Mercredi 30 octobre 2024

- Présidence de Mme Dominique Estrosi Sassone, présidente -

La réunion est ouverte à 9 h 40.

Situation des filières du cognac et de l'armagnac - Audition de MM. Jérôme Delord, président du bureau national interprofessionnel de l'armagnac (BNIA), Florent Morillon, président du bureau national interprofessionnel du cognac (BNIC), Anthony Brun, représentant au sein du BNIC de la famille de la viticulture, et Nicolas Ozanam, délégué général de la fédération des exportateurs de vins et de spiritueux (FEVS)

Mme Dominique Estrosi Sassone, présidente. - Je suis heureuse d'accueillir, pour commencer cette matinée d'auditions, les représentants du monde des spiritueux, que je remercie de leur venue.

Monsieur Florent Morillon, vous êtes directeur des relations viticoles et des affaires institutionnelles de la maison Hennessy et présidez le bureau national interprofessionnel du cognac (BNIC). Vous êtes accompagné de M. Anthony Brun, représentant au sein du BNIC de la famille de la viticulture.

Monsieur Jérôme Delord, vous êtes à la tête de la maison Armagnac Delord, implantée à Lannepax, dans le Gers. Vous êtes président du bureau national interprofessionnel de l'armagnac (BNIA).

Enfin, monsieur Nicolas Ozanam, vous êtes délégué général de la fédération des exportateurs de vins et spiritueux (FEVS), qui représente plus de 550 entreprises exportatrices.

La filière des spiritueux dont vous portez la parole est aujourd'hui dans l'inquiétude, voire la colère, et nous pouvons le comprendre.

En effet, le ministère chinois du commerce a annoncé le 8 octobre que, à compter du 11 octobre 2024, les importations de boissons spiritueuses à base de vin originaires de l'Union européenne vers la Chine devront être accompagnées d'un « dépôt de garantie ». Le taux de ce dépôt de garantie est important : entre 30,6 % et 39 % de la valeur à l'importation. La mesure va principalement frapper des produits français : le cognac et l'armagnac, mais aussi le calvados et quelques autres produits.

Le danger est de taille. La Chine est, après les États-Unis, le deuxième marché d'exportation des spiritueux français, pour un montant de 1,7 milliard de dollars en 2023 en comptant les volumes transitant par Hong Kong et Singapour. La Chine, c'est un peu moins de la moitié du chiffre d'affaires de la filière cognac et 20 % de la surface du vignoble.

La situation est d'autant plus préoccupante que le vignoble de Cognac a crû de 14 500 hectares entre 2018 et 2023, porté par une conjoncture favorable impliquant de lourds investissements pour les viticulteurs.

Enfin, l'élection de Donald Trump, si elle devait advenir, pourrait rouvrir le « chapitre des sanctions américaines », ce qui priverait alors les spiritueux français de leurs deux premiers marchés.

Dans ces deux cas et surtout dans le cas des sanctions douanières chinoises qui nous occupent aujourd'hui, la filière des spiritueux français est prise en otage et victime collatérale d'un conflit qui ne la concerne pas. En effet, les sanctions chinoises constituent une réponse directe à la décision de l'Union européenne, prise le 4 octobre dernier, d'imposer une surtaxe à l'importation des véhicules électriques chinois. Si cette décision peut se comprendre au regard de la nécessaire protection de notre industrie automobile à laquelle Luc Chatel nous a sensibilisés il y a moins d'un mois, ce n'était peut-être pas la seule qui était possible, d'autant qu'elle nous entraîne dans un bras de fer et des sanctions successives avec la Chine.

Sophie Primas, ministre chargée du commerce extérieur et ancienne présidente de notre commission, a annoncé qu'elle allait se rendre en Chine dès la semaine prochaine pour défendre les spiritueux français. Elle a aussi annoncé que la France et l'Union européenne allaient contester la mesure chinoise devant l'Organisation mondiale du commerce (OMC), mais il n'est pas certain que le problème soit résolu à court terme.

Ainsi, quels sont concrètement les risques qu'engendre cette situation pour la filière en termes de perte de part de marché, de chiffre d'affaires et d'organisation du vignoble ? Dans le cas où les sanctions ne seraient pas levées à court terme, ce qui semble être le plus probable pour l'instant, quelles mesures de soutien attendez-vous des pouvoirs publics français et européens ? Existe-t-il des possibilités de report partiel vers d'autres marchés exports par exemple ?

Voici, messieurs, les quelques questions que je souhaitais vous poser à titre introductif. Les sénateurs de la commission vous interrogeront ensuite, à commencer par notre collègue Daniel Laurent, viticulteur et président du groupe d'études Vigne et vin.

M. Nicolas Ozanam, délégué général de la fédération des exportateurs de vins et de spiritueux. - Merci de nous accueillir aujourd'hui. C'est pour nous une grande chance de pouvoir aborder avec vous la question très préoccupante des acteurs des filières cognac et armagnac.

Les vins et spiritueux, ce sont 16 milliards d'euros à l'exportation, dont 15 milliards d'euros d'excédents - les spiritueux représentent un tiers des exportations. L'export est donc un enjeu incontournable pour cette filière. Cela est encore plus criant pour les seules filières cognac et armagnac.

Deuxième marché à l'exportation, le marché chinois représente 800 millions d'euros environ. Il est encore plus important si l'on compte les produits qui transitent par d'autres marchés tel que Singapour.

Il n'y a pas d'alternative à la Chine. Comme les États-Unis, c'est un pays continent qui ne peut être suppléé par d'autres marchés. Il est absolument essentiel de rester sur ces marchés et de pouvoir construire dans la durée des partenariats commerciaux et des relations avec les consommateurs.

M. Florent Morillon, président du bureau national interprofessionnel du cognac. - Je vous remercie à mon tour du temps que vous nous consacrez, mesdames, messieurs les sénateurs. Nous attendons beaucoup de cette rencontre.

Cognac, c'est plus de 4 000 exploitations viticoles, 4 000 familles, 250 maisons de négoce. Nous exportons à plus de 97 % et nous sommes présents dans 150 pays dans le monde. Les États-Unis sont notre premier marché, la Chine, le deuxième. C'est ce marché qui, aujourd'hui, fait l'objet de notre rencontre.

Depuis le 5 janvier, date officielle du lancement de l'enquête antidumping ouverte par la Chine, la région est dans l'angoisse, laquelle est montée progressivement. Nous avons décidé de collaborer pleinement à cette enquête, car nous n'avons rien à nous reprocher. Nos entreprises, nos maisons, quelle que soit leur taille, ont ouvert leurs portes, leurs livres et leurs ordinateurs aux autorités chinoises. Nous avons dû fournir des dizaines de milliers de pages - environ 20 000 -, évidemment traduites en chinois. Nous avons dépensé des millions d'euros pour nous défendre, alors que nous sommes complètement innocents, sur un sujet étranger à notre filière. C'est une grande mascarade ! On prend en otage l'une des dernières filières exportatrices françaises, source de devises et d'emplois. Pour la filière cognac, qui totalise plus de 70 000 emplois directs et indirects, la situation est très grave : la Chine représente 25 % de notre marché.

Ces échanges ne sont pas nouveaux, puisque les premières expéditions en Chine datent de 1850 - les véhicules thermiques ou électriques n'existaient pas... Je vous pose la question : sacrifie-t-on aujourd'hui un spiritueux pour des produits industriels qui ne seront plus là demain. J'espère bien que le cognac et l'armagnac perdureront !

En dépit de cette collaboration, nous avons reçu en septembre une intention de notification de taxe de 35 % en moyenne pour nos entreprises. Cela s'est traduit quelques semaines après par une demande de cautionnement. En attendant la sentence, nos entreprises doivent bloquer des fonds qui s'élèvent à plusieurs millions d'euros. Cette situation entraîne d'ores et déjà des effets très négatifs pour de nombreuses entreprises, qui sont confrontées à des annulations de commandes.

En outre, le calendrier de cette enquête est calqué sur la procédure visant les véhicules électriques. Quatre jours après le vote positif au niveau européen, nous avions cette notification pour le système de cautionnement. Hier, a été publié le règlement européen comprenant les taux sur les véhicules électriques. Nous nous attendons prochainement à subir une nouvelle étape. C'est insupportable pour nos filières ! Nous ne demandons pas d'argent ; nous voulons juste pouvoir continuer à exercer notre commerce et à faire rayonner nos appellations et le drapeau français dans le monde entier. D'ailleurs, les Chinois ne se sont pas trompés en s'attaquant à l'armagnac et au cognac.

Nous ne portons aucun jugement sur le dossier des véhicules électriques. En revanche, on ne peut pas être sacrifiés pour cette filière. Quand certains pays de l'Union européenne vont assembler sur leur territoire, permettant à la Chine d'éviter les taxations, je ne vous cache pas que le ton monte dans la région. Au vu du contexte économique national et international, cette dernière est sous pression.

Qu'attendons-nous pour la suite ? Nous ne sommes pas là pour nous plaindre, mais nous voulons dresser un état des lieux et trouver une solution pour nos filières. Des taxes sur les véhicules électriques ont été votées au niveau européen. Et nous sommes pris dans un étau qui se resserre et dont les conséquences pourraient être majeures pour nos régions. Perdre 25 % de son marché, ce n'est pas acceptable au regard des investissements réalisés !

La seule solution, que nous portons auprès du Gouvernement et pour laquelle nous espérons avoir votre soutien, consiste à engager une discussion directe bilatérale entre la France et la Chine. Via l'Europe, ce n'est plus possible, même si une action a été intentée devant l'OMC. Il faut agir pour le long terme, mais cela ne règle pas notre problème dans l'immédiat. Les vins australiens ont subi la même chose voilà quelques années : après quatre ans de surtaxe à plus de 200 %, ils sont sortis du marché, alors qu'il faut des années pour s'implanter.

La priorité, c'est de trouver un accord avec la Chine, et nous attendons du concret. Pour ce faire, profitons d'un certain nombre d'événements favorables : lors de l'anniversaire de l'amitié franco-chinoise et de nos relations diplomatiques, le Président de la République a reçu le Président chinois ; la semaine prochaine aura lieu en Chine la China international import expo (CIIE), où la France est à l'honneur. Le président du Sénat, que nous avons rencontré la semaine dernière, a vraiment été à notre écoute, et nous l'en remercions. Il est important que des membres du Gouvernement et d'autres personnalités se déplacent pour parler à leurs homologues chinois. Mme Sophie Primas et M. Jean-Pierre Raffarin devraient d'ailleurs se rendre en Chine la semaine prochaine. C'est la piste à privilégier, qui nécessite le soutien de tous. La question est de savoir ce que nous pouvons donner en contrepartie à la Chine sans renier nos convictions. C'est ainsi que nous pourrons sortir de l'ornière.

M. Jérôme Delord, président du bureau national interprofessionnel de l'armagnac. - Mesdames, messieurs les sénateurs, nous sommes cousins, nous sommes frères, jamais ennemis : toutes les préoccupations de nos amis charentais sont les nôtres. Nous sommes sur les mêmes marchés et, donc, dans la même galère.

Permettez-moi de vous livrer les témoignages des cinq principales maisons armagnacaises présentes sur le marché chinois.

Le Club des marques, qui appartient au groupe Vivadour et se trouve dans les Landes, a reçu sa dernière commande, d'un montant de 25 000 euros, en avril dernier. La maison Laubade, de la famille Lesgourgues, a vu sa commande de 150 000 euros annulée. De même, la maison Delord a vu sa commande de 200 000 euros annulée. La famille Dartigalongue, à Nogaro, est dans le flou : son importateur chinois l'informe que ses distributeurs vont se tourner en partie vers le whisky haut de gamme si les prix de l'armagnac augmentent.

Le dernier témoignage émane de Marc Darroze et va dans le même sens. En résumé, avant même l'arrivée de la marchandise en Chine, l'importateur doit verser une caution de 34,8 %, à laquelle s'ajoute la TVA, soit un total de 49 %. Selon l'importateur chinois, cette taxe aura des effets catastrophiques et entraînera une forte baisse, voire la disparition des armagnac Darroze du marché chinois.

Sur ces cinq maisons, quatre sont familiales. Notre nom, c'est notre marque. Derrière, il y a des familles et un savoir-faire. Si nous disparaissons, c'est une partie du savoir-faire français qui disparaît également. Ce serait très grave.

M. Anthony Brun, représentant au sein du BNIC de la famille de la viticulture. - La filière du cognac se caractérise depuis longtemps par l'existence de relations contractuelles entre les viticulteurs et le négoce. Depuis plus de quinze ans, la filière connaît une réussite économique. Les ventes ayant augmenté de près de 30 % ou 40 %, nous avons dimensionné notre vignoble pour répondre aux besoins. Après la crise du covid et le contexte inflationniste, nous sommes aujourd'hui sur le point de perdre notre deuxième marché, à la fois en volume et en vieilles eaux-de-vie.

Il faut savoir que la fabrication de ces vieilles eaux-de-vie nécessite presque plus de vin que le premier marché, car les eaux-de-vie s'évaporent avec le temps. Désormais, les producteurs ont des stocks cinq fois plus élevés que les besoins du marché chinois. Des entreprises de négoce très fortement implantées en Chine sont dans une situation dramatique et les viticulteurs engagés avec elles vont très rapidement en subir les conséquences. Si aucune solution n'est trouvée, ces viticulteurs trouveront des débouchés pour ce vin sur d'autres marchés, ce qui sera une catastrophe économique pour l'ensemble du monde viticole français.

M. Daniel Laurent. - Merci, madame la présidente, d'avoir organisé cette audition indispensable. Je remercie également Gérard Larcher, qui a reçu les représentants de la filière la semaine dernière, preuve s'il en est de l'importance de ce sujet et de ses répercussions dans nos territoires. À la suite de cette rencontre, il a sollicité le Président de la République, qui a déclaré qu'il les recevrait à son tour. Je remercie enfin nos collègues d'être présents et solidaires des filières du cognac et de l'armagnac.

Nous savons à quel point ces filières, mais aussi celle du vin, sont stratégiques pour notre balance commerciale. Les droits de douane additionnels qu'imposent les Chinois menacent directement nos entreprises, nos emplois et l'équilibre économique de nos territoires. Au-delà des chiffres, la viticulture, c'est notre histoire, notre patrimoine, notre environnement. Les vignes en Gironde qui ne sont plus cultivées et qui n'ont pas été arrachées posent un problème environnemental.

Depuis le 11 octobre, des taxes sont appliquées au cognac et à l'armagnac, des commandes sont annulées, suspendues ou reportées. La filière est la victime collatérale de conflits qui lui sont étrangers. Au-delà, l'ensemble de la filière viticole traverse une crise conjoncturelle et structurelle majeure et doit relever de nombreux défis. Nous aurons l'occasion d'en reparler.

En tant que président du groupe d'études Vigne et vin, je puis vous assurer que notre mobilisation, ainsi que celle du président du Sénat, de la ministre de l'agriculture, de la ministre chargée du commerce extérieur et des députés européens est totale. Ne considérons pas cette affaire comme acquise. Espérons que les discussions diplomatiques permettront de faire évoluer cette situation catastrophique.

M. Franck Montaugé. - Si vous me le permettez, je commencerai, malgré le contexte extrêmement lourd d'inquiétudes, par plaisanter un peu et par préciser que l'armagnac, qui a 700 ans d'âge, est beaucoup plus fin que le cognac ! Parole objective de petit-fils de distillateur gersois de la Ténarèze...

Plus sérieusement, avez-vous des pistes de travail pour préserver, voire accroître les perspectives commerciales de l'armagnac et du cognac à l'international ? Disposez-vous d'un plan stratégique à moyen et à long termes ? Des mesures fiscales doivent-elles être prises dans l'immédiat et à plus long terme ?

M. Vincent Louault. - J'ai bien peur, malheureusement, que vous ne soyez qu'un grain de sable dans le jeu commercial mondial et que vous ne soyez sacrifiés, à l'image de l'agriculture, dans un contexte marqué par des accords de quasi-libre-échange avec l'Ukraine - comme on n'est pas fichu de leur envoyer des obus, on accepte tout - et le Mercosur.

Ne devrions-nous pas mieux investir dans nos relations avec les Chinois et apprendre à parler avec eux ? La diplomatie chinoise ne repose pas sur les mêmes usages et sur les mêmes coutumes que la diplomatie française.

Aujourd'hui, quand une maladie décime les troupeaux, des fonds d'urgence sont mis en place par la puissance publique. Alors que vous allez perdre 50 % de votre chiffre d'affaires, vous pourriez légitimement demander vous aussi à bénéficier d'un tel fonds. Négociez-vous avec la ministre de l'agriculture à cet égard ? Et avec l'Union européenne, qui est tout de même responsable de la situation ?

M. Daniel Salmon. - Le marché mondialisé connaît un moment de crispation. Lutter contre la désindustrialisation de la France, protéger nos industries, c'est subir des contrecoups de l'autre bout du monde.

Quelle proportion de votre production est consommée en France et dans l'Union européenne ? Ne vous faudrait-il pas vous recentrer sur le marché intérieur, qu'il soit français ou européen ? Quelles sont vos perspectives en dehors de l'Union européenne ? Enfin, alors que certaines régions agricoles sont très spécialisées, avez-vous des pistes de déspécialisation dans votre territoire ?

M. Florent Morillon. - Aujourd'hui, nous n'avons qu'une seule stratégie : ne rien lâcher sur ce dossier. Nous ne réfléchissons pas à un plan B, sinon cela voudrait dire qu'on a perdu.

Nous rencontrons demain soir la ministre chargée du commerce extérieur pour évoquer son déplacement en Chine. Ce sera l'occasion de lui dire ce que nous en attendons. Nous croyons beaucoup à ce déplacement, le risque étant une escalade. Aujourd'hui, ce sont le cognac et l'armagnac qui sont visés, les suivants risquent d'être la filière laitière et la filière porcine, puis d'autres ensuite.

Certes, on pourrait nous accorder quelques subventions, mais la Chine représente pour nous 1,5 milliard d'euros de chiffre d'affaires annuel. Je ne pense pas que l'État, vu la situation actuelle des finances publiques, puisse nous donner une telle somme ! Personne n'y croit. Nous donner quelques centaines de millions d'euros, ce serait mettre un pansement sur une jambe de bois.

Il faut donc aujourd'hui continuer à privilégier la négociation parce que le marché chinois n'est pas remplaçable. Un marché se construit sur des décennies, sur des siècles, on ne perce pas comme ça sur un nouveau marché. En outre, la situation mondiale est compliquée.

Certes, les États-Unis sont notre premier marché, mais Trump va-t-il être élu ? N'oublions pas que les taxes dites Trump ne sont que suspendues jusqu'au 1er janvier. Nous pourrions donc faire face prochainement à un nouveau problème.

Nous demandons plus de diplomatie. Je rappelle que lorsque l'enquête a été lancée à l'échelon européen sur les véhicules électriques, l'année dernière, des membres du Gouvernement ont dit dans la presse que c'était grâce à la France. Les filières viticoles leur ont alors demandé de faire preuve d'une plus grande discrétion et de s'abriter derrière l'Europe sur ce sujet, pour que cela ne se retourne pas contre elles. Le 5 janvier - bonne année ! -, c'est tombé sur les filières du cognac et de l'armagnac. De même, alors que le règlement a été publié, on lit encore dans la presse que c'est grâce à la France.

Si nous n'avons pas à porter de jugement sur le vote de ce règlement, nous ne pouvons pas en payer les conséquences indéfiniment. Nous aimerions que l'État prenne ses responsabilités et qu'il n'abandonne pas totalement des filières historiques.

Il faut discuter avec la Chine. La diplomatie, ce n'est pas mon métier, j'ignore si on peut lui expliquer que nous sommes des otages inutiles : on peut nous tuer, les taxes sur les véhicules électriques seront de toute façon appliquées.

Il faut absolument, je le répète, engager une négociation bilatérale entre la Chine et la France et trouver des solutions pour nous. On a besoin de vous, mesdames, messieurs les sénateurs, pour porter ce message au plus haut niveau.

M. Anthony Brun. - Les principaux exportateurs mondiaux de spiritueux possèdent nos marques. Ils sont présents dans tous les pays du monde, avec toutes les gammes de produits. S'il restait un marché à conquérir, ils l'auraient déjà fait. S'ils ne sont pas présents dans certains pays, c'est en raison de barrières tarifaires.

La viticulture nécessite d'immobiliser des fonds importants. Je peux vous garantir qu'un viticulteur qui a investi dans un vignoble et dans du matériel performant pour améliorer ses pratiques dans tous les domaines ne va pas se lancer dans une autre culture demain, sachant en outre que la situation va être de plus en plus compliquée pour l'ensemble des filières agricoles. Toutes vont être ciblées par les contre-mesures prises par la Chine. Les Chinois envisagent d'en prendre dans quatre des cinq filières agricoles...

Certes, on peut octroyer des subventions aux négociants, mais quid des viticulteurs, mais aussi de tous ceux avec qui nous travaillons, les tonneliers, les pépiniéristes ? Nous sommes interdépendants les uns des autres. Comment en outre trouver les financements nécessaires alors que les discussions budgétaires sont compliquées ? Ce n'est pas la peine d'envisager des subventions et ce n'est pas ce que nous demandons.

L'OMC ne rendra pas de décision avant quatre ou cinq ans, peut-être plus, car elle a beaucoup plus de dossiers à traiter aujourd'hui qu'à l'époque du dossier australien. Même les Chinois viennent d'en déposer un. D'ici là, nous aurons disparu !

La solution, ce n'est pas une subvention ou un nouveau marché. Ce que nous espérons, c'est qu'une solution soit trouvée pour que nous puissions rester sur les marchés où nous sommes déjà présents.

M. Florent Morillon. - Le marché français représente entre 2 % et 3 % de nos ventes, soit 4 ou 4,5 millions de bouteilles, 97 % de notre production étant exportée. Cela étant, la France est tout de même notre sixième marché, après les États-Unis, la Chine, le Royaume-Uni, l'Allemagne. Nous essayons d'y gagner des parts de marché, notamment sur le whisky, mais nous faisons face à de nombreuses contraintes, par exemple à la loi Évin.

N'oublions pas que l'eau-de-vie est issue d'une plante pérenne, contrairement aux eaux-de-vie de céréales, dont la production coûte beaucoup moins cher. À Cognac, quand on plante une vigne aujourd'hui, on commercialise le premier cognac sept ans plus tard. Quand on a planté en 2017, qui pouvait prévoir la crise du covid, la guerre en Ukraine et les taxes chinoises aujourd'hui ? Quand on exporte à 97 %, on sait qu'on est une cible privilégiée, mais on ne peut pas être sacrifiés systématiquement.

M. Jérôme Delord. - Le marché global de l'armagnac représente 4 millions de bouteilles, la moitié étant exportée. Nous n'avons pas la force de frappe de nos amis charentais. Nous sommes présents chez tous les cavistes, dans tous les restaurants, nous ne pouvons pas faire plus. Nous nous calons sur nos amis charentais, ils ouvrent le bal et nous les suivons à l'export.

Il est impossible pour nous de trouver de nouveaux marchés, mais également de faire autre chose. Nous ne demandons pas d'argent, nous demandons juste que l'on nous laisse travailler, que l'on nous permette de continuer à faire du business.

Dans notre famille, nous sommes la quatrième génération à faire de l'armagnac. Nous n'allons pas arrêter parce qu'il y a une crise, sinon le savoir-faire français va mourir. Si on arrête de faire de l'armagnac, on va faire des vins sans alcool, et ensuite, que fera-t-on ? On ira sur la lune ?

Nous avons une stratégie, nous nous y tenons, nous ne savons pas faire autre chose. Alors que nous faisons de l'armagnac depuis 700 ans, nous n'allons pas changer de métier parce le secteur automobile traverse une crise.

M. Florent Morillon. - Nous avons déjà connu des crises dans nos filières il y a des décennies, nous avons alors cherché à nous diversifier. En Cognac, on a fait des vins de pays, mais aujourd'hui une telle diversification est illusoire, car toutes les filières viticoles souffrent, sans exception. Toutes les régions sont touchées.

Si nous vendons demain moins de cognac à cause des taxes chinoises, nous devrons arracher nos cépages et planter des cépages dits de consommation. Nous entrerons alors en concurrence avec nos collègues situés à 100 kilomètres. Ce serait déplacer le problème, sachant qu'il faut arracher 100 000 hectares de cépages sur les 800 000 que compte notre pays.

Il faut donc régler le problème, se mettre d'accord avec la Chine, trouver des compromis, sinon d'autres filières risquent d'être touchées, comme celle du porc. Et puis qu'allons-nous faire de nos excédents de vin s'ils ne servent pas au cognac ? On ne va pas les mettre au fossé, demander des distillations obligatoires, financées par des fonds de l'État, ou polluer le reste du marché français. Nous devons préserver nos collègues des autres régions, ils n'ont pas besoin de cela.

Si demain la Chine devait confirmer l'instauration de taxes additionnelles, on ne baissera pas les bras pour autant. Il faudra continuer de discuter avec elle. Je ne suis pas un spécialiste de la diplomatie, mais peut-être faut-il faire preuve d'une diplomatie particulière. En tout état de cause, nous sommes ravis que la ministre chargée du commerce extérieur se rende en Chine, accompagnée de M. Raffarin. Sachez toutefois que nous n'attendons pas tout du Gouvernement. Nos grands groupes vont également organiser en parallèle des rencontres. Nous menons un combat commun avec vous, et avec le Gouvernement.

M. Bernard Buis. - Combien de bouteilles exportez-vous en Chine ? Quel pourcentage de vos exportations cela représente-t-il ? Ne craignez-vous pas, en diminuant les rendements à l'hectare, que les vignes soient abandonnées, au risque de provoquer un problème sanitaire ?

M. Serge Mérillou. - Contrairement à ce qui a été dit, je ne pense pas que vous soyez un grain de sable. Vous êtes un énorme caillou, et c'est pour ça que les Chinois ont ciblé vos filières ! Je ne crois pas à un fonds de soutien ; la seule solution est d'ordre diplomatique, elle ne peut se restreindre à une action de notre seule diplomatie française - c'est l'Union européenne qui a pris la décision de protéger le secteur automobile. Les Chinois sont eux aussi condamnés à trouver un accord.

Par conséquent, je ne suis pas certain que la situation perdure longtemps. La diplomatie finira par l'emporter, elle réparera ce qu'elle a détruit. La question est de savoir comment vous allez faire pour tenir. J'espère sincèrement, en tant que sénateur de la Dordogne, département disposant d'une dizaine de communes en appellation cognac, que vos filières auront les moyens de stocker et de résister.

Mme Amel Gacquerre. - Face à la mise en danger de vos filières, nous sommes tous mobilisés et, vous avez raison, il ne faut pas céder ! Au-delà de l'économie, il y a un enjeu symbolique, politique, celui de la place de la France dans les échanges commerciaux mondiaux. Vous demandez aujourd'hui à ce que l'on agisse pour mettre en pause la menace chinoise d'une taxation et vous permettre de continuer à « faire du business ». Mais quels sont vos arguments ? Que mettez-vous sur la table pour accompagner l'action diplomatique que vous appelez de vos voeux ?

M. Florent Morillon. - La Chine représente de manière directe, c'est-à-dire sans compter les passages par Singapour, 25 % des ventes de cognac sur un total d'environ 170 millions de bouteilles.

L'interprofession vote tous les ans un rendement à l'hectare, c'est-à-dire un rendement commercialisable. Celui-ci a baissé : les viticulteurs peuvent vendre cette année 8,64 hectolitres d'alcool pur par hectare. Ce plafond est lié à l'évolution économique globale, son calcul tenant compte des ventes et des perspectives. À considérer les coûts de production, il constitue vraiment une limite, faisant entrer certaines exploitations viticoles dans le rouge.

Pour nous, la diplomatie constitue la seule voie possible. En attendant, nous avons la chance d'avoir un produit qui peut se stocker. D'ailleurs, malgré la dégringolade de la consommation de vins et spiritueux depuis trois ans, à la suite du covid, et la baisse des rendements votée au BNIC, les maisons ont continué d'acheter. Mais les stocks ont un coût - à trop entreposer sur deux ou trois ans, on atteint les limites - et le produit entreposé peut finir par ne plus correspondre à celui qui sera attendu sur les marchés. Ainsi, le cognac se vend à 50 % en VS (Very Special), c'est-à-dire avec deux ans d'âge minimum, à 40 % en VSOP (Very Superior Old Pale), c'est-à-dire avec quatre ans d'âge minimum, et à 10 % en vieilles eaux-de-vie. Disposer de trop de vieilles eaux-de-vie pose problème : on ne pourra pas les vendre à un consommateur qui désire du VS - c'est le cas aux États-Unis -, sauf à renoncer à amortir les coûts de production.

Nous ne sommes pas là uniquement pour dresser un état des lieux ni nous lamenter. Dès le 5 janvier dernier, alors que nous aurions pu être attentistes, nous avons pris la situation en main en collaborant à l'enquête, au prix de nombreuses réunions hebdomadaires. Sur place, nous avons même accompagné des sociétés, notamment des petites et moyennes entreprises (PME). Déjà en difficulté, certains de leurs dirigeants, qui s'occupent tout autant de la mise en bouteille que des papiers, sont en pleurs lorsque l'on se parle au téléphone ; ils se disent prêts à tout arrêter.

Nous nous sommes rendus à Pékin pour participer à une audition, laquelle était une grande mascarade. Nous avons fait tout ce qui nous était demandé, avant de nous voir au mois de septembre dernier notifiés d'une taxation pouvant aller jusqu'à 39 %. Cette taxe n'était pas même suffisante, nous avons ensuite reçu une demande d'envoi de contrôleurs dans nos entreprises, à laquelle nous avons répondu favorablement. Hennessy, Rémy Martin et Martell ont reçu, pendant deux jours, la visite des contrôleurs du ministère du commerce de la République populaire de Chine (Mofcom). Il a fallu leur donner accès aux ordinateurs et tout leur fournir, y compris nos coupes d'eaux-de-vie ! Les contrôleurs ne voulaient pas transporter les documents que nous leur avions pourtant envoyés. Il nous a été demandé de refaire l'ensemble du dossier pour qu'ils puissent vérifier sur nos postes informatiques que les pièces déjà fournies étaient justes.

À un moment donné, nous réclamerons de l'argent, car nous subissons les conséquences d'un conflit qui nous est étranger. La FEVS, l'interprofession et les maisons pourraient vous parler des millions d'euros que nous avons dépensés. Pour nous défendre, nous sommes obligés de recruter, en plus de nos avocats européens, des avocats chinois... qui sont chinois avant d'être avocats !

Nous avons sollicité tous les membres de l'ancien gouvernement, nous avons rencontré la nouvelle ministre de l'agriculture, nous n'arrêtons pas ! Nos maisons, elles aussi, essaient de trouver des réponses diplomatiques, techniques ou juridiques, mais nous savons que la solution passe par le politique.

Nous avons rencontré en marge du salon de l'agriculture l'ambassadeur de Chine en France. Très sympathique, celui-ci nous a assuré à la fin de la discussion que la résolution était dans les mains du gouvernement français. Le maire de Cognac lui a écrit, puis a reçu une réponse de trois pages, que nous avons transmise à M. Larcher. L'ambassadeur ne cache plus du tout que les sanctions chinoises sont liées aux européennes ! À la fin de sa lettre, l'ambassadeur - il a un peu d'humour... - cite en s'adressant au gouvernement français un proverbe chinois : « c'est à celui qui a accroché la clochette au cou du tigre de la décrocher ». Nous sommes à votre écoute, mesdames, messieurs les sénateurs, mais que pouvons-nous faire de plus ?

M. Anthony Brun. - Les rendements commercialisables se réduisent depuis les chiffres des expéditions du mois de novembre 2022, les récoltes ayant lieu au mois de septembre : nous sommes passés de 14,64 à 8,64 hectolitres d'alcool pur par hectare. L'effort a été partagé par les secteurs de la viticulture et du négoce, sans rien demander à personne.

Dans le même temps, vu que nous calculons le stock d'eaux-de-vie en fonction des expéditions, lesquelles sont en baisse et seront amenées à baisser encore fortement, le nombre d'années pour parvenir à la rotation de l'entreposage augmente. Si nous comparons la situation actuelle à celle de l'année dernière, nous avons moins de cognac en stock, mais nous avons tout de même des réserves pour une durée plus longue du fait de cette baisse des ventes.

Si nous ne pouvons plus commercialiser nos produits à l'international, le péril est mortel, car notre secteur est né pour l'exportation. Nous avons besoin d'une action diplomatique qui nous permette simplement d'être concurrentiels par rapport aux autres produits. Puisque les eaux-de-vie de vin européennes sont à 98 % françaises, l'armagnac et le cognac sont les seules eaux-de-vie concernées par la taxe.

M. Nicolas Ozanam. - Le marché des spiritueux en Chine est essentiellement local, comprenant notamment le baijiu : les produits importés représentent 2 % à 3 % des ventes. Nos exportations sur place ne sont donc pas un facteur de déséquilibre du marché local. Nous avons d'ailleurs de bonnes relations avec nos homologues chinois, avec lesquels nous travaillons sur divers aspects réglementaires relatifs au développement commercial.

Le conflit n'oppose donc pas les producteurs de spiritueux chinois aux européens, quoi qu'on en dise. En effet, nous savons tous comment les choses se passent : il suffit au ministère du commerce de la République populaire de Chine (Mofcom) de taper sur l'épaule d'une association sur place pour que celle-ci dépose une plainte. N'avons-nous pas assisté à un record de vitesse pour les dépôts de plaintes dans le domaine du porc ou du lait ?

Les prises de position de l'Europe et de la France en matière de politique industrielle et de développement d'un certain nombre de secteurs jugés stratégiques - il ne nous appartient pas de commenter ces décisions - ainsi que les réactions côté chinois sont le coeur du sujet. Le reste se réduit à des leviers pour faire valoir une volonté politique.

M. Henri Cabanel. - Nous partageons tous votre inquiétude, d'autant que nous nous souvenons de la taxe Trump : les viticulteurs français n'avaient rien à voir avec le conflit opposant Boeing et Airbus !

Vous pouvez réduire vos rendements : force est de constater que vous avez planté ces dernières années énormément de vignes. Puisque tous les vignobles français rencontrent des difficultés, à quand une vraie stratégie viticole française - j'en parlais ce matin au cours d'un petit-déjeuner avec la Fédération nationale des syndicats d'exploitants agricoles (FNSEA) - plutôt qu'une concurrence entre régions ? L'intérêt est de vendre l'image France ensemble. Il me semble important de défendre la vision française également au travers de l'OMC.

M. Daniel Fargeot. - L'Union européenne se prépare à l'hypothèse d'un nouveau bras de fer commercial avec les États-Unis dans le cadre d'une éventuelle élection de Donald Trump. Vous y préparez-vous et, le cas échéant, de quelle manière ?

Pendant la période du covid, les Américains se sont rués vers le cognac. Des problèmes d'approvisionnement se sont posés et les augmentations de prix ont été significatives, au point que les consommateurs américains se sont tournés vers deux autres produits : la tequila et le whisky. Disposez-vous d'une stratégie afin de répliquer et de reconquérir ce marché ?

M. Yannick Jadot. - Je plaide pour vous soutenir de manière diplomatique, mais il faut surtout une stratégie commerciale ferme et cohérente à l'échelle européenne. Même si nous ne sommes pas habitués à le faire, nous avons raison de pratiquer de l'antidumping sur les automobiles de Chine et de nous battre en matière de propriété intellectuelle, ce pays la violant régulièrement. L'Europe avait totalement lâché les panneaux photovoltaïques parce que les Chinois étaient venus menacer les Français - déjà ! - de représailles sur le vin. Aujourd'hui, vous êtes peut-être victimes collatérales de cette guerre, mais demain vous serez peut-être victimes au premier chef si la Chine décide que le cognac est également une production locale, ce produit se trouvant privé de son appellation contrôlée, pourtant protégée au niveau international.

M. Rémi Cardon. - Je rejoins les propos de mon collègue Yannick Jadot sur le caractère essentiel d'une stratégie commerciale européenne.

Le Territoire d'industrie Angoulême-Cognac, qui s'est construit depuis quelques années et fonctionne plutôt bien, risque d'être chahuté par ces évolutions. Combien d'emplois directs et indirects sont menacés par la situation ?

Mme Anne-Catherine Loisier. - Explorez-vous d'autres marchés que la Chine ? Je pense notamment à l'Inde...

M. Anthony Brun. - En tant que vice-président du comité national des appellations d'origine contrôlée (AOC), je peux vous assurer que les différents acteurs de l'ensemble de la filière viticole française discutent régulièrement entre eux : sigles de qualité des eaux-de-vie de vin, difficultés du vin rouge, effervescents... Même si nous ne rencontrons pas les mêmes problèmes aux mêmes moments, la stratégie commune est donc déjà réelle.

La filière cognac comprend 15 000 emplois directs et 77 000 emplois indirects.

Une marque de cognac est sponsor officiel de la NBA (National Basketball Association), une autre a payé des publicités pendant le Super Bowl, une autre vient de signer un partenariat avec la Fédération internationale de l'automobile. Les maisons mettent aussi en place des publicités avec les plus grands acteurs. En matière de visibilité commerciale, aucune structure agricole ou viticole ne peut avoir la force marketing des grands groupes.

M. Florent Morillon. - Les interprofessions et la FEVS mènent un travail de rapprochement avec nos homologues producteurs de spiritueux aux États-Unis concernant d'éventuelles taxes Trump. L'objectif est d'oeuvrer auprès de nos gouvernements respectifs pour que nous évitions de nous retrouver entre le marteau et l'enclume. Même si nous sommes concurrents, nous avons intérêt à collaborer. Par ailleurs, des groupes locaux mènent une réflexion similaire.

Durant la période covid, l'évolution anormale de la consommation a eu des répercussions sur le prix du cognac aux États-Unis. Des distributeurs se sont crus tout permis, malgré la sensibilité au prix des consommateurs. Par exemple, un VS qui coûtait auparavant 40 dollars environ est passé à 46 dollars. Les achats ont ensuite cessé. Puisque les groupes ne maîtrisent pas les politiques de prix en local, ils ont fait pression pour faire comprendre que de telles hausses étaient une erreur. Même si le retour des montants à leur bon niveau ne se traduit pas totalement dans les statistiques de sortie de la région, les chiffres de nos commerciaux sur le sell out, c'est-à-dire sur ce qui est vendu véritablement, reprennent leur croissance.

Au regard des statistiques, tous les spiritueux, y compris la tequila et le whisky, souffrent d'une baisse de la consommation. Celle-ci est probablement moins importante que pour le cognac, mais les chiffres sur cette consommation ont évolué si vite que la chute ne pouvait être que rapide.

Actuellement, dix marchés pourraient nous intéresser et représenter une perspective de croissance, mais les droits imposés sont si importants qu'ils n'en permettent pas l'accès. C'est le cas, notamment, de l'Inde. De toute manière, même en cumulant les dix, nous ne compenserions pas le quart des ventes à la Chine.

M. Jérôme Delord. - Ayant travaillé longtemps pour le groupe Cadbury Schweppes, je sais que le commerce prime sur le politique : le consommateur ou l'acheteur de vin n'étant pas le consommateur ou l'acheteur de spiritueux - ces produits étant plus à la mode -, une stratégie commune ne fonctionne pas.

M. Nicolas Ozanam. - Nous sommes en négociation avec l'Inde depuis quinze ans et peut-être le serons-nous encore dans quinze ans... Tant que les droits d'entrée y sont de 150 % - ils peuvent atteindre les 400 % -, il est absolument impossible de pénétrer ce marché.

Nos exportations sont absolument déterminantes. Les trois quarts vont vers des pays tiers à l'Union européenne parce que ceux-ci valorisent davantage les produits expédiés. Pour faire vivre des filières, il faut parvenir à réaliser des marges, qui ne sont pas importantes sur le marché français et qui ne peuvent donc être ni redistribuées aux différents maillons de la chaîne ni réinvesties dans le développement commercial pour gagner des parts de marché. De fait, un tiers des volumes de vin vendus à l'export engendre plus de la moitié du chiffre d'affaires de la filière.

Mme Dominique Estrosi Sassone, présidente. - Nous sommes extrêmement mobilisés pour soutenir vos filières et travailler à une évolution des relations diplomatiques entre la France et la Chine qui soit de nature à vous rassurer dans les semaines à venir. Nous suivrons dès la semaine prochaine le déplacement de la ministre chargée du commerce extérieur, que vous rencontrerez demain.

Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.

Audition de M. Philippe Wahl, président-directeur général de La Poste

Mme Dominique Estrosi Sassone, présidente. - Mes chers collègues, nous avons le plaisir de recevoir M. Philippe Wahl, président-directeur général du groupe La Poste. Si vous êtes régulièrement reçu au Sénat, monsieur le président, votre dernière audition plénière devant notre commission des affaires économiques remonte au 15 février 2023, quelques semaines après l'entrée en vigueur de la réforme du catalogue du service universel postal et de la suppression contestée du timbre rouge, ce qui nous avait permis d'aborder assez longuement l'épineuse question du financement des quatre missions de service public exercées par La Poste.

Nous sommes réunis quelques semaines seulement après l'annonce, faite lors du congrès de l'Association des maires ruraux de France (AMRF), d'une coupe budgétaire allant jusqu'à 70 millions d'euros du financement octroyé par l'État à La Poste pour l'exercice de sa mission de contribution à l'aménagement du territoire. Cette mission, qui vous oblige à maintenir au moins 17 000 points de contact sur l'ensemble du territoire national - il s'agit de moins en moins de bureaux de poste et de plus en plus de points relais - est indispensable pour garantir la proximité des services publics, pour maintenir des agences postales communales et pour assurer un maillage territorial tout à fait stratégique pour les différentes activités de l'entreprise.

Face à l'inquiétude des élus locaux - nous sommes nombreux dans cette salle à avoir été alertés sur les enjeux du financement des missions de service public de La Poste dans la perspective du projet de loi de finances (PLF) pour 2025 -, savez-vous si le Gouvernement envisage de revenir sur cette coupe budgétaire ? C'est tout de même le financement des agences postales communales qui est en jeu ! Nous savons tous à quel point la présence des services de proximité est essentielle, surtout dans les zones rurales, dans les territoires ultramarins et dans les quartiers prioritaires de la politique de la ville.

Ces dernières années, la commission des affaires économiques du Sénat a permis, grâce à l'adoption de plusieurs amendements budgétaires, de maintenir le financement de la mission de contribution à l'aménagement du territoire à hauteur de ce qui est prévu et autorisé par le contrat de présence postale territoriale, négocié tous les trois ans entre l'État, La Poste et l'Association des maires de France et des présidents d'intercommunalité (AMF). Vous pouvez compter sur notre mobilisation pour essayer de trouver une solution qui, dans le contexte budgétaire actuel, ne pénalise ni les services publics de proximité ni les finances de nos collectivités.

C'est d'autant plus nécessaire que les problématiques de financement concernent toutes les autres missions de service public de La Poste, en particulier celle du transport et de la distribution de la presse. Sur ce point, une réforme est entrée en vigueur le 1er janvier 2023 pour inciter davantage les éditeurs de presse à recourir au portage plutôt qu'au postage, ce qui implique une baisse progressive des aides à l'exemplaire posté versées par l'État aux éditeurs de presse, à l'exception des distributions en zones rurales.

Quel regard portez-vous sur les premiers mois de mise en oeuvre de cette réforme ? Il nous semble que les objectifs ne sont pas totalement atteints. Comment comptez-vous assurer le financement pérenne de cette mission de service public si essentielle à la garantie du pluralisme des idées et des opinions dans notre pays ?

Je me permets d'insister sur ces questions, car la situation et l'équation économique de La Poste sont très particulières. Grâce à la transformation du groupe, pour faire face à la baisse tendancielle des volumes de courriers échangés, à son internationalisation et à sa diversification, le chiffre d'affaires annuel dépasse 34 milliards d'euros, mais le compte des services publics demeure largement déficitaire, malgré des compensations annuelles de l'État de plus de 1 milliard d'euros.

Pour faire face à cette situation, vous disposez de leviers d'action complémentaires.

Je pense, d'une part, à la conduite de changements internes et à la recherche de nouveaux gains de productivité, en agissant au niveau tant des effectifs que du réseau de distribution. Pourriez-vous nous faire un état des lieux des « révolutions silencieuses » à l'oeuvre au sein du groupe La Poste ?

Je pense, d'autre part, au développement de nouveaux segments d'activité générateurs de revenus et de croissance, en particulier à la livraison internationale de colis au travers de votre filiale Geopost. Quelles sont les perspectives actuelles de développement des activités d'e-commerce de La Poste dans un contexte où la concurrence s'accélère à l'égard de plateformes étrangères, américaines et surtout chinoises, comme Temu et Shein, de plus en plus présentes au sein de l'Union européenne ?

M. Philippe Wahl, président-directeur général de La Poste. - Madame la présidente, mesdames, messieurs les sénateurs, je reprendrai l'exposé stratégique là où notre conversation à ce sujet en était le 15 février 2023, date à laquelle mon entreprise était venue défendre la suppression du timbre rouge et l'organisation d'une nouvelle gamme de courrier.

Du point de vue écologique, nous avons plus qu'atteint nos objectifs. Nous avons fait les économies qui étaient prévues en nombre de tonnes de dioxyde de carbone (CO2) émises, en allant même bien au-delà, grâce à la suppression de trois avions qui ne transportaient plus du tout de lettres rouges durant les nuits et de 300 camions qui en transportaient de moins en moins.

En outre, nous avons déjà économisé 104 millions d'euros par an. En 2028, nous atteindrons les 500 millions d'euros d'économies, chiffre considérable. Dans le même temps, nous dépassons les objectifs de qualité de service qui nous sont assignés : nous sommes non pas aux 95 % visés, mais à 95,6 % de satisfaction.

Sur un thème qui, sans être central, vous avait passionné, la fameuse e-lettre rouge a trouvé sa vitesse de croisière, même si nous aurions pu faire des progrès sur la communication. Elle est envoyée par 6 000 à 8 000 personnes tous les jours pour dénoncer des contrats ou des abonnements à la dernière minute. Le produit n'est pas très porteur, mais le service est stable et apprécié, complémentaire de Maileva, chargé de l'envoi des colis pour des milliers d'entreprises. En Italie, en Allemagne, au Royaume-Uni, aux Pays-Bas et en Espagne, toutes les postes ont engagé la suppression du J+ 1 (timbre rouge) : partout se déploie le même phénomène de l'effondrement du volume du courrier.

Quelles sont les dynamiques à La Poste depuis le 15 février 2023 ?

D'abord, l'année 2023 a été la plus difficile depuis quinze ans du fait de la très haute inflation. Nous avons subi le choc de la hausse des prix de l'énergie pour nos véhicules, à hauteur de 1 milliard d'euros, tout en connaissant une panne de nos deux principaux moteurs de croissance : la banque de détail et Geopost.

Malgré toutes ces difficultés, nous avons dégagé un bénéfice de 514 millions d'euros. Cette réussite prouve, d'une part, l'extraordinaire engagement des postières et des postiers, auxquels je rends grand hommage pour ce succès, et d'autre part, la très forte solidité du modèle stratégique que nous avons construit au travers de nos échanges avec vous depuis dix ans. Même au cours d'une année très mauvaise, nous sommes bénéficiaires !

En 2024, comme le sait très bien cette commission, la croissance n'est pas vraiment revenue. Même si, depuis très longtemps, la chute des envois de courrier ne nous désespère plus, la situation est toujours aussi décevante en la matière : les volumes sont en baisse de 10,4 %, pour une perte de 600 millions d'euros de chiffre d'affaires en 2023 et une perte anticipée équivalente en 2024 et en 2025. Depuis que je suis le PDG du groupe - il n'existe pas de lien de cause à effet ! -, nous avons perdu 7 milliards d'euros de chiffre d'affaires à cause de la baisse du courrier tout en trouvant, grâce à l'effort des postiers et à notre modèle stratégique, le moyen de répondre à ces pertes, ce qui n'est pas si courant. Vous avez abordé au cours de l'audition précédente la question des spiritueux à forte valeur ajoutée : leurs envois, qui se font par palettes, sont transportés par La Poste ou par Chronopost !

Le courrier continue donc à décliner : nous intégrons cette donnée. Concernant les colis, le bilan est plus complexe. En effet, le e-commerce connaît une reprise très lente et fait face à deux phénomènes essentiels.

En premier lieu, nous assistons à la montée des plateformes chinoises, Temu et Shein, qui représentaient moins de 5 % des colis en Europe il y a cinq ans et qui pèsent à présent 22 %, soit 1 % de plus qu'Amazon, ce dernier étant à la fois le premier client et le premier concurrent de La Poste. En effet, notre groupe est en position de leadership, avec DHL et Amazon, mais connaît une très forte pression sur ses marges. Nous pensons toujours que nous sommes dans un secteur d'avenir, avec une croissance qui reprendra progressivement. Actuellement, 52 % du chiffre d'affaires de La Poste provient de la livraison de colis.

En second lieu, notre banque de détail, comme toutes les autres, est sous pression des marges d'intérêt. Le redressement de notre établissement est en cours et s'appuie sur CNP Assurances.

Le chiffre d'affaires de La Poste sur le numérique représente un motif de satisfaction. Il approche 1 milliard d'euros au travers de notre filiale Docaposte. Vous connaissez tous l'une de nos applications, utilisée par 18 millions de Français et par tous les établissements du secondaire en France : Pronote, c'est La Poste ! Nous gérons ce logiciel qui lie les directeurs d'établissement, les professeurs et les élèves, les carnets de notes et les exposés. Là se trouve le coeur de notre stratégie numérique : non pas faire du numérique tous azimuts, mais se concentrer sur les enjeux de souveraineté, partie intégrante de l'intimité numérique des familles et des entreprises.

Nous venons d'ailleurs de réaliser deux ajouts, essentiels pour la vie des gens, à Pronote. Nous avons développé, d'une part, une application disposant d'un volet relatif au harcèlement scolaire, d'autre part, une application pour les parents, pour les élèves et pour les enseignants afin de propager plus vite les demandes de stage, toujours plus nombreuses.

Les services de proximité humaine représentent l'enjeu le plus important et le pari le plus difficile à anticiper. Le besoin fondamental de lien social se perçoit par la très forte croissance, par les communes, les départements, les centres communaux d'action sociale (CCAS) et les associations, de la livraison de repas aux personnes âgées. Nous en sommes déjà le leader en nous chargeant de 30 000 des 150 000 repas livrés chaque jour en France. À l'avenir, nous pourrons aller jusqu'à 300 000, parce que notre personnel dispose du savoir-faire requis pour entrer au domicile des personnes. En effet, nous réfléchissons en termes de coût marginal et non de coût moyen, et nous décarbonons tous ces nouveaux services, tout en disposant déjà de huit accords avec des départements relatifs au service Icope (Integrated Care for Older People), qui permet une surveillance particulière des personnes âgées.

La Poste fait face à ses propres problématiques comme à ses concurrents - Amazon, les grandes banques françaises, Microsoft - tout en s'inscrivant dans le cadre d'un dialogue social. À ce titre, je vous remercie pour la loi du 22 novembre 2022 visant à accompagner la mise en place de comités sociaux et économiques à La Poste, à l'origine une proposition de loi sénatoriale. Elle nous a permis d'organiser les premières élections au comité social et économique (CSE) de La Poste il y a quinze jours, qui ont rencontré un très grand succès avec une participation des salariés de 64,5 %, un chiffre très positif pour la transformation de l'entreprise et important pour le législateur, car la loi se traduit bel et bien par une pratique sociale.

L'entreprise connaît donc des transformations décisives. J'en veux pour preuve que, à la fin de cette année, l'entreprise La Poste que vous avez toujours connue ne réalisera plus que 15 % de son chiffre d'affaires grâce aux lettres. Nous n'hésitons pas à traiter de manière résolue les difficultés auxquelles nous somment confrontées, ce qui a notamment été le cas en Italie. Ainsi, nous avons vendu Stuart et arrêté Urby.

Dès lors, le premier sujet stratégique de La Poste est celui de la sous-compensation des missions de service public. Vous ne le découvrez pas : je vous en ai parlé à chacune des étapes de notre conversation stratégique depuis septembre 2013, première fois où vous m'avez auditionné. L'enjeu prend désormais une acuité considérable : la somme des sous-compensations depuis six ans représente 4 milliards d'euros. L'État aurait dû nous les verser ! Nous vous remercions du milliard que nous recevons, mais, d'après les calculs de l'Autorité de régulation des communications électroniques, des postes et de la distribution de la presse (Arcep), les missions à notre charge coûtent 2,2 milliards d'euros. Pour le dire autrement, chaque année, il manque plus de 1 milliard d'euros à La Poste.

Il s'agit d'un motif d'inquiétude pour vous, représentants du peuple et des territoires ; aussi, je vous remercie pour votre mobilisation sur les 50 millions d'euros relatifs à la mission de contribution à l'aménagement du territoire, tout comme je remercie le Gouvernement qui a intégré vos préoccupations. Toutefois, pour cette mission, nous ne sommes compensés qu'à 50 %. Je me demande pourquoi ! Aucune autre entreprise ne se voit compensée à cette hauteur pour une semblable mission.

Je vous sais extrêmement sensibles à ce sujet, ayant parlé très souvent avec Patrick Chaize de la qualité de service. Comme moi, vous êtes critiques sur les fermetures inopportunes d'agence et sur les problèmes de tournée. Nous voulons bien disposer d'objectifs de qualité de service, mais vous voyez bien qu'il est difficile de les atteindre quand 170 millions d'euros vous manquent chaque année.

Je vous remercie également de votre action sur le courrier lorsque, à la suite de la dégradation des services, vous avez voté en faveur d'une compensation de 500 millions d'euros, accompagnée d'un bonus de 20 millions d'euros si l'objectif de qualité était atteint. De fait, nous avons réussi la première année à toucher cette somme, mais pas l'année suivante, alors même que nous avions atteint l'objectif, en raison d'une régulation budgétaire... Je suis très favorable à la clause de qualité, mais cela suppose que nous touchions l'argent !

Le sujet le plus complexe a trait à la presse. Vous avez là aussi voté en faveur de dispositions sur cette question. Aussi, sur le fondement d'un rapport d'un conseiller maître de la Cour des comptes, Emmanuel Giannesini, un accord a été signé par l'État, par les éditeurs de presse et par La Poste : la distribution de chaque journal se faisant à perte, notre entreprise a pu augmenter ses tarifs pour que ceux-ci excèdent les coûts - la hausse a toutefois été insuffisante - tandis que l'État compensait en donnant aux éditeurs de presse de quoi payer la différence de coût du postage et développer le portage. Or, les éditeurs ayant réalisé plus de postages, nous avons perdu, au lieu de 200 millions, 500 millions d'euros en 2023 !

Quelle entreprise peut se développer et assurer sa pérennité avec une telle charge sur son dos, sur un sujet qui lui est extérieur ? Il faut trouver une solution qui s'inspire à nouveau d'Emmanuel Giannesini, c'est-à-dire qui permette aux prix de couvrir les coûts. C'est la base de l'économie ! À l'État de compenser s'il le souhaite.

Le milliard d'euros de charges non compensées inquiète les élus, à cause des risques qui pèsent sur l'aménagement du territoire et sur la presse, les salariés et les agences de notation. En effet, celles-ci estiment que la non-compensation élèvera le coût de notre dette et nous empêchera peut-être un jour d'accéder au marché.

Nous gardons l'espoir d'une discussion sereine, raisonnable et approfondie avec les parlementaires et le Gouvernement pour trouver des solutions tant pour 2025, en urgence, que pour le long terme sur le financement des missions de service public. La Poste et les postiers savent mener leurs affaires, comme les chiffres le montrent. Nous sommes fiers de ce que nous avons accompli depuis dix ans et le succès des élections récentes montre que les postiers partagent le projet stratégique. Il serait paradoxal que le seul véritable problème rencontré par une entreprise en transformation soit le déficit occasionné par ses missions de service public.

Mme Anne-Catherine Loisier. - Si les objectifs de qualité de service sont atteints pour le service universel postal, comment expliquez-vous que vous ne puissiez bénéficier de la majoration de 20 millions d'euros ? Quelles réponses l'État vous a-t-il apportées ?

Concernant l'aménagement du territoire, la compensation maximale autorisée est de 174 millions d'euros. Le PLF, à ce jour, ne vise qu'une enveloppe de 105 millions d'euros, auxquels il faut ajouter 54 millions d'abattements fiscaux. Puisqu'il ne manquerait donc que 15 millions d'euros, que recouvre la coupe budgétaire de 50 millions d'euros que vous évoquiez lors du congrès de l'AMRF ?

À l'heure actuelle, ce sujet n'est abordé dans aucun amendement examiné à l'Assemblée nationale. Dans le cas où le Gouvernement confirmerait au final l'enveloppe, combien d'agences postales communales seraient menacées ? Comment évoluerait le budget des commissions départementales de présence postale ? La Poste s'engagerait-elle à maintenir prioritairement ses agences et ses points relais dans les zones rurales afin d'éviter de pénaliser ces territoires ?

J'en viens à l'accessibilité bancaire : La Poste commence à supprimer ses distributeurs automatiques de billets (DAB) dans un certain nombre de territoires en prétextant la présence d'autres services, mais elle risque fort d'entraîner leur fermeture... Je déplore que, dans tel ou tel cas, ce soit La Poste qui parte la première.

Enfin, je tiens à revenir sur la mission de transport et de distribution de la presse. Vous l'avez souligné, en la matière, l'équilibre est particulièrement difficile à trouver. Les tarifs postaux des éditeurs de presse vont-ils évoluer ? Ce modèle économique suscite diverses interrogations. Un certain nombre d'éditeurs de presse bénéficient aujourd'hui de dispositifs d'accompagnement et de subventions, alors qu'ils appartiennent à de grands groupes particulièrement rentables. Ne pourrait-on pas concentrer ces aides sur les éditeurs de presse indépendante ?

M. Patrick Chaize. - Votre propos se veut rassurant. Vous insistez en effet sur les points positifs : la réussite écologique, la résilience, la réorganisation du service ou encore la stratégie numérique, ce qui ne peut que me plaire. Néanmoins, on ne peut pas prétendre que tout va bien...

Vous le savez, je plaide pour que toutes les missions de service public soient compensées à l'euro près. C'est, à mon sens, un gage de bonne gestion. Or, pour différentes missions, comme l'aménagement du territoire, les obligations législatives mettent à mal, et ce depuis longtemps, l'équilibre économique de La Poste. En effet, la compensation accordée ne représente qu'à peu près la moitié des montants constatés par l'Arcep comme par les services de La Poste : elle s'élève au maximum à 174 millions d'euros pour quelque 350 millions d'euros de dépenses.

De même, pour la presse, le besoin d'équilibre à court terme est manifeste. Il faudrait certainement augmenter le prix de la distribution. Avez-vous engagé des démarches en ce sens, notamment auprès de l'Arcep ?

Au-delà de cette sous-compensation, quel est le risque principal pour l'entreprise ? Comment garantir l'exercice des missions de service public confiées à La Poste ? Au fond, une nouvelle loi postale ne serait-elle pas la solution pour rendre au secteur postal un équilibre global ?

M. Philippe Wahl. - Madame Loisier, la majoration qualité de 20 millions d'euros n'existe plus...

Mme Anne-Catherine Loisier. - Cette mesure valait pour l'année 2023.

M. Philippe Wahl. - Elle vaut également pour 2024.

Pour l'aménagement du territoire, j'ai cru comprendre que le Gouvernement entendait revenir sur le prélèvement évoqué. Quoi qu'il en soit, il nous manque 15 millions d'euros pour arriver à 174 millions d'euros, montant qui ne représente d'ailleurs qu'une compensation de 50 %. Si l'on veut des commissions départementales de présence postale territoriale (CDPPT), des agences postales communales et des relais-poste commerçants (RPC), si nous voulons renforcer la qualité de service, sur laquelle vous insistez légitimement, il faut commencer par nous accorder une compensation de 100 %, comme on le fait pour toute entreprise. La persistance des sous-compensations ne peut que menacer la politique d'aménagement du territoire dans son ensemble.

La mission d'accessibilité bancaire confiée à la Banque postale est unique en Europe : d'ailleurs, toutes les postes n'ont pas de banque. Au terme d'un travail mené de concert avec nous, Bruxelles a confirmé l'utilité de cette mission, en relevant que La Poste l'exerçait équitablement et qu'elle n'était pas surcompensée. C'est de « l'humour bruxellois » : de fait, cette mission nous coûte 100 millions d'euros.

Vous évoquez les suppressions de guichets. La Poste n'est jamais la première à partir, jamais...

Mme Anne-Catherine Loisier. - Je vous donnerai un exemple en aparté.

M. Philippe Wahl- Nous gardons 17 000 points de contact ; telle ou telle fermeture peut être décidée, mais nous ne sommes pas les premiers à partir.

La question, ce n'est pas la présence d'un bureau de poste ou d'une agence postale communale (APC), mais celle du DAB. Nous devons faire des économies, et pour cause, nous subissons une sous-compensation : s'il existe un ou deux autres DAB dans la commune, nous avons souvent tendance à dire que nous gardons le bureau en supprimant le DAB. En pareil cas, il n'y a pas de rupture de continuité du service public ; ce serait évidemment plus grave si La Poste supprimait le dernier DAB de la commune.

Mme Anne-Catherine Loisier. - C'est bien le cas dans la commune à laquelle je pense.

M. Philippe Wahl- Nous allons nous pencher sur ce cas précis. J'imagine qu'il s'agit plutôt d'une commune rurale - dans les grandes agglomérations, les limites communales n'ont pas la même importance. Je suis toujours preneur d'exemples et je vous assure qu'en tout état de cause La Poste veut rester dans les territoires. Nous l'avons encore répété aux représentants des CDPPT, réunis à Paris la semaine dernière.

Pour les tarifs de la presse, la mission Giannesini n'a pas produit ses effets, non pas parce que ses conclusions étaient fausses, mais à cause du comportement des acteurs.

Notre position est claire : ce n'est pas à La Poste que cette mission doit coûter 500 millions d'euros. D'une part, nous devons couvrir nos coûts ; de l'autre, il faut assurer l'existence d'un marché du portage. Or, si La Poste pratique des prix trop bas, ce marché sera fatalement cannibalisé. C'est ce point qu'il convient de traiter.

Selon moi, dès lors qu'il s'agit d'un droit fondamental, c'est à l'État d'assurer le financement, soit par une aide directe à La Poste, comme auparavant, soit par une aide aux éditeurs de presse, à condition que ces derniers la consacrent au portage. Pendant l'année écoulée, ils ont accru leur recours au postage, et pour cause, ils ne trouvaient plus de porteurs. Mais ils ne risquent pas d'en trouver s'ils ne les paient pas mieux ; et ils ne les paient pas mieux parce que le prix de l'envoi postal est trop bas. Telle est la mécanique à l'oeuvre.

M. le ministre de l'économie, des finances et de l'industrie le sait : au sujet des missions de service public considérées dans leur ensemble, nous avons déclenché la clause de revoyure. Nous lui avons fait savoir que le contrat dérivait et qu'il fallait absolument trouver les moyens d'un rééquilibrage.

Monsieur Chaize, je ne prétends évidemment pas que tout va bien ; mais je vous certifie que le management de La Poste et ses 250 000 salariés font leur travail pour développer l'entreprise. Le problème, c'est que, chaque année, il nous manque 1 milliard d'euros de compensation des charges qui nous sont imposées. C'est bel et bien le sujet et, à cet égard, cela va très mal.

M. Yannick Jadot. - Message reçu !

M. Philippe Wahl- Reste que, globalement, l'entreprise est à même de se développer.

À mon sens, il existe deux risques principaux. Le premier, c'est la dégradation du service public rendu, laquelle suscite un sentiment d'abandon d'autant plus grand que les besoins s'expriment partout sur le territoire. Le second, c'est l'étouffement de La Poste : faute d'une compensation intégrale, la dette atteint un niveau tel que nous risquons de ne plus pouvoir investir nulle part, ni dans le développement des véhicules, ni dans la décarbonation, ni dans les acquisitions. La pérennité de notre stratégie toute entière pourrait s'en trouver mise en cause. C'est un risque absolument majeur, surtout quand on mesure le chemin parcouru depuis dix ans par la communauté postale. Nous en sommes là...

Si je vous parle d'une future loi postale, c'est parce qu'il en faudra une. La loi du 9 février 2010 a désigné La Poste comme opérateur postal en fixant l'échéance du 31 décembre 2025. Sans nouvelle loi, au 1er janvier 2026, il n'y aurait plus d'opérateur postal en France.

Il y aura donc une nouvelle loi postale : évidemment, il vaudrait mieux que ce texte soit voté au premier semestre de 2025, afin que nous puissions effectuer les ajustements nécessaires. Si, dans ce cadre, le législateur donnait un mandat de dix ans à l'opérateur postal, il faudrait lui garantir qu'il ne perdra pas 1 milliard d'euros par an : je ne connais pas beaucoup d'opérateurs prêts à perdre, au total, 10 milliards d'euros.

Pour l'heure, nous sommes face à une urgence : que va-t-il se passer en 2025 pour l'entreprise ? Je peux vous assurer que cette question inquiète les présidentes et présidents de CDPPT - ils nous l'ont fait savoir à Paris la semaine dernière -, les élus, nos concitoyens, nos 250 000 salariés et les agences de rating.

L'agence Standard & Poor's doit publier ce soir une note relative à La Poste. Elle ne critique absolument pas notre gestion, mais souligne que la non-compensation fait peser de lourdes menaces sur l'entreprise.

Comme toujours depuis dix ans, nous sommes transparents, qu'il s'agisse de notre action, de nos réussites, de ce qui ne marche pas, des difficultés auxquelles nous remédions ou des grands problèmes auxquels nous sommes confrontés.

Pour l'aménagement du territoire comme pour la presse, il faut agir maintenant, c'est-à-dire avant le 31 décembre 2024, pour 2025. Pour le reste, nous faisons notre travail, qu'il s'agisse d'Amazon ou de la concurrence chinoise.

Le dispositif Oui Pub a envoyé au tapis notre concurrent, le groupe Adrexo, fort de 10 000 salariés. Comme vous le savez, cette entreprise s'était illustrée en 2021 dans la distribution du matériel électoral. Puis elle a fait faillite, emportée notamment par la chute du marché des blocs de propriété intellectuelle.

La Poste a été confrontée à la même crise : pour sa part, elle a respecté son modèle social - nous avons d'ailleurs repris les salariés de Médiaposte pour les former au métier de facteur.

Nous l'avons prouvé depuis plus de dix ans : nous savons faire ce travail. Nous sommes capables de gérer de tels problèmes sociaux. En revanche, nous ne pourrons pas assurer seuls les missions de service public. Ces questions exigent un dialogue serein, avec le Gouvernement comme avec le législateur.

M. Bernard Buis. - Premièrement, parvenez-vous à recruter suffisamment de salariés pour répondre à vos besoins ? Deuxièmement, quelle est la part de l'électrique dans votre flotte de véhicules ?

M. Fabien Gay. - Je le dis à l'intention de mes collègues : on ne peut pas assigner des missions de service public à tel ou tel opérateur tout en votant, année après année, des budgets en diminution. C'est notamment vrai pour le transport ferroviaire : on déplore régulièrement la suppression de telle gare ou de telle petite ligne, mais le nouveau pacte ferroviaire a bien été voté en 2018, et il annonçait la couleur... En l'occurrence, il en est de même : si M. Barnier persiste à vouloir réduire les crédits accordés à La Poste et si le Sénat vote cette baisse, il ne faudra pas se plaindre ensuite.

J'en viens à mes questions.

Premièrement, dans mon département de Seine-Saint-Denis, Chronopost ne livre aucun colis : nous sommes face à un exemple criant d'inégalité territoriale. Pour notre part, nous ne demandons que l'égalité républicaine.

Deuxièmement, j'appelle votre attention sur les effectifs de La Poste, en baisse constante depuis plusieurs années. Jusqu'où voulez-vous aller ? Quel est votre objectif ?

Troisièmement, je me dois de revenir sur la question de la presse.

Tout le monde ici sait que je suis directeur de L'Humanité. Je prends soin d'éviter toute confusion des rôles et je me garde donc d'évoquer ces sujets. Mais, aujourd'hui, je sors de ma réserve, d'autant qu'il ne s'agit pas d'un débat législatif.

À mon sens, il ne faut pas opposer les éditeurs de presse et La Poste. La Poste n'est pas compensée à la hauteur de ses charges, et ce n'est pas normal. Mais les éditeurs ne le sont pas davantage, les aides, directes ou indirectes, diminuant chaque année ; et, en parallèle, le service est insatisfaisant.

Si l'on considère que la presse est une garantie constitutionnelle du pluralisme, du débat d'idées et donc de la démocratie, il faut que la presse soit livrée : c'est ainsi. Or tout est fait depuis des années pour favoriser le portage privé, choix qui entraîne une inégalité de traitements entre éditeurs. Certains peuvent payer ; d'autres ne le peuvent pas, alors même que les abonnements sont déjà extrêmement chers.

J'ajoute que le portage est - passez-moi l'expression - un « métier de chien ». On ne trouve plus personne pour se lever à quatre heures du matin et travailler jusqu'à neuf heures pour un salaire de misère, que la flambée du prix du carburant rend encore plus ridicule. Même Ouest-France, qui a été le leader du portage, n'y arrive plus. Voilà la réalité.

Vous êtes prestataire des éditeurs : eh bien, je ne paierai pas un prestataire qui n'assure pas sa mission. Au total, 37 % de mes abonnés ne sont pas livrés le jour J. Vous avez dû admettre ce chiffre au terme d'une étude conjointe.

Aujourd'hui, tout concourt à l'abandon de la presse papier au profit du numérique : c'est un grave problème, car un tel choix menace de nombreux métiers, qu'il s'agisse de l'impression ou de la distribution. Je n'oublie pas non plus les kiosquiers.

Plutôt que d'opposer les uns aux autres, considérons ensemble que nous concourons à une mission de service public. Souvenons-nous que la presse est au service de la démocratie. Il faut demander à l'État de vous accorder une compensation digne de ce nom et de nous octroyer des aides à la hauteur de nos besoins ; sinon, nous n'y arriverons pas. Nous avons un combat commun à mener contre le Gouvernement.

M. Jean-Claude Tissot. - Monsieur le président-directeur général, je souscris à la plupart de vos propos.

Les maires qui disposent aujourd'hui d'une agence postale communale et qui voient leur contrat avec La Poste arriver à échéance ont des inquiétudes très vives. Encore ce matin, le maire de la commune de Chevrières, dans mon département, me faisait part de sa préoccupation. Quelle réponse pouvez-vous nous apporter sur la pérennité de ces contrats bâtis avec les communes, qui se battent pour garder leurs services de proximité ? Disposez-vous d'une visibilité dans le contexte budgétaire que l'on connaît ?

En 2022, mon groupe avait défendu ici une proposition de loi visant à renforcer l'accessibilité et l'inclusion bancaires, avec notamment la création d'un fonds de garantie de la présence bancaire territoriale. L'idée était de reverser à La Poste le produit d'une taxation sur les bénéfices des établissements bancaires pour assurer ce service. Hélas, notre proposition a été rejetée. Il nous a été opposé que d'autres solutions existent pour apporter de l'argent liquide dans les coins les plus éloignés - ce n'était même pas une histoire de distributeur automatique de billets -, notamment la possibilité pour les facteurs d'apporter, sur demande, de l'argent liquide aux personnes ayant des difficultés de déplacement. Ce service est-il encore d'actualité ? Si oui, avez-vous des éléments chiffrés sur son utilisation concrète ?

M. Philippe Wahl. - Sauf dans certains secteurs de la région parisienne, le recrutement de personnel ne pose pas de problème. En effet, nous disposons d'un volant d'intérim qui est, en fait, un volant d'intégration : nous intégrons les intérimaires que nous recrutons pour gérer les points de contact et les périodes difficiles. Ce système d'intégration fonctionne extrêmement bien. Comme je le disais tout à l'heure sur les problèmes causés par Oui Pub à Adrexo et à notre filiale Médiaposte, nous pouvons recruter des gens qui ont besoin d'un emploi.

Il n'y a donc pas aujourd'hui de problèmes graves de recrutement, même si, dans certains endroits du territoire, il est très difficile pour n'importe quelle entreprise française de recruter. Je pense au Genevois, dans l'Ain et le Doubs. Voilà environ quatre ans, j'ai rendu visite, avec Yannick Imbert, aux factrices et aux facteurs du canton de Gex : deux des tournées avaient changé cinq fois de facteurs dans l'année, parce que, chaque fois, le titulaire était parti de l'autre côté de la frontière, à cinq kilomètres, pour un salaire doublé. À part ces zones de tensions considérables que sont le Genevois, d'un côté, et Thionville, de l'autre - exactement pour les mêmes raisons, avec la proximité du Luxembourg -, La Poste est un employeur qui attire.

Je veux souligner, pour vous le prouver - pardon d'évoquer ce cas personnel -, que, lorsque le directeur général de l'Agence nationale de la sécurité des systèmes d'information (Anssi), Guillaume Poupard, qui est le meilleur expert en cybersécurité de France, a, après neuf ans d'exercice, changé de métier et quitté l'administration, c'était pour venir à La Poste.

Nous savons à la fois attirer des talents technologiques et des talents relationnels, avec nos factrices et nos facteurs.

À Paris, la totalité de la distribution de La Poste est soit électrique, soit à faibles émissions. C'est le cas dans toutes les villes françaises. Globalement, le taux d'électrification est presque à 30 %.

Toutefois, monsieur le sénateur, la sous-compensation conduit à une telle pression qu'il faudra faire des économies ! J'ai toujours dit, notamment il y a dix ans, lorsque je vous ai parlé de la logistique urbaine décarbonée comme d'un enjeu majeur pour La Poste et les villes, que cette logistique écologique et décarbonée était plus chère.

Pour l'heure, La Poste est très largement leader de la livraison électrique en Europe et dans le monde. D'ailleurs, c'est la seule entreprise de logistique qui soit certifiée SBTi. Nous sommes très en avance sur ce plan. Cependant, l'engagement pour la transition écologique nécessite un pilotage économique.

Monsieur le sénateur, je suis complètement d'accord avec vous sur la presse. Dans ce jeu à trois acteurs - les éditeurs de presse, les transporteurs, c'est-à-dire nous, et l'État -, il ne faut opposer personne. Ce qui n'est plus possible, c'est que l'ajustement se fasse sur La Poste.

M. Fabien Gay. - Et sur les éditeurs !

M. Philippe Wahl. - Bien sûr, mais, pour ce qui me concerne, je suis mandataire social de La Poste...

Dans le déficit de nos comptes de l'année 2023, les pertes sur la presse s'élevaient à 200 millions d'euros. C'est considérable, parce qu'il faut les compenser. On se retrouve désormais avec 500 millions d'euros de pertes - qui sait si elles ne monteront pas à 700 millions d'euros l'année prochaine ? Ce sujet doit être traité.

À cet égard, monsieur le sénateur, vous avez raison : tant que le prix du portage ne permettra pas de rémunérer correctement les gens, les éditeurs de presse auront du mal à trouver des porteurs. Cela montre bien que le service de La Poste n'est pas trop cher ! Il est prédateur vis-à-vis du portage s'il n'est pas compensé.

Je pense donc, comme vous, que nous avons un intérêt commun à trouver une solution pour continuer à distribuer la presse.

M. Fabien Gay. - On ne peut avoir des éditeurs qui paient de plus en plus cher pour un service de plus en plus dégradé !

M. Philippe Wahl. - J'allais y venir, en donnant trois éléments. Premièrement, il est vrai que, dans la ruralité, les journaux arrivent de plus en plus tard, parce que les tournées de facteurs démarrent plus tard - de fait, le colis arrive bien plus tard que la lettre... Cela décale complètement les choses.

Deuxièmement, une partie de ce retard est liée au fait que l'on ne nous remet pas les exemplaires à temps. Nous parlons de 20 %. Pour ma part, je n'avais pas le chiffre de 37 % en tête...

M. Fabien Gay. - Je vérifierai mon chiffre cet après-midi !

M. Philippe Wahl. - Je vérifierai le mien également.

Au-delà, il y a un intérêt commun des acteurs à trouver une solution. Mais il faut la trouver !

Pour ce qui concerne les agences postales communales, il faut revenir au contrat. Puisque nous demandons à l'État de respecter le sien, nous devons respecter le nôtre.

Le contrat est de neuf ans - nous n'avons jamais mis un terme à un contrat avant cette durée, même quand il n'y a plus personne dans le bureau de poste.

Si un maire vient nous voir, nous discutons, sur la base de la fréquentation. La fréquentation de l'agence que nous constatons ensemble justifie-t-elle qu'on la conserve ? Le rapprochement d'une APC et d'une maison France Services dont la commune serait porteuse entraînerait-il un gain de fréquentation pour les deux structures ? La maison France Services doit-elle alors s'installer dans le bureau de poste pour la faire bénéficier d'une meilleure commercialité, ou est-ce le bureau de poste qui, à l'inverse, doit intégrer la maison France Services de la commune pour profiter de sa fréquentation ? La réponse n'est donc jamais oui ou non... Nous cherchons des solutions.

En tout état de cause, la clé, monsieur le sénateur, c'est la fréquentation. C'est très important.

Je veux le dire ici publiquement : La Poste veut rester sur les territoires. En tant que responsable d'entreprise, j'estime notamment que, dans la ruralité, nous devons tout faire pour qu'il reste 750 postiers dans la Nièvre, 800 postiers en Corrèze, 400 postiers en Lozère. Cela ne se fera pas avec la seule lettre !

Je veux vous donner un exemple, qui n'est pas pris au hasard. Nous avons accepté de passer un contrat d'agence postale communale de trois ans avec un maire de Corrèze qui voulait développer une APC dans son village de 325 habitants, où il n'y avait jamais eu de bureau de poste. Nous l'avons accepté pour qu'il puisse, au travers de cette agence, implanter une épicerie solidaire. Si ça marche, si la fréquentation est au rendez-vous, nous prolongerons le contrat de trois ans. En revanche, s'il y a deux clients par jour, nous ne pourrons pas le prolonger.

Cet exemple montre bien, d'abord, que nous sommes très ouverts ; que nous sommes capables d'innover ; que nous pouvons ouvrir une APC même quand il n'y a pas de bureau de poste.

La clé pour vous, élus, comme pour nous, c'est la fréquentation. Un équipement public qui ne serait plus fréquenté vous poserait exactement le même problème ! Dites à votre maire que le sujet est celui de la fréquentation, et donnez-nous son nom pour que nous puissions discuter avec lui.

La question du fonds de garantie de la présence bancaire est très intéressante. Elle est prévue par le traité de Rome. Elle est souple. Lorsqu'il y a une mission de service public, que fait la Commission européenne ? Elle vérifie que l'État n'aide pas l'entreprise qui est opérateur. Avec la baisse de 1 milliard d'euros, le risque que l'on considère que nous percevons des aides d'État est réduit...

Il existe deux façons de régler les problèmes d'accessibilité bancaire. Votre fonds en est une. Dans le langage de la Commission européenne, on appelle cela « play or pay » : soit les autres banques participent à la mission de service public en accueillant les personnels et les clients, soit elles paient quelque chose. C'est au législateur qu'il revient de s'exprimer, mais, je le répète, la stratégie de La Poste est de rester dans les territoires. Garder des emplois pour mes salariés qui veulent vivre et travailler dans le pays, c'est ma responsabilité de patron.

Mme Amel Gacquerre. - On l'a compris, l'idée est d'avoir un maximum de bureaux de poste sur tout le territoire. Face à la fermeture de certains bureaux, des communes ouvrent une agence postale communale en contrepartie d'une compensation, équivalente à un demi-poste d'agent de catégorie C de la fonction publique territoriale. Certains maires me disent que cette compensation n'est pas suffisante. Pouvez-vous nous dire quel est le coût réel de ce transfert de services de compétences ?

Avec Jean-Jacques Michau, nous travaillons actuellement sur l'impact de l'intelligence artificielle (IA) sur nos services publics. Je me suis donc intéressée à Docaposte, et je salue évidemment la création de solutions d'IA générative souveraine. Quel est l'impact de l'introduction de l'IA sur les emplois, donc sur le maintien de bureaux de poste, aussi bien d'un point de vue qualitatif que quantitatif ?

Un mouvement de grève a eu lieu au sein de La Poste dans l'Eure. Les agents se seraient plaints de l'utilisation d'une solution d'IA générative pour la gestion de leurs agendas, dénonçant une gestion très technique et peu humaine.

Mme Evelyne Corbière Naminzo. - Sénatrice de La Réunion, je tenais à souligner que la suppression des 50 millions d'euros, dont on ignore l'effet sur le contrat de présence postale territoriale, est un vrai enjeu pour nos territoires et pour l'outre-mer. Cette baisse augmentera la charge financière des communes pour garantir le fonctionnement du service public postal, ce qui sera très difficile, voire impossible à assumer pour nombre d'entre elles.

À La Réunion, la diminution du fonds de péréquation obérerait considérablement la capacité de la commission départementale de présence postale territoriale (CDPPT) à engager des travaux d'amélioration des points de contact. Or, chez nous, La Poste est propriétaire de nombreux bâtis. C'est un héritage historique dont nous sommes fiers, mais qui doit être rénové - des travaux s'imposent. Il faut renoncer à la suppression annoncée !

Par ailleurs, comment pourrait-on remédier à la surtarification qui frappe les colis du service universel postal à destination des départements et régions d'outre-mer (Drom) ? Dans nos territoires éloignés, nous n'avons pas beaucoup de choix, pour le colis notamment. C'est pourtant un moyen de garder le contact avec nos familles qui vivent dans Hexagone ou dans le monde.

Chez nous, l'accessibilité bancaire est très importante. Un Réunionnais sur deux étant client de la Banque postale, et la précarité étant très forte dans nos territoires - 36 % de la population vit en dessous du seuil de pauvreté -, nous sommes très attachés à ce service public. Nous demandons notamment qu'aucun DAB ne soit supprimé.

En 2024, on a demandé à la CDPPT de La Réunion de faire preuve de solidarité vis-à-vis de Mayotte, où les besoins sont grands : on nous a demandé de nous serrer un peu la ceinture en ce qui concerne l'investissement, afin de pouvoir orienter des crédits vers Mayotte. Qu'en est-il de cette solidarité ? Pour ma part, je considère que cette solidarité devrait être nationale, et non pas cantonnée à l'océan Indien. J'aimerais connaître votre avis sur ce sujet.

Mme Marianne Margaté. - Je veux rappeler la grande sensibilité des élus et des habitants à la qualité de la distribution du courrier. On connaît les réactions très vives suscitées par la baisse du nombre de tournées, ou encore par l'augmentation du prix du timbre - 127 % en dix ans tout de même... Force est de constater que cette qualité du service de la distribution se dégrade. Cependant, on enterre un peu vite la question du courrier, qui demeure importante.

Nous confirmez-vous la suppression d'un quart des boîtes aux lettres dans notre pays ? Si oui, sur quels critères, à quelle échéance et pour quelles raisons ?

Il y a, aujourd'hui, parmi les points de contact, environ 7 000 bureaux de poste et 10 000 agences postales et relais commerçants. Avez-vous pour objectif de fermer certains des bureaux de poste, au profit d'agences postales communales ou de relais commerçants ?

M. Philippe Wahl. - Je considère que le chiffre de 13 500 APC constitue une bonne base. Est-il suffisant ? Cela dépend aussi de la fréquentation, madame la sénatrice. S'il y a trois clients par jour, comme c'est le cas dans énormément d'agences, 13 500, ce n'est pas si mal ! S'il y a une vraie fréquentation, qui absorbe énormément la ou le secrétaire de mairie, c'est un peu juste...

Évidemment, ce n'est pas en sous-compensant de 50 % que l'on favorisera la résolution de ce problème ! Nous supportons la moitié du coût du personnel communal, à égalité avec les communes - c'est notre intérêt commun.

Nous avons beaucoup développé l'IA. Nous l'avons développée en interne, par exemple dans tous les travaux comptables ou de reconnaissance des factures. Aujourd'hui, 93 % des milliards de factures traitées par La Poste le sont par un oeil électronique, sans intervention humaine. C'est un progrès de productivité, et c'est un progrès pour le travail humain, la reconnaissance de facture n'étant pas l'activité la plus intéressante qui soit.

Nous sommes très avancés sur l'IA générative. Deux de nos filiales, Probayes et Openvalue, y travaillent. Nous sommes très contents de ce qu'elles font.

Pour ma part, je n'ai pas de crainte pour l'emploi, d'abord parce que nous saurons gérer la pyramide des âges dans les services supports, ensuite parce que l'IA ne remplacera pas le lien personnel et social qui fait le coeur du métier des postiers : la visite à une personne âgée, la livraison de médicaments, le contact et la lutte contre l'exclusion numérique...

Au contraire, nous considérons que l'IA peut enrichir et alléger le travail de nos salariés. D'ailleurs, dans les contacts réguliers que nous avons avec chacune de nos organisations syndicales sur la stratégie de La Poste, nous allons travailler spécifiquement sur l'IA. Nous n'y voyons pas de source d'inquiétude particulière.

J'ignorais qu'il y avait eu un mouvement de grève dans l'Eure. De fait, il peut y avoir des grèves - nous sommes 200 000, il y a 17 000 implantations, c'est la France... Cependant, la conflictualité est globalement en baisse continue depuis dix ans. Visiblement, nous n'avons pas très bien communiqué, car la mise en place de l'agenda aidé par l'IA est très utile ! Elle va aider les salariés chargés du contact à être plus efficaces.

Au demeurant, la grève est aussi là pour montrer que quelque chose ne va pas - en tant que patron, je sais bien qu'elle peut avoir ce rôle. En l'occurrence, il y a sans doute eu là un manque de pédagogie. Nous pouvons sans doute progresser sur ce plan.

Madame la sénatrice Evelyne Corbière Naminzo, deux membres du comité exécutif de La Poste étaient à La Réunion la semaine dernière - je crois qu'ils ont eu l'honneur de vous rencontrer.

Mme Evelyne Corbière Naminzo. - Oui !

M. Philippe Wahl. - Il est très important que nous soyons présents dans les Drom. De fait, nous sommes la plus grande entreprise des Drom ! Nous allons évidemment chercher à conserver cette présence. Dans beaucoup d'endroits, le dernier DAB est le nôtre - à Hell-Bourg, par exemple. Nous allons essayer de le garder.

Nous sommes également très présents via la Banque postale, non seulement parce que nous accueillons la moitié de la population réunionnaise, ce qui est un immense honneur pour nous, mais aussi, par exemple, parce que nous avons financé, avec la Banque des territoires, l'énorme usine de traitement des déchets de Saint-Pierre, qui est un projet proche du milliard d'euros. Nous sommes investis dans les territoires.

Il y a, dans les Drom, des coûts supplémentaires liés au climat et à la tropicalité : les voitures, les immeubles s'usent beaucoup plus vite ; le matériel souffre beaucoup plus... Le sujet de la climatisation est partout : pour nos facteurs, dans les usines à colis... Mais notre volonté, madame la sénatrice, est extrêmement claire : rester !

Pour ce qui concerne les tarifs, n'oubliez pas que nous prélevons maintenant l'octroi de mer pour le compte des Drom - naguère, les douanes le faisaient. Le prélèvement par La Poste s'est traduit par une hausse du prix global pour le client. Il est devenu beaucoup plus cher d'envoyer des colis. Je rappelle cependant que les fameux colis pays permettent d'exporter à partir des Drom.

Nous nous efforçons vraiment d'être très présents et de jouer notre rôle de première entreprise de service public des Drom.

Enfin, vous avez raison, à l'égard de Mayotte, la solidarité de La Réunion ne suffit pas. Mayotte est l'endroit le plus complexe du territoire français, y compris pour La Poste. La sécurité dans les bureaux de poste et pour nos facteurs, qui se font parfois détrousser, est un vrai sujet, mais il est vrai que c'est un sujet de sécurité nationale.

Madame la sénatrice Amel Gacquerre, je vais vous parler avec beaucoup de sérénité de la croissance du prix du timbre. Notre pays se trouve exactement dans la moyenne européenne de la baisse des volumes, avec une perte d'à peu près 68 % du volume du courrier depuis 2013. C'est une catastrophe, mais au Danemark, c'est 97 %... Si la Suisse, qui ne fait pas partie de l'Union européenne, connaît une baisse moindre, de 55 %, les volumes baissent partout !

La hausse de prix est elle aussi généralisée. Sur ce plan, nous sommes pile au milieu. J'aurai donc tendance à vous dire que nous ne faisons pas mieux que les autres, mais que nous ne faisons pas pire non plus. Nous sommes dans la moyenne. Aucune poste ne peut résister si elle n'augmente pas les prix. Toutes les postes le font.

Oui, le prix du timbre a augmenté de 127 %. Je l'assume et je l'explique : c'est la seule façon de tenir l'équilibre économique du groupe.

Ce que vous avancez sur la qualité de service n'est pas confirmé par les statistiques - je suis prêt à vous donner les chiffres. Cela dit, votre seul mécontentement fait que je ne peux être moi-même satisfait, parce que, en réalité, ce n'est pas un sujet de statistique : c'est un sujet de ressenti et de perception. Nous devons essayer de l'améliorer.

Notre sujet numéro un - je ne le nie pas -, c'est le facteur qui laisse une preuve de son passage sans avoir sonné au préalable pour distribuer le colis ou la lettre. Cette situation peut malheureusement arriver, mais nous essayons de lutter contre ce phénomène.

Il n'y a pas de plan général de fermeture des boîtes aux lettres. Toutefois, il faut bien dire qu'il y a des boîtes aux lettres dans lesquelles plus jamais aucune lettre n'est déposée ! Comment fait-on pour les supprimer ? Notre pays est le recordman d'Europe des boîtes aux lettres. Donc oui, nous cherchons à en baisser le nombre, en engageant un dialogue constructif avec les maires sur leur utilité, mais non, l'objectif n'est pas de les fermer à tous les coups. Le maintien de 100 000 boîtes aux lettres qui, de fait, sont toujours vides représente un coût désagréable pour les comptes économiques...

Il n'y a pas non plus d'objectif de suppression des bureaux de poste, madame la sénatrice. Comme je l'ai dit, la clé est la fréquentation.

Je vais aller plus loin dans ma réponse. J'ai rencontré récemment le maire d'une très grande ville de France, traversée par le Rhône.

M. Jean-Claude Tissot. - Et la Saône peut-être ?

M. Philippe Wahl. - Oui ! Ce maire me disait s'interroger sur l'architecture des bureaux de poste. Je lui ai dit que le critère était la fréquentation.

Je répète que, pour contribuer à la fréquentation, que ce soit en rural, en périurbain ou en grand urbain, nous sommes dans le dialogue. Nous voulons rester dans les territoires.

M. Jean-Claude Tissot. - Tout dépend aussi de l'organisation de l'ouverture des bureaux et du mode de calcul de la fréquentation ! La fermeture les jours de marché peut avoir une incidence...

M. Philippe Wahl. - Sur ce sujet, je veux dire, parce que j'ai pris des engagements ici, que nous avons bien avancé sur le chemin de l'ouverture des 1 000 bureaux de poste le jour du marché - je crois que nous en sommes à 750. Nous faisons le boulot, dans le dialogue local.

Mme Évelyne Renaud-Garabedian. - Monsieur le président-directeur général, je souhaite vous questionner sur votre filiale bancaire. Sénateur représentant les Français de l'étranger, je suis régulièrement sollicitée par nos compatriotes à l'étranger sur des problèmes de fermeture de leurs comptes bancaires en France.

Comme vous le savez, la réglementation européenne de lutte contre le blanchiment contre la corruption et le terrorisme impose aux banques un devoir de vigilance accru. Pour éviter la charge administrative de ce contrôle, les banques françaises ferment tout simplement les comptes des Français de l'étranger, surtout de ceux qui résident dans les régions un peu à risque. Or la procédure de droit au compte qui leur est proposée par la Banque de France ne permet pas de régler leur situation.

Je vous rappelle que plus de 3 millions de Français vivent à l'étranger. Comment pourrions-nous réfléchir avec vous et avec la Banque postale, votre filiale que j'ai contactée la semaine dernière et qui m'a très gentiment répondu, sur la possibilité que celle-ci devienne la banque de référence, en France, des Français de l'étranger ?

M. Daniel Gremillet. - Monsieur le président-directeur général, en tant que législateurs, nous participons nous-mêmes à la baisse d'activité de La Poste - de temps en temps, il faut passer à confesse ! En effet, lorsque nous décidons qu'un document ne pourra plus être envoyé dans sa version papier, lorsque nous décidons que l'on ne pourra plus payer par chèque ce que l'on doit à l'administration fiscale, nous y participons. Or, souvent, nous ne mesurons pas l'impact des conséquences de ce que nous votons sur la vie locale des territoires. Ce point mérite questionnement.

Vous avez dit : « le colis, on s'en occupe. » Mais, aujourd'hui, d'autres s'en occupent aussi ! Vous aviez un gisement énorme à exploiter. Or, force est de constater que, si La Poste est au rendez-vous du développement du colis, les parts de marché sont largement partagées.

Depuis 2014, vous nous avez habitués, lors de vos passages réguliers devant notre commission, à une annonce sur un nouveau service aux territoires, de nature justement à remplir les caisses. Aujourd'hui, je n'ai rien entendu... Avez-vous quelque chose à nous annoncer ?

M. Rémi Cardon. - Monsieur le directeur général, pour vous consoler, même si ce n'est pas très joyeux, des coups de rabot sont aussi donnés sur les conseils numériques de France Services - de l'ordre de 50 %.

En mai 2022, l'État a décidé de dématérialiser à 100 % ses démarches administratives les plus importantes. Dix-huit mois plus tard, on trouve des maisons ou espaces France Services à peu près dans chaque canton. Cependant, on voit que cela ne suffit pas ! C'est le cas dans la Somme, où les cantons sont immenses.

Comme le disait Patrick Chaize tout à l'heure, on peut remettre sur la table le cahier des charges de La Poste, mais aussi ses aspects financiers.

Sur la question de l'inclusion numérique, nous allons avoir besoin de vous, parce que nous n'allons pas assez vite pour toucher les publics fragiles et, surtout, parce que vous avez déjà l'habitude de travailler avec ces publics. Allez-vous proposer une feuille de route ou, à tout le moins, une multiplication, par le biais des APC et des bureaux de poste, des relais intermédiaires ? Êtes-vous disposé à faire une proposition au Gouvernement en la matière ?

M. Daniel Salmon. - Merci, monsieur le président-directeur général pour votre présentation... et pour votre fougue !

Aujourd'hui, il arrive souvent que ceux qui exercent les fonctions de facteur n'en aient pas le statut : ils sont plutôt employés sous le statut GEL, donc avec un contrat plus précaire, qui ne permet pas la même qualité relationnelle.

Où en êtes-vous de ces recrutements ? Allez-vous y mettre un terme ? J'ai bien compris l'équation impossible à laquelle vous êtes tenu de répondre avec cette sous-compensation de l'État, mais cela ne peut se faire au détriment de la qualité du travail.

M. Philippe Wahl. - Madame la sénatrice Évelyne Renaud-Garabedian, je ne suis pas étonné que la Banque postale vous ait bien accueillie. C'est son devoir !

Très clairement, je pense que nous pouvons être une solution. C'est assez simple ! Le patron de la Banque postale, Stéphane Dedeyan, et ses équipes sont à votre disposition. Mais, en tant qu'élue des Français de l'étranger, vous avez aussi un rôle de pédagogie à jouer. De fait, il va falloir qu'ils se disciplinent pour respecter les procédures administratives, car c'est à ce niveau que ça cale ! Nous ne demandons que ce que le régulateur bancaire exige de nous ; si nous ne le faisions pas, nous serions sanctionnés - nous l'avons déjà été. Donc oui à ce rôle, mais il doit se travailler avec vous, et avec nos concitoyens de l'étranger, qui doivent respecter des règles minimales relatives à la provenance des fonds et aux déclarations d'identité.

Je m'aperçois que ma confiance sur le colis a pu être prise pour une arrogance. Il n'est en rien ! La compétition est terrible, mais les postiers en ont l'habitude.

Oui, le marché est partagé. C'est un marché immense, avec des gens extrêmement puissants. En France, La Poste représente tout de même plus de 60 % des parts de marché pour les colis aux particuliers. C'est considérable, vu qu'il y a, en face, Amazon et les plateformes chinoises. Nous sommes sans doute la poste domestique qui, en Europe, résiste le mieux !

Monsieur le sénateur Daniel Gremillet, le nouveau service aux territoires que vous attendez est en préparation. Pour tout vous dire, nous sommes en discussion avec Fédéris Santé, qui est une structure de la profession des pharmaciens, et les deux grands syndicats de pharmaciens, pour réfléchir à une plateforme de commande et de distribution, notamment dans la ruralité, de médicaments à domicile. Vous savez bien qu'il y a un virage domiciliaire : on veut que les personnes âgées restent chez elles. Dans ce mouvement, le lien social est clé. Il passe par les factrices et les facteurs. Et il faut bien transporter le médicament d'une certaine manière... Ce n'est pas à proprement parler un scoop, mais nous sommes au travail sur ce service. J'espère que je pourrai très rapidement vous annoncer qu'il est lancé.

Monsieur le sénateur Rémi Cardon, je veux d'abord confirmer la grande réussite qu'est le mouvement France Services. Nous portons nous-mêmes 500 France Services sur les 2 700, et c'est très bien ainsi. Comme je l'ai dit, nous sommes prêts à installer les bureaux de poste dans les maisons France Services pour renforcer la fréquentation. Nous souhaitons accompagner ce mouvement.

Très clairement, nous luttons aujourd'hui contre l'exclusion numérique. Mais, à nouveau, il y aura un sujet d'argent : si nous intervenons, il faut que nous soyons payés pour le faire.

Pour le compte personnel de formation (CPF), nous avons apporté une contribution majeure sans être payés du tout. Le Gouvernement a voulu mettre en place un plan de défense contre les escroqueries de masse sur le CPF - votre commission connaissait ce problème dès avant 2022. Nous y avons contribué massivement, en créant l'identité numérique de La Poste pour les clients du CPF. Ce faisant, nous avons tout sécurisé et stoppé les escroqueries. À ce jour, nous sommes leader de l'identité numérique dans le pays, avec 6 millions d'utilisateurs.

Nous pouvons jouer un rôle majeur dans la diffusion de l'identité numérique au pays. En Italie, la poste a une mission de conversion à l'identité numérique de tous les Italiens - elle en est à 25 millions d'utilisateurs. Elle reçoit de l'argent pour cette mission. Nous sommes complètement d'accord pour exercer une telle mission, mais nous ne le ferons que si nous sommes compensés ! Il n'est pas possible que nous soyons en concurrence avec Microsoft, Meta et d'autres opérateurs du même ordre si nous ne sommes pas payés pour nos prestations.

Il est clair, comme je l'ai montré avec l'exemple de Pronote, que les enjeux sont considérables dans la vie des gens. Les notes des enfants, les informations sur notre santé, les informations stratégiques sont des données absolument souveraines ! Nous sommes l'opérateur de cette souveraineté. Mais, je le répète, cela suppose que nous soyons payés. Nous ne pourrions déployer Pronote avec le succès que nous avons si les établissements ne nous payaient pas pour ce service.

Monsieur le sénateur Daniel Salmon, vous avez raison : nous utilisons des personnels en statut d'intérim, mais, comme je l'ai dit tout à l'heure, nous les intégrons pour qu'ils deviennent facteurs. Ainsi, les plus jeunes des factrices et des facteurs que j'ai rencontrés lors de ma dernière visite sur le terrain, à Forcalquier, avaient été intérimaires avant d'être intégrés. Du reste, un certain nombre d'intérimaires ne veulent pas être intégrés, parce qu'ils ont une autre conception du travail.

La Poste est donc vraiment une usine à intégration sociale. Nous sommes très fiers de cette tradition postale. Je ne peux pas vous promettre que nous arrêterons le recrutement d'intérimaires, parce qu'il est indispensable pour garder de la souplesse dans la gestion de l'entreprise.

Mme Dominique Estrosi Sassone, présidente. - Je veux vous adresser un immense merci, monsieur le président-directeur général. Comme chaque fois que nous vous auditionnons, vous avez apporté des réponses extrêmement précises à toutes les questions qui vous ont été posées. Je constate que vous êtes toujours aussi passionné et passionnant !

Vous avez compris que La Poste reste, pour nous toutes et nous tous, au coeur de nos territoires, un enjeu considérable. Nous continuerons, autant que faire se peut, à la soutenir.

M. Philippe Wahl. - Madame la présidente, mesdames les sénatrices, messieurs les sénateurs, je vous remercie de votre questionnement exigeant.

La Poste est au service de millions de personnes, des territoires et du pays. Voilà ce que je souhaitais répéter ce matin, au nom des postières et des postiers.

Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.

La réunion est close à 12 h 45.