Mercredi 23 octobre 2024

- Présidence de M. Christophe-André Frassa, vice-président -

La réunion est ouverte à 9 h 30.

Accueil de nouveaux commissaires

M. Christophe-André Frassa, président. - Mes chers collègues, avant d'aborder notre ordre du jour, je souhaite saluer, au nom de l'ensemble de la commission, nos nouveaux collègues : MM. Georges Naturel et Hervé Reynaud, qui siégeaient jusqu'alors tous deux à la commission de l'aménagement du territoire et du développement durable, en remplacement du président François-Noël Buffet et de Mme Agnès Canayer ; Mmes Anne-Sophie Patru et Salama Ramia, qui viennent de rejoindre notre assemblée en remplacement de Mme Françoise Gatel et de M. Thani Mohamed Soilihi ; et Mme Sophie Briante Guillemont, qui siégeait jusqu'alors à la commission de la culture, en remplacement de Mme Nathalie Delattre. (Applaudissements.)

Élection du président

M. Christophe-André Frassa, président. - Notre ordre du jour appelle l'élection du président de la commission et la désignation de plusieurs membres du Bureau.

Conformément à l'alinéa 4 de l'article 13 du Règlement du Sénat, l'élection du président se déroule au scrutin secret. La majorité absolue des suffrages exprimés est requise aux deux premiers tours, la majorité relative au troisième tour.

M. le président donne lecture des délégations.

M. Christophe-André Frassa, président. - J'appelle la secrétaire du Bureau de la commission des lois, Mme Isabelle Florennes, ainsi que notre plus jeune collègue présente, Mme Sophie Briante Guillemont, pour procéder au contrôle des opérations de vote et au dépouillement.

J'invite les candidats aux fonctions de président de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du Règlement et d'administration générale à se faire connaître.

Mme Muriel Jourda. - Je me porte candidate au nom du groupe Les Républicains.

M. Jérôme Durain. - Je présente, de manière inhabituelle, mais non inédite, une candidature politique à la présidence de notre commission, dans un contexte où nous allons être conduits à examiner des textes très importants pour notre pays, sur l'immigration, la sécurité ou des sujets sociétaux.

Cette candidature a vocation à incarner le barycentre de cette commission, dont les avis sont souvent partagés, mais aussi à en faire évoluer le fonctionnement dans le sens d'une plus grande ouverture, notamment en ce qui concerne la désignation des rapporteurs et des présidents. Comme cela se fait dans d'autres commissions, il serait souhaitable de pouvoir défendre une proposition de loi que l'on a déposée.

Je suis membre de la commission des lois depuis plusieurs années et j'ai exercé des missions au cours desquelles j'ai démontré ma capacité à faire travailler ensemble et en bonne intelligence les différentes composantes de notre assemblée, notamment lors de la présidence de la commission d'enquête sur l'impact du narcotrafic en France et les mesures à prendre pour y remédier.

Voilà pourquoi je me porte candidat à la présidence de notre commission, en faisant preuve de toute la pugnacité et de toute la courtoisie qui la caractérisent.

Le scrutin est ouvert. Puis les scrutateurs procèdent au dépouillement.

M. Christophe-André Frassa, président. - Les résultats du premier tour sont les suivants :

Nombre de votants : 49

Bulletins blancs : 8

Bulletins nuls : 0

Suffrages exprimés : 41

Majorité absolue : 21

Mme Muriel Jourda ayant obtenu 27 voix, je la proclame élue présidente de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du Règlement et d'administration générale. (Applaudissements.)

- Présidence de Mme Muriel Jourda, présidente -

Désignation de membres du Bureau

Mme Muriel Jourda, présidente. - Mes chers collègues, je vous remercie de la confiance que vous venez de me témoigner. Je tâcherai de me montrer à la hauteur de cette fonction, y compris à l'égard des élus de l'opposition.

Nous devons maintenant procéder à la désignation de plusieurs membres du Bureau de notre commission, à la suite de la nomination de deux vice-présidents comme membres du Gouvernement - Mme Delattre et M. Mohamed Soihili -, de l'élection d'un vice-président comme député - M. Bonnecarrère - et de la nomination d'un secrétaire comme membre du Gouvernement - Mme Canayer.

Nous procédons, dans un premier temps, à la désignation des trois vice-présidents.

