Mercredi 23 octobre 2024

- Présidence de Mme Dominique Estrosi Sassone, présidente -

La réunion est ouverte à 9 h 35.

Accueil de nouveaux commissaires

Mme Dominique Estrosi Sassone, présidente. - Mes chers collègues, je voudrais souhaiter en votre nom la bienvenue dans notre commission à nos collègues Éric Dumoulin, sénateur des Yvelines, en remplacement de Sophie Primas, et Brigitte Hybert, sénatrice de la Vendée, en remplacement de Bruno Retailleau.

Nouvelle candidature à la commission mixte paritaire sur la proposition de loi visant à renforcer les outils de régulation des meublés de tourisme à l'échelle locale

Mme Dominique Estrosi Sassone, présidente. - Nous avions désigné le 5 juin dernier les candidats appelés à siéger à la commission mixte paritaire chargée de proposer un texte pour les dispositions restant en discussion de la proposition de loi visant à renforcer les outils de régulation des meublés de tourisme à l'échelle locale.

Notre collègue Stéphane Fouassin ayant quitté le 8 octobre notre commission, il a souhaité céder sa place de représentant du groupe RDPI au sein de cette CMP à notre collègue Bernard Buis.

Par ailleurs, Mme Antoinette Guhl remplace M. Daniel Salmon au titre du groupe GEST.

Siégeront donc au sein de cette commission Mmes Dominique Estrosi Sassone et Sylviane Noël, MM. Jean-François Husson et Yves Bleunven, Mmes Viviane Artigalas et Frédérique Espagnac, M. Bernard Buis comme membres titulaires, Mme Martine Berthet, M. Jean-Baptiste Blanc, Mme Amel Gacquerre, M. Rémi Féraud, Mme Marianne Margaté, M. Cédric Chevalier et Mme Antoinette Guhl comme membres suppléants.

Audition de M. François Marciano, directeur général de Duralex

Mme Dominique Estrosi Sassone, présidente. - Nous accueillons aujourd'hui M. François Marciano, directeur général de Duralex, ou plutôt devrais-je dire Duralex Scop SA, puisque c'est désormais son nom officiel, depuis la reprise de l'entreprise en août dernier par une majorité de salariés sous la forme d'une société coopérative et participative (Scop).

Monsieur le directeur général, vous avez effectué toute votre carrière professionnelle dans la verrerie et vous étiez, jusqu'à tout récemment, directeur de l'unique site de production Duralex en France, à La Chapelle-Saint-Mesmin, près d'Orléans, là même où l'entreprise a été fondée en 1927.

Présents dans toutes les cantines de France et dans de nombreux foyers à partir de l'après-guerre, grâce à leurs qualités techniques - en particulier la résistance accrue du verre trempé, inventé par Duralex dans les années 1930 - et à leur design intemporel, les verres Duralex font partie de notre patrimoine commun. Des générations d'écoliers se sont amusées à comparer leur « âge » gravé au fond des iconiques modèles Gigogne ou Picardie. Pour beaucoup de nos concitoyens, ils demeurent le symbole d'une industrie française moderne et triomphante.

Pourtant, depuis le pic des années 1970, où Duralex employait jusqu'à 1 500 personnes, les effectifs n'ont cessé de fondre. À des difficultés structurelles, notamment une concurrence asiatique croissante sur un marché européen en voie de saturation, se sont ajoutées des difficultés plus conjoncturelles liées à la modernisation de l'outil industriel. Depuis le début des années 2000, l'entreprise a plusieurs fois frôlé la faillite et changé de mains.

Mais c'est la crise des prix de l'énergie, dans le sillage de la guerre en Ukraine, qui a bien failli emporter définitivement Duralex : alors que la modernisation de l'outil industriel et de l'image de la marque, engagée à partir des années 2020, commençait à porter ses fruits, la montée en flèche des prix du gaz et de l'électricité à l'automne 2022 a contraint l'entreprise à mettre en sommeil ses fours, très consommateurs d'énergie. Sans cette mesure drastique, le montant total de la facture d'énergie aurait pu atteindre 40 % du chiffre d'affaires, rendant la production déficitaire.

Cette décision n'était pas isolée, puisque d'autres sites énergo-intensifs, dans les secteurs de la verrerie, de la porcelaine, de l'acier, de l'aluminium et de la chimie, ont été contraints de stopper ou fortement réduire leur production durant cette période, dont votre rivale Arc France.

Malgré un important soutien de l'État, notamment via un prêt direct de 15 millions d'euros, et malgré la reprise de la production en avril 2023, Duralex a été placée en redressement judiciaire, à sa demande, au printemps 2024. Parmi les offres de reprise, le tribunal de commerce d'Orléans a retenu le projet de Scop porté par une majorité des salariés, emmenés par vous-même.

Pouvez-vous nous exposer les spécificités des Scop, notamment en termes de gouvernance, et les avantages, selon vous, d'un tel modèle ? À l'inverse, identifiez-vous des écueils et, si oui, comment envisagez-vous de les surmonter ?

Vous avez été épaulé, dans votre projet, par les collectivités locales, Orléans et sa métropole, mais aussi la région Centre-Val de Loire. En tirez-vous des enseignements pour mieux faire travailler ensemble élus locaux et industriels, notamment sur la question de l'accès à l'immobilier industriel et au foncier ?

Enfin, je voudrais vous interroger sur l'impact durable de la hausse des coûts de l'énergie sur votre activité.

Je sais que vos projets sont nombreux pour relancer l'entreprise, que vous travaillez notamment sur le renouvellement des gammes et l'amélioration de la distribution de vos produits, en ligne comme en magasin. Vous pouvez surfer sur la nostalgie des consommateurs et l'attrait du made in France : le lancement, lundi 2 septembre dernier, jour de la rentrée scolaire, de votre édition limitée « Allons enfants de la cantine ! », en collaboration avec Le Slip Français, autre entreprise étendard du made in France, ne peut manquer d'attirer la sympathie.

