Mardi 5 novembre 2024
- Présidence de Mme Dominique Estrosi Sassone, présidente -
La réunion est ouverte à 17 h 30.
Audition de M. Antoine Armand, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie
Mme Dominique Estrosi Sassone, présidente. - Monsieur le ministre, nous sommes très heureux de vous accueillir pour la première fois devant notre commission des affaires économiques en votre nouvelle qualité de ministre de l'économie, des finances et de l'industrie.
Nous avons reçu votre prédécesseur chaque année, au moment de la discussion budgétaire, et je crois que je n'ai pas exagéré en disant à Bruno Le Maire, la dernière fois qu'il est venu, qu'il avait été le ministre de tous les records, s'agissant notamment du déficit et de la dette publics. Chaque mois qui passe augmente, inexorablement, notre prévision de déficit, qui serait non pas de 4,4 %, ni de 5,1 %, ni encore de 6,1 %, mais, finalement, de 6,2 % du PIB.
Dans ces circonstances exceptionnelles, vous nous trouverez à vos côtés, ou du moins un certain nombre d'entre nous, devant la lourde tâche qui vous attend, mais davantage, je dois le dire, pour vous aider à améliorer l'efficience de la dépense publique que pour lever de nouveaux impôts - je sais que vous partagez largement cet objectif.
De ce point de vue, l'examen à l'Assemblée nationale de la partie recettes du projet de loi de finances (PLF), qui reprendra demain, n'est pas très rassurant. Comment, monsieur le ministre, pourrons-nous réussir à inverser ce ratio entre dépenses et recettes nouvelles pour que les économies reposent davantage sur la baisse des dépenses que sur l'impôt ? Tout l'enjeu est de parvenir à cibler les dépenses à couper, sans toucher aux dépenses essentielles, les « dépenses d'avenir », qui peuvent être des investissements rentables, par exemple dans l'innovation, ou des dépenses moins coûteuses aujourd'hui qu'elles ne le seront demain, comme l'adaptation au changement climatique.
Dans la construction, en urgence, de ce budget, vous vous êtes notamment appuyé sur les revues de dépenses lancées depuis l'an dernier, dont certaines ont cependant pu inquiéter nos entreprises. Je vais en citer deux exemples : l'article 6 du projet de loi de financement de la sécurité sociale (PLFSS), par lequel le Gouvernement entendait réaliser 5 milliards d'euros d'économies sur les exonérations de cotisations sociales, en ligne avec le rapport des économistes Antoine Bozio et Étienne Wasmer, afin de lutter contre la « smicardisation », ce qui aurait renchéri d'autant le coût du travail au niveau du Smic ; la majoration exceptionnelle d'impôt sur les sociétés (IS) des plus grandes entreprises, qui suscite les doutes des observateurs sur son caractère temporaire, alors que les besoins de financement sont, eux, durables, ainsi que sur son impact sur l'attractivité de notre territoire pour les entreprises.
Pourriez-vous dissiper les éventuels malentendus et rassurer nos entreprises sur le maintien d'un cap en faveur de l'amélioration de leur environnement compétitif, donc à l'embauche et à la création de valeur dans notre pays ?
De façon plus structurelle, si nous voulons réduire « le fossé qui sépare l'Europe des États-Unis et de la Chine en matière d'innovation, en particulier dans le domaine des technologies de pointe » - je cite le rapport de M. Mario Draghi -, il faudra, selon l'ancien président de la Banque centrale européenne (BCE), moins de normes et « un plan commun pour la décarbonation et la compétitivité », afin de ne pas sacrifier la seconde à la première.
Ce rapport-fleuve conforte, secteur par secteur, l'analyse de notre commission. Il devrait vous parler, monsieur le ministre, puisque vous vous êtes investi comme chacun sait sur la souveraineté énergétique. Lesquelles de ses mesures aimeriez-vous prioritairement reprendre à l'échelle nationale pour nourrir utilement l'agenda législatif des mois à venir ?
Pour finir, monsieur le ministre, je voudrais vous interroger sur notre politique commerciale : j'aimerais vous entendre sur notre doctrine en matière de sécurisation des approvisionnements. Vous vous êtes personnellement beaucoup engagé sur le dossier du Doliprane, et pour cause : c'est le médicament le plus consommé de France, une pénurie a touché notre pays au début de l'année 2023, en lien avec le covid-19, et des financements publics concourent actuellement à la relocalisation de la production du principe actif, le paracétamol, en Haute-Garonne et en Isère.
Au-delà de cet exemple symbolique, et de façon plus générale, dans quels cas faudrait-il, selon vous, diversifier nos approvisionnements par des partenariats avec des pays amis, constituer des stocks stratégiques, ou tout bonnement relocaliser la production ?
Sur ces interrogations, et après avoir rappelé que votre audition est retransmise en direct sur le site internet et les réseaux sociaux du Sénat, je vais vous céder la parole. Après quoi, vous pourrez répondre aux questions de mes collègues, à commencer par celles des rapporteurs pour avis sur la mission « Économie », Sylviane Noël, Anne-Catherine Loisier et Christian Redon-Sarrazy, puis à celles de l'ensemble des commissaires - elles sont nombreuses.
Je veux auparavant simplement saluer l'arrivée, dans notre commission, de Gérard Lahellec, sénateur des Côtes-d'Armor, qui remplace notre collègue Evelyne Corbière Naminzo.
Monsieur le ministre, je vous laisse la parole.
M. Antoine Armand, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie. - Madame la présidente, mesdames les sénatrices, messieurs les sénateurs, je suis très heureux de pouvoir m'exprimer pour la première fois devant votre commission. J'étais déjà intervenu au Sénat lors du débat sur le plan budgétaire et structurel national à moyen terme qui s'est tenu dans l'hémicycle la semaine dernière, puis à l'occasion d'une audition devant la commission des finances.
Je serai à votre entière disposition chaque fois que vous le jugerez nécessaire. Sont également à votre disposition l'ensemble des ministres délégués et des secrétaires d'État auprès de mon ministère - le ministre délégué chargé de l'industrie, la ministre déléguée chargée de l'économie du tourisme, la ministre déléguée chargée de l'économie sociale et solidaire, de l'intéressement et de la participation, et la secrétaire d'État chargée de la consommation, Laurence Garnier, que vous connaissez bien -, ainsi que mes équipes. C'est la moindre des choses que nous répondions au mieux aux sollicitations des élus de la nation !
Puisque vous m'y invitez, madame la présidente, je vais commencer par l'Europe. C'est probablement le plus judicieux tant les circonstances européennes conditionnent un grand nombre de politiques publiques que nous pouvons espérer mener ou que nous devons mener dans les prochaines semaines et dans les prochains mois, d'autant que je reviens de réunions du Conseil Ecofin et de l'Eurogroupe.
J'ai eu la chance de participer aux assemblées générales du Fonds monétaire international (FMI) et de la Banque mondiale il y a quelques jours. Je le dis vraiment très simplement : le diagnostic envers l'Europe était très dur. Cependant, il était factuel.
La croissance de la zone euro est de moins de 1 %, quand celle des États-Unis est de 3 % au moins, et celle de la Chine et d'autres pays asiatiques de 5 %. La croissance dans les secteurs innovants est importante ; elle a augmenté. Mais elle reste à des niveaux qui ne sont pas comparables à ceux des États-Unis ou de la Chine, qu'il s'agisse des infrastructures énergétiques, de l'intelligence artificielle, des outils de la décarbonation ou des entreprises de services. C'est ce contexte qui me pousse, sous l'autorité du Premier ministre, à défendre un agenda de compétitivité, de croissance et de commerce régulé au niveau européen.
Pour ce qui concerne la croissance, ce n'est pas du catastrophisme que de dire que nous courons un risque de décrochage : dans quelques décennies, voire quelques années, nous pouvons nous retrouver dans une situation où la plupart des technologies critiques et des bases industrielles ne seraient maîtrisées que très partiellement par l'Europe, qui aurait besoin, pour son économie réelle au quotidien - vous avez mentionné l'approvisionnement ou encore les stocks de résilience -, de capacités productives situées en dehors de son territoire.
Bien évidemment, ce n'est pas sans lien avec le modèle politique que, me semble-t-il, nous défendons tous ici, par-delà les sensibilités politiques. Cela doit passer par un agenda de compétitivité, par une amélioration du marché européen, par beaucoup plus d'investissements, à la fois publics et privés, étant donné les sommes en jeu. Je crois que Mario Draghi n'est pas réputé pour dépenser sans compter ! Quand il évoque la somme de 800 milliards d'euros d'investissements à réaliser au niveau du continent européen, ce n'est pas anodin. Et, pour que ces investissements soient efficaces, il faut évidemment un cadre commercial qui ait un sens industriel et un sens écologique.
Sur le plan industriel, nous nous battons aujourd'hui pour que nos constructeurs automobiles et pour que les équipementiers qui sont présents sur à peu près l'ensemble de nos territoires investissent pour l'électrification du parc, pour la sortie du fossile. Mais, si ces investissements sont entravés par une régulation européenne trop restrictive ou par des surcapacités asiatiques qui viennent grever durablement notre capacité à opérer ce changement industriel, nous n'y arriverons pas, quels que soient les investissements, publics et privés, qui auront été réalisés.
C'est pourquoi nous sommes battus, aux côtés d'autres États membres, pour que la Commission européenne fixe temporairement des droits de douane à 35 % contre le dumping de certains pays asiatiques, qui pouvaient accorder jusqu'à 35 % de subventions directes. La bataille était perdue d'avance si l'on ne rééquilibrait pas un tant soit peu les choses.
Cependant, le commerce international est utile. Et il doit se faire avec un certain nombre de standards, notamment écologiques. C'est d'ailleurs la principale raison pour laquelle la France tient une position très ferme sur le Mercosur, qui, en l'état, contrevient aux ambitions qui sont les siennes depuis de nombreuses années dans la défense de l'agriculture et ne satisfait pas à l'exigence de clauses miroirs efficaces. Ce n'est pas de l'idéologie ! Cela ne veut pas dire que nous sommes contre les accords de libre-échange, dont certains sont utiles, voire nécessaires à l'ensemble de nos industries.
Cela me permet de passer au sujet français. Quand le ministre de l'économie et des finances vient défendre la position qui est la sienne dans les cénacles européens, nos partenaires regardent forcément l'état de nos finances publiques ! Ils voient que nous avons 3 300 milliards de dettes, que nous sommes le troisième pays le plus endetté de l'Union européenne, que nous aurons un déficit de plus de 6 % cette année et que, selon les estimations, nous serons le dernier pays à revenir sous les 3 % et le seul à rester au-dessus de ce taux à partir de 2026.
Il y a un lien extrêmement fort entre le rétablissement des comptes publics et l'agenda de croissance et de compétitivité. D'abord, c'est en rétablissant ses comptes que la France pourra avoir le leadership au niveau européen pour porter les réformes dont nous avons parlé. Ensuite, il faut évidemment libérer de l'espace budgétaire et fiscal pour pouvoir investir dans l'éducation, la formation, la santé, l'écologie ou encore les technologies de demain et d'après-demain, qui, avec la sobriété et l'efficacité, sont absolument stratégiques pour que nous puissions rester compétitifs.
Nous sommes dans une situation particulière, avec une croissance à la fois robuste, puisqu'elle s'élève à 1 % depuis quelques années et devrait rester à ce niveau dans les prochains mois, et insuffisante pour financer les ambitions économiques et sociales qui sont les nôtres, ambitions légitimes pour un pays comme la France.
Cela m'amène aux leviers qu'il faut actionner, et je commencerai par le budget, madame la présidente. Présenter une trajectoire économique et financière est toujours une gageure, puisque c'est une démarche à la fois prévisionnelle et aussi prescriptive que possible, l'idée étant d'essayer d'amener la France à engager un horizon de désendettement à partir de 2028. Vous le savez, 3 %, ce n'est pas simplement un dogme ou une question symbolique de l'Union européenne : c'est à peu près le seul stabilisant à partir duquel notre dette se réduit. Et c'est évidemment un indicateur indispensable pour les institutions, pour les analystes et pour nos partenaires européens.
Je le répète pour ceux qui pensent que nous allons trop vite : si nous tenons cette trajectoire, nous serons le dernier pays à passer sous les 3 %, en 2029. Pour atteindre cet objectif, et pour ne pas fragiliser durablement la croissance par des ajustements budgétaires trop importants, nous considérons que le déficit doit atteindre 5 % dès 2025. C'est aussi la manière de montrer la crédibilité de notre trajectoire de réduction à nos partenaires européens.
Les discussions ont été nombreuses. J'ai évidemment pris connaissance avec beaucoup d'intérêt des analyses du Haut Conseil des finances publiques. Au fond, que l'on considère que l'effort doit être fait à partir du niveau de dépenses actuel ou à partir du niveau qu'auraient atteint les dépenses à la fin de l'année prochaine, qui est la manière classique de construire un budget, on tombe, à la fin, sur les mêmes chiffres. L'idée est de réaliser un effort de 60 milliards d'euros, réparti, à ce stade, entre une réduction des dépenses, pour les deux tiers, et une augmentation des impôts, pour un tiers.
Je le dis avec beaucoup d'humilité, étant donné les conditions d'élaboration du budget : toutes les propositions qui nous permettent de réduire la charge fiscale et d'augmenter la baisse des dépenses seront considérées attentivement. Mais force est de constater que faire de bonnes économies durables qui n'affaiblissent ni la croissance ni nos services publics prend du temps ! C'est pour cela que nous avons annoncé, dans le plan budgétaire et structurel national à moyen terme, des revues de dépenses d'au moins 5 milliards d'euros pour les deux prochaines années, qui concerneront toutes les administrations et qui auront pour but de s'attaquer à la racine de l'évolution incontrôlée de certaines de nos dépenses publiques. Le ministre du budget et des comptes publics les a détaillées devant la commission des finances, et nous aurons à nouveau l'occasion de le faire en séance publique.
Il se trouve que les dépenses couvertes par l'objectif national de dépenses d'assurance maladie (Ondam) augmentent, l'année prochaine, de 2,7 %, alors qu'elles devaient spontanément augmenter de 3 %. Nous demandons donc un effort de 0,3 point. De fait, il serait problématique que l'on ne parte pas du principe que la réduction des dépenses publiques implique de faire un effort là où les dépenses sont le moins contrôlées, pour des questions de guichets, de transports sanitaires ou encore de dépenses sociales, et que l'on ne mette pas sur la table la question de l'emploi public de manière générale, alors qu'il est l'un des plus importants de l'Union européenne.
Nous sommes désormais le pays de l'Union qui a à la fois le taux de prélèvement obligatoire le plus important et le taux de dépenses publiques le plus important. Autrement dit, nous n'avons plus de levier ni sur l'un ni sur l'autre. À cet égard, l'augmentation des impôts et la réduction de la dépense publique ne sont pas des questions que je résoudrai seul dans un bureau : il faudra y réfléchir de manière concertée et ouverte.
Les écarts de prévisions dans les déficits présentés ne vous auront pas échappé. Ils sont aussi importants dans d'autres pays. Ainsi, l'Allemagne a fait passer sa prévision de croissance de 1,3 % à 0,2 % (chiffres du Trésor).
Lorsque je suis arrivé à la tête de ce ministère, j'ai demandé à l'inspection des finances de mener une mission pour faire la lumière sur ce qui s'était passé. J'ai annoncé que nous allions installer un comité scientifique - il prendra place dans les prochains jours. Il réunira des personnalités qualifiées qui pourront regarder la manière dont nos modèles fonctionnent aujourd'hui, s'ils sont adaptés aux crises, s'ils peuvent être améliorés.
Il me paraît extrêmement important que nous pilotions la dépense beaucoup plus finement - une collectivité locale ou une entreprise recourrait immédiatement à cette méthode. Je le dis ici, nous devons travailler avec la représentation nationale pour pouvoir regarder beaucoup plus précisément comment la dépense évolue et, ainsi éclairés, opérer des choix de manière régulière pour éviter ensuite de se retrouver contraints de faire des choix encore plus difficiles. De fait, plus on attend, plus c'est difficile ! Nous continuerons évidemment à vous tenir informés et à rester à votre disposition, comme à celle de la commission des finances.
Cette politique nous permettra de faire baisser notre coût de financement. Je répète que 1 euro du budget de l'État sur 8 sert au remboursement des intérêts de la dette ! Si nous continuons sur cette trajectoire, ce sera le premier poste du budget de l'État d'ici 2027, avant la sécurité, l'éducation ou encore la santé. À ceux qui affirment que réduire la dépense publique risque d'abîmer la croissance ou de diminuer l'investissement dans les services publics ou l'écologie, je veux dire que c'est plutôt le contraire. En laissant filer la dépense, il y aura forcément un moment où nous n'y arriverons plus.
Du reste, avec les changements de prévisions dans les déficits publics, les spreads - les écarts de taux d'intérêt - entre la France et l'Allemagne ont augmenté, pour un coût qui avoisine, sur quelques années, quasiment 10 milliards d'euros, somme que l'on aurait pu utiliser en l'injectant dans l'économie réelle, dans l'investissement, dans la transition, dans les services publics... Les entreprises attendent que le coût de financement soit le plus favorable possible, et un pays est attractif quand ses finances publiques sont saines : je crois que cela fait partie des postulats de base sur lesquels nous pouvons nous mettre d'accord.
J'en viens aux réformes structurelles, et évidemment sur le plan annoncé par le Premier ministre.
Vous nous avez demandé, madame la présidente, si nous avions changé de cap et si nous allions moins soutenir les entreprises. La réponse est non ! En effet, aucune autre politique que la politique de l'offre - j'assume cette expression - n'a donné de résultats ces vingt-cinq dernières années. On ne connaît pas d'exemples de pays ayant massivement augmenté les impôts et la dépense publique et ayant, sur le long terme, enregistré de bons résultats en matière d'emploi, de croissance ou d'attractivité.
À l'inverse, les pays qui ont engagé des réformes structurelles - parfois difficiles -, qui ont baissé les impôts, qui ont accompagné la fluidification du marché du travail ont engrangé des résultats économiques. Certes, on peut juger que la distribution doit être améliorée, mais que l'on me cite un pays qui a appliqué le contraire d'une politique de l'offre et qui en a tiré des bénéfices ! Il faudrait sinon remettre complètement en cause le modèle économique dans lequel nous vivons...
Je tiens à aborder quelques éléments, à commencer par le taux d'emploi, qui est le nombre de personnes en emploi sur le nombre de personnes en âge de travailler - âgées de quinze à soixante-quatre ans -. Ce taux s'élève, en France, à 69 %, soit trois points et demi de plus qu'en 2017. Du reste, c'est le plus haut taux d'emploi enregistré depuis que l'Insee a commencé à le calculer, en 1975. Mais, pour prendre un exemple parmi beaucoup d'autres, aux Pays-Bas, le taux d'emploi est à 82 % !
Plus de personnes qui travaillent, c'est de la création de richesses en plus, des cotisations en plus pour financer le modèle social et des recettes plus élevées à la fin. Sans parler de l'épanouissement qui résulte du fait d'être actif et de participer à la société... Il faut, globalement, qu'il y ait davantage d'emplois.
Je veux maintenant évoquer la durée du travail - n'ayons pas peur des questions difficiles ! En France, on travaille, en moyenne, 1 500 heures par an. Dans les pays développés, ceux de l'OCDE, c'est, en moyenne, 1 750 heures. Dans l'Union européenne et la zone euro, la différence n'est pas énorme : c'est, en moyenne 1 570 heures, soit environ une heure par semaine de plus que chez nous.
La durée du travail est évidemment liée à un autre critère, celui de la productivité du travail, c'est-à-dire la quantité de travail produite par chaque personne. En l'occurrence, comme les écarts ne sont pas si importants entre la France et les pays européens, on peut en conclure que la productivité du travail est un peu plus élevée dans notre pays.
MM. Fabien Gay et Yannick Jadot. - Ah !
M. Antoine Armand, ministre. - Il ne faut pas avoir peur d'exprimer des faits, mesdames, messieurs les sénateurs ! Au demeurant, si la productivité est un peu plus élevée, elle ne l'est pas assez pour compenser les différences de taux d'emploi. D'ailleurs, la productivité du travail en Europe décroche de plus de 20 points par rapport à celle des États-Unis. Beaucoup de questions se posent : diffusion des technologies, formation tout au long de la vie... Je suis certain que nous pouvons souscrire à un certain nombre de constats communs. La France travaille moins que ses principaux voisins et que ses principaux partenaires, c'est un fait !
En parallèle, nous observons, comme nos partenaires, un vieillissement de la population, lequel engendrera évidemment une hausse de nos transferts vers les personnes les plus âgées, qui ne contribuent plus directement aux cotisations sociales. Cela participera au déséquilibre de nos finances. Et je ne mentionne pas la question de l'autonomie...
Certes, le chômage est au plus bas depuis quarante ans : il reste à 7,3 %, mais ce n'est pas absolument le plein emploi. Il faut poursuivre l'effort. Selon les estimations des économistes, le relèvement du taux d'emploi de la France au niveau de celui des Pays-Bas - 82 % - créerait sans doute plus de 2,5 millions d'emplois. Peut-être cela vaut-il la peine de continuer les réformes en faveur de l'activité.
Je veux aborder la question de la simplification - elle est transversale. Je salue l'oeuvre de mes prédécesseurs en ce sens.
Pour avoir été député avant d'être ministre, je sais comme vous que, chaque fois qu'on leur parle de simplification, les partenaires reculent. Ils n'en veulent pas, car ils ne veulent pas de norme supplémentaire. Il faut cependant que l'on se rende compte que la complexité de notre système nécessite un changement dans notre conception et dans notre application des normes. Bien sûr, cela doit d'abord passer par l'évaluation - je sais que vous y êtes sensible, madame la présidente. Nous sommes à votre disposition, mes ministres délégués, mon administration et moi-même, pour répondre à toutes les questions que vous vous posez sur l'évaluation et sur l'application, par décrets, des lois que vous votez. Je le dis avec beaucoup de modestie, je m'interroge moi-même parfois sur le degré d'application de certaines lois.
Aujourd'hui, la quasi-totalité de notre production normative émane d'abord du niveau européen. Nous avons engagé des chantiers réglementaires très lourds, qui auront un impact important sur les entreprises. C'est pour entraîner l'ensemble des pays européens, des entreprises dans la voie du Pacte vert que nous avons mis en place un certain nombre d'outils de reporting extrafinancier, d'incitations à l'investissement et de responsabilité sociétale des entreprises (RSE).
La directive sur la publication d'informations en matière de durabilité par les entreprises, dite CSRD, entre progressivement en vigueur en France. Elle touchera, à terme, l'ensemble des entreprises, y compris les très petites entreprises (TPE). Elle comporte jusqu'à 800 indicateurs obligatoires ! Nous pouvons progresser dans la prise en compte de la charge qui en résultera pour les entreprises, notamment pour l'ensemble des petites et moyennes entreprises (PME), des entreprises de taille intermédiaire (ETI) et des TPE du territoire, qui vont devoir investir pour se conformer à ces nouvelles règles sans en avoir forcément les moyens. Je mènerai ce chantier annoncé par le Premier ministre, au nom du Gouvernement.
Le secteur automobile se trouve dans une situation conjoncturelle extraordinairement difficile. Cela s'explique par de nombreux facteurs, conjoncturels, mais extrêmement puissants : coût de l'énergie et des matières premières, conjoncture internationale, surcapacité asiatique... Ces facteurs continueront à peser sur le secteur, obligeant sans doute certaines entreprises à prendre des décisions extrêmement difficiles dans les prochaines semaines - je le dis sans fard.
Sur ce sujet, nous avons, au niveau européen, retenu l'idée d'un règlement qui n'autorise plus à la vente de véhicules neufs que les véhicules non thermiques dès 2035. Les constructeurs ont suivi et réalisent des investissements majeurs. C'est heureux, parce que nous sommes dans une course de vitesse avec des pays qui, y compris de manière très directive, voire dirigiste, n'ont pas attendu un règlement pour surinvestir dans le secteur.
Faut-il pour autant renoncer à notre objectif ? Ma conviction est évidemment que non ! Sinon, ce serait sortir l'Europe de cette course de vitesse et se priver des moyens d'avoir une industrie européenne. Cela pose évidemment la question des modalités : l'Europe est-elle en situation d'infliger des amendes de plusieurs milliards d'euros à des constructeurs qui n'ont pas atteint leurs objectifs assez rapidement, donc, en cascade, à toute la chaîne industrielle ? Je doute qu'une amende, dans la conjoncture actuelle, conduise à plus d'investissements en faveur des véhicules électriques...
Nous ne devons pas faire preuve de naïveté. Je serai à Berlin vendredi pour évoquer ce sujet avec nos partenaires allemands. Le ministre Marc Ferracci, chargé de l'industrie, y était aujourd'hui. Nous devons avancer de manière concertée, dans le respect des règles, mais aussi de manière que les modalités soient un tant soit peu adaptées aux difficultés du contexte.
Il faut simplifier, mais aussi s'adapter à l'économie réelle. L'examen du projet de loi de simplification de la vie économique doit évidemment être poursuivi. Je pense notamment à la question du « test PME » : nous devons beaucoup progresser sur le flux, et peut-être même sur le stock de normes. Mon ministère sera pleinement mobilisé pour participer à cet effort.
Nous constatons, au quotidien, que de nombreuses mesures qui concernent les chefs d'entreprise relèvent du décret, mais aussi, parfois, de l'arrêté ministériel, de l'arrêté préfectoral, voire de la dérogation réglementaire à un arrêté préfectoral. À cet égard, je rappelle que le Premier ministre a demandé que les préfets aient un pouvoir de dérogation beaucoup plus fort. Pour ma part, j'ai demandé à mon administration de regarder les normes que nous pourrions supprimer pour redonner de l'oxygène. Il me semble que c'est une bonne manière de simplifier, plutôt que de se lancer dans un schéma normatif supplémentaire, d'autant que cela ne coûte pas beaucoup d'argent.
M. Laurent Duplomb. - C'est la meilleure des solutions, et ça ne coûte rien !
M. Antoine Armand, ministre. - J'en viens à la souveraineté et à la stratégie industrielle. Je reviens de Bruxelles, mais j'ai fait un passage par Calais, où l'État se porte acquéreur de 80 % du capital d'Alcatel Submarine Networks (ASN), entreprise de construction, de pose et de maintenance de câbles sous-marins qui permettent de transporter la fibre optique à travers l'Atlantique. Cette infrastructure est évidemment devenue absolument critique ces dernières années. Sur ce sujet, il est nécessaire que l'État stratège soit encore plus pertinent et sans doute encore plus offensif. Nos partenaires extra-européens, qu'il s'agisse des pays d'Asie ou des États-Unis, ne s'en privent pas ! Quel que soit le résultat de l'élection américaine, les outils de défense commerciale progressivement mis en place ces dernières années seront extrêmement puissants. Donc, oui, évidemment, notre démarche est celle d'une souveraineté offensive, mais c'est la situation - celle d'un durcissement de l'économie et du commerce international - qui le commande.
La meilleure politique industrielle, en général, c'est celle qui permet de se doter d'entreprises qui ont envie de s'installer, de créer de l'emploi et d'investir. Je pense que ce point de vue est assez largement partagé ici. À mon sens, cela ne peut pas passer par un alourdissement fiscal.
Nous augmentons l'impôt sur les sociétés en étant conscients de la charge que cela représente et en l'encadrant : la hausse est temporaire, ne porte que sur 440 groupes et est réalisée de manière ciblée - elle doit rapporter 8 milliards d'euros cette année et 4 milliards d'euros l'année prochaine. Nous n'augmentons pas le taux de l'IS : nous demandons une surtaxe à certains grands groupes, qui se sont d'ailleurs déclarés prêts à faire cet effort.
Pour ce qui est de l'emploi, les exonérations de cotisations sociales sont importantes dans notre pays parce qu'il y a beaucoup de prélèvements obligatoires sur les entreprises, de même manière qu'il y a beaucoup de crédits d'impôt parce qu'il y a encore beaucoup d'impôts sur nos entreprises. Bien évidemment, le but, à dix ans, est de réduire le coin socialo-fiscal pour avoir moins de trous qui mitent les appareils fiscal et social. Nous avons été alertés sur le sujet par les entreprises et par les parlementaires, et nous sommes en train de rechercher une amélioration de la situation, notamment pour ce qui concerne les bas salaires, de nombreuses entreprises intensives en main-d'oeuvre - dans les secteurs de la propreté, de la sécurité, de la maintenance - étant susceptibles d'être directement affectées par une telle mesure. Je ne ferai pas de promesses générales et engageantes alors que chaque milliard d'euros est absolument décisif. Mais nous y travaillons, et nous étudierons toutes les propositions.