L'alinéa 6 de l'article 13 du Règlement du Sénat dispose que : « Pour la désignation des vice-présidents, les groupes établissent une liste de candidats selon le principe de la représentation proportionnelle, en tenant compte de la représentation déjà acquise à un groupe pour le poste de président. Le nombre des vice-présidents est, le cas échéant, augmenté pour assurer l'attribution d'au moins un poste de président ou de vice-président à chaque groupe. »

En l'espèce, nous allons procéder à la désignation de trois postes de vice-présidents respectivement attribués lors de la dernière réunion de constitution du Bureau au groupe Union Centriste, au groupe Rassemblement des démocrates, progressistes et indépendants et au groupe du Rassemblement Démocratique et Social européen.

Compte tenu des propositions formulées par ces trois groupes, je vous propose la désignation comme vice-présidents : pour le groupe Union Centriste, de Mme Isabelle Florennes, qui était jusqu'alors secrétaire du Bureau ; pour le groupe Rassemblement des démocrates, progressistes et Indépendants, de Mme Patricia Schillinger ; et, pour le groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen, de M. Michel Masset.

Les vice-présidents sont désignés.

Mme Muriel Jourda, présidente. - Nous procédons, dans un second temps, à la désignation de trois secrétaires, dont les postes sont attribués à la représentation proportionnelle en application de l'alinéa 7 de l'article 13 du Règlement du Sénat, aux termes duquel : « Après la désignation des vice-présidents, les groupes établissent la liste des candidats aux fonctions de secrétaire selon le principe de la représentation proportionnelle et compte tenu de leur représentation déjà acquise pour les autres postes du Bureau. »

En l'espèce, il s'agit de procéder à la désignation de deux postes de secrétaires, attribués lors de la dernière réunion de constitution du Bureau au groupe Les Républicains, ainsi que, compte tenu de la désignation de Mme Florennes au poste de vice-présidente, d'un poste de secrétaire au nom du groupe Union Centriste.

Je vous propose, conformément aux propositions formulées par le groupe Les Républicains, la désignation comme secrétaires de Mmes Marie Mercier et Jacqueline Eustache-Brinio, et, conformément à la proposition du groupe Union Centriste, à la désignation comme secrétaire de M. Olivier Bitz.

Les secrétaires sont désignés.

Mme Muriel Jourda, présidente. - Le Bureau de la commission est donc ainsi constitué :

Présidente : Mme Muriel Jourda ; vice-présidents : M. Christophe-André Frassa, Mme Marie-Pierre de La Gontrie, M. Marc-Philippe Daubresse, M. Jérôme Durain, Mme Isabelle Florennes, Mme Patricia Schillinger, Mme Cécile Cukierman, M. Dany Wattebled, M. Guy Benarroche et M. Michel Masset ; secrétaires : M. André Reichardt, Mme Marie Mercier, Mme Jacqueline Eustache-Brinio et M. Olivier Bitz.

Le Bureau se réunira dès aujourd'hui, à l'issue de la réunion de commission, pour faire le point sur les travaux en cours et à venir de la commission.

Mme Marie-Pierre de La Gontrie. - Madame la présidente, je vous présente mes félicitations pour cette élection.

Pouvez-vous, en quelques mots, nous exposer la manière dont vous comptez exercer la présidence de notre commission ? Si votre élection est incontestablement légitime, que ce soit en termes d'expérience, de compétences et d'autorité politique, le résultat du scrutin montre que plusieurs d'entre nous auraient souhaité un autre scénario. En effet, le contexte politique vous place dans une situation singulière. Alors que vous avez contesté la politique gouvernementale à nos côtés pendant plusieurs années, vous vous trouvez désormais en soutien du Gouvernement, dans une position qui vous aura peut-être demandé quelques entraînements de gymnastique.

Or cette commission n'a jamais fait preuve d'une grande ouverture d'esprit dans la manière de répartir les responsabilités, à l'inverse d'autres commissions. Si nous avons désigné Jérôme Durain comme candidat, c'est parce qu'il a démontré, en tant que président de la commission d'enquête sur le narcotrafic au sein de laquelle il était nécessairement minoritaire, au côté d'un rapporteur Les Républicains, qu'il était possible de travailler ensemble.

