Mercredi 30 octobre 2024

- Présidence de M. Jean-François Longeot, président -

La réunion est ouverte à 10 h 05.

Enjeux de la lutte contre le changement climatique à l'heure de la COP29 - Audition de Mme Marie Bjornson-Langen, directrice exécutive adjointe solutions développement durable de l'Agence française de développement (AFD), Mme Diane Simiu, directrice du climat, de l'efficacité énergétique et de l'air et M. Philippe Depredurant, sous-directeur de l'action internationale au ministère de la transition écologique, de l'énergie, du climat et de la prévention des risques, ainsi que M. Yannick Glemarec, ancien directeur exécutif du Fonds vert pour le climat

M. Jean-François Longeot, président. - Ce matin notre réunion plénière consiste en une table ronde consacrée à la COP29 sur le climat, qui aura lieu en Azerbaïdjan, à Bakou, du 11 au 22 novembre prochains.

Les conséquences du dérèglement climatique sont aujourd'hui perceptibles par tous. Nous en sommes particulièrement conscients dans cette commission puisque nous avons adopté en septembre dernier le rapport d'information de Jean-François Rapin et de Jean-Yves Roux relatif aux inondations survenues en 2023 et au début de l'année 2024 puis, la semaine dernière, le rapport pour avis de Pascal Martin sur la proposition de loi visant à assurer l'équilibre du régime d'indemnisation des catastrophes naturelles de notre collègue Christine Lavarde.

Au-delà de l'adaptation à ses effets, l'atténuation du changement climatique reste plus que jamais nécessaire. C'est le sens de l'accord de Paris de 2015, adopté lors de la COP21, qui vise à contenir l'augmentation de la température bien en dessous de 2 degrés par rapport aux niveaux préindustriels, et de préférence sans dépasser 1,5 degré.

Neuf ans après cet accord historique, le respect des objectifs climatiques mondiaux est loin d'être garanti. La conférence qui s'ouvrira dans quelques semaines est cruciale pour le respect des objectifs climatiques. En effet, si les parties ne parviennent pas à s'entendre sur un nouveau cadre d'aide aux pays en développement, ces derniers pourraient relâcher leurs efforts de réduction des émissions de gaz à effet de serre.

Le nouveau cadre de financement de l'action climatique constitue ainsi l'enjeu central de cette conférence.

Lors de la COP15 à Copenhague de 2009, les pays industrialisés se sont engagés à renforcer les financements climat à destination des pays en développement pour atteindre 100 milliards de dollars par an d'ici à 2020 et maintenir l'effort jusqu'en 2025. Ce montant d'aide, qui agrège des financements publics et privés, a été tenu en 2022, avec deux ans de retard.

Un des principaux objectifs de la présidence de la COP29 à Bakou est la négociation d'une nouvelle cible en matière de financement climatique, qui remplacerait en 2025 l'objectif de 100 milliards de dollars par an.

Les parties auront à concilier durant cette conférence de nombreuses divergences, portant à la fois sur le montant des contributions financières, qui doit être à la hauteur du défi, et sur la liste des pays contributeurs, qui pourrait intégrer les recompositions à l'oeuvre de l'économie mondiale. À l'occasion du débat préalable au Conseil européen du 9 octobre dernier en séance publique, le ministre délégué chargé de l'Europe avait déclaré : « tous les pays qui sont en mesure de le faire doivent participer à la solidarité financière internationale ». La contribution des pays émergents sera certainement un point de négociation majeur.

La France, qui a participé au financement de l'action climatique à hauteur de 7,6 milliards d'euros en 2022, a aujourd'hui dépassé son objectif de 6 milliards d'euros de financement. Notre pays est donc parfaitement légitime pour continuer à être, avec l'Union européenne, un moteur de la négociation climatique internationale, comme il l'a superbement montré durant la COP21 en contribuant à l'élaboration d'une position de compromis dépassant les clivages traditionnels lors des négociations climatiques.

Au-delà de la question du financement, la COP29 permettra aux États d'aborder d'autres questions centrales, comme la création d'un marché mondial du carbone, nécessaire au financement de l'action climatique, la première actualisation des contributions déterminées au niveau national (CDN), prévue par l'accord de Paris de 2015, ou encore la réduction des subventions aux énergies fossiles.

Pour aborder les enjeux de cette conférence, nous accueillons aujourd'hui Mme Marie Bjornson-Langen, directrice exécutive adjointe solutions développement durable de l'Agence française de développement (AFD) ; Mme Diane Simiu, directrice du climat, de l'efficacité énergétique et de l'air au ministère de la transition écologique, de l'énergie, du climat et de la prévention des risques ; M. Philippe Depredurant, sous-directeur de l'action internationale au même ministère et M. Yannick Glemarec, ancien directeur exécutif du Fonds vert pour le climat, directeur de recherche au Centre international de recherche sur l'environnement et le développement et président de la fondation Gold Standard.

Ma première question portera naturellement sur la cible de financement. Le groupe de haut niveau sur la finance climatique, institué par l'Organisation des Nations Unies, estime les besoins de financement climatique pour les pays en développement à 2 400 milliards de dollars par an d'ici à 2030. Quel nouvel objectif de financement permettrait selon vous d'atteindre les ambitieux objectifs climatiques de l'accord de Paris ? L'évolution de la liste des pays contributeurs apparaît-elle souhaitable et réaliste ?

Je souhaiterais également vous entendre sur le rôle de la France dans cette négociation internationale. Le Conseil de l'Union européenne a adopté le 14 octobre dernier son mandat de négociation. Il appelle à un nouvel objectif quantifié de financement, qui s'appuierait davantage sur l'investissement privé ainsi que sur un groupe plus large de contributeurs. Quelle est votre position sur ce mandat de négociation ? Comment la France et l'Union européenne doivent-elles, selon vous, se positionner en amont des négociations ?

Mme Diane Simiu, directrice du climat, de l'efficacité énergétique et de l'air au ministère de la transition écologique, de l'énergie, du climat et de la prévention des risques. - En ce qui concerne les obligations de la France s'agissant de la réduction des émissions de gaz à effet de serre, les objectifs internationaux sont, comme vous le savez, déclinés au niveau européen. L'Union européenne a annoncé vouloir réduire ces émissions de 55 % à l'horizon de 2030. À l'échelle nationale, la France doit réduire ses émissions de 50 % sur la même période.

