Jeudi 17 octobre 2024
- Présidence de M. Stéphane Piednoir, sénateur, président -
La réunion est ouverte à 9 h 00.
Les impacts des plastiques sur la santé humaine - Audition publique
M. Stéphane Piednoir, sénateur, président de l'Office. - Bienvenue à tous. La réunion de l'Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques (OPECST) de ce matin est consacrée à une audition publique sur les impacts des plastiques sur la santé humaine. C'est la première réunion de travail de l'Office depuis sa reconstitution à l'issue des élections législatives organisées à la suite de la dissolution de l'Assemblée nationale en juin dernier.
Grâce à l'implication constante de notre ancienne collègue sénatrice Angèle Préville et de notre collègue député Philippe Bolo, l'Office a réalisé plusieurs travaux sur les plastiques. En décembre 2020, un rapport très complet sur la pollution plastique Pollution plastique : une bombe à retardement ? a été rendu public. Selon plusieurs scientifiques, ce rapport reste une référence sur cette question complexe. En juin 2023, l'Office a également publié une note scientifique sur le recyclage des plastiques.
Par ailleurs, depuis le lancement, en novembre 2022, des négociations sur le futur traité international visant à mettre fin à la pollution plastique, l'Office s'est attaché à expliquer les enjeux de ce traité et à faire des recommandations. C'est dans ce cadre que l'Office avait organisé, en mai 2023, une audition publique sur les enjeux scientifiques du futur traité international.
Du 25 novembre au 1er décembre 2024 se tiendra en Corée du Sud le dernier cycle de négociations sur le futur traité international visant à supprimer la pollution plastique. Les parties restent très divisées et les informations obtenues par l'Office prêtent peu à l'optimisme quant aux ambitions du traité. Pourtant, comme le rappelle le document publié ce mois-ci par l'OCDE (Organisation de coopération et de développement économique), le statu quo est intenable car si rien n'est fait, les flux de plastiques et leurs impacts environnementaux continueront de croître rapidement. Nous avons tous en tête les images d'océans saturés par la pollution plastique.
Afin de convaincre les négociateurs, notamment le gouvernement français, de défendre des objectifs ambitieux de réduction de la production de plastiques et de baisse de leur toxicité, l'Office a souhaité organiser une audition consacrée aux impacts des plastiques sur la santé humaine.
En effet, si les effets néfastes de la pollution plastique sur l'environnement sont démontrés scientifiquement et désormais bien connus du grand public, les impacts des plastiques sur la santé humaine ont fait l'objet de moins de recherches, même si depuis quelques années, un nombre croissant d'études scientifiques met en lumière les risques sanitaires qu'ils font courir à la population.
Les deux tables rondes de cette matinée ont pour objectif de faire un point approfondi sur les risques que font courir les plastiques sur la santé humaine et de mesurer les coûts de cette pollution pour les finances publiques et les systèmes de santé.
L'audition est diffusée en direct sur le site du Sénat et pourra être revue sur les pages de l'Office des sites de l'Assemblée nationale et du Sénat.
Je laisse maintenant la parole à Philippe Bolo, que je remercie pour son engagement constant sur le sujet.
M. Philippe Bolo, député. - Merci à l'Office d'avoir accepté d'organiser cette audition publique. Il ne s'agit pas de dire que les plastiques sont inutiles, les plastiques sont utiles, y compris dans le domaine de la santé. Aussi paradoxal que cela puisse paraître, ils sont utilisés pour soigner. Mais ils sont aussi à l'origine de problèmes de santé publique.
Comme vous l'avez indiqué, monsieur le président, cette audition s'inscrit dans le cadre des négociations du traité international visant à mettre fin à la pollution plastique dont le cinquième et dernier cycle de négociation se tiendra à la fin de l'année. Ces négociations prennent en compte la pollution durant tout le cycle de vie du plastique et dans tous les milieux.
Avant de laisser la parole à nos intervenants, permettez-moi de rendre hommage au chercheur Juan Baztan, qui nous a quittés trop tôt et qui a activement contribué aux travaux menés par l'Office sur la pollution plastique.
Mme Fabienne Lagarde, enseignante-chercheuse à Le Mans Université. - Je souhaite d'abord remercier M. le député Philippe Bolo pour son engagement sur le sujet de la pollution plastique et M. le président de l'Office pour l'organisation de cette audition publique.
Un plastique est un composé chimique constitué de toutes petites molécules accrochées les unes aux autres, les monomères - le procédé chimique permettant d'attacher solidement les monomères entre eux a été découvert il y a une centaine d'années. L'assemblage de ces molécules forme les polymères qui constituent les plastiques. En fonction du monomère utilisé, on obtiendra un polymère particulier. Ainsi, à partir de l'éthylène qui ne contient que du carbone et de l'hydrogène, on va fabriquer du polyéthylène. D'autres atomes sont parfois ajoutés en petites quantités, comme l'oxygène dans le PET (polyéthylène téréphtalate) de nos bouteilles en plastique, ou le chlore dans le PVC (polychlorure de vinyle) que l'on trouve dans toutes les conduites et canalisations d'eau.
La grande variété de polymères existants doit nous conduire à parler non pas du plastique, mais des plastiques. Les polymères, qui sont essentiellement constitués de carbone, ne seraient pas utilisables seuls. Pour faire du plastique, il faut y ajouter des charges et une grande variété de substances chimiques. Aujourd'hui, plus de 16 000 molécules entrent dans la composition des plastiques - additifs, anti-oxydants, anti-feu, colorants, etc. Si la plupart sont ajoutées intentionnellement, ce n'est pas le cas de toutes. Les formules varient selon les usages.
On estime aujourd'hui qu'il y a environ 4 000 plastiques différents sur le marché, même s'il est difficile d'avoir leur nombre exact. Le plastique est désormais massivement utilisé. Depuis sa mise sur le marché dans les années 1950, sa production n'a fait qu'augmenter de manière vertigineuse, elle a notamment plus que doublé au cours des vingt dernières années. En 2024, nous aurons probablement dépassé les 500 millions de tonnes produites dans le monde, et l'on s'attend à un doublement de la production dans les années à venir. Pour vous donner un ordre d'idée, avec 500 millions de tonnes de film alimentaire, on pourrait emballer 50 fois la France. Selon l'OCDE, la production de plastique, qui s'établissait autour de 430 millions de tonnes en 2020, devrait s'élever à 750 millions de tonnes en 2040 et devrait doubler avant 2050. Le secteur le plus consommateur est celui de l'emballage, qui utilise à lui seul plus de 30 % des plastiques produits.
Qui dit utilisation massive de plastiques dit production de déchets. Moins de 10 % des déchets plastiques sont recyclés dans le monde, l'immense majorité des déchets à l'heure actuelle est stockée en décharge ou répandue dans l'environnement, contaminant les environnements terrestres et aquatiques. Si l'on se concentre sur la France, voici un schéma de l'Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie (Ademe) qui présente la production de plastiques, les déchets plastiques et le recyclage comme quelque chose de parfaitement circulaire, avec l'idée que tout ce qu'on consomme est recyclé. En réalité, il n'y a pas du tout de circularité : la boucle du recyclage est toute petite par rapport au flux de plastiques produits. En 2018, un tiers des plastiques sont incinérés et un tiers sont mis en décharge. Sur 3,6 millions de tonnes de déchets plastiques produits en France, 0,6 million de tonnes seulement ont été réellement recyclées.
Au-delà des déchets, le plastique a également un impact sur l'environnement tout au long de son cycle de vie. Les monomères sont issus de la pétrochimie. Leur extraction, leur affinage et leur production sont émetteurs de gaz à effet de serre. En 2015, la production de plastique représentait 4 % des émissions mondiales ; selon l'OCDE, cette proportion pourrait s'établir à 15 % en 2050.
Si les plastiques sont aussi utilisés, c'est en raison de leurs propriétés extraordinaires : ils sont très résistants, notamment à la chaleur, ils permettent de porter des masses importantes au regard de leur poids, etc. Mais ils ne sont pas inertes pour autant. Ils sont par exemple sensibles aux rayons ultraviolets. Au cours de leur usage, les plastiques, à l'instar des pelouses synthétiques qui sont laissées en plein soleil pendant des années, sont photodégradés, leur surface s'érode et se fragmente pour former des micro-, voire des nanoplastiques.
Toutes les substances chimiques qui sont ajoutées au plastique sont elles aussi peu à peu relarguées dans l'environnement, où elles s'accumulent.
Au-delà des microplastiques secondaires qui sont issus de la dégradation des plus gros déchets, on trouve aussi des microplastiques primaires qui ont déjà de très petites tailles avant d'entrer dans l'environnement, tels que les microbilles qui, pendant très longtemps, ont été ajoutées dans les cosmétiques. L'abrasion des pneus et le lavage des vêtements synthétiques, issus souvent du recyclage, produisent également des quantités extrêmement importantes de microplastiques et de microfibres synthétiques. Ce sont ces microplastiques primaires qu'on retrouve majoritairement dans l'environnement.
Du fait de la grande variété de composition, de taille et de forme de ces plastiques, leur quantification est très difficile. On estime toutefois qu'il y a probablement un « effet iceberg », c'est-à-dire que l'on ne sait sans doute doser qu'une petite partie de la pollution. Ces particules de toutes les tailles et de toutes les formes ont la capacité de se déplacer extrêmement facilement et peuvent, par le jeu de courants marins et de courants atmosphériques, voyager très loin de leur lieu d'émission pour contaminer tous les compartiments de l'environnement, qu'il s'agisse des sols, des sommets des montagnes et même des nuages.
LES VOIES D'EXPOSITION ET LES EFFETS SUR LA SANTÉ DU PLASTIQUE PARTICULAIRE
M. Philippe Bolo, député, rapporteur. - Merci pour cette introduction. Je vais maintenant donner la parole à Guillaume Duflos, directeur de recherche à l'Agence nationale de sécurité sanitaire de l'alimentation, de l'environnement et du travail.
M. Guillaume Duflos, directeur de recherche à l'Agence nationale de sécurité sanitaire de l'alimentation, de l'environnement et du travail (Anses). - Merci d'organiser cette audition. Les impacts de la pollution plastique apparaissent dans différents compartiments de l'environnement. Ainsi, il a été observé il y a quelque temps qu'une roche pouvait se former en englobant des particules de plastique. Le chercheur ayant mis ce phénomène en évidence a appelé cet agglomérat « plasticomérat ». Cela montre l'impact environnemental fort du plastique au-delà de ce qu'on a pu observer dans les mers. De même, une nouvelle maladie dont le plastique est responsable, nommée « plasticose », a été détectée chez les oiseaux marins. Le corps humain est exposé aux plastiques par l'inhalation, l'alimentation et le contact cutané.
Selon le principe One health, les impacts des plastiques sur l'environnement ont des conséquences sur la santé des animaux puis sur la santé humaine. Ces impacts cumulés ont in fine un effet démultiplié.
Je souhaiterais insister sur la diversité des microplastiques et la difficulté pour les chercheurs de les étudier en raison de leurs tailles et formes très différentes. La mesure des impacts des plastiques sur l'environnement étant un domaine d'étude nouveau, elle appelle la mise en place de méthodes et de processus analytiques nouveaux.
Le premier élément que nous avons étudié à l'Anses est l'eau. Cette matrice apparemment simple a nécessité une batterie d'analyses et des équipements complexes. Il nous a fallu repenser nos pratiques, car nous utilisions beaucoup de plastique dans nos laboratoires.
On trouve des particules de microplastiques et de nanoplastiques dans les eaux embouteillées, et, dans une moindre mesure, dans l'eau du robinet. Les résultats variant sensiblement d'une étude à l'autre, nous avons engagé des travaux de normalisation qui nous permettront de comparer les résultats, mais également de proposer une surveillance harmonisée aux parties prenantes.
Les travaux de normalisation menés par l'Afnor (Agence française de normalisation) ont abouti l'année dernière à l'élaboration d'une norme de caractérisation des microplastiques dans les eaux. Cette démarche française se diffuse au niveau international, puisque l'Organisation internationale de normalisation (ISO) prépare à son tour plusieurs normes de caractérisation des particules de plastique dans l'eau de consommation et dans l'eau de l'environnement.
D'autres aliments ont été étudiés tels que le sel, la bière, les fruits, les légumes, le thé, les oeufs, la viande, etc. Les études n'étant pas toujours concordantes, il nous faudra lancer un processus de normalisation pour harmoniser nos pratiques.