Ferez-vous en sorte que les sénateurs de toutes les tendances politiques de cette commission puissent travailler en bonne intelligence - c'est, du reste, traditionnellement le cas - ou maintiendrez-vous la jurisprudence quelque peu séparatiste, si je puis dire, entre les majoritaires et les autres, qui prévalait jusqu'à maintenant ? Si celle-ci ne nous a jamais empêchés d'entretenir de bonnes relations, elle est toutefois regrettable pour la qualité de nos travaux collectifs.

Mme Muriel Jourda, présidente. - Madame de La Gontrie, je vais tenter d'apporter quelques réponses à cette déclaration quelque peu solennelle.

Je ne m'abriterai pas derrière le fait que je viens à peine d'être élue et que je n'ai donc pas eu le temps d'établir ma propre jurisprudence. Comme vous, je suis sénatrice depuis sept ans, et je me suis donc fait une idée assez précise de la manière dont nous devons collaborer. Je note que chacun convient que nous travaillons en bonne intelligence.

S'il est fait allusion aux pratiques d'autres commissions consistant à désigner systématiquement des sénateurs d'opposition rapporteurs de leur propre texte, je ne trouve pas que cela soit une bonne chose. Je serai donc claire : je ne modifierai pas la jurisprudence de mes prédécesseurs.

D'une part, ce n'est pas une bonne chose pour le rapporteur lui-même, qui ne sera pas suivi par la commission, laquelle, au mieux, s'abstiendra par bonté d'âme, et dont le texte sera vidé de toute substance en séance. La majorité et les oppositions ayant en général des points de vue divergents, il s'agit de l'issue la plus courante dans cette situation. D'autre part, il convient de protéger l'institution ; de telles pratiques donnent lieu en séance à des situations illisibles, le rapporteur se retrouvant complètement désavoué.

Pour autant, je constate que nous travaillons en bonne intelligence et que nous pouvons trouver des points d'accord sur certains sujets, comme ce fut le cas de Jérôme Durain et Étienne Blanc dans la conduite de la commission d'enquête sur le narcotrafic. Certains textes proposés par un sénateur n'appartenant pas à la majorité sénatoriale peuvent être confiés à plusieurs rapporteurs, dont un sénateur d'un groupe d'opposition. Il me semble qu'il s'agit d'une bonne façon de faire pour que les avis de la commission soient cohérents avec les votes en séance.

M. Mathieu Darnaud. - Tout d'abord je vous félicite de votre élection, madame la présidente.

Je ne veux pas verser dans la philosophie kantienne sur le jugement a priori, mais les membres de notre commission ont toujours su démontrer, collectivement, qu'ils pouvaient se hisser à la hauteur des enjeux. Pour ce qui est de la méthode, elle a le mérite de la clarté. L'important est que nous parvenions à travailler dans la collégialité. La commission d'enquête sur le narcotrafic, évoquée par Marie-Pierre de La Gontrie, est la démonstration par les faits de notre capacité à nous élever pour nous concentrer sur l'essentiel.

Je ne doute pas, madame la présidente, que vous saurez veiller à entretenir cette collégialité, qui est la condition de l'exigence de qualité de nos travaux. Cette commission examine des sujets méritant notre pleine mobilisation, car, il est bon de le rappeler, le rôle du Parlement est de répondre de manière concrète et pragmatique aux aspirations de nos concitoyens.

Proposition de loi organique visant à reporter le renouvellement général des membres du congrès et des assemblées de province de la Nouvelle-Calédonie - Examen des amendements au texte de la commission

Mme Muriel Jourda, présidente. - Nous examinons maintenant l'amendement au texte de la commission sur la proposition de loi organique visant à reporter le renouvellement général des membres du congrès et des assemblées de province de la Nouvelle-Calédonie.

Il s'agit de la preuve par l'exemple de notre méthode de collégialité : ce texte est présenté par Patrick Kanner et rapporté par Philippe Bas et Corinne Narassiguin.

EXAMEN DE L'AMENDEMENT AU TEXTE DE LA COMMISSION

Article 1er

M. Philippe Bas, rapporteur. - Avant de laisser Corinne Narassiguin présenter l'amendement de Robert Wienie Xowie, je vous adresse, madame la présidente, mes félicitations et tous mes encouragements pour la pleine réussite - dont je suis d'avance certain - de votre présidence.

Mme Corinne Narassiguin, rapporteure. - Je vous félicite également, madame la présidente.