Depuis l'année dernière, nous avons réduit nos émissions de 4,8 %. Nous sommes sur la bonne trajectoire pour atteindre notre objectif en 2030 si nous maintenons ce rythme chaque année. Cette position n'est pas seulement celle de l'État : le Haut Conseil pour le climat (HCC) a déclaré que l'année dernière, pour la première fois, la France s'est mise sur la bonne trajectoire pour atteindre ses objectifs en 2030.

Ces résultats sont pour partie dus à la conjoncture, tout en reposant également sur des évolutions structurelles. Le HCC estime qu'un tiers de cette diminution est due à des effets conjoncturels et deux tiers à des effets structurels. Cela démontre que les mesures que nous mettons en oeuvre sont efficaces pour réduire nos émissions de gaz à effet de serre.

Nous le savons, l'effort sera de plus en plus ardu, mais le budget carbone 2019-2023 a été respecté et nous devons rester sur la trajectoire permettant d'atteindre nos objectifs. Tout l'enjeu de la stratégie nationale bas-carbone, qui fera l'objet d'une concertation préalable à partir du 2 novembre pendant six semaines, est de sécuriser cette trajectoire et de donner de la visibilité à l'ensemble des acteurs.

Pour la première fois, nous allons essayer de définir un objectif portant non pas seulement sur nos émissions nationales, mais aussi sur notre empreinte carbone. Nous savons en effet que celle-ci diminue moins vite que nos émissions nationales, et il est important de ne pas exporter nos émissions. C'est l'objet de mesures comme le mécanisme d'ajustement carbone aux frontières, qui a été adopté dans le cadre du Pacte vert pour l'Europe , pour nous permettre de baisser nos émissions tout en poursuivant notre réindustrialisation.

Le Premier ministre a présenté vendredi dernier le projet de plan national d'adaptation au changement climatique, qui définit une trajectoire de référence pour l'adaptation climatique. Nous devons nous préparer à un réchauffement de 4 degrés à l'horizon de 2100. J'ai vu dans la presse des réactions considérant que c'était un renoncement à l'accord de Paris. Ce n'est évidemment pas le cas. Au contraire, nous mettons tout en oeuvre pour respecter nos objectifs de réduction des émissions de gaz à effet de serre. Mais le Programme des Nations unies pour l'environnement (PNUE) a publié la semaine dernière un rapport montrant que les engagements pris aujourd'hui au niveau international nous placent sur une trajectoire de réchauffement de 3,1 degrés. Cela correspond à 4 degrés pour la France, parce que l'Europe se réchauffe plus vite que la moyenne du globe. En France, d'ailleurs, le réchauffement enregistré dépasse déjà 1,7 degré.

M. Philippe Depredurant, sous-directeur de l'action internationale au ministère de la transition écologique, de l'énergie, du climat et de la prévention des risques. - À l'échelle internationale, les enjeux de la COP29 sont majeurs. Le dernier rapport du PNUE a souligné l'urgence de la situation, qui avait déjà été particulièrement bien décrite par le rapport de synthèse du Groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat (Giec) en mars dernier. D'après ces documents, il faudrait réduire les émissions mondiales de 43 % à partir de 2030. Cela fait croître la pression à chacune des COP, et la prochaine ne fera pas exception.

Elle constituera un moment charnière. Elle arrive en effet après la COP28, qui s'est tenue aux Émirats arabes unis et a permis de dresser le premier bilan mondial de l'accord de Paris, et un an avant la COP30 de Belém, au Brésil, qui devra déterminer ce que l'on appelle le prochain cycle de l'ambition, c'est-à-dire l'actualisation des contributions déterminées au niveau national, celles-ci faisant l'objet d'une révision tous les cinq ans.

Le premier bilan mondial est mitigé, d'ailleurs, même s'il y a des points positifs, comme l'affirmation, pour la première fois, de la nécessité d'une sortie progressive des énergies fossiles. Il a fallu attendre la COP29 pour que ce point fasse consensus. L'objectif de triplement des énergies renouvelables ou du doublement du taux d'efficacité énergétique dans le monde sont également bienvenus. En revanche, un langage peu enthousiasmant est à noter sur la sortie du charbon - qui, pour mémoire, est l'ennemi numéro un en termes de changement climatique.

La COP29 aura trois enjeux majeurs : la détermination d'une nouvelle cible de financement pour les pays en développement, la finalisation des négociations sur les marchés carbone et l'élaboration de contributions ambitieuse par les différents États membres de la Convention-cadre des Nations unies sur les changements climatiques.

Le premier enjeu est désigné par l'acronyme NCQG, pour New Collective Quantified Goal. L'objectif précédent était de 100 milliards de dollars par an pour les pays en développement, fournis par les États développés. Après un départ un peu compliqué en 2020, puis en 2021, du fait de la pandémie, cet objectif a été clairement dépassé dès 2022, puisque nous avons atteint un total de 115,9 milliards de dollars. C'est un point extrêmement positif, qu'il faut mettre en avant. Nous n'avons pas encore les chiffres pour 2023, mais rien ne laisse penser que le total sera inférieur.

D'une manière générale, il faut mobiliser l'ensemble des financements, publics comme privés - ces derniers sont pour l'instant en deçà des besoins. L'enjeu est de déployer ce que le Président de la République a appelé un choc de financement. Cette expression date du sommet pour le nouveau pacte financier mondial. Cette conférence, aussi appelée sommet de Paris pour les peuples et la planète, tenue en juin 2023, a réuni un grand nombre de chefs d'État et de gouvernements, et d'autres autorités politiques, autour du Président de la République, ce qui a permis de lancer un certain nombre de réflexions qui seront très utiles dans le cadre des négociations sur ce nouvel objectif quantifié.

Toutefois, ces négociations s'annoncent difficiles. Le contexte international a déjà été meilleur : je ne rappellerai pas ici les tensions ou les incertitudes géopolitiques actuelles... Puis, dans beaucoup d'États développés, les difficultés économiques réduisent assez nettement la marge de manoeuvre budgétaire. Ceux-ci vont donc chercher à s'entendre sur un montant ambitieux, mais réaliste, atteignable, en essayant toutefois de dépasser le montant de 100 milliards de dollars. L'objectif est d'élargir la base des contributeurs et de faciliter un meilleur engagement des banques multilatérales de développement. Il s'agit également de renforcer le levier que la finance publique constitue pour la mobilisation des investissements privés.

