- Mardi 15 octobre 2024
- Proposition de loi portant programmation nationale et simplification normative dans le secteur économique de l'énergie - Examen des amendements au texte de la commission
- Audition de M. Philippe Mauguin, candidat proposé par le Président de la République aux fonctions de président-directeur général de l'Institut national de recherche sur l'agriculture, l'alimentation et l'environnement (Inrae)
- Vote sur la proposition de nomination, par le Président de la République, de M. Philippe Mauguin aux fonctions de président de l'Institut national de recherche sur l'agriculture, l'alimentation et l'environnement
- Dépouillement du scrutin sur la proposition de nomination, par le Président de la République, de M. Philippe Mauguin aux fonctions de président-directeur général de l'Institut national de recherche sur l'agriculture, l'alimentation et l'environnement (Inrae)
- Mercredi 16 octobre 2024
Mardi 15 octobre 2024
- Présidence de Mme Dominique Estrosi Sassone, présidente -
La réunion est ouverte à 14 h 15.
Proposition de loi portant programmation nationale et simplification normative dans le secteur économique de l'énergie - Examen des amendements au texte de la commission
Mme Dominique Estrosi Sassone, présidente. - Avant que nous ne passions à notre ordre du jour, il m'appartient de vous informer des dernières évolutions concernant la dématérialisation. Comme cela vous a été indiqué dans un courrier du 7 octobre par le président du Sénat et la vice-présidente en charge du travail parlementaire, Sylvie Vermeillet, les liasses d'amendements ne seront désormais plus distribuées dans l'hémicycle. Vous pourrez les consulter en vous connectant à l'application En séance. Les huissiers se tiendront à votre entière disposition pour répondre à toutes vos questions à ce sujet et pourront éventuellement mettre des tablettes de secours à votre disposition.
Le premier point de notre ordre du jour concerne l'examen des amendements de séance déposés sur la proposition de loi portant programmation nationale et simplification normative dans le secteur économique de l'énergie, le rapport sur ce texte ayant été présenté en commission le mercredi 29 mai dernier. 186 amendements ont été déposés sur ce texte au total, dont quelques amendements de séance de nos deux rapporteurs Alain Cadec et Patrick Chauvet.
Je souhaiterais vous rappeler notre méthode de travail pour l'examen des amendements de séance : pour chaque amendement, le rapporteur proposera un avis - favorable ; défavorable ; sagesse ; irrecevable - et la commission se prononcera sur cet avis.
Comme nous en avons pris l'habitude, un tableau vous a été distribué qui récapitule les avis proposés par les rapporteurs. Je vous propose d'en donner lecture et de s'arrêter sur les seuls amendements pour lesquels vous souhaiteriez obtenir davantage d'explications. Nous aurons bien évidemment l'occasion de débattre de chacun d'entre eux en séance publique, à partir de cet après-midi.
M. Fabien Gay. - Mes chers collègues, comme je vais intervenir en séance, je préfère vous le dire, d'abord, dans cette enceinte : nous avons un souci ! En juin dernier, partageant le regret d'avoir vu le Gouvernement bloquer la discussion parlementaire d'une programmation pluriannuelle de l'énergie (PPE), je me félicitais que nous disposions d'un texte pour en débattre. Mais c'était en juin. Depuis, le contexte politique a changé et la droite sénatoriale est aujourd'hui au Gouvernement. Dès lors, ce texte reste-t-il une proposition de loi, ou devient-il un projet de loi gouvernemental ? Et n'est-ce pas problématique de ne pas avoir donné la possibilité de déposer à nouveau des amendements de séance ?
Nous avions une proposition de loi, supposée ouvrir le débat et ne pas pouvoir embrasser tous les sujets, et maintenant on nous parle d'un texte qui pourrait aller à son terme à l'Assemblée nationale. C'est comme si nous repartions sans qu'il ne se soit rien passé pendant quatre mois dans le pays ! Je vous dis mon insatisfaction, qui est réelle. À partir de 17 heures, en séance publique, il va falloir répondre à la question de savoir si nous avons affaire à une proposition de loi ou à un texte issu du Gouvernement...
M. Franck Montaugé. - Pour aller dans le même sens, j'estime que l'importance du sujet justifie la mobilisation par l'État de tous ses moyens pour que nous puissions légiférer dans de bonnes conditions, en ayant toute connaissance de la situation, de la stratégie du nouveau gouvernement et des objectifs que celui-ci va se fixer.
Je salue le travail réalisé sur ce texte - une proposition de loi de 20 articles, ce n'est pas habituel -, mais se pose tout de même la question de l'étude d'impact. Je ne peux pas croire que le Gouvernement, sur un sujet aussi important pour l'avenir du pays, n'ait pas l'intention de légiférer. Il faut donc s'interroger sur la nature de cette proposition de loi et de son apport au débat. Pour notre part, nous sommes dubitatifs, eu égard au changement de contexte politique, sur ce sujet toujours pas traité au niveau gouvernemental comme il le faudrait.
M. Yannick Jadot. - J'abonde dans le sens de mes collègues. Cette proposition de loi visait à rappeler le Gouvernement à ses obligations. Vous êtes maintenant le Gouvernement, mes chers collègues de la majorité sénatoriale ! Études d'impact, avis du Conseil d'État... : de nombreux éléments manquent, sur un sujet complexe et engageant pour l'avenir. Ce texte, qui était légitime en juin, prend un statut ambigu, avec un Gouvernement dont on ne sait toujours pas où il habite.
Mme Dominique Estrosi Sassone, présidente. - La procédure suivie est, je crois savoir, celle qui est habituellement mise en oeuvre lorsqu'un changement de ce type survient et, que je sache, au moment où le texte a été inscrit à l'ordre du jour, aucun président de groupe n'est intervenu en conférence des présidents pour demander une réouverture du dépôt des amendements de séance. Acte a donc été pris de reprendre l'examen du texte là où l'on s'était arrêté, étant rappelé que nous devions débattre de cette proposition de loi dans la semaine ayant suivi la dissolution.
Vous aurez tout loisir d'interroger en séance la nouvelle ministre en charge de l'énergie, Olga Givernet, qui sera présente au banc du Gouvernement.
Je ne vous cache pas que nous avons demandé à plusieurs reprises la procédure accélérée pour ce texte. En conférence des présidents, on m'a opposé que les arbitrages n'étaient pas encore rendus ; ils l'ont été vendredi dernier. Le texte n'est donc pas examiné en procédure accélérée et nous verrons comment il va cheminer. Qui le portera à l'Assemblée nationale ? Sera-t-il examiné dans le cadre d'une niche parlementaire, ou y aura-t-il reprise par le Gouvernement ? Je n'en sais strictement rien. Mais comptez sur notre volonté ; auteur, rapporteurs et présidente de commission, nous pousserons pour que l'Assemblée nationale puisse également débattre de ce sujet crucial. Car si nous avons fait tout cela, c'est aussi pour que le débat soit ouvert et que le Parlement puisse s'en saisir.
Dans sa déclaration de politique générale, le Premier ministre a évoqué la souveraineté énergétique et le Gouvernement semble avoir l'intention de relancer une concertation sur la PPE. Ce texte, qui a le mérite d'exister et qui est aussi complet que possible, a permis de bousculer un peu les choses et de faire comprendre, au niveau gouvernemental, que l'on ne pouvait plus attendre.
M. Daniel Gremillet, auteur de la proposition de loi. - Je suis un peu surpris. Certes, la situation a évolué à la suite de la dissolution, mais le texte n'a en rien changé depuis qu'il a été travaillé en commission. Les enjeux demeurent, tout se bouscule au niveau mondial et il y a nécessité de débattre du sujet. Déjà au mois de juin, et c'est pourquoi cette proposition de loi n'était pas polémique, il était question d'engager le débat et de faire prospérer le texte, autant au Sénat qu'à l'Assemblée nationale. Par respect pour les rapporteurs, je ne serai pas plus long dans mon intervention ; nous aurons le débat en séance.
M. Fabien Gay. - Oui, nous aurons le débat, mais prenons juste la question du nombre d'EPR (réacteurs pressurisés européens). Indépendamment de l'avis que chacun pourra avoir sur la question, dès lors que la proposition de loi se change en projet de loi, il est problématique de ne pas avoir d'étude d'impact au moment où l'on parle de l'installation possible de 6, 8, 14 ou 20 EPR. Je m'excuse, cher collègue Daniel Gremillet, mais nous n'étions pas du tout dans la même situation en juin : aujourd'hui, vous soutenez le Gouvernement !
M. Alain Cadec, rapporteur. - C'est vous qui avez la majorité : vous ferez ce que vous voudrez à l'Assemblée nationale !
M. Fabien Gay. - Nous ne sommes pas dans une opposition politicienne ; nous sommes dans une discussion politique de fond. Le débat n'est plus de même nature. Le texte est inchangé, mais le contexte a changé.
M. Alain Cadec, rapporteur. - Le temps que tout cela aboutisse, nous aurons pu mener des études d'impact !
M. Yannick Jadot. - Sinon, on les fera après !
Mme Dominique Estrosi Sassone, présidente. - Laissons aussi la ministre s'exprimer...
M. Daniel Gremillet. - Je ne peux pas laisser dire qu'on a écrit n'importe quoi, que ce soit avant ou après l'examen du texte. Il n'est pas question de fuite en avant. Les 6 EPR additionnels sont conditionnés à la réindustrialisation de la France. C'est écrit dans le texte !
M. Fabien Gay. - Personne n'a dit que c'était n'importe quoi...
M. Daniel Gremillet. - Les besoins énergétiques dépendront de notre capacité à maintenir, voire renforcer le tissu industriel. Si ce n'est pas nécessaire, nous ne ferons pas d'EPR supplémentaires.
Mme Dominique Estrosi Sassone, présidente. - Le temps nous étant compté, nous retraiterons de ces sujets dès l'ouverture de la séance. La ministre pourra peut-être vous apporter quelques éléments supplémentaires.
EXAMEN DES AMENDEMENTS DES RAPPORTEURS
Article 3
L'amendement n° 179 est adopté, de même que les amendements n° 180 et n° 165.
Article 4
L'amendement n° 181 est adopté, de même que l'amendement n° 182.
Article 8
L'amendement n° 172 est adopté.
Article 11
L'amendement n° 173 est adopté.
Article 12
L'amendement n° 184 est adopté.
Article 15
L'amendement n° 174 est adopté.
Article 18
L'amendement n° 185 est adopté.
Article 19
L'amendement n° 175 est adopté.
Article 22
L'amendement n° 176 est adopté.
Article 23
L'amendement n° 186 est adopté.
Article 24
L'amendement n° 177 est adopté, de même que l'amendement n° 178.
Après l'article 25 A
L'amendement n° 183 est adopté.
EXAMEN DES AMENDEMENTS AU TEXTE DE LA COMMISSION
La commission a donné les avis suivants sur les amendements dont elle est saisie, qui sont retracés dans le tableau ci-après :
Audition de M. Philippe Mauguin, candidat proposé par le Président de la République aux fonctions de président-directeur général de l'Institut national de recherche sur l'agriculture, l'alimentation et l'environnement (Inrae)
Mme Dominique Estrosi Sassone, présidente. - Nous auditionnons maintenant M. Philippe Mauguin, dont la reconduction à la tête de l'Institut national de recherche pour l'agriculture, l'alimentation et l'environnement (Inrae) est proposée par le Président de la République.
En application du cinquième alinéa de l'article 13 de la Constitution, cette nomination par décret du Président de la République ne peut intervenir qu'après avis public de la commission permanente compétente de chaque assemblée. Cette audition donnera donc lieu à un vote à bulletin secret. L'Assemblée nationale vous entendra à 17 h 30, puis nous procéderons simultanément au dépouillement autour de 20 heures.
En vertu du cinquième alinéa de l'article 13 de la Constitution, le Président de la République ne pourrait procéder à cette nomination si l'addition des votes négatifs exprimés dans les deux commissions représentait, au total, au moins trois cinquièmes des suffrages exprimés.
Notre commission est très attachée à l'Inrae : c'est un établissement public scientifique et technologique de premier plan à l'échelle mondiale en matière de recherche agronomique et, de façon générale, sur ce que l'on nomme désormais le « continuum agriculture, alimentation et environnement ». C'est un organisme de recherche en pleine évolution, dont le nom a changé en 2020 - il s'appelait auparavant l'Institut national de la recherche agronomique (Inra).
Après un propos introductif du rapporteur Pierre Cuypers, agriculteur de profession et investi depuis de longues années dans la structuration et le développement du monde agricole, comme beaucoup d'autres dans notre commission, vous pourrez nous présenter vos motivations. Puis mes collègues sénateurs s'exprimeront à leur tour pour une séquence de questions de deux minutes.
M. Pierre Cuypers, rapporteur. - Comme vous l'avez rappelé, madame la présidente, nous sommes réunis aujourd'hui pour examiner la candidature de M. Philippe Mauguin, dont la nomination est proposée formellement pour un second mandat de président-directeur général de l'Inrae après sa nomination en 2020, mais, en fait, pour un troisième mandat, si l'on tient compte du mandat comme président-directeur général de l'Inra de 2016 à 2020.
Votre nomination, monsieur le président-directeur général, n'a pu être proposée que parce que, formellement, l'Inrae est né en 2020 de la fusion de l'Inra et de l'Institut national de recherche en sciences et technologies pour l'environnement et l'agriculture (Irstea), après une restructuration de près de deux ans, que vous avez d'ailleurs vous-même conduite.
Aussi, avant d'en venir aux questions de fond, je commencerai par vous demander en quoi l'Institut trouverait un intérêt à vous voir continuer dans ce qu'il sera bien difficile de distinguer en pratique d'un troisième mandat. Quels sont, par exemple, les projets et les chantiers en cours que vous auriez initiés et qui auraient besoin de votre expérience pour être conduits à terme d'ici à 2028 ? Je vous pose cette question très directement, car notre commission est consciente que le poste auquel vous prétendez est stratégique pour la « ferme France » et, plus largement, pour notre pays tout entier.
Nous avons besoin non seulement d'un capitaine, qui soit capable de mener à bon port un paquebot qui compte tout de même plus de 11 000 employés, soit 3 % des effectifs totaux des opérateurs de l'État, pour un budget de 1,13 milliard d'euros par an, quatorze départements scientifiques - le premier organisme mondial de recherche par sa taille, si l'on se concentre sur le continuum agriculture, alimentation et environnement -, mais également d'un fédérateur, susceptible d'entraîner tout un écosystème d'acteurs du monde agricole et agroalimentaire, parmi lesquels les instituts techniques, les chambres d'agriculture en passant par les professionnels eux-mêmes, rassemblés en interprofessions et en syndicats.
Votre parcours, depuis votre formation comme ingénieur des ponts, des eaux et des forêts et en sociologie de l'innovation, jusqu'à votre poste de directeur de cabinet de M. Stéphane Le Foll au ministère de l'agriculture de 2012 à 2016, en passant par l'Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie (Ademe), l'Institut national de l'origine et de la qualité (Inao), la direction régionale et interdépartementale de l'alimentation, de l'agriculture et de la forêt (Driaaf) d'Île-de-France et la direction des pêches maritimes et de l'aquaculture (DPMA), vous a conduit successivement à d'importantes fonctions dans le domaine agricole. Votre expérience, je le dis clairement, n'est plus à démontrer.
Le scrutin de ce jour est secret, mais je tenais à dire, par transparence, que je me déciderai en fonction des engagements que vous prendrez dans vos réponses à nos questions selon les trois axes que je vais développer, et qui ont occupé, voire préoccupé, notre commission ces dernières années.
Le premier axe, et sans doute le plus important, concerne l'amélioration du service rendu aux agriculteurs et de la valorisation de la recherche conduite dans votre établissement.
