Mardi 22 octobre 2024
- Présidence de M. Cédric Perrin, président -
La réunion est ouverte à 17 h 30.
Audition du général Thierry Burkhard, chef d'état-major des armées
M. Cédric Perrin, président. - Mon général, nous sommes très heureux de vous accueillir ce matin au Sénat. Nous avons entendu la semaine dernière le ministre des armées et des anciens combattants, qui nous a présenté le cadrage général du projet de loi de finances (PLF) pour 2025. Nous allons aborder avec vous la mise en oeuvre concrète des crédits correspondants au sein de l'ensemble de nos forces au cours de l'année à venir. Dans le contexte extrêmement préoccupant que nous traversons, de tels échanges entre les chefs militaires et la représentation nationale sont plus indispensables que jamais.
Les armées disposeront en 2025 d'une enveloppe de 50,5 milliards d'euros, en augmentation de 3,3 milliards d'euros - si tout va bien ! -, conformément à la trajectoire inscrite dans la loi du 1er août 2023 relative à la programmation militaire pour les années 2024 à 2030 et portant diverses dispositions intéressant la défense (LPM). Dans une situation budgétaire très grave qui va conduire à des mesures d'économie affectant de nombreux secteurs, il s'agit d'un traitement totalement justifié, car les menaces qui pèsent actuellement sur notre pays et sur les autres pays européens sont très fortes par rapport à celles qui prévalaient il y a seulement quatre ou cinq ans, en provenance de nos deux grands compétiteurs stratégiques comme d'acteurs moins puissants, avec de réels risques d'engrenages. En outre, il faut toujours rappeler, comme le ministre l'a fait, la dimension de rattrapage d'une telle progression de nos dépenses militaires, lesquelles avaient atteint, depuis les années 2000, un niveau anormalement bas. Nous sommes donc ici en très grande majorité favorables à cette sanctuarisation de la progression de nos dépenses militaires, conformément à une trajectoire de la LPM que le Sénat lui-même avait redéfinie pour qu'elle réponde aux défis auxquels nous sommes confrontés. Pour autant, cette situation nous oblige à un contrôle particulièrement attentif de l'utilisation des crédits de la mission « Défense » : chaque euro compte et doit être justifié aux yeux de nos compatriotes.
Avant d'aborder les questions de matériels, d'équipement, d'entraînement ou encore de ressources humaines, qui sont toutes essentielles, je tiens à réaffirmer l'importance d'une approche globale, que nous devons garder à l'esprit à travers les échanges qui vont suivre. Comment cette nouvelle annuité va-t-elle permettre à nos armées d'avancer, de manière cohérente, vers la capacité à répondre à un engagement majeur, conformément à l'objectif fixé par la LPM ? C'est bien sur ce point que se trouve le changement attendu par rapport à la situation actuelle. Nos armées ont montré leur efficacité et leur supériorité dans plusieurs domaines, tels que la lutte contre les groupes terroristes, ou encore la réponse en urgence à des crises menaçant nos ressortissants, mais sans être - c'est heureux ! - confrontées à un engagement majeur. Ni la France ni nos alliés européens n'ont atteint aujourd'hui le niveau nécessaire pour relever un défi immense de cet ordre. Notre principal adversaire est, quant à lui, résolument passé en économie de guerre, et nous sommes donc en retard.
Mon général, dans quel esprit et avec quelles priorités, abordez-vous ce défi de la haute intensité et du durcissement de la préparation opérationnelle en 2025 ? La poursuite de la remontée des crédits permet-elle des améliorations sensibles dans ce domaine ? Quels seront les exercices menés en ce sens ?
Par ailleurs, sur quelle amélioration de la disponibilité technique des matériels comptez-vous entre 2024 et 2025 ? C'est là un point qui nous préoccupe, et votre parole est d'autant plus importante sur ce sujet que l'information du Parlement est limitée par des mesures de protection de la confidentialité.
La progression doit aussi, bien entendu, porter sur les matériels. Vous pourrez évoquer les livraisons dans les trois armées qui vous paraissent structurantes pour 2025. Nous sommes confiants sur ce point : si, comme saint Thomas, nous ne croyons que ce que nous voyons, nous avons bel et bien vu les choses avancer au cours de cette année 2024, notamment au sein des bases et des régiments dans lesquels nous nous sommes rendus. Toutefois, certains sujets nous préoccupent, en premier lieu la défense sol-air, le remplacement du lance-roquettes unitaire (LRU) par une solution souveraine conformément à la LPM, les capacités de franchissement, l'artillerie, la lutte anti-drones, etc. Nous souhaitons également faire un point sur les munitions, après avoir mené un travail au cours duquel nous avons reçu les industriels concernés : où en sommes-nous aujourd'hui, notamment concernant les commandes, et quels progrès seront réalisés lors de l'exercice à venir ?
Nous devions vous entendre en juillet dernier pour faire un point sur la situation internationale et sur les engagements de nos armées, mais la dissolution de l'Assemblée nationale nous avait contraints à reporter votre audition. Aujourd'hui est donc l'occasion de rattraper ce retard.
Nous continuons d'apporter notre soutien à l'Ukraine, qui se trouve dans une situation de plus en plus difficile. J'étais sur place le week-end dernier et la situation est poignante : vous pourrez évoquer les dernières opérations menées par nos armées pour contribuer à la résistance véritablement héroïque de ce pays face à la pression grandissante des forces russes. Nous serions aussi désireux de recueillir votre réaction à l'annonce de l'arrivée imminente de soldats nord-coréens sur le théâtre des opérations, qui vient encore renforcer le sentiment d'un conflit concernant au premier chef la défense des valeurs occidentales de démocratie et d'État de droit face à la coalition, toujours plus sûre d'elle-même, des États autoritaires.
Par ailleurs, la guerre s'étend au Proche-Orient et au Moyen-Orient, frappant désormais le Liban, et se poursuit en mer Rouge. Quel est l'impact de cette détérioration sur notre dispositif ? Quelle appréciation portez-vous sur la situation des Casques bleus de la Force intérimaire des Nations unies au Liban (Finul), parmi lesquels se trouvent 700 militaires français ?
Nous souhaitons aussi que vous reveniez sur l'évolution de notre dispositif en Afrique, alors que notre commission est engagée dans un travail majeur sur l'architecture de sécurité dans ce continent.
Enfin, il semble difficile de ne pas évoquer l'escalade des manoeuvres chinoises au large des côtes de Taïwan au cours des derniers mois.
Général Thierry Burkhard, chef d'état-major des armées. - Cette loi de programmation militaire 2024-2030 porte une ambition de transformation pour permettre à la France de faire face aux nouvelles menaces et de tenir son rang.
J'aborderai les opérations en cours, dont les enseignements structurent nos choix pour l'avenir, puis les axes d'efforts identifiés dans la LPM, avec pour objectif d'expliciter les priorités structurantes plutôt que les chiffres eux-mêmes, qui se trouvent dans le texte.
S'agissant des opérations, elles reposent sur l'environnement stratégique, qui se caractérise par une superposition des crises dépassant la capacité d'action de la France seule. Ces crises s'accélèrent et le niveau de violence augmente de manière régulière et constante. Ces caractéristiques apparaissent au travers de quatre grands marqueurs.
Le premier est la dynamique de la force : le recours à la force désinhibée apparaît, aux yeux de nos grands compétiteurs, comme le moyen le plus efficace pour imposer leur volonté. À ce titre, la recherche de la létalité maximale semble être une mesure de la détermination des acteurs.
Le deuxième marqueur est la récusation du modèle occidental, avec la volonté de mise en place d'un ordre alternatif. L'ordre international fondé sur le droit, construit par l'Occident après 1945,est contesté.
Le troisième marqueur me semble être la puissance de l'information, avec la numérisation des sociétés, qui confère à l'information une valeur stratégique exceptionnelle. Sa maîtrise est à la fois un facteur de supériorité opérationnelle et une zone de vulnérabilité à fort pouvoir déstabilisateur. Il s'agit d'un nouveau champ majeur de la conflictualité, au sein duquel nous devons aussi porter le combat.
Le quatrième marqueur est le changement climatique, qui peut sembler moins structurant que les précédents. Pour autant, il est pour moi incontournable : l'élévation du niveau de la mer, les famines, les déplacements de populations, les guerres d'accès aux ressources en font un catalyseur du chaos. Nous nous disqualifierions comme acteur stratégique si nous nous en désintéressions. Ce problème nous concerne déjà et concerne encore plus certains de nos partenaires stratégiques. Nous devons le prendre en compte plus fortement.
Nous ne pouvons pas espérer une stabilisation à court terme : un effet cliquet s'est produit, empêchant tout retour en arrière, et le monde vers lequel nous allons sera le monde dans lequel nous vivrons durablement. À ce titre, il devient capital d'anticiper les crises et pas seulement de nous préparer à en gérer les effets, lesquels sont terribles. Cette donnée emporte des conséquences stratégiques, politiques et militaires sur lesquelles nous reviendrons.
Je me propose de décrire rapidement les quatre principales zones géographiques d'opérations dans lesquelles l'armée française est engagée.
En Europe, sur le flanc Est, notre objectif est de dissuader la Russie et de contribuer à la réassurance de nos alliés de l'Organisation du traité de l'Atlantique Nord (Otan) et de l'Union européenne (UE).
En Roumanie, la France est ainsi la nation-cadre de l'opération Aigle et commande un des huit bataillons engagés par l'Otan sur le Flanc Est. Nous avons également déployé un élément de commandement avancé de PC de brigade, préfigurateur de l'éventuel déploiement d'une brigade, configuration qui sera au coeur de l'exercice Dacian Spring, au printemps 2025, matérialisant ainsi notre capacité de renforcement si la situation l'exigeait. Nous calculons l'effort nécessaire pour que cet engagement soit le plus rentable possible, avec nos partenaires roumains. Nous disposons aussi sur place d'un plot de défense sol-air Samp/T Mamba avec 80 militaires.
Nous sommes engagés dans l'opération Lynx, en Estonie, qui est du même ordre, mais dont le Royaume-Uni est la nation-cadre. À ce titre, un sous-groupement tactique interarmes (SGTIA) de 250 militaires ainsi qu'un élément de soutien national d'une centaine d'hommes sont intégrés dans le bataillon britannique, avec la même mission de réassurance vis-à-vis de l'Estonie. Dans le cadre de la relation bilatérale avec ce pays, nous déployons également de manière temporaire mais régulière une unité d'infanterie légère qui travaille avec la Ligue de défense estonienne - sorte de réserve élargie -, qui nous confère une proximité forte avec la population estonienne.
Nous engageons également en Europe un contingent aérien menant des missions de police du ciel au-dessus des Etats baltes ainsi que des patrouilles aériennes au-dessus de la Pologne et de la Roumanie.
Nous sommes présents sur les mers, avec un déploiement naval en méditerranée centrale et nous sommes intégrés dans les tasks groups de l'Otan pour les frégates de premier rang et les chasseurs de mines, en Méditerranée orientale comme en Baltique. Nous apportons également une contribution aéromaritime aux missions de surveillance de l'Otan en Méditerranée orientale, en mer Noire ou en mer Baltique.
À ces déploiements s'ajoutent des missions de formation au profit de l'Ukraine, dans le cadre de la mission Eumam - pour European Union Military Assistance Mission in support of Ukraine, mission d'assistance militaire de l'Union européenne en soutien à l'Ukraine. Nous avons d'abord accueilli de petits détachements en France avant de nous engager à plus grande échelle en Pologne. Nous formons aujourd'hui une brigade ukrainienne complète dans les camps de l'Est de la France, avec pour but de rechercher la cohérence en entraînant les personnels concernés sur les matériels que nous leur transmettons. Nous faisons de même s'agissant des pilotes de Mirage 2000.
En Bosnie-Herzégovine, nous participons à l'opération Althea de l'Union européenne avec la mise en place d'un renfort ponctuel aux fins de démonstration de force.
Au Proche et Moyen-Orient, notre objectif est d'éviter un embrasement régional. À ce titre, le Liban a été identifié comme point d'application privilégié pour nos efforts. La France commande et arme la Force Commander Reserve de la Finul, avec 700 militaires, renforcée par une compagnie finlandaise de 250 hommes. Nous cherchons aujourd'hui à maintenir la cohésion de la Finul, dont j'estime que l'action actuelle est remarquable et oppose un démenti à ceux qui pariaient sur son départ de la zone. Son maintien sur place me paraît indispensable. La Finul agit dans le cadre de la résolution 1701, dont l'autre bras armé est constitué par les Forces armées libanaises (FAL), qui sont, quant à elles, très impliquées pour contenir le risque d'affrontements interconfessionnels. Nous avons pour projet de les assister dans leur remontée en puissance et la poursuite de leur mission au Sud Liban.
Concernant Gaza, nous avons apporté et continuons à apporter un soutien humanitaire, avec la mise en place du porte-hélicoptères amphibie (PHA) Dixmude, l'organisation de livraisons par air et l'appui aux initiatives de ravitaillement via les corridors terrestres.
En mer Rouge, nous participons à l'opération européenne Aspides de protection des bâtiments commerciaux en transit.
En Irak, nous menons l'opération Chammal, dans le cadre de l'Operation Inherent Resolve (OIR) de lutte contre la résurgence de Daech, en coordination étroite avec les forces irakiennes.
À la demande des Irakiens, l'opération OIR va probablement mettre un terme à ses activités en 2025 ou en 2026 ; la France assurera, à compter de mai 2025, le commandement de la NMI - Nato Mission in Irak.
En Afrique, notre dispositif précédent était performant mais la balance était négative entre les effets produits par notre présence et le retour dans le champ des perceptions. De ces constats, il fallait tirer les conséquences et le dispositif devait donc évoluer. Nous transformons donc notre présence et les structures de commandement, notamment avec la création d'un commandement pour l'Afrique. La réorganisation en cours porte déjà ses fruits. Nous entendons contribuer à lutter contre le terrorisme, à participer à la maîtrise de l'immigration clandestine, à contrer les influences de nos compétiteurs stratégiques que sont la Chine, la Russie ou l'Iran ainsi qu'à participer à la protection de l'environnement et à la lutte contre les effets du changement climatique. Pour cela, il convient de baisser la visibilité de la présence française en évitant de localiser des bases dans les capitales et en réduisant tant l'empreinte au sol que les adhérences. En accord avec nos partenaires, nous passons donc d'une logique de déploiement permanent à des déploiements temporaires de forces exécutant des missions, avec l'appui d'un socle beaucoup plus réduit et moins visible. En outre, nous devons adopter des démarches adaptées à chaque pays africain en termes de calendrier comme de moyens. Nos déploiements doivent être guidés par les demandes des pays concernés et par nos capacités à y répondre.
Sur le territoire national, notre objectif est de contribuer à la protection des Français. En métropole, le succès des jeux Olympiques a démontré l'importance de la préparation et des moyens. C'est très satisfaisant. Je souhaite faire évoluer le dispositif afin de l'adapter, avec une opération Sentinelle nouvelle génération, comprenant un socle réduit et une réserve multi-missions réactive. Le point clé est la qualité du dialogue civilo-militaire dont les acquis doivent être préservés.
Outre-mer, nous faisons face à des enjeux spécifiques, liés à la dégradation de la situation sécuritaire. Nous y agissons en appui des forces de sécurité intérieure (FSI). Ainsi, en Nouvelle-Calédonie, l'armée de l'air et de l'espace a réalisé une remarquable mission de projection des escadrons de gendarmes mobiles, rendue possible par la modernisation opérée par les lois de programmation militaire précédente et courante, lesquelles ont débouché sur la dotation d'Airbus A400M et A330 Multi Role Tanker Transport (MRTT). En outre, nous poursuivons les opérations Harpie, Polpêche ou Titan.
Comment le projet de loi de finances pour 2025 va-t-il nous permettre de poursuivre nos efforts et nous adapter aux nouvelles menaces ? Il est construit avec un objectif de cohérence, appuyé sur la sanctuarisation du coeur de souveraineté, lié à la singularité de notre pays et à son positionnement stratégique unique, notamment en raison de ses territoires en outre-mer.
La cohérence dans le renouvellement capacitaire diffère d'une simple logique de parcs : il s'agit de disposer du matériel avec un potentiel d'utilisation, des munitions et l'autonomie logistique pour l'engagement. Il devient alors possible d'adapter nos ambitions aux réalités sans dénaturer les premières et de sincériser nos capacités opérationnelles. Cela consolide le modèle français de défense, lequel est autonome, souverain et complet, des qualités que nous imposent nos caractéristiques. C'est ainsi que nous pouvons mener à bien une opération comme Sagittaire sans avoir besoin de l'aide militaire de pays tiers.
L'impératif de sanctuarisation du coeur de souveraineté nous conduit à mener des missions de protection du territoire national en métropole comme dans les outre-mer, dans tous les milieux physiques comme dans tous les champs immatériels. Nous devons donc disposer d'une capacité autonome d'appréciation de situation, en nous appuyant en particulier sur la transformation numérique et en employant notamment l'intelligence artificielle. À cela s'ajoute la nécessité d'une dissuasion crédible, qui tire vers le haut l'ensemble des armées, notamment la marine et l'armée de l'air et de l'espace.
Enfin, le volet ressources humaines (RH) conditionne nos capacités. Nous avons lancé un travail pour réviser notre modèle et tenir compte des évolutions sociétales, après le constat établi d'un écart de plus en plus grand entre sujétions militaires et standards de la vie civile. . Malgré cette différence de standards, nous parvenons à recruter, mais nous devons rester conscients de cet écart. Le statut militaire, qui est un contrat entre l'armée et la Nation, doit donc être préservé. Pour autant, nous devons réfléchir au moyen de prendre en compte ces différences grandissantes. S'agissant de la mobilité, par exemple, elle est consubstantielle aux armées, elle joue un rôle en dynamisant l'escalier social, mais elle impacte le militaire, et surtout sa famille, son conjoint, ses enfants, etc. Un autre sujet est la rémunération, qui passe notamment par la revalorisation attendue des grilles indiciaires des sous-officiers et des officiers, prévues dans la loi de programmation militaire.
Au-delà des adaptations constantes, nous maintenons trois axes d'effort. Le premier est la cohésion nationale, qui est le centre de gravité de la résilience d'un pays, comme on le voit en Ukraine. À ce titre, elle est la cible privilégiée de nos adversaires. Sa consolidation ne relève pas de la seule responsabilité de l'armée, mais celle-ci y contribue. Cela passe par le renforcement du lien entre l'armée et la Nation. Ainsi, nous devons augmenter la surface de contact entre l'armée et la jeunesse : les dispositifs en place actuellement permettent de toucher chaque année 80 000 jeunes, soit 10 % d'une classe d'âge. C'est insuffisant, et nous travaillons sur ce point, en lien avec l'éducation nationale.
La consolidation de la cohésion nationale passe aussi par la réserve : l'ambition Réserves 2030 vise un doublement des effectifs concernés, auquel seront consacrés 26 millions d'euros. Pour autant, cet objectif impose une réflexion plus profonde en matière de gestion du système et d'organisation des armées, pour intégrer nativement ces réservistes. Nous l'avons lancée. Dès lors, il devient nécessaire de garantir la disponibilité du personnel concerné, laquelle relève aujourd'hui du volontariat du réserviste comme de son employeur. Nous devons réfléchir à modifier le niveau d'obligation pour rendre la réserve réellement opératoire, la notion de volontariat concernant la contraction de l'engagement dans la réserve et non la réponse à une convocation.
La base industrielle et technologique de défense (BITD) élargie doit inclure les start-up ainsi que les très petites entreprises (TPE) et les petites et moyennes entreprises (PME). Nous devons trouver un équilibre entre le développement des grands programmes à effet majeur, pour des armes de décision, et les acquisitions réactives, pour des armes d'usure, qui ont une durée de vie plus limitée. Nous devons en parallèle investir dans de nouveaux champs, comme l'espace, pour une meilleure connectivité des forces. Il s'agit en fait d'une révolution capacitaire, que nous devons réussir.
J'en viens au second axe d'effort. Nous devons incarner concrètement la solidarité stratégique. Nous devons décider avec qui nous allier. Les défis à venir dépassent nos moyens propres, faire évoluer la dimension de nos partenariats devient nécessaire. Cela suppose que nous soyons plus rassembleurs que meneurs. Nous n'avons pas forcément besoin de toujours tenir le premier rôle.
Les enjeux de la guerre en Ukraine dépassent ce seul pays. Quels que soient les résultats des élections américaines, les Américains souhaiteront déplacer le centre de gravité de leur action vers la zone indopacifique. Cette position est partagée par les deux candidats.
Nous devons donc consolider le pilier européen de l'Alliance atlantique. L'Otan est une alliance efficace : le système de commandement et de contrôle est crédible ; la génération de forces, les plans d'opérations et le programme d'entraînement de l'Organisation structurent notre préparation opérationnelle et améliorent notre interopérabilité avec les autres pays européens.
De manière pragmatique, nous devons soutenir l'Ukraine tout en nous transformant. Nous formons de manière cohérente une brigade ukrainienne dans les camps de Champagne : la formation tactique inclut l'utilisation de matériels qui seront cédés lors du retour au pays de cette brigade, cession associée à un approvisionnement en pièces de rechange et en munitions.
Nos territoires outre-mer, enjeux de souveraineté très importants, constituent un réseau d'appui permettant de démultiplier les effets de nos partenariats et d'agir sur l'ensemble du globe. Ainsi, une remontée en puissance est prévue : 13 milliards d'euros sont prévus pour les outre-mer dans la LPM, avec une augmentation de 10 % des effectifs.
Notre dispositif en Afrique connaît une profonde transformation, afin que nous restions actifs auprès de nos partenaires indépendamment des instabilités que connaît ce continent.
Le dernier axe d'effort vise à assurer notre crédibilité opérationnelle. Celle-ci s'appuie sur l'ambition de gagner la guerre avant la guerre, tout en restant aptes à s'engager dans un affrontement de haute intensité. Ainsi, la préparation opérationnelle se doit d'être durcie, de haute intensité, dans un environnement multi-milieux et multi-champs, dans un cadre interarmées et interalliés, incluant les chaînes de soutien. Cette préparation s'incarne dans de grands exercices, comme Orion 23 hier et Orion 26 demain.
Nous développons le réseau multi-senseurs multi-effecteurs (RM2SE), pour que, sur le champ de bataille, les armes soient interconnectées et permettent de prendre l'ascendant sur l'adversaire au moment opportun.
Nous poursuivons le renouvellement des équipements. Après une LPM de reconstruction vient une LPM de transformation. Outre les programmes majeurs, des efforts sont prévus en matière de munitions. Il y va également de la crédibilité de notre système de défense sol-air ; je pense par exemple à la lutte anti-drones, à l'autoprotection des frégates ou aux armes à énergie dirigée, en passant par les rénovations à mi-vie et l'acquisition de nouveaux armements et d'équipements du futur.
En disant que nous voulons gagner la guerre avant la guerre notre objectif est d'afficher notre détermination et de décourager nos adversaires dès la phase de compétition. Nous devons donc prendre en compte en particulier les évolutions dans le champ informationnel. Si nous ne nous engageons pas dans ce domaine, nous serons en grande difficulté.
Nous devons continuer à faire évoluer notre commandement pour les opérations interarmées (CPOIA), en visant une plus grande plasticité grâce à la transformation numérique.
Pour conclure, l'ensemble de notre pays a conscience de la situation internationale, ce qui explique le vote d'une LPM à hauteur de 413 milliards d'euros. Les armées ont aussi conscience de la situation économique : vous pouvez compter sur elles pour faire preuve de la plus grande exigence en matière d'efficacité de la dépense.
M. Cédric Perrin, président. - Après vos réponses aux questions des rapporteurs budgétaires, pourriez-vous nous donner de plus amples informations sur l'Ukraine et le Liban ?
Mme Gisèle Jourda, rapporteure pour avis de la mission « Défense » sur le programme 144 « Environnement et prospective de la politique de défense ». - Les études stratégiques financées par la direction générale des relations internationales et de la stratégie (DGRIS) sont insuffisamment valorisées en interne, alors que les crédits relatifs à ces études devraient croître de plus de 2 millions d'euros l'année prochaine, pour atteindre près de 12 millions d'euros. Quel est l'usage que les armées font de ces études et comment mieux les utiliser ?
Depuis le retrait des Transall C-160 Gabriel, qui font du renseignement électromagnétique, et la réduction de voilure actée dans la LPM des avions légers de surveillance et de renseignement, leur remplacement est un serpent de mer. Je pense aussi bien au projet Archange, composé d'avions Falcon de Dassault, qu'à l'Eurodrone. Entreront-ils en service avant 2030, au cours de cette LPM ? Quelles sont les difficultés rencontrées ?
Le budget consacré aux études opérationnelles et technico-opérationnelles (EOTO) devrait croître de 1 million d'euros l'an prochain, pour atteindre 28,5 millions d'euros. Ces études capacitaires sont extrêmement utiles pour nos forces dans la mesure où elles les aident à instruire des questions complexes sous un angle technico-opérationnel de long terme. Or la liste des EOTO réalisées en 2024 et prévues en 2025 ayant fait l'objet d'une protection, ne nous a pas été transmise. Quelles en sont les raisons ? Quelles sont les priorités de l'état-major des armées concernant ces études ?
Général Thierry Burkhard. - La DGRIS commande les études selon une procédure où tous les services du ministère expriment leurs besoins. Ces études répondent donc à des besoins divers. Elles sont très utiles à l'état-major, notamment à sa cellule d'anticipation stratégique et d'orientation et à son centre de planification et de conduite des opérations (CPCO), en particulier dans le cadre de la planification.
Certaines études, comme celles sur l'impact du changement climatique, nourrissent nos études prospectives, sur le plus long terme, et nous aident à anticiper des évolutions capacitaires - par exemple : je doute que les grands constructeurs continuent à construire des moteurs thermiques pour les seules armées et il faut l'anticiper - ou d'infrastructures, par exemple pour élaborer de nouveaux quartiers. L'utilisation de ces études n'est sans doute pas optimale, et certains considèrent que leur délai de production est trop long ; cependant, la coordination me semble satisfaisante.
Pour ce qui concerne les EOTO, je vous ferai parvenir notre réponse par écrit.
Nous restons très vigilants en matière de guerre électronique. Cette capacité est très importante. Nous avons compensé le retrait des Transall C-160 Gabriel par un certain nombre de moyens, notamment pour maintenir les qualifications des personnels en attendant l'arrivée des nouveaux appareils. Deux premières livraisons d'avions Archange, dotés de la capacité universelle de guerre électronique (Cuge), sont prévues en 2027, et la dernière livraison en 2029.
M. Hugues Saury, rapporteur pour avis de la mission « Défense » sur le programme 146 « Équipement des forces ». - Le Premier ministre a déclaré que la LPM serait respectée, mais que des efforts en matière de gestion de l'argent public seraient demandés. Quels types d'efforts pourriez-vous consentir et quelles sont les marges de manoeuvre de nos armées ?
Le ministre des armées a confirmé que des Mirage 2000 devaient être cédés à l'Ukraine. Quel est leur nombre et quelles sont les modalités de remplacement prévues au sein de nos forces ? Quelles seront les missions premières de ces avions, étant donné leur configuration ? Quelle sera leur valeur ajoutée par rapport aux F16 ?
Le programme Capacité Motorisée (CaMo) engagé avec la Belgique semble porter ses fruits. Quels sont les avantages opérationnels de la mise en commun des doctrines et du partage d'un même matériel ? Le programme pourrait-il être étendu à d'autres pays ?
Un nouveau site de production de munitions ouvrira l'année prochaine à Bergerac. Qu'en est-il de la préparation de nos armées au combat de haute intensité ? Quand serons-nous capables de soutenir durablement un engagement de ce type ?