Vous pouvez aussi compter sur la qualité intrinsèque de votre production et son bilan carbone plus avantageux que les importations asiatiques.

Mais cela suffira-t-il, alors que l'Insee estime que les prix de vente du gaz et de l'électricité aux clients professionnels demeurent en 2024, après déduction des aides, plus de 60 % supérieurs aux prix de 2021 ? Comment, dans ces conditions, une industrie énergo-intensive comme la verrerie peut-elle être compétitive, sur le marché intérieur comme à l'international ?

Pour l'instant, aucun dispositif exceptionnel de couverture des surcoûts énergétiques à destination des entreprises énergo-intensives n'est prévu dans le PLF 2025, la date limite d'octroi au titre du dispositif d'aide « gaz et électricité » étant fixée par l'encadrement temporaire de crise et de transition européen au 31 décembre 2024. Est-ce un élément de préoccupation pour vous ? Serez-vous en outre touchés par les hausses de taxes annoncées sur l'électricité ? Estimez-vous qu'en augmentant les impôts, l'État, qui a abandonné en août 10 millions d'euros de créances sur Duralex, va reprendre d'une main ce qu'il a donné de l'autre ? Si tel est le cas, comment y remédier ?

Voici, monsieur le directeur général, quelques-unes des questions que je souhaitais vous soumettre. Je vous propose d'y répondre dans le cours de votre intervention liminaire, avant que les autres commissaires ne vous interrogent à leur tour.

Je rappelle enfin, avant de vous céder la parole, que cette audition est diffusée en direct sur le site du Sénat.

M. François Marciano, directeur général de Duralex. - Je vous remercie de me recevoir aujourd'hui. J'ai 40 ans de métier dans l'industrie de la verrerie : après avoir travaillé 30 ans chez Arc, je suis arrivé en février 2016 chez Duralex.

Je souhaiterais vous faire part ce matin de quelques points d'étonnement sur le dossier Duralex et, plus généralement, sur les conditions de reprise d'entreprises françaises à la barre du tribunal.

Le 24 avril 2024, des responsables du groupe La Maison française du verre, propriétaire de Duralex m'ont annoncé par téléphone : « Demain, Duralex sera placé en redressement judiciaire. » J'étais à la tête de l'entreprise... Que faire ?

Par chance, je connaissais parfaitement le produit. Je savais que le verre creux est une spécialité française : Duralex, Pyrex, Cristal d'Arques et Baccarat sont des marques connues de tous. Verres à vin, verres à boire, nous sommes les champions en la matière, au niveau mondial et au niveau européen. La preuve de la reconnaissance de cette qualité made in France est qu'au Japon, nos verres sont vendus 9 000 euros la tonne, contre 2300 euros en moyenne généralement.

Nous avons pris le temps d'analyser la situation : il y avait déjà eu cinq dépôts de bilan chez Duralex, et autant de pillages... Avant la reprise du groupe par l'italien Bormioli, Duralex s'appuyait sur quatre sites, deux en France, un en Angleterre, un au Brésil. Bormioli a vendu la marque Duralex au Brésil, nous obligeant aujourd'hui à commercialiser nos produits dans ce pays sous la marque Vereco. Il a aussi pris le modèle iconique du Picardie empilable.

Quant à Sinan Solmaz, qui a ensuite dirigé l'entreprise, il a fermé le site de Rive-de-Gier et pris tout ce qu'il pouvait prendre ; il a finalement été condamné pour banqueroute. Ses successeurs ont essayé de gérer l'entreprise comme ils pouvaient, mais ils étaient commerçants, pas industriels. En outre, ils n'ont pas suffisamment investi dans le volet commercial et marketing, se reposant sur la notoriété de la marque.

À la suite de ces échecs, au printemps dernier, il nous a fallu trouver des partenaires. Après six dépôts de bilan, les banquiers nous ont pris pour des fous ; ils nous ont adressé une fin de non-recevoir. Mais la région et la métropole d'Orléans nous ont écoutés, ils ont analysé le projet industriel et l'idée de la Scop les a séduits : il n'y aurait pas de licenciements et cela permettrait de figer la marque en France et d'empêcher à long terme la délocalisation de l'entreprise.

Enfin, les salariés vont pouvoir enfin tirer profit de trente ans de « bagarre » pour sauver Duralex. Nous avons décidé de créer une Scop pour cesser de rémunérer les groupes qui en sont propriétaires, car l'entreprise n'en a simplement pas les moyens. Les salariés savent qu'ils ne toucheront aucun dividende au cours des quatre prochaines années, puisque tout l'argent que Duralex va gagner sera investi dans l'usine pour la moderniser. Il nous faut investir environ 5 millions d'euros dans les machines primaires et dans les machines d'emballage. Lorsque je suis arrivé, l'entreprise était dans un état lamentable, l'outil industriel avait trente ans de retard et on pouvait se demander s'il ne valait pas mieux fermer l'usine.

Mais en réalité, Duralex est sur un petit segment de marché : elle représente 0,2 % du marché du verre, et donc en gagnant ne serait-ce que 0,1 % de part de marché, nous atteindrons 40 millions d'euros de chiffre d'affaires et 12 % d'excédent brut d'exploitation. L'entreprise sera alors viable. C'est le pari que nous faisons.

Trois repreneurs ont fait une offre : une banque d'investissement, qui détient deux petits verriers, un opportuniste, qui cherchait une bonne affaire, et la Scop. Or le montant des différentes aides qu'ils étaient susceptibles de recevoir de l'État différaient : 7 millions d'euros pour l'un, 683 800 euros pour nous et rien pour le troisième. Pourquoi les trois repreneurs n'ont-ils pas droit aux mêmes dispositifs ? Puisque c'est le tribunal qui analyse la viabilité des offres, pourquoi l'État ne lui indique-t-il pas un montant fixe d'aides qui pourront être accordées au repreneur, quel qu'il soit.