Je veux maintenant aborder la question de l'énergie, qui traverse l'ensemble de l'industrie et à laquelle je sais cette commission particulièrement sensible - je le suis également, ainsi que vous l'avez rappelé, madame la présidente. Quid de notre capacité à avoir une énergie à la fois abondante, décarbonée et compétitive ?
En matière électrique, la première réponse, assez évidente, est l'énergie nucléaire. EDF a réussi à remettre la disponibilité de son parc à des niveaux satisfaisants, même si elle peut encore mieux faire. C'est la première réponse pour avoir de l'électricité décarbonée, accessible à tous, de qualité et pilotable.
Nous devons y adjoindre dès maintenant des énergies renouvelables électriques, au vu des besoins en matière d'électricité qui se feront jour dans les prochaines années, et même - le point est sans doute encore plus sensible - des énergies renouvelables thermiques, étant donné que nous n'électrifierons pas l'ensemble de l'industrie française et du transport français.
Nous avons besoin de développer le biogaz, la méthanisation, les réseaux de chaleur. Le débat budgétaire doit être l'occasion d'améliorer la copie du Gouvernement.
J'ai été long : j'aborderai le tourisme, l'économie sociale et solidaire et la consommation en répondant aux questions des sénateurs, s'ils le souhaitent.
Mme Dominique Estrosi Sassone, présidente. - Merci pour ces propos très complets et précis.
Mme Sylviane Noël, rapporteure pour avis sur la mission « Économie ». - Je m'interroge sur la fusion annoncée de Business France et d'Atout France, pour lequel le PLF 2025 prévoit une baisse de plus de 12 % des subventions pour charge de service public. Or le plan Destination France arrive à échéance en 2025. Quelles conséquences pour Atout France ? Son périmètre d'intervention sera-t-il réduit ? Sera-t-il absorbé par Business France ?
L'an dernier, un fonds territorial pour la mise en accessibilité des petits commerces avait été annoncé et doté de 300 millions d'euros d'ici 2028. Or, cette année, aucun nouveau crédit n'est inscrit dans le PLF au titre de ce fonds. Cela signifie-t-il que l'objectif de mise en accessibilité de plus de 100 000 établissements recevant du public (ERP) d'ici à 2028 sera revu à la baisse ?
Enfin, puisque vous avez évoqué la nécessité d'une simplification, je vous suggère une mesure qui ne coûtera aucun denier public et sera plébiscitée par l'ensemble des maires de France : revenez sur les modalités de recouvrement de la taxe d'aménagement. Avant 2022, cette taxe était exigible quelques mois après l'obtention d'une autorisation d'urbanisme. Il faut désormais attendre la déclaration d'achèvement de chantier. Les conséquences sont désastreuses pour les collectivités, qui sont passées d'une recette quasi automatique à une taxe extrêmement difficile à recouvrer. Si la ville d'Annecy avait prévu 2 millions d'euros de recettes à ce titre, elle n'a, à ce jour, collecté que 100 000 euros.
Mme Anne-Catherine Loisier, rapporteure pour avis sur la mission « Économie ». - L'objectif de 100 % de raccordement de la fibre jusqu'à l'abonné d'ici à 2025 sera-t-il tenu ? Les crédits alloués au plan France Très Haut Débit dans le PLF 2025 sont divisés par deux, ce qui inquiète, notamment à Mayotte.
Le financement des conseillers numériques posait déjà question l'an dernier, or il diminuera en 2025. Ces conseillers seront-ils un jour financés par les collectivités territoriales ? Si oui, à quelle échéance ? Quel est votre avis sur l'amendement déposé à l'Assemblée nationale qui vise à les financer par une nouvelle taxe sur les opérateurs mobiles ? Ces derniers sont déjà soumis à 1,6 milliard d'euros de fiscalité.
Qu'en est-il de l'abaissement de la compensation de 50 millions d'euros à La Poste pour sa mission d'aménagement du territoire ? Dans quelle mesure reviendrez-vous à l'engagement à hauteur de 174 millions d'euros inscrit dans le contrat de présence postale signé entre l'État et les élus locaux ?
Enfin, la responsabilité élargie des producteurs (REP) crée des distorsions de concurrence, dont les entreprises françaises pâtissent.
M. Christian Redon-Sarrazy, rapporteur pour avis sur la mission « Économie ». - Si l'on exclut la compensation carbone, dépense contrainte, les crédits de la mission « Économie » dédiés à la politique industrielle baissent de plus de moitié. Alors que la réindustrialisation a été érigée au rang de priorité nationale, comment justifiez-vous ce coup de rabot massif ? Certes, les crédits de France 2030 sont préservés, mais l'industrie, ce n'est pas que l'innovation ! Selon Bpifrance, 70 % du potentiel de réindustrialisation français se trouve dans le tissu industriel déjà existant. Cela inclut des TPE, des PME et des ETI, ainsi que des entreprises qui ne sont pas vertes, mais créent de l'activité, de la valeur et de l'emploi dans nos territoires. Ces entreprises ont besoin d'accompagnement, dont celui de Bpifrance, à qui vous supprimez 40 millions d'euros - alors même que les résultats de son accompagnement sont probants, pour un coût minime par rapport à d'autres.
Le PLF 2025 supprime aussi la ligne d'accompagnement à la restructuration et à la résilience des PME, qui finance des prestations de diagnostic et de conseil pour les entreprises en difficulté, alors même que les défaillances d'entreprises sont au plus haut - le pic n'ayant pas encore été atteint ! Ne pensez-vous pas que ce désengagement risque de coûter in fine plus cher à l'État que le demi-million d'euros économisé ?
Enfin, après des années d'attrition des crédits, l'État supprime définitivement sa dotation aux pôles de compétitivité. Avez-vous préalablement évalué l'impact de cette mesure sur les tissus productifs locaux, mais aussi sur les laboratoires de recherche et tout l'écosystème de la recherche et développement (R&D) ? Les inquiétudes sont grandes dans les territoires concernés.
Mme Martine Berthet, rapporteure pour avis sur le compte d'affectation spéciale « Participations financières de l'État ». - Je me félicite des annonces récentes du Gouvernement. D'abord, l'Agence des participations de l'État (APE) a officialisé hier le rachat de 80 % du groupe ASN à Nokia. Les câbles sous-marins sont, en effet, des infrastructures critiques, indispensables pour l'accès à Internet. Pourriez-vous nous en dire davantage sur le calendrier de l'opération, notamment sur l'acquisition future de 100 % du capital de l'entreprise, annoncée en juin dernier ?
Il y a quatre jours, l'État a confirmé l'acquisition d'une action de préférence dans Bull SA, filiale d'Atos. Notre commission ne peut que le saluer, alors que nous adoptions, en avril dernier, le rapport de nos collègues Sophie Primas, Jérôme Darras, Fabien Gay et Thierry Meignen sur l'avenir du groupe Atos. Quels sont les droits attachés à cette action de préférence ? Pourriez-vous nous en dire plus sur les autres opérations prévues concernant les activités sensibles d'Atos ?
M. Antoine Armand, ministre. - Je suis ravi de voir que les pays de Savoie sont aussi bien représentés parmi les rapporteurs pour avis de la commission des affaires économiques qu'au Gouvernement !
Le Premier ministre s'est engagé à réduire le nombre d'agences et d'opérateurs, qui est extrêmement élevé et ne joue pas en faveur de la simplification. Du reste, cela ne signifie pas qu'ils ne font pas bien leur travail.
J'ai moi-même vu à l'étranger qu'un rapprochement aurait du sens, quand nos interlocuteurs ont affaire à deux opérateurs différents pour des missions similaires. Nous n'agirons pas dans la précipitation. Une mission de préfiguration sera menée afin de réfléchir à un rapprochement, voire à une fusion complète à l'étranger.
Je crois profondément que c'est une question d'efficacité de l'action publique. Le Gouvernement, sous la responsabilité du Parlement, doit pouvoir décider pleinement des orientations et en recevoir un compte rendu très précis.
Je partage votre avis sur le fonds territorial d'accessibilité. On ne peut pas imposer de nouvelles normes en prétendant qu'elles ne coûtent rien. Ce fonds ne couvre pas entièrement le coût de la mise aux normes, mais il est une incitation.
Ne nous interdisons pas a priori de regarder si certaines normes sont toujours proportionnées à l'entreprise ou au commerce. Au plus fort de la crise agricole, on a débattu de l'accessibilité des cours de ferme d'agriculteurs vendant simplement leur production. Il faut de la mesure.
Je suis sensibilisé au problème de recouvrement de la taxe d'aménagement. J'ai demandé aux services du ministère où les acomptes étaient bloqués. La situation n'est évidemment pas satisfaisante, au moment où l'on demande des efforts importants aux collectivités.
Madame Loisier, l'ensemble des crédits de l'État sont en baisse. Monter un budget en vingt jours et chercher à réduire le déficit d'un point par rapport à l'année précédente implique de faire des économies partout ! Nous devons voir comment appeler l'ensemble des opérateurs à participer au financement. Cela inclut les opérateurs publics et les agences territoriales concernées. Nous devons écrire un nouveau schéma ensemble. La part de financement des conseillers numériques, s'ils doivent être préservés, sera sans doute plus importante. Mais ce n'est pas parce que l'on baisse les crédits de certaines missions qu'on ne les juge pas importantes. Rappelons qu'atteindre un déficit de 5 % en 2025 est primordial.
Vous évoquez une nouvelle taxe sur les opérateurs mobiles. Je lutte contre la création de nouveaux impôts, d'abord parce que nous détenons un record en la matière. Je me bats pour qu'il n'y ait pas plus de taxes après l'examen de ce budget qu'auparavant. En France, c'est ambitieux ! Je ne serai donc pas favorable à la création de cette taxe.
Dans le cadre du débat parlementaire, le Gouvernement proposera de rétablir, à hauteur de la contribution de 50 millions d'euros, l'apport à La Poste, qui est une compensation des missions que l'on exige d'elle. Cela ne doit pas nous empêcher de réfléchir à leur soutenabilité.
Monsieur Redon-Sarrazy, le soutien à l'industrie française ne se résume pas au programme 134. En tant que ministre de l'industrie, je constate la baisse de ses crédits avec une certaine douleur. Le débat parlementaire pourrait être l'occasion d'améliorer sensiblement les leviers de décarbonation. Tout d'abord, les autorisations d'engagement n'ont pas de poids budgétaire immédiat et aident les entreprises. Ensuite, l'ensemble des entreprises font face à des coûts du carbone importants. Nous devons les accompagner. Nous devons nous battre, à l'échelon européen, sur le prix du carbone, d'autant que les Français, bons élèves, sont relativement désavantagés par les exemptions et autres dérogations. Sinon, à la fin, c'est toute l'économie qui est déréglée...
Certes, nous baissons le budget de Bpifrance de 40 millions d'euros, mais sa capacité d'intervention est de plusieurs milliards d'euros. Cette baisse ne change rien à sa mission.
Je partage votre préoccupation sur les pôles de compétitivité et sur les entreprises en difficulté. Nous formulerons des propositions pour améliorer ces points.
Madame Berthet, merci d'avoir souligné l'investissement dans ASN. Effectivement, l'État prend 80 % des parts, en imaginant que Nokia achève son désengagement. À court terme, nous bénéficions de sa connaissance du secteur, mais l'État souhaite être pleinement chargé d'ASN, opérateur de référence des câbles sous-marins atlantiques, mais aussi détenteur d'un tiers des parts du marché mondial.
Je serai moins disert sur Atos dans la période actuelle, couverte par le secret des affaires. Le Premier ministre l'a dit tout à l'heure à l'Assemblée nationale : le Gouvernement sera extrêmement vigilant et ferme à l'égard des entreprises qui ont bénéficié de soutiens publics, a fortiori quand leur activité concerne directement la souveraineté du pays. Nous nous assurerons, en discutant avec Atos, que les éléments les plus critiques resteront bien dans le giron national.
M. Jean-Marc Boyer. - Le groupe Michelin a annoncé, ce matin, la fermeture pour 2026 des sites de Vannes et de Cholet. Michelin compte 120 000 salariés dans le monde, dont 17 000 en France. Il est prévu de supprimer 1 550 emplois. Les parlementaires du Puy-de-Dôme ont reçu le message suivant : « En dépit de l'engagement remarquable des équipes et des efforts du groupe, les sites lourdement impactés par la transformation structurelle des marchés des pneumatiques, tourisme, camionnettes et poids lourds, à laquelle s'ajoute la dégradation de la compétitivité européenne, ne sont plus viables. Dans ce contexte, la décision de fermer les sites est devenue inéluctable. Michelin s'engage dès aujourd'hui à accompagner chacun des salariés pour construire avec eux un nouvel avenir professionnel avec des solutions adaptées à leurs besoins et leurs attentes. Nous accompagnerons les territoires concernés pour développer des activités porteuses d'emplois d'avenir et donner une seconde vie à nos sites industriels. » Michelin a toujours eu une fibre sociale très forte. Comment le Gouvernement accompagnera-t-il la reconversion des salariés et les protégera-t-il ?
M. Daniel Laurent. - Nous devons tous réfléchir à l'efficacité de l'État et de nos services publics. Nous savons tous qu'il existe une multitude d'agences et autres organismes publics - pas moins de 1 400 - qui alourdissent inutilement les dépenses publiques sans pour autant toujours rendre de services tangibles. Leur maintien est difficilement justifiable au regard des efforts demandés à nos concitoyens et à nos entreprises dans le PLF et le PLFSS. Les élus nous font part quotidiennement des contraintes budgétaires qui pèsent sur les collectivités. La réduction des dotations et l'augmentation des charges liées à certains transferts mettent en péril leur capacité à maintenir des services publics de proximité. Comment soutenir ces collectivités tout en assurant l'équilibre des finances publiques ?
En ma qualité de président du groupe d'études Vigne et vin du Sénat, je souhaite relayer une attente de la filière : l'alignement des transmissions viticoles sur le pacte Dutreil. La fiscalité est un levier indispensable pour pérenniser les exploitations viticoles familiales, assurer le renouvellement des générations et maintenir les PME dans nos territoires. Comment alléger la fiscalité des transmissions familiales ?
Enfin, monsieur le ministre, vous êtes favorable à un allongement de la durée du travail par l'abandon d'un second jour férié. Vous dites qu'il s'agit d'une piste parmi d'autres. Quelles sont ces autres pistes ?
M. Franck Menonville. - Monsieur le ministre, vous avez évoqué le rapport de Mario Draghi, qui rend compte de la divergence entre l'Europe et les États-Unis. La création de richesse aux États-Unis en 2000 était équivalente à celle de la zone euro. Aujourd'hui, le rapport est de 1 pour l'Union européenne à 1,8 pour les États-Unis.
La France est l'un des pays de l'Europe les plus désindustrialisés.
L'épargne des Français atteint plus de 6 000 milliards d'euros. Comment drainer davantage de capitaux vers les investissements de rupture et les technologies d'avenir ? Le Premier ministre évoquait un livret d'épargne industrie.
M. Antoine Armand, ministre. - Commençons par Michelin : le cadre structurel, c'est la compétitivité européenne. Malheureusement, apporter la bonne réponse prend du temps. La décision de Michelin est regrettable. Le reclassement des salariés doit être individuel, personnalisé, adapté. Un repreneur doit être recherché en amont. Il est difficile, pour l'entreprise seule, de mener une recherche active. C'est pourquoi l'État y participera, même si cela ne changera pas la situation dans la compétition internationale du marché des pneus. Nous avons demandé des réunions dès cette semaine avec tous les partenaires : entreprises, acteurs locaux, parlementaires, services de l'État. Nous ne voulons pas perdre de temps ni laisser les salariés dans l'ombre.
Monsieur Laurent, je ne saurais trop vous rejoindre sur les agences. Il faut réduire leur nombre et réinternaliser un certain nombre de compétences, pour que je puisse être directement responsable devant vous. C'est une question démocratique. Ce peut aussi être une question budgétaire. Toutefois, cela prend du temps. La fusion entre deux agences, à très court terme, n'entraîne pas d'économies. En multipliant les agences, on a répliqué autant de services qui pourraient être mutualisés.
Je me réjouis que nous résistions collectivement aux démangeaisons fiscales qui se déclarent chez les uns et les autres. J'entends les divergences politiques sur la taxation de l'héritage. Mais, quand on dispose d'outils qui fonctionnent globalement, conservons-les, surtout quand une très grande proportion de chefs de TPE et PME s'approchent d'un âge auquel ils vont céder leur entreprise. Le tissu économique est en jeu. Le PLF fait évoluer des paramètres relatifs à la transmission des exploitations agricoles.
Je ne m'avancerai pas de manière trop précoce sur l'augmentation de la durée du travail à cet instant.
M. Daniel Laurent. - Vous l'avez évoquée.
M. Antoine Armand, ministre. - Si l'on partage l'idée que le nombre d'heures travaillées est insuffisant, il y a plusieurs manières d'agir. La première est d'intervenir sur le taux d'emploi des jeunes et des seniors, qui reste très faible. Les partenaires sociaux négocient en ce moment sur ce dernier point. Le taux d'insertion des jeunes progresse grâce à l'apprentissage, mais nous ne sommes pas au bout du chemin, notamment parce que l'apprentissage bénéficie encore plutôt aux plus diplômés. Or nous voulons entraîner l'ensemble des jeunes, d'autant que l'on compte encore trop de Neet (ni en emploi, ni en études, ni en formation).
Sommes-nous collectivement prêts à augmenter le nombre d'heures travaillées par une personne dans l'année ? Cela implique que la durée du travail soit respectée dans l'ensemble des secteurs.
Pour réduire l'épargne, il faut redonner confiance. L'une des causes de l'épargne, c'est l'inquiétude. Des comptes publics plus équilibrés contribuent à cette confiance.
Le Premier ministre a évoqué le livret d'épargne industrie dans son discours de politique générale. Nous avons besoin de financer l'industrie, or les fonds privés manquent. Nous n'avons pas la même masse de liquidités que d'autres pays. Nous présenterons ce livret dans les prochaines semaines, sous l'autorité du Premier ministre. Nous afficherons des projets industriels clairs - les Français ont envie de contribuer à la vitalité du tissu industriel. Ce livret sera un peu plus rentable que les livrets réglementés, qui ne contribuent pas directement à l'activité économique.
M. Patrick Chaize. - Monsieur le ministre, vous avez évoqué un nouveau projet pour La Poste avec la fin du service universel postal au 31 décembre 2025. Envisagez-vous une vraie loi postale en 2025 et, si oui, sous quelle forme ?
Nous confirmez-vous que le 100 % fixe fibre optique est bien le projet du Gouvernement ?
Votre ministre délégué Marc Ferracci a évacué la possibilité d'un « New Deal mobile 2 ». Le confirmez-vous ?
Les crédits du plan France Très Haut Débit sont des engagements de l'État. Leur baisse, cette année, alors même que l'engagement d'une fin de projet à 2025 a été décidé, risque de faire reposer la facture sur les collectivités territoriales. À Mayotte, ce ne sont même pas des crédits ; ce sont des autorisations d'engagement qui ont été supprimées du budget. Pouvez-vous nous rassurer ?
Je ne reviens pas sur les conseillers numériques, mais tout de même ! Sur le terrain, on déplorera une perte de qualité.
Les propositions budgétaires sur les Jeunes Entreprises innovantes (JEI) et le Crédit d'impôt innovation (CII) sont décevantes. Nous confirmez-vous que les crédits seront maintenus ?
M. Fabien Gay. - Monsieur le ministre, j'espère que vous serez plus présent au Sénat que votre prédécesseur. Cela ne sera pas difficile : venez une fois !
Ma première question porte sur la réindustrialisation : Michelin et ses 1 250 emplois supprimés, Auchan et ses 2 289 emplois supprimés, Thales et ses 1 000 emplois supprimés, mais aussi la filière automobile, avec Imperial Wheels, Valeo, Dumarey, MA France.
Par ailleurs, Stellantis a décidé de délocaliser ses pièces en Turquie, et je serai demain à 8 heures avec les salariés devant l'entreprise pour empêcher cette prédation.
Monsieur le ministre, vous vous dites ouvert au conditionnement des aides publiques. Michel Barnier a déclaré à l'Assemblée nationale qu'il demanderait des comptes à Auchan et à Michelin. Êtes-vous favorable au conditionnement des 282 milliards d'euros annuels d'argent public versés aux entreprises ? Donnerez-vous un avis favorable à notre amendement en ce sens ? Est-on d'accord pour interdire les licenciements financiers et non industriels ?
Par ailleurs, un amendement au projet de loi de finances prévoit de fixer par décret l'augmentation de l'accise sur l'électricité - qui s'élève aujourd'hui à 22,50 euros par mégawattheure -, dans une limite de 49 euros. Vous réaliserez ainsi 3 milliards d'euros d'économies sur le dos des familles les plus précaires - de fait, ce sont les ménages qui vivent dans des passoires thermiques qui ont le plus besoin d'électricité... Trouvez-vous cela sérieux ? Acceptez-vous de revenir sur cette mesure ? Le cadre post-Arenh (accès régulé à l'électricité nucléaire historique) sera-t-il défini par amendement dans le budget, ou débattu dans le cadre d'un autre projet de loi ?
Comme vous le savez, le bureau des marchandises du Bourget s'apprête à fermer, privant le premier aéroport d'affaires d'Europe de son service de douane. Si l'on veut lutter efficacement contre le narcotrafic, il me paraît indispensable de revenir sur cette décision.
Enfin, les 2 000 douaniers de Seine-Saint-Denis sont les seuls agents d'État de ce département à ne pas toucher la prime de fidélisation. Vous vous êtes dit ouvert à une évolution sur ce point. Pouvons-nous leur annoncer qu'ils bénéficieront bien de cette aide ?
Mme Viviane Artigalas. - Monsieur le ministre, le projet de loi de finances pour 2025 prévoit une ponction importante sur les collectivités locales. Je pense notamment à la baisse des dotations, via le gel de la dotation globale de fonctionnement (DGF), de la dotation d'équipement des territoires ruraux (DETR) et de la dotation de soutien à l'investissement local (DSIL), ainsi qu'aux coupes sur le fonds vert. Ces mesures risquent de freiner l'investissement dans les infrastructures locales et les bâtiments publics qui bénéficient prioritairement à des TPE et à des PME, lesquelles garantissent la vitalité économique de nos territoires. Avez-vous évalué l'impact de ces mesures sur l'investissement dans nos territoires et sur l'économie locale ?
Ces coupes vont aussi entraîner une baisse des recettes de l'État, en raison de leur effet sur l'économie. Je pense notamment au produit de l'impôt sur les sociétés et de la TVA, qui n'avaient pas non plus été correctement évalués en 2024. Monsieur le ministre, avez-vous, cette année, correctement estimé l'impact de ces mesures sur les recettes de l'État, ainsi que leur éventuel effet récessif ?
M. Antoine Armand, ministre. - Monsieur Chaize, il reviendra au Premier ministre d'annoncer le calendrier d'une loi sur les services postaux. Il est en tout cas essentiel de donner de la visibilité aux employés et à la direction de La Poste. Nous devrons, par ailleurs, dresser un état des lieux clair des missions qui relèvent de son périmètre, y compris celles qui sont prévues dans le cadre du réseau France Services - ce qui nous amènera nécessairement à discuter du financement.
Le ministre chargé de l'industrie a bien rappelé que le Gouvernement ne s'oriente pas vers un « New Deal mobile 2 ».
Concernant le plan France Très Haut Débit, nous devrons clarifier la part des crédits qui ont déjà été engagés et de ceux qui relèvent du budget pour 2025. Quant à votre question sur Mayotte, je n'ai pas de réponse immédiate à y apporter. Bien entendu, l'État devra se montrer à la hauteur de ses engagements.
Malgré les difficultés et les restrictions budgétaires, nous avons tenté de conserver des outils d'attractivité de l'innovation et de la recherche, notamment au travers du crédit d'impôt recherche (CIR). Il importe donc de maintenir cette aide pour les entreprises les plus innovantes, en particulier pour les TPE et les PME. Le débat parlementaire nous permettra d'avancer sur ce sujet.
Monsieur Gay, vous avez énuméré les nombreuses mauvaises nouvelles dans le domaine de l'industrie. Nous devons nous préparer à ce que d'autres suivent dans les temps à venir - en raison de la conjoncture internationale, de l'évolution de la croissance, de la compétitivité européenne, ou encore du faible niveau de la demande.
Vous avez évoqué plusieurs pistes de solutions. Pour ma part, je n'ai pas de religion en matière d'aides publiques. Celles-ci sont toujours conditionnées : le crédit d'impôt recherche, par exemple, est accessible aux entreprises qui embauchent des chercheurs. Ce dont nous pouvons discuter, c'est du bon respect des conditions et de l'évolution des critères. Ce débat mérite d'avoir lieu, sur chaque aide publique. Et, selon moi, les interlocuteurs les plus légitimes en la matière sont les partenaires sociaux.
Le crédit d'impôt recherche est souvent critiqué. Si son coût est important, c'est d'abord parce que de nombreuses entreprises embauchent des chercheurs ! En outre, la France est à la traîne en matière d'attractivité de la recherche et d'innovation. Par ailleurs, le débat sur les aides publiques à la recherche doit prendre en considération la question du financement assuré par le secteur privé. Or, dans un pays où les impôts de production sont très importants et alors que le coin socialo-fiscal est plus élevé encore que chez nos partenaires, il est important de conserver un dispositif de ce type, d'ailleurs plébiscité par les représentants des entreprises.
Comme l'a dit le Premier ministre, nous enquêterons sur l'utilisation des aides publiques par les entreprises que vous avez mentionnées. Nous disposons désormais de nombreux rapports qui nous permettront d'avancer sur le sujet - je pense notamment à ceux que produit France Stratégie -, en discussion avec les partenaires sociaux.
L'interdiction des licenciements est un débat intéressant, car il renvoie à des différences fondamentales de philosophie économique. L'examen de la proposition de loi visant à protéger les logements contre l'occupation illicite de Guillaume Kasbarian, alors député, l'avait déjà montré. Je me rattache à une sensibilité politique selon laquelle, pour inciter un propriétaire à mettre son logement en location en toute sérénité, nous devons lui assurer qu'il le récupérera sans encombre. Et, selon cette même sensibilité, pour inciter un employeur à recruter, nous ne pouvons lui imposer des critères législatifs ou réglementaires qui le contraindront à garder des salariés, même en cas de difficultés économiques. C'est une divergence très profonde. Je constate d'ailleurs que, dans les pays où les licenciements ont été interdits, la croissance et l'activité ont diminué. Certes, ils n'ont peut-être pas encore trouvé la recette miracle, mais le mets qui en résulterait serait sans doute indigeste pour les entreprises françaises.
Monsieur Gay, vous connaissez suffisamment la question de l'électricité pour savoir que vos propos ne sont pas tout à fait exacts ! Les particuliers ne vont pas perdre d'argent. D'abord, les 60 % de nos compatriotes qui sont soumis au tarif réglementé verront leur facture baisser de 9 % entre le 31 janvier et le 1er février 2025.
M. Fabien Gay. - Au lieu de 25 % !
M. Antoine Armand, ministre. - Certes, mais cela leur coûtera moins cher. Vous ne pouvez donc pas dire qu'ils vont perdre de l'argent.
Ensuite, pour les 40 % de ménages restants, nous ne faisons que réinstaurer une taxe qui existait avant le bouclier tarifaire - que, je crois, vous avez soutenu.
M. Fabien Gay. - Non !
M. Antoine Armand, ministre. - C'est bien dommage, car, selon Eurostat, cette mesure a permis à nos concitoyens d'être les mieux protégés de l'inflation du prix de l'énergie de toute l'Union européenne. La facture des 20 % des foyers qui ont opté pour une offre à prix indexé sur les tarifs réglementés baissera également. Enfin, les 20 % des Français qui ont choisi une offre d'électricité à prix libre et qui, en moyenne, ont constaté une diminution de plusieurs dizaines de points de pourcentage du tarif qui leur est appliqué paieront, il est vrai, un peu plus cher l'année prochaine.
Je travaille depuis mon entrée en fonction pour savoir où en est l'accord sur le cadre post-Arenh. Le sujet est très complexe et soulève de nombreuses questions, notamment celle de la compétitivité des industries énergo-intensives et électro-intensives.
Je ne suis pas du même avis que vous sur la fermeture du bureau des marchandises du Bourget. Nous pourrons revenir sur ce sujet à l'occasion d'un échange bilatéral.