Une revue bibliographique réalisée par Chloé Liebgott en 2023 a mis en évidence que certains aliments comme le thé ou le riz contenaient des nanoplastiques. La petite taille et les matrices de comportement de ces particules nous posent toutefois un nouveau défi méthodologique.
Il est trop tôt pour évaluer les risques pour la santé humaine. Nous devons pour cela harmoniser les méthodes afin de caractériser le danger lié aux polymères ou aux divers additifs qui peuvent être libérés. Pour évaluer la toxicité de ces composés plastiques, il faut développer des matériaux de référence, des méthodes analytiques dans des matrices complexes et harmoniser nos études et nos approches pour la toxicologie.
Chez l'homme, la présence de microplastiques a été mise en évidence dans les poumons, le foie, le système digestif, les selles, le système circulatoire (veine saphène, thrombus veineux), le placenta, le système urinaire, etc.
L'Anses est impliquée dans différents projets de recherche auxquels elle accorde une grande importance. Deux thèses sont actuellement engagées au sein de l'agence, et un groupe de travail interne sur les micro- et nanoplastiques a été mis en place afin de mener des études en laboratoire, d'évaluer les risques sanitaires et d'analyser l'impact sociétal des plastiques.
M. Philippe Bolo, député, rapporteur. - Merci. Je vais maintenant donner la parole à Muriel Mercier-Bonin, directrice de recherche à l'Institut national de recherche pour l'agriculture, l'alimentation et l'environnement (Inrae) dans l'UMR Toxalim.
Mme Muriel Mercier-Bonin, directrice de recherche à l'Institut national de recherche pour l'agriculture, l'alimentation et l'environnement (Inrae) dans l'UMR Toxalim (Centre de recherche en toxicologie alimentaire). - J'évoquerai pour ma part l'exposition orale aux plastiques particulaires et ses conséquences sur la santé digestive.
Les méthodes pour détecter et quantifier le plastique particulaire dans les échantillons humains sont encore au stade du développement car il y a des problématiques de contamination et d'interférences potentielles avec la matrice biologique. Nous sommes également confrontés à la difficulté, à ce stade de nos connaissances, de détection des nanoplastiques dans les tissus humains. Il y a d'ailleurs un décalage temporel entre les connaissances sur l'impact des microplastiques en santé digestive et celles portant sur les nanoplastiques, qui sont plus récentes. Ces études doivent être replacées dans le contexte politique, économique et sociétal de la pollution plastique caractérisé par des actions menées au niveau national, européen et mondial avec les négociations sur le futur traité. À ce sujet, je souhaite évoquer le travail mené par la coalition des scientifiques qui a produit plusieurs synthèses sur l'impact des microplastiques sur la santé humaine.
Lorsqu'on s'intéresse aux microplastiques particulaires, l'un des premiers verrous à lever est celui de la connaissance de leur impact sur la santé humaine à travers l'ingestion.
Dès 2020, la Commission européenne s'est emparée de la question en finançant 5 projets de recherche focalisés sur différentes fenêtres de vulnérabilité comme la période de l'enfance, les pathologies, notamment respiratoires, le développement de méthodes d'analyse et l'évaluation des impacts en termes de toxicité et d'immunotoxicité. Ces projets sont regroupés autour d'un cluster qui permet aux scientifiques de travailler ensemble pour lever les différents verrous, à commencer par les outils analytiques permettant de détecter, de quantifier et de caractériser les particules plastiques, la mesure de l'exposition interne, que ce soit dans les fluides ou les tissus biologiques, et les différents types de plastiques particulaires auxquels les humains sont exposés.
Les recherches portent également sur la capacité de certains plastiques particulaires à traverser les barrières biologiques, notamment la barrière intestinale, sur les interactions bidirectionnelles entre ce plastique particulaire et les fluides digestifs lors d'un processus de digestion gastro-intestinal ainsi que sur l'absorption, la distribution dans l'organisme, l'éventuelle métabolisation et l'excrétion de ces plastiques.
D'autres questions sont posées en termes d'effets doses-dépendants et d'effets à long terme dans des conditions réelles d'exposition, à travers des études de cohorte. Avec les plastiques, des substances chimiques mais aussi des contaminants vont être absorbés, avec un effet « cheval de Troie ». Nous avons besoin de davantage de recherche sur ce sujet. Se pose également la question du rôle de la couronne biomoléculaire, ou biocorona, qui se constitue quand les plastiques particulaires entrent dans l'organisme. Cette couronne biomoléculaire peut avoir un impact sur l'absorption et la toxicité.
Lorsqu'on parle de risque, on parle de danger mais aussi d'exposition humaine, et nous manquons également de connaissances dans ce domaine. Une étude sur l'ingestion de l'équivalent d'une carte de crédit avait fait grand bruit en 2019, évaluant l'absorption de plastiques à 5 grammes par semaine. J'ai représenté sur une frise les études convergentes ou divergentes depuis cette date. En 2022, un collègue scientifique estimait qu'il faudrait 23 000 ans pour ingérer l'équivalent d'une carte de crédit. Une autre étude concluait à une exposition plus limitée, de 4 microgrammes par semaine, soit un million de fois moindre. Une étude très récente, réalisée à l'échelle de 109 pays, industrialisés et en développement, montre une exposition relativement limitée - en milligrammes par jour - dans la plupart des pays, mais une forte exposition dans les pays d'Asie du Sud-Est, de 500 milligrammes par jour, en raison essentiellement de la consommation de fruits de mer.
En l'état actuel des connaissances, des incertitudes persistent quant à l'exposition humaine, liées aux sources des données et aux méthodes d'estimation.
Lorsque nous sommes exposés, par notre alimentation, à ces plastiques particulaires, quelles sont les conséquences sur notre barrière intestinale ? Celle-ci est constituée de différents acteurs : l'épithélium intestinal qui maintient la protection intestinale de notre organisme, le mucus - gel qui tapisse notre intestin - et le microbiote. Est-ce que l'accumulation des plastiques particulaires génère une inflammation ? Les effets sont variables en fonction de la durée d'exposition et des doses avec lesquelles on va travailler sur des modèles in vitro ou in vivo chez le rongeur.
Dans la littérature scientifique, l'essentiel des travaux est mené sur des particules commerciales, sphériques et essentiellement en polystyrène, ce qui ne correspond pas à ce qu'on trouve réellement dans l'environnement. Les conditions expérimentales sont souvent peu réalistes, avec notamment des doses très élevées.
Les microplastiques issus de plastiques biodégradables sont-ils une solution ? Les études sont rares et très récentes. Il y en a une in vitro sur les microplastiques d'acide polylactique (PLA), une sur ceux en polycaprolactone (PCL), dans un modèle qui mime un écosystème digestif humain. Il peut y avoir ou non des modulations de microbiote intestinal en fonction des conditions d'exposition. Chez le rongeur, une seule étude préclinique a été menée sur des microplastiques de PLA, qui montre que les enzymes digestives réalisent une hydrolyse de ces microplastiques pour former de plus petites particules ; des nanoplastiques ou des oligomères peuvent donc s'accumuler et provoquer une inflammation aiguë.
Les études sont souvent réalisées sur des populations saines, mais il convient aussi de s'interroger sur les populations à risque. Les patients atteints de maladies inflammatoires chroniques de l'intestin (MICI) - maladie de Crohn ou rectocolite hémorragique - ont davantage de microplastiques dans leurs selles que les volontaires sains.
Il y a aussi plus de microplastiques PET (polyéthylène téréphtalate) dans les selles des enfants que dans les selles des adultes, mais aucune différence en ce qui concerne la teneur en polycarbonate, autre type de polymère.
Au sein de notre laboratoire, nous menons des travaux avec différents partenaires pour comprendre l'impact des plastiques sur la sphère digestive. Nous avons travaillé dans un continuum in vitro-in vivo sur deux fenêtres sensibles. D'abord, sur des enfants âgés de 6 mois à 3 ans : nous avons inoculé leurs selles dans des digesteurs mimant l'écosystème digestif humain. Ensuite, chez la souris, nous nous sommes intéressés au stress nutritionnel avec un régime occidental « western » - composé de gras et de sucre. Nous avons regardé l'effet sur le microbiote intestinal.
Le microbiote intestinal est l'ensemble des micro-organismes hébergés dans notre intestin : bactéries, champignons, virus, archées... Ce microbiote évolue tout au long de la vie. Parfois, il peut être modifié et atteint de dysbiose, qui peut entraîner une maladie. Ce microbiote a de nombreuses fonctions positives dans le tractus gastro-intestinal. Il aide à la fermentation de substrats pour produire des produits intéressants pour notre santé, synthétiser des vitamines, participer à la maturation de l'épithélium et du système immunitaire et constituer une barrière contre les pathogènes. Dans notre étude, on observe chez l'enfant une diminution du butyrate, un acide gras à chaîne courte (AGCC) très bénéfique. Il y a aussi des changements à la fois chez l'adulte et l'enfant avec l'émergence de certaines bactéries, des pathobiontes.
En cas de régime « western », on observe une diminution des AGCC chez la souris, ce qui peut être négatif pour notre santé. La teneur en propionate, un AGCC bénéfique, diminue également après exposition aux microplastiques. Avec un régime occidental, on observe une perte de bactéries bénéfiques et une augmentation de bactéries délétères. L'administration de microplastiques aux rongeurs produit des effets essentiellement sous un régime occidental.
Nos études permettent, au travers de ce continuum in vitro-in vivo de mieux appréhender les dangers de l'exposition orale aux microplastiques. Les signatures que nous explorons sur des populations saines peuvent évoluer sur des populations à risque.
Il est nécessaire d'avoir une interface entre la toxicologie et la chimie. En matière de toxicologie et de physiologie, nous essayons de construire des modèles in vitro qui miment mieux l'écosystème intestinal humain. Il faut également étudier les communications entre les organes, parce que l'intestin est à l'interface avec le foie et le cerveau.
Nous devons en particulier étudier l'enfance et le régime occidental. Nous sommes soumis à un exposome, qui va moduler l'impact potentiel des plastiques particulaires. Nous devons aussi mener des études épidémiologiques chez l'humain pour essayer de faire le pont entre la recherche préclinique et la recherche clinique. En chimie, il est nécessaire de disposer de méthodes analytiques fiables, avec des petites particules, et d'utiliser des plastiques représentatifs de l'exposition.
Lors du congrès Micro 2024 en septembre dernier ont été présentés des travaux canadiens menés par le Centre international de référence sur l'analyse du cycle de vie et la transition durable (CIRAIG) et Polytechnique Montréal. Ils visent à mesurer l'impact des plastiques particulaires, micro- et nanoplastiques, chez le rongeur, dans le cadre d'analyses de cycle de vie afin de prédire l'impact en durée de vie perdue chez l'humain.
M. Philippe Bolo, député, rapporteur. - Merci. Je vais maintenant donner la parole à Sonja Boland, ingénieure de recherche à l'Université Paris Cité.
Mme Sonja Boland, ingénieure de recherche à l'Université Paris Cité. - J'évoquerai l'effet des micro- et nanoplastiques inhalés sur la santé. De nombreuses études ont déjà montré que l'air que nous inhalons contient des microplastiques. Ils sont plus nombreux en milieu urbain que rural. En région parisienne, 3 à 10 tonnes de plastique seraient déposées par an, majoritairement des fibres, dont 30 % sont synthétiques. Dans l'air intérieur, on trouve encore plus de particules, majoritairement des fibres. Une étude a même montré que des écoliers seraient plus exposés à des fibres que des travailleurs de bureau.
Nous inhalons chacun jusqu'à 30 millions de particules de plastique par an. L'inhalation est au moins aussi importante que l'ingestion.
Les origines des microplastiques sont très diverses et dépendent beaucoup de la localisation. En plus des sources de proximité (bâches agricoles, épandage de boues de stations d'épuration, débris de pneus, fibres textiles, etc.), on constate un transport troposphérique : des particules rejetées par les embruns peuvent être transportées dans l'air. Tous les plastiques déversés dans les océans peuvent nous revenir via l'air. Il en est de même pour les décharges mal gérées ou sauvages : tous les plastiques émis, que ce soit au niveau local ou sur d'autres continents, risquent de nous revenir.