Par ailleurs, quand on reprend une entreprise, on ne sait pas à qui s'adresser. Un jeune qui aurait voulu se lancer n'aurait pas pu reprendre l'entreprise, sans fonds ni avocats. Ce n'est pas normal. Pour ma part, j'ai sorti de ma poche 30 000 euros. En outre, les procédures sont trop complexes. Les repreneurs d'entreprises devraient pouvoir bénéficier d'un dispositif d'aide, au moins à la barre du tribunal.

En ce qui concerne nos perspectives, pour l'instant, nous avons réalisé en quarante jours, sur notre site internet, le même chiffre d'affaires que nos prédécesseurs en un an. Tout reste à faire cependant, sachant que 80 % du chiffre d'affaires de Duralex se fait à l'exportation.

Le coût de l'énergie, pour une entreprise comme la nôtre, est un gros problème. Nous sommes une entreprise polluante, nous avons dû acheter un filtre - un coût de 2,5 millions d'euros. Malgré cela, nous devons également payer la taxe carbone. À cela est venue s'ajouter l'augmentation du coût de l'énergie. Or nous ne pouvons pas faire face à tout cela. Pour Duralex, quand le coût de l'énergie augmente d'un euro, cela signifie 100 000 euros de cash en moins. Imaginez ce que cela a signifié quand le prix de l'énergie a doublé. On a du mal à se relever dans ce cas !

M. Daniel Fargeot. - Félicitations pour la création de cette Scop.

Quelles difficultés avez-vous rencontrées pour convaincre l'ensemble des salariés de Duralex de reprendre l'entreprise ?

Quel est votre prévisionnel en termes de chiffre d'affaires ? Avez-vous l'ambition de conserver la même masse salariale, soit environ 230 salariés ?

Enfin, permettez-moi un trait d'humour : avez-vous des conseils à prodiguer à Sanofi pour conserver le Doliprane en France ?

M. Olivier Rietmann. - Nous avons auditionné les représentants de l'entreprise Le Slip français, avec qui vous avez lancé l'opération « Allons enfants de la cantine ! ». Votre objectif était de faire du cash immédiatement. Quel est le bilan de cette opération ? Cette opération a-t-elle également bénéficié au Slip français, qui en a bien besoin ?

Mme Anne Chain-Larché. - C'est un plaisir de vous auditionner aujourd'hui, vous nous rappelez notre enfance et représentez une partie de la France, que vous avez bien su décrire.

Vous avez évoqué les aides de l'État aux repreneurs. Nous l'avons vécu dans mon territoire, avec la société Arjowiggins, qui avait tenté de créer une Scop, mais qui n'a pas été suffisamment accompagnée. Dans certains cas, je le pense, les repreneurs touchent de l'argent sans contrepartie. J'aimerais avoir votre retour sur ce sujet, qui pose un problème de crédibilité et d'honnêteté.

Vous nous faites penser à des entreprises comme Opinel ou Le Creuset, qui ont su donner une image très valorisante d'un savoir-faire français qui paraissait désuet. Vous vous engagez à votre tour sur la voie de la modernisation. Comment envisagez-vous de diffuser vos produits en magasins ?

M. François Marciano- Je n'ai pas eu de difficulté pour convaincre l'ensemble des salariés de créer une Scop. En 2016, la CGT était le syndicat majoritaire et faisait grève très fréquemment. Aujourd'hui, ce syndicat n'est plus majoritaire et il n'y a plus de grèves, mais ses membres, une vingtaine de personnes, ne font pas partie de la Scop. Mon objectif est de les faire changer d'avis d'ici à cinq ans. En outre, une quinzaine de personnes n'ont pas les moyens de sacrifier 50 euros de leur budget mensuel pour financer la Scop. Pour régler ce problème, nous envisageons, si nous arrivons à verser des primes, d'imposer qu'une partie serve à entrer au capital de la Scop - mais actuellement, nous n'en avons pas les moyens. Mais une majorité des salariés nous suit. Notre première assemblée générale réunira 150 personnes vendredi prochain.

L'objectif de l'opération avec Le Slip français était de relancer la marque Duralex. Nous avons réussi : je l'ai dit, on a réalisé sur internet le même chiffre d'affaires que nos prédécesseurs en un an et nous en sommes à 70 000 euros de bénéfices, cette opération étant toujours en cours dans les centres Leclerc. Nous lancerons pour Noël une nouvelle opération de vente de mugs en partenariat avec La Poste et Stéphane Bern, en tant qu'entreprise labellisée « Entreprise du patrimoine vivant ». La Poste nous aide par ailleurs à reconstruire notre site internet pour augmenter nos ventes.

J'en viens à notre stratégie. Depuis trente ans, Duralex a fait n'importe quoi et vendu n'importe où pour « faire du chiffre ». C'est le cas à chaque fois qu'une entreprise va mal ! L'entreprise a ainsi vendu de gros volumes aux pays du Proche et du Moyen-Orient et dans certains pays de l'Est. Cela a dévalué notre marchandise : à titre d'exemple, le Canada achète nos verres 2,50 euros les quatre aux États-Unis, qui eux-mêmes les achètent à 1,50 euro aux pays du Proche et du Moyen-Orient, quand nous les vendons maintenant 9 euros.

Nous avons donc décidé de ne pas augmenter notre production ni notre chiffre d'affaires pour « nettoyer » le marché mondial avant de remettre en vente nos produits dans ces pays, avec interdiction faite à nos distributeurs de les revendre en dehors de leurs frontières. Nous avons prévu un chiffre d'affaires de 31 millions d'euros au cours des deux prochaines années, puis de respectivement 34 millions, 37 millions et 40 millions d'euros les trois suivantes.

