- Mercredi 9 octobre 2024
- La branche accidents du travail et maladies professionnelles - Examen du rapport d'information
- Mission d'information sur l'avenir de la santé périnatale et son organisation territoriale - Audition de Mmes Annick Jacquemet, présidente, et Véronique Guillotin, rapporteure
- Mission d'information sur l'efficacité du contrôle des établissements d'accueil du jeune enfant et sur ses éventuelles défaillances - Désignation de rapporteurs
Mercredi 9 octobre 2024
- Présidence de M. Philippe Mouiller, président -
La réunion est ouverte à 9 h 30.
La branche accidents du travail et maladies professionnelles - Examen du rapport d'information
M. Philippe Mouiller, président. - Nous allons examiner le rapport d'information de la mission d'évaluation et de contrôle de la sécurité sociale (Mecss) sur la branche accidents du travail et maladies professionnelles.
Avant que les rapporteures, Marie-Pierre Richer et Annie Le Houérou, nous présentent les travaux qu'elles ont conduits et leurs propositions, je cède la parole au président de la Mecss, Alain Milon.
M. Alain Milon, président de la Mecss. - Conformément à l'usage, ce rapport est directement soumis à la commission des affaires sociales sans que la Mecss ait préalablement donné son avis. Il me semble que tel devrait être le cas. Si le règlement intérieur de la Mecss prévoit que les rapports de la Mecss sont adoptés par la commission, il n'empêche pas la Mecss de les examiner préalablement.
M. Philippe Mouiller, président. - Cela semblerait assez logique. À l'avenir, cela ne me choquerait pas que la Mecss se prononce, de façon informelle, si elle le souhaite, avant l'examen formel du rapport d'information par la commission des affaires sociales.
Mme Marie-Pierre Richer, rapporteure. - Je remercie Alain Milon, président de la Mecss de nous avoir confié ce rapport. Quelque 11,7 milliards d'euros : c'est l'excédent cumulé prévisionnel que devrait atteindre, en 2027, la branche accidents du travail et maladies professionnelles (AT-MP) de la sécurité sociale, chargée de la prévention et de la réparation des risques professionnels. Ce montant vertigineux témoigne d'un excédent structurel résultant de la déconnexion croissante entre les ressources de la branche, constituées quasi intégralement par des cotisations patronales, et les prestations qu'elle verse. À l'exception du cas particulier de l'année 2020, depuis plus de dix ans, la branche AT-MP dégage des excédents chaque année. Faut-il s'en réjouir ? Au risque de surprendre, je ne le crois pas.
La branche AT-MP constitue une assurance sociale, dont la nature même appelle une situation financière équilibrée. Elle n'a vocation ni à dégager durablement d'importants excédents, à la différence d'une entreprise privée, ni à s'inscrire dans une situation de déficit particulièrement préoccupante pour la soutenabilité de notre système social, comme c'est le cas de la branche maladie.
Ce constat implique de se poser la question de la mobilisation des excédents de la branche AT-MP.
Faut-il utiliser cette branche comme variable d'ajustement des finances de la sécurité sociale, comme les précédents gouvernements semblaient le privilégier ? Nous ne le pensons pas. Depuis une dizaine d'années, les transferts à la charge de la branche se multiplient, que ce soit le fameux transfert à la branche maladie au titre de la sous-déclaration des AT-MP ou le « swap » de taux de cotisation avec la branche vieillesse, c'est-à-dire l'augmentation du taux de cotisation employeur pour la branche vieillesse et, en miroir, la baisse de ce taux de cotisation pour la branche AT-MP, ce qui engendre un manque à gagner pour cette dernière.
Nous ne remettons pas en cause la pertinence de l'existence de ces transferts ; pour autant, il faut s'alerter de la croissance perpétuelle de leurs montants. Il s'agit, sans la nommer, d'une forme de péréquation interbranches, qui conduit à dévoyer les excédents de la branche AT-MP. Sans exprimer d'opposition de principe à une augmentation des transferts en cas de nécessité avérée, nous appelons à rééquilibrer la méthode de calcul du transfert à la branche maladie au titre de la sous-déclaration, en prenant mieux en compte la surdéclaration.
Mme Annie Le Houérou, rapporteure. - Nous partageons une préoccupation commune : garantir que les cotisations versées à la branche AT-MP soient bien affectées à leur vocation originelle, à savoir la prévention et la réparation des risques professionnels. Car les besoins ne manquent pas ! Alors qu'on dénombre encore près d'un million de sinistres par an en France, un investissement massif dans la prévention est nécessaire pour réduire, autant que faire se peut, la survenue d'accidents du travail et de maladies professionnelles.
De la même manière, un effort financier supplémentaire est souhaitable pour améliorer la réparation attribuée aux victimes, qui est aujourd'hui insuffisante pour éviter une baisse significative de leur niveau de vie. Les victimes d'AT-MP ne sauraient être moins protégées que celles de droit commun ; c'est, à mon sens, une conviction que nous pouvons tous partager.
Les mesures de justice et d'équité entre les victimes défendues dans le cadre de ce rapport sont donc, pour certaines, dépensières, tout comme le choc d'investissement inédit que nous estimons nécessaire en matière de prévention. Pour autant, notre boussole a été de veiller à la pleine compatibilité de l'ensemble des propositions du rapport avec l'équilibre financier de la branche. Aussi l'application de nos vingt-trois recommandations conduirait-elle la branche AT-MP à s'inscrire dans une trajectoire légèrement, mais durablement, excédentaire.
Avant de présenter les propositions de ce rapport en matière de réparation, il convient de faire un état des lieux des prestations de la branche AT-MP. Ces dernières ont atteint un montant de 15,4 milliards d'euros en 2023, dont 12,3 milliards d'euros de prestations nettes, regroupant des prestations à la fois en nature et en espèces.
Les prestations en nature correspondent à la prise en charge intégrale, avec dispense d'avance de frais, des frais de santé liés à un AT-MP - consultations, médicaments, examens ou encore analyses - dans la limite de la base de remboursement de la sécurité sociale. Si ces conditions de remboursement sont plus favorables que celles de droit commun, puisqu'aucun ticket modérateur ne s'applique, elles n'évitent pas, pour autant, tout reste à charge. Seuls les assurés les plus lourdement atteints à la suite d'un AT-MP bénéficient d'une prise en charge intégrale de l'ensemble de leurs soins, y compris de ceux qui ne sont pas liés au sinistre. Les prestations en nature atteignent 1,2 milliard d'euros en 2022, soit 9 % des prestations totales de la branche.
Au sein des prestations en espèces, qui visent à compenser la perte de revenus, on distingue des prestations d'incapacité temporaire, qui complètent les revenus de l'assuré en arrêt de travail, et des prestations d'incapacité permanente, destinées aux assurés dont la force de travail est durablement amoindrie.
Au titre de l'incapacité temporaire, la branche AT-MP verse, comme la branche maladie, des indemnités journalières (IJ) aux assurés en arrêt de travail. Celles-ci représentent une part importante : 43 %, des prestations de la branche, soit 4,8 milliards d'euros en 2023, dont 82 % sont consacrés aux arrêts de travail longs dépassant vingt-huit jours. Les modalités de calcul sont en principe plus favorables en cas d'AT-MP qu'en cas de maladie : la fiscalisation est plus avantageuse et les IJ sont versées jusqu'à consolidation, sans limitation de durée, contrairement aux IJ pour un arrêt maladie. De plus, à la différence de ces dernières, les IJ pour AT-MP sont versées sans délai de carence, sauf pour les non-salariés agricoles : nous proposons de faire cesser cette différence de traitement et de supprimer ce délai de carence afin de lutter contre la sous-déclaration.
En outre, le taux de remplacement, de 60 % puis de 80 % du salaire, appliqué en fonction de la durée de l'arrêt, est plus favorable que celui appliqué en cas de maladie, qui est de 50 %. Toutefois, l'écart est réduit par l'obligation faite aux employeurs de compléter les IJ pour garantir au salarié en arrêt de travail un revenu au moins égal à 90 % de son salaire pendant au moins trente jours, et ce quel que soit le taux des indemnités journalières. En définitive, hormis pendant le délai de carence, les salariés en arrêt de travail, que ce soit pour AT-MP ou pour maladie, perçoivent un revenu de remplacement global comparable, de l'ordre de 90 % de leur salaire.
Au bénéfice des victimes et afin de mieux différencier les prestations AT-MP des prestations maladie pour lutter contre la sous-déclaration, nous appelons à mieux articuler les IJ et les indemnités employeur pour garantir un maintien de salaire intégral lors des vingt-huit premiers jours d'arrêt pour AT-MP, sans surcoût pour l'employeur.
Mme Marie-Pierre Richer, rapporteure. - Passons au sujet qui a motivé le lancement de cette mission d'information : la réforme de l'indemnisation de l'incapacité permanente par la branche AT-MP. Lorsque l'état de santé d'une victime d'AT-MP se stabilise sans qu'une guérison totale soit opérée, un taux d'incapacité permanente partielle (IPP) lui est attribué en fonction d'un barème. Par exemple, l'amputation de la main forte d'une victime d'AT-MP est associée à un taux d'IPP de 70 %, et une insuffisance respiratoire moyenne à un taux compris dans une fourchette de 30 % à 50 %. Ces barèmes sont parfois imprécis, voire obsolètes, puisqu'ils n'ont pas tenu compte de l'évolution des connaissances médicales. Leur révision, lancée en 2016, est un véritable serpent de mer, aujourd'hui au point mort : nous appelons à relancer au plus vite ces travaux pour garantir l'homogénéité et l'équité de l'indemnisation sur le territoire.
Avant d'entrer dans le détail des prestations de la branche, un bref rappel historique est nécessaire. Le droit civil repose sur un principe simple : le demandeur doit apporter la preuve de l'existence d'une faute pour bénéficier d'une indemnisation, qui présente alors un caractère intégral. Toutefois, l'asymétrie de la relation entre l'employeur et l'employé peut dissuader la victime d'agir en justice contre son employeur pour un AT-MP.
Par conséquent, en vertu du compromis historique de la loi du 9 avril 1898 concernant les responsabilités dans les accidents du travail, la réparation de la branche AT-MP déroge à cette règle. L'indemnisation ne présente pas de caractère intégral, en contrepartie de quoi le salarié bénéficie, en règle générale, d'une présomption d'imputation du sinistre à l'activité professionnelle. L'assuré garde le droit d'obtenir une réparation intégrale pour les champs non couverts par l'indemnisation AT-MP s'il prouve la faute inexcusable de son employeur, mais cette procédure est, en pratique, rarement engagée - on dénombre quelque 1 600 cas par an, sur près d'un million de sinistres.