Nul besoin en cette maison de rappeler le rôle puissant qu'a joué l'Inra dans l'immédiat après-guerre et les trente années suivantes afin de relever le défi de la sécurité alimentaire et de moderniser notre agriculture, par le développement de l'agronomie, la recherche variétale dans les cultures, l'amélioration génétique dans les productions animales, ou encore par les solutions de la chimie, s'agissant de la santé du végétal ou de la santé vétérinaire.
Toutefois, depuis quelques années, voire décennies, sans aller jusqu'à dire que cette fonction première s'est effacée, il semblerait qu'elle ait été quelque peu diluée par l'émergence de préoccupations nouvelles, notamment en matière d'adaptation au changement climatique et de préservation de la biodiversité, mais aussi d'adaptation aux attentes des consommateurs, le public s'intéressant de plus en plus à la façon dont son alimentation est produite. Cette tendance, consacrée par le changement de nom de l'établissement en 2020, a fait craindre que le service rendu aux agriculteurs ne soit une notion un peu perdue de vue ou ne soit plus que conditionnelle : l'agriculture oui, mais si et seulement si elle est « agroécologique ». Cette crainte est partagée par plusieurs filières que j'ai tenu à interroger avant cette audition.
Dès lors, comment faire en sorte que les découvertes de vos équipes aient des retombées plus tangibles pour les agriculteurs ? C'est aussi par la recherche plus systématique d'une application concrète, sur le terrain, de ses résultats, que l'Inrae pourra concrétiser sa raison d'être.
Pourrait-on, par exemple, faire en sorte que vos équipes répondent davantage à des besoins co-identifiés en amont avec les filières ? Je crois que la méthode ascendante du plan national de recherche et d'innovation (PNRI), face à la jaunisse de la betterave, par appel à projets plutôt que par programme, a été plébiscitée. Cette souplesse gagnerait, j'en suis sûr, à se développer.
Cet exemple est caractéristique et me tient à coeur, car il touche à ma propre expérience d'agriculteur. Chacun sait ici que je suis producteur de betteraves. Après la décision de la Cour de justice de l'Union européenne (CJUE), qui a jugé illégales les dérogations à l'usage des néonicotinoïdes, nous avions eu la chance d'interroger Christian Huyghe, directeur scientifique Agriculture à l'Inrae, sur les solutions techniques alternatives pour les producteurs de betteraves.
Sa réponse, bien que très érudite, n'avait toutefois pas dissipé toutes mes craintes. M. Huyghe nous avait expliqué que la solution viendrait non pas de la chimie ou de molécules de substitution « un pour un », mais d'un bouquet de solutions systémiques combinant pratiques culturales, génétique et gestion intégrée des ravageurs. Soit ! Mais vous conviendrez que cela peut sembler incroyablement abstrait pour les agriculteurs sur le terrain, et surtout extraordinairement compliqué à mettre en oeuvre dans le quotidien d'une exploitation agricole...
L'Inrae mène des recherches de pointe sur l'adaptation de l'agriculture au changement climatique, ainsi que sur les stratégies d'atténuation - autant d'efforts évidemment indispensables. Cependant, comment assurer que les conclusions de cette recherche, fondamentale et appliquée, atteignent un jour la « ferme médiane » française, et ce dans des délais lui permettant de faire face aux urgences en cas d'impasse technique ?
Très concrètement, quels indicateurs envisagez-vous pour évaluer les progrès de l'Inrae dans la valorisation et la diffusion de ses travaux ?
Dans la continuité de ces premières remarques, le deuxième axe de préoccupation concerne la contribution de l'Inrae au développement de l'économie agricole. Car au-delà de la transition écologique, la viabilité de nos exploitations repose, comme pour toute entreprise, sur des questions de revenu et de compétitivité.
Il existe au sein de l'Inrae une tradition forte de recherche en économie agricole. Comment, si vous étiez reconduit dans vos fonctions, comptez-vous renforcer cet axe pour que l'institut contribue plus encore à la compétitivité de la ferme France ?
À titre d'exemple, nos voisins italiens sont devenus maîtres dans l'art de valoriser leurs productions agricoles, tant par la transformation agroalimentaire que par des stratégies de commercialisation extrêmement efficaces. Comment pourrions-nous nous en inspirer ?
J'aimerais également vous entendre sur la diversification de notre agriculture, par exemple sur les débouchés non alimentaires de l'agriculture - je ne pense pas uniquement aux biocarburants, mais aussi aux matériaux biosourcés, comme le bois, ou aux produits de la chimie du végétal, pour la construction ou bien d'autres usages industriels. Quel est votre plan pour ces enjeux de demain ?
Mon troisième axe de préoccupation est moins stratégique et plus opérationnel, mais non moins important : il s'agit de votre capacité à « tenir la maison » Inrae.
Comment l'Inrae pourrait-il participer à l'effort général de maîtrise de la dépense publique, dans le contexte actuel de fortes contraintes sur les finances de l'État et de ses opérateurs ?
Quelles pistes voyez-vous, notamment, pour resserrer encore la coopération avec les instituts techniques et pour faire en sorte, par exemple, que l'Inrae ne vienne plus puiser dans le compte d'affectation spéciale « Développement agricole et rural » (Casdar), mais développe des ressources propres - aujourd'hui seulement 23 % de son budget ? Pensez-vous qu'il soit possible de développer davantage de partenariats avec le secteur privé pour diversifier les sources de financement de la recherche sans compromettre son indépendance ? Envisagez-vous des rationalisations organisationnelles à l'Inrae pour en améliorer l'efficience et en réduire les coûts ?
« Tenir la maison », c'est aussi garantir la neutralité de l'ensemble de votre personnel, y compris de vos chercheurs, sans bien sûr contester le principe de liberté académique. Pouvez-vous vous engager à procéder à des rappels déontologiques lorsque le côté militant prend le pas sur le côté scientifique ou à actualiser - pour la renforcer - la « charte d'expression publique de l'établissement » ?
Monsieur le président-directeur général, vous l'aurez compris, si je vous ai parlé sans détour, c'est que les attentes de notre commission sont fortes. Votre mandat à la tête de l'Inrae a montré que vous avez su diriger l'Institut dans une période difficile. Toutefois, nous avons besoin d'être rassurés sur votre capacité à continuer à incarner les deux rôles de capitaine et de fédérateur que j'évoquais, car les enjeux, mais aussi les défis pour notre agriculture, pour nos systèmes alimentaires, pour nos forêts et, plus largement, pour notre environnement sont immenses, et même sans limites.
M. Philippe Mauguin, candidat proposé par le Président de la République pour exercer les fonctions de président-directeur général de l'Institut national de recherche sur l'agriculture, l'alimentation et l'environnement. - Je suis très honoré de me présenter devant vous à l'occasion de la proposition faite par le Président de la République de me reconduire dans mes fonctions de président de l'Inrae pour un deuxième mandat, après un mandat à l'Inra, comme le rapporteur l'a très bien expliqué. Je vais suivre la trame que j'ai préparée et tâcher de répondre aussi directement que possible aux questions posées par le rapporteur. La première de ses questions posait sur ma motivation. - ?C'est une question que je me pose également.
Ces quatre années à la tête de l'Inrae ont été une expérience forte. Beaucoup de chantiers ont été ouverts, de nombreuses réalisations ont abouti. Nous avons engagé avec l'ensemble de la communauté de travail, avec nos collègues de l'Irstea, que beaucoup d'entre vous ont connu sous le nom de Centre national du machinisme agricole, du génie rural, des eaux et des forêts (Cemagref), une démarche qui était un peu un pari, à savoir que nous serions plus forts ensemble. À la fin de mon premier mandat à l'Inra, cet effort a débouché sur une fusion qui était la première de cette ampleur dans l'écosystème de la recherche française. Nous avons fusionné l'Inra et l'Irstea non pas guidés par un souci d'économies budgétaires - pour faire autant avec moins -, mais pour faire mieux avec les mêmes moyens. C'est un pari que nous avons réussi.
Mon premier mandat à la tête de l'Inrae m'a amené devant vous il y a déjà quatre ans, au mois d'octobre 2020. Je m'étais engagé devant les deux assemblées sur un certain nombre de chantiers.
Pour construire un nouvel établissement de recherche - il ne s'agissait pas d'une simple juxtaposition des structures -, il a fallu « hybrider » les compétences de l'Inra et de l'Irstea pour créer quelque chose de neuf. Ce faisant, nous avons amélioré l'efficience de notre organisme et nous avons renforcé nos partenariats sur l'innovation. Cela supposait engagement et continuité et personne ne pouvait imaginer que je me dérobe.
Ce premier mandat a été marqué par la crise du covid, qui a constitué un crash test pour l'Inrae. Or toutes nos équipes ont collectivement réalisé un travail formidable pour que l'établissement continue la recherche, l'appui et l'innovation. Il s'agit donc d'un élément de réussite, même si certains points sont encore en attente de succès.
Quoi qu'il en soit, nous avons réussi pour la France - car c'est aussi pour le pays que nous travaillons - à constituer le premier ensemble de recherche au monde - et ce n'est malheureusement pas encore suffisamment fait - assurant le continuum entre l'agriculture, l'alimentation et l'environnement.
Il ne faut pas craindre - je le dis également à ceux d'entre vous qui sont agriculteurs et qui le savent bien - que l'Inrae travaille sur les sujets liés à l'agroalimentaire, s'intéresse aux nouveaux défis de l'alimentation et se penche sur les questions environnementales, car : c'est l'avenir de l'agriculture qui se joue derrière ce continuum. Nos actions ont été positives sur un certain nombre de sujets concrets, même s'il reste encore beaucoup à faire.
Nous avons également réussi - c'était un autre défi pour la recherche française - à ne pas faire de silos entre la recherche et l'enseignement, notamment supérieur - les universités, les écoles d'agronomie, les écoles vétérinaires. Et nous avons essayé de créer les prémices d'une équipe de France pour que ce continuum existe aussi entre la recherche, l'enseignement et la formation.
L'enseignement technique agricole est un enjeu - j'y reviendrai. Nous l'avons peu développé lors de mon premier mandat, mais il faudra pallier cette lacune. Vous aurez à vous prononcer sur le projet de loi d'orientation pour la souveraineté en matière agricole et le renouvellement des générations en agriculture. Cette question du renouvellement des générations est évidemment au coeur des réponses que nous devons apporter. Il me paraît normal que l'institut de recherche s'implique aux côtés de la formation agricole.
L'Inrae n'est pas le premier toutes catégories. Sur les recherches agricole, animale, végétale, nous figurons parmi les trois premiers mondiaux, au coude-à-coude avec nos collègues chinois et américains. Mais nous sommes probablement les premiers à être capable de susciter les interactions que j'ai évoquées, ce dont je me félicite.
À l'instar des autres organismes de recherche en France, l'Inrae a été évalué par un jury international, qui, à la fin de l'année 2022, a rendu un avis public, consécutif à un audit fouillé sur son organisation, sur sa stratégie de recherche, ses partenariats pour l'innovation et son fonctionnement. Nous pouvons transmettre cet avis à votre commission. Il dit clairement que la France peut être fière de son établissement.
Nous avons, je crois, réussi le lancement de l'Inrae. Nous avons une bonne stratégie. Nous avons des partenariats et nous sommes bien positionnés.
Pour autant, tout n'est pas simple et tout ne va pas si bien ! En même temps que l'établissement se constituait, il y a eu, à l'échelle du pays et à l'échelle du globe, une accélération sans précédent des crises climatique, sanitaire, géopolitique. Bien évidemment, nos chercheurs travaillent depuis longtemps sur le dérèglement climatique et contribuent, avec leurs collègues du Groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat (Giec), à lancer des signaux d'alarme au niveau international sur son impact.
On n'imaginait probablement pas que les crises climatiques allaient s'accélérer à ce niveau d'intensité et toucher autant nos productions agricoles et nos productions forestières, y compris dans l'Hexagone.
Pour ce qui concerne les crises sanitaires, à peine était-on sorti de la pandémie du covid que nous avons dû faire face à des épizooties touchant nos cheptels, que ce soit la grippe aviaire, la maladie hémorragique épizootique (MHE) ou la fièvre catarrhale ovine (FCO). Nous savons qu'il y en aura de plus en plus.
On pourrait penser que les crises géopolitiques sont un peu loin de l'agriculture, elles en sont pourtant très proches ! Vous le savez, l'invasion et la guerre en Ukraine ont entraîné une formidable explosion du coût des intrants et de l'énergie, qui a aussi bousculé les secteurs agricoles. C'est un sujet important pour votre commission, mais aussi pour la recherche.
Nous devons intégrer la manière dont nous pouvons mieux prendre en compte ces « multi-crises », pour dessiner des systèmes de production agricoles résilients qui permettent de tenir le choc. Ces crises ne seront pas seulement des sécheresses ou des inondations : il y aura malheureusement des successions d'accidents climatiques, de fréquences et d'intensités variables. Cette nouvelle donne change le logiciel et les objectifs des programmes de recherche par rapport à ce que l'on faisait du temps de l'Inra - il faut avoir l'honnêteté de le reconnaître.
Nous devons monter en puissance sur l'arsenal d'anticipation des bioagresseurs qui attaquent nos cultures. Ces derniers seront de plus en plus nombreux du fait du dérèglement climatique. Nous avons mis en place une plateforme d'épidémio-surveillance en santé végétale avec le ministère de l'agriculture, Fredon France et les acteurs professionnels, comme le souhaite le rapporteur.
Nous avons fait de même sur la sécurité sanitaire des cheptels et des troupeaux. Je me prépare à renforcer les moyens sur ces enjeux de sécurité sanitaire - cela fait partie de mon projet.
Autre point important, le dérèglement climatique. Comment faire pour changer de système ? Et comment pouvons-nous être au plus près des agriculteurs pour les aider à se projeter ? Les crises agricoles qui se sont succédé depuis le début de l'année, en France, mais aussi en Europe, ont révélé que les agriculteurs ne niaient pas la nécessité du changement, tout en étant conscients que c'est extrêmement compliqué.
L'ampleur de l'effort à réaliser pour s'engager dans des systèmes de production résilients nécessitera une mobilisation de tous les acteurs, au premier rang desquels ceux de la recherche et de l'innovation - nous n'occulterons pas les questions qui nous sont posées -, mais évidemment aussi les responsables des politiques publiques et des filières.
Ma motivation ne s'est pas émoussée face à ces difficultés ; au contraire, elle s'est peut-être aiguisée. Mais, une fois ce tableau dressé, que peut-on faire pour répondre à vos attentes ?
Vous avez, monsieur le rapporteur, évoqué trois sujets, sur lesquels je souhaite revenir.
Le premier concerne les services rendus à l'agriculture. J'ai moi-même entendu, dans les campagnes comme au salon de l'agriculture, que, contrairement à ce que faisait l'Inra par le passé, l'Inrae n'apporterait plus de solutions dans les cours de ferme. En toute modestie, je suis obligé de préciser que ce n'est pas tout à fait exact ! En revanche, il est de notre responsabilité de mieux le faire savoir.
Lorsque nos recherches débouchent sur des solutions concrètes pour les agriculteurs, elles ne sont pas estampillées Inrae dans les cours de ferme. Nous ne construisons pas de tracteurs, et, sauf très rares cas - nous avons une filiale agri-obtention -, nous ne vendons pas de semences aux agriculteurs. Sur ce plan, je pense que nous devons faire un effort de communication, de transparence, de lisibilité sur ce à quoi servent les recherches que le contribuable finance.
Nous avons, en ce sens, publié une première plaquette d'information que nous allons renouveler régulièrement ; nous pourrons la diffuser aux membres de la commission. Heureusement pour l'agriculture française, l'Inrae n'est pas tout seul ! Nous travaillons avec les coopératives, avec les entreprises, avec les semenciers, avec les instituts techniques, avec les chambres et les coopératives.