Si nous ouvrons la prime de fidélisation à tous ceux qui travaillent seulement de manière occasionnelle dans le département, nous changerions la philosophie de ce dispositif. Néanmoins, des progrès pourraient sans doute être faits sur le sujet.
Madame Artigalas, il est vrai que la baisse imprévue de certaines dépenses, notamment sur les exonérations sociales, affectera l'emploi et l'activité. Nous l'avons bien intégrée à nos prévisions de croissance. Le Haut Conseil des finances publiques (HCFP) a jugé le scénario macroéconomique plausible, sans toutefois partager exactement notre estimation sur la croissance. En tout cas, cela doit nous permettre de nous appuyer sur la fiscalité pour faire baisser les dépenses publiques. Par ailleurs, nous considérons que l'épargne va diminuer et que la consommation va reprendre de manière plus forte. Cela répond d'ailleurs aux questions relatives aux recettes d'impôts sur le revenu, à la TVA et à la reprise de la croissance.
Vous me demandez si mon évaluation de la croissance pour 2025 sera correcte. D'abord, sachez que ces chiffres sont calculés par des dizaines de professionnels au sein de mes services. J'entends parfois dire que Bercy « ferait n'importe quoi » dans ses prévisions : il ne faut jamais oublier que celles-ci sont le résultat de dizaines d'heures de travail, effectuées par des personnes très compétentes, qui doivent s'adapter à un contexte international heurté.
Tous les pays d'Europe ont du mal à prévoir leurs recettes. Le problème, c'est que nous peinons à retrouver le rapport entre l'évolution du PIB et les recettes fiscales que nous connaissions avant la crise du covid. Selon nos scénarios, nous devrions nous rapprocher de cet équilibre. C'est bien la direction que nous prenons, mais plus lentement que ce qui était espéré.
Chaque année, nous faisons preuve de davantage de prudence dans nos estimations. Celles-ci seront-elles exactes ? Je m'engage à faire tous les efforts pour que ce soit le cas, et à travailler en concertation avec le Parlement pour y parvenir.
M. Yannick Jadot. - D'après les chiffres d'Eurostat - que vous avez cité -, un salarié français travaille 34,9 heures par semaine, contre 33,5 heures pour un salarié allemand. Or, selon les statistiques de la direction générale des affaires économiques et financières de la Commission européenne, un emploi français produit 78 800 euros de richesses, contre 71 100 euros pour un emploi allemand. Nous travaillons donc 4 % de plus que les Allemands, pour produire 10 % de richesses supplémentaires. Pourtant, l'Allemagne a beaucoup plus d'industries que la France, et son déficit commercial est moindre. J'ai donc des doutes quant au lien de causalité que vous esquissez entre la durée du travail et notre capacité à nous réindustrialiser et à produire une croissance vertueuse.
Ce qui m'inquiète davantage, c'est l'équilibre, que vous jugez indispensable, entre le respect de la règle européenne des 3 % de déficit et la nécessité de poursuivre les investissements publics. Vous défendez la politique de l'offre, mais laquelle ? Au fond, l'Inflation Reduction Act américain était bien une politique de l'offre, qui s'appuyait sur des investissements massifs. Reconnaissons que c'est non pas la suppression d'une partie de la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises (CVAE) qui a permis de relancer l'industrie sur les batteries, en France, mais bien l'investissement public !
Malgré les rapports de Mario Draghi, de Jean Pisani-Ferry, de France Stratégie et d'Enrico Letta, nous semblons nous priver des moyens d'investir pour nous doter d'une économie dynamique adaptée aux enjeux majeurs. En 2022, nous avons signé le pacte sur l'éolien en mer, mais General Electric a commencé à licencier... Puis ce sont les entreprises qui devaient assurer la conduite du pacte solaire qui ont fermé leurs portes. Quand allons-nous enfin investir dans les filières énergétiques et industrielles ? La France pourrait assumer auprès de l'Union européenne une position selon laquelle ces investissements n'ont pas à être pris en compte dans la règle des 3 % de déficit, et nous pourrions sans doute rallier certains de nos voisins à cette cause. Je regrette que nous sacrifiions des investissements publics essentiels, qui ne feront qu'aggraver notre retard industriel.
Mme Évelyne Renaud-Garabedian. - Comme je l'ai expliqué la semaine dernière au président de La Poste, je suis régulièrement sollicitée par les Français de l'étranger, que je représente en tant que sénateur, au sujet de la fermeture soudaine de leur compte bancaire par les banques en France.
Pour éviter la charge administrative que représente la vérification de l'origine des fonds, les banques françaises préfèrent tout simplement fermer les comptes bancaires de ces citoyens, et ne pas en ouvrir de nouveaux. Ces comptes sont pourtant bien nécessaires aux Français de l'étranger ! Or la seule banque qui accepterait de leur servir d'établissement de référence est une banque marocaine, installée en France.
Le président de La Poste m'a répondu que la Banque postale pourrait accepter de jouer ce rôle à l'avenir. Laurence Garnier, qui, en tant que secrétaire d'État chargée de la consommation, est responsable de la fermeture des comptes bancaires des Français en France, est du même avis. Les 3,5 millions de Français qui vivent à l'étranger peuvent-ils compter sur votre soutien ?
M. Jean-Claude Tissot. - Mon département de la Loire et plusieurs de ses voisins ont récemment été très fortement touchés par des intempéries, qui ont causé d'importants dégâts sur les ouvrages et les infrastructures publiques. L'intervention des secours et des services de l'État a permis d'éviter le pire, mais il est temps de solliciter les moyens disponibles pour entamer la reconstruction.
La dotation de solidarité en faveur de l'équipement des collectivités territoriales touchées par des événements climatiques ou géologiques va bien sûr être sollicitée par les communes concernées, mais elle présente malheureusement une véritable inégalité d'accès. En effet, les demandes des collectivités ne sont éligibles à cette dotation que si la somme des dommages éligibles causés par un même événement climatique est supérieure à 150 000 euros.
Certaines petites communes, comme Burdignes, dans le massif du Pilat, ne pourront donc pas l'obtenir et subiront une double peine : le coût des dégâts qu'elles devront assumer représentera une part très importante de leur capacité de financement, et elles ne bénéficieront d'aucune dotation de solidarité.
Face à la multiplication de ces aléas climatiques et dans la lignée du Plan national d'adaptation au changement climatique (PNACC), ne devrions-nous pas revoir le seuil d'accès à cette dotation de solidarité ?
M. Antoine Armand, ministre. - Monsieur Jadot, il me semble que les chiffres d'Eurostat que vous citez concernent seulement l'emploi principal pour les salariés. Or, en Allemagne, la part d'emplois secondaires est plus importante qu'en France. Je vous confirme donc qu'un Français travaille, en moyenne, moins qu'un Allemand.
Pour ma part, je fais un lien entre la quantité de travail et les cotisations générales qui en découlent. Or, si nous voulons que notre modèle social soit financé par le travail, il faut que les cotisations sociales soient à la hauteur ! Sans cela, il me paraît bien délicat de vouloir augmenter les dépenses sociales - à moins que vous ne souhaitiez sortir du modèle bismarckien, ce qui m'étonnerait de votre part !
Nous divergeons sur ces mesures. Néanmoins, nous sommes d'accord sur l'importance du taux d'emploi.
Quoi qu'il en soit, nous ne pouvons pas être l'un des pays européens qui travaillent le moins et revendiquer une baisse de la durée du travail - c'est pourtant ce que font certains groupes du courant que vous représentez...
Il me semble que nous partageons la même philosophie sur les investissements publics, notamment écologiques. D'abord, ils ne peuvent pas toujours être assurés par le secteur privé, au regard, notamment, du manque de maturité des technologies. Ensuite, la décarbonation ne présente pas d'intérêt à très court terme pour le marché. Votre remarque sur les batteries est donc juste. Cependant, la baisse des impôts de production permettra aux équipementiers et aux industries locales de continuer à investir. Il s'agit, selon moi, d'une bonne mesure.
Au fond, c'est une question d'échelle. Je suis d'accord avec vous : les investissements du public et du privé doivent augmenter en Europe. Je partage les recommandations des rapports que vous avez cités, notamment ceux de Mario Draghi et d'Enrico Letta. Comme vous, je souhaite que la France puisse investir davantage dans la transition écologique. Mais, si cela nous conduit à dégrader fortement notre déficit public, nous nous retrouverons à payer les intérêts de la dette tout en nous privant de toute capacité à investir.
Madame Renaud-Garabedian, je serai attentif aux recommandations de la secrétaire d'État chargée de la consommation sur le sujet que vous évoquez.
Monsieur Tissot, le Gouvernement apporte son soutien aux personnes touchées par les événements climatiques dans votre département. Vous soulignez à raison que ces aléas sont, précisément, de moins en moins aléatoires. Nous devons donc renforcer la prévention, comme l'a souligné le Premier ministre, qui souhaite réorienter le fonds Barnier en ce sens. Le régime des catastrophes naturelles doit aussi évoluer, tout en restant soutenable pour les assureurs. Le « tout public » ne me semble pas la solution adéquate. Le Premier ministre souhaite poursuivre les travaux en la matière.
Mes services vous apporteront une réponse par écrit sur l'évolution du seuil.
M. Bernard Buis. - Le service national universel (SNU) lancé en 2019 n'a malheureusement pas fait ses preuves. Très coûteux, il ne touche qu'une petite partie d'une tranche d'âge - on parle de moins de 50 000 jeunes. Au regard de la situation des finances publiques actuelles, ne doit-on pas supprimer ou, à tout le moins, réinventer le modèle du SNU, outil dont les dimensions sociales et républicaines pourraient se révéler utiles à la jeunesse de notre pays ?
D'après le rapport de la commission d'enquête de l'Assemblée nationale visant à établir les raisons de la perte de souveraineté et d'indépendance énergétique de la France, dont vous étiez rapporteur, il faut mettre en cohérence, via Réseau de transport d'électricité (RTE) et d'autres organismes publics, nos ambitions climatiques, industrielles et énergétiques sur une échelle de temps compatible sur plusieurs décennies. Afin d'accélérer le verdissement du tissu industriel français, un dispositif de subvention des projets de décarbonation de l'industrie, ciblé sur les cinquante sites industriels les plus émetteurs, a été annoncé dans le projet de loi de finances pour 2025. Pourriez-vous en préciser les modalités ?
M. Olivier Rietmann. - Dans la compétition internationale, la France bénéficie d'un escadron important, constitué par nos ETI. Celles-ci représentent notamment une force de frappe en matière de commerce extérieur indispensable, même si l'on peut regretter que nos voisins en aient davantage : il y en a 20 000 en Allemagne, contre 6 200 en France. Pourtant, en 1980, leur nombre était égal dans les deux pays.
52 % des ETI sont détenues majoritairement par des actionnaires familiaux, et 70 % le sont minoritairement. Ces ETI étaient donc, à l'origine, des PME - cette croissance prend, en général, une vingtaine d'années.
La transmission d'entreprise est fortement facilitée par le pacte Dutreil. Dans un rapport de septembre 2024, la Cour des comptes estime qu'il ne faut plus toucher aux moyens de mutation à titre gratuit sans une étude d'impact chiffrée - c'est ce que j'appelle le « test PME ».
Entendez-vous sanctuariser le pacte Dutreil, comme le préconise le rapport d'information de la délégation aux entreprises du Sénat sur la transmission d'entreprise de 2022 ? Et, si une évolution semblait nécessaire, vous engagez-vous à modifier le dispositif de transmission d'entreprise à l'appui, seulement, d'un véritable « test PME » ?
M. Frédéric Buval. - La Martinique fait face à une hausse continue du coût de la vie. Les prix à la consommation sont supérieurs de 14 % à ceux de la France métropolitaine, et de 40 % pour les produits alimentaires. Dans le même temps, la pauvreté touche 27 % de la population, contre 15 % dans l'Hexagone.
Cette situation a, depuis septembre, occasionné des mobilisations massives et parfois violentes, causant d'importants dégâts, dont les premières évaluations, selon la chambre de commerce et d'industrie (CCI) de la Martinique, sont de l'ordre de 100 millions d'euros.
Fort heureusement, un accord a été signé à la mi-octobre à la suite des réunions de concertation menées par le président du conseil exécutif de la Martinique, Serge Letchimy, sous l'égide du préfet et avec tous les acteurs concernés, afin de baisser de 20 % en moyenne les prix alimentaires en Martinique dès le 1er janvier 2025. C'est une avancée notable pour revenir à une solution plus viable pour les habitants. Sa réussite passera par le respect des engagements pris par l'État dans le cadre du protocole d'accord. Je pense notamment à l'exonération totale de la TVA sur près de 6 000 produits de consommation courante, mais aussi à la participation de l'État, au titre de la continuité territoriale, à un fonds de compensation d'une partie des frais d'approche et de transport. Je rappelle qu'un dispositif équivalent, chiffré à près de 200 millions d'euros, existe déjà pour le transport des marchandises et des personnes en Corse.
Les mesures annoncées pour la Martinique trouveront-elles une traduction concrète dans le prochain budget de l'État ?
Enfin, je profite de cette audition pour vous faire part d'une demande supplémentaire d'aides portée par les entreprises de la Martinique pour soutenir la reconstruction du tissu économique du territoire, comme cela a été accordé en Nouvelle-Calédonie à la suite des émeutes.
M. Antoine Armand, ministre. - La porte-parole du Gouvernement a rappelé que les conditions fiscales et budgétaires ne permettaient pas de poursuivre la généralisation du SNU telle qu'elle était prévue. Néanmoins, nous souhaitons préserver ce dispositif, qui donne actuellement satisfaction à 50 000 jeunes chaque année dans de nombreux territoires.
La décarbonation des cinquante sites les plus émetteurs suit une logique de coût d'abattement de la tonne de carbone : dans un contexte de raréfaction de la ressource publique, il importe de se concentrer sur les sites les plus émetteurs pour maximiser l'impact de décarbonation. Aussi, je prêterai une attention particulière aux propositions des parlementaires pour soutenir cette décarbonation.
Monsieur Rietmann, je vous rejoins sur l'importance de la transmission des entreprises et sur notre capacité à soutenir leur croissance. Le principe du pacte Dutreil ne sera pas modifié par ce projet de loi de finances. Les réformes ambitieuses qui devront, à terme, être menées sur ce dispositif s'appuieront sur les nombreux rapports dont nous disposons.
Je suis bien entendu favorable au « test PME » que vous évoquez. J'ignore si cela devra figurer dans la loi, et si des décrets seront nécessaires. Il importe avant tout que la déclinaison opérationnelle de ce test ne soit pas source de davantage de complexité ! Un bon moyen d'y parvenir est sans doute d'y associer étroitement les représentants des TPE et des PME. Ils sauront nous indiquer quelles sont les normes les plus problématiques à interpréter dans leur quotidien.
Monsieur Buval, les divers engagements de l'État que vous avez évoqués résultent d'amendements au projet de loi de finances. Nous comptons bien les voir aboutir, car nous sommes conscients de la situation difficile que traverse la Martinique, où le niveau de vie médian est déjà bien inférieur à celui de l'Hexagone. Votre dernière remarque m'est apparue comme un appel à davantage d'équité : vous pouvez compter sur mes services pour y répondre.
M. Serge Mérillou. - Votre long exposé préliminaire sur la dérive des finances publiques semble avoir pour conclusion le proverbe suivant : « Faites ce que je dis, mais ne faites pas ce que je fais ! » Le parti auquel vous appartenez est au Gouvernement depuis sept ans et, aujourd'hui, nous nous trouvons dans une situation quasiment inexplicable, avec un déficit public de plus de 6 % !
Le Premier ministre a indiqué que le PLF pour 2025 ne se ferait pas sans les collectivités ni contre ces dernières. Or, d'emblée, on nous annonce un prélèvement de 1,5 milliard d'euros sur le fonds vert. Cette énorme diminution empêchera les collectivités de réaliser les investissements nécessaires à lutter contre le changement climatique.
Vous chiffrez le prélèvement sur les collectivités à 5 milliards d'euros. Selon mes calculs, qui prennent en compte l'augmentation du taux de cotisation de la Caisse nationale de retraites des agents des collectivités locales (CNRACL) et les évolutions de la TVA, il serait plutôt égal à 10 milliards d'euros...
Le budget du conseil départemental de la Dordogne sera amputé de 10 millions d'euros ; celui de la ville de Périgueux, de 1,8 million d'euros. Après avoir privé les collectivités locales de la possibilité de prélever l'impôt, vous les avez mises à nu, et vous supprimez désormais leurs recettes.
J'espère que les amendements du Sénat permettront d'améliorer ce budget, qui pénalisera fortement les collectivités et les empêchera de faire faire face à leurs engagements, notamment en matière de lutte contre le réchauffement climatique.
M. Franck Montaugé. - Dans votre propos introductif, vous avez dressé une critique féroce des politiques menées depuis 2017 par les gouvernements précédents - politiques voulues et impulsées par le Président de la République lui-même, et que le Sénat a, unanimement, interrogées, voire remises en cause. Ces politiques ont plongé notre nation dans une très grande difficulté.
Au-delà du retour à l'orthodoxie budgétaire que vous souhaitez mettre en oeuvre, quelles orientations antérieures concernant l'industrie et plus généralement l'économie devrions-nous remettre en question ? La politique de l'offre, par exemple, est-elle terminée, ou envisagez-vous de la faire évoluer ? Quelles sont vos pistes pour une croissance qui allie compétitivité économique et engagement dans les transitions écologique, climatique et énergétique qui s'imposent à la France ?
M. Rémi Cardon. - Quel avenir entendez-vous donner au programme Territoires d'industrie, qui a été totalement amputé de son budget ? Ce dispositif devait permettre le maintien et la pérennisation des emplois dans les territoires concernés.
Deux exemples me paraissent assez révélateurs de ces enjeux dans mon département.
Premièrement, alors que votre prédécesseur s'était rendu dans une usine de Feuquières-en-Vimeu pour annoncer un plan d'action visant à produire 1 million de pompes à chaleur d'ici à 2027, l'usine Watts, qui fabriquait des composants de pompes à chaleur à Hautvillers-Ouville, commune de 500 habitants, est menacée de fermeture.
Deuxièmement, Valeo, sur son site d'Amiens, annonce chaque année la suppression de plusieurs dizaines d'emplois, laissant les salariés dans la plus grande incertitude.
Je vous demande donc de recevoir à Bercy les responsables syndicaux afin de mettre en oeuvre les trois mots clés annoncés par le Premier ministre - écoute, dialogue et respect. À l'échelon local, cet espace de dialogue doit se développer au sein des comités préfectoraux.
M. Henri Cabanel. - Votre tâche n'est pas facile, mais je suis un peu dubitatif sur la méthode. Comme mon collègue Franck Montaugé, j'ai du mal à comprendre vos véritables orientations. Vous comprendrez sans doute notre méfiance ! Il y a un an, nous écoutions un ministre présenter avec une grande certitude son budget et ses prévisions de croissance. Patatras ! Deux mois et demi plus tard, il fallait réaliser 10 milliards d'euros d'économies, puis 10 milliards de plus.
Ce matin, lors de la séance de questions orales, j'ai interrogé Mme Gatel sur le plan Destination France, qui concerne le tourisme nautique. À grands coups de communication, vos prédécesseurs avaient annoncé un budget de 20 millions d'euros. La ministre m'a répondu que les conventions de financement étaient en cours de discussion à Bercy. Qu'en est-il ?
Les entreprises entretiennent une forme de défiance envers le Gouvernement, en raison notamment d'un manque de lisibilité. La filière avait participé à la co-construction de ce plan, avec vos services. Elle est désormais dans l'attente de l'arbitrage de Bercy. Or, sur certains ports de plaisance, les subventions atteignent 1 million d'euros...
Les engagements pris l'année dernière par le précédent gouvernement seront-ils tenus ?
M. Daniel Gremillet. - Nous avons choisi de ne pas aborder la question de l'Arenh lors de l'examen de la proposition de loi portant programmation nationale et simplification normative dans le secteur économique de l'énergie, en jugeant que le budget serait l'occasion de traiter ce sujet.
J'entends que l'enjeu est de revenir à la fiscalité qui prévalait avant la crise sanitaire. Toutefois, la question de l'Arenh et du prix de l'énergie est stratégique pour la compétitivité de nos entreprises. Je crains que nous ne passions, par manque de temps, à côté d'un débat pourtant essentiel.
Par ailleurs, je veux vous alerter sur la fragilité du secteur automobile, notamment des sous-traitants. Autrefois championne mondiale du moteur thermique, la France est désormais à la traîne dans la production de moteurs électriques. Je ne dis pas qu'il faut tout remettre en cause, mais n'oublions pas que 85 % des Français ont besoin d'un véhicule pour se déplacer ! Or nous allons tout droit vers une fracture de la mobilité, et le malus prévu dans le budget pour 2025 marquera une véritable rupture avec l'immense majorité des Français qui utilisent quotidiennement leur voiture.
M. Antoine Armand, ministre. - Je m'excuse d'avance pour la concision des réponses que je vais apporter à cette dernière série de questions. Des compléments pourront vous être adressés ultérieurement par écrit.
Monsieur Mérillou, je ne crois pas que la situation soit inexplicable. Les diagnostics peuvent diverger, mais j'ai cité plusieurs facteurs relatifs, notamment, à la croissance et à l'emploi. Ne caricaturons pas notre situation. Entre 2019 et 2024, la croissance moyenne de la France atteint 3 %, quand celle de l'Allemagne est nulle ! Même si la comparaison a des limites, cette différence mérite d'être soulignée.
Malgré nos divergences sur la question des prélèvements, je fais preuve d'une très grande vigilance sur la situation des départements, qui subissent un effet ciseau. Je travaille avec Catherine Vautrin pour leur présenter les solutions les plus adaptées.
Monsieur Montaugé, entre 1990 et 2016, la France a perdu plus de 2 millions d'emplois industriels nets. Or, depuis 2016, on constate une création nette d'emplois industriels. Vous ne pouvez donc pas dire que l'on ne crée pas d'industrie.
En tant que ministre de l'industrie, je souhaiterais que les crédits du programme Territoires d'industrie augmentent ; mais, en tant que ministre des finances, je suis conscient de la forte contrainte budgétaire que subit mon ministère. La principale préoccupation est celle de l'offre et de la demande. Vous avez abordé la question de la stratégie énergétique et des pompes à chaleur. C'est la raison pour laquelle les crédits sur la rénovation énergétique, notamment pour les particuliers, sont maintenus.
Monsieur Cabanel, les prévisions de croissance pour 2024 devraient se révéler justes, même si ce n'est pas le cas des prévisions de déficit.
Bien entendu, nous devons respecter nos engagements concernant le plan Destination France. Des amendements au projet de loi de finances seront proposés en ce sens.
Monsieur Gremillet, concernant l'automobile, je réunirai un comité stratégique de filière afin d'améliorer les relations contractuelles entre les fournisseurs et les équipementiers, notamment dans un contexte où la réglementation Corporate Average Fuel Economy (Cafe) et le ralentissement conjoncturel pourraient faire émerger de nouvelles difficultés.
Enfin, je me tiendrai à la disposition du Parlement pour revenir sur l'Arenh et ses impacts sur l'industrie qui, je le sais, vous tiennent à coeur.
Mme Dominique Estrosi Sassone, présidente. - Monsieur le ministre, nous vous remercions pour vos réponses.
Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.
La réunion est close à 19 h 40.
Mercredi 6 novembre 2024
- Présidence de Mme Dominique Estrosi Sassone, présidente -
La réunion est ouverte à 9 h 40.
Audition de M. Alain Di Crescenzo, président des chambres de commerce et d'industrie (CCI France)
Mme Dominique Estrosi Sassone, présidente. - Monsieur le Président, mes chers collègues, pour commencer, permettez-moi de vous souhaiter la bienvenue au Sénat pour cette audition, qui devait initialement avoir lieu le 19 juin dernier. Elle a été reportée compte tenu de la suspension des travaux parlementaires à la suite de la dissolution.
Nous avons donc le plaisir de vous entendre aujourd'hui, pour la première fois depuis votre élection à la présidence de CCI France. En effet, depuis janvier 2022, vous êtes à la tête du réseau des 121 chambres de commerce et d'industrie (CCI), régionales, territoriales, locales et départementales.
Vous êtes vous-même un entrepreneur. Vous présidez un groupe dans lequel vous avez débuté votre carrière, IGE+XAO, qui est un éditeur de logiciels dédiés à la conception et la mise en service des systèmes électriques. Depuis 2018, cette entreprise fait partie du groupe Schneider Electric. Avant d'être le président de CCI France, vous en étiez le vice-président. Vous avez également été vice-président de la CCI Toulouse Haute-Garonne et président de la CCI Occitanie.
Nul besoin de présenter les CCI : je souhaite simplement rappeler la diversité de leurs missions. Les CCI accompagnent plus de 3,8 millions d'entreprises pour l'accomplissement de démarches administratives, notamment au niveau de la création et de la reprise d'entreprises. La loi leur confie aussi des missions d'intérêt général comme l'enregistrement des contrats d'apprentissage ou la délivrance de certaines cartes professionnelles. Plus largement, les CCI ont une mission d'appui et d'accompagnement « tous azimuts » des entreprises, qu'il s'agisse de soutien à la transition écologique et numérique, d'actions en matière de développement international des entreprises ou de formation professionnelle. Le réseau des CCI est le deuxième formateur après l'État, et nous savons combien la question des compétences est cruciale, notamment pour réussir la réindustrialisation.
Le contrat d'objectifs et de performance (COP) signé par CCI France et le ministère de l'économie en avril 2023 a formalisé ces missions prioritaires des CCI, en cohérence avec les politiques publiques portées par le Gouvernement. Elles sont ensuite déclinées au niveau régional. J'aimerais que vous nous exposiez comment ce volet de l'action des CCI s'articule, dans les territoires, avec celui des opérateurs de l'État comme Business France ou Bpifrance. Pourrait-on rechercher, selon vous, davantage de synergies ?
Puisque cette audition se déroule en parallèle de l'examen du projet de loi de finances pour 2025, je me permets d'aborder la question de la contribution des CCI à la réduction de la dépense publique. L'an dernier, le Gouvernement a prévu une trajectoire de réduction de 100 millions d'euros des ressources des CCI d'ici 2027, par le biais d'un prélèvement sur leur trésorerie, en contrepartie d'une stabilisation du plafond de la taxe pour frais de chambre. Or, cette année, compte tenu de la dégradation des finances publiques, le projet de loi de finances prévoit une nouvelle réduction du plafond des taxes pour frais de chambre de 40 millions d'euros. Quel impact cette trajectoire aura-t-elle sur le modèle économique de votre réseau ? Je pense par exemple au développement de nouvelles offres payantes.
Enfin, je souhaiterais profiter de cette audition pour vous interroger sur l'état des entrepreneurs français et notamment des petites et moyennes entreprises (PME), et des très petites entreprises (TPE). Vous avez une vision globale de ces entreprises et réalisez régulièrement des études sur le sujet. Ont-elles confiance en l'avenir ? Quelles sont leurs préoccupations premières ? Quel est leur degré d'implication en matière de transition énergétique ? Quel bilan faites-vous des Jeux olympiques pour les commerces ?
M. Alain Di Crescenzo, président des chambres de commerce et d'industrie (CCI France). -Madame la présidente, merci pour cette invitation qui, bien que reportée, arrive à point nommé, en raison des nombreux sujets qui nous occupent en ce moment. Je remercie également l'ensemble des sénatrices et sénateurs présents, dont certains viennent d'Occitanie. Je débuterai mon propos par quelques éléments d'histoire sur les chambres de commerce, leurs missions, leur empreinte territoriale ainsi que la transformation du réseau des CCI, qui est une véritable fierté pour nous.
L'histoire des CCI peut être résumée ainsi : Henri IV les a rêvées, Louis XIV les a créés, la Révolution les a décapitées, Napoléon Bonaparte les a ressuscitées et la Troisième République les a consacrées. En effet, Henri IV les a imaginées sous la forme des bureaux de commerce, dont le premier a été créé à Marseille. Louis XIV a créé des chambres de commerce dans chaque grande ville. La Révolution française a interrompu leur développement, en même temps qu'elle supprimait tous les corps intermédiaires de l'Ancien régime. Napoléon Bonaparte les a recréés en 1802 dans un format différent, avec un contrôle direct sur ces chambres, dont les présidents n'étaient pas des entrepreneurs ou des commerçants, mais des préfets. Enfin la Troisième République les a consacrées, notamment avec la loi Boucher, avec une gouvernance par des entrepreneurs, même si toujours sous la tutelle de l'État.
