du travail qu'il a effectué avec ses collègues de la délégation.
Mme Micheline Jacques. - Monsieur le Président, Monsieur le Rapporteur, chers collègues, je tiens tout d'abord à vous remercier pour votre initiative, cher Président Jean-François Rapin. Il est important que la délégation puisse porter les enjeux européens pour nos territoires ultramarins devant votre commission. J'y suis d'autant plus attachée que l'un de mes chevaux de bataille est celui de la différenciation et de l'adéquation des politiques publiques aux spécificités et aux contraintes des outre-mer. Cela vaut aussi bien au niveau national qu'au niveau européen. La question normative y est déterminante quand on sait la part prédominante, pour ne pas dire écrasante, du droit européen dans notre corpus législatif et réglementaire, y compris outre-mer.
Sans empiéter sur la présentation du rapport par Georges Patient, qui avec sa double casquette délégation-commission des affaires européennes est le passeur idéal, je crois pouvoir dire que le principal enjeu de ce travail est la portée de l'article 349 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne.
Cet article, qui permet d'adapter la législation européenne aux spécificités et contraintes des régions ultrapériphériques, fait encore l'objet d'un usage homéopathique, à mon sens. Au détour d'un texte, des dérogations ou quelques adaptations sont accordées. Mais elles sont encore trop souvent perçues comme des anomalies tolérées, parfois temporairement. Il n'y a pas une vision d'ensemble tendant à dessiner un cadre juridique ad hoc pour ces territoires au service d'une stratégie de développement. Le seul exemple a contrario est sans doute le programme d'options spécifiques à l'éloignement et à l'insularité (POSEI). Beaucoup de RUP ont aussi la crainte diffuse de perdre des financements européens, essentiels pour elles, si d'aventure elles revendiquaient trop bruyamment des normes s'écartant des standards européens.
J'espère donc que le travail commun que nous allons commencer sur la base des propositions du rapport que Georges Patient va vous présenter, permettra de porter à Bruxelles un message ambitieux pour le développement et le rayonnement de nos territoires. Il est essentiel de rebattre les cartes si nous voulons sortir les outre-mer de l'impasse économique dans laquelle beaucoup se trouvent plongés aujourd'hui. La crise de la vie chère, la violence, la pauvreté en sont les symptômes.
Je vous remercie et laisse la parole à notre rapporteur Georges Patient, en vous priant d'excuser Stéphane Demilly et Christian Cambon, retenus par d'autres obligations pour le Sénat.
M. Georges Patient. - Monsieur le Président, Madame la Présidente, chers collègues, je vous remercie de me donner l'occasion de présenter devant la commission des affaires européennes les conclusions du rapport que j'ai eu l'honneur de co-rapporter sur la coopération régionale des outre-mer du bassin de l'océan Indien. Je ne vous présenterai pas l'intégralité du rapport adopté le 17 septembre dernier par la délégation aux outre-mer pour me concentrer sur les aspects européens du sujet. Néanmoins, je souhaite rappeler rapidement les raisons du choix de ce thème d'étude.
Il part du constat ancien, documenté et malheureusement constant que nos outre-mer ont relativement peu de relations et d'échanges avec leur environnement régional. En cause notamment : des relations historiques et des liens économiques avec la métropole, hérités de la période coloniale.
Les données recueillies lors de cette mission confirment ce constat. Un seul chiffre : les importations en provenance des pays de la commission de l'océan Indien (COI), , la principale organisation régionale, représentent 0,7 % des importations de La Réunion et 7 % de ses exportations. L'Hexagone et l'Europe sont prédominants, et c'est encore plus marqué pour le trafic de marchandises par conteneurs.
Cet état de fait, qui concerne aussi les mobilités - avec trop peu de liaisons régionales -, les investissements ou le tourisme, est devenu aberrant ; il est désormais perçu comme un frein au développement. En effet, tous les interlocuteurs considèrent qu'une meilleure intégration ou insertion régionale serait porteuse de solutions pour répondre aux défis des outre-mer :
- la lutte contre la vie chère grâce à un approvisionnement régional ;
- le développement économique en ouvrant de nouveaux marchés ;
- la mobilité en facilitant les déplacements et la connectivité avec des hubs régionaux ;
- mais aussi la lutte contre les trafics qui menacent de plus en plus la stabilité de nos territoires.
Ces opportunités manquées sont devenues d'autant moins acceptables que le sentiment général est celui d'un modèle de développement de nos outre-mer à bout de souffle, qui doit se renouveler. Dans ce contexte, la politique de coopération régionale doit se concevoir comme le levier pour initier et renforcer des dynamiques d'insertion régionale et supprimer les blocages. Le rapport s'est efforcé d'étudier la politique de coopération régionale conduite ces dernières années dans le bassin Indien, afin d'en cerner les forces mais aussi les limites.
Sur la base de ce bilan, vingt propositions ont été émises autour de quatre orientations principales.
