Jeudi 17 octobre 2024

- Présidence de M. Jean-François Rapin, président -

La réunion est ouverte à 9 heures.

Éducation - Alliances d'universités européennes - Examen du rapport d'information, de la proposition de résolution européenne et de l'avis politique

M. Jean-François Rapin, président. - Notre commission a missionné nos collègues Karine Daniel et Ronan Le Gleut pour tirer un bilan d'une initiative lancée en écho au discours de la Sorbonne prononcé par le président de la République en septembre 2017 : il invitait alors à cimenter l'unité de l'Europe en misant sur le sentiment d'appartenance, au moyen de la culture et du savoir. Je cite : « je propose la création d'universités européennes qui seront un réseau d'universités de plusieurs pays d'Europe, mettant en place un parcours où chacun de leurs étudiants étudiera à l'étranger et suivra des cours dans deux langues au moins. Des universités européennes qui seront aussi des lieux d'innovation pédagogique, de recherche d'excellence. Nous devons nous fixer, d'ici à 2024, en construire au moins une vingtaine. Mais nous devons, dès la prochaine rentrée universitaire, structurer les premières, avec de véritables semestres européens et de véritables diplômes européens. »

L'ambition était grande : qu'en est-il sept ans plus tard, à l'heure où la Commission européenne envisage d'aller plus loin ? Je laisse nos rapporteurs nous présenter le fruit du travail approfondi qu'ils ont mené depuis plusieurs mois pour répondre à cette question.

Mme Karine Daniel, corapporteure. - Il y a près de six ans, la Commission a lancé l'initiative des universités européennes. Ce projet atteint un moment charnière de son développement et nous avons souhaité en dresser un premier bilan. Il s'agit là en effet d'un dossier emblématique pour notre pays, puisque l'idée de créer des universités européennes est née en France en 2017, avant d'être reprise par la Commission européenne en 2018.

En pratique, cette initiative a vocation à permettre aux universités, mais aussi aux instituts et aux écoles supérieures qui le souhaitent de se regrouper en alliance européenne pour développer des projets de coopération communs.

Cela signifie à titre d'exemples : encourager encore davantage la mobilité des étudiants, doctorants, enseignants et chercheurs ; favoriser des programmes d'enseignements communs, ou encore la mise en place de diplômes délivrés conjointement, et cela dans le but de tendre vers la création d'un statut juridique pour la délivrance d'un « diplôme européen » ; développer des projets de recherche plus ambitieux ; renforcer l'attractivité de nos établissements d'enseignement supérieur, mais aussi de nos territoires en développant par la même occasion un écosystème de partenaires locaux et internationaux.

Le rapport dont nous vous présentons aujourd'hui les conclusions est le résultat d'un travail fourni d'environ six mois, alimenté d'une vingtaine d'auditions, d'un déplacement à Bruxelles et des contributions d'environ 50 établissements d'enseignement supérieur français par le biais d'auditions ou de questionnaires écrits.

Globalement, nous dressons un premier bilan très positif de cette initiative ; nos travaux ont mis en exergue l'effet transformateur de ce projet que certains qualifient de « deuxième révolution », après la révolution d'Erasmus dans le domaine de l'enseignement supérieur.

Ce dispositif rassemble aujourd'hui plus de 500 établissements au sein de 64 alliances européennes, représentant les 27 États membres ainsi que 8 pays partenaires dont l'Ukraine. Je voudrais souligner que ces chiffres dépassent d'ores et déjà l'objectif de 60 alliances que s'était fixé la Commission européenne pour mi-2024, et nous ne pouvons que saluer cette réussite.

La France et nos territoires sont extrêmement bien représentés puisque nous totalisons 63 établissements d'enseignement supérieur répartis dans 53 alliances. Nous sommes en 2ème position, derrière l'Allemagne avec ses 66 établissements participants et devant l'Espagne avec ses 55 établissements. Je me félicite de constater que la quasi-totalité de nos territoires, y compris les Outre-Mer, sont représentés : Paris, Poitiers, La Rochelle, Lyon, Aix-en-Provence, Chambéry, Nantes, Pointe-à-Pitre, Le Havre, Tours, Toulouse et encore bien d'autres.

Tous nos interlocuteurs universitaires ont souligné la vertu transformatrice des alliances comme outil unique d'internationalisation et d'européanisation de leur établissement. La participation à une alliance européenne s'est généralement traduite par un renforcement de l'attractivité, tant de la structure, que de l'écosystème territorial local ou européen.

Permettez-moi d'insister sur l'impact extrêmement positif de cette initiative pour les universités françaises dont les capacités et le rayonnement sont les plus modestes. L'insertion dans un réseau européen entraîne un effet de rattrapage pour ces établissements, dont l'offre académique se voit enrichie ; elle leur donne également l'occasion d'accentuer leur spécialisation académique. Je parle d'alliances d'universités européennes qui se sont réunies autour de leur spécialisation sur les études d'agronomie, d'ingénierie ou bien de transformation verte des territoires par exemple, pour se transformer en pôle d'excellence - par exemple l'alliance NeuroTechEU dont fait partie l'université de Lille et six autres universités européennes qui se sont rassemblées pour former un pôle d'excellence en matière d'enseignement supérieur dans les neuro-technologies.

L'appartenance à une alliance européenne offre également la possibilité aux établissements d'enseignement supérieur de mutualiser leurs ressources, leurs bonnes pratiques, ou encore le catalogue de leurs formations, tout en développant de nouvelles opportunités de coopération scientifique. En somme, de quoi rivaliser avec les meilleures universités du monde entier.

Ne perdons pas de vue, en parallèle, que tout ceci participe également à la promotion des valeurs et de l'identité européenne.

La Commission européenne, les États membres et nos territoires, jouent un rôle crucial dans l'accompagnement et le financement du développement de ces partenariats. Les alliances ont bénéficié d'un soutien financier européen en provenance des fonds Erasmus + à hauteur de presque 850 millions d'euros depuis 2019, mais peuvent également compter, en France, sur un financement national complémentaire de l'ordre de 100 millions d'euros sur la période 2018 -2030 dans le cadre du 3ème programme d'investissements d'avenir (PIA) et de France 2030. Cet abondement national se révèle absolument essentiel dans le déploiement des alliances. Nous avons enfin relevé, lors de nos travaux, que certaines collectivités territoriales jouaient un rôle majeur dans l'accompagnement de ces projets, y compris sur le plan financier.

Ce premier bilan que nous qualifions de positif, ne doit pas occulter les risques et obstacles auxquels les alliances font face aujourd'hui. Nous avons dressé au fil du rapport cinq obstacles majeurs à surmonter.

Premièrement, le financement des alliances reste incertain et questionne à long terme leur modèle économique, c'est le risque principal du projet. Il y a un réel enjeu de pérennisation des financements des alliances sur la durée, ce d'autant que le Conseil de l'Union européenne a récemment indiqué vouloir réduire le budget alloué à Erasmus + dans le budget européen pour 2025. Cette perspective est d'autant plus alarmante que le succès du projet entraîne une augmentation du nombre d'établissements participants et d'alliances année après année. La pérennité des fonds européens et nationaux sera cruciale pour assurer l'acte II des universités européennes. Cette question se pose avec encore plus d'acuité dans le contexte budgétaire actuel, qui risque de resserrer l'étau financier dans lequel sont pris les universités. Les auditions des universités françaises ont aussi fait remonter les limites du mode de financement qui fonctionne par appels à projet répétés et concurrentiels. En effet, ce mode de financement court-termiste leur donne une perspective de l'ordre de 3 à 4 ans environ par projet, alors même que la pérennité de l'initiative dépend d'une vision de long terme.

Deuxième obstacle, il n'existe pas à ce jour de structure juridique adaptée aux alliances. Actuellement, chaque alliance rattache son secrétariat à la législation nationale d'un pays donné, alors que ses universités membres proviennent de différents États européens. Cet état de fait crée des déséquilibres compte tenu de cadres juridiques nationaux très hétérogènes et entraîne, selon les pays, plus ou moins de lourdeurs administratives supplémentaires.

Troisièmement, la mise en oeuvre des programmes et diplômes conjoints se heurte à de nombreuses difficultés, à commencer par une insuffisante reconnaissance de l'enseignement dispensé au sein des établissements d'une même alliance. Nous avons eu des cas très concrets dans les auditions avec les universités de Montpellier et de La Rochelle qui butent sur la création et la reconnaissance de diplômes conjoints au sein de leur alliance.

Quatrièmement, la recherche est le parent pauvre de cette initiative, alors même que tous les éléments sont en théorie sur la table pour permettre aux alliances de mener des projets communs en matière de recherche et d'innovation.

Enfin, d'autres obstacles peuvent mettre en péril le développement des alliances s'ils se cumulent, par exemple l'asymétrie du niveau d'engagement des établissements d'enseignement supérieur au sein d'une même alliance, la barrière de la langue ou encore les entraves résultant des législations nationales.

Les réponses à ces obstacles sont décisives pour que cette initiative puisse s'inscrire dans le temps et devenir un programme européen phare et couronné de succès dans le domaine de l'enseignement supérieur, comme a pu le devenir le programme Erasmus +.

M. Ronan Le Gleut, corapporteur. - Tout l'enjeu du rapport était donc de formuler des recommandations pertinentes à la suite des auditions des différents acteurs des alliances européennes, afin de répondre aux obstacles et risques que nous avons identifiés.