Enfin, le ministre a appelé à une rupture culturelle en matière d'innovation, au sein du ministère comme de la BITD, afin de prendre plus de risques et de garantir un accès souverain aux technologies actuelles et futures. Il souhaite que des décisions inédites soient prises pour assurer la supériorité de nos armées pour les décennies à venir. Quels sont les programmes envisagés ? Voilà qui relance le débat entre rusticité et modicité, d'une part, et innovation et coût élevé, d'autre part. Quelle est votre doctrine en la matière et où se trouve l'équilibre ?
Général Thierry Burkhard. - J'ai confiance en mes chefs et suis certain que la LPM sera respectée. Par ailleurs, je ne peux qu'appeler de mes voeux des efforts dans la gestion des deniers publics.
Nous allons livrer des Mirage 2000-5 à l'Ukraine et nous avons commencé à former leurs pilotes.
Le F16 est nativement un peu plus multi-rôles. Par ailleurs, la flotte de F16 sera plus importante en Ukraine, ce qui constitue en soi un avantage, en matière d'entraînement comme de maintenance. Cependant, le Mirage 2000-5 reste adapté aux missions qui lui sont dévolues.
CaMo est un partenariat exemplaire ; c'est la moindre des choses, puisqu'avec les Belges nous disposons de conditions de collaboration optimales. Les Belges ont en effet acheté le matériel et ont choisi d'adopter notre doctrine, en encourageant l'interopérabilité. La Belgique a travaillé à cette coopération avec pragmatisme : une vingtaine d'officiers et de sous-officiers sont présents dans l'ensemble des services clés de l'armée française, pour travailler avec nous et élaborer la doctrine. Lors du déploiement de la mission Aigle en Roumanie, le chef d'état-major belge avait convaincu ses autorités politiques de déployer avec nous un groupement tactique interarmes (GTIA) ; en matière de déploiement, CaMo permettra une efficacité encore supérieure.
Le programme Griffon a eu des effets positifs. Les Belges s'intéressent au canon Caesar et au véhicule blindé d'aide à l'engagement (VBAE). L'armée de terre belge s'inscrit résolument dans une coopération toujours plus intégrée avec l'armée française.
Nous devons préserver et valoriser ce partenariat exemplaire. J'inclus aussi dans mes appréciations le Luxembourg, ainsi que les Pays-Bas, qui ont assuré une rotation avec les Belges lors de la mission Aigle.
En matière d'innovation, le ministre parlait sans doute de l'intelligence artificielle. En la matière, le ministère est en pointe, envisageant l'achat d'un supercalculateur. Des questions stratégiques se posent : doit-on acheter français, quitte à prendre cinq ans de retard, ou acceptons-nous de prendre en marche un train partagé, en achetant un supercalculateur qui ne sera pas français à 100 % ? J'estime qu'aujourd'hui, le plus important est de ne pas perdre de temps.
Trouver le bon équilibre entre rusticité et innovation constitue un défi permanent. Les budgets des précédentes LPM étaient moindres. Mes prédécesseurs ont fait des arbitrages qui me semblent justes, à savoir choisir de maintenir un savoir-faire de haute technologie. L'objectif est atteint ; nous disposons par exemple de missiles Aster30 et Scalp. Si nous avions privilégié des armes plus rustiques, de basse technologie, nous aurions des difficultés à rattraper notre retard.
Cependant, les choses ont changé. Nous ne sommes plus dans des guerres choisies, où nous pouvons moduler l'intensité de notre engagement. Nous devons pouvoir combiner l'emploi d'armes de décision, de haute technologie, avec l'emploi d'armes d'usure, moins coûteuses et de moindre technologie. Il ne faut pas toujours chercher à résoudre un problème par une solution de technologie supérieure : certaines bonnes solutions recourent à des technologies de niveau inférieur. En la matière, les Ukrainiens sont assez remarquables.
M. Olivier Cigolotti, rapporteur pour avis de la mission « Défense » sur le programme 178 « Préparation et emploi des forces ». - Mon général, s'agissant des performances du maintien en condition opérationnelle (MCO), les contrats verticalisés ont indéniablement apporté des améliorations. L'évolution de la disponibilité technique des matériels va-t-elle dans le bon sens en 2024 ?
La trajectoire budgétaire vous donne-t-elle des marges de manoeuvre, non seulement pour faire augmenter la disponibilité des matériels, mais aussi pour adapter le MCO à la haute intensité, notamment en faisant davantage de stocks ou en faisant évoluer des contrats d'entretien ?
J'en viens à nos forces prépositionnées en Afrique, à savoir au Sénégal, en Côte d'Ivoire et au Gabon. Quelle est l'économie prévue à la suite de la réduction de la présence française ? Cette adaptation de grande ampleur rend-elle toute remontée en puissance impossible en cas de crise majeure ? Est-ce une menace pour nos ressortissants ?
Mme Michelle Gréaume, rapporteure pour avis de la mission « Défense » sur le programme 178 « Préparation et emploi des forces ». - Général, où en sommes-nous par rapport aux normes d'activités fixées par la LPM ? Par exemple, a-t-on atteint la cible de 120 journées d'activité du combattant terrestre et de 180 heures de vol pour les pilotes d'avions de combat ? Les crédits prévus au PLF 2025 sont-ils suffisants pour atteindre la haute intensité ?
Depuis le début de la guerre en Ukraine, le défi de l'approvisionnement en énergie est devenu encore plus critique pour nos armées. Les dotations du service de l'énergie opérationnelle (SEO) ont fait un bond spectaculaire depuis trois ans, et de multiples réflexions et chantiers sont menés, de la propulsion hybride à l'élaboration des carburants de synthèse. Où en sont ces recherches ? Par ailleurs, le SEO rencontre encore d'importantes difficultés de recrutement en 2024, malgré les mesures prises en 2023 : sont notamment concernés les sous-officiers du service de l'énergie opérationnelle et les sous-officiers « spécialité soutien pétrolier ». Les crédits prévus pour 2025 sont-ils suffisants pour développer de nouvelles mesures de fidélisation et d'attractivité ?
Général Thierry Burkhard. - En Afrique, nous passons de forces prépositionnées à des forces engagées par séquences, réduisant ainsi notre empreinte et notre visibilité. Si les effectifs présents en permanence diminuent drastiquement, les partenariats avec les pays africains vont se développer, si bien que nous allons continuer à projeter régulièrement des unités, pour réaliser des détachements d'instruction opérationnelle ou des exercices. En moyenne, l'effectif sera donc un peu moindre, mais la différence en termes d'effets restera contenue. Ce dispositif, moins visible, dont l'empreinte est moins forte, n'a pas pour objectif principal de réduire le coût de notre présence en Afrique, mais il sera sans doute, à terme, un peu moins onéreux.
Notre objectif en Afrique est de maintenir notre influence et de sortir de la spirale perdant-perdant : nos actions en faveur de nos partenaires nous nuisaient, tout comme elles nuisaient aux gouvernements qui nous accueillaient. Nous devons maintenir notre influence, mais celle-ci ne relève pas que de la puissance militaire : une influence efficace demande un effort interministériel. Il faut que nous ayons la volonté de parler à la jeunesse africaine, par le sport, le développement ou la culture. Sinon, il manquera toujours quelque chose.
M. Cédric Perrin, président. - Le président du Sénat et moi-même nous sommes rendus en Côte d'Ivoire il y a une dizaine de jours : nous avons effectivement observé que nombre de nos entreprises, dans le secteur bancaire notamment, se désengagent de ce pays, ce qui pénalise et réduit grandement l'influence de la France. Il est donc indispensable, comme vous l'indiquez, de réfléchir à cette question.
Général Thierry Burkhard. - Monsieur le Sénateur Cigolotti, s'agissant de la réforme de nos bases en Afrique, j'en conviens, notre dispositif sera moins proche des théâtres d'opérations en cas de coup dur.
Cela étant, nous disposons encore de larges capacités d'action en Afrique. Le matériel actuel nous y aide beaucoup : je citerai l'exemple de l'A400M qui permet aujourd'hui de couvrir des distances bien plus importantes que nos anciens avions ; c'est aussi le cas du Rafale.
C'est la fin d'un dispositif militaire inégalé, qui nous offrait certes une capacité de réaction immédiate, mais qui, à certains égards, pouvait nuire à l'armée française et aux gouvernements des pays qui nous accueillaient.
Concernant les performances du MCO, sachez que la disponibilité technique (DT) cible sera atteinte entre 2025 et 2027. J'estime pour ma part qu'il faut désormais recourir au maximum aux contrats verticalisés si nous voulons vraiment qu'ils produisent leur plein effet. Vous avez évoqué la sophistication des matériels : il est logique que leur maintenance soit plus coûteuse et c'est aussi pourquoi l'évaluation juste de nos besoins opérationnels est plus que jamais indispensable.
Madame la Sénatrice Gréaume, les normes d'activité fixées par la LPM seront stables en 2024 par rapport à l'année dernière. Elles devraient augmenter en fin de programmation et atteindre l'objectif fixé - 100 % - en 2030. À ce sujet, la « perte » des Mirage et de deux Rafale cette année a bien entendu des conséquences qu'il faudra atténuer en employant davantage les appareils dont nous disposons, ce qui aura des répercussions sur le moyen terme.
Le SEO mène un certain nombre d'études pour accompagner au mieux le développement des matériels hybrides. Les personnels de ce service sont très qualifiés et travaillent, de manière très autonome, sur les théâtres d'opérations : ce sont des personnes dont les compétences sont très recherchées, ce qui explique les difficultés de fidélisation que vous soulignez.
Le ministre des armées a récemment annoncé que 5,9 milliards d'euros de crédits seraient consacrés à l'entretien programmé du matériel (EPM) en 2025 : ces crédits sont en hausse de 160 millions d'euros par rapport à la précédente loi de finances, après une augmentation plus sensible, qui s'est élevée à 750 millions d'euros, l'année précédente. En 2025, l'effort dans ce domaine ne profitera pas de la même manière à toutes les armées : chaque milieu, terrestre, maritime ou aérien, est régi selon les règles - souvent différentes - découlant des contrats verticalisés qui ont été signés. En l'occurrence, l'an prochain, c'est le matériel de la marine nationale qui sera le principal bénéficiaire de la hausse des crédits.
Outre l'EPM, il faut tenir compte des équipements d'accompagnement, des munitions, des dépenses de personnel : en réalité, ce sont 7,8 milliards d'euros qui permettront de soutenir l'activité opérationnelle et de la transformer quantitativement et qualitativement.
M. Jean-Pierre Grand, rapporteur pour avis de la mission « Défense » sur le programme 212 « Soutien de la politique de la défense ». - Notre commission s'est émue l'an dernier de l'écart entre les objectifs fixés par la LPM en termes d'effectifs et les effectifs réels dans les armées. Voici quelques semaines que les chefs d'état-major sont plus rassurants sur leurs capacités à atteindre leurs objectifs de recrutement en 2024 : pourriez-vous être plus précis en nous donnant une estimation du taux de réalisation des schémas d'emplois qui devrait être atteint cette année ? Je précise que, même si les objectifs fixés en loi de finances étaient atteints, nous resterions éloignés de la trajectoire définie par la LPM.
L'armée de l'air et de l'espace a communiqué l'été dernier sur la signature par Thomas Pesquet d'un contrat de réserviste opérationnel. Compte tenu de sa notoriété, c'est une excellente promotion pour nos armées et la réserve opérationnelle. Les campagnes marketing de nos armées de recrutement sont certes efficaces, mais il convient de s'interroger plus largement sur la capacité de celles-ci à développer des outils de communication plus innovants, qui miseraient sur des ambassadeurs célèbres. Il serait par exemple intéressant de se saisir d'occasions liées à l'actualité : dans quelle mesure les jeux Olympiques ont-ils pu servir de vitrine à la promotion des armées ?
Mme Marie-Arlette Carlotti, rapporteure pour avis de la mission « Défense » sur le programme 212 « Soutien de la politique de la défense ». - Mon général, vous avez évoqué la mobilité des militaires : il s'agit en effet d'une contrainte forte qui pèse tout autant sur le militaire que sur sa famille, sur sa qualité de vie - la scolarisation des enfants, l'accès à la propriété, l'accès aux soins, etc. Il semble que les compensations mises en place soient insuffisantes : des progrès sont-ils encore possibles ?
Autre point d'attention, vous avez la responsabilité de la politique d'hébergement et, plus largement, de l'organisation du soutien et des infrastructures : que pensez-vous du niveau des crédits pour 2025 en faveur de la rénovation des logements et des hébergements ? Quel bilan dressez-vous à ce stade du plan Hébergement, d'une part, et du plan Logement, d'autre part ? Quels sont les aspects de leur mise en oeuvre qui attirent votre attention ? Quel bilan tirez-vous de l'interarmisation du soutien au sein des bases de défense ? La Cour des comptes, dans un récent rapport, relève que l'armée de terre, ainsi que l'armée de l'air et de l'espace souhaitent un retour à des bases de défense dites « monocolores ». Elle préconise cependant d'ajuster le modèle plutôt que de le transformer totalement : que faudrait-il faire, selon vous, pour l'améliorer ?
Général Thierry Burkhard. - Monsieur le Sénateur Grand, votre première question porte sur l'écart entre les objectifs de recrutement et la réalité des effectifs. En la matière, je considère qu'il faut faire preuve d'une certaine humilité : il n'est pas toujours facile d'expliquer pourquoi nous recrutons bien certaines années et mal d'autres années. Beaucoup de paramètres interviennent.
Quoi qu'il en soit, tout indique que nos objectifs en termes d'effectifs devraient être atteints pour l'année 2024. Les annonces relatives à la revalorisation de la grille indiciaire des sous-officiers et de celle des officiers l'année prochaine n'y sont sans doute pas pour rien. Pour autant, nous restons, comme vous l'avez mentionné, en-deçà de la trajectoire prévue par la LPM qui reste l'objectif à atteindre.
Vous avez parlé de Thomas Pesquet : c'est évidemment un facteur de visibilité des armées, plus encore que de recrutement. Pour nos campagnes de recrutement, nous faisons régulièrement appel à des influenceurs, notamment parce qu'ils s'expriment sur des vecteurs de communication prisés par les jeunes.
Vous avez raison de parler d'un effet « Jeux olympiques », d'une part, parce que nous sommes parvenus à communiquer de manière positive sur la réussite des athlètes militaires, issus des bataillons de Joinville ou de Fontainebleau et, d'autre part, parce que nous avons pu mettre en place un bataillon de cérémonie chargé de la levée des drapeaux lors de chacune des cérémonies de remise de médailles.
Madame la Sénatrice Carlotti, en matière de mobilité, j'estime que nous avons beaucoup agi pour réduire les contraintes que vous avez signalées, notamment parce que c'est un facteur de fidélisation, mais la mobilité est, entre autres, indispensable à l'efficacité de l'escalier social. Si les choses ont beaucoup évolué - aujourd'hui, les jeunes officiers font toute leur première partie de carrière, du grade de lieutenant jusqu'au commandement de leur compagnie, dans le même régiment -, on ne mesure pas toujours les effets de bord de telles mesures de gestion : on observe ainsi, avec la réduction de la mobilité, une progression sensible du célibat géographique dans nos armées. En effet, en restant dans une même garnison pendant de nombreuses années, les militaires tendent à s'y installer (accès à la propriété, réseau social, emploi du conjoint...), ce qui rend moins aisée la bascule de la famille vers d'autres lieux de vie.
Il existe aujourd'hui des mesures d'accompagnement de la mobilité, que ce soit en termes d'accès à la propriété ou de scolarisation des enfants, mais je considère qu'elles ne relèvent pas seulement du périmètre du ministère des armées.
Vous avez abordé la question fondamentale des infrastructures : en matière d'hébergement, les infrastructures souffrent de plusieurs décennies de sous-investissement. Les ressources allouées au logement et à l'hébergement de nos troupes, bien qu'étant en hausse, sont insuffisantes au vu de la situation actuelle.
Des solutions internes sont à envisager : les soldats eux-mêmes peuvent contribuer à tout ce qui relève du petit entretien. Par ailleurs, le directeur central du service d'infrastructure de la défense (SID) est parfaitement conscient du combat à mener et des efforts à consentir. Aujourd'hui, l'enjeu est de construire des bâtiments utiles, fonctionnels, au bon coût, ce qui implique une meilleure gouvernance, une gestion des décisions plus décentralisée mais aussi une capacité à prendre des risques pour bien dépenser.
Dix ans après la mise en place des bases de défense, je peux vous assurer qu'il n'y a pas de retour en arrière : l'interarmisation des services de soutien est profitable à tous. Mais la séparation artificielle entre soutien opérationnel et forces armées n'a plus lieu d'être. Le service de santé des armées (SSA), le service du commissariat des armées (SCA) et le SEO étaient bien moins efficaces quand ils étaient segmentés par armée. Pour autant, des ajustements sont sans doute à envisager pour consolider cette réforme, notamment en retrouvant davantage de proximité au niveau local.
Enfin, la tendance à la « monocolorisation » des bases de défense s'impose progressivement pour des raisons essentiellement pratiques. L'idée est de faire en sorte, lorsque c'est pertinent, que le chef organique de la base soit également le chef opérationnel des unités qui s'y trouvent, renforçant la cohérence de la chaîne de commandement et lui garantissant une forte légitimité. Pour autant, il y aura toujours des petits organismes interarmées (par exemple les centres d'information et de recrutement des forces armées (Cirfa)) qu'il faudra soutenir.
M. Akli Mellouli. - Vous avez parlé du soutien aux militaires et à leurs familles et de l'attractivité du métier. Pourriez-vous nous en dire davantage sur l'état d'avancement du plan de fidélisation à 360 degrés, qui vise à améliorer les conditions de vie et de travail des militaires, en mettant l'accent sur le logement et les infrastructures ? Quel sera son impact sur la rétention des effectifs de nos armées, en particulier dans les zones sensibles comme les outre-mer ?
M. Jean-Luc Ruelle. - Les économies engendrées par la réduction des effectifs militaires en Afrique, ainsi que la rétrocession de la base de Port-Bouët et du champ de tir de Lomo Nord seront-elles réallouées à d'autres priorités stratégiques pour notre armée ?
La contraction de nos effectifs entraînera une redistribution des rôles et appellera davantage d'efforts de la part des forces armées africaines : comment cela se traduira-t-il au niveau des accords de défense conclus avec ces pays ? La question de l'avenir de ces accords fait-elle partie de la mission attribuée à Jean-Marie Bockel, envoyé personnel du Président de la République en Afrique de l'Ouest ?
Général Thierry Burkhard. - Les gains financiers consécutifs au redéploiement de nos troupes du continent africain ne sont pas significatifs. En revanche, vous avez raison de le souligner, certains accords de défense avec les pays africains concernés devront effectivement être aménagés, ne serait-ce que pour prendre en compte les changements évoqués. Ces aménagements devront être cohérents avec les souhaits des partenaires.
Monsieur le Sénateur Mellouli, comme vous l'avez dit, le ministère a présenté une série de mesures dans le cadre du plan « Fidélisation 360 degrés », lequel doit permettre de dépasser une approche purement RH et comptable du personnel militaire, et ce selon cinq grandes thématiques : les rémunérations - nouvelle grille indiciaire, intégration de certaines primes dans le calcul global des droits à pension en lien avec l'aboutissement de la NPRM, initialement conçue dans la perspective d'un chaînage avec la réforme du système de retraites qui justifiait de la fiscalisation de certaines primes et mérite aujourd'hui la tenue d'une revoyure, prévue par les textes, pour corriger les écarts avec les effets recherchés ; les parcours de carrière - la mobilité entre catégories et la valorisation des mobilités -; la famille ; le temps de travail ; le logement - accès à la propriété, qualité des hébergements. Tout avance même si des difficultés existent.
Dans les territoires d'outre-mer, le logement est généralement imposé à nos militaires. Pour autant, il n'y a aucun problème de fidélisation et l'affectation en outre-mer se fait sur la base du volontariat.
M. Mickaël Vallet. - Certes, on ne peut pas refaire du Corbusier quand on réhabilite des infrastructures. À la base aérienne de Saint-Agnant, l'un des bâtiments, qui présente une véritable signature architecturale, est dégradé. Si nous n'investissons pas rapidement, il sera difficile de le rénover à moindre coût.
Dans son dernier livre, le ministre évoque la position du Président de la République qui consiste à considérer l'intégrité de l'espace européen comme faisant partie de nos intérêts vitaux. Dès lors, sous quel parapluie nucléaire devons-nous nous abriter, en cas de retrait partiel de nos alliés américains ? Parlez-vous de ce sujet avec vos homologues des pays de l'Est ?
Général Thierry Burkhard. - Ce sujet fait partie du domaine réservé du président de la République. Il lui revient de s'exprimer sur la dissuasion nucléaire.
Mme Vivette Lopez. - Quel est votre avis sur le service national universel (SNU), dont on dénonce souvent le coût excessif ? Serait-il envisageable de le supprimer, au profit de la journée citoyenne, qui devrait devenir une vraie journée militaire ?
Général Thierry Burkhard. -Pour un jeune Français, il n'existe plus d'étape marquante lui permettant de prendre conscience de son appartenance à la Nation. Le service militaire jouait ce rôle, même s'il est souvent vu de manière fantasmée, surtout par ceux qui ne l'ont pas fait.
Le service militaire était en fait le point d'aboutissement d'une scolarité et d'une éducation, le point d'orgue d'une formation. Pour de nombreuses raisons (volume à accueillir, coût induit...), nous ne pouvons revenir en arrière. Pour autant, le besoin de faire quelque chose existe.
Initialement, le SNU était très ambitieux, constitué de deux périodes obligatoires et d'une phase d'engagement. Les quinze jours du SNU ne trouvent leur utilité que si l'éducation nationale parvient à construire sur plusieurs années un enseignement d'instruction civique et de défense porteur de sens, quel que soit le nom qu'on lui donne, et uniquement si ce SNU est une étape ou un point d'orgue extraordinaire. En effet, la Nation s'incarne dans toute une diversité d'institutions, et pas seulement dans l'armée.
La Journée défense et citoyenneté (JDC) ne peut pas remplacer le SNU. Elle est une étape obligatoire de recensement.
M. Cédric Perrin, président. - Le SNU est né d'une campagne électorale, où l'on a voulu faire croire à la population française qu'on allait réhabiliter le service militaire. Or, il ne concerne qu'une infime partie de la population, qui n'est pas celle qui en a besoin pour comprendre les valeurs de la défense nationale.
Quid de l'engagement de la Corée du Nord en Ukraine ?
Général Thierry Burkhard. - A ce jour (22/10/24), nous n'avons aucune preuve, mais si des Nord-Coréens se trouvent sur le front, cela se verra rapidement.
M. Cédric Perrin, président. - N'est-ce pas le symptôme d'une nouvelle phase de la guerre ?
Général Thierry Burkhard. - Cela peut être révélateur des difficultés de la Russie, qui prétend avoir des réserves d'hommes inépuisables. La Russie cherche des hommes en Corée du Nord, des armes en Iran, des composants en Chine. Ce n'est pas une surprise.
M. Cédric Perrin, président. - À terme, courons-nous des risques en matière de réengagement de ces groupes mercenaires ?
Général Thierry Burkhard. - Les données précises d'engagement en Russie sont difficiles à obtenir. En revanche, des données budgétaires existent : un soldat russe est payé entre 3 000 et 4 000 euros par mois, avec une prime de plusieurs dizaines de miliers d'euros au bout d'un an, alors que les médecins sont à peine payés 1 000 euros. La Russie se prépare à des jours difficiles. Ces soldats auront du mal à se réinsérer. En attendant, on ne construit ni hôpitaux ni routes, et l'infrastructure se délite. Cependant, pour le moment, la Russie semble tenir.
M. Cédric Perrin, président. - Mon général, nous vous remercions pour l'ensemble des missions que nous avons pu effectuer ces dernières semaines. Les deux journées d'accueil au 2e régiment étranger d'infanterie (REI), entre autres, ont été extraordinaires. Ces visites nous permettent de mieux comprendre les problématiques du terrain.
Nous ferons preuve d'une extrême vigilance concernant le projet de loi de fin de gestion et le dégel des crédits ; les sommes représentent la marche d'augmentation du budget de la défense.
La commission, en mon nom, vous témoigne sa reconnaissance, ainsi qu'à toutes les femmes et tous les hommes qui s'engagent pour la France. Vous pouvez compter sur notre sens des responsabilités pour vous accompagner le mieux possible.
La réunion est close à 19 h 45.
Mercredi 23 octobre 2024
- Présidence de M. Cédric Perrin, président -
La réunion est ouverte à 9 h 35.
Audition du général Jérôme Bellanger, chef d'état-major de l'armée de l'air et de l'espace
M. Cédric Perrin, président. - Après avoir entendu le ministre des armées la semaine dernière et le chef d'état-major des armées hier soir, nous poursuivons notre série d'auditions sur le projet de loi de finances (PLF) pour 2025 en recevant ce matin le général d'armée aérienne Jérôme Bellanger, chef d'état-major de l'armée de l'air et de l'espace.
Mon général, nous sommes très heureux de vous accueillir pour votre première audition devant notre commission depuis votre nomination intervenue le 16 septembre dernier. Je profite de cette audition pour vous adresser, au nom de l'ensemble de nos collègues, nos sincères félicitations et nos voeux de succès dans cette mission exigeante.
L'actualité de l'armée de l'air et de l'espace a été particulièrement riche cette année dans la mesure où nous avons fêté de façon magnifique ses 90 ans. Le 8 octobre dernier, ont aussi été célébrés les 60 ans de la première prise d'alerte nucléaire sur la base aérienne 113 de Saint-Dizier. Cet anniversaire a permis de rappeler la contribution essentielle des forces aériennes stratégiques, que vous avez commandées, à la sécurité et à la souveraineté de la France.
À cette occasion, le ministre des armées a annoncé la notification des premières commandes du standard F5 du Rafale aux industriels. Vous pourrez nous préciser vos attentes vis-à-vis de ce nouveau standard, qui, entre autres évolutions, permettra au Rafale d'emporter le futur missile nucléaire hypersonique, l'ASN4G. Quelles capacités nouvelles nous apportera ce standard ?
Par ailleurs, si ce nouveau standard constitue, selon les mots du ministre, « une véritable révolution pour nos forces aériennes », il n'est envisagé, à ce stade, que comme un trait d'union entre le Rafale et le chasseur de nouvelle génération (NGF). Sur ce sujet, nous souhaiterions que vous puissiez nous faire un point sur l'état d'avancement du projet SCAF et de la phase 1B lancée voilà près de deux ans.
Le 10 octobre a en outre marqué le trentième anniversaire du commandement de la défense aérienne et des opérations aériennes (CDAOA). Très concrètement, cette instance a par exemple joué un rôle dans la sécurisation des jeux Olympiques et Paralympiques de Paris. Je rappelle que 90 aéronefs ont été interceptés et 85 télépilotes de drone interpellés durant cette période. Il nous serait utile de savoir quel retour d'expérience vous tirez des JO 2024.
L'armée de l'air et de l'espace s'est par ailleurs dotée cet automne d'un Centre air de planification et de conduite des opérations et de défense aérienne (Capcoda). Vous pourrez nous dire quels sont les objectifs poursuivis avec la création de cette nouvelle unité qui fusionne le Centre national des opérations aériennes (CNOA) et le Centre air de planification et de conduite des opérations (Capco).
D'un point de vue opérationnel, l'année 2024 a été marquée par un nouveau succès de la mission Pégase. Ces missions constituent de véritables tours de force qui prouvent à nos alliés et à nos compétiteurs la capacité de nos armées à se projeter à l'autre bout du globe pour défendre nos intérêts, en outre-mer notamment. Pour la première fois, la mission a ainsi fait escale à Saint-Pierre-et-Miquelon et à La Réunion - un certain nombre d'entre nous avons pu participer à la mission Pégase en Indonésie voilà deux ans.