Le président de Chambres d'agriculture France, M. Windsor, me confiait encore récemment que, lorsque les chambres d'agriculture s'engagent auprès des agriculteurs pour faire du diagnostic sur le changement climatique, elles le font sur la base du travail qui a été produit par les chercheurs de l'Inrae avec les instituts techniques de l'Association de coordination technique agricole (Acta). Or nous ne le disons pas assez. Nous sommes bien entrés dans l'ère de la communication, nous faisons beaucoup de communication de qualité sur la science - j'y reviendrai -, mais nous devons encore faire des efforts pour montrer à quoi l'on sert.
Je prends l'exemple de la sélection génétique. Les progrès auxquels nous sommes parvenus dans la sélection génomique bovine se traduisent, pour les éleveurs laitiers, par des gains pouvant aller jusqu'à 300 ou 400 euros par lactation. Nous avons doublé le progrès génétique sur ces dix dernières années. Et le mouvement continue !
L'an prochain, pour la première fois en Europe et dans le monde, nous allons proposer un index sur le méthane. En effet, nous avons réussi à trouver dans le lait un indicateur qui permettra aux éleveurs et aux coopératives d'insémination de sélectionner les bovins, non pas seulement sur le rendement et sur la qualité du lait, ce qui restera primordial, mais aussi sur la réduction de la teneur en méthane. Voilà des exemples concrets d'initiatives qui fournissent du revenu aux producteurs.
Autre exemple, nous travaillons avec la Compagnie d'aménagement des coteaux de Gascogne sur des capteurs connectés pour la consommation d'eau. Cette expérimentation permet aux producteurs de maïs de savoir exactement à quel moment il faut apporter de l'eau, donc de consommer moins d'eau pour la même production ou de produire plus en respectant les quotas. Cela permet à la ferme d'économiser 200 à 300 euros ! Je pourrais citer pléthore d'autres exemples.
Je ne suis pas en train de vous dire que tout va bien et que nous en faisons assez : on voit bien que l'accélération des crises et des attentes nécessite un effort particulier.
Quel engagement concret puis-je prendre pour répondre aux préoccupations de M. le rapporteur ?
Sommes-nous prêts à nous engager à une concertation régulière avec les acteurs sur nos priorités de recherche et d'innovation ? Oui, je suis prêt à le faire, et je pense qu'il s'agirait d'une évolution utile. Nous avons commencé à en parler avec la présidente de l'Acta, Anne-Claire Vial. J'estime que l'Inrae et les instituts techniques agricoles auraient intérêt à partager leurs choix de recherche et d'innovation sur les grands sujets et à écouter les attentes exprimées par les acteurs de la profession dans leur diversité.
Au-delà de l'agriculture, il faudra que nous le fassions sur l'alimentation ainsi que sur l'environnement.
Comment fait-on concrètement pour limiter l'impact du changement climatique sur l'agriculture ? Quels indicateurs va-t-on utiliser ?
Je veux citer un exemple qui m'est cher, celui de la filière viticole, et rendre hommage aux partenariats que nous menons avec l'Institut français de la vigne et du vin, son président, M. Angelras, et l'ensemble de ses collaborateurs. Nous avons réalisé un très important travail en amont, qui a ensuite été repris par les professions et interprofessions viticoles ; FranceAgriMer, M. Jérôme Despey, l'INAO s'en sont aussi saisis. Aujourd'hui, la filière viticole française a une stratégie climatique qui a été coconstruite sur la base de nos résultats de recherche. Nous devons reproduire cette démarche dans tous les secteurs de l'agriculture, à la fois l'élevage et les grandes cultures. Nous y sommes prêts.
Concrètement, nous allons mettre à disposition des viticulteurs de Gironde, de la vallée du Rhône, de Champagne, du Val de Loire ou d'ailleurs des outils qui leur permettront de se projeter sur le plan agroclimatique - quel sera le climat à l'horizon 2030-2040 dans leur secteur ? Comment cela va-t-il impacter leurs cultures ? À partir de là, nous leur proposerons des outils d'adaptation qui peuvent concerner le cépage, la conduite de la vigne ou encore la vinification. Je suis conscient que nous devons démultiplier de telles initiatives, et avoir de grands démonstrateurs territoriaux.
Il n'y a pas une réponse unique nationale qui serait produite par les chercheurs de l'Inrae et qui tomberait en pluie fine sur toute la France. Il y a des bouquets de solutions. Comme l'a dit M. le rapporteur, il faut de la génétique, il faut de l'agronomie, il faut des sciences du sol, il faut de la robotique. Il faut à la fois que nous cherchions ces solutions dans nos laboratoires au niveau national, que nous les testions et que nous nous engagions dans des démonstrateurs territoriaux. Mais nous devons le faire avec les partenaires, les instituts techniques et les chambres.
Comment l'Inrae peut-il contribuer à diversifier les revenus des agriculteurs et à les renforcer ? Il y a évidemment plein d'axes possibles. On ne parle pas suffisamment des solutions durables, qui permettent d'économiser des engrais, des produits phytosanitaires... Or l'Inrae est le premier organisme de recherche en Europe à travailler sur de la pulvérisation fine pilotée pour réduire au maximum les pertes de produits phytosanitaires. Nous faisons aussi des épandeurs de précision pour les engrais. Tout cela est bon pour l'environnement, mais aussi pour les économies des agriculteurs. Nous ne pouvons pas nous résoudre à opposer l'urgence agricole et l'urgence écologique. C'est ensemble que nous allons trouver les réponses, qui doivent évidemment être compétitives.
Autre exemple : la diversification, les circuits courts. Nous avons des chercheurs en économie qui travaillent sur ces sujets, et nous devons continuer à y réfléchir avec les filières.
Je crois beaucoup, là aussi, aux approches territoriales, aux territoires d'innovation. Nous sommes en train de tester, en Bourgogne et dans la métropole de Dijon, une approche qui concerne les oléoprotéagineux, les légumineuses, sujets chers à M. le rapporteur : comment peut-on accompagner les agriculteurs de ce territoire pour aller plus loin dans la diversification des rotations et la production, en couplant cette préoccupation avec de l'achat collectif, dans la restauration scolaire et publique ? Cette démarche s'est faite avec l'appui des chercheurs de l'Inrae.
La biomasse est un sujet important, sur lequel je me suis engagé quand j'étais à l'Ademe. Il comporte plusieurs axes. Nous devons produire de façon efficace et, en même temps, sobre. Nous avons un défi devant nous avec la troisième version de la stratégie nationale bas-carbone (SNBC 3) : il faut produire plus de biomasse sans désorganiser la production alimentaire, tout en respectant le retour au sol de la biomasse pour avoir une qualité organique des sols. Nous travaillons sur des schémas de ce type avec les partenaires professionnels. Je m'engage à ce que ces travaux soient renforcés si je suis reconduit pour un nouveau mandat.
On me demande si je suis capable de « tenir la maison »... L'expression est un peu provocatrice ! Pour ma part, je préfère animer les collectifs et être respecté des agents autant que je les respecte.
M. Pierre Cuypers, rapporteur. - L'expression a l'avantage d'être claire !
M. Philippe Mauguin. - Je prends le sujet très au sérieux et ne le sous-estime pas.
Nous sommes conscients des difficultés du débat public. J'ai été frappé, durant la crise, par le fait qu'un ou deux tweets sur les réseaux sociaux valent plus que des centaines de journées de travail et d'efforts de chercheurs. Les polémiques ne protègent pas plus les chercheurs que le monde politique ! En l'occurrence, des tweets ont entretenu l'idée que nos chercheurs défendaient des postures militantes et prenaient leurs distances à l'égard du monde agricole. Il faut réagir à cette « dictature des tweets » sans alimenter la polémique. Je veux dire ici de façon solennelle que nous devons avoir une communication responsable - nous y sommes attentifs.
Vous l'avez dit, la Constitution garantit, en France, la liberté académique et la liberté d'expression publique. Il n'est pas question d'y toucher. Les chercheurs doivent pouvoir s'exprimer dans leur domaine de compétences. Mais, s'ils s'expriment en tant que citoyens, en dehors de leurs sujets de recherche et de leur domaine de compétences, ils ne sauraient engager l'Institut. Nous devons être clairs sur ce point. Je confirme que l'Inrae a été le premier organisme de recherche en France à se doter d'une charte qui rappelle ces principes de façon très claire auprès de l'ensemble des acteurs.
J'en viens à la question de l'efficience. Sommes-nous efficaces ? Sommes-nous trop « gros » pour l'être, pour utiliser un mot provocant ? Je ne le crois pas, monsieur le rapporteur.
Je veux m'appuyer sur quelques éléments de comparaison. Effectivement, nous sommes environ 11 000 personnes. Pour ce qui concerne les chercheurs, ingénieurs et techniciens, on compte 8 000 agents permanents. Or, voilà dix ans, du temps de l'Inra, de l'Irstea, du Cemagref, nous étions plus nombreux. En réalité, nous avons contribué aux efforts d'économies dans le secteur public, en perdant 1 % de personnel par an pendant dix ans. C'est important quand on fait face à des défis croissants ! Malgré 10 % de moyens en moins entre 2010 et 2020, nous avons augmenté nos sujets de recherche de 20 ou 30 %.
Faut-il aller plus loin dans les économies ? C'est un choix de souveraineté. La France atteindra-t-elle sa souveraineté agricole et alimentaire si elle n'a pas les moyens de sa souveraineté scientifique ? Est-il acceptable que nous soyons plus faibles que les Brésiliens ? Nos collègues de l'Embrapa, l'entreprise brésilienne de recherche agricole, sont 9 000... Ce n'est évidemment pas moi qui vais plaider en ce sens !
Nous devons réussir à trouver un équilibre avec les économies. Ce matin, le conseil d'administration de l'Inrae, que je présidais, a pris acte d'une suppression de 16 millions d'euros qui nous avait été demandée par le ministère du budget. Même si cela n'a pas été de gaieté de coeur, nous l'avons fait.
Il ne faut pas croire que nous ayons des moyens gigantesques ! Je vous remercie de me donner l'occasion de le dire clairement. En revanche, nous gérons nos moyens le plus sérieusement possible. Pour le moment, notre gabarit est le bon vis-à-vis de nos partenaires. Mais soyons honnêtes : nous allons connaître un décrochage à l'égard de la Chine, dont les moyens augmentent de 50 %.
Puis-je prendre l'engagement que, dans dix ans, l'Inrae sera toujours l'un des trois premiers au niveau mondial avec ses moyens actuels ? Non, je ne saurais vous le garantir. Cependant, nous devons continuer à nous battre.
Nous devons gagner en efficience, au moyen de partenariats avec les instituts techniques et les unités expérimentales de l'Inrae que nous mettons en copilotage ou en coordination avec les fermes des instituts techniques. Nous devons aussi rendre plus efficients nos collègues des instituts techniques, qui sont dans la même dynamique que nous et que je salue. Nous devons aussi faire des économies sur la gestion de nos unités mixtes de recherche (UMR) avec les universités, auprès desquelles nous sommes très souvent engagés.
Mais, si nous voulons couvrir tous les sujets, si nous voulons être capables de répondre aux questions de la filière viticole, de l'élevage, des grandes cultures, aux problèmes que rencontrent la noisette ou l'endive en cas de suppression de molécules, s'il faut que nous soyons présents sur tous ces fronts, cela exige des moyens.
Pour ma part, je m'engage, comme capitaine et comme fédérateur, à utiliser au mieux les moyens que vous nous donnerez pour relever ces défis, ceux d'une recherche qui doit rester au meilleur niveau mondial, tout en étant aux côtés des acteurs, au service de la communauté nationale.
Nous avons parlé des agriculteurs et du secteur alimentaire, mais je n'oublie pas le secteur forestier, qui est lui-même en grande difficulté.
Tels sont les premiers éléments que je puis vous apporter, je répondrai à vos questions complémentaires.
M. Daniel Fargeot. - L'Inrae travaille sur des solutions pour réduire la dépendance alimentaire de la France en développant des filières nationales solides et résilientes. Quel levier peut-il actionner en priorité pour renforcer la souveraineté alimentaire de la France ?
Comme vous l'avez souligné, la complexité des défis actuels nécessite une approche interdisciplinaire en collaboration avec d'autres instituts, le secteur privé et les organismes internationaux. Quelle stratégie proposez-vous pour renforcer la coopération interdisciplinaire et internationale de l'Inrae afin de maximiser l'impact de ses recherches ?
Enfin, la gestion durable de l'eau, dans un contexte de pénurie croissante dans certaines régions et certains départements, est une priorité. Face à la montée des tensions, quelles initiatives l'Inrae pourrait-il lancer pour mieux gérer cette ressource vitale, notamment dans le cadre de l'agriculture ?
M. Laurent Duplomb. - Alors que votre institut compte 11 000 salariés et a un budget de plus de 1 milliard d'euros, il serait normal, voire bienvenu, de poser à tous les agriculteurs de France la question suivante : l'Inrae vous a-t-il servi- à quelque chose cette année ?
Étant moi-même agriculteur, ma réponse serait fortement influencée par l'évolution - vous ne l'avez d'ailleurs pas démentie - des communications de l'Inrae ces trente dernières années. Le travail de l'Institut est ainsi passé d'une recherche appliquée au service des agriculteurs et du progrès de ceux-ci à une recherche fondamentale, pour finalement ressembler de plus en plus à une recherche dogmatique - même si elle ne se résume pas à cela.
La preuve en est que Laurence Huc, directrice de recherche de l'Inrae, coqueluche des médias parisiens, cas type des scientifiques militants au service de la décroissance, porte-parole du collectif Scientifiques en rébellion, se présente comme « une chercheuse engagée et libre ». Elle a intégré un groupe de travail mis en place par l'Agence nationale de sécurité sanitaire de l'alimentation, de l'environnement et du travail (Anses), tout en jetant le discrédit sur les futures conclusions de ce comité. Elle rejette de façon systématique toute solution qui passe par la science en général, en particulier par la chimie, qu'elle soit de synthèse ou verte.
Laurence Huc milite en effet pour « changer en profondeur le système ». En parlant au nom de l'Inrae, elle dit : « Nous convenons qu'il faut maintenant sortir de l'usage des pesticides. » Elle ajoute : « Telle qu'elle est menée, la science n'est pas satisfaisante », et pointe trois raisons : le cloisonnement des différentes sciences, le manque d'engagement des chercheurs et enfin - cherchez l'erreur ! -, la domination du sexe masculin, appelant ainsi à « une réinvention de la science ».
Enfin, elle défile le 4 mars 2023, drapée de sa blouse blanche, pour dénoncer les conséquences catastrophiques du recours massif aux pesticides et promouvoir un autre modèle agricole. Et pourtant, elle fait parfois preuve d'une lueur d'objectivité puisqu'elle estime qu'« en appartenant à un parti, une idéologie, certains s'éloignent de la réalité du terrain ».
Avec des cas comme ceux-ci et en affichant cette forme de communication, l'Inrae ne s'éloigne-t-il pas du terrain ?
M. Jean-Claude Tissot. - Je veux d'abord saluer l'action de l'Inrae. J'ai été paysan, moi aussi : les agriculteurs savent que derrière les semenciers, la génétique animale et toutes les innovations, il y a indiscutablement le travail fondamental de recherche mené par l'Inrae, même s'il n'est pas écrit « Inrae » sur le sac de semences.
Je m'interroge néanmoins sur l'application concrète des recherches de l'Inrae. En tant que sénateurs, nous avons régulièrement l'occasion de rencontrer des chercheurs de votre institut, que ce soit dans cette commission, au sein de nos groupes politiques ou dans différents salons. Nous y découvrons alors l'existence de solutions scientifiques à des problématiques concrètes, notamment pour l'agriculture.
Je pense notamment aux alternatives aux produits phytosanitaires. Même si je ne défile pas en blouse blanche, je partage le point de vue de Mme Huc. Comme vous l'avez dit vous-même, on ne doit s'interdire aucune réflexion, et l'Inrae ne s'interdit aucune réflexion. Malheureusement, ses recherches restent parfois méconnues du grand public et des professionnels. Puisque le ton de cette audition semble être à la provocation, j'irai presque jusqu'à dire que pour ces derniers acteurs, cela semble volontaire. Or il en résulte que ces solutions ne sont pas mises en oeuvre, malgré les bienfaits qu'elles pourraient avoir. Comment pourrions-nous donc collectivement faciliter le passage de la recherche à l'application concrète dans les exploitations agricoles ?