Le premier axe est celui de l'insertion économique, qui doit - à notre sens - être « la » priorité. Le deuxième axe est la nécessité de bâtir une diplomatie des outre-mer. Malgré quelques progrès, la diplomatie française n'a pas encore achevé sa révolution copernicienne pour décentrer la conception et la conduite de son action extérieure autour et avec nos outre-mer. Un troisième axe consiste à asseoir la souveraineté française à Mayotte, ainsi que l'influence de la France dans la région, dans le cadre de la stratégie Indopacifique. Il est essentiel que la France conforte son rôle de pourvoyeur de sécurité et de stabilité dans la région. Enfin, le quatrième axe tend à revoir le cadre d'action de l'Union européenne en faveur de l'insertion régionale de nos outre-mer. Cet axe comporte six propositions sur les vingt du rapport que je vais vous présenter .
Auparavant, permettez-moi de dresser un bref bilan de l'action de l'Union européenne dans la région et de ses effets sur la coopération et l'intégration régionale. S'il fallait le résumer d'un mot, je dirais que le bilan de cette action est très contrasté. Du côté positif, il est incontestable que l'Union européenne est devenue le principal financeur de la coopération régionale. Le programme de coopération territoriale européenne Interreg, aux mains de la région de La Réunion et du département de Mayotte, est l'outil financier incontournable, avec 63 millions d'euros pour 2021-2027 sur le programme océan Indien et 10 millions pour le programme Canal du Mozambique. Sans Interreg, la coopération régionale ne serait pas financée.
À cela s'ajoutent les crédits de l'instrument européen pour le voisinage, le développement et la coopération internationale, dit « NDICI », qui alimentent les projets portés par la commission de l'océan Indien (COI) majoritairement financée par l'Union européenne. Grâce à ce financement, 87 millions d'euros ont été versés sur la période 2018-2022 pour créer et développer des projets très concrets, par exemple visant à renforcer la sécurité ou lutter contre la pêche illégale. Enfin, aussi bien la France que l'Union européenne apportent une aide bilatérale très importante aux États de la région. Je pense à l'île Maurice, Madagascar, les Comores ou à la Tanzanie.
Toutefois, ces avantages sont contrebalancés par plusieurs défauts ou inconvénients qui inhibent et compliquent une insertion régionale des outre-mer. Comme le lien entre l'Hexagone et les outre-mer, le lien entre l'Union européenne et les outre-mer isole La Réunion et Mayotte dans leur environnement régional.
Le premier reproche quasi-unanime porte sur les accords de partenariat économique (APE) négociés par l'Union européenne avec les pays ACP (Afrique - Caraïbes - Pacifique). La non-prise en compte des intérêts des outre-mer, et des RUP en particulier, est pointée. Les vulnérabilités des économies ultramarines sont oubliées et ces accords exposent les outre-mer à une concurrence accrue.
Les accords les plus asymétriques sont dénommés « négativistes », ce qui signifie que la RUP concernée ne peut pas exporter dans le territoire voisin, alors que l'inverse est possible. De tels accords asymétriques existent partout, y compris dans l'océan Indien. Ainsi, les droits de douane que doit payer La Réunion pour exporter sont extrêmement et délibérément prohibitifs, afin de favoriser le développement des États voisins. En sens inverse, les importations vers La Réunion ou Mayotte sont exonérées de droits de douane. Les accords prévoient souvent des clauses de sauvegarde, mais celles-ci demeurent compliquées à activer et provisoires. Des clauses miroirs sont parfois demandées, notamment en matière de normes environnementales ou sanitaires. Mais le principe de simple équivalence offre une garantie partielle.
Les outre-mer sont absents du processus décisionnel européen. Les négociations ACP-UE n'intègrent pas de groupe de travail RUP. La conférence des présidents des RUP plaide depuis de nombreuses années pour y remédier, en particulier depuis les premiers APE en 2000. Une résolution du Parlement européen en 2021 demandait à la Commission européenne de « s'assurer que les RUP bénéficient pleinement des accords internationaux conclus entre l'Union et les pays tiers en créant une task force « Conséquence de la politique commerciale sur les RUP » qui associerait de manière effective les RUP, y compris les représentants des filières RUP ».
Malgré cette résolution, dans sa communication du 3 mai 2022, la Commission européenne tendait plutôt à renvoyer aux États membres le soin d'associer les RUP lors de l'élaboration de leur position sur les accords commerciaux. L'exemple de la signature de l'APE avec la zone Afrique australe est fréquemment cité par les acteurs économiques réunionnais qui n'ont pas été associés aux négociations. Malgré les critiques, rien ne change. Très récemment, les autorités locales réunionnaises et mahoraises ont découvert tardivement les négociations entre l'Union européenne et Madagascar pour relever le taux de nicotine toléré dans la vanille de Madagascar pour pouvoir entrer sur le marché européen.
Pourtant, quand la volonté politique existe, il est possible d'obtenir des victoires. Je rappelle que c'est notamment à l'initiative de notre assemblée qu'une résolution européenne de 2016 avait permis d'alerter sur les effets destructeurs sur la filière des sucres spéciaux réunionnais d'un accord de libre-échange avec le Vietnam. À la suite, l'accord final avec l'UE avait contingenté les exportations vers l'UE. Mais ce fut in extremis.
Le second reproche concerne les normes. Nos outre-mer sont des bulles de droit européen au milieu d'océans régis par des traditions juridiques très différentes. Le droit européen protège, bien souvent, mais il isole également, alimentant ainsi le lien de dépendance à l'égard de la métropole et de l'Europe. Un des effets collatéraux est le renchérissement des coûts d'approvisionnement.