De son côté, l'employeur peut également contester le caractère professionnel du sinistre, mais cette pratique demeure très minoritaire et ne concerne que 4 % des cas environ. Ce compromis historique a permis aux victimes de bénéficier d'une réparation particulièrement rapide, prévisible et facile d'accès, aussi est-il plébiscité, encore aujourd'hui, par l'ensemble des parties auditionnées.
Si ce compromis a constitué une avancée sociale indéniable, la réparation AT-MP est restée imperméable au mouvement du droit en faveur d'une prise en compte accrue des situations individuelles. Divers régimes d'indemnisation, par exemple pour les accidents de circulation ou pour les accidents médicaux, sont désormais plus protecteurs pour les victimes, car ils prévoient l'aménagement, voire la suppression de la charge de la preuve, tout en proposant une réparation intégrale. Ils bénéficient donc des avantages de la réparation AT-MP, sans en subir la contrepartie.
Mme Annie Le Houérou, rapporteure. - Cela dit, au sein de la branche AT-MP, deux types de prestations existent pour offrir une réparation aux victimes d'AT-MP présentant une incapacité permanente. Les assurés présentant un « petit » taux d'incapacité, c'est-à-dire inférieur à 10 %, se voient attribuer une indemnité en capital forfaitaire, versée en une fois et allant de 485 euros, pour un taux d'IPP de 1 %, à 4 844 euros, pour un taux de 9 %. Cette réparation, la seule dont les victimes bénéficient, n'est « jamais à la hauteur des préjudices subis » selon les associations de victimes et, de fait, son coût est modique pour la branche : 115 millions d'euros, soit 2 % des prestations d'incapacité permanente, pour deux tiers des victimes.
Les victimes présentant un taux d'IPP de plus de 10 % ou leurs ayants droit en cas de décès bénéficient, quant à elles, d'une rente viagère versée trimestriellement ou mensuellement. Les rentes représentent le principal poste de dépenses de la branche AT-MP, soit 5,7 milliards d'euros en 2023. Au régime général, 71 % des rentes étaient affectées à 1,2 million de victimes directes et 29 % des rentes aux 82 000 ayants droit éligibles, très majoritairement des conjoints.
Dans le régime général, le montant de la rente est déterminé par le produit de deux paramètres : le salaire utile et le taux d'incapacité utile. Ces transformations du salaire et du taux d'IPP, qui font que la rente perçue ne compense pas le déficit professionnel encouru, sont très décriées par les associations de victimes. Sans entrer dans le détail des calculs disponible dans le rapport, je citerai tout de même deux exemples qui illustrent le besoin de revaloriser ces rentes : un assuré atteint d'une tumeur de la vessie et qui percevait un salaire de 2 500 euros par mois reçoit 375 euros de rente par mois ; un assuré souffrant d'une insuffisance cardiaque de nature à rendre la vie professionnelle très perturbée ou impossible et qui touchait 1 833 euros par mois perçoit 733 euros de rente mensuelle.
La réparation de l'incapacité permanente par la branche AT-MP ne suffit pas à éviter une baisse considérable du niveau de vie des victimes. D'après la direction de la recherche, des études, de l'évaluation et des statistiques (Drees), si le niveau de vie des victimes est, dans un premier temps, maintenu avec le concours des allocations chômage, la survenue d'un sinistre ouvrant droit à une rente dans un foyer cause ainsi une perte de 4 000 euros de revenus par an, en moyenne, après quatre ans. Autre statistique impressionnante : la rente moyenne n'excède le seuil de pauvreté qu'à partir d'un taux d'IPP de 80 %, lequel ne concerne que 1 % des bénéficiaires.
Mme Marie-Pierre Richer, rapporteure. - Pour bénéficier d'une indemnisation supérieure, la victime d'AT-MP peut engager une procédure en faute inexcusable de l'employeur (FIE). Cette qualification ouvre droit à une majoration des prestations AT-MP et à une indemnisation intégrale des postes de préjudice non déjà indemnisés par la rente, financées par l'entreprise fautive.
Se pose alors, en creux, la question des postes que la rente AT-MP est censée indemniser précisément, question au coeur de débats juridiques depuis plus de dix ans. La rente AT-MP indemnise-t-elle uniquement le préjudice professionnel, c'est-à-dire les pertes de salaires encourues, ou bien couvre-t-elle également le déficit fonctionnel permanent (DFP), à savoir la réduction du potentiel physique et intellectuel ?
La loi est silencieuse sur ce point : nous appelons d'ailleurs, dans le rapport, à clarifier cela. Cette question est donc laissée à l'interprétation de la justice, dont le point de vue a récemment changé. Alors que la Cour de cassation estimait depuis 2009 que la rente revêtait un caractère dual, à la fois professionnel et fonctionnel, elle a finalement rejoint la position du Conseil d'État par un revirement de jurisprudence en date du 20 janvier 2023. Estimant que la rente, calculée en fonction du salaire, ne peut indemniser le DFP, par nature extraprofessionnel, la Cour de cassation juge désormais que la rente n'indemnise que le déficit professionnel et qu'elle ne présente plus de caractère dual.
Mme Annie Le Houérou, rapporteure. - Cette décision n'emporte strictement aucune conséquence pour l'immense majorité des victimes d'AT-MP, qui ont recouru à la procédure amiable, puisqu'elle n'a pas d'effet sur le montant des rentes.
Pour autant, elle a un effet déterminant pour les victimes d'AT-MP qui voient la faute inexcusable de leur employeur être reconnue : dès lors que le déficit fonctionnel n'est plus réparé forfaitairement par la rente, il peut alors être indemnisé intégralement par l'employeur coupable, sur décision du juge. Cela peut représenter une hausse de l'indemnisation immédiate de l'ordre de la centaine de milliers d'euros pour les victimes.
Cette décision, applaudie par l'ensemble des associations de victimes, a suscité l'appréhension des partenaires sociaux, qui ont appelé le législateur à réaffirmer la nature duale de la rente dans le cadre d'un accord national interprofessionnel unanime quelques mois après. Certains risques mis en avant par les organisations patronales, notamment celui de faillites massives d'entreprises, doivent être relativisés au regard de la rareté des procédures en FIE et de la couverture quasi systématique de ce risque par les assurances.
Pour autant, afin de préserver le compromis historique, il importe que l'écart entre la réparation par voie amiable et celle par voie contentieuse ne soit pas trop important. Or la solution de la Cour de cassation conduit à une revalorisation de la procédure contentieuse telle qu'une judiciarisation des AT-MP est à craindre. Personne, ni les employeurs ni les victimes, n'a à gagner à ce que la procédure contentieuse devienne une nouvelle norme : il en résulterait des délais d'indemnisation accrus et une grande imprévisibilité.
En outre, réaffirmer la dualité de la rente permettra d'offrir une réparation du DFP par voie amiable, alors que ce poste de préjudice ne peut être indemnisé par le juge qu'en cas de FIE en vertu des arrêts de la Cour. Il s'agit d'une évolution bienvenue dans un contexte juridique marqué par la considération accrue accordée au déficit fonctionnel. Nous estimons donc qu'il est souhaitable, comme les partenaires sociaux nous y invitent, de consacrer la dualité de la rente dans la loi.
Mme Marie-Pierre Richer, rapporteure. - L'inscription dans la loi de la dualité de la rente doit s'accompagner d'une revalorisation majeure des prestations d'incapacité permanente et d'une évolution de leur mode de calcul. À l'exception de la CGT, l'ensemble des partenaires sociaux représentatifs à l'échelle nationale, conscients des besoins, ont abouti à une proposition convaincante : ils ambitionnent de moderniser les prestations en créant une « part fonctionnelle » de la rente et de l'indemnité en capital, proportionnelle à un taux d'incapacité spécifique. Cette part viendrait s'ajouter au montant actuel des prestations, qui deviendrait la « part professionnelle » de l'indemnisation. Nous recommandons, en conséquence, de faire dépendre du salaire la part professionnelle de l'indemnité en capital.
Sous réserve que cette évolution soit avantageuse pour toutes les victimes en procédure amiable, nous souscrivons pleinement à la modernisation du mode de calcul proposée par les partenaires sociaux, qui permettra de revaloriser les rentes. Les partenaires sociaux, y compris les organisations patronales, consentent à l'effort financier associé, qui sera majeur pour la branche - 60 % plus élevé que la proposition du Gouvernement dans l'article 39 du projet de loi de financement de la sécurité sociale (PLFSS) pour 2024.
En outre, nous saluons la proposition des partenaires sociaux de permettre aux victimes présentant un taux d'incapacité lourd, supérieur à 50 %, de capitaliser une partie de la part fonctionnelle de leur rente - c'est-à-dire de transformer, dans la limite d'un plafond, une partie de leur rente viagère en un versement unique. Cette innovation permettra d'augmenter l'indemnisation de court terme pour répondre aux besoins immédiats d'adaptation de l'habitat et de l'environnement des victimes.
Mme Annie Le Houérou, rapporteure. - Toutefois, nous avons estimé que la proposition des partenaires sociaux ne répondait pas pleinement aux enjeux concernant la faute inexcusable de l'employeur.
Compte tenu du consensus entourant l'insuffisance de l'indemnisation en FIE, ces victimes doivent bénéficier d'un traitement spécifique et être, en tout état de cause, mieux loties qu'avant le revirement de jurisprudence de la Cour de cassation.
En revalorisant les rentes, les partenaires sociaux augmenteraient l'indemnisation de long terme des victimes de FIE, qui bénéficieraient de rentes majorées à la fois sur la part professionnelle et sur la part fonctionnelle nouvellement créée. Pour autant, la réaffirmation de la dualité de la rente a pour corollaire de sortir le déficit fonctionnel des postes de préjudice indemnisables intégralement par le juge et de l'intégrer à la rente : cela implique le passage d'un revenu de court terme, avec un versement en capital unique, à un versement moins important, mais viager.
Nous estimons donc souhaitable, pour répondre pleinement aux enjeux concernant les victimes de FIE, d'augmenter l'indemnisation de court terme dont ils peuvent bénéficier afin de les rapprocher de leur situation actuelle. Pour ce faire, nous appelons à compléter la solution des partenaires sociaux en permettant à toutes les victimes de FIE de capitaliser, sur option, une partie de leur rente. Le montant ouvert à capitalisation pourrait atteindre, pour ces seules victimes, près de 70 000 euros.