L'édition 2024, qui s'est étendue sur huit semaines, s'est traduite par deux projections de puissance aérienne vers l'Asie du Sud-Est en partenariat avec trois alliés : l'Allemagne, l'Espagne et le Royaume-Uni, et avec l'appui des Émirats arabes unis, de Singapour, de la Malaisie et du Japon.
Mon général, vous nous direz quels enseignements vous tirez de cette mission, en termes d'interopérabilité notamment.
Au-delà de ce que l'on pourrait qualifier de « bilan d'activité » de l'armée de l'air et de l'espace, l'objectif de cette audition est aussi d'évoquer les crédits de la mission « Défense » du PLF 2025 qui bénéficieront aux forces aériennes. Quelque 50,3 milliards d'euros seront dédiés à nos armées en 2025, soit un montant conforme à l'annuité inscrite en loi de programmation militaire (LPM).
Mais au-delà du chiffre, qui est important, notre préoccupation, vous le savez, est de nous assurer que les moyens que nous votons sont en adéquation avec les besoins de nos forces. Nous souhaiterions par conséquent savoir quel regard vous portez sur ce projet de budget. Vous semble-t-il à la hauteur des besoins en termes tant de matériels que de préparation opérationnelle et de soutien ?
Enfin, vous nous direz quelles conséquences ont sur l'activité la cession prochaine à l'Ukraine de six Mirage 2000-5, ainsi, malheureusement, que la perte de deux Rafale l'été dernier. Je voudrais ici saluer la mémoire des deux aviateurs que nous avons perdus dans ce tragique accident et avoir une pensée pour leurs familles, leurs frères d'armes et leurs proches.
Mon général, à l'issue de votre propos liminaire, la parole sera donnée à nos rapporteurs budgétaires. Nos autres collègues vous poseront ensuite leurs questions.
Général Jérôme Bellanger, chef d'état-major de l'armée de l'air et de l'espace. - Monsieur le président, je vous remercie de votre invitation et salue la mobilisation des membres de la commission, notamment pour le soixantième anniversaire de la première prise d'alerte nucléaire sur la base aérienne 113 de Saint-Dizier qui a eu lieu le 8 octobre dernier. Je profite de cette occasion pour vous rappeler que, le 7 novembre prochain, se tiendra la traditionnelle présentation des capacités de l'armée de l'air et de l'espace à Évreux. Votre présence à nos côtés démontre que vous portez l'armée de l'air et de l'espace au plus haut. Soyez persuadés que les aviateurs y sont particulièrement sensibles !
Dans un premier temps, je voudrais revenir sur les engagements majeurs de l'armée de l'air et de l'espace de ces derniers mois. Cela me permettra de faire ressortir la cohérence de notre action et de vous éclairer au mieux dans la poursuite de ce PLF pour 2025.
L'été a été particulièrement chaud, un peu hors normes, avec la crise en Nouvelle-Calédonie, les jeux Olympiques, la sécurisation sur le « flanc est » de l'Europe, ou encore Pégase 2024, etc. L'été a aussi été extrêmement douloureux pour l'armée de l'air et la Nation, avec le décès du commandant Sébastien Mabire et du capitaine Matthis Laurens, morts en entraînement - cela nous rappelle que ces missions très difficiles ne sont pas à la portée de tous et ne sont jamais gagnées d'avance. J'ai une pensée pour eux et leurs familles.
Monsieur le président, vous revenez d'un déplacement en Ukraine. Je commencerai donc par ce pays et le « flanc est », où se poursuivent les affrontements à travers notamment des attaques de missiles et de drones tactiques. L'armée aérienne tient toujours une place centrale dans les conflits.
Au travers de Air Shielding, nous poursuivons le déploiement de chasseurs dans le cadre d'eAP en mer Baltique. Nous effectuons également des missions d'appréciation de situation, de réassurance et d'interopérabilité, avec le Rafale, le MRTT, l'E3F, mais également avec nos radars GM200. Nous le faisons régulièrement le long de la frontière des pays alliés et au départ de la métropole. Nous avons d'ailleurs mis en place en Suède et en Roumanie le concept opérationnel de mise en oeuvre réactive de l'arme aérienne (Morane) pour effectuer des déploiements avec une très faible empreinte logistique. Enfin, depuis mai 2022, nous avons déployé un système de défense sol-air Mamba en Roumanie.
Par ailleurs, nous venons au soutien de l'Ukraine par des actions de formation des pilotes ukrainiens, notamment des pilotes de chasse, et des cessions de matériels : des Mirage 2000-5, mais également des Crotale, AASM, Scalp, etc.
Au Proche-Orient, si l'Irak semble être en passe de contenir Daesh sur son territoire, l'opération Chammal continue à être active pour protéger les soldats français. En effet, la menace de Daesh reste très importante en Syrie. Nous nous sommes adaptés à ces mutations, grâce à un partenariat militaire opérationnel avec les forces irakiennes. Ces coopérations s'articulent autour de trois axes d'efforts : accompagner le partenaire irakien dans la protection de son espace aérien, développer ses compétences dans le domaine des opérations aériennes, développer l'interopérabilité et la capacité à réaliser des missions en commun.
L'Afrique reste un point majeur avec notamment la situation au Sahel. À partir de la seconde moitié de 2023, nous nous sommes désengagés du Niger, au profit d'un partenariat militaire opérationnel avec le Tchad et des pays du golfe de Guinée. Nous utilisons la réactivité de nos moyens de transport pré-positionnés sur le théâtre - C130, ALSR, Mirage 2000D, etc- pour accompagner les armées de l'air africaines, dans leur montée en puissance.
J'évoquerai maintenant les trois engagements majeurs que vous avez évoqués, monsieur le président.
En Nouvelle-Calédonie, nous avons participé activement l'été dernier à la mise en place de forces de sécurité intérieure. Cet événement est assez inédit par le volume et sa durée. La Nouvelle-Calédonie se situe à 19 000 kilomètres de la métropole, à une trentaine d'heures de vol ; 9 à 10 MRTT ont volé en même temps. Nous avons sanctuarisé une partie de notre flotte pour la mission de dissuasion nucléaire, le reste était en vol. Quelque 2 000 personnes et 240 tonnes de fret ont été transportées sur place.
L'instauration d'un tel pont aérien était inédite. Nous en aurions été incapables il y a trois ans. Le renforcement de la flotte de MRTT, désormais dotée de douze appareils (et sera complétée entre 2025 et 2028 par 3 supplémentaires), était donc une bonne décision.
Cette mission n'est qu'un exemple de l'importance de la polyvalence de nos moyens. Les MRTT qui ont été mobilisés en Nouvelle-Calédonie sont les mêmes que ceux qui ont assuré l'opération Poker quelques semaines plus tôt, mis en oeuvre les évacuations médicales du Grand Est vers le sud de la France pendant le Covid ou encore ravitaillé nos chasseurs lors de l'opération Chammal.
Cette polyvalence des équipements et de leur équipage est précisément l'enjeu de la transformation de l'armée de l'air. Cette logique, nous l'avons suivie, il y a une quinzaine d'années, avec le Rafale : nous procédons de même aujourd'hui avec l'A400M et le MRTT - et cela demandera beaucoup de travail.
Pour autant, cette polyvalence n'est pas synonyme d'ubiquité : nous avons besoin d'un minimum de capacités pour répondre à nos missions.
J'en viens à la mission Pégase, que nous avons réalisée en 2024, dans la continuité des deux précédentes. En 2022, l'effort portait sur la fulgurance et la réactivité du déploiement en Indo-Pacifique. En 2023, l'enjeu était celui de la masse. Cette année, le défi consistait en deux projections de puissance aérienne simultanées, en interopérabilité. D'un côté, avec les pays membres du système de combat aérien du futur (Scaf), à savoir l'Allemagne et l'Espagne, nous avons déployé nos forces en Alaska et au Japon avant de rejoindre l'Australie ; de l'autre côté, avec le Royaume-Uni, notre allié stratégique, nous avons joué le concept CJEF (Combined Joint Expeditionary Force) en passant par les Émirats arabes unis et l'Inde avant d'organiser l'exercice Pitch Black en Australie.
Les jeux Olympiques et Paralympiques (JOP) ont été l'occasion d'explorer un domaine que nous pourrons à présent industrialiser, à savoir la lutte antidrones (LAD). Pour autant, celle-ci n'est que la première couche d'une protection dans la troisième dimension bien plus globale, qui fait appel à des moyens tels que l'aviation de chasse ou les hélicoptères.
Depuis la cérémonie d'ouverture, le 26 juillet, jusqu'à la parade des athlètes, le 14 septembre, les JOP ont représenté cinquante-trois jours de vigilance de tous les instants, non seulement durant les épreuves, mais également entre les deux séquences. Les vecteurs aériens ont réalisé 350 missions, soit, à titre de comparaison, plus que le nombre de décollages effectués pour la protection de l'espace aérien national par les avions de chasse et d'interception sur l'année 2023, ainsi que 90 interceptions. Quelque 3 000 aviateurs ont été engagés durant cette période.
Cette expérience nous a permis de progresser sur la gestion des zones interdites de survol en Île-de-France, avec la création d'une nouvelle structure de coordination, le Centre de coordination civilo-militaire des opérations aériennes (C3MOA), intégrant à la fois des moyens interarmées et interministériels. Nous avions ainsi une vue d'ensemble sur la situation aérienne globale, en coordination avec les forces de sécurité intérieure et avec le support d'officiers de liaison de différents pays.
Si certaines capacités nous ont fait défaut, l'armée de l'air et de l'espace entend poursuivre ses efforts sur la lutte antidrones, avec d'autres moyens.
J'en viens au projet de loi de finances.
D'abord, j'accorde une attention particulière à la valorisation du capital humain. Ce sujet anime notre vision stratégique. Si nous voulons préserver notre coeur de souveraineté, il faut que l'aviateur et sa famille restent au centre de nos préoccupations. Nous devons être en mesure de recruter, former et conserver ceux dont nous avons besoin. Le durcissement de l'environnement opérationnel, la conflictualité beaucoup plus complexe et les évolutions sociales et sociétales nous imposent la mise en oeuvre d'une politique de ressources humaines qui garantisse en permanence la mise à disposition, pour les unités, de personnels bien formés, motivés, et, surtout, compétents.
Pourtant, la structure de nos ressources humaines reste fragile. Il est nécessaire de rééquilibrer notre modèle, alors même que la LPM prévoit une augmentation de nos effectifs de plus de 700 aviateurs sur la période 2024-2030.
Cette structure est fragile en volume, d'abord, en raison d'un problème de fidélisation ces dernières années, mais aussi en compétences, du fait de l'apparition d'expertises nouvelles dans le domaine de la cybersécurité, de l'espace et de l'informationnel, que nous devons intégrer à nos formations.
Nos 23 000 sous-officiers forment l'épine dorsale de nos ressources. Nous avons instauré une nouvelle politique de parcours, avec un cadencement des contrats, qui sont repensés, notamment en ce qui concerne la formation, avec de l'alternance comme c'est le cas à Rochefort par exemple sur le cyber et la mécanique. Nous aurons également, dès 2025, de nouveaux parcours pour les jeunes brevetés supérieurs.
En ce qui concerne nos 6 700 officiers, nous devons trouver de justes compensations car ils assument de fortes sujétions - mobilité, sollicitation opérationnelle. Les générations que nous recrutons sont de plus en plus attentives à la conciliation de la vie privée avec leur carrière professionnelle, tandis que les chaînes métiers gagnent en technicité. Nous devons donc leur proposer un parcours attractif en dehors de la chaîne de commandement.
Il faut, en outre, inciter les militaires techniciens de l'air à gravir l'escalier social. C'est, pour nous, un défi important en matière de formation.
Enfin, pour valoriser le capital humain, nous devons mettre en place une politique agile et moderne. Il faut absolument simplifier les formations, les adapter aux attentes des nouvelles générations, les individualiser, et s'assurer qu'elles soient bien comprises et acceptées. Ainsi, l'ensemble de la chaîne de gestion - recrutement, formation, parcours professionnel et reconversion - fait l'objet de toute mon attention.
En matière de recrutement, il me semble que nous nous sommes bien adaptés et transformés. Nous bénéficions d'une visibilité accrue, grâce aux campagnes publicitaires, au site internet devenir-aviateur.fr, au centre d'information et de recrutement des forces armées (Cirfa) en ligne, à notre présence sur les réseaux sociaux, ou encore aux conventions passées avec certains organismes de formation et les plus grandes écoles. Le recrutement est un sujet majeur, car il est la garantie de notre soutenabilité.
Notre outil de formation, en revanche, est quelque peu en surchauffe.. Pour autant, nous cherchons à l'adapter aux justes besoin pour gagner du temps tout en continuant à bien former. Avec le projet SmartSchool, nous avons profondément digitalisé nos outils de formation. Nous ambitionnons également de mutualiser nos outils avec différentes institutions, comme par exemple l'École nationale de l'aviation civile (Enac), l'École nationale supérieure de l'aéronautique et de l'espace (Supaéro) ou l'université de Tours, dans le domaine des ressources humaines.
Notre modèle de ressources humaines repose aussi sur notre capacité à construire des parcours qualifiants qui permettent aux aviateurs de se former et de progresser tout au long de leur carrière. Là encore, nous avons des mesures très concrètes, avec de nouveaux parcours au profit des sous-officiers et des militaires du rang, ainsi qu'une modernisation de la politique de mobilité, en particulier avec le système de paliers pour les sous-officiers de trois, six et neuf ans, afin de leur donner davantage de mobilité. Nous améliorons la prise en compte de la reconversion pour gérer les flux de départ, en signant des conventions, comme nous le faisons historiquement avec Air France pour nos personnels navigants, et, désormais, avec des entreprises de la base industrielle et technologique de défense (BITD). Enfin, nous avons déployé des outils numériques modernes et efficaces.
Nous prêtons attention à la gestion de notre personnel afin de le fidéliser et de conserver nos compétences. C'est l'objet du plan Fidélisation 360 qu'a exposé le ministre.
Enfin, avec un taux de 24,8 % pour le personnel militaire, l'armée de l'air se féminise chaque année davantage. Cela n'a jamais été un véritable problème pour notre armée, qui a toujours bien accepté la mixité. Les femmes représentent ainsi 30 % à 40 % des promotions de l'École de l'air et de l'espace.
Le bien-être de nos aviateurs passe aussi par le soin apporté à nos infrastructures et à notre réseau de bases aériennes. Celles-ci font face, comme beaucoup de sites militaires, à des difficultés liées à la vétusté du parc d'hébergement. Dans ce contexte, nous avons réparti le budget alloué en prenant principalement en compte l'amélioration des conditions d'hébergement, qui me semble prioritaire, ainsi que celle des écoles. Enfin, nous accompagnons l'évolution des ressources humaines sur nos emprises au profit, par exemple, de l'accueil à Orange, des deux derniers escadrons Rafale, et prochainement à Luxeuil-les-Bains. À Taverny, où a déménagé le Commandement des forces aériennes stratégiques (CFAS), nous avons également mis l'accent sur l'hébergement.
Pour conclure sur les ressources humaines, je dirai un mot sur les réserves et la jeunesse.
Le plan pluriannuel Cap réserves air 2030 devrait nous permettre d'atteindre un objectif de près de 12 000 réservistes opérationnels, formés, entraînés, mobilisables en complément individuel ou au sein des unités élémentaires de réserve. Celles-ci seront déployées sur des bases aériennes de métropole et d'outre-mer, ou regroupées au sein d'une base aérienne de réserve, qui sera armée de 450 réservistes. Notre réserve s'articulera autour d'une réserve de combat, d'une réserve territoriale et d'une réserve d'expertise.
Je porte une attention toute particulière à la jeunesse. Nous attirons des jeunes de 12 à 18 ans dans nos rangs au travers des escadrilles air jeunesse (EAJ), qui sont un véritable succès, et dont j'entends doubler le nombre de participants avec la mise en oeuvre de la LPM.
Le PLF doit nous permettre de compter sur des ressources conformes à la trajectoire pour assurer aux aviateurs qu'ils continueront à remplir toutes nos missions - dissuasion nucléaire, posture permanente de sécurité aérienne et interventions. Le montant alloué au budget opérationnel de programme (BOP) Air sur le PLF est conforme à la trajectoire de la LPM. Cette ressource s'établit à 3,54 milliards d'euros en crédits de paiement et 3,33 milliards en autorisations d'engagement. Après l'effort significatif en matière de crédits consacrés à la préparation des forces aériennes en 2024, le PLF permet de maintenir un plateau d'activité des flottes de chasse, de transport et d'hélicoptères. Enfin, ce PLF garantit le maintien en condition opérationnelle (MCO) de nos matériels, en très grande majorité aéronautiques, à hauteur de 66 % du BOP Air, soit 2,2 milliards d'euros, et de soutenir l'activité et la disponibilité des équipements de l'armée de l'air. Je pense, premièrement, à l'achat de stock de pièces, pour assurer le soutien de l'E-3F jusqu'à son retrait de service, rendu nécessaire par celui des flottes des États-Unis et de l'Organisation du traité de l'Atlantique Nord (Otan). Deuxièmement, nous pourrons étendre le périmètre de soutien des matériels liés notamment au programme de système de commandement et de contrôle aériens (ACCS). Enfin, nous améliorerons le soutien de la flotte d'A400M.
L'armée de l'air est présente sur dix sites à l'outre-mer et à l'étranger, garantissant un accès rapide à l'ensemble des points de la planète. L'action par les airs a ainsi permis de réagir rapidement en Nouvelle-Calédonie. Ces différentes bases offrent des points d'appui nécessaires à une capacité autonome pour la projection de puissance et de force.
En complément de ces forces prépositionnées, notre ambition est de renforcer dans un premier temps notre présence par des passages plus réguliers et plus longs de l'A400M, coordonnés avec les commandants supérieurs.. L'emploi de drones aériens, comme le Reaper, et d'avions légers de surveillance et de reconnaissance (ALSR) nous permettra de contrôler des espaces étendus dans le cadre d'éventuelles interventions. Enfin, nous entendons développer davantage le concept de mise en oeuvre réactive de l'arme aérienne, qui répond, dès la phase de compétition et de contestation, aux besoins des armées, en multipliant les opportunités de communication stratégique, pour montrer notre détermination et intimider nos adversaires.
Enfin, la programmation capacitaire nous permet de renforcer notre crédibilité opérationnelle en tant que puissance aérospatiale. Ce PLF rend soutenable l'agrégat des programmes à effet majeur, tout en intégrant de nouvelles priorités, dont l'intelligence artificielle (IA) ainsi que des besoins essentiels ciblés, comme la défense sol-air, la lutte antidrones, la guerre électronique, la connectivité ou encore l'arrivée de la simulation massive en réseau, qui complétera la formation du personnel navigant.
Sur le périmètre de l'équipement des forces - le programme 146 -, cette année a permis un indispensable effort sur les munitions, notamment le recomplètement des missiles Scalp, A2SM (armement air-sol modulable), Aster, ainsi que la remotorisation des missiles d'interception, de combat et d'autodéfense surface-air (MICA) et le lancement de travaux sur l'artillerie antiaérienne. Nous avons également pu prendre en compte des objets prioritaires tels que le développement du Rafale F-5 et du démonstrateur de drone de combat (Ucav), la réfection des infrastructures aéronautiques, la production avancée de pods de désignation laser NG (Talios) et de kits d'évacuation médicale, et la sécurisation de la partie consacrée aux infrastructures du programme « avions de transport école futurs (Atef) », en remplacement du Xingu à Avord.
D'importantes décisions capacitaires resteront à prendre en 2025, dont le recomplètement du parc de l'aviation de chasse, la feuille de route sur l'aviation de transport et le choix du successeur de l'E-3F.
Les principaux enjeux du budget 2025 concernent la poursuite du passage progressif au « tout Rafale », qui doit se concrétiser par la livraison de quatorze appareils dans l'année, et la montée en puissance des escadrons 1/5 Vendée sur la base aérienne 115 d'Orange-Caritat. Cette année marquera également une avancée dans le renouvellement de notre flotte d'hélicoptères de manoeuvre, grâce à la livraison de cinq H225M Caracal, parmi les huit que nous avons commandés en 2020, dans le cadre du plan de soutien à l'aéronautique lors de la crise covid. Nous poursuivrons la modernisation de l'aviation de transport tactique stratégique, avec un A400M, une reconversion en MRTT supplémentaire, un Falcon 900 et un ALSR. Nous attendons, début 2025, le lancement d'Ariane 6 avec la mise en service opérationnelle du satellite CSO-3, et la livraison définitive du bâtiment du commandement de l'espace à Toulouse en fin d'année. Enfin, nous continuerons nos travaux sur la lutte antidrones.
Ce PLF nous apporte des éléments concrets, et nous mesurons l'effort financier qui est consacré à la défense. Je veillerai à la juste utilisation de chaque euro, afin de garantir notre capacité opérationnelle pour répondre aux menaces de notre environnement.
Mme Gisèle Jourda, rapporteure pour avis de la mission « Défense » sur le programme 144 « Environnement et prospective de la politique de défense ». - Le ministre des armées a annoncé il y a deux semaines le lancement du développement d'un drone de combat aérien furtif. Ce projet était inscrit dans la LPM et nous ne pouvons que nous féliciter que cet engagement se concrétise.
Pascal Allizard, co-rapporteur de la mission « Défense » sur le programme 144, souhaite savoir comment l'armée de l'air et de l'espace entend faire usage de ce drone. Cet appareil sera-t-il développé par la France seule ou en collaboration ? Quels en seront le coût et le calendrier ? En particulier, le fait que ce programme s'appuie sur les acquis du nEUROn permettra-t-il d'accélérer le processus de développement, qui va de pair, nous le savons, avec celui du standard F5 du Rafale ? Une première livraison en 2033 apparaît pourtant tardive.
Le commandement de l'espace fêtera cette année ses cinq ans et devrait s'installer l'an prochain à Toulouse, dans la région Occitanie. Quelles sont vos priorités dans le spatial, alors que les opérations y sont désormais quotidiennes et que l'espace est devenu un domaine de conflictualités à part entière ?
En particulier, pourriez-vous nous présenter le projet de démonstration d'actions en orbite basse Toutatis ? Quelles sont les attentes et les éventuelles suites qui pourraient y être données ?
Par ailleurs, cette année, l'Europe a retrouvé un accès souverain à l'espace avec le lancement réussi d'Ariane 6 depuis le centre spatial guyanais. On ne peut que se féliciter de ce succès. Comment l'armée de l'air et de l'espace entend-elle mettre à profit ce succès ? Quels sont les enjeux liés à la concurrence internationale dans ce domaine pour nos armées ?
Général Jérôme Bellanger. - L'Ucav est un drone de combat furtif qui doit faciliter l'entrée d'un éventuel raid chez nos adversaires, grâce à sa furtivité et son équipement en missiles.
Il soutiendra ainsi le Rafale F5 dans trois missions. D'abord, il contribuera à la suppression des défenses aériennes ennemies (SEAD), en désignant les objectifs que le Rafale neutralisera. Ensuite, à horizon 2035, ce drone sera capable de pénétrer les systèmes de défense antiaérienne et antibalistique renforcée. Enfin, l'Ucav fera partie d'un cloud qu'il partagera notamment avec le Rafale.
Nous sommes ouverts à tous les partenariats avec les membres du « club Rafale ». De nombreux appareils ont été exportés à l'étranger et si les pays concernés souhaitent rejoindre ce projet, nous y serons ouverts.
Le F5 est un autre Rafale. Ce nouvel avion doit transporter l'ASN4G,futur missile hypersonique - sa vitesse dépassera en effet Mach 5 - et hypervéloce, qui sera doté de capacités de manoeuvre tout au long du vol. Il s'agit d'une véritable rupture technologique.
Le Rafale F5 devra transporter ce missile, d'un poids conséquent. Il nécessitera par conséquent une nouvelle motorisation, des réservoirs conformes, ainsi qu'une détection des radars, une connectivité et des contre-mesures de guerre électronique améliorées.
Son successeur, le Scaf, transportera quant à lui la version finale de ce missile, dont l'allonge sera conforme à celle que nous avions demandée.
L'espace sera le fil directeur de mon mandat. La loi de programmation militaire consolide nos ambitions avec une enveloppe de 6 milliards d'euros. Le bâtiment de commandement de l'espace sera inauguré à l'automne 2025. Lors de ma visite juste après ma prise de fonction, j'ai trouvé ce futur centre impressionnant.
C'est une bonne chose, car nous devons être capables de mener des opérations spatiales au plus vite, dans le respect, bien entendu, de la stratégie spatiale de 2019 - il ne s'agit pas d'être offensifs. Nous avons besoin de capacités pour agir depuis l'espace - c'est-à-dire du renseignement, grâce au satellite CSO-3 -, vers l'espace - avec le grand réseau adapté à la veille spatiale (système GRAVES), dont le successeur verra bientôt le jour - et dans l'espace - grâce au satellite patrouilleur guetteur Yoda (yeux en orbite pour un démonstrateur agile), précurseur du programme Égide, et, en orbite basse, Toutatis, qui est novateur puisque réunissant des start-ups très agiles ce qui permettra d'avoir une capacité d'agir très rapidement, d'ici mai 2026.
Mais entre l'espace exo-atmosphérique et l'espace aérien, nous devons nous intéresser à la très haute altitude. Chacun a le souvenir du ballon chinois neutralisé par les États-Unis. Pour l'heure, il s'agit d'un espace de Far West, complètement vide, et pourtant, juste au-dessus de notre tête. Nous devons avoir les moyens d'intervenir dans, et vers, cet espace, qui se situe entre 20 et 100 kilomètres d'altitude et qui est dual.
M. Hugues Saury, rapporteur pour avis de la mission « Défense » sur le programme 146 « Équipement des forces ». - La multiplication des menaces balistiques à l'est de l'Europe a relancé l'idée d'un bouclier antimissile européen. Quel regard portez-vous sur le projet European Sky Shield Initiative, lancé à l'initiative de l'Allemagne ? Comment articuler ce projet de bouclier avec les impératifs de défense antimissile de notre pays ? Quels pourraient être nos objectifs ?
Vous avez évoqué, parmi les enjeux majeurs, le « tout Rafale » et le recomplètement du parc de chasse. L'année dernière, quarante-deux Rafale ont été commandés, avec une livraison prévue en 2027. Quatorze appareils seront livrés en 2025. L'objectif de 137 appareils d'ici à 2030 sera-t-il tenu ?
Le ministre des armées a annoncé le lancement du standard F5 du Rafale qui devrait s'accompagner d'un drone de combat. Qu'attendez-vous de ce nouveau développement ? Il est également nécessaire de procéder à une évolution du moteur du Rafale afin de compenser ce poids supplémentaire et de lui garantir une meilleure manoeuvrabilité. Quand pourront être lancés les études et le développement de la version augmentée du moteur M88 ?
Le gouvernement allemand a demandé à Airbus de développer un drone pour accompagner l'Eurofighter. Comment interpréter ces annonces ? Faut-il y voir une simple nécessité de répondre à un contexte géopolitique ? Devrions-nous y voir une annonce nationale pour parer un éventuel échec du Scaf, ou, au contraire, une nouvelle brique dans la construction de ce projet ?
L'avenir de l'A400M semble à nouveau en débat compte tenu de la baisse de certaines commandes alors même que plusieurs marchés à l'exportation pourraient être conclus dans un proche avenir, notamment avec l'Allemagne. Quel regard portez-vous sur ce programme qui a encore démontré son utilité pour acheminer des moyens en Nouvelle-Calédonie ? Quel est précisément le besoin de l'armée de l'air et de l'espace en A400M, sachant que la chaîne de production a aujourd'hui un avenir incertain à l'horizon 2028 ?