D'un point de vue global, nos recommandations visent à institutionnaliser les alliances européennes dans la durée, que ce soit sur le plan de la gouvernance ou du financement. Dans leur réponse à notre questionnaire, les universités françaises impliquées dans des alliances ont systématiquement pointé les problématiques liées à la pérennité des financements et à la gouvernance, relevant qu'il s'agissait là de leur préoccupation principale. Nos préconisations s'articulent donc autour de cette problématique phare, tout en veillant à conserver la souplesse de la mise en oeuvre et le caractère volontaire de l'initiative.

Il s'agit finalement de lancer un acte II des alliances européennes, couvrant l'ambition de départ de faire des universités européennes le terreau d'un espace européen de l'enseignement et de la recherche.

Nous avons choisi de regrouper ces recommandations en 4 grands axes thématiques, relatifs : au financement des alliances ; à une meilleure prise en compte de la recherche et de l'innovation en leur sein ; à leur gouvernance et la création d'un statut juridique européen dédié et à la mise en place d'un diplôme européen.

S'agissant de la question des financements, les universités soulignent que le financement à long terme est la clef de voûte de la pérennité des alliances et de l'ambition du projet de la Commission européenne en lui-même. Comme dans toute structure, la projection budgétaire est essentielle à la poursuite d'une activité dans le temps long.

Dès lors, il est prioritaire de consolider le modèle économique des alliances et de mettre fin à la fragmentation des financements dont souffrent les parties prenantes. Pour cela, nous proposons dans le rapport que les financements européens et nationaux soient allongés et calqués sur la programmation budgétaire pluriannuelle d'Erasmus +. Concrètement, il s'agirait de passer d'un financement à horizon 3-4 ans à un financement alloué sur une période d'environ 7 ans, qui s'alignerait sur la durée de financement des projets d'excellence français.

C'est pourquoi nous sommes favorables à ce que l'objectif d'un financement dans la durée soit porté lors des négociations autour du prochain cadre financier pluriannuel européen pour la période 2028-2034. Il irait de pair avec une sanctuarisation du budget alloué au programme Erasmus +, qui constituerait un premier jalon vers un regain de compétitivité et d'innovation en Europe. C'est pourtant un coup de rabot sur les crédits Erasmus + que les États membres ont décidé le 13 septembre dernier... Cela met en cause la « pleine réalisation des espaces européens de l'éducation et de la recherche » qu'appelle de ses voeux le rapport d'Enrico Letta d'avril dernier sur l'avenir du marché intérieur. Cette refonte pourrait également donner l'opportunité aux alliances de faire grandir durablement un écosystème de partenaires économiques.

La recherche, ensuite, demeure le parent pauvre des alliances, alors que la recherche et l'innovation figurent pourtant parmi les priorités essentielles affichées par la nouvelle Commission européenne pour relancer la compétitivité de l'UE et atteindre les objectifs du Pacte vert européen. La disjonction entre les appels à projet Erasmus + et ceux d'Horizon Europe ne facilite pas l'intégration des aspects de recherche dans les activités de l'alliance. Nous proposons d'y mettre fin, pour que les établissements d'enseignement supérieur puissent se constituer en centres d'excellence attirant des talents du monde entier, et jouent ainsi pleinement leur rôle dans le développement de l'espace européen de la recherche.

S'agissant des questions de gouvernance, il faut définir un mode de gouvernance qui puisse convenir à chaque alliance, lui permettant de développer ses activités selon son rythme et ses ambitions. Cette problématique soulève la question de la création d'un statut juridique européen qui soit propre aux alliances, et ne découlerait pas du droit national d'un établissement qui en serait membre. Cela permettrait aux alliances de réaliser des achats communs d'infrastructures ou encore de postuler aux financements directement et non pas par l'intermédiaire de l'un de leurs membres, comme c'est le cas aujourd'hui.

Cependant, il n'y a pas de statut juridique parfait, compte tenu de la diversité des établissements supérieurs, des ambitions différentes de coopération des alliances et des spécificités nationales. La création d'un nouveau statut reste indispensable pour pérenniser les actions des alliances et leur permettre de réaliser un bond qualitatif en matière de moyens et de force d'action. Ce statut se doit donc d'être le plus agile possible pour s'adapter aux stratégies et objectifs de chaque alliance et ne pas en compliquer la gestion administrative.

En tout état de cause, nous appelons dans le rapport à ne pas imposer de statut unique aux alliances, et à leur laisser le choix de ce dernier. Nous estimons enfin la représentation étudiante indispensable au sein des instances gouvernantes des alliances ; elle semble aujourd'hui faire défaut dans beaucoup d'entre elles.

Je conclurai en abordant la perspective d'un diplôme européen. L'idée n'est pas de remplacer le diplôme national, mais de matérialiser, que ce soit pour les étudiants, la communauté éducative ou les universités, l'européanisation que constitue la mise en place de coopérations ou de programmes communs au sein d'une alliance. Parallèlement à la création d'un statut juridique des alliances, la mise en place d'un diplôme européen ouvrirait la voie à des résultats bien plus ambitieux en matière de coopération. Plébiscité par les universités auditionnées, le diplôme européen constituerait un véritable marqueur, un gage de clarté et d'attractivité à destination du recrutement des entreprises, un signal d'excellence pour les universités et enfin un outil de renforcement du sentiment européen pour les États membres.

Dans sa communication du 27 mars 2024 destinée à faire progresser la coopération transnationale entre les établissements d'enseignement supérieur, la Commission a proposé une approche graduelle, avec deux étapes vers le diplôme européen commun : tout d'abord, la création d'un label européen présenté comme préparatoire à un diplôme européen et décerné par les autorités compétentes chargées de l'accréditation ; ensuite, l'instauration d'un diplôme européen, délivré conjointement par plusieurs établissements d'enseignement supérieur européens, à l'issue d'un programme commun, fondé sur des critères européens et reconnu automatiquement dans l'Union.

Nous sommes favorables à cette approche graduelle. Le chemin vers un diplôme européen passe nécessairement par les États, qui devront adapter leurs législations, dans le respect du principe de subsidiarité et de leurs spécificités nationales. Avant de tendre vers cet objectif du diplôme européen, un travail important doit être réalisé en amont, pour lever au sein des législations nationales les différents obstacles qui entravent aujourd'hui la délivrance de diplômes communs au sein d'une alliance. Notre pays est hautement concerné par cette problématique, bien qu'il ne soit pas le seul. Nous avons ainsi relevé au cours de nos auditions que certaines universités se voyaient empêchées de délivrer un diplôme conjoint. L'exemple de l'université de Montpellier, membre de l'alliance CHARM-EU, est emblématique : en raison de contraintes règlementaires françaises, l'université a dû se résoudre à délivrer un diplôme d'établissement conférant un grade de master au lieu d'un diplôme national, ce qui n'a pas été le cas de ses homologues européens.... Cette situation est préjudiciable, vous en conviendrez.

Il est donc nécessaire de prévoir des assouplissements. Notre rapport montre les efforts positifs consentis par l'Espagne, la Grèce ou encore la Roumanie à ce sujet. L'exemple de l'Espagne est régulièrement cité, car ce pays a modifié sa législation pour reconnaître automatiquement, à l'échelle nationale, tout diplôme délivré par un pays faisant partie d'une alliance européenne comprenant une université espagnole. La France doit faire de même, pour s'ériger aussi en exemple et emmener les autres États membres avec elle. Un assouplissement des réglementations françaises ne doit pas être vu comme une fragilisation du modèle français. Les spécificités nationales sont à respecter, ce qui implique de conserver des préceptes fondamentaux comme celui de la sauvegarde et de la promotion de la langue française dans l'enseignement supérieur.

Voilà les recommandations les plus saillantes de notre rapport. Vous y trouverez une présentation approfondie de l'initiative des alliances d'universités européennes, ainsi que le détail des établissements qui y participent sur tout le territoire.

Pour conclure, je voudrais souligner que cette initiative ne concerne encore que 10 % des établissements d'enseignement supérieur européens. Nous plaidons donc en faveur d'une généralisation de ce modèle, sur la base du volontariat des établissements, afin que ces derniers puissent se saisir de cette opportunité unique en termes d'internationalisation et de rayonnement.

M. Jean-François Rapin, président. - Merci pour ce travail approfondi, le sujet est complexe, vous montrez qu'il y a encore beaucoup d'écueils et qu'il faut persister pour avancer. Il y a des choses très simples à améliorer, par exemple le fait que les diplômes français ont l'obligation d'être imprimés par l'Imprimerie nationale sur un papier particulier, c'est un détail significatif...

Mme Karine Daniel, corapporteure. - Le Ministère de l'enseignement supérieur conduit un travail de son côté, et pourrait intégrer notre rapport à ses conclusions. Nous allons aussi envoyer nos résultats aux universités françaises concernées. La question du financement est décisive, et nous soulignons par exemple que la faible rémunération des enseignants chercheurs français se traduit par un faible taux de retour des financements vers les universités françaises membres d'alliances ; ce biais est à prendre en compte.

La commission autorise la publication du rapport d'information et adopte la proposition de résolution européenne ainsi que l'avis politique qui en reprend les termes et qui sera adressé à la Commission européenne.