À partir de ce bilan en clair-obscur, nous avons dégagé plusieurs propositions dont deux majeures.
La première fait écho à celle d'une diplomatie française des outre-mer que nous appelons de nos voeux : il s'agit de la création d'une politique européenne de voisinage ultrapériphérique ou PEVu, à destination des états voisins des RUP. Cette PEVu serait imaginée par analogie avec la politique européenne de voisinage de l'Union européenne, qui bénéficie à ce jour aux pays limitrophes du flanc Est de l'Europe - Partenariat oriental - et aux pays du pourtour méditerranéen - Union pour la Méditerranée -, afin de créer aux marges de l'Union un espace de prospérité au moyen d'aides financières et de coopération technique et politique. Une PEVu ferait prendre pleinement conscience à l'Union européenne que les RUP font partie du territoire de l'Union européenne et que les relations avec les pays voisins des RUP doivent être vues sous ce prisme.
Depuis le Brexit, la France est le seul État membre, avec les Pays-Bas, à porter des intérêts régionaux en dehors de l'espace géopolitique européen. Les outre-mer français, et singulièrement Mayotte et La Réunion, ne sont pas encore assez perçus par l'Union européenne comme deux pôles européens au coeur d'un espace stratégique non-européen. Les politiques extérieures de l'Union (NDICI, Global Gateway) ne prennent en compte cette réalité qu'à la marge. Le manque de synergie entre la NDICI et les programmes Interreg a été pointé dans les documents stratégiques préparatoires à la nouvelle programmation 2021-2027.
Des progrès ont néanmoins été observés. L'Union européenne apporte une aide financière déterminante à la COI depuis plusieurs années et contribue ainsi de manière décisive à une nouvelle dynamique de coopération dans la région, en complément des programmes Interreg océan Indien et Canal du Mozambique. Les objectifs prioritaires des programmes Interreg et du partenariat avec la COI, sans être identiques, se recoupent assez largement : soutien aux PME, protection de l'environnement, prévention des risques et adaptation au changement climatique, santé.
Par ailleurs, l'Union européenne développe l'initiative Team Europe, y compris dans le bassin de l'océan Indien. Des projets conjoints ont ainsi été construits aux Comores, à Madagascar - réunissant la France, l'Allemagne et l'Union européenne - ou au Mozambique en matière d'éducation - réunissant l'Union européenne, la Banque européenne d'investissement (BEI) et onze États membres. L'objectif est évidemment d'éviter la dispersion et la cohérence des actions conduites par l'Union européenne et les États membres sur un même territoire. Pour autant, une vision d'ensemble manque encore. Dans le bassin océan Indien, les Comores, Madagascar, ou Maurice pourraient être intéressés par une nouvelle relation privilégiée avec l'Union européenne en lien étroit avec La Réunion et Mayotte, les portes d'entrée de l'Union européenne. Wilfrid Bertile, conseiller régional de La Réunion en charge de la coopération régionale, a d'ailleurs rappelé qu'en mai 2004, il y a 20 ans, la Commission européenne a publié une communication intitulée « un partenariat renforcé pour les régions ultrapériphériques », qui prévoyait, dans son troisième objectif, un plan d'action pour le grand voisinage, à partir des RUP. On peut regretter que cet objectif n'ait pas connu un meilleur sort sous sa forme initiale.
Un second acte majeur serait d'obtenir que le prochain programme de travail de la Commission européenne prévoie l'adoption d'un « paquet législatif RUP ». L'objectif serait de passer en revue les différentes législations européennes qui créent des obstacles réglementaires à l'insertion économique des RUP dans leur environnement. Ce travail transversal aboutirait à la présentation d'un paquet de directives et règlements pour lever ces obstacles, portant « diverses dispositions relatives aux RUP » en vue de lever les freins à leur développement économique endogène. L'adaptation normative qui a été apportée concernant les matériaux de construction - même si le règlement n'a pas encore été définitivement adopté - doit pouvoir être déclinée rapidement dans toute une série de secteurs, sans tarder. Je pense par exemple aux règles en matière de transfert des déchets pour permettre le développement de filières de traitement des déchets à l'échelon régional. De même, en matière agroalimentaire, certaines normes européennes pourraient être assouplies pour faciliter les échanges intrarégionaux. Ce serait aussi l'occasion, entre autres mesures, d'adapter les règles d'utilisation des pesticides en milieu tropical ou l'autorisation de nouvelles techniques génomiques, à partir des demandes des acteurs économiques ultramarins.
Le sujet normatif est donc prioritaire pour débloquer l'insertion économique des outre-mer et ouvrir le champ des possibles. Un tel « paquet RUP » obligerait aussi à une étude transversale et complète des spécificités des RUP. Ce serait également un outil puissant pour donner de la visibilité à ces territoires dans le débat européen. Les facultés d'adaptation offertes par l'article 349 du traité sont encore trop peu utilisées. Un texte conçu entièrement à l'aune de cet article devrait permettre de faire bouger les lignes.