Je vais vous résumer l'impact des plastiques sur le fonctionnement de l'appareil respiratoire, en fonction de la taille des particules, afin que vous compreniez les enjeux des plastiques inhalés. La taille détermine jusqu'à quel niveau les particules peuvent pénétrer l'appareil respiratoire. Les particules les plus grosses, supérieures à 10 micromètres, ne peuvent pas dépasser le nasopharynx. Seules les particules respirables les plus fines, inférieures à 2,5 micromètres, peuvent atteindre les alvéoles. Les fibres sont respirables si leur diamètre est inférieur à 2,5 micromètres. L'appareil respiratoire est pourvu de mécanismes d'élimination. La clairance mucociliaire permet d'éliminer les particules qui se déposent sur du mucus qui va être transporté, grâce au battement coordonné des cellules ciliées vers la bouche, pour être expectorées ou avalées. Au niveau alvéolaire, les macrophages vont ingérer ces particules. Néanmoins, ces particules peuvent entrer dans l'organisme puisque les macrophages vont migrer vers les ganglions et la circulation lymphatique, ou bien remonter par la clairance mucociliaire pour être déglutis et atteindre l'appareil gastro-intestinal. Les nanoparticules peuvent déjouer les mécanismes de clairance, traverser l'épithélium et entrer dans la circulation sanguine pour atteindre les organes secondaires. Certaines nanoparticules peuvent remonter les nerfs, par exemple les nerfs olfactifs, et atteindre le cerveau.
Le poumon, organe très irrigué, peut être touché par les particules présentes dans le sang. Plusieurs études démontrent la présence de ces particules dans les tissus et les sécrétions humaines. Elles sont présentes à tous les niveaux de l'appareil respiratoire, avec plus de fibres que de fragments, et très rarement des films. Par contre, on ne sait pas encore détecter les nanoparticules, probablement très importantes, dans cet organe. Les fibres ont une longueur moyenne de 40 à 300 micromètres. On a détecté plusieurs types de polymères, mais leur fréquence varie selon les études. On trouve plus de particules chez les personnes qui travaillent à l'intérieur que chez celles travaillant en extérieur, et chez les fumeurs que chez les non-fumeurs. La quantité de plastique dans le poumon augmente avec l'âge, ce qui suggère que les particules persistent dans l'organisme sans être éliminées.
Concernant la toxicité de ces particules inhalées, des études cliniques - les premières datent de 1970 dans l'industrie du flocage - montrent que les travailleurs des industries plastiques développent des maladies professionnelles. Certains travailleurs ont développé des altérations de la fonction pulmonaire, un essoufflement, de l'inflammation, de la fibrose et même pour certains des cancers du poumon. Il en est de même dans l'industrie du textile et celle du PVC. Une augmentation du cancer de l'estomac peut être due à la déglutition des particules inhalées. Ces toxicités sont liées aux particules, mais on ne peut exclure un effet des additifs, des contaminants et des monomères, surtout pour le polyvinyle et le styrène. Dans l'industrie du polystyrène, ce sont surtout les monomères à la base des plastiques qui induisent ces pathologies car ils sont connus pour être très toxiques et cancérigènes. Des polymères naturels peuvent aussi avoir des effets sur le poumon, sans qu'on sache quels sont les seuils de concentration pouvant induire ces pathologies. Mais si on ne régule pas la production de plastiques, leur concentration dans l'air va fortement augmenter.
D'autres études ont montré une corrélation entre des pathologies respiratoires et des plastiques présents dans le poumon. Il y a plus de particules et de fibres présentes dans les tumeurs que dans les tissus normaux. On observe aussi des changements dans la composition des plastiques.
On constate un lien entre la présence de microplastiques et une altération de la fonction pulmonaire. On détecte plus de plastiques dans le corps des personnes ayant des rhinites allergiques. Les paramètres sanguins sont également modifiés lorsque des plastiques sont détectés dans le poumon. Nous avons besoin de davantage d'études, au-delà de ces cas spécifiques. Nous devons aussi étudier si ces changements sont dus à la présence de plastique ou si d'autres conditions favorisent le dépôt de ces particules. La toxicité des particules de plastique a été confirmée par des études expérimentales. Il faudrait plus d'études avec des particules plus représentatives de ce qu'on inhale réellement, mais on peut dire que différents types de polymères peuvent entrer dans les cellules et traverser la barrière épithéliale, provoquant des effets pro-inflammatoires et pro-fibrosants.
Cependant, les résultats sur la toxicité sont assez variables car les doses sont souvent très élevées dans les études et peu représentatives.
Ces effets dépendent aussi des caractéristiques physico-chimiques des particules. Leur forme importe également ; certaines fibres peuvent induire une phagocytose frustrée : lorsqu'elles sont trop grandes, les macrophages n'arrivent pas totalement à les ingérer. Cela peut provoquer une inflammation persistante. Mais on ne sait pas du tout si les fibres de plastique provoquent les mêmes phénomènes que l'amiante par exemple.
Les plastiques peuvent aussi interagir avec des bactéries et des virus. La présence de plastique dans le poumon est corrélée avec une croissance de bactéries pathogènes pulmonaires. Il y a aussi une modification du microbiote. On observe un changement dans la composition de la flore pulmonaire, et la présence de plastique peut faciliter le transfert de gènes, notamment une résistance aux antibiotiques. Les particules peuvent aussi interagir avec des protéines virales, ce qui pourrait faciliter l'infection des cellules. Dans notre laboratoire, nous avons montré une diminution de la défense antivirale lorsqu'on prétraite les cellules avec des particules atmosphériques de la région parisienne qui peuvent contenir des plastiques. Nous avons également constaté une diminution de la production d'interférons en présence de particules de polystyrène.
Je vais achever cette présentation en évoquant l'interaction entre les polluants et les plastiques, sujet qui sera développé dans la seconde table ronde. Nos recherches actuelles montrent que si l'on expose les cellules à des particules de plastique contaminées par le benzopyrène, qui est un hydrocarbure aromatique polycyclique (HAP) très toxique et un polluant majeur de l'air, il y a induction du même marqueur que le benzopyrène seul. Cela veut dire que le benzopyrène est biodisponible dans les cellules. Plus important, avec des particules recouvertes de ce polluant, il y a une induction d'une réponse pro-inflammatoire, alors que le benzopyrène seul et les plastiques seuls n'induisent pas cet effet. Nous nous penchons maintenant sur les mécanismes responsables de cet effet très spécifique des particules de benzopyrène en combinaison avec des plastiques.
Il est indéniable que les plastiques sont présents dans l'appareil respiratoire et y persistent. Ils passent probablement dans d'autres organes, comme cela a été observé avec d'autres nanoparticules. Les effets toxiques ont été démontrés avec des études cliniques et expérimentales. Il nous faudrait plus d'études, des cohortes plus importantes, des études expérimentales avec exposition plutôt chronique et à faibles doses et des particules plus représentatives de ce que nous inhalons, afin d'asseoir ces données, notamment en ce qui concerne les polymères non synthétiques et les fibres. Il a été démontré que les plastiques jouent un rôle de vecteur, de « cheval de Troie ». Nous devons désormais comprendre les mécanismes et les effets cocktail des interactions des plastiques avec d'autres polluants.
M. Stéphane Piednoir, sénateur, président de l'Office. - Merci pour vos interventions. Vos propos ne nous rassurent pas particulièrement... Nous comprenons qu'il y a différentes sources d'absorption des plastiques, sous différentes formes.
Mme Dominique Voynet, députée. - Au-delà de l'exposition par l'alimentation et par inhalation, il existe une voie plus directe en circuit médical avec les tubulures de perfusion ou de transfusion et les circuits de dialyse, qui durent plusieurs heures, parfois plusieurs fois par semaine. Des études existent-elles sur ce sujet, ou sont-elles planifiées ?
En sus du mécanisme inflammatoire, n'y a-t-il pas aussi un effet mécanique par colmatage, notamment des glomérules rénaux ou des capillaires sanguins ?
Pouvez-vous nous en dire plus sur la métrologie ? Comment mesure-t-on ces particules ? Souvent, on ne trouve que ce que l'on cherche et ce qu'on sait chercher.
M. Philippe Bolo, député, rapporteur. - Je relève deux éléments contradictoires : d'un côté, un certain nombre de résultats scientifiques montrent que des microplastiques sont présents dans l'organisme, avec certaines conséquences. Et de l'autre, il y a un besoin de normaliser ce qu'on regarde, les méthodes d'analyse, qui ont des limites. Que fait-on à partir de cela ? Les plastiques sont présents, mais quel est leur impact ? Je m'interroge sur la notion de biocorona. Les plastiques ont-ils des conséquences sur les réactions immunitaires, le stress oxydatif, les inflammations, voire la division cellulaire ? Faut-il agir ? Que devons-nous faire, vous chercheurs, nous parlementaires ? Comment mobiliser le principe de précaution dans une telle situation ?
M. Pierre Henriet, député, premier vice-président de l'Office. - Merci pour cette présentation exhaustive. Madame Mercier-Bonin, vous avez évoqué une compilation d'études internationales. L'exposition humaine aux plastiques a-t-elle une intensité variable selon les régions du monde ? Cela permettrait de mieux comprendre les voies d'exposition aux plastiques.
L'eau potable est une source d'exposition importante, directe ou indirecte. Y a-t-il des études sur l'impact sanitaire en fonction des systèmes de traitement des eaux usées ? Maîtrise-t-on le filtrage d'un certain nombre de microplastiques pour éviter l'exposition humaine ?
M. Guillaume Duflos. - Des études ont été réalisées sur l'utilisation des plastiques médicaux à usage unique tels que les perfusions, les équipements et les matériels de bloc opératoire. Elles ont montré qu'on peut en retrouver chez les patients. Ne suivant pas du tout ce domaine, je ne peux pas vous répondre sur les actions mises en oeuvre par les professionnels. Les chercheurs s'intéressent surtout à l'alimentation car dans le cas des produits médicaux, le bénéfice est beaucoup plus important que le risque encouru, qui n'est pour l'instant pas avéré pour les plastiques. Votre question est très juste, mais nous n'avons pas de réponse pour le moment.
Mme Muriel Mercier-Bonin. - Je peux donner des éléments sur la sphère digestive concernant les risques de blocage et d'abrasion. Un microplastique de taille importante qui ne peut franchir une barrière mais qui va transiter dans son voisinage peut générer des phénomènes abrasifs, par exemple sur les zones non couvertes par le mucus - celui-ci n'est pas présent dans tout le tube digestif. Cette abrasion peut provoquer des inflammations.
Mme Sonja Boland. - Nous avons observé cela sur l'appareil respiratoire avec d'autres particules. Cela donne un effet d'overload : tous les mécanismes de clairance sont dépassés. Des études cliniques montrent néanmoins qu'on peut avoir quelques particules et des changements dans la physiologie sans qu'il y ait un effet de surcharge important - on observe un tel effet plutôt dans certains milieux professionnels où les travailleurs sont exposés à de très fortes doses et où les systèmes de protection sont complètement dépassés. L'effet inflammatoire peut être provoqué en cas de surcharge des organes avec du plastique.
En matière de respiration, l'entrée des particules est directe, cela peut conduire à des inflammations, contrairement au sang dans lequel toutes les particules ne peuvent pas entrer.
Une question portait sur la nécessité ou non d'agir ; on ne peut pas trop attendre pour agir et limiter le rejet de plastique dans l'environnement. Les études cliniques sont documentées sur l'exposition des travailleurs, et inquiétantes sur ce à quoi on expose les générations futures. Rien ne se crée, mais rien ne se perd non plus : toutes les particules créées seront dégradées puis inhalées ou ingérées par les humains...
M. Guillaume Duflos. - Les chercheurs se sont interrogés longuement sur la métrologie : quelle taille de particules étudier, quelle forme, etc. Lorsqu'on fait un suivi dans l'environnement, les analyses de microplastiques sont très chronophages, notamment lorsqu'on s'intéresse à des particules de très petite taille.
L'important est de savoir quel type d'informations on souhaite donner, afin d'adapter nos protocoles et nos modes opératoires aux besoins et aux informations qu'on souhaite transmettre. Ainsi, la caractérisation de la toxicité n'exige pas les mêmes méthodes que le suivi d'un cours d'eau et l'accumulation des plastiques dans le temps par exemple.