PROPOSITION DE RÉSOLUTION EUROPÉENNE
SUR L'INITIATIVE DES UNIVERSITÉS EUROPÉENNES

Le Sénat,

Vu l'article 88-4 de la Constitution,

Vu le traité sur le fonctionnement de l'Union européenne, en particulier ses articles 6 et 165,

Vu les conclusions du Conseil du 10 juin 2021 sur l'initiative « universités européennes » - « Mettre en relation l'enseignement supérieur, la recherche, l'innovation et la société pour jeter les bases d'une nouvelle dimension pour l'enseignement supérieur » 2021-C 221-03,

Vu les conclusions du Conseil européen du 14 décembre 2017 ;

Vu la communication de la Commission au Parlement européen, au Conseil européen, au Conseil, au Comité économique et social européen et au Comité des régions du 18 janvier 2022 sur une stratégie européenne en faveur des universités, COM (2022) 16 final,

Vu la recommandation au Conseil du 5 avril 2022 visant à jeter des ponts pour une coopération européenne efficace en matière d'enseignement supérieur, 2022-C 160-01,

Vu les conclusions du Conseil du 24 avril 2022 sur une stratégie européenne visant à renforcer les établissements d'enseignement supérieur pour l'avenir de l'Europe, 2022-C 167-03,

Vu la communication de la Commission au Parlement européen, au Conseil européen, au Conseil, au Comité économique et social européen et au Comité des régions du 27 mars 2024 sur un schéma directeur pour un diplôme européen commun, COM (2024)144 final,

Vu la proposition de recommandation du Conseil du 27 mars 2024 relative à des carrières attrayantes et durables dans l'enseignement supérieur, COM (2024) 145 final,

Vu la proposition de recommandation du Conseil du 27 mars 2024 pour un système européen d'assurance et de reconnaissance de la qualité dans l'enseignement supérieur, COM (2024)147 final,

Vu les communiqués de Rome du 19 novembre 2020 et de Tirana du 30 mai 2024, adoptés lors de la conférence ministérielle de l'espace européen de l'enseignement supérieur ;

Considérant le succès rencontré par l'initiative « universités européennes », les cinq appels à projets lancés par la Commission européenne ayant permis la constitution de 64 alliances d'universités européennes, un chiffre supérieur à l'objectif fixé de 60 alliances d'ici mi-2024 ;

Considérant que cette initiative couvre un champ large d'établissements et de pays, puisque 574 établissements représentant 35 pays sont impliqués dans ces 64 universités européennes ;

Considérant que les établissements français ont pris une part active à cette initiative, 64 d'entre eux étant représentés dans 55 universités européennes, et qu'ils ont été soutenus par un financement national complémentaire essentiel ;

Considérant que la diversité des modèles d'alliances constatée dépend de la stratégie d'intégration des établissements, et reflète notamment l'hétérogénéité de leur périmètre d'action, de leurs champs disciplinaires, de leur gouvernance et de leur mode de diplomation ;

Considérant que cette diversité - cohérente avec la volonté de la Commission européenne d'offrir de l'autonomie aux établissements - est une des richesses et un des éléments de réussite de l'initiative ;

Considérant les premiers résultats des projets pilotes de la Commission européenne sur la question du diplôme européen et du statut des alliances ;

Considérant l'effet « transformateur » de cette initiative pour les établissements concernés, notamment français, dans la mesure où elle offre de nouvelles opportunités à toute la communauté universitaire (étudiants, enseignants et personnel administratif), élargit et diversifie l'offre pédagogique, accroît l'attractivité à l'international des établissements participants, et contribue à la promotion des valeurs et de l'identité européenne ;

Considérant par ailleurs que le développement des alliances souffre d'un financement incertain qui questionne leur modèle économique ;

Considérant l'insuffisante prise en compte du volet recherche des établissements, qui constitue le « parent pauvre » de l'initiative ;

Considérant la fragilité du modèle de gouvernance des alliances, l'absence de structure ou de statut adapté pouvant entraver leur développement ;

Considérant la complexité de la mise en oeuvre des programmes et diplômes conjoints - non résolue par le processus de Bologne - en raison d'un recours inégal aux outils de ce processus, mais également des divergences nationales existantes en matière d'éducation ou des obstacles normatifs internes à chaque État membre, notamment en France ;

Considérant l'insuffisante reconnaissance de l'engagement du personnel universitaire dans l'initiative des alliances européennes, et plus généralement dans les programmes de coopération transnationale ;

Considérant les autres freins au développement des alliances, comme l'implication différente des partenaires de l'alliance, la mobilisation parfois difficile de la communauté universitaire, y compris des étudiants parfois peu conscients du dispositif, la non-adaptation de certains équipements informatiques ou le faible niveau de compétence en anglais, notamment des personnels et étudiants français ;

Considérant que les objectifs ambitieux de la Commission européenne semblent difficilement réalisables à court terme, au regard notamment des difficultés identifiées - dont certaines, concernant les programmes conjoints, existent depuis longtemps ;

Estime nécessaire d'inscrire l'initiative des « universités européennes » dans le temps long en incluant à terme tous les établissements volontaires et en conservant une souplesse de mise en oeuvre des alliances ;

Salue les trois textes présentés par la Commission européenne le 27 mars 20241(*) - et notamment la communication concernant le diplôme européen commun - qui contribueront au développement des alliances, sous réserve de certaines clarifications ;

Appelle à passer d'une logique de « projet » à une logique de long terme plus structurante, par une pérennisation des financements, une simplification de la coopération, une facilitation de la gouvernance et une promotion des programmes conjoints, de la reconnaissance de l'engagement du personnel et des outils numériques ;

Sur les obstacles à lever pour garantir le développement des alliances

Demande la pérennisation et la simplification du modèle de financement des alliances, par le biais notamment d'un allongement de la durée des financements, à caler sur celle du cadre financier pluriannuel, et d'un contrat pluriannuel entre les alliances, les États membres et l'Union européenne ;

Souligne que l'initiative devrait mieux prendre en compte le volet recherche des établissements d'enseignement supérieur, en liant les stratégies de formation des alliances à une stratégie cohérente de recherche et d'innovation, et en offrant aux établissements un meilleur accès aux financements ;

Plaide pour la mise en place d'un mode de gouvernance et-ou d'un statut juridique pour le développement des alliances, qui soit adapté aux objectifs et spécificités de chacune d'entre elles et qui garantisse la représentation étudiante au sein de leurs instances gouvernantes ;

Recommande une meilleure reconnaissance de l'engagement du personnel universitaire dans des activités de coopération transnationale, et notamment dans les alliances d'universités européennes, par exemple, par des dotations spécifiques aux établissements ou des politiques de primes ;

Appelle à encourager la mise en place des programmes et diplômes conjoints, dans le cadre du processus de Bologne, d'une part via un recours accru à l'approche européenne d'assurance qualité et une réforme des lignes directrices (ESG - European Standards and Guidelines) pour y inclure une dimension recherche et employabilité et d'autre part, via une simplification des réglementations nationales, sur la base d'une coopération entre États membres, en veillant au respect de certaines spécificités nationales ;

Invite à des modifications des règles françaises, sur le modèle de certains pays comme l'Espagne, pour faciliter la mise en oeuvre de diplômes conjoints, par exemple par une accréditation automatique de diplômes conjoints évalués selon l'approche européenne d'assurance qualité ou par des dérogations permettant de contourner les obstacles identifiés (crédits ECTS, parchemin unique, droits d'inscription ...), tout en veillant au respect des spécificités nationales et du principe de subsidiarité ;

Sur la mise en place du diplôme européen, outil nécessaire pour lever les obstacles liés aux diplômes conjoints

Estime que la proposition de la Commission européenne de mettre en place un label ou diplôme européen constitue un outil nécessaire pour encourager la mise en place de diplômes conjoints ;

Soutient l'approche progressive proposée par la Commission européenne consistant à passer d'abord par une phase intermédiaire couverte par l'attribution d'un label, pour mener à un diplôme conjoint européen ;

Salue également la proposition de la Commission de faire reposer ce label-diplôme européen sur des critères européens communs (sans ajout de critères nationaux) et une procédure d'accréditation simplifiée et invite à compléter ces critères afin de garantir le niveau de qualité des futurs diplômes européens, notamment par les deux critères utilisés dans le cadre du processus d'accréditation en France, à savoir l'adossement à la recherche et l'insertion professionnelle ;

Soutient la proposition de la Commission de confier l'évaluation des programmes conjoints à une agence nationale accréditée, qui conduirait à une reconnaissance automatique du label ou du diplôme européen dans le cadre des alliances, en s'appuyant sur des outils déjà existants du processus de Bologne et sur l'évaluation par les agences nationales existantes et propose une règle harmonisée de désignation de l'agence en charge de la procédure d'assurance qualité au niveau européen, qui pourrait revenir à l'établissement coordinateur de l'alliance ou du projet Erasmus Mundus ;

Considère indispensable une action coordonnée des États membres pour avancer vers un label et surtout vers un diplôme européen, au risque de voir persister les divergences nationales, qui constituent autant de blocages à l'élaboration de diplômes conjoints ;

Estime cependant nécessaire, dans la perspective de la mise en place de ce label ou diplôme européen, de veiller au respect du principe de subsidiarité et des spécificités des États membres et de prendre le temps nécessaire pour évaluer l'impact de tels dispositifs sur le cadre légal national, en tenant compte des éventuelles craintes des étudiants et des établissements d'enseignement supérieur ;

Insiste notamment sur l'importance de prévoir que les critères de ce futur label ou diplôme européen soient suffisamment flexibles pour s'adapter aux contextes nationaux différents, et garantissent un niveau de qualité suffisant des diplômes ;

Juge que ce futur diplôme européen ne devra en aucun cas remplacer les diplômes nationaux, et devra s'insérer dans l'architecture nationale existante, comme le prévoit l'actuelle proposition de la Commission européenne ;

Invite à encourager la mise en place d'un tel diplôme via par exemple un engagement accru des partenaires socio-économiques et une communication ciblée envers les étudiants ;

Sur la généralisation souhaitable des alliances

Estime nécessaire d'encourager d'autres formes de coopération que les programmes conjoints, les alliances constituant un cadre idéal de mise en oeuvre d'approches alternatives de formations et de coopérations universitaires européennes, telles que l'internationalisation des programmes nationaux, la pratique des micro-certifications, ou le développement des mobilités virtuelles ou hybrides ;

Soutient une généralisation du système des alliances européennes, offrant l'opportunité à tous les établissements qui le souhaitent d'en rejoindre une ;

Invite aussi à miser sur les autres outils de la coopération européenne en matière d'enseignement supérieur, notamment :

en ne réservant pas les projets de label et de diplôme européen aux établissements membres des alliances ;

en encourageant les autres manières de collaborer entre établissements d'enseignement supérieur, comme la coopération bilatérale ou les alliances transfrontalières existantes ;

Invite le Gouvernement à faire valoir cette position dans les négociations sur les trois textes présentés par la Commission européenne le 27 mars 2024, et sur le prochain cadre financier pluriannuel.