Général Jérôme Bellanger. - Le bouclier antimissile européen n'est pas notre choix. La France a privilégié celui de la dissuasion, qui maintient la peur dans le camp de l'adversaire. En cherchant à intercepter un éventuel missile balistique, nous ne suivrions pas la même logique.
La France s'appuie sur deux jambes : la dissuasion nucléaire, et un bouclier antimissile sur nos moyens projetés ou sur nos moyens sensibles en métropole, au travers, notamment, du système sol-air de moyenne portée/terrestre (Samp/T). Pour autant, nous ne poursuivons pas l'objectif utopique de construire un dôme de fer au-dessus de la France, car la superficie de notre pays n'a rien à voir avec celle d'Israël.
Concernant l'aviation de chasse, nous avons accéléré le MCO des Rafale existant, ce qui nécessite de commander davantage de pièces. En outre, nous souhaitons avancer la livraison de la cinquième tranche de Rafale afin d'obtenir quelques appareils dès la fin de l'année 2027. Nous entendons donc rester au format « tout Rafale » avec 185 appareils avions.
Le F5 n'est pas seulement synonyme de nouvelles technologies intégrées et d'un appareil de plus grande envergure. Il implique aussi des réservoirs conformes pour embarquer un moteur M88 avec une poussée plus importante. Le travail que mène Safran sur ce sujet sera d'ailleurs utile en vue du futur avion Scaf à l'horizon 2040. N'oublions pas que la capacité à construire, de manière souveraine, des moteurs de poussée importante conditionne l'intégralité de l'avion de chasse.
Enfin, la LPM fixe un objectif de trente-cinq A400M. Nous souhaiterions parvenir à trente-sept ou trente-huit appareils d'ici à 2028. L'objectif est de nous doter d'une capacité projetée de manière quasi permanente en outre-mer.
M. Cédric Perrin, président. - La rénovation du moteur M88 représente un coût de 650 millions d'euros, qui n'est pas prévu par la LPM, et qui ne sera peut-être pas pris en charge par Safran. Comment entendez-vous le financer ?
Général Jérôme Bellanger. - C'est encore flou. Cela n'était pas prévu dans la LPM, car nous avons demandé à Safran que le Rafale F5 soit manoeuvrant avec l'ASN4G. Cela me paraît indispensable. Aussi, si nous devons réaliser des économies ailleurs dans le programme relatif au Rafale, nous le ferons pour nous assurer de bénéficier de ce moteur.
M. Olivier Cigolotti, rapporteur pour avis de la mission « Défense » sur le programme 178 « Préparation et emploi des forces ». - Lors de son contrôle au printemps dernier, la Cour des comptes a relevé des difficultés concernant la maintenance aéronautique produite par le service industriel de l'aéronautique (SIAé). En outre, la Cour souligne la complète transformation du logiciel Brasidas, initialement conçu comme un système d'information unique, en un système d'information fédérateur. Quels sont vos arguments pour répondre aux conclusions de ce rapport ?
L'an dernier, lorsque nous avions interrogé votre prédécesseur sur le remplacement des flottes CASA et C-130, utilisées pour les opérations spéciales, il avait exprimé des réticences quant au déploiement permanent de l'A400M en outre-mer. Or vous affirmez que c'est précisément votre choix. Tirez-vous des enseignements de l'exercice Pégase 2024 ? Quelles infrastructures et quels moyens humains impliquerait une présence permanente de l'A400M en outre-mer ?
Mme Michelle Gréaume, rapporteure pour avis de la mission « Défense » sur le programme 178 « Préparation et emploi des forces ». - L'atteinte de l'ensemble des contrats opérationnels de l'armée de l'air suppose l'activité de nos 180 avions de combat. Ceux-ci doivent assurer la dissuasion nucléaire, la posture permanente de sûreté aérienne, mais aussi, le cas échéant, l'hypothèse d'un engagement majeur.
Les chiffres relatifs à l'activité de l'armée de l'air et de l'espace sont protégés depuis l'année dernière, mais pouvez-vous nous indiquer si vous êtes en bonne voie pour atteindre les 180 heures de vol prévues par la LPM à l'horizon 2030 ? Comment se décompose l'entraînement entre le vol réel et la simulation ?
Par ailleurs, comment l'activité et le MCO sont-ils adaptés compte tenu du volume réduit d'avions dont vous disposez et des cessions de matériel pour préserver cette activité ? Une anticipation de la nouvelle livraison d'avions est-elle envisagée pour élargir votre marge de manoeuvre ?
Général Jérôme Bellanger. - Concernant le MCO, nous poursuivons la verticalisation des contrats, qui est assez vertueuse. En outre, nous devons nous préparer la haute intensité. Pour cela, il nous faut adopter une approche de maîtrise des risques. Nous avons donc demandé un accès direct aux bureaux d'études des différentes entreprises afin de disposer des outils nécessaires pour mieux gérer le risque lié à la maintenance.
Concernant la permanence de la présence d'un A400M en outre-mer, celle-ci ne sera pas mise en oeuvre immédiatement. C'est seulement à terme que la LPM pourra nous le permettre. Graduellement, nous serons plus fréquemment et plus longuement présents en outre-mer, dans une zone. Par ailleurs, cela nécessitera en effet la construction d'infrastructures en outre-mer.
Nous sommes bien en mesure de réaliser les heures d'entraînement prévues. Idéalement, les deux tiers de cet entraînement devraient avoir lieu en vol, car le Rafale est très complexe, et un tiers en simulateur. À cela s'ajoute la simulation massive en réseau, simulation qui ne remplacera jamais les 180 heures de vol mentionnées, qui, seules, permettent d'acquérir le sens de l'aéronautique. Nous sommes en effet sur la bonne trajectoire pour y parvenir, malgré la cession des Mirage 2000-5 et l'accident survenu cet été. Le MCO des Rafale existant va s'accélérer, ce qui les usera un peu plus rapidement. Nous espérons donc obtenir des avions supplémentaires dès 2027.
Mme Marie-Arlette Carlotti, rapporteure pour avis de la mission « Défense » sur le programme 212 « Soutien de la politique de la défense ». - Quels sont vos projets pour dynamiser la gestion des carrières ? Le Haut Comité d'évaluation de la condition militaire (HCECM) relevait au printemps dernier que la promotion interne s'essoufflait, en particulier dans l'armée de l'air, depuis 2017. Les passages des militaires du rang vers le corps des sous-officiers ont baissé de 11 %. La promotion interne au grade d'officier a diminué de 12 %, et le nombre de candidats au concours de l'École de l'air et de l'espace a chuté de 68 % sur la période 2013-2022. C'est peut-être, en grande partie, le résultat d'une priorité qui aurait été donnée au recrutement externe, dans un contexte de remontée des effectifs, que nous soutenons bien entendu. Ce type de recrutement pourrait néanmoins avoir des effets négatifs sur la fidélisation. Qu'en pensez-vous ?
Des rapports récents de la Cour des comptes ont sonné l'alarme quant à l'état des infrastructures, notamment de l'Académie militaire de Saint-Cyr-Coëtquidan et de l'École navale. Quel regard portez-vous sur l'organisation actuelle du soutien en matière d'infrastructures et d'hébergement ? En matière de logement, qu'attendez-vous du plan Fidélisation 360 ?
Jean-Pierre Grand, co-rapporteur pour avis sur ce programme, souhaitait vous interroger sur l'état des réserves. Où en est la mise en oeuvre du projet d'emploi des réservistes opérationnels ? Je songe en particulier à la création d'unités opérationnelles de réservistes spécialisés, et à la mise en service d'une base aérienne de réserve qu'avait évoquée votre prédécesseur. À quelle échéance le commandement territorial de l'armée de l'air et de l'espace bénéficiera-t-il de l'appui de réservistes au service de ses missions ?
Vous évoquiez des réserves de combat. En effet, les objectifs de recrutement dans la réserve sont ambitieux. La concrétisation des missions qui seront confiées aux réservistes participera précisément de son attractivité.
Général Jérôme Bellanger. - Ces dernières années ont été marquées par des difficultés de fidélisation, avec une véritable hémorragie - nous avons compté 500 personnels de moins que ce qui était prévu. La situation s'est stabilisée cette année, en raison, d'une part, du plan Fidélisation 360, et d'autre part, de la nouvelle politique de rémunération des militaires (NPRM). C'est de bon augure.
Vous soulignez à juste titre l'essoufflement de la dynamique de promotion interne, essentiellement des passages du statut de sous-officier vers celui d'officier. Nous avons répondu à cette problématique au cas par cas, en demandant aux commandants de base d'encourager les sous-officiers qui en avaient les compétences de passer le concours interne. La promotion 2024 de l'École de l'air et de l'espace est ainsi marquée par un regain de cette filière.
Vos remarques sur l'hébergement à Saint-Cyr-Coëtquidan et à l'École navale sont justes. Toutefois, depuis 2019, en tant qu'établissement public, l'École de l'air et de l'espace dispose de ressources propres pour réintégrer en régie des travaux d'infrastructures qui ne dépendent plus du service d'infrastructure de la défense (SID). Nous avons ainsi pu réaliser de petits travaux d'aménagement qui ont un effet très important sur la fidélisation des élèves officiers. Nous devons poursuivre dans cette dynamique. C'est une priorité, puisque 50 % du budget consacré à l'infrastructure sera fléché vers l'hébergement des écoles.
Nous souhaitons faire évoluer la réserve de complément vers une réserve stratégique de masse. Le plan Cap réserves 2030 doit nous permettre d'atteindre l'objectif de près de 12 000 réservistes dans la première réserve opérationnelle en 2030 et de construire une base aérienne de réserve de 450 réservistes. Cette réserve opérationnelle s'articule autour d'une réserve de combat, d'une réserve territoriale pour la protection de nos emprises air ou du territoire national, et d'une réserve d'expertise.
Il existe une deuxième réserve opérationnelle, réunissant les militaires ayant quitté l'institution. C'est un levier que nous avons peu actionné. Nous devons donc mettre en place un rappel régulier, en appliquant l'obligation statutaire de cinq jours d'entraînement par an pendant cinq ans.
M. Olivier Cadic. - Des Mirage 2000-5 des Émirats arabes unis ont récemment été aperçus en Chine. On sait que Taiwan possède également des Mirage. Alors que des Rafale seront prochainement livrés aux Émirats arabes unis, existe-t-il des restrictions pour éviter que ces appareils ne soient utilisés en Chine ?
Des exercices conjoints sino-russes ont été menés en juillet au large de la Finlande, du Japon et de l'Alaska. Pouvons-nous en tirer des enseignements ?
Enfin, le développement de SpaceX est édifiant en matière de baisse des coûts de propulsion. Notre armée pourra-t-elle prendre avantage de ces évolutions dans ce domaine ?
Général Jérôme Bellanger. - Il n'existe pas de restriction d'emploi des avions que nous cédons, car le pays qui les acquiert est souverain.
L'armée de l'air a procédé à des déploiements stratégiques en réponse aux exercices sino-russes dans les pays nordiques. C'était notamment l'objet de l'opération Morane en Suède. Un exercice similaire sera prochainement organisé en Croatie.
Vous évoquez SpaceX. Pour notre part, nous attendons impatiemment le lancement d'Ariane 6 en début d'année 2025 et la mise en orbite du patrouilleur guetteur Yoda.
M. Philippe Folliot. - Je me satisfait de votre ambition de prépositionner un A400M en outre-mer : cela enverrait un message sans doute nécessaire à nos compétiteurs.
Votre prédécesseur nous avait annoncé que douze Mirage 2000-5 avaient été retirés du service, dans l'attente d'être vendus. Le ministre et le chef d'état-major des armées nous ont confirmé la livraison de six appareils à l'Ukraine. Qu'adviendra-t-il des six autres Mirage ? Pourquoi ne seraient-ils pas livrés à l'Ukraine, qui en a un besoin urgent ? Douze autre Mirage 2000-5 devaient en outre être retirés du service ultérieurement. Qu'en est-il de ces avions ?
Général Jérôme Bellanger. - Les récents événements en Nouvelle-Calédonie ont conduit à une réflexion sur les moyens permanents dont nous aurions besoin pour répondre à ce type de situations - nous ne sommes pas passés loin de la catastrophe...
Douze Mirage 2000C - et non des Mirage 2000-5 -, ont été retirés du service, pour être en partie revendus ou simplement mis à la casse. Six Mirage 2000-5 ont été cédés à l'Ukraine. Je ne suis pas opposé à l'idée d'en donner davantage, mais ce sont les mêmes que ceux qui assurent la protection de l'espace aérien : nous en avons donc besoin.
Enfin, un avion de chasse est associé à des missiles, un radar, des bombes. Ce n'est pas tant le Mirage 2000-5 qui intéresse les Ukrainiens, mais les missiles qui sont livrés avec l'appareil. Et ces missiles, dans un contexte de guerre, sont utilisés : notre BITD doit donc assurer les stocks à disposition et leur recomplètement.
M. Ludovic Haye. - La très haute altitude est en effet un espace de haut potentiel. Néanmoins, dans un contexte de restriction budgétaire, ce domaine ne pourrait-il pas être perçu comme une forme d'espace low cost ? Certains pays tendent à s'y intéresser subitement, alors qu'ils ont moins de lanceurs.
Le système d'intelligence artificielle demande énormément de données pour garantir la qualité de ses prédictions et simulations. L'armée de l'air et de l'espace s'en sert déjà beaucoup. Comment parvient-elle à alimenter ses algorithmes en vase clos ? Possède-t-elle ses propres data centers ? A-t-elle besoin de passerelles avec des données civiles ? À titre de comparaison, l'algorithme d'une voiture autonome a besoin de données sur pas moins de 52 millions de kilomètres.
Général Jérôme Bellanger. - La très haute altitude est un espace dual qui doit être occupé, car il est très prometteur en matière de télécommunication, de surveillance et de connectivité avec nos systèmes d'armes. Par ailleurs, l'espace a horreur du vide : si nous ne l'occupons pas, d'autres le feront à notre place.
Nous nous dirigeons vers une armée de l'air et de l'espace « data-centrée ». Nous organisons la gouvernance de la donnée. Nous disposons d'un centre du numérique et de la donnée. La difficulté, pour l'heure, est de structurer ces données. Nous devons donc nous appuyer sur des données externes, afin de développer des cas d'usage pour progresser sur l'intelligence artificielle - elle fera sans nul doute partie intégrante de nos systèmes d'armes demain. À titre d'exemple, j'ai récemment visité une entreprise qui a confié à une intelligence artificielle générative le cas d'usage d'un combat aérien. En quelques milliers d'heures, cette unité était capable de piloter un avion et de mener un combat aérien.
M. Cédric Perrin, président. - Pouvez-vous revenir sur le projet EuroMALE ?
Général Jérôme Bellanger. - Ce projet prend beaucoup de retard. Certes, ce drone sera immédiatement navigable et correspondra aux spécifications que nous lui avions données, il y a de nombreuses années - mais les temps ont changé. Ce drone de 28 mètres d'envergure et de 17 tonnes nécessiterait des infrastructures énormes. Il tient difficilement la comparaison, en matière d'envergure et de coût, face à des modèles comme Aarok, même s'il s'agit d'équipement du bas du spectre... J'espère que les industriels des différentes nations concernées se mettront rapidement d'accord pour que nous soyons livrés avant 2031, date actuellement avancée.
M. Cédric Perrin, président. - Mon général, je vous remercie pour cette audition. Sachez que nous avons à coeur de défendre la trajectoire budgétaire que le Sénat a largement contribué à définir pour nos armées dans la loi de programmation militaire.
Cette audition n'a pas fait l'objet d'une captation vidéo.
Audition de l'amiral Nicolas Vaujour, chef d'état-major de la marine (à huis clos)
M. Cédric Perrin, président. - Nous poursuivons notre série d'auditions sur le projet de loi de finances pour 2025 en recevant l'amiral Nicolas Vaujour, chef d'état-major de la marine. Amiral, soyez le bienvenu parmi nous.
L'année 2024 a été particulièrement active pour la Marine nationale. Comme vous l'avez dit récemment, Amiral, « le soleil ne se couche jamais sur la Marine nationale ». Celle-ci patrouille en effet au quotidien partout dans le monde pour protéger les intérêts de la France et des Français : en mer Rouge, dans l'Indopacifique, dans le Golfe de Guinée, ou encore bien sûr en Méditerranée orientale au large du Liban.
Nos marins ont tout au long de cette année fait une nouvelle fois la preuve de leur grande compétence, en abattant des drones ou des missiles balistiques, lancés contre des navires de commerce ou vers Israël.
La Marine participe aussi aux missions de réassurance dans le cadre de l'Otan, dans l'Atlantique ou en mer Baltique. Elle réalise des missions très variées dans le cadre de la posture permanente de sauvegarde maritime. Elle contribue ainsi, on y pense moins, à la lutte contre les trafics - les saisies ont représenté une masse record de 40 tonnes en 2024. Cela concerne aussi les trafics d'êtres humains, et notamment de migrants auxquels nos navires sont souvent conduits à porter assistance dans des conditions dramatiques.
Vous nous direz d'abord comment vous abordez la réalisation de ces nombreuses missions dans un contexte toujours plus dangereux, qui tend à faire de la gestion de crise une mission permanente, sur fond de narratif nucléaire et d'emploi de plus en plus désinhibé de la violence.
Dans le propos que je citais tout à l'heure, vous parliez encore de d'« agilité au filet » et de « mobilité et de puissance en fond de court », pour synthétiser les défis à relever en termes d'innovation, d'une part, et de résilience d'autre part. La guerre en Ukraine illustre en effet de nouveau par l'exemple l'importance vitale - littéralement - de l'adaptation continue, par la conciliation entre la sophistication technologique et l'épaisseur.
Vous nous direz peut-être un mot encore des territoires qu'il reste à explorer et des positions que notre marine peut investir davantage. Je songe aux routes arctiques ou antarctiques, dont l'importance va aller croissant.
Cette audition dans le cadre du budget vise évidemment à comprendre dans quelle mesure le PLF pour 2025 donne à la Marine nationale les moyens de réaliser ses missions. Elle pourra certes compter sur les moyens supplémentaires qui sont prévus pour les trois armées, avec un budget en augmentation qui atteint 50,5 milliards d'euros.
Sur le plan capacitaire, cela représente une nouvelle frégate de défense et d'intervention (FDI), deux nouveaux patrouilleurs Outre-Mer et un bâtiment ravitailleur supplémentaires, ainsi que deux modules robotisés de lutte contre les mines, la rénovation de deux avions de patrouille maritime, sans oublier le lancement en réalisation du porte-avions de nouvelle génération. La réalisation du programme relatif à la capacité hydro-océanographique du futur est une autre avancée à saluer.
Vous nous direz enfin dans quelle situation se trouvent les ressources humaines de la marine. Après plusieurs exercices compliqués pour le recrutement et la fidélisation, les derniers signaux reçus pour l'année 2024 semblent attester d'une amélioration.
Amiral Nicolas Vaujour, chef d'état-major de la Marine. - Merci pour votre accueil et j'en profite pour remercier le Sénat pour l'accueil de la célébration de la bataille de la baie de Chesapeake, le 5 septembre dernier.
La Marine nationale est investie partout dans le monde : sur terre avec nos commandos, sous les mers avec nos sous-marins -- il y a en permanence un sous-marin nucléaire lanceur d'engins (SNLE) qui patrouille--, sur la mer avec nos bâtiments, et dans les airs avec nos avions Atlantique 2 et nos avions de surveillance maritime . Actuellement, nous avons trois Atlantique déployés, en Atlantique Nord, en Océan Indien et en Méditerranée, mais aussi 36 bâtiments et près de 4 000 marins déployés sur les océans du monde.
Sur le plan stratégique, nous faisons face à deux chocs - la guerre au Proche-Orient, et la guerre en Europe même - auxquels nous devons nous adapter, tout en continuant à remplir nos missions permanentes : la dissuasion, la protection de nos approches, ainsi que l'intervention et la protection de nos territoires d'outre-mer. Des journalistes ont signalé mon goût pour les formules, alors je vous livre celle-ci : « Pendant les travaux, la vente continue » - il y a des chocs, mais il faut continuer notre travail.
Le premier choc est le conflit au Proche et Moyen-Orient. La Marine est engagée dans la mission ASPIDES, qui vise à protéger le trafic commercial. Nous avons renforcé nos liens avec les industries du shipping, notamment CMA-CGM, pour la coordination. En décembre dernier, nous avons abattu deux drones aériens, puis, en mars, un hélicoptère Panther a abattu un drone aérien avec sa mitrailleuse, démontrant ainsi l'agilité et l'inventivité de nos marins et de nos équipages d'hélicoptères : ils avaient expérimenté ce mode d'action puis l'avait testé à Toulon et ils l'ont appliqué en opération. Nous avons également détruit trois missiles balistiques en opération, une première pour les armées françaises . Enfin, en août dernier, nous avons également détruit des drones de surface avec la frégate de défense aérienne Chevalier Paul, en protection d'un bâtiment de commerce.
Peu de marines sont capables de telles performances, nous sommes dans un cercle très fermé. Nous travaillons au quotidien pour améliorer notre préparation opérationnelle face à ces nouveaux modes d'action. Outre la mer Rouge, nous sommes très sollicités en Méditerranée orientale, nous y maintenons en permanence une frégate pour analyser la situation et rendre compte aux autorités politiques des signaux faibles concernant l'évolution du conflit à Gaza, ainsi que des impacts sur le Liban. De plus, un porte-hélicoptères est prépositionné dans la zone, en prévision d'une éventuelle dégradation de la situation.
Le deuxième choc est la guerre en Ukraine, qui dure depuis bientôt mille jours. Nous croisons régulièrement les Russes en mer, que ce soit en Méditerranée orientale ou lorsqu'ils transitent entre Saint-Pétersbourg et la Méditerranée, le long de nos côtes, en Manche et en mer du Nord. Chaque fois qu'un navire russe passe à proximité de nos côtes, il est escorté par les marines française ou britannique, pour leur montrer notre présence et les surveiller. Cela est également vrai en Atlantique Nord, où les sous-marins russes continuent leurs manoeuvres : nous surveillons ces activités en étroite collaboration avec nos alliés britanniques, américains et norvégiens. Face à cette menace russe, nous avons renforcé notre présence au sein de l'OTAN, à travers des missions de réassurance en Méditerranée, Atlantique et mer Baltique.
Mais au-delà de ces deux chocs, il y a les missions permanentes, dont la dissuasion. Elle est structurante. Près de 80 % des unités de la Marine participent un jour à la mission de dissuasion, incluant les sous-marins, la gendarmerie maritime, les fusiliers marins commandos qui protègent nos bases, la guerre des mines, les avions de patrouille maritime, et les frégates qui sécurisent les zones de patrouille de nos SNLE. C'est une mission essentielle pour la protection de nos intérêts vitaux.
La deuxième mission permanente est la protection de la France, de son environnement, de ses côtes et de ses territoires d'outre-mer. Cette protection peut être ponctuelle, comme lors des JO, pour l'arrivée de la flamme olympique ou lors des épreuves nautiques à Marseille. Nous avons aussi 59 sémaphores répartis sur l'ensemble de nos côtes, assurant la surveillance maritime quotidienne. L'action de l'État en mer, notamment la sauvegarde maritime, fait également partie de cette mission. Je pourrai vous communiquer le compte-rendu d'une opération de sauvetage par le patrouilleur de service public (PSP) Le Flamant, le 15 octobre dans la Manche - où l'équipage de 23 membres n'a pas ménagé sa peine pour sauver quelque 65 naufragés. Au total, près de 4 300 personnes ont été sauvées cette année par la Marine nationale et les autres administrations de l'État en mer.
La lutte contre la pollution maritime est également une mission de l'État en mer - vous connaissez probablement le Ruby, ce bateau qui transportait 20 000 tonnes de substances toxiques, en difficulté à proximité de nos côtes ; à chaque fois qu'un navire transportant des produits dangereux est en difficulté, nous veillons à le suivre de près pour éviter qu'il ne vienne polluer nos côtes.
Quant à la lutte contre le narcotrafic, nous avons saisi cette année 43 tonnes de drogue, nous faisons du bon travail, bien que les trafics continuent d'augmenter. Un narcotrafiquant arrêté aux Antilles a confié lors de son audition que notre navire qui avait intercepté le trafic, la frégate de surveillance (FS) Le Ventose, avait été surnommée El Diablo par les trafiquants, tant il avait surgi sans être vu et à une vitesse qu'ils n'attendaient pas, ceci pour une prise de 10,5 tonnes de drogue, dont 5 tonnes de cocaïne, ce qui représenterait 500 millions d'euros à la revente en France.
La lutte contre l'immigration illégale et les trafics d'êtres humains à Mayotte nous mobilise également au quotidien, elle représente un travail important en coopération avec la police aux frontières, la gendarmerie, et toutes les administrations présentes sur l'île pour tenter de contenir le flux migratoire.
Dans le Golfe de Guinée, la France s'implique activement pour soutenir ses partenaires africains dans la lutte contre la pêche illégale et pour renforcer leurs capacités maritimes. L'initiative de l'Académie maritime embarquée « Siren » est une véritable extension de la coopération. En embarquant des stagiaires de pays africains à bord des navires français, elle offre une plateforme de formation pratique et collaborative. En plus de la formation des officiers, ce programme facilite la coordination et la compréhension mutuelle entre les partenaires régionaux, essentiels dans la lutte contre les trafics, qu'il s'agisse de pêche illégale, de piraterie ou de trafic d'armes.
Nous sommes aussi présents dans l'Indopacifique, où la frégate multi-missions (FREMM) Bretagne a récemment été déployée. La France veille à maintenir une présence navale régulière dans l'Indopacifique pour soutenir la liberté de navigation, contrer les menaces transnationales, et renforcer les partenariats de défense avec les pays de la région.
Dans les Antilles, l'exemple du détournement de la mission Jeanne d'Arc pour évacuer 240 personnes lors de la crise à Haïti, montre la flexibilité opérationnelle des forces françaises. Notre agilité est un atout majeur, la France peut répondre rapidement aux crises humanitaires, tout en maintenant sa posture de défense. Ce modèle de déploiement flexible et réactif est une réponse pragmatique aux défis mondiaux actuels, permettant de concentrer les efforts sur les régions nécessitant une intervention rapide, tout en maintenant une certaine capacité de projection globale.
Le détournement du trafic maritime vers le cap de Bonne-Espérance, en raison des tensions et attaques dans le détroit de Bab-el-Mandeb, représente un changement significatif pour la géopolitique maritime, mais aussi pour des territoires comme La Réunion - environ 60 % du trafic mondial est redirigé au large de La Réunion, qui devient un point stratégique pour la surveillance maritime et la gestion des risques, ce qui représente aussi un défi de sécurité environnementale puisque des navires s'approchent de l'île, ne serait-ce que pour obtenir de la connexion à internet - nous avons dû prendre des mesures de régulation pour protéger l'écosystème local. Ensuite, ce détour allonge les routes commerciales maritimes, ajoutant par exemple dix jours de transit entre Shanghai et l'Europe, ce qui entraîne une augmentation des émissions de gaz à effet de serre de 15 % : la résolution des crises maritimes n'a pas seulement des implications économiques et sécuritaires, mais également environnementales.
L'extension de la guerre hybride en mer de Chine est un exemple frappant de la montée des tensions dans cette région stratégique, notamment entre la garde côtière chinoise et celle des Philippines. Ces confrontations sont parfois mortelles, les affrontements reflètent une escalade où les moyens non conventionnels de guerre, comme les manoeuvres coercitives et la militarisation de zones disputées, exacerbent les tensions entre ces nations.
La crise environnementale joue un rôle tout aussi crucial, notamment pour les pays du Pacifique Sud. Ces nations sont en première ligne des effets du changement climatique, rendant vitales les missions de réaction face aux catastrophes naturelles. Les opérations HADR (Humanitarian Assistance Disaster Relief) deviennent de plus essentielles pour contenir les effets dévastateurs des crises climatiques, et la coopération avec des partenaires régionaux est cruciale.