Outre ces deux propositions clefs, les cofinancements NDICI et Feder devraient être facilités pour mieux orienter les crédits européens vers des projets de coopération régionale. Enfin, pour que les RUP cessent de découvrir à la dernière minute les projets d'accords commerciaux de l'Union, il conviendrait de rendre obligatoire les études d'impact de ces projets sur les RUP et d'y associer ces derniers dès l'ouverture des négociations. L'article 349 du traité justifie que les RUP aient une place à part dans l'architecture des négociations et ne soient pas traités comme un acteur « lambda » de la société civile.
Telles sont les lignes de forces de notre rapport dans son volet européen.
Je crois qu'au moment où la Commission européenne et le Parlement européen se remettent progressivement en ordre de marche, notre assemblée doit porter un message fort sur ces sujets essentiels pour nos territoires.
Le modèle actuel de développement est à bout de souffle, il faut donc faire pivoter nos stratégies en faveur d'un développement beaucoup plus endogène tourné vers l'environnement régional.
Je suis à votre disposition pour répondre à vos questions et travailler, je l'espère, à une résolution européenne que nous porterions à Bruxelles au début de l'année prochaine.
M. Jean-François Rapin, président. - Merci, je laisse la parole à nos collègues
M. Louis-Jean de Nicolaÿ. - En tant que rapporteurs pour les fonds de cohésion, avec Michaël Weber, nous tenons à vous remercier pour la présentation de ce rapport qui dresse un constat lucide et sans concession des forces mais surtout des faiblesses de l'intégration régionale des départements d'outre-mer dans l'océan Indien. Nous attendons la suite de votre travail au long cours sur les autres aires géographiques que vous allez étudier mais d'ores et déjà vous esquissez, au-delà du constat des insuffisances actuelles, des pistes constructives pour avancer. J'espère que nous pourrons bientôt porter vos préoccupations, vos interrogations et vos solutions à Bruxelles auprès de la nouvelle Commission européenne, à laquelle on prête l'ambition de redessiner l'architecture des fonds structurels qui sont le principal poste budgétaire de l'Union européenne, en particulier auprès du Vice-président désigné Raffaelle Fitto. Nous devons veiller ensemble à faire respecter ce « réflexe outre-mer » par les institutions et les orientations européennes, conformément à la communication de la Commission européenne sortante et aux résolutions du Parlement européen adoptées sous la précédente mandature. Cette exigence politique, fondée sur l'article 349 du traité sur le fonctionnement de l'UE - qui dispose que l'UE doit tenir compte des spécificités locales des RUP -, doit être renouvelée auprès des nouvelles institutions.
Le nouveau programme Interreg 2021-2027 comporte un volet spécifique unique pour les RUP, qui concentre, pour la première fois, l'ensemble des enveloppes régionales RUP. Le montant du programme, qui se veut plus accessible et efficace, s'élève à 281 millions d'euros. Le programme Interreg a déjà prouvé son efficacité, comme l'illustrent les trois exemples suivants :
- la plateforme d'intervention régionale de l'océan Indien (PIROI), qui a déjà mené 67 opérations d'urgence et porté assistance à 2 millions de personnes ;
- le projet FORMA'TERRA, qui favorise les échanges dans la formation agricole entre La Réunion, Maurice, Madagascar et les Seychelles ;
- et le projet SARG'COOP, qui encadre la coopération de l'ensemble des territoires caribéens dans leur combat contre les sargasses.
Interreg permet donc des réponses adaptées aux problématiques locales. Toutefois, si l'on souhaite consolider ces acquis, une étape supplémentaire doit être franchie. À vous entendre, à vous lire, les possibilités offertes par la coopération régionale n'ont pas été entièrement exploitées.
M. Michaël Weber. - La sous-consommation des crédits, notamment ceux des programmes Interreg, est souvent pointée. Comment l'expliquez-vous ? Certaines procédures sont-elles trop complexes ? L'accompagnement des autorités de gestion et des porteurs de projet est-il suffisant ? Comment renforcer, le cas échéant, cet accompagnement et le niveau d'ingénierie des collectivités ?
Se pose également la question de la coordination de ces crédits Interreg avec les crédits de l'instrument européen pour le voisinage, le développement et la coopération internationale (NDICI) : que préconisez-vous en la matière ?
Qu'en est-il du traitement au cas par cas de la situation des RUP, « sur mesure », comme le proposait la Commission européenne dans sa communication du 3 mai 2022 ?
Votre rapport montre que la coordination des actions des différents fonds qui interviennent dans la coopération des outre-mer : Interreg, FED - fonds européen de développement - devenu nouvel instrument européen pour le voisinage, le développement et la coopération, soit en Bruxellois NDICI, mais aussi les programmes BEST (acronyme anglais de Biodiversity and Ecosystem Services) doit être approfondie, d'autant qu'ils poursuivent des objectifs communs. En mai 2022, lors de la mise à jour de sa communication sur les RUP, la Commission européenne fixait l'objectif d'améliorer et d'intensifier la coopération avec les pays voisins, tout en soulignant que « la coopération reste limitée en raison des problèmes réglementaires, administratifs, budgétaires et politiques ». La lourdeur administrative freine l'élan des porteurs de projets.
Comment simplifier le cheminement des porteurs de projets ? Quelles sont vos recommandations en la matière ? Comment approfondir les synergies avec les autres programmes de coopération régionale ?