Politique étrangère et de défense - Atteintes aux droits fondamentaux des femmes en Afghanistan commises par le régime des talibans - Examen du rapport sur la proposition de résolution européenne

M. Jean-François Rapin, président. - Nous examinons la proposition de résolution européenne (PPRE) n° 762 déposée le 17 septembre par notre collègue Pascal Allizard et cosignée par de nombreux collègues sur tous les bancs, concernant les atteintes aux droits fondamentaux des femmes en Afghanistan commises par le régime des talibans. La condition des femmes est si terrible en Afghanistan que la Cour de justice de l'Union européenne (CJUE) a jugé il y a deux semaines que toute femme afghane peut prétendre au statut de réfugié dans l'Union européenne. Nous avons confié à nos collègues Elsa Schalck et Audrey Linkenheld le soin de nous présenter un rapport sur cette PPRE. Je vous propose de les écouter.

Mme Elsa Schalck, corapporteure. - La proposition de résolution européenne n° 762, déposée le 17 septembre dernier par notre collègue Pascal Allizard et cosignée par des collègues de l'ensemble des groupes politiques, lance un cri d'alarme sur la situation des femmes afghanes.

Je commencerai par présenter de manière très synthétique la situation actuelle de l'Afghanistan et la politique de répression des femmes menée par les talibans. Puis Audrey Linkenheld vous présentera les principales dispositions de la proposition de résolution européenne et les réflexions qui nous ont conduites à la préciser.

Quelle est la situation des femmes afghanes aujourd'hui ? Elle est tout d'abord celle de tous les Afghans, confrontés à de lourdes difficultés économiques, à une crise humanitaire et à des violences quotidiennes. Depuis le retour des talibans au pouvoir à Kaboul, en août 2021, les structures institutionnelles et administratives ont été fragilisées ou supprimées, un régime de sanctions internationales a limité la circulation de liquidités et le PIB s'est effondré de 30 % entre 2021 et 2022, sans compter une succession dramatique de catastrophes naturelles - séismes, inondations, sécheresse. En conséquence, le pays vit « sous perfusion » de l'aide humanitaire avec 23,7 millions d'Afghans - sur 42 millions - qui ont besoin d'une telle aide pour vivre et 67 % d'entre eux qui ont des difficultés d'approvisionnement en eau. De plus, si les talibans affirment avoir ramené la paix dans le pays, l'Afghanistan est marqué par leurs violences. En effet, ceux qui ne respectent pas leurs décrets sont menacés, font l'objet d'arrestations arbitraires et peuvent faire l'objet d'actes de tortures.

En plus de cette situation générale dégradée, les femmes afghanes subissent une politique « d'effacement de l'espace public », assumée par les talibans. Elles n'ont plus le droit d'occuper un emploi public - alors qu'elles représentaient 21 % des agents de l'État afghan avant 2021. Elles ne peuvent plus travailler dans les ONG ni pour l'ONU. Les jeunes filles âgées de plus de 12 ans sont privées d'enseignement secondaire et supérieur, droit dont elles bénéficiaient pourtant depuis 1947. Selon l'agence ONUfemmes, cette interdiction se traduit par le fait que les jeunes filles travaillent 12 heures par jour dans des ateliers de confection et que l'on constate une hausse de 25 % des mariages d'enfants, une hausse de 45 % des grossesses précoces et une augmentation de 50 % des mortalités maternelles. La pratique d'activités sportives et l'accès aux parcs et jardins publics sont également prohibés aux femmes. Et elles doivent être accompagnées d'un « tuteur » masculin lorsqu'elles sortent de leur domicile. Ces mesures répressives ont encore été renforcées en août dernier par une loi dite de « promotion de la vertu et de répression du vice » qui a contraint les femmes afghanes à se couvrir intégralement le corps et le visage, ce qui comprend le port d'un masque de type « anticovid », et à se voir interdire de faire entendre leur voix en public.

M. Volker Türk, haut-commissaire des Nations unies aux droits de l'Homme, a ainsi exprimé sa « répugnance » à l'égard de ces mesures, en septembre dernier. Et toujours en septembre, l'actrice américaine Meryl Streep, déclarait devant l'ONU alors qu'elle accompagnait une délégation de femmes afghanes, « un écureuil a plus de droits qu'une fille en Afghanistan aujourd'hui parce que les parcs publics ont été fermés aux femmes et aux filles par les talibans. »

Ces mesures discriminatoires ont aussi des effets néfastes sur les enfants afghans, qui subissent directement les privations, les discriminations et les violences faites à leurs mères. Dans un rapport d'avril dernier, l'Unicef recensait 12,3 millions d'enfants nécessitant un besoin d'aide humanitaire et indiquait qu'elle apportait un soutien psychosocial à 671 000 mères et enfants. En outre, les talibans diffusent leur vision de la charia aux jeunes enfants, aux jeunes garçons bien sûr mais aussi parfois aux jeunes filles, dans des milliers de « madrassas ».

Heureusement, les règles édictées par les talibans sont plus ou moins bien appliquées selon les provinces. Ainsi, dans certains cas, à Kaboul comme dans les villages, les femmes peuvent encore sortir de leur domicile sans tuteur masculin. Les femmes afghanes et leurs proches mettent en place des stratégies de contournement discret des règles, parfois en ayant recours à des « arrangements » avec les responsables locaux pour atténuer la répression et continuer à vivre. De plus, les femmes peuvent continuer à travailler dans le secteur privé. Certaines d'entre elles tiennent des stands dans les marchés. Et elles se formeraient à nouveau aux pratiques médicales. Mme Hamida Aman, fondatrice de Radio Begum, radio à destination des femmes afghanes émettant depuis Kaboul, confirme que sa radio est animée par une trentaine de femmes journalistes. Parfois, ce sont même les talibans qui viennent requérir les femmes, à l'exemple de ces femmes professeurs qui sont appelées pour enseigner aux jeunes garçons, faute de personnel masculin en nombre suffisant.

Face à cette situation, quelle est la réponse de la France et de l'Union européenne ?

La plupart des actions de la France et de l'Union européenne s'inscrivent dans le cadre des Nations Unies, dont les agences sont toujours présentes sur le terrain afghan et aident des millions d'Afghans au quotidien : on peut mentionner la mission d'assistance de l'ONU à l'Afghanistan, les rapporteurs spéciaux sur les droits de l'Homme, l'agence ONUfemmes ou encore l'Unicef, pour les enfants.

Ensuite, la communauté internationale a largement condamné la situation des femmes en Afghanistan. À titre d'exemple, le 15 août dernier, le ministère de l'Europe et des affaires étrangères condamnait « les violences intolérables des droits des femmes et des filles par les talibans ». Le 26 août dernier, le Haut-représentant de l'Union européenne pour la politique étrangère et de sécurité commune, M. Josep Borrell, a demandé instamment aux talibans de « mettre un terme à ces abus systématiques et systémiques à l'encontre des femmes et des filles afghanes. »

La communauté internationale a aussi choisi de mettre en oeuvre une politique de sanctions à l'égard des responsables talibans, qui sont qualifiés « d'autorités afghanes de fait » par l'ONU et ne bénéficient pas d'une reconnaissance internationale. Ce régime de sanctions, fondé sur des résolutions du Conseil de sécurité de l'ONU, et, pour l'Union européenne, sur des décisions du Conseil de l'Union européenne, prévoit le gel des avoirs des talibans, et leur impose interdiction de voyager ainsi qu'un embargo sur les armes. Enfin, une enquête est ouverte contre les talibans par le procureur de la Cour pénale internationale (CPI) - lequel est compétent pour poursuivre les crimes de génocide, de crime contre l'humanité et de crimes de guerre.

Malgré ces sanctions et cette enquête, la position d'un certain nombre d'États à l'égard des talibans se veut plus modérée depuis trois ans par souci de « realpolitik », le plus souvent pour s'assurer de la stabilité de l'Afghanistan, afin d'éviter que le pays soit de nouveau un « sanctuaire » d'organisations terroristes. C'est pourquoi l'ONU a organisé un dialogue entre une vingtaine d'États et les talibans, dans le cadre du « processus de Doha », dont la troisième rencontre a eu lieu en juin dernier.