En ce qui concerne leurs missions, la première d'entre elles consiste en l'accompagnement des porteurs de projets et des entreprises, tout au long de leur cycle de vie, de la création jusqu'à la transmission, en passant par le développement. La deuxième mission porte sur la formation et la troisième réside dans la gestion d'infrastructures régionales, par exemple de grands aéroports - j'ai moi-même été président pendant quelques mois de l'aéroport de Toulouse-Blagnac. Nous nous sommes spécialisés dans ce type de gestion, avec cette priorité : la CCI doit non seulement couvrir des investissements sur ces infrastructures, mais surtout faire en sorte que les territoires soient irrigués grâce à ces infrastructures pour mieux se développer. La fin des infrastructures dans un territoire peut conduire à la fin de son existence.
Le réseau des 121 chambres de CCI de niveau régional et territorial couvre l'ensemble du territoire, dans l'Hexagone comme dans les outre-mer, avec une tête de réseau que j'ai l'honneur de présider. J'ai tenu, dans le cadre de la négociation que j'ai menée avec l'État sur l'organisation du réseau, à ce que nous ayons des chambres territoriales de plein exercice ; si d'aventure les CCI perdaient la connexion avec le terrain, elles ne serviraient plus à rien. Le réseau est animé par 9 000 chefs d'entreprises bénévoles et 14 000 collaboratrices et collaborateurs.
J'en viens à la transformation. De nombreuses évolutions ont eu lieu depuis Henri IV, en particulier les dix dernières années qui ont été marquées par deux transformations importantes.
La première transformation concerne la réduction des coûts. Le réseau n'a pas été épargné puisque le montant des taxes pour frais de chambre de commerce et d'industrie (TCCI) a été diminué en 2013, passant de 1,350 milliard d'euros à 525 millions d'euros. Cela a constitué une terrible « purge ». Les effectifs ont été réduits et sont passés de 25 000 collaborateurs à 14 000. Élu en 2010 à la chambre de commerce et d'industrie de Toulouse, je peux témoigner que nous avons fourni un effort certain pendant de nombreuses années. 1,350 milliard, c'était sans doute un peu trop, mais pour être tout à fait honnête avec vous, Mesdames et Messieurs, 525 millions d'euros, c'est juste. En outre, nous avions subi les périodes inflationnistes, puisque nos revenus ne sont pas indexés.
Lorsque Pierre Goguet était président de CCI France - j'étais alors vice-président -, nous nous sommes interrogés sur notre trajectoire et sur le maintien d'une dynamique auprès de nos collaboratrices et collaborateurs. Cette réflexion nous a conduits à lancer une seconde phase de transformation, portant sur l'ambition et la performance. Aujourd'hui, donc, le réseau des CCI fait partie des établissements publics qui « rendent le mieux compte », d'une part grâce à la publication d'indicateurs de performance, d'autre part grâce à l'analyse de ceux-ci par un institut tiers, Opinion Way. Cela permet de mettre en évidence les réalisations des CCI, notamment en termes de création de valeur. Rendre ainsi compte de nos activités a créé une nouvelle dynamique et de la fierté. Cela nous a aussi permis, jusqu'à l'an dernier, de négocier une trajectoire sans baisse de la TCCI.
Ces évolutions et transformations ont conduit au réseau actuel, dont je vais rappeler brièvement les cinq caractéristiques : un réseau dimensionnant, performant, impactant, économe et relutif.
En termes de dimensionnement, nous avons un grand pays dont il faut être fier, doté de 4,7 millions d'entreprises, dont beaucoup de microentreprises. Nous avons donc un grand nombre de clients à servir, ce qui nous oblige à adopter une organisation « industrielle » pour exercer notre mission d'appui aux entreprises. En 2024, le réseau a accompagné 1 139 000 entreprises et porteurs de projet.
Au titre de notre deuxième mission, nous avons formé 515 000 personnes, dont 140 000 apprentis ; nous sommes ainsi les deuxièmes formateurs en France après l'Éducation nationale.
Enfin, nous gérons 575 infrastructures régionales - ce qui est notre troisième mission.
En déplacement chaque semaine dans les territoires, je constate que le réseau est plébiscité, et est sollicité pour en faire plus. En 2023, le taux de satisfaction moyen de nos clients et le taux de recommandation de nos services étaient, tous deux, de 8,3 sur 10, d'après l'étude d'Opinion Way. Pour les collectivités, l'enquête révèle une satisfaction moyenne de 8,4 sur 10 et un taux de recommandation moyen de 8,5 sur 10. Ainsi, le réseau effectue un grand nombre de missions, et les réalise plutôt bien.
Quant à l'impact du réseau, il renvoie à la question si les CCI créent de la valeur, si elles sont utiles. J'ai étendu l'étude d'Opinion Way à cette question de la création de valeur, à l'aune de trois éléments importants : l'augmentation du chiffre d'affaires, la création d'emplois et l'investissement. L'étude de 2023 constate que 64 % des entreprises que nous avons accompagnées sur des périodes de trois jours à plus d'une semaine ont mis en oeuvre une action de transformation qui a conduit à une augmentation du chiffre d'affaires, de l'emploi ou de l'investissement : 23 % des entreprises ont investi en moyenne 67 000 euros ; 14 % en moyenne ont recruté (trois collaboratrices ou collaborateurs, en moyenne) ; 29 % ont réalisé une croissance de chiffre d'affaires d'environ 7,5 %, ce qui est sensiblement au-dessus de la croissance moyenne des entreprises.
Le réseau des CCI est également économe. Le montant de 525 millions d'euros que nous recevons de l'État, via les entreprises, correspond à un coût journalier de 320 euros par jour et par personne.
C'est enfin un réseau relutif, puisque pour 525 millions d'euros reçus annuellement, nous créons a minima de 2,86 milliards d'euros de valeur, soit un effet de levier de 1 à plus de 5.
Je suis un entrepreneur, mon entreprise était implantée dans 22 pays. À 35 ans, j'ai été le plus jeune président de société cotée. Fait original en Haute-Garonne, mon secteur d'activités n'était pas l'aéronautique, mais celui des logiciels. Mon constat est le suivant : raisonner « en moyenne » ne permet pas de travailler au plus près des territoires et de trouver les outils et remèdes appropriés aux maux de notre économie et de nos entreprises. Pour cela, il convient de réaliser une segmentation fine et se concentrer sur les territoires, ce qui revient à effectuer une sorte de « reverse engineering » (retro-ingénierie) consistant à partir des territoires, à comprendre leurs besoins dans leur diversité, pour ensuite identifier les meilleurs dispositifs pour les accompagner ainsi que leurs entreprises.
Le constat est simple, mais sa mise en oeuvre est complexe, d'où l'importance de conserver des réseaux à empreinte et impact territoriaux. Mon analyse se fondera sur une segmentation par taille et par activités. Tout d'abord, si on dénombre 4,7 millions d'entreprises en France, 3,5 millions d'entre elles n'ont pas de collaboratrices ou de collaborateurs ; 1,2 million entreprises emploient entre 1 à 9 collaborateurs ; 200 000 entre 10 et 49 ; 20 000 entre 50 et 249 ; 7 000 ont plus de 250 collaborateurs. Mon entreprise a connu tous les stades de développement, de la TPE jusqu'au grand groupe industriel. La situation d'une entreprise de milliers de collaborateurs implantés dans 22 pays n'est pas la même qu'une entreprise dépendante d'un territoire et entièrement immergée dans l'économie d'un pays.
J'ai choisi de vous parler de toutes les entreprises, à l'exception des plus grandes, car ces PME-TPE représentent à peu près 50 % de l'emploi et 25 % de la valeur ajoutée. Ces entreprises font face à trois problèmes : celui de l'endettement ou du manque de liquidités ; celui des marges ; celui de la croissance. Certaines sont même confrontées au cumul de ces trois difficultés, ce qui est particulièrement néfaste.
Permettez-moi de relativiser ce que je viens de vous dire et de l'objectiver. En matière d'endettement rapporté au PIB, les entreprises françaises sont celles les plus endettées d'Europe, avec un taux d'endettement de 139 % du PIB contre un taux de 96 % en Italie, 99 % en Allemagne et en Espagne, et 108 % en moyenne au niveau européen. Cet écart est significatif. Si la période Covid a permis de sauver des entreprises, l'entrepreneur doit tout de même faire face à cette dette.
En ce qui concerne les marges, les PME évoluent dans un environnement qui ne leur permet pas de fixer leurs prix. En cas de forte inflation, comme nous l'avons connue, le décalage entre l'augmentation des coûts d'un PME et sa capacité à fixer ses prix la conduit à réduire ses marges. Les études qui annoncent une augmentation des marges des entreprises françaises englobent les grands groupes et grandes entreprises internationales. Au contraire, les TPE et les PME implantées sur vos territoires ont été contraintes de réduire leurs marges. Lorsque les marges baissent, les entreprises tentent de combler le manque à gagner par le volume, mais il est actuellement impossible de faire jouer ce mécanisme, car il n'y a pas assez de croissance. C'est un problème majeur, car c'est la croissance qui donne la dynamique économique.
L'impact de ce constat se traduit, d'une part, par le nombre de défaillances d'entreprises, 64 000 selon les chiffres de septembre - le cap des 70 000 sera certainement franchi. D'autre part, les difficultés des entreprises entraînent un ralentissement de l'économie. Vous l'observez en termes d'évolution du chômage, de baisse des investissements et de baisse des coûts.
S'agissant de la segmentation des entreprises par types d'activités, certains secteurs souffrent terriblement, depuis longtemps, comme les secteurs de la construction et de l'immobilier, qui connaissent des baisses de mises en chantier et du nombre de transactions. Le commerce est depuis des années percuté par de nombreuses crises - gilets jaunes, grèves, inflation. Tout le commerce est impacté, avec récemment l'exemple d'Auchan. C'est également le cas de l'hôtellerie et de la restauration. Le dernier secteur qui appelle une attention particulière est celui de l'automobile, dont les difficultés sont nouvelles. Selon ses dirigeants, le rythme actuel du développement du véhicule électrique conduirait à une baisse de leur activité de 30 %, ce qui les impacterait très durement, ainsi que leurs sous-traitants. L'ensemble de ces secteurs requiert une attention particulière, car ils représentent 50 % de l'économie française.
Cela a un impact direct sur les CCI, qui n'ont jamais été autant sollicitées par les entreprises, qui leur demandent de l'aide. Or, en dépit de la digitalisation et des efforts fournis, nous ne parvenons pas à répondre à l'ensemble des besoins exprimés.
La situation est donc difficile. Je ne pense pas être un homme de mauvais présage en vous disant qu'elle va se compliquer. Aussi, afin d'y répondre, nous avons échangé avec les différents membres du Gouvernement et du Parlement et avons formulé quatre propositions : premièrement, maintenir notre capacité d'action, ce qui me conduira à évoquer le projet de loi de finances (PLF) ; deuxièmement, poursuivre la dynamique de performance ; troisièmement, agir sur le « premier kilomètre » des politiques publiques, avec des dispositifs qui correspondent aux besoins des territoires - c'était un de mes premiers points quand j'évoquais la territorialité ; quatrièmement, simplifier. À titre d'illustration, on dénombre 2 000 aides aux entreprises, dont un quart concerne l'environnement. Je sais que vous avez travaillé sur ce sujet, Mesdames et Messieurs les sénatrices et sénateurs. Le test PME d'évaluation de l'incidence de tout acte législatif sur les petites et moyennes entreprises me semble important, tant pour les lois françaises qu'européennes. Les CCI, qui sont en prise directe avec les entreprises, sont bien placées pour aider sur ces dispositifs.
J'en viens au PLF. Le terme de responsabilité est souvent évoqué. La première responsabilité, Mesdames et Messieurs les sénatrices et sénateurs, consiste à maintenir notre trajectoire budgétaire à travers le respect de l'accord négocié dans la loi de finances pour 2024, ce qui nous conduit à nous battre contre la baisse de 40 millions d'euros de la TCCI prévue dans le PLF 2025, qui représenterait la suppression de 600 emplois. Or en dépit de la digitalisation et du recours à l'intelligence artificielle qui seront mise en oeuvre, nous serons dans l'incapacité d'exécuter nos missions avec une réduction d'effectifs de 600 personnes. Les conséquences seraient graves.
En outre, cette baisse de la TCCI est injuste pour nos collaborateurs, qui ont déjà connu une réduction drastique d'effectifs de 25 000 à 14 000, et accomplissent leurs missions de manière exemplaire, et ils l'ont notamment fait pendant la période Covid. Ils font preuve de beaucoup de disponibilité pour répondre aux besoins des entreprises qui sont en difficulté.
Cette baisse est également injuste eu égard à la transformation que nous avons entreprise. Les rapports de l'Inspection générale des finances mentionnent que moins de 22 % des établissements publics comme les nôtres disposent de contrats d'objectifs et de performance ou des contrats d'objectifs et de moyens. Combien d'entre eux utilisent des indicateurs comme les nôtres ? Très peu.
Cette diminution de la TCCI est, en outre, antiéconomique. Avec un effet de levier de 1 à 5, enlever 1 aux chambres revient à enlever 5 en termes de création de valeur pour les territoires.
Enfin, le dernier point, qui est peut-être le plus important, est que cette réduction de la TCCI constitue un contresens, car qui peut répondre aux besoins des entreprises à part nous ? Il n'existe plus de services économiques dans les préfectures. Les collectivités territoriales font également face à des problèmes de budget. Nous sommes les derniers fantassins, des hommes et des femmes de terrain. Vous comprendrez donc que je ne peux pas me résoudre à dire « non » aux entreprises.
La deuxième responsabilité est celle du respect des engagements. Je ne demande pas plus. Nous voulons honorer l'engagement que nous avons a pris avec vous d'un prélèvement sur fonds de roulement de 100 millions d'euros sur 4 ans, avec 40 millions d'euros rendus à l'État d'ici la fin de l'année - les premiers versements ont été faits, puis 20 millions d'euros l'année prochaine, et les deux suivantes. Je réaffirme notre volonté de contribuer au redressement de notre pays, en dépit des difficultés économiques, avec les moyens qui soient les nôtres.
La troisième responsabilité est celle de travailler pour son pays. Je m'y suis engagé, en acceptant d'être président des CCI. Le combat que je mène dans le respect des institutions et des personnes est constructif. Nous traversons une période difficile. Mon métier est de convaincre et j'ai bénéficié jusqu'à présent d'une écoute attentive, y compris au niveau ministériel, y compris de la part du Premier ministre. Dans le cadre de l'examen du PLF pour 2025, la commission des finances de l'Assemblée nationale a adopté à l'unanimité notre amendement de suppression des 40 millions d'euros de baisse de la TCCI afin de revenir à la trajectoire initiale de réduction de 100 millions d'euros. J'ai bon espoir qu'il soit adopté en séance plénière à l'Assemblée nationale ainsi qu'au Sénat, avec votre soutien, car je sais que vous êtes très sensibles, non pas à ce que je vous dis, mais à ce que nous faisons.
J'en arrive donc aux propositions, que nous avions également transmises au précédent Gouvernement. Premier constat : nous sommes dans un pays où nous vivons un paradoxe, avec un taux de chômage important et des entreprises qui ne parviennent pas à recruter. C'est pourquoi, j'ai proposé une expérimentation sur trois départements représentatifs - un département rural et deux autres, un métropolitain et un ultramarin, consistant tout d'abord, dans un bassin d'emploi, à identifier les métiers sous tension ainsi que les entreprises qui recrutent, et à se tourner vers deux réservoirs d'embauche : les allocataires du revenu de solidarité active (RSA) et des jeunes au chômage récemment sortis de lycées professionnels avec une formation répondant aux besoins des entreprises. Il s'agit de créer une cohorte, formée aux « soft skills » (compétences générales : se lever le matin, venir aux rendez-vous, répondre aux questions, etc.), et bénéficiant de formations « métier », en appliquant ce qui fonctionne dans l'apprentissage, avec des tuteurs et de la médiation.
La deuxième proposition s'intitule « le + 1 ». Elle part du constat qu'on dénombre 3 500 000 microentreprises, dont 500 000 sont au seuil du recrutement. En accompagnant ces entreprises sur leurs perspectives, on peut les conduire à recruter une personne, permettant ainsi de transformer la microentreprise en entreprise et de pérenniser son activité. 500 000 emplois sont en jeu dans ce dispositif.
La troisième proposition porte sur la transmission et la reprise des entreprises. Vous êtes très sensibles à cette thématique. L'ancien sénateur d'Indre-et-Loire et président de la Délégation aux entreprises, Serge Babary, s'était emparé du sujet, mettant en première ligne les CCI. Nous sommes face à un mur qui pourrait devenir une catastrophe économique. 50 000 entreprises sont reprises chaque année ; le besoin s'élève à 150 000 ; le stock à venir d'entreprises à reprendre est de 700 000. Si nous ne trouvons pas de solutions pour la reprise des entreprises, vos territoires, Mesdames et Messieurs les sénatrices et sénateurs, deviendront des « no man's land ». Cela ne requiert pas beaucoup de moyens, car cela ne nécessite qu'un petit effet de levier et la capacité d'obtenir des prêts d'honneur. En revanche, cela demande des ressources humaines, car dans le domaine de la transmission d'entreprises, l'accompagnement par un tiers de confiance est plus important qu'Internet, en particulier pour les petites entreprises. Or, c'est l'objet même des missions des CCI. Je vous invite donc, ainsi que le Gouvernement, à vous intéresser à ce sujet primordial.
Une autre piste de réflexion est celle de la décarbonation et du « made in France ». La meilleure façon de décarboner l'économie consiste à produire chez nous tout en étant très pragmatique, avec des économies d'énergie et de processus. La décarbonation conduira également à s'assurer que le produit fini a un « score carbone »bas. De même que pour le nutriscore, bientôt, on ne consommera que des produits avec un « score carbone » A ou B. Nous avons adopté une approche très pragmatique sur la décarbonation des entreprises.
Le dernier axe de recommandations concerne les nouvelles technologies. En 1988, j'ai commencé une thèse sur l'intelligence artificielle (IA), que j'ai dû interrompre lorsque j'ai créé mon entreprise. À cette époque, la France figurait parmi les leaders mondiaux de l'IA. Elle disposait de laboratoires performants à Grenoble et à Marseille. Cette avance technologique a été perdue en quelques années. La France investit un à deux milliards d'euros par an tandis que les autres pays dotent ce secteur d'une vingtaine de milliards d'euros par an. Je suis convaincu, Mesdames et Messieurs les sénatrices et sénateurs que l'intelligence artificielle est positive ; elle constitue la quatrième révolution industrielle. C'est pourquoi nous lançons sur 2025 un plan IA pour les petites entreprises. Appliqué au métier de restaurateur, les prédictions issues de l'IA peuvent permettre de limiter les déchets. Elle peut aider à optimiser l'approvisionnement. Cela représente quelques petits pourcents de marge qui, au total, peuvent faire la différence entre un pays qui ne réalise qu'1 % de croissance tandis qu'un autre atteint 3 %. Les technologies d'IA « positive », c'est-à-dire maîtrisées, simplifiées, avec des éditeurs ou des fournisseurs de technologies fiables, peuvent permettre à nos entreprises, quelles qu'elles soient de progresser.
En ce qui concerne l'articulation de nos actions avec celles de Business France et de Bpifrance, la création de la Team France Export (TFE - Équipe de France de l'exportation) a été un élément extrêmement positif, alors qu'il y avait auparavant une multitude de guichets. Pour un entrepreneur pressé, comme nous le sommes tous, n'avoir qu'un interlocuteur est plus efficace. La TFE représente une seule enseigne ; les entreprises y sont bien identifiées et suivies. La vertu de la TFE a été d'imaginer un seul point d'entrée avec des interlocuteurs et acteurs différents qui communiquent tels que Business France, les chambres de commerce et d'industrie, Bpifrance, les régions de Franc, ainsi que d'autres partenaires comme les conseils du commerce extérieur. Sa réussite s'évalue à l'aune du nombre d'entreprises accompagnées, qui est passé de quelques 120 000 à 150 000. Pour autant, l'histoire n'est pas terminée, car notre balance du commerce extérieur est toujours déficitaire. Si nous voulons exporter plus, il nous faut produire plus de produits compétitifs en France - sachant que 80 % des exportations concernent des biens. Le redressement de la balance du commerce extérieur dépend autant des dispositifs de soutien à l'export que de la capacité à réindustrialiser notre pays et à produire en France. En l'état des choses aujourd'hui, le système de la Team France Export joue son rôle, mais nous avons relevé des points d'amélioration.
Dans le cadre de la Team France Export, les CCI préparent environ 3 000 à 4 000 entreprises pour qu'elles soient projetées à l'international. Cela nécessite, en amont, un millier d'opérations de repérage par an, à la découverte d'environ 30 000 entreprises. 80 % des activités de préparation et de projection sont effectuées par nos collaboratrices et collaborateurs. C'est beaucoup mieux qu'avant, même si cela est perfectible. Le relais est ensuite pris à l'international par les bureaux de Business France. Bpifrance intervient pour le financement et les assurances à l'export.
La Team France Export est par essence un sujet territorial : elle a vocation à donner les moyens aux territoires, et notamment aux régions.
Bpifrance finance notre économie à hauteur de 20 milliards d'euros par an, dont 10 milliards d'euros dans l'industrie, ce qui est fondamental. Les entreprises ont besoin d'être financées, et ce, au plus près des territoires. Quel est le rôle des chambres de commerce et d'industrie dans ce circuit de financement ? Dépourvues de capacité de financement, elles accompagnent, en revanche, les entreprises dans le montage de leurs dossiers, notamment pour la création du business plan et l'orientation vers le financement par Bpifrance, les banques ou vers les aides nationales qui peuvent exister.
Permettez-moi d'insister un instant sur le financement et sur la réindustrialisation. Nous avons craint que les TPE et PME ne puissent candidater et bénéficier du financement du plan France 2030. En 18 mois, nous avons pu accompagner 800 PME pour candidater, alors qu'aucune n'avait pu le faire auparavant. La raison de cette progression réside dans la simplification des dossiers, réalisée avec Bruno Bonnell, alors secrétaire général pour l'investissement, chargé de France 2030. En effet, un dossier de 50 pages peut dissuader une PME de candidater.
S'agissant des Jeux olympiques, l'enquête réalisée sur le « made in France », qui sera publiée demain, révèle bien sûr que ceux-ci ont été tout d'abord positifs pour l'image de marque de la France. La cérémonie d'ouverture, qui s'est pour la première fois déroulée dans un espace ouvert, a contribué au rayonnement de la France. Ces jeux ont mis en lumière le patrimoine français, la qualité d'organisation et la sécurité - point sensible et qui était loin d'être garanti. En outre, ces Jeux ont eu un impact bénéfique sur l'économie et sur la croissance, même si tous n'en ont pas profité. Ce petit surplus de croissance est bienvenu au regard des prévisions, qui ne sont pas bonnes. Enfin, l'impact positif des Jeux réside également dans leur héritage : les nouvelles infrastructures, stades et lieux d'entraînement permttent de répondre en partie au désarroi de certains jeunes.
M. Gilbert Favreau. - Ma question porte sur le financement des CCI de départements ruraux, qui provient de différentes sources qui sont prévues par un article du code de commerce. Le 11 octobre dernier, vous avez publié un communiqué de presse alertant sur l'annonce, par le Gouvernement, d'une nouvelle baisse des ressources publiques dévolues aux CCI, déjà fortement diminuées de 66 % en l'espace de 10 ans.
Les CCI en question jouent un rôle très important pour l'accompagnement de proximité des TPE et PME. Elles sont financées par une dotation des CCI régionales. Or l'arrêté du 6 mai 2019 fixe une dotation minimum en fonction de la population desservie, mais cette dotation, financée par la taxe pour frais de chambre, n'a non seulement pas évolué, mais, au contraire, a été considérablement réduite. La situation des CCI concernées n'est pas tenable. Qu'entendez-vous faire pour mettre un terme à cette situation ?
M. Daniel Fargeot. -Je m'interroge sur trois points dans le cadre de la situation économique que vous avez parfaitement exposée. Comment expliquer la contradiction entre une politique économique très « pro-business » ces dernières années et les tentatives régulières de déstabiliser les CCI ? Nous le savons, ces dernières sont les partenaires des entreprises et des entrepreneurs. Pour autant la loi PACTE (plan d'action pour la croissance et la transformation des entreprises) de 2019 a initié un certain nombre de réformes. Vous alertez sur une baisse de ressources alors qu'un accord avait été trouvé lors du PLF 2024 avec le Gouvernement sur une trajectoire régulière de contribution, jusqu'en 2027, à hauteur de 100 millions d'euros. Comment comprenez-vous ces « coups de griffes » de plus en plus récurrents ? Que comptez-vous faire pour sécuriser votre budget dans les années à venir ? Enfin, quelles sont les actions qui ont dû être arrêtées ces dernières années, faute de moyens suffisants ?
M. Bernard Buis. - J'ai une question concernant l'apprentissage. Avec le plan « Un jeune, une solution » et les aides à l'apprentissage, nous avons connu des records ces dernières années, avec près d'un million d'apprentis. Dans le contexte budgétaire actuel, des réflexions sur la pérennité et les modulations de ces aides ont émergé. Selon vous, comment doivent évoluer les aides à l'apprentissage ? Que doivent incarner les centres d'apprentissage à l'avenir ? Je m'interroge également sur l'avenir du « made in France ».
M. Alain Di Crescenzo. - S'agissant des chambres « rurales », j'ai milité pour le maintien des seuils évoqués lorsque j'étais président de la chambre de commerce de la Haute-Garonne. J'ai voulu la péréquation. Nous avons pu nous appuyer sur la loi sur les zones de revitalisation rurale (ZRR) pour fixer des seuils minimums de taxes pour frais de chambre. Il n'y a eu aucune baisse de ces seuils depuis la publication des tests de la loi ZRR et des quatre niveaux en fonction de la taille des CCI. Je m'assure périodiquement que chaque chambre ait son dû. L'avenir des CCI est particulièrement important dans les territoires autres que dans les grandes métropoles, puisqu'elles y sont seules et représentent le dernier soutien aux entreprises. Je me suis donc toujours battu pour que ces chambres existent et résistent. Notre pays est essentiellement un pays rural.
Quelle opération pourrait affecter ces seuils ? Ce serait le cas si la chambre de région réalisait des services pour le compte d'une CCI rurale et retenait la quote-part de ces services. Toutefois, je n'ai pas constaté, en dehors de ces quelques cas, que des chambres de commerce aient moins perçu que les seuils donnés. La question suivante pourrait être de déterminer si ces seuils suffisent. Sans doute que non, mais en situation de baisse générale, le maintien de leur niveau est crucial.
Concernant la contradiction entre les « coups de griffes » dans notre trajectoire budgétaire et l'environnement « pro-business », vous imaginez bien que je ne voulais pas prendre le poste de président de CCI France pour liquider les chambres de commerce ou conduire des plans de licenciement chaque année. J'ai accepté cette mission parce qu'elle me passionne et répond à une véritable utilité, encore plus marquée dans la conjoncture économique que nous vivons. Le contrat que j'ai scellé lors de ma prise de fonction était de démontrer l'impact du réseau. Le réseau, qui était déjà très actif, n'avait pas assez rendu compte pendant un certain nombre d'années, pour démontrer la valeur qu'il créait. Cela le mettait en porte-à-faux, dans une période de recherches d'économies. Depuis deux ans, notre création de valeur est bien établie.
Le sujet du PLF pour 2025 est intéressant. J'ai envie de croire que l'absence de gouvernement et le départ un peu vite précipité des lettres de plafond sont les causes de la situation actuelle. Toutefois, si la réduction de 40 millions d'euros est maintenue, je ne pourrai pas assumer mes missions ; il y aurait un « coup de canif » dans le contrat. Nous ne sommes qu'au stade de l'examen du projet de loi de finances. J'échange avec les députés, avec vous et le Gouvernement. J'espère que les arguments solides que je développe permettront de revenir sur cette disposition et d'agir en responsabilité ainsi que je l'ai évoqué.
S'agissant de l'apprentissage, passer de 300 000 apprentis à 850 000 n'est pas le fruit du hasard, mais de plusieurs facteurs. L'apprentissage est devenu une priorité nationale, qui a bénéficié de financements. Par-dessus tout, on a fait en sorte qu'il ne soit pas une voie de garage. Pas moins de 100 000 jeunes ont participé, dans toute la France, aux premières « Nuits de l'orientation » en 2010. Quand on parlait d'apprentissage, ce n'étaient pas les jeunes qui refusaient, mais leurs parents ! Le fait d'avoir ouvert l'apprentissage à l'enseignement supérieur a mis fin à l'argument de refus fondé sur la voie de garage. J'insiste, Mesdames et Messieurs les sénatrices et sénateurs, sur cet aspect : maintenez l'apprentissage dans l'enseignement supérieur.