Mon ambition est donc double pour la Marine nationale : maintenir une capacité d'adaptation rapide - c'est l'« agilité du temps court » - face aux menaces actuelles, tout en garantissant une résilience stratégique sur le long terme - c'est la « puissance et détermination du temps long ». Cela inclut la mise à niveau des capacités défensives et offensives, notamment face à des menaces émergentes telles que les drones et les systèmes de brouillage. La loi de programmation militaire (LPM) joue un rôle clé pour ces améliorations à court terme, tout en maintenant l'équilibre entre flexibilité et force durable.
Nous avons aussi choisi d'accélérer le cycle d'innovation en testant des technologies directement en opération, pour mieux faire face aux menaces émergentes, en particulier celles des drones. Ainsi, tous les six mois à Toulon, nous testons les systèmes que les industriels ont à nous proposer, en conditions réelles. Lors du dernier exercice « Wildfire », six systèmes ont été mis à l'épreuve contre 50 drones de différents types (de surface, aériens et sous-marins). Le système jugé le plus performant a immédiatement été embarqué sur une frégate en opération, - la frégate multi-missions à capacité de défense aérienne renforcée (FREMM-DA) Lorraine -, c'est ce qu'on peut faire de plus court comme cycle de validation et d'adoption technologique. Cette méthode permet une réactivité sans précédent, adaptée aux menaces modernes, notamment en mer Rouge et en mer Noire, où l'utilisation massive de drones devient courante.
Nous innovons aussi dans la gestion des données, avec l'intelligence artificielle. Nous avons créé une start up dédiée, il y a deux ans, elle a développé un data hub, qui centralise et analyse les données opérationnelles, et qui a été déployé sur la frégate La Provence, améliorant nos capacités de réaction et d'adaptation en temps réel. Le déploiement du porte-avions Charles de Gaulle, prévu pour cet hiver, marque une avancée significative dans l'intégration de l'intelligence artificielle et des technologies de collecte de données ; avec cinq data hubs embarqués -- un sur le porte-avions, trois sur les frégates d'accompagnement et sous-marin et un sur Atlantique 2 -- nous créons un réseau interconnecté qui maximisera l'utilisation des données collectées à bord.
Nous avons aussi recruté des réservistes opérationnels ayant des compétences en data science. Ces experts, data scientists, participeront à des déploiements opérationnels pour exploiter au mieux les données issues des radars et sonars des navires. Cette innovation répond aux besoins immédiats et prépare le terrain pour le développement futur des systèmes de combat, en orientant nos choix technologiques à plus long terme. Nous travaillons en continu pour capter l'innovation - nous avons récemment invité 35 industriels à Toulon pour tester leurs innovations, pour identifier en amont les meilleures opportunités technologiques. Mon devoir, cependant, c'est aussi de garantir la conservation des savoir-faire. Cela inclut le transfert de compétences entre différentes générations de sous-marins, comme entre les sous-marins de type Rubis et Barracuda, ainsi qu'entre les porte-avions Charles de Gaulle et le futur porte-avions de nouvelle génération. Prendre en compte ce « biseau », cette transition de capacités et ce transfert de savoir-faire , est essentiel pour l'entraînement des équipages et pour assurer la continuité des compétences. Cependant, ce transfert de savoir-faire nécessite des infrastructures adéquates et des efforts continus.
La transition est toute trouvée avec une autre dimension de mon action, consistant à renforcer le lien entre la Marine et la Nation ; c'est essentiel. La Marine continue ses recrutements à travers les programmes de Préparation Militaire Marine (PMM), il y en a 95 et elles représentent plus de 15 % des nouvelles recrues, trois nouvelles PMM sont prévues cette année, dont une en Guyane.
D'une manière large, l'industrie navale a un impact sur les territoires, - les mâts télescopiques, par exemple, sont conçus à Angoulême -, il y a une dimension économique et territoriale incontestable au développement de la Marine.
Je veux souligner combien la position de la France est unique sur le plan international, la parole française est écoutée et recherchée, j'en ai eu encore un exemple lors d'un symposium qui s'est tenu à Venise entre 22 chefs d'états-majors et où j'ai été étonné du nombre de mes homologues qui ont sollicité un entretien, bien plus que je ne m'y attendais.
La supériorité opérationnelle pose aussi un défi de ressources humaines, nous réfléchissons à la démographie et aux métiers qui seront nécessaires à bord des navires en 2035, je pense bien sûr à la possibilité d'embaucher des data scientists - ce sont des décisions à prendre rapidement, pour répondre aux défis futurs. La Marine recrute environ 3 900 marins par an, c'est un signe positif pour notre avenir, et je me réjouis aussi que les mesures de fidélisation au sein de la Marine nationale commencent à porter leurs fruits - il y a moins de départs qu'auparavant.
Un point sur les violences sexuelles et sexistes, avec des affaires récentes qui ont terni l'image de la Marine. De tels comportements sont inacceptables, je prends la situation très au sérieux. Notre plan d'action inclut des mesures pour libérer la parole des victimes, en les encourageant à s'exprimer et à se sentir écoutées, à les accompagner par des mesures de soutien ; nous voulons aussi être intransigeants avec ceux qui commettent des actes de violence sexistes et sexuelles ; nous voulons promouvoir une culture de transparence dans le traitement de ces affaires ; et notre plan prévoit également de renforcer les programmes de prévention, en particulier au sein des écoles de la Marine.
Je me félicite des progrès réalisés en matière de mixité : la Marine compte actuellement 16 % de femmes, dont 17 commandants d'unités, 9 sur des unités à la mer. La mixité est un atout pour les ressources humaines de la Marine. La formation de la Marine nationale se développe, l'École des apprentis va rouvrir à Saint-Mandrier-sur-Mer, où des formations en métiers du numérique et de l'électronique seront proposées, grâce à un partenariat avec l'Éducation nationale. Je pense aussi au succès continu du BTS nucléaire à Cherbourg, le nombre de candidats augmente encore cette année et permet une bonne sélectivité, avec 167 candidats pour une trentaine de places.
Nous sommes en mouvement et mon ambition, vous l'aurez compris, c'est une Marine nationale reconnue pour ses savoir-faire, rassembleuse de ses partenaires et redoutée par ses adversaires.
Mme Gisèle Jourda, rapporteure pour avis de la mission « Défense » sur le programme 144 « Environnement et prospective de la politique de défense ». - En 2023, la Marine nationale a été à l'initiative d'une démarche intéressante en matière d'accélération de l'innovation. Baptisée « Perseus », elle ouvre à des industriels la possibilité de tester en conditions réelles, sur les bateaux de la marine, leurs matériels et leurs équipements. Cette démarche est-elle pérennisée - quels ont été les résultats et enseignements de l'édition 2024 ?
Les crédits d'études amont consacrés au milieu naval devraient progresser de près de 20 % l'an prochain pour atteindre 56 millions d'euros. Un démonstrateur de drone sous-marin océanique et une démonstration de coopération entre sous-marins et véhicules sous-marins autonomes devraient en particulier être financés en 2025. Quels sont les usages attendus de ces projets de démonstration et quel est leur état d'avancement ?
Amiral Nicolas Vaujour. - Le projet Perseus offre un environnement financier et juridique favorable à l'innovation, il autorise des expérimentations rapides tout en simplifiant les normes et en adaptant les exigences de sécurité. Cette année, dix expérimentations ont été labellisées, par exemple le déploiement d'un drone depuis un sous-marin immergé, drone conçu par la PME Diodon.
L'idée, c'est de passer rapidement des laboratoires à des essais en conditions réelles, en embarquant les nouvelles technologies sur les navires pour les tester et vérifier qu'elles répondent à des besoins opérationnels : Perseus, c'est « du labo au matelot »... Ce processus rompt avec les anciens cycles longs de développement, où les besoins définis devenaient obsolètes avant même la mise en service des produits. Des prototypes peuvent être rapidement testés, évalués, et les équipes sont encouragées à trouver des solutions, vu que leurs produits sont rapidement mis à l'épreuve.
C'est ce qui s'est passé avec un système anti-drones testé lors de l'exercice Wildfire à Toulon, qui a ensuite été utilisé lors des Jeux Olympiques de Paris, puis intégré sur des navires. Ce système pourrait être rapidement dépassé, ne durer que quelques années, mais c'est comme ça, il aura été utile entre temps et en attendant mieux. Je pense aussi au projet de démonstrateur de drone sous-marin de combat « UCUV » - pour Unmanned Combat Underwater Vehicle - développé par Naval Group, qui illustre l'importance des études amont pour identifier les ruptures technologiques, notamment dans le domaine des drones sous-marins. Le drone de dix mètres et dix tonnes est en phase de maturation, des tests opérationnels sont prévus pour évaluer son utilité et mieux définir les besoins.
Ces exemples montrent l'utilité d'allier innovation à court terme, avec des outils comme Perseus, et innovation à long terme, avec l'appui de la DGA pour des avancées technologiques majeures. L'innovation est bien ancrée dans la stratégie de la Marine nationale, avec un équilibre entre le court terme pour l'agilité opérationnelle et le long terme pour préparer les futures capacités navales.
M. Hugues Saury, rapporteur pour avis de la mission « Défense » sur le programme 146 « Équipement des forces ». - Que pouvez-vous nous dire sur le nombre de bâtiments français qui ont participé à détruire des missiles iraniens lors de l'offensive du 1er octobre contre Israël ? Combien de missiles Aster ont été tirés ? Avec quels résultats ? Comment s'est opérée la coordination avec les alliés ? Israël a annoncé des représailles pour pourraient entraîner une nouvelle escalade, comment vous y préparez-vous ?
Les bâtiments alliés sont apparus ces derniers mois particulièrement vulnérables aux attaques de drones voire de missiles en Mer rouge et dans le Golfe d'Aden. La Marine a dû mettre en place un « recomplétement » des missiles Aster, pouvez-vous nous en dire plus sur les modalités d'acheminement et d'installation de ces missiles sur les navires ? Par ailleurs, où en sont les projets de renforcement de la lutte anti-drones sur les navires de la Marine que ce soit au travers de brouilleurs, de techniques de leurre, de recours à des laser (Helma-P) ou de retour à des solutions cinétiques (canons de 40 mm par exemple) ?
L'activité de la Marine russe s'est accrue le long des rivages européens tant en mer baltique que dans la Manche et dans l'Atlantique. La Marine dispose d'un excellent outil avec l'Atlantique 2 pour suivre cette activité mais qui commence à être vieillissant - c'est pourquoi une rénovation de ces appareils est en cours (standard 6). Qu'en est-il du rythme de cette rénovation ? Combien d'appareils sont aujourd'hui effectivement disponibles et comment sont-ils opérés avec nos alliés pour surveiller les espaces maritimes européens ? Par ailleurs comment voyez-vous le successeur de l'Atlantique 2 sur lequel Airbus s'est positionné à l'horizon 2030-2035 ?
Une question, ensuite, sur les frégates de défense et d'intervention (FDI) : celles dont la Marine nationale s'est dotée, sont deux fois moins armées que celle livrée par Naval Group à la marine grecque. On peut imaginer que ce choix résulte d'une contrainte budgétaire, mais il semblerait que l'extension de cet armement n'ait pas été prévue, alors qu'on parle de combats à haute intensité : n'y a-t-il pas là un manque d'anticipation regrettable ?
Enfin, la modernisation de la force de dissuasion nucléaire progresse-t-elle comme prévu et quel en est le calendrier ?
Amiral Nicolas Vaujour. - Quand j'ai parlé de l'interception de missiles balistiques par nos frégates, il s'agissait d'opérations en mer Rouge, pas au large d'Israël ni en protection contre les missiles iraniens tirés contre Israël.
Le « recomplètement » des missiles Aster a effectivement été une question, surtout après les tirs en mer Rouge, même si nous y pensions auparavant. L'année dernière, j'avais évoqué ma stratégie d'accès global, qui repose sur deux piliers : des partenaires et la capacité à ravitailler, notamment en munitions complexes comme les missiles. Nous avons effectué un ravitaillement à Djibouti avec un avion A400M, qui a transporté des missiles jusqu'à Djibouti. Là-bas, avec une grue, nous avons chargé les missiles. Depuis, nous avons fait un pas de plus avec les bâtiments ravitailleurs de force (BRF). Jusque-là, ces bâtiments étaient employé au ravitaillement de bombes sur le porte-avions; il fallait aller plus loin, en étant capables de ravitailler en missiles Aster. Désormais, grâce aux BRF, nous pouvons ravitailler une frégate à quai, sans passer par la terre, donc en se passant des autorisations diplomatiques, ce qui est précieux - il nous suffit de transférer un missile du BRF directement dans le système de lancement vertical de la frégate via une grue. Cela n'était pas prévu à l'origine, une solution a été trouvée en ajustant légèrement la position du bateau. Nous sommes donc capables de ravitailler nos frégates en autonomie à quai. Nous avons aussi testé avec succès le ravitaillement en mer de missiles Aster sur le Charles de Gaulle, car la grue et le système de câbles du porte-avions permettent de le faire, contrairement aux frégates. En fait, nous sommes les seuls à pouvoir ravitailler en mer, avec les Américains - mon homologue américaine l'amiral Lisa Franchetti a été surprise que nous y soyons parvenus, parce que les Américains viennent tout juste d'acquérir cette compétence, avec l'avantage qu'ils y parviennent aussi avec leurs frégates. Je rappelle que certains pays européens ont dû sortir de la mer Rouge pour ravitailler, faute d'autorisation des pays environnants de ravitailler dans leurs ports.
Vous avez mentionné les Atlantique 2, ils vieillissent et nous les rénovons, pour les mettre au Standard 6, et cet aéronef reste l'un des meilleurs au monde pour la patrouille maritime, à tel point que les Américains nous demandent d'envoyer des frégates et des Atlantiques 2 dans l'Atlantique Nord pour les aider à traquer les sous-marins russes. La rénovation des Atlantique 2 n'est pas terminée, il en reste trois à rénover, avec un objectif de 18 - c'est en bonne voie et nous sommes très satisfaits de cette modernisation.
Vous l'avez dit, nos frégates de défense et d'intervention (FDI) sont moins armées que celles que la France a vendue aux Grecs. Vous ne le savez peut-être pas, mais je travaillais sur ce programme lorsque j'étais officier de cohérence opérationnelle à l'État-Major des Armées, alors sous l'autorité du ministre Jean-Yves Le Drian. Lors des négociations, il a fallu faire des compromis, et celui-ci en fait partie. Avec le recul, je pense que le besoin initial était bien pertinent. Heureusement, nous avons pris la précaution de laisser de la place pour ajouter des systèmes de lancement verticaux si nécessaire. Ce n'est pas budgétairement prévu pour l'instant, mais nous pourrions remettre ce sujet sur la table dans les années à venir. Le programme FDI a été étalé jusqu'en 2032, ce qui donne du temps pour y réfléchir et décider.
Enfin, concernant la dissuasion, nous travaillons actuellement au renouvellement de la flotte des SNLE. Nous passerons de la classe Triomphant à la classe de troisième génération, qui portera le M51.3. Ce programme est extrêmement complexe et s'inscrit sur le long terme, mais il est bien lancé. Les premières découpes ont eu lieu, et je n'ai pas d'inquiétudes majeures quant à son bon déroulement.
M. Olivier Cigolotti, rapporteur pour avis de la mission « Défense » sur le programme 178 « Préparation et emploi des forces ». - Le trafic de drogue affecte de plus en plus notre pays, c'est ce qu'a conclu une récente commission d'enquête du Sénat sur les narcotrafics. Comme les Pays-Bas ou la Belgique avant nous, la France subit ce qui s'apparente à une attaque de grande ampleur, avec un risque d'effets graves sur les forces de sécurité intérieure voire une contamination d'autres secteurs de la vie de la Nation, comme on l'a vu dans les deux pays que j'ai cités. La Marine nationale joue un rôle croissant contre les narcotrafiquants, avec des prises de plus en plus volumineuses, que ce soit au large de la Guyane, du Golfe de Guinée ou dans l'Océan indien. Pourriez-vous nous donner une vue d'ensemble de cette activité de la Marine nationale ? La légitime prise en compte de cette menace croissante peut-elle se faire avec des moyens constants alors qu'elle n'avait peut-être pas été anticipée à ce niveau ?
La Marine nationale est très active dans le Golfe de Guinée, que ce soit pour la lutte contre les trafics et la pêche illégale ou pour de soutien et la formation de nos partenaires africains en matière de lutte contre la piraterie. De nombreuses actions sont menées grâce à nos portes hélicoptères amphibies (PHA). Pour ces missions, la Marine nationale peut s'appuyer et coopérer avec les forces françaises dans les trois bases de la façade occidentale de l'Afrique, au Sénégal, en Côte d'Ivoire et au Gabon. Or, celles-ci sont engagées dans une profonde réforme qui conduit à une réduction massive de leurs effectifs et qui va nécessairement faire évoluer leurs missions. Quel est l'impact potentiel de cette réforme sur l'activité de la Marine nationale dans la région, que ce soit en termes d'actions de formation au profit de nos partenaires ou lors d'une éventuelle crise où il nous faudrait évacuer des ressortissants ?
Enfin, pouvez-vous nous en dire un peu plus sur les études amont et le porte-avions de nouvelle génération (PANG) ?
Mme Michelle Gréaume, rapporteure pour avis de la mission « Défense » sur le programme 178 « Préparation et emploi des forces ». - La France est engagée dans l'opération Aspides en Mer Rouge en réponse aux attaques des Houthis contre le transport maritime international en mer Rouge. Dans le cadre de cette mission, de nombreux drones et missiles visant des navires marchands ont été détruits par la Marine nationale, notamment par des missiles Aster, ainsi que par nos partenaires de la mission. La Marine nationale s'est-elle adaptée aux attaques lancées par les Houthis, en essayant de diminuer le coût de chaque tir anti-drone ou anti-missile, sachant la disproportion de coût entre un missile et le drone qui est sa cible ? Où en sont les innovations dans ce domaine, qu'il s'agisse des munitions téléopérées, du canon électromagnétique, voire du laser offensif ? Ensuite, cette mission Aspides se déroule sous commandement grec avec plusieurs de nos partenaires européens : êtes-vous satisfaits de cette coopération, et que nous apprend elle sur l'état des forces maritimes et de l'entraînement de ces différents partenaires ?
La Marine nationale a fait de grands progrès depuis les années 1990 en termes de disponibilités des matériels et d'activité, notamment grâce à l'action du service de soutien de la flotte (SSF) et au principe du double équipage. Toutefois, cette progression est plus nette pour les navires que pour les aéronefs de la marine, dont le maintien en condition opérationnelle reste un sujet délicat. Je pense notamment au NH90 Caïman pour lequel de multiples mesures ont été prises, avec notamment de nouveau contrats et une assistance technique renforcée. Est-ce que la disponibilité du Caïman a enfin atteint un niveau acceptable ou cela reste-t-il un point noir ? Si c'est le cas, le budget prévu pour 2025 permettra-t-il de progresser encore ?
Amiral Nicolas Vaujour. - A propos du narcotrafic, le rôle de la Marine nationale a beaucoup évolué, ce n'était pas un sujet pour la Marine quand je suis entré au début des années 1980, c'était l'affaire des douanes. Nous entretenons aujourd'hui une collaboration étroite avec les autres services de l'État et les agences internationales de lutte contre la drogue. Le partage de renseignement est essentiel à l'efficacité des opérations. Cependant, la Marine nationale ne dédie pas de moyens spécifiques à la lutte contre le narcotrafic, nous agissons selon nos ressources disponibles à proximité quand on nous signale un trafic - on décide alors de dérouter l'un de nos navires pour intervenir. Nous constatons ces dernières années une augmentation des saisies de cocaïne, avec des navires transportant des quantités records allant jusqu'à dix tonnes, alors qu'il était très rare auparavant de saisir plus d'une tonne. En réalité, une grande partie du trafic de drogue est redirigé vers l'Europe, à cause du succès des drogues de synthèse aux États-Unis.
Dans le Golfe de Guinée, la coopération de la France avec les pays de la zone correspond à ce que nous voulons faire avec nos partenaires : nous sommes là, nous proposons des actions, les gouvernements décident de suivre, ou pas. C'est l'exemple de l'Académie de marine embarquée Siren, qui propose à 33 stagiaires, venus de 14 pays, de venir pendant un mois et demi apprendre à se connaitre et à échanger sur leurs modes d'action. Cette approche vise à former les marins des pays partenaires pour lutter contre des menaces comme la pêche illégale, la piraterie et le narcotrafic. La France soutient également ces pays en leur fournissant des renseignements, mais laisse l'initiative à leurs forces navales pour mener les opérations elles-mêmes, nous l'avons fait avec le Sénégal. La lutte contre la piraterie dans cette région reste une priorité, avec l'aide de partenaires européens comme l'Italie, l'Espagne et le Portugal - même si le niveau de piraterie a baissé dans le Golfe de Guinée.
Le projet du porte-avions de nouvelle génération avance bien, il est actuellement dans une phase cruciale : « l'avant-projet détaillé ». Ce projet, confié à Naval Group, devrait se conclure en 2025 avec le début de la construction. Le plan de l'architecture est déjà réalisé, et plusieurs décisions importantes restent à prendre, en particulier concernant des choix techniques qui seront soumis au ministre des Armées. Des entreprises comme Naval Group, les Chantiers de l'Atlantique pour la coque, et TechnicAtome pour la propulsion nucléaire sont impliquées dans ce programme ambitieux. La propulsion nucléaire, validée par le Président de la République en 2020, est un élément central de ce nouveau porte-avions.
Concernant l'efficacité des systèmes d'armes actuels, des améliorations sont en cours. Le coût des missiles pour la défense des navires est certes élevé, mais il est justifié par la valeur des cargaisons protégées. Cependant, la Marine nationale s'efforce de réduire les coûts en améliorant la détection et la neutralisation des menaces à moindre coût. Par exemple, de nouvelles boules optroniques permettent de détecter les drones ennemis plus tôt, donc de les traiter avec les canons au lieu des missiles, réduisant ainsi le coût d'interception. En parallèle, des systèmes de brouillage électronique sont déployés pour neutraliser les drones à moindre coût, notamment les plus simples qui sont vulnérables à ce type d'intervention.
L'énergie dirigée, comme les lasers, est une technologie en développement. Bien qu'efficace contre des cibles légères comme les drones de faible envergure, elle est encore limitée face à des vecteurs plus lourds comme les missiles ; il y aura des progrès, mais pour le moment les lasers manquent de puissance pour des cibles plus robustes. Les systèmes à micro-ondes de forte puissance et les canons électromagnétiques sont également des pistes prometteuses, bien que ces technologies ne soient pas encore suffisamment mâtures pour un déploiement opérationnel à grande échelle.
En ce qui concerne les opérations européennes, la Grèce a récemment pris le commandement de l'opération Aspides. C'est un signe positif de coopération au sein de l'Union européenne, démontrant que les partenaires peuvent prendre la relève sur des missions clés.
Ainsi, la France reste engagée sur plusieurs fronts, que ce soit dans le développement de technologies de défense de pointe ou dans la gestion de la coopération internationale dans le cadre des missions européennes.
Sur la question de la disponibilité des navires, la situation est très positive, avec un taux de disponibilité des frégates compris entre 75 et 80 %, ce qui est remarquable. Ce succès est en grande partie attribué à la mise en place de la verticalisation, un système qui permet une gestion plus efficace de la maintenance des navires. Le service de soutien de la flotte (SSF) a joué un rôle clé dans cette amélioration, servant de modèle pour d'autres structures de soutien. Cette approche a permis de renforcer la disponibilité opérationnelle tout en optimisant le rapport coût-efficacité, bien que cela ait pris du temps à se concrétiser.
Cependant, des défis persistent dans le domaine aéronautique, notamment avec les hélicoptères NH90, qui continuent d'avoir des problèmes de disponibilité. L'année dernière, la situation était inacceptable, je l'ai dit à nos partenaires industriels, j'ai constaté des améliorations depuis septembre, c'est positif. L'objectif est désormais de stabiliser et de continuer à augmenter la disponibilité de ces hélicoptères, qui sont prévus pour rester en service pendant encore 20 ans. Nous mettons l'accent sur la maintenance à court terme, mais aussi sur un plan à long terme pour garantir la pérennité de ces appareils.
Cette approche montre la volonté de maintenir un haut niveau de performance à la fois pour les navires et les aéronefs, tout en engageant les partenaires industriels à répondre aux exigences opérationnelles de la Marine pour les décennies à venir.
Mme Marie-Arlette Carlotti, rapporteure pour avis de la mission « Défense » sur le programme 212 « Soutien de la politique de défense ». - Je me réjouis que vous constatiez une fidélisation des marins, c'est une bonne chose, de même que la féminisation d'ensemble : 16 %, c'est mieux qu'avant. Vous avez mentionné le cas de la matelote agressée sexuellement, avez-vous eu connaissance d'autres cas ? Vous évoquez une cellule « Thémis », pour écouter la parole des victimes de violences sexistes et sexuelles, mais que pensez-vous de l'idée d'installer une cellule extérieure à l'armée, comme il en existe en Allemagne - sachant qu'il est toujours délicat de s'exprimer à l'intérieur d'une institution comme l'armée, au su de sa hiérarchie ?
La Cour des comptes, dans un rapport récent, a dressé un bilan assez sombre de l'état des infrastructures de l'École navale : ses bâtiments sont dans un « état globalement dégradé, certains pouvant même s'avérer dangereux », alors même que « 59 % de ses bâtiments sont classés par la base de défense dans les catégories non ou peu stratégiques en termes de programmation d'investissement ». L'histoire de la « Tour intrépide », en particulier, est édifiante.
Cette situation est due selon les magistrats à une « gestion complexe », à des « compétences partagées », à un manque de personnel, aussi. Elle pose de nombreuses questions, d'abord celle de l'avenir à court terme de l'École, qui pourrait de nouveau déménager, en tout ou partie. Ensuite, celle de l'organisation actuelle du soutien aux armées. Comme pour l'académie militaire de Saint-Cyr Coëtquidan, la mutualisation via les bases de défense présente l'inconvénient de mettre les investissements dans les écoles en concurrence avec ceux dans les unités opérationnelles du même ressort géographique. L'armée de terre et l'armée de l'air et de l'espace souhaitent un retour à des bases de défense « monocolores », ou bien prendre la main sur certaines bases de défense, mais personne ne semble remettre le modèle totalement en cause. Comment l'améliorer, selon vous ?
Enfin, il faut parler plus globalement de l'état du parc immobilier du ministère. Quel regard portez-vous sur les crédits alloués à cette fonction en 2025 ? Quelles sont vos attentes dans l'application des plans hébergement et logement, et quels sont les chantiers prioritaires ?
Voici enfin les questions que souhaitait vous poser mon corapporteur Jean-Pierre Grand. La Marine nationale a en projet de créer trois flottilles côtières pour les façades littorales de l'Atlantique, de la Méditerranée et de la Manche et mer du Nord, constituées d'un état-major et de dix escouades comptant chacune 70 marins réservistes. Ce dispositif sera complété par six escouades devant être déployées à La Réunion, à Mayotte, en Guyane, aux Antilles, en Nouvelle-Calédonie et en Polynésie française.
Le ministère a annoncé le 2 août dernier que l'escouade de La Rochelle allait être la première à recevoir son embarcation semi-rigide. Pouvez-vous nous faire un premier retour d'expérience, et nous en dire davantage sur le calendrier et la mise en oeuvre de vos projets opérationnels d'emploi de réservistes ?
Pourriez-vous nous détailler plus largement les efforts de la Marine pour le recrutement de réservistes opérationnels, afin d'atteindre la cible qui vous est fixée ? Cette cible appellera des efforts toujours plus grands, compte tenu de la hauteur croissante des marches prévues par la trajectoire de la LPM...