Dans ce contexte, la France et l'Union européenne conservent une position de fermeté conciliant soutien au peuple afghan et refus de reconnaissance des talibans. Le soutien au peuple afghan passe par l'aide humanitaire, qui, comme le rappelle la diplomatie française, est inconditionnelle. Cette aide doit être délivrée par des partenaires humanitaires fiables, guidée par les principes d'indépendance, d'impartialité et de neutralité, et elle doit bénéficier aux femmes. L'Union européenne a ainsi fourni près d'1,2 milliard d'euros d'aide humanitaire à l'Afghanistan depuis août 2021. La France, elle, a déboursé 160 millions d'euros, pour soutenir des projets d'intérêt général comme l'hôpital de la mère et de l'enfant de Kaboul, géré par l'association la Chaîne de l'Espoir, Radio Begum, ou encore les actions de Handicap international, qui offrent de la kinésithérapie, assurent le fonctionnement d'un atelier de prothèses et défendent les droits des personnes handicapées.

Le soutien aux femmes afghanes a conduit aussi la France et l'Union européenne à accueillir celles d'entre elles qui sont menacées en Afghanistan. Dès la chute de Kaboul en août 2021, la France et l'Union européenne ont lancé des programmes d'évacuation de ressortissants afghans. Après l'Allemagne, notre pays est le deuxième État membre de l'Union européenne pour l'accueil des réfugiés afghans. Et depuis 2018, l'Afghanistan est le premier pays de provenance des demandeurs d'asile en France. En trois ans, 17 000 Afghans et Afghanes qui étaient menacés en raison de leur lien avec la France ou leur engagement ont été accueillis sur le sol français et, au 31 décembre de cette même année, environ 53 000 ressortissants afghans bénéficiaient de la protection de la France. Parmi les ressortissants afghans accueillis, environ 20 % sont des femmes.

Le 16 janvier dernier, la CJUE a rendu un arrêt important, considérant les femmes comme un « groupe social » susceptible d'être victime de persécutions. En France, en juillet dernier, la Cour nationale du droit d'asile (CNDA) a tiré les conséquences de cette jurisprudence en estimant que les femmes afghanes faisaient partie d'un « groupe social » persécuté et étaient fondées pour cela à demander le statut de réfugié. Le 4 octobre dernier, la CJUE a précisé que lorsqu'un État membre examinait la demande d'asile d'une femme afghane, il n'était pas obligé de vérifier si elle risquait de faire l'objet de persécutions dans son pays, mais pouvait prendre exclusivement en considération sa nationalité et son sexe. Cet arrêt pourrait favoriser l'arrivée de femmes afghanes dans l'Union européenne. Cependant, le taux de protection accordé aux femmes afghanes en France est déjà très élevé. Simultanément, les femmes afghanes sont aujourd'hui dans l'impossibilité pratique de quitter l'Afghanistan.

Mme Audrey Linkenheld, corapporteure. - Il me revient de vous présenter la proposition de résolution européenne déposée par Pascal Allizard, et les compléments que nous souhaitons lui apporter. Cette proposition a été co-signée par un grand nombre de groupes politiques et je pense qu'elle pourrait être présentée en séance publique.

Cette proposition a deux objectifs complémentaires.

En premier lieu, elle condamne sans ambiguïté la politique « d'invisibilisation » des femmes menée par les talibans qui se traduit par des « abus systématiques et systémiques à l'encontre des femmes et des filles afghanes » et dénonce le non-respect des obligations internationales de l'Afghanistan qui en résulte. Elle rappelle que ces abus sont susceptibles de « constituer une persécution fondée sur le genre, crime contre l'humanité au sens du statut de Rome de la Cour pénale internationale », auquel l'Afghanistan est partie depuis 2003, c'est l'alinéa 39 de la PPRE.

En second lieu, la proposition de résolution demande au Gouvernement d'examiner, en lien avec ses partenaires de l'Union européenne, « toute action supplémentaire concourant à faire cesser les violations graves et répétées des droits des femmes en Afghanistan. » Nous ne sommes pas entrées dans les détails de ce que pourraient être d'éventuelles actions supplémentaires utiles en faveur des femmes afghanes. Au regard du court délai qui nous a été imparti pour analyser la proposition et l'ensemble des mesures déjà en vigueur, l'identification de telles actions semble difficile. Il convient déjà d'assurer toute leur efficacité aux mesures en vigueur. En outre, l'issue de l'élection présidentielle américaine aura un impact important sur l'évolution du dossier afghan.

La proposition de résolution européenne n° 762 invite le Gouvernement à examiner également la possibilité de saisir la Cour pénale internationale (CPI) de « potentiels crimes contre l'humanité ». Elle lui demande enfin d'intensifier l'aide humanitaire pour soutenir le peuple afghan. Si la France est au deuxième rang pour l'accueil de femmes afghanes, elle dispose encore, tout comme l'Union européenne, d'une marge de progrès quant au niveau de l'aide humanitaire accordée.

Nous avons pu procéder à plusieurs auditions de fond, comme celles de M. Timothée Truelle, sous-directeur Asie méridionale au ministère de l'Europe et des affaires étrangères, de la représentation permanente de la France à Bruxelles, de Mme Shoukria Haidar, du collectif Negar, et de Mme Hamida Aman, fondatrice de Radio Begum et de Begum TV, médias installés respectivement à Kaboul et à Paris dans le 18e arrondissement, dont les émissions sont destinées aux femmes afghanes.

Ces auditions ont confirmé la pertinence de la proposition de résolution européenne déposée. C'est pourquoi notre rapport vise d'abord à lui apporter le soutien de notre commission.

Nous avons aussi souhaité préciser ou approfondir la proposition de résolution par plusieurs amendements.

Nos ajouts concernent d'abord la présentation de la proposition : le texte examiné étant une proposition de résolution européenne, il nous a semblé pertinent d'ajouter des références à la charte européenne des droits fondamentaux et à l'article 2 du traité sur l'Union européenne, relatifs aux valeurs de l'Union européenne, dans les visas de la proposition (alinéas 6 et 7 nouveaux).

Nos suggestions portent aussi sur le contenu de la proposition. En premier lieu, nous vous proposons de réaffirmer le caractère universel des droits de l'homme et du principe d'égalité entre les femmes et les hommes (alinéa 29 nouveau). Pour rappel, ce principe d'égalité était inscrit dans la Constitution afghane du 26 janvier 2004, qui a été écartée par les talibans en août 2021. Il ne faut pas oublier que les femmes avaient plus de droits avant 2021.

En deuxième lieu, nous avons choisi, dès que cela se justifie, de mentionner « les talibans » et non l'Afghanistan lorsque la proposition de résolution définit les responsables des persécutions actuelles à l'égard des femmes afghanes (alinéas 30, 33, 36, 38, 40, 41 et 42 nouveaux).

En troisième lieu, il nous apparaît important de saluer, dans un considérant de principe, le courage de ces femmes et de ces filles afghanes, dont la liberté et, souvent, la vie, sont menacées par la politique de discrimination et les violences du mouvement taliban (alinéa 34 nouveau). Les images et les récits de violence et de mort que nous entendons au sujet de l'Afghanistan passent trop souvent sous silence le fait que des femmes et filles essaient de résister au quotidien, que des femmes travaillent encore et qu'elles sortent parfois encore seules à Kaboul et dans certains villages. Nous voulons saluer leur courage et leur détermination. Autre exemple, Radio Begum, composée de journalistes femmes, émet toujours mais elle est parfois rappelée à l'ordre quand les femmes rient un peu trop - car le rire n'est pas autorisé sur les ondes...

Il faut aussi bien sûr citer celles qui, depuis l'étranger, sont devenues des « porte-voix » de la cause des femmes afghanes, comme les sportives Zadia Khudadadi et Marzieh Hamidi, la chanteuse Sonita Alizadeh ou l'ancienne vice-présidente de l'Assemblée nationale afghane, Fawzia Koofi.

En quatrième lieu, nous souhaitons attirer l'attention sur la situation des enfants afghans (alinéas 35 à 37 nouveaux). Ces enfants, filles et garçons, sont victimes de la situation de crise humanitaire et des mesures qui touchent leurs mères. Ils subissent aussi un endoctrinement. Il faut donc les protéger pour éviter que se perpétuent la radicalité et l'inégalité enseignées dans les « madrassas » aux enfants.

En cinquième lieu, la proposition de résolution amendée veut réaffirmer la pertinence de la position française sur le dossier afghan, à savoir poursuivre le soutien au peuple afghan et aux femmes afghanes tout en refusant toute reconnaissance internationale du régime taliban (alinéa 31 nouveau). Cela implique de refuser de reconnaître toute personne envoyée par les talibans pour occuper l'ambassade d'Afghanistan à Paris et, simultanément, ne pas nommer de nouvel ambassadeur de France sur place. Le dernier en date, M. David Martinon, avait organisé l'évacuation des Français présents en Afghanistan lors de la victoire des talibans en août 2021, puis il est resté en poste depuis Paris jusqu'en 2023. Aujourd'hui, c'est un chargé d'affaires, en poste à Doha, qui suit les affaires afghanes.

Cependant, pour des raisons de « realpolitik », un certain nombre d'États s'interrogent aujourd'hui sur la nécessité d'être plus ouverts à l'égard des talibans. Avec un questionnement permanent : jusqu'où aller dans le dialogue sans aller jusqu'à la reconnaissance ?