Le second sujet sera la mobilisation collective, politique, pour le prochain cycle des contributions déterminées au niveau national. Le premier bilan mondial est mitigé, mais nous avons au moins un cadre relativement strict pour définir ces contributions. Nous faisons face actuellement à un double déficit en matière d'ambition climat. Le premier est un déficit d'offre : les contributions déterminées au niveau national sont actuellement trop peu ambitieuses pour répondre aux besoins estimés par le Giec. Le second est un déficit de mise en oeuvre : les contributions relativement ambitieuses, notamment dans un certain nombre d'États non européens, ne se concrétisent pas véritablement. Il faudra profiter de cette COP pour donner l'élan politique nécessaire pour déboucher à Belém, dans un an, sur un ensemble de contributions déterminées au niveau national qui soient à la hauteur des enjeux.

Le dernier sujet concerne ce qu'on appelle les marchés carbone. Décrits dans l'article 6 de l'accord de Paris, ceux-ci n'ont toujours pas été opérationnalisés. Nous avons encore enregistré un échec lors des négociations de la COP précédente, à Dubaï. On peut imaginer que cette fois-ci, le dernier segment de l'accord de Paris pourra enfin être mis en application. La France, comme ses partenaires européens, est particulièrement attachée à la question de l'intégrité environnementale. Le but est que les marchés carbone facilitent la réduction des émissions et soient transparents et robustes dans le temps pour convaincre les investisseurs, notamment privés.

Bien sûr, une conférence de ce type prend en compte l'ensemble des segments de négociation ; je me suis concentré sur les trois principaux enjeux.

M. Yannick Glemarec, ancien directeur exécutif du Fonds vert pour le climat, directeur de recherche au Centre international de recherche sur l'environnement et le développement et président de la fondation Gold Standard. - En tant qu'ancien directeur du Fonds vert pour le climat, je remercie la France pour le rôle clé qu'elle a joué dans la recapitalisation de ce fonds, à hauteur de 10 milliards de dollars en 2019 et 12,8 milliards de dollars en 2023. C'était une très bonne nouvelle pour la fin de mon mandat, survenu cette même année 2023, et une très bonne nouvelle pour les négociations climatiques.

La COP29 a été nommée la COP du financement parce qu'au moins quatre grands sujets de financement vont s'y enchevêtrer. Ou bien nous saurons dégager de bonnes synergies, ou bien ils risquent, au contraire, de s'annuler.

Le premier sujet est le nouvel objectif collectif quantifié censé remplacer les 100 milliards de dollars actuels. Le deuxième sujet porte sur les marchés carbone. Le troisième est la crise de la dette - on demande actuellement aux pays en voie de développement d'augmenter leur contribution déterminée au niveau national, alors qu'ils sont nombreux à souffrir d'une crise de la dette catastrophique, d'un niveau que l'on n'a pas vu depuis 2001. Le quatrième est le financement des pertes et préjudices.

Au début de ma carrière, on ne parlait que d'atténuation des émissions de gaz à effet de serre. Vers le milieu de ma carrière, on a commencé à parler d'adaptation. Mme Simiu vient de souligner la perspective des 4 degrés supplémentaires, qui pourraient en fait être 5 degrés.

Au début de ma carrière, on ne voulait pas parler d'adaptation, parce que cela revenait à admettre la défaite de l'atténuation. Vers le milieu de ma carrière, il était clair qu'il fallait s'adapter, et très vite. Puis, on s'est mis à parler des pertes et préjudices. Le changement climatique n'est désormais plus à attendre dans le futur ; il est déjà présent. Beaucoup de petits États insulaires peuvent perdre plus de 100 % de leur PIB en l'espace de quelques heures à cause d'un ouragan. Sans soutien international, ils seraient alors incapables de se relever.

Je m'étendrai surtout sur le premier sujet, le nouvel objectif collectif quantifié. Un accord est difficile à trouver parce qu'il n'y a pas de définition unique au niveau international de ce qu'est la finance climatique. Les négociateurs ne se sont jamais mis d'accord sur une définition de la finance pour le climat. La définition de la Convention-cadre des Nations unies sur les changements climatiques parle de « toute action menant à atténuer les émissions de gaz à effet de serre ou à augmenter l'adaptation aux changements climatiques ». Mais elle ne dit rien sur les sources du financement, sur son emploi ou sur sa destination. Ces questions rendent cette négociation extrêmement difficile.

Le rapport du groupe d'étude sur la finance climatique chiffre à 2 400 milliards de dollars les besoins totaux des pays en voie de développement, dont 1 000 milliards d'euros devraient venir de l'extérieur. Sur les quelque 1 500 milliards d'euros restant, les deux tiers devraient venir du secteur privé, et un tiers du secteur public. Les négociateurs des pays du sud demandent donc ces 1 000 milliards d'euros, et ceux des pays du nord, en général, diminuent ce montant d'un ordre de grandeur. La négociation sur le volume sera donc très importante.

La question suivante est de savoir qui finance. Les pays membres de l'OCDE en 1992 ? Ou faut-il faire contribuer la Chine et les autres grands émergents ? Singapour, par exemple, dont le PIB par habitant est le triple de celui du Portugal, ne contribue pas parce que considéré comme un pays en voie de développement. Singapour pourrait même recevoir des fonds de l'ONU. Une remise à plat s'impose donc, peut-être en définissant des tranches différentes de contributeurs. Ce sera l'un des grands sujets de négociation.

Il faudra se demander aussi ce qu'il faut financer. Y a-t-il une fenêtre pour l'adaptation, une pour l'atténuation, une pour les pertes et préjudices ? En ce qui concerne les bénéficiaires, y a-t-il une fenêtre pour les petits États insulaires, une fenêtre pour les pays les moins avancés ? Quels types de financement doivent être mobilisés ? Des dons ? Des prêts ? Des garanties pour mobiliser des financements privés ? Ou de l'investissement direct en capital privé ? Cette négociation sera extrêmement difficile et couvrira un champ beaucoup plus large que les seuls volumes.