Nous n'examinons qu'un seul amendement, qui est identique à celui qui avait été présenté en commission. Cet amendement prévoit que les élections au congrès et aux assemblées de province de la Nouvelle-Calédonie devront se tenir au plus tard le 30 mai 2025, plutôt que le 30 novembre 2025.

Comme nous l'avons déjà expliqué, notre but est de desserrer au maximum l'étau pour que les parties prenantes décident de leur propre calendrier de négociations. S'ils parviennent à un accord permettant d'organiser les élections provinciales au mois de mai, nous en serons bien sûr ravis, mais nous préférons prévoir le délai maximum, conformément à l'avis du Conseil d'État.

La commission émet un avis défavorable à l'amendement n°  1.

Mme Corinne Narassiguin, rapporteure. - Je vous informe par ailleurs que le congrès de la Nouvelle-Calédonie, réuni hier en assemblée plénière, s'est prononcé à une écrasante majorité pour le report des élections provinciales - il n'y a eu qu'une voix contre et deux abstentions, et quarante-sept voix pour.

La commission a donné les avis suivants aux amendements de séance :

Auteur

Avis de la commission

Article 1er

M. XOWIE

1

Défavorable

Proposition de loi constitutionnelle instaurant une Charte des services publics - Examen du rapport et du texte de la commission

Mme Muriel Jourda, présidente. - Nous passons à l'examen du rapport de Catherine Di Folco sur la proposition de loi constitutionnelle instaurant une Charte des services publics, présentée par Cécile Cukierman, Ian Brossat et plusieurs de leurs collègues.

Mme Catherine Di Folco, rapporteur. - Le texte que nous examinons aujourd'hui vise à instaurer et à constitutionnaliser une Charte des services publics proclamant un ensemble de principes et de normes en matière de gestion et de financement des services publics.

L'article 1er de la proposition de loi prévoit d'annexer à la Constitution, via son préambule une Charte des services publics, lui conférant ainsi une valeur constitutionnelle au même titre que la Déclaration des droits de l'Homme et du citoyen de 1789, le préambule de la Constitution de 1946 et la Charte de l'environnement de 2005.

L'objectif de ce texte est de répondre aux inégalités d'accès et de qualité du service public entre les territoires et de mettre fin à ce que ses auteurs désignent comme la prédominance d'une logique libérale dans la gestion des services publics.

Avant d'entrer dans le détail du texte, je tiens à saluer la volonté du groupe Communiste Républicain Citoyen et Écologiste - Kanaky d'agir en faveur des services publics, car ce sujet revient régulièrement au coeur de nos débats en commission. Je rappelle notamment que, chaque année, à l'occasion de l'examen pour avis de la mission budgétaire « Administration générale et territoriale de l'État (AGTE) », la commission déplore le recul de la présence de l'État déconcentré sur les territoires, qui nourrit un sentiment d'abandon de la part d'une partie de la population et entraîne une dégradation de l'accompagnement des élus locaux.

La commission se montre particulièrement vigilante au déploiement des nouvelles missions prioritaires des préfectures pour la période 2022-2025, qui sont le fer de lance du réarmement de l'État dans les territoires, mais aussi au renforcement de la capacité d'accueil des sous-préfectures et à l'efficacité réelle des maisons France Services. Soyez donc assurés, chers collègues auteurs du texte, que votre engagement en faveur des services publics est largement partagé au sein de notre commission.

En ce qui concerne cette proposition de loi, mes travaux se sont structurés autour de la question suivante : les effets juridiques de ce texte sont-ils en mesure de répondre concrètement aux objectifs énoncés, à savoir l'amélioration et la protection des services publics ? Au terme des auditions conduites, je proposerai de répondre par la négative à cette question et, en conséquence, de ne pas adopter les deux articles de la proposition de loi.

En premier lieu, il est apparu qu'une telle réforme constitutionnelle engendrerait des effets juridiques délétères, qui entraveraient la capacité d'action des pouvoirs publics, alors que ces derniers se trouvent en première ligne pour améliorer la gestion des services publics. Cette entrave des pouvoirs publics résulte notamment de l'inscription au sein de la Charte d'une définition stricte des services publics, qui indique que « toute activité qui concerne le développement social, culturel, éducatif, économique et personnel de la société tout entière a vocation à constituer un service public ».