L'ONU a lancé le « processus de Doha » afin de rétablir des échanges sur l'avenir de l'Afghanistan entre une vingtaine d'États et les talibans. La France participe à ce processus, mais tout comme l'Union européenne, conditionne toute avancée dans le dialogue à leur respect des cinq critères énoncés dans la résolution 2593 du Conseil de sécurité de l'ONU (en date du 30 août 2021). Je rappelle ces critères : la levée des entraves pour celles et ceux qui veulent quitter le pays, ce qui n'est pas possible aujourd'hui, alors que les femmes ont désormais un accès direct à l'asile européen ; l'accès libre et sécurisé de l'aide humanitaire sur le territoire afghan ; le respect des droits de l'Homme, en particulier ceux des femmes et des filles ; la formation d'un gouvernement représentatif des différentes composantes de la société afghane, aux sens politique, religieux et genré ; la lutte contre le terrorisme et la rupture de tout lien avec les groupes terroristes.

Dans ce contexte, et en sixième lieu, la proposition de résolution modifiée souhaite que la France et ses partenaires européens veillent à l'efficacité des sanctions imposées aux talibans et appuie toutes les actions possibles devant les juridictions internationales pour amener les talibans à rendre des comptes (alinéas 38 à 41 nouveaux).

L'enquête du procureur de la CPI pourrait conduire à l'inculpation des responsables talibans et à leur jugement par la Cour. Dans ce cadre, les actes de persécution qu'ils mènent contre les femmes afghanes pourraient être reconnus constitutifs de crimes contre l'humanité. Par ailleurs, l'ONU réfléchit à présenter un nouveau traité international qui définirait ce qu'est un crime contre l'humanité. Dans ces discussions, des délégations de femmes afghanes et iraniennes, appuyées par des militantes des droits des femmes, ont demandé l'inscription de la notion d'« apartheid de genre », c'est-à-dire d'une ségrégation systématique des femmes parce qu'elles sont des femmes, parmi les critères constitutifs d'un crime contre l'humanité. Ce point n'est pas tranché mais il est important de faire état de ce débat.

D'autres procédures contentieuses pourraient s'ouvrir, par exemple devant la Cour internationale de justice (CIJ). En effet, le 25 septembre dernier, l'Allemagne, le Canada, l'Australie et les Pays-Bas ont indiqué qu'ils envisageaient de poursuivre l'Afghanistan régi par les talibans pour leurs multiples violations de la Convention des Nations-Unies sur l'élimination de toutes les formes de discrimination à l'égard des femmes.

En septième lieu, nous reprenons l'appel lancé à la France et à ses partenaires européens afin qu'ils puissent intensifier l'action humanitaire internationale en Afghanistan, en apportant deux précisions à la rédaction initiale (alinéa 42 nouveau).

D'une part, la proposition modifiée précise que cette aide doit soutenir la population dans l'ensemble du pays et pas seulement à Kaboul. Trop souvent en effet, l'aide humanitaire reste concentrée sur la capitale. D'autre part, alors qu'une partie de l'aide est détournée par les talibans, il faut insister sur le fait que cette aide humanitaire doit bénéficier au peuple afghan. Il faut donc renforcer le contrôle de l'acheminement et des destinataires de l'aide humanitaire française et européenne, afin que cette dernière bénéficie bien au peuple afghan.

Voilà, mes chers collègues, les compléments que nous souhaitions apporter à la proposition de résolution de notre collègue Pascal Allizard.

La vie des femmes afghanes est aujourd'hui marquée par les contraintes et les persécutions. Mais ces femmes ne se résignent pas. Elles se battent. Il est donc important que nous puissions exprimer le soutien de notre commission à la défense de leur liberté.

M. Jean-François Rapin, président. - Merci pour votre présentation, chères collègues. Je veux saluer notre collègue Dominique Vérien, qui suit attentivement ces questions en tant que présidente de la Délégation aux droits des femmes. Je veux aussi réagir aux propos de nos collègues en signalant que certaines femmes afghanes ont suivi le chemin de l'exil et sont entrées illégalement en France, et, qu'au cours de ce périple, plusieurs d'entre elles ont perdu la vie dans ce parcours. C'est un drame terrible.

M. Pascal Allizard, auteur de la proposition de résolution. - Je salue ce travail important que vous avez conduit dans un délai restreint. J'accepte très volontiers vos apports et je vous remercie de m'en avoir informé avant notre réunion d'aujourd'hui. Sur la méthode, il me semble que c'est un bon principe que l'auteur d'une proposition de résolution n'en soit pas ultérieurement le rapporteur, car cette diversité des regards sur les textes permet des ajouts qui en améliorent la qualité.

L'Afghanistan vit une régression épouvantable, qu'il avait déjà connue entre 1996 et 2001. En août 2021 à son retour, le pouvoir taliban a dit qu'il ne reviendrait pas à ses pratiques discriminantes envers les femmes, c'est ce qui se passe pourtant. On ne peut pas laisser le régime taliban triompher à ce sujet car ce serait un exemple épouvantable pour le monde entier, et pour les théocraties qui ne demandent qu'à aller dans ce sens. J'ai souhaité une proposition de résolution trans-partisane et je me félicite du nombre et de la qualité de ses cosignataires. D'autant que la situation n'est pas figée : depuis plusieurs jours, les talibans veulent appliquer les dispositions de la loi dite « pour la promotion de la vertu et de la répression du vice » interdisant toute publication d'images d'êtres vivants. Cela n'est pas acceptable. Il faut réagir, je trouve nécessaire que le Sénat prenne position.

Mme Dominique Vérien, au nom de la Délégation aux droits des femmes. - J'ai lu votre rapport, je suis très honorée de pouvoir m'exprimer devant vous sur cette proposition de résolution européenne que j'ai bien évidemment cosignée, sur les atteintes aux droits fondamentaux des femmes en Afghanistan commises par le régime des talibans. J'ajouterai d'ailleurs à ces atteintes, celles aux droits fondamentaux des petites filles afghanes car elles sont parmi les premières victimes de la tyrannie exercée par les talibans à l'encontre des femmes.

Comme vous le savez, la délégation aux droits des femmes du Sénat est particulièrement attentive à la situation des femmes et des filles en Afghanistan, notamment depuis l'été 2021 au cours duquel les talibans reprirent le contrôle de Kaboul.

Dès le 23 août 2021, notre délégation exprimait, par voie de communiqué de presse, sa profonde inquiétude quant au sort de ces femmes, premières cibles des talibans, et en appelait à la mobilisation de la communauté européenne et internationale pour protéger celles condamnées à revivre les heures les plus noires de l'histoire de l'Afghanistan.

Le 25 novembre 2021, à l'occasion de la Journée internationale de lutte contre les violences faites aux femmes, nous organisions un grand colloque international sur la situation des femmes et des filles en Afghanistan, au cours duquel s'exprimèrent notamment Shoukria Haidar, présidente de l'association Negar - Soutien aux femmes d'Afghanistan, qui oeuvre en faveur des droits des filles et femmes à travers des actions pour l'éducation, et que vos rapporteures ont auditionnée ; mais aussi David Martinon, alors ambassadeur de France en Afghanistan, et Alison Davidian, responsable du bureau d'OnuFemmes en Afghanistan.

Nous avions également entendu le témoignage bouleversant de Liseron Boudoul, grand reporter de guerre pour TF1et autrice d'un reportage filmé dans la province d'Herat sur des familles contraintes de vendre leurs petites filles pour survivre à la famine. Elle nous avait alors confié : « depuis, ces images et ces visages de fillettes si innocentes et impuissantes me reviennent souvent. Certaines savent qu'elles ont été vendues. Elles seront peut-être revendues plus tard, car je pense qu'il y a toute une chaîne derrière, un trafic ».

Si continuer à témoigner et à faire la lumière sur la barbarie du régime taliban à l'encontre des femmes et filles afghanes est essentiel, comment ne pas se sentir impuissant alors qu'à quelques milliers de kilomètres, c'est un crime contre l'humanité fondé sur le genre qui est en train de se dérouler, au XXIème siècle ? Jamais, en prenant la présidence de la délégation aux droits des femmes, je ne pensais trouver autant de sujets sur lesquels nous devrions nous battre pour que les femmes retrouvent leurs droits.

Je note cependant un espoir avec l'arrêt que la CJUE vient de prendre le 4 octobre dernier : les femmes afghanes peuvent obtenir l'asile en Europe sur la seule base de leur nationalité et de leur sexe, elles n'auront plus besoin de prouver qu'elles sont victimes d'actes de persécution spécifiques pour obtenir le statut de réfugiées dans les pays membres de l'Union européenne. Cependant, encore faut-il que les femmes afghanes puissent exercer ce droit.

Aujourd'hui, nous devons continuer à faire entendre la voix de ces Afghanes à qui les talibans interdisent même de chanter.

C'est pourquoi la délégation aux droits des femmes entendra, jeudi 24 octobre, l'athlète afghane Marzieh Hamidi, championne de taekwondo, réfugiée dans notre pays et menacée de mort - nous aurons probablement d'autres invitées, en prolongement de vos travaux.

Chers collègues, ne baissons pas les bras face à l'infamie et à la férocité d'un régime qui n'a d'autre but que de briser et de réduire au silence toutes les femmes et petites filles d'Afghanistan, et ce faisant, de plonger notre monde dans les ténèbres de l'inhumanité.