Nous avons embauché Vincent Vallin, ancien directeur de Brandt, qui est en train de constituer une équipe de marketing pour le e-commerce et le trade marketing, ainsi qu'une force commerciale pour l'exportation. Ses compétences sont complémentaires des miennes.

M. Serge Mérillou. - Vous avez déclaré que Duralex n'était pas l'usine des salariés, qu'elle était celle des Français. Pourquoi ne pas mettre en avant l'engagement des salariés qui ont permis de créer cette Scop et à Duralex de survivre ?

M. François Marciano. - Nous mettons bien sûr en valeur les salariés, mais nous disons que notre objectif est de transmettre l'entreprise, pas de la garder. Les salariés le savent et espèrent simplement que leurs enfants pourront travailler chez Duralex à leur tour. C'est le sens de ma déclaration.

Mme Anne-Catherine Loisier. - Nous sommes tous respectueux de votre engagement de chef d'entreprise, soucieux de ses salariés et de réinvestir dans l'outil de production, en ayant la volonté de faire grandir une marque française. Bravo de revenir à ces fondamentaux de l'entrepreneuriat.

Vous avez évoqué vos difficultés liées au coût de l'énergie. Quelles sont vos idées en la matière pour l'avenir ?

Le verre est un matériau d'avenir, renouvelable, adapté aux enjeux de transition écologique et de préservation de la santé. Avez-vous des idées de diversification ?

M. François Marciano. - Le verre est effectivement un matériau RSE. Une dame a fait une réclamation il y a un mois, parce que ses verres devenaient tout blancs. Renseignements pris, elle les avait achetés en 1957 ! La durabilité est la force de Duralex.

Nous allons lancer une marque un peu plus premium et vendre un package comprenant un saladier, une cuillère en bois et un tablier. Nous avons aussi prévu d'attaquer les marchés B to B (business to business), pour vendre des chocolats, de la moutarde, etc. Le problème est que les industriels veulent du packaging sans emballage, ce qui nécessite un investissement d'un million d'euros de notre part. Or nous n'avons pas cette somme aujourd'hui pour reprendre des parts de marché dans ces segments. À ce jour, Duralex n'a pas bénéficié d'un euro d'aide pour se moderniser.

Pour réduire nos coûts énergétiques, nous avons signé avec un partenaire du sud pour l'année prochaine, ce qui nous a permis de gagner 200 000 euros de cash. Gaz de Bordeaux ne nous demande pas de caution, ce qui nous permet de récupérer la caution de 600 000 euros que nous avions versée à notre précédent fournisseur. Nous allons ainsi gagner cette année 1,1 million d'euros. Nous essayons de négocier pour l'année 2026 afin de stabiliser les prix. La difficulté est de se projeter dans trois ans et de verrouiller les prix.

Nous souhaitons augmenter notre part d'énergie électrique, alors que nous utilisons à 90 % du gaz. Toutefois, il n'est pas possible, pour des raisons techniques, de passer à 100 % d'électrique dans le verre. Nous étudions donc plusieurs pistes : l'hydrogène, l'induction, le biogaz. Nous avons dix ans pour nous retourner.

M. Guislain Cambier. - Je salue à mon tour votre parcours et votre engagement.

À quel horizon envisagez-vous d'atteindre la viabilité économique ? Qu'attendez-vous prioritairement des pouvoirs publics afin de pouvoir faire face à la concurrence, en particulier asiatique ?

M. François Marciano. - Nous attendons des pouvoirs publics une aide non remboursable pour pouvoir investir et relancer l'entreprise. Nous sommes quasiment certains d'atteindre la rentabilité dans cinq ans.

Mme Antoinette Guhl. - C'est une grande fierté de vous accueillir. Vous représentez nos entreprises telles qu'elles existent dans beaucoup d'endroits en France. Une entreprise, ce sont des hommes et des femmes, des familles qui dépendent d'elle. Quand elle est menacée de fermeture, c'est un désastre économique, mais aussi humain. Vous avez réussi à y échapper en créant une coopérative. J'espère que vous allez réussir là où le capitalisme a échoué.

Avez-vous été aidé dans votre projet par le monde des coopératives et les acteurs de l'économie sociale et solidaire ?

Selon vous, un fonds spécifique dédié aux salariés désireux de reprendre leur entreprise sous forme de coopérative aurait-il facilité votre aventure ?

M. François Marciano. - Un fonds aiderait sans aucun doute les entrepreneurs à trouver des investisseurs.

La difficulté, c'est que les gens n'ont pas compris ce qu'est une Scop. Schématiquement, qu'on parle d'une société anonyme ou d'une Scop, il s'agit d'un système capitaliste, leur structure est identique. La seule différence, c'est qui détient le capital.

M. Jean-Claude Tissot. - Quel rôle seront appelés à jouer les salariés actionnaires dans la construction de la stratégie de la Scop et dans quelle mesure les sociétaires sont-ils à la manoeuvre ?

Par ailleurs, êtes-vous favorable à de nouvelles opportunités pour exporter dans le cadre d'accords de libre-échange ou au contraire, de tels accords représenteraient-ils un risque pour votre savoir-faire ?

M. François Marciano. - La difficulté pour une entreprise comme Duralex à l'export, c'est la partie administrative. Nous n'avons pas l'équipe pour y faire face. Nous sommes sous-dotés en personnel pour l'instant. Il faudrait une plateforme capable d'aider administrativement les PME à exporter plus rapidement.

Sur la stratégie, une fois par an, le budget est voté en assemblée générale et le board est chargé de vérifier que le directeur général fait bien ce qui a été voté.

M. Christian Redon-Sarrazy. - On le sait, les moyens des régions vont être amputés du fait du projet de loi de finances pour 2025, ce qui aura des conséquences directes sur leurs capacités d'intervention. Votre projet aurait-il pu aboutir sans l'un des dispositifs mis en oeuvre par la région ? Aviez-vous un plan B ?

M. François Marciano. - Au tribunal se tenaient à ma droite le président de la métropole et à ma gauche celui de la région, l'un est de droite, l'autre de gauche. Sans eux, l'usine était fermée. Les banquiers nous auraient dit non, l'État également, considérant qu'il avait suffisamment mis d'argent. Personne ne nous aurait suivis et c'était assez compréhensible, vu de l'extérieur. Un jeune ingénieur tout juste sorti d'école qui aurait examiné notre situation d'un point de vue capitalistique aurait considéré que Duralex était mort - c'était un raisonnement logique. Mais nous, de l'intérieur, nous voyions bien que l'entreprise était saine, qu'il fallait simplement en revenir aux basiques.

Le seul moyen de voir comment se porte une entreprise, c'est de prendre la place des dirigeants pendant deux ou trois mois pour effectuer une réelle analyse, mais cela prend du temps. Lorsque je suis arrivé chez Duralex en 2016, on m'a raconté une belle histoire, mais j'ai découvert ensuite une entreprise endettée à hauteur de 40 millions d'euros. Or personne ne le savait à l'extérieur.

M. Franck Menonville. - Je vous félicite pour votre engagement et celui de vos collaborateurs qui ont fait le choix d'intégrer la Scop et de reprendre ce fleuron français. Dans mon département, nous essayons de préserver une autre marque emblématique, Bergère de France. L'engagement des collectivités est en effet déterminant. Nous sommes aussi en discussion avec les énergéticiens pour bénéficier des meilleures offres d'approvisionnement.

Les cautions et les garanties sont des problèmes. Le portage temporaire de fonds propres, dans un temps assez long, ne serait-il pas plus indolore pour certains organismes ?

M. François Marciano. - Il n'existe pas une seule solution, la Scop n'est pas le seul modèle. Il manque quelque chose pour permettre aux jeunes entrepreneurs de se lancer, s'ils ont besoin d'un peu d'argent pour démarrer leur activité. C'est mon prochain combat. Un fonds de soutien est nécessaire.

Mme Amel Gacquerre. - Encore une fois, bravo et merci. Vos salariés croient enfin que leur entreprise a un avenir.

Le modèle de la Scop a fait ses preuves. Cinq ans après leur création, 80 % des Scop sont pérennes, contre 60 % des entreprises lambda.

Vous l'avez dit, 80 % de vos ventes se font à l'international. Quelle vision avez-vous de la concurrence asiatique, en particulier chinoise ? La craignez-vous à court terme ?

M. François Marciano. - Duralex fêtera l'année prochaine ses 80 ans, il a des concurrents depuis le début, et cela continue. Aujourd'hui, les Chinois copient nos verres. J'ai porté plainte hier, car ils viennent de lancer la marque « Duralux ». Mais Duralex a quelque chose qu'ils n'auront jamais : le savoir-faire. En outre, l'entreprise n'a pas fait l'erreur de s'installer en Chine, contrairement à Arc. Les Chinois n'ont donc pas nos secrets.

Certains pays achètent nos produits, et à un prix élevé, parce qu'ils sont « made in France ». Cela n'a donc pas d'intérêt de les fabriquer ailleurs, en Espagne ou en Chine ; ils n'auraient aucune valeur.

Lorsque Saint-Gobain a développé le procédé utilisé chez Duralex, il avait en tête les enfants déjeunant à la cantine et les personnes âgées dans les hôpitaux, qui font sans cesse tomber leur verre. Nous sommes les seuls verriers à fabriquer des verres de cette qualité et aussi solides.

Mme Martine Berthet. - Je suis très heureuse que vous soyez arrivé à sauver votre entreprise, qui est assez mythique.

Votre approvisionnement en matières premières est-il sécurisé ? D'où viennent-elles ? Où se fait votre recherche et développement (R&D) ?

M. François Marciano. - La R&D est faite en interne, par les équipes de production. Ce sont elles qui ont développé les couleurs et les formes.

Tous nos fournisseurs de matières premières, mais aussi de nos outillages, sont situés en France. Notre fournisseur le plus éloigné se trouve à 550 kilomètres. Je n'ai aucun fournisseur étranger. Nos voitures de direction sont des Renault, des Peugeot, des Citroën. C'est une règle.

M. Bernard Buis. - Duralex a émis plus de gaz à effet de serre que les quotas qui lui avaient été alloués. Il vous incomberait aujourd'hui de régler la facture en rachetant des droits à polluer pour une valeur approximative de 840 000 euros. Vous avez toutefois contesté l'obligation de payer et fait appel de la décision du tribunal administratif d'Orléans pour protéger les intérêts de l'entreprise. Selon vous, qui devrait payer ces droits à polluer ? J'imagine que ce paiement mettrait à mal votre entreprise.

Quelles sont les stratégies mises en place par l'entreprise pour ne pas connaître les mêmes difficultés financières que celles de vos prédécesseurs ?

M. François Marciano. - Excellente question ! Nous devons en fait payer 1,2 million d'euros, non 840 000 euros. Au départ, cette dette s'élevait à 383 000 euros, le reste étant des pénalités de retard. Au moment de la précédente reprise de l'entreprise, l'ancien propriétaire a « oublié » de déclarer la dette au tribunal, elle n'était donc connue de personne.

Si nous devons payer cette dette, nous le ferons, c'est la loi, mais nous l'avons contestée pour créer une jurisprudence. Sans cela, un propriétaire pourrait utiliser divers moyens pour ne pas payer les quotas carbone, puis céder l'entreprise lestée d'une telle dette... Or une entreprise mise en liquidation et ayant une dette de CO2 de plusieurs millions d'euros est morte. Personne ne voudra la racheter. Si on laisse passer cela, des entreprises ne trouveront pas de repreneur à cause de cette dette.

