Mercredi 9 octobre 2024

- Présidence de M. Jean-François Longeot, président de la commission de l'aménagement du territoire et du développement durable, de Mme Dominique Estrosi Sassone, présidente de la commission des affaires économiques, et de M. Claude Raynal, président de la commission des finances -

La réunion est ouverte à 9 h 30.

Groupe de suivi des dispositions législatives et réglementaires relatives à la stratégie de réduction de l'artificialisation des sols - Examen du rapport d'information

Mme Dominique Estrosi Sassone, présidente de la commission des affaires économiques. - Mes chers collègues, les commissions des affaires économiques, de l'aménagement du territoire et du développement durable et des finances sont réunies aujourd'hui - et je remercie respectivement le président Longeot et le président Raynal de leur présence - pour examiner le rapport d'information établi par notre collègue Jean-Baptiste Blanc, avec Guislain Cambier, sur le suivi de la mise en oeuvre des objectifs de réduction du rythme de l'artificialisation des sols fixés dans la loi du 22 août 2021 portant lutte contre le dérèglement climatique et renforcement de la résilience face à ses effets, dite loi « Climat et résilience ».

Ce rapport est issu des travaux du groupe de suivi des dispositions législatives et réglementaires relatives à la stratégie de réduction de l'artificialisation des sols, créé en février dernier. Ce groupe de suivi, commun à nos trois commissions, est présidé par Guislain Cambier ; son rapporteur est Jean-Baptiste Blanc.

Je remercie nos deux collègues d'avoir pris à bras-le-corps ce sujet hautement inflammable. Nous n'avons de cesse de l'évoquer au sein de notre commission : que l'on aborde la crise du logement ou les freins à la réindustrialisation, la pénurie de foncier est toujours citée parmi les facteurs bloquants - même si, je dois le dire, le « ZAN » (« zéro artificialisation nette ») a parfois bon dos.

La mise en oeuvre rigide des objectifs de réduction de l'artificialisation des sols fixés par la loi « Climat et résilience » a aggravé cette situation ; les souplesses introduites, sur l'initiative du Sénat, par la loi du 20 juillet 2023, n'ont pas réglé tous les problèmes. Aussi, l'acronyme « ZAN » est aujourd'hui devenu un repoussoir pour bon nombre d'élus locaux, mais également pour les acteurs de l'aménagement et de la construction et, plus largement, pour les acteurs du monde économique. Tel est le constat dressé dans ce rapport.

De surcroît, le rapport présente un bilan raisonné des difficultés et blocages que posent le cadre législatif et réglementaire en vigueur et son application par les services de l'État.

Il liste également, sans tabou, les pistes d'évolution pour redessiner la route vers une sobriété foncière soutenable pour tous ; certaines sont techniques, d'autres sont plus structurantes. Je laisserai au président Guislain Cambier et au rapporteur Jean-Baptiste Blanc le soin de vous les présenter.

Nous avons tous accueilli avec soulagement la volonté du Premier ministre Michel Barnier, exprimée dans sa déclaration de politique générale, d'assouplir le « ZAN » - un peu de bon sens, enfin ! Il est certain que la vigilance constante du Sénat, qui n'a cessé de tirer la sonnette d'alarme, n'y est pas pour rien. Nous espérons pouvoir entamer maintenant une phase de dialogue réellement constructif avec le Gouvernement, auquel, je n'en doute pas le groupe de suivi aura toute sa part, dans la lignée de ce rapport.

M. Jean-François Longeot, président de la commission de l'aménagement du territoire et du développement durable. - À l'été 2021, l'ambitieux édifice législatif de la loi « Climat et résilience » a fait entrer la sobriété foncière dans une nouvelle dimension. Le législateur a posé les jalons d'une trajectoire inédite de réduction du rythme de l'artificialisation des sols, en deux temps : d'abord, un effort de réduction de moitié des consommations des espaces naturels, agricoles et forestiers (Enaf) à l'échelle nationale pour la première décennie ; ensuite, l'absence d'artificialisation nette d'ici à 2050, à un rythme et selon des modalités que le législateur aura à définir ultérieurement.

Depuis lors, le compteur a commencé à tourner et les élus locaux ont essuyé les plâtres du « ZAN », bien que l'objectif de sobriété foncière soit unanimement partagé. Les collectivités ont dû se mettre en ordre de marche pour appliquer une stratégie arithmétique, aveugle aux spécificités et aux dynamiques territoriales, aux efforts passés et à la qualité des sols. L'État ne s'est donné ni la peine ni les moyens d'en faire un laboratoire d'expérimentation de la transition écologique. Au reste, comment pouvait-on espérer que cette stratégie, mal expliquée, soit bien comprise ? Sans outils juridiques et fiscaux spécifiques, la gestion économe de l'espace « façon ZAN », si je puis dire, pénalise les finances locales et porte en elle le germe d'un aménagement du territoire déséquilibré et en décalage avec les besoins des territoires.

Le Sénat a tenté d'apporter de la souplesse et des correctifs au travers de la loi du 20 juillet 2023, dont il est à l'initiative, sans pour autant parvenir à apaiser toutes les craintes et à tracer un chemin partagé vers la sobriété foncière. En raison des incertitudes et des incompréhensions qu'il suscite, le « ZAN » est devenu le nouveau symbole du centralisme et des politiques décidées à Paris, sans écouter les territoires qui doivent les mettre en oeuvre.

Dans ce contexte plus que délicat, le groupe de suivi a échangé avec les acteurs qui « font le ZAN », pour recenser les difficultés persistantes, identifier les besoins et les attentes des élus locaux et cartographier les blocages normatifs. Les évolutions qu'ils vous présenteront ont été élaborées sans tabou ni volonté de faire table rase ; elles sont inspirées, je le sais, de la volonté d'engager les acteurs sur la voie étroite qui permettra de réussir le « ZAN ».

Je tiens à les féliciter, car la tâche est loin d'être aisée. Nous sommes en effet à un moment charnière : alors que les défis écologiques sont de plus en plus prégnants, la tentation de défaire les normes environnementales n'a jamais été aussi forte. Mme la présidente Estrosi Sassone l'a rappelé, le Premier ministre s'est dit prêt, lors de sa déclaration de politique générale, à « faire évoluer de manière pragmatique et différenciée la réglementation ZAN » : pour y parvenir, il trouvera au Sénat une boîte à idées, des bonnes volontés et surtout des solutions construites avec les territoires !

M. Claude Raynal, président de la commission des finances. - Notre commission des finances suit la question de l'objectif de zéro artificialisation nette depuis plusieurs années, au travers de l'engagement de notre rapporteur spécial des crédits relatifs au logement et à l'urbanisme, Jean-Baptiste Blanc.

Comme tous les parlementaires, dans nos territoires, nous sommes interrogés sur le « ZAN ». Le sujet revient régulièrement dans nos débats ; pourtant, le Gouvernement n'a, jusqu'à présent, rien proposé de concret dans les projets de loi de finances successifs en matière de financement de la réduction de l'artificialisation.

C'est pourquoi nous avons demandé, dès 2022, au Conseil des prélèvements obligatoires (CPO) de réaliser une enquête sur la fiscalité locale dans la perspective du « ZAN », à la suite d'un premier rapport de notre collègue Jean-Baptiste Blanc relatif aux outils financiers mobilisables pour atteindre cet objectif. Le rapport du CPO a notamment recommandé d'étendre les conditions d'application de la taxe sur les logements vacants, ce qui a été fait dans la loi de finances pour 2023.

Ce travail se poursuit cette année au travers de la mission d'information relative au financement du « zéro artificialisation nette », pilotée par Jean-Baptiste Blanc et Hervé Maurey.

Les travaux de nos différentes commissions doivent bien sûr être coordonnés, c'est pourquoi il est important que soient présentées aujourd'hui les conclusions du groupe de suivi réunissant nos trois commissions, qui précèdent nécessairement celles qui sont relatives au financement du « ZAN ».

C'est toutefois un travail au long cours, voire, si j'ose dire, une démarche itérative : le Premier ministre a annoncé un assouplissement du « ZAN » dans sa déclaration de politique générale, mais dans le même temps la situation financière de la France est particulièrement dégradée, si bien que le nouveau gouvernement prévoit d'exercer une pression forte sur les dépenses de l'État et sur celles des collectivités territoriales.

Nous en saurons plus demain soir avec la publication du projet de loi de finances, mais je ne vous cache pas que l'équation économique du « ZAN » risque d'être difficile à établir. Aussi est-il probable que nous devions, plusieurs fois encore, sur le métier, remettre l'ouvrage...

M. Guislain Cambier, président du groupe de suivi des dispositions législatives et réglementaires relatives à la stratégie de réduction de l'artificialisation des sols. - Sans revenir sur sa genèse, je rappelle, à la suite de Mme la présidente Estrosi Sassone, que le Sénat a décidé, au début de l'année 2024, d'instituer un groupe de suivi des dispositions législatives et réglementaires relatives à la stratégie de réduction de l'artificialisation des sols, sous l'égide de la commission des affaires économiques, de celle de l'aménagement du territoire et du développement durable et de celle des finances. C'est un honneur d'en être le président et de travailler aux côtés de son rapporteur Jean-Baptiste Blanc, dont je salue la constante implication sur ce sujet.

Lorsque ce groupe de suivi a commencé ses travaux en février 2024, le cadre législatif et réglementaire nous semblait stabilisé, surtout après l'adoption de la loi d'initiative sénatoriale du 20 juillet 2023 ; nous pensions qu'il nous faudrait surtout veiller à sa bonne compréhension par les collectivités et à sa mise en application pragmatique et bienveillante par les services déconcentrés de l'État.

Cependant, le rapport que nous vous présentons aujourd'hui dément cette intuition de départ et constate, au contraire, la persistance de blocages qui ne sont pas solubles dans le droit en vigueur. Au fur et à mesure que les territoires modifient les documents de planification et d'urbanisme et entament les concertations pour répartir les enveloppes foncières, la complexité de la démarche révèle de nouvelles difficultés et met au jour des particularités ou des spécificités locales qui se heurtent à une stratégie rigide, comptable et, il faut bien le dire, désespérante pour les territoires.

En effet, malgré les adaptations et assouplissements permis par la loi du 20 juillet 2023, dite « ZAN 2 », nous constatons tous, dans nos territoires, que persistent les difficultés liées à la mise en oeuvre des objectifs de réduction de l'artificialisation fixés par la loi « Climat et résilience ». La territorialisation des enveloppes foncières s'avère dans la pratique très délicate à mettre en oeuvre : tous les territoires ne font pas face aux mêmes dynamiques démographiques et économiques et n'ont pas les mêmes préférences et priorités de développement local. La logique arithmétique et descendante qui a présidé à la fixation des enveloppes menace de gripper les perspectives de certains territoires, notamment ruraux. L'inquiétude continue de sourdre chez les élus locaux, dont certains découvrent avec effarement les réelles et nombreuses implications du « ZAN » dans leur territoire.

Pour élaborer ce rapport, nous avons entendu plus de soixante-dix acteurs du « ZAN » : élus locaux, représentants de l'État et de ses opérateurs, mais aussi acteurs économiques et associatifs, urbanistes, universitaires, etc. Nous avons aussi mené, le rapporteur et moi-même, de nombreux entretiens dans un format resserré, notamment à l'occasion de nos déplacements sur le terrain. Nous avons reçu de nombreuses contributions écrites ; nous avons également adressé un questionnaire aux associations d'élus, qui l'ont relayé auprès de leurs adhérents ; nous avons enfin pu tirer profit des réponses de plus de 1 400 élus locaux à la consultation en ligne organisée sur le site du Sénat.

Au moment de ce premier point d'étape, je voudrais remercier les membres du groupe de suivi de leur esprit constructif et de leur volonté, au-delà des logiques partisanes, d'apporter des solutions pragmatiques et de l'espoir à nos élus et à nos concitoyens. Je tiens bien sûr à adresser mes remerciements aux trois présidents de commission, qui ont pris le temps d'échanger avec nous sur le sujet : leur constante vigilance nous est précieuse, car elle conforte la légitimité de nos travaux.

Je ne m'appesantirai pas sur les constats, nous les connaissons tous : nous avons veillé à les objectiver dans notre rapport sous la forme d'une « cartographie des récifs, des écueils et des bancs de sable ». Je rappellerai simplement que, depuis le début, le ver est dans le fruit : les objectifs de réduction de l'artificialisation des sols de la loi « Climat et résilience » ont été fixés de façon arithmétique et statique, sans aucune prise en compte des réalités territoriales et des dynamiques locales. D'une part, le rythme de réduction de moitié en une décennie a été fixé au doigt mouillé, sans véritable étude d'impact, ce qui est d'autant plus grave qu'aucune autre stratégie nationale à mettre en oeuvre par les territoires n'a jamais défini un effort aussi significatif en un laps de temps aussi court. D'autre part, déterminer une enveloppe globale d'artificialisation uniquement par référence aux dynamiques passées ne permet pas de répondre aux besoins objectifs de foncier induits par des changements de circonstances et de nouveaux besoins, comme le développement des infrastructures nécessaires à la transition écologique ou la réindustrialisation.

Cette démarche fait également fi du volontarisme d'élus qui, même si leur territoire était, hier, peu dynamique, se démènent pour implanter une usine ou attirer de nouveaux habitants ; dit autrement, le « ZAN » prolonge pour l'avenir les trajectoires du passé, dans une logique résolument fataliste. Les collectivités vertueuses sont pénalisées et leurs perspectives de développement sont à présent bloquées - c'est un malus pour celles qui ont « fait le ZAN » avant l'heure ; nous ne pouvons pas nous y résoudre !

Pendant ce temps, l'État a choisi la facilité : il a troqué son rôle de stratège et d'aménageur - véritable abdication - contre un rôle de comptable et de courtier. Quand nous voulons parler projets de territoires à toutes les échelles, le ministre et les préfets, eux, sortent leurs calculatrices et leurs tableurs Excel et nous répondent en pourcentages. Comment s'étonner, dès lors, de l'incompréhension et des appréhensions des élus ? Du reste, nos concitoyens commencent également à se rendre compte des implications très concrètes du « ZAN » sur le prix des logements, sur l'attractivité et l'activité économiques, sur leur cadre de vie... Et ce sont les territoires de la France dite périphérique, ceux qui ont déjà - et encore récemment - manifesté le plus leur défiance à l'égard de l'action politique - lors de la crise des gilets jaunes, mais aussi dans les urnes -, qui seront les plus affectés ! Si nous voulons éviter que le « ZAN » ne devienne le ferment de nouvelles contestations, il est de notre devoir d'entendre et de prendre au sérieux ces mécontentements pour y apporter des remèdes... Il nous faut rendre possible cet objectif !

M. Jean-Baptiste Blanc, rapporteur. - Face aux constats étayés qui viennent d'être présentés et qui synthétisent fidèlement les auditions et les échanges que nous avons menés, nous proposons une action en deux temps.

En ce qui concerne la période avant 2031 d'abord, pour laquelle un objectif est inscrit dans la loi, le « - 50 % », nous avons identifié trois leviers d'intervention.

Le premier consiste à mettre la pression sur l'État pour une application non pas homogène, mais cohérente de la réforme dans les territoires, avec des instructions claires fixées aux services déconcentrés afin que l'on ne dise pas une chose à l'un et son contraire à l'autre, et que toutes les collectivités soient traitées avec équité. Nous demandons, en particulier, que les instructions pour davantage de souplesse qui ont été données par l'ancien ministre Béchu dans la circulaire du 31 janvier 2024 soient systématiquement appliquées, avec la marge des 20 % de dépassement autorisé, sans nécessiter de justification spécifique lors du contrôle de légalité des nouveaux documents d'urbanisme. Cela n'appelle pas de modification législative.

Le deuxième levier, ayant vocation à être actionné pendant cette première période et également pour la suite, est celui du coût de la sobriété foncière et de l'instauration de mécanismes d'incitation à la réduction de l'artificialisation. La mission d'information de la commission des finances, dont Hervé Maurey et moi-même sommes les rapporteurs, rendra ses conclusions prochainement.

Le troisième levier consiste à prévoir des modifications ciblées de la réglementation afin de donner de l'air aux collectivités et leur permettre de gérer les injonctions contradictoires auxquelles elles sont soumises.

Sur ce point, le projet de loi de simplification de la vie économique va finalement poursuivre son chemin législatif. L'amendement exemptant l'industrie du décompte du « ZAN », que nous avions fait adopter en juin, pourrait donc - je l'espère - prospérer : c'est essentiel, car réindustrialiser sans foncier est une équation impossible à résoudre.

L'avenir de la loi logement est plus incertain ; il nous faudra trouver un moyen de réintroduire l'exception « ZAN » pour les communes en déficit de logement social. Face à l'urgence de la crise du logement, il faudra d'ailleurs sans doute réfléchir à des assouplissements plus globaux. Le Gouvernement semble disposé à avancer sur le sujet, ce dont je me réjouis : nous participerons naturellement à la réflexion commune.

En ce qui concerne le long terme maintenant, pour la période après 2031, nous avons deux niveaux de réflexion.

Le premier est d'ordre technique : il s'agit, sans toucher à l'objectif final, de faciliter l'application de la stratégie de réduction de l'artificialisation à moyen terme. Pour cela, nous avons là aussi identifié trois leviers.

Il s'agit, d'abord, des outils d'aménagement et d'ingénierie en faveur de la sobriété foncière, qui devront être encore amplifiés et renforcés à mesure que le « ZAN » montera en puissance.

Il s'agit, ensuite, de l'introduction de nouveaux critères obligatoires de territorialisation, comme les différentiels de densité, les dynamiques de peuplement et d'activité, mais aussi, comme l'a proposé notre collègue Jean-Claude Anglars, la protection du bâti au titre du code du patrimoine, qui limite fortement la possibilité de recourir à la renaturation du fait des restrictions aux démolitions.

Plus structurellement, nous voulons passer d'une démarche descendante à une logique ascendante : pour mieux prendre en compte l'ensemble de ces critères de territorialisation, il faudra inverser la logique d'attribution des enveloppes foncières, cesser de vouloir faire rentrer les projets des territoires dans une enveloppe déterminée a priori mais, au contraire, partir des besoins des territoires - lesquels devront bien sûr être étayés et justifiés. Pour réussir le « ZAN », nous devons accomplir cette révolution copernicienne.

Il s'agit, enfin, d'une réforme d'aspect technique, mais dont la portée va bien au-delà : nous proposons de conserver, au-delà de 2031, la comptabilisation de l'artificialisation en consommation d'Enaf, un mode de comptabilité avec lequel les élus sont familiers et qui permet, en outre, de ne pas inclure l'artificialisation induite par les bâtiments agricoles actuels et futurs, ce qui serait en cohérence avec les objectifs de protection des activités agricoles et de souveraineté alimentaire. Dans ce cadre, nous devrons bien sûr réfléchir à des garde-fous pour ne pas voir nos campagnes bétonnées par des mégafermes industrielles.

Notre deuxième niveau de réflexion est sans doute plus disruptif. Jusque-là, le Sénat s'est efforcé d'assouplir le « ZAN » en restant dans le cadre posé par la loi « Climat et résilience ». Nous pensons qu'il faut se demander, sans tabou, si nous avons légiféré, comme le préconisait Portalis, avec « sagesse, justice et raison », si ces mesures, pour utiles qu'elles aient été, n'ont pas été élaborées dans un moment où le législateur s'est « livré à des idées absolues de perfection » et si le cadre élaboré à l'été 2021 n'est pas en train de muer en carcan.

Puisque je viens de convoquer Portalis, je médite sur une maxime qu'il a rédigée : « Les lois sont faites pour les hommes, et non les hommes pour les lois ; elles doivent être adaptées au caractère, aux habitudes, à la situation du peuple pour lequel elles sont faites. [...] S'il est possible, dans une institution nouvelle, de calculer les avantages que la théorie nous offre, il ne l'est pas de connaître tous les inconvénients que la pratique seule peut découvrir. » On croirait ces préceptes inspirés par une critique raisonnée du « ZAN », plus de deux siècles avant sa mise en oeuvre...

Nous avions déjà envisagé, dans la loi « ZAN 2 », de nous extraire - de manière ponctuelle - du cadre rigoureux de la loi « Climat et résilience », en sortant complètement les grands projets de l'enveloppe nationale, mais la mutualisation entre régions avait été le prix à payer pour une commission mixte paritaire conclusive. Les concessions étant le lot des régimes bicaméraux, nous nous sommes rangés à cette solution...

À l'usage, les régions nous disent que ce n'est pas satisfaisant ; cela nourrit un sentiment d'injustice. En outre, cela ne vaut, pour l'instant, que jusqu'en 2031. Or ces grands projets ont besoin de visibilité à plus long terme. Ne faudrait-il pas réinterroger l'idée d'une exclusion totale et définitive de ces projets, en particulier les projets d'envergure nationale ou européenne (PENE), du décompte « ZAN » ? Est-il souhaitable de continuer avec un État ne disposant pas de compte foncier et dont les projets sont portés par les enveloppes des territoires ? Question rhétorique, mais lourde de sens...

Plus largement, faut-il sortir de l'enveloppe certains projets ou conserver le cap et la trajectoire de la sobriété foncière, mais en ne fixant plus ces enveloppes limitatives qui font le désespoir de certains élus locaux, ce qui constituerait un fort témoignage de confiance aux territoires pour déterminer les projets qui justifient vraiment d'artificialiser ? Nous n'avons pas la réponse, mais la question mérite d'être posée.

M. Jean-François Husson, rapporteur général. - Le nombre de sénatrices et de sénateurs présents ce matin montre clairement le niveau de préoccupation que ce sujet provoque dans les territoires et chez les élus. Nous ne pouvons que rappeler notre incompréhension devant l'absence de réelle étude d'impact au moment de la présentation du projet de loi « Climat et résilience » : il est essentiel que les choix du législateur soient éclairés par toute l'information dont dispose l'État. D'autres missions et études sont en cours pour compléter le rapport qui vient de nous être présenté ; c'est essentiel tant ce sujet est complexe et ses implications multiples. En fait, aujourd'hui, personne ne s'y retrouve !

M. Christian Redon-Sarrazy. - Ce rapport rejoint le constat que le Sénat fait depuis plusieurs mois : le « ZAN » a été défini comme un objectif arithmétique qui ne prend pas en compte les contextes territoriaux. Nous avons essayé d'assouplir le dispositif avec la loi « ZAN 2 », mais d'autres textes, plus sectoriels - industrie verte, logement... -, ont percuté nos propositions.

Il n'y a aucun dialogue entre l'État et les collectivités : les élus locaux se plaignent d'un État qui n'utilise que sa calculatrice et ne fournit pas un accompagnement suffisant.

Nous ne souhaitons pas remettre en cause l'objectif de lutte contre l'artificialisation, mais il nous faut proposer des avancées, y compris en termes de fiscalité. La mise en oeuvre de cet objectif doit se faire avec les habitants et les élus, et en cohérence avec les priorités du pays : la réindustrialisation, le logement, la souveraineté agricole... Nous devons avoir en tête la santé des sols, mais nous ne devons pas accentuer les fractures territoriales ou sociales.

Ce rapport doit nous permettre d'ouvrir un dialogue, ce qui est nécessaire. C'est un sujet au long cours pour lequel nous avons besoin d'ingénierie et d'un accompagnement des territoires.

M. Ronan Dantec. - Nous avons finalement deux rapports pour le prix d'un ! Notre mission, au sein du groupe de suivi, était de prendre en compte les réelles difficultés d'application du « ZAN », même après la loi « ZAN 2 », pour mettre cette mesure au service de l'aménagement et du rééquilibrage du territoire et de l'agriculture - la première victime de la consommation de foncier.

Certaines propositions du rapport sont intéressantes, par exemple celle relative à la comptabilisation en Enaf, pour simplifier l'application - je porte cette proposition depuis le début -, mais on sent une sorte de « chapeau général » de remise en cause de l'objectif...

Or le « ZAN » est un progrès très important pour préserver l'agriculture. On ne peut pas parler de souveraineté alimentaire et en même temps supprimer des hectares de terre agricole - plus de 20 000 hectares de surface agricole utilisée (SAU) ont été supprimés par an entre 2015 et 2022 et cela ne diminue pas. Nous avons donc besoin du « ZAN » et du plafond du - 50 % à l'horizon 2031. Remettre en cause le « ZAN » revient à mettre en cause notre agriculture.

La semaine dernière, Nantes Métropole a délibéré en faveur de 30 hectares d'urbanisation supplémentaire pour une zone artisanale, contre l'avis de la commission départementale de la préservation des espaces naturels, agricoles et forestiers (CDPENAF) et du monde agricole. Supprimer le « ZAN » constituerait en réalité un cadeau fait aux métropoles qui continueront de grignoter les zones maraîchères ou les grandes zones céréalières du bassin parisien. Il y a là une contradiction majeure !

Ma question est donc simple : est-ce que vous entendez garder le plafond de 125 000 hectares en 2031, quitte à être beaucoup plus volontaristes en matière d'aménagement du territoire, pour que ces hectares bénéficient d'abord aux villes moyennes désindustrialisées et au monde rural ?

M. Claude Raynal, président de la commission des finances. - Le débat est vif !

Mme Nathalie Goulet. - La question de l'insuffisance de l'étude d'impact me fait m'interroger sur la raison pour laquelle nous avons été si peu nombreux à ne pas voter ce texte ! Finalement, on veut aujourd'hui mettre une rustine sur un mauvais texte ; on pourrait aussi imaginer une refonte complète de l'objectif et de la méthode.

Il y a des incohérences profondes, de principe, pour le monde rural : sans logements ni habitants, il ne peut pas y avoir de ruralité ! Il y a aussi des incohérences concrètes : je pense, par exemple, au fait que les méthaniseurs ne sont pas comptabilisés dans le « ZAN » alors que d'autres infrastructures le sont. Nous devons apporter davantage de cohérence, car ce sont toutes ces incompréhensions qui provoquent un rejet viscéral de cette stratégie dans les territoires les plus ruraux.

M. Guislain Cambier, président du groupe de suivi. - Ce que nous vous avons présenté est un rapport d'information, pas une proposition de loi, monsieur Dantec. Le rapport dit clairement - et je le répéterai autant de fois qu'il faudra - que l'ensemble des remontées de terrain montre que l'objectif instauré par le « ZAN » est partagé et a été intégré par les élus et acteurs locaux, qui ne remettent pas en cause l'objectif, mais la méthode et le rythme de mise en oeuvre, voire l'acronyme lui-même qui fait maintenant office de repoussoir... Mais il faut en garder l'esprit !

Pour paraphraser Marc Aurèle, on est souvent injuste par omission : c'est ce qui se passe pour les méthaniseurs. Cela montre que nous manquons de définitions.

Il faudra donc bien faire évoluer le texte de la loi « Climat et résilience » - sans tout réécrire, car cette loi a produit des effets positifs, les élus locaux ont déjà changé leur manière d'aménager le territoire et diminué leur consommation foncière - pour être plus précis, afin d'en permettre une application plus réaliste, avec les territoires.

M. Jean-Baptiste Blanc, rapporteur. - Nos travaux ont permis d'identifier deux défauts majeurs du « ZAN » : il n'est pas territorialisé ; il n'est pas financé. Une lettre - sidérante ! - du précédent ministre de l'économie et des finances montre bien que l'État n'a pas intégré ce problème du coût du « ZAN ».

Nous avons tout fait pour rendre la territorialisation effective - avec la garantie rurale, les « PENE », la prise en compte des spécificités des territoires de montagne et littoraux, une nouvelle gouvernance, mis en place par la loi « ZAN 2 » - mais le fait est que cela ne marche pas, parce que c'est imposé à marche forcée, de manière arithmétique et descendante.

Nous nous interrogeons effectivement, monsieur Dantec, sur le - 50 %, mais nous ne proposons pas de l'abroger en l'état de nos réflexions. Les élus locaux ont intégré depuis longtemps la nécessité de sobriété, mais ils ne supportent plus le caractère descendant des politiques publiques, en particulier celle-là. Il faut adapter la règle au contexte territorial. Il nous faut concilier la sobriété foncière et les priorités des politiques publiques - le logement, la réindustrialisation, etc. Pour cela, nous devons faire sauter ces verrous intelligemment.

Nous n'en pouvons plus de ces trois lettres - « ZAN » - et de la manière dont les choses se mettent en place. Nous avons besoin d'outils et de financement pour accompagner les élus pour mieux aménager, densifier, construire la ville sur la ville, requalifier les friches, renaturer, protéger les terres agricoles. Je rappelle que le groupe de suivi a reçu 1 400 réponses dans le cadre de la consultation en ligne qu'il a initiée et elles vont très largement dans ce sens : une inquiétude des élus qui partagent l'objectif mais se le voient imposer par l'État sans l'accompagnement ni l'ingénierie adéquats.

Heureusement que la commission des finances a pris l'initiative de travailler sur le coût de la sobriété foncière !

M. Philippe Grosvalet. - Ne jetons pas le bébé avec l'eau du bain ! L'idée de sobriété foncière est aujourd'hui entendue... Mais elle est assez relative.

J'ai convaincu les maires de mon territoire de tendre vers l'objectif zéro artificialisation bien avant la loi « Climat et résilience », car le foncier disponible, dans mon territoire, en Loire-Atlantique, n'est pas infini, comme dans les autres territoires soumis à forte pression démographique.

Je soutiens donc, à terme, l'objectif « zéro », mais j'estime que le chemin pour y parvenir est compliqué et doit être différencié. Or le principe de subsidiarité n'a pas vraiment cours dans notre pays...

Si l'on est d'accord sur un objectif, reste à en définir la temporalité et la manière de le mutualiser dans un même territoire.

En Loire-Atlantique, par exemple, nous avons une métropole, un littoral, une sensibilité environnementale extrême, une agriculture dynamique et 17 000 habitants supplémentaires à loger chaque année.

En conséquence, quelle est l'échelle la plus pertinente pour appréhender le « ZAN », en tenant compte du principe de subsidiarité ? La loi actuelle n'est pas satisfaisante à cet égard. Il nous reste encore à définir l'espace géographique et politique le plus adapté pour atteindre cet objectif partagé, du territoire le plus petit - la commune - au plus grand.

M. Hervé Gillé. - Sur ce sujet complexe, il y a un risque d'instrumentalisation politique et de dérive populiste. Soyons responsables, mes chers collègues.

À mon sens, l'essentiel du sujet repose sur la différenciation territoriale, tous les territoires étant différents. C'est particulièrement vrai pour les outre-mer.

Par ailleurs, où devons-nous placer les arbitrages ? On ne peut s'arrêter à l'échelon communal. C'est a minima le niveau intercommunal qui doit être retenu, voire des schémas de cohérence territoriale (Scot), qui couvrent 60 % du territoire. Cela permettrait un dialogue et des arbitrages collectifs. Il faut de surcroît une bonne articulation aux niveaux départemental et régional, qui doit trouver sa traduction dans les schémas régionaux d'aménagement, de développement durable et d'égalité des territoires (Sraddet), selon le principe de subsidiarité : c'est bien en partant des territoires qu'il faut appréhender la mise en oeuvre du « ZAN », dont l'objectif est réaffirmé aujourd'hui. Or je ne trouve pas vraiment cela dans les conclusions du groupe de suivi.

Nous sommes néanmoins favorables à ce stade à vos conclusions, tout en réservant notre position sur le texte à venir.

M. Michel Canévet. - À mon sens, l'objectif du « ZAN » est contre-productif pour le développement et l'aménagement du territoire. Ne vaudrait-il pas mieux parler de réduction de l'artificialisation nette, le « RAN » ?

M. Guislain Cambier, président du groupe de suivi. - Ce travail se traduira par des propositions législatives concrètes. Nous avons déjà pu faire avancer nos idées par amendements sur des textes concernant la simplification de la vie économique, le logement ou l'agriculture.

Parmi ces propositions, il y a des choses qui feront sans doute consensus sur la manière de comptabiliser ou d'établir des modalités de contractualisation avec les territoires. Mais il faudra préciser certains points. Qui met-on autour de la table ? Comment contrôle-t-on les efforts faits ? Chacune des strates de notre République doit être responsabilisée, y compris l'État.

Concernant le rythme, la borne de 2031 suscite beaucoup d'interrogations. En effet, les Sraddet vont être adoptés fin 2024 pour être déclinés ensuite dans tous les documents d'urbanisme en cascade. Vu les délais qui sont nécessaires, environ quatre ans, ils seront assez rapidement obsolètes, nonobstant les dynamiques qui auront pu se manifester. Aussi, nous allons rapidement mettre sur la table d'autres façons de comptabiliser et une proposition de rythme plus adapté.

Par ailleurs, dans la loi « Climat et résilience », nous avons mis en avant la biodiversité et la santé des sols, mais tous les sols ne se valent pas au regard de leurs potentiels agronomiques ou de leurs fonctionnalités écologiques. Or les textes actuels n'en tiennent pas compte.

Enfin, comment l'État accompagne-t-il les territoires pour reconquérir les friches ?

Vous le voyez, cette réglementation « ZAN » est beaucoup plus transversale qu'il n'y paraît. Il n'est pas question de refaire une nouvelle loi, mais nous devons nous attacher à éviter l'effet « tuyaux d'orgue ».

M. Jean-Baptiste Blanc, rapporteur. - Même notre collègue Dantec le dit, il faut revenir à la notion d'Enaf, qui me paraît moins complexe que l'artificialisation, mieux acceptée et comprise par les élus locaux. Cela permettrait de surcroît de lever les incertitudes concernant les bâtiments agricoles.

La définition de l'artificialisation est beaucoup trop idéologique. Ainsi, dans le décret « nomenclature », il est spécifié que les jardins des pavillons sont considérés comme artificialisés, pour inciter les élus à faire de la subdivision parcellaire.

Revenir aux Enaf nous permettrait peut-être d'avoir une approche plus ascendante pour réussir à relever le défi de la sobriété avec la pleine collaboration des élus locaux.

Il y a selon moi trois sujets sur la table : les bâtiments agricoles ; les « PENE » ; les énergies renouvelables, notamment avec le problème des méthaniseurs, mais pas seulement.

M. Jean-Marc Boyer. - Après avoir participé aux travaux du groupe de suivi et vous avoir entendu, j'ai envie de dire : tout ça pour ça !

Les élus locaux sont favorables à la sobriété foncière - ils l'appliquent d'ailleurs déjà -, mais ils ne veulent pas du « ZAN » tel qu'il leur est proposé. Pour moi, le « ZAN » est mort !

Or les services de l'État mettent aujourd'hui beaucoup de pression sur les élus locaux et font le « ZAN » par anticipation. Au lieu d'accompagner les collectivités dans leurs projets d'urbanisme, ils les contraignent en s'appuyant sur des avis de cabinets d'études qui se contentent de faire du copier-coller d'un territoire à l'autre.

Il y a urgence, car les communes et les intercommunalités préparent actuellement leurs documents d'urbanisme et les services de l'État font comme si la loi « ZAN » était pleinement appliquée. Je pense que mes collègues font la même expérience dans leur département. Si l'on temporise trop pour adopter des mesures, le rouleau compresseur des services de l'État va continuer son oeuvre et nous arriverons après la bataille.

Au nom de la libre administration des collectivités locales, ne faut-il pas que nous envoyions dès aujourd'hui un signal pour dire que le « ZAN » est suspendu dans l'attente d'un nouveau texte ? Le Sénat ne peut-il pas envoyer une motion aux ministres concernés pour qu'ils enjoignent aux préfets de surseoir à l'application de la loi ?

M. Sébastien Fagnen. - À l'issue des six mois de travaux du groupe de suivi sur la mise en oeuvre du « ZAN », le constat est clair : de grandes difficultés se font jour sur tous nos territoires. Comme le président du groupe de suivi l'a rappelé, on n'aménage pas le territoire avec un tableau Excel. La prise en compte de la géographie fait ainsi cruellement défaut. C'est là le péché originel de la loi.

Il s'agit non pas de faire passer le « ZAN » par pertes et profits, mais de le remettre à l'endroit avec une logique différente : nous devons partir des besoins des territoires, tout en respectant l'objectif originel.

Pour rassurer Ronan Dantec, je dirai que le garde-fou est à Matignon, puisque Michel Barnier, dans sa déclaration de politique générale, a précisé qu'il n'y aurait de remise en cause ni de la philosophie ni de l'objectif. Nous jugerons sur pièces lors de l'examen de la proposition de loi qui naîtra de nos travaux. J'en profite pour saluer le travail de notre collègue Nicole Bonnefoy sur la qualité des sols, qui nous aura été d'une grande utilité.

J'insiste sur l'ingénierie, indispensable pour accompagner les élus des communes rurales. Sur la décennie 2011-2021, il faut savoir que la consommation foncière a porté avant tout sur l'habitat dit dispersé, selon la nomenclature du Centre d'études et d'expertise sur les risques, l'environnement, la mobilité et l'aménagement (Cerema). Les élus ruraux se battent pour développer leur territoire, mais il ne faut pas les laisser seuls face aux acteurs économiques privés. Aussi, nous devons réarmer les services déconcentrés de l'État, pour qu'ils puissent aider les élus locaux à bâtir un modèle d'aménagement plus vertueux.

M. Grégory Blanc. - Je tiens à remercier Guislain Cambier et Jean-Baptiste Blanc pour leur travail : ce rapport permettra en effet de lever un certain nombre d'incompréhensions.

Chacun d'entre nous est favorable à une réforme, dans la mesure où nous sommes tous conscients de la nécessité de nous préparer à une augmentation des températures de l'ordre de 4 degrés en France. Avec la mise en oeuvre du « ZAN » se pose dès aujourd'hui la question d'un changement des pratiques que ce soit en termes d'aménagement du territoire ou de construction. S'il faut reconnaître que la stratégie de réduction de l'artificialisation des sols est une source de contraintes, convenons aussi - personne ne l'a fait ce matin - que le « ZAN » est une opportunité, et qu'il donne des perspectives en matière de développement économique.

J'aurai trois questions.

La première est d'ordre financier : il est nécessaire de se pencher sur une meilleure articulation entre les collectivités territoriales, en particulier entre les régions et les intercommunalités - je pense en particulier aux aménagements d'infrastructures d'intérêt général. Il faut repenser les modalités d'aménagement du territoire, alors qu'aujourd'hui, certains freinent manifestement toute réflexion à ce sujet : comment faire, selon vous, pour assurer davantage d'horizontalité à l'échelle des territoires ?

La deuxième part du constat d'une défaillance totale de l'État dans l'accompagnement des acteurs locaux : rien n'est prévu pour définir une stratégie à l'horizon 2050. Quel chemin emprunter pour engager cette transition ? C'est une problématique que vous ne semblez pas avoir esquissée dans votre rapport.

Ma dernière question est budgétaire : si l'on veut vraiment atteindre les objectifs fixés dans la loi, que ce soit en 2031 ou en 2050, il est nécessaire de dégager des moyens plus significatifs qu'aujourd'hui. Comment faire pour concrétiser cette ambition ?

M. Guislain Cambier, président du groupe de suivi. - Je suis d'accord avec Grégory Blanc : je déplore que l'État n'ait pas développé de vision à long terme en matière d'aménagement du territoire. Le Gouvernement n'a effectivement dessiné aucune perspective claire depuis que nous l'y avons invité en février dernier.

Pour ce qui est de la mise en place du « ZAN », ce sont les régions qui sont aujourd'hui en première ligne, puisqu'elles doivent décliner cet objectif dans leurs Sraddet. Le ruissellement vers les échelons infrarégionaux que sont les intercommunalités et les communes est, quant à lui, en marche.

À l'évidence, la question de l'organisation du dialogue dans les territoires se pose. Ainsi, la commission régionale de conciliation sur l'artificialisation des sols est régulièrement critiquée pour son fonctionnement et sa composition ; de surcroît, la faiblesse des enveloppes régionales suscite de nombreuses réserves sur le terrain.

En réalité, le fond du problème tient à la lenteur de l'État pour fixer les règles, définir les nomenclatures et établir une doctrine quant aux objectifs assignés aux uns et aux autres. Ce que montre notre rapport, c'est que la méthode retenue ne fonctionne pas.

Dernière remarque, il manque à cette stratégie de réduction de l'artificialisation tout un volet financier et fiscal. La mise en concurrence des collectivités les unes avec les autres - ces dernières ont des projets de territoire plus ou moins aboutis - freine la création d'une sorte de « bourse des territoires », à toutes les échelles, qui permettrait de renaturer les espaces à un endroit, de construire à un autre endroit pour saisir les opportunités qui se présentent.

M. Jean-Baptiste Blanc, rapporteur. - Je tiens à rassurer Grégory Blanc : nous pointons bel et bien les défaillances de l'État dans notre rapport - il s'agit même d'un fil rouge, de même que nous déplorons l'impensé fiscal du « ZAN ».

Notre collègue a raison de souligner qu'il est indispensable d'avoir une vision prospective. Si nous décidons d'en finir avec cette démarche planificatrice, comme certains le souhaitent, il faudra définir une logique plus ascendante dans une perspective peut-être davantage contractuelle. Tout reste à imaginer, notamment les articulations entre les différents niveaux de collectivités. C'est même à mes yeux le principal travail que nous aurons à mener.

M. Yannick Jadot. - La question éminemment politique du « ZAN » est évidemment révélatrice de nos difficultés - crise du logement, désindustrialisation, inégalité entre territoires, etc. Mais, à mesure que nous y réfléchissons, le « ZAN » est aussi devenu un bouc émissaire.

Certes, de nombreux élus ont d'ores et déjà intégré la sobriété dans leur politique d'aménagement du territoire, mais il faut reconnaître que l'artificialisation des sols n'a pas baissé. Malgré l'effondrement du logement social, la crise de l'industrie, l'affaissement des services publics dans les territoires, elle se maintient à un niveau élevé.

Puisqu'il en est question, je partage l'avis de ceux qui déplorent le choix de l'appellation « zéro artificialisation nette » : celle-ci laissait effectivement entendre que l'objectif devait être atteint dès 2021. L'engagement du Premier ministre à maintenir cette ambition ne lève pas pour autant de bien légitimes inquiétudes, tant on sait que ce gouvernement n'aura vraisemblablement pas une espérance de vie telle qu'il sera toujours en place en 2050...

M. Laurent Duplomb. - On ne sait jamais !

M. Yannick Jadot. - Même si les écologistes sont de culture girondine, je suis en désaccord avec ceux qui pensent qu'il faut en finir avec la planification. Il faut certes partir des territoires, mais les mesures de mutualisation proposées dans le rapport sont bien trop faibles. Il faut cesser de prévoir des dérogations pour tout, c'est le plus sûr moyen de rendre le dispositif totalement inopérant.

M. Laurent Duplomb. - Il a raison : autant abroger la loi !

M. Yannick Jadot. - La lutte contre l'artificialisation des sols est indispensable. Inutile de rappeler que des inondations impressionnantes ont lieu partout dans notre pays. Personne ne peut plus prétendre aujourd'hui que c'est la faute des écologistes qui ne veulent pas que l'on cure les rivières !

De nombreux sénateurs sur les travées des groupes Les Républicains, UC et INDEP. - Si !

M. Yannick Jadot. - La vigueur de votre réaction prouve que vous avez fait de cette loi le bouc émissaire de tous nos maux. Une telle démagogie accentue la défiance vis-à-vis du monde politique et accroît le vote en faveur du Rassemblement national.

M. Cédric Chevalier. - Le « ZAN » peut effectivement être une opportunité pour nos territoires : les efforts qui sont demandés aux élus en termes de sobriété appellent une réflexion sur l'optimisation de la consommation foncière, autrement dit une analyse de bon sens.

Cela étant, le « ZAN », dans sa mise en oeuvre, est facteur d'injustice. En raison de son mode de calcul, les collectivités les plus vertueuses sont pénalisées.

M. Laurent Duplomb. - C'est vrai !

M. Cédric Chevalier. - Beaucoup d'élus n'ont pas attendu le « ZAN » pour s'engager dans la sobriété foncière, tout simplement parce qu'ils sont conscients des enjeux et connaissent bien leur territoire. Demain, ceux-là, s'ils ont de nouveaux projets, seront pénalisés... Le rapport tient-il compte de cette injustice ?

Un certain nombre de clarifications sont par ailleurs nécessaires. Ainsi, une partie des décrets d'application de la loi « Climat et résilience » ont paru fin 2023, alors que le compteur était lancé depuis deux ans... Tout cela manque de cohérence.

Autre remarque : les échéances fixées pour l'approbation des documents d'urbanisme que sont les Scot et les plans locaux d'urbanisme intercommunaux (PLUi) - respectivement en août 2026 et août 2007 - sont ubuesques. Le calendrier devrait vraiment être revu, car en résultera l'acceptabilité du « ZAN » par l'ensemble des élus locaux.

M. Christian Bilhac. - Je remercie le rapporteur et le président du groupe de suivi pour ce travail. Le « ZAN » est un sujet de préoccupation pour les élus.

On ne peut pas bâtir l'avenir sur des contre-vérités : on ne sauvera pas l'agriculture avec le « ZAN » - il ne faut pas rêver ! La consommation de surfaces agricoles augmente, non pas parce que l'on construit, mais parce que l'agriculture ne permet pas de faire vivre nos agriculteurs ! Ce n'est pas en stoppant l'urbanisation qu'on sauvera l'agriculture !

M. Laurent Duplomb. - Tout à fait !

M. Christian Bilhac. - Haro aux fausses bonnes idées !

Deuxième observation, la loi « ZAN » est censée s'appliquer à Paris comme dans le village de Saint-Michel-d'Alajou sur le plateau du Larzac. Cela ne peut pas fonctionner ! Comment voulez-vous que le maire d'une commune hyperrurale, qui n'a pas délivré de permis de construire depuis plus d'un an ou qui a près de 95 % de son territoire en zone naturelle ou agricole, réagisse lorsqu'on lui dit qu'il ne faut pas artificialiser ? Il vous regarde éberlué, parce qu'il ne peut pas le comprendre !

J'ai deux questions très simples : pourquoi ne pas exclure ces petites communes rurales du « ZAN » ? Comment faire pour dialoguer avec un État qui préfère l'oukase et l'injonction à la discussion ?

M. Daniel Salmon. - Dans certains territoires, les choses se passent plutôt bien. Ainsi, en Bretagne, les conférences des Scot ont permis d'aboutir à des compromis, lesquels ont conduit à l'élaboration d'une trajectoire régionale de mise en oeuvre de la stratégie de réduction d'artificialisation des sols.

Regardons les choses en face : la véritable problématique est celle du financement du « ZAN ». D'après vous, mes chers collègues, sera-t-il plus facile de financer notre dette écologique dans quelques années que le « ZAN » aujourd'hui ? Personnellement, je connais la réponse à cette question.

Enfin, l'acronyme « ZAN » n'est peut-être pas le bon, mais il est préférable au « zéro ambition nette », ce vers quoi nous nous orientons.

Mme Anne-Catherine Loisier. - Je vous remercie de toutes ces précisions qui permettent d'apporter des réponses aux interrogations multiples qui émergent des territoires.

Permettez-moi cependant de revenir sur quelques points.

D'abord, la maîtrise de l'artificialisation des sols existait bien avant le « ZAN ». Les nombreux élus locaux présents ici ce matin peuvent en témoigner : la plupart, si ce n'est la totalité, des Sraddet comportaient déjà un objectif en la matière.

La loi « ZAN » a fixé des objectifs plus ambitieux sans pour autant prévoir les financements y afférents. Comment accompagner les territoires dans une démarche vertueuse de meilleure maîtrise de l'artificialisation des sols, et ce de façon réaliste ? Si l'on tient compte de la situation actuelle, je crains que la plupart des acteurs des territoires soient incapables, à l'avenir, de financer la mise en oeuvre de cet objectif. Il est urgent que le Sénat, qui assure la représentation des collectivités territoriales, se montre à l'écoute et aide les élus locaux à avancer sur ce sujet.

Monsieur le rapporteur, plusieurs de vos recommandations me semblent particulièrement judicieuses. Je pense à la comptabilisation en Enaf qui, de mon point de vue, doit continuer de s'appliquer après 2031. Il était également utile de rappeler la nécessité des aménagements prévus dans les textes, notamment les dispositifs d'assouplissement mis en place par l'ancien ministre de la transition écologique, Christophe Béchu. Le report de la mise en oeuvre de la mutualisation de la garantie de développement communal, qui suscite beaucoup de questions, est en outre essentiel. Enfin, l'État doit assumer sa politique : une première étape consisterait à extraire le compte foncier de l'État de l'enveloppe nationale dédiée à la consommation d'espaces.

Compte tenu de l'importance de ce sujet, il me semble indispensable que nous votions sur les recommandations du rapport d'information.

M. Jean-Baptiste Blanc, rapporteur. - Monsieur Jadot, il est faux de dire que l'artificialisation n'a pas diminué : 21 000 hectares aujourd'hui contre 31 000 en 2011 !

M. Ronan Dantec. - Les chiffres ne bougent plus depuis 2015 !

M. Jean-Baptiste Blanc, rapporteur. - Nous sommes sur un plateau, après une forte diminution entre 2009 et 2015.

En ce qui concerne la planification, elle aurait pu fonctionner si nous y avions été associés. Je me permets de vous recommander la lecture de l'ouvrage Un nouveau contrat écologique : les auteurs insistent sur la nécessité d'associer toutes les parties prenantes pour atteindre l'objectif de sobriété foncière.

Monsieur Salmon, vous parlez de « zéro ambition nette », mais il faut aussi éviter le « zéro assouplissement net » !

M. Guislain Cambier, président du groupe de suivi. - Il y avait urgence à engager ce travail du groupe de suivi, car l'horloge tourne. Nous vous avons présenté aujourd'hui le rapport, mais nous allons continuer à travailler sur le sujet. Il est nécessaire de faire preuve d'une vision plus « girondine », comme l'a dit M. Jadot, c'est-à-dire différente selon les territoires. Il faut faire confiance aux élus et fixer clairement les règles afin d'éviter les effets de bord, mais nous devons aussi rester fermes avec l'État.

La commission des affaires économiques, la commission de l'aménagement du territoire et du développement durable et la commission des finances adoptent le rapport d'information et en autorisent la publication.

La réunion est close à 10 h 55.

- Présidence de M. Claude Raynal, président -

La réunion est ouverte à 11 h 00

Proposition de loi visant à mettre à contribution les Ehpad privés à but lucratif réalisant des profits excessifs - Examen du rapport et du texte de la commission

M. Claude Raynal, président. - Nous en venons à l'examen du rapport de Bruno Belin sur la proposition de loi visant à mettre à contribution les Ehpad privés à but lucratif réalisant des profits excessifs. Je salue la présence parmi nous de notre collègue Jean-Luc Fichet, auteur du texte.

M. Bruno Belin, rapporteur. - Mes chers collègues, pour la clarté de mon propos je vous indique d'ores et déjà que je vais proposer à la commission de rejeter ce texte.

La plupart d'entre vous ont été, ou sont encore, conseiller départemental ou élu municipal : vous connaissez donc la situation dans laquelle se trouvent les Ehpad. Ceux-ci peuvent être classés en trois catégories : les Ehpad publics portés par des personnes publiques qui sont souvent des municipalités et des centres communaux d'action sociale (CCAS), les Ehpad privés à but non lucratif et les Ehpad privés à but lucratif, ces derniers étant visés par le texte.

En effet, la proposition de loi tend à créer une taxe sur le résultat net de ces établissements dont le produit serait versé à la Caisse nationale de solidarité pour l'autonomie (CNSA). Je m'interroge sur ce que pourrait penser le Conseil constitutionnel d'une taxe qui ne toucherait qu'une seule catégorie d'Ehpad au regard du principe d'égalité devant les charges publiques. Par ailleurs, il serait probable que les Ehpad concernés essayent d'optimiser leur compte de résultat pour ne pas être assujettis.

L'affaire Orpea a dégradé l'image des Ehpad à but lucratif : les travaux de la commission des affaires sociales du Sénat et les enquêtes des journalistes ont montré que, malgré des résultats florissants, de grands groupes ont eu des comportements condamnables. Nous avons tous été choqués de découvrir que les soins aux résidents étaient minutés et qu'il n'était parfois prévu de leur donner une douche qu'une fois tous les six jours...

Néanmoins, il faut noter que la situation des Ehpad n'est aujourd'hui plus la même qu'il y a quelques années, comme l'a souligné un rapport de la commission des affaires sociales : leurs résultats sont catastrophiques, ce qui met en difficulté un certain nombre d'établissements.

Je rappelle que le fonctionnement des Ehpad est assuré en grande partie par de l'argent public, notamment avec la participation des agences régionales de santé (ARS) et des conseils départementaux. Si l'on prévoit une taxe supplémentaire, il est à craindre que ce soit le résident qui la finance, via une augmentation du prix de journée.

J'y insiste, la situation a changé depuis la pandémie : des résidents ou potentiels résidents sont décédés, et des personnes âgées ont renoncé à entrer en établissement par crainte d'être encore davantage exposées. À cette baisse du « stock démographique » se sont ajoutées les conséquences de l'affaire Orpea. Le taux d'occupation des établissements a diminué, ce qui a eu un impact financier immédiat. Résultat : nous avons assisté à un effondrement de la cotation en bourse des deux groupes d'Ehpad les plus importants.

Un travail considérable doit maintenant être effectué, d'abord parce que la génération du baby-boom va entrer dans l'âge de la dépendance, mais aussi parce que nous vivons de plus en plus longtemps, et avec davantage de pathologies. Il sera nécessaire d'augmenter de manière importante le nombre de places en Ehpad dans la décennie 2030. On estime à plus de 100 000 le nombre de places nouvelles nécessaires d'ici à 2030. Enfin, il faut souligner le besoin de personnels. Les postes, et les formations qu'il serait nécessaire d'engager à cette fin, n'ont pas été planifiés.

Pour toutes ces raisons, je vous propose de rejeter la proposition de loi.

M. Jean-Luc Fichet, auteur de la proposition de loi. - Le rapporteur a indiqué d'emblée qu'il était défavorable au texte, ce qui a le mérite de la clarté. Nous sommes tous en relation avec des maires, des présidents de CCAS et de conseil d'administration d'Ehpad, mais aussi avec des bénévoles, présidents de conseils d'administration d'associations qui gèrent des Ehpad. Tous nous sollicitent quotidiennement tant ils sont aux abois, la situation s'étant particulièrement aggravée récemment : tous sont confrontés à des déficits abyssaux.

Dans un premier temps, ils se tournent vers l'État, qui renvoie à la préparation d'une loi « Grand Âge » dans laquelle figureraient les investissements à prévoir afin de garantir un accueil qualitatif pour les personnes en perte d'autonomie. Les départements, quant à eux, invoquent un manque de moyens. Pour prendre l'exemple du Finistère dans lequel s'était rendue Aurore Bergé il y a deux ans, 8 millions d'euros avaient été attribués afin de venir en aide aux Ehpad, une somme faible qui était venue combler un déficit de trésorerie, mais qui ne permettait pas de répondre aux besoins.

Il faut alors se tourner vers une réduction des dépenses, ce qui est synonyme d'effectifs amoindris et d'une moins bonne formation des personnels, d'où des difficultés d'accueil. Il est également possible de se tourner vers les résidents pour assurer le financement, mais ceux-ci se sont souvent déjà séparés de leurs biens et ne disposent plus de véritables ressources.

À l'inverse, le secteur privé bénéficie d'une dynamique très forte, même après l'affaire Orpea. Bien évidemment, nous sommes tous d'accord pour dire que le secteur privé est nécessaire, nul ne prétendant s'en passer pour assurer l'accueil de nos aînés. Cela étant, la question de la marge de ces groupes se pose : tel est le sens de la proposition de loi, qui vise à appliquer une taxe additionnelle au-delà d'un taux de rentabilité financière de 10 %, taxe dont les recettes iraient à la CNSA avant de procéder à une redistribution qui permettrait d'aider les établissements publics et associatifs, via les départements.

Si ladite taxe ne générerait sans doute pas des montants très élevés dans un premier temps, l'argument selon lequel le secteur privé s'arrangerait toujours pour réaliser des profits masqués ne me paraît guère convaincant : même sans cette taxe, la gestion privée conduira à rechercher des économies, ce qui est parfois positif, mais ce qui a parfois des conséquences directes et négatives sur la vie des résidents.

En outre, l'argent public n'est pas réservé aux établissements publics et sert à financer, dans une proportion non négligeable, les dépenses d'investissement et de fonctionnement des établissements privés. Les résultats du secteur privé sont ainsi parfois obtenus grâce à l'argent public et au financement de postes pourtant non pourvus. Dans nombre de cas, pour une masse salariale de 100 postes, 30 % d'entre eux ne sont pas occupés, cette manne revenant dans le budget général de l'établissement et devenant une source de profits.

Les ARS ne disposent cependant pas des moyens de contrôler finement les budgets des Ehpad privés à but lucratif, qui leur sont présentés comme étant en déficit alors que les résultats globaux des grands groupes sont excédentaires - voire très excédentaires - au niveau fiscal. Il y a donc bien matière à s'interroger sur la manière dont ces bénéfices ont été réalisés, l'argent public ayant peut-être servi de coup de pouce pour dégager ces excédents.

Je le redis pour conclure : mon objectif n'est pas de porter l'estocade au secteur privé à but lucratif, mais simplement de modérer les profits et de répartir les excédents, de façon que les autres Ehpad publics et associatifs en bénéficient.

M. Arnaud Bazin. - En préalable, je précise que je suis commissaire surveillant de la Caisse des dépôts et consignations (CDC), qui détient près de 20 % du capital de l'ex-Orpea, qui s'appelle désormais Emeis. Laurent Guillot et Guillaume Pépy conduisent une remise en ordre du fonctionnement du groupe, tant au niveau national qu'international.

Je constate comme vous les grandes difficultés des Ehpad publics et privés non lucratifs, les départements peinant à répondre aux besoins dans le contexte budgétaire actuel. Le problème est vaste et concerne la totalité de la prise en charge du troisième âge, notamment à domicile : contraints et forcés, les départements contiennent la dépense horaire à un niveau difficilement conciliable avec une prise en charge de qualité.

Les Ehpad privés à but lucratif, quant à eux, jouent un rôle important et ne doivent pas être découragés, car de moindres investissements dans ce secteur ne feraient qu'accroître la pression pesant sur le privé à but non lucratif et le public. Par curiosité, je me suis renseigné plus précisément sur le montant moyen d'une mensualité auprès d'Emeis : celui-ci s'établit à 3 000 euros par mois, soit un montant élevé pour certaines catégories de la population, mais qui reste accessible, malgré tout, à une partie de nos concitoyens. Une fois encore, il ne faut pas décourager les investissements dans les Ehpad privés, car, au-delà des considérations techniques sur le produit de la taxe proposée, il s'agirait d'un très mauvais message envoyé au secteur. Pour autant, je ne partage pas l'objectif d'atteindre des rendements à deux chiffres dans ces établissements.

M. Pascal Savoldelli. - De nombreuses entreprises rêveraient d'atteindre le même résultat net et le même niveau de fonds propres que les Ehpad privés, et il me paraît difficile de reprocher à l'auteur de la proposition de loi une démarche confiscatoire.

Par ailleurs, le rapporteur a indiqué qu'une contribution additionnelle risquerait d'entraîner un recul de l'investissement privé dans les établissements commerciaux, ce qui reste à démontrer. En septembre 2024, le rendement avant avantages fiscaux s'établit entre 3,5 % et 6 % : invoquer le péril d'une fuite des investisseurs n'est pas très sérieux.

M. Marc Laménie. - Ce sujet de société nous interpelle, le volet humain devant être davantage pris en compte que le volet financier. Je note que la suppression de la vignette automobile a privé les départements de recettes non négligeables pour financer la prise en charge des personnes âgées, et qu'il est paraît impossible de réinstaurer ce dispositif.

M. Grégory Blanc. - Nous ne nous sommes plus dans la situation décrite par le journaliste Victor Castanet, Orpea, Korian et d'autres ayant été conduits à renflouer leur capital. Les pénuries de personnels expliquent désormais l'essentiel des difficultés à assurer une prise en charge correcte des personnes âgées, les douches espacées de parfois plus de six jours existant toujours.

Le véritable sujet reste celui du modèle économique des Ehpad, ce qui m'amène à exprimer une divergence avec le rapporteur lorsqu'il affirme que « l'alourdissement de la fiscalité sur le secteur des Ehpad commerciaux présente un risque réel de désinvestissement » : le désinvestissement est déjà à l'oeuvre, justement, car nous ne soulevons pas l'enjeu de leur modèle économique.

Notre débat porte donc non pas sur le fait de savoir si une nouvelle taxe générerait suffisamment de recettes pour renflouer la CNSA, mais sur le caractère juste d'une taxe visant des établissements commerciaux fort lucratifs grâce à la clientèle aisée qu'ils attirent, ainsi que sur la nécessité de corriger les écarts. Une telle démarche me paraît justifiée par rapport au message que nous devons adresser aux acteurs privés, à savoir que le modèle d'Ehpad qui doit être bâti à l'avenir doit s'appuyer sur la mixité des publics. C'est pourquoi je soutiens cette proposition de loi.

Mme Isabelle Briquet. - Les besoins sont énormes en matière de prise en charge des personnes âgées, en l'absence d'une loi relative au grand âge que nous attendons tous, mais qui ne verra peut-être jamais le jour. L'argument du rapporteur selon lequel les Ehpad à but lucratif habilleront leurs comptes de manière à ne pas s'acquitter d'une taxe additionnelle m'a surprise : devrions-nous abandonner toute idée de taxation pour ce motif ? D'autres secteurs se livrent à ce type de pratiques, mais nous n'avons pas à nous départir de toute velléité en la matière pour autant.

Jean-Luc Fichet a soulevé un point à creuser, à savoir le défaut de contrôle budgétaire de ces Ehpad. En tout état de cause, notre groupe soutient cette proposition de loi.

M. Michel Canévet. - Le groupe Union Centriste partage les préoccupations relatives au financement des structures d'accueil pour les personnes âgées, mais rejoint l'avis du rapporteur quant à l'inadéquation de cette proposition de loi à la situation. En effet, la presse se fait l'écho du redressement judiciaire de Réside Études Seniors, qui gère 73 résidences. En outre, des mesures relatives à la fiscalisation des gros opérateurs sont d'ores et déjà annoncées dans le prochain projet de loi de finances (PLF), qui semble être un outil plus adapté pour l'adoption de mesures fiscales appropriées. Nous partageons donc les conclusions du rapporteur.

M. Christian Bilhac. - Une fiscalisation peut effectivement passer par le PLF, mais je suis assez favorable à la taxation de ces Ehpad à but lucratif. Selon moi, un Ehpad doit assurer une fin de vie digne et bienveillante aux personnes âgées et n'a pas vocation à gagner de l'argent.

M. Bruno Belin, rapporteur. - Madame Briquet, nous n'encourageons évidemment pas la fraude fiscale, mais nous savons très bien qu'il est aisé d'optimiser les comptes de résultats en jouant avec les loyers, frais de siège et autres postes. Les services du ministère des finances nous ont confirmé que, en l'état actuel des choses, aucun établissement ne serait concerné par cette taxe.

Le président du Syndicat national des établissements et résidences privés pour personnes âgées (Synerpa) nous a indiqué au cours des auditions que les banques ne prêtaient plus aux Ehpad à but lucratif tant les risques de non-recettes sont élevés. Compte tenu du niveau atteint par les tarifs à la journée, il n'est pas certain que les potentiels résidents soient en mesure de les assumer. Une moyenne de 3 000 euros mensuels a été précédemment mentionnée par le sénateur Bazin : parmi l'ensemble des Ehpad analysés, je n'ai rien trouvé à moins de 2 000 euros par mois, le tarif le plus élevé atteignant 11 000 euros. Tous ces établissements ont d'ailleurs été contrôlés par les ARS et par les départements de tutelle, qui ont renforcé les services dédiés.

La crise des Ehpad commerciaux est réelle, malgré les changements de noms qui se sont imposés. Par exemple, le huitième groupe français, Medicharme, a été placé en liquidation judiciaire en février dernier.

M. Claude Raynal, président. - En application du vade-mecum sur l'application des irrecevabilités au titre de l'article 45 de la Constitution, adopté par la Conférence des Présidents, la commission des finances a arrêté, lors de sa réunion du 9 octobre 2024, le périmètre indicatif de la proposition de loi visant à mettre à contribution les Ehpad privés à but lucratif réalisant des profits excessifs.

Ce périmètre comprend les dispositions relatives aux modalités applicables pour la détermination des impositions de toutes natures des gestionnaires d'Ehpad et les dispositions relatives à la création d'une nouvelle imposition à la charge des gestionnaires d'Ehpad.

Il en est ainsi décidé.

EXAMEN DE L'ARTICLE UNIQUE

L'article unique constituant l'ensemble de la proposition de loi n'est pas adopté.

Conformément au premier alinéa de l'article 42 de la Constitution, la discussion en séance portera en conséquence sur le texte de la proposition de loi déposée sur le Bureau du Sénat.

Proposition de loi visant à mettre en place une imposition des sociétés plus juste et plus écologique - Examen des amendements de séance

M. Claude Raynal, président. - Nous examinons les amendements de séance déposés sur la proposition de loi visant à mettre en place une imposition des sociétés plus juste et plus écologique, présentée par M. Rémy Féraud et plusieurs de ses collègues.

EXAMEN DES AMENDEMENTS DE SÉANCE

Article 1er

La commission émet un avis défavorable à l'amendement n°  3.

Après l'article 1er

L'amendement n°  1 est déclaré irrecevable en application de l'article 45 de la Constitution.

Article 2

La commission émet un avis défavorable aux amendements n°  2 et n°  4.

La commission a donné les avis suivants sur les amendements dont elle est saisie, qui sont retracés dans le tableau ci-après :

TABLEAU DES AVIS

Article 1er

Auteur

Objet

Avis de la commission

M. SAVOLDELLI

3

Relèvement du taux normal de l'impôt sur les sociétés (IS) et création d'un barème progressif pour les petites et moyennes entreprises (PME)

Défavorable

Article additionnel après Article 1er

Auteur

Objet

Avis de la commission

M. SAVOLDELLI

1

Création d'une taxe sur les programmes de rachat d'actions

Irrecevable art. 45, al. 1 C (cavalier)

Article 2

Auteur

Objet

Avis de la commission

M. SAVOLDELLI

2

Création d'une contribution sur les bénéfices exceptionnels

Défavorable

M. FÉRAUD

4

Modification du critère d'assujettissement à la contribution additionnelle

Défavorable

M. Claude Raynal, président. - J'indique par ailleurs que M. Bruno Belin étant retenu demain, il sera remplacé en sa qualité de rapporteur en séance publique par M. Laurent Somon.

- Présidence de M. Claude Raynal, président -

La réunion est ouverte à 11 h 00.

Proposition de loi visant à lutter contre les fermetures abusives de comptes bancaires - Examen des amendements au texte de la commission

M. Claude Raynal, président. - Nous passons à l'examen des amendements au texte de la commission sur la proposition de loi visant à lutter contre les fermetures abusives de comptes bancaires, présentée par M. Philippe Folliot et plusieurs de ses collègues. Nous commençons par examiner un amendement du rapporteur.

EXAMEN DE L'AMENDEMENT DU RAPPORTEUR

Article unique

M. Marc Laménie, rapporteur. - L'amendement n° 11 vise à assurer l'application de la proposition de loi à la Nouvelle-Calédonie, à la Polynésie française et à Wallis-et-Futuna.

L'amendement n° 11 est adopté.

EXAMEN DES AMENDEMENTS AU TEXTE DE LA COMMISSION

Avant l'article unique

La commission émet un avis défavorable à l'amendement n°  7.

Article unique

La commission émet un avis défavorable aux amendements nos  6, 4 et 1 rectifié.

La commission s'en remet à la sagesse du Sénat sur l'amendement n°  8.

La commission émet un avis défavorable à l'amendement n°  5.

Après l'article unique

Mme Christine Lavarde. - Je viens de prendre connaissance des amendements de M. Buis, qui sont en lien avec la lutte contre le blanchiment. J'ai été interpelée par la rédaction de l'article unique issue des travaux de la commission, qui laisse entendre qu'une personne impliquée dans du blanchiment serait informée du fait qu'elle a été détectée.

Je n'avais pas de solution à proposer et n'ai donc pas déposé d'amendement, mais ceux qui ont été proposés par M. Buis permettent de replacer cette problématique des enquêtes Tracfin et de la lutte contre le blanchiment. Il ne faudrait pas, au motif légitime de vouloir apporter une protection contre les fermetures abusives de comptes bancaires, informer les auteurs d'actes illicites qu'ils ont été détectés.

M. Marc Laménie, rapporteur. - L'amendement n°  9 vise à interdire la fermeture de compte lorsque leur titulaire est visé par une enquête diligentée par le parquet national financier, le parquet national antiterroriste ou l'une des juridictions interrégionales spécialisées, et lorsque le compte est visé par une déclaration de soupçon à Tracfin.

Cet amendement soulève une sérieuse difficulté : comment l'établissement de crédit pourrait-il être au courant de l'enquête alors même que le secret de l'enquête et de l'instruction constitue l'un des principes fondateurs de la procédure pénale française ? Il est donc impossible de mettre en oeuvre la disposition prévue sans permettre à l'établissement de crédit de savoir que l'un de ses clients fait l'objet d'une enquête, ce qui n'est absolument pas souhaitable.

La commission émet un avis défavorable aux amendements nos  9 et 10.

L'amendement n°  3 rectifié est déclaré irrecevable en application de l'article 45 de la Constitution.

La commission émet un avis défavorable à l'amendement n°  2.

La commission a donné les avis suivants sur les amendements dont elle est saisie, qui sont retracés dans le tableau ci-après :

TABLEAU DES AVIS

Article additionnel avant Article unique

Auteur

Objet

Avis de la commission

Mme Mélanie VOGEL

7

Allongement du délai de préavis avant fermeture d'un compte bancaire pour les Français de l'étranger

Défavorable

Article unique

Auteur

Objet

Avis de la commission

M. BILHAC

6

Motivation systématique de la fermeture d'un compte bancaire par l'établissement de crédit et suppression de toute condition de délai

Défavorable

M. BOCQUET

4

Motivation systématique de la fermeture d'un compte bancaire par l'établissement de crédit

Défavorable

Mme BRIQUET

1 rect.

Motivation systématique de la fermeture d'un compte bancaire par l'établissement de crédit et suppression de toute condition de délai

Défavorable

Mme CONWAY-MOURET

8

Application du dispositif aux clients résidant en France et hors de France

Sagesse

M. BOCQUET

5

Encadrement des fermetures unilatérales de comptes bancaires par les établissements de crédit

Défavorable

Article additionnel après Article unique

Auteur

Objet

Avis de la commission

M. BUIS

9

Interdiction de clôture du compte bancaire lorsque son titulaire fait l'objet d'une déclaration de soupçon à Tracfin et d'une enquête

Défavorable

M. BUIS

10

Notification à l'ACPR des décisions de fermeture des comptes bancaires et contrôle des établissements de crédit

Défavorable

M. CANÉVET

3 rect.

Information annuelle du client relative à ses prélèvements SEPA actifs

Irrecevable art. 45, al. 1 C (cavalier)

Mme Nathalie GOULET

2

Interdiction d'inscription des fermetures de compte au fichier national des comptes bancaires (Ficoba) et autres fichiers

Défavorable

Déplacement d'une délégation du Bureau de la commission en Corée du Sud et au Japon - Communication

M. Claude Raynal, président. - Mes chers collègues, une délégation du Bureau s'est rendue à Séoul et Tokyo du 6 au 15 septembre. Elle était composée de moi-même et du rapporteur général Jean-François Husson, ainsi que de nos collègues membres du Bureau Michel Canévet, Thierry Cozic, Thomas Dossus et Stéphane Sautarel.

Dans les deux pays, nous avons rencontré, outre l'ambassadeur, des vice-ministres des finances nationales et locales ainsi que leurs administrations, les présidents et certains membres des commissions parlementaires exerçant les compétences de notre commission et les représentants d'entreprises françaises. En outre, nous avons rencontré à Séoul le président de l'autorité qui régule le secteur bancaire et assurantiel, le président de l'organisme qui garantit les dépôts bancaires, ainsi que l'équipe du Fonds vert chargée du volet financier de l'Accord de Paris de 2015, et le « Budget Office », un organisme d'expertise au service de l'Assemblée nationale. À Tokyo, nous avons eu un temps d'échange avec la gouverneure - c'est-à-dire la maire -, avec les représentants des collectivités locales et avec des organismes d'assurance des catastrophes naturelles, ainsi qu'avec plusieurs économistes et instituts spécialisés dans les finances nationales et locales.

Comme vous le voyez, les journées ont été denses, ce qui nous a permis de croiser les points de vue - pas toujours identiques - des autorités politiques et des entités privées, de l'administration et des économistes, des acteurs locaux et des sociétés françaises présentes localement, concernant les thèmes du déplacement que je répartirai en quatre grandes catégories : les aspects macroéconomiques et la situation des finances publiques ; le financement de la transition écologique et l'assurance des catastrophes naturelles ; les relations financières entre l'État et les collectivités territoriales ; enfin, les perspectives de coopération entre la France et ces deux pays.

J'aborderai pour commencer le sujet des finances publiques en Corée et au Japon. La question du déficit et de la dette publique se pose dans un grand nombre de pays, mais pas forcément dans les mêmes termes. En Corée, le budget initial pour 2024 prévoyait un déficit public de 1,9 % du PIB et une dette publique d'environ 50 % : les chiffres peuvent paraître faibles par rapport à la France, mais ils progressent et la Corée songe à s'inspirer de la règle européenne limitant la dette publique à 60 % du PIB.

Par-delà la dette publique, il faut toutefois prendre garde à la dette des ménages, qui constitue un vrai sujet d'attention dans ce pays puisqu'elle atteint 100 % du PIB - contre 60 % en France -, principalement à cause des emprunts souscrits pour acheter ou louer des logements. Nos interlocuteurs estiment que cet endettement concerne surtout des ménages aisés et reste donc maîtrisé - en tout cas pour l'instant.

Les dépenses de l'État augmentent faiblement, en favorisant les dépenses sociales dont l'augmentation est liée notamment à l'enjeu démographique, qui est très inquiétant sur le long terme : la Corée possède de loin le taux de natalité le plus faible de l'OCDE avec 0,7 enfant par femme et les autorités tentent de le relancer, sans succès jusqu'à présent. Le pays pourrait perdre 20 de ses 50 millions d'habitants d'ici à 2070. Les dépenses d'éducation sont d'ores et déjà en diminution.

Enfin, les députés coréens - le Parlement est monocaméral - disposent pour analyser les aspects macroéconomiques et les questions relatives aux finances de l'État d'un « Budget Office », sur le modèle du Congressional Budget Office américain : c'est un véritable organisme de recherche qui réalise des analyses et des études d'impact, estime le coût des propositions de loi présentées par les députés, formule des prévisions macroéconomiques et évalue les grands programmes gouvernementaux. Il répond aux demandes des députés et des commissions permanentes, dans un esprit de neutralité. Il peut notamment procéder au chiffrage des propositions de loi.

Si l'on considère que cet organisme, doté de 138 employés, s'ajoute au personnel de l'Assemblée nationale elle-même - 3 550 employés -, de la bibliothèque - 362 employés - et du service de la recherche - 126 employés -, cela donne une idée des moyens importants mis à la disposition des députés dans un pays moins peuplé que la France - dans un système certes monocaméral.

Nous connaissons mieux la situation du Japon, décrite par tous nos interlocuteurs comme un défi aux théories classiques de la macroéconomie : le pays a connu depuis les années 1990 une économie languissante que le gouvernement a cherché à relancer par une succession de plans qui n'ont guère ramené la croissance, mais ont nourri une dette publique qui atteint aujourd'hui 255 % du PIB selon les mesures du Fonds monétaire international (FMI).

Depuis plus de vingt ans, le gouvernement fixe un objectif de déficit public à 0 % qui n'est jamais atteint : l'optimisme des prévisions officielles tranche avec le pessimisme des prévisions de certains économistes, qui prévoient de nouveaux déficits. C'est une situation que l'on connait...

Pour autant, nos interlocuteurs ne s'inquiétaient que modérément de la soutenabilité de cette dette, même si la reprise limitée de l'inflation et des taux d'intérêt risque de renchérir son coût. Il est bien connu que cette dette est détenue à 90 % environ par des nationaux japonais ; on sait moins que ces nationaux ne sont pas d'abord des investisseurs privés, mais la Banque du Japon et les institutions financières. C'est la raison pour laquelle le président de la commission des finances estime que cette dette massive ne pose pas vraiment de problème d'éviction des investissements privés. Les autorités financières cherchent toutefois à attirer des investisseurs étrangers afin d'avoir une communauté de créanciers plus diversifiée.

Tel est le « miracle » japonais que les économistes peinent à expliquer : relance sans croissance, et dette rachetée par la Banque du Japon sans explosion de l'inflation. Lorsque j'ai interrogé le vice-ministre des finances sur le risque d'apparition d'une boucle salaire-inflation, il m'a répondu qu'il espérait précisément que les salaires augmentent, afin de soutenir l'inflation récemment réapparue !

Ainsi, malgré une dette considérable, une croissance faible et un vieillissement accéléré qui devraient leur faire perdre une partie importante de leur population d'ici à 2100, les deux pays disposent encore de nombreux atouts. La transition écologique constitue toutefois un défi considérable.

M. Jean-François Husson, rapporteur général. - La Corée du Sud et le Japon ont tous deux fixé un objectif de neutralité carbone en 2050. Nos interlocuteurs ne portent toutefois pas tous la même appréciation sur l'avancement des actions menées. De manière générale, notre impression est que ces deux pays sont moins avancés que nous en matière de transition écologique. La population japonaise, par exemple, ne s'est pas vraiment approprié l'objectif de neutralité carbone. Le véhicule électrique se déploie de ce fait lentement au Japon où selon un document qui nous a été remis, le prix du carbone est de 2 euros par tonne seulement, contre plusieurs dizaines d'euros en Europe.

Les entreprises en prennent conscience, surtout si elles ont des activités internationales, mais notre impression est que le « d'abord les affaires » continue de primer. Le vice-ministre de l'économie et des finances de Corée nous a ainsi indiqué que les critères européens relatifs au changement climatique et à la décarbonation pourraient conduire à réduire les échanges entre son pays et notre continent... Au Parlement japonais, nos interlocuteurs se demandaient même si l'Union européenne a vraiment l'intention de déployer jusqu'au bout le mécanisme d'ajustement aux frontières, qui vise à permettre à l'Union européenne d'appliquer des coûts supplémentaires selon les émissions de carbone des entreprises situées dans les pays tiers. Compte tenu de la taille du marché européen, la mise en place de ce mécanisme emporte une véritable fébrilité.

L'enjeu majeur, pour ces deux pays qui sont dépourvus de ressources naturelles et où les centrales thermiques produisent les deux tiers de l'électricité, est celui du mix énergétique. Bien que le Japon commence à relancer des centrales arrêtées après l'accident de Fukushima en 2011, certains de nos interlocuteurs regardent le mix énergétique français avec envie. Si le nucléaire a permis de limiter la hausse des prix au Japon après l'invasion de l'Ukraine, ce qui a amélioré sa réputation auprès du public, les résistances sont encore grandes.

En Corée, les résistances sont moins fortes et le nucléaire est aussi un moteur de croissance à l'export, comme EDF a pu le constater à ses dépens, il y a quelques semaines, lorsque le groupe a perdu un marché en République tchèque face au groupe coréen KHNP.

L'essor des énergies renouvelables est encore lent. Les deux pays misent sur l'éolien en mer, mais plutôt sur des plateformes flottantes en raison de la profondeur des fonds marins.

La Corée et le Japon se projettent davantage sur le charbon « propre », sur l'hydrogène « vert », voire « gris », et sur l'ammoniaque produit par des centrales solaires au Moyen-Orient. S'il ne s'agit pas des solutions les plus efficaces pour diminuer les émissions de CO2, l'approche est très pragmatique. Le Japon met aussi l'accent sur les transition bonds ou « obligations de transition », conçues pour financer des projets qui aident des entreprises polluantes à réduire leur impact environnemental. On connaît mieux chez nous les obligations vertes, qui sont dédiées exclusivement aux projets ayant un impact environnemental positif direct, comme les énergies renouvelables. Encore une fois, le choix du Japon est clair : la transition écologique ne se fera pas au détriment du secteur industriel, et il n'est pas question de sortir entièrement des énergies fossiles.

Les deux pays ne sont donc pas en avance, mais il ne faut pas sous-estimer leur capacité, le cas échéant, à accélérer : les entreprises disposent de fortes capacités d'investissement et le gouvernement peut impulser des dynamiques fortes. Il peut, par exemple, envoyer des messages sur les téléphones pour encourager à limiter la consommation d'électricité lors des périodes de tension sur le réseau. L'un de nos interlocuteurs français nous indiquait par ailleurs que le ministère de l'industrie est en train de mettre en place de nouvelles normes.

Dans le secteur du bâtiment, au Japon, la rénovation énergétique n'a pas, jusqu'à présent, été prioritaire par rapport à l'adaptation des bâtiments au risque sismique, bien plus immédiat. Les bâtiments étant toutefois reconstruits beaucoup plus souvent qu'en France dans les deux pays, une adaptation du parc immobilier serait bien plus rapide, à condition qu'ils s'y engagent réellement. Si le gouvernement japonais diffusait des directives environnementales claires, le pays pourrait s'engager avec résolution dans la transformation de son modèle. Le Japon prévoit déjà d'investir pas moins de 150 000 milliards de yens - soit 950 milliards d'euros - dans les dix ans à venir pour la transition écologique, dont 125 milliards d'euros seront financés par l'État.

C'est donc le moment pour les entreprises françaises de se positionner. Celles que nous avons rencontrées nous ont expliqué que l'expérience française leur donnait de vraies opportunités. Dans le domaine du nucléaire, par exemple, les opérateurs français pourraient non pas vendre de nouvelles centrales, pour lesquelles les Japonais comme les Coréens disposent d'une industrie interne, mais apporter leurs compétences pour certaines phases du cycle nucléaire, par exemple le stockage des combustibles usés ou le démantèlement des centrales.

Si le Japon est bien plus en avance en matière de construction antisismique, c'est qu'un tremblement de terre de magnitude 6 sur 8 dans le monde survient au Japon, pays dans lequel entrent en collision quatre plaques tectoniques. Nous nous sommes particulièrement intéressés à leur système d'assurance face aux catastrophes naturelles. Le risque sismique est très particulier, car le montant des indemnisations versées, qui se limite à quelques dizaines de millions d'euros la plupart des années, peut s'établir à plusieurs milliards d'euros en cas de séisme majeur, 8 milliards d'euros pour le grand tremblement de terre de 2011 et peut-être 50 milliards d'euros lorsque surviendra le tremblement de terre séculaire qui a 70 % de risque d'affecter Tokyo dans les trente ans à venir.

Un système à plusieurs niveaux prévoit l'implication du seul secteur assurantiel privé jusqu'à un montant de 700 millions d'euros, puis un partage des coûts entre le public et le privé jusqu'à 12 milliards d'euros, et au-delà - ce qui n'est pas arrivé dans l'histoire récente - un financement essentiellement public des dommages. Par ailleurs, un système de réassurance conçu sur le très long terme assure une assistance mutuelle entre générations.

Le financement ne couvre pas 100 % de la reconstruction, mais il garantit la possibilité de revenir à une vie raisonnable : le soutien de l'État vient compléter les efforts individuels de chacun et la solidarité collective. En outre, la prime, que les assureurs doivent fixer à « prix coûtant », sans chercher de bénéfice, est liée au niveau de risque, qui varie selon la proximité par rapport aux failles tectoniques : nos interlocuteurs nous ont expliqué qu'il s'agissait de limiter le niveau des primes, mais aussi de sensibiliser les habitants au niveau de risque. La culture du risque est en effet très répandue : chacun sait ce qu'il doit faire et où il doit se réfugier en cas de tremblement de terre. Nous avons pu constater que des vidéos de prévention sont diffusées dans les halls d'immeuble.

Outre les séismes, parfois accompagnés d'un tsunami, le Japon est aussi exposé aux éruptions volcaniques, aux typhons et aux épisodes de très fortes intempéries, notamment de neige abondante. L'État prend en charge une partie de la charge financière revenant aux préfectures en fonction de leur situation financière et de l'intensité de la catastrophe : par exemple, l'État couvre 50 % des frais inférieurs à 2 % du montant des ressources fiscales ordinaires de la préfecture, mais 90 % des frais dépassant 4 % de ces ressources.

M. Claude Raynal, président. - S'agissant de la transition écologique au niveau mondial, nous avons également rencontré les représentants du Fonds vert, une institution sui generis qui met en oeuvre les financements prévus par l'Accord de Paris de 2015 et dont le siège se trouve en Corée. Le Fonds vert est alimenté par les pays développés et finance dans les autres pays des projets liés pour moitié à l'atténuation du changement climatique et pour moitié à l'adaptation au changement climatique. Il a déjà approuvé 15 milliards d'euros de projets, et vise 30 milliards de dollars en 2030. Si l'on ne peut que saluer l'action du Fonds qui prévoit d'ouvrir des bureaux dans chaque continent, il faut prendre garde aux risques de redondance avec d'autres fonds ayant les mêmes objectifs.

Nous avons également abordé, dans plusieurs réunions, la question des relations entre les collectivités territoriales et l'État. En Corée comme au Japon, l'organisation territoriale est beaucoup plus simple qu'en France puisqu'elle repose sur deux niveaux de collectivités, avec des municipalités beaucoup plus vastes que chez nous et un échelon intermédiaire - province en Corée, « préfecture » au Japon. À chaque niveau, le chef de l'exécutif et l'assemblée délibérante sont élus au suffrage universel. Nous avons ainsi rencontré Mme Yuriko Koike, élue trois fois gouverneure de Tokyo, qui a 14 millions d'administrés et un budget égal à celui de la Suède.

Les collectivités disposent de compétences étendues. Au Japon, elles organisent l'éducation et rémunèrent les enseignants, l'État fixant toutefois un plancher de salaire. Elles font aujourd'hui face à l'enjeu du vieillissement de la population, en particulier dans les zones rurales nipponnes : la diminution de la population active affecte les recettes fiscales, alors que les dépenses sociales s'accroissent rapidement.

Il n'y a pas, comme en France, une administration déconcentrée généraliste placée sous l'autorité d'un préfet représentant l'État. L'État dispose toutefois de forts moyens d'action, par la loi ou par l'édiction de directives, et il peut remodeler la carte des collectivités territoriales lorsque la population augmente ou diminue. Il y a une vingtaine d'années, l'État a fait pression pour limiter le poids des fonctionnaires, mais le tremblement de terre de 2011 a montré l'importance de disposer d'un réseau efficace d'agents territoriaux.

L'autonomie réelle demeure très limitée, car les ressources financières des collectivités dépendent étroitement de l'État. Les recettes fiscales locales ne constituent qu'un tiers des ressources des collectivités dans chacun des deux pays, la majeure part provenant de transferts de ressources fiscales nationales ou de dotations de l'État liées à la réalisation de projets particuliers. Au Japon, par exemple, un montant de 20 000 milliards de yens environ de ressources fiscales, soit 125 milliards d'euros, est transféré aux collectivités qui ont le moins de recettes fiscales directes, afin de leur permettre d'assurer un certain niveau de service administratif. Les barèmes de ces transferts font l'objet d'un débat chaque année, entre le Gouvernement et les représentants des collectivités locales à l'automne, puis au Parlement au mois de mars, car l'année fiscale commence en avril.

Nous avons eu quelques échanges sur le système très particulier en vertu duquel les citoyens japonais peuvent choisir dans quelle municipalité ils payent leurs impôts locaux. L'objet de cette mesure est de permettre à un habitant venu vivre en ville de faire bénéficier de meilleures ressources son village d'origine, qui a souvent plus de besoins que les métropoles. Ce système a une dimension citoyenne, puisqu'il permet de donner une valeur positive au paiement de l'impôt, mais il présente aussi des biais, car les communes accordent des cadeaux en nature aux contribuables qui les choisissent : une concurrence s'établit ainsi entre les municipalités, favorisant celles qui ont les meilleurs produits locaux à proposer...

Ce qui nous a toutefois le plus frappés dans le système de financement des collectivités territoriales, c'est que les représentants des gouverneurs du Japon - l'équivalent de l'Assemblée des départements de France (ADF) ou de l'association Régions de France - nous ont indiqué qu'ils étaient dans l'ensemble satisfaits des relations financières entre l'État et les collectivités. Le dialogue avec l'administration centrale paraît harmonieux et le système est donc bien accepté dans l'ensemble, malgré l'absence de péréquation horizontale entre les collectivités riches et celles qui ont un potentiel fiscal moindre, les déséquilibres étant partiellement compensés par l'attribution des ressources provenant de l'État.

M. Jean-François Husson, rapporteur général. - Abordons à présent la question des relations entre la France et ces pays. La France est souvent perçue comme un pays d'art, de culture et de gastronomie. La réussite des jeux Olympiques a été très largement saluée par nos interlocuteurs, en particulier au Japon où avaient été organisés les précédents jeux Olympiques, dans des conditions plus difficiles qu'en France puisque la crise sanitaire avait empêché le public de venir dans les stades.

Nous manquons toutefois de grands projets communs avec ces deux pays : le dernier grand chantier français en Corée remonte aux années 1990 avec le TGV. L'un de nos interlocuteurs faisait pourtant valoir qu'il y a aussi des technologies françaises à l'intérieur d'un téléphone Samsung. Le vice-ministre de l'économie et des finances soulignait pour sa part les coopérations dans le domaine de la défense qui existent entre nos deux pays.

La communauté française en Corée est modeste - de l'ordre de 3 000 personnes - mais elle s'accroît, et sa moyenne d'âge est de 29 ans seulement.

La structure économique de ces deux pays est toutefois très différente de la nôtre.

L'économie coréenne est structurée autour des chaebols, des conglomérats dans lesquels des liens capitalistiques complexes permettent à la famille fondatrice de maintenir son contrôle : ce système contribue fortement aux exportations et assure l'avenir par de très gros investissements, mais il défavorise les petites entreprises qui emploient beaucoup plus de personnes et qui rencontrent plus de difficultés.

Il faut aussi souligner l'importance des dépenses consacrées à la recherche et développement, en particulier aux technologies de rupture, avec un fonds de 10 milliards d'euros pour l'intelligence artificielle.

L'économie japonaise est elle aussi dotée de très grands groupes, dans lesquels les liens sont moins formalisés qu'au sein des chaebols coréens, mais qui contribuent tout autant à la stabilité du système économique : chaque entreprise a, par exemple, un lien privilégié avec une banque de référence qui viendra à son secours en cas de difficulté.

La Corée nous montre qu'un pays riche - membre de l'OCDE depuis 1996 - peut conserver une forte base industrielle, 32 % du PIB relevant de l'industrie en général, dont 24 % pour l'industrie manufacturière, contre 10 % environ en France. Le pays a su se spécialiser dans les activités à forte valeur ajoutée en mettant l'accent sur la recherche et développement. La Corée a donc profité de la mondialisation, mais c'est aussi une faiblesse potentielle en cas de troubles internationaux.

En conclusion, les deux pays sont à la fois très proches dans leur esprit favorable aux entreprises et aux affaires, et assez lointains par certains aspects : les Coréens vont très vite et investissent rapidement dans toutes les nouveautés, alors que le Japon travaille davantage sur le long terme, en s'appuyant sur une économie qui est depuis longtemps l'une des toutes premières du monde.

Le changement démographique y constitue une préoccupation permanente et existentielle, à laquelle aucun de ces pays - pas plus que nous d'ailleurs - n'a de réponse claire. Je note toutefois que le ratio des recettes fiscales au PIB est de seulement 32 % en Corée et 35 % au Japon, avec une TVA à 10 % : autant dire que les gouvernements de ces pays disposeront en cas de besoin d'une certaine marge de manoeuvre pour financer des politiques publiques ambitieuses.

Enfin, si les débats politiques peuvent être vifs, il convient de relever l'importance des solidarités au sein des communautés locales, mais aussi des entreprises : ces liens assurent une cohésion de la structure sociale, mais aussi économique, qui aidera ces deux pays à affronter les enjeux à venir.

M. Arnaud Bazin. - Comment expliquer qu'il n'y ait pas d'inflation au Japon, alors même que la banque centrale fait fonctionner la planche à billets ? Quelles sont les hypothèses qui permettraient d'expliquer ce mystère ?

M. Claude Raynal, président. - Il n'y a pas d'effet d'éviction dans la mesure où les grands groupes financent leur développement sur les marchés internationaux. L'usage de la planche à billets est donc purement domestique.

Les conséquences en sont toutefois la baisse du yen et la hausse des taux d'intérêt, qui mettent en difficulté l'économie locale. L'économie japonaise arrive au bout de ce système.

M. Thierry Cozic. - Je vous remercie de la qualité de ce compte rendu, ainsi que de la préparation de ce déplacement au cours duquel nous avons eu des échanges de haut niveau.

Proposition de loi organique portant réforme du financement de l'audiovisuel public - Désignation d'un rapporteur

La commission désigne M. Jean-Raymond Hugonet rapporteur sur la proposition de loi organique n° 720 (2023-2024) portant réforme du financement de l'audiovisuel public, présentée par M. Cédric Vial, Mme Catherine Morin-Desailly, MM. Roger Karoutchi, Laurent Lafon et plusieurs de leurs collègues.

Projet de loi de financement de la Sécurité sociale pour l'année 2025 - Demande de saisine pour avis et désignation d'un rapporteur

M. Claude Raynal, président. - La commission demande, comme chaque année, à être saisie pour avis du projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2025, et désigne M. Vincent Delahaye comme rapporteur pour avis.

J'en profite pour vous rappeler que M. Vincent Delahaye est également rapporteur pour avis au nom de notre commission sur le projet de loi d'approbation des comptes de la sécurité sociale de l'année 2023, qui a été redéposé par le Gouvernement à la suite de la dissolution de l'Assemblée nationale et que nous examinerons la semaine prochaine en commission.

La commission demande à être saisie pour avis sur le projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2025, sous réserve de sa transmission, et désigne M. Vincent Delahaye rapporteur pour avis.

La réunion est close à 12 h 20.

Vendredi 11 octobre 2024

- Présidence de M. Claude Raynal, président -

La réunion est ouverte à 9 h 30.

Projet de loi de finances pour 2025 et projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2025 - Audition de M. Pierre Moscovici, président du Haut Conseil des finances publiques

M. Claude Raynal, président. - Nous recevons ce matin M. Pierre Moscovici en sa qualité de président du Haut Conseil des finances publiques (HCFP), organisme indépendant placé auprès de la Cour des comptes.

En application des dispositions de l'article 61 de la loi organique relative aux lois de finances (Lolf), le HCFP rend un avis sur les prévisions macroéconomiques qui sous-tendent le projet de loi de finances (PLF) et le projet de loi de financement de la sécurité sociale (PLFSS) de l'année, et sur la cohérence de l'article liminaire au regard des orientations pluriannuelles de solde structurel et de dépenses des administrations publiques. Il se prononce également sur le réalisme des prévisions de recettes et de dépenses du PLF.

Alors que la croissance devrait être modérée en 2025, dans un contexte marqué par un assouplissement de la politique monétaire dû au reflux de l'inflation et un regain de tensions au niveau international, votre éclairage, monsieur le président, sur la sincérité et la crédibilité du scénario économique et budgétaire présenté pour l'année à venir nous est précieux. Je signale que le HCFP a également produit un avis sur le plan budgétaire et structurel national de moyen terme (PSMT) de la France, issu des nouvelles règles budgétaires européennes et qui doit être transmis à la Commission avant la fin du mois d'octobre.

Vous estimez que le scénario macroéconomique pour 2025 est, dans l'ensemble, fragile. En effet, une prévision de croissance de 1,1 % paraît difficile à concilier avec un ajustement de 60 milliards d'euros. Par ailleurs, les informations concernant les économies à réaliser vous paraissent insuffisantes et le détail des économies prévues et des hausses de prélèvements attendus, non documenté. De fait, on peine à connaître pour l'instant le niveau de baisse des allègements généraux de cotisation ou le contenu concret des mesures d'économie demandées aux collectivités territoriales.

Sans plus attendre, je vous cède la parole pour revenir sur ces différents points.

M. Pierre Moscovici, président du Haut Conseil des finances publiques. - Merci pour votre accueil. Je me réjouis de revenir aujourd'hui devant votre commission en tant que président du HCFP pour vous présenter les principales conclusions des deux avis que nous avons remis au Gouvernement. Il s'agit de l'avis, traditionnel, relatif au PLF et au PLFSS pour 2025, mais aussi, et c'est nouveau, de l'avis relatif au PSMT à l'horizon de 2031. Conformément à la Lolf, le HCFP a été saisi des prévisions macroéconomiques, mais il a aussi porté une appréciation sur le réalisme des prévisions de recettes et de dépenses du PLF et du PLFSS. Par ailleurs, le Gouvernement a décidé de nous saisir pour avis sur le PSMT introduit par la nouvelle gouvernance économique européenne, qu'il doit présenter à la Commission cet automne.

Je veux d'abord me féliciter que le Gouvernement ait décidé de nous saisir de ce PSMT. Il n'y est pas tenu dans les premières années de mise en oeuvre de cette nouvelle gouvernance, mais il a souhaité - à ma demande - fixer un rendez-vous supplémentaire, de sorte que vous ne serez pas privé de l'avis du HCFP sur les perspectives de moyen terme. Puisque nous rendions un avis sur le programme de stabilité, il est logique que nous le fassions pour le PSMT. Mais je suis au regret de vous dire que les informations transmises par le Gouvernement ne nous permettent pas de juger du réalisme de la trajectoire associée à ce PSMT, car elles sont très insuffisantes. On peut, on doit faire mieux à l'avenir - j'y reviendrai.

J'ai eu l'occasion de le dire devant vous à de multiples reprises, mais à présent que nous connaissons le résultat des courses, je le dis avec gravité : 2024 est une année noire pour les finances publiques. Alors que l'objectif de déficit public prévu dans la loi de finances initiale (LFI) était de 4,4 points de PIB, soit 128 milliards d'euros, ce montant a été porté en avril à 5,1 points de PIB dans le programme de stabilité, et l'année se terminera sans doute avec un déficit de 6,1 points de PIB, soit 180 milliards d'euros. Cela fait quelque temps que je suis dans l'action publique, comme magistrat à la Cour des comptes et, avant cela, dans d'autres fonctions qui m'ont amené plus près de vous dans le passé. Un creusement du déficit de 1,7 % du PIB sur un an, soit 52 milliards d'euros, je ne garde pas le souvenir d'avoir assisté à une chose pareille - d'autant que nous ne sommes pas en période de crise économique ou financière, et que nos partenaires dans l'Union européenne ont connu des évolutions strictement inverses.

Dans ce contexte, le HCFP souligne la nécessité de retenir des hypothèses prudentes en matière de prévision de recettes comme de ralentissement des dépenses, dès lors qu'aucun dispositif robuste n'a été prévu à cet effet. Et nous continuerons pour notre part à jouer, de concert avec le Parlement, à votre service en quelque sorte, un rôle de vigie des finances publiques.

Je rappelle de surcroît, mais cela n'a échappé à personne, que l'année 2024 a été marquée par l'ouverture, en juillet dernier, d'une procédure pour déficit excessif à l'encontre de la France. Concrètement, cette procédure nous oblige à transmettre une trajectoire crédible de désendettement, fondée sur un budget cohérent, dans le cadre du premier PSMT prévu par la nouvelle gouvernance des finances publiques européennes.

Le PSMT qui sera présenté à la Commission européenne se fonde sur une trajectoire plus réaliste que les précédentes. Je suis venu devant vous, à l'époque, présenter les avis du Haut Conseil sur le projet de loi de programmation des finances publiques, puis le programme de stabilité pour les années 2024 à 2027. Je ne me rappelle pas exactement la sémantique qui avait été retenue, mais nous disions il y a un an que la trajectoire du projet de loi de programmation des finances publiques nous semblait manquer de crédibilité. Nous avions même dit, lorsque nous sommes venus présenter l'avis sur le programme de stabilité, que ce document manquait de crédibilité mais aussi de cohérence économique.

Franchement, ces références sont à oublier. Elles sont caduques l'une et l'autre. Je ne vais pas jusqu'à vous proposer, dans le contexte que nous connaissons, d'élaborer une nouvelle loi de programmation des finances publiques. Disons que, désormais, la base est la trajectoire du PSMT, qui est plus raisonnable. En effet, elle décale l'objectif de ramener le déficit public sous 3 points de PIB à l'horizon de 2029 et non plus 2027. Il y a quelques semaines, je vous avais dit qu'il me semblait plus raisonnable de procéder ainsi. Avec un déficit de 6 points de PIB à la fin de 2024, vouloir arriver à 3 points de PIB en 2027 eût été socialement meurtrier, dommageable économiquement, et complexe sur le plan politique.

Il est plus raisonnable de fixer l'échéance à 2029, assurément, mais il y a tout de même une contrepartie : ce scénario, pour être conforme aux règles de gouvernance européennes, suppose que la période d'ajustement budgétaire de la France soit portée à sept ans. Voilà pourquoi le PSMT court jusqu'en 2031. Mais il est crucial que cette trajectoire soit tenue. Nous ne pouvons plus nous permettre que nos trajectoires pluriannuelles des finances publiques deviennent caduques avant leur publication ou dès leur publication, ou en tout cas avant même la première année de leur mise en oeuvre. Ces changements constants de trajectoires et de cibles, sont très dommageable pour la France, je l'ai constaté lorsque j'étais commissaire européen en charge de ces sujets, car ils jettent une ombre sur la crédibilité du pays. Cette trajectoire plus raisonnable, il faut donc la tenir. Et pour cela, il faut prendre des engagements très concrets. Les objectifs du PLF et du PLFSS pour 2025, examinés par le HCFP, sont les premières briques de cette trajectoire.

La fixation d'un objectif de réduction du solde structurel de 1,2 point en 2025 est une inflexion que je juge réelle et bienvenue. En effet, nous avons accumulé un tel niveau de dette, la charge de la dette est si forte, les déficits sont si profonds, qu'il nous faut vraiment revenir sur une trajectoire plus raisonnable. Ce n'est pas une question de soumission aux marchés ou à l'Union européenne, c'est une question de bon sens. La charge de notre dette était de quelque 25 milliards d'euros en 2021. Elle est de 53 milliards d'euros cette année. Si rien n'est fait, elle peut filer allègrement vers les 100 milliards d'euros, ce qui nous placerait dans un état d'impuissance absolue. Nous devons donc marquer ce point d'inflexion. Et il faut que la première marche soit significative, parce que nous sommes à un niveau beaucoup trop élevé.

Après ce bref rappel de la situation, je souhaite revenir sur nos trois messages principaux.

Le premier message porte sur le réalisme des prévisions macroéconomiques. Vous l'avez dit, monsieur le président, le scénario du Gouvernement pour 2024 est dans l'ensemble réaliste, mais celui de 2025 paraît fragile. Et le scénario du PSMT semble plus raisonnable, bien qu'un peu optimiste.

Le deuxième message a trait aux prévisions de recettes et de dépenses. Malgré nos demandes, les informations communiquées au HCFP sont insuffisantes pour apprécier la capacité du Gouvernement à atteindre ses objectifs de hausse des prélèvements obligatoires et de freinage de la dépense pour 2025, qui portent sur des montants très importants. Le Conseil des ministres a adopté le PLF hier. Nous disposerons donc bientôt d'éléments plus précis.

Le troisième message est que nous saluons l'inflexion représentée par la fixation d'un objectif de déficit à 5 points de PIB en 2025, même si un risque élevé, j'y insiste, pèse sur le respect de cette trajectoire. De ce point de vue, les objectifs du PSMT sont plus réalistes.

Le contexte économique international est plutôt incertain. L'économie mondiale a eu ces dernières années à surmonter successivement une pandémie, un choc énergétique, des tensions géopolitiques majeures, mais elle continue de démontrer sa résilience, puisqu'elle croît à un taux de 3 % par an en moyenne, ce qui devrait continuer dans les années à venir. On observe toutefois des modifications importantes dans sa composition, puisque les États-Unis et la Chine devraient quelque peu ralentir alors que la zone euro voit sa croissance redémarrer enfin.

Ce redémarrage, visible depuis le début de 2024, est tiré principalement par le commerce extérieur, ce qui n'est pas sans impact sur les recettes fiscales, alors que la demande intérieure continue de pâtir de la chute de l'investissement, mais avec une conjoncture très contrastée selon les pays. Le paradoxe est que ce sont surtout les pays du Sud, comme l'Espagne, le Portugal, la Grèce ou l'Italie, qui sont en situation favorable, alors que l'Allemagne, qui fut longtemps le principal moteur de la zone euro, est carrément en panne, avec des incertitudes sur sa reprise.

Le redémarrage devrait être plutôt favorisé par le cycle de baisse des taux, qui s'est déjà traduit par une diminution de 50 points de base du taux d'intérêt de la facilité de dépôt de la Banque centrale européenne (BCE). Il y a tout de même des incertitudes assez fortes sur la conjoncture internationale. Nous pouvons citer les tensions géopolitiques ; les conséquences de l'élection présidentielle américaine ; les fragilités, voire les turbulences dans le système commercial multilatéral, qui pourraient être aggravées, justement, par l'élection américaine. Dans la zone euro, les perspectives restent incertaines pour l'économie allemande, qui, connaissant sa deuxième année de récession, annonce une reprise assez forte en 2025, mais sur la base d'un acquis de croissance assez faible. C'est à se demander si, là aussi, la machine à prévisions n'est pas quelque peu déréglée... Enfin, une désinflation plus rapide que prévu aux États-Unis et en zone euro pourrait soutenir le pouvoir d'achat des ménages et favoriser une détente accrue sur les taux.

J'en viens aux observations du HCFP sur les prévisions macroéconomiques du Gouvernement pour la France, à court et moyen terme. Dans le contexte international que je viens d'évoquer, le HCFP considère que le scenario macroéconomique pour 2024 est dans l'ensemble réaliste, mais que celui que le Gouvernement présente pour 2025 comporte des éléments de fragilité. Pour 2024, le Gouvernement prévoit une croissance du PIB de 1,1 point en moyenne annuelle, comparable au chiffre moyen avancé par les prévisionnistes, et que nous jugeons réaliste dans l'ensemble. En revanche, la prévision de croissance pour 2025 nous paraît un peu élevée.

Le Gouvernement vous dira sans doute que ce chiffre de 1,1 point de croissance en 2025 reflète aussi le consensus des économistes. Dans l'absolu, il n'est pas impossible qu'il se réalise. Mais la prévision de croissance du Gouvernement s'éloigne du consensus si on prend en compte - et vous devez le faire - l'orientation restrictive du scénario de finances publiques associé, qui prévoit 1,2 point de PIB d'ajustement structurel. Le multiplicateur keynésien est souvent estimé à 0,5. Cela signifie que nous aurons 0,6 point de croissance en moins. Le chiffre du Gouvernement impliquerait donc que la croissance spontanée de l'économie serait de 1,7 %. Pour le coup, un tel taux n'est ni dans les astres ni dans les chiffres...

Pour compenser ce problème, le Gouvernement fait un certain nombre d'hypothèses qui nous paraissent favorables, même si elles ne sont pas absurdes, comme le recul de l'épargne ou l'augmentation forte de la consommation des agents. À ce stade, les indicateurs avancés ne laissent pas anticiper une telle évolution. Certaines hypothèses ne sont pas injustifiées. Par exemple, la dynamique récente des permis de construire et des mises en chantier peut laisser entrevoir une stabilisation de l'investissement des ménages. D'autres sont quelque peu volontaristes. Un repli du taux d'épargne et une hausse de la consommation sont possibles, mais observons que la part des ménages estimant qu'il est opportun d'épargner a atteint son plus haut niveau historique en septembre. Un léger rebond de l'investissement des entreprises n'est pas à exclure non plus, malgré une forte détérioration du taux de marge - sans parler de la fiscalité. Une forte hausse des exportations est envisageable aussi, tirée par une croissance du commerce mondial, attendue à un niveau supérieur à celui de l'activité mondiale. Après deux années, on n'en a pas observé. Mais les impacts de l'élection américaine, par exemple, ne sont pas évalués. Bref, nous qualifions le taux retenu d'un peu élevé. Or la croissance influe, dans son niveau comme dans sa composition, sur les recettes fiscales attendues.

Pour l'inflation, nous pensons aussi que le chiffre de 1,8 % est un peu élevé au regard du mouvement de désinflation observé depuis le début d'année. Enfin, la croissance de 2,8 % de la masse salariale nous semble un peu optimiste. Elle reflète la prévision d'emploi, en lien avec l'appréciation portée sur le PIB et l'évolution du salaire moyen par tête.

S'agissant du scénario macroéconomique sous-jacent au PSMT, dans la limite des informations extraordinairement lacunaires qui nous ont été transmises, le HCFP ne peut guère se prononcer que sur l'estimation du PIB potentiel, c'est-à-dire la croissance que connaîtrait l'économie en l'absence de choc conjoncturel. Je ne blâme certes pas le Gouvernement pour ce manque d'informations, je le remercie plutôt de nous avoir saisis. Mais la prochaine fois, il faudra tout même que nous soyons mieux informés. Je veux voir dans cette situation le reflet d'une forme d'urgence. Et il est mieux d'avoir été saisi avec des informations lacunaires, que de ne pas avoir été saisi du tout. L'estimation du PIB potentiel, du reste, est importante, car c'est un des chiffres sur lesquels se fondent les règles européennes. Pour le coup, je donne un satisfecit, dans la mesure où le Gouvernement se montre moins volontariste : il prévoit 1,2 % de croissance potentielle entre 2024 et 2028, et un peu moins après - 1 % - ce qui se rapproche de nos estimations. Évidemment, il vaut mieux des hypothèses prudentes que des hypothèses hasardeuses... Le HCFP a également relevé que le scénario de croissance effective était plutôt optimiste.

En somme, toutes ces hypothèses reflètent un peu de volontarisme, mais ce n'est pas comparable à ce qu'on a vu l'année dernière.

J'en viens aux prévisions sur les finances publiques pour 2025. Le scénario du Gouvernement prévoit un solde public effectif de 6,1 points de PIB en 2024 et de 5 points de PIB en 2025. En 2024 - c'est un vrai choc - le déficit public dépassera sans doute de 1,7 point de PIB l'objectif initial, qui était prévu à 4,4 points de PIB. Le Gouvernement prend quelques mesures pour éviter qu'on aille au-delà, mais il n'a pas déposé de projet de loi de finances rectificative (PLFR), ce qui aurait été opportun.

Le HCFP souligne un facteur de risque supplémentaire et une situation inédite. Je me permets d'attirer votre attention sur ce point. Le solde présenté dans l'article liminaire de ce PLF est, non de 5 points, mais de 5,2 points. Cela signifie que certaines des mesures prises en compte dans la prévision de déficit qui, elle, est à 5 points, ne sont pas intégrées à ce stade au PLF que vous allez examiner, mais qu'elles devront être introduites par amendement lors du débat parlementaire, pour un effet additionnel de 0,2 point. Autrement dit, le respect de l'objectif de 5 points dépend de l'adoption, ou non, par les assemblées de tels amendements, ce qui suppose une très grande force de conviction du Gouvernement et une extrême sagesse de la part des parlementaires. Il est vrai que vous nous y avez toujours habitués... Mais je voulais souligner ce hiatus et insister sur le fait que nous devons nous en tenir à un objectif de 5 %.

Le HCFP estime que la prévision de déficit pour 2025 est donc fragile, en raison de l'optimisme, léger mais réel, du scénario macroéconomique et de l'ampleur des mesures à mettre en oeuvre, qui ne sont pas toutes documentées à ce stade.

En 2025, les prévisions de prélèvements obligatoires affichent une hausse de 4,9 milliards d'euros par rapport à 2024. Leur croissance spontanée, de 2,5 %, resterait moins rapide que celle du PIB en valeur. Toutefois, cette prévision apparaît un peu haute, compte tenu du caractère optimiste des prévisions de croissance et d'inflation retenues dans le scénario du Gouvernement. Nous sommes obligés de constater que, ces deux dernières années, la machine à prélever des recettes n'a pas fonctionné. Il faudrait savoir ce qui s'est passé. On a des raisons de penser que ce sera mieux à l'avenir, mais prudence ! Le Gouvernement prévoit aussi dans le PLFSS une hausse de 30 milliards d'euros des recettes grâce à des mesures nouvelles, qui ne sont pas suffisamment évaluées, toutefois.

J'en viens à l'analyse de l'évolution des dépenses publiques prévues dans le PLF et le PLFSS. L'objectif pour 2024 ne sera évidemment pas atteint. C'est une année noire sur le plan des finances publiques, où les dépenses auront augmenté de 2,6 points en volume, soit nettement plus que la hausse de 0,5 % en 2023. Ce qui veut dire que le « quoi qu'il en coûte », en fait, ne s'est jamais arrêté.

M. Jean-François Husson, rapporteur général. - En effet !

M. Pierre Moscovici. - La dépense publique a continué à filer allègrement. La dégradation pour 2024 est de 20,4 milliards d'euros par rapport à la cible du programme de stabilité. Elle s'explique pour moitié par le dynamisme des dépenses des collectivités territoriales, en fonctionnement comme en investissement, et pour moitié par les dépenses de l'État. Quant aux dépenses des administrations sociales, elles sont restées plus proches des prévisions initiales.

Au total, les dépenses publiques hors crédits d'impôt atteindraient 56,8 points de PIB, un niveau supérieur de 3 points à ce qu'il était en 2019, avant la crise sanitaire. C'est un phénomène français que l'on connaît bien : l'effet de cliquet. Une crise arrive, on engage des dépenses massives ; la crise passe, les dépenses certes refluent, mais restent tout de même bien au-dessus de ce qu'elles étaient auparavant ! On continue ainsi d'accumuler des strates de dépenses publiques, d'où une impérieuse nécessité à se poser la question de la qualité de la dépense.

Nous n'avons pas d'autre choix, je le dis avec gravité, que de placer notre endettement et nos déficits sur une trajectoire baissière, notamment via des économies. Pour cela, il faut que des mesures en moindres dépenses soient effectivement mises en oeuvre et documentées. À ce jour, indépendamment du champ administratif concerné, leurs modalités restent peu définies, mais j'espère que le PLF apportera tous les éclaircissements requis - à défaut, le débat s'en chargera. C'est aussi le cas des mécanismes de résilience qui permettraient de contenir la hausse des dépenses de fonctionnement des collectivités territoriales à 0,2 point en volume par rapport à 2024. Une croissance très forte des dépenses des collectivités locales a effectivement été observée, mais elle est aussi due à l'absence de définition concertée de l'évolution de ces dépenses.

Si l'ensemble des économies étaient réalisées, la hausse des dépenses en volume, hors dépenses exceptionnelles de charge de la dette, serait contenue à 0,2 point, soit à un niveau inférieur à 2023. Mais, même ainsi, même ramené à 56,3 points de PIB, le poids des dépenses publiques n'en demeurerait pas moins situé 2,5 points au-dessus de leur niveau d'avant la crise sanitaire.

L'on me demandait ce matin à la radio si ce budget était un budget de rigueur ou d'austérité... Nous pouvons parler de rigueur et, même si le terme est connoté, il n'est jamais mauvais d'être rigoureux - c'est ainsi que nous gérons nos finances personnelles, familiales, entrepreneuriales. En revanche, avec 52 milliards d'euros de déficit en plus, une croissance massive des dépenses publiques et 3 points de déficit de plus qu'avant la crise sanitaire, je considère qu'un effort visant à ramener les dépenses publiques à 56,3 points de PIB peut difficilement être assimilé à de l'austérité. Il s'agit toutefois d'une cible ambitieuse, dont l'atteinte est conditionnée à la mise en oeuvre rapide de mesures d'économies.

Le solde structurel présenté par le Gouvernement s'élève à 4,5 points de PIB en 2025, contre 5,7 points en 2024. Cet ajustement structurel de 1,2 point est supérieur à l'effort de 0,5 point de PIB demandé par la gouvernance économique européenne. Dans la mesure où une procédure pour déficit excessif a été engagée, il faut que la première marche soit élevée. Je suis douloureusement conscient de la difficulté d'un tel exercice, qui n'a été mené qu'une fois au cours des vingt dernières années, en 2012-2013, alors que j'étais ministre des finances publiques. Il faudra en réalité consentir un effort structurel de 1,4 point de PIB, soit 42 milliards d'euros, pour compenser l'impact négatif de la croissance spontanée des prélèvements obligatoires, inférieure à celle du PIB.

J'attire votre attention sur un point qui peut faire l'objet de controverses et dont je ne voudrais pas qu'il soit mal exploité : cet effort repose à 70 % sur des hausses de prélèvements obligatoires, à hauteur de 30 milliards d'euros, soit 1 point de PIB, et à 30 % sur des baisses de la dépense publique, à hauteur de 12 milliards d'euros, soit 0,4 point de PIB. Il s'agit d'une analyse structurelle, quand le Gouvernement, lui, présente la situation en termes tendanciels, c'est-à-dire qu'il suppose que la tendance de croissance - au demeurant catastrophique puisqu'elle s'élève à 2,8 % en 2024 - des dépenses, qui est supérieure à la croissance potentielle comme à la croissance effective, se poursuivrait en 2025. Or cela n'est pas obligatoire et ne peut être apprécié.

Du fait de ce choix méthodologique, l'effort en dépenses affiché par le Gouvernement est considérable - il s'élève à 1,3 point de PIB -, alors qu'il ne réduit le poids des dépenses dans le PIB que de 0,4 point.

Il s'agit de deux modes de calculs différents.

Par ailleurs, la classification des mesures en recettes et en dépenses diffère entre le Gouvernement et le HCFP. Le chiffre de 20 milliards d'euros de prélèvements obligatoires supplémentaires ne tient pas compte de certaines mesures fiscales prises pour 2025, comme une partie de l'augmentation de la taxe intérieure sur la consommation finale d'électricité (TICFE) ou la réduction des allègements de cotisations d'employeurs. Le Gouvernement les comptabilise. J'estime pour ma part que ce sont des prélèvements obligatoires.

'En prenant en compte cette différence de comptabilisation, l'effort par rapport au tendanciel serait plutôt donc porté à 50 % par une hausse des prélèvements obligatoires et à 50 % par une baisse des dépenses, quand ces proportions sont respectivement de 70 % et 30 % si l'on raisonne en structurel.

Le ratio de dette publique continue à croître très fortement, pour retrouver en 2025 le point haut atteint en 2020 lors de la crise sanitaire, soit 115 points de PIB. Depuis la fin de la crise sanitaire, la dette publique a reculé d'une dizaine de points dans la zone euro. Nous renouons pour notre part avec le point le plus haut de la crise, alors même que nous ne sommes pas en période de crise.

Or chaque euro remboursé pour financer la dette' est un euro de perdu pour les services publics. Avec un tel niveau de dette, on ne peut rien faire. C'est un véritable gâchis. L'année prochaine, la charge de la dette se rapprochera, en valeur, du budget de l'éducation nationale. Elle passera de 53 milliards d'euros cette année à 70 milliards d'euros l'an prochain.

Je me réjouis enfin que le Gouvernement ait saisi le HCFP du plan budgétaire et structurel à moyen terme. Je regrette toutefois que l'information disponible sur la nature des mesures qui sous-tendent la trajectoire soit étique. Il va de soi que dans trois semaines, quand le Gouvernement présentera ce plan à la Commission européenne, il devra documenter de manière bien plus approfondie les mesures qu'il souhaite prendre.

Je relève deux points positifs. Le premier est le décalage de deux ans de la date de retour à un déficit sous le seuil des 3 points de PIB. Le second est le caractère plus raisonnable de la croissance potentielle. Dans l'ensemble, cette nouvelle trajectoire gagne en réalisme. Il importe à présent qu'elle soit documentée et respectée, car l'instabilité nous tue. La Commission européenne étudiera ce plan avec bienveillance, mais aussi avec exigence. Il faudra donc lui fournir une réponse structurelle et structurante.

Si je me suis exprimé devant vous avec gravité, c'est parce que j'ai le sentiment que nous avons perdu le contrôle de nos finances publiques et qu'il nous faut reprendre ce contrôle. Nous sommes désormais le troisième pays le plus endetté de la zone euro en pourcentage du PIB, derrière la Grèce et l'Italie. Nous sommes le premier en termes de volume de dette, celle-ci s'élevant à près de 3 300 milliards d'euros. Nous sommes enfin le pays qui, ayant une dynamique de la dette aussi mauvaise, voit celle-ci continuer de se dégrader. Il nous faut donc replacer la dette sur une trajectoire descendante.

Toutefois, cet effort doit être acceptable socialement et soutenable économiquement. Cela passe par une politique non pas d'austérité, mais de maîtrise, d'amélioration de l'efficience et de la qualité des dépenses. Cette année sera à ce titre probablement une année zéro, mais il nous faudra progresser dans les années à venir. Quoi qu'il en soit, des années exigeantes nous attendent.

M. Claude Raynal, président. - Au-delà de la seule année 2025, le sujet de la trajectoire est fondamental, y compris pour apprécier les mesures qui seront prises pour l'année prochaine. Le document dont vous avez été saisi fait part d'intentions, d'une « trajectoire de principe », sans éléments sérieux pour pouvoir porter une analyse solide. Pensez-vous que le Gouvernement sera en mesure de documenter correctement sa trajectoire, secteur par secteur, dans le délai qui lui est imparti ? Nous devons avoir une visibilité sur cette trajectoire pour pouvoir en discuter.

Par ailleurs, on fait dire ce que l'on veut aux chiffres : il suffit d'aggraver un peu les prévisions de déficit en tendanciel pour que le niveau d'économies projeté dans le budget soit plus fort. Mais restons-nous dans des limites raisonnables ? La note de la direction générale du Trésor (DGT) qui date de cet été prévoyait un déficit public effectif de 6,2 points de PIB en 2025. Or cette prévision est soudainement passée à 7 points, ce qui représenterait un dérapage de près de 90 milliards d'euros par rapport à la prévision contenue dans le dernier programme de stabilité. Qu'en pensez-vous ?

M. Jean-François Husson, rapporteur général. - Les propos que vous avez tenus sont les mêmes que notre commission tient depuis deux ans, et je regrette amèrement que le Gouvernement ait jugé insupportables, et presque déraisonnables les propositions que nous avions formulées lors de l'examen du projet de loi de programmation des finances publiques. Celles-ci auraient permis une inflexion du niveau de dépenses publiques de 37 milliards d'euros sur cinq ans. Nous mesurons aujourd'hui les conséquences de ce refus d'écouter la représentation nationale.

J'entends ce que vous dites sur les différentes mesures de l'effort porté par le PLF, entre tendanciel et structurel mais 'les Français retiennent malheureusement ce qui fait peur. En tout cas, l'ensemble des sénatrices et des sénateurs espèrent avoir un vrai débat sur le projet de loi de finances et retrouver à cette occasion un espace démocratique. Au regard de la situation politique, le Sénat aura un rôle particulier.

La perfect storm qu'avait évoquée devant nous le ministre de l'économie et des finances pour expliquer l'erreur de prévision des hauts fonctionnaires de Bercy fait aujourd'hui figure de tempête permanente. J'estime pour ma part qu'une prévision de déficit initiale de 4,4 points de PIB qui est revue à 6,1 points, voire à 6,3 points en cours d'exercice ne peut pas reposer sur des bases sincères. Les prévisions sur lesquelles se fonde ce PLF vous paraissent-elles plus fiables ?

Par ailleurs, le PSMT dont vous avez été saisi prévoit une augmentation du ratio d'endettement par rapport au PIB jusqu'en 2027. Comment éviter le cercle vicieux par lequel la dégradation de la situation budgétaire et la dégradation des conditions 'd'emprunt s'entretiendraient mutuellement ? Comment échapper à ces mâchoires qui risquent d'entraver les perspectives d'évolution plus favorables des conditions de financement et de redressement de nos comptes publics ?

Si la situation de notre pays est inédite, pour ne pas dire catastrophique, je crois que plus que jamais, nous aurons la faculté, lors du débat parlementaire, de proposer des arbitrages en faveur d'une baisse immédiate de la dépense publique.

M. Pierre Moscovici. - La trajectoire proposée est en tout cas plus raisonnable que celle que prévoit la loi de programmation des finances publiques et que celle qui était avancée par le programme de stabilité, dont le Haut Conseil avait estimé qu'elle manquait de cohérence et de crédibilité. L'objectif de repasser sous le seuil des 3 % de PIB de déficit public en 2027 - nous le disions cet été dans le rapport sur la situation et les perspectives des finances publiques - paraissait acrobatique, pour ne pas dire improbable. Il est devenu impossible dès lors que la prévision de déficit pour cette année s'est établie à 6,1 points de PIB.

Je ne puis dire si le Gouvernement parviendra à documenter cette trajectoire d'ici à trois semaines, mais ce que je sais, c'est qu'il doit impérativement le faire. Je le redis : pacta sunt servanda, les trajectoires sont faites pour être respectées. Des changements permanents de trajectoire ne sont pas bons. L'année prochaine, je serai sans doute saisi d'un PSMT bien plus documenté.

Le tendanciel repose sur des conventions que nous avons peu d'informations pour apprécier. Quel est le tendanciel sur les dépenses de l'État, la masse salariale ou l'emploi ? On prend en compte des décisions prises comme la revalorisation des médecins généralistes, mais cela n'a pas d'effet massif ! L'on a parfois l'impression que cela relève de calculs faits sur un coin de table, et du prolongement de tendances qui pour catastrophiques qu'elles soient, ne sont pas toujours expliquées. Le dérapage du solde public en 2024 s'explique par plusieurs facteurs : certaines mesures du programme de stabilité qui n'ont pu être mises en oeuvre du fait de la dissolution, des hypothèses volontaristes sur certaines dépenses, des moins-values de recettes. Il faudra faire le partage exact pour savoir précisément ce qu'il s'est passé.

J'ai toutefois la certitude tranquille que le structurel est ce qui reste. C'est une indication plus robuste que celle produite par le Gouvernement. Et j'ai également la certitude que le partage recettes-dépenses affiché n'est pas exact. Je pense que le Gouvernement ne le contestera pas. Le budget de cette année comporte de nombreuses mesures fiscales. Il ne pourra par définition y en avoir autant dans les prochaines années, d'une part parce que certains impôts envisagés sont pluriannuels, et d'autre part parce qu'il y a des limites aux augmentations d'impôt. Si on fait cela deux fois, bonjour les dégâts !

Si je n'ai pas à relater la teneur des discussions au Haut conseil, il se peut que nous ayons pu en débattre les années précédentes, par exemple lorsque la prévision de croissance du Gouvernement s'élevait à +1,4 % alors que le consensus des économistes prévoyait +0,8 %... Nous avions également estimé que les hypothèses du programme de stabilité n'étaient pas cohérentes, ce qui est pour nous une sémantique très rude pour ne pas dire violente ! En revanche la question de la sincérité de ce budget 2025 ne s'est même pas posée au Haut Conseil. Le report de deux ans du retour du déficit en deçà du seuil des 3 % du PIB, la prévision de croissance y compris potentielle raisonnable - mais optimiste, ce qui est un facteur de risque - sont des éléments positifs.

La charge de la dette va continuer à augmenter. Elle pourrait se situer à 2,8 points de PIB en 2027-2028, soit à plus de 90 milliards d'euros, et ce à supposer que les conditions de financement restent convenables. Or celles-ci peuvent se dégrader si notre pays n'est plus jugé crédible. Je n'ai jamais été de ceux qui crient à la faillite ou qui comparent la France à la Grèce. Nous ne sommes pas dans cette situation-là. Nous sommes un pays solide, robuste, avec une économie étendue. Notre dette trouvera donc preneur. Mais nous ne pourrons pas agir avec 90 à 100 milliards d'euros de charge de la dette. C'est vraiment la dépense la plus bête qui soit. Par ailleurs, la charge de la dette renchérit à mesure que nous perdons en crédibilité.

Il nous faut donc agir si nous ne voulons pas passer de l'étranglement à l'asphyxie. Si nous agissons, nous retrouverons des marges.

M. Thierry Cozic. - Je salue l'intervention du Haut Conseil, qui a effectué un travail de qualité en un temps record. Jamais sous la Ve République, un projet de loi de finances n'aura été préparé dans une telle improvisation, alors même que l'urgence appelle des mesures inédites.

Ce texte est un PLF « à trous » comme l'atteste la différence entre les chiffres de déficit - 5,2 % du PIB au début de la discussion mais 5 % espérés à la fin. Depuis quelques années, les prédictions de déficit et de croissance n'ont eu de cesse de plonger les finances publiques dans le rouge. Confirmez-vous que l'effort prévu par le projet de loi de finances pour 2025 est bien de l'ordre de 70 % d'augmentation des recettes et de 30 % de réduction de la dépense publique ?

- Présidence de M. Bernard Delcros, vice-président -

M. Thomas Dossus. - Les différents organismes s'accordent sur une prévision de croissance autour de 1,1 % pour 2025. Or l'impact dépressif de ce budget est évalué par le Gouvernement lui-même à 0,5 point de croissance. Dans ces conditions, comment pouvez-vous qualifier de raisonnable et légèrement optimiste la prévision de croissance sur laquelle se fonde le budget, alors même qu'elle ne tient pas compte de cet impact dépressif ? Compte tenu de la baisse des investissements que les efforts demandés vont emporter, cela ne relève-t-il pas davantage de la science-fiction ?

M. Pascal Savoldelli. - Vous évaluez à 42 milliards d'euros l'effort budgétaire de 60 milliards d'euros que nous annonce le Gouvernement. Cela pose tout de même la question de la sincérité des bases du travail parlementaire. Merci donc de ce moment de vérité !

Vous semblez balayer l'idée d'une responsabilité des marchés financiers ou du programme de stabilité dans la situation de nos finances publiques. Je rappelle, car il importe de tout dire, que le montant des intérêts payés par la France aux marchés financiers est passé de 33,8 milliards d'euros en 2022 à 56 milliards d'euros en 2024 du fait du relèvement du taux directeur de la Banque centrale européenne et de l'inflation.

Au mois de mars dernier, le Sénat avait demandé un projet de loi de finances rectificative afin de débattre des 10 milliards d'euros de coupes effectuées dans le budget de l'État. Nous n'avons pas pu en discuter, nous avons même peiné à identifier ces coupes... Avant d'envisager de nouveaux efforts budgétaires, j'estime qu'il nous faudrait disposer d'une évaluation de leurs effets.

Ce budget suscite de vives inquiétudes dans les domaines de l'éducation, de la santé ou encore parmi les collectivités territoriales. Vous avez fait fort, il faut bien le dire, en proposant la suppression de 100 000 emplois dans les collectivités territoriales d'ici à 2030 ! Quelles seront les conséquences de ce projet de loi de finances, d'après les derniers documents dont on dispose, sur les agents travaillant dans ces secteurs et sur les populations ?

- Présidence de M. Claude Raynal, président -

M. Grégory Blanc. - Je tiens à souligner à mon tour la qualité des travaux du HCFP. Vous avez expliqué, à juste titre, que l'absence de maîtrise des comptes publics était problématique au regard des enjeux de souveraineté. Comme l'a indiqué notre rapporteur général, nous avons sans doute désormais une approche plus réaliste des finances publiques. Ces dernières années, nous avons été bercés par un slogan, celui de la stabilité fiscale, qui était quelque peu éthéré, voire hors sol. J'en veux pour preuve que l'effort d'ajustement reposera, comme vous l'avez indiqué, à hauteur de 70 % sur l'impôt.

En 2024, « année noire » pour les finances publiques selon vos propres termes, les quelques mesures qui ont été prises ont consisté en des gels de crédits ayant affecté les contractuels ou les investissements dans l'écologie et dans les réseaux - trains, numérique, etc. Il n'y a pas eu de réforme structurelle : ni sur la fiscalité ni sur les dépenses de l'État. Il me semble que la maquette budgétaire pour 2025 ne comporte pas non plus de réforme structurelle. En dehors de la réduction des dépenses de l'État de 5 milliards d'euros, qui n'est pas détaillée, l'effort porte de nouveau sur les investissements utiles pour l'avenir, à l'exception des investissements à caractère militaire.

Mme Christine Lavarde. - Dans son avis sur le programme de stabilité, le HCFP avait déploré la qualité de l'information qui lui avait été transmise. La direction générale du Trésor avait émis des alertes dès le mois de janvier sur l'évolution des recettes. Avez-vous eu connaissance de ces éléments ? Pouvez-vous demander à Bercy des documents complémentaires à ceux qui vous sont adressés pour établir vos avis ?

Vous jugez que la trajectoire du PSMT de la France est plus réaliste. Toutefois, pour qu'un État puisse bénéficier par l'Union européenne d'un allongement du délai qui lui est consenti pour revenir à l'équilibre budgétaire, il faut qu'il montre qu'il n'y aura pas de réduction des investissements dans des domaines stratégiques pour l'Europe : la recherche, la défense, l'écologie, etc. Or ce projet de loi de finances contient des coupes significatives dans certains de ces domaines, sur la décarbonation par exemple. En tant qu'ancien commissaire européen, pensez-vous que la Commission européenne acceptera la copie du Gouvernement ?

M. Pierre Moscovici. - Permettez-moi tout d'abord de vous remercier pour vos compliments sur le travail du HCFP. Le Haut Conseil n'est pas la Cour des comptes : il est composé d'une équipe pluraliste d'une quinzaine de personnes, dont les profils sont très divers - des économistes, des membres de la Cour des comptes, mais ils ne sont que quatre, etc. Chacun a ses convictions et apporte son expertise. Les membres sont nommés par des autorités différentes : par le président du Sénat ou par le président de l'Assemblée nationale, par exemple. Certains sont de gauche, d'autres de droite : on peut s'attendre à ce qu'Éric Doligé et Michaël Zemmour ne pensent pas exactement de la même façon, et heureusement. Mais ils se mettent toujours d'accord, car nous procédons par consensus. Notre travail est collectif. Le HCFP, ce n'est pas la Cour des comptes. Il ne se résume pas non plus à son président, qui n'est qu'un animateur. Nous sommes assistés par une petite équipe, qui réalise un travail remarquable de haut niveau, dans des délais toujours très serrés. Nos avis sont adoptés à l'unanimité, à l'issue de débats internes. Ils découlent d'une analyse solide et robuste.

Nous estimons que l'effort budgétaire sera réparti à 70 % sur les impôts et à 30 % sur les dépenses. En tout cas, il nous semble certain que la fiscalité augmentera de 30 milliards d'euros, que l'on raisonne en tendanciel ou en structurel. J'ai dit aussi que l'effort structurel restait devant nous. J'observe d'ailleurs que vos questions portent non pas seulement sur ce budget, mais aussi sur l'avenir.

Vous m'avez interpellé sur la prévision de croissance. Comme je l'ai dit, celle-ci nous paraît un peu élevée. La prévision retenue de 1,1 % du PIB est, certes, conforme au consensus des économistes, mais il s'agit de la croissance ex ante, avant la prise en compte des effets restrictifs d'un budget prévoyant un ajustement structurel de 1,2 point de PIB. Si l'on retient un multiplicateur keynésien de 0,5, alors la croissance sera réduite d'environ 0,6 point. Cela signifie que pour obtenir une croissance finale de 1,1 point de PIB, il faudra que la croissance spontanée soit de 1,7 point. Notre appréciation est toutefois prudente, car tout n'est pas mécanique. Nous avons ainsi constaté les années passées que la croissance française pouvait faire preuve d'une certaine forme de robustesse, et s'avérer finalement meilleure qu'attendu. Certains événements ou aléas peuvent avoir une influence : cette année, par exemple, il y a eu un effet jeux Olympiques. La prévision n'est donc pas une science exacte. Nous ne sommes pas, au HCFP, des optimistes invétérés ; nous disons simplement que la prévision est « un peu élevée », en raison de risques baissiers significatifs liés à l'impact récessif des mesures, mais elle n'est pas impossible à atteindre.

Le général de Gaulle disait que « la politique de la France ne se fait pas à la corbeille ». Certes, mais les marchés existent et quand on doit emprunter 300 milliards d'euros chaque année, il faut tout de même tenir compte de leur avis et de celui des agences de notation ! Nous devons donc veiller à notre crédibilité, pour nous-mêmes et pour l'Union européenne.

Quant à l'euro, il faut bien reconnaître que nous en bénéficions plus que d'autres : s'il n'existait pas, le spread avec l'Allemagne serait certainement plus élevé. Souvenez-vous de la politique du franc fort dans les années 1990 : l'arrimage de notre monnaie au mark avait pour contrepartie que nos taux d'intérêt étaient supérieurs de 5 points à ceux qui s'appliquaient outre-Rhin ! Je comprends vos remarques sur la BCE. Je tiens à préciser toutefois qu'il est normal que les taux soient positifs. L'anomalie, c'est cette parenthèse magique d'une dizaine d'années pendant laquelle les taux étaient négatifs : on a cru alors que plus on s'endettait, plus on gagnait d'argent ; c'est une illusion. La Banque centrale revient progressivement à un régime normal de taux positifs.

La coupe budgétaire de 10 milliards d'euros était presque compensée par des reports de crédits de 2023. Il est certain que si un PLFR avait été adopté à temps, la situation serait quelque peu différente aujourd'hui. Les mesures de freinage ou d'ajustement ont été limitées, et cela a un impact.

En tant que Premier président de la Cour des comptes, je tiens à préciser que la Cour ne propose pas et n'a pas proposé de supprimer 100 000 emplois dans les collectivités locales. Elle n'a même pas proposé de supprimer un seul emploi. On estime cependant qu'il est possible de modifier la gouvernance des collectivités locales. Il serait alors envisageable, à terme, de fonctionner avec 100 000 emplois de moins en 2030, en ne remplaçant pas tous les départs en retraite par exemple. Nous avons aussi publié plusieurs rapports sur le temps de travail dans les collectivités locales, qui reste parfois inférieur aux 35 heures. Une amélioration de la gouvernance permettrait d'aboutir à une baisse du nombre d'emplois en 2030, mais nous ne proposons évidemment pas de supprimer des emplois.

Pour ce qui est des réformes structurelles, ce budget porte les traces de la situation politique que l'on connaît. Le gouvernement précédent a expédié les affaires courantes pendant deux mois. Le nouveau Premier ministre a été nommé le 5 septembre, le Gouvernement a été composé quinze jours après et le projet de loi de finances a été présenté le 10 octobre. Dans ces circonstances, un tel budget est nécessairement marqué du sceau de l'urgence et peut difficilement comporter des réformes structurelles importantes. Cela signifie qu'il faudra réfléchir, à l'avenir, à une meilleure qualité de la dépense publique. Nous devons ramener nos déficits sous la barre des 3 % en cinq ans. Notre effort devra être maintenu, de l'ordre de 20 milliards d'euros par an. Les réformes devront évidemment être structurelles, car il ne sera pas possible de prendre indéfiniment des mesures d'ordre conjoncturel.

En ce qui concerne la qualité de l'information qui nous est transmise, le HCFP est habilité à demander des éléments complémentaires au Gouvernement. Pour ne rien vous cacher, j'ai manifesté, cette fois-ci, une légère mauvaise humeur, car le Gouvernement ne nous a pas fourni un certain nombre de documents, que vous avez d'ailleurs aussi eu du mal à obtenir en tant que parlementaires, et lorsqu'il nous les communiquait, on constatait que les informations figuraient déjà dans la presse le matin... C'est agaçant ! Le respect des institutions est important dans une démocratie. Des progrès peuvent être faits en matière de transparence. Si ce n'est pas le cas, nous serons plus intrusifs.

C'est à vous qu'il revient d'apprécier et d'évaluer les mesures que le Gouvernement propose. Il ne m'appartient pas de me prononcer à la place des parlementaires. La Commission européenne, puis les États membres ensuite, vérifieront si la trajectoire du PSMT est cohérente avec les mesures présentées. Il est clair que le document ne peut pas être présenté en l'état. La Commission ne sera pas contente du tout !

Tout est affaire de choix. Vous avez rappelé les priorités de l'Union européenne, sur la transition écologique notamment. Je ne peux, à titre personnel, que vous rejoindre sur ce point. Nous sommes face à une montagne de dettes et à un mur d'investissement. On ne peut pas ne pas investir dans la transition écologique à l'avenir. Il est certainement possible d'améliorer certains mécanismes. La Cour des comptes avait ainsi publié un rapport sur MaPrimeRénov' voilà quelques années. Toute économie dans le secteur n'est pas illégitime, mais si tous les financements pour la transition écologique baissent, ce sera contre-productif pour l'avenir de la planète et de nos enfants.

M. Vincent Capo-Canellas. - Nous attendons tous les ans avec inquiétude et une certaine gourmandise l'adjectif que vous allez choisir pour qualifier les hypothèses retenues par le budget. « Fragile », avez-vous dit cette fois : voilà qui résume très bien, malheureusement, le budget et la situation politique actuelle. Un autre mot qui revient souvent est celui d'urgence, car le budget a été préparé dans des délais très courts, et il est urgent d'agir compte tenu de la situation financière de notre pays.

De ce projet de loi de finances, on retient surtout le choc fiscal et le risque récessif qu'il comporte. D'autres scénarios étaient-ils possibles ? La hausse de la fiscalité est une solution de facilité pour équilibrer les comptes, mais on n'a pas toujours le choix. N'assiste-t-on pas à une certaine forme de schizophrénie de la part du Gouvernement, qui annonce un choc fiscal sans renoncer pour autant à la politique de l'offre suivie jusque-là avec, pour but, de rétablir la croissance en favorisant le taux d'emploi ? Certains secteurs vont subir l'imposition de nouvelles taxes, toujours qualifiées d'« environnementales ». Ainsi, 2,5 milliards d'euros sont déjà prélevés sur les billets d'avion tous les ans. Il est prévu de prélever 1 milliard supplémentaire. Ne doit-on pas craindre une attrition de la base fiscale et une asphyxie de certains secteurs économiques ?

Ce budget a été improvisé dans l'urgence. Ne faudrait-il pas prévoir un PLFR à tête reposée au début de l'année prochaine, pour mettre en oeuvre des mesures plus structurantes ?

M. Albéric de Montgolfier. - Le HCFP a été créé par une loi organique en application des traités européens, mais le Gouvernement ne tient guère compte de ses avis et de ses prévisions macroéconomiques. Ma question sera un petit peu provocatrice : à quoi servent les avis du Haut Conseil ?

M. Pierre Moscovici. - Vous me permettrez d'être aussi provocateur dans ma réponse !

Mme Nathalie Goulet. -Si je comprends bien, lorsque vous employez l'expression « peu cohérent », votre reproche est violent ; de même, votre « légère mauvaise humeur » est en fait de l'agacement... Pourriez-vous nous fournir un glossaire l'année prochaine ? Je serai moins diplomate que vous en mettant en avant la chaîne d'irresponsabilité qui nous a conduits à la situation actuelle : finalement, personne n'est responsable ; les éléments d'information ne sont pas transmis ; le Parlement est incapable de se faire entendre, etc.

Avec quelques collègues, pour montrer notre agacement, nous avons attaqué devant le Conseil d'État le décret d'annulation de crédits de février, car celui-ci constitue un vrai dol budgétaire. La procédure est toujours en cours.

Quelles seront les conséquences de ce budget sur la signature de la France ? Les agences de notation sont en train de revoir leur position et leur notation. Que pensez-vous également du niveau des engagements hors bilan ? Le texte ne comporte rien sur la lutte contre la fraude et l'évasion fiscale. Ne faudrait-il pas pