Jeudi 7 novembre 2024
- Présidence de M. François Delcros, président -
La séance est ouverte à 9 heures 15.
Examen du rapport d'information « 18 mois après le rapport du Sénat : poursuite d'un dialogue exigeant avec l'ANCT »
M. Bernard Delcros, président. - Le 2 février 2023, notre délégation adoptait à l'unanimité le rapport « ANCT : se mettre au diapason des élus locaux ! » de Céline Brulin et Charles Guené. Ce rapport dressait un premier bilan de l'action de l'Agence nationale de cohésion des territoires (ANCT) du point de vue des élus locaux, trois ans après sa mise en place. Le document avançait 14 recommandations visant à améliorer la proximité de l'Agence avec les élus locaux et l'efficacité de son action.
Environ 18 mois plus tard, la délégation a souhaité évaluer la prise en compte de ses recommandations. Ce travail de suivi a été confié à Sonia de La Provôté et Céline Brulin.
Ce « droit de suite » s'inscrivait lui-même dans la mise en oeuvre des recommandations du rapport dit « Gruny » pour un meilleur contrôle parlementaire des travaux du Gouvernement.
Pour effectuer ce suivi, les travaux de nos collègues ont débuté par une table-ronde, le 23 mai dernier, en présence de la Direction générale des collectivités locales (DGCL), de la Direction du management de l'administration territoriale et de l'encadrement supérieur (Dmates) et de l'ANCT. Le compte-rendu de cette table-ronde a constitué un rapport d'étape.
Nos collègues Sonia de La Provôté et Céline Brulin ont poursuivi leur travail et présentent ce matin leurs conclusions.
Mme Sonia De La Provôté, rapporteure. - Nous avons été chargées avec Céline Brulin d'exercer ce fameux « droit de suite » du rapport de février 2023, intitulé « ANCT : se mettre au diapason des élus locaux ! ». Notre mission a consisté à examiner les 14 recommandations du rapport initial pour évaluer leur mise en oeuvre, qu'elle soit totale, partielle ou inexistante. L'objectif n'était pas de refaire le rapport initial, déjà très complet, ni même de porter un jugement en tant que tel sur l'ANCT, mais plutôt de contrôler l'application des recommandations du Sénat.
Cette clarification est importante, car certains collègues sont sensibles à la question de l'impact concret de l'ANCT. Lorsqu'une recommandation a été suivie d'effets, nous pouvons nous en féliciter collectivement car le but de notre travail est d'influer sur les décisions. Cependant, dire qu'une recommandation a été suivie d'effets, ne revient pas pour autant à donner un blanc-seing à l'Agence.
Vous avez rappelé, Monsieur le président, la table-ronde du 23 mai dernier. Nous avons poursuivi le travail avec l'ANCT et interrogé ses partenaires. Nous nous sommes aussi appuyés sur le travail de la Cour des comptes qui a examiné le fonctionnement de l'Agence en février 2024, soit un an après notre rapport. Une audition de la commission des Finances du Sénat pour suite à donner sur ce contrôle relatif à la viabilité de l'ANCT, a abouti à un rapport d'information de notre président, Bernard Delcros.
Intitulé « L'ANCT, une agence à consolider au service des territoires » ce rapport a permis d'approfondir le suivi exigeant de l'Agence par le Sénat.
Notre présentation se concentrera sur deux thèmes principaux. Premièrement, bien que l'Agence ait fait des efforts pour améliorer sa notoriété, elle reste difficilement accessible et lisible, notamment pour les élus des petites communes. Deuxièmement, malgré une amélioration de son offre d'ingénierie, l'Agence contribue encore peu au renforcement des acteurs de l'ingénierie locale ou, du moins, à une coopération permettant d'éviter les doublons.
Mme Céline Brulin, rapporteure. - Le rapport de 2023 soulignait que l'Agence, bien qu'appréciée par ses bénéficiaires, restait méconnue de la plupart des élus locaux. Une consultation sur la plateforme du Sénat avait révélé que plus de la moitié des élus répondants ignoraient son existence.