Mme Marta de Cidrac. - J'ai la conviction que ce sujet est éminemment important et éminemment européen, ce que l'on l'oublie trop souvent, comme cela a été souligné par notre collègue Georges Patient. Je partage à la fois les constats de l'analyse mais aussi les propositions qui ont été faites dans ce premier volet et j'attends avec impatience la suite de vos travaux. Je souhaitais effectivement revenir sur tous les accords asymétriques qui ont été pointés du doigt, mais aussi sur la lourdeur administrative et normative de l'Union européenne qui pèse sur nos territoires ultramarins, notamment dans l'océan Indien pour toutes les raisons que vous avez évoquées. Sur le traitement des déchets, je tiens à rappeler qu'il y a eu un travail conjoint à l'occasion du rapport présenté par nos deux collègues Gisèle Jourda et Viviane Malet sur les déchets dans les outre-mer. Le groupe d'études « économie circulaire » avait été associé et un certain nombre de constats et de propositions avaient été émis. De mon point de vue, le sujet des outre-mer est profondément géopolitique et nous ne devons pas l'oublier. C'est grâce aussi à tous ces territoires que l'Europe a aujourd'hui un espace maritime immense. D'où des enjeux à la fois économiques, géostratégiques, mais également environnementaux. Je n'ai pas de question mais plutôt une suggestion. Vous avez évoqué le souhait de créer une diplomatie autour de nos outre-mer. ,Je trouve l'idée excellente et je me demande si, au sein de la commission des affaires européennes, nous ne pourrions pas l'appuyer, à travers un outil législatif, une proposition de résolution européenne, ou à l'occasion des débats sur les prochaines réunions du Conseil européen.
M. Georges Patient. - La sous-consommation des crédits est très souvent un reproche général, or le taux de consommation est plus que normal à La Réunion, et, s'il est moins normal à Mayotte, il faut souligner que c'est tout récent. Au niveau européen, la complexité en matière d'utilisation des crédits est mise en avant. Des dispositifs ont été mis en place, sans que l'on n'ait constaté d'évolutions particulières. Il y a un sujet de mise à disposition des crédits, de consommation et de contrôle.
Mme Micheline Jacques, présidente de la délégation aux outre-mer. - Dans les outre-mer, on a souvent des difficultés d'ingénierie. La Réunion est différente car elle est très bien outillée, elle prépare ses dossiers à l'avance, donc elle utilise les fonds européens de manière régulière et très importante. D'autres territoires sont moins bien outillés, parfois ils ne savent pas qu'ils ont droit à des fonds européens ou ne savent pas comment monter des dossiers, il faut donc les accompagner. Le deuxième point non négligeable, lorsque vous montez des dossiers de financement, c'est qu'il doit y avoir un apport des collectivités. Malheureusement, les collectivités n'ont pas beaucoup de moyens et n'arrivent pas toujours à apporter cette part, aussi minime soit-elle. J'avais fait une proposition au gouvernement sur la taxe générale sur les activités polluantes (TGAP), plaidant pour une exonération sur cinq ans à condition de cibler le produit de cette taxe sur des projets de financement de développement de traitement des déchets qui seraient aussi dans les territoires et qui apporteraient de la valeur par le travail, le développement de l'industrie et de la valorisation des déchets. Sur le bilan carbone, voici un exemple de commerce et d'aberration : Mayotte ne peut pas importer de crevettes de Madagascar alors que celles qui sont vendues à Mayotte sont des crevettes de Madagascar conditionnées en Bretagne. Donc la Bretagne, dans le cadre des accords commerciaux qui sont signés, peut importer deux tonnes de crevettes de Madagascar pour les reconditionner avant de les remettre sur le marché, alors que des entreprises mahoraises qui souhaiteraient justement importer et conditionner des crevettes sur leur territoire ne peuvent le faire parce qu'elles ne sont pas comprises dans ces accords. C'est un exemple d'aberration qui a un impact environnemental énorme.
M. Georges Patient. - J'ajoute que l'on fait venir en Guyane du carburant d'Europe du Nord, alors que tous les territoires voisins sont producteurs de pétrole. Ce pétrole d'Europe du Nord coûte 1,90 euros le litre contre moins d'un euro dans ce voisinage.
Mme Marta de Cidrac. - Nous importons dans l'Hexagone des déchets qui viennent parfois des outre-mer parce qu'ils ne peuvent pas être exportés dans les zones régionales.
M. Jean-François Rapin, président. - Cela doit nous inciter à enclencher des initiatives. Une proposition de résolution européenne, déposée au nom de la délégation aux outre-mer est une excellente idée, je la cosignerai avec plaisir. Je vous propose qu'on demande ensuite un rendez-vous à Bruxelles avec le futur et nouveau commissaire à la cohésion, vice-président de la Commission européenne pour échanger avec lui.
Mme Micheline Jacques. - Nous sommes tout à fait favorables à ces deux actions.