La notion de service public ne fait l'objet, en l'état du droit, d'aucune définition similaire. Cette absence de définition confère aux pouvoirs publics un pouvoir discrétionnaire en matière de création de services publics, dont ils peuvent user pour répondre aux besoins des citoyens et des territoires en fonction des circonstances politiques, économiques et sociales. En énumérant limitativement les champs d'intervention du service public, même de façon aussi vaste, la définition proposée par la Charte crée ainsi un carcan duquel il sera difficile de s'extraire si, à l'avenir, de nouveaux secteurs nécessitaient la mise en oeuvre de services publics.

De plus, les dispositions de la Charte pourraient engendrer une rigidification regrettable de la gestion des services publics, notamment par son article 3, selon lequel « la personne publique assure directement le service public qu'elle a créé ». Cette disposition constitue un renversement de la doctrine qui prévaut en matière de gestion des services publics en France, en excluant la possibilité de déléguer un service à un établissement public ou à un groupement d'intérêt public. La Charte impose également l'obligation de démontrer une « nécessité impérative motivée » afin de déléguer la gestion d'un service public à une personne de droit privé. Une telle disposition engendrerait un manque de souplesse, dont les élus locaux seraient les premiers à pâtir, la délégation étant omniprésente à l'échelle locale.

Par ailleurs, en confiant aux pouvoirs publics le « devoir de prévenir et de limiter les atteintes aux services publics », la Charte instaure un principe constitutionnel de non-régression des services publics, qui limiterait fortement la capacité des pouvoirs publics à faire évoluer les services publics en fonction des besoins réels. Je crains aussi que certaines dispositions de la Charte ne contreviennent à la libre administration des collectivités territoriales, en imposant à l'État de garantir « la préservation et le fonctionnement pérenne de l'ensemble des services publics locaux ». Cette disposition peut être assimilée à une forme de tutelle de l'État sur l'action des collectivités territoriales, à laquelle nous ne saurions souscrire.

L'étude approfondie du texte permet ainsi de prendre la pleine mesure des conséquences juridiques très contraignantes et délétères qu'il est susceptible d'engendrer. Restreindre le service public à un ensemble de domaines limitativement énumérés et imposer aux pouvoirs publics des normes de fonctionnement faisant fi des modes de gestion actuels des services publics constituent des atteintes profondes à la capacité d'agir des pouvoirs publics, au moment où celle-ci apparaît plus nécessaire que jamais pour déployer finement des services au plus proche des besoins de nos concitoyens.

En second lieu, je nourris de sérieuses interrogations quant à la capacité du texte à atteindre ses objectifs.

Dans l'exposé des motifs, il est mentionné que la constitutionnalisation de la Charte doit permettre de s'affranchir du « libéralisme sauvage » engendré par les « contraintes autoritaires des traités européens » et de préserver les services publics d'une inflation normative nuisant à leur qualité.

Premièrement, il convient de rappeler que la constitutionnalisation de la Charte des services publics ne soustrairait en aucun cas les services publics au respect du droit communautaire, qui est imposé par le principe de primauté du droit européen. Du reste, rien n'indique que le cadre juridique de l'Union européenne nuise réellement à la qualité des services publics. Si le traité sur le fonctionnement de l'Union européenne impose effectivement une conformité des services d'intérêt économique général au principe de concurrence, il admet des limites à ce principe, puisqu'il doit être respecté « dans les limites où l'application de ces règles ne fait pas échec à l'accomplissement en droit ou en fait de la mission particulière qui leur a été impartie ». Les services non économiques d'intérêt général ne sont d'ailleurs pas soumis au respect de ce principe de concurrence. Ainsi, la quête constante d'amélioration des services publics ne semble pas nécessiter une remise en cause de la conciliation du droit interne et du droit de l'Union européenne.

Deuxièmement, alors que les auteurs de la proposition de loi entendent limiter l'inflation normative pesant sur les services publics, le contenu de la Charte, davantage politique que juridique et souvent imprécis, crée des normes de gestion qui devront être déclinées d'un point de vue législatif ou réglementaire et favorise une multiplication des contentieux. La constitutionnalisation de la Charte rendrait donc plus complexes encore les normes administratives et juridiques qui minent déjà la réactivité des services publics, comme le déplorent régulièrement les collectivités et les citoyens.