M. Jean-François Rapin, président. - Mes chers collègues, je souhaite - à ce stade de notre discussion - effectuer un bref rappel de procédure : nous examinons cette proposition de résolution européenne et si nous l'adoptons, elle deviendra en principe résolution du Sénat dans le délai d'un mois. Toutefois, dans ce délai, la commission compétente au fond, à savoir la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées, peut s'en saisir pour l'examiner et je crois qu'elle le fera. Nous sommes donc contraints d'attendre cet examen pour communiquer au sujet de ce texte.

M. Pascal Allizard. - Effectivement, la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées, va se saisir de la proposition. Il est important qu'elle le fasse à son tour, car ce sujet a une dimension diplomatique évidente.

C'est notre collègue Gisèle Jourda qui en sera la rapporteure.

M. Didier Marie. - Merci pour cette initiative, je me réjouis que cette résolution soit trans-partisane. Nous sommes face à un risque que le régime des talibans bénéficie d'une acceptation internationale, parce qu'il a imposé une forme de paix dans le pays et qu'il assure un contrôle relatif des frontières. Cela satisfait une partie de la population afghane et les États voisins de l'Afghanistan. Les pays occidentaux ne reconnaissent pas le régime, mais la Chine l'a fait, et les Émirats arabes unis viennent d'accepter une mission de représentation des talibans. Il y a donc une appétence pour tolérer le régime. Cette proposition de résolution européenne est donc bienvenue pour rappeler que ce régime est inacceptable et condamnable - et je crois aussi que la saisine de la commission compétente au fond est une très bonne chose.

Ensuite, le régime des talibans se sent les mains libres et ne cesse « de serrer la vis » à la population afghane. L'interdiction d'images d'humains en est la dernière manifestation. Les talibans entravent l'action de ceux qui veulent venir en aide au peuple afghan, l'aide humanitaire a des difficultés d'acheminement et la corruption sur place est majeure. De plus, l'interdiction du travail des femmes ne facilite pas les échanges. Il faut saluer la volonté européenne et française d'amplifier l'aide humanitaire, ainsi que les décisions juridictionnelles de la CJUE et de la Cour nationale du droit d'asile qui accordent aux Afghanes le droit d'asile sans avoir à démontrer la persécution, Il faudrait que d'autres pays agissent dans ce sens - et il faut aussi saluer le fait que les sanctions s'abattent sur les responsables talibans.

Enfin, je veux rappeler la condamnation, par plusieurs autorités religieuses musulmanes, du sort fait aux femmes afghanes, en particulier l'interdiction d'accès à l'éducation. Pour ces organisations, ces décisions des talibans ne sont pas imposées par l'islam. En effet, beaucoup de Musulmans condamnent ce qui se passe en Afghanistan.

Mme Mathilde Ollivier. - Merci pour ce rapport important dans cette période où ce qui se passe en Afghanistan est peu présent dans l'espace médiatique. J'ai quelques réserves sur certains passages de l'exposé des motifs, et je tiens à rappeler, pour mon groupe, le caractère universel de la lutte des femmes pour leurs droits. Il n'y a donc pas lieu d'en distinguer la portée selon les zones géographiques.

Je veux aussi attirer votre attention sur les femmes afghanes qui ont fui l'Afghanistan et qui sont aujourd'hui bloquées en Iran et au Pakistan. Car ces femmes sont dans une situation inextricable : elles sont bien évidemment sorties du pays sans autorisation des talibans, leur titre de séjour est limité dans le temps, et elles ne peuvent plus retourner dans leur pays. Elles ont enfin le plus grand mal à faire valoir leur droit d'asile. En France, le nombre de visas humanitaires, l'an passé, était de 4 527 pour les courts séjours et de 9 573 pour les longs séjours. Je suis intervenue pour des visas humanitaires ou étudiants, et je témoigne d'un blocage de notre administration dans ce dossier. La diplomatie française avance qu'il y a un risque à accepter ces demandes d'asile, alors que c'est un droit pour les Afghanes - le résultat, c'est que des femmes vivent des situations dramatiques, qu'elles restent ou qu'elles tentent de rejoindre l'Europe par des voies dangereuses, alors qu'on leur a accordé en principe le droit d'asile sans avoir besoin de démontrer qu'elles sont persécutées. Je crois qu'il faut donc conforter le droit d'asile de ces femmes y compris quand elles sont dans les pays voisins, cela évitera les drames de femmes qui meurent sur le chemin. J'espère à mon tour que nous aurons un débat à ce sujet en séance plénière.

Mme Silvana Silvani. - Je me joins aux remerciements adressés aux rapporteures mais je m'interroge sur l'efficacité des sanctions mises en oeuvre contre les talibans. En effet, ces sanctions n'ont empêché ni la restriction drastique de la liberté des femmes ni la radicalisation du régime taliban, ni encore l'apparition progressive ici et là, de liens diplomatiques entre plusieurs pays tiers et ce régime, non pour le cautionner, mais au nom de la stabilité régionale. Simultanément, il faut constater que les sanctions économiques frappent l'ensemble de la population, en particulier les plus vulnérables, femmes et enfants compris. La communauté internationale essaie bien de compenser les effets des sanctions avec l'envoi d'aide humanitaire, qui est toujours trop limitée... La proposition de résolution européenne soutient les femmes afghanes, ce qui est une bonne chose, mais je crois que la disposition du texte qui demande à renforcer les sanctions économiques en fragilise la cohérence.

Je regrette également que le rapport aborde peu l'échec cuisant de la présence occidentale en Afghanistan. C'est dommage. J'y vois une forme de déni. Je regrette enfin le remplacement de la référence aux « autorités afghanes » par la mention des « talibans », car de fait, ces derniers dirigent bien l'Afghanistan.

M. Jean-François Rapin, président. - La guerre contre le terrorisme, qui a conduit à la traque de Ben Laden, est conduite depuis plusieurs décennies. Son histoire est complexe et ponctuée de nombreuses étapes. Au regard de cette complexité, mais aussi de l'objet du présent texte - la défense des femmes afghanes - et des délais impartis pour examiner la proposition de résolution, il n'était pas simple de l'évoquer dans ce cadre.

Mme Silvana Silvani. - Je ne le reproche pas aux auteurs de la proposition, mais je crois qu'il faut avoir un regard critique sur l'effet des politiques internationales dans la durée. Cependant, je précise que je soutiens ce texte.

Mme Audrey Linkenheld, corapporteure. - Merci pour vos soutiens. Nous avons emprunté un chemin de crête, car nous sommes en commission des affaires européennes et non pas en commission des affaires étrangères, alors que plusieurs des sujets que vous abordez et de questions que nous nous sommes posées aussi, relèvent manifestement du domaine des affaires étrangères - par exemple, sur la position à adopter face à une dictature, à la guerre, à une théocratie. Ces enjeux relèvent d'abord de la diplomatie avec une interrogation de fond : doit-on couper toute relation avec un régime dictatorial ou doit-on dialoguer avec lui et jusqu'où ? Ils se posent dans nos relations avec d'autres pays comme l'Iran, qui ne traite pas non plus les femmes comme il se doit.

L'intérêt de cette proposition est de mettre de nouveau un « coup de projecteur » sur les femmes afghanes et leur situation spécifique. Concernant les demandes d'asile en France, je veux quand même souligner que le taux de protection des femmes afghanes est de 96 %, il y a encore quelques refus mais très peu. Nous avons tenu à ne pas interférer avec les débats qui ne relèvent pas d'abord de notre commission, comme la lutte contre le terrorisme. Nous avons aussi visé le consensus, pour que le Sénat se prononce effectivement sur la situation des femmes et des filles en Afghanistan.

Mme Elsa Schalck, corapporteure. - L'objectif de cette proposition est de mettre en lumière la situation des femmes et des filles afghanes, qui sont plongées dans l'obscurité du régime taliban. On ne réalise pas bien la férocité d'un régime qui ne fait que se renforcer au fur et à mesure que le temps passe. La responsabilité qui est la nôtre, c'est de parvenir à une position trans-partisane et consensuelle. Je trouve très positif que notre commission, celle des affaires étrangères et la Délégation aux droits des femmes, puissent faire un travail convergent à ce sujet, et dans la durée. Le risque, c'est la banalisation d'un régime au nom de la sécurité internationale, et de fermer les yeux sur ce qui se passe sur son territoire, au motif qu'il en contrôle les frontières et que cela se passe loin de chez nous. Nous demanderons un débat en séance plénière.

M. Pascal Allizard, auteur de la PPRE. - Merci pour ce débat intéressant.

M. Jean-François Rapin, président. - Nous allons adopter la proposition de résolution européenne n° 762 dans la rédaction proposée par nos deux rapporteures.

La commission autorise la publication du rapport et adopte la proposition de résolution européenne dans la rédaction issue de ses travaux, disponible sur le site du Sénat.