Le rapport avait également pointé l'implication variable des préfets, pourtant délégués territoriaux de l'Agence, certains ne l'intégrant pas du tout localement. Suite à ces constats, plusieurs recommandations avaient été formulées pour améliorer la visibilité et l'accessibilité de l'Agence, afin qu'elle soit plus à même de remplir ses missions. Le suivi de ces recommandations se décline en trois points.
Premièrement, l'Agence a bien intégré la nécessité d'être mieux identifiée, plus proche du terrain et d'aller à la rencontre des élus locaux. Elle a élaboré une nouvelle feuille de route, entièrement remaniée par rapport à celle de 2020. Ce document a été adopté à l'unanimité par son conseil d'administration en juin 2023, lequel comprend plusieurs élus locaux représentant les collectivités territoriales et leurs groupements. Cette feuille de route fait désormais écho, tant sur sa forme que sur ses objectifs stratégiques, aux recommandations du précédent rapport de la délégation.
Conformément aux souhaits exprimés par la délégation, l'Agence a pris plusieurs initiatives pour se rapprocher des élus locaux dont l'organisation de « l'ANCTour » au Palais des Congrès de Paris (2023) et en Occitanie (2024). Elle a organisé plus de 60 déplacements du nouveau président et du nouveau directeur général réalisés dans les territoires avant l'été 2024. Elle a assuré une présence systématique aux congrès des associations nationales d'élus et à certains congrès départementaux. Enfin, elle a mis en oeuvre 74 forums départementaux d'ingénierie à ce jour.
En matière de communication, l'Agence a déployé une stratégie plus claire et plus lisible envers ses délégués territoriaux. Elle a diffusé un kit de communication aux préfets. Elle a créé un webinaire de présentation rappelant ses missions et dispositifs. Elle diffuse régulièrement depuis janvier 2024 une « newsletter ANCTerritorial » à tous les délégués territoriaux et leurs adjoints pour faciliter la circulation des informations. Elle s'est engagée à faire évoluer d'ici début 2025 son site Internet en un portail de services centré sur les besoins des utilisateurs. Enfin, l'Agence prépare une courte brochure destinée aux élus n'ayant aucune connaissance de l'ANCT, disponible pour le prochain Congrès des maires de novembre 2024.
Sur ces points, les recommandations de la délégation ont donc été plutôt bien suivies, même si tous les chantiers ne sont pas encore totalement aboutis et nécessiteront des efforts renouvelés dans le temps.
Il est aussi logique, qu'avec les années, l'Agence gagne en notoriété, d'autant plus que son démarrage était intervenu dans le contexte particulièrement défavorable de la crise sanitaire, qui avait rendu impossible tout déplacement sur le terrain.
Mme Sonia De La Provôté, rapporteure. - Le deuxième point concerne l'incarnation locale de l'Agence. Le rapport de 2023 a mis en lumière deux sujets essentiels.
D'une part, le déficit de communication de l'Agence vers ses délégués territoriaux, les préfets. Le rapport préconisait l'envoi d'une circulaire pour clarifier ce qui était attendu et les objectifs qui étaient fixés aux délégués territoriaux. Cette recommandation a été suivie d'effets puisqu'une circulaire interministérielle a été adressée aux préfets le 28 décembre 2023. Cette instruction remobilise les préfets, en tant que délégués territoriaux de l'ANCT, autour de quatre objectifs précis. Il leur revient de mettre en place, dans chaque département, d'un outil d'animation de l'ingénierie locale existante, un comité local de cohésion territoriale ou une autre formule, de finaliser de la carte de l'ingénierie départementale d'ici au 1er mars 2024. Ils doivent également instaurer un guichet local de l'ingénierie, point d'entrée unique des demandes et organiser chaque année un forum local de l'ingénierie.
Si la délégation a été entendue, dans les intentions, certains aspects restent à finaliser.
Par exemple, l'inventaire de l'ingénierie départementale, rappelé dans la circulaire, n'est toujours pas achevé dans tous les départements quatre ans après la mise en place de l'Agence, alors qu'il figurait parmi les missions prioritaires pour identifier les doublons, les redondances ou la concurrence.