Je l'ai déjà indiqué, nous avons acheté un filtre, mais là, on nous fait payer des émissions de CO2 non pas sur la pollution que nous émettons, mais sur le gaz que nous brûlons. Nous n'avons pas les moyens de payer cette dette. Cela nous tuerait.

M. Daniel Salmon. - En Bretagne, la coopérative des masques de Plaintel a sombré faute de commande publique. Le marché de la restauration collective vous est-il ouvert ou y a-t-il des freins ? Peut-on vous aider en la matière ?

La durabilité est un atout, mais elle peut aussi être un handicap une fois le marché approvisionné. N'êtes-vous pas tenté par l'obsolescence programmée, comme les autres, pour pouvoir continuer à vendre ?

M. François Marciano. - Nos produits restent du verre et le verre casse ! Il faut aussi prendre en compte l'usure liée à l'utilisation des lave-vaisselle - la dame dont je vous parlais tout à l'heure devait laver sa vaisselle à la main... La durabilité a quand même ses limites.

En ce qui concerne le marché intérieur, nous faisons face au problème des marchés publics, dont le critère déterminant est le prix. Or notre procédé de fabrication fait que notre verre coûte nettement plus cher à fabriquer, parce qu'on le chauffe et on le souffle à forte pression après l'avoir chauffé et refroidi une première fois. C'est ce procédé qui rend notre verre si solide, si durable et si sûr, ce qui est très important pour certains usages, par exemple dans les hôpitaux. Notre verre ne casse pas, et lorsqu'il se casse, c'est en petits morceaux, donc on ne peut pas se blesser.

Plusieurs maires nous ont passé des commandes hors marchés publics, mais évidemment, si les cantines se fournissaient de nouveau chez nous, ce serait mieux...

M. Fabien Gay. - Nous sommes ici devant une belle histoire : une entreprise française, le verre de notre enfance, des emplois sauvegardés... Et on espère que tout cela va fonctionner.

Je voudrais préciser que le type d'organisation que vous avez mis en place est un exemple de Scop, mais il en existe d'autres. C'est par exemple un délégué CGT qui est à la tête de la Société française coopérative ouvrière provençale de Thés et Infusions (SCOP-TI). Il n'y a donc pas de modèle unique de Scop...

À ce sujet, existe-t-il des différences au quotidien entre les salariés coopérateurs et les autres ?

J'ai accompagné beaucoup de salariés qui voulaient créer une Scop ; je peux vous dire que c'est la croix et la bannière ! Vous avez eu une chance incroyable d'être ainsi soutenu et accompagné par des collectivités locales, mais tout cela est extraordinairement complexe. Il y a nécessairement des choses à revoir de ce point de vue.

Enfin se pose la question de la récurrence : votre produit est durable - tant mieux ! -, il est par conséquent plus difficile d'amener les consommateurs à en racheter... Dans ce contexte, quelles sont vos perspectives de développement, donc d'augmentation de l'emploi ?

M. François Marciano. - Nous voulons recruter une trentaine de personnes sur le marketing et le commercial et nous avons prévu une soixantaine d'embauches au total dans notre projet.

Pour l'instant, nous avons beaucoup de stock et nous souhaitons l'écouler, même si nous devrons en garder une partie pour répondre rapidement aux commandes. Ensuite, nous remonterons en puissance.

Il est vrai que notre modèle est différent de celui de la plupart des Scop : nous sommes une société industrielle de 230 salariés qui exporte une bonne partie de sa production. Dans une société plus petite qui ne fait pas face à la concurrence internationale, les coopérateurs peuvent prendre des décisions ensemble assez rapidement ; cela ne pourrait pas être le cas chez Duralex.

Enfin, j'ai fixé dès le début une règle d'or : il n'y a aucune différence entre un salarié coopérateur et un salarié qui ne l'est pas. Tout le monde doit travailler de la même manière. C'est une question essentielle en termes de management.

Mme Évelyne Renaud-Garabedian. - En 1981, Indiana Jones buvait du whisky dans un verre Duralex ; en 2012, c'était James Bond. Cette marque a donc connu un certain succès international... Avez-vous sollicité Bpifrance pour être soutenu à l'export ?

Par ailleurs, chacun connaît le nom de cette marque, mais je n'en ai jamais trouvé en magasin. Pourquoi ne pas distribuer vos produits, au-delà des restaurateurs ou de l'international, dans le réseau traditionnel français, c'est-à-dire en magasin ? Avez-vous décidé de ne vendre que par internet ?

M. François Marciano. - Je veux d'abord revenir sur ce que j'ai dit tout à l'heure pour le préciser : il est faux de dire que nous n'avons reçu aucune aide de l'État. L'État nous a accordé 3 millions d'euros en garanties bancaires. Par ailleurs, il devrait nous prêter, sous réserve de garanties, 683 800 euros, mais à un taux de 10,7 % ! La région nous avait dit qu'elle n'avait pas le droit de prêter à taux zéro, mais qu'elle pratiquerait les taux bancaires, soit 5,2 %. L'État semble accepter de nous prêter, mais - je le répète - à un taux de 10,7 % ! Qui plus est, à la condition que nous apportions des garanties très importantes.

Nous n'avons donc pas reçu d'aide non remboursable de la part de l'État. Les 9,78 millions d'euros que nous avons reçus viennent de la région, des banques, de la Socoden - la société de financement créée par le mouvement des Scop et des sociétés coopératives d'intérêt collectif (Scic) - ou de France Active. Le reste est en lease back : nous avons vendu nos bâtiments à la métropole et nous les lui rachetons sur quinze ans - c'était le seul moyen de financer le projet. Par ailleurs, les propriétaires précédents avaient bénéficié d'un prêt garanti par l'État.