Il faut bien entendu conserver les aides à l'apprentissage. Faut-il les moduler en fonction de la taille d'entreprise ou des besoins ? Des arbitrages sont sans doute nécessaires. Mais premièrement, ne faites surtout pas de ségrégation entre le supérieur et l'infra-baccalauréat. Deuxièmement, prenez en compte la territorialité : même si les effectifs des classes sont contraints, il faut faire des classes d'apprentis, car 10 apprentis supplémentaires formés, ce sont peut-être 10 entreprises qui seront sauvées parce qu'elles auront trouvé leur apprenti. Si cette formation n'est pas offerte à un apprenti dans son département, mais à 300 kilomètres de son lieu de vie, ce jeune y renoncera certainement pour des raisons financières. Les aides dédiées aux centres d'apprentissage doivent donc tenir compte de la territorialité. Gardez en outre à l'esprit que le coût d'un professeur dans les départements et régions d'outre-mer est 30 % ou 40 % supérieur à celui d'un professeur dans l'Hexagone. On ne peut donc pas avoir les mêmes tarifs partout.
Toutefois, on peut s'interroger sur l'absence d'évaluation de la qualité des centres d'apprentissage. Est-il est normal que certains centres d'apprentissage aient des taux de placement de 80 % et d'autres de 40 % ? Est-il normal que certains d'entre eux ne fassent quasiment que du virtuel ou du distanciel et d'autres du présentiel alors que tous percevront les mêmes dotations ? Non. Mes recommandations pour l'apprentissage seraient les suivantes. Maintenons les aides où elles sont nécessaires. Attention aux métiers sous tension qui requièrent un meilleur financement. Attention à la géographie, y compris aux territoires ruraux, et regardons la performance, via le taux de placement à 12 ou 18 mois. Nous sommes certes passés de 800 centres d'apprentissage à plus de 3 000, mais la qualité n'est pas au rendez-vous partout.
Il faut créer, d'une part, des passerelles entre les lycées professionnels et l'apprentissage, et d'autre part des plateformes communes (laboratoires de mécanique ou d'électricité) où les jeunes pourraient échanger. Cela permettrait de réaliser des économies, car il est inutile d'avoir deux laboratoires à quelques kilomètres de distance. Ces propositions ont été formulées auprès de la précédente ministre de l'éducation nationale.
S'agissant du « made in France », une étude bientôt publiée montre qu'en Chine, aux États-Unis, en Allemagne et en Italie, 75 % des personnes interviewées le plébiscitent pour deux raisons : la qualité et le niveau de gamme (le moyen et haut de gamme) - tout en reconnaissant que cette qualité a un prix. Il apparaît également que ces personnes voudraient en consommer plus, mais qu'il n'y en a pas chez eux, ou pas assez, ou pas encore assez visible.
Le « made in France » souffre aujourd'hui d'un manque de label. Il faut interdire de faire figurer le drapeau français sur un produit si ce n'est pas du « made in France » : à l'instar du label « Origine France Garantie » qui est clairement défini, il convient d'imposer des critères clairs pour autoriser l'apposition du drapeau français sur un produit au titre du « made in France ». Ensuite, il convient d'accompagner le « made in France » par une culture du « made in France ». J'illustrerai mon propos par une entreprise du Nord de la France qui commercialise des trottinettes sous le nom de « Plume », au prix de 1 200 euros chacune. La concurrente de la trottinette Plume est chinoise et est vendue au prix de 800 euros. La durée de vie de la trottinette Plume est deux à trois fois plus longue que sa concurrente chinoise. Tous ses composants peuvent être changés, y compris les cellules des batteries et sont fabriqués dans notre pays. En raisonnant en coût total d'acquisition et d'utilisation, ce qui relève de l'éducation et de l'accompagnement, le coût de la trottinette Plume est bien inférieur à celui du produit chinois.
Mesdames et Messieurs les sénatrices et sénateurs, il convient donc non seulement de faire en sorte de créer du « made in France », mais il faut éduquer notre pays, nos consommateurs sur le vrai coût d'un produit. Un grand nombre de produits français sont très compétitifs, car finalement moins chers à l'utilisation, en raison de leur qualité, durée de vie, et réparabilité. Vous avez une opportunité extraordinaire de faire entendre cette voix : c'est le Salon du Made in France, dont nous sommes partenaires, qui ouvre ses portes cette semaine.
Mme Amel Gacquerre. - Vous avez insisté sur l'enjeu majeur que constitue la numérisation pour les entreprises françaises - notamment pour les TPE et PME - en évoquant l'introduction aujourd'hui bien réelle de l'intelligence artificielle générative. Je souhaite pour ma part aborder un sujet d'actualité très coûteux : la cybercriminalité. Le fait qu'elle touche aujourd'hui non plus majoritairement les grandes entreprises, mais à 60 % les TPE-PME est un phénomène nouveau. Or ces dernières n'ont pas forcément la culture du risque en la matière et le coût annuel de la cybercriminalité en France a évolué de manière exponentielle, passant de cinq milliards d'euros en 2016 à 100 milliards d'euros en 2024. Aujourd'hui les CCI proposent des formations, mais je reste persuadée que ce n'est pas suffisant parce qu'elles manquent de moyens et de compétences. Quelles sont les perspectives et qu'envisagez-vous ? Il existe d'autres acteurs et il conviendrait, selon moi, de travailler en réseau avec des spécialistes comme l'Agence nationale de la sécurité des systèmes d'information (ANSSI) et la gendarmerie nationale. Comment vous positionnez-vous sur cet enjeu qui est une préoccupation forte des TPE-PME ?
Mme Marie-Lise Housseau. - Je voudrais tout d'abord vous remercier, Monsieur le président, pour votre exposé extrêmement positif et votre implication pour promouvoir la décarbonation et l'intelligence artificielle dans les PME. Ces enjeux sont importants et vous donnez une image prospective du réseau CCI France.
Je souhaite vous interroger sur les moyens mis en place par les CCI pour mesurer et évaluer l'efficacité de leur action sur la satisfaction des entreprises qu'elles accompagnent. Vous avez initié ce dispositif en 2021 et vous travaillez en partenariat avec l'institut d'études Opinion Way. Compte tenu du caractère inédit de ce type de démarche pour les acteurs publics, pouvez-vous nous apporter des précisions sur la méthodologie, les caractéristiques de l'échantillon ou encore le type de questions permettant de bâtir ce type d'évaluation et d'améliorer vos actions ? Et surtout, pensez-vous que ce principe d'évaluation de la performance, qui est édicté dans votre contrat d'objectifs, pourrait être dupliqué à d'autres entités publiques ou parapubliques afin d'améliorer la qualité du service public ?
M. Lucien Stanzione. -Vous avez évoqué à plusieurs reprises l'effort demandé aux CCI à hauteur de 40 millions prévu dans le PLF pour 2025. Le texte du Gouvernement préconise un mode de calcul permettant à chaque CCI de contribuer à proportion de sa puissance économique. Or il semble que CCI France envisage de proposer un amendement modifiant le calcul et rendant la contribution - notamment celle des petites CCI - beaucoup plus élevée avec un rapport de quasiment un à dix. Comptez-vous réellement proposer cet amendement et, si oui, pourquoi ? Le contraire nous réjouirait.
M. Alain di Crescenzo. - S'agissant de la cybersécurité, le sondage que nous avons réalisé auprès des entreprises révèle que leurs priorités en termes de transition digitale portent à 45 % sur le e-marketing et le e-commerce, et seulement à 17 % sur la cybersécurité. Il est donc primordial de mener des actions de sensibilisation auprès des entreprises, car la cybercriminalité constitue un risque réel contre lequel il n'existe pas de couverture totale, et très important à l'heure où les conflits s'enflamment - comme dans l'Est de l'Europe. Pour 2025, la cybersécurité et la digitalisation figurent donc parmi les trois priorités que nous avons retenues, en concertation avec la Direction générale des Entreprises (DGE).
Les cyberattaques sont nombreuses et touchent aussi les grandes entreprises, mais celles-ci sont en capacité de mieux rémunérer les « chasseurs de primes ». Nous proposons donc des modules de cinq jours pour former des référents cybersécurité en TPE-PME, capables de détecter les potentielles faiblesses de leur entreprise en la matière et de faire intervenir des spécialistes. Nous travaillons bien sûr en réseau et nous avons passé des conventions, notamment avec la gendarmerie et l'ANSSI avec lesquelles nous agissons en concertation.
Pour terminer sur le sujet de la cybersécurité, je préconise l'établissement d'un catalogue d'offreurs de solutions en la matière, listant les produits certifiés et labellisés, de la même manière qu'il existe déjà un répertoire des offreurs de solutions « Industrie du futur » géré par le réseau des CCI. Il s'agit d'homologuer des produits afin de pouvoir proposer à l'entreprise, une fois le diagnostic établi, non pas une, mais plusieurs offres dans le respect de la libre concurrence.
Concernant les moyens mis en place pour mesurer la performance des CCI, je préciserai tout d'abord que l'enquête annuelle porte sur un échantillon de 3 600 entreprises en France, déterminé par Opinion Way dont c'est le métier. Il s'agit d'une étude régionale consolidée au niveau national, réalisée auprès d'entreprises clientes et non clientes, conformément à la demande de la DGE. Sont également interrogées des entreprises qui payent le ticket modérateur s'appliquant à nos prestations. Nous n'avons d'interaction ni sur le panel, ni sur les questions posées. Celles-ci sont de plus en plus affinées : il convient en effet de s'assurer que la majorité de l'action a bien été menée par les CCI lorsqu'il s'agit de noter la création de valeur, et ce dans la mesure où un même dossier peut comporter plusieurs intervenants, comme c'est le cas en matière de cybersécurité avec plusieurs financeurs. L'expérience m'incite à penser que l'évaluation de la performance devrait être obligatoire : en effet, pour bien décider, j'estime qu'il faut objectiver la qualité de ses propres travaux et le meilleur moyen d'y parvenir est d'être évalué par un tiers. L'absence d'évaluation - contrairement à une mauvaise note - ne permet pas d'apprendre à améliorer ses propres performances.
Enfin, je vais répondre à la question relative à l'amendement que nous avons promu et qui a été examiné par la commission des finances de l'Assemblée nationale : il vise à substituer à la baisse de taxe pour frais de chambre d'un montant de 40 millions d'euros la trajectoire fixée en 2024. Ainsi, en lieu et place d'une réduction des ressources des CCI d'un montant de 40 millions d'euros, nous continuerions à verser à l'État les sommes prévues sur la période 2024-2027- 40 millions au premier versement et 20 millions pour chacun des trois autres - soit un montant total de 100 millions d'euros. Tel est l'unique objectif de cet amendement.
Mme Dominique Estrosi Sassone. - Je vous remercie, Monsieur le Président, pour cette audition qui va se poursuivre à présent sous la présidence de notre collègue Alain Chatillon.
- Présidence de M. Alain Chatillon, vice-président -
M. Franck Menonville. - Le département de la Meuse est à ma connaissance le seul département rural comptant une chambre de commerce interdépartementale - la CCI Meuse Haute-Marne - ce qui démontre le forte capacité d'adaptation du réseau des CCI. Je souhaiterais avoir votre sentiment et connaître votre vision sur les évolutions possibles de deux réseaux consulaires - les chambres de métiers et de l'artisanat (CMA) et les CCI - en termes de partenariat, d'adossement, de mutualisation, voire de fusion, pour en faire un outil consulaire renforcé et présent sur l'ensemble des territoires. Je ne connais pas la répartition nationale de ces deux réseaux, mais, dans mon département, ils comptent près de 50 % de ressortissants communs.
Mme Anne-Catherine Loisier. - Je voudrais d'abord saluer votre engagement en faveur d'une action sur l'ensemble des territoires. En effet, en tant qu'ancienne élue locale et comme nombre de mes collègues, j'observe qu'au cours des dix dernières années le partenariat avec les CCI, d'abord intense et très fructueux notamment dans les territoires ruraux, s'est désagrégé, et ce au détriment d'un fort potentiel de développement d'activités dans nos territoires. Je pense bien sûr à une filière qui m'est chère - la filière bois - sur laquelle la CCI est aujourd'hui absolument inopérante. Lors de votre venue en Côte d'Or, à Dijon, nous avions eu l'occasion d'échanger sur cette question.
Ma première question concerne le dispositif « Territoires d'industrie » au sein duquel les CCI ne sont plus impliquées aujourd'hui, et ce, malheureusement dans un certain nombre de cas, sans que l'Union des industries et métiers de la métallurgie (UIMM) ne prenne le relais. Par conséquent, comment envisagez-vous les questions industrielles sur l'ensemble des territoires ?
Je m'interroge aussi sur la péréquation et la dotation forfaitaire des CCI. Il semble que dans certains cas, le nombre de salariés de la CCI n'est pas suffisamment pris en compte : en effet, la dotation d'une CCI employant plus d'une centaine de salariés peut, finalement, être à peine plus élevée que celle d'une CCI ne comptant que quelques salariés. L'exercice n'est certes pas simple, mais les perspectives que vous avez évoquées et le risque de suppression d'emplois créent de l'inquiétude.
Enfin, concernant le risque cyber, il convient de préciser que les dommages ne se limitent pas à payer une rançon : les données clients des entreprises constituent des viviers particulièrement intéressants pour la cybercriminalité.
Pouvez-vous nous donner votre appréciation du rapport entre commerce physique et commerce en ligne et nous préciser comment évolue plus particulièrement le commerce en ligne ?
M. Daniel Salmon. - Dans l'enquête menée par CCI France intitulée « Ce que les Français pensent et attendent des entreprises en 2024 », la transition écologique apparaît comme une aspiration secondaire pour 26 % des personnes interrogées. Est-elle aussi secondaire selon vous à l'heure où l'Espagne vient de débloquer 10 milliards suite aux aléas climatiques qui ont touché Valence - et particulièrement les entreprises - et sachant que les polluants éternels et la pollution plastique sont partout dans notre environnement et nos corps avec des impacts cruciaux sur notre santé ? Comment les CCI accompagnent-elles les entreprises pour qu'elles s'engagent volontairement dans cette transition ? Enfin, vous avez parlé de décarbonation et évoqué une trottinette durable, effectivement tout à fait louable. Comment réindustrialiser en France sur la base de produits vraiment durables et prenant en compte la transition écologique ?
M. Alain di Crescenzo. - Tout d'abord, je profite de la question relative aux CMA pour rendre hommage à mon collègue Joël Fourny qui en est le président. Pour ma part, j'ai toujours été un homme de mutualisation et je pense qu'il faut travailler ensemble quand les activités se ressemblent. Le Contrat d'Objectifs et de Performance (COP) et les Contrats d'Objectifs et de Moyens (COM) des CCI préconisent la mutualisation. Je n'aurai donc de cesse de tendre la main aux CMA pour travailler davantage ensemble. À l'échelle nationale, le taux de ressortissants communs aux deux structures est de 50 % à 60 %, les bases CCI et CMA ne parvenant pas au même pourcentage. Hormis à l'international - domaine où les CMA n'ont pas ou peu de missions spécifiques -, nous avons effectivement des activités et des clients en commun, notamment dans le secteur de l'apprentissage, de l'accompagnement des entreprises et de la création d'entreprises. Il existe par conséquent des marges d'amélioration en matière de mutualisation.
La réindustrialisation de la France compte parmi les six grandes priorités des CCI, avec différents programmes dédiés.
Le premier a vocation à aider au développement de l'activité des entreprises françaises grâce à la plateforme CCI Business qui permet aux donneurs d'ordre de mettre en ligne des appels d'offres, plutôt que de recourir à des sous-traitants établis ailleurs dans le monde, et aux sous-traitants installés en France d'y répondre. Le premier grand client de cette plateforme est Électricité de France (EDF) - notamment sur les projets liés au « grand carénage » du parc nucléaire français. Vont suivre notamment la Société nationale des chemins de fer français (SNCF), le groupe Derichebourg et Gaz Réseau Distribution France (GRDF).
Le deuxième programme porte sur la création dans chaque région d'Accélérateurs de relocalisation. En effet, la meilleure façon de réindustrialiser consiste à relocaliser, et donc à faire revenir une activité qui existait localement, mais que nous avons laissé partir à l'étranger, pour différentes raisons. À l'époque, il n'était question ni d'empreinte carbone ni de risques importants liés à la chaîne d'approvisionnement tels que nous les avons connus pendant la pandémie de Covid-19. Or les temps changent : aujourd'hui, une majorité d'entrepreneurs qui ont délocalisé leur activité se pose la question de la relocaliser dans notre pays.
Le troisième programme est France 2030, qui est doté d'un budget de 54 milliards d'euros et qui doit servir à financer des projets pour développer des produits compétitifs. Pour en bénéficier, les grands groupes n'ont pas besoin de nous. En revanche, nous avons accompagné plus particulièrement les PME porteuses de projets à la fois innovants et durables afin de les encourager à candidater.
J'en viens à la question relative au programme « Territoires d'industrie ». Les visites de terrain effectuées dans le cadre de plusieurs tournées m'ont permis de constater qu'il existe indéniablement une dynamique industrielle en France. 54 CCI sont impliquées et associées sur les 183 territoires labellisés. Pour autant, il est légitime de se demander si nous sommes suffisamment présents. Mais nos moyens sont limités et nous faisons donc au mieux.
Pour répondre à la question portant sur la péréquation du nombre de salariés des CCI, il convient tout d'abord de préciser le montant de la TFC et notre clé de répartition interne. Nous disposons de 525 millions d'euros reversés par l'État, dont 20 millions sont consacrés au fonctionnement de CCI France. Sur les 505 millions d'euros restants, 30 % sont attribués en fonction du poids économique - à savoir un mixte entre le nombre d'entreprises et de leurs collaborateurs -, 30 % en fonction du poids historique et 30 % en fonction de la performance. Ce dernier indicateur est lui-même déterminé à 60 % par les rapports des préfets sur l'exécution de nos missions et à 40 % en fonction des opérations menées et appréciées selon nos propres critères sur la base des différents éléments fournis par les évaluations précitées. Enfin, les 10 % restants sont dédiés à la péréquation et à une réserve annuelle permettant de financer les décisions prises par CCI France en lien avec des facteurs conjoncturels - par exemple une épidémie - permettant aux chambres de commerce d'être au plus près des entreprises confrontées à des problèmes. Il n'existe effectivement aucun indicateur sur les salariés parce qu'il s'agit d'un choix de gestion. S'il n'est pas parfait, notre système est en revanche vertueux : en effet, rares sont les établissements publics qui, au-delà de l'évaluation de la performance précédemment évoquée, acceptent une clé de répartition avec une part de 30 % dédiée à la performance !
Quant au commerce en ligne, il constitue la priorité des entreprises que nous interrogeons. Aussi lancerons-nous en 2025 une action pour la digitalisation des commerces. En effet, ce secteur d'activité en France est prêt pour passer à une forme hybride. Le commerce en ligne offre l'opportunité de réaliser ce qui manque actuellement en termes de croissance et de marge : il est aujourd'hui avéré qu'il permet à une entreprise d'accroître son chiffre d'affaires de près de 10 %. Pour ce faire, il convient de former les commerçants notamment à l'utilisation des plateformes de mise en ligne et à la pratique du « click and collect » qui permet le retrait en magasin. Je tiens à citer l'exemple probant d'un torréfacteur de café ambulant rencontré sur le marché de Pibrac, en Haute Garonne, qui exerce son activité avec sa mère : lui aussi est parvenu à augmenter son chiffre d'affaires de 10 % grâce au commerce en ligne. Cela prouve que le commerce en ligne est accessible à tout le monde.
Enfin, je citerai quelques données chiffrées relatives à la transition digitale, notamment des commerces : nous avons proposé, au cours de la première année de mon mandat, des actions de sensibilisation d'une demi-journée à 120 000 entreprises et des modules d'accompagnement allant de deux jours à une semaine à 20 000 entreprises. Nous veillons à développer encore ce type d'actions pour répondre aux besoins du plus grand nombre.
S'agissant de la transition écologique et plus particulièrement de la proportion des personnes interrogées la considérant comme une aspiration secondaire, le taux de 26 % est trompeur : en effet, une grande vague de travaux a déjà eu lieu en matière de verdissement des entreprises. Auparavant, 80 % des personnes interrogées jugeaient plus importante cette transition et, sur les trois premières années du plan stratégique 2022-2027, nous avons déjà accompagné les entreprises les plus motivées pour répondre à leurs besoins en la matière. L'enquête menée suite à l'accompagnement des entreprises sur l'année 2024 montre qu'à 45 %, celles-ci souhaitent faire des économies d'énergie et font donc de la décarbonation leur priorité. 20 % des entreprises citent prioritairement la gestion de l'eau, 16 % la labellisation des initiatives et 12 % l'économie circulaire. Par conséquent, il nous faudra répondre à leurs besoins d'économies d'énergie et avoir la capacité de les aider dans le financement, d'où l'importance de garder de la flexibilité dans les budgets dédiés, puisque ce besoin concerne 45 % des entreprises.
M. Gérard Lahellec. - Dans les Côtes d'Armor, nous côtoyons une petite CCI qui s'engage, mais qui s'avère être aussi en grande souffrance. Il est bon de le reconnaître ici.
Comme vous, Monsieur le Président, je me félicite de votre ancrage territorial. En effet, c'est un avantage incomparable : il participe de la performance dont vous avez beaucoup parlé dans votre exposé liminaire. Parmi les éléments constitutifs de cette performance figure la réponse aux besoins des collectivités et tout ce qui découle de la loi du 13 août 2004 relative aux libertés et responsabilités locales qui a, par exemple, confié aux collectivités la gestion d'un certain nombre d'infrastructures portuaires et aéroportuaires. J'observe d'ailleurs que la presse de ces dernières semaines s'est fait l'écho d'un certain nombre de mouvements ou turbulences en lien avec les incertitudes liées à cette gestion. La mise en oeuvre de ces lois dites de décentralisation appelant souvent de l'initiative de la part des CCI - en concurrence parfois avec d'autres opérateurs -, comment utilisez- vous l'avantage performanciel qu'est votre ancrage territorial pour répondre encore mieux que quiconque aux besoins de ces territoires ?
M. Yves Bleunven. - J'ai beaucoup apprécié votre propos sur la simplification. Nous traversons une période-clé pour avancer sur ce sujet : c'est une période où « il n'y a plus de pognon » - comme dirait un certain président -, une période où il faut chercher des moyens financiers. Ceux-là ne sont pourtant pas très durs à trouver : les économies nous rendraient de la compétitivité tandis que des milliards et des milliards sont absorbés aujourd'hui par la complexification de notre pays.
Je souhaiterais revenir sur deux exemples très concrets déjà cités qui montrent qu'il est possible de mettre en oeuvre la simplification que tout le monde attend : d'une part, la simplification des organisations interprofessionnelles et des chambres consulaires grâce à leur réorganisation et leur mutualisation et, d'autre part, les économies réalisables au niveau des collectivités et des chambres consulaires. S'agissant des services économiques des communautés de communes ou des agglomérations, je pense que des gouvernances partagées permettraient de réaliser d'énormes économies et de gagner en efficacité. Il faut savoir appuyer sur l'accélérateur aux moments-clés.
Mme Martine Berthet. - Mon département, la Savoie, compte parmi les territoires caractérisés par une forte raréfaction des terrains dédiés à l'économie, où les intercommunalités compétentes utilisent de plus en plus leurs droits de préemption et proposent des baux emphytéotiques aux entreprises qui souhaitent s'installer ou s'agrandir. Qu'en pensez-vous ?
M. Alain di Crescenzo. - Pendant toute une période, notre tutelle nous a incités à nous désengager de la gestion des infrastructures portuaires et aéroportuaires. Nos résultats en matière de transparence et de performance ayant peut-être permis de rétablir la confiance, notre bonne gestion des petites infrastructures régionales est à présent louée. Il s'agit d'investissements à faible taux de rentabilité interne, le rendement étant destiné à réinvestir et non à verser des dividendes. Pour répondre à la forte demande, nous travaillons actuellement à la création d'un fonds national d'investissement abondé par l'ensemble des CCI, qui permettrait d'apporter des moyens tant financiers que de gestion des appels d'offres et de logistique. Pour chaque projet d'investissement, la CCI territoriale - qui connaît l'infrastructure - constituerait le véhicule ad hoc majoritaire, le fonds national agissant en qualité d'investisseur minoritaire. Nous avons d'ores et déjà des clients et nous sommes plébiscités par les élus - notamment en Bretagne où je me suis rendu récemment. J'espère que notre tutelle autorisera cette création d'entreprise qui pourra s'appuyer sur une structure existante dont les objectifs sont semblables, tout en bénéficiant d'une nouvelle et forte dynamique. Notre objectif est de mener à bien ce projet d'ici la fin de l'année.
S'agissant de la simplification, je préciserai tout d'abord qu'elle est déjà mise en oeuvre dans certaines collectivités. Néanmoins, celles-ci devraient plus utiliser les effectifs des chambres de commerce. Très souvent, ce sont nos équipes qui travaillent dans les agences de développement économique créées conjointement avec les collectivités. Certes, cela n'a pas force de loi, mais les contraintes budgétaires des collectivités faciliteront peut-être les rapprochements et nous y sommes favorables. 900 conventions ont déjà été signées avec des collectivités. Je rencontre en outre très régulièrement les élus, notamment au Salon des Maires, mais aussi par l'intermédiaire de Régions de France et Départements de France. Nous avons aussi conclu des partenariats avec les régions, les départements, des métropoles, des communautés de communes et des communes.
Quant aux baux emphytéotiques, ils me semblent être une bonne solution en matière de gestion du foncier. Certes, une étude récente montre que la majorité des entrepreneurs - comme les personnes physiques - préfère être propriétaire du foncier, mais l'objectif premier étant de développer une activité, les baux emphytéotiques permettent une disponibilité rapide du foncier - voire y compris des murs -, ce qui facilite le démarrage de l'activité. Je suis convaincu que les entreprises vont se saisir de cette opportunité. Une étude du Forum économique breton, en 2023, montre que la façon positive d'aborder la question est de repérer les entreprises existantes dont le foncier n'est pas utilisé, dans une perspective de mutualisation, afin de développer une activité économique qui ne pourra être que vertueuse d'un point de vue écologique.
M. Serge Mérillou. - Vous avez abordé la mutualisation avec les CMA. Pourquoi ne pas aller plus loin en réalisant aussi une mutualisation avec les chambres d'agriculture pour avoir une approche interconsulaire beaucoup plus forte ? Cela a été fait il y a quelques années dans mon département - la Dordogne - et nous en sommes très heureux. Les trois compagnies consulaires ont vendu leurs locaux historiques difficiles d'accès en ville et se sont regroupées au sein d'une « maison de l'économie ». Les moyens étant comptés pour chacune des trois compagnies consulaires, l'expérience s'est avérée extrêmement positive. Se regrouper ne signifie pas perdre son identité : c'est probablement être plus fort pour peser et aider les ressortissants des trois compagnies consulaires qui, souvent, travaillent dans les départements ruraux, ont des activités proches qui, quelquefois d'ailleurs, se percutent. Qu'en pensez-vous ?
M. Yannick Jadot. - Vous avez beaucoup parlé - et à raison - du « made in France ». Je souhaite, pour ma part, aborder la question de l'intégration dans nos marchés publics d'une préférence géographique qui correspond au « Buy European Act » à l'échelle européenne. En effet, une telle préférence géographique peut aussi être décidée à l'échelon régional. Les marchés publics représentent en France un volume d'environ 350 à 400 milliards d'euros, mais ce sont plutôt les grandes entreprises, et non les TPE, PME et ETI qui y ont le plus facilement accès. Or, au-delà des discours qui prônent la défense du « made in France » et parfois la préférence géographique, ni le Mouvement des entreprises de France (Medef) ni Bercy ne défendent en réalité au niveau européen le changement de nos règles sur les marchés publics. Comment discutez-vous de ces sujets avec ces deux interlocuteurs ?