Amiral Nicolas Vaujour. - La mise en place des flottilles côtières à La Rochelle et Bayonne semble être une étape importante pour renforcer la présence locale de la Marine nationale dans les ports de taille moyenne. L'implication des membres de la communauté locale, tels que le patron du port, le médecin ou encore le réparateur de Zodiac, permettrait de créer un réseau intégré et capable de répondre rapidement en cas de besoin, par exemple lors d'épisodes de pollution ou de catastrophes maritimes.
Face aux violences sexuelles et sexistes, nous voulons installer de nouveaux canaux d'expression pour les victimes, nous avons noué un partenariat avec une association, la Maison des Femmes, pour libérer la parole dans un cadre moins institutionnel. Nous tenons aussi à sanctionner clairement et fortement les auteurs de ces violences, y compris par des licenciements et des radiations.
Des réflexions sont en cours sur les infrastructures de l'École navale, pour savoir par exemple s'il vaut mieux rénover ou remplacer le bâtiment Orion ; des choix difficiles devront être faits compte tenu de nos contraintes financières.
Il se trouve que les deux grandes bases de défense de Brest et Toulon sont quasiment « monocolores » de fait. Cela a des avantages, cela crée une cohérence opérationnelle et logistique, qui suscite l'envie d'autres armées souhaitant revenir à ce modèle. Les quelques emprises d'autres armées présentes sur ces bases, comme le 54? RA, s'intègrent bien dans ce système. La réforme actuelle des bases de défense ne me pose pas de problème.
La Marine nationale est bien avancée sur plusieurs fronts : elle continue de renforcer ses capacités locales, améliore les conditions de travail, modernise ses infrastructures, et optimise ses opérations à travers une gestion cohérente de ses bases de défense.
Mme Catherine Dumas. - Le Charles de Gaulle est en phase de qualification de nouveaux pilotes avant d'entamer une campagne en Indopacifique : quel sera son déploiement et quelle sera la disponibilité des Rafale de la Marine nationale ?
M. Akli Mellouli. - Parmi vos nombreuses missions, vous avez aussi celle, complexe et si importante, de combattre pour la biodiversité dans notre espace marin et pour le respect de l'environnement : comment voyez-vous les choses évoluer ? Vous demandiez de quels marins la Marine nationale aura besoin en 2035, mais quel sera l'état de la mer en 2035 ?
M. Étienne Blanc. - La commission d'enquête sénatoriale sur le narcotrafic a souligné le développement des drop off, c'est-à-dire le fait de jeter à la mer de gros paquets de drogues depuis des bateaux à fort tonnage, à quelques miles des côtes, avant que des petits bateaux viennent les récupérer et les acheminent vers des petits ports difficiles à surveiller : comment lutter contre ce phénomène ? Notre commission d'enquête a aussi souligné le développement des bateaux ultra-rapides, les go-fast, en particulier dans la mer Caraïbes : comment mieux les appréhender ?
Amiral Nicolas Vaujour. - Le porte-avions Charles de Gaulle est actuellement en phase de qualification pour les jeunes pilotes de l'aviation embarquée, une étape essentielle avant leur déploiement opérationnel. Cette qualification implique des exercices en mer simulant les conditions réelles d'appontage, après un entraînement à terre. Concernant son déploiement, bien que des rumeurs circulent sur une mission dans le Pacifique, aucune décision définitive n'a encore été prise, elle dépendra de l'évolution de la situation au Proche et Moyen-Orient : le Charles de Gaulle est un outil stratégique dont les missions s'adaptent aux réalités géopolitiques.
La Marine nationale s'efforce de jouer un rôle actif dans la protection de la biodiversité, je vous renvoie au podcast du Greenletter Club auquel j'ai eu l'honneur de partciper. Nous informons régulièrement Météo France puisque nous lui transmettons les relevés effectués par nos unités à la mer. Nous avons passé un partenariat avec la Sorbonne pour embarquer des chercheurs, afin de collecter des données en zones maritimes éloignées, souvent peu étudiées. Des prélèvements réguliers de plancton contribuent à une meilleure compréhension des écosystèmes marins. Dans le sens de la protection, nous prenons aussi des mesures rigoureuses pour ne pas polluer l'environnement lorsque nous effectuons la liaison entre la Tasmanie et la station antarctique Dumont d'Urville.
Le phénomène des drop off est difficile à contrer, cette pratique qui était connue dans les Antilles avec de petits avions, se diffuse à tel point que je les appelle des Dropbox. Il y a de quoi s'inquiéter avec le développement des champs éoliens, parce que partout où il y a de l'offshore, il y a des possibilités de trafic, en particulier dans des eaux internationales où il est plus difficile de surveiller et d'intervenir. La Marine nationale collabore avec les industriels pour installer des moyens de détection sur les champs offshore, renforçant ainsi la capacité de surveillance maritime.
Contre les go-fast maritimes utilisés par les narcotrafiquants, la Marine nationale ne tente pas de rivaliser en vitesse sur mer, nous préférons une approche plus tactique : l'hélicoptère, avec des tireurs spécialisés qui parviennent à neutraliser les moteurs des embarcations rapides. Ce mode opératoire est efficace, nous l'avons utilisé dans les Antilles et la Méditerranée, nous avons eu l'autorisation de la justice pour le déployer dans le cadre de l'opération Épervier, le procureur ayant été convaincu par notre maitrise opérationnelle et par l'absence de victimes civiles.
La Marine nationale fait donc preuve d'une adaptation continue face à des défis variés, qu'ils soient environnementaux, climatiques ou liés aux menaces comme le narcotrafic.
M. Cédric Perrin, président. - Merci pour votre disponibilité et ces informations, nous mettrons tout en oeuvre pour que la trajectoire budgétaire de la loi de programmation militaire (LPM), que nous avons définie, soit tenue.
Cette audition n'a pas fait l'objet d'une captation vidéo.
La réunion est close à 12 h 30.
La réunion est ouverte à 16 h 30.
Audition de M. Jean-Noël Barrot, ministre de l'Europe et des affaires étrangères
M. Cédric Perrin, président. - Monsieur le ministre, nous sommes très heureux de vous recevoir cet après-midi pour votre première audition par notre commission. Votre nomination intervient dans un contexte géopolitique très dégradé et préoccupant. Vous trouverez toujours auprès de notre commission des sénateurs qui ont à coeur de défendre les intérêts de la France, la sécurité de nos compatriotes en France ou à l'étranger et la paix dans le monde.
Les ambitions diplomatiques de la France se concrétisent au travers des grandes lignes du budget que vous demandez pour l'an prochain. Le projet de loi de finances (PLF) pour 2025 suscite des inquiétudes au sein de la commission. La situation des finances publiques est très préoccupante. Pour l'ensemble du périmètre du ministère et de l'aide publique au développement (APD), la baisse des crédits s'élève à 15,5 % des crédits, soit une baisse d'un milliard d'euros. Cela est considérable et, même si l'impact du choc est amoindri pour le programme 105 « Action de la France en Europe et dans le monde », cela bouscule les engagements pris par le Président de la République pour réarmer notre diplomatie, après des années de baisse des effectifs, trajectoire qui n'avait été inversée qu'à compter de 2023.
C'est l'aide publique au développement qui assume la plus grosse part de cette déflation, puisque le programme 209 « Solidarité à l'égard des pays en développement » est amputé de 26 % de ses moyens. Dans ces conditions, vous nous direz quels objectifs et quelles priorités vous tâcherez de poursuivre.
M. Jean-Noël Barrot, ministre de l'Europe et des affaires étrangères. - Je suis très honoré d'être reçu par votre commission, à laquelle je souhaite rendre hommage, car elle a la tâche très lourde de s'occuper à la fois des affaires qui relèvent du ministère de l'Europe et des affaires étrangères et du ministère des armées, commission où vous cultivez un esprit de pluralisme qui contribue à la qualité de vos travaux.
Je souhaite aussi rendre hommage à un levier essentiel de la diplomatie française, la diplomatie parlementaire. Nous avons, vous et moi, la responsabilité de porter la voix de la France. Nous sommes attentifs au fait de vous fournir tous les éléments dont vous aurez besoin dans vos missions, comme nous sommes heureux de pouvoir bénéficier de vos retours d'expérience, très utiles pour éclairer nos positions d'une lumière différente et calibrer nos messages. Je souhaite que, sur des sujets transversaux, comme les économies budgétaires à réaliser, nous puissions recueillir vos avis. Charge à moi de réaliser les arbitrages et de trancher le moment venu.
J'en viens à la présentation du budget de mon ministère, tel qu'il vous a été soumis par le Gouvernement et sous réserve de son adoption définitive. Ce budget devait connaître entre 2024 et 2027 une hausse importante de ses moyens pour réarmer et moderniser la diplomatie, mais aussi pour atteindre nos objectifs en matière d'aide publique au développement.
Dans le contexte budgétaire que vous connaissez, le plafond des crédits du ministère a été révisé à la baisse, comme pour la plupart des ministères. Mon ministère continue donc d'apporter sa contribution à l'objectif de maîtrise des finances publiques fixé par le Premier ministre. Je dis bien « continue », puisque le ministère a pris une part significative dans les annulations et gels de crédits décidés par le précédent gouvernement en février et juillet dernier. Le montant total de ces diminutions s'élève à 880 millions d'euros, soit 12,5 % de notre budget pour l'année 2024.
Les trois quarts de ces économies ont concerné le programme 209, qui porte nos moyens d'aide publique au développement. Les coupes ont porté en grande partie sur l'aide en dons, à travers l'Agence française de développement (AFD), mais aussi sur nos contributions multilatérales ainsi que sur la provision pour risques majeurs, qui nous permet de débloquer rapidement des fonds pour apporter un soutien aux pays subissant des crises aux conséquences humanitaires d'ampleur.
Le programme 105 « Action de la France en Europe et dans le monde » a été affecté par les coupes, pour 153 millions d'euros au total. Dans ce contexte, ce sont les chantiers de réforme et de modernisation visant à rendre notre diplomatie plus agile qui ont été protégés en priorité.
Concernant le programme 185 « Diplomatie culturelle et d'influence », les annulations de crédits ont principalement concerné les subventions aux opérateurs, afin de préserver les actions au service de notre politique d'influence.
Ainsi, pour l'exécution du budget, un effort très important d'économies a été demandé au ministère, ce qui nous a conduits à un travail de priorisation que nous allons poursuivre l'année prochaine.
J'en viens maintenant au projet de loi de finances pour 2025, qui confirme les économies opérées en 2024 et prévoit une économie additionnelle de 200 millions d'euros.
En volume, le plafond ministériel est de 5,8 milliards d'euros en crédits de paiement, soit une diminution d'un milliard d'euros par rapport à la loi de finances initiale adoptée en 2024. Le ministère est appelé à contribuer à nouveau, et de manière très importante, à l'effort de redressement de nos finances publiques.
Dans ce cadre contraint, je procéderai avec méthode pour préserver nos chantiers et actions prioritaires. Je serai guidé par trois critères.
Le premier critère et de préserver les actions et leviers qui sont les plus décisifs pour nous permettre de porter la voix singulière de la France dans le monde. Cela passe évidemment par notre réseau diplomatique à l'étranger et les moyens qui sont à sa disposition, mais également par des leviers d'action tels que notre capacité à agir au coeur des crises en soutien aux populations en détresse et à leurs autorités sollicitant de l'aide.
Le deuxième critère est de préserver les leviers qui agissent directement sur le quotidien des Français. Je pense aux 2,5 millions de Français établis à l'étranger qui ont comme interlocuteur nos services consulaires pour toutes les étapes de leur vie et leurs démarches administratives. Je pense aussi à l'action décisive que mène notre ministère pour préserver la sécurité des Français, répondre au défi migratoire et protéger et renforcer notre souveraineté économique, notre tissu industriel et nos emplois.
Le troisième critère est de veiller à ce que ces contraintes budgétaires ne conduisent pas à l'abandon des investissements qui permettront de rendre notre administration et notre diplomatie plus innovantes, créatives et efficaces. Je pense par exemple au déploiement de notre nouvelle Académie diplomatique et consulaire, qui sera chargée de projeter encore davantage l'inventivité et l'excellence française dans notre action à l'étranger. Nous disposons de moyens plus réduits que d'autres diplomaties, mais notre diplomatie est souvent plus innovante.
Voilà la méthode qui sera la mienne pour opérer les choix nécessaires, auxquels vous serez étroitement associés.
Le Premier ministre a demandé des économies supplémentaires de 5 milliards d'euros pour redresser notre déficit public, en sus des économies prévues dans le PLF pour 2025. Sans pouvoir entrer dans le détail de la répartition de ces économies, en cours d'examen, mon ministère sera mis une nouvelle fois à contribution. Je serai guidé par les mêmes critères.
Je reviens au projet de loi de finances pour 2025, en commençant par les crédits consacrés à nos effectifs. Les dépenses de personnel représenteront plus de 1,15 milliard d'euros, soit une hausse par rapport à la loi de finances initiale pour 2024, ce qui financera la création de 75 nouveaux équivalents temps plein (ETP). Certains estimeront que le compte n'y est pas, puisque les engagements qui avaient été pris indiquaient une trajectoire de 700 ETP d'ici à 2027, dont 150 ETP en 2025.
Dans le contexte que nous connaissons, la préservation de la création de ces 75 ETP constitue une marque de confiance dans notre diplomatie. Le ministère a subi, entre 2006 et 2021, une forme de plan social par étapes, qui a conduit à la suppression de 3 000 ETP au point que le corps social du ministère a fini par réagir de manière très vigoureuse, ce qui a déclenché les états généraux de la diplomatie, qui ont permis d'identifier où mobiliser le plus efficacement possible les 700 nouveaux ETP prévus.
Le plafond d'emplois est ainsi porté à 13 892 ETP, ce qui équivaut aux moyens humains de la métropole de Toulouse. C'est avec ces moyens humains que nous assurons le fonctionnement de plus de 170 postes diplomatiques à travers le monde. J'ai aussi rappelé au Premier ministre que le nombre d'ETP présents en administration centrale équivalait aux effectifs du conseil départemental de la Savoie.
J'en viens maintenant aux quatre programmes principaux dont le ministère a la charge. Nous avons dû prioriser nos efforts. C'est le programme 209 qui assume l'essentiel des efforts. Les autres programmes restent stables, tout en restant en deçà des hausses attendues.
Le programme 105 « Action de la France en Europe et dans le monde » rassemble les moyens de notre action diplomatique et porte aussi le financement de plusieurs contributions obligatoires de la France à l'international.
Les crédits consacrés à ces contributions internationales et aux opérations de maintien de la paix s'élèvent à 820 millions d'euros. Ils sont en baisse de 110 millions d'euros par rapport à 2024, du fait de facteurs externes comme la fermeture d'opérations de maintien de la paix, la diminution programmée de notre contribution à la Facilité européenne pour la paix (FEP) et la diminution de notre quote-part au budget des Nations unies. S'agissant des sommets internationaux qui se tiendront en 2025, 25 millions d'euros de crédits exceptionnels permettront d'organiser deux grands sommets, celui sur l'intelligence artificielle en février et celui sur les océans, en juin, à Nice.
Les moyens dévolus à la poursuite de la mise en oeuvre de l'agenda de transformation voient leur ambition réduite, mais préservée. Nous maintenons le budget de la direction du numérique pour continuer à accompagner les évolutions des métiers de la diplomatie et mettre en oeuvre des technologies innovantes telles que l'intelligence artificielle.
Nous renforçons les crédits consacrés à la sécurité de nos emprises diplomatiques et consulaires pour assurer la protection de nos agents.
Nous allouons aussi des moyens pour mettre en place l'Académie diplomatique et consulaire.
Nous avons ainsi priorisé les projets numériques, les projets de sécurité et les ressources humaines.
Les crédits du programme 151 « Français à l'étranger et affaires consulaires » connaissent une baisse de 5 % par rapport à la loi de finances initiale pour 2024, pour s'établir à 156,9 millions d'euros.
Je ne souhaitais pas renoncer aux travaux de modernisation de l'administration consulaire. Les moyens sont ici préservés. L'attente de nos concitoyens est très forte, les sénateurs représentant les Français établis hors de France le savent. Ainsi, la finalisation du registre d'état civil électronique est prévue. En outre, nos services travaillent au développement d'une nouvelle solution de vote par internet, plébiscitée par les électeurs lors des élections législatives. Est également prévue la mise en oeuvre du service France Consulaire de réponse téléphonique aux ressortissants français de l'étranger. Ce service, dont le périmètre s'était élargi à soixante pays cette année, achèvera son déploiement en vue de la couverture mondiale à l'horizon fin 2025.
S'agissant des autres dépenses du programme 151, l'enveloppe pilotée par l'Agence pour l'enseignement français à l'étranger (AEFE) s'établit à 111,5 millions d'euros. Ces aides continueront de permettre à nombre d'élèves à travers le monde d'accéder à nos lycées, outil fondamental de notre politique d'influence.
Afin de protéger les plus fragiles, les crédits consacrés à l'action sociale de nos postes consulaires s'élèvent à près de 20 millions d'euros, dont 15,2 millions d'euros en aides directes.
Les crédits du programme 185 « Diplomatie culturelle et d'influence » s'établissent en 2025 à 676 millions d'euros. Une grande partie du programme est constituée de la dotation à l'AEFE. Ces crédits représentent une baisse de 6,3 % par rapport à la loi de finances initiale pour 2024, soit un retour à son niveau de 2023.
Nous continuerons néanmoins la mise en oeuvre de notre feuille de route en matière d'influence en priorisant l'Europe, l'Afrique et l'Indo-Pacifique. Plusieurs actions oeuvreront au rayonnement de la France à l'international, grâce aux bourses de mobilité étudiante - 70 millions d'euros y sont consacrés - et aux établissements à autonomie financière (EAF), dont la dotation de fonctionnement est préservée à hauteur de 45,7 millions d'euros.
L'ensemble des opérateurs devront cependant être mis à contribution par une diminution de leur dotation, pour absorber les économies demandées.
J'en viens au programme 209 « Solidarité à l'égard des pays en développement », très directement impacté par les coupes budgétaires.
L'aide publique au développement est portée par le programme 209, ainsi que par le programme 110 « Aide économique et financière au développement », dont la responsabilité incombe au ministère de l'économie et des finances. Le programme 209 inclut les dons, le programme 110 les prêts, les dotations ou autres moyens octroyés aux banques multilatérales de financement. Les moyens de la mission « Aide publique au développement » ont doublé entre 2017 et 2024. Nous partions de loin, et nous avions prévu d'aller encore plus loin, jusqu'en 2027.
Ces moyens connaîtront en 2025 une baisse de 1,4 milliard d'euros par rapport à la loi de finances initiale pour 2024. Cela confirme les économies demandées en 2024 et en acte de nouvelles. Le programme 209, consacré à la solidarité avec les pays en développement, est le principal mis à contribution, à ce stade, dans ce PLF pour 2025. Cela représente 857 millions d'euros de baisse par rapport à la loi de finances initiale pour 2024, ce qui le ramène globalement à son niveau de 2021, avec 2,4 milliards de crédits de paiement. Nous devrons ainsi prioriser nos engagements tout en cherchant à préserver notre capacité à intervenir rapidement, gage de crédibilité politique.
C'est une équation exigeante, mais nous réussirons. Je souhaite pouvoir vous associer, mesdames, messieurs les sénateurs, à cette réflexion sur la priorisation.
Notre capacité à apporter des réponses d'urgence en cas de crise humanitaire grave s'élèvera à 500 millions d'euros en 2025, alors que 900 millions d'euros étaient prévus en 2024. Nous espérons le maintien de cette réserve pour crise majeure lors des débats parlementaires.
Si nos ambitions sont revues à la baisse en matière bilatérale, les ambassades pourront encore lancer des projets via le fonds Équipe France, outil qui a fait la preuve de son efficacité.
Les crédits délégués à l'AFD, qui constituent le bloc le plus important au sein du programme 209, seront nécessairement impactés par les réductions budgétaires. Il faudra préciser dans la programmation de l'agence, sur le plan géographique comme thématique, ses priorités.
En matière multilatérale, nous devons prioriser. Ces moyens nous permettent de nourrir nos partenariats avec les agences des Nations unies, vecteurs d'influence française importants ; cependant, il faudra faire des choix.
Le programme 110 « Aide économique et financière au développement » mis en oeuvre par le ministère de l'économie et des finances devrait connaître une baisse de 617 millions d'euros en crédits de paiement par rapport à la loi de finances initiale pour 2024 ; les crédits s'élevant à 1,7 milliard d'euros, la hausse reste de 78 % par rapport à 2017.
Les autorisations d'engagement du programme sont préservées, afin notamment de faire face à la reconstitution de l'Association internationale de développement et de contribuer au fonds de la Banque mondiale dédié aux pays les plus pauvres.
J'essaierai de vous présenter la copie budgétaire la plus transparente possible. J'assume un certain nombre de choix budgétaires dictés par l'exigence fixée par le Premier ministre, mais je souhaite qu'un certain nombre de décisions soient prises après consultation des parlementaires, notamment des rapporteurs pour avis et des rapporteurs spéciaux.
Mme Valérie Boyer, rapporteur pour avis du programme 105 « Action de la France en Europe et dans le monde ». - Selon une étude publiée en février par le Lowy Institute, la France a perdu deux places dans le classement des plus grands réseaux diplomatiques, tombant en cinquième position derrière la Chine, les États-Unis, la Turquie et le Japon.
Sans doute peut-on rectifier la méthodologie de ce genre d'études, qui classe les pays selon leur nombre d'ambassades, en ajoutant les postes à présence diplomatique. Il n'en reste pas moins que le réseau français est rapidement concurrencé, notamment par la Turquie et l'Inde. Ankara a ouvert 24 postes à l'étranger entre 2017 et 2023, soit plus que n'importe quel autre pays. L'Inde, qui dispose d'un réseau diplomatique limité au regard de sa puissance économique et démographique, a dépassé l'année dernière la moyenne des pays du G20 avec 194 postes, soit 21 de plus qu'en 2016. Les trois quarts des nouveaux postes diplomatiques indiens depuis 2021 se trouvent en Afrique. Le continent est également ciblé par la Turquie, qui y a ouvert 40 ambassades depuis 2005.
Il existe un débat classique entre les partisans du maintien par la France de son rang et les partisans de l'ajustement de son réseau à ses moyens réels. Faut-il se résoudre à ce que l'état de nos finances publiques tranche pour les seconds ?
Dans le cadre des missions que le Sénat m'a confiées, j'observe combien certains réseaux diplomatiques sont dynamiques et intrusifs lors de leurs interventions au sein de différentes enceintes. Je pense notamment à l'Assemblée parlementaire de l'Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE), où la Turquie et l'Azerbaïdjan ne cessent d'y saper nos positions.
M. Jean-Baptiste Lemoyne, rapporteur pour avis du programme 105 « Action de la France en Europe et dans le monde ». - Je constate la volonté du ministère de poursuivre son réarmement en matière de ressources humaines. Deux ambassades et un consulat vont ouvrir, ce qui est indispensable dans le contexte d'hyperconcurrence que nous connaissons.
Où seront affectés les 75 nouveaux ETP ? Il faut sans doute poursuivre la dynamique enclenchée au sein de la direction du numérique et de la nouvelle direction de lutte contre les influences et les infox.
Concernant notre empreinte en Afrique, le rôle de la direction de la coopération de sécurité et de défense (DCSD) ne peut qu'être réévalué. Qu'en est-il de l'extension du modèle de nos écoles nationales à vocation régionale (ENVR) à de nouvelles thématiques et à de nouvelles zones géographiques ?
M. Jean-Noël Barrot, ministre. - Merci madame Boyer, c'est une bonne manière de poser la question et c'est le bon moment pour la poser, car l'équation budgétaire est plus contraignante que précédemment. Je ne connais pas l'étude que vous citez, mais nous ne pouvons nous contenter de comparer le nombre de postes diplomatiques ; il faut aussi tenir compte des représentations permanentes et du nombre d'ambassadeurs auprès des institutions internationales. Il faut aussi s'interroger sur notre action en administration centrale, notamment dans le champ numérique. Cela étant dit, j'ai décidé de confier au Centre d'analyse, de prévision et de stratégie (Caps) une sorte de parangonnage des réseaux diplomatiques les plus performants. Ainsi, nous pourrons faire des choix de priorisation plus rapidement, en tirant les leçons des expériences réussies chez nos rivaux.
Monsieur Lemoyne, deux tiers des 75 ETP viendront alimenter le réseau à l'étranger. L'exercice annuel de programmation des effectifs permettra la mise en oeuvre de ce schéma d'emploi positif, notamment au bénéfice des priorités qui ont été fixées au ministère dans le cadre de son agenda de transformation : communication stratégique et diplomatie numérique dans le réseau, renforcement des postes de présence diplomatique - car sur les 170 postes diplomatiques que nous avons, 25 ont moins de 6 ETP -, et renforcement de nos capacités d'analyse politique et embauche d'experts en cybersécurité en administration centrale.
Je vous remercie d'avoir cité l'action de la DCSD, modeste numériquement mais qui produit des résultats considérables. Les ENVR - une vingtaine - sont très appréciées par nos partenaires, notamment en Afrique. En Afrique subsaharienne, l'objectif pour 2025 est l'endiguement de la menace terroriste, la lutte contre la piraterie et la poursuite du développement des partenariats. En Afrique du Nord et au Moyen-Orient, nous allons oeuvrer au renforcement des capacités régaliennes des États, à la lutte contre l'immigration régulière et contre le terrorisme, à la protection civile, au déminage et à l'approbation de l'enseignement du français. En Indo-Pacifique, la direction densifiera son réseau d'experts et développera deux écoles de sécurité maritime, à La Réunion et au Sri Lanka. Dans les Balkans occidentaux, en Europe continentale, la direction devrait achever le projet de Centre de développement de capacités cyber dans les Balkans occidentaux (C3BO) au Monténégro, projet que nous avons porté en lien avec la Slovénie. En Amérique latine et dans les Caraïbes, la direction poursuivra son action au profit de la police haïtienne et continuera à mettre l'accent sur la lutte contre le trafic de stupéfiants et les enjeux de sécurité civile.
M. Ronan Le Gleut, rapporteur pour avis du programme 151 « Français à l'étranger et affaires consulaires ». - Lors de l'examen du PLF 2024, mon corapporteur Guillaume Gontard et moi-même avions déposé un amendement pour abonder l'aide de l'État à la Caisse des Français de l'étranger (CFE) au titre de la catégorie dite « aidée », amendement soutenu par Jean-Baptiste Lemoyne. La CFE doit en effet assumer le coût de plus en plus lourd du tarif réduit dont bénéficient les assurés les moins favorisés pour leur protection sociale. Cet amendement, au coût très modeste de 380 000 euros, avait été adopté par le Sénat, avec une sagesse du Gouvernement, qui a pourtant choisi de ne pas le retenir dans le budget ensuite adopté selon la procédure de l'article 49.3. Pourquoi refuser cette compensation, pourtant promise initialement par l'État à la CFE ? Comment comptez-vous, à l'avenir, aider la CFE à faire face à cette charge croissante ?
Par ailleurs, à compter du PLF pour 2025, les crédits et effectifs du programme 151, comme ceux du programme 185, sont regroupés sur le programme 105. Quelle est la clef de répartition pour le programme 151 ?