L'élevage français et européen traverse différentes épidémies depuis de nombreuses semaines. Partagez-vous des mécanismes de veille avec l'Anses pour repérer rapidement de potentielles épidémies et engager un travail de recherche, ou cette compétence est-elle totalement déléguée aux équipes de l'Anses ?
M. Philippe Mauguin. - Monsieur Fargeot, nous cherchons des solutions pour réduire la dépendance alimentaire de l'agriculture française et européenne. Le tourteau de soja en est un exemple majeur. La contribution de la culture du soja à la déforestation de l'Amazonie n'est plus à démontrer. Or le développement d'alternatives, comme le tourteau de colza, en France, reste insuffisant. Nous devons travailler, en collaboration avec l'institut technique de la filière des huiles et protéines végétales et de la filière chanvre, Terres Inovia et l'ensemble des acteurs, pour améliorer la rentabilité, l'efficacité et la durabilité des filières oléagineuses et protéagineuses et renforcer l'autonomie de nos cheptels.
Par ailleurs, les filières de fruits et légumes doivent lutter contre une concurrence internationale forte, et sont confrontées à des problématiques liées à la protection des cultures. Les gouvernements successifs ont lancé des plans de développement. Nous sommes partie prenante du dernier plan en date, en particulier sur la protection de la cerise contre la mouche drosophila suzukii. En collaboration avec le Centre technique interprofessionnel des fruits et légumes (CTIFL), l'Inrae s'est appuyé sur la technique de l'insecte stérile pour mettre un terme au cycle de reproduction de cette espèce. C'est une première à l'échelle internationale. Nous avons également des solutions en matière de biocontrôle.
Concernant les engrais - poste stratégique souvent oublié -, notre dépendance est triple, puisqu'elle touche à la fois l'engrais azoté, le phosphore et, dans une moindre mesure, la potasse. C'est d'ailleurs la raison pour laquelle nous ne pouvons pas concevoir une agriculture durable sans élevage : nous avons besoin d'engrais organiques.
Les produits phytosanitaires soulèvent des enjeux liés à la protection des cultures, à la santé et à l'environnement. Ils sont aussi un sujet de dépendance. Ces produits sont notamment importés d'Inde et de Chine, ce qui nous expose à une forme de vulnérabilité. La réduction de l'utilisation de produits fossiles sera ainsi bénéfique tant à la décarbonation de l'agriculture qu'au portefeuille des agriculteurs et à la souveraineté de la France.
Compte tenu du temps qui m'est imparti, je ne pourrai être exhaustif sur l'action menée par les chercheurs de l'Inrae sur la gestion de la ressource en eau. C'est l'un des secteurs qui a bénéficié de la fusion de l'Inra et de l'Irstea, puisqu'un département dédié à cette question a été créé. Nous nous intéressons à l'eau depuis la formation de la goutte de pluie jusqu'à son parcours dans la parcelle agricole et à son retour dans le bassin versant. L'objectif est d'économiser cette ressource, de la protéger et de garantir sa qualité auprès des consommateurs. Nous travaillons ainsi sur l'irrigation de précision et sur des systèmes de production moins consommateurs. En sélection génétique, nous étudions des espèces de blé et de vigne qui présentent une faible évapotranspiration.
Notre approche de l'eau en agriculture est donc très globale. Nous allons lancer un projet international sur la surveillance des masses d'eau à l'échelle mondiale en combinant plusieurs satellites. Nous sommes fiers de collaborer avec le Centre national d'études spatiales (Cnes) et nos partenaires indiens sur le satellite Trishna, qui sera lancé prochainement. Il nous permettra de suivre le niveau d'humidité des parcelles agricoles dans le monde entier. Nous pourrons ainsi mieux anticiper les situations de sécheresse et de stress hydrique et améliorer le pilotage de l'irrigation.
Monsieur Duplomb, j'entends vos propos. En 2018, un journal agricole avait demandé aux agriculteurs quel établissement ou acteur leur semblait le plus utile. Ce n'étaient ni les syndicats agricoles, ni les chambres d'agriculture ni le ministère de l'agriculture qui arrivaient en tête - bien que tous soient absolument nécessaires -, mais l'Inra. La population agricole a donc conscience que l'Inrae représente un patrimoine collectif, et l'importance de la souveraineté scientifique est reconnue. Néanmoins, les agriculteurs ressentent parfois une forme d'anxiété, voire de colère, lorsque les chercheurs sont porteurs de mauvaises nouvelles ou qu'ils communiquent sur des sujets sensibles. Il en est de même lorsque des molécules sont interdites sans qu'une alternative ne soit proposée, car en tant qu'établissement public, nous sommes assimilés à l'ensemble de la sphère publique.
Nous devons donc faire preuve d'une plus grande transparence, sans craindre de discuter avec les acteurs des priorités en matière de recherche. Il nous faut aussi rendre des comptes sur les résultats. Chaque année, nous tirons des enseignements des discussions relatives au projet de loi de finances. Si nous devons nous remettre en question, nous le ferons.
Il faut aussi savoir qu'au Canada ou aux États-Unis, les instituts de recherche sont confrontés aux mêmes difficultés. L'impatience monte dans l'ensemble des pays. Les débats sur l'Agriculture Research Service sont durs aussi au parlement américain.
Mme Huc, que vous citez, est toxicologue. Si elle peut s'exprimer sur son domaine de compétence, elle ne peut néanmoins parler des produits phytosanitaires au nom de l'Inrae. Nous devons être attentifs à respecter l'expression de nos chercheurs tout en veillant à ce que ceux-ci s'en tiennent à leur domaine de compétence. Il faut également que nous donnions une vision globale.
Je ne crois pas que l'on puisse accuser l'Inrae de faire preuve d'idéologie. Nous voulons être transparents sur les approches bénéfices-risques. Ainsi, le rapport que nous avons rendu sur le glyphosate était très attendu. A-t-il été critiqué par les agriculteurs ou par les organisations environnementales ? Non, ni par les uns, ni par les autres ! Et pourtant, nous l'avons publié fin 2017, au plus fort du débat. Nous y montrions que, si dans certains cas, il existait des alternatives, dans d'autres, son interdiction mènerait à une impasse. Le Gouvernement n'a pas interdit le glyphosate, ce qui lui a été reproché par certains, tandis que d'autres l'en ont remercié. L'Inrae, de son côté, n'a pas à se prononcer politiquement.
Nous avons évalué, filière par filière, le surcoût des alternatives au glyphosate pour le désherbage. Personne ne l'avait calculé auparavant. J'ai donc du mal à entendre que l'Inrae ne fait rien pour le monde agricole... Les autorisations de mise sur le marché (AMM) ont été révisées par l'Anses en tenant compte des résultats lorsque des alternatives existaient et qu'elles ne présentaient pas un surcoût supérieur à un certain pourcentage - environ 5 % - sur l'excédent brut d'exploitation.
Ainsi, en viticulture, le glyphosate était utilisé pour le désherbage sous le rang et dans l'inter-rang. Parce qu'il aurait été nécessaire d'investir dans du matériel pour désherber sous le rang en cas d'interdiction du glyphosate, l'Anses a révisé l'AMM afin d'autoriser l'utilisation de ce produit seulement dans ce cas précis. C'est un exemple de nos actions quotidiennes, qui sont souvent méconnues. Nous poursuivrons nos efforts pour assurer, demain, comme hier, la fierté du monde agricole vis-à-vis de l'Inrae.
Monsieur Tissot, le passage de la recherche à son application par les agriculteurs s'effectue plus facilement sur certains sujets que sur d'autres. C'est notamment le cas des semences. Nous faisons de la recherche génétique, grâce à nos unités expérimentales. Nous passons ensuite le relais aux obtenteurs, et la diffusion est finalement assurée par les semenciers.
Le programme Aker a permis la création d'un pool de 3 000 hybrides de betterave tolérants à la virose.
Le transfert se fait tout aussi facilement pour les agroéquipements que nous concevons, qui peuvent être repris par les équipementiers.
En ce qui concerne l'agronomie, il est vrai qu'en dépit de toutes les publications que peut produire l'Inrae, tout changement de système emporte une prise de risque. Il faut donc que les instituts techniques produisent des démonstrateurs issus à la fois de la recherche publique et de leurs recherches propres, en particulier sur les techniques liées au changement climatique, de sorte que les agriculteurs et les lycées agricoles puissent visiter les fermes où ils sont installés. Nous le faisons déjà pour la viticulture, et nous sommes en discussion avec l'institut Arvalis pour poursuivre dans d'autres domaines.
J'en viens à la santé animale et végétale. Avec l'Anses et le ministère de l'agriculture, nous avons mis en place une plateforme de surveillance qui traite tous les résultats d'infections constatées sur les récoltes ou les élevages. Nous disposons ainsi d'une analyse des risques en temps réel.
Nous devons également participer à l'élaboration des solutions. Nous travaillons ainsi avec nos collègues canadiens à la mise au point d'un vaccin contre la grippe aviaire pour tous les palmipèdes qui, s'il aboutit, couvrira toutes les souches de grippe aviaire, grâce au ciblage de l'ensemble des antigènes de la grippe aviaire, et non plus un seul antigène.
J'ai été interrogé sur ce que nous pouvons faire d'autre. J'estime qu'il faut qu'avec l'Anses, les écoles vétérinaires et le Centre de coopération internationale en recherche agronomique pour le développement (Cirad), nous mettions en place une plateforme vaccinale permettant la mise en réseau de tous les centres de recherche français.
M. Daniel Salmon. - L'effondrement de la biodiversité reste un impensé pour beaucoup, alors même que notre système alimentaire en dépend. Les pollutions diffuses pèsent très lourd sur notre système de santé puisque les produits toxiques produisent maladie et handicaps. Dans quelle mesure l'Inrae travaille-t-il en lien avec le monde de la santé pour mesurer les effets de cet effondrement ? Nos collègues Duplomb et Cuypers ont parlé du poids des militants. J'estime, pour ma part, que les lobbies ont bien davantage de poids que quelques militants. Comment entendez-vous résister à l'injonction de sacrifier la santé humaine au nom de la compétitivité ? Comment dépasser la foi absolue dans la chimie ?
Travaillez-vous à quantifier notre souveraineté nette, en prenant en compte notre dépendance accrue aux ammonitrates, aux phosphates, à l'urée, mais aussi au soja importé ? Je rappelle que l'Inra a travaillé longtemps sur le maïs, ce qui nous a conduit sur une dépendance au soja importé.
M. Henri Cabanel. - La situation dans laquelle vous vous trouvez n'est pas facile, parce que la recherche relève du temps long, et qu'on vous demande d'être le plus rapide possible, alors que le changement climatique s'accélère. Est-il vrai que l'Inrae a une mauvaise image ? Je suis agriculteur et si on devait faire une enquête sur la perception de la mutualité sociale agricole et des chambres d'agriculture par mes pairs, peut-être ne seraient-elles pas bien classées alors qu'elles font leur travail. Aujourd'hui, un tweet mal interprété peut causer beaucoup de tort à une institution telle que l'Inrae. Quelle est votre stratégie de communication pour le citoyen et l'agriculteur ?
Quel est l'état de vos recherches sur l'efficience de l'irrigation, en particulier de sols qui n'ont pas suffisamment de matière organique ?
M. Daniel Gremillet. - Je tiens à rappeler le rôle historique de l'Inra, qui a permis de nourrir le peuple français lorsqu'il avait faim. À l'époque, l'Inra figurait dans les programmes scolaires. Les travaux de l'Inrae ne sont-ils pas moins présents aujourd'hui ?
Comment expliquez-vous les réceptions très différentes par le grand public du Téléthon, qui vise à renforcer la recherche génomique pour l'humain, et des évolutions permises par la connaissance génomique des végétaux et des animaux ?
Enfin, j'aurais aimé vous entendre sur la forêt ?
M. Philippe Mauguin. - La biodiversité est fondamentale pour l'avenir de l'humanité comme de l'agriculture. Aux États-Unis, du fait de modèles très intensifs, certains agriculteurs doivent recourir aux services de sociétés prestataires pour importer des abeilles dans les champs. Il nous faut absolument éviter cela.
Nous inventorions la biodiversité de nos campagnes et de nos forêts et nous essayons de trouver des solutions pour la protéger. Je pourrai revenir pour vous présenter le grand programme de recherche que nous avons lancé sur la pollinisation.
Faut-il opposer compétitivité et durabilité ? En matière de recherche, nous nous efforçons de travailler sur des solutions durablement compétitives, à l'horizon des dix ou vingt prochaines années, en tenant compte de nos anticipations d'évolution des rendements et des conditions de production. L'enjeu est d'utiliser moins de ressources naturelles tout en étant efficace. Nous savons qu'il nous faudra nourrir 9 à 10 milliards d'habitants du fait de la croissance démographique. Nous ne pouvons donc pas nous placer dans une logique de décroissance de la production agricole, qu'il nous faut maintenir, voire augmenter.
Les leviers sont la réduction du gaspillage alimentaire dans les pays du Nord et des pertes agricoles dans les pays du Sud. Nous y travaillons avec nos collègues du Cirad, mais cela ne suffira pas. Nous devons également travailler à l'élaboration de systèmes de production permettant de produire au moins autant, voire un peu plus, avec moins de ressources naturelles. Les programmes de recherche que nous soutenons tiennent compte de l'enjeu économique, mais aussi de la durabilité des systèmes proposés, c'est-à-dire de l'absence d'effet d'opportunité sur des ressources qui ne seraient plus disponibles demain.
De même, en matière de souveraineté, nous travaillons à l'horizon de dix, vingt, voire trente ans. J'estime que la souveraineté n'est pas un gros mot, mais qu'il faut la penser à la bonne échelle. Si le covid a montré l'importance de la souveraineté nationale, il nous faut aussi une stratégie de souveraineté européenne, à la fois durable et solidaire, ouverte aux autres pays du monde et empreinte de coopération.
Il serait mortel d'opposer solution et recherche, car les solutions délivrées aujourd'hui sont le fruit de la recherche d'hier, et la recherche d'aujourd'hui travaille aux solutions de demain.
On a tendance à embellir les choses avec le temps, mais j'ai connu des périodes durant lesquelles l'Inra était vivement critiqué, notamment par la Fédération nationale des syndicats d'exploitants agricoles (FNSEA). Que n'a-t-on entendu au moment du virage génomique dans les années 2000 ? Et lorsque Guy Paillotin a pris le virage de la bioéconomie ?
Sommes-nous à la hauteur des enjeux ? Je l'espère. En tous les cas, l'Inrae se remet en question et s'efforce d'être à l'écoute de ses partenaires. Nous sommes peut-être moins présents dans les livres d'histoire, mais nous le sommes toujours autant dans les programmes de l'enseignement agricole. Nous sommes consultés par la direction générale de l'enseignement et de la recherche (DGER) pour contribuer au renouvellement des référentiels des formations techniques agricoles, par exemple le BTS ACSE (analyse, conduite et stratégie de l'entreprise agricole). Le projet de loi d'orientation pour la souveraineté en matière agricole et le renouvellement des générations en agriculture prévoit du reste le renforcement des liens entre la recherche publique, l'enseignement technique et la formation des lycées. L'Inrae sera au rendez-vous.
Il faudrait une audition entière pour expliquer la différence de perception par le grand public des recherches relatives aux myopathies et des recherches visant à la protection des cultures. Nous travaillons sur la génétique végétale et la génétique animale pour comprendre le fonctionnement du vivant, et donc, pour le bien commun. Nous travaillons par exemple sur des traits agronomiques qui sont utiles pour l'adaptation des cultures au changement climatique et que l'on ne parvient pas à atteindre autrement que par la génétique.