M. Alain di Crescenzo. - J'ai insisté sur la question d'une mutualisation entre les CCI et les CMA parce que nous avons la même tutelle - le ministère de l'économie - et de nombreux clients en commun, ce qui est moins le cas avec les chambres d'agriculture. Néanmoins, je m'entends très bien avec Sébastien Windsor, président de l'Assemblée permanente des chambres d'agriculture et nous avons des programmes communs en matière de décarbonation et de méthanisation. Je suis par conséquent très favorable à une mutualisation avec les chambres d'agriculture, de même avec les collectivités.
Pour répondre à la question relative au « made in France » et aux marchés publics, je partirai du rôle précurseur de la CCI Toulouse Haute-Garonne dont j'ai été le président : elle a créé, il y a trente ans, un Club Stratégies Achat, dans un premier temps dédié aux acheteurs industriels au sein du berceau de l'aéronautique, puis ouvert aux acheteurs publics pour expliquer aux entreprises leur manière de rédiger les appels d'offres et exprimer leurs besoins. Je tiens à préciser que, parmi les critères retenus dans les appels d'offre que j'ai passés, figuraient systématiquement le prix et la qualité, celle-ci étant aussi évaluée en termes de proximité : l'évaluation de ce qui s'appelle aujourd'hui l'empreinte carbone y a donc été intégrée dès 2010. Je réfute d'ailleurs l'idée qu'ajouter des critères d'évaluation non financiers dans un appel d'offre fait monter considérablement le coût final.
Enfin, promouvoir le « made in France » nécessite d'éduquer notamment les acheteurs : rien n'interdit aujourd'hui à un établissement public de l'État de lancer un appel d'offres intégrant une composante de proximité. Ainsi formulé de manière neutre - et donc sans préciser qu'il s'agit de la région -, ce critère est recevable et constitue un élément de décision d'achat pour des raisons environnementales par exemple. Je ne suis pas certain que le critère de proximité constitue un risque juridique dans la mesure où les chambres de commerce et d'industrie - en tout cas celle que j'ai présidée -, avec ce système, ont acheté majoritairement français, généralement dans un rayon de quelques centaines de kilomètres autour d'elles.
Pour conclure, je tiens à ajouter que je ne peux me satisfaire du slogan « America first » lancé par Donald Trump : la France et l'Europe doivent être premières aussi et cela demande une volonté politique et de l'éducation.
Enfant des quartiers, j'ai pu faire des études supérieures et entreprendre grâce à la France. À mon tour, je souhaite me battre pour ce pays. Il me semble incompatible d'être attaché aux systèmes d'éducation et de protection sociale qui sont les nôtres et d'acheter systématiquement des produits fabriqués à l'étranger. En la matière, nous devons avoir une préférence nationale ainsi que pour l'économie circulaire et l'économie de proximité, dont les produits ne coûtent pas plus chers que ceux importés. Je suis un patriote français par mes achats aussi et j'encourage tout le monde à faire de même. Faire entrer des devises en France et garder les nôtres, de même que maintenir l'emploi permettent de créer de la valeur. Préserver l'emploi contribue aussi à maintenir des territoires en vie.
Je crois au « made in France » et il me semble important de tirer les leçons de la pandémie de Covid-19 et celles de la crise ukrainienne, car nous ne sommes pas à l'abri de nouvelles situations semblables.
M. Alain Chatillon. - Je vous remercie Monsieur le Président. Sachez combien votre engagement, votre compétence et votre volonté de réussir sont importants pour nous et combien nous tous avons apprécié vos interventions.
Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo, disponible en ligne sur le site du Sénat.
La réunion est close à 11 h 30.
- Présidence de Mme Dominique Estrosi Sassone, présidente -
La réunion est ouverte à 16 h 45.
Audition de Mme Annie Genevard, ministre de l'agriculture, de la souveraineté alimentaire et de la forêt
Mme Dominique Estrosi Sassone, présidente. - Madame la ministre, c'est un plaisir de vous accueillir pour vous entendre sur le traitement réservé à l'agriculture et à la forêt dans le projet de loi de finances (PLF) pour 2025 et, au-delà, sur la vision de l'agriculture que vous entendez défendre rue de Varenne.
Nous savons à quel point vous êtes sensible, de longue date, aux questions agricoles, du fait de votre ancrage dans un territoire connu pour produire du comté appellation d'origine protégée (AOP) et de la saucisse de Morteau indication géographique protégée (IGP).
Vous vous êtes tout de suite attelée à la tâche et vous avez adressé aux parlementaires un courrier récapitulant l'ensemble des mesures que vous avez prises en un mois et demi - elles sont nombreuses !
C'est d'autant plus à souligner que vous prenez vos fonctions dans un contexte qui n'est pas des plus aisés. L'année agricole a été catastrophique, si l'on en juge par les mauvaises récoltes dans les grandes cultures, la poursuite de la déconsommation en viticulture, les rétorsions chinoises sur les spiritueux et les crises sanitaires, qui ont été l'objet de votre premier déplacement, au Sommet de l'élevage, à Cournon-d'Auvergne. La fièvre catarrhale ovine (FCO) et la maladie hémorragique épizootique (MHE) ont en effet pris le relais, après trois années marquées par l'influenza aviaire. Une timide éclaircie apparaît néanmoins pour l'élevage : à la faveur d'un changement de pied de l'Allemagne, les perspectives de déclassement du statut de protection forte du loup semblent plus favorables. Pourrez-vous nous préciser le calendrier d'une telle évolution dans le cadre de la convention de Berne et de la directive Habitats ?
Par ailleurs, vous avez tout de suite été tenue comptable, par des représentants du monde agricole, des engagements pris par le précédent gouvernement, alors que les marges de manoeuvre budgétaires se sont considérablement réduites.
Enfin, nous pouvons le constater dans certains territoires, les braises de la crise agricole de l'hiver dernier ne sont pas encore refroidies. Nous sommes tous désireux d'apporter des solutions à cette crise ouverte il y a un peu moins d'un an.
Plusieurs moments parlementaires s'offriront à nous pour ce faire. Il y aura, en décembre et en janvier prochains, le projet de loi d'orientation pour la souveraineté alimentaire et agricole et le renouvellement des générations en agriculture (PLOA), qui, comme vous l'avez bien dit, « n'est pas la loi du siècle », mais qui comporte « des avancées attendues », notamment par les jeunes agriculteurs. Nous vous remercions d'avoir été constante dans votre souhait de mener à terme l'examen de ce texte, afin de capitaliser sur le travail considérable déjà abattu.
En décembre sera examinée au Sénat la proposition de loi visant à libérer la production agricole des entraves normatives de Laurent Duplomb et Franck Menonville. Nous attendons votre éclairage sur le contrôle administratif unique mis en place la semaine dernière. L'initiative de mes collègues est bien sûr complémentaire du PLOA, car, comme ils le disent bien, il ne suffit pas d'installer des jeunes en tant qu'agriculteurs : encore faut-il qu'ils souhaitent le rester.
Toutefois, le premier temps parlementaire qui s'offre à nous est le budget. C'est l'objet principal de cette audition. Sur ce projet de loi de finances, vous avez tenu les engagements, en matière fiscale et sociale, du précédent gouvernement - cela n'était pas gagné d'avance, compte tenu de la dégradation, entretemps, de nos finances publiques, et c'est tout à votre honneur. Sur le plan budgétaire, nous sommes toujours dans l'attente de la répartition précise des crédits de la planification écologique et du détail des mesures supplémentaires d'économies que le Gouvernement a annoncé prendre par amendement. J'espère que vous nous apporterez des précisions.
Mme Annie Genevard, ministre de l'agriculture, de la souveraineté alimentaire et de la forêt. - Madame la présidente, je vous remercie chaleureusement pour votre propos et l'expression de votre soutien, à un moment où l'agriculture connaît une conjonction de crises absolument inédite : crise sanitaire, crise météorologique, crise de rendement, crise climatique, crise de trésorerie, et, enfin, crise de confiance en l'avenir.
Cette convergence des crises est d'abord douloureuse pour nos agriculteurs, même si quelques filières et territoires sont moins touchés que d'autres, mais elle représente aussi un défi pour les responsables publics. Nous devons apporter des réponses précises, tout en donnant des motifs d'espérer de l'avenir. Sans cela, comment engager dans le métier les jeunes agriculteurs et ceux qui envisagent de le devenir ? Ce moment historique dans l'agriculture française doit nous conduire à adopter un esprit de responsabilité renforcée.
À mon entrée en fonction, il y a désormais près de cinquante jours, j'ai promis aux agriculteurs qu'ils seraient entendus. Depuis, j'ai agi en conséquence. Chaque fois que c'était nécessaire, je les ai reçus dans mon ministère. Dès mon arrivée, j'ai travaillé pour répondre à l'urgence, aux côtés du Premier ministre, avec des mesures concrètes.
Ce travail se poursuit désormais avec vous au travers de l'examen du projet de loi de finances, et c'est une chance. Je sais toute l'attention que vous portez à la ferme France, en tant que représentants de nos territoires et observateurs avisés des défis du monde paysan. Je veux saluer la qualité de vos nombreux travaux en ce sens. Notre récent débat sur la crise agricole l'a illustré.
Vous le savez, ce projet de budget a été préparé dans des conditions particulières, compte tenu de la situation politique, mais surtout de l'état de nos finances publiques. Vous connaissez aussi mon engagement : je ne serai pas de ceux qui fuient leurs responsabilités une fois nommés ministres ! Si le budget du ministère de l'agriculture, comme tous les autres, apporte sa contribution au redressement de nos finances publiques, j'ai obtenu qu'il fasse partie des plus préservés.
Compte tenu des crises et des enjeux auxquels fait face le monde agricole, nous devions, en effet, respecter quatre impératifs.
La première exigence qui a guidé l'écriture du projet de budget a été de tenir la parole de l'État. J'ai un grand attachement pour la parole donnée en politique. C'est pourquoi j'ai accordé une attention particulière à ce que les promesses faites aux agriculteurs en début d'année soient bien tenues et intégrées au projet de loi de finances. C'est pour cela, d'abord, que je voulais que nous renoncions à la réduction prévue de l'avantage fiscal accordé au gazole non routier (GNR). C'est un gage de stabilisation.
En matière de compétitivité, il ne suffit toutefois pas de préserver l'acquis. Nous devons aussi l'améliorer, comme cela avait été promis. C'est chose faite. Ainsi, 50 millions d'euros seront dédiés à l'augmentation, de 20 % à 30 %, du taux de dégrèvement appliqué à la taxe foncière sur les propriétés non bâties (TFPNB) sur les terres agricoles. Les préfets de région sont chargés de sa mise en oeuvre.
Alléger les charges de façon responsable, c'est également assumer de concentrer nos efforts sur les filières les plus en difficulté par un ciblage accru. C'est pourquoi nous proposons un avantage fiscal et social nouveau de 150 millions d'euros, destiné à la lutte contre la décapitalisation du cheptel bovin français et à son développement.
Pour cette même raison, nous avons inscrit dans le projet de loi de financement de la sécurité sociale (PLFSS) la pérennisation du dispositif travailleurs occasionnels-demandeurs d'emploi (TO-DE). Cet effort de 163 millions d'euros, qui s'ajoute aux allègements généraux, enlève un poids à nos filières les plus intensives en main-d'oeuvre, qui sont aussi celles qui créent le plus d'emplois. Nous avons également travaillé avec les députés pour éviter tout effet de bord lié à la réforme des allègements généraux.
Une fiscalité efficace doit adapter l'ampleur des charges à la conjoncture. L'effort de 14 millions d'euros pour exonérer à hauteur de 30 % la réintégration de la déduction pour épargne de précaution (DEP) en cas de sinistre climatique ou sanitaire va, à cet égard, dans le bon sens. Toutes ces promesses sont donc tenues.
Nous nous étions également engagés à prendre en compte, dans le calcul du montant des retraites agricoles, les vingt-cinq meilleures années. Il était question de faire démarrer ce dispositif au 1er janvier 2028. J'ai obtenu que cette bonne réforme ne se transforme pas en mauvais feuilleton. Aussi, cette réforme des retraites agricoles sera mise en oeuvre à partir du 1er janvier 2026.
Le deuxième impératif pour le PLF était de maintenir une certaine ambition, malgré le nécessaire redressement de nos finances publiques, et que celui-ci ne se traduise pas par un abandon de l'engagement financier de l'État en faveur de l'agriculture. Certes, ce budget est en baisse, par rapport à la loi de finances pour 2024, de 287 millions d'euros en crédits de paiement sur le périmètre du ministère, mais nous ne nous contentons pas d'observer l'évolution d'une année sur l'autre. En effet, par rapport à l'année 2023, le PLF 2025 affiche une hausse significative de 900 millions d'euros en autorisations d'engagement et de 700 millions d'euros en crédits de paiement.
Ce sont ainsi 6,79 milliards d'euros d'autorisations d'engagement et 6,6 milliards d'euros de crédits de paiement qui seront consacrés à l'agriculture et à l'enseignement agricole en 2025. Une fois intégrés, les financements européens de la politique agricole commune (PAC), pour 9,4 milliards d'euros, l'ensemble des dispositifs sociaux et fiscaux, à hauteur de 9,2 milliards d'euros, et les moyens du compte d'affectation spéciale « Développement agricole et rural » (Casdar), le budget consacré au développement de l'agriculture, de l'agroalimentaire et de la forêt en 2025 s'élève à 25,6 milliards d'euros.
Cette trajectoire, fortement haussière, est la clé pour tenir les promesses faites et aller plus loin pour préparer la ferme France aux défis de demain. À titre d'exemple, le projet de loi de finances permettra de porter le budget dédié à l'assurance récolte à 600 millions d'euros, conformément à la loi que vous avez votée en 2022 pour améliorer la résilience face au changement climatique de nos exploitations, et de maintenir l'ambition du Gouvernement en matière de planification écologique, avec un budget dédié d'un demi-milliard d'euros.
La répartition qui a été indiquée dans le projet annuel de performance correspond à celle qu'avait proposée mon prédécesseur. Elle a vocation à être affinée. Je vous transmettrai les éléments précis dans les prochains jours. En tout état de cause, il ne faut pas considérer que les lignes qui affichent zéro euro resteront à ce niveau.
Nous voulons également poursuivre le soutien des filières ultramarines, par 206 millions d'euros, et renforcer le dispositif TO-DE, grâce au relèvement du seuil de dégressivité de 1,2 à 1,25 Smic.
La troisième condition pour que l'effort budgétaire soit juste et accepté consiste à conserver des marges de manoeuvre face à des aléas toujours plus nombreux en cours d'année. Depuis mon entrée en fonction, je n'ai pas passé une seule journée sans qu'un nouveau problème surgisse, accompagné d'une demande de soutien, notamment budgétaire. Il nous faut donc garder des marges de manoeuvre ! L'année budgétaire n'est pas encore commencée.
Ainsi, cette année, d'importants moyens ont été déployés pour venir en aide aux filières les plus en difficulté : 80 millions d'euros pour le fonds d'urgence en viticulture, 50 millions d'euros pour le fonds d'urgence MHE, 105 millions d'euros pour l'aide d'urgence pour les agriculteurs en agriculture biologique. Encore très récemment, la crise sanitaire dans l'élevage a mené au déblocage d'un fonds d'urgence de 75 millions d'euros, que j'ai annoncé aux côtés du Premier ministre au Sommet de l'élevage, pour indemniser la surmortalité des animaux liés à l'épidémie de FCO de sérotype 3. J'en fais d'ailleurs l'annonce ici : ce fonds était initialement dédié à répondre à la crise liée à la FCO de sérotype 3, mais la flambée du sérotype 8 nous pousse à en élargir le périmètre. Il est donc primordial de conserver une capacité à adapter notre réponse.
Il en est de même pour la gratuité de la vaccination contre la FCO de sérotype 3, étendue à toute la France. Sans marge de manoeuvre budgétaire, nous aurions laissé les éleveurs sans soutien.
Enfin, et c'est le quatrième impératif, ce budget doit améliorer les perspectives du monde agricole, aujourd'hui comme demain. Pour cela, le projet de loi de finances prépare activement le renouvellement des générations. Pour inciter les nouveaux agriculteurs, il réduit les barrières à l'entrée. L'effort de 20 millions d'euros pour revaloriser trois dispositifs fiscaux favorables à la transmission d'exploitation à un nouvel installé y contribue.
Sur ce sujet aussi, le PLFSS est un complément nécessaire. En effet, l'attractivité des métiers repose aussi sur des choses très concrètes. Nous devons permettre aux agriculteurs de vivre dignement de leur retraite. Renouveler les générations, c'est aussi favoriser l'embauche des jeunes, donc la transmission des compétences. Nous allons dans ce sens en permettant, pour 25 millions d'euros, le cumul de l'exonération de cotisations sociales de jeunes agriculteurs avec les taux réduits de cotisations maladie et famille.
J'aimerais enfin évoquer avec vous plusieurs éléments qui me paraissent essentiels, même s'ils sortent du périmètre strictement budgétaire de l'audition.
D'abord, le Premier ministre m'a donné, ce lundi, son accord pour la mise en place d'un dispositif de soutien bancaire à la trésorerie dans toutes les filières. L'architecture de ce dispositif, qui répond à la demande des professionnels, sera simple. Elle est constituée par deux types de prêts. D'une part, pour répondre à des demandes conjoncturelles, nous créons un prêt à court terme pour lancer la campagne 2025 et limiter les trous de trésorerie - j'ai ainsi obtenu de l'État et des banques qu'ils consentent mutuellement à un effort substantiel pour la bonification du taux. D'autre part, pour répondre à des demandes structurelles, nous avons défini un autre type de prêt, avec une garantie de l'État d'au moins 50 %, ce qui fera mécaniquement aussi diminuer les taux. Il s'agit de répondre à des besoins de restructuration et de consolidation des prêts. Vous le savez, la viticulture a été à 80 % bénéficiaire des prêts garantis par l'État (PGE) octroyés dans le cadre de la crise liée au covid-19. Un deuxième PGE a été lancé en ce sens, mais il ne me semble pas pertinent d'en relancer un troisième. C'est dans cet esprit que nous instaurons ce second type de prêt.
Ensuite, je tenais à vous informer que, au regard de la crise sur les trésoreries, j'ai annoncé, ce lundi, lors de mon déplacement en Occitanie, une enveloppe supplémentaire de 20 millions d'euros pour la prise en charge des cotisations de la Mutualité sociale agricole (MSA), qui s'ajoute aux 30 millions déjà débloqués sur l'année 2024.
J'en viens au calendrier législatif du projet de loi d'orientation agricole. Toutes les mesures budgétaires devront être complétées par d'autres mesures législatives. Je pense tout d'abord aux dispositions du projet de loi d'orientation agricole examinées dans votre chambre prochainement.
Je ne peux laisser dire que le projet de loi d'orientation aurait pu être inscrit avant le mois de janvier, car ce serait mentir aux agriculteurs et manquer de respect au Sénat. Le texte prête évidemment à discussion et fera l'objet d'amendements. Pour que nous ayons un débat serein et de qualité, permettant à chaque amendement d'être discuté, un temps suffisant doit être prévu. L'idée que trois jours auraient suffi est non seulement illusoire, mais elle témoigne surtout d'un manque de respect pour le travail sénatorial d'enrichissement du texte, auquel je suis profondément attachée.
Le Gouvernement a donc choisi d'inscrire ce texte lors du premier créneau disponible au Sénat. Nous proposons d'en débuter l'examen dès le 14 janvier, afin que vous puissiez reprendre vos travaux en commission en décembre.
Je suis bien consciente que ce projet de loi d'orientation ne résoudra pas tout, mais pourquoi faudrait-il faire courir un risque à certains acquis fondamentaux ? Ce qui a fait l'objet d'un consensus doit prospérer, tout en étant enrichi par la chambre haute. J'ai comme vous le sentiment que ce texte a besoin d'être complété sur différents volets, et je salue à cet égard le dépôt de la proposition de loi de MM. Duplomb et Menonville. Le Gouvernement participera à la discussion, sans tabou. Et je suis sûre que les débats seront, comme toujours au Sénat, apaisés et constructifs, afin d'élaborer un texte sécurisé juridiquement, volontariste et capable de dégager une position majoritaire à l'Assemblée nationale - j'y veillerai.
Madame la présidente, vous m'avez interrogée sur la simplification. Depuis mon arrivée au ministère, j'ai consulté les principales formations syndicales et branches professionnelles. La simplification est sans aucune hésitation le sujet qui est revenu le plus fréquemment dans nos échanges. En particulier, j'ai constaté que les agriculteurs vivaient la multiplication des contrôles comme une marque de défiance à l'égard de leur métier.
Aussi, le contrôle administratif unique consistera en un contrôle effectué par un agent physiquement présent dans l'exploitation, au maximum une fois par an dans chaque exploitation. Ce dispositif inclut bien les contrôles administratifs opérés par l'Office français de la biodiversité (OFB). Pour ce faire, chaque préfet de département sera tenu d'organiser une mission interservices pour organiser le plan de contrôle. Sont exclus du contrôle administratif unique les contrôles judiciaires, fiscaux et ceux qui sont relatifs au travail. Cette annonce a reçu un accueil très favorable de la profession, et je veillerai au « service après-vente », si j'ose dire.
Je travaille sur le sujet du loup depuis longtemps. La quasi-totalité des départements de France connaît la prédation lupine. Ce problème ne concerne donc plus uniquement la montagne, le pastoralisme, la filière ovine - les bovins sont aussi concernés - ou le milieu rural, puisque le loup est aux portes de Paris. Pendant des années, j'ai supplié le Gouvernement de prendre position au niveau européen pour réviser le niveau de protection du loup, car il me semble que nous devons également veiller à celle des éleveurs et de leurs bêtes. Nombre de rapports ont été produits par des sénateurs et des députés sur le sujet.
Un événement a toutefois eu lieu ces dernières semaines, et il me semble qu'il ne faut pas en minimiser la portée : les États membres sont parvenus à un accord sur le déclassement du loup, qui deviendrait espèce protégée au lieu de strictement protégée. Cela nous permettra de renégocier la convention de Berne, qui protège strictement le loup, ce qui nécessite une majorité qualifiée, que nous obtiendrons. Lors de sa réunion de décembre, le comité permanent de la convention de Berne devrait ainsi se prononcer en faveur du déclassement du loup.
Vient ensuite la question de sa déclinaison communautaire, la directive « Habitats ». Pour trouver la majorité nécessaire à sa modification, nous allons sans tarder entamer un travail de lobbying auprès du Portugal, de l'Espagne et de l'Irlande qui, pour l'heure, sont hostiles au déclassement du loup.
Nous devrons aussi trouver un accord sur le volume des prélèvements. Une autre difficulté est que le comptage officiel ne correspond pas aux observations de terrain.
Je crois important de rappeler, mesdames, messieurs les sénateurs, que le monde agricole ne veut pas l'éradication du loup, pas davantage que le ministère de l'agriculture. Il s'agit simplement d'inverser la charge de la preuve et de penser à nos éleveurs, qui sont profondément attachés à leurs bêtes. Dans mon territoire, les attaques du loup contre les bovins sont d'une cruauté inimaginable. Je m'entretiendrai avec la préfète coordonnatrice très prochainement sur ce sujet. La prédation est un problème croissant. L'OFB m'a signalé, ce matin, que les animaux sont parfois dévorés au point de rendre invisibles les marques de la mâchoire du loup. Cela complique les indemnisations.
Pour conclure, les mesures d'économie supplémentaires auront un impact de 115 millions d'euros sur les crédits du ministère de l'agriculture, répartis entre le programme 149, pour 75 millions, le programme 206, pour 15 millions, le programme 143, pour 15 millions, le programme 142, pour 7 millions et le programme 215, pour 3 millions. J'y reviendrai en détail lors de la discussion budgétaire.
Ce projet de loi de finances est ambitieux. Malgré la période difficile, il poursuit l'effort budgétaire pour les transitions à l'oeuvre. La crise agricole nous impose d'être responsables et de travailler tous ensemble, avec l'intérêt de notre agriculture comme seule boussole.
M. Laurent Duplomb, rapporteur pour avis des crédits de la mission « Agriculture, alimentation, forêt et affaires rurales ». - Madame la ministre, je vous remercie de vos propos et vous félicite pour les travaux que vous avez déjà réalisés ces six dernières semaines. Nous entendons trop souvent qu'il faudrait sans cesse changer de méthode pour améliorer encore notre agriculture : je suis heureux que votre message soit différent.
Je vous remercie de tenir les promesses du Gouvernement par des actes concrets, d'abord au travers du projet de loi de finances.
Je vous remercie d'avoir renoncé à la hausse de la fiscalité sur le GNR.
Je vous remercie de l'augmentation du taux de dégrèvement de 20 % à 30 % sur la taxe foncière sur les propriétés non bâties.
Je vous remercie de l'exonération à hauteur de 30 % de la réintégration de la déduction pour épargne de précaution (DEP) en cas d'aléas sanitaires ou environnementaux. Je proposerai, dans mon rapport, d'étendre ce dispositif aux aléas économiques.
Je vous remercie de l'avantage fiscal et social pour lutter contre la décapitalisation du cheptel bovin, à hauteur de 150 millions d'euros. Il aurait été totalement injuste que les agriculteurs voient augmenter leur capital sans pouvoir le vendre, tout en subissant les conséquences fiscales afférentes.
Je vous remercie de l'entrée en vigueur prochaine de la prise en compte des vingt-cinq meilleures années dans le calcul du montant des retraites agricoles. Je sais que vous n'êtes pas responsable des difficultés qui demeurent sur ce point. De fait, à partir de 2026, ne pourront être réévaluées sur les vingt-cinq meilleures années que les retraites des agriculteurs ayant eu une carrière complète. Or 90 % des agriculteurs ont plusieurs pensions ; seuls 10 % des agriculteurs seront donc concernés. Mais c'est à la MSA qu'il reviendra de faire en sorte que le délai pour faire appliquer ce dispositif à la totalité des agriculteurs soit le plus court possible.
Je vous remercie du combat que vous avez mené sur le TO-DE. Le projet de loi de financement de la sécurité sociale (PLFSS) souffrait d'un très grand paradoxe. En effet, son article 4 pérennisait le TO-DE grâce au relèvement du seuil de dégressivité de 1,2 à 1,25 Smic, afin de mieux exonérer le travail saisonnier - ce que je réclamais depuis six ans. Or l'article 6, en diminuant les exonérations sur les charges au niveau du SMIC, en annulait tout le bénéfice ! Vous avez fait le travail nécessaire pour gagner vos arbitrages au sein de votre ministère et auprès de Matignon pour éviter ce paradoxe. C'est un signal positif envoyé à la profession agricole.
Je vous remercie de l'exonération concernant les jeunes agriculteurs. Voilà sept ans que je dépose un amendement identique pour permettre le cumul, par les jeunes agriculteurs, de l'exonération partielle qui les concerne spécifiquement, avec l'exonération de cotisations familiales et maladie pour les agriculteurs ayant un revenu inférieur à un certain seuil. Cela corrige une injustice qui avait pour effet que, dans certains groupements agricoles d'exploitation en commun (Gaec), les jeunes agriculteurs pouvaient payer davantage de cotisations à la MSA que leurs associés, pourtant âgés de vingt à trente ans de plus qu'eux.
Nous vous ferons des propositions sur le montant du programme d'accompagnement à l'installation et la transmission en agriculture (AITA), non pas en augmentant vos crédits, mais par la reventilation de crédits non consommés.
Je salue également vos propos sur l'ouverture du fonds d'urgence de 75 millions d'euros à l'indemnisation des agriculteurs touchés par la FCO 8, sans limiter son application aux ovins. Les agriculteurs en seront très satisfaits.
Je vous remercie encore de votre alerte sur la question sanitaire. Je ferai une proposition tendant à l'évolution des organismes chargés de cette question. Nous devons tirer des enseignements de l'épidémie de FCO et réfléchir à une nouvelle stratégie sanitaire, afin que la France, comme elle a su le faire à certaines périodes, se dote d'une vraie politique de protection, de prophylaxie, de surveillance dans le domaine sanitaire avec de véritables vétérinaires ruraux sentinelles, pour garder un maillage sur l'ensemble du territoire en zone rurale : nous n'en comptons plus que 6 500 et nous ne pouvons plus continuer à en perdre davantage.
J'en viens à un sujet sur lequel il n'est, cette fois, pas question de remerciements. (Sourires.)
M. Henri Cabanel. - On ne vous reconnaissait plus...
M. Laurent Duplomb, rapporteur pour avis. - Lors de votre discours d'investiture, vous avez dit : « Chaque fois que nous surinterprétons une norme européenne, nous nous glorifions d'être plus vertueux que les autres, mais, en réalité, nous nous tirons une balle dans le pied. Nous l'avons vu avec la filière de la betterave sucrière. »
Madame la ministre, la proposition de loi que j'ai écrite avec Franck Menonville répond à cette difficulté, mais aussi à celle de la surtransposition dans le domaine des phytosanitaires, des installations classées pour la protection de l'environnement (ICPE), ou encore de l'eau. Nous ne vous demandons pas de faire plus que les autres, mais seulement autant qu'eux. Il ne s'agit pas de « laver plus blanc que blanc » !