M. Guillaume Gontard, rapporteur pour avis du programme 151 « Français à l'étranger et affaires consulaires ». - Ma première question porte sur le délai de carence au retour en France. Plusieurs droits sociaux ne sont reconnus qu'aux personnes pouvant justifier d'une résidence stable et régulière en France, condition qui nécessite de pouvoir prouver une présence d'au moins trois mois sur le territoire. Au retour en France, des Françaises et Français sont ainsi privés de leurs droits, en particulier de la couverture par l'assurance maladie. Quel est le nombre de citoyens concernés ? Certains retours en France, par exemple en tant que proche aidant ou pour une formation ou une activité bénévole, ne justifieraient-ils pas une ouverture immédiate des droits ? Par un amendement d'appel, le Sénat a souhaité réduire, voire supprimer ce délai de carence lors de l'examen du précédent PLFSS.
Issu d'un engagement présidentiel, le Pass éducation langue française, ou Pass enfant langue française, comme il est désormais désigné dans les documents officiels, a pour objectif de conserver le lien des Français établis à l'étranger avec notre langue. Destiné aux enfants de 6 à 11 ans, il consiste en vingt heures de cours gratuits en ligne. Or les crédits prévus dans le budget 2024 pour l'expérimentation de ce dispositif n'ont pas été reconduits dans le budget 2025, « dans l'attente d'une évaluation », est-il précisé dans le projet annuel de performance. Ce faisant, ne se prive-t-on pas de la possibilité de reconduire ou de généraliser l'expérimentation à la rentrée 2025 ? Quel est l'avenir de ce programme ?
M. Jean-Noël Barrot, ministre. - Une dotation de 380 000 euros est prévue pour la CFE dans le budget 2025. Cette dotation pourra être ajustée en fin de gestion, en cas de besoin, comme chaque année. Je regarderai attentivement un éventuel amendement s'il est déposé. Je serai toutefois attentif à ce qu'il n'aboutisse pas à sous-budgéter d'autres lignes. Le système actuel de redéploiement en fin de gestion a fait la preuve de son efficacité. S'agissant du niveau de la dotation budgétaire, une mission conjointe de l'inspection générale des affaires sociales (Igas) et de l'inspection générale des finances (IGF) va être lancée sur la gouvernance de la CFE pour mieux évaluer ses besoins. Ses conclusions sont attendues pour décembre 2024.
L'allocation du titre 2 du programme 151 a été basculée dans son intégralité vers le programme 105 : cela peut créer des difficultés de comparaison d'une année sur l'autre, j'en conviens.
J'en viens au délai de carence qui s'applique aux Français de l'étranger pour bénéficier de la sécurité sociale à leur retour en France. Le délai de droit commun est de trois mois au retour en France. Une dispense peut être accordée, sur demande, à titre exceptionnel. Il n'existe en revanche aucun délai de carence pour les adhérents à la Caisse des Français de l'étranger.
Le Pass éducation langue française a bénéficié, à titre expérimental, d'une dotation d'un million d'euros en 2024 sur le programme 151. Ces crédits avaient pour objectif de maintenir et renforcer les compétences en langue française des enfants français vivant à l'étranger, éloignés d'un environnement francophone. Ce dispositif a été expérimenté dans quatorze pays pilotes, moyennant vingt heures de cours de français en ligne pour des enfants âgés de 6 à 11 ans. Cette formation est dispensée par vingt-deux Instituts français et Alliances françaises. Dans l'attente d'une évaluation du dispositif, fixée au deuxième trimestre 2025, il n'est pas prévu de reconduire ces crédits l'année prochaine. Si l'expérimentation démontre l'efficacité du dispositif, ils pourront toutefois être reconduits.
Mme Catherine Dumas, rapporteure pour avis du programme 185 « Diplomatie culturelle et d'influence ». - J'interviendrai en mon nom et en celui de M. Didier Marie. Votre exposé liminaire a apporté quelques réponses concernant le programme 185. Cependant, je souhaite insister sur le fait que la baisse significative, de l'ordre de 45 millions d'euros, des crédits de ce programme suscite beaucoup d'inquiétudes. Comment concilier cette diminution avec les objectifs affichés par le Président de la République à plusieurs reprises, notamment dans son discours de Villers-Cotterêts, pour soutenir l'enseignement du français et, de manière générale, avec une ambition forte en matière de francophonie ?
Didier Marie souhaite pour sa part vous interroger sur la subvention pour charges de service public versée à l'AEFE, qui devrait diminuer de 14 millions d'euros. Le projet annuel de performance indique que cette baisse sera portée à hauteur de 10 millions d'euros par la fin de l'aide exceptionnelle au Liban accordée jusqu'en 2024. La grave crise que traverse ce pays ne nécessite-t-elle pas, au contraire, un soutien accru ?
En outre, comment concilier cette diminution avec l'objectif présidentiel du Cap 2030 qui prévoit un doublement des effectifs scolarisés dans le réseau d'enseignement français à l'étranger ?
Enfin, qu'en est-il de l'ouverture de l'ambassade de France au Guyana ?
M. Jean-Noël Barrot, ministre. - Dans le PLF 2025, la subvention à l'AEFE, qui représente environ deux tiers des crédits du programme 185, est en légère baisse. La priorité a été accordée aux bourses de mobilité pour les étudiants étrangers en France, dans la poursuite de l'effort de renforcement de notre attractivité de ces dernières années. Les crédits consacrés à ces bourses ne sont donc pas affectés par la diminution prévue. L'Institut français et Campus France ont été sollicités.
La subvention pour charges de service public de l'AEFE s'élevait à 445,5 millions d'euros après application du décret d'annulation de février 2024, qui avait gelé 3,1 millions d'euros. Dans le PLF 2025, une subvention de 440,8 millions d'euros est prévue, soit une baisse de 14 millions d'euros par rapport à la loi de finances initiale pour 2024. Nous considérons que cette baisse peut être absorbée par l'AEFE, notamment du fait d'un coût inférieur à la prévision initiale de la réforme du statut de ses personnels détachés, dont l'État finance 50 % du coût réel. Le niveau de trésorerie de l'Agence demeure cependant un enjeu majeur et conditionne sa capacité à réaliser des investissements pour ses établissements en gestion directe. Par ailleurs, l'AEFE est confrontée à des besoins croissants liés au développement du réseau - suivi administratif des différents dossiers, etc. - et à la multiplication des crises. Le ministère reste particulièrement mobilisé pour concilier les objectifs de croissance fixés à l'Agence et le contexte de redressement des finances publiques.
Je prends toutefois bonne note de votre remarque, qui consiste à nous alerter sur le fait que la crise actuelle au Liban pourrait augmenter les coûts auxquels l'AEFE doit faire face. À ce stade, nous n'avons pas identifié de difficulté particulière, mais nous serons vigilants.
Enfin, l'objectif est d'ouvrir l'ambassade de France au Guyana au premier trimestre 2025.
M. Christian Cambon, rapporteur pour avis du programme 209 « Solidarité à l'égard des pays en développement ». - M. Patrice Joly et moi avons le malheur d'être rapporteurs pour avis sur les crédits concernés par les plus importants efforts de contraction budgétaire de votre ministère. Nous le regrettons d'autant plus que la commission des affaires étrangères et de la défense a beaucoup oeuvré pour améliorer l'aide au développement ces dernières années. Nous comprenons cependant les justifications profondes de cette décision. Face au dérèglement des finances du pays, des mesures sont nécessaires. Le problème n'en demeure pas moins réel et nous entendrons certainement de sérieuses récriminations de la part des ONG que nous commencerons à recevoir dès demain dans le cadre de la préparation de l'examen du budget.
À partir du moment où l'on contracte sévèrement les crédits, il convient d'affirmer précisément les priorités d'action, pour les utiliser au mieux.
L'AFD s'appuyait jusqu'à présent sur 13 milliards d'euros de crédits, ce qui est considérable. Il faudrait orienter prioritairement ces crédits vers les trois objets essentiels de l'aide : l'alimentation, la formation et la santé. En effet, une bonne part des drames de l'immigration sont liés au fait que de nombreuses populations ne trouvent plus dans leur pays les moyens de survivre et les fuient donc, dans les conditions effroyables que nous connaissons.
On nous a souvent parlé de priorités relatives à la sauvegarde de l'environnement et à la gouvernance. Mais on peut aider les gens à se nourrir, à se former et à se soigner dans une bonne gouvernance et en respectant l'environnement. Cela me semble d'autant plus important qu'une bonne part des crédits qui seront comprimés concernent des aides-projets, c'est-à-dire à des dons visant à aider des pays dans le besoin.
Ma deuxième observation vise l'application du vieux principe selon lequel la confiance n'exclut pas le contrôle. J'insiste une nouvelle fois sur la nécessité de mettre en place la commission d'évaluation de l'aide publique au développement. Je rappelle qu'elle a été instituée par une loi promulguée par le Président de la République le 4 août 2021. Nous sommes en octobre 2025, et le décret d'application se fait toujours attendre. Comme nous l'avons rappelé à chaque discussion budgétaire, une telle commission d'évaluation est d'autant plus nécessaire pour les parlementaires qu'elle permettra d'apprécier les politiques d'aide au développement au moment où les crédits se contractent.
J'insiste par ailleurs sur la nécessaire vigilance que nous devons avoir à l'égard de l'AFD. Sans remettre en cause les qualités des hommes et femmes qui la dirigent, cette agence requiert un pilotage politique, pour que ses priorités soient nettement affirmées et que l'on ne retrouve pas, comme cela s'est produit il y a quelques années, un bleu budgétaire faisant de la Chine et de la Turquie les deux pays les plus soutenus par l'aide au développement française. Il y avait là un manque de lisibilité regrettable. Nous devons nous manifester auprès des pays en grande difficulté.
Il faudra également regarder de près les grands fonds multilatéraux vers lesquels des sommes considérables, chiffrées à des centaines de millions d'euros, sont dirigées. À titre d'exemple, le Fonds mondial de lutte contre le sida, la tuberculose et le paludisme, qui est un fonds à l'approche très verticale, très difficile à manier, perçoit des sommes très importantes. Or celles-ci sont décaissées très lentement, alors même que la pandémie du sida est en régression, ce dont nous nous félicitons. Au vu des autres pandémies qui se développent dans le monde - je pense notamment au mpox - et des drames sanitaires qui en résultent, il faudrait que la France use de son pouvoir, y compris au sein des Nations unies, pour orienter les grands fonds vers ces priorités essentielles.
Afficher nos priorités, développer nos contrôles, veiller à ce que l'AFD travaille plus en direct avec le Parlement, comme nous l'avons toujours souhaité et comme nous l'avons rappelé d'ailleurs régulièrement à son directeur général : tout cela devrait vous permettre, monsieur le ministre, de surmonter les difficultés budgétaires qui sont les nôtres. Nous tâcherons de vous accompagner dans cette voie.
M. Patrice Joly, rapporteur pour avis du programme 209 « Solidarité à l'égard des pays en développement ». - Monsieur le ministre, vos propos liminaires faisaient apparaître une véritable ambition pour votre ministère, ainsi qu'une forme d'exaltation à l'égard des actions à mener. La part qu'il prend dans la réduction des dépenses publiques constitue néanmoins une véritable douche froide, en particulier pour ce qui concerne les crédits consacrés à la solidarité à l'égard des pays en développement et à l'aide humanitaire. À cela s'ajoutent les 2 milliards d'euros d'économies prévus sur le programme 110 « Aide économique et financière au développement ».
Or la pauvreté s'accroît, la malnutrition est un problème majeur et la santé comme l'éducation sont plus que jamais des enjeux essentiels. Cela soulève la question de l'interdépendance à l'échelle mondiale. Des efforts sont à mener dans plusieurs domaines : l'alimentation, la biodiversité, la gestion de l'eau, la lutte contre le réchauffement climatique ou encore la gestion des flux migratoires.
Au regard des engagements pris par la France ces dernières années, quelle image donne-t-on, quels symboles envoie-t-on au monde, particulièrement à l'Afrique où notre pays est malmené et parfois désigné comme bouc émissaire ?
Dans ce contexte, des réductions de crédits aussi importantes sont-elles bien raisonnables ? Je ne le pense pas. Si la France veut tenir son rôle et prendre sa part dans les actions à mener à l'échelle internationale, cela ne semble pas pertinent.
Il faut effectivement que la commission d'évaluation de l'aide publique au développement soit mise en oeuvre. On nous a dit que c'était l'affaire de quelques semaines, voire de quelques jours.
Par ailleurs, la taxe sur les transactions financières est l'un des rares prélèvements fiscaux à être effectué par une société privée, Euroclear. Or la Cour des comptes a constaté au cours d'un contrôle que le niveau de recouvrement de cette taxe était très en deçà de son potentiel réel, qui s'élève à plus du double. Cette situation tient à un manque de transparence, voire à certaines stratégies d'évasion et de fraude fiscales. Des solutions à ce problème pourraient être recherchées par la direction générale des finances publiques (DGFiP), en prévision des PLF 2026 et 2027.
M. Jean-Noël Barrot, ministre. - Je ne peux que vous rejoindre sur les priorités que vous avez citées. Dans un contexte budgétaire compliqué, il faut privilégier la lutte contre la grande pauvreté, l'aide alimentaire, l'aide à la formation et l'aide à la santé plutôt que des activités de soutien à des pays déjà avancés, qui se matérialisent souvent par des prêts. Ces derniers concernent essentiellement le programme 110. Le programme 209 doit être tourné pour sa part vers la lutte contre la grande pauvreté et la réponse aux crises humanitaires.
Lorsque j'ai brièvement exercé les fonctions de président de la commission des affaires étrangères de l'Assemblée nationale, j'ai appelé l'attention du Premier ministre sur la nécessité de publier rapidement le décret d'application relatif à la mise en oeuvre de la commission d'évaluation de l'aide publique au développement. J'ai l'honneur et la joie de vous présenter enfin ce décret, que je m'apprête à signer ! Vous pouvez compter sur moi pour le faire aboutir au plus vite.
Il nous faut conduire un travail de rationalisation et de hiérarchisation des priorités. Je constate que la prérogative de contrôle du Parlement, telle qu'elle est définie à l'article 24 de la Constitution, est souvent redoutée par l'exécutif, alors qu'il devrait s'appuyer sur ce travail d'évaluation pour solliciter de la part des administrations dont il a la charge les efforts qui s'imposent.
Monsieur Joly, est-il bien raisonnable de creuser dans les ressources d'un ministère tel que celui-ci ? Vous avez raison : les préoccupations des Français en matière d'immigration, de sécurité, de pouvoir d'achat ou d'emploi sont toutes liées à son périmètre d'action.
La question de l'immigration, abordée régulièrement dans les médias, se joue en partie au Liban. Si nous ne parvenons pas à trouver la voie du cessez-le-feu par une résolution diplomatique garantissant la sécurité du nord d'Israël et la souveraineté du Liban, nous revivrons ce que nous avons vécu en 2015, soit des vagues importantes de demandeurs d'asile qui viendront chercher refuge en Europe pour fuir la guerre et la persécution. Nous retrouverons la situation de vertige de l'époque, quand l'Europe s'est trouvée totalement démunie et désemparée face à un phénomène qu'elle n'avait pas anticipé.
Notre mission, la vôtre comme la mienne, est de toujours rappeler à nos concitoyens que, lorsque nous voyageons, lorsque nous échangeons avec des dirigeants politiques étrangers, nous le faisons au service des Français. La diplomatie, parlementaire ou gouvernementale, est au service des Français et touche à leurs préoccupations premières.
Lorsque d'importants efforts budgétaires seront nécessaires, la question du lien entre l'activité diplomatique et la résolution de ces problèmes très concrets sera peut-être davantage soulevée.
Le niveau et les modalités de la taxe sur les transactions financières ne relèvent pas du périmètre du ministère de l'Europe et des affaires étrangères. Je souhaite toutefois que ce débat puisse avoir lieu, à l'Assemblée nationale comme au Sénat.
M. Olivier Cadic. - Le gouvernement britannique devrait bientôt supprimer l'exemption de TVA dont disposent les écoles privées britanniques, ce qui concerne onze écoles françaises au Royaume-Uni. Cette TVA à 20 % aura un impact considérable sur les frais de scolarité. Depuis quelques mois, notre ambassade a engagé des négociations pour obtenir un statut spécifique aux écoles françaises afin de les exempter de TVA. Où ces négociations en sont-elles ? Des mesures de compensation seront-elles prises en cas d'échec ?
Par ailleurs, en Tunisie, le taux de base et le Smic sont inférieurs à ceux qui sont pratiqués en Algérie. Pourtant, le salaire versé aux agents du consulat général de France à Tunis est paradoxalement supérieur à celui des agents affectés à Annaba, Alger ou Oran. Le ministère est-il prêt à corriger cette incohérence ?
L'exercice budgétaire fait souvent apparaître le ministère des affaires étrangères comme une simple structure de coûts, à maîtriser et à réduire. On oublie totalement les ressources engrangées grâce à ses ETP. Ainsi, un agent du service des visas produit des revenus quatre fois supérieurs à son coût. Chacun de ces agents fait gagner de l'argent à la France. À titre d'exemple, plus de 12 millions d'euros de revenus ont été obtenus en droits de chancellerie et visas à Londres en 2024, soit une hausse de près de 50 % par rapport à 2019. Les consulats ne doivent pas être vus comme des structures de coûts, mais comme des structures de profits, qu'il convient de développer et dont nos finances publiques ont bien besoin.
Les 75 créations de postes prévues dans le plan pluriannuel seront-elles bien effectuées ? Une rumeur m'est parvenue, selon laquelle elles seraient susceptibles d'être annulées.
L'objectif du Pass éducation langue française est d'apprendre le français aux enfants français qui ne parlent pas notre langue. La moitié des enfants français vivant aux États-Unis sont dans cette situation, tout comme deux tiers des enfants français nés en Amérique latine et 80 % de ceux qui vivent en Algérie et en Israël. Le consul de France à São Paulo a dit qu'il ne voyait plus d'enfants français parlant notre langue. Ce Pass était un engagement du Président de la République et il était destiné aux 80 % d'enfants français qui ne se trouvent pas dans le réseau de l'AEFE. Or le million d'euros mobilisé pour ce dispositif n'a pas été utilisé selon la commande politique de 2024, comme j'ai pu le constater en travaillant avec Olivier Becht sur cette question.
Chaque année, nous versons sans sourciller 440 millions d'euros à l'AEFE, dont une bonne partie subventionne une minorité d'écoles du réseau. Cela bénéficie à plus de 50 % d'étrangers et ne concerne que 20 % d'enfants français. En outre, seuls 4 % d'enfants français bénéficient des plus de 115 millions d'euros mobilisés pour les bourses.
Rien ne sera donc prévu dans le budget 2025 pour 80 % des enfants français vivant à l'étranger. Je veux vous convaincre, monsieur le ministre, de rééquilibrer le budget pour donner à notre pays une chance d'apprendre sa langue à ses enfants.
Mme Hélène Conway-Mouret. - Je compatis, monsieur le ministre. Il n'est jamais agréable de ne pas avoir les moyens de ses ambitions, d'autant que les nôtres sont, comme nos réseaux, universelles. Les annonces de l'année dernière avaient suscité de grands espoirs. Or, après le réarmement, nous avons l'impression d'assister à une forme de désarmement. Il est essentiel de dégager des priorités pour limiter l'impact négatif des suppressions de crédits annoncées. Un déploiement des deux tiers des effectifs dans le réseau consulaire serait ainsi bienvenu, car les besoins sont criants.
La conservation des crédits liés à la dématérialisation et à la modernisation est à saluer. En revanche, les crédits liés aux bourses scolaires et aux aides sociales sont en baisse, notamment ceux qui sont tournés vers les plus vulnérables, comme les organismes locaux d'entraide et de solidarité (Oles). Les aides destinées aux centres médico-sociaux diminuent en outre de 30 %.
Il est urgent d'aider la CFE à surmonter ses difficultés financières. Il y va de la santé des Français.
Par ailleurs, le budget de la francophonie est en baisse de 45 millions d'euros. Cette diminution affecte à la fois les Instituts français, les Alliances françaises et la formation. L'enveloppe des bourses doit être maintenue pour tenir compte de l'inflation, ainsi que de l'augmentation des frais de scolarité. J'attire votre attention sur le fait que le nombre d'élèves boursiers a diminué de 4 000 cette année.
Enfin, où en sont les négociations avec votre homologue thaïlandais sur la double imposition des Français de l'étranger en Thaïlande ?
M. Jean-Noël Barrot, ministre. - Les négociations relatives à l'application de la TVA sur les écoles françaises au Royaume-Uni sont toujours en cours. J'ai évoqué la question dans mes fonctions précédentes avec mon homologue. La décision d'appliquer la TVA sur les écoles privées découle de la volonté du gouvernement travailliste d'équilibrer son budget. Nous avions proposé des critères pour ne pas pénaliser nos établissements. Je n'ai pas les dernières informations à ce sujet, mais notre ambassadrice sur place suit ce dossier de près.
Dans la fixation de nos cadres salariaux, nous ne sommes pas guidés par le niveau du salaire minimum légal, dont la finalité et les modalités de calcul varient d'un pays à l'autre, mais par les niveaux des salaires effectivement pratiqués, notamment par les autres ambassades. Notre poste à Alger constate un décrochage de nos grilles salariales et en proposera la revalorisation au titre de 2025. J'étudierai attentivement cette demande qui, si elle est acceptée, sera financée par l'enveloppe pour mesures catégorielles figurant dans le budget 2025.
Si vous avez entendu une rumeur concernant les 75 ETP du ministère, je vous remercie d'en rechercher la source et de me la signaler ! Nous nous sommes battus pour les obtenir. Je souhaite qu'ils soient, au minimum, préservés. Comme je vous l'ai dit, un engagement avait été pris pour 150 ETP, afin de tenir la promesse des états généraux de la diplomatie.
Je m'engage par ailleurs à étudier le sujet du Pass éducation langue française avec attention, pour voir s'il est possible d'avancer sans attendre l'évaluation de l'expérimentation, même s'il est toujours préférable d'attendre qu'un bilan soit effectué avant d'étendre les modalités d'une expérimentation ou de la pérenniser.
Les aides à la scolarité diminuent effectivement, de 6 millions d'euros. Les moyens prévus devraient néanmoins suffire pour assurer l'accompagnement des familles. Le budget comporte en effet une enveloppe de 111,5 millions d'euros pour les bourses scolaires ainsi qu'une dotation portée à 2 millions d'euros pour l'accompagnement scolaire des élèves en situation de handicap. Les crédits consacrés aux affaires sociales s'élèveront en outre à 20 millions d'euros. Malgré une baisse de 1,6 million d'euros par rapport à 2024, l'enveloppe budgétaire restera donc à un niveau substantiel par rapport à la période antérieure à la crise du covid-19. Ce niveau est en effet supérieur de 2 millions d'euros à celui de l'enveloppe budgétaire de 2019. De plus, 15,2 millions d'euros seront alloués aux aides sociales directes.
Après une année faste pour la francophonie et la réussite du Sommet de la Francophonie, à Paris et à Villers-Cotterêts, les crédits consacrés à la francophonie diminuent. Cependant, malgré cette baisse de crédits, la France maintient sa capacité d'action au sein de la francophonie institutionnelle en qualité de premier bailleur de l'Organisation internationale de la francophonie (OIF).
Ce Sommet a été un succès diplomatique. Nous avons pu constater en effet que l'OIF demeurait attractive. Des demandes de réintégration ont été reçues, ainsi que des demandes de promotion, si je puis dire, dans l'ordre de la francophonie. Il a été également un succès populaire. Tous les mouvements d'entrepreneurs de la francophonie se sont en effet retrouvés dans un même lieu à l'occasion du salon FrancoTech, qui s'est tenu à la station F et a été unanimement salué comme une réussite.
Enfin, concernant la double imposition des Français vivant en Thaïlande, les services compétents ont été saisis de la question, notamment la direction de la législation fiscale (DLF). L'ambassade de France dialogue avec les autorités thaïlandaises avec l'appui de la direction des Français à l'étranger et de l'administration consulaire (DFAE). Une réunion d'information avait été organisée pour nos ressortissants au premier semestre 2024.
M. Cédric Perrin, président. - Nous en venons, après les questions budgétaires, à l'examen de la situation internationale, rendue difficile par la gravité et la multiplicité des crises.
Monsieur le Ministre, nous étions ensemble le week-end dernier en Ukraine, où vous avez réaffirmé le soutien de la France au peuple ukrainien. Les moments que nous avons passés auprès des héros de la résistance ukrainienne, près de la ligne de front, resteront parmi les plus marquants de ma vie d'élu. La France s'honore de poursuivre les efforts consentis depuis trente-deux mois. Dernièrement, elle a notamment communiqué sur la formation de la brigade Anne de Kyiv, destiné à appuyer la résistance ukrainienne sur le front.
Les forces armées russes ont cependant pris l'initiative depuis plusieurs mois et les déclarations en faveur de l'ouverture de négociations se multiplient. Le 16 octobre dernier, au moment où le président Zelensky présentait son plan pour la victoire aux députés ukrainiens, le chancelier allemand déclarait au Bundestag qu'il fallait « tout faire » pour « trouver un moyen d'empêcher cette guerre de continuer » et qu'il était prêt à discuter avec le président russe. Quelle est, monsieur le ministre, la position de la France sur chacun des points du « plan pour la victoire » ukrainien, notamment l'entrée de l'Ukraine dans l'Organisation du traité de l'Atlantique Nord (Otan) et la poursuite du soutien financier et militaire ? Ce soutien peut-il selon vous se combiner avec de nouveaux efforts diplomatiques ?
Je viens de lire dans la presse l'annonce par les Américains de la détention d'éléments de preuve concernant l'arrivée de soldats nord-coréens en Russie, ce qui est loin de nous rassurer.
Au Proche-Orient et Moyen-Orient, la guerre s'est désormais installée et semble se régionaliser, frappant durement le Liban depuis plus d'un mois, avec le risque d'une escalade en Iran. À la sidération du 7 octobre a succédé une impuissance totale de la communauté internationale face à une guerre qui se prolonge et qui s'étend, et où les violations du droit international humanitaire se banalisent. Monsieur le ministre, vous avez rappelé, lors de votre nomination, votre attachement au respect du droit international : comment comptez-vous le promouvoir auprès des parties prenantes du conflit en cours ?
Certains propos récents du Président de la République sur l'arrêt de la livraison d'armes à Israël ou sur les origines de l'État israélien ont par ailleurs suscité des incompréhensions et des critiques, notamment du président du Sénat. Comment la France peut-elle retrouver une parole utile et crédible au Proche-Orient ? Comment aller vers l'arrêt des combats au Liban et à Gaza, conditions préalables à un processus de paix ?
Le rôle des États-Unis reste déterminant dans la dynamique de ces deux conflits. Vous nous présenterez peut-être vos réflexions sur les conséquences que pourrait avoir à cet égard l'élection de début novembre aux Etats-Unis.
Nous aimerions vous entendre ensuite sur la politique de la France sur le continent africain. Une partie des dirigeants africains francophones ne se sont pas rendus au dernier Sommet de la Francophonie - ni le roi du Maroc, ni le président congolais, ni le président sénégalais - et l'on a appris que le prochain sommet Afrique-France se tiendrait en 2026 au Kenya, pays non francophone. C'est une réorientation audacieuse de nos partenariats, qu'il faudrait mieux expliquer. Plus généralement, quels sont nos priorités, nos objectifs, notre stratégie en Afrique ? Quels moyens vous faudra-t-il pour les concrétiser ?
La situation dans la Corne de l'Afrique se dégrade également, puisque nous assistons à une escalade progressive entre l'Éthiopie et la Somalie, dans laquelle la Turquie et l'Égypte sont hautement impliquées. La France a des intérêts dans cette région, notamment par sa présence historique à Djibouti.
Je veux enfin rappeler l'effroyable conflit en République démocratique du Congo (RDC), qui a causé entre cinq et dix millions de morts ces vingt dernières années : quelle est la position de la France sur ce dossier si douloureux ?
Il est difficile de faire ici un tour du monde complet. Peut-être nous direz-vous encore un mot de la situation en mer de Chine, autour de Taïwan bien sûr, où les tensions ne faiblissent pas, mais aussi pour les Philippines sur lesquelles la Chine exerce une pression croissante.