D'autre part, le rapport de 2023 avait mis en évidence le manque de chargés de mission territoriaux. Ces derniers, qui font l'interface entre le terrain et les services internes de l'ANCT, étaient en nombre insuffisant pour assurer un fonctionnement correct. L'Agence a obtenu la création de postes nécessaires, permettant d'augmenter significativement le nombre de chargés de mission territoriaux. La délégation a donc été entendue.
Mme Céline Brulin, rapporteure. - Troisièmement, malgré les efforts déployés, l'offre de l'ANCT ne bénéficie qu'à un nombre limité de collectivités et peine à atteindre les élus des petites communes.
Bien que les collectivités bénéficiaires soient généralement satisfaites ou très satisfaites, les dispositifs de l'Agence se concentrent sur un nombre restreint d'entre elles. Ainsi, parmi les programmes emblématiques, « Action coeur de ville » concerne 244 villes-moyennes ; « Petites villes de demain » touche 1 644 territoires regroupant des communes de moins de 20 000 habitants et « villages d'avenir » labélise 2 458 communes. Il en va de même pour les prestations d'ingénierie sur-mesure qui ont, quant à elles, bénéficié à environ 1 800 collectivités en quatre ans.
Ces chiffres doivent être mis en perspective avec le budget modeste de l'Agence qui s'élève à environ 200 millions d'euros. Une analyse plus détaillée révèle que les grandes villes et les villes-moyennes sont plutôt bien couvertes par ses programmes. En matière d'ingénierie sur-mesure, l'ANCT indique que la quasi-totalité des demandes qui lui sont adressées, et qui sont en phase avec ses missions, trouvent une solution. Dans certains territoires, l'Agence dit ne recevoir aucune sollicitation. Cependant, l'ensemble de ces chiffres, ramené aux 34 935 communes et 1 254 établissements publics de coopération intercommunale (EPCI) révèle que le nombre de collectivités soutenues reste très modeste. L'écart est particulièrement marqué pour les communes rurales, avec seulement 2 500 « villages d'avenir » sur 30 000 communes rurales, selon la définition de l'Insee. Nous avons finalement le sentiment que la politique d'aménagement du territoire se fait par « saupoudrage » et par « petites touches impressionnistes ». En effet, l'ANCT peine à transformer des réussites localisées en une politique plus vaste.
Cette problématique du « passage à l'échelle » nous interroge sur la priorité à fixer à l'Agence dans les années à venir. Trois options peuvent être envisagées. Premièrement, certains souhaitent une pause dans le développement des missions de l'Agence pour lui laisser le temps s'adapter, de conforter ses missions actuelles et de consolider ses réussites. Deuxièmement, d'autres aimeraient qu'elle élargisse encore son champ d'action pour devenir l'intermédiaire de référence sur l'ensemble des sujets relatifs à l'aménagement du territoire. Enfin, troisièmement, certains préféreraient la disparition pure et simple de l'Agence. Il resterait alors à définir quels services de l'État prendraient le relais et avec quels moyens. Monsieur le président, dans votre rapport intitulé « L'ANCT, une agence à consolider au service des territoires », vous plaidiez pour la première option, celle d'une pause. Nous pensons aussi que cette phase de consolidation permettrait à l'Agence de renforcer sa transversalité et son action interministérielle afin qu'elle s'impose bien au-delà de ses compétences et programmes actuels comme la structure pilote des questions d'aménagement du territoire, garante de la cohérence des politiques de l'État et porteuse d'une vision globale et transversale. Autrement dit, un temps de pause permettrait de consolider ses réussites et de travailler à un « passage à l'échelle » sur certains sujets, grâce à une intervention interministérielle plus coordonnée.
Mme Sonia De La Provôté, rapporteure. - Le second thème de cette présentation a trait à l'intervention de l'ANCT en matière d'ingénierie. Nous savons tous que la notion « d'ingénierie » recoupe des besoins et des domaines très différents : maîtrise d'ouvrage, maîtrise d'oeuvre, conduite de projets, expertise financière, culturelle, administrative ou encore technique, ingénierie en matière de portage foncier, etc. L'ANCT s'est positionnée sur « l'ingénierie amont » visant à définir, faire émerger, formaliser et cadrer les projets : diagnostics, projets de territoire, études de faisabilité ou de définition d'un projet, conduite d'une concertation ou intégration du volet participation des habitants, mais aussi recherche de financements.