La nécessité de modifier la Constitution pour protéger les services publics pose question d'autant que ces derniers font déjà l'objet de garanties constitutionnelles. Le Conseil constitutionnel a en effet consacré comme « exigences constitutionnelles propres [au] service public » les principes d'égalité, de continuité et de neutralité. L'ajout de certains principes affiliés, comme la proximité ou l'accessibilité, apparaît donc superfétatoire, contraire à l'intelligibilité du droit et propice à la multiplication de contentieux.

Ainsi, la constitutionnalisation des principes et des normes de gestion énoncés par la Charte pourrait se révéler contre-productive. Certes, des progrès doivent incontestablement être réalisés pour renforcer la présence des services publics dans les territoires et pour assurer qu'ils satisfont aux besoins des citoyens, dans la proximité. Toutefois, l'instauration d'un tel cadre juridique constitutionnel pourrait entraver l'action publique et nuire à la nécessaire flexibilité dont elle doit faire preuve.

Je vous propose donc de ne pas adopter cette proposition de loi, mais je remercie de nouveau nos collègues communistes d'engager cette nécessaire réflexion, et je forme le voeu que notre commission maintienne ce sujet au coeur de ses priorités.

Mme Cécile Cukierman. - Je vous félicite à mon tour de votre élection, madame la présidente.

Je remercie Catherine Di Folco de son rapport et de la qualité des échanges que nous avons eus dans le cadre de son élaboration.

Permettez-moi de donner quelques éléments sur le contexte de la préparation de cette proposition de loi. Nous avons élaboré ce texte au mois de juillet dernier, alors que personne, à la suite des élections législatives, ne savait qui deviendrait Premier ministre et quelle serait la coloration du Gouvernement lorsque nous l'examinerions. Les résultats des élections européennes et législatives nous avaient alors alertés sur une forme de dislocation de ce qui nous permet de faire République.

Depuis de nombreuses années, nous n'avons de cesse de parler, au Sénat, de la dégradation des services publics. Cette dégradation concerne bien sûr l'accès aux services publics, que ce soit dans les territoires ruraux, dans les territoires urbains ou dans les territoires ultramarins. Elle concerne également leur qualité. L'exemple de la santé est le plus frappant : chaque été, nous voyons dans les médias que les services d'urgence dysfonctionnent, pour diverses raisons. Elle porte enfin sur les relations entre les agents publics, qu'ils soient au service des collectivités territoriales ou des missions régaliennes de l'État, et les usagers, qui sont de plus en plus exigeants, de plus en plus agressifs, voire violents.

Nous sommes convaincus que, en raison de cette dégradation, le principe d'égalité, pilier de notre République, ne trouve plus d'incarnation. Dès lors, l'individualisme, le populisme et l'extrémisme gagnent du terrain.

Nous aurons un débat en séance durant lequel chacun pourra se cacher derrière la question de savoir quel est le meilleur véhicule législatif pour résoudre le problème. Pour notre part, nous assumons que les services publics soient exigeants, parfois coûteux, et qu'ils soient producteurs de normes, car ils sont, dans notre République, le seul bien commun de ceux qui n'ont rien et le seul moyen d'incarner, au quotidien et partout sur le territoire, le principe de l'égalité républicaine.

Je connais d'ores et déjà l'issue du vote de la commission, mais je tenais à remercier la rapporteure de la qualité du dialogue qu'elle a entretenu et de la qualité de son rapport. C'est bien la preuve que nous pouvons partager des ambitions, malgré nos visions divergentes, et porter haut l'idée que nous nous faisons de l'exercice de la démocratie - autre grande valeur de la République.

Mme Laurence Harribey. - Je vous félicite à mon tour pour votre élection, madame la présidente.

Je tiens à remercier Catherine Di Folco d'avoir élaboré ce rapport en toute transparence et en faisant preuve de la volonté de travailler collégialement. Ainsi, nous avons participé à l'ensemble des auditions et je me rallierai à nombre des remarques de la rapporteure sur ce texte.

L'on ne peut que saluer l'intention du groupe Communiste Républicain Citoyen et Écologiste - Kanaky de constitutionnaliser l'élément majeur de notre pacte social qu'est le service public. Cette notion fait partie de notre identité nationale depuis la III e République, au point que les présidents Chirac et Mitterrand avaient envisagé de la constitutionnaliser. Toutefois, il est révélateur que cette démarche n'ait jamais abouti.