La métrologie est un sujet crucial : nous devons savoir quelle ambition analytique, quelle force de frappe mobiliser en fonction de l'information à produire. Nous échangeons actuellement avec des services comme la direction générale de la santé pour savoir quels suivis mener.
Il a été ajouté, dans la directive Eau, la nécessité de suivre les microplastiques, mais sans préciser lesquels : les petits, les moyens, les gros ? Ce n'est pas la même ambition métrologique selon les tailles.
M. Philippe Bolo, député, rapporteur. - Nous voyons bien les incertitudes, malgré le constat de l'existence des microplastiques et de la nécessité d'agir. Votre appel à un effort de recherche supplémentaire pourrait être utilisé par ceux qui ne veulent rien changer. Dans les négociations internationales, certains veulent réguler, d'autres ne veulent rien faire au prétexte que tout ne serait pas encore démontré et ils souhaitent dès lors continuer à produire des plastiques selon la trajectoire montrée en introduction par Fabienne Lagarde. Comment donc mobiliser le principe de précaution sur ces sujets pour agir même si toutes les démonstrations ne sont pas au rendez-vous ?
M. Guillaume Duflos. - Le traité va dans le sens du principe de précaution, puisqu'il prévoit la diminution de la production de plastiques.
Le premier principe de précaution pour les scientifiques, c'est de diminuer le nombre des formulations de plastique : pour un même objet, quel est l'intérêt d'avoir deux formulations plastiques alors que cela nous demande, à nous scientifiques, un effort analytique immense ? Il existe 16 000 additifs différents. Je vous laisse calculer le nombre de combinaisons possibles. Il faudrait obtenir des fabricants qu'ils limitent les combinaisons possibles, pour nous faciliter les analyses ensuite.
Mme Muriel Mercier-Bonin. - Je souhaite rebondir sur la nécessité d'agir. On pourrait avoir une approche par la maîtrise du danger, sans attendre de savoir ce à quoi on est exposé. Ce que j'ai présenté montre que, malgré la jeunesse de la thématique et les limites identifiées, il y a des dangers associés à l'exposition orale et à l'inhalation de plastiques. Les dangers existent, donc raisonnons par cette approche d'évaluation du danger, sans attendre de savoir quels sont les risques, car cela pourrait prendre beaucoup de temps du fait de la complexité des formulations.
Que faire ? Il faut se fédérer, décloisonner et arriver à travailler ensemble dans ces interfaces disciplinaires entre communautés scientifiques, et entre scientifiques et politiques.
Pour répondre à la question sur les différences d'exposition au niveau mondial, j'ai mentionné cinq projets européens qui ont démarré en 2020, pour quatre ans. Pour l'instant, il n'y a pas encore de publication montrant une variabilité liée à l'exposition selon les zones géographiques.
L'étude de 2024 sur l'ingestion et l'inhalation dans 109 pays montre une cartographie hétérogène. En France, on mesure un taux de 60 milligrammes par jour, contre 500 milligrammes par jour en Asie du Sud-Est en raison de la consommation de fruits de mer. En fonction des habitudes, selon que l'on est jeune ou plus âgé, selon que l'on adopte un régime alimentaire sain ou plus occidentalisé, les effets peuvent être différents. Ce sont donc des paramètres à prendre en compte dans la notion d'exposome.
Mme Fabienne Lagarde. - Sur la mise en oeuvre du principe de précaution, ce sont les quantités qui doivent nous alerter. Chaque être humain, en 2024, contient du plastique dans tous les organes de son corps. Ce n'était pas le cas dans les années 2000 ou dans les années 1990 et ce sera pire pour les enfants en 2040, qui seront encore plus exposés. Ce qui est certain, c'est qu'il y a une corrélation directe entre les quantités de plastiques mises sur le marché, leur quantité dans l'environnement et leur quantité dans le corps humain.
Mme Sonja Boland. - Pour compléter, le fait que la quantité de plastiques dans le corps augmente avec l'âge montre que le corps n'arrive pas à les éliminer. Forcément, cela aura des conséquences.
Les problèmes respiratoires sont surtout dus à l'air intérieur. Dans les transports en commun, le problème vient des fibres textiles. Les différences sont davantage un problème entre ville et campagne qu'entre pays, même si cela reste à étudier.
Mme Martine Berthet, sénatrice. - Vous indiquez la nécessité de travailler sur la méthodologie et l'expérimentation. Vous avez évoqué les normes françaises et européennes. Travaillez-vous aussi avec les Anglo-saxons sur ces mêmes sujets ?
Monsieur Duflos, la plasticose est-elle une nouvelle maladie humaine reconnue par l'Académie de médecine, ou est-ce la façon de nommer une contamination du corps humain ?
M. Daniel Salmon, sénateur. - Merci pour votre présentation. Nous mesurons toute la complexité de votre tâche car c'est un nouveau secteur de la science qu'il faut appréhender.
Je reviens sur le principe de précaution. On se précipite pour inventer de nouvelles molécules, qu'on a ensuite du mal à suivre. C'est très chronophage. Le principe de précaution demanderait d'étudier toutes les molécules avant leur mise sur le marché. C'était ce que prévoyait le programme européen Reach (Enregistrement, évaluation, autorisation et restriction des substances chimiques), qui a été bien abîmé.
Je constate que les bioplastiques se développent, comme les PLA, qui ne sont biodégradables que sur le papier : ils peuvent se dégrader en mode industriel mais jamais dans un composteur. Quelles sont les études réalisées sur ces « ersatz » de plastiques, qui sont l'oeuvre de la chimie, avec des molécules qui sont issues de la biomasse mais réagissent comme des plastiques, par exemple des sachets de thé en PLA ? Est-ce vraiment la solution ? Cela m'inquiète beaucoup.
Quelle est l'indépendance de la recherche et de ses financements, à un moment où l'Inrae et l'Anses sont attaqués, au nom de notre sacro-sainte compétitivité, avec un haro sur la norme ? Il s'agit d'inquiétudes qui relèvent de la sphère du politique, mais on est également là pour faire de la politique.
M. Arnaud Saint-Martin, député. - Merci pour cet exposé précieux qui permet de voir à quel point cette exposition est massive. Elle est dans les corps. C'est assez terrifiant. Sociologue, je m'interroge sur les concepts que vous utilisez. Ce n'est plus une exposition mais une consommation, une accoutumance au plastique dès le plus jeune âge : biberons, tétines, jouets en plastique, etc. Nos pratiques culturelles sont plastifiées. On peut même s'interroger sur le concept d'une source exogène qui va avoir des effets sur la santé humaine !
Jusqu'à quel point intégrez-vous les sciences humaines et sociales et les chercheurs travaillant sur la civilisation plastique dans ces dispositifs interdisciplinaires ? C'est un pas qu'il faut faire, et je ne doute pas que vous le faites, car ceci permettrait d'approfondir le travail de l'objectivation qui doit passer par l'étude des pratiques culturelles et de cette accommodation à la vie plastique.
M. Gérard Leseul, député, vice-président de l'Office. - Votre propos était clair sur les risques de toxicité des bioplastiques. Faites-vous des distinctions entre les bioplastiques, notamment ceux issus des algues ?
M. Guillaume Duflos. - La plasticose est un terme utilisé pour les oiseaux marins uniquement.
Concernant la collaboration internationale, le colloque Micro 2024 a réuni tous les scientifiques internationaux travaillant sur les microplastiques. Nous travaillons donc bien évidemment en collaboration avec nos collègues étrangers.
À l'échelle nationale, nous disposons d'un outil très important : un groupement de recherche (GDR) transdisciplinaire soutenu par le Centre national de la recherche scientifique (CNRS), le GDR « Plastique, environnement et santé ». Il regroupe tous les scientifiques français, organise des échanges réguliers, des conférences mensuelles et son propre colloque. Nous avons fait un déplacement aux États-Unis et nos collègues américains ont été très intéressés par cette structuration en réseau qu'ils n'ont pas.
Mme Fabienne Lagarde. - Il existe un autre GDR, « Déchets, valeurs et société », plus axé sur les sciences humaines. Nous avons organisé il y a deux jours une journée de mise en commun des travaux, pour relier les visions des sciences « dures » et des sciences humaines et sociales.
Mme Muriel Mercier-Bonin. - Actuellement est menée une expertise scientifique collective Inrae-CNRS sur l'usage des plastiques en agriculture et pour l'alimentation, son impact sur l'ensemble des écosystèmes et sur les organismes vivants. Elle se situe à l'interface entre nos deux communautés. Une synthèse est en cours pour illustrer ce volet très attendu : comment est-on arrivé à cette société plastique, avec ce système socio-technique, avec ses principaux acteurs ? Vous avez utilisé le terme d'accoutumance, parfois le terme d'addiction a été utilisé.
En ce qui concerne les impacts des plastiques biosourcés et biodégradables sur le microbiote intestinal humain, ils seront peut-être plus importants car ils se dégradent en plus petites particules. C'est une science très récente, mais j'ai trouvé trois articles montrant qu'ils ne sont pas la solution en matière de santé humaine et de santé digestive.
Mme Sonja Boland. - Il en va de même pour les voies respiratoires. Ce sont les particules les plus fines qui sont les plus toxiques. La toxicité des plastiques vient aussi de leur interaction avec les autres polluants ; les plastiques biosourcés interagissent avec d'autres pathogènes et avec des polluants. Ils ne sont donc pas une solution miracle.
Le mode de financement de nos recherches est tout à fait problématique. Je fais partie d'un projet européen : il se terminera très bientôt et personne ne sait s'il sera reconduit. Lorsque les équipes lauréates changent, il faut presque tout recommencer à zéro - c'est une perte de temps, comme les appels d'offres auxquels il faut répondre. Il faudrait pérenniser les financements pour qu'on puisse travailler plus efficacement.
Mme Marie-France Dignac, directrice de recherche à l'Inrae. - Une précision sur le terme bioplastique, que nous essayons d'éviter parce qu'il apporte beaucoup de confusion. Parmi les bioplastiques, on distingue les plastiques biosourcés, dans lesquels on a remplacé la source fossile par une source biologique - algues ou autres végétaux -, mais il s'agit des mêmes polymères non biodégradables. On a généralement besoin d'ajouter plus de substances chimiques à ces matériaux de départ pour obtenir les mêmes propriétés que celles des plastiques traditionnels.
Et puis il y a les plastiques dits biodégradables, terme extrêmement mal choisi puisqu'ils ne sont généralement pas biodégradables dans l'environnement : ils le sont uniquement dans des conditions particulières de traitement industriel. Cela n'a donc pas de sens de remplacer un plastique traditionnel par un plastique biodégradable si l'on n'a pas la filière de collecte et de traitement qui va avec. C'est le cas de beaucoup de pays qui remplacent leurs sachets plastiques par des sachets en biodégradable, mais qui continuent à tout envoyer en décharge ou en enfouissement.
On le voit, il est nécessaire de clarifier ces différents concepts, d'autant plus que de nombreuses études en écotoxicité démontrent que ces plastiques biosourcés ou dits biodégradables ont les mêmes effets, voire des effets plus importants sur la toxicité environnementale.
M. Stéphane Piednoir, sénateur, président de l'Office. - Je vous remercie. N'oublions pas cependant que le plastique a aussi contribué à l'amélioration de la santé humaine. C'est l'abus de son usage, l'absurdité de certains emballages qui pose problème. Les conditions sanitaires sont malgré tout meilleures qu'avant son arrivée. À un usage modéré, il reste un allié.
Nous passons à la table ronde suivante, consacrée aux effets sur l'être humain des substances chimiques associées aux plastiques.
EFFETS SUR L'HUMAIN DES SUBSTANCES CHIMIQUES ASSOCIÉES AUX PLASTIQUES
M. Philippe Bolo, député, rapporteur. - Le premier intervenant de cette seconde table ronde est Martin Wagner, qui nous parle en téléconférence depuis Trondheim en Norvège.