Sur les marchés carbones, je dirai simplement qu'une tonne de carbone n'en vaut pas une autre. Une tonne de carbone émise par des énergies fossiles ne peut être compensée par une tonne de carbone enlevée par reboisement : on ne parle pas de la même durabilité. Une tonne de carbone évitée à partir d'une approche technique comme la capture directe dans l'air n'a aucun bénéfice en termes de développement, alors qu'une tonne de carbone évitée à partir du renouvelable au niveau communautaire en a beaucoup.

La négociation carbone porte à la fois sur l'intégrité, la durabilité et la définition de l'additionnalité. Faut-il simplement éviter d'émettre davantage de carbone ou faut-il aussi chercher le coût le plus faible pour les acheteurs et un maximum de bénéfices de développement ? L'Europe et les États-Unis, en général, ne veulent pas la même chose. L'Europe a mis l'accent sur la qualité du marché, même si celui-ci est assez petit, alors que les États-Unis pensent au volume et veulent essayer de faire croître ce marché au plus vite. Ce sera aussi une négociation assez difficile.

J'en viens à la dette. Imaginez qu'en France il n'y ait pas de loi sur les faillites. Comment résoudrait-on nos problèmes économiques ? C'est le cas au niveau international. En 2001, on arrivait à s'arranger parce que tous les bailleurs de fonds venaient du même groupe de pays. Aujourd'hui, ce n'est plus le cas. Une part importante de la dette est détenue par le secteur privé, qui n'est pas ouvert aux renégociations. Une autre partie est entre les mains de pays émergents. Cette négociation s'annonce extrêmement difficile et, ne nous berçons pas d'illusions, sans résolution de la question, il n'y aura pas d'ambition climatique !

Enfin, où trouver l'argent pour indemniser les pertes et préjudices ? Des discussions ont lieu sur les instruments innovants, comme une taxation de 2 % sur le patrimoine au niveau global. Il y aura sans doute beaucoup de demandes des pays émergents pour trouver un mécanisme prévisible de provision des pertes et préjudices.

Mme Marie Bjornson-Langen, directrice exécutive adjointe solutions développement durable de l'Agence française de développement (AFD). - Je commencerai par un rappel de la stratégie de l'AFD en faveur du climat. Nous sommes en train de finaliser une nouvelle feuille de route « Planète », qui traite conjointement du climat et de la biodiversité. En plus de l'alignement sur l'accord de Paris auquel nous nous étions engagés dès 2017, nous allons nous aligner sur l'accord de Kunming-Montréal de 2022.

Cette feuille de route est le fruit d'un travail important au sein du groupe, de ses différentes entités, de nos filiales. Elle découle aussi de discussions riches et approfondies avec les ministères, qui nous ont fait des retours très positifs, et avec les ONG du climat et de la biodiversité, avec lesquelles les échanges ont également été riches et fructueux.

À ce stade, cette feuille de route a été validée en interne par notre comité exécutif. Elle sera présentée dans quelques mois, en même temps que notre nouveau plan d'orientation stratégique et que deux autres feuilles de route - l'une sur le lien social, qui traite notamment du genre et des inégalités, et l'autre sur le citoyen et les institutions démocratiques. Ces trois feuilles de route sont, d'une certaine manière, la signature de l'AFD, en sus de nos engagements sectoriels.

Dans ce document, nous fixons quatre objectifs principaux. Le premier objectif est de maximiser l'impact de nos financements à la fois sur le climat et sur la biodiversité. Le deuxième objectif est d'accompagner nos clients, les pays dans lesquels nous intervenons, vers des trajectoires bas carbone et résilientes. Nous voulons aussi aider les acteurs non souverains dans leur transformation, dans leur engagement en faveur du climat et de la biodiversité, dans l'évolution de leurs modes de gouvernance pour accompagner leur transition. Le troisième objectif est de continuer à mobiliser autour des financements pour amplifier notre action. Nous souhaitons avoir un effet de levier important sur les financements externes et continuer à influencer tous les réseaux qui travaillent sur ces sujets pour la mise en place de pratiques vertueuses en matière de finances durables. Enfin, notre dernier objectif est interne : nous allons continuer à faire notre propre transition, notamment en matière de formation.

Cette feuille de route « Planète » sera bientôt présentée à notre conseil d'administration.

Mon deuxième point porte sur les objectifs et les résultats de l'AFD en matière de climat. L'AFD intervient dans 160 pays et onze départements et territoires d'outre-mer. En 2023, nous avons octroyé 12 milliards d'euros de financement, si on laisse de côté l'activité d'Expertise France et les fonds qui nous sont délégués. Nos équipes interviennent sur 3 600 projets dans le monde. L'AFD a été la première banque publique de développement à s'engager à un alignement total sur l'accord de Paris. Depuis, cet engagement a été repris par la plupart des grands bailleurs de fonds, comme la Banque mondiale ou la Banque européenne d'investissement (BEI).

De plus, l'AFD s'est engagée à octroyer au moins 50 % de financements à co-bénéfices climat chaque année. Cet objectif est dépassé depuis plusieurs années. En 2023, le volume de finances climat s'est élevé à 7,5 milliards d'euros, sur un total de 12 milliards d'euros, le montant se répartissant ainsi : 4,5 milliards d'euros sur l'atténuation et 3 milliards d'euros sur l'adaptation. Sur ces sommes, 6,2 milliards d'euros ont été déclarés à la Convention-cadre des Nations unies sur les changements climatiques, compte tenu des règles de comptabilisation des périmètres géographiques. Ce montant représente 87 % de la finance climat déclarée par la France au titre de 2023. Plusieurs institutions soulignent que la France fournit sa part équitable de finance climat, bien que les objectifs mondiaux en la matière ne soient pas aujourd'hui répartis par pays.

L'AFD accorde également beaucoup d'importance à l'accompagnement de ses partenaires et clients dans l'élaboration de stratégies long terme bas carbone et dans l'accompagnement, via des actions de renforcement de capacité, des autorités nationales et locales. Nous souhaitons aussi continuer à mobiliser nos partenaires sur des pratiques vertueuses, au-delà des financements que nous octroyons. Nous avons donc été à l'initiative de la création de deux cercles, l'International Development Finance Club (IDFC), qui rassemble 26 banques publiques de développement, et la coalition Finances en commun, qui se réunit annuellement en sommet.