Le rapport de notre délégation était très critique sur l'articulation entre ingénierie de l'État et ingénierie territoriale. Les interventions de l'ingénierie d'État étaient souvent perçues comme redondantes ou concurrentes, rarement en soutien des acteurs locaux. L'Agence était parfois accusée de générer des effets contre-productifs, en intervenant en décalage avec les équilibres locaux ou en se substituant à leurs acteurs. Le recours fréquent à des bureaux de consultants privés est parfois adapté, mais ne contribue pas au renforcement de l'écosystème local et peut créer de la confusion. La délégation avait formulé plusieurs recommandations visant à améliorer l'articulation entre les différents acteurs. L'objectif était de rendre l'ingénierie des opérateurs de l'État plus cohérente et de la positionner en soutien des acteurs locaux, qu'ils soient publics ou privés, là où le besoin se fait sentir.
Le suivi de ces recommandations peut se résumer en quatre points. Les deux premiers sont présentés par Céline Brulin.
Mme Céline Brulin, rapporteure. - En réponse au caractère parfois confus des interventions des différentes agences de l'État en matière d'ingénierie, avec des doublons, voire de la concurrence, l'Agence a déployé plusieurs actions. En 2023, elle a entièrement renouvelé ses conventions quadriennales avec ses partenaires, le Centre d'études et d'expertise sur les risques, l'environnement, la mobilité et l'aménagement (Cerema), l'Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie (Ademe), l'Agence nationale pour la rénovation urbaine (ANRU), l'Agence nationale de l'habitat (ANAH), et la Banque des territoires (BdT)) avec des engagements plus clairs. Elle a également produit une brochure intitulée « Qui fait quoi ? », examinée le 23 mai dernier, présentant les ingénieries des six grands opérateurs de l'État.
Sur ces sujets, la situation est encore loin d'être satisfaisante. Pour ne mentionner qu'un exemple, la lecture du « Qui fait quoi ? » illustre la dispersion des compétences entre les opérateurs de l'État : sur les 80 cases du tableau projeté à l'écran, 65 renseignent qu'un, deux, trois, quatre et jusqu'à cinq opérateurs sont compétents sur un même sujet. Cette observation peut être interprétée comme un signe inquiétant de dispersion des compétences, voire de doublons et de concurrence potentielle. Les recommandations de notre précédent rapport ne sont que partiellement suivies sur ce point.
Deuxièmement, les Contrats de relance et de transition écologique (CRTE) avaient vocation à fédérer les élus autour d'un projet de territoire et de servir de socles aux projets à développer. Le rapport de 2023 soulignait le caractère étriqué des CRTE, cantonnés aux sujets écologiques et à quelques thèmes relatifs aux équipements structurants. Cette recommandation a été suivie d'effets, comme en témoigne la nouvelle instruction interministérielle pour la relance des CRTE, signée le 30 avril dernier. Celle-ci confirme la dimension transversale des CRTE en intégrant les thèmes de la cohésion sociale, conformément au souhait exprimé dans notre rapport.
Mme Sonia De La Provôté, rapporteure. - Troisièmement, malgré l'augmentation significative de l'enveloppe consacrée à l'ingénierie, de 20 à 40 millions d'euros entre 2023 et 2024, force est de constater que l'Agence contribue très peu à renforcer les acteurs de l'ingénierie locale. Cette enveloppe finance certes des postes, notamment dans le programme « villages d'avenir », mais le marché de l'ANCT est la plupart du temps sollicité pour les demandes s'adressant à l'Agence.