M. Martin Wagner, chercheur à l'université norvégienne de sciences et de technologie de Trondheim. - Ma présentation porte sur l'état de la recherche scientifique sur les produits chimiques liés aux plastiques. Je vous ferai part des conclusions d'un rapport récent sur l'identification et la prise en compte des substances chimiques préoccupantes liées au plastique. Comme l'a dit Fabienne Lagarde tout à l'heure, la production du plastique fait intervenir de très nombreux produits chimiques à ses différents stades. Cela commence avec l'extraction des matières premières (à 95% des ressources fossiles) en passant par les précurseurs chimiques qui sont convertis en matériaux, puis en produits plastiques. Ces derniers sont utilisés et finissent un jour en déchets à la fin du cycle de vie. Les substances chimiques sont donc présentes tout au long du cycle de vie des plastiques. Il y a quatre groupes de produits chimiques liés aux plastiques : les substances de départ, à savoir les monomères et les catalyseurs ; les additifs ajoutés à ces produits pour qu'ils soient fonctionnels - pour leur donner de la souplesse, pour les protéger des rayons UV ou leur donner des couleurs ; les auxiliaires de fabrication qui facilitent la production des matériaux et des produits plastiques ; et pendant tout le cycle de vie des plastiques, ce qu'on appelle les substances chimiques ajoutées non intentionnellement (NIAS - Non-Intentionally Added Substances) qui sont créées au sein des matériaux ou des produits plastiques. Il s'agit d'impuretés provenant de toutes sortes de substances chimiques. Les composés utilisés ne sont pas de grade pharmaceutique. Par conséquent, il y a beaucoup d'impuretés dans les substances chimiques, mais également des produits dérivés qui se forment pendant la fabrication des plastiques et des produits de dégradation qui apparaissent au cours de l'utilisation des plastiques ou au moment de leur fin de vie.
Pourquoi doit-on attacher de l'importance à ces produits chimiques ? La plupart d'entre eux ne sont pas liés chimiquement aux matériaux ou produits plastiques et peuvent être rejetés tout au long du cycle de vie des plastiques dans l'environnement et le contaminer, mais également être relargués dans ce qu'on peut appeler l'environnement humain, notamment les aliments, l'eau et l'air. Des études scientifiques ont montré que ces substances chimiques ont des effets nocifs sur la santé humaine.
Une étude récente s'est intéressée à un petit nombre de substances chimiques bien connues - le bisphénol A, les phtalates, les PFAS qu'on appelle les polluants éternels, les PBDE (diphényléthers polybromés) que l'on trouve par exemple dans les retardateurs de flammes. Je cite cette étude car elle montre que les coûts engendrés par ces substances en matière de santé humaine s'élèvent chaque année pour les seuls États-Unis à 250 milliards de dollars, soit 1 % du PIB des États-Unis. L'impact sanitaire de ce petit nombre de substances chimiques, bien connues et liées aux plastiques, est donc très significatif. À cet égard, je voudrais souligner que c'est la population qui subit les effets et les coûts liés à ces substances chimiques et non leurs producteurs.
En ce qui concerne l'état de la science sur les substances chimiques liées aux plastiques, les preuves scientifiques sont désormais nombreuses, mais elles sont très fragmentées et éparpillées. Notre travail a consisté à les rassembler et à les consolider. À l'aide d'informations scientifiques du domaine public, nous avons construit la base de données PlastChem dans laquelle nous avons identifié et recensé plus de 16 000 produits chimiques liés aux plastiques - ce qui vous donne une idée de la complexité des produits plastiques, mais également du nombre élevé de substances chimiques utilisées pour les fabriquer.
Dans la perspective d'un traité international sur les plastiques, nous nous sommes posé une autre question : lesquels de ces produits chimiques sont particulièrement préoccupants pour la santé humaine et l'environnement ? En adoptant une approche reposant sur la dangerosité de ces produits, nous avons recueilli des données issues des agences gouvernementales et classé les substances chimiques préoccupantes selon quatre critères : leur caractère persistant (substances chimiques qui ne se dégradent pas facilement dans l'environnement) ; leur capacité de bioaccumulation (substances chimiques qui s'accumulent dans le corps humain ou dans d'autres organismes) ; leur mobilité (substances chimiques qui se répandent facilement dans l'environnement ainsi que dans l'eau potable) ; leur toxicité (substances chimiques nocives pour la santé humaine). Nous avons constaté que plus de 4 000 produits chimiques sur les 16 000 recensés, soit un quart d'entre eux, pouvaient être classés comme dangereux.
Je voudrais faire quelques observations complémentaires. Il y a très peu de produits chimiques dont la non-dangerosité a été prouvée. Seuls 161 ont été classés comme tels par les gouvernements, mais ceci est lié au fait que les données sont incomplètes ou que les substances n'ont pas été évaluées selon la totalité des critères : d'un point de vue scientifique, on ne peut donc pas les considérer comme sûrs.
Ce qui est plus frappant encore est que l'on ne dispose d'aucune donnée sur la dangerosité d'environ 10 000 produits chimiques présents dans les plastiques. D'un point de vue scientifique, on ne peut donc pas dire si ces produits chimiques sont sûrs ou dangereux.
Concernant les 4 000 substances chimiques jugées préoccupantes, il existe des preuves scientifiques de leur toxicité pour l'environnement, en particulier l'environnement aquatique, mais également pour la santé humaine. Il existe de nombreuses études montrant la toxicité de ces substances chimiques pour certains organes, tels que le foie, ainsi que leur caractère cancérogène, mutagène ou reprotoxique. Certaines substances chimiques sont des perturbateurs endocriniens. On trouve en revanche moins d'informations sur la persistance de ces produits chimiques, leur bioaccumulation ou leur mobilité, en raison d'un déséquilibre dans les critères retenus par les évaluations gouvernementales.
Seulement 6 % de ces substances chimiques préoccupantes font l'objet d'une réglementation au niveau international, dans le cadre de la convention de Bâle, de la convention de Stockholm, ou du protocole de Montréal. Autant dire qu'il n'existe pas de réglementation internationale des substances chimiques préoccupantes.
Comment les décideurs politiques peuvent-ils faire face à autant de produits chimiques et que faudrait-il faire à l'égard des substances chimiques préoccupantes ? Nous avons proposé une approche fondée sur des listes de substances chimiques. J'ai expliqué que 980 d'entre elles faisaient déjà l'objet d'une réglementation au niveau international. En revanche, nous avons constaté que pour plus de 10 000 produits chimiques, il n'existe pas de données. Ceux-ci devraient être évalués en priorité. Pour ceux qui font l'objet d'une classification en fonction de leur dangerosité, nous proposons quatre listes. La plus notable est la liste rouge qui comporte 3 651 substances chimiques préoccupantes pouvant être utilisées dans les plastiques : elles méritent une attention toute particulière et doivent faire l'objet d'une réglementation au niveau international et au niveau national. Bien sûr, réglementer 3 651 substances est un énorme travail. Pour faciliter la tâche des décideurs politiques, nous proposons une approche par groupes de substances chimiques. Concrètement, nous partons du principe que les produits chimiques ayant des structures similaires causent des effets néfastes identiques. Nous avons identifié 15 groupes prioritaires de substances chimiques comme les bisphénols, les phtalates, les PFAS, etc. Nous sommes convaincus qu'une telle approche non seulement permettra de rendre la réglementation plus efficace, mais permettra également d'éviter ce que nous appelons les substitutions « regrettables », qui consistent, pour les fabricants, à modifier quelques éléments des substances chimiques préoccupantes faisant l'objet d'une réglementation afin de pouvoir les commercialiser, alors même qu'elles ont des effets néfastes très similaires.
Pour résumer nos travaux, je rappelle que nous avons trouvé un très grand nombre de substances chimiques - plus de 16 000 - utilisées ou présentes dans les plastiques, dont un quart sont préoccupantes. Nous incitons donc les décideurs politiques à instaurer une réglementation globale et efficace sur ces substances chimiques à partir d'une approche fondée sur leur dangerosité et sur leur regroupement par familles de produits. Les données sont très lacunaires puisqu'il y a 10 000 substances chimiques pour lesquelles nous n'avons pas de données sur leur dangerosité. Par conséquent, nous recommandons de faire la transparence sur les substances chimiques utilisées et sur les produits qui les contiennent. J'ai insisté sur la complexité chimique des plastiques ; il nous faut absolument les simplifier si l'on veut développer des plastiques plus durables et plus sûrs en matière d'impact sur la santé humaine. Il est également important de renforcer les capacités institutionnelles au niveau gouvernemental, mais également au niveau de la recherche et développement, afin de faciliter la production de plastiques plus durables et plus sûrs.
M. Philippe Bolo, député, rapporteur. - Merci. Je vais maintenant donner la parole à Xavier Coumoul, professeur de toxicologie et de biochimie à l'université Paris Cité, ainsi qu'au professeur Robert Barouki, directeur de l'institut thématique Santé publique et membre du conseil scientifique de l'Office.
M. Xavier Coumoul, professeur de toxicologie et de biochimie à l'université Paris Cité. - La production mondiale de plastique est de plus de 400 millions de tonnes en 2022. C'est un chiffre assez alarmant, d'autant plus qu'il est prévu qu'il augmente à l'avenir. Il y a six catégories de plastiques couramment utilisés, allant du PET (polyéthylène téréphtalate) au polystyrène. Certaines études, qui doivent être confirmées, semblent indiquer que les bouteilles d'eau en plastique contiennent 250 000 particules de plastique par litre, dont 90 % de nanoplastiques. Ces plastiques et ces polymères sont souvent associés à des additifs. Les bisphénols étant des monomères de certains types de plastiques, peut-être peut-on ne pas les considérer comme des additifs au sens propre ; mais ce sont des molécules qui sont incluses dans le polymère ou en surface. Il y a également les PFAS, classés comme polluants éternels.
Comme l'a dit Martin Wagner, il peut y avoir un relargage de ces additifs ou de ces monomères à partir des plastiques. Comme l'a dit Sonja Boland, les plus petites particules posent un problème parce que plus la molécule est petite, plus le rapport surface-volume augmente à masse égale. Selon les tailles, on parle de microplastiques ou de nanoplastiques. Cette fragmentation peut survenir à la suite d'éléments physiques et conduit effectivement à une contamination de l'être humain ou d'autres espèces animales, du fait de contacts cutanés, d'inhalation ou d'ingestion. L'exposition peut être directe, via des produits de la vie de tous les jours que l'on utilise, ou indirecte, parce que les micro- et nanoplastiques primaires et secondaires sont présents dans les écosystèmes et peuvent affecter les espèces animales ou végétales que nous consommons. Les produits de l'agriculture, de l'élevage et de la pêche peuvent donc être des sources de contamination par ingestion.
Les organes d'absorption sont multiples : poumons, côlon, peau. Une étude de 2022 a mesuré cette exposition en recherchant du polyéthylène téréphtalate, du polyéthylène et du polystyrène, notamment des particules d'une taille supérieure à 700 nanomètres, dans le sang de 22 volontaires sains. La concentration était en moyenne de 1,6 microgramme par millilitre. Cela a conduit à étendre les recherches sur d'autres organes qu'on qualifie de lointains, tels que les testicules, le placenta, le cerveau, avec des chiffres qui semblent être en augmentation entre 2016 et 2024.
Nous disposons aussi de données qui proviennent du rein, avec des effets associés de type inflammatoire, ou du cerveau, avec un chiffre assez inquiétant, de l'ordre de 5 milligrammes par gramme : cela signifie que 0,5 % du poids du cerveau serait formé de plastique. Une étude publiée récemment dans le New England Journal of Medicine, journal américain très renommé dans la sphère médicale, a mesuré la quantité de microplastiques prélevés au niveau de la plaque carotidienne sur plus de 300 patients ayant subi une chirurgie carotidienne. Cette étude a montré qu'il existait un risque augmenté 4,53 fois d'infarctus du myocarde, potentiellement d'accident vasculaire cérébral, voire de mort, chez les personnes qui avaient les plus forts taux de micro- et nanoplastiques.
Des études commencent donc à montrer à ce stade des associations - mais pas des liens de causalité - avec des pathologies répandues et particulièrement graves. Mais je laisse la parole à Robert Barouki, qui vous parlera de la réglementation, notamment en ce qui concerne les PFAS et les bisphénols.