Mme Marie-Pierre Richer, rapporteure. - Pour conclure sur la réparation, je ferai un point sur l'aide humaine, un sujet très important. Sous condition d'un taux d'IPP suffisant, la branche AT-MP verse une majoration forfaitaire à la rente pour financer le besoin en aide humaine des assurés incapables de réaliser seuls certains actes ordinaires de la vie. Mais le montant versé est souvent bien insuffisant pour éviter des restes à charge lourds : la Fédération nationale des accidentés du travail et des handicapés (Fnath) estime que la majoration permet, au plus, de financer trois heures d'aide humaine par jour. Les assurés recourent donc souvent, en complément, à la prestation de compensation du handicap (PCH), ce qui pèse sur les finances des départements.
À l'unisson avec les partenaires sociaux, nous appelons à rapprocher l'aide humaine AT-MP de la PCH, qui colle mieux aux besoins des assurés en proposant une indemnisation à proportion des heures d'aide humaine qui leur ont effectivement été apportées.
Un mot, enfin, sur un sujet connexe, à propos duquel nombre d'entre vous ont été sensibilisés : nous avons auditionné le collectif Les oubliés de la réforme 2022-257, dénonçant les répercussions négatives de la réforme des modalités de cumul entre revenus d'activité et pension d'invalidité. Depuis cette réforme, si le cumul de la pension d'invalidité et d'autres revenus dépasse un certain seuil, la pension d'invalidité est écrêtée et peut même être supprimée, ce qui prive les assurés du droit aux prestations de prévoyance ou de complémentaire retraite ouvert aux titulaires d'une pension d'invalidité.
À ce sujet, nous proposons d'augmenter le plafond de revenus au-delà duquel la pension d'invalidité est écrêtée, et nous recommandons d'inscrire dans la loi le principe d'une pension d'invalidité « socle » versée à toutes les personnes dont l'état de santé le justifie, indépendamment de leur revenu, afin que soit toujours maintenu le droit aux prestations connexes à la pension d'invalidité.
En ce qui concerne la prévention, l'action de la branche AT-MP nous semble également devoir être confortée. Cette mission qui incombe de façon subsidiaire à la branche fait l'objet, via le Fonds national de prévention des accidents du travail et des maladies professionnelles (FNPATMP), de 382 millions d'euros de financement en 2022, soit tout juste 3,2 % de l'ensemble des dépenses de la branche, là où l'Allemagne y consacre près de 10 %.
Afin de replacer la prévention au coeur des préoccupations, et ainsi éviter des drames humains au coût réel pour la collectivité, nous proposons de viser à l'horizon de la fin de la convention d'objectifs et de gestion (COG), soit avant 2028, de porter ces dépenses à hauteur de 7 % des dépenses de la branche, ce qui constituerait un investissement inédit.
Cependant, cette augmentation des dépenses de prévention doit s'accompagner d'un renforcement de leur efficacité, et notamment du ciblage des subventions en faveur des entreprises. Les subventions aux très petites entreprises (TPE), qui totalisent 66 % des dépenses d'intervention de la branche, sont accordées dans une logique de « premier arrivé, premier servi », ce qui ne permet pas de favoriser les employeurs faisant face aux risques professionnels les plus importants, et ne soutient pas non plus spécifiquement les priorités affichées par ailleurs par la branche, dans le cadre de ses programmes de prévention TMS (troubles musculo-squelettiques) Pros et Risques chimiques Pros notamment.
Enfin, nous avons constaté que les opérateurs financés par la branche AT-MP, notamment l'Institut national de recherche et de sécurité pour la prévention des accidents du travail et des maladies professionnelles (INRS), constituent une plus-value saluée par l'ensemble des partenaires sociaux en matière d'expertise et d'accompagnement des programmes de prévention. À l'avenir, les difficultés de conclusion des COG de la branche ne doivent plus mettre en difficulté ces opérateurs sur le plan financier, et il sera nécessaire de porter une attention particulière à la pérennité de leur financement par les services de l'État.
Mme Annie Le Houérou, rapporteure. - Pour finir, nous nous sommes intéressées aux modalités de gouvernance de la branche AT-MP. Celle-ci fait figure d'exception dans le paysage de la sécurité sociale française, puisqu'elle demeure la dernière branche où la gouvernance est strictement paritaire. La Commission des accidents du travail et des maladies professionnelles (CAT-MP) est en effet uniquement composée de cinq représentants d'organisations syndicales et d'autant de représentants patronaux.
Pour autant, l'accord national interprofessionnel (ANI) du 15 mai 2023, signé par les partenaires sociaux, appelle à une plus grande autonomie de la branche AT-MP vis-à-vis de la Caisse nationale de l'assurance maladie (Cnam), et plaide notamment pour transformer la CAT-MP en un conseil d'administration à part entière, dont le lien à la Cnam serait formalisé par une délégation de gestion. Il nous semble que, symboliquement, cette évolution permettrait de réaffirmer l'importance du modèle paritaire dans la gestion des risques professionnels, et également de responsabiliser davantage les partenaires sociaux, tout en reconnaissant leur expertise.
Cependant, nous considérons, dans le même temps, que les victimes d'accidents du travail ou de maladies professionnelles devraient être mieux représentées au sein de la gouvernance de la branche. Nous avons entendu les remarques des organisations syndicales, qui représentent ces victimes, mais cette représentation demeure à notre sens indirecte, et donc incomplète. La branche AT-MP est, du reste, la seule à ne pas associer les usagers à sa gouvernance.
Aussi, nous vous proposons d'inclure au sein de la CAT-MP, ou du conseil d'administration nouvellement créé, deux représentants d'associations de victimes, par exemple la Fnath et l'Association nationale de défense des victimes de l'amiante et autres maladies professionnelles (Andeva), dotés d'une simple voix consultative. Ce compromis permettrait à nos yeux de représenter les victimes, sans diluer la responsabilité des partenaires sociaux.
Mme Marie-Pierre Richer, rapporteure. - Les vingt-trois propositions que comporte le rapport, intégralement finançables par l'excédent structurel de la branche, contribueraient - si elles étaient appliquées - à moderniser la politique d'indemnisation de la branche au bénéfice des victimes, et à prendre enfin le virage préventif.
Elles traduisent une vision de la branche que nous estimons équilibrée, enrichie par un cycle de treize auditions qui nous ont permis de rencontrer toutes les principales parties prenantes - partenaires sociaux, associations de victimes, organismes de sécurité sociale, administrations centrales, experts juridiques, organismes de prévention, fonds de l'amiante.
Elles portent des améliorations notables en matière de réparation proposée aux victimes et de prévention sans remettre en cause l'équilibre financier de la branche.
Tout en restant fidèles à l'esprit de la proposition des partenaires sociaux et des principes fondateurs de la branche, elles n'oublient pas les associations de victimes en accordant une importance particulière à l'indemnisation de la FIE.
Elles accordent, enfin, une place accrue aux victimes dans la gouvernance sans remettre en cause la gestion paritaire de la branche, et même en la renforçant. Nous espérons donc que ces propositions sauront trouver, dans cette commission, une large majorité. (Applaudissements.)
Mme Frédérique Puissat. - Je vous remercie pour votre rapport. Il est vrai que les excédents de cette branche nous interrogent. Si ceux-ci font sans doute pâlir d'envie d'autres branches, ils sont aussi source de difficultés, comme c'est aussi le cas pour l'Agirc-Arrco et l'Unédic. En effet, ces excédents sont toujours utilisés comme variables d'ajustement pour les autres branches - voire pour le budget de l'État...
Au cours de vos auditions, les représentants des organisations patronales ont-ils évoqué une baisse des cotisations ?
Par ailleurs, il serait utile, à mon sens, d'auditionner la commission d'évaluation de la sous-déclaration des AT-MP, qui permet le transfert d'environ 1 milliard d'euros à la branche maladie.
Mme Raymonde Poncet Monge. - Je vous remercie pour ce rapport sur un sujet très technique.
Je rebondis sur la remarque de Mme Puissat sur la baisse des cotisations. Nous avons beaucoup à faire en ce qui concerne les AT-MP : la France est le pays européen le moins bien classé en la matière. Alors avant de penser à baisser les cotisations des employeurs, il faudrait s'attaquer à ce mauvais bilan.
Avez-vous instruit la controverse annuelle sur le transfert à l'assurance maladie de la sous-compensation ? La commission chargée de l'évaluation de la sous-déclaration des AT-MP a-t-elle été auditée ? Cette commission, chaque année, produit une fourchette de cette sous-estimation, mais elle ne s'appuie que sur sa partie basse, alors que rien ne l'y oblige. Il serait temps que nous en sachions davantage sur ses méthodes de calcul.
Il est vrai qu'un dissensus opposait les organisations syndicales de salariés et les associations de victimes sur la dualité de la rente. À l'issue de votre travail, avez-vous le sentiment que ce différend s'est atténué ? Les associations de victimes se retrouveront-elles davantage dans vos propositions ?
Mme Pascale Gruny. - Je remercie les rapporteures, qui, je le souligne, n'ont pas oublié l'agriculture dans leur travail.
Ce qui me tient particulièrement à coeur, c'est l'amélioration de la prévention, dans le domaine de la santé en général. Nous devons mieux prévenir les accidents et les maladies professionnelles. C'est la raison pour laquelle je me suis toujours opposée aux transferts - qui se fonde d'ailleurs sur un calcul dont nous ne connaissons pas les détails. Il serait préférable de mener une prévention efficace plutôt que d'utiliser cet excédent pour boucher des trous ailleurs. Votre travail concernait les indemnisations, et je suis d'accord avec vos propositions, mais nous devrions avant tout chercher à éviter les accidents. Si l'on augmente l'indemnisation, il faudra en tout cas cesser les transferts de la branche.
Au cours de vos auditions, avez-vous senti, tant chez les salariés que chez les patrons, que vos propositions pourraient donner lieu à un retour négatif ?
Mme Émilienne Poumirol. - Je vous remercie pour la qualité de ce rapport.