Les montages permettant le soutien direct à des structures locales restent encore trop rares. Or, l'accès au marché d'ingénierie nationale de l'ANCT demeure difficile pour les petites structures, sauf à se constituer en groupements. Une analyse détaillée du marché d'ingénierie de l'ANCT sur la période 2020-2024 révèle que les prestataires sont souvent des cabinets d'envergure plutôt nationale (chiffre d'affaires, effectifs, etc.) avec un siège social souvent situé en région parisienne. Il ressort que 21 des prestataires retenus par l'ANCT ont leur siège social en Île-de-France contre 20 seulement dans d'autres régions. Nous soulignons à nouveau la nécessité pour l'ANCT d'inventer des modalités d'intervention pour soutenir les acteurs locaux de l'ingénierie. Ce sont eux qui connaissent le mieux les territoires.
De plus, l'Agence doit concentrer ses moyens dans les départements les plus en difficulté. Certains n'ont que peu ou pas besoin de l'ANCT, il faut avoir la lucidité de le reconnaître. L'ingénierie de l'État est nécessaire sur des sujets spécifiques et complexes tels que la dépollution, la gestion des déchets et de l'eau, domaines où les compétences locales sont souvent insuffisantes.
Quatrièmement, il faut revenir sur la circulaire que nous évoquions au début de notre présentation. Un de ses quatre objectifs est la mise en place d'un guichet unique local d'ingénierie, sous la forme d'une adresse mail du type ingenierie@departementale.gouv.fr. Si l'on en croit la circulaire, ce guichet doit fonctionner en subsidiarité, et non dans une logique de centralisation qui désorganiserait les territoires où les choses fonctionnent bien. Il s'agit en effet d'un point d'entrée pour les élus qui « ne trouveraient pas spontanément de réponse à leur besoin ».
Il ne faudrait pas que ce guichet unique soit, en réalité, un aiguillage destiné à diriger essentiellement, voire exclusivement, les demandes en matière d'ingénierie vers les agences de l'État (Cerema, Ademe, etc.) ou les organismes retenus dans le cadre des marchés publics de l'ANCT. Dans un contexte financier qui va se tendre et un marché qui risque de se contracter, il sera important que, dans chaque département, les demandes d'ingénierie puissent être identifiées par tous les acteurs, et que ces demandes ne soient pas « accaparées » par les agences de l'État.
Enfin, il est légitime de se demander quelle place tiendront les collectivités et les élus locaux dans cette animation alors qu'ils ne sont même pas cités dans la circulaire. Or, ces derniers sont souvent très impliqués dans l'ingénierie territoriale, par exemple, au sein des agences techniques départementales : il serait contre-productif de ne pas en tenir compte.
Ces points de vigilance nous incitent à rester attentives à la mise en oeuvre de nos recommandations dans les mois à venir.
Mme Céline Brulin, rapporteure. - Sur les quatorze recommandations du rapport de 2023, sept ont plutôt été suivies d'actions significatives par l'ANCT ou la DGCL et vont dans le sens préconisé par la délégation. Deux sont en cours de mise en oeuvre. Trois autres connaissent une mise en oeuvre contrastée, voire insatisfaisante. Enfin, deux recommandations n'ont pas été suivies d'effets.
Mme Sonia De La Provôté, rapporteure. - Enfin, un dernier point de vigilance lié au contexte financier ne saurait être ignoré.
Comme nous l'avons rappelé, les crédits d'ingénierie de l'ANCT ont été doublés par la loi de finances pour 2024 et portés à environ d'environ 40 millions d'euros. Avant la dissolution, le directeur général de l'ANCT nous assurait que l'Agence n'avait subi aucune annulation de crédits en 2024. Cependant, dans un contexte de recherche d'économies, des inquiétudes persistent quant à l'avenir, le budget de l'Agence étant jugé très modeste au regard des ambitions fixées. Il conviendra donc de rester attentif.
Nous déplorons la diminution annoncée du « Fonds vert » qui permet de financer de l'ingénierie utile pour accompagner les collectivités dans les territoires. La réduction des moyens d'ingénierie entraînera inévitablement une diminution du nombre de projets. On ne peut se permettre d'avoir des doublons, ne serait-ce que pour préserver la dépense publique.
M. Hervé Gillé. - Merci pour ce compte-rendu et ce suivi très intéressants qui mériteraient d'être diffusés auprès du public et directement communiqué aux parties prenantes. Je suis surpris de constater que l'ingénierie proposée par l'Agence demeure très insuffisante en termes de complémentarité avec l'ingénierie territoriale.