M. Jean-François Rapin. - Je vous remercie.
LXXIIe réunion de la Conférence des organes spécialisés dans les affaires de l'Union européenne (Cosac) à Budapest du 27 au 29 octobre 2024 - Communication
M. Jean-François Rapin. - Avec mes collègues Didier Marie et Jean-Michel Arnaud, nous étions la semaine dernière à Budapest où se réunissait sous présidence hongroise la Conférence des organes spécialisés dans les affaires de l'Union européenne, la COSAC, qui rassemble des parlementaires de toute l'Union : à la fois des membres des commissions des affaires européennes des parlements nationaux, et des députés européens. Quatre sessions étaient prévues pour traiter les thèmes suivants : programme et résultats de la présidence hongroise, état de l'Union quinze ans après le traité de Lisbonne, enjeux démographiques européens et enfin, sécurité et défense européennes.
Même si nous avons été bien reçus par les Hongrois dans leur magnifique Parlement au bord du Danube, nous avons relevé que le drapeau européen ne flottait pas à côté du drapeau hongrois sur la façade du bâtiment... Surtout nous avons déploré que le Premier Ministre hongrois, Victor Orban, ait choisi d'annuler son intervention programmée devant la COSAC et donc devant les représentants des États membres et préféré se rendre en visite officielle en Géorgie afin d'y congratuler le pouvoir en place pour sa victoire aux législatives la veille, et ce alors même que la sincérité du scrutin est contestée de toutes parts.
Je n'ai pas manqué d'ailleurs de le souligner dans mon intervention lors de la première session traitant de la présidence hongroise du Conseil, qui fut pour nous précédée d'une réunion de cadrage très instructive avec notre nouvel ambassadeur en Hongrie.
Lorsque j'ai pris la parole devant la COSAC, j'ai d'abord salué la lutte courageuse du peuple hongrois et des autres peuples d'Europe centrale pour leur indépendance, pour la liberté, la démocratie et l'idéal européen et j'ai rappelé que la Hongrie, depuis son entrée dans l'Union il y a vingt ans, avait connu un rattrapage économique sans précédent.
Puis j'ai souligné ce qui nous paraissait contradictoire dans l'attitude de la Hongrie au sein de l'Union européenne : plaider d'une part pour que le fonctionnement de l'Union européenne soit plus démocratique, et faire l'objet, d'autre part, d'une procédure au titre de l'article 7 pour violation des valeurs démocratiques de l'Union ; défendre le renforcement de la compétitivité européenne au service d'une autonomie accrue de l'Union, tout en ouvrant largement la porte aux investissements russes et chinois ; se rendre à Moscou, Pékin ou Tbilissi, sans mandat de l'Union européenne, ou soutenir Donald Trump et Poutine, mais se présenter comme le gardien des valeurs traditionnelles européennes ; enfin, ne pas soutenir davantage l'Ukraine dans sa lutte courageuse pour son indépendance et sa souveraineté qui rappelle pourtant celle de la Hongrie ou de la Pologne d'hier.
Nos collègues Didier Marie et Jean-Michel Arnaud sont également intervenus, le premier sur la session consacrée au sujet de la défense européenne, le second dans le débat sur la situation institutionnelle de l'Union européenne aujourd'hui.
Didier Marie a appuyé la nécessité d'un renforcement de la base industrielle et technologique de défense européenne afin de pas dépendre du choix ou de stratégies d'États tiers, quels qu'ils soient. Mais il a aussi appelé à la vigilance sur les enjeux institutionnels d'un tel renforcement et sur le rôle respectif de la Commission européenne et du Conseil en ce domaine.
Jean-Michel Arnaud, pour sa part, a dressé un bilan mitigé de l'Union, 15 ans après le traité de Lisbonne, et identifié trois grands défis qu'elle avait à relever : renforcer sa compétitivité industrielle aussi bien qu'agricole ; avancer vers une politique étrangère et de sécurité commune, appuyée sur une défense européenne crédible et autonome ; et se rapprocher des citoyens en misant sur la contribution des Parlements nationaux.
À ce propos, je veux me féliciter avec vous d'avoir enfin obtenu, après plusieurs années où j'ai porté cette revendication sans succès, d'insérer dans la contribution finale adoptée par la COSAC des revendications précises pour renforcer le rôle des parlements nationaux dans l'Union européenne. Avec le soutien de l'Assemblée nationale, représentée par les députées Liliana Tanguy et Manon Bouquin, nous avons réussi à obtenir le soutien requis de plus de trois quarts des parlementaires présents, seuil très élevé fixé par le Règlement de la COSAC, pour amender en ce sens la contribution de la COSAC. .
Ainsi, grâce à notre impulsion, dans la contribution publiée à la fin de sa dernière réunion à Budapest, la COSAC regrette que le renforcement du rôle des Parlements nationaux ne figure pas parmi les priorités stratégiques de la nouvelle Commission européenne, alors que ce renforcement serait de nature à répondre au déficit démocratique de l'Union européenne et à rapprocher l'Union européenne des citoyens. Par ailleurs, la COSAC invite les membres de la nouvelle Commission européenne à participer régulièrement aux réunions de la COSAC et à renforcer le dialogue et les échanges avec les Parlements nationaux lors de l'élaboration, par la Commission, de ses priorités stratégiques et de son programme de travail annuel, afin que les attentes des Parlements nationaux puissent être prises en compte dans les grandes orientations politiques de l'UE. Enfin, la COSAC plaide pour renforcer le contrôle du principe de subsidiarité par les Parlements nationaux, notamment en portant de huit à dix semaines le délai qui leur est accordé à cet effet et en abaissant à un quart des voix le seuil de déclenchement du « carton jaune », qui permet d'alerter sur les initiatives législatives de la Commission si nécessaire.