Je veux d'abord revenir sur la sous-déclaration et la non-reconnaissance des maladies professionnelles. Dans le rapport d'information Cancers imputables à l'activité de sapeur-pompier : protéger les soldats du feu, dont j'ai été rapporteure aux côtés d'Anne-Marie Nédélec, nous avons montré que plusieurs cancers liés à la toxicité des fumées ne sont pas imputables à cette activité en France, alors qu'ils sont reconnus comme des maladies professionnelles par le Centre international de recherche sur le cancer (Circ) et dans plusieurs pays comme les États-Unis ou le Canada. Ces maladies ne donnent donc pas lieu à une indemnisation. Il est impératif de revoir le tableau des maladies professionnelles.
Par ailleurs, les taux d'IPP sont très fréquemment sous-évalués. Les médecins généralistes constatent souvent des anomalies importantes lors de la commission qui les définissent. J'ai le souvenir d'une patiente, âgée de 48 ans, victime d'une hémiplégie, pour laquelle je n'avais pas réussi à obtenir un taux suffisant.
Je rejoins Mme Gruny sur l'importance de la prévention, qui est le premier problème de notre système de santé, en AT-MP comme en maladie. La prévention ne représente que 3 % de notre budget de santé. On se heurte là aussi à la question du manque d'attractivité de la médecine du travail, qui devrait pourtant représenter une mission passionnante.
Enfin, vous avez évoqué le cumul des revenus d'activité et de la pension d'invalidité, qui soulève des problèmes similaires en maladie. Certains patients ont davantage intérêt à reprendre leur activité à 50 % plutôt qu'à 80 %, comme ils le souhaiteraient. J'ignore quel taux socle il faudrait fixer pour préserver leurs avantages, mais nous devons résoudre ce problème qui se pose de manière fréquente.
Mme Céline Brulin. - Merci aux rapporteures pour ce travail fourni qui apporte des réponses aux questions soulevées par l'article 39 du PLFSS pour 2024, lequel avait suscité une bronca légitime chez les associations de victimes. Je suis toujours très impressionnée, d'ailleurs, par le niveau d'expertise juridique que ces dernières présentent sur des sujets aussi complexes.
Vous mettez en avant la contradiction qui s'observe entre le caractère excédentaire de la branche, en partie dû au phénomène de sous-déclaration, et le mauvais classement de la France en matière d'accidents du travail.
Je partage les propos de mes collègues sur la nécessité de développer la prévention. Nous continuions à regretter sur ce point la disparition des comités d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail (CHSCT), dont le rôle en la matière était primordial.
Les médias ont fait état ce matin de la situation d'une fleuriste exposée à des pesticides durant sa vie professionnelle, dont la fille est décédée à la suite d'une maladie apparemment imputable à ces substances. Cette affaire, désormais devant la justice, soulève une nouvelle question : faudrait-il étendre l'indemnisation aujourd'hui octroyée aux victimes directes des accidents du travail et des maladies professionnelles à leurs descendants ?
Mme Marie-Pierre Richer, rapporteure. - La baisse des cotisations a été évoquée par une seule organisation patronale, la Confédération des petites et moyennes entreprises (CPME), mais n'a pas été considérée comme une priorité à court terme par d'autres organisations, qui souhaitent pour leur part mettre l'accent sur la prévention.
Le rapport s'appuie par ailleurs sur l'ANI, qui a été signé par toutes les organisations, dont les organisations patronales.
Le souhait est que les cotisations versées par les employeurs soient fléchées vers la branche et la prévention. Il faut néanmoins faire le nécessaire pour les réparations.
Mme Annie Le Houérou, rapporteure. - Nous n'avons pas reçu en audition la commission chargée d'évaluer le coût réel de la sous-déclaration. Elle était en train de rédiger son rapport, qu'elle a rendu en septembre. Nous proposons de l'entendre dans le cadre du PLFSS. Nous avons toutefois eu l'impression que l'assurance maladie appelait à une certaine fongibilité des deux branches, ce que nous ne pouvons accepter.
Un écart subsiste toujours entre les organisations syndicales et les associations de victimes, les premières ayant clairement affirmé leur attachement à la dualité de la rente, quand les secondes ont insisté sur la notion de FIE et sur la justification de l'indemnisation. Nous avons été sensibles à ce point, c'est pourquoi nous proposons d'associer les associations de victimes au conseil d'administration nouvellement créé, tout en conservant la position des partenaires sociaux qui conditionne une indemnisation rapide sans démarche particulière de la part des victimes.
Mme Marie-Pierre Richer, rapporteure. - Si on laisse les salariés aller au tribunal, l'instruction des dossiers peut prendre plus de cinq ans. Or les salariés comme les dirigeants n'ont aucun intérêt à ce que les choses s'éternisent. Ces derniers ne cherchent pas à fuir leurs responsabilités. C'est pourquoi le maintien du caractère dual de la rente est essentiel. Cela n'empêche pas, pour ceux qui le souhaitent, d'aller plus loin sur les éléments pris en compte pour l'indemnisation de la maladie professionnelle et des accidents du travail.
Pour répondre à Pascale Gruny, nous revenons de tellement loin que le passage de 3 % à 7 % de l'ensemble des dépenses de la branche AT-MP consacrées à la prévention nous paraît déjà être un premier pas important. Nous avons reçu en audition l'Organisme professionnel de prévention du bâtiment et des travaux publics (OPPBTP), très en avance sur ce sujet, qui nous semble un exemple à suivre.
Notre rapport fait également référence au rapport sur la santé des femmes au travail que j'avais rédigé avec Laurence Rossignol, Annick Jacquemet et Laurence Cohen, qui avait montré que 80 % des arrêts de travail étaient dus à des TMS. Nous souhaitons que le secteur médico-social s'empare de ces problèmes, même si nous connaissons les difficultés rencontrées par ce secteur. La prévention est à cet égard primordiale et chacun doit se l'approprier.
Nous avons noté par ailleurs que de nombreuses actions de prévention étaient perdues faute d'une répartition équilibrée. La logique du « premier arrivé, premier servi » paraît prévaloir, ce qui est regrettable. A contrario, si l'on parvient à développer réellement la prévention et à entraîner tout le monde sur cette voie, il en résultera de nombreux gains pour la branche AT-MP, comme pour toutes les branches de la sécurité sociale.
Les barèmes du taux d'incapacité n'ont pas évolué depuis 1989. Il y a là un vrai travail à mener, compte tenu de l'évolution des métiers. Nous avons voulu entendre les personnes concernées, pour bien mesurer les conséquences que cette surévaluation pouvait avoir. Sans minorer les difficultés qu'elles rencontrent, il faut les encourager à retourner travailler.
Nous nous sommes également penchées sur la question de l'environnement et avons notamment reçu en audition les représentants du fonds d'indemnisation des victimes de l'amiante (Fiva).
Mme Annie Le Houérou, rapporteure. - Je pense qu'effectivement les CHSCT constituaient un lieu adapté pour s'interroger sur les solutions à déployer dans les entreprises en matière de prévention. Nous avons pu noter, comme le rapport en fait état, que si les efforts faits en matière de prévention dans le secteur du bâtiment avaient réellement porté leurs fruits, des manquements s'observaient encore pour les interventions des intérimaires.
Pour en venir au cas de la fleuriste cité par Céline Brulin, le fonds d'indemnisation des victimes de pesticides créé en 2022 ne concerne que les assurés agricoles. Il indemnise en revanche tant les victimes que les ayants droit. Cette réflexion pourrait être étendue à d'autres secteurs.
Telles sont donc les lignes directrices de notre rapport : le respect des partenaires sociaux dans leur diversité, le maintien des crédits résultant des cotisations des employeurs et le développement de la prévention, pour que ces crédits servent au mieux à réduire les accidents du travail et les maladies professionnelles.
Mme Marie-Pierre Richer, rapporteure. - J'ajoute que depuis janvier 2023, le cadre de la dualité de la rente ne s'applique plus. La loi doit rétablir cette qualité duale. Nous serons très attentifs à ce point lors de l'examen du PLFSS.
M. Philippe Mouiller, président. - Conformément au règlement de la Mecss, il revient à la commission des affaires sociales de se prononcer sur les préconisations des rapporteurs au terme de leurs travaux. Une présentation informelle de celles-ci à la Mecss pourrait toutefois être effectuée préalablement, comme je l'ai évoqué au début de la réunion.
Les recommandations sont adoptées.
La commission adopte le rapport d'information et en autorise la publication.
Mission d'information sur l'avenir de la santé périnatale et son organisation territoriale - Audition de Mmes Annick Jacquemet, présidente, et Véronique Guillotin, rapporteure
M. Philippe Mouiller, président. - Nous allons entendre nos collègues Annick Jacquemet et Véronique Guillotin, respectivement présidente et rapporteure de la mission d'information consacrée à la santé périnatale et son organisation territoriale.
Je vous rappelle que cette mission a été créée dans le cadre du droit de tirage des groupes, à l'initiative du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen (RDSE). Constituée le 6 mars 2024, elle a adopté son rapport et rendu ses conclusions le 10 septembre dernier.
Même si cela n'est pas classique et encore moins systématique, j'ai souhaité que nos collègues puissent nous présenter leurs travaux, car la thématique retenue s'inscrit bien dans le champ des compétences de notre commission. Les conclusions de la mission d'information nous intéressent donc au premier chef. Bien entendu, comme il ne s'agit pas d'un rapport de la commission des affaires sociales, nous n'aurons pas à statuer sur les recommandations de la mission d'information ni sur la publication du rapport.
Mme Annick Jacquemet, présidente de la mission d'information. - Je suis heureuse de revenir parmi vous au sein de la commission des affaires sociales, dont j'ai été membre pendant trois ans. Je remercie le président Philippe Mouiller pour son invitation à venir présenter, avec Véronique Guillotin, les conclusions des travaux de la mission d'information sur l'avenir de la santé périnatale et son organisation territoriale. La présentation par les missions temporaires de leurs travaux devant les commissions permanentes compétentes me semble un exercice utile et un gage de cohérence et de bonne coordination des travaux sénatoriaux.
Je me limiterai en introduction à quelques mots de contexte sur la mission et le rapport qui a été adopté.
Comme vous le savez, cette mission a été décidée par le groupe du RDSE au titre de son droit de tirage pour la session. L'idée, suggérée par Véronique Guillotin, a régulièrement été présentée comme une suite parlementaire à apporter au rapport polémique de l'Académie de médecine publié au début de l'année 2023.