Vous avez aussi dit avoir une immense admiration pour la profession d'agriculteur. Ce métier, c'est le mien. La stigmatisation que nous subissons, les entraves, la concurrence déloyale des contraintes de libre-échange - j'espère, à ce titre, que nous refuserons le traité avec le Mercosur - ne sont plus tolérables.
Madame la ministre, inscrivez notre proposition de loi à l'ordre du jour de l'Assemblée nationale lors de la semaine du Gouvernement du 20 janvier 2025 !
En tant que rapporteur, je souhaite que le projet de loi d'orientation agricole soit un succès - c'est loin de l'être pour l'instant, mais notre travail permettra peut-être de parvenir à un résultat concret répondant aux besoins des agriculteurs. N'oubliez pas que, à partir du 15 novembre, ces derniers s'exprimeront bruyamment dans la rue.
Notre proposition de loi répondra aux attentes des exploitants et contribuera, je l'espère, à calmer leur colère, que ceux-ci résument en une phrase : « on marche sur la tête ».
M. Franck Menonville, rapporteur pour avis des crédits de la mission « Agriculture, alimentation, forêt et affaires rurales ». - Madame la ministre, nous faisons face à un exercice budgétaire peu aisé. Malgré tout, les engagements sont tenus dans ce budget.
Je concentrerai mon propos sur le renouvellement forestier. La forêt fait partie de l'intitulé de votre ministère : c'est un message politique important.
Je me suis attaché à évaluer la politique de renouvellement forestier, unanimement saluée, au cours de nos auditions, par la filière et dans les territoires. Celle-ci a reçu le soutien financier des plans France Relance et France 2030 ; depuis l'an dernier, elle a été budgétisée au sein de la mission agriculture.
Toutefois, la filière est également unanime pour dire qu'il lui manque 20 millions d'euros pour assurer la viabilité à la fois du renouvellement, du soutien à la filière graines et plants, de la montée en charge de la défense de la forêt contre les incendies (DFCI) ou encore de l'adaptation des scieries à de nouvelles essences. Le déficit commercial de la filière s'élève à un montant compris entre 8 et 9 milliards d'euros, soit 10 % du déficit total de notre pays.
Le temps long de la forêt impose de la prévisibilité et de la continuité ; tout doute affaiblit le secteur privé et le maillon de la filière, qui est fragile.
Nous croyons aussi que les effectifs de l'Office national des forêts (ONF) et du Centre national de la propriété forestière (CNPF) gagneraient à être stabilisés. Nos auditions ont montré que l'ONF bénéficiait d'un climat social apaisé. En outre, sa dette s'établit désormais à environ 230 millions d'euros, contre 400 millions d'euros il y a peu.
Seriez-vous prête, en lien bien sûr avec Bercy, à consentir à porter le total des sommes allouées à la forêt à 250 millions d'euros, dont 150 millions d'euros pour le renouvellement forestier ? Il s'agirait d'un investissement rentable !
En contrepartie, nous souhaitons vous présenter quatre pistes pour améliorer l'efficience de la dépense.
Premièrement, nous souhaitons que l'enveloppe de 150 millions d'euros garantisse le financement des forêts privées isolées et des communes forestières, fortement touchées par les scolytes.
Deuxièmement, nous voulons réduire le déséquilibre forêt-gibier, qui a ponctionné le fonds de renouvellement forestier à hauteur de 18 % pour les seules mesures de protection s'agissant des dossiers concernés. Dans mon département, en ajoutant les dégâts de gibier, ce taux s'élève à 50 %. L'argent public devrait être davantage mobilisé dans la reconstitution même de la forêt !
Troisièmement, nous entendons faciliter les dérogations aux arrêtés matériels forestiers de reproduction (MFR) pour permettre un approvisionnement en graines venant d'autres régions, voire d'autres pays européens, afin d'accélérer l'adaptation de la forêt face au changement climatique.
Quatrièmement, nous voulons sécuriser l'exercice des missions des entreprises de travaux forestiers (ETF), notamment par le biais de l'article 13 du projet de loi d'orientation agricole.
Madame la ministre, je salue votre engagement en faveur de ce texte et de la proposition de loi que j'ai rédigée avec Laurent Duplomb.
M. Jean-Claude Tissot, rapporteur pour avis des crédits de la mission « Agriculture, alimentation, forêt et affaires rurales ». - Comme mon collègue Laurent Duplomb, je vous remercie : merci de votre présence, madame la ministre.
Franck Menonville, Laurent Duplomb et moi-même essayons de dresser un tableau général de la résilience de la ferme France face aux crises, et un autre, plus spécifique, sur les crises sanitaires.
Un constat implacable se dessine au fil des auditions que nous menons depuis quelque temps : 1 euro investi dans la prévention et dans l'adaptation, c'est jusqu'à 7 euros économisés dans la gestion de crise.
Je ne m'attarderai pas sur la baisse de 64 % en autorisations d'engagement et de 50 % en crédits de paiement des moyens de la planification écologique, car nous ne sommes pas parvenus à un accord avec mes deux corapporteurs sur cette question. Le désengagement a d'ailleurs été souligné par le rapporteur spécial de l'Assemblée nationale, Vincent Trébuchet, qui a dénoncé des coupes budgétaires totalement arbitraires. On nous demande de trouver des économies : les dépenses d'adaptation au changement climatique seraient la mesure la plus intelligente et la plus structurante d'économies à long terme, car ces dépenses entrent dans la catégorie de celles qui rapportent !
Je voudrais toutefois recueillir votre avis sur trois propositions de traduction budgétaire du projet de loi d'orientation agricole. En effet, la résilience des exploitations face aux crises s'envisage dès l'installation.
Premièrement, on ne peut que déplorer la stagnation des crédits de l'AITA à 13 millions d'euros. Comme l'a esquissé Laurent Duplomb, nous voudrions les porter à 20 millions d'euros, éventuellement en récupérant les crédits de l'aide à la relance des exploitations agricoles (Area), dont la sous-consommation chronique finit par nous interroger.
Deuxièmement, nous voudrions traduire « l'aide au passage de relais » dans ce budget. Ce dispositif fait l'objet d'un large consensus, à la fois pour favoriser l'installation et pour donner une porte de sortie à des exploitants agricoles proches de la retraite en proie à des difficultés. Il devrait être introduit de façon programmatique dans le projet de loi d'orientation agricole.
Troisièmement, une ligne de la planification écologique consacrée au diagnostic carbone pourrait utilement être prolongée afin d'assurer le financement de ce que mes deux collègues entendaient renommer « diagnostics de viabilité économique et de viabilité des exploitations ». Cette ligne n'était programmée que pour une durée d'un an, mais elle a rencontré un fort succès, et le principe de la gratuité d'un tel outil, sous ce nom ou sous un autre, nous paraît indispensable.
À titre personnel, je souhaite en outre attirer votre attention sur deux points qui me semblent insuffisamment traités dans ce projet de budget. Le premier est la question des haies : il est prévu un rabotage de 80 millions d'euros du plan dédié. Cette baisse est difficilement acceptable, alors que le programme vient juste de commencer. Madame la ministre, le Gouvernement s'engagera-t-il de nouveau en faveur de ce plan ?
Le second est l'agriculture biologique : la troisième stratégie nationale bas-carbone (SNBC) fait actuellement l'objet d'une consultation publique. On prévoit un taux de 21 % de grande culture en bio d'ici à 2030, alors même que la tendance est au repli, qui se traduit par des déconversions à hauteur de 10,4 % en 2023. Comment pensez-vous atteindre cet objectif ? Est-il possible d'inverser la tendance ?
Mme Annie Genevard, ministre. - Monsieur Duplomb, merci pour vos remerciements ; j'y suis sensible.
J'ai bien noté votre proposition d'élargir le soutien aux aléas de nature économique. Au fond, nous y répondons par les deux dispositifs que je viens de décrire.
J'ai auditionné la MSA au sujet de la retraite des agriculteurs. À partir du 1er janvier 2026, les agriculteurs qui ne sont pas polypensionnés toucheront leur retraite, sur la base des vingt-cinq meilleures années - puis les autres, progressivement, d'ici à 2028.
Vous m'avez interrogée sur l'AITA. Hier, j'ai reçu au ministère les Jeunes Agriculteurs. Une mission d'inspection avait été demandée au sujet de l'installation et surtout de la transmission des exploitations. Le système actuel de l'aide aux installations a négligé la question de la transmission, donc la question du cédant. Le rapport, qui a reçu l'assentiment des Jeunes Agriculteurs, conduira sans doute à une modification de dispositifs fiscaux. Des changements prenant mieux en compte la situation du cédant seront dévoilés au cours de l'année 2025. Le cédant joue un rôle tout aussi important que le repreneur lors de l'acquisition d'une exploitation, d'autant que les repreneurs sont de moins en moins souvent issus du cercle familial : il faut donc se tourner vers les « non-issus du monde agricole », les Nima, envers lesquels les cédants ont parfois quelque prévention.
Monsieur Tissot, un amendement portant les crédits de l'AITA à 20 millions d'euros a été adopté par l'Assemblée nationale, conformément à l'engagement pris : nous ne pouvions nous cantonner à 13 millions d'euros.
Le Premier ministre et moi-même avons débloqué un fonds d'urgence de 75 millions d'euros pour tous les ovins et les bovins. Celui-ci s'applique sur les pertes directes, c'est-à-dire sur les mortalités. Le sénateur Duplomb se réjouit de ne pas amputer les crédits du fonds national agricole de mutualisation du risque sanitaire et environnemental (FMSE) grâce à la création du fonds d'urgence, mais ce n'est pas exactement ainsi qu'il convient de voir les choses. Les évaluations dressées par les professionnels de l'équarrissage montrent que l'enveloppe de 75 millions d'euros du fonds d'urgence est suffisante pour indemniser les pertes directes.
Créé voilà une dizaine d'années, le FMSE vise à répondre aux problèmes créés par les crises sanitaires. Il est abondé à 65 % par l'État et dispose de réserves importantes. Si l'on peut ne pas le solliciter, nous ne le ferons pas, mais c'est tout de même sa vocation première.
M. Jean-Claude Tissot, rapporteur. - Quel que soit le variant ?
Mme Annie Genevard, ministre. - Le fonds d'urgence doit être ouvert à la FCO de sérotype 8, car la mortalité est trop importante, tant pour la filière bovine que pour la filière ovine. Le calibrage du fonds permet de répondre aux besoins, aussi bien pour la FCO 3 que la FCO 8.
Je suis d'accord avec le sénateur Duplomb sur la question du maillage vétérinaire : la présence de ces professionnels en tout point du territoire est indispensable.
Je ne peux qu'être d'accord sur la question des transpositions : certaines décisions prises au Parlement, surtout à l'Assemblée nationale, sont irresponsables. Les surtranspositions entraînent des difficultés immenses pour certaines filières. Je pense à la filière noisette, qui ne dispose d'aucun moyen pour traiter sa production, contrairement à d'autres pays européens - cela fend le coeur...
J'ai tenu même ce discours pour la filière de la cerise. Que n'avais-je dit là ? Chaque producteur de cerises que je rencontre m'en parle. Nous avons surtransposé, ou plus exactement antéposé des dispositions prises par l'Union européenne trois ans plus tard, ce qui a fragilisé nos filières.
Il faudra revenir sur les surtranspositions, les produits phytosanitaires ou encore la question de l'eau, mais le combat sera très difficile.
Nous inscrirons le projet de loi d'orientation agricole à l'ordre du jour du Sénat à la mi-janvier. La proposition de loi de MM. Duplomb et Menonville sera examinée dès que possible.
Monsieur Menonville, vous avez salué la politique forestière du Gouvernement ; je vous en remercie. En 2025, les crédits seront maintenus et répartis entre l'amont, l'aval, les graines et plants et la DFCI.
Nous sommes parvenus à récupérer des emplois au profit de l'ONF, qui est en effet entré dans un cercle plus vertueux. Certes, 13 équivalents temps plein (ETP) seront supprimés au CNPF, mais le Centre bénéficiera malgré tout de 8 ETP supplémentaires par rapport à 2023.
Vous espérez 150 millions d'euros pour le renouvellement forestier ; je comprends votre position. Vous souhaitez résoudre le morcellement de la forêt privée, problème endémique dans notre pays. La réduction du déséquilibre forêt-gibier est un enjeu majeur. Je serai également attentive à vos suggestions d'amélioration sur la question de l'approvisionnement en graines.
Je suis très sensible à la question des scieries : il faut protéger notre outil industriel. Je suis également très attentive à la captation de la ressource par la concurrence étrangère. Les marchés sont très concurrentiels et très agressifs.
Monsieur Tissot, j'ai acquis, en quelques semaines, la conviction que notre système sanitaire ne fonctionne plus : nous sommes le nez dans le guidon, raidis dans l'attente de la nouvelle crise. Résultat : nous n'avons pas le temps d'anticiper ni de faire de la prévention. Il faut remettre les choses à plat. Mais cela suppose de convaincre les éleveurs de vacciner - encore faut-il que nous ayons des vaccins : notre pays compte un seul laboratoire, qui est incapable de produire des vaccins contre la FCO 8, car toutes les lignes de production sont mobilisées pour d'autres sérums. Deux laboratoires espagnols produisent également ce vaccin, mais ils privilégient leur marché national, ce qui est compréhensible.
Je réunirai début janvier des assises du sanitaire, qui regrouperont l'ensemble des acteurs, pour déterminer une vraie stratégie efficace.
Le pacte en faveur de la haie disposera de 30 millions d'euros, sans oublier les actions en cours, telles que la mise en place d'un observatoire de la haie, entre autres. En outre, l'article 14 du PLOA protégera la haie, tout en reconnaissant son caractère dynamique et fonctionnel.
M. Frédéric Buval. - La situation de l'agriculture dans les outre-mer est particulièrement alarmante. En effet, les mouvements contre la vie chère qui ont récemment ébranlé la Martinique sont principalement la conséquence de prix 40 % plus élevés que ceux de l'Hexagone. De tels écarts sont inacceptables.
Le protocole d'accord envisage plusieurs pistes d'action en vue de protéger les filières existantes et de renforcer l'attractivité de notre agriculture. Mais cela suppose un engagement sans précédent de votre ministère.
Le Gouvernement est-il enfin favorable à la réforme nécessaire du programme d'options spécifiques à l'éloignement et à l'insularité (Posei), de sorte que les petites exploitations de moins de 5 hectares, qui représentent 70 % des exploitations martiniquaises, puissent davantage en bénéficier ? Il faut une gouvernance partagée entre l'ensemble des acteurs.
De même, la question du foncier agricole, et plus particulièrement l'installation des jeunes agriculteurs sans terre, doit être soulevée. Dans un contexte généralisé de pénurie du foncier disponible et d'indivisions multiples, votre ministère envisage-t-il de soutenir les initiatives locales ? Je pense notamment à celle développée par la collectivité territoriale de Martinique, qui vise à reconquérir les terres agricoles en friche, ou encore à l'instauration de contrats territoriaux d'expérimentation agroécologique, dont le but est de permettre à davantage de jeunes Martiniquais de vivre dignement d'une agriculture rentable, saine et vertueuse.
M. Gérard Lahellec. - Madame la ministre, je vous remercie pour vos engagements visant à soutenir la trésorerie de certains établissements en situation délicate. Nous avons aussi été rassurés sur la vaccination. Je tenais à le souligner.
Cela dit, j'éprouve parfois des difficultés à distinguer les événements conjoncturels et les raisons structurelles. Vous avez parlé d'une « conjonction de crises » : cette expression me convient.
Nous évoquons de nombreux sujets au cours de notre réunion. Mais rien n'a été dit sur l'élevage, qui représente pourtant une composante essentielle de l'agriculture. La Bretagne est une région d'élevage, mais nous perdons à peu près 120 vaches par jour ! Le seul département des Côtes-d'Armor a perdu la production de 10 millions de litres de lait en un an. Et je ne parle pas là des conséquences éventuelles de la stratégie de Lactalis. Je crains que, d'ici 2027, nous ne nous trouvions à importer du lait, ce qui serait singulier. Seulement un tiers des départs des producteurs de lait sont compensés. Nous assistons à la végétalisation de nos terres. Or elles ne sont pas faites pour cela.
La production de volaille de chair chute de 10 %. Nous importons 50 % de la volaille que nous consommons. Le porc chute de 8 %. Cette spirale peut mettre en cause notre souveraineté alimentaire.
Quand l'argent public est rare, il est bon qu'il soit bien utilisé. Le découplage des aides est une mauvaise chose.
Le retour de la valeur ajoutée à la ferme me taraude. Fondamentalement, il ne se fait pas...
Sur l'ONF : peut mieux faire ! Sur l'enseignement agricole : même chose.
M. Daniel Laurent. - La viticulture française traverse une période de turbulences majeures. Entre les aléas climatiques, la baisse de la demande, les coûts de production élevés et les tensions commerciales internationales, la situation est de plus en plus critique, menaçant les savoir-faire traditionnels et la viabilité de nombreuses exploitations. Des milliers d'hectares sont en cours d'arrachage. Contre les parcelles abandonnées ou en friche, qui sont d'importants foyers de contamination par la flavescence dorée ou les maladies fongiques, la filière propose des sanctions contraventionnelles plutôt que délictuelles. Y êtes-vous favorable ?
Comment accompagner la diversification des viticulteurs ? Ils se heurtent à des besoins de compétences et de financements.
La filière souhaite une accélération de l'allègement des démarches administratives, l'alignement des transmissions viticoles sur le pacte Dutreil, l'officialisation de plants de vigne résistants - cela existe en Italie, en Espagne et ailleurs, mais pas en France.
La pression foncière dans les vignobles d'appellation engendre une déconnexion entre le prix du foncier et la rentabilité, amputant ainsi la capacité d'investir pour moderniser l'outil de production ou innover dans la transition agroécologique. Or la fiscalité est un levier indispensable pour pérenniser l'exploitation viticole familiale. Que comptez-vous faire pour alléger la fiscalité des transmissions familiales ? La vigne est un patrimoine.
Nous connaissons les problèmes avec la Chine, puisque nous avons reçu les professionnels la semaine dernière.
La menace de la taxe Trump est également une épée de Damoclès.
J'espère que le Gouvernement sera très actif !
Mme Annie Genevard, ministre. - L'État accompagnera, en 2025 comme en 2024, les filières locales dans le cadre du Posei, à hauteur de 15 millions d'euros supplémentaires, soit 60 millions d'euros de crédits du comité interministériel des outre-mer (Ciom) dans le PLF.
Le Posei pour 2025 prévoit, pour Mayotte, une aide à la commercialisation de volaille congelée produite localement, et, pour la Martinique, un soutien aux cultures locales découplé des volumes de production. Cette aide doit contribuer à la structuration des filières locales avec un objectif de diversification des productions locales et d'amélioration de l'autonomie alimentaire des DOM. Elle est coconstruite par l'État et la collectivité territoriale de Martinique.
L'essentiel des productions des territoires d'outre-mer est destiné à l'exportation. Il nous faut impérativement soutenir les productions locales pour la consommation locale, et, pour ce faire, accompagner la diversification des productions. C'est un axe stratégique majeur.
Monsieur Lahellec, le premier outil de soutien à la trésorerie est destiné au conjoncturel : une mauvaise récolte, un engin agricole coûteux qui casse. L'outil structurel est très différent : il s'agit de la consolidation de dettes. Ces deux outils s'adressent à des profils différents.
Les crises sanitaires ont décapitalisé par la mortalité. Beaucoup de régions aident à la recapitalisation en complément des aides d'État. C'est intelligent, car, en aidant l'éleveur à reconstituer son troupeau, on le projette vers l'avenir.
Oui, on pourrait manquer de lait, car notre consommation est soutenue. La décision de Lactalis nous a tous plongés dans l'inquiétude. Je suis ce dossier de près. J'ai reçu le patron de Lactalis il y a quelque temps et, dès le soir de l'annonce, j'ai travaillé avec Yohann Barbe de la Fédération nationale des producteurs de lait (FNPL). Lactalis s'est engagé à aider les producteurs de lait à trouver des laiteries. La FNPL est relativement optimiste.
Quand on ne compense pas les départs, on perd de la capacité de production de lait ou de viande, les terres se végétalisent et la vocation agricole du territoire change, en effet. Il nous faut encourager la compensation des départs. C'est tout le travail que nous menons avec les Jeunes Agriculteurs sur l'installation et la transmission.
En effet, la production de volaille et de porc baisse. On veut manger du poulet français, mais on ne veut pas de poulailler. Résultat : 80 % de la volaille consommée hors domicile vient de l'étranger. On doit restaurer un segment négligé : l'entrée de gamme.
La France s'est battue pour maintenir des aides couplées à la production. Elles représentent plus de 1 milliard d'euros dans le plan stratégique national (PSN), pour soutenir l'élevage via l'aide bovine et l'aide ovine. L'indemnité compensatoire de handicaps naturels (ICHN) contribue à hauteur de 1,1 milliard d'euros au soutien à l'élevage.
La compensation du handicap naturel a tout son sens en montagne. J'y suis très attachée.
Je combats avec la dernière énergie la fusion des deux piliers de la PAC, qui serait une catastrophe, puisqu'elle affecterait directement l'aide au revenu des agriculteurs.
Monsieur Laurent, j'étais en Occitanie hier et avant-hier. La filière viticole s'est organisée pour penser son avenir par l'arrachage définitif. L'appel à projets sera clos le 13 novembre. La demande n'est pas énorme : les viticulteurs hésitent à sauter le pas. On se battra pour l'arrachage temporaire, même si l'Europe n'y souscrit pas pour l'instant, car il est moins violent : on doit attendre sept ans pour replanter.
Comment accompagner la diversification ? Il faut éviter les erreurs stratégiques telles que la coriandre, qui a été un engouement sans marché. S'il y a diversification, il faut qu'il y ait marché. Il faut des débouchés : c'est une loi universelle de l'économie.
Je vous avoue que je ne connais pas le sujet de l'officialisation des pieds de vigne résistants. Je vais m'y pencher.
Les transmissions viticoles bénéficient déjà d'une exonération importante. Le seuil au-delà duquel l'exonération de 75 % ne s'applique plus a été fortement relevé ces dernières années. Il est passé de 100 000 euros environ à 300 000 euros, voire 500 000 euros si le bénéficiaire conserve le bien reçu pendant au moins dix ans. Enfin, au-delà de la limite de 300 000 euros, ou 500 000 euros éventuellement, l'exonération de droits de mutation à titre gratuit (DMTG) ne disparaît pas, mais s'applique au taux de 50 %.
Les friches constituent un gisement de pathogènes et un facteur de risque d'incendie. Il faut traiter ce sujet. On ne peut pas arracher les vignes sans penser au devenir de ces terres. Sinon, de grands désordres sont à venir.
Mme Marie-Lise Housseau. - Madame la ministre, vous êtes venue en début de semaine dans l'une des dernières fermes d'élevage du Lauragais, dans le Tarn. Vous avez pu y mesurer l'inquiétude des éleveurs. Nos élevages sont confrontés à la MHE et à la FCO 8.
En 2023, 44 % des élevages tarnais, soit plus de 600 élevages, ont été touchés, ce qui a rendu 10 000 vaches improductives. Les vaccins coûtent cher : 5,50 euros par vaccin, soit 1 500 euros pour une exploitation moyenne.
Vous avez annoncé l'achat de 2 millions de doses supplémentaires contre la FCO 3, en plus des 12 millions de doses déjà prévues, mais cela ne concernera que les départements en zone vaccinale, dont l'Occitanie ne fait pas partie. Les éleveurs du sud de la France craignent une politique à deux vitesses, où seul le nord de la Loire serait indemnisé. Vous avez dit être attachée à la prévention. Plutôt que d'indemniser les conséquences économiques de ces maladies, ne serait-il pas plus important de proposer une vaccination gratuite pour tous sur tout le territoire ? Ce serait le meilleur moyen d'éviter la propagation de la maladie et de faire cesser les pertes économiques.
M. Daniel Salmon. - Des amendements au PLF ont été votés à l'Assemblée nationale pour abonder de 100 millions d'euros les mesures agroenvironnementales et climatiques (Maec), simplement pour honorer la parole de l'État pour 2023. Soutiendrez-vous cet abondement ?
Par amendement, 100 millions d'euros ont aussi été ajoutés pour le plan Protéines, qui avait purement et simplement été supprimé, alors qu'il est essentiel à notre souveraineté.
Jean-Claude Tissot en a parlé : le pacte en faveur de la haie est passé de 110 millions d'euros à 30 millions d'euros. C'est un sacré coup de rabot sur les haies ! Au final, 20 millions d'euros ont été ajoutés par amendement. Qu'en pensez-vous ?
Que comptez-vous faire pour renforcer les organisations de producteurs qui se sont fait spolier par une décision unilatérale de Lactalis ? Vous dites que des efforts seront faits pour que personne ne reste en rade, mais c'est une question d'aménagement du territoire. Lactalis et d'autres veulent cantonner la collecte à proximité des centres de production et, demain, il n'y aura plus de collecte dans les territoires plus éloignés si l'on n'y prend pas garde.
M. Bernard Buis. - Qu'en est-il du statut des chiens de protection ?
Vous nous avez rassurés sur le fonds d'urgence, qui sera élargi à la FCO 8.
Le Rhône expérimente depuis plusieurs mois le service agricole unique, un guichet unique ouvert en juin dernier. Les professionnels de l'agriculture réclament plus de simplification. C'est aussi la raison d'être des guichets France Services Agriculture qui doivent être inaugurés en 2025. Que pourra-t-on en attendre ? Quel sera leur suivi ? Comment éviter la multiplication de guichets tiers, qui risquent de créer de la confusion ?
Mme Annie Genevard, ministre. - Madame Housseau, les vaccins existent pour seulement une des trois maladies : la FCO 3. Ils sont indisponibles pour les autres. C'est pourquoi nous avons établi ce cordon sanitaire, avec 2 millions de doses contre la MHE et la FCO 8, afin de les contenir dans une zone vaccinale.
J'ai annoncé l'extension de la gratuité à tout le territoire national. Mieux vaut prévenir qu'indemniser. Cela coûte moins cher budgétairement, mais surtout humainement, car le préjudice moral des éleveurs est considérable. Perdre la moitié de son cheptel, voire davantage, est un déchirement. L'éleveur découragé peut être tenté d'arrêter. Je ne suis pas sûre que la gratuité suffise à inciter à la vaccination... Il faut vraiment tout mettre à plat. Ce sera l'objet des assises du sanitaire.
Monsieur Salmon, le budget prévu répond aux besoins. Il est en baisse, mais c'est lié au fait que 75 % des contrats Maec, dans les autorisations d'engagement, étaient déjà souscrits pour cette année. Il en reste très peu à souscrire. C'est mécanique.
Les 110 millions d'euros du pacte en faveur de la haie avaient pour but de lancer la dynamique, avec des dispositifs, payés en 2024, de recherche, de formation ou de conseil. En 2025, nous renforçons le fonctionnement en triplant le bonus haie à l'écorégime, de 7 à 20 euros par hectare. L'ambition reste inchangée, et l'enveloppe d'amorçage de 2024 ne peut servir d'unique référence.
Je suis d'accord avec vous sur Lactalis : il faut renforcer les organisations professionnelles. Deux types de producteurs sont concernés par le repli de Lactalis : les organisations de producteurs (OP) et ceux qui ont contractualisé directement avec Lactalis. Autant on a de la visibilité sur les OP, autant c'est plus compliqué pour les producteurs indépendants qui ont contractualisé directement. J'espère que, à la faveur de cet épisode, ils comprendront qu'on est plus fort dans une OP.
Ma crainte est exactement que les producteurs situés loin des sites de transformation soient en danger. Toute ma vigilance se porte sur eux.
Les crédits du plan Protéines sont prévus en 2025. Je vous en transmettrai la répartition très prochainement.
Monsieur Buis, le statut des chiens de protection est une demande parfaitement légitime. Il faut éviter les injonctions contradictoires. On oblige les éleveurs à avoir des patous pour toucher les aides, mais on les poursuit si ces chiens provoquent des nuisances.