M. Jean-Noël Barrot, ministre. - Monsieur le président, vous l'avez dit, nous rentrons d'Ukraine où nous avons pu constater à quel point la voix de la France y résonne singulièrement. Le combat des Ukrainiens est aussi le nôtre : il s'agit d'un enjeu de sécurité pour nous, Européens, mais aussi d'une question humanitaire - je pense à la situation des enfants ukrainiens blessés, traumatisés, parfois kidnappés ou déportés. Nous sommes aussi les garants d'un ordre international fondé sur le droit qui prémunit l'ensemble des peuples du monde contre la loi du plus fort.
Si l'Ukraine devait tomber, c'est tout l'édifice conçu en 1945 par nos prédécesseurs qui s'effondrerait avec elle. En empêchant la défaite de l'Ukraine par l'aide que nous apportons à ses combattants, ainsi que dans les domaines civil et humanitaire, nous préparons la victoire des principes auxquels nous croyons et nous assurons les conditions de la maîtrise de notre propre destin, qu'il s'agisse du prix de l'énergie et du blé ou du fonctionnement de notre espace numérique.
C'est pourquoi la position de la France est de continuer à soutenir aussi longtemps et intensément que nécessaire la résistance des Ukrainiens face à la guerre d'agression que la Russie mène depuis deux ans et demi.
La voix de la France est également singulière au Proche-Orient.
Le 7 octobre dernier, sur le site du festival Nova, la France était aux côtés des familles et des victimes du pire massacre antisémite depuis la Shoah pour panser les plaies ; elle était aux côtés de la population d'Israël dans son ensemble pour lui dire qu'elle n'oublie ni les plus de mille deux cents victimes, dont quarante-huit Français, ni les otages - tous les otages. Je pense à Erez, Eitan, Sahar et Mia qui ont été libérés dans la joie et les larmes après d'intenses efforts. Je pense à Elia et Orion qui ont été assassinés. Je pense à Ofer et Ohad, pères de famille retenus captifs depuis un an dans la bande de Gaza ; je pense à tous ceux qui partagent leur sort.
Le Président de la République et le Premier ministre ont reçu les familles le jour même. La France n'abandonnera jamais ses compatriotes. Tous les otages doivent être libérés sans condition.
Mais parce qu'elle ne fait pas de distinction entre les victimes civiles, la France se tient aux côtés des Palestiniens de Gaza et de Cisjordanie depuis le premier jour, en appelant à un cessez-le-feu immédiat et en plaidant pour une solution politique permettant aux deux peuples de vivre en paix et en sécurité. Cette solution passera par la création d'un État palestinien, par des reconnaissances collectives et réciproques et par des garanties de sécurité pour Israël.
Au Liban aussi, la France fait entendre sa voix.
Le Hezbollah porte une lourde responsabilité dans la situation que nous connaissons aujourd'hui, en ayant entraîné le pays dans une guerre que le peuple libanais n'avait pas choisie. Déjà des milliers de morts, dont deux de nos compatriotes, déjà des centaines de milliers de déplacés et de nombreux blessés.
Si nous ne faisons rien, le Liban de demain pourrait ressembler à la Syrie d'aujourd'hui, livré au trafic de drogue et au terrorisme, avec des millions de malheureux jetés sur les routes de l'exil.
C'est la raison pour laquelle nous organisons demain, jeudi 24 octobre, une conférence internationale de soutien au peuple et à la souveraineté du Liban pour tracer des perspectives diplomatiques, mobiliser l'aide humanitaire et en garantir l'acheminement, mais également pour accompagner les Libanais dans leur désir de vivre en paix et en sécurité dans un État fonctionnel capable d'assurer leur prospérité.
La voix de la France est singulière en Afrique et elle est confrontée à de nombreux défis : crise économique, inégalités, tensions sociales, conséquences du dérèglement climatique... La France est à l'initiative pour agir aux côtés de ses partenaires africains, y compris dans les situations les plus compliquées.
Au Soudan, où une personne sur deux a besoin d'une aide d'urgence, la France est présente. En six mois, grâce à nos efforts, 90 % des 2 milliards d'euros d'engagements financiers promis lors de la conférence de Paris pour le Soudan du mois d'avril ont été décaissés. Des avancées ont été obtenues en matière d'accès humanitaire, dont la réouverture du couloir d'Adré entre le Tchad et le Darfour. J'ai travaillé, en marge de l'Assemblée générale des Nations unies, avec mes homologues allemand et américain et avec le Haut Représentant de l'Union européenne. Nous ne relâchons pas nos efforts.
Dans la région des Grands Lacs, notre rôle est de tout faire pour obtenir la désescalade et construire la paix. Nous soutenons la médiation que conduit l'Angola entre la République démocratique du Congo et le Rwanda. Il faut être à la hauteur des intérêts de la France et des Français.
Les défis qui sont devant nous, géopolitiques, sécuritaires, économiques, démographiques, trouvent tous une part de leur réponse au sud de la Méditerranée, sur ce continent qui compte plus du quart des États membres des Nations unies et qui comptera en 2050 deux milliards d'habitants. Établir avec les pays africains partout où cela est possible des partenariats refondés sur la base d'intérêts mutuellement reconnus est donc une nécessité, voire un impératif diplomatique.
La voix de la France est aussi singulière en Europe, si singulière qu'il lui arrive d'être isolée, mais l'histoire récente nous a donné raison. En matière de politique industrielle, nous avons su mobiliser l'Europe sur l'agenda de Versailles, convaincre nos partenaires concernant le salaire minimum, la réglementation des géants du numérique ou encore la nécessité d'imposer le principe de réciprocité dans les échanges commerciaux.
Une Europe plus forte, plus souveraine, plus unie, plus indépendante. Voilà ce que la France soutient, aux côtés de l'Allemagne, et je ferai en sorte que notre tandem demeure un moteur. Nous défendrons également cette ambition avec nos amis polonais, en format dit de Weimar, qui a été remis sur les rails par mon prédécesseur, Stéphane Séjourné, notamment pour répondre aux menaces informationnelles.
Je continuerai à appuyer nos efforts pour que l'Europe de la défense prenne forme et se hisse à la hauteur des menaces qui nous guettent.
La voix de la France est singulière, enfin, dans le concert des Nations et à l'Organisation des Nations unies. La France ne se contente pas d'occuper son siège, certes confortable, de membre permanent du Conseil de sécurité, elle assume pleinement sa vocation de garant de l'ordre international fondé sur le droit et la Charte des Nations unies. Voilà notre seule boussole, celle que nous utilisons pour condamner toutes les violations du droit international, en particulier du droit international humanitaire.
Cette responsabilité consiste aussi à adapter les enceintes multilatérales aux enjeux actuels pour consolider leur légitimité, en soutenant l'entrée de l'Inde, du Japon, du Brésil et de l'Allemagne au Conseil de sécurité et en ouvrant celui-ci à une présence africaine.
Il s'agit également d'affronter la menace climatique et environnementale qui touche tout le monde et qui affecte particulièrement l'Europe.
C'est pour cela que nous protégeons les poumons de notre planète, notamment les océans. La France a ainsi joué un rôle déterminant dans la conclusion de l'accord dit BBNJ issu de la Conférence intergouvernementale sur la biodiversité marine des zones ne relevant pas de la juridiction nationale, sur lequel vous aurez, mesdames, messieurs les sénateurs, à vous prononcer dans quelques jours. Elle renforcera encore cette ambition à Nice où elle organisera avec le Costa Rica la troisième conférence des Nations unies sur les océans.
Puis, nous avons la responsabilité de soutenir nos partenaires qui subissent de plein fouet la crise climatique et, souvent en même temps, la crise de la dette. C'est pourquoi la France a accueilli en juin 2023 un sommet pour un nouveau pacte financier mondial, le pacte de Paris pour les peuples et la planète, soutenu à ce jour par soixante-six pays.
Voilà les quelques mots liminaires que je voulais partager avec vous, monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs. Contre tous les vents contraires, contre le surgissement de la violence et de la brutalité dans les relations internationales, la voix de la France ne variera ni ne faiblira.
M. Hugues Saury. - Ma question concerne un petit pays, grand et peuplé comme la région Centre-Val de Loire, mais qui n'est pas central, puisqu'il est aux confins de l'Europe : la Moldavie.
Ce pays a connu, dimanche dernier, une double élection importante : le premier tour de l'élection présidentielle et une consultation sur l'adhésion à l'Europe. La présidente sortante, Maia Sandu, qui est pro-européenne a fait un très bon score : 42,31 % des voix. Les résultats de la consultation sur l'Europe ont certes été favorables à l'adhésion, mais avec une très courte majorité, puisque le score était de 50,43 %.
La réaction de la présidente a été de dire qu'il s'agissait d'une « attaque sans précédent contre la démocratie » et que des groupes criminels agissant de concert avec des forces étrangères hostiles aux intérêts nationaux moldaves ont attaqué le pays à coup de dizaines de millions d'euros de mensonges et de propagande pour piéger la Moldavie dans l'incertitude et l'instabilité.
Monsieur le ministre, quelle est l'attitude de la France par rapport à l'influence, l'ingérence - je ne sais pas comment on doit la qualifier - russe ? Comment la France et l'Europe entendent-elles travailler de concert sur ce sujet ?
Mme Michelle Gréaume. - Monsieur le ministre, la priorité du budget 2024 était la sécurité et la stabilité par la préservation de la paix, le règlement des crises à l'extérieur de nos frontières et la lutte contre le terrorisme.
Force est de constater que le Moyen-Orient s'embrase et que le conflit entre Israël et la Palestine se déploie dorénavant au Liban.
Force est de constater que notre mission de lutte antiterroriste au Sahel, où les gouvernements ont demandé aux troupes françaises de quitter leur territoire, est un échec.
Force est de constater que la guerre en Ukraine ne semble pas trouver de point final.
Je ne me permettrai pas de dire que votre gouvernement n'a pas rempli son rôle en matière de promotion de la sécurité et de la stabilité internationales. Mais il est important de rappeler que l'objectif d'atteindre 0,7 % du revenu national brut en 2025 consacré à la lutte contre les inégalités mondiales, un objectif issu d'une loi de 2021, ne sera pas atteint. Pire, cette trajectoire n'a cessé de s'inverser à partir de 2023, avec une diminution à l'époque de 1,6 milliard d'euros, puis un nouveau coup de rabot en février dernier de 742 millions d'euros. Aujourd'hui, vous nous proposez, dans le projet de loi de finances pour 2025, une coupe de 1,3 milliard d'euros, soit des crédits inférieurs de 23,3 % à ceux de 2024 ! Il faut faire des économies, dites-vous...
Ces différents renoncements représentent près de 21,2 milliards d'euros désinvestis du développement international d'ici à 2030 et je le regrette. Monsieur le ministre, l'APD n'est pas de la charité, elle permet d'atteindre collectivement les objectifs de développement des Nations unies. Une telle réduction empêche la mise en oeuvre effective d'une politique étrangère en faveur de la solidarité et de la mise en place des droits humains.
Les ONG ont appelé à rendre la collecte de la taxe sur les transactions financières plus performante. Pourquoi, monsieur le ministre, celle-ci reste-t-elle plafonnée à 528 millions d'euros, alors même que son objectif initial était de participer à la solidarité internationale ?
Mme Marie-Arlette Carlotti. - Monsieur le ministre, tout à l'heure, nous recevions dans l'hémicycle deux sénatrices congolaises auxquelles nous avons rendu hommage. Du coup, je souhaite vous interroger sur la situation en République démocratique du Congo (RDC) où se joue l'une des crises humanitaires les plus graves et les plus négligées de notre époque.
Le président de notre commission parlait tout à l'heure de millions de morts et de déplacés, des viols de femmes, de filles et d'enfants. Les viols d'enfants ont augmenté de 40 % entre 2022 et 2023. Et nous savons que ce bilan ne cesse de s'alourdir.
Comme tous les pays occidentaux, la France est perçue comme ayant des indignations et des émotions à géométrie variable. Nous n'apparaissons pas très virulents pour condamner les exactions du M23 ou l'exploitation illégale du sous-sol congolais. Je n'ai pas dit que nous ne condamnions pas. Bien sûr, nous condamnons, mais je pense que les relations entre Emmanuel Macron et Paul Kagame sont plus affirmées ; elles sont même assumées, puisque nous avons donné la présidence de l'Organisation internationale de la francophonie au Rwanda.
Vous parliez tout à l'heure de diplomatie parlementaire. Le groupe d'amitié France-Afrique centrale s'est récemment rendu en RDC. L'un des membres de cette délégation est venu nous en parler : il nous a dit combien ils n'avaient pas toujours été bien reçus, ils ont même été, quelquefois, pris à partie - je reprends son expression. Voilà comment porte la voix de la France en RDC !
Alors, monsieur le ministre, quel est votre propre constat sur la situation ? Quelles sont les étapes qui, d'après vous, resteraient à franchir ? Vous avez parlé tout à l'heure de la médiation que mène l'Angola : pouvez-vous nous en parler ? Est-ce que vous êtes prêt à tenir un discours de vérité avec tous - je dis bien, tous - les protagonistes ?
M. Jean-Noël Barrot, ministre. - La Moldavie a effectivement connu, dimanche dernier, le premier tour de l'élection présidentielle et un référendum sur l'adhésion à l'Union européenne. Ce dimanche, une élection, également très importante, a lieu en Géorgie.
D'une certaine manière, ces élections vont façonner une partie du destin de l'Europe pour les années à venir. La Russie mène une guerre sur le champ de bataille en Ukraine et elle mène une guerre sur le terrain électoral en Moldavie et en Géorgie, comme elle l'avait fait en Ukraine, lorsque ce pays avait décidé de se tourner vers l'Union européenne plutôt que de rester sous le joug de la Russie. Quelle attitude adopter ?
Lorsque le président Perrin et moi étions dans le train qui nous ramenait de Kiev, le jour de ces votes en Moldavie, j'ai appelé par anticipation mon homologue, me disant qu'il serait très occupé plus tard dans la soirée. Les premières estimations n'avaient pas encore été diffusées, mais l'importance de la participation pouvait laisser penser à une issue plus favorable que ce qui avait pu être anticipé. Je l'ai félicité pour l'extraordinaire campagne qui avait été menée en faveur de l'adhésion malgré des conditions épouvantables et une importante manipulation de l'opinion - il semble même qu'il y ait eu des achats de voix de la part de la Russie. Cependant, je l'ai senti très prudent au téléphone. Et on s'est effectivement aperçu, durant la soirée, que le surcroît de mobilisation était lié à des manoeuvres russes, certes contrecarrées par la mobilisation du camp pro-européen, que ce soit pour l'élection présidentielle ou pour le référendum.
Il est vrai que Maia Sandu, avec plus de 40 % des voix, a fait un très bon score, mais on aurait pu espérer, il y a quelques mois encore, qu'elle passe dès le premier tour. En outre, le référendum a été gagné à 13 000 voix près... C'est pourquoi il nous faut soutenir autant que nous le pouvons, sans ingérence ni soutien qui serait contre-productif, sa campagne de second tour. Elle doit encore être réélue pour pouvoir poursuivre le travail engagé de manière admirable par la Moldavie sur la voie de l'adhésion à l'Union européenne.
J'ai assisté le 25 juin dernier à la conférence intergouvernementale qui a ouvert les négociations d'adhésion de la Moldavie à l'Union européenne et j'ai entendu le Premier ministre moldave dire aux États membres : ne nous faites pas de cadeaux, jugez-nous sur nos mérites propres, nous voulons entrer dans l'Union européenne parce que nous voulons l'État de droit, la démocratie, la lutte contre la corruption, l'indépendance de la justice et des médias ! C'était admirable, mais tout cela dépend du second tour de l'élection présidentielle...
J'ai adressé cet après-midi un message à mon homologue moldave pour lui demander ce qu'on pouvait faire pour l'aider. Il m'a répondu qu'il fallait veiller à la sécurité des bureaux de vote à l'étranger pour que les Moldaves puissent s'y rendre le jour J, sans le moindre problème, afin d'exercer leur droit civique. Il anticipe de nouvelles campagnes de manipulation informationnelle visant à laisser planer le doute sur les opérations de vote.
Madame Gréaume, je partage votre constat sur l'importance de l'aide publique au développement pour atteindre les objectifs du développement durable. S'agissant de la taxe sur les transactions financières, je veux néanmoins préciser une chose que je n'ai pas mentionnée précédemment faute de temps.
Jusqu'à présent, le produit de la taxe sur les transactions financières était affecté en partie à l'aide publique au développement. Ce n'est plus possible en raison de la révision de la loi organique relative aux lois de finances : on ne peut plus affecter une ressource, sauf dans des circonstances extrêmement limitées. À la place de l'affectation de cette taxe à l'aide publique au développement, le projet de loi de finances pour 2025 tend à créer un fonds de solidarité pour le développement qui va reprendre le montant des crédits qu'aurait fourni l'affectation de la taxe sur les transactions financières. La ressource n'est plus une taxe affectée, elle est budgétaire.
On peut naturellement avoir un débat sur cette taxe, comme sur toute ressource fiscale. Le débat est légitime, mais son résultat n'influera pas directement sur le budget de l'aide publique au développement, puisque cette taxe, je le redis, ne peut plus lui être affectée. Il en va de même pour la taxe sur les billets d'avion.
Madame Carlotti, le Président de la République, qui a de fréquents échanges avec les présidents Tshisekedi et Kagame - ce fut notamment le cas lors du dernier Sommet de la francophonie -, et mon ministère sont pleinement mobilisés sur les sujets agitant la République démocratique du Congo, le Rwanda et la région des Grands Lacs.
L'effort de médiation le plus prometteur est celui mené par l'Angola. Mais la résolution durable des tensions dans la région passera par un travail sur les causes profondes du conflit : celles-ci sont en partie liées à l'histoire, mais elles s'expliquent aussi par des raisons économiques, notamment les ressources naturelles situées à l'est de la RDC. Il nous semble que des solutions peuvent être trouvées pour mieux organiser l'accès à ces ressources et lier le destin de tous les acteurs de cette région. De telles solutions pourraient permettre à celle-ci de sortir de la spirale de la violence dans laquelle elle est malheureusement engagée.
La semaine dernière, mon cabinet a reçu une délégation de parlementaires de RDC ; j'échangerai demain à 15 h 30 avec mon homologue congolaise en vue de trouver le chemin vers les solutions les plus adaptées.
M. Philippe Folliot. - La situation au Proche-Orient emporte des conséquences dramatiques pour les civils, plus particulièrement à Gaza et au Liban.
Voilà quelques mois, j'ai écrit à votre prédécesseur sur la situation des orphelins gazaouis, mais ma lettre est restée sans réponse. Certaines familles françaises seraient prêtes à les accueillir. La situation tend à devenir la même au Liban qu'à Gaza.
Quelle est la position de la France à ce sujet ? Notre pays a toujours fait montre d'ouverture face à ces situations d'urgence humanitaire. Quelles sont les perspectives pour que des familles françaises puissent accueillir ces enfants ?
Mme Valérie Boyer. - Je souhaite évoquer la dictature gazière au pouvoir en Azerbaïdjan.
Je ne reviendrai pas sur la situation de l'Arménie : les événements dans l'Artsakh, avec la guerre asymétrique des quarante-quatre jours, le nettoyage ethnique, la destruction du patrimoine arménien millénaire dans l'indifférence internationale - l'Unesco est particulièrement discrète... -, l'occupation de plusieurs kilomètres carrés de la République d'Arménie, les vives inquiétudes sur le sort des prisonniers dont nous n'avons aucune nouvelle, etc. Je voudrais aussi vous parler de l'assassinat sur notre sol, à Mulhouse, d'opposants au dictateur Aliyev, un bourreau pour les Arméniens, mais aussi pour ses propres ressortissants.
Mais je pense surtout à la France. Comment pouvons-nous accepter la déstabilisation de notre pays en Nouvelle-Calédonie, par le biais de campagnes de propagande permanentes ? Cette propagande coûte très cher à la France - les dégâts sont évalués à 4 milliards d'euros. Alors que les yeux du monde entier se tournent vers le Pacifique, alors que les États-Unis regardent avec attention cette zone du monde, la place de la France est menacée.
Dans ce contexte d'extrême agressivité, quelle est la stratégie française sur la présence de notre pays à la COP 29, qui se tiendra à Bakou, d'ici à quelques semaines ? Comment se manifeste la solidarité des autres pays européens à l'égard de la France, attaquée dans cette partie du monde ?
Si la France se résout à aller à Bakou, vous me permettrez une remarque : il est curieux de parler d'écologie dans une dictature gazière !
Le décret du 11 octobre précise les attributions respectives des ministres. Comment expliquez-vous que ce soit votre collègue Agnès Pannier-Runacher qui soit compétente en matière de négociations climatiques ? Si des représentants français se rendent en Azerbaïdjan, comment faut-il comprendre cette décision ? Dans de telles circonstances, est-il pertinent de s'y rendre ?
M. Olivier Cadic. - Monsieur le ministre, vous parliez de l'importance de la diplomatie parlementaire. Mme Tsai Ing-wen, ancienne présidente de Taïwan, était en France la semaine dernière en vue de développer les relations bilatérales entre nos deux pays. J'observe que des ministres de plusieurs pays européens se sont rendus à Taïwan. Quand un ministre français fera-t-il de même ?
M. Jean-Noël Barrot, ministre. - Monsieur Folliot, je vous remercie pour votre question. J'ai consacré mes premiers instants de ministre de l'Europe et des affaires étrangères à l'Ukraine. Dans le cadre de la formule de paix du président Zelensky, j'ai décidé de contribuer au groupe de travail piloté par le Canada et l'Ukraine, en cofinançant deux centres de défense des droits des enfants à Dnipro et à Kharkiv sur le modèle du centre que nous avons visité le week-end dernier à Kiev avec Cédric Perrin et Bruno Fuchs. Ceux-ci servent à la fois de bureau délocalisé du procureur de la Cour pénale internationale (CPI) - le mandat d'arrêt visant Vladimir Poutine a été fondé sur les déportations d'enfants ukrainiens pendant la guerre -, mais aussi de lieu d'accueil pour que les enfants reçoivent les soins physiques et psychologiques nécessaires.
Je n'ai pas de réponse toute prête sur les orphelins de Gaza et du Liban, mais je reviendrai vers vous sur ce point.
Madame Boyer, l'Azerbaïdjan fait montre d'agressivité d'abord à l'encontre de l'Arménie, au mépris du droit international, notamment humanitaire, mais aussi envers notre pays par le biais d'ingérences numériques ou plus classiques - toutes condamnables.
L'Azerbaïdjan a choisi de provoquer une crise sans précédent dans nos relations et poursuit ses agissements hostiles à notre encontre sur le plan informationnel. Le service de vigilance et de protection contre les ingérences numériques étrangères (Viginum) a documenté le 17 mai des manoeuvres informationnelles d'origine azerbaïdjanaise à notre encontre en Nouvelle-Calédonie. Cette campagne est d'autant plus préoccupante que le ministre de l'intérieur et des outre-mer avait à l'époque relevé les liens que certains indépendantistes en Nouvelle-Calédonie entretenaient avec l'Azerbaïdjan.
Des manoeuvres similaires, appelant notamment au boycott des jeux Olympiques, avaient déjà été détectées en provenance d'Azerbaïdjan. Celles-ci ont toutefois peiné à obtenir une visibilité suffisante dans le débat public numérique francophone pour produire des effets réels sur le bon déroulement des événements, comme l'indique le rapport de Viginum du 13 septembre. C'est la raison pour laquelle il a été décidé de ne pas organiser une riposte que je qualifierais de bruyante sur ce sujet, de peur de donner à ces manoeuvres informationnelles plus d'écho qu'elles n'en avaient eu... Mais il est clair que de tels agissements affectent de manière très négative notre relation avec l'Azerbaïdjan.
Cela ne doit pas nous faire oublier le soutien que nous devons à l'Arménie et au peuple arménien. Et comme vous le savez, Sébastien Lecornu a été le premier ministre des armées à se déplacer en Arménie. Nous avons aussi obtenu, au niveau européen, que la Facilité européenne pour la paix puisse être étendue à ce pays.
Nous entretenons des relations très étroites avec les autorités arméniennes pour renforcer toujours plus nos coopérations dans les domaines civil et énergétique à un moment un peu critique pour l'Arménie. Le pays se tourne de plus en plus vers l'Union européenne, en rompant une relation qu'il entretenait depuis longtemps avec la Russie.
Mme Boyer m'a interrogé sur la COP 29. Je suis moi aussi un peu sceptique sur les résultats qu'une COP peut avoir dans un pays qui prospère sur les énergies fossiles. Cela dit, le principe des COP doit être préservé. C'est un outil extraordinaire pour faire avancer les sujets climatiques et ceux relatifs à la biodiversité. C'est la raison pour laquelle nous nous projetons davantage sur la COP 30 qui aura lieu à Belém. À Bakou, la présence française sera réduite au minimum - Agnès Pannier-Runacher s'y rendra pour les conclusions.
Le décret d'attribution des compétences ministérielles revient en effet à la formule prévalant avant le gouvernement Attal, à savoir une représentation politique assurée par le ministère de la transition écologique ; c'est plutôt la formule vers laquelle s'orientent la plupart de nos partenaires européens. Cela dit, les négociations elles-mêmes sont menées par une équipe interministérielle placée sous l'autorité d'un ambassadeur dont la nomination, même si elle se fait en bonne intelligence avec le ministère de la transition écologique, relève du ministère de l'Europe et des affaires étrangères. D'ailleurs, ce poste est aujourd'hui vacant ; nous réfléchissons à le pourvoir.
Monsieur Cadic, je ne peux pas répondre de manière très précise à votre question. Je souhaite simplement rappeler que des exercices militaires chinois se sont tenus dans le détroit de Taïwan le 14 octobre dernier ; ceux-ci nous ont beaucoup préoccupés.
Votre question m'offre l'occasion de réaffirmer l'attachement de la France à la paix et à la stabilité dans la région, qui sont indispensables pour assurer la sécurité et la prospérité globales : une escalade aurait des conséquences incalculables, non seulement pour la région, mais également pour le reste du monde. Nous sommes opposés à toute modification unilatérale du statu quo ainsi qu'à tout usage de la force et de la coercition dans le détroit de Taïwan. Nous appelons évidemment les parties à éviter toute escalade.
M. Cédric Perrin, président. - Nous sommes particulièrement satisfaits de la manière dont vous traitez notre commission et, plus globalement, le Parlement - cela n'a pas toujours été le cas. Nous avons besoin de travailler ensemble.
Tous nos concitoyens n'ont pas conscience de la situation internationale dans laquelle nous vivons ou des conséquences que peut avoir l'ingérence russe sur les élections en Moldavie ou l'arrivée de troupes nord-coréennes en Russie - et peut-être un jour en Ukraine.
Que serait notre monde si la Russie venait à gagner ? La violence l'emporterait alors sur le droit. Ces auditions sont importantes pour sensibiliser le plus largement possible sur ces questions internationales.
Vous avez évoqué la diplomatie parlementaire, à laquelle le président du Sénat est lui aussi très attaché. En tant que parlementaires, nous la mettons en oeuvre dans les différents pays que nous visitons. Nous jouons nous aussi notre rôle, car le ministre ne peut pas être partout et il lui est impossible de dire certaines choses - nous, nous le pouvons.
Vous pouvez compter sur notre commission pour vous soutenir et faire en sorte que l'influence française progresse dans le monde, même si nous sommes bien conscients que nos difficultés budgétaires rendront les choses plus complexes que nous l'envisagions.
Je le répète : merci encore pour la considération que vous avez témoigné au Parlement depuis votre prise de fonction.
La réunion est close à 18 h 25.
Cette audition a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.