Nous avons entamé nos travaux au début du mois de mars 2024, pour six mois, avec un constat clair : la France connaît depuis une dizaine d'années un décrochage certain par rapport à ses voisins européens sur le plan des indicateurs de santé publique dans le champ de la santé périnatale, se classant par exemple vingt et unième sur vingt-huit en matière de mortinatalité, et vingt-deuxième sur vingt-huit sur la mortalité infantile, quand, dans le même temps, la natalité diminue. Je rappelle qu'il y a vingt ans la France était première de ces classements et montrait dans ces domaines d'excellents résultats. C'est dire l'ampleur de la chute.
Tout l'objet de la mission a été de s'interroger sur les raisons de cette situation et de tenter de savoir si l'offre de soins actuelle était performante et, surtout, quels objectifs il était souhaitable de poursuivre pour les années à venir. L'intitulé même de la mission a ainsi guidé ses travaux : avenir de la santé périnatale, d'une part, et le corollaire immédiat qu'est son organisation territoriale, d'autre part.
Pour répondre aux différentes questions posées, la mission a souhaité donner la parole à des acteurs locaux, institutionnels, soignants ou encore élus de presque toutes les régions de France : des Hauts-de-France à l'Occitanie, de la Normandie à l'Auvergne-Rhône-Alpes, en passant par la Bourgogne-Franche-Comté. En outre, deux tables rondes ont été consacrées aux enjeux et spécificités des outre-mer avec la Guadeloupe et Mayotte. Enfin, au-delà des acteurs institutionnels, politiques et scientifiques et de la communauté médicale et soignante, la mission a entendu valoriser plus directement la parole des principales concernées que sont les femmes. Je précise que nous avons veillé également à associer les pères à nos travaux.
En sus des auditions d'associations de patientes, de journalistes et de relais des témoignages de mères, la mission a commandé à un institut professionnel indépendant, l'institut Consumer Science & Analytics (CSA), une étude d'opinion sur la perception des femmes quant à leur prise en charge durant leur grossesse et leur accouchement, qui nous a été présentée en mai dernier.
Après un semestre de travail sur ce très vaste sujet, trente-deux auditions ayant rassemblé cinquante-huit personnes et trois déplacements - en Île-de-France, dans le Grand Est et en Bretagne -, la mission a adopté le 10 septembre dernier les conclusions et les recommandations présentées par Véronique Guillotin. Face à une situation sanitaire préoccupante, je tiens à saluer le travail réalisé par notre collègue rapporteure et son souci de rechercher des solutions en responsabilité. Nous avons travaillé de concert, dans une très bonne ambiance et avec une vision partagée du sujet traité.
Mme Véronique Guillotin, rapporteure. - Comme l'a rappelé la présidente, le groupe du RDSE avait demandé, au titre de son droit de tirage pour la session 2023-2024, la constitution de cette mission d'information sur la santé périnatale. En soutenant cette proposition auprès de mon groupe, je considérais qu'après l'écho rencontré par le rapport publié en mars 2023 par l'Académie de médecine nous devions, en tant que parlementaires, apporter une analyse politique de la situation.
Je suis heureuse d'avoir mené ce travail en binôme avec Annick Jacquemet, présidente de la mission d'information, avec une participation nombreuse de ses membres, dont certains appartiennent également à notre commission.
Nous retenons des nombreuses auditions réalisées une série d'observations et d'enseignements, mais surtout une préoccupation globale à laquelle il nous faut répondre.
Je commencerai par une description de la situation.
Notre pays a connu, à la fin des années 1990 et au début des années 2000, une amélioration sensible des indicateurs de santé périnatale, mais cette progression s'est depuis arrêtée, voire parfois inversée.
Depuis désormais une dizaine d'années, selon les données Eurostat de 2022, la France se classe ainsi respectivement aux vingt et unième et vingt-deuxième rangs européens en matière de mortinatalité spontanée et de mortalité infantile. En ce qui concerne ce dernier indicateur, la France compte 4 morts pour 1 000 naissances vivantes, loin derrière la Suède ou la Finlande qui affichent des taux respectifs de 2,2 et 2 %o. Ce taux masque néanmoins des disparités territoriales importantes, avec, dans les outre-mer, des niveaux parfois plus de deux fois supérieurs à la moyenne nationale.
Un autre indicateur de comparaison relatif à la situation des prématurés permet de constater l'existence de perspectives très défavorables pour les très grands prématurés et un nombre élevé de nouveau-nés prématurés ou à la santé fragile à la naissance.
Enfin, la santé de la femme enceinte et de la mère est également préoccupante, comme en atteste le nombre de décès maternels, mais aussi, et surtout, le nombre de complications graves autour de la naissance. Les hémorragies du post-partum, qui concernent 10 % des accouchements, ne sont malheureusement pas toujours correctement prises en charge et peuvent entraîner des complications graves.
Malheureusement, les causes de cette situation et les raisons du décrochage de notre pays en matière de santé périnatale ne sont pas clairement identifiées, non plus que les sources des inégalités territoriales constatées.
Des facteurs sanitaires sont évoqués, notamment l'âge plus tardif des grossesses, ou encore l'augmentation de la prévalence de certaines pathologies chez les femmes, notamment le surpoids, l'obésité et le diabète. Des éléments sociaux sont également avancés, en particulier la plus grande vulnérabilité et précarité des femmes enceintes aujourd'hui.
Enfin, une série de raisons peut être liée à l'organisation des soins elle-même. L'offre de soins n'est pas adaptée aux risques et aux besoins de santé, parce que les services présents dans les structures ne sont pas eux-mêmes adaptés, ou parce que les équipes ne sont pas disponibles en temps nécessaire. Disposer d'équipes complètes et stables constitue un élément crucial pour la sécurité des femmes prises en charge. On constate dans certains cas des manques, en particulier en matière de réanimation néonatale, ou face à l'augmentation de la charge de soins que requièrent les nouveau-nés prématurés les plus fragiles.
Ces éléments ne semblent toutefois pas toujours expliquer l'évolution défavorable des indicateurs que nous évoquions. Nous soutenons la création d'un véritable registre des naissances afin d'accroître la quantité de données de santé disponibles relativement au suivi de la grossesse, de l'accouchement et du post-natal, pour faciliter leur appariement et ainsi donner à la recherche des perspectives nouvelles de travail.
J'en viens maintenant à l'ensemble du parcours de soins de la femme et de l'enfant ainsi qu'aux évolutions souhaitables ou nécessaires pour tenter de répondre à cette situation.
Dans notre rapport, nous avons dissocié d'une part le suivi de la grossesse et du post-natal, d'autre part celui de l'accouchement en lui-même. Ces deux sujets ne répondent pas aux mêmes besoins et ne mobilisent pas les mêmes leviers d'action.
Le suivi prénatal et post-natal rencontre globalement un niveau de satisfaction important tant auprès des parents que des professionnels de santé, ce que nous saluons.
Nous bénéficions d'un parcours de soins prénatal dense, autour du médecin généraliste et de la sage-femme, avec notamment des rendez-vous réguliers d'échographies. Relativement bien suivi, il est cependant parfois peu clair pour les futurs parents.
En outre, la perspective de la parentalité est parfois mal appréhendée. Cette période cruciale qu'est la grossesse est empreinte de nombreuses images ou idéalisations, souvent relayées par les nouveaux canaux d'information que sont les réseaux sociaux. C'est pourquoi, au-delà d'une meilleure lisibilité du parcours de soins et de l'articulation des dispositifs de référents, il nous a semblé utile de formuler une recommandation relative à la communication publique sur la grossesse et la parentalité.
Pour ce qui est du suivi post-natal, malgré certaines difficultés identifiées comme l'accès à une sage-femme en sortie d'hôpital, le parcours est bien suivi, mais nécessite cependant des améliorations.
D'une part, le suivi à domicile doit être renforcé, car les enquêtes montrent qu'une part non négligeable de ce suivi est lacunaire. Nous souhaitons ainsi que les dispositifs d'accompagnement au retour à domicile, comme le programme d'accompagnement du retour à domicile (Prado) maternité, soient confortés.
D'autre part, la place des services de protection maternelle et infantile (PMI) doit être rénovée. Une réflexion doit être menée sur l'avenir et la configuration de ces services, avec les professionnels de ville et de l'hôpital, particulièrement dans le cadre de la stratégie des « 1 000 premiers jours ».
En ce qui concerne les professionnels de santé impliqués dans le suivi post-natal, nous avons dressé un constat souvent évoqué dans notre commission, à savoir que le suivi est essentiellement assuré par le médecin généraliste alors que les pédiatres, qui manquent sur le territoire, n'assurent qu'une part minoritaire des consultations.
Ce point m'amène à un deuxième élément déterminant, celui de la disponibilité en nombre suffisant et de la formation des professionnels de santé.
Au sujet du nombre de professionnels, nous n'avons pas développé excessivement une énième analyse de la crise de la démographie médicale, sujet que notre commission connaît si bien. Sans surprise, la santé périnatale subit la même crise que notre système de santé en général, peut-être de manière parfois plus sévère.
Ainsi, l'attractivité des spécialités de gynécologie-obstétrique, de néonatologie et de pédiatrie auprès des internes en médecine n'est plus aujourd'hui la même qu'hier, a fortiori s'agissant de l'exercice hospitalier. En cause, des changements générationnels, ainsi que l'insuffisante valorisation des actes par rapport aux risques et aux contraintes, notamment relatives aux gardes hospitalières.
Le problème se pose d'une autre manière pour les sages-femmes, aux effectifs croissants, mais qui désertent en réalité de plus en plus les salles d'accouchement pour choisir les cabinets libéraux.
Renouer avec l'attractivité des carrières est donc une priorité.
Pour ce qui est de la formation, la question est différente. J'identifie deux points de vigilance à ce sujet.
Le premier tient à la formation des médecins généralistes. Alors que l'on manque de pédiatres et que les généralistes sont en première ligne, la modification récente de la maquette de stages a suscité des réactions assez vives.
Le second, plus délicat me semble-t-il, tient aux infirmiers. Au-delà des problèmes connus de formation initiale, certaines activités comme la pédiatrie ne sont plus systématiquement pratiquées en stage. À une perte de compétences initiales s'ajoute ainsi une autocensure vis-à-vis de services aux actes techniques qui n'ont pas été abordés lors de la formation.
Enfin, en ce qui concerne le suivi, je terminerai par un aspect qui nous a semblé toujours plus prégnant et qui est devenu un enjeu de santé publique plus assumé qu'auparavant, à savoir la santé mentale.