Mesurons le PLOA à sa juste valeur. À l'article 1er, l'agriculture est reconnue comme intérêt fondamental de la nation. Juridiquement, cela pèse dans les conflits opposant les agriculteurs à certains. Le projet de loi comporte des volets sur la formation, l'installation, l'entretien des haies, la dépénalisation des atteintes non intentionnelles et non définitives à l'environnement. Il est faux de dire qu'il n'y a rien dans le PLOA.
France Services Agriculture est une avancée du PLOA à laquelle je suis très attachée et qui va dans le sens d'une simplification, en créant un guichet d'accueil et d'information unique par département pour toutes les personnes qui souhaitent s'installer ou transmettre leur exploitation. Il est crucial que ce guichet unique soit géré sur tout le territoire de la même façon, afin d'assurer transparence et équité de traitement à tous. Ces guichets devront respecter un cahier des charges très strict.
M. Christian Redon-Sarrazy. - Début octobre, la Fédération nationale des syndicats d'exploitants agricoles (FNSEA) et le syndicat Jeunes agriculteurs se sont félicités du projet de loi de finances présenté en Conseil des ministres, en s'en attribuant d'ailleurs la paternité, tout en regrettant que certains engagements de l'État pour le renouvellement des générations pris après les mobilisations du printemps dernier aient été abandonnés, en particulier la revalorisation, de 13 à 20 millions d'euros, de l'enveloppe de l'AITA, ainsi que des mesures d'accompagnement des cédants et d'aide à la transmission des exploitations à de jeunes repreneurs.
Face au défi démographique du secteur, le renouvellement des générations ne peut être dissocié du foncier agricole. Engagerez-vous des travaux sur une loi foncière, indispensable pour relever le défi de la pérennisation de notre modèle agricole ?
Êtes-vous prête, madame la ministre, à reprendre à votre compte la proposition de création d'une nouvelle école vétérinaire publique à Limoges, qui bénéficie d'un très fort soutien de la région Nouvelle-Aquitaine et de toutes les parties prenantes locales ?
M. Henri Cabanel. - Depuis quelques années, je défends un amendement au PLFSS pour que les cotisations des agriculteurs soient payées sur l'année n, comme cela avait été décidé pour les indépendants et les non-salariés dans la LFSS 2022. Nombre de syndicats, dont le syndicat majoritaire, sont d'accord avec moi, tout comme des dirigeants de la Mutualité sociale agricole. Êtes-vous prête, madame la ministre, à soutenir un tel amendement ?
Quand on a voté la loi sur l'assurance récolte, on espérait un taux de pénétration auquel nous ne sommes pas parvenus. Je crains que, si rien ne change, des gens ne s'assurent plus, parce que la moyenne olympique n'a pas bougé depuis l'accord de Marrakech de 1994. Quelle est votre stratégie pour convaincre vos collègues de réviser cet accord, de manière à tenir compte des nombreux aléas climatiques ?
Il manque un volet foncier au PLOA. L'article du texte initial sur les groupements fonciers agricoles d'investissement (GFAI) a été supprimé par l'Assemblée nationale. Êtes-vous favorable à sa réintroduction ?
M. Franck Montaugé. - Êtes-vous favorable à un fonds d'accompagnement à la restructuration des coopératives agricoles en difficulté ? L'êtes-vous également à l'extension du TO-DE aux coopératives, dont les coopératives d'utilisation de matériel agricole (Cuma) ?
Lors d'un récent débat au Sénat, vous avez déclaré être ouverte à la reconnaissance des externalités positives de l'agriculture. Au-delà des Maec, êtes-vous favorable à des expérimentations de mise en oeuvre de paiements pour services environnementaux (PSE) ? Le Sénat a introduit ce concept dans le code rural et dans le code forestier il y a quelque temps. Comme vous, je suis attaché aux ICHN. N'oubliez pas les piémonts ! Dans le Gers, la révision de la carte a fait beaucoup de mal, alors qu'il était pleinement justifié que certains territoires y demeurent. Il a fallu que certains aillent au tribunal pour y être réintégrés. C'est d'autant plus justifié dans un contexte d'évolution des territoires et de changements culturaux.
Mme Annie Genevard, ministre. - Comme je l'ai dit, nous avons rétabli les 20 millions d'euros de l'AITA.
Les intérêts sur le foncier se percutent. Le rapport de mon inspection sur l'installation et la transmission qui a été remis hier, dont je vous ai parlé, montre que le poids du foncier dans l'actif agricole est de plus en plus faible par rapport à tout le reste, qu'il s'agisse des bâtiments ou des machines. J'en ai été très surprise, et cela m'a conduite à relativiser l'importance du foncier dans la transmission, que je jugeais capitale. C'est également un élément de réflexion pour les Jeunes Agriculteurs eux-mêmes, qui étaient présents hier. Cela ne signifie pas que le foncier m'est indifférent, notamment la question de la financiarisation des terres. C'est pourquoi nous n'avons pas voulu du GFAI dans le PLOA. Nous avons de bons outils, comme les sociétés d'aménagement foncier et d'établissement rural (Safer). La tendance à l'agrandissement est parfois justifiée, mais pas toujours. Sans foncier, pas d'agriculture.
Je comprends l'enjeu de la nouvelle école vétérinaire. Les étudiants ont actuellement un fort tropisme pour les soins vétérinaires aux chiens et chats. Un rapport du Conseil général de l'alimentation, de l'agriculture et des espaces ruraux (CGAAER) sera bientôt présenté à ce sujet. Nous vous en dirons davantage à ce moment.
Monsieur Cabanel, les agriculteurs bénéficient déjà d'une assiette triennale pour lisser les mauvaises années. On ne peut pas opter pour l'année n quand cela arrange !
M. Henri Cabanel. - Il y a le calcul sur l'année n-1 ou l'assiette triennale, mais sur l'année n, cela n'existe pas.
Mme Annie Genevard, ministre. - La moyenne olympique ne dépend pas de nous, mais de l'Organisation mondiale du commerce (OMC). Il est clair que c'est un sujet.
Le GFAI a été supprimé du PLOA, car on craignait la financiarisation des terres. Le sujet sera sûrement abordé à nouveau.
Monsieur Montaugé, je suis très attachée au fonctionnement coopératif, qui est très vertueux. Il y a de la place pour tout le monde en agriculture, les indépendants comme les coopérateurs. Dans la viticulture, les coopératives sont en grande souffrance. La décapitalisation engendrera moins de vin, donc répartira la charge de la coopérative sur moins d'exploitants. Cela rend nécessaire une réflexion stratégique sur le regroupement des coopératives. Vous plaidez pour un fonds d'accompagnement ; c'est sans doute légitime.
M. Franck Montaugé. - Il n'y a rien de spécifié. Nous ferons une proposition par amendement. Ce serait bien que l'on trouve des fonds d'accompagnement.
Mme Annie Genevard, ministre. - Si la somme de 120 millions d'euros n'était pas consommée en totalité sur l'arrachage, je ne verrais a priori pas d'obstacle à en convertir une partie sur des instruments structurels, mais je ne peux pas trop m'avancer à ce stade. En outre, j'ai pris le parti que ce soit à la profession de dire quelles orientations elle souhaite.
Les Cuma sont très utiles, mais elles n'offrent pas un volume d'emplois considérable.
M. Franck Montaugé. - Il n'y a pas que les Cuma. D'autres coopératives n'ont pas accès au TO-DE.
Mme Annie Genevard, ministre. - On a déjà beaucoup rehaussé le TO-DE.
Une rencontre sur l'expérimentation du PSE doit être organisée rapidement entre votre conseillère et mes équipes, monsieur Montaugé.
Je viens de la montagne. Elle apporte beaucoup d'aménités positives et rend beaucoup de services environnementaux. Les ICHN sont aussi faits pour reconnaître l'apport de la montagne au reste de la nation ! Il serait évidemment souhaitable que les aménités positives soient rémunérées. J'avais plaidé pour une bonification pour services environnementaux rendus à la nation dans les dotations aux collectivités territoriales. Je vous avoue que mon succès a été relatif. Vous connaissez les contraintes budgétaires... Au reste, on peut considérer que chaque territoire apporte des aménités positives.
Enfin, la révision des ICHN a posé beaucoup de problèmes. Des jugements étant en instance, je ne peux pas me prononcer davantage.
M. Guislain Cambier. - Madame la ministre, je souhaite vous interpeller sur les distorsions de concurrence au sein de l'Union européenne. Dans le territoire frontalier qu'est le Nord, un jeune agriculteur est obligé de prendre un cabinet de gestion pour remplir le dossier de la direction départementale des territoires et de la mer (DDTM), là où, en Belgique, il n'y en a pas, de perdre beaucoup de temps à remplir son cahier d'épandage déconnecté des variations climatiques, alors que celui qui est mis en place en Belgique est beaucoup plus pratique, d'attendre un tampon de la DDTM depuis fin janvier pour avoir des subventions sur l'irrigation, là où son voisin belge obtient automatiquement 40 % sur son achat de matériel, de louer un foncier acheté et sous-loué par ses voisins belges, de subir les compensations environnementales des aménagements urbains qui n'existent pas en Belgique, et enfin il ne peut pas utiliser les mêmes produits phytosanitaires que ses collègues wallons. Et je ne parle pas de la FCO, détectée en Belgique depuis le 10 octobre 2023 et que tout le monde voyait venir...
Pour donner de la visibilité à nos jeunes, plaiderez-vous pour une politique agricole commune forte, avec des outils de régulation renforcés et un article 44 de la loi Égalim enfin appliqué ?
M. Daniel Gremillet. - Merci, madame la ministre, de votre action concrète de ces dernières semaines, qui suscite l'enthousiasme dans le monde rural.
Il est vraiment temps de mobiliser en totalité le Casdar, qui est exclusivement alimenté par les cotisations des agriculteurs, en faveur de l'agriculture.
Quand la France aura l'ambition de faire de la prophylaxie sanitaire dans la forêt, ce qui a été une réussite dans l'élevage, il faudra vraiment une commande à l'Institut national de recherche pour l'agriculture, l'alimentation et l'environnement (Inrae) pour une expérimentation. C'est très important pour l'avenir de nos massifs forestiers.
Nous savons tous que la propriété forestière privée est une ressource à mobiliser. Il faut une ambition forestière plus affichée.
Nous sommes frappés par le besoin de renouvellement des générations dans les entreprises de travaux forestiers, comme en agriculture. Il faut faire entrer des jeunes et assurer un tuilage. Nous avons mis beaucoup de moyens pour régénérer la forêt, et nous aurons besoin de beaucoup d'actes de sylviculture.
Je vous alerte : avec Anne-Catherine Loisier, nous travaillons sur Égalim, et nous voyons que la ferme France - les agriculteurs, mais aussi les entreprises agroalimentaires - sont en train de perdre pied. Nous ne sommes plus capables d'être compétitifs dans l'alimentaire. Or nous devrions pouvoir nourrir l'ensemble des populations et être compétitifs pour l'ensemble des produits.
Vous n'avez pas de chance, madame la ministre, car, à peine arrivée, vous cumulez les gros dossiers. Dès la mise en oeuvre de la loi Égalim, certains d'entre nous avaient dit de ne pas rester dans notre bulle française en oubliant ce qui se passe en Europe.
Enfin, il y a eu une proposition de résolution européenne sénatoriale très forte sur les nouvelles techniques génomiques (NTG). Nous devons garder notre souveraineté semencière en France et en Europe pour répondre aux besoins d'évolution de l'agriculture face au changement climatique.
Mme Viviane Artigalas. - Ma question porte sur l'abondement au régime spécifique d'approvisionnement (RSA), qui compense les surcoûts liés à l'éloignement des territoires ultramarins pour l'importation des matières premières entrant dans la production d'aliments pour animaux. Alors que tous les professionnels de l'agriculture réunionnaise se sont engagés dans le plan régional pour la souveraineté alimentaire portée par les services de l'État, ils s'interrogent sur le possible désengagement du Gouvernement de ce dispositif pivot. Depuis 2013, le quota d'importation subventionné par le RSA est resté plafonné à 190 000 tonnes. Dans le même temps, la consommation locale et les besoins se sont considérablement accrus, portés par la croissance démographique et les changements de modèles de consommation.
La Première ministre Élisabeth Borne s'était engagée, en 2023, à La Réunion, à soutenir les filières agricoles ultramarines et à abonder le RSA de 6 millions d'euros. Le gouvernement qui vous a précédé souhaitait prendre en charge seulement 4 millions d'euros, laissant 4 autres millions à la charge des collectivités territoriales, ce qu'elles n'acceptent pas. Un amendement à hauteur de 8 millions d'euros a été adopté en commission des affaires économiques à l'Assemblée nationale il y a quelques jours. Le Gouvernement souhaite-t-il soutenir, par un abondement de 8 millions d'euros, l'engagement quotidien des agriculteurs ultramarins, encourager la sécurité alimentaire de millions de Français qui habitent dans ces territoires et contribuer à l'amélioration de leur pouvoir d'achat, alors que le coût de l'alimentation est jusqu'à 40 % plus cher que dans l'Hexagone ?
Mme Annie Genevard, ministre. - Monsieur Cambier, vous habitez à côté de la Belgique. J'habite à côté de la Suisse. Nous vivons la distorsion de concurrence au quotidien, en matière d'emploi, mais aussi sur les terres agricoles.
Même à l'intérieur de l'Union européenne, les politiques nationales rendent l'agriculture différente selon les pays. On met parfois bien du poids sur les épaules de nos agriculteurs, en leur imposant beaucoup de choses. Il nous faut aller vers la simplification et l'allègement des normes. Quand il y a trop de normes, on perd le sens de leur hiérarchie. Certaines, importantes, doivent être conservées. L'une des premières mesures de simplification que j'ai suggérée au Premier ministre, c'est de ne plus tenir compte de dates préétablies pour épandre. Quand les champs sont inondés, on ne fait pas passer un engin, ni pour épandre, ni pour semer, ni pour récolter. Les agriculteurs travaillent avec la météo et la nature. Nous devons aussi nous adapter à eux et leur éviter de devoir s'adapter à des normes dont ils ne comprennent pas le sens. Il appartient au préfet, dans son pouvoir d'appréciation de l'application de la norme, de dire que là, à l'évidence, ce n'est pas possible. Je plaide pour qu'il soit le pilote de la politique de l'État au niveau départemental.
L'application de la directive européenne relative aux nitrates s'est traduite par le programme d'actions national 7 (PAN7), qui se décline dans les régions par les programmes d'actions régionaux 7 (PAR7). Personne n'y comprend rien. On a demandé aux préfets de région de réunir autour de la table un représentant de la profession, un représentant des ONG et les services de l'État, et qu'ils rendent intelligibles des textes qui ne le sont pas. En attendant la parfaite intelligibilité de la règle, voyons avant de réaliser des contrôles !
M. Guislain Cambier. - On l'a vue arriver : elle est venue de Belgique. On l'a signalée. Il fallait anticiper quand le cheptel était dans les étables.
Mme Annie Genevard, ministre. - Soyons humbles. La lutte contre les virus est compliquée. Il y a de la FCO 1 et de la FCO 12 en Europe, et pas de vaccin. Nous devons raisonner à l'échelle européenne. Avec mon collègue espagnol, puisque la MHE nous vient de l'Espagne, nous avons proposé à nos homologues une stratégie européenne.
Monsieur Gremillet, je crois beaucoup en la recherche. Elle nous apportera énormément. Je n'ai pas une conception décroissante de l'agriculture. La recherche nous apportera une croissance intelligente, respectueuse de l'environnement.
Dans la forêt : quelles espèces replanter ? Quelle prophylaxie ? L'Inrae a beaucoup à nous apprendre. Je rencontre bientôt ses représentants.
Nous avons besoin de la recherche fondamentale, mais aussi de la recherche appliquée.
Je vous rejoins tout à fait sur les NTG, à ne pas confondre avec les organismes génétiquement modifiés (OGM). La France a une très belle filière semencière, très concurrencée.
Je ne peux que souscrire à votre voeu que la France reconquière de l'autonomie et de la compétitivité alimentaires. Nous sommes très concurrencés dans tous les domaines. C'est pourquoi nous devons éviter d'entraver nos agriculteurs et réhabiliter la notion de production. Ce mot était absent de l'article 1er du PLOA ; nous l'y avons introduit.
Madame Artigalas, l'État a déjà renforcé de manière substantielle son soutien au Posei. Il appartient aux collectivités territoriales d'outre-mer de se saisir de cette possibilité d'abonder le budget du régime spécifique d'approvisionnement (RSA). Ce dispositif permet d'abaisser le prix des denrées sur le marché local, en compensant les surcoûts liés à l'éloignement des sources d'approvisionnement et à l'étroitesse des marchés locaux.
Cette aide est dotée d'une enveloppe de près de 30 millions d'euros, financée par le Fonds européen agricole de garantie (Feaga). À la suite d'une question soulevée par la France, la Commission européenne a confirmé qu'il était possible d'abonder ce budget. Pour autant, la clé réside, selon moi, dans le développement de la production destinée à la consommation locale, car une grande partie des aides est fléchée vers des productions à l'exportation.
M. Patrick Chauvet. - Je veux revenir sur le sujet de la simplification. Je vous remercie des premières actions que vous avez menées en la matière. Néanmoins, selon une enquête de l'Institut de recherches économiques et fiscales (Iref), un agriculteur passerait, en moyenne, 9 heures par semaine à remplir des formulaires, et jusqu'à 15 heures par semaine pour 12 % d'entre eux. Ces chiffres mettent en évidence une situation qui s'aggrave depuis des années. En effet, vos deux derniers prédécesseurs ont beau avoir pris conscience de ce problème et avoir fait preuve de bonne volonté, le problème a empiré.
Pour y répondre, rappelons-nous d'abord que, derrière une exploitation agricole, il y a des femmes et des hommes qui travaillent, et que la suradministration met en état de souffrance. Des agriculteurs en retraite me disent souvent qu'ils avaient aimé leur métier, à l'exception de sa dimension administrative. Ce sont désormais des trentenaires qui me tiennent de tels propos ! La suradministration soulève aussi une problématique de compétitivité. Il n'y a pourtant pas de fatalité ; au contraire, développons la simplification. C'est seulement un effort intellectuel à mener. Changeons de méthode, et faisons de la simplification un sujet spécifique à l'agriculture.
Au-delà des mesures que vous avez amorcées, êtes-vous prête à engager une action d'ampleur pour répondre à ce véritable fléau pour les agriculteurs ?
Mme Anne-Catherine Loisier. - Bien que je salue vos efforts, le budget sera difficile pour les acteurs de terrain. Cette logique de « go and stop » est particulièrement problématique dans des secteurs qui s'inscrivent dans le temps long : c'est notamment le cas de la forêt, ou de la recherche.
Le CNPF a été mobilisé pour engager des actions de renouvellement de notre patrimoine forestier face à son dépérissement et dans le cadre de la lutte contre les incendies, en lien avec l'abaissement à 20 hectares du plancher des plans simples de gestion (PSG). Ainsi, le CNPF va se retrouver avec près de 13 000 dossiers à traiter, ce qu'il lui sera impossible de faire au vu des effectifs réduits.
Cet effort ne relève pas de l'ONF. Le parc forestier privé a une superficie de 12 millions d'hectares. L'effort est colossal. Les emplois mis en cause au CNPF représentent un budget de 800 000 euros : les recettes pourront toujours être trouvées.
Un autre enjeu essentiel est que la filière forestière est en perte de compétitivité. Or sans entreprises de travaux forestiers (ETF), nous ne pourrons plus aller chercher le bois en forêt, alimenter les scieries et développer la construction. Je proposerai un amendement pour permettre aux ETF d'accéder au TO-DE. En effet, l'intervention en forêt est de plus en plus saisonnière, en raison de la législation. Aussi, les personnels saisonniers devraient avoir accès à ce dispositif.
Concernant la loi Égalim, aucune LOA ne pourra produire de véritable effet si nous n'assurons pas un contrôle efficace des dispositifs instaurés. Les agriculteurs demandent une application plus forte de cette loi. Les centrales d'achat sont en pleine croissance à l'étranger. Nous devons rappeler l'existence de l'article 44 de la loi Égalim et la nécessité de l'appliquer. Plus qu'un simple contrôle sur le formalisme, c'est l'économie des contrats qui doit être étudiée. Sans cela, la distorsion de la concurrence se poursuivra.
Enfin, j'attire votre attention sur les pertes indirectes liées à la prédation du loup. Dans mon territoire, elles sont bien plus importantes que les pertes directes, qui, seules, donnent droit à des indemnisations. Or les agriculteurs doivent faire face, après l'attaque, à des dizaines d'avortements, à des pertes de ressources ou encore à la nécessité de reconstruire des clôtures, et ils ne s'en sortent plus.
M. Daniel Fargeot. - Le taux d'exonération de la taxe foncière sur les propriétés non bâties (TFPNB) est passé de 20 % à 30 % ; c'est une bonne chose. Cette exonération est-elle pérenne ou temporaire ? La taxe additionnelle (TA-TFPNB) est-elle concernée ? Les collectivités territoriales et les établissements publics de coopération intercommunale (EPCI) seront-ils affectés par cette mesure ?
En mars dernier, le Sénat a voté contre la ratification du traité de libre-échange entre le Canada et l'Union européenne (Comprehensive Economic and Trade Agreement - CETA). À la suite de cet épisode, le Président de la République avait déclaré, dans son second discours de la Sorbonne sur l'Europe : « Il ne faut pas qu'on tombe dans le rejet de tout accord commercial. » En tant que ministre de l'agriculture, quelle est aujourd'hui votre position sur cet accord ? Entendez-vous remettre à l'ordre du jour ce projet important pour notre pays - pas seulement, d'ailleurs, dans le domaine agricole ?
M. Vincent Louault. - La France est le seul pays d'Europe à avoir interdit l'acétamipride, en visant la molécule en particulier plutôt que la famille à laquelle elle appartient - une méthode que l'Agence nationale de sécurité sanitaire de l'alimentation, de l'environnement et du travail (Anses) a elle-même regrettée par la suite.
L'Autorité européenne de sécurité des aliments (AESA), saisie à maintes reprises, a répété, le 15 mai dernier, que l'acétamipride ne devait pas être interdite, car il ne s'agissait pas d'un néonicotinoïde normal. La substance est abusivement classée dans cette famille en Europe.
Le Gouvernement aura-t-il le courage d'autoriser l'utilisation de l'acétamipride pour sauver nos filières ?
Mme Annick Jacquemet. - L'instruction des demandes de subvention au titre du Fonds européen agricole pour le développement rural (Feader) pose problème dans la région Bourgogne-Franche-Comté - j'associe Nadia Sollogoub à ma question.
Les dossiers de nombreux agriculteurs sont bloqués au conseil régional. Ces derniers ont manifesté devant le siège de région le 18 octobre dernier, mais aucune réponse ne leur a été donnée. Quelle solution peut-on trouver pour régler le problème ?
On parle beaucoup des déserts médicaux, mais le monde vétérinaire est lui aussi touché. L'un de nos collègues a évoqué la création d'une nouvelle école ; peut-être est-ce une bonne solution. Il me semble surtout que c'est le recrutement trop sélectif qui pose problème.
Nous avons reçu un courriel de la filière des compléments alimentaires : ses représentants nous font part de leur surprise, car la direction générale de l'alimentation (DGAL) prévoit d'actualiser un arrêté, obligeant ces professionnels à modifier la composition de leurs produits. Or l'Union européenne envisage elle aussi des modifications après 2025. On manque de bon sens et de cohérence en imposant plusieurs modifications à la suite.
Mme Dominique Estrosi Sassone, présidente. - En effet, plusieurs parlementaires ont plaidé pour que cet arrêté ne soit pas adopté, alors que de nouvelles règles sont prévues après 2025 au niveau européen.
M. Pierre Cuypers. - Notre collègue Henri Cabanel l'a évoqué tout à l'heure : compte tenu de la multiplication des accidents climatiques, les compagnies d'assurance ne voudront peut-être plus prendre en charge les risques agricoles. Qu'en pensez-vous ?
Mme Annie Genevard, ministre. - Monsieur Chauvet, vous avez évoqué la question de la simplification. L'une de mes conseillères au sein du cabinet est entièrement affectée à cette tâche.
M. Henri Cabanel. - Elle a du travail !
Mme Annie Genevard, ministre. - En effet, mais elle s'est vaillamment mise au travail : ainsi, j'ai signé une circulaire instaurant le contrôle administratif unique. Je ne compte pas m'arrêter là.
Je vous rejoins sur la suradministration. C'est d'abord un sujet de compétitivité : quand un agriculteur est à son bureau, il ne travaille pas dans son exploitation. Je suis preneuse de vos suggestions.
Madame Loisier, la forêt, c'est du temps long. Je salue le travail du CNPF, qui n'est pas remis en cause. L'effort demandé revient à un équivalent temps plein (ETP) par centre. Certes, c'est un effort, mais celui-ci est mesuré.
Pas moins de 75 % de la forêt est privée. Les fonds de la planification écologique représentent près de 60 % des engagements. Grâce à France Relance, 120 millions d'euros ont été alloués au renouvellement, sur un total de 203 millions d'euros. Il n'y a donc pas de désengagement en la matière.
L'extension du dispositif TO-DE aux entreprises de travaux forestiers coûterait 25 millions d'euros. Or nous venons d'abonder de nouveau le dispositif et de relever le seuil à 1,25 Smic ; je ne peux rien vous promettre en la matière, car l'effort a déjà été très important.
Je souhaite compléter la réponse que j'ai faite à M. Gremillet. De nombreux rapports d'experts forestiers mettent en avant la fragilité de peuplements. Nous menons un travail conjoint avec l'Institut national de l'information géographique et forestière (IGN) en vue d'établir une cartographie dynamique permettant de mieux anticiper les attaques parasitaires et les essences d'avenir à replanter.
Madame Loisier, je suis preneuse de votre expertise sur les lois Égalim. Le Parlement devra de nouveau légiférer avant avril prochain.
Le sujet du loup est prioritaire. Je souhaiterais que l'on aboutisse sur la territorialisation des tirs, sur le mode de comptage des loups et sur le statut des chiens de troupeau.
Monsieur Fargeot, le relèvement de 20 % à 30 % du taux de dégrèvement de la taxe foncière sur les propriétés non bâties (TFNB) est bien pérenne. En revanche, le Gouvernement n'a pas prévu de toucher à la taxe additionnelle sur le foncier non bâti (TA-TFNB).
La France n'est pas dans sa bulle : nous ne sommes pas isolationnistes. Nous ne pouvons pas être contre des accords internationaux, mais ceux-ci ne sauraient s'appliquer de manière inconditionnelle.
Le Ceta est peut-être bon pour certaines productions, il l'est moins pour d'autres. On ne peut pas toujours faire de l'agriculture la variable d'ajustement. C'est le cas pour l'agneau, touché par l'accord avec la Nouvelle-Zélande. Il n'est pas possible que ce soient toujours les mêmes qui paient le prix ! Nous sommes extrêmement mobilisés contre le Mercosur.
Mme Dominique Estrosi Sassone, présidente. - Nous aussi !
Mme Annie Genevard, ministre. - Encore faut-il que nous ayons la possibilité de nous prononcer... Nous travaillons activement à l'instauration d'un droit de veto, mais c'est très difficile. La France est isolée.
Monsieur Louault, nous aurons incontestablement un débat très prochainement sur l'acétamipride. Nous aurons, les uns et les autres, beaucoup de choses à dire sur le sujet.
Monsieur Cuypers, la réforme de l'assurance récolte instaurée en 2023 avait un double objectif : inciter les agriculteurs à s'assurer pour mieux les protéger face aux aléas, et rétablir un modèle économique soutenable pour les assureurs. Un groupement de co-réassurance est en cours de constitution. Nous avons abondé le budget de cet organisme, mais le fonctionnement de ce dispositif novateur doit encore être perfectionné.
Madame Jacquemet, vous évoquez la gestion des demandes déposées au titre du Feader. La région Bourgogne-Franche-Comté n'est pas la seule concernée. C'est un dossier brûlant, que je suis de très près. J'ai demandé au nouveau préfet de région de reprendre les dossiers en cours.
Je suis également preneuse de votre expertise en matière vétérinaire, afin que davantage de professionnels s'installent en zone rurale pour s'occuper des gros animaux.
Je ne suis pas au courant du problème touchant la filière des compléments alimentaires. Je vous tiendrai au courant.
Mme Dominique Estrosi Sassone, présidente. - Madame la ministre, merci de nous avoir consacré autant de temps.
Nous vous remercions également pour les grandes avancées que vous avez déjà réussi à obtenir.
Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.
La réunion est close à 19 h 20.