Il faut toutefois être transparent et expliquer pourquoi nous nous mobilisons. La très forte polémique à laquelle les organismes génétiquement modifiés (OGM) ont donné lieu en France et en Europe a laissé des traces, si bien qu'il est difficile d'aborder ce sujet de façon dépassionnée. Je reviendrai toutefois avec plaisir vous présenter nos projets scientifiques.
La forêt est secouée par le climat, du fait du stress hydrique qu'emportent les sécheresses, mais aussi des scolytes, qui sont un vrai fléau, à tel point que certaines études scientifiques montrent que la forêt - dans notre pays comme dans le monde -, qui était réputée être un puits de carbone, en émet de nouveau dans certaines conditions.
Avec l'Office national des forêts (ONF), le Centre national de la propriété forestière (CNPF) et l'ensemble des centres régionaux de la propriété forestière (CRPF), nous travaillons sur le renouvellement forestier. Si ce point fait débat au sein de la communauté scientifique, nous estimons à l'Inrae que la forêt ne parviendra sans doute pas à s'adapter d'elle-même. Nous testons donc des essences qui permettront à la forêt de faire face aux défis qui l'attendent. Nous travaillons également sur les biomatériaux et la valorisation de la filière forestière, qui a besoin de débouchés.
M. Franck Menonville. - Depuis dix ans, même en faisant abstraction de cette année qui est exceptionnellement mauvaise, on observe une érosion lente et continue de la production de blé tendre, plus forte en France qu'ailleurs. Comment analysez-vous ce phénomène ? Envisagez-vous la mise en place d'un plan spécifique pour le redressement des capacités productives de notre pays ?
Mme Évelyne Renaud-Garabedian. - En 2022, dans le cadre de ses actions internationales, l'Inrae a lancé avec le Cirad et une trentaine d'organismes africains un programme commun intitulé Transformer les systèmes alimentaires et l'agriculture par la recherche en partenariat avec l'Afrique (Tsara). Envisagez-vous de renforcer votre collaboration avec vos partenaires africains ? Si oui, comment ?
M. Serge Mérillou. - Comment adapter les essences forestières aux besoins de la transformation du bois ? Dans mon département de Dordogne, le couvert forestier représente 50 % des espaces.
Travaillez-vous à l'élaboration d'une cartographie de l'évolution des feux de forêt dans les vingt ans à venir ? Les services départementaux d'incendie et de secours (Sdis) doivent-ils s'équiper ?
M. Alain Chatillon. - Quelles relations l'Inrae entretient-il avec les industries agroalimentaires ? En Allemagne, 1,6 milliard d'euros de produits agroalimentaires sont vendus en pharmacie. Les produits issus du ginko biloba permettent de traiter les troubles neurovégétatifs. En développant davantage de produits médicamenteux à base de produits agroalimentaires, nous pourrions réduire d'un tiers les dépenses de la sécurité sociale. Envisagez-vous de développer la recherche en ce sens ?
M. Pierre Cuypers, rapporteur. - Sur le terrain, nos agriculteurs ont besoin de solutions. Je vous remercie pour les engagements que vous avez pris, et j'espère qu'ils seront tenus. Il ne suffit pas, comme vous l'avez dit, de bien vouloir s'améliorer, il le faut ! Il importe que vous trouviez des solutions économiques, et que vous parveniez à remodeler le fonctionnement extraordinairement lourd de l'Inrae.
M. Philippe Mauguin. - Plusieurs facteurs permettent d'expliquer la baisse de la production de blé tendre : la génétique, les agriculteurs, la qualité des sols. La forte baisse de la production constatée cette année tient à la perte de rendement liée au mauvais temps, mais aussi à une légère déprise. Nous perdons des producteurs de blé.
Il nous faut donc trouver pour des solutions faire face durablement aux enjeux climatiques. C'est plus difficile dans les zones intermédiaires, où la compétitivité est plus dure à atteindre.
Nous développons actuellement de beaux programmes de recherche en génétique. Je veux donc adresser un message d'espoir aux agriculteurs : nous travaillons sur des blés de qualité, riches en protéines, adaptés au stress hydrique et résistants aux maladies, notamment fongiques. Avec Arvalis, nous sommes prêts à nouer pour le secteur céréalier le même type de partenariat que celui que nous avons mené pour la viticulture.
Le programme de coopération Tsara inclut l'Inrae, le Cirad et une vingtaine de partenaires de recherche en Afrique, où les agriculteurs connaissent aussi de grandes difficultés. Nous apportons un appui en compétence à nos partenaires africains, et de notre côté, nous tirons des enseignements d'un certain nombre de leurs projets. Nous sommes effectivement prêts à aller plus loin, avec le soutien du ministère des affaires étrangères.
L'Inrae dispose de plusieurs stations de recherche et de placettes en forêt - dans le massif vosgien, dans la forêt des Landes, dans les forêts méditerranéennes, en Amazonie, etc. Avec l'ONF et le CNPF, nous devrions donc être en mesure d'apporter des réponses.
L'Inrae a des compétences très pointues en matière de prévision et de suivi des incendies de forêt, héritées de l'Irstea et du Cemagref. Nous utilisons le Lidar (Light Detection And Ranging) pour analyser les massifs forestiers et repérer les zones de fragilité qui appellent la constitution de voies de protection ou une surveillance renforcée.
Nous avons de nombreux partenariats avec des entreprises agroalimentaires. Je développerai l'exemple, non pas du ginko biloba, qui est un sujet en soi, mais des ferments. Avec ses vins, son fromage, son pain et sa charcuterie, la France a une industrie de fermentation développée.
À Saclay, nous avons mis en place une installation pour travailler sur les ferments du futur, qui permettront de déployer de nouveaux marchés, notamment de production de protéines végétales, pour de petites et grandes entreprises.
Si j'ai indiqué non pas que nous allions nous améliorer, mais que nous voulions le faire, il faut le mettre sur le compte d'une forme d'humilité, monsieur le rapporteur ! Je m'engage à améliorer encore notre efficience. Entre 2021 et 2020, notre budget a diminué de 10 %, alors même que nous avons développé notre activité de recherche. Nous pouvons aller plus loin, à condition de le faire de manière réfléchie, en partenariat avec la recherche de l'enseignement supérieur et la recherche technique, car vous ne me pardonneriez pas si l'Inrae abaissait son niveau en se désengageant de la recherche sur certains des sujets que nous avons évoqués.
Je vous confirme que je suis prêt à prendre les engagements que vous attendez et à défendre l'intérêt de l'agriculture, de la forêt, de l'agroalimentaire français, de la connaissance scientifique. Je remercie du reste la communauté qui est mobilisée à mes côtés pour répondre à tous ces défis.
Mme Dominique Estrosi Sassone, présidente. - Je vous remercie de vos réponses, monsieur Mauguin. Nous vous laissons partir à l'Assemblée nationale, en vous souhaitant une audition intéressante.
Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo, disponible en ligne sur le site du Sénat.
Vote sur la proposition de nomination, par le Président de la République, de M. Philippe Mauguin aux fonctions de président de l'Institut national de recherche sur l'agriculture, l'alimentation et l'environnement
Mme Dominique Estrosi Sassone, présidente. - Nous avons achevé l'audition de M. Philippe Mauguin, candidat proposé par le Président de la République pour exercer les fonctions de président de l'Institut national de recherche pour l'agriculture, l'alimentation et l'environnement. Nous allons maintenant procéder au vote sur cette proposition.
Le vote se déroulera à bulletin secret, comme le prévoit l'article 19 bis de notre Règlement. En application de l'article 1er de l'ordonnance n° 58-1066 du 7 novembre 1958 portant loi organique autorisant exceptionnellement les parlementaires à déléguer leur droit de vote, les délégations de vote ne sont pas autorisées.
Je vous rappelle que le Président de la République ne pourrait procéder à cette nomination si l'addition des votes négatifs des commissions de l'Assemblée nationale et du Sénat représentait au moins trois cinquièmes des suffrages exprimés dans les deux commissions.
Il est procédé au vote.
La réunion est close à 16 h 50.
Dépouillement du scrutin sur la proposition de nomination, par le Président de la République, de M. Philippe Mauguin aux fonctions de président-directeur général de l'Institut national de recherche sur l'agriculture, l'alimentation et l'environnement (Inrae)
La commission procède au dépouillement du scrutin sur la proposition de nomination, par le Président de la République, de M. Philippe Mauguin aux fonctions de président-directeur général de l'Institut national de recherche sur l'agriculture, l'alimentation et l'environnement (Inrae).
Résultat du scrutin :
Nombre de votants : 40
Nombre de bulletins blancs ou nuls : 1
Nombre de suffrages exprimés : 39, dont 21 voix pour et 18 voix contre.
Mercredi 16 octobre 2024
- Présidence de Mme Dominique Estrosi Sassone, présidente -
La réunion est ouverte à 9 h 50.
Politiques publiques de contrôle du traitement des eaux minérales naturelles et de source - Examen du rapport d'information
Mme Dominique Estrosi Sassone, présidente. - Mes chers collègues, nous sommes réunis ce matin pour examiner les conclusions de la mission d'information sur les politiques publiques de contrôle du traitement des eaux minérales naturelles et de source, par notre collègue Antoinette Guhl.
Avant de lui laisser la parole, je souhaiterais rappeler le contexte ayant présidé à la création de cette mission d'information. Celle-ci fait écho à l'enquête Le Monde - Radio France publiée à la fin du mois de janvier dernier. Cette enquête révélait que des eaux minérales naturelles et de source avaient fait l'objet pendant des années de traitements non autorisés, remettant en cause leur qualification réglementaire, sans que le consommateur n'en soit informé, mais sans que la sécurité sanitaire ne soit mise en cause.
Ce travail de contrôle avait été initialement prévu comme une « mission flash » s'achevant mi-juillet. Néanmoins, ses travaux ont été interrompus par la dissolution du mois de juin dernier. Notre collègue rend donc ses conclusions aujourd'hui.
Je souhaite rappeler à tous que des actions judiciaires ont eu lieu au plan pénal et que d'autres sont en cours, avec constitution de parties civiles à l'encontre de Nestlé Waters et de Sources Alma. En particulier, le 10 septembre 2024, le parquet d'Épinal a conclu une convention judiciaire d'intérêt public avec Nestlé Waters Supply East. Cette convention éteint toute l'action judiciaire concernant les pratiques commerciales trompeuses sur les marques Vittel, Contrex et Hépar commercialisées par cette branche de Nestlé Waters.
Comme convenu lors de sa création et comme la rapporteure nous l'expliquera, la mission d'information s'est concentrée sur la gestion par les pouvoirs publics de cette séquence. En effet, ces pratiques n'ont pas été portées à la connaissance du consommateur, mais elles étaient connues de l'État, notamment grâce à un autosignalement de Nestlé Waters.
Mme Antoinette Guhl, rapporteure. - Les Français ont une relation toute particulière avec les eaux minérales naturelles et de source. Ils en consomment environ 9 milliards de litres par an, qu'il s'agisse de marques haut de gamme comme Évian ou Perrier, plus accessibles comme Cristaline ou de marques régionales comme Quézac. En Europe, il n'y a guère que les Italiens ou les Allemands qui en consomment plus que nous.
Mais la France est aussi le premier exportateur au monde d'eaux embouteillées. En particulier, nos eaux minérales sont plébiscitées pour leur composition et leur aspect thérapeutique essentiel à l'économie thermale. Leurs effets bénéfiques pour la santé peuvent être reconnus par l'Académie nationale de médecine, et certaines d'entre elles sont même labellisées comme adaptées à l'alimentation de nos nourrissons.
Ces spécificités découlent d'une définition très stricte des eaux minérales et de source. Évidemment, une eau minérale naturelle se distingue par sa minéralité, c'est-à-dire sa teneur en minéraux et en oligoéléments. Mais elle se définit aussi par sa naturalité, c'est-à-dire le fait qu'elle émane d'une source d'eau souterraine tenue à l'abri de toute pollution. Il s'agit du principe de pureté originelle, qui s'applique également aux eaux de source. Ces eaux sont donc supposées potables à la source, sans besoin de traitement de désinfection, contrairement à l'eau du robinet !
Ces éléments sont un fort argument de vente pour les minéraliers. Ils justifient un prix du litre d'eau minérale naturelle 200 fois plus élevé que l'eau du robinet - hors coût de l'assainissement. Mais ils génèrent également des recettes fiscales pour les communes concernées, qui peuvent instaurer une surtaxe sur les eaux minérales naturelles.
La pureté originelle est aussi une exigence environnementale : elle implique les minéraliers dans la protection de la ressource à l'égard des pollutions, par exemple via des conventions avec des agriculteurs locaux, des partenariats avec les communes sur l'assainissement, la gestion des déchets ou le développement du bâti.
La pureté originelle des eaux minérales naturelles a donc un triple intérêt : économique - compte tenu de leur prix -, thérapeutique - cet intérêt est reconnu par l'Académie nationale de médecine - et environnemental - il s'agit de mettre la ressource à l'abri des pollutions.
En janvier 2024, une enquête Le Monde - Radio France a bousculé cet équilibre. Elle a révélé que, pendant des années, des eaux minérales naturelles et de source ont subi des traitements explicitement interdits. De fait, ces eaux ne remplissaient donc plus les conditions pour être qualifiées de minérales naturelles ou de source. Soyons clairs, la sécurité sanitaire des produits finis n'a pas été remise en cause : 99,8 % des analyses des eaux étaient conformes aux exigences sanitaires au point d'embouteillage en 2022. Mais c'est un sujet majeur de confiance du consommateur et de loyauté économique des produits.
Les deux plus gros industriels des eaux minérales et de source en France sont concernés : le groupe Sources Alma, qui commercialise notamment Cristaline et détient 28 % de parts de marché, et Nestlé Waters, qui commercialise notamment Vittel, Contrex, Hépar et Perrier et détient 23 % de parts de marché.
Ces pratiques ont fait l'objet de suites judiciaires sur lesquelles mon rapport ne revient pas.
Ce qui est frappant, c'est que, sans l'enquête journalistique, le grand public et nous-mêmes n'en aurions probablement jamais été informés. Pourtant, l'État avait connaissance de ces pratiques, au moins depuis 2020 pour le groupe Alma, grâce au signalement d'un salarié, et depuis 2021 pour Nestlé Waters, qui s'est « autosignalé » auprès du ministère de l'industrie pour convenir avec l'État d'une voie de mise en conformité.
C'est la raison pour laquelle la mission d'information se concentre sur la gestion de la séquence par les pouvoirs publics. Comment expliquer que des pratiques explicitement interdites aient pu perdurer pendant des années, malgré les contrôles ? Qu'ont fait les pouvoirs publics depuis le moment où ils ont été informés de ces pratiques ? Comment en tirer les enseignements ?
Pour répondre à ces questions, j'ai mené 24 auditions : j'ai entendu des industriels, concernés comme non concernés, des experts hydrologues, les administrations compétentes, des ministres et membres de cabinets ministériels, la Commission européenne, des associations, mais aussi les journalistes à l'origine de l'enquête.
Au gré de ces auditions, j'ai conduit un travail d'assemblage d'informations et de reconstitution de tous les épisodes de la séquence. C'est, selon moi, un des premiers apports de cette mission d'information : faire la lumière sur la gestion somme toute confidentielle de cette séquence par les pouvoirs publics. Certaines administrations ont été particulièrement constructives et nous ont transmis de nombreux documents : arrêtés préfectoraux, notes d'expertise de l'Agence nationale de sécurité sanitaire de l'alimentation, de l'environnement et du travail (Anses), compte-rendu de contrôles... Cela a permis de compenser le manque de transparence d'autres acteurs.
Je vais donc tenter de vous restituer l'enchaînement de ces événements.
En 2020, un salarié du groupe Alma signale le recours à des traitements interdits à la direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF). Son Service national d'enquêtes mène alors une enquête qui débouche sur un signalement au procureur en juillet 2021. En août 2021, Nestlé Waters sollicite le cabinet de la ministre de l'industrie pour un rendez-vous qu'il qualifie d'urgent, afin d'aborder des questions de conformité et de lecture de la réglementation. Ce rendez-vous a lieu le 31 août 2021 en présence de membres du cabinet de la ministre. Nestlé reconnaît alors avoir recours à des traitements interdits - lampes à ultra-violet et filtres à charbon actif - et demande la validation de l'administration pour utiliser un traitement alternatif.
La ministre saisit alors la DGCCRF, qui lui remet ses conclusions au cours de la deuxième quinzaine de septembre. Elle recommande notamment d'associer le ministère de la santé, compte tenu de sa compétence en matière de contrôle des eaux avant embouteillage. Plusieurs réunions entre les deux ministères ont alors lieu, avant que ne soit signée, le 19 novembre 2021, une lettre de mission saisissant l'inspection générale des affaires sociales (Igas) pour mener une inspection des usines de conditionnement d'eau.
Les conclusions de cette mission, remises en juillet 2022, révèlent des non-conformités entre les pratiques des industriels et les conditions d'exploitation prévues par arrêté dans près de 30 % des cas. Ces non-conformités englobent aussi bien des imprécisions des arrêtés préfectoraux que des traitements explicitement interdits et délibérément dissimulés. Il ne s'agit donc pas de 30 % des eaux qui font l'objet de traitements interdits.
Dans tous les cas, cela démontre les limites des contrôles, fragmentés entre les agences régionales de santé (ARS) et la DGCCRF, qui ont été impuissants face à des pratiques délibérées de dissimulation. Des services m'ont indiqué que les traitements interdits étaient si bien dissimulés - parfois dans des armoires électriques - qu'il aurait été impossible, même pour un expert, de les voir ! De plus, ces traitements étaient placés en amont des prélèvements du contrôle sanitaire : les prélèvements réalisés sur ces eaux, même proches de la source, étaient donc conformes aux limites réglementaires.
Le rapport de l'Igas souligne aussi la généralisation d'un traitement au statut spécifique : la microfiltration. Elle n'est pas interdite sur les eaux minérales naturelles et les eaux de source, mais la taille des filtres ne doit pas conduire à modifier le microbisme de l'eau, c'est-à-dire la composition microbiologique de l'eau à la source. Sinon, cela s'apparente à une désinfection. Or ni la réglementation européenne ni la réglementation nationale ne fixent clairement de seuil à partir duquel la microfiltration est acceptable. En l'absence de norme, c'est le seuil de 0,8 micron, mentionné dans un avis de l'Agence française de sécurité sanitaire des aliments de 2001 qui a longtemps été considéré comme acceptable par les autorités. Dans ses conclusions, la mission de l'Igas recommande de préciser la règle, compte tenu de la généralisation de la microfiltration à des seuils inférieurs.
Sollicitée par les administrations sur ce sujet, l'Anses n'a pas fait évoluer l'avis de 2001. Néanmoins, le ministère de la santé a modifié la doctrine qui prévalait jusqu'alors : il a préconisé aux ARS d'autoriser les microfiltrations pratiquées à un seuil inférieur à 0,8 micron sous réserve que l'exploitant apporte la preuve que ce traitement n'est pas désinfectant. Cette décision a été avalisée par une réunion interministérielle de février 2023. Mais attention, loin d'apporter des précisions sur le seuil pertinent, ces décisions ont reporté la responsabilité sur les ARS qui instruisent les demandes d'autorisation d'exploitation.
Or le plan de transformation de Nestlé Waters mis en oeuvre en 2023 sous l'égide des services de l'État repose sur la microfiltration. Il prévoit l'abandon des traitements de désinfection interdits en contrepartie de la mise en place d'une microfiltration inférieure à 0,8 micron et de la reconfiguration de certaines exploitations.
Dans le Grand Est, les traitements interdits positionnés en amont des prélèvements du contrôle sanitaire cessent à la fin de l'année 2022. Faute de respect des critères de pureté originelle des eaux, deux forages de la source Contrex sont mis à l'arrêt à cette époque, de même que deux forages de la source Hépar en mai 2023. Des demandes de modification des conditions d'exploitation de ces sources, déposées en mai 2023, mentionnent une microfiltration à 0,45 micron. Pour Vittel « Bonne Source » et « Grande Source », les arrêtés préfectoraux d'autorisation ont, quant à eux, été révisés le 4 juillet 2023 pour mentionner une microfiltration à 0,45 micron. Le 29 mars 2024, l'exploitant a déposé une nouvelle demande de révision des arrêtés de ces quatre sources - les deux sources Vittel, Contrex et Hépar - portant la microfiltration à 0,2 micron. Ces demandes sont toujours en cours d'instruction.
Dans le Gard, l'arrêt des traitements interdits est constaté le 10 août 2023 sur le site de Vergèze par l'ARS Occitanie. Plusieurs niveaux de microfiltres allant de 0,2 à 3 microns sont alors mis en place pour sécuriser la production. L'exploitation de la source Perrier a, quant à elle, été reconfigurée : un arrêté du 22 décembre 2023 prévoit que deux forages sont déclassés en « eau de boisson », désormais vendue sous la marque « Maison Perrier » et retirée du mélange source Perrier, en raison d'un taux élevé de non-conformité des eaux à l'émergence. Une demande de révision de l'arrêté d'exploitation de la source Perrier est déposée en octobre 2023. Elle mentionne une microfiltration à 0,2 micron et est toujours en cours d'instruction, malgré l'utilisation de ces filtres.
Ce plan de transformation s'achève fin 2023.
Entre l'information « spontanée » de Nestlé fin août 2021 au cabinet de la ministre de l'industrie et l'arrêt total des traitements de désinfection interdits, il s'écoule donc plus de deux ans ! Laps de temps durant lequel des eaux minérales naturelles sont vendues, alors même qu'elles ne méritaient pas cette dénomination. Certes, l'accompagnement vers la mise en conformité de l'industriel a nécessité beaucoup d'expertise et d'arbitrages internes. Énormément de choses ont été faites. Mais ce délai de mise en conformité est particulièrement long et ce plan a été mis en oeuvre dans une totale confidentialité. Pendant ce temps, les consommateurs achetaient des eaux rendues potables par traitement au prix d'eaux minérales naturelles ! Aucune mesure plus volontariste de l'État n'a cherché à éviter cela, alors même que notre arsenal juridique le permet. Seules des mises en demeure ont été prononcées par les préfets sur recommandation des ARS, une fois celles-ci informées à la suite de la mission d'inspection de l'Igas, alors que les ministères étaient au courant des pratiques depuis plusieurs mois.
Je vous présente donc dix recommandations pour clarifier le cadre juridique ; renforcer la fréquence, l'intensité et le caractère dissuasif des contrôles ; mieux informer le consommateur ; élever notre niveau de connaissances sur l'état de la ressource.
S'agissant du premier axe, notons que de cette séquence ressortent deux sujets majeurs à clarifier : d'une part, la microfiltration ; d'autre part, la traçabilité des eaux, puisqu'il y a dans certaines usines à la fois des eaux minérales naturelles et des eaux de boissons.
L'un des principaux enseignements de cette mission d'information est effectivement la position totalement ambiguë, voire contradictoire, des autorités vis-à-vis de la microfiltration.
Je préconise de la préciser urgemment. L'ambiguïté de la réglementation est inconfortable pour les autorités de contrôle, pour les services d'instruction, mais aussi pour les industriels dont les produits sont commercialisés sur le marché européen : or la microfiltration est autorisée jusqu'à 0,4 micron en Espagne, tandis qu'elle n'est quasiment pas tolérée en Allemagne par exemple. La direction générale de la santé de la Commission européenne a quant à elle affirmé, au cours d'un audit, que la microfiltration à 0,2 micron n'était pas conforme à la législation européenne, car « on ne peut exclure une modification du microbisme de l'eau » avec des pores aussi fins. Quant à l'Igas, elle a rappelé que la microfiltration pour garantir la sécurité sanitaire d'eaux non conformes était une « fausse sécurisation ». Mais aucune décision à valeur normative n'a été prise pendant cette séquence ! Il est donc urgent de préciser la situation.
C'est pourquoi je recommande qu'un dialogue européen soit engagé entre autorités compétentes, avec la Commission européenne et éventuellement l'autorité européenne de la sécurité sanitaire, afin de poser une règle claire pour tous les pays européens. Cela doit être fait sans délai, notamment parce que la microfiltration est la pierre angulaire du plan de transformation de Nestlé Waters. Ainsi, les choses n'ont pas été faites dans l'ordre ; on a d'abord autorisé le plan de transformation avant de trouver une solution à cette question de la microfiltration ; c'est regrettable !
Je ne m'aventurerai pas sur le niveau de seuil pertinent, n'étant pas une technicienne de la microfiltration. Sa détermination doit reposer sur l'expertise de l'Anses, de la direction générale de la santé (DGS), voire d'autorités européennes.
J'en viens au sujet crucial de la traçabilité de nos eaux minérales naturelles et de source. Les exploitants doivent garantir cette traçabilité, a fortiori lorsqu'ils produisent différents types d'eaux sur la même chaîne de production : les caractéristiques et les contrôles sanitaires ne sont en effet pas les mêmes. C'est par exemple le cas à Vergèze depuis le déclassement de deux forages d'eaux minérales naturelles de la source Perrier en « eaux de boisson » pour la production de la marque Maison Perrier. La question se pose aussi lorsque des eaux exportées hors de l'Union européenne, où les traitements autorisés ne sont pas les mêmes, sont produites sur les mêmes lignes que des eaux minérales naturelles. Par exemple, aux États-Unis, les dénominations « mineral water » et « spring water » n'induisent pas les mêmes caractéristiques qu'en Europe en matière de pureté originelle.
Même si elle n'est pas explicitement prévue au code de la santé publique, cette pratique est règlementaire dès lors que l'exploitant apporte la preuve à tout moment de la nature de l'eau conditionnée au regard de son étiquetage. Or, au cours des auditions, des services m'ont alertée sur les difficultés dans le contrôle de cette traçabilité, la preuve étant difficile à apprécier sur place au regard de la complexité des installations hydrauliques et du niveau de transparence de certains exploitants.
Ce sujet majeur pour la confiance des consommateurs et la loyauté des produits doit absolument être éclairci. Je préconise de réaliser une campagne de contrôles ciblés sur la traçabilité, afin d'évaluer l'opportunité de compléter la règlementation. Il est aussi nécessaire de préciser quelles preuves de traçabilité doivent être fournies par l'exploitant et de s'assurer que ces preuves soient mentionnées dans les arrêtés d'autorisation d'exploitation afin de faciliter le travail des services de contrôle.
Le deuxième axe a trait au renforcement de l'intensité, de l'efficacité et du caractère dissuasif des contrôles. Je tiens à préciser que l'engagement des autorités à l'échelle locale n'est pas à questionner. Néanmoins, l'audit de la Commission européenne, tout comme mes auditions, ont mis en évidence un manque de collaboration entre autorités compétentes, tant au niveau central que local.
Les ARS concernées ont découvert l'existence des traitements interdits tardivement, parfois bien après la remise du rapport de l'Igas. L'Anses, aussi, témoigne dans ses avis d'un besoin d'informations supplémentaires. Enfin, la DGCCRF, directement concernée, a indiqué ne pas avoir eu connaissance du rapport de l'Igas avant sa publication en février 2024.
Je recommande de développer considérablement le travail en réseau entre les autorités compétentes pour le contrôle des eaux minérales naturelles et des eaux de source, à savoir la DGS, la direction générale de l'alimentation (DGAL), la DGCCRF ainsi que les services déconcentrés et les ARS, afin de mieux identifier les risques à la suite des contrôles.
La collaboration entre ces autorités implique aussi de mener davantage d'inspections conjointes, notamment pour que les ARS disposent des pouvoirs d'enquête élargis de la DGCCRF. Il faut que ces inspections soient inopinées afin d'être véritablement efficaces. À ce sujet, j'attire votre attention sur le fait que des services m'ont indiqué avoir dû patienter environ une heure et demie avant de pouvoir pénétrer sur le site d'un exploitant, lors d'une inspection inopinée. Ce n'est pas acceptable. Que se passe-t-il pendant cette heure et demie ? On peut se poser la question. Il faut réaffirmer avec force que les inspecteurs doivent pouvoir mener leurs contrôles immédiatement.
Enfin, pour être plus dissuasifs, il faut encourager le recours à des mesures correctives assorties de mesures de publicité en cas de non-conformité des exploitants. Ce sont des mesures d'ordre réputationnel qui ont montré leur efficacité dans d'autres domaines du droit de la consommation ou du droit commercial.
Le troisième axe est celui de l'information du consommateur, qui a été totalement négligée lors de cette séquence. Malgré l'absence de risque sanitaire sur les produits finis, il me semble que la loyauté économique et la confiance du consommateur auraient mérité une réponse de l'État. C'est pourquoi je préconise de renforcer l'étiquetage des eaux conditionnées en prônant l'indication de tous les traitements pratiqués, y compris la microfiltration, qui est de plus en plus fréquente.
Il faut également mieux informer le consommateur sur les distinctions entre les différentes qualifications des eaux afin d'éviter toute confusion : eaux minérales naturelles, eaux de source, eaux rendues potables par traitement et « boissons rafraîchissantes sans alcool », dénomination réglementaire quand l'eau est utilisée comme ingrédient, par exemple dans une boisson aromatisée.
Le quatrième et dernier axe concerne l'état de la ressource en eau minérale naturelle et en eau de source. Sa pureté originelle est-elle menacée ? Il n'était pas possible de ne pas traiter ce sujet, car c'est la question que se posent tous les services de l'État avant d'autoriser une exploitation d'eau minérale naturelle et de source.
En octobre 2023, l'Anses préconise une surveillance renforcée des ressources sur les sites de Nestlé Waters, incluant des paramètres bactériologiques et virologiques non prescrits par la règlementation. Elle le justifie par un « niveau de confiance insuffisant » dans l'évaluation de la qualité des ressources. Cette surveillance renforcée a été imposée à l'exploitant, mais n'a pas levé les doutes quant au respect, en toute circonstance, des critères de pureté originelle. En mars 2024, à la suite d'un épisode cévenol, la qualité microbiologique d'un forage de la source Perrier s'est dégradée. Par précaution, parce que le risque viral ne pouvait être exclu, le préfet du Gard a pris un arrêté de suspension de l'exploitation du captage. 2,9 millions de bouteilles de Perrier ont été détruites.
Cet épisode me semble révélateur de l'intérêt qu'il y a à poursuivre cette surveillance renforcée. Aujourd'hui, le postulat de l'excellent état des nappes d'eaux minérales naturelles ne conduit pas à des contrôles portant sur des paramètres virologiques - on teste la bactériologie, mais pas la virologie. Je préconise d'étendre cette surveillance renforcée en favorisant la montée en compétence des laboratoires agréés et des exploitants sur des paramètres encore peu surveillés aujourd'hui.
Lorsque j'ai interrogé des experts et des services de l'État sur les causes profondes du recours aux traitements, beaucoup ont mentionné la dégradation de la qualité de la ressource, susceptible d'être affectée par différentes pressions : prélèvements excessifs, artificialisation des sols, émission de polluants issus des activités humaines, industrielles et agricoles. Le changement climatique, avec des phénomènes intenses de plus en plus fréquents, apparaît, quant à lui, comme un facteur aggravant de la vulnérabilité des sources. C'est une question importante pour l'économie de nos territoires. L'Académie nationale de médecine, elle aussi, défend la préservation de la pureté originelle à l'égard des pollutions qui pèsent sur la ressource. En effet, si la ressource en eau minérale était polluée, qu'adviendrait-il du thermalisme ?
Pour cette raison, je m'inscris en défenseure de la pureté originelle, qui a une valeur patrimoniale au titre de son intérêt économique, environnemental et thérapeutique. C'est important à l'heure où de nombreux industriels souhaitent que la directive sur les eaux minérales soit révisée afin d'aménager le contenu de la pureté originelle à l'aune des contraintes pesant sur la ressource.