Alors que 70 % des femmes déclarent des symptômes de baby blues dans les jours qui suivent l'accouchement et que la dépression du post-partum touche une mère sur cinq ainsi qu'un père sur dix, l'accompagnement en la matière doit être renforcé. Nous appelons à un meilleur repérage des situations de vulnérabilité et à une adaptation de l'offre de soins en la matière. D'autres réflexions doivent se poursuivre, par exemple sur l'allongement ou la rénovation des congés parentaux, permettant un retour plus progressif à l'activité professionnelle.
Le deuxième grand axe que j'annonçais dans l'analyse du parcours de soins est celui de la prise en charge de l'accouchement en lui-même. Beaucoup de nos réflexions se sont focalisées sur ce sujet et sur celui de l'avenir des maternités, qui suscitent régulièrement des passions dans le débat public.
Je commencerai là encore par un point de situation, à savoir la description honnête de la grande fragilité de notre réseau de maternités sur le territoire.
Vous le savez, de nombreuses maternités ont vu au cours des dernières années leurs activités partiellement ou totalement suspendues, de manière temporaire ou durable. Autun, Lunéville ou Guingamp ne sont pas des cas isolés.
Ces suspensions ont des conséquences directes et immédiates sur les parturientes et sur les établissements de recours. En outre, il a été signalé que ces suspensions d'activités emportent parfois l'arrêt d'activités d'orthogénie et, donc, un risque par rapport à l'accès à l'interruption volontaire de grossesse.
Surtout, des risques de fermetures semblent aujourd'hui peser sur des structures de taille importante. Or, si la fermeture inopinée d'une « petite » maternité est source de stress et peut, à défaut d'une bonne organisation, être synonyme de perte de chances, la suspension même temporaire de plus grosses maternités aurait des effets déstabilisateurs bien plus importants à l'échelle de l'organisation des soins sur l'ensemble du territoire.
Les fermetures ont lieu lorsque les établissements ne disposent pas du nombre exigé de personnels en secteur de naissance. Quelles sont les raisons de ce manque de personnels ? La pénurie de professionnels de santé, en partie ; la perte d'attractivité des carrières hospitalières, en partie également. Mais il y a aussi un phénomène plus profond, à savoir que nombre de jeunes médecins et de sages-femmes souhaitent travailler dans de grandes structures, au sein desquelles ils trouvent un environnement de travail plus sécurisant, dans des équipes nombreuses, avec des actes plus fréquents et plus complexes.
Cette situation dégradée se nourrit en réalité d'elle-même, de telle sorte que les fermetures temporaires subies agissent souvent comme des signaux de déclassement, provoquant un effet repoussoir tant pour les professionnels que pour les femmes enceintes. Surtout, le manque de personnels et les fragilités persistantes de certaines structures poussent à soutenir à bout de bras et à renfort d'intérims coûteux des équipes incomplètes et changeantes, provoquant donc une dégradation de la qualité des soins.
En outre, nous devons également entendre les demandes des femmes, qui ont évolué au cours des dernières décennies, dans des mouvements parfois divergents. Ainsi, de nombreuses femmes souhaitent accoucher dans une maternité de type 2 ou 3 pour bénéficier de services et d'un encadrement dont elles n'ont pas forcément besoin. Dans le même temps, certaines femmes désirent accoucher dans des environnements moins médicalisés, dans des salles dites « nature », en maison de naissance, voire à domicile.
Cette situation n'est plus tenable actuellement et le maintien en l'état de l'offre de soins n'est pas viable. Pour citer le professeur Yves Ville, auteur du rapport de l'Académie de médecine entendu par notre mission, il ne s'agit rien de moins que d'un « lent pourrissement » de la situation.
Le statu quo et l'absence de réformes de la politique de périnatalité pourtant considérées comme urgentes par la Cour des comptes ou l'Académie de médecine correspondent en réalité à une décision qui ne dit pas son nom.
Ignorer les fermetures répétées ou laisser des fermetures se prolonger indéfiniment permet certes de maintenir sur la carte des structures, mais cela revient en réalité à laisser advenir une restructuration de fait, non organisée, qui brise petit à petit des chaînons de l'offre de soins et déstabilise à bas bruit cette dernière sans apporter les solutions appropriées aux parturientes au niveau local.
Refusant cette restructuration subie ou ce lâche abandon, notre mission a ainsi souscrit à un discours de vérité et de responsabilité.
Laisser cette restructuration se faire d'elle-même conduirait à une perte de chances pour toutes et tous, sur l'ensemble du territoire, faisant courir le risque de dégrader encore plus la situation sanitaire.
Maintenir des structures indignes de confiance, notamment dans les petits établissements, constitue un facteur d'inégalités sociales et territoriales inacceptables. Nous l'avons entendu, certaines parturientes bien informées évitent déjà certaines maternités.
Faire croire qu'il n'y a qu'à former des médecins en masse avant de les disperser sur le territoire est un leurre, même s'il est nécessaire de continuer à former en nombre les professionnels de santé. Cela revient à ignorer leurs aspirations, en oubliant qu'on ne pratique bien que ce que l'on fait souvent. Or la baisse de la natalité et du nombre d'accouchements pratiqués est une réalité que nous ne pouvons occulter.
Quelle recommandation formulons-nous alors ?
Au sujet des suivis prénatal et post-natal, nous souhaitons donner la priorité à la proximité. Chacune et chacun doit pouvoir trouver une structure près de son domicile, jusqu'à l'accouchement et immédiatement à la sortie de la maternité.
Lors de l'accouchement, nous estimons que la sécurité doit primer. Il faut renforcer la sécurité des maternités, en premier lieu par un renforcement de l'encadrement en personnels dans les activités de gynécologie-obstétrique et de néonatologie.
La révision des décrets de 1998 a trop duré, faute de volonté et de courage politiques ou par crainte, sans doute, de conséquences non évaluées dans un contexte de raréfaction de la ressource médicale. Or, cette révision est aussi un gage d'attractivité pour les praticiens, au-delà d'un meilleur encadrement pour les mères et leurs enfants. Une publication des décrets en 2025 serait souhaitable, avec des entrées en vigueur progressives pour anticiper l'impact et laisser aux établissements le temps de s'organiser.
Il faut ensuite renforcer la sécurité des maternités en engageant une transformation des structures existantes. Cette transformation est inévitable compte tenu de l'état des demandes, des besoins et des ressources.
Pour conduire cette transformation, nous estimons nécessaire de commencer par une opération d'évaluation et de transparence sur chacune des structures, au moyen d'indicateurs définis au niveau national. Parallèlement, un diagnostic local doit être posé par territoire et bassin de naissances, pour cartographier les plateaux techniques et les mettre en regard des besoins de santé de la population. Les dispositifs territoriaux ou « réseaux de périnatalité », qui mêlent les acteurs hospitaliers et libéraux, doivent être mobilisés dans ce travail, auprès des agences régionales de santé (ARS) notamment.
C'est seulement sur cette base qu'une transformation viable peut se construire.
J'ai particulièrement insisté sur ce point dans le cadre de nos travaux et je crois que chacun des membres de la mission y est attaché : il nous semble contre-productif d'afficher une réflexion sur la base d'un quelconque seuil d'activité - on a souvent évoqué le nombre de 1 000 accouchements - qui serait érigé comme l'alpha et l'oméga de la pertinence d'une structure, mais ne serait in fine qu'un couperet aveugle. Travailler sur l'unique base de seuils, c'est nier la configuration de nos territoires ; c'est nier la structuration des établissements, leur maillage et leurs complémentarités éventuelles ; c'est nier la réalité que vivent nos concitoyens dans leur bassin de vie et les contraintes qui sont parfois les leurs.
Concrètement, quelles transformations nous semble-t-il souhaitable d'engager ?
Tout d'abord, la transformation de grandes structures pour accueillir et aménager différents types de projets de naissance. Dans des maternités de type 2 ou 3, des salles dites « physio », où les sages-femmes sont en première ligne, doivent notamment être disponibles. Il s'agit non pas de faire des « usines à bébé », mais de proposer des structures sûres pour répondre à l'ensemble des besoins.
Il faut également renforcer certaines « petites » maternités dont la fragilité fait courir un risque pour le territoire et dont la pérennité doit être assurée. Nous n'ignorons pas la complexité de certaines situations géographiques, qui impose de conserver une offre de soins adaptée. Il conviendra de sécuriser les petites structures considérées comme indispensables à l'accessibilité des soins, notamment dans les territoires de montagne, où les temps de trajet sont parfois très longs, ou dans les territoires insulaires comme la Corse ou les départements d'outre-mer.
En outre, nous préconisons la transformation de certaines structures non viables en « maternités sans accouchement », qui pourraient accueillir les mères et leurs bébés dès l'immédiate suite de couches et durant les jours suivant la naissance.
En parallèle, il faudra également repenser certaines modalités d'accueil des parturientes en fin de grossesse pour lesquelles la distance à la maternité requiert un hébergement en hôtel maternel.
De même, il faudra renforcer l'offre de transports sanitaires et les cellules de régulation et de réponse urgente, avec notamment des services mobiles d'urgence et de réanimation (Smur) obstétricaux, ou en renforçant la présence de sages-femmes et d'obstétriciens dans les équipes.
Enfin, le renforcement de la sécurité de l'offre de soins passe aussi par l'augmentation du nombre de lits de réanimation néonatale, pour atteindre un ratio minimal d'un lit pour 1 000 naissances sur l'ensemble du territoire.
De manière plus marginale, nous avons également considéré qu'il est nécessaire de sécuriser les modalités d'accouchement à domicile ou en maison de naissance.
Vous l'aurez compris, nous avons cherché à sortir d'une opposition frontale entre élus locaux et médecins, entre villes et campagnes ou encore entre proximité et sécurité, comme si ces éléments étaient indépassables autant qu'inconciliables. La ligne est claire : le suivi de proximité doit être garanti et renforcé ; un haut niveau de sécurité doit primer et être assuré sur les plateaux techniques ; l'accessibilité des structures sur le territoire doit demeurer déterminante.
Face au risque certain d'un délitement du réseau de maternités, nous avons soutenu un discours de réalité et de responsabilité, appelant à engager un redressement de la situation. Qu'il s'agisse de la révision des ratios ou de l'organisation des maternités, ces sujets ont trop longtemps été mis de côté.
Alors que la transformation de l'offre de soins est aujourd'hui inévitable, il faudra, pour la conduire de manière soutenable, une feuille de route, une méthode et une évaluation de l'impact.