La COP29 sera une COP de la finance, puisque l'un des objectifs en est la définition d'un nouvel objectif de finance climat. Les négociations ont régulièrement abordé la question de la définition de la finance climat. Aujourd'hui, tous les financeurs n'ont pas adopté une approche standardisée, comme l'AFD, l'IDFC, ou la plupart des banques multilatérales de développement, pour quantifier de manière rigoureuse cette finance climat. Nous sommes en faveur d'une plus large utilisation de principes communs, de méthodes standardisées. Au-delà de la définition de la finance climat, il faut aller plus loin sur la caractérisation de l'impact des financements apportés. L'idée est de promouvoir des actions qui permettent de faire évoluer structurellement les manières de faire, les stratégies. Cela passe par des dialogues approfondis sur les politiques publiques avec les pays avec lesquels on travaille, par des financements budgétaires, aussi, qui permettent de mettre en oeuvre des réformes et des mesures ambitieuses.

Notre feuille de route « Planète » a justement pour projet de mieux caractériser cette finance que l'on appelle « transformationnelle », et ce afin que nous soyons aussi redevables de ce type d'actions, particulièrement structurantes à nos yeux, en plus des volumes de financements apportés.

Concernant les crédits carbone, nous menons actuellement un travail pour accompagner quelques partenaires dans une phase pilote de mise en place de cadres réglementaires et nationaux, et peut-être aussi le financement de quelques projets pilotes.

Pour l'adaptation, nous avons réalisé un travail important pour nous assurer que la question de la résilience est bien intégrée dans toutes les instructions des financements que nous octroyons, via une analyse des aléas climatiques de chaque projet.

Enfin, sur la question des pertes et préjudices, je voudrais signaler que nous mettons en place un système de clauses qui permet aux pays particulièrement vulnérables de suspendre le remboursement de leurs dettes en cas de catastrophe climatique.

M. Jacques Fernique. - La seule méthode possible est le multilatéralisme. Or, face aux périls climatiques, la prise en compte multilatérale se révèle défaillante. Nous avons chaque semaine des manifestations du réchauffement climatique, alors que nous ne sommes qu'à un réchauffement de 1,7 degré, quand le PNUE annonce bien pire pour la fin du siècle.

Si les différents pays réalisaient effectivement les contributions déterminées au niveau national annoncées, la baisse des émissions de gaz à effet de serre serait de 4 % d'ici à 2030, bien loin des 43 % visés. La COP devrait en toute logique chercher à changer cette donne mortifère. Mais elle est présidée par l'Azerbaïdjan, qui n'est pas un modèle de démocratie et qui est très dépendant des énergies fossiles. Comment voyez-vous les choses à cet égard ?

La situation géopolitique s'est considérablement dégradée depuis l'accord de Paris : tensions, crises, logiques de blocs, sans compter le scénario de l'élection de Donald Trump qui se profile... Cela laisse-t-il, selon vous, un espace pour renforcer la démarche multilatérale ?

En ce temps d'élaboration budgétaire, nous mesurons combien il est difficile, et parfois quasi impossible, de garantir la montée en puissance des investissements de la transition écologique face à la dette. Et dans les pays moins bien lotis - je pense aux pays en développement -, où le surendettement est considérable, c'est encore plus compliqué. Quelles pistes concrètes viables pourraient sortir de Bakou pour s'attaquer au poids des dettes existantes ? Comment mobiliser les contributeurs publics et privés pour élargir et sécuriser l'accès au financement climat ?

M. Stéphane Demilly. - À quelques semaines de la COP29, les négociations climatiques avancent millimètre par millimètre et s'annoncent difficiles. L'année 2024 est en passe de devenir la plus chaude jamais enregistrée ; canicules et inondations meurtrières se multiplient.

Monsieur Glemarec, que pensez-vous du parti pris des associations environnementales, qui appellent à privilégier les dons plutôt que les prêts, afin de ne pas alourdir le fardeau de la dette des pays du Sud ?

Les États doivent revoir à la hausse leurs engagements climatiques d'ici mars 2025. Les Émirats arabes unis, l'Azerbaïdjan et le Brésil, qui président respectivement la COP28, la COP29 et la COP30, ont promis de livrer leurs nouveaux plans climatiques. Or, à ce stade, la transition hors des fossiles est loin d'être lancée : bien au contraire, ces trois pays sont en passe d'augmenter collectivement leur production de pétrole et de gaz d'un tiers d'ici à 2035. De même, les États-Unis, le Canada, l'Australie, la Norvège et le Royaume-Uni sont responsables de la moitié de l'expansion mondiale dans de nouveaux gisements. De telles décisions stratégiques de la part de ces grands pays peuvent apparaître paradoxales à la veille de la réunion internationale. Qu'en pensez-vous ?

Mme Nadège Havet. - Aux termes de l'accord de Paris, un nouvel objectif chiffré collectif pour le financement climatique devait être fixé avant la fin de l'année 2025. Il était construit sur la base de l'engagement de mobiliser 100 milliards de dollars par an. Est-ce encore le cas ? Concrètement, à quoi pourrions-nous aboutir avant la fin de l'année 2025 ?

M. Philippe Depredurant. - Avec la Convention-cadre des Nations unies sur les changements climatiques, nous avons un outil de gouvernance universel, relativement souple. Comme tout système onusien, il n'est pas parfait ; nous en voyons régulièrement les limites, notamment en termes de portée et de calendrier. Mais il a le mérite d'exister, et il a déjà produit des résultats : la trajectoire carbone est inférieure à ce qu'elle aurait été sans les CDN.

On peut voir cette COP de manière positive : la quasi-totalité des États de la planète y participe ; seuls trois pays, l'Iran, la Libye et le Yémen, ne sont pas membres de la Convention-cadre. Les gros émetteurs de la planète sont tous autour de la table. Certes, pour nous, Européens, et, surtout, Français, qui souhaitons toujours être à la pointe de l'ambition, les résultats peuvent être décevants. Mais, sur d'autres sujets, les choses avancent. La sortie progressive des énergies fossiles a été acceptée au consensus, y compris par l'ensemble des États producteurs d'hydrocarbures ; c'est un engagement fort pour eux.

Le résultat des négociations est difficilement anticipable. Tout se décante dans les deux derniers jours. Et il faut ensuite en assurer la mise en oeuvre. La sortie progressive des énergies fossiles, qui figure pourtant dans les conclusions de la COP précédente, est assez largement remise en cause. Il faudra donc continuer à trouver des espaces de négociation pour concrétiser cette décision de la communauté internationale dans le cadre de la COP29.