Afin de disposer d'une meilleure information sur la soutenabilité et la vulnérabilité de la ressource, je préconise de lancer une campagne d'étude des hydrosystèmes exploités par les industriels, de rendre publiques les quantités d'eau prélevées par les exploitants, mais aussi d'actualiser le plan d'action sur les micropolluants en y incluant les eaux conditionnées afin de disposer d'une information complète sur ces polluants émergents.
Tels sont les enseignements de cette séquence particulièrement complexe. J'espère que ce travail aura eu le mérite de faire connaître des événements peu documentés et bénéficiant d'une faible publicité. J'espère également que les recommandations formulées permettront d'éviter que de tels épisodes ne se reproduisent. (Applaudissements)
Mme Dominique Estrosi Sassone, présidente. - Merci pour ce rapport très complet.
M. Jean-Marc Boyer. - Madame la rapporteure, vous êtes partie des événements survenus chez Nestlé Waters. Convient-il de généraliser le diagnostic à toutes les sources ? En matière de normes et d'harmonisation souhaitable de ces normes, pouvez-vous nous dire si toutes les sources respectent les mêmes seuils de microfiltration ? À partir du moment où il y a conformité au code de la santé publique, faut-il différentes normes pour différents types de sources ? Enfin, vous préconisez une surveillance renforcée de la ressource, mais quand certaines sociétés ou collectivités territoriales envisagent un projet d'embouteillage, elles doivent produire une quantité d'études considérable, avec un cahier des charges et des études d'impact très précis. Une autorisation prend plusieurs mois, voire années à obtenir. Il est difficilement envisageable qu'un exploitant mette de l'eau en bouteille s'il n'a pas l'assurance de la quantité et de la qualité de la ressource. Faut-il étendre vos recommandations à toutes les sources françaises, y compris à celles qui respectent une réglementation très stricte ?
Mme Antoinette Guhl, rapporteure. - Je ne me suis pas concentrée sur Nestlé Waters. J'ai entendu en audition tous les minéraliers : Danone, Sources Alma, les syndicats des eaux minérales naturelles... Ce sont les contrôles de la DGCCRF et des ARS qui pointent Nestlé Waters du doigt. Au début de mes travaux, je n'étais pas tout à fait certaine que le problème concernait uniquement cette entreprise. J'avais notamment en tête les constats du rapport de l'Igas. Au fil des contrôles, tout renvoyait vers Nestlé Waters.
La règle générale est un seuil de microfiltration à 0,8 micron. Cela représente la très grande majorité des pratiques. Mais tout dépend, en réalité, de la composition de la ressource - par exemple, la présence de microparticules qu'il est nécessaire d'enlever. La réglementation française autorise d'enlever certains minéraux et oligo-éléments présents en trop grande quantité. L'Espagne autorise le seuil jusqu'à 0,4 micron. Ce seuil peut être autorisé aussi en France pour des dérogations bien spécifiques. En revanche, le seuil de 0,2 micron fait débat. L'Igas estime qu'il ne permet pas de rendre potable des eaux polluées. Selon la direction générale de la santé et de la sécurité alimentaire de la Commission européenne, il n'est pas conforme à la réglementation européenne.
M. Denis Bouad. - Merci, madame la rapporteure pour ce rapport très complet, que je partage en quasi intégralité.
Perrier, dans le Gard, représente 1 000 employés, un investissement de 40 millions d'euros au cours des six dernières années, environ 800 emplois directs toute l'année. Nous parlons d'une usine qui produit plus de 1,7 milliard de bouteilles par an, deux tiers partant à l'export - principalement vers les États-Unis, dont les services, voilà quelques années, avaient trouvé des traces de benzène... Un problème dont on ne parle plus aujourd'hui.
L'usine est entourée de 200 hectares de terres clôturées, où les agriculteurs cultivent en bio et sont rassemblés au sein de la plus grande cave coopérative bio viticole de France, voire d'Europe. C'est une exploitation sur sept forages : quatre sur la commune de Vergèze et trois sur celle d'Aubord. Dans cette dernière, un épisode cévenol a fait apparaître des matières fécales dans l'eau d'un forage, dont l'exploitation a été arrêtée.
Sur les quatre forages de Vergèze, deux servent à pomper l'eau de Perrier, et deux autres l'eau servant à la fabrication des produits de la marque Maison Perrier. À la dégustation, il est difficile de voir la différence, d'autant que les puits tirent l'eau de la même nappe !
Là où je ne vous rejoins pas, c'est que la marque Maison Perrier est le fruit d'une stratégie commerciale visant à mettre en circulation des produits aromatisés, et non forcément d'une volonté politique de filtrer l'eau. Cette stratégie a été élaborée avant les problèmes dont nous parlons. Vos conclusions sur ce sujet me laissent donc un peu sceptique.
La question de la filtration pose effectivement problème, mais les réglementations ne sont pas les mêmes aux plans national et européen, et certaines règles évoluent dans le temps. Il faut donc s'interroger sur le seuil de microfiltration qui pourrait être autorisé, tout en observant - je pense à l'instant au cas de l'usine Solvay de Salindres, qui rejetait des polluants éternels dans le milieu naturel et dont la fermeture prochaine entraînera la perte de près de 80 emplois - que dans une société de plus en plus exigeante sur le plan normatif, nous autoriserons peut-être la filtration dans un avenir proche... N'est-ce pas la qualité de l'eau qui importe avant tout ?
Je partage votre analyse, madame la rapporteure : Nestlé a péché, sans conteste ! Je rappelle que les recettes pour la collectivité ne sont pas les mêmes : Perrier, c'est 58 centimes l'hectolitre, et les produits de la marque Maison Perrier, 54 centimes l'hectolitre. Encore que, sous cet angle, on pourrait aussi s'interroger sur les quantités d'eau réellement pompées !
Mme Antoinette Guhl, rapporteure. - Exactement !
M. Denis Bouad. - Autrement dit, il y a des choses à faire, mais ne jetons pas le bébé avec l'eau du bain. Nous avons un bel outil. Prenons garde à ne pas tuer la notoriété de Perrier, au risque de favoriser des boissons italiennes, que je vois sur les tables des restaurants et qui sont bien moins bonnes.
Mme Antoinette Guhl, rapporteure. - La marque Maison Perrier n'est pas tout à fait étrangère à la séquence que nous venons de vivre. Le plan de transformation transmis aux autorités incluait en effet sa création, dans le cadre d'un processus couvrant les années 2022 à 2024, donc tout à fait concomitant à l'affaire qui nous occupe. C'est normal : constatant la dégradation de la qualité de la ressource, l'entreprise Nestlé Waters a choisi d'inventer une nouvelle marque d'eau de boisson aromatisée.
M. Denis Bouad. - De quelle dégradation parlez-vous ? Sur les sept puits existants, un seul a été incriminé par l'ARS.
Mme Antoinette Guhl, rapporteure. - Les deux puits désignés pour le captage de l'eau servant aux produits de la marque Maison Perrier ont fait l'objet d'un même constat de dégradation de la qualité de la ressource. C'est pour cela qu'ils ont été transformés. Il y a donc bien un lien.
Certes, il s'agit également d'une stratégie commerciale - Perrier, qui vend beaucoup aux États-Unis, cherchait à y commercialiser une boisson aromatisée. Mais Évian vend aussi des boissons aromatisées, y compris aux États-Unis, et celles-ci sont produites à partir de l'eau minérale naturelle d'Évian, non filtrée et non traitée, et aromatisée si elle doit être aromatisée. D'autres groupes industriels ou d'autres marques - c'est aussi le cas de Volvic - mènent donc des stratégies plus conformes à la réalité des eaux minérales naturelles.
M. Yannick Jadot. - Le sujet que nous étudions recouvre des enjeux économiques majeurs. Pour ma part, le fait que des bouteilles d'eau traversent le monde m'a toujours paru un peu aberrant...
Des procédures juridiques sont-elles en cours dans d'autres pays européens où l'on aurait détecté une semblable fraude aux consommateurs ?
Le risque réputationnel associé est très lourd et peut être instrumentalisé par des concurrents. Les États-Unis ont ainsi pu se servir de ce type de dossier pour favoriser les produits américains par rapport aux produits européens.
Enfin, est-on certain que la fraude est terminée ?
Mme Antoinette Guhl, rapporteure. - J'ai entendu en audition les services de la Commission européenne chargés de la question des eaux, qui conduisaient un audit sur la France en raison des événements survenus avec Nestlé Waters durant la période 2021-2024. Cet audit, très sévère à l'égard de l'action de la France, a été publié en juillet 2024. La France n'a pas informé la Commission européenne de la fraude dont elle avait connaissance. Cette dernière n'a donc pas pu prendre les mesures nécessaires. Le rapport d'audit détaille précisément ce point.
Je n'ai pas eu vent d'autres cas de fraude dans d'autres pays. Cependant, si d'autres pays adoptent la même attitude envers la Commission européenne que nous, nous n'en aurons pas connaissance, sauf s'il en est fait état dans la presse.
Selon le constat des ARS, la fraude avait cessé à la fin de l'année 2022 dans les Vosges et en août 2023 dans le Gard. Toutefois, en l'absence d'information sur la nature réelle de l'eau contrôlée - eau de boisson ou eau minérale naturelle -, la question de l'efficacité des contrôles se pose. C'est pourquoi la traçabilité est essentielle. Le Gouvernement doit s'emparer de ce sujet et mener les inspections nécessaires pour confirmer que l'eau contrôlée est bien une eau minérale naturelle. En effet, si celle-ci est filtrée et traitée, les conclusions des analyses sanitaires seront forcément bonnes.
M. Vincent Louault. - Je suis un peu stupéfait. Le sujet dont nous discutons soulève la question de l'autocontrôle des industriels. Souvenons-nous des lasagnes de boeuf à la viande de cheval !
Les recommandations visant à renforcer l'efficacité, la fréquence et le caractère dissuasif des contrôles et à développer le travail en réseau des autorités compétentes me donnent envie de pleurer. L'activité en silo doit-elle ainsi se poursuivre, sans aucun échange d'informations entre les services ? J'ai été responsable de l'eau potable dans mon intercommunalité : l'ARS apporte une fonction d'alerte et de contrôle pour les élus locaux. Cela ne fonctionnerait donc pas pour l'eau en bouteille ? C'est incroyable ! La DGCCRF semble passer plus de temps à ennuyer les viticulteurs pour des broutilles que les producteurs d'eau en bouteille. Tout le monde doit faire son travail. Cet élément doit être encore davantage mis en avant dans la communication du rapport. Il en va de la responsabilité de l'État !
Certes, comme Denis Bouad l'a dit, nos territoires recèlent des pépites industrielles. Cependant, si la survenue d'un problème temporaire de pollution, traité avec des filtres spécifiques, peut se comprendre, comment accepter sa persistance pendant plusieurs années, alors même qu'on veut nous faire croire à l'absence de toute traçabilité sur l'eau ? On se moque de nous ! En réalité, si vous visitez une usine industrielle, vous voyez bien que le niveau de technologie permet bien d'assurer une traçabilité des produits. Si une bouteille de Perrier provoque un jour deux morts, soyez certains qu'elle sera identifiée immédiatement, ainsi que le lot d'où elle provient. La production ne sera pas arrêtée six mois ! La traçabilité existe bel et bien ; il n'y a que les gens de l'ARS pour croire le contraire - défiants à l'égard des collectivités territoriales, ils croient en revanche les industriels sur parole.
Assumons notre appareil normatif, français et européen, et mettons en avant la responsabilité de nos administrations dans ce problème.
Mme Antoinette Guhl, rapporteure. - Les ARS ont mené un travail considérable sur ce dossier. Les analyses sur les émergences d'eau minérale naturelle n'ont jamais été aussi nombreuses, pour tous les industriels, que durant ces trois dernières années.
La DGCCRF a transmis deux dossiers au procureur, comme elle en a la compétence. Elle a donc fait son travail, à l'instar de l'ensemble des services. Cependant, un laisser-faire malheureux a prévalu depuis trois ans. Le Gouvernement a été informé de cette fraude en 2020 et 2021. Mais la fraude remonte à bien plus loin : la DGCCRF la fait remonter à 2005, date de l'achat des premiers filtres par Nestlé. C'est donc une fraude ancienne, pour laquelle le Gouvernement a été informé en 2020 et en 2021, pour Alma puis Nestlé Waters.
À la suite des épisodes de pluies cévenoles survenus dans le sud de la France, les industriels ne sont pas à l'abri d'une demande nouvelle de destruction des productions de la part des préfectures, par mesure de précaution, pour pallier tout risque de pollution.
Monsieur Bouad, la question de l'emploi a été malgré tout un axe constant de mon travail. De l'ordre de 1 200 personnes travaillent chez Nestlé dans le Gard et 850 dans les Vosges : c'est donc un sujet important pour ces deux départements, où l'activité industrielle n'est pas très intense. Cela, sans compter l'importance pour les collectivités locales d'avoir des eaux minérales naturelles, en raison des recettes fiscales associées.
Mme Martine Berthet. - Ma question porte sur l'axe 2 de vos recommandations. Les industriels sont-ils tenus de transmettre régulièrement leurs analyses bactériologiques, virologiques, physicochimiques aux services compétents ?
Mme Antoinette Guhl, rapporteure. - Des obligations existent en effet.
Mme Martine Berthet. - Concernent-elles les captages ?
Plus à la marge, l'Académie nationale de médecine est-elle consultée de nouveau après avoir validé les allégations thérapeutiques de certaines eaux ?
Mme Antoinette Guhl, rapporteure. - Il existe deux types de contrôle : les autocontrôles effectués par les industriels, transmis aux autorités compétentes, et les contrôles réalisés par l'État, inopinés ou sur rendez-vous.
Comme je l'ai souligné, les services peinent à faire des contrôles inopinés. Ils ont dû, dans le cas que j'ai cité, attendre longtemps devant la porte de l'usine pour, ensuite, se voir accompagnés de l'avocat de l'industriel contrôlé. Cela soulève évidemment la question de la bonne volonté et de la transparence, surtout si l'on sait que ledit industriel a dissimulé des pratiques frauduleuses pendant vingt ans.
Je demande donc le renforcement des contrôles chez les industriels, notamment inopinés, avec obligation pour ces derniers de laisser faire.
Je ne peux répondre à la question sur l'Académie de médecine ; je crois qu'elle valide les allégations thérapeutiques une fois pour toutes. Cette question est très liée au thermalisme et au patrimoine.
M. Daniel Salmon. - Merci pour cet excellent travail. Nous devons clairement poursuivre les investigations. Il existe une pollution généralisée qui percole. Ces eaux minérales ont des parcours longs, sur plusieurs dizaines, centaines voire milliers d'années, et se retrouvent contaminées par de nombreux polluants. On peut traiter le symptôme, mais il faut surtout traiter le fond. Des analyses précises identifient les polluants. Il faut déterminer l'origine des pollutions dans l'air, le sol. La société est plus exigeante, mais nous constatons aussi une dégradation des eaux. Aujourd'hui, bon nombre d'entre elles sont traitées par charbon actif : or, désormais, 100 % du charbon actif utilisé en Europe provient de Chine. Il y a là un sujet de souveraineté.
Mme Antoinette Guhl, rapporteure. - Je demande d'informer le public sur les pressions affectant la ressource, donc de réaliser des études. Dans les eaux minérales, des substances perfluoroalkylées et polyfluoroalkylées (PFAS), des pesticides et des matières fécales ont pu être retrouvés.
Selon les marques, les nappes phréatiques sont situées à différentes hauteurs. La source Perrier se trouve à moins de 200 mètres du sol, soit assez haut. Des pluies ruisselantes venant d'épisodes cévenols s'infiltrent assez rapidement. Une eau de nappe, y compris dans des nappes anciennes, peut être polluée par des pollutions contemporaines provenant de la surface. Il faut limiter au maximum les pollutions. Les industriels doivent s'assurer que les zones de captage sont suffisamment protégées pour qu'il n'y ait pas d'infiltration de pollutions.