Je me réjouis d'avoir enfin obtenu le soutien de la COSAC sur ces positions que nous avions formulées sous présidence française en 2022, au terme du travail que nous avions mené durant six mois au sein d'un groupe de travail ad hoc que j'avais constitué avec des parlementaires nationaux des autres États membres et qui avait produit un rapport assorti de propositions concrètes pour consolider la place des parlements nationaux dans le jeu institutionnel européen. Nous avons donc franchi à Budapest une étape importante en ce sens et je compte bien faire avancer les choses en prenant appui sur ce soutien très large apporté par la COSAC la semaine dernière.
Permettez-moi aussi de valoriser les autres modifications que nous avons proposées au projet de contribution rédigé par la présidence hongroise et que nous avons réussi à convaincre la COSAC d'adopter :
- la mention des agriculteurs et pêcheurs comme éléments de la base économique à conforter pour assurer une transition écologique durable ;
- un appel à encourager les mix énergétiques décarbonés pouvant contribuer à sécuriser l'approvisionnement de l'Europe en énergie propre et abordable, dans le respect de la neutralité technologique ;
- la précision selon laquelle le renforcement de la défense européenne doit se faire en tenant compte des intérêts de tous les États membres de l'UE en matière de sécurité et de défense et en consolidant la base industrielle et technologique de défense européenne ;
- le rappel que l'appui à l'Ukraine doit être garanti non seulement aussi longtemps qu'il le faudra mais aussi intensément que nécessaire, et que cet appui passe par la mise en oeuvre de la Facilité pour l'Ukraine mais aussi par l'octroi d'un prêt exceptionnel d'assistance macrofinancière à hauteur de 35 milliards d'euros et d'un nouveau mécanisme de prêt mettant en oeuvre l'engagement du G7, autant d'éléments que la présidence hongroise semblait vouloir passer sous silence ;
- une mention des régions ultrapériphériques pour appeler à leur prise en compte dans la future politique de cohésion, au même titre que les régions souffrant de dépeuplement, sur lesquelles la présidence hongroise insistait exclusivement ;
- enfin, et je me félicite que ce dernier ajout soit le fruit d'un amendement que nous avons porté en commun avec nos collègues allemands, un paragraphe a été ajouté à la contribution de la COSAC pour marquer sa préoccupation au vu des conclusions préliminaires des missions d'observation électorale en Géorgie faisant état d'incidents faussant l'indépendance du vote et pour rappeler que le bon fonctionnement de la démocratie, des élections libres et le pluralisme politique sont des conditions d'adhésion à l'Union européenne, à respecter pour que le peuple géorgien puisse poursuivre son chemin vers l'adhésion à l'Union européenne.
À Budapest, nous avons eu également plusieurs échanges informels et trois réunions bilatérales avec les délégations des deux chambres des Parlements polonais, allemand et espagnol.
Avec la délégation de la Diète et du Sénat de Pologne, nous avons échangé sur les priorités de la future présidence polonaise du Conseil de l'Union européenne, au premier semestre 2025.
Cette présidence sera placée sous le thème de la sécurité, sous toutes ses formes (défense, sécurité intérieure, cybersécurité et lutte contre les ingérences étrangères, etc.). J'ai insisté, pour ma part, sur la sécurité énergétique, et, en particulier, sur la place de l'énergie nucléaire, alors que le candidat désigné au poste de Commissaire européen chargé de l'énergie, de nationalité danoise, est considéré comme ayant des positions « anti-nucléaire », de même que la candidate au poste de vice-présidente chargée du climat, de nationalité espagnole. La Pologne, qui souhaite acquérir plusieurs réacteurs nucléaires pour réduire sa dépendance à l'égard du charbon, fait figure d'allié pour défendre l'énergie nucléaire en Europe. Nous avons également évoqué la coopération européenne en matière de défense, en insistant notamment sur le renforcement de la base industrielle et technologique de défense européenne et l'achat d'équipements européens. Frontalière de la Russie, la Pologne, qui consacre 4 % de son PIB à la défense (et bientôt 5 %), apparaît comme un acteur et un partenaire important en matière de défense.
Au cours d'une réunion avec la délégation du Bundestag et du Bundesrat allemand, nous avons échangé sur la situation politique compliquée en Allemagne, dans la perspective des élections parlementaires de l'automne 2025 et face aux risques d'un éclatement de l'actuelle coalition gouvernementale, formée entre les sociaux-démocrates, les libéraux et les Verts, en raison de désaccords à propos du budget.
Nos collègues allemands nous ont fait part de leurs inquiétudes au sujet de la situation économique délicate en Allemagne, le modèle industriel allemand, en particulier dans l'automobile, traversant une crise profonde.
La migration irrégulière constitue un autre motif d'inquiétude, qui explique la décision prise par les autorités allemandes de rétablir les contrôles aux frontières intérieures ou d'organiser des expulsions groupées de migrants illégaux vers l'Afghanistan, dans un contexte de poussée des partis d'extrême droite, notamment dans l'ex-Allemagne de l'Est, comme l'ont illustré les résultats des récentes élections en Thuringe, au Brandebourg ou en Saxe.