Cette situation est inacceptable et révèle une incapacité à travailler sous forme de « bourse de compétences ». Dans l'idéal, cette « bourse de compétences » supposerait un guichet d'entrée et une collecte de l'ensemble des compétences mobilisables, territoriales et d'État. On essayerait de répondre au mieu dans le cadre de cette « bourse aux compétences » aux besoins exprimés.
Il est indispensable d'adopter une approche plus souple et agile pour accompagner les collectivités locales. Dans cette logique, nous devrions avoir une forme de contractualisation entre l'ANCT et l'ensemble des collectivités territoriales. Il serait utile d'avoir un guide des compétences mobilisables à l'échelle des départements et des régions qui pose la question de comment on mutualise et actualise ses compétences pour répondre au mieu aux besoins
Mme Muriel Jourda. - Il est intéressant de noter que, par le passé, la collaboration avec les ingénieurs de la Direction départementale de l'équipement (DDE) fonctionnait plutôt efficacement, notamment pour les petites communes.
Je m'interroge par ailleurs sur les possibilités de réaliser des économies sur le long terme au regard des nombreuses redondances observées dans le tableau distribué en mai.
Les recommandations ont-elles été hiérarchisées en fonction de leur niveau de priorité ? Si oui, les plus urgentes ont-elles reçu une réponse ?
Mme Patricia Schillinger. - La Direction générale des Finances publiques (Dgfip) offre-t-elle également ses services aux collectivités, cette possibilité étant peu connue des communes ?
M. Patrice Joly. - Les problèmes de superposition et de compétition semblent être davantage présents dans les territoires riches.
Bien qu'initialement sceptique face à cette approche nationale, je constate au contraire une avancée globalement positive dans la prise en compte de l'ingénierie comme un besoin à satisfaire dans la Nièvre, même si l'identification précise des moyens reste un défi. Sans doute, le contact direct entre les élus et les responsables départementaux de l'administration facilite-t-il l'orientation vers les besoins dans les petits départements. Outre les moyens octroyés via les marchés publics signés par l'ANCT, des financements commencent à être mobilisés en faveur d'une ingénierie adaptée aux dossiers présentés.
Le potentiel de l'ANCT en matière d'ingénierie gagnerait donc à être mieux connu des collectivités. Une journée d'information organisée dans mon département a permis de sensibiliser efficacement les élus communaux et intercommunaux aux outils proposés par l'Agence. Ces actions concrètes sur le terrain sont à mon sens plus efficaces que la distribution de plaquettes d'information, qui ne sont pas toujours disponibles au moment opportun.
Par ailleurs, les programmes tels que « Petites villes de demain », « Action coeur de Ville » ou « villages d'avenir », sont positifs, car ils favorisent le développement local. Néanmoins, ces initiatives ne pourront jamais se substituer à une véritable politique d'aménagement du territoire, absente depuis plusieurs décennies.
Une approche ascendante est nécessaire, soutenue par des outils comme l'ANCT et des programmes dédiés, à condition qu'ils soient dotés de moyens financiers suffisants, plusieurs programmes, à l'exception d' « Action coeur de ville », n'ayant pas bénéficié de crédits spécifiques. Cette situation crée une disparité entre les communes bénéficiaires de ces programmes et les autres. Les communes non-incluses dans ces dispositifs craignent de ne plus avoir accès aux financements traditionnels que sont la dotation d'équipement des territoires ruraux (DETR), la dotation de soutien à l'investissement local (DSIL), ou le Fonds vert, désormais priorisés pour les projets inscrits dans ces programmes.
En conclusion, les moyens financiers adéquats doivent être accessibles pour réaliser les projets permis grâce à l'ingénierie, et il est urgent de mettre en place une véritable politique d'aménagement du territoire.
M. Laurent Burgoa. - Vous nous avez indiqué que le budget de l'ANCT pour l'ingénierie avait doublé passant de 20 à 40 millions d'euros. J'aimerais connaître le taux de consommation de ce budget.
Je constate par ailleurs, au sein de mon département du Gard, que les trois quarts des élus ne connaissent pas l'Agence, ce qui m'interroge sur la pertinence de maintenir en place ce type de structure. Je partage enfin totalement l'avis de Muriel Jourda concernant l'efficacité de la DDE par le passé.
Mme Céline Brulin, rapporteure. - Il convient de souligner que les expériences varient considérablement d'un département à l'autre. L'implication des préfets, en tant que délégués territoriaux, est donc essentielle.
Je partage la vision exprimée par Hervé Gillé. Il est en effet surprenant de constater qu'en dépit des difficultés liées à la crise sanitaire, le recensement des acteurs de l'ingénierie locale n'a toujours pas été achevé, cette tâche constituant pourtant la mission première de l'ANCT.
Concernant le problème des doublons, un document plus lisible et précis, montrant une réalité moins tranchée que le tableau présenté, nous a depuis été transmis par l'Agence. Néanmoins, ces redondances persistent et pour les éviter, les différentes agences de l'État devraient commencer par se concerter et travailler ensemble. Il s'agit là d'une première étape indispensable. Or, le comité de direction commun à tous ces opérateurs que nous appelons de nos voeux n'a toujours pas été lancé. Cela révèle une réelle difficulté de la part de ces entités à collaborer.
Les crédits d'ingénierie ont été presque entièrement consommés.
Si je partage le point de vue de Patrice Joly sur la nécessité de mettre en place une véritable politique d'aménagement du territoire, je m'interroge sur la pertinence de la confier à une agence de l'État. Cette compétence ne devrait-elle pas rester régalienne ?
Mme Sonia De La Provôté, rapporteure. - Je souhaiterais revenir sur les nombreux atouts et avantages dont disposent les services et opérateurs de l'ingénierie locale. Par leur ancrage territorial, leur connaissance de l'antériorité des territoires et leur capacité à les porter vers l'avenir, ces entités demeurent souvent les mieux placées pour réfléchir efficacement à l'aménagement du territoire. De plus, les acteurs de l'ingénierie locale jouent un rôle crucial dans l'acculturation des élus avec qui ils entretiennent une relation de confiance et de proximité, favorisant une réflexion commune sur des sujets complexes tels que la sobriété foncière. Cette tâche ne peut être menée par une entité nationale telle que l'ANCT. Qu'il s'agisse des agences d'urbanisme, des organismes de portage foncier ou encore des Conseils d'architecture, d'urbanisme et de l'environnement (CAUE), cet ensemble d'acteurs d'ingénierie locale forme un vivier d'intelligence commune dans les territoires, qu'il convient de valoriser et de ne pas évincer au profit d'une intelligence extérieure.
Concernant les marchés publics, les financements destinés à l'ingénierie, bien que partiellement déconcentrés et mis à la disposition des préfets, n'atteignent pas l'ingénierie publique locale. Ces marchés sont pré-attribués par thématiques, ce qui favorise de facto l'arrivée d'une ingénierie externe aux territoires.
Quant au rôle de l'ANCT dans l'aménagement du territoire, la mission de l'Agence semble a priori relever davantage de la démonstration, comme en témoigne le programme « Action coeur de ville ». Ce dispositif, initialement prévu pour 200 villes, aurait pu concerner 600 à 700 villes. Cette approche démontre les limites de l'ANCT en termes d'aménagement du territoire au niveau national. S'appuyer sur le tissu de l'ingénierie locale permettrait d'avoir une vision plus complète et fine des besoins en matière d'aménagement du territoire.
Mme Céline Brulin, rapporteure. - En réponse à la question de Muriel Jourda, les recommandations ont été globalement suivies d'effets, notamment en ce qui concerne le rapprochement avec les élus locaux, l'élaboration d'une feuille de route plus pertinente et la remobilisation des préfets en tant que délégués territoriaux. Cependant, malgré des améliorations significatives, la situation n'est pas encore optimale.