M. Daniel Gremillet. - Il est important de rappeler que 99,8 % de l'eau consommée est parfaitement conforme aux normes, pour ne pas laisser croire que les consommateurs sont exposés à des risques sanitaires. Votre travail a confirmé qu'effectivement ils ne l'étaient pas lors de la séquence examinée.
Que l'Union européenne fasse d'abord le ménage pour harmoniser les différentes règles existant sur son territoire avant de faire de l'ingérence pays par pays. Je partage votre recommandation.
J'ai le même avis que Vincent Louault sur la traçabilité. Le législateur a changé les choses. Auparavant, les pouvoirs publics assuraient la mise en marché. Depuis la décision de l'Union européenne, la charge de l'analyse et de la preuve que le produit est conforme est transférée à celui qui met en marché, à savoir l'industriel - cela vaut aussi pour les producteurs fermiers, et nous ne sommes pas à l'abri un jour d'un problème, y compris sanitaire. La traçabilité n'est pas un sujet à prendre à la légère. Je partage votre recommandation, qui n'est pas difficile à appliquer, sans surcharge pour les autorités. Mais les sites industriels doivent disposer de processus pour que sur la même ligne, ils puissent embouteiller de l'eau minérale naturelle, et ensuite une eau de boisson. Le dire rassurerait les consommateurs.
Je suis réservé sur la recommandation n° 4 sur le contrôle inopiné immédiat. Certes, il est anormal qu'un contrôleur attende durant une heure et demie : il doit être accueilli par l'industriel. Mais ne systématisons pas le soupçon... Si ce genre de problème survient, le contrôleur peut engager un nouveau contrôle inopiné et exiger d'entrer sur les lieux immédiatement. N'en rajoutons pas !
En ce qui concerne la recommandation n° 9, visant à systématiser l'étude des hydrosystèmes, je connais le dossier au travers d'autres responsabilités. Cela fait vingt-cinq ans qu'on l'a mis en place. L'exploitant a exproprié les terrains et est devenu le plus gros propriétaire du territoire : j'étais opposé à cela. Je défendais l'option que le monde paysan, le monde forestier et les collectivités territoriales pourraient atteindre les objectifs recherchés sans perdre la propriété des terrains. Il y a vingt ans, on le faisait au nom des nitrates. On ne trouve que ce que l'on cherche, et on trouvera de nouvelles substances dans dix ans. Ne soyons pas toujours dans une posture d'accusation, embrassons toujours les nouvelles connaissances et les nouveaux risques.
Dans les Vosges, Nestlé a plaidé coupable, signé un accord et s'est engagé sur différentes solutions. Je salue l'initiative du procureur qui a mis la barre haut et qui surveillera l'application et la mise en oeuvre du plaider coupable. N'oublions pas que nous sommes dans un système concurrentiel, veillons à nos communications et rassurons le consommateur : malgré la tromperie, il n'y a pas eu de problème sanitaire.
Mme Antoinette Guhl, rapporteure. - Permettez-moi un bémol sur le fait que les questions sanitaires ne se posaient pas pendant cette période. Il y a tout de même eu une demande de surveillance renforcée de la ressource. Or le rapport de l'Anses rappelle qu'en cas de dissimulation de la qualité de la source, les analyses de contrôle qui sont faites ultérieurement n'intègrent pas d'analyses virologiques. En effet, à ce moment-là, il était prévu que si la source était considérée comme pure, on ne réalisait pas d'analyse virologique ; dans le cas contraire, on réalisait des analyses virologiques et bactériologiques. Jusqu'à ce qu'il soit recommandé de réaliser des analyses sanitaires renforcées dans tous les cas, nous aurions donc pu avoir de l'eau présentant éventuellement des problèmes virologiques.
C'est pourquoi je recommande de procéder à ces deux analyses - virologiques et bactériologiques - et de faire monter en compétence les laboratoires. Cela correspond aux recommandations de l'Anses et de la DGS.
Il y a donc eu un petit risque, mais 99,8 % des contrôles montrent l'absence de problème sanitaire. Telle est la réalité de ma réflexion sur le sujet. Néanmoins, ces risques n'existent plus depuis la surveillance renforcée préconisée par l'Anses.
M. Daniel Fargeot. - Appliquer un seuil de 0,8 micron pourrait-il fragiliser économiquement les producteurs ? Le seuil de 0,4 micron pourrait-il être la norme, et non un seuil dérogatoire ?
Mme Antoinette Guhl, rapporteure. - Oui, cela pourrait mettre en péril des producteurs si certaines eaux étaient polluées. Si on avait été strict sur les contrôles et les autorisations, durant trois ans, il n'y aurait pas eu de bouteilles de Vittel, Perrier, Hépar et Contrex dans les magasins. Cela aurait donc mis en difficulté Nestlé, ainsi que les régions et collectivités où l'entreprise est implantée.
Néanmoins, cela ne mettrait pas en péril tous les industriels. Le filtrage utilisé dépend de la qualité de la ressource. J'ai auditionné des industriels comme Danone, qui n'utilise pas de filtres inférieurs à 0,8 micron. Cela met donc les industriels en difficulté différemment selon la qualité et la profondeur de la ressource - et donc la protection géologique. Une ressource, considérée comme pure il y a trente ans, peut être dégradée.
Sur la question du seuil de 0,4 micron, je ne suis pas une technicienne de la microfiltration ni ingénieure hydrologue. Je ne peux répondre sur les seuils. Les scientifiques estiment qu'à 0,8 micron, on ne modifie pas la qualité microbiologique de l'eau. Le taux de 0,4 micron permet de traiter des impuretés minérales, et non la pollution. Des dérogations sont déjà autorisées par arrêté préfectoral à 0,4 ou 0,45 micron, notamment dans les Vosges où c'est actuellement le cas pour les sources Nestlé Waters.
M. Philippe Grosvalet. - Quelle place devraient occuper les laboratoires publics dans le dispositif de surveillance ? Ces derniers ont été mis à mal - notamment les laboratoires départementaux -, y compris par l'État lui-même, via les ARS, quand elles les ont mis en concurrence avec les laboratoires privés. Je connais de nombreux exemples. J'ai participé à une alliance de laboratoires publics. Rappelez-vous aussi le dossier Lactalis.
Le système français repose à la fois sur un nécessaire autocontrôle par les industriels, et sur la mise en concurrence de laboratoires. Le plus gros laboratoire privé de Nantes, qui paie ses impôts au Luxembourg, a tué la concurrence publique et privée, et a attaqué les laboratoires publics devant l'Union européenne. Il est temps de reconfirmer le rôle indépendant des laboratoires publics sur le terrain pour mener à bien des contrôles, en sus des autocontrôles. Je pense que c'est une dimension qu'il faudrait ajouter à vos recommandations !
Mme Antoinette Guhl, rapporteure. - Ma recommandation sur les laboratoires concerne trois types de laboratoires : les laboratoires publics - dont le laboratoire d'hydrologie de Nancy de l'Anses -, les laboratoires agréés pour mener ces analyses et les laboratoires propres à l'exploitant qui travaillent sur la qualité des eaux.
Je n'ai pas traité la question des laboratoires publics, sujet qui me semblait en marge du thème du rapport. Mais je demande d'encourager l'accréditation de laboratoires pour les faire monter en compétence sur des paramètres encore peu surveillés. Peut-être cette baisse de compétences est-elle liée à la différence public-privé, mais je ne peux vous répondre sur le sujet. Il faut mener des campagnes d'acquisition de connaissances à destination des laboratoires et des exploitants, afin d'avoir une qualité uniforme.
Mme Micheline Jacques. - Merci pour cette étude très précise. Je n'ai pas entendu de focus sur les outre-mer. Qu'en est-il ? Nous produisons de l'eau en Guadeloupe et en Martinique. En raison du scandale du chlordécone, de l'eau polluée se trouve toujours dans le commerce...
Mme Antoinette Guhl, rapporteure. - Je n'ai pas fait ce focus car les contrôles menés par l'ARS ne montraient pas spécifiquement de problèmes dans les outre-mer.
M. Jean-Marc Boyer. - Mon département du Puy-de-Dôme est riche de nombreuses sources. Je confirme ce qu'a dit Daniel Gremillet : 99 % des sources ne posent aucun problème. Il faut le redire. Votre rapport concerne essentiellement Nestlé, et il faut tirer les conséquences des mensonges. Mais ne stigmatisons pas toutes les autres sources qui font des efforts considérables pour obtenir une eau de qualité. Une telle affaire crée le doute dans l'esprit du consommateur. Cela va très vite sur les réseaux sociaux, et ensuite il est très difficile de modifier l'image. Je pense notamment aux conséquences subies de plein fouet par Volvic...
Dans les stations thermales, les contrôles sont extrêmement stricts et nombreux. Une station thermale a ainsi été fermée durant toute une saison pour un problème de qualité de l'eau. Cela entraîne des graves conséquences au plan économique. Après réalisation de contrôles et retour à la normale, elle a été rouverte. 99 % des gens font bien leur travail.
Mme Antoinette Guhl, rapporteure. - Vous avez raison. J'ai rencontré des industriels passionnés par l'eau, qui aiment leur métier et la ressource, et en prennent soin. Ils font attention à garantir sa qualité et prélèvent des quantités qui ne sont pas trop importantes pour assurer le renouvellement des nappes. J'ai rencontré tous les industriels produisant de l'eau. Il y a eu des alertes sur les quatre marques de Nestlé Waters et sur des eaux du groupe Sources Alma, seules eaux pour lesquelles les contrôles des ARS ou de la DGCCRF nous ont amenés à être plus vigilants. Nous avons un secteur de minéraliers d'une grande qualité, d'après mon travail.
M. Daniel Gremillet. - Cela me choque de proposer comme recommandation l'obligation pour l'industriel de laisser immédiatement les agents conduire l'inspection. Cela ne reflète pas la réalité de la plupart des contrôles. Est-il bien nécessaire de le préciser ? En général, un contrôle inopiné se déroule immédiatement. Je ne voudrais pas faire une recommandation à partir d'un cas particulier. Respectons les entreprises.
Mme Dominique Estrosi Sassone, présidente. - La recommandation n° 4 ne fait que rappeler la règle.
M. Philippe Grosvalet. - C'est comme pour les inspecteurs du travail...
Mme Dominique Estrosi Sassone, présidente. - Je propose de supprimer la fin de la recommandation n° 4, après « au sein des plans de contrôle des autorités compétentes ». C'est la règle ; elle n'a pas besoin d'être rappelée.
Mme Antoinette Guhl, rapporteure. - J'estime qu'elle aurait pu être rappelée dans les recommandations, mais cela figurera dans le corps du texte du rapport.
Les recommandations, ainsi modifiées, sont adoptées.
La commission adopte, à l'unanimité, le rapport d'information ainsi modifié et en autorise la publication.
Projet de loi de finances pour 2025 - Désignation de rapporteurs pour avis
Sont désignés rapporteurs pour avis sur le projet de loi de finances pour 2025 :
- M. Laurent Duplomb (Les Républicains), M. Franck Menonville (Union Centriste) et M. Jean-Claude Tissot (Socialiste, Écologiste et Républicain) sur la mission « Agriculture, alimentation, forêt et affaires rurales » ;
- M. Daniel Gremillet (Les Républicains) sur la mission « Écologie, développement et mobilité durables » (programme 174 « Énergie, climat et après-mines » ; programme 345 « Service public de l'énergie ») ;
- Mme Sylviane Noël (Les Républicains), Mme Anne-Catherine Loisier (Union Centriste) et M. Christian Redon-Sarrazy (Socialiste, Écologiste et Républicain) sur la mission « Économie » ;
- Mme Micheline Jacques (Les Républicains) sur la mission « Outre-mer » ;
- M. Patrick Chaize (Les Républicains) sur la mission « Recherche et enseignement supérieur » ;
- Mme Amel Gacquerre (Union Centriste) sur la mission « Cohésion des territoires » (programme 177 « Hébergement, parcours vers le logement et insertion des personnes vulnérables » ; programme 109 « Aide à l'accès au logement ; programme 135 « Urbanisme, territoires et amélioration de l'habitat) ;
- Mme Viviane Artigalas (Socialiste, Écologiste et Républicain) sur la mission « Cohésion des territoires » (programme 147 « Politique de la ville ») ;
- Mme Martine Berthet (Les Républicains) sur le compte d'affection spéciale « Participations financières de l'État ».
M. Henri Cabanel. - Merci pour les petits groupes...
M. Yannick Jadot. - Cela ne va pas beaucoup nous occuper.
M. Fabien Gay. - Nous restons la seule commission où les groupes minoritaires d'opposition ne sont en charge d'aucun rapport. Ce n'est pas grave, mais cette situation interroge car elle perdure depuis longtemps. D'autres commissions, et non seulement la commission des finances, confient la rédaction de rapports à de petits groupes.
Il en est de même pour les propositions de loi provenant des groupes d'opposition ou textes législatifs. Nous n'en sommes jamais rapporteurs. Certes, vous vous rattrapez avec les missions flash.
Comment résoudre ce problème pour que des rapporteurs puissent être issus du groupe Communiste, Républicain, Citoyen et Écologiste-Kanaky (CRCE-K), du groupe Écologiste-solidarité et Territoires (GEST) ou du Rassemblement démocratique et social européen (RDSE) ? Par exemple, nous pourrions envisager deux rapporteurs pour de « petites » propositions de loi.
Je comprends la nécessité de limiter le nombre de rapporteurs pour avis sur le PLF en raison du temps de parole contraint, mais cela nous pose problème : lorsqu'on est membre de la commission des affaires économiques pour un petit groupe politique, on ne peut jamais être rapporteur. Trouvons une solution !
Mme Dominique Estrosi Sassone, présidente. - Nous en débattrons lors de la réunion du bureau de la commission le 23 octobre. Ce matin, Mme Guhl, membre d'un groupe d'opposition, a pu rapporter la mission flash. Certes, cette solution est plus facile à appliquer pour ce genre de missions. J'entends votre remarque, notamment sur les propositions de loi, et je l'examinerai avec attention avant de revenir vers vous, bien volontiers.
Communications diverses
Mme Dominique Estrosi Sassone, présidente. - Nous recevrons en audition, pour préparer les débats du PLF 2025, les ministres suivants : le ministre de l'économie, des finances et de l'industrie, M. Antoine Armand, mardi 5 novembre à 17 h 30 ; la ministre de l'agriculture et de la souveraineté alimentaire, Mme Annie Genevard, mercredi 6 novembre à 16 h 45 ; Mme Valérie Létard, ministre du logement et de la rénovation urbaine, mardi 12 novembre à 17 h 30 ; Mmes Agnès Pannier-Runacher et Olga Givernet, respectivement ministre de la transition écologique, de l'énergie, du climat et de la prévention et ministre déléguée chargée de l'énergie, mercredi 13 novembre à 16 h 45.
M. Jean-Claude Tissot. - Pourquoi recevoir les ministres aussi tôt ? Je pense notamment à la ministre de l'agriculture. Habituellement, nous les recevons après toutes les autres auditions budgétaires...
Mme Dominique Estrosi Sassone, présidente. - Nous avons adopté le même planning que les années précédentes : audition des ministres durant la première quinzaine de novembre ; présentation des rapports budgétaires durant la deuxième quinzaine ; examen en séance publique la première semaine de décembre. Des auditions rapporteur se tiendront avant l'audition des ministres.
M. Jean-Claude Tissot. - Qu'allons-nous pouvoir dire aux ministres si tôt ?
Mme Dominique Estrosi Sassone, présidente. - Le calendrier d'examen du projet de loi de finances en séance publique a été décalé par rapport aux années précédentes. Mais je crains que les ministres ne puissent être disponibles plus tardivement.
La réunion est close à 11 h 30.