Je finirai mon propos en soulignant l'importance d'un sujet régulièrement abordé lors de nos auditions et qui, en réalité, participe de plusieurs problématiques que j'ai évoquées. Il s'agit de la question du pilotage, notamment du rétablissement des commissions des naissances. Aucun redressement de la politique de santé périnatale ne pourra se faire sans volonté politique, sans arbitrages ou sans pilotage national et territorial.
Voilà, monsieur le président, mes chers collègues, les principales conclusions et recommandations adoptées par la mission d'information que nous souhaitions porter à votre connaissance ce matin.
Comme l'a fait Annick Jacquemet, je salue la démarche du président Philippe Mouiller, qui nous a demandé d'intervenir ce matin sur un sujet que notre commission avait envisagé dans son programme de travail. J'espère que le travail engagé trouvera des suites, dans le cadre de cette instance et au-delà.
Mme Florence Lassarade. - Ce sujet, qui fut au coeur de toute ma vie professionnelle, m'est particulièrement cher.
Vous avez rappelé notre mauvais score en matière de mortinatalité. Je voudrais le mettre en parallèle avec le vingt-deuxième rang de la France au sein de l'OCDE en nombre de pédiatres par habitant.
Les grossesses tardives, l'obésité et le diabète sont des problèmes communs à tous les pays européens. Ils ne peuvent, à eux seuls, expliquer nos mauvais indicateurs. Nous sommes aussi confrontés à un problème de renoncement à la pédiatrie. Thomas Fatôme, le directeur de la Caisse nationale de l'assurance maladie, explique que les médecins généralistes peuvent se substituer aux pédiatres, mais la pédiatrie en maternité est un métier très technique, bien différent de l'exercice en ville. Or, moins l'on forme de pédiatres, moins il y aura de pédiatres en maternité...
La réanimation d'un enfant à cinq mois de grossesse est un geste très technique, qui nécessite une formation de toute l'équipe, de l'aide-soignant à la sage-femme en passant par l'obstétricien. C'est ce que nous avons voulu faire dans ma région, la Nouvelle-Aquitaine.
Un autre point, peu développé dans le rapport, nous alerte : toutes les statistiques sont ramenées à l'échelon national. Localement, le directeur de l'ARS a été très étonné d'apprendre que je ne pouvais même pas disposer des chiffres concernant ma région. Nous pouvons seulement connaître le taux de césarienne, qui est déjà un indice de bon fonctionnement d'une maternité, mais il faudrait, pour chaque structure, disposer d'indicateurs plus détaillés pour comprendre ce qui fonctionne, ce qui ne fonctionne pas et établir des comparaisons.
Pour conclure, surtout, martelons ce message : un pédiatre de maternité n'est pas un généraliste. Nous devons former en masse à ce métier formidable !
Mme Marion Canalès. - Nous soutenons pleinement la création du registre national des naissances et de la mortalité pour sortir de l'invisibilité statistique, améliorer notre compréhension des tendances et mieux adapter notre offre de soins aux réalités.
S'agissant de la santé mentale, vous aurez noté qu'un collectif s'est saisi aujourd'hui de cet enjeu dans la presse, notamment en matière de périnatalité. Oui, il faut absolument prendre en charge à 100 % la consultation post-natale, même si cela ne résoudra pas tous les problèmes !
Je veux revenir aussi sur la première cause de handicap mental non génétique, le syndrome d'alcoolisation foetale, conséquence de la consommation d'alcool pendant la grossesse. On souligne, à juste titre, la gravité particulière de cette problématique outre-mer, à l'exception notable de La Réunion. Or c'est aussi le seul territoire français à disposer d'une équipe dédiée à ce sujet, ce qui montre l'efficacité des politiques de recherche et d'innovation.
Enfin, si une suite devait être donnée à ce rapport, le sujet de la santé environnementale mériterait d'être creusé. Vous avez rappelé le cas de cette petite fille décédée d'un cancer parce que sa maman, fleuriste, avait été exposée aux pesticides durant sa grossesse, mais de très nombreux cas d'exposition à des produits toxiques sont recensés par des travaux de recherche, par exemple l'exposition aux perturbateurs endocriniens des bébés en soins intensifs.
Mme Cathy Apourceau-Poly. - Nous étions les meilleurs élèves, nous voilà devenus les plus mauvais - ou presque ! Hier soir, en séance publique, sur toutes les travées, nous n'avons pas trouvé de mots assez durs pour décrire notre système de santé, qui manque de généralistes comme de spécialistes.
Dans son rapport de 2023, l'Académie de médecine envisageait le regroupement des maternités de type 1 et 2 effectuant moins de 1 000 accouchements par an. La mission du Sénat n'a pas retenu ce seuil, mais a demandé de tenir compte de l'éloignement géographique, du suivi et de la continuité des soins.
Si nous pouvons soutenir une réorganisation des soins à partir des bassins de naissances, selon une approche territoriale, nous ne soutiendrons en revanche aucune concentration des plateaux techniques. Nous devons sortir de la logique des « méga-maternités » pour offrir un accompagnement pré et post-natal individualisé.
Nous serons très vigilants à l'adoption d'une stratégie nationale de santé périnatale centrée sur les besoins, avec une attention particulière portée aux femmes vivant en milieu rural, qui peuvent être à une heure de route de la première maternité et dont certaines accouchent avant même d'être arrivées.
Mme Annie Le Houérou. - Nous partageons bon nombre des conclusions de ce rapport, sur les statistiques, le renforcement du Prado maternité, la revalorisation du rôle de la PMI et des métiers gravitant autour de la naissance.
Nous avons toutefois un désaccord majeur sur la restructuration de l'offre de maternités proposée, en dépit de l'approche territoriale suggérée. Il est impossible, selon nous, de dissocier l'accouchement et le suivi post-natal.
J'ai été surprise de constater que le suicide constituait la première cause de mortalité maternelle. Cela doit nous interroger. Je ne suis pas certaine que la recentralisation des accouchements sur des centres éloignés du domicile permette d'améliorer la santé mentale des jeunes mamans...
Nous avons évidemment un problème de démographie médicale, de formation des praticiens, d'attractivité des métiers, mais ce n'est pas une fatalité et nous devons tout faire pour conserver notre tissu actuel de maternités, y compris de niveau 1. De très nombreuses maternités ont déjà fermé ces dernières années ; il ne faut pas aller plus loin.
S'agissant des femmes ayant des problèmes de santé aigus, comme le diabète, le rapport n'insiste pas assez à nos yeux sur la prévention des risques environnementaux et sociaux. Nous pouvons intervenir sur ces déterminants de santé tout en assurant une prise en charge de proximité. Nous devons bien entendu la sécurité aux mamans et à leurs bébés, mais la sécurité à proximité de leur domicile. Nous ne pouvons accepter l'idée des hôtels de maternité.
Mme Véronique Guillotin, rapporteure. - Oui, il faut former plus de pédiatres. C'est une nécessité, tous les groupes politiques s'accordent sur ce point, mais nous avons choisi de ne pas consacrer de nouvelle étude approfondie sur la démographie médicale au sein du rapport, qui est un sujet qui dépasse la santé périnatale. Cependant, nous devons aussi être réalistes : les médecins, sages-femmes et infirmières ne veulent plus exercer comme avant ; ils ne feront plus trois gardes par semaine.
S'agissant des statistiques, le rapport consacre tout un chapitre à la question des données, à leur consolidation par bassin de naissances et à la nécessité de disposer d'un registre des naissances.
J'entends le confort d'une prise en charge de proximité, mais ce n'est pas une raison pour faire prendre des risques démesurés aux mamans et aux bébés. Une maternité accueillant au moins 600 naissances par an et disposant d'une équipe stable permettant de garantir la sécurité de l'accouchement ne doit par exemple a priori pas être remise en cause
Au cours de l'accouchement et pendant les quarante-huit heures qui suivent, les équipes doivent être particulièrement réactives, et nous ne pouvons laisser perdurer sans réagir le sur-risque qui a été identifié par rapport à nos voisins européens.
Il faut certes du courage politique pour opérer les transformations qui s'imposent, mais l'inaction, in fine, se traduit par des fermetures encore plus brutales, faute de professionnels. Le suivi pré et post-natal disparaît par la même occasion, alors qu'il faudrait au contraire le renforcer. C'est pourquoi, partout où le plateau d'accouchement ne peut plus se tenir avec des garanties suffisantes de sécurité, nous proposons de renforcer le suivi pré et post-natal de proximité, en y intégrant la stratégie des « 1 000 premiers jours ». Nous suggérons aussi de renforcer le transport sanitaire et les cellules de régulation afin d'acheminer la maman et le bébé dans les meilleures conditions vers les lieux de naissance.
M. Bernard Jomier. - Merci pour cet excellent rapport, qui décrit très bien l'évolution de l'offre de soins dans le domaine périnatal, marquée, en effet, par une forme de « lent pourrissement ». Au fil de l'eau, selon la disponibilité des soignants, certains établissements ferment alors qu'ils ne le devraient pas, et d'autres continuent leur activité alors qu'ils devraient fermer.
Vous avez raison, il ne faut pas raisonner en termes de seuils d'activité - au fond, on adapte les seuils pour qu'ils correspondent à la ressource disponible... Mieux vaut une démarche réfléchie sur les objectifs à atteindre et l'organisation des parcours de soins. Par ailleurs, la notion de gradation dans l'offre de soins est essentielle, pour des raisons de santé publique comme de répartition des moyens. Elle doit imprégner la détermination de l'offre en termes de parcours de santé périnatale.
Il faut renverser le paradigme, et cesser de construire les offres sans pilotage. Le court-termisme, conjugué à une vision totalement centralisée, est en train de tuer nos politiques de santé. Il faut penser à l'échelle des départements, en fonction des temps de transport, des ressources, etc. On peut avoir intérêt, par exemple, à implanter des centres périnataux de proximité et à réorganiser autrement le réseau de maternités, et la situation n'est pas la même dans un territoire sillonné par des autoroutes que dans un territoire de montagne.
Bien sûr, l'État doit être garant du respect d'un certain nombre de principes. Mais c'est au niveau des départements que les choses doivent se discuter, avec les acteurs de santé, avec les élus locaux, avec la conférence territoriale de santé. Certains réclameront une maison de naissance, d'autres accepteront une maternité plus éloignée...
Le rapport a le mérite d'ouvrir cette réflexion, et il y a longtemps que cela n'avait pas été fait avec sincérité. Reste à aller au bout. Nous allons débattre du PLFSS ; cette année, ce ne sera pas le rabot, ce sera la hache ! Mais nous allons faire comme d'habitude, alors qu'il faudrait renverser la façon de travailler ces questions...