M. Robert Barouki, professeur, directeur de l'institut thématique Santé publique de l'Institut national de la santé et de la recherche médicale (Inserm). - La réglementation protège-t-elle assez la population ? Je répondrai à partir de deux cas. Le premier concerne certains perfluorés : il y en a un très grand nombre, 9 000 ou peut-être plus. Les agences réglementaires, notamment européennes et nationales, fixent des valeurs seuils pour certaines substances. Pour les quatre perfluorés les plus importants et qui ont manifesté de manière claire leur toxicité, on a fixé une valeur seuil pour l'absorption, que l'on peut traduire par une valeur seuil du dosage dans le sang et qui s'élève à 6,8 microgrammes par litre de sang. Un grand programme européen a évalué l'ensemble de l'imprégnation des populations européennes et a constaté que 15 % de la population européenne était au-dessus de cette valeur seuil. Cela ne veut pas dire qu'il y a immédiatement un danger, car la valeur seuil est assez protectrice. Mais c'est une alerte. La cible biologique était les effets immunitaires, car les perfluorés réduisent l'efficacité de la vaccination, en particulier chez les enfants. C'est ce test qui a été pris en considération pour calculer la valeur seuil. Avant, il y avait un autre test et la valeur seuil était plus élevée, ce qui donnait l'impression que toute la population était en dessous de cette valeur.
Le cas du bisphénol est encore plus alarmant sur la problématique du calcul de ces valeurs seuils. Je parlerai surtout du bisphénol A. Vous savez qu'il y a des substituts - bisphénol S, bisphénol F entre autres - mais ils ne valent pas beaucoup mieux. Le bisphénol A est notamment un perturbateur endocrinien. Jusqu'à présent, la valeur seuil dans le sang du bisphénol A était de 233 microgrammes par litre, basée sur une cible qui était la toxicité rénale.
Selon l'étude de surveillance européenne sur la présence dans le sang, toute la population était pratiquement en dessous de cette valeur seuil. Tout allait bien, jusqu'à ce qu'on prenne en compte il y a quelques années un nouveau test basé sur la quantité de certaines cellules immunitaires dans la rate. Cela a conduit l'Autorité européenne de sécurité des aliments (Efsa) à fixer une valeur seuil 20 000 fois plus basse, à 0,011 microgramme par litre. Cela change tout : pratiquement toute la population est au-dessus de ce seuil, seulement en changeant la cible et en recalculant la valeur seuil.
Le bisphénol est une affaire française qui est suivie depuis très longtemps. Les perfluorés, en tout cas les quatre qui ont été étudiés, sont connus pour être toxiques. Surtout, il faut retenir l'insuffisance des tests réglementaires traditionnels, puisqu'il a suffi de passer à un autre test pour qu'on modifie les valeurs seuils et qu'on découvre que les populations européennes ne sont pas bien protégées. Il est donc urgent de revoir la panoplie des tests réalisés et de les moderniser pour qu'on parte de valeurs seuils réelles et qu'on sache si la population est protégée ou non.
M. Xavier Coumoul. - Il faut absolument considérer la question des TH17, car ce sont des lymphocytes qui sont impliqués dans les maladies auto-immunes. Une suractivation des TH17 par rapport aux lymphocytes T régulateurs (Treg), qui sont immunosuppresseurs, peut avoir des conséquences majeures.
M. Philippe Bolo, député, rapporteur. - Merci. Je vais maintenant donner la parole à Megan Deeney, chercheuse à la London School of Hygiene and Tropical Medicine.
Mme Megan Deeney, chercheuse à la London School of Hygiene and Tropical Medicine. - La production de substances et produits chimiques synthétiques et leur fuite dans l'environnement atteignent désormais des niveaux qui dépassent la protection offerte par la réglementation et transgressent les limites planétaires. Ainsi, plus de 350 000 produits chimiques sont enregistrés en Europe et en Amérique du Nord, soit en moyenne un produit chimique enregistré toutes les 1,4 minute depuis 2016, et la plupart d'entre eux ne sont pas testés. La pollution chimique liée à ces produits est décelable à 10 000 mètres au fond des océans, dans les glaciers de l'Himalaya, dans notre nourriture et jusqu'au sein même de notre corps. Elle se transmet également à la génération suivante.
Alors que l'industrie chimique mondiale devrait doubler de volume d'ici à 2030, les taux de production actuels dépassent déjà nos capacités de test. Les produits chimiques polluent et posent des problèmes pour la santé humaine tout au long du cycle de vie des plastiques. La production primaire de plastiques est ainsi responsable de quatre fois plus d'émissions de gaz à effet de serre que le secteur de l'aviation et pas moins de 75 % de ces émissions ont lieu pendant les phases d'extraction des matières premières jusqu'à la production des monomères et des autres produits chimiques. Cela contribue à la morbidité et à la mortalité liées au changement climatique.
Les travailleurs sont particulièrement exposés et l'on trouve des niveaux élevés de produits toxiques dans l'air, dans les sols et dans les aquifères autour des sites de production. Le benzène, par exemple, est associé à un risque accru de cancer parmi les populations locales, comme par exemple dans la « vallée du cancer » aux États-Unis.
La complexité des plastiques produits ainsi que le manque de données relatives à leur composition chimique les rendent impossibles à gérer de manière sûre et durable, avec des risques d'autant plus élevés sur la santé humaine tout au long du cycle de vie des plastiques.
En effet, la plupart d'entre nous sommes en contact quotidien avec des produits chimiques, dont l'ingestion et l'absorption sont quasi inévitables. Quelque 25 % des produits chimiques dans les matériaux en contact avec les aliments - en particulier des perturbateurs endocriniens et des cancérogènes connus - ont ainsi été retrouvés dans le corps humain.
Le principe selon lequel nous pourrions gérer ces risques en mettant en place des seuils pour la migration des substances chimiques ou pour leur absorption est difficile à appliquer. Ainsi, en 2023, l'Autorité européenne de sécurité des aliments (Efsa) a révisé les doses journalières tolérables de bisphénol A (BPA), qui sont désormais 20 000 fois plus faibles qu'auparavant. Cela signifie que la quantité de bisphénol A que nous absorbons actuellement dépasse cent à mille fois cette nouvelle dose journalière tolérable. Si le bisphénol A est heureusement interdit en France depuis 2015 dans les matériaux en contact avec les aliments, il n'est qu'un des milliers de produits chimiques trouvés dans les plastiques. Plusieurs éléments tendent à prouver que d'autres produits sont responsables de troubles métaboliques, neurodéveloppementaux, comportementaux, de changements hormonaux ou encore qu'ils favorisent l'obésité, et ce à des doses inférieures à celles considérées comme sans danger pour l'être humain.
La complexité chimique des plastiques rend aussi leur recyclage difficile et même dangereux : on trouve des produits nocifs dans les jouets fabriqués à partir des plastiques recyclés et dans les emballages alimentaires recyclés. En outre, les sites de recyclage ont été identifiés comme des sources de pollution et le recyclage chimique est une activité à forte intensité énergétique. Cette option ne semble pas viable à une échelle significative. À titre d'exemple, le groupe ExxonMobil est poursuivi par la justice californienne pour avoir trompé le public sur les bénéfices du « recyclage avancé » : 92 % des déchets plastiques traités par cette technologie ne seraient pas transformés en plastique recyclé, mais en carburant. Ce qui reste des produits chimiques après recyclage est finalement libéré dans l'air ou dans les sols sous forme de cendres à la suite de leur incinération, de lixiviats dans les décharges ou encore lors de la dégradation des plastiques dans l'environnement. Or si certains de ces produits chimiques se dégradent avec le temps, ce n'est pas le cas de tous, notamment en ce qui concerne les polluants éternels. Le nettoyage a posteriori de l'environnement est impossible.
On peut comptabiliser et comparer certains de ces impacts sur la santé humaine en utilisant l'analyse du cycle de vie. Même en l'absence de données transparentes et accessibles sur les produits chimiques utilisés dans les plastiques et sur notre exposition directe, se dresse un tableau préoccupant des effets sur la santé humaine des plastiques, responsables de l'émission de gaz à effet de serre et de la présence de polluants dans l'air.
Les méthodes scientifiques fondées sur l'analyse du cycle de vie peuvent être très utiles pour comparer les alternatives aux plastiques et produits chimiques. Il faut se méfier de leur utilisation par certains pour affirmer les bénéfices de certains produits chimiques en ne prenant en compte que quelques indicateurs et sans tenir compte de la santé humaine. Néanmoins, avec plus de données et utilisées par des scientifiques indépendants, les méthodes fondées sur l'analyse du cycle de vie peuvent soutenir les décisions politiques.
En résumé, les produits chimiques posent des problèmes pour la santé humaine tout au long du cycle de vie des plastiques. Les priorités devraient être de réduire la production globale de plastiques, de limiter le nombre et simplifier les produits chimiques entrant dans leur composition, de les rendre plus sûrs par des approches d'analyse des risques plus complètes et, enfin, de rendre obligatoire la transparence des données. Ce dernier point est essentiel pour mettre en place la responsabilité de l'industrie, s'assurer de la conformité des produits, favoriser une science indépendante et mettre en oeuvre les régulations nécessaires pour protéger la santé de tous.
M. Philippe Bolo, député, rapporteur. - Merci. Je vais maintenant donner la parole à Christos Symeonides, directeur clinique et de recherche « plastiques et santé humaine » à la fondation Minderoo.
M. Christos Symeonides, directeur clinique et de recherche « plastiques et santé humaine » à la fondation Minderoo. - Je suis pédiatre généraliste et spécialiste du développement, chercheur en santé publique environnementale et en épidémiologie et directeur clinique et de recherche « plastiques et santé humaine » à la fondation Minderoo. Je vais me concentrer sur les coûts des substances chimiques contenues dans les plastiques pour la santé humaine, et notamment sur la manière dont ces coûts peuvent être traduits en estimations économiques. Je vais présenter les conclusions de deux études scientifiques qui examinent et quantifient les dangers, les risques et les effets nocifs de la pollution plastique sur la santé humaine tout au long du cycle de vie des plastiques, et notamment des substances chimiques liées aux plastiques.
Je vais d'abord présenter une revue générale publiée il y a quelques mois qui consolide systématiquement, objectivement et scientifiquement les recherches épidémiologiques sur l'impact des substances chimiques sur les êtres humains, les seules preuves scientifiques que nous ayons sur la sécurité de ces substances chimiques à la suite d'une exposition humaine réelle. Puis je vous présenterai une étude réalisée par la commission Minderoo-Monaco sur les plastiques et la santé humaine, publiée l'année dernière en mars, en particulier la section 5 qui quantifie les principaux coûts économiques liés aux effets des plastiques sur la santé, et plus spécifiquement de trois substances chimiques clés associées aux plastiques.
Je vais commencer avec notre étude d'ensemble. En quoi consiste une revue générale ? Une revue générale correspond à une approche systématique qui présente de manière objective, consolidée et scientifique l'état des lieux de la recherche dans un domaine particulier. Elle est représentée par le sommet de la pyramide sur la diapositive actuellement à l'écran. À la base de la pyramide, on trouve les études épidémiologiques primaires individuelles. Chaque étude porte sur un grand nombre de personnes dans un échantillon de la population et évalue statistiquement les associations entre un effet sur la santé et d'éventuels facteurs de risque. Dans le cas présent, il s'agit de l'exposition aux produits chimiques des plastiques.
Dans une étude distincte, nous avons cartographié les centaines de milliers d'études mentionnées précédemment. À l'instar du travail réalisé par Martin Wagner, ces études donnent des indications sur les substances chimiques étudiées et leurs effets potentiels sur la santé. Fait important, et en dépit du grand nombre de données, ces études montrent également ce qui n'a pas été étudié.
Les revues systématiques sont situées dans la couche du milieu de la pyramide sur la diapositive. Elles utilisent un outil scientifique appelé méta-analyse pour combiner statistiquement les résultats de plusieurs études individuelles et obtenir des données probantes sur une question de recherche spécifique. Chaque revue systématique porte généralement sur un produit chimique et un résultat sanitaire.
La plus-value des revues générales situées au sommet de la pyramide vient de ce qu'elles font une revue systématique des revues systématiques, consolidant toutes les preuves solides dans un résumé scientifique unique. Dans le cas présent, il s'agissait de consolider les recherches sur l'impact sanitaire de l'exposition humaine réelle aux produits chimiques utilisés dans les plastiques, dont plusieurs ont été évoqués au cours de cette matinée : les plastifiants, les bisphénols retardateurs de flamme et les perfluorocarbures (PFAS).
Cette revue générale a rassemblé les données de près de 1 000 méta-analyses issues de 52 revues systématiques, représentant l'équivalent de 1,5 million de données de participants.