Mme Marie Bjornson-Langen. - Les pays que vous avez mentionnés s'inscrivent dans les accords multilatéraux. Bien qu'ils soient producteurs, ils prennent des engagements sur le développement des énergies renouvelables, et ils sont contributeurs sur la finance climat.

M. Yannick Glemarec. - Je centrerai mon propos sur la résolution de la dette. Ce qui a marché en 2001, lorsqu'un petit groupe de pays se sont mis d'accord pour oublier leur dette, ne marchera pas cette fois. Il faudra sans doute distinguer les pays ayant un problème de liquidités de ceux qui ne sont pas solvables.

Beaucoup de pays qui ont un problème de remboursement de leur dette sont solvables ; ils ont simplement un immense problème de liquidités. Dans ce cas, la priorité est de les refinancer, par exemple en augmentant la capacité de refinancement des banques multilatérales, ce qui implique des réformes du système de financement international.

Pour les pays qui ne sont pas solvables, il faut renégocier le principal de la dette. Comme ils sont beaucoup moins nombreux, cela devrait être possible. Le cadre commun de renégociation de la dette institué avec les nouveaux pays bailleurs de fonds ne marche pas très bien, mais il est possible de l'améliorer, notamment en mettant en place des dates butoirs. L'une des conditions sera l'égalité de traitement des bailleurs de fonds : il faudra faire en sorte que les acteurs privés acceptent les mêmes conditions que les acteurs publics.

La question de la dette est, me semble-t-il, à séparer de celle du financement pour le climat international. Pour le climat, nous avons en effet besoin de beaucoup plus de dons.

Les dons permettent d'abord d'investir dans le renforcement des capacités, dans le renforcement institutionnel, dans le renforcement réglementaire, donc de créer un cadre porteur pour les investisseurs privés.

Les dons sont ensuite utiles pour tous les projets qui ont une valeur sociale énorme, sans retour financier sur investissement. En France, c'est souvent de l'argent public sous forme de dons qui finance les projets à haute valeur sociale. Pourquoi ne serait-ce pas le cas aussi dans les pays pauvres ?

Enfin, il est possible de transformer un don, soit une monnaie fongible, en n'importe quel instrument financier. Par exemple, on peut utiliser les dons pour investir en capital direct, ce qui permet de créer des garanties pour mobiliser le secteur privé.

Mme Diane Simiu. - Nous avons des leviers, à la fois commerciaux et réglementaires, pour agir à l'échelon européen lorsque des pays continuent à augmenter leur consommation d'énergie fossile. La France est en pointe sur ces sujets.

Sur le mécanisme d'ajustement carbone aux frontières, nous devons faire en sorte de mettre sur un pied d'égalité les industriels européens assujettis au système européen d'échange de quotas et des importateurs qui ne seraient pas soumis à ce type d'obligations dans leur pays. Il s'agit non pas de protectionnisme, mais de respect de nos engagements climatiques.

En outre, nous réservons le bonus pour les véhicules électriques aux véhicules atteignant un certain score environnemental, et nous défendons ce principe en Europe.

Parmi les leviers dont nous disposons dans nos négociations commerciales à l'échelle européenne, nous pouvons systématiser l'intégration du respect de l'accord de Paris aux clauses essentielles des accords commerciaux.

M. Jean-Claude Anglars. - La COP28 s'est déroulée à Dubaï en 2023. Le pays voisin, l'Arabie saoudite, organisera les jeux Asiatiques d'hiver en 2029 - c'est bien connu, il y a beaucoup de neige en Arabie Saoudite... La COP29 se déroulera en Azerbaïdjan : rien de tel qu'un pays dont l'économie repose sur le pétrole pour prêcher les vertus des énergies renouvelables ! Le pays dans lequel on s'apprête à parler du climat, en conflit avec l'Arménie concernant la région du Haut-Karabakh, se classe au 154e rang mondiale sur la liberté de presse, au 128e rang en termes de corruption, et a récemment mené des actions d'ingérence en Nouvelle-Calédonie en soutenant des mouvements plus ou moins factieux et en diffusant de la désinformation.

Voilà qui montre, même si les défis climatiques transcendent les frontières politiques et géographiques, l'absurdité du paradigme climatologique appliqué sans nuance et sans prise en compte des contextes nationaux et locaux. Pensez-vous vraiment que les 800 membres de la délégation française doivent se rendre dans un tel pays ?

M. Jean Bacci. - Selon les scientifiques travaillant sur la question, 6 % des émissions de gaz à effet de serre sont dues aux feux de forêt mondiaux. Ce problème est-il pris en compte ? Selon AgroParisTech et l'université de Toulouse, investir 1 euro pour protéger la forêt permet d'économiser 29 euros quand il faut combattre le feu et restaurer ce qui a été brûlé.

M. Simon Uzenat. - Chaque année, nous constatons que l'année qui vient de s'écouler est la plus chaude jamais enregistrée.

Nous ne pouvons pas passer sous silence les violations des droits humains en Azerbaïdjan. Elles entrent totalement en contradiction avec les principes défendus, en particulier, par les Nations unies. Les ressources que ce pays tire des énergies fossiles contribuent à alimenter l'effort de guerre de la Russie. Et l'Azerbaïdjan affiche clairement la volonté d'augmenter sa production d'énergie fossile de 35 % au cours des dix prochaines années, alors que la sortie progressive des énergies fossiles a été actée à Dubaï.

La question de la démonétisation des COP se pose. Que pensez-vous du transfert des temps d'échanges vers d'autres instances plus opérationnelles, comme le G20 ?

Monsieur Glemarec, la distinction que vous opérez entre les pays insolvables et ceux qui rencontrent des problèmes de liquidités est intéressante. Mais pourriez-vous nous en dire un peu plus sur les dons ? Le Giec appelle par ailleurs à un mécanisme mondial de garantie, en complément des financements sous forme de prêts.

Sur la stratégie nationale bas-carbone dite SNBC-3, la ministre a évoqué un décret d'ici à la fin de l'année 2025 ; nous étions déjà très en retard, et nous le sommes encore plus. En outre, dans le projet de loi de finances pour 2025, les crédits de la transition écologique, en particulier sur l'aide publique au développement, sont en très nette baisse. Nous avons besoin de retrouver une crédibilité de la parole, notamment de la part des puissances ayant une responsabilité toute particulière dans les règlements climatiques.