Proposition de résolution européenne visant à prendre des mesures appropriées contre les atteintes aux droits fondamentaux des femmes en Afghanistan commises par le régime des talibans

Le Sénat,

Vu l'article 88-4 de la Constitution,

Vu la Déclaration universelle des droits de l'Homme du 10 décembre 1948,

Vu la Convention sur l'élimination de toutes les formes de discrimination à l'égard des femmes du 18 décembre 1979,

Vu le Statut de Rome de la Cour pénale internationale du 17 juillet 1998, notamment son article 7,

Vu la Charte européenne des droits fondamentaux,

Vu l'article 2 du traité sur l'Union européenne (TUE),

Vu la résolution 2593 (2021) du Conseil de sécurité des Nations Unies du 30 août 2021,

Vu la résolution 2681 (2023) du Conseil de sécurité des Nations Unies du 27 avril 2023,

Vu la résolution 2721 (2023) du Conseil de sécurité des Nations Unies du 29 décembre 2023,

Vu le rapport du Rapporteur spécial sur la situation des droits de l'Homme en Afghanistan et du Groupe de travail sur la discrimination à l'égard des femmes et des filles (A/HRC/53/21) du 15 juin 2023,

Vu la déclaration du Haut représentant, au nom de l'Union européenne, appelant à la réouverture immédiate des écoles secondaires pour les filles du 28 mars 2022,

Vu la déclaration du Haut représentant, au nom de l'Union européenne, relative aux nouvelles restrictions, par les talibans, du droit à l'éducation des filles et des femmes du 21 décembre 2022,

Vu la déclaration commune des ministres des Affaires étrangères de l'Allemagne, de l'Australie, de Bahreïn, de la Belgique, de la Bulgarie, du Canada, du Danemark, de l'Estonie, des Émirats arabes unis, des États-Unis, de la Finlande, de l'Espagne, de la France, de l'Italie, de l'Irlande, du Japon, de la Norvège, de la Nouvelle-Zélande, des Pays-Bas, du Portugal, du Qatar, de la République de Corée, du Royaume d'Arabie saoudite, du Royaume-Uni, de la Suède, de la Suisse, de la Turquie, et du Haut représentant de l'Union européenne du 8 mars 2023,

Vu la déclaration du Haut représentant, au nom de l'Union européenne, sur l'interdiction faite par les talibans aux Afghanes de travailler pour les Nations Unies du 7 avril 2023,

Vu la déclaration du Haut représentant, au nom de l'Union européenne, sur les dernières restrictions imposées par les talibans à la population du 26 août 2024,

Vu les conclusions du Conseil de l'Union européenne (7264/23) du 20 mars 2023, condamnant fermement les violations systémiques des droits de l'Homme, en particulier des femmes et des filles,

Considérant les atteintes générales aux droits et aux libertés fondamentales des filles et des femmes commises par le régime des talibans en Afghanistan ;

Considérant la publication incessante d'édits, de décrets, de déclarations et de directives discriminatoires, depuis le retour des talibans, qui interdisent notamment aux femmes d'accéder à l'enseignement au-delà de la sixième année de scolarité, de se rendre aux bains et parcs publics, de fréquenter les clubs et salles de sport et leur imposent de se couvrir le visage sur le chemin de l'école pour les fillettes, de ne sortir de chez elles qu'en cas de nécessité, de respecter les règles concernant le port du hijab et de circuler avec un « mahram » (tuteur) ;

Considérant la situation économique déplorable du pays qui accentue la pauvreté ;

Considérant la dégradation de la situation humanitaire des populations afghanes, notamment des femmes ;

Considérant les interdictions faites aux femmes afghanes de travailler pour des organisations non gouvernementales (ONG) et pour les Nations Unies - interdiction inédite dans l'histoire de l'Organisation - qui nuisent gravement aux opérations humanitaires dans le pays, notamment à la fourniture d'une assistance vitale et de services de base aux personnes les plus vulnérables ;

Considérant la persistance des mariages d'enfants et des mariages forcés ;

Considérant le grave préjudice causé à l'avenir politique, économique et social de l'Afghanistan par les mesures discriminatoires édictées à l'encontre des femmes par le régime des talibans ;

Considérant la répression systématique dont font l'objet les femmes afghanes qui tentent de manifester pour la défense de leurs droits ou qui contreviennent aux lois talibanes en vigueur ;

Considérant les conditions de détention indignes et les privations auxquelles sont soumises les femmes afghanes arrêtées par les autorités ;

Considérant les différentes actions de la communauté internationale qui ne sont, pour l'heure, pas parvenues à infléchir la politique discriminatoire des autorités de l'Afghanistan ;

Considérant les différentes déclarations de l'Organisation de la coopération islamique de décembre 2022 selon lesquelles la décision d'interdire aux femmes et aux filles l'accès à l'éducation est contraire au droit islamique, dénonçant l'interdiction d'emploi des femmes au sein des ONG nationales et internationales et appelant au lancement d'une campagne internationale visant à mobiliser les voix de l'ensemble des oulémas et des figures de proue de la religion dans le monde islamique contre la décision du gouvernement taliban d'interdire l'enseignement aux filles, y compris dans les universités ;

Rappelle le caractère universel des droits de l'Homme et de l'égalité entre les femmes et les hommes ;

Dénonce la politique assumée d'invisibilisation des femmes afghanes menée par les talibans, qui condamne ces femmes à la misère, à l'analphabétisme, au silence et à l'enfermement domestique ;

Réaffirme l'importance des orientations de la politique française à l'égard de l'Afghanistan, à savoir un soutien continu au peuple afghan et le refus de toute reconnaissance internationale des talibans ;

Considère que le respect des droits élémentaires des femmes afghanes et du droit à l'éducation des jeunes Afghans est la clef de l'avenir du pays ;

Déplore le non-respect par les talibans des engagements internationaux de l'Afghanistan relatifs aux droits humains, en particulier aux droits des femmes et des filles, et leur indifférence aux observations formulées par la communauté internationale à leur sujet ;

Salue le courage des femmes et des filles afghanes qui font face, depuis août 2021 en Afghanistan, à une négation de leurs droits fondamentaux et à une discrimination institutionnalisée, qui les prive de leur liberté d'aller et de venir, de leur liberté d'expression, de leur droit à l'éducation et de leur droit au travail dans le secteur public, dans les organisations non gouvernementales (ONG) et dans les agences des Nations unies, et fait valoir les initiatives concrètes trouvées par ces femmes et leurs proches pour continuer à travailler, apprendre et enseigner ;

S'inquiète des effets des mesures de répression des femmes sur les enfants afghans, qui subissent un quotidien de malnutrition, d'accès difficile aux soins, de violences et de restrictions graves dans leur éducation ;

Attire aussi l'attention sur le sort des jeunes garçons afghans, qui sont particulièrement touchés par les enseignements des talibans visant à pérenniser leur politique de discriminations et de persécutions, et qui subissent les conséquences du traitement réservé à leurs mères et à leurs soeurs ;

Invite en conséquence le Gouvernement et ses partenaires de l'Union européenne, à redoubler d'efforts, en lien avec l'UNICEF, pour la protection de l'enfance en Afghanistan ;

Exhorte le Gouvernement à veiller, avec ses partenaires de l'Union européenne, à l'effectivité et l'efficacité des sanctions concourant à faire cesser les violations graves et répétées des droits des femmes par les talibans ;

Condamne les abus systématiques et systémiques à l'encontre des femmes et des filles afghanes, qui sont susceptibles de constituer une persécution fondée sur le genre, crime contre l'humanité au sens du Statut de Rome de la Cour pénale internationale (CPI), auquel l'Afghanistan est partie ;

Dénonce les crimes perpétrés par les talibans ayant contribué à l'édiction et à la mise en oeuvre de mesures discriminatoires à l'encontre des femmes afghanes, et prend acte de l'enquête en cours du procureur de la CPI en vue de les qualifier de crime contre l'humanité et de crimes de guerre ;

Souhaite plus généralement que la France, en lien avec ses partenaires de l'Union européenne, appuie toute action devant les juridictions internationales pour faire cesser les actes de persécution en cours en Afghanistan et obtenir que les talibans rendent des comptes à la communauté internationale pour leurs exactions ;

Invite le Gouvernement, avec ses partenaires de l'Union européenne, à intensifier l'action humanitaire internationale dans l'ensemble de l'Afghanistan car cette action demeure essentielle à la survie d'une grande partie de la population, et à appuyer les initiatives concrètes des femmes afghanes, en renforçant les contrôles sur cette action afin qu'elle ne serve pas à renforcer l'autorité des talibans.

Invite le Gouvernement à faire valoir cette position dans les négociations au Conseil.

Désignation de rapporteurs

M. Jean-François Rapin, président. - Je voudrais enfin vous soumettre quelques nominations de rapporteurs.

D'abord, il me paraît important que notre commission se penche sans délai sur la révision proposée de la directive autorisant des méga-camions à circuler sur les routes européennes. Je vous propose de confier l'examen de ce texte à Pascale Gruny et Jacques Fernique, très en pointe sur le sujet des transports et les questions d'intermodalité.

Je vous propose aussi de désigner des rapporteurs sur un autre texte important dans le contexte de la protection de l'environnement et de la santé : il s'agit d'une proposition législative visant à réduire les rejets de microplastiques dans l'environnement et à limiter l'ajout de microplastiques dans les produits. Seriez-vous d'accord pour désigner nos collègues Marta de Cidrac et Michaël Weber ?

Il en est ainsi décidé.

La réunion est close à 10 h 40.


* 1 Communication de la Commission au Parlement européen, au Conseil européen, au Conseil, au Comité économique et social européen et au Comité des régions du 27 mars 2024 sur un schéma directeur pour un diplôme européen commun, COM (2024)144 final, proposition de recommandation du Conseil du 27 mars 2024 relative à des carrières attrayantes et durables dans l'enseignement supérieur, COM (2024) 145 final, proposition de recommandation du Conseil du 27 mars 2024 pour un système européen d'assurance et de reconnaissance de la qualité dans l'enseignement supérieur, COM (2024)147 final.