Nous sommes convenus, avec nos collègues allemands, de renforcer notre coopération en systématisant ces rencontres régulières, afin de rapprocher nos points de vue.
Je pense en particulier aux négociations sur les prochaines perspectives financières, à l'avenir de la PAC et de la politique de cohésion, ou encore aux propositions de Mario Draghi de recourir à l'emprunt pour réaliser des investissements dans la transition verte et renforcer la compétitivité européenne. Sur tous ces sujets essentiels, le couple franco-allemand aura un rôle majeur à jouer et devra s'efforcer d'arriver à des positions communes.
Enfin, avec la délégation du Parlement espagnol, nous avons constaté, au-delà des différences politiques et à l'exception notable du représentant du parti « Vox », une large convergence de vues sur plusieurs sujets, comme les valeurs européennes, l'autonomie stratégique de l'Europe, les migrations, les relations avec les pays de la rive Sud de la Méditerranée ou encore la politique agricole commune. Le seul point de désaccord concerne l'accord entre l'Union européenne et le Mercosur, dont l'Espagne est un fervent partisan, en raison de ses liens culturels et économiques avec l'Amérique latine.
Voici le compte-rendu sommaire de cette dernière réunion de la COSAC qui fut particulièrement riche et, je dois le dire, bénéfique pour le Parlement français. La prochaine réunion de la COSAC se tiendra à Varsovie au printemps 2025. Il est possible qu'elle nous donne l'occasion d'entendre Mario Draghi car, à notre invitation pour venir en audition au Sénat, il a répondu en indiquant son désir de s'exprimer devant la COSAC, vu le nombre de parlements nationaux l'ayant sollicité pour s'exprimer devant eux.
M. Jean-Michel Arnaud. -Je voudrais revenir sur deux points complémentaires. Le premier est l'ambiance générale en Hongrie. Outre l'absence de pavoisement européen, autant les acteurs locaux que les intervenants font fi de la diversité européenne et utilisent toutes les tribunes pour marteler leur politique très nationaliste, sur la famille, leur conception de l'État de droit et la manière dont ils voient le développement de l'Europe plutôt vers l'est que vers l'Union. Le deuxième point est consécutif à notre échange avec la délégation espagnole : il s'agit de l'isolement fort de la France sur le Mercosur. Nous sommes les seuls à en faire un marqueur majeur à l'égard de considérations nationales, vis-à-vis notamment de notre agriculture, et c'est un sujet d'inquiétude que nous devons avoir dans les perspectives des débats qui vont s'ouvrir et qui se prolongent ici au Parlement national.
M. Louis-Jean de Nicolaÿ. - En lisant le passage de la contribution de la COSAC consacré à la situation au Moyen-Orient, je vois inscrit le soutien à Israël, mais pas un mot pour le côté « palestinien ». Est-ce cela veut dire que la COSAC a pris une position définitive uniquement sur le maintien de l'État d'Israël et sa défense ou bien est-ce un oubli ?
M. Jean-François Rapin. - Il n'est pas fait directement référence à la Palestine mais à la Bande de Gaza, à deux reprises.
Mme Christine Lavarde. -Dans le cadre du groupe d'amitié France-Liban, nous recevions ce matin la directrice Afrique du Nord Moyen-Orient du Quai d'Orsay, elle a évoqué cette absence de voix européenne sur la question du Moyen-Orient en expliquant qu'il n'y avait consensus que lorsqu'on parlait d'humanitaire. Cependant, dès qu'on entrait dans des considérations géopolitiques, il fallait essayer de trouver la plus grande coalition de pays qui pourraient supporter telle ou telle ambition politique.
M. Jean-François Rapin. - C'est un compromis, il ne s'agit pas d'une rédaction hongroise mais de celle de la troïka à la tête de la présidence de la COSAC, qui associe la présidence passée et la présidence à venir ainsi que le Parlement européen, et elle n'a pas beaucoup été amendée sur ce point.
M. Pierre Cuypers. - Quelle est la suite donnée à une telle contribution ? Que peut-on attendre au-delà des réunions qui sont à venir ? Est-ce que concrètement certaines directives ou règlements vont évoluer ? Si je prends l'exemple du sujet énergétique, est-ce l'on va pouvoir, sur la base de ce texte, définir un pourcentage d'autonomie dans un mix énergétique ?
M. Jean-François Rapin. - Par cette contribution, la COSAC émet des recommandations à l'adresse des institutions européennes ; cela permet notamment à la Commission européenne de prendre connaissance de la position des parlements nationaux. Il ne s'agit évidemment pas d'un texte à valeur normative ; c'est un peu l'équivalent d'une proposition de résolution, mais portée par la COSAC. J'ai en tout cas ressenti une évolution bienvenue en son sein pour plaider en faveur d'une plus grande prise en compte de la volonté des parlements nationaux de mieux participer à la construction des politiques publiques européennes. Maintenant charge à chaque institution, chaque parlementaire voire chaque État membre de s'en saisir pour faire avancer les sujets. C'est un texte, espérons-le, d'influence mais pas exécutoire.
La réunion est close à 14 h 30