Une autre recommandation, bien que non-prioritaire et relevant davantage de la DGCL, me semble par ailleurs importante. Il s'agit du concept « 1 pour 1000 ingénieries », inspiré du modèle du « 1 % culture », visant à créer un fonds alimenté par les investissements les plus conséquents des grandes collectivités. L'objectif serait de mobiliser des moyens pour soutenir les collectivités plus modestes, selon un principe de ruissellement. Dans le contexte financier actuel, cette piste mériterait d'être approfondie.
Mme Sonia De La Provôté, rapporteure. - Outre l'aspect financier, il est essentiel d'instaurer une concertation régulière entre les acteurs tels que l'ANCT, le Cerema, l'Ademe, l'ANRU et d'autres organismes similaires. Cette démarche devrait précéder, ou éventuellement se dérouler en parallèle, de la recherche d'une convergence avec l'ingénierie locale.
Si un opérateur étatique est identifié comme plus performant dans la réalisation de l'ingénierie territoriale, cela peut fragiliser et mettre en difficulté des systèmes qui fonctionnent efficacement depuis longtemps. Ces enjeux doivent également être examinés à la lumière des questions budgétaires et financières.
M. Bernard Delcros, président. - Je vous remercie pour votre travail approfondi sur un sujet qui touche le coeur des territoires. Je souhaiterais formuler plusieurs observations. D'abord, la visibilité et l'identification sur le terrain de l'ANCT dépendent largement des préfets dans les départements dont le rôle à ce niveau est crucial. Ce processus ne peut se faire au niveau national à travers des dépliants.
La question des ingénieries revêt également une importance capitale. En effet, le creusement rapide des écarts a pu être constaté entre les grandes collectivités dotées de services administratifs d'ingénierie et les petites collectivités qui manquent de ressources. Ces dernières se trouvent souvent désavantagées face aux opportunités offertes par les appels à projets, notamment ceux lancés par l'État. Pour répondre à ce défi, des initiatives ont été mises en place ces dernières années. L'ANCT a développé des solutions d'ingénierie, soit par le soutien à des emplois dans le cadre de programmes comme « Petites villes de demain » ou « villages d'avenir », soit par le biais de marchés à bons de commande. Ces derniers permettent aux chargés de mission d'accéder directement à des bureaux d'études spécialisés sans avoir à lancer des appels d'offres complexes. Mais, là encore, la connaissance de ces possibilités dépend des préfets et l'efficacité des dispositifs varie donc selon les départements.
Le budget alloué à l'ingénierie est passé de 10 millions d'euros initialement à 20 millions l'année dernière, puis à 40 millions en 2024. Cette augmentation concerne à la fois le soutien aux emplois et les marchés à bons de commande.
Les crédits dédiés à l'ingénierie locale doivent être préservés car ils permettent à de nombreuses petites collectivités d'accéder à des opportunités qu'elles ne pourraient pas saisir autrement. En tant que rapporteur spécial de la mission « Cohésion des territoires », je veille d'ailleurs à maintenir un niveau de financement adéquat pour l'ANCT, notamment dans le domaine de l'ingénierie.
D'autres communes devraient pouvoir accéder aux programmes « villages d'avenir ». Par ailleurs, ce dispositif ne doit pas exclure les autres collectivités des investissements prioritaires. Les départements devraient rester vigilants afin d'éviter que ce programme ne devienne la seule ligne directrice.
Comme vous l'avez rappelé, j'avais plaidé dans mon rapport pour une pause dans le développement des missions de l'Agence. J'ai découvert que de nombreuses missions lui avaient été confiées au fil du temps, dont certaines m'étaient inconnues, par exemple le « Plan France Très Haut débit » et des questions liées aux fonds européens. En accumulant trop de missions, l'ANCT risque de ne plus pouvoir effectuer efficacement son travail sur le terrain.
Au-delà de ces mesures, une question essentielle se pose : sommes-nous capables demain de bâtir une vision globale et cohérente d'une politique d'aménagement du territoire, qui ne se limite pas seulement aux aspects matériels mais inclut aussi les aspects humains ? L'enjeu est de pouvoir afficher une politique durable et inscrite dans le long terme.
Les recommandations sont adoptées.
La délégation adopte, à l'unanimité, le rapport d'information et en autorise la publication.
La séance est levée à 10 heures 10.