J'ajoute que le tribunal a vraiment challengé notre dossier ; ils nous ont posé beaucoup de questions et nous devons bien sûr redresser les ventes. Nous avons déjà de nombreuses références, tout simplement parce que les consommateurs ont des préférences selon les pays : en Espagne, ils aiment le vert ; dans d'autres pays, ils préfèrent tel ou tel modèle, parce que c'est plus pratique pour consommer tel ou tel produit local, etc.

Pour le reste, notre projet est en fait tout simple : remettre les produits Duralex dans les magasins et les vendre, nous ne nous limiterons pas aux ventes sur internet !

M. Philippe Grosvalet. - On se plaît tous à chanter cocorico, voire à idéaliser tel ou tel modèle, mais la réalité est souvent plus sévère. Nous vivons dans un monde ouvert avec des prédateurs. Nous avons connu cela dans mon département, la Loire-Atlantique : les Chantiers de l'Atlantique ont été victimes de prédation, d'abord par des Norvégiens, puis par des Coréens ; l'une des dernières entreprises françaises à construire des véhicules de secours a également été rachetée ; etc.

Comme cela a été dit, il y a autant de modèles de Scop que de Scop ! Chaque exemple est différent. C'est un statut assez propre à la France, qui a parfois donné de grandes entreprises. Comment ce statut peut-il nous protéger des prédateurs internationaux dont je parlais à l'instant ? J'ajoute que ces prédateurs s'attaquent plutôt à des entreprises qui se portent bien et qui ont un grand potentiel, tant en termes de marché que des ressources humaines.

M. François Marciano. - Au début, nous avions envisagé le statut de Scic. Le statut Scop présente l'avantage qu'on ne peut pas revenir en arrière, retourner à un schéma capitaliste classique. C'est un statut plus sécurisé dans le temps.

M. Franck Montaugé. - Vous nous avez indiqué avoir souffert d'un manque de soutien en termes de reprise d'entreprise. Il existe pourtant plusieurs organismes ayant cette mission. Était-ce de votre part un appel à créer quelque chose pour accompagner les porteurs de projets ?

En ce qui concerne la responsabilité sociétale des entreprises (RSE), avez-vous l'intention d'analyser vos produits en cycle de vie pour mieux les valoriser, en particulier auprès des acheteurs publics ? Je crois d'ailleurs que la commande publique devrait davantage tenir compte de cet indicateur au lieu de baser l'essentiel du choix sur le prix.

M. François Marciano. - Nous avons publié un rapport RSE : Duralex est déjà certifié ISO 9001, ISO 14001, ISO 50001 et ISO 45001 et nous voulons aller de l'avant sur ces sujets. Par exemple, nous réfléchissons à installer un parc photovoltaïque sur nos quatorze hectares et nous voulons travailler sur la récupération de l'eau des toitures ou sur la question de la chaleur fatale. La fumée de notre four sort à 400 degrés Celsius ; il serait intéressant de nous en servir. En tout cas, nous prenons bien en compte l'analyse de nos produits en cycle de vie.

En ce qui concerne votre autre question, il y a souvent un problème de délai. Cela a été notre cas, puisque nous n'avons eu qu'un mois pour trouver une solution et un financement : on nous a annoncé le 24 avril que l'entreprise était en redressement judiciaire, les anciens dirigeants disant en outre au tribunal qu'il n'y aurait plus d'argent dès le 30 mai - en l'occurrence, ils avaient manifestement oublié que dans une procédure de redressement judiciaire, on peut conserver la trésorerie. En tout cas, dans ce genre de situation, il faut être rapide et agile. Des aides existent. Le premier problème, au fond, c'est le délai. En plus, on a besoin d'argent frais pour engager toutes les procédures, réaliser les dossiers, etc. Tout cela est extrêmement compliqué pour un jeune entrepreneur.

Mme Annick Jacquemet. - Merci de nous faire partager votre passion et votre engagement.

Plusieurs de mes questions ont déjà été posées. Je vais donc vous poser une question précise et de simple curiosité ; à quoi correspondent les chiffres au fond de vos verres ? J'ai vérifié, ils y sont toujours ! Pourquoi n'aurons-nous jamais plus de 50 ans ?

Surtout, entendez-vous développer votre gamme vers des contenants pour produits alimentaires ?

M. François Marciano. - Nous avons une gamme de produits de conservation depuis onze ans maintenant, mais le couvercle n'est pas étanche, si bien que ce sont plutôt des boîtes à mettre au réfrigérateur qu'à transporter. Nous avons prévu de sortir une nouvelle gamme au début de l'année prochaine avec des couvercles clipsables ; elle sera limitée au début, parce que nous n'avons pas les moyens financiers d'en faire plus. Notre verre présente l'avantage d'être plus léger que celui de nos concurrents.

En ce qui concerne le chiffre au fond du verre, je vais vous dévoiler le secret, même si normalement je le réserve aux financeurs... Il sert pour le contrôle de la qualité. Lorsque le contrôleur voit un problème, il doit pouvoir identifier la ligne de production. Or nous avons des machines à une ou deux tables de vingt-quatre, donc quarante-huit au maximum... Vous ne serez donc jamais plus âgée ! Ce chiffre correspond en fait au numéro du moule. Désolé de casser un mythe ! Je vous annonce d'ailleurs que l'année prochaine, pour les quatre-vingts ans de la marque, nous utiliserons quand même le chiffre 80...

M. Jean-Luc Brault. - Êtes-vous sûr que les Chinois ne réussiront pas demain à copier votre processus de fabrication ?

J'ai longtemps travaillé dans l'industrie et je peux vous dire que vous avez grand intérêt à utiliser la chaleur fatale. Il ne faut pas hésiter sur ce type de question !

Enfin, quelle est la durée de vie de vos fours ?