Qu'avons-nous trouvé ? D'une manière générale et avant de nous intéresser aux spécificités de chaque substance chimique et à leur impact, nous sommes arrivés aux conclusions suivantes. Premièrement, nous sommes exposés aux substances chimiques tout au long de notre vie, et ce même avant notre naissance. Deuxièmement, cette exposition a de nombreux effets sur notre santé, à toutes les étapes de la vie, d'avant la naissance à l'âge adulte, en passant par l'enfance. Troisièmement, aucun des produits chimiques liés aux plastiques ayant fait l'objet d'études approfondies ne peut être considéré comme sûr. Il existe des preuves solides - c'est-à-dire des preuves cohérentes et statistiquement significatives établies dans les méta-analyses - d'impacts variés sur la santé humaine pour chacune des cinq catégories suivantes de substances chimiques associées aux plastiques : le bisphénol A, les phtalates, les polychlorobiphényles (PCB) et les polybromodiphényléthers (PBDE), enfin les substances per- et polyfluoroalkylées (PFAS). Quatrièmement, ces cinq catégories de substances chimiques ne représentent qu'une fraction des milliers de substances utilisées dans les plastiques, comme l'a dit Martin Wagner précédemment. Le manque de recherches sur d'autres classes de substances chimiques souligne l'absence de données permettant d'évaluer de manière adéquate la sécurité des substances chimiques sur la santé humaine.
Les résultats obtenus pour les cinq classes de substances chimiques pour lesquelles nous avions des données précises et qui ont fait l'objet d'un examen systématique mettent en évidence les limites importantes de l'évaluation de la sécurité au regard des dommages révélés. Sans surveillance des effets non intentionnels sur la santé en cas d'exposition humaine, nous serons toujours limités dans ce que nous pouvons faire dans les laboratoires avant la mise sur le marché. C'est pourquoi nous ne pouvons pas affirmer que les substances non étudiées sont inoffensives pour la santé, et rejoignons en ce sens les conclusions de Martin Wagner.
Je voudrais maintenant présenter le résultat de nos recherches sur trois substances chimiques utilisées quasiment exclusivement dans les plastiques. Les polybromodiphényléthers (PBDE), qui sont utilisés comme retardateurs de flamme dans les produits textiles ou électroniques, sont classés comme polluants organiques persistants par la convention de Stockholm. L'étude a mis en évidence des preuves épidémiologiques solides établissant des liens entre l'exposition du foetus aux PBDE pendant la grossesse et un poids faible à la naissance, un retard ou une altération de développement cognitif chez l'enfant ou encore une perte de quotient intellectuel (QI). Il y a également des preuves statistiquement significatives de perturbation endocrinienne entravant le fonctionnement du système hormonal thyroïdien chez l'adulte.
De son côté, le BPA est un monomère très important dans la fabrication du polycarbonate, qui entre également dans la composition des résines époxy utilisées pour le revêtement des boîtes de conserve et des canettes. Il est relargué au moment de leur utilisation. L'étude constate des preuves épidémiologiques solides établissant des liens avec des malformations génitales chez les nouveau-nés filles exposées au BPA dans l'utérus, avec le diabète de type 2 chez les adultes et la résistance à l'insuline, précurseur du diabète chez les enfants comme chez les adultes, ainsi qu'avec le syndrome ovarien polykystique chez les femmes. L'exposition au BPA accroît également le risque d'obésité et d'hypertension chez les enfants comme chez les adultes ainsi que le risque de maladies cardiovasculaires chez les adultes.
Enfin, mon dernier exemple porte sur les phtalates, utilisés notamment pour rendre le plastique plus souple. Je m'intéresserai plus particulièrement au DEHP - phtalate de bis (2-éthylhexyle) - car il est utilisé exclusivement dans les plastiques et constitue le plastifiant le plus fabriqué en volume au niveau mondial. Notre étude a mis en évidence des preuves épidémiologiques solides établissant des liens entre l'exposition au DEHP et des fausses couches, des malformations génitales chez les nouveau-nés garçons, un retard ou une altération de développement cognitif chez l'enfant, la perte de QI, un retard du développement psychomoteur, une puberté précoce chez les jeunes filles et d'endométriose chez les jeunes femmes. L'exposition au DEHP a également de multiples effets sur la santé cardiométabolique, notamment la résistance à l'insuline, l'obésité ou encore l'augmentation de la pression artérielle.
Ces effets sur la santé sont alarmants. Pour les individus concernés, un problème de santé est un problème de santé, et cela s'arrête là. Mais à l'échelle de la santé publique, les décisions sont prises en fonction du nombre de personnes affectées. Certains travaux utilisés pour la revue générale permettent de donner ce genre d'informations et nous les avons compilées dans une autre étude de la commission Minderoo-Monaco sur les plastiques et la santé humaine publiée au mois de mars de l'année dernière. Une équipe dirigée par le professeur Maureen Cropper a quantifié ces effets sur la santé de la population sur la base de l'exposition connue à partir des données de biosurveillance humaine, puis les a traduits en coûts économiques. L'étude reconnaît les défis sociaux et éthiques qui accompagnent cette démarche ainsi que les limites de la traduction de la santé et de la maladie en coûts économiques, mais elle a suivi des approches standardisées. Seules trois substances chimiques ont été retenues - les PBDE, le PHA et le DEHP - ainsi qu'un ou deux effets sur la santé par substance chimique. Les résultats concernent uniquement les États-Unis car à l'époque, c'était le seul pays pour lequel on disposait de données de biosurveillance de l'exposition. Entretemps, nous avons actualisé cette analyse avec des données sur l'exposition au niveau mondial, y compris les données de l'Union européenne auxquelles Xavier Coumoul a fait référence et des données spécifiques à la France. Ces données devraient être publiées et disponibles d'ici la fin de l'année.
Mais pour l'instant, permettez-moi de vous montrer les chiffres américains. Pour les PBDE, l'analyse prend en compte les coûts économiques résultant d'une baisse des performances cognitives, du QI et du capital humain à la suite d'une exposition aux PBDE dans l'utérus ; pour le BPA, l'étude se concentre sur le coût de l'augmentation des maladies cardiaques et des accidents vasculaires cérébraux, encore une fois, en grande partie sous l'angle de la productivité ; pour le DEHP, l'étude tient compte de l'augmentation de la mortalité à l'âge adulte sur la base de la valeur statistique d'une vie. Les données relatives à l'exposition au DEHP aux États-Unis, associées à l'analyse du professeur Leo Trasande de l'université de New York, concluent à plus de 40 000 décès annuels supplémentaires qui pourraient être attribués à la seule exposition au DEHP de la population américaine. C'est un niveau de nuisance inacceptable qui doit nous amener à réfléchir, avant même de parler d'impact économique. Néanmoins, il est important de quantifier les externalités négatives du plastique pour remettre en cause certaines idées reçues selon lesquelles le plastique ne coûte pas cher, parce que cette assertion ne tient pas compte de tous les coûts. Et quand on les met en évidence, on constate que pour les seuls États-Unis et pour seulement trois types de substances chimiques, ces coûts se chiffrent en centaines de milliards de dollars !
Pour conclure, je veux attirer votre attention sur les coûts liés aux plastiques tout au long de leur cycle de vie. Je sais que certains d'entre eux ont été explorés lors de la première table ronde, et Megan Deeney, qui m'a précédé, en a également parlé. Mais il y a d'autres impacts sur la santé dus à la production de plastique pour lesquels nous pouvons donner des estimations, y compris les émissions de carbone et la pollution atmosphérique, qui nous aident à obtenir une image plus complète des coûts externalisés pour la santé humaine de la pollution par le plastique tout au long de son cycle de vie.
Au niveau mondial, ils s'élèveraient à plusieurs centaines de milliards de dollars.
M. Stéphane Piednoir, sénateur, président de l'Office. - Je vous remercie pour vos présentations.
Même si cela sort peut-être un peu du champ de ces tables rondes, nous n'avons pas évoqué les changements de comportement de nos concitoyens. Des lois ont été votées en France, par exemple en ce qui concerne l'interdiction de certains plastiques ou l'usage des plastiques à usage unique, et il y a une prise de conscience sur les emballages excessifs. Est-ce que cette prise de conscience existe dans les autres pays ?
M. Philippe Bolo, député, rapporteur. - Cette question justifie en elle-même la nécessité d'un traité international... Chaque pays a des logiques différentes : l'interdiction des bouteilles d'eau peut paraître pertinente en France, mais pas forcément dans un pays où l'accès à l'eau potable répond à des contraintes autres.
En fait, la production d'un objet plastique à l'autre bout de la planète peut créer de la pollution chez nous et vice-versa. D'où, encore une fois, la nécessité d'une approche internationale.
Mme Dominique Voynet, députée. - Il ne s'agit pas forcément d'une question, mais je souhaiterais prolonger l'échange sur le sujet que vous venez de lancer. Les changements de comportement concernant les suremballages, l'usage des bouteilles d'eau ou encore des flacons de shampoing ou de gel douche sont accessibles à des consommateurs qui ont conscience de leur consommation de plastiques. Il existe des plastiques complexes ou des additifs dans énormément de produits sans qu'on le sache, par exemple pour imperméabiliser les vêtements ou pour servir de retardateur de feu.
Qui est conscient de ce genre de chose et qui a la liberté de choisir de ne pas utiliser de tels produits ? La puissance publique, nationale ou internationale, ne peut donc pas s'exonérer de sa responsabilité ; on ne peut pas seulement invoquer celle du consommateur. Je crois que c'est à nous de faire le job !
M. Stéphane Piednoir, sénateur, président de l'Office. - On a commencé.
Mme Dominique Voynet, députée. - Un peu !
M. Philippe Bolo, député, rapporteur. - Y a-t-il des croisements entre les deux domaines de recherche que nous avons évoqués ce matin : d'une part, les micro- et nanoplastiques, d'autre part, les substances chimiques ? Fabienne Lagarde ou Muriel Mercier-Bonin, je ne sais plus, évoquait la notion de cheval de Troie : les microplastiques se sont vus ajouter des additifs lors de leur conception, voire des molécules chimiques dont ils ont hérité lors de leur passage dans l'environnement, et je fais référence aux microplastiques ingérés lors de la consommation de fruits de mer, mais il peut également s'agir de microorganismes pathogènes. Parce qu'ils sont présents dans notre corps, est-ce que les microplastiques ne sont pas également une voie de pénétration profonde dans notre organisme de substances chimiques ?
M. Xavier Coumoul. - L'exemple assez classique des contaminations dans l'environnement, ce sont les mégots de cigarette qui contiennent du plastique. Beaucoup de consommateurs ne sont pas conscients de la présence de plastique dans ces mégots et de leur caractère non biodégradable.
M. Christos Symeonides. - Je pense que le lien entre substances chimiques et micro- et nanoplastiques est au coeur de la question suivante : pourquoi les substances chimiques posent un tel problème dans les plastiques ? C'est lié au fait que les plastiques sont une illustration des risques chimiques. On a parlé de l'effet cheval de Troie qui consiste, pour les plastiques, à transporter des substances chimiques et permettre à ces dernières de traverser des frontières qu'elles ne pourraient normalement pas franchir, mais ce n'est pas le seul risque. La raison principale pour laquelle nous sommes confrontés au problème des micro- et nanoplastiques réside dans le caractère persistant des plastiques dans l'environnement et le fait qu'ils se dégradent lentement en micro- et nanoplastiques. Ces plastiques, parce qu'ils fixent des substances chimiques, permettent à ces dernières de persister dans l'environnement, ce qui ne serait pas le cas si elles n'étaient pas reliées à ces plastiques. Par conséquent, les décisions qu'on prend sur les substances chimiques qui entrent dans la composition des plastiques ont un impact sur plusieurs générations en matière d'exposition de l'environnement à des substances chimiques. La première table ronde a évoqué le phénomène d'accumulation des plastiques dans notre corps, qui à leur tour permettent la bioaccumulation de substances chimiques. Par conséquent, tous ces risques que font courir les substances chimiques n'existeraient pas s'il n'y avait pas de plastiques.
M. Martin Wagner. - Je voudrais faire un commentaire sur la capacité du consommateur à faire des choix en toute connaissance de cause. En réalité, les consommateurs ont très peu de choix en ce qui concerne leur exposition, que ce soit aux micro- et nanoplastiques ou aux substances chimiques liées aux plastiques, dans la mesure où il n'y a pas de transparence sur lesdites substances chimiques. Les consommateurs n'ont pas les moyens de savoir que les plastiques qu'ils utilisent contiennent des substances chimiques. Par exemple, ils ne savent pas qu'il y a du bisphénol A dans les canettes et dans les boîtes de conserve. Je voudrais donc remettre en question l'idée qu'il revient aux consommateurs de faire les bons choix dans la mesure où ils n'ont tout simplement pas les informations pour le faire.