Mme Anne Souyris. - Merci pour votre travail, essentiel. J'espère qu'il débouchera sur des textes législatifs, notamment sur la question du suicide, que vous soulevez avec clarté, en en soulignant le caractère urgent. La santé mentale de la mère, qui se retrouve souvent très seule après l'accouchement, est aussi un sujet majeur. Ce moment de solitude intense doit être pris en charge et j'imagine que le phénomène est encore plus fort dans les zones rurales, où les visites sont moins faciles.
Je souhaite insister sur la question des PMI et des dispositifs autour des 1 000 jours. Vous y faites référence dans le rapport, et c'est important. Mais, si vous évoquez le post-natal - tout comme, d'ailleurs, d'autres facteurs préalables de type diabète ou obésité de la mère qui accroissent le taux de mortalité -, vous parlez finalement peu de prévention. Comment faire, concrètement, sur les territoires, pour renforcer la prévention pour la mère et pour l'enfant ? Comment, aussi, améliorer l'éducation à la parentalité pour le père ? Les collectivités territoriales qui en ont les moyens prennent ces aspects en charge, mais d'autres, qui ont moins de moyens ou n'ont pas une tradition en la matière, ne le font pas. Toutes les familles devraient pouvoir avoir accès à la PMI avant la naissance de leur enfant.
J'insiste à mon tour sur la santé environnementale. Il faut agir pour permettre aux familles de bien manger. Certaines collectivités territoriales y travaillent, comme Strasbourg avec l'ordonnance verte. Cela évite un certain nombre de pathologies pour la mère et pour l'enfant.
Vous avez beaucoup travaillé sur le post-natal. Je me méfie du recours exclusif à de grosses structures, même si cela peut s'imposer pour des raisons de sécurité. D'ailleurs, les pays enregistrant les plus faibles taux de mortalité sont, non pas ceux qui comptent le plus de structures sécurisées de grande taille, mais ceux où des sages-femmes viennent à domicile et font un suivi très étroit sur l'ensemble de la maternité, sans avoir forcément besoin d'un plateau technique très avancé. Nous devons donc accroître le nombre de sages-femmes.
Mme Anne-Sophie Romagny. - Merci d'avoir mené cette mission d'information avec brio, sur un sujet délicat ; merci d'avoir inclus le dépistage néonatal dans ces travaux.
Au fond, pourquoi sommes-nous à la vingt-deuxième place aujourd'hui ? L'obésité des femmes enceintes ne suffit pas à expliquer ce classement, non plus que les accouchements plus tardifs, qui ne sont pas une spécificité française. Certes, la santé environnementale est importante. Pour ma part, je voudrais évoquer l'effet pervers de ce qui peut sembler une bonne mesure : si le recours à l'intérim est parfois la solution pour la stabilité des équipes, il peut aussi être la cause de problèmes.
Ainsi, des directions de centre hospitalier universitaire (CHU) se sont plaintes devant nous de devoir clore un contrat le vendredi avec une personne pour le signer à nouveau le lundi matin, et ce dans le seul but d'éviter une garde. Le travail intérimaire permet de choisir, mais avons-nous les moyens, aujourd'hui, de laisser le choix, vu le manque d'effectifs médicaux ? Dans le même temps, des sages-femmes nous expliquent qu'en vingt-cinq ans de métier, elles ont passé vingt-deux fois Noël à l'hôpital...
L'intérim peut donc être bénéfique, mais son effet pervers est la déstabilisation des équipes. Il faut regarder cela de plus près, car nous ne pouvons pas nous permettre que des intérimaires choisissent leurs vacances ou de ne pas travailler le week-end, au détriment des équipes permanentes, qui sont épuisées à force de compenser le manque d'effectifs le soir et le week-end.
M. Daniel Chasseing. - Merci pour ce travail très pertinent, vu le décrochage de la prise en charge périnatale en France. Vous dites que, pour conserver une maternité en toute sécurité, il faut plus de 1 000 accouchements par an ; dans les zones rurales profondes, il y en a parfois à peine 200. C'est le cas à Ussel, mais une synergie s'est développée avec l'hôpital de Tulle, où la maternité de niveau 3 prend en charge les accouchements à problèmes. Vous préconisez de transformer de telles maternités en structures d'accueil mère-nouveau-né, quarante-huit heures après l'accouchement. Comme Annie Le Houérou, je pense qu'il faut maintenir les maternités de niveau 1 là où un travail est fait en amont avec les maternités de niveau 3 du voisinage - notamment pour la réanimation néonatale -, surtout s'il y a des autoroutes.
Mme Marie-Do Aeschlimann. - Merci pour cet excellent travail. J'ai bien noté la dégradation des indicateurs outre-mer, qui est particulièrement préoccupante car la population y est vieillissante : si, en plus, la mortalité infantile et néonatale est jusqu'à deux fois supérieure à la métropole, nous avons du souci à nous faire ! Avez-vous des informations sur la situation dans les territoires français du Pacifique ?
J'apprécie particulièrement que vous ayez accordé une attention importante à la question de la santé mentale dans la période suivant l'accouchement, qui est déterminante. J'ai été stupéfaite d'apprendre que seul un père sur cinq connaît les symptômes de la dépression post-partum. On parle souvent du baby blues chez la maman, du post-partum chez la jeune mère, mais rarement de la difficulté à endosser le rôle de parent chez le père. On gagnerait beaucoup à accroître les moyens accordés à l'accompagnement du père et de la mère, car c'est ensemble que ceux-ci font face au nouveau statut de parent.
J'ai aussi apprécié que vous sollicitiez le renforcement des enseignements de pédiatrie chez l'ensemble des professionnels de santé. Nous pourrions également augmenter les moyens de détection des vulnérabilités chez la jeune mère et le jeune père auprès de tous les professionnels de santé, puisque ceux-ci sont en contact régulier avec ces jeunes parents.
Mme Nadia Sollogoub. - Merci pour ce rapport très intéressant, notamment par son ton et sa méthode, car il dessine une piste. Vous parlez d'oublier les seuils, vous donnez la parole aux femmes et aux parents, en les écoutant vraiment, et vous refusez l'alternative stérile entre la sécurité et la proximité. En écoutant les femmes, des tendances intéressantes se dessinent. En écoutant les élus, moins - à la limite, il ne faut pas les écouter, parce qu'ils veulent tous garder leur maternité ! Parmi les médecins, il me semble que les voix sont discordantes. D'ailleurs, le rapport de l'Académie de médecine était clivant. Me confirmez-vous que les médecins ne parlent pas tous d'une même voix ?
Mme Véronique Guillotin, rapporteure. - Le suivi doit prendre en compte la santé environnementale. Sous réserve d'études plus approfondies, on peut déjà affirmer que l'exposition aux pesticides ou aux perturbateurs endocriniens accroît le nombre de fausses couches et d'accouchements prématurés. Nous recommandons donc de proposer aux territoires, à titre expérimental, de regrouper dans les maternités sans accouchement la PMI, les services sociaux, la prévention... Tel est l'esprit de ce rapport : renforcer la proximité, le suivi et la prévention.
Oui, il faut veiller à ce que les intérimaires, qui peuvent renforcer une équipe, ne la déstabilisent pas. Oui, il faut regarder la situation pour chaque bassin de naissances, nous ne disons pas autre chose. Si les équipes sont stables, avec des intérims réguliers, c'est-à-dire des personnes qui connaissent les lieux et leurs collègues, il n'y a pas de raison de regrouper automatiquement les maternités. Partout où des synergies peuvent se concrétiser, il faut les développer : une maternité de niveau 3 peut sauver une maternité de niveau 1 en danger ! En revanche, il ne faut pas laisser pourrir des situations dans lesquelles les équipes ne sont pas stables, ce qui met les mères en danger ; dans de tels cas, il vaut mieux que celles-ci fassent 20 kilomètres supplémentaires.
Mme Annick Jacquemet, présidente de la mission d'information. - Dans l'Ouest, nous avons bien senti que cette organisation venait des médecins, et non de l'ARS qui aurait imposé telle ou telle mesure. Les équipes ont mis sept ans à organiser les choses à l'échelle du bassin de vie.
Il n'y a pas que les intérimaires qui ne veulent plus faire de gardes. Les médecins, souvent, sont sur la même ligne, surtout la plus jeune génération : ils nous ont tous dit qu'ils voulaient au plus une garde par semaine et un week-end par mois. D'où la difficulté d'avoir des équipes stables : il faut beaucoup plus de personnel et d'équipes soignantes pour assurer la permanence sur un mois, encore plus sur un an.
Mme Véronique Guillotin, rapporteure. - J'en viens à la dernière question : nous avons, au contraire, senti une unanimité parmi les médecins. Tous les professionnels de santé étaient d'accord pour constater qu'il fallait travailler différemment.
Mme Nadia Sollogoub. - Est-ce le point de vue des auteurs du rapport de l'Académie ?
Mme Véronique Guillotin, rapporteure. - Le rapport est plus nuancé que ce que l'on a pu en lire. L'Académie préconise des regroupements mais le seuil de 1 000 naissances évoqué est en réalité un scénario permettant de modéliser les conséquences sur la carte.
Mission d'information sur l'efficacité du contrôle des établissements d'accueil du jeune enfant et sur ses éventuelles défaillances - Désignation de rapporteurs
M. Philippe Mouiller, président. - La semaine dernière, à l'issue de l'audition de Victor Castanet, auteur du livre Les Ogres, nous avons décidé de lancer rapidement une mission d'information sur l'efficacité du contrôle des établissements d'accueil du jeune enfant et sur ses éventuelles défaillances - chaque mot de cet intitulé compte. Il s'agirait, factuellement, de faire le point sur les outils de ce contrôle et sur leur coordination au niveau national. Je vous propose que nos collègues Olivier Henno, rapporteur pour la branche famille, Laurence Muller-Bronn, qui nous représente au Haut Conseil de la famille, de l'enfance et de l'âge (HCFEA), et Émilienne Poumirol soient les rapporteurs de cette mission.
La commission désigne M. Olivier Henno, Mme Laurence Muller-Bronn et Mme Émilienne Poumirol rapporteurs de la mission d'information sur l'efficacité du contrôle des établissements d'accueil du jeune enfant et sur ses éventuelles défaillances.
La réunion est close à 11 h 40.