M. François Marciano. - Aujourd'hui, les constructeurs estiment qu'un four verrier dure entre douze et quatorze ans, mais tout dépend de l'intensité d'utilisation. Notre four date de 2017 et nous pensons qu'il tiendra quatorze ans. Un tel four, de même taille et technologie, coûte environ 8 millions d'euros, mais dans d'autres conditions l'investissement peut tourner autour de 15 millions.

Les Chinois ne réussiront jamais à copier la marque elle-même. C'est notre atout ! Ils fabriquent déjà les mêmes verres, mais ceux-ci ne sont pas trempés. C'est notre marque qui est puissante, davantage que notre technologie.

M. Patrick Chaize. - Il me semble que le statut de Scop permet de bénéficier d'avantages fiscaux. Pouvez-vous nous en dire plus à ce sujet ? Sont-ils significatifs ? Doivent-ils, selon vous, être conservés durant toute la vie de l'entreprise ou s'éteindre progressivement ?

M. François Marciano. - Je ne maîtrise pas du tout ce sujet. Il me semble qu'il existe une exonération de cotisation foncière des entreprises (CFE), mais nous avons repris l'entreprise il y a trois mois seulement et je ne suis pas encore un expert du statut de Scop.

Quand on nous a dit que nous n'aurions pas les reins aussi solides qu'un fonds d'investissement, j'ai répondu : regardez où ce type de fonds nous a menés ! En fait, pour que les choses fonctionnent, il faut un marché et vendre ses produits.

M. Henri Cabanel. - Vous avez évoqué les difficultés pour un jeune de reprendre une entreprise. Vous avez aussi mis en avant le fait que les aides étaient différentes selon le type de repreneur. Ce sont les collectivités locales qui ont débloqué l'affaire dans le cas de Duralex, en se substituant notamment au système bancaire.

Faut-il, selon vous, réformer le système bancaire, puisqu'aujourd'hui il accorde plus de crédibilité à la solvabilité qu'au business plan ? Mon père, qui a été président du Crédit Agricole, une banque mutualiste à l'époque, avait l'habitude de dire que les banques ne prêtent qu'aux riches...

M. François Marciano. - C'est un vaste débat que je ne maîtrise pas. Beaucoup de banques ont le statut de coopérative et elles fonctionnent bien.

Ce qui manque dans le système, c'est l'expertise. Nous avons besoin d'experts de terrain indépendants pour challenger les porteurs de projets. Au début, l'association des Scop a eu peur de notre dossier, notamment en raison de la taille de l'entreprise et de l'importance des exportations dans notre modèle. Ils ont alors désigné plusieurs experts, l'un en verrerie, un autre en finances et un autre en industrie ; cela a coûté cher, mais c'était important pour comprendre le projet et vérifier s'il était viable.

M. Rémi Cardon. - Aujourd'hui, en France, près d'un quart des chefs d'entreprise a plus de 60 ans. La question de la transmission est donc très importante. Comment faciliter cette période délicate ? Le statut de Scop peut-il être intéressant de ce point de vue ?

S'agissant des financements, existe-t-il un fonds national consacré à la reprise par les salariés de leur entreprise ?

M. François Marciano. - Non !

M. Rémi Cardon. - Il faut donc agir au coup par coup, ce qui représente un travail gigantesque. Par conséquent, bravo !

M. François Marciano. - Comme je vous le disais, j'ai passé quelques nuits blanches... On vous demande de remplir d'énormes dossiers, parfois pour obtenir des sommes assez faibles au regard du projet. Tout est très compliqué ! La solution passe par le soutien d'une expertise technique et un fonds dédié.

M. Daniel Gremillet. - Vous nous avez indiqué que vos verres étaient moins lourds que ceux de vos concurrents. C'est quelque chose d'important dans le cadre de l'impact carbone. Nous débattions hier avec des viticulteurs de ce défi : diminuer le poids des bouteilles permet de réduire l'impact carbone. Êtes-vous positionné sur ce marché ? La légèreté de votre verre vous donnerait un avantage formidable pour l'avenir !

Je suis président d'une coopérative laitière qui a été créée en 1931... Et je crois que vous devriez regarder attentivement les caractéristiques du statut des Scop, en particulier en termes de fiscalité. On entend d'ailleurs régulièrement des tentatives de remise en cause de ce statut, ce qui est un risque important. Par ailleurs, l'une des caractéristiques d'une coopérative est aussi que l'on ne peut pas forcer un coopérateur à quitter l'entreprise...

Il y a toujours un enthousiasme des débuts, mais il est difficile de faire partager le projet dans la durée à tous les sociétaires. Ce n'est pas parce qu'une société est une coopérative qu'elle vend ses produits ! Duralex doit être aussi bon que les autres, meilleur même, pour continuer d'exister sur le marché.

M. François Marciano. - Je suis évidemment très fier d'avoir porté ce dossier, mais c'est moi qui m'adapte aux équipes, pas l'inverse. Si j'ai fait tout cela, c'est parce que les salariés étaient totalement engagés dans l'entreprise : vous avez 228 personnes qui sont amoureuses de leur boîte et qui se battent comme des fous depuis trente ans pour qu'elle survive, malgré les grandes difficultés qu'elles ont traversées - retards de salaire, problèmes d'approvisionnement... Leur résilience est incroyable. Je ne suis qu'un outil, avec mon expérience ; d'ailleurs, mon successeur est déjà dans l'entreprise et je le forme.

En ce qui concerne la légèreté du verre, Duralex est effectivement très fort pour le pressage fin. Mais nous n'avons pas le verre le plus léger : Arc International est encore meilleur, dans toutes les catégories, mais son positionnement est davantage haut de gamme et ils sont en train de délocaliser aux États-Unis... Par ailleurs, la bouteillerie n'utilise pas la même technologie que la nôtre.

Mme Dominique Estrosi Sassone, présidente. - Merci pour votre engagement. Nous vous souhaitons le meilleur !

Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo, disponible en ligne sur le site du Sénat.

La réunion est close à 11 h 45.