Par ailleurs, ce manque de transparence se répercute également sur la chaîne d'approvisionnement. Nous avons constaté que plus de 400 substances chimiques préoccupantes entrent de manière intentionnelle dans la composition des principaux plastiques. Or, on peut se demander si les producteurs utilisent de manière intentionnelle lesdites substances ou bien s'ils les utilisent parce qu'ils ne savent pas quelles sont les substances chimiques qui sont ajoutées tout au long d'une chaîne d'approvisionnement très complexe. Par conséquent, plus de transparence au sein des chaînes d'approvisionnement, mais également pour le consommateur est indispensable pour permettre de faire des choix en toute connaissance de cause et mettre fin à l'exposition aux substances chimiques liées aux plastiques les plus dangereuses.
M. Arnaud Saint-Martin, député. - En tant que conseiller municipal d'opposition et à la suite de l'enquête Forever Pollution Project publiée par le journal Le Monde, j'avais alerté différentes autorités sur un site d'exposition aux PFAS dans l'agglomération de Melun, site qualifié, dans l'enquête, de hot spot. J'attends toujours une réponse et on constate clairement une indifférence générale dans ce type de situation, ce qui est dévastateur. En fait, chacun se renvoie la balle !
Nous avons un problème de traçage et de capacité de prélèvement et d'analyse, notamment faute de moyens humains. Il faut renforcer la recherche publique fondamentale et la financer dans la durée pour avoir des experts indépendants. Les projets de recherche financés sur deux ou trois ans ne permettent pas de garantir des séries d'observations sur le temps long. Les coûts sont certes élevés, mais c'est absolument nécessaire.
La puissance publique doit réagir sérieusement, en mettant en place des moyens matériels et humains et en s'organisant mieux. À la fin, c'est nous tous qui allons payer très cher les défauts d'anticipation et de planification. Il faut repenser le chaînage entre expertise, science et action publique.
M. Daniel Salmon, sénateur. - Dans l'un des exposés, il était mentionné « pas de données, pas de marché ». C'est une bonne base, car nous avons un véritable souci de transparence et de confiance, puisque les industriels ne fournissent pas les éléments sur les plastiques mis sur le marché. Par ailleurs, comme on ne peut pas complètement faire confiance aux industriels, nous avons besoin de capacités indépendantes de recherche.
Je trouve des similitudes entre la question des plastiques et celle des pesticides : ils sont issus de l'industrie pétrochimique et les additifs et impuretés ne sont pas toujours pris en compte dans la toxicologie.
M. Stéphane Piednoir, sénateur, président de l'Office. - Le rôle du législateur est important : il a pu impulser des changements grâce à la loi. Ainsi, lorsque le consommateur voit que l'emballage plastique est remplacé par du carton, il est sensibilisé de fait à la question. Le législateur a pris ses responsabilités.
Notre collègue Marta de Cidrac, qui était rapporteure du projet de loi relative à la lutte contre le gaspillage et à l'économie circulaire, dite loi Agec, nous suit sur internet et m'a envoyé un message : elle nous fait remarquer que la crise du covid a entraîné un retour du plastique, notamment pour éviter les contaminations. On a désormais du mal à tordre ces nouvelles habitudes.
En tout cas, la France ne peut pas tout ; une action européenne et mondiale est indispensable.
M. Philippe Bolo, député, rapporteur. - Avant de donner la parole à Marie-France Dignac pour conclure cette audition publique, je souhaite remercier l'ensemble des intervenants à ces deux tables rondes.
Ce que nous avons constaté ce matin, c'est notre accoutumance aux plastiques qui font désormais partie de notre quotidien. Ils sont omniprésents, parfois précieux et utiles. Par conséquent, l'exposition est certaine. Dans ces conditions, comment faire évoluer l'approche bénéfice-risques pour retenir les plastiques les plus précieux, s'interroger sur ceux pour lesquels le bilan bénéfice-risques est moins évident et éliminer ceux qui sont futiles ou inutiles ?
J'ai retenu le fait que nous devons agir notamment au stade de la production. Fabienne Lagarde nous a montré le lien entre la présence de plastiques dans notre organisme et les volumes de production. La simplification des plastiques permettrait une massification des flux facilitant la gestion des objets en fin de vie. Il faudrait également éliminer les molécules les plus dangereuses et limiter les pertes dans l'environnement puisque c'est dans l'environnement que se créent les micro- et nanoplastiques qui s'accumulent dans notre organisme et qui sont eux-mêmes porteurs de molécules à problème.
Mme Marie-France Dignac. - Ce matin, l'audition portait sur l'impact des plastiques sur la santé humaine, mais d'autres sujets ont été abordés et il est apparu en filigrane des interventions que les plastiques étaient au centre des trois crises qui secouent aujourd'hui notre planète : la pollution, tout au long du cycle de vie des plastiques - les émissions de micro- et nanoplastiques ont lieu également pendant leur utilisation et pas seulement lorsqu'ils se retrouvent dans l'environnement ; le changement climatique - l'industrie des plastiques contribue à 4 % des émissions mondiales de gaz à effet de serre et, sans changement, cela ne pourra qu'augmenter ; la perte de la biodiversité, sur laquelle les plastiques ont un impact, qu'il s'agisse de la biodiversité terrestre, marine et en eau douce.
Ces trois crises, qui ont un impact sur la santé humaine - on sait dorénavant qu'il existe des liens entre la perte de biodiversité et l'émergence d'épidémies -, sont interconnectées et doivent être considérées ensemble. C'est d'ailleurs le constat du Programme des Nations unies pour l'environnement.
C'est ce qui a motivé la résolution 5/14 de l'Assemblée des Nations unies pour l'environnement adoptée en mars 2022 par cent soixante-quinze pays, qui vise à aboutir à un traité juridiquement contraignant pour mettre fin à la pollution plastique dans tous les milieux, en prenant en compte l'ensemble du cycle de vie du plastique. Cinq réunions de négociations ont été prévues, la dernière aura lieu dans un mois en Corée du Sud. Des propositions de textes ont été faites et négociées durant ces différentes phases : un draft zero à la suite du deuxième comité intergouvernemental de négociation (CIN 2) à Paris, puis d'autres versions révisées et compilées.
À la suite du quatrième comité intergouvernemental de négociation (CIN 4) a été présenté un projet de texte de 70 pages, très complexe, très long, avec beaucoup de propositions contradictoires provenant de différents pays. Aujourd'hui, on peut dire qu'il n'y a pas vraiment de texte. Il va y avoir une proposition du président du CIN, l'ambassadeur Luis Vayas Valdivieso, à travers une note informelle dont deux itérations ont déjà été partagées avec les États membres.
Que devra contenir le futur traité ?
Il y a un préambule, qui rappelle les grands principes d'un tel traité, ses objectifs, un certain nombre de définitions, puis des articles qui vont concerner tous les aspects que l'on a évoqués aujourd'hui sur les produits chimiques - la production, les émissions de microplastique dans l'environnement, le traitement des déchets -, ainsi que des articles sur les aspects financiers ou sociaux. Tous les textes distribués ne figureront pas dans le traité et ils doivent encore être traduits en termes juridiques précis par une équipe de juristes constituée à cet effet.
Pour aller à l'essentiel, je dirai que, pour qu'un traité sur les plastiques soit efficace, il faut qu'il s'appuie sur les connaissances scientifiques indépendantes disponibles aujourd'hui. C'est ce qui a motivé la création en août 2022 de la coalition de scientifiques internationaux, dont un certain nombre d'orateurs, ce matin, font partie.
Aujourd'hui, celle-ci comprend plus de 400 membres de 64 nationalités différentes. Ce sont des scientifiques indépendants, dont l'expertise porte sur tous les aspects de cette pollution plastique. La coalition a une politique très stricte en matière de conflits d'intérêts. Il importe en effet que ces scientifiques soient indépendants, en particulier des industries pétrolières ou pétrochimiques ou des industries des plastiques.
La coalition est organisée en groupes de travail qui peuvent évoluer en fonction des besoins d'information des différentes sessions de négociation et elle produit des notes de synthèse. Avec le QR code que je vous montre sur cet écran, vous pouvez avoir accès aux informations sur la coalition et à toutes ses notes de synthèse, dont la plupart sont traduites en français.
Celles-ci sont destinées aux politiques, aux décideurs, aux négociateurs, et ont pour vocation de simplifier les données scientifiques reposant sur des données avérées. La science incertaine peut y être évoquée, mais toujours sous réserve. C'est vraiment le consensus scientifique qui s'exprime à travers la coalition.
Par ailleurs, un certain nombre de ces scientifiques participent aux sessions de négociation en tant qu'observateurs, afin d'aider les délégués des pays à appuyer leurs positions, qu'elles soient plus ou moins ambitieuses.
Notre rôle est aussi de réagir lorsque l'on entend certains pays fonder leurs propositions sur des affirmations qui nous apparaissent contraires à la science.
Un certain nombre de scientifiques francophones s'engagent plus particulièrement avec les délégations des pays francophones, notamment du continent africain, qui peuvent avoir, en raison de barrières linguistiques, des difficultés pour accéder aux informations techniques et scientifiques sur cette question de la pollution plastique.
Pendant les négociations, nous participons également à un comptoir que l'on appelle Ask Scientists, où les négociateurs peuvent venir poser des questions de manière informelle aux scientifiques sur des problèmes particuliers.
Enfin, notre groupe francophone traduit toutes les notes de synthèse, les interventions, les réponses de la coalition en français.
Nous avons formulé un certain nombre de préconisations sur des points qui nous paraissent essentiels afin que le traité soit vraiment efficace pour protéger la santé humaine et l'environnement. Il nous semble d'abord impératif que le traité soit ambitieux et juridiquement contraignant si l'on veut vraiment qu'il ait un impact sur la pollution. Par ailleurs, nous sommes convaincus que l'on ne peut pas mettre fin à la pollution plastique sans s'attaquer à la question de la réduction de la production de polymères plastiques primaires. Tous les modèles montrent qu'en intervenant uniquement en aval, donc à partir du moment où le plastique est un déchet, il est impossible de limiter les impacts de cette pollution. C'est aussi la conclusion du rapport récent de l'OCDE. Le statu quo est insoutenable et il importe d'intervenir en amont en limitant la production et la demande.
Quelle réduction pouvons-nous envisager ? Au CIN 4, la Norvège et le Pérou ont proposé 40 % de réduction en 2040 par rapport à 2025. Cela peut paraître beaucoup, mais cela nous ramènerait seulement au niveau de production de 2015. Cette proposition n'est donc pas si ambitieuse.
Il faut proposer une régulation des substances chimiques fondée sur les dangers, puisque l'on ne peut pas être sûr qu'une substance chimique dangereuse dans un plastique, quel qu'il soit, ne va pas conduire à une exposition humaine à un moment de son cycle de vie.
Le traité devra en outre définir un certain nombre de critères pour aider à l'élimination des plastiques non essentiels et un principe d'utilisation essentielle pour autoriser pendant une durée limitée des plastiques qui peuvent être jugés dangereux, non soutenables ou non durables, mais essentiels pour la société ou la santé.
Enfin, c'est une évidence, il faudra s'attaquer au problème des micro- et nanoplastiques et prévoir une interface science/politique exempte de conflits d'intérêts.
Pour conclure, je remercie MM. Philippe Bolo et Stéphane Piednoir d'avoir bien voulu donner la parole aux scientifiques sur cette question. Notre but est uniquement d'alerter sur ces problématiques, sans intérêt particulier. Un dernier mot et une pensée pour notre collègue Juan Baztan, que vous avez évoqué au début de la réunion et qui a eu un rôle moteur par son engagement pour une recherche éthique, transdisciplinaire et collaborative sur les plastiques.
M. Stéphane Piednoir, sénateur, président de l'Office. - Je remercie tous les participants à cette réunion. Je souhaite bon courage à Philippe Bolo dans son entreprise de conviction et de persuasion des différents acteurs, car, nous l'avons compris, le temps presse dorénavant.
La réunion est close à 11 heures 50.