Nous ne pouvons que nous réjouir du fait que cette notion soit remise à l'honneur, au moment où nos services publics sont mis à mal, comme l'ont souligné la rapporteure et l'auteure de la proposition de loi, ce qui accroît le sentiment d'abandon et nourrit le vote extrémiste. Il est bon d'en débattre, ce qui ne revient pas à se cacher derrière des questions de véhicules juridiques. En tant que commission des lois d'une assemblée qui fabrique la loi, il convient de nous demander en quoi un texte de loi peut apporter une solution, et pas seulement servir de tribune.

Si la notion de service public est peu présente dans notre Constitution, elle est juridiquement stable grâce au socle que constituent les lois de Rolland et à la jurisprudence du Conseil d'État et du Conseil constitutionnel. Or nombre de points de cette Charte sont susceptibles de mettre à mal ce socle, sans pour autant garantir ni l'accès aux services publics ni leur bon fonctionnement.

Je soulignerai trois éléments.

La définition des services publics à l'article 1er de la Charte est très large, et donc imprécise, et risque dès lors d'entraîner une incertitude juridique et de réduire la marge de manoeuvre des pouvoirs publics, au premier rang desquels le législateur.

Ensuite, l'article 3 risque d'aboutir à une réduction considérable du recours au mode de gestion délégué du service public. Les élus locaux n'y sont pas favorables, comme en atteste une réponse écrite de l'Assemblée des départements de France (ADF).

Enfin, l'article 4 porterait atteinte au principe de libre administration des collectivités locales.

Par ailleurs, je rejoins la rapporteure sur la question du droit communautaire.

En l'état, au-delà du fait de réaffirmer la place du service public, nous considérons que ce texte ne permet pas d'aboutir aux objectifs recherchés.

M. Philippe Bas. - Je remercie à mon tour le rapporteur, qui a éclairé de manière très précise nos débats, tout en saluant le travail accompli par Cécile Cukierman et son groupe pour la présentation de ce texte, qui porte sur un sujet essentiel. Je crois que nous sommes unanimes à considérer que la République ne se résume pas au suffrage universel et à la Déclaration des droits de l'Homme et du citoyen, et que les services publics font partie du patrimoine commun de tous les Français, qu'il s'agisse de l'école, de l'hôpital ou des transports.

S'attacher à la place des services publics au sein de la Constitution est donc une approche qui n'est pas récusable. Par ailleurs, j'apprécie la méthode, directement inspirée de l'initiative du président Jacques Chirac en matière d'environnement. La particularité de la Charte de l'environnement tient au fait qu'elle ne venait pas modifier la Déclaration des droits de l'Homme et du citoyen, ni le préambule de la Constitution de 1946, mais qu'elle venait s'adosser à la Constitution par une disposition lui conférant une valeur constitutionnelle. Vous avez repris la même idée en adossant à la Constitution une nouvelle Charte, celle des services publics, qui ont une place essentielle dans notre République et qui viennent conforter le patrimoine de ceux de nos compatriotes qui en sont dépourvus.

Pour autant, je partage l'avis de Laurence Harribey sur le contenu même de cette charte. Si certains principes - neutralité, égalité, continuité, adaptabilité, accessibilité - relèvent de l'évidence, ce texte porte une conception figée et une définition imprécise des services publics. Ainsi, la formule selon laquelle « les services publics concernent les activités indispensables à la réalisation et au développement de la cohésion sociale » est difficile d'application, car bien trop vague.

Cette proposition de loi constitutionnelle a le mérite de lancer une réflexion, mais, en l'état, ne me semble pas pouvoir être adoptée.

Mme Catherine Di Folco, rapporteur. - Je remercie Laurence Harribey et Guy Benarroche de m'avoir accompagnée au cours des auditions ainsi que Cécile Cukierman pour nos échanges dans le cadre d'un travail constructif.

Si le processus devait être mené à son terme, cette proposition de loi constitutionnelle devrait être approuvée dans les mêmes termes dans les deux chambres avant de faire l'objet d'un référendum, ce qui n'a rien d'évident. Je vous propose donc de ne pas l'adopter.

La proposition de loi constitutionnelle n'est pas adoptée.

Conformément au premier alinéa de l'article 42 de la Constitution, la discussion en séance portera en conséquence sur le texte initial de la proposition de loi constitutionnelle déposée sur le Bureau du Sénat.

La réunion est close à 10 h 35.