Le Gouvernement a affiché des intentions en termes de stratégie pluriannuelle de financement de la transition écologique. Mais la mission d'information de la délégation aux entreprises dont j'étais corapporteur a bien insisté sur la faiblesse actuelle du soutien de l'accompagnement des entreprises, qui auraient besoin d'être davantage aidées. Pour les collectivités, on va rogner le fonds vert de 1,5 milliard d'euros tout en leur demandant de faire plus : il y a là une contradiction majeure.

La négociation climatique se nourrit de confiance et de crédibilité. Pourriez-vous nous apporter quelques éclairages sur la trajectoire envisagée par le Gouvernement, notamment s'agissant des financements de l'aide publique au développement ?

M. Gilbert-Luc Devinaz. - L'Azerbaïdjan vit essentiellement des énergies fossiles. Une partie du gaz qu'il fournit à l'Europe vient de toute évidence de la Russie. Le pouvoir dans ce pays n'est pas un modèle de démocratie. Durant la guerre des 44 jours contre le Haut-Karabakh, il y a eu des comportements qui relèvent du crime contre l'humanité. Et l'Azerbaïdjan menace toujours l'Arménie. Cela me choque que la COP29, dont je vois bien l'intérêt et l'importance, se déroule dans un tel pays. En tant que président du groupe d'amitié interparlementaire France-Arménie, j'ai écrit au président du Sénat pour lui faire part de notre souhait qu'il n'y ait pas de délégation de sénatrices et de sénateurs à cette COP29.

Mme Diane Simiu. - Les feux de forêt revêtent effectivement un enjeu très important. Le plan national d'adaptation au changement climatique présenté vendredi par le Premier ministre contient des mesures pour nous préparer face à l'augmentation attendue des incendies.

Le règlement sur la déforestation de l'Union européenne, même si sa mise en oeuvre est un peu décalée, vise à protéger les forêts mondiales en refusant d'importer des produits issus de la déforestation. C'est un enjeu important du Pacte vert pour l'Europe : pour la première fois, nous avons adopté des mesures portant sur les effets de la consommation européenne sur le climat et la biodiversité ailleurs dans le monde. La France a été à l'initiative de ce virage essentiel.

M. Philippe Depredurant. - En tant que fonctionnaire du ministère de la transition écologique, il ne me revient pas de répondre à la question, clairement politique, sur l'Azerbaïdjan. Je crois savoir que vous entendrez bientôt les autorités politiques chargées des négociations.

Je rappellerai simplement quelques éléments factuels. D'abord, la détermination des pays hôtes se fait de manière décentralisée : le groupe des États d'Europe orientale a décidé, au consensus, d'accorder la présidence à l'Azerbaïdjan. Ensuite, la délégation française ne sera pas de 800 personnes : il y a bien entendu les autorités politiques, mais également les représentants de nos entreprises, de nos ONG et de notre monde académique, qui ne font pas partie de la délégation de négociation.

La forêt - c'est également le cas de l'océan - prend une ampleur transverse dans les grandes négociations internationales sur le développement durable. La France fait énormément d'efforts pour promouvoir la protection de la forêt, dans les pays du Sud comme dans les pays plus développés. Je fais par exemple référence à la priorité que nous mettons dans nos actions d'influence sur ce que l'on appelle les « solutions fondées sur la nature ».

S'agissant du système multilatéral, les COP climat sont toujours organisés en fin d'année. Elles sont précédées par une série d'étapes, plus ou moins formelles. Parmi celles-ci, il y a l'étape du G7, qui prépare ensuite celle du G20. Le G20 offre une capacité d'impulsion, mais il a plusieurs effets pervers. D'abord, il peut clairement ne pas enthousiasmer les autres États, notamment les États particulièrement vulnérables, qui se sentent toujours un peu écartés de la scène. Ensuite, il ne débouche pas toujours sur des engagements forts de ses leaders. Nous l'avons bien vu depuis l'invasion de l'Ukraine par la Russie : le G20 a bien du mal à faire des communiqués consensuels, et rien ne dit que cela va s'améliorer. Le G20 et les COP sont des organes utiles, mais non suffisants.

Mme Marie Bjornson-Langen. - Je souhaite apporter des précisions sur deux points.

D'abord, l'AFD octroie également des financements en faveur de la protection de la forêt dans un certain nombre de pays, notamment en Turquie, en partenariat avec l'Office national des forêts (ONF), mais également au Maroc et dans certains pays d'Asie. Je précise à cet égard que 20 % de nos financements consacrés à la biodiversité sont spécifiquement orientés vers la protection des écosystèmes, ce qui inclut la forêt.

Ensuite, je veux revenir sur l'alternative entre prêt et don. Vous le savez, l'AFD intervient majoritairement au travers de prêts, qui représentent entre 80 % et 85 % de ses actions. Évidemment, le choix entre prêt et don dépend tant du niveau de développement du pays que de l'objet du projet financé. Vous l'avez souligné, eu égard aux prévisions budgétaires de 2025, l'aide au développement sera sans doute moins importante, ce qui aura probablement des conséquences sur le volume de finance climat octroyé. Même si une partie seulement des dons est affectée aux projets en eux-mêmes, le reste étant consacré à leur préparation, à leur accompagnement ou encore à l'assistance technique, il n'est pas impossible que cela ait un impact, notamment pour les projets liés à l'adaptation.

Les prêts présentent un avantage : ils permettent de mobiliser des financements beaucoup plus ambitieux que le don, ce qui a son intérêt pour certains pays. Toutefois, je tiens à insister en conclusion sur l'importance, pour les sujets liés au climat, de la mobilisation des autres types de financement, en particulier de la finance privée ; même si nous avons encore du mal à en quantifier l'ampleur, on sait qu'elle n'est pas suffisamment mobilisée au regard des enjeux.

M. Yannick Glemarec. - La multiplication des organes a donné lieu, voilà une vingtaine d'années, à une forme de cacophonie ; ce n'est plus le cas aujourd'hui. L'une des avancées majeures auxquelles nous assistons dans le domaine multilatéral est que les grandes instances internationales se parlent de plus en plus ; par exemple, pour ce qui concerne la négociation climatique, le G7, le G20 et la COP commencent à se parler ; de même, la convention sur les changements climatiques échange avec la convention sur la biodiversité et avec la convention sur la lutte contre la désertification. C'est très positif, car cela multiplie les points d'accord et les motivations pour l'action.

La question des feux, malheureusement, est de plus en plus centrale. Quand le Giec a établi un budget carbone de 500 gigatonnes pour maintenir le réchauffement global sous 1,5 degré, il partait du postulat que les océans et les forêts continueraient de jouer le rôle de puits de carbone qu'ils jouaient à l'époque et même que l'on pourrait augmenter ce rôle au travers de la reforestation. Malheureusement, c'est le contraire qui se produit. D'abord, le budget carbone n'est plus que de 200 millions à 250 millions de gigatonnes, mais, en outre, les puits de carbone traditionnels sont de plus en plus faibles. Par exemple, cette année, les feux touchant la forêt canadienne ont émis plus de gaz à effet de serre que l'industrie pétrolière canadienne, ce qui n'est pas peu dire ; l'Amazonie est devenue une source et non plus un puits de dioxyde de carbone. C'est un véritable problème et il convient d'agir sur ce point.

Or on constate que, parmi les financements climatiques, il y a très peu d'argent fléché vers les forêts. C'est pourquoi il serait important de mettre à jour ce volet, dans le cadre d'une réforme du système de financement en faveur du climat. Lors de la COP21, il y avait eu une reconnaissance de l'importance des écosystèmes et des forêts, et la décision de Glasgow a entériné l'arrêt du déboisement à l'horizon de 2030, mais on n'est pas dans les clous. Il faut donc relancer cette question, peut-être à l'occasion de la COP29.

En ce qui concerne la question de l'alternative entre prêt et don, je pense pour ma part qu'il convient d'augmenter la part du don, car elle est insuffisante. Il y a sans doute des situations dans lesquelles on ne doit surtout pas passer par le don, par exemple dans le cas des financements climatiques hybrides, qui reposent sur des financements publics et privés : on n'a pas envie de faire bénéficier d'un don une compagnie privée qui peut déjà profiter d'un taux de rendement parfaitement décent avec un prêt. Le Fonds vert pour le climat avait une méthode pour cela. Il disposait d'une grille d'analyse financière permettant d'abord de déterminer si un projet avait besoin ou non de l'argent public. S'il n'en avait pas besoin, on le rejetait, et, s'il en avait besoin, on se demandait s'il lui fallait un prêt au taux de marché ou un prêt à un taux plus faible ou encore des garanties. Le don était l'ultime recours ; c'est vrai, nous étions beaucoup plus ouverts à l'hypothèse du don en faveur des pays à revenus faibles, car ce sont le pays et le secteur qui priment. Cela étant dit, même si tous les instruments financiers sont nécessaires, on a besoin de plus de dons.

M. Simon Uzenat. - Que pensez-vous du mécanisme mondial de garanties promu par le Giec ?

M. Yannick Glemarec. - J'ai fait paraître, la semaine dernière, une tribune sur ce sujet dans le journal Le Monde. Le Fonds vert et la Banque mondiale ne peuvent pas fournir de garanties, parce qu'ils sont tenus de mettre en réserve 100 % du montant garanti, ce qui est un non-sens. En revanche, les États souverains, disposant du pouvoir de lever l'impôt, ne sont pas tenus de constituer cette réserve, ce qui permet d'atteindre des effets leviers de l'ordre de 30 pour 1. C'est la raison pour laquelle, selon moi, il est essentiel de mettre en place un mécanisme de garantie multisouverain, reposant sur la capacité budgétaire des pays, afin d'offrir une garantie aux projets. Dans ce cas, le seul coût serait celui du risque de crédit, qui s'élève à environ 2 %, auquel s'ajoute le coût d'opération de cette garantie ; et, plus le mécanisme est étendu, plus le coût est faible...

Ainsi, pour la Banque mondiale ou le Fonds vert pour le climat, apporter une garantie est hors de prix ; pour la France, en association avec d'autres pays, c'est un instrument extraordinairement efficace. Or les infrastructures représentent 80 % du coût des actions pour le climat et les infrastructures exigent des garanties...

M. Jean-François Longeot, président. - Je vous remercie d'avoir répondu à nos questions sur ces enjeux cruciaux. Une prise de conscience est nécessaire, mais il faut maintenant surtout prendre des décisions et les appliquer, afin de lutter efficacement contre le changement climatique.

Ce compte rendu a fait l'objet d'une captation vidéo disponible en ligne sur le site internet du Sénat.

Communication sur la réunion du Bureau de la commission

M. Jean-François Longeot, président. - Mes chers collègues, le Bureau de notre commission s'est réuni ce matin pour établir son programme de travail des prochains mois.

D'abord, dans le domaine législatif, il a donné son accord pour que la commission saisie pour avis travaille en lien avec la commission des finances dans le cadre de l'examen du budget 2025. L'inscription à l'ordre du jour de l'examen de la proposition de loi n° 431 (2023-2024) visant à réduire l'impact environnemental de l'industrie textile, dite fast fashion est apparue opportune et nous allons demander au Président du Sénat son inscription à l'ordre du jour.

En ce qui concerne l'examen du projet de loi portant diverses dispositions d'adaptation au droit de l'Union européenne annoncé en janvier, un consensus s'est dégagé pour que les commissions permanentes, et la nôtre en particulier, instruisent le texte, considérant que le renvoi à une commission spéciale conduit à une perte d'expertise. Aucune difficulté dans la répartition des articles entre les commissions compétentes n'est au demeurant à relever.

Ensuite, en ce qui concerne nos travaux de contrôle, le Bureau a acté le principe de la création d'une mission d'information sur l'application de la loi du 10 février 2020 relative à la lutte contre le gaspillage et à l'économie circulaire (Agec). Le Bureau de la commission a également approuvé le lancement d'une prochaine mission d'information sur les nuisances sonores. Pour ces travaux de contrôle, des rapporteurs seront donc prochainement désignés.

Mes chers collègues, nous poursuivrons nos travaux par l'audition du ministre des transports à 16 h 45.

La réunion est close à 11 h 35.

- Présidence de M. Jean-François Longeot, président -

La réunion est ouverte à 16 h 45.

Audition de M. François Durovray, ministre délégué chargé des Transports (sera publié ultérieurement)

Le compte rendu relatif à ce point de l'ordre du jour sera publié ultérieurement.

Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.

La réunion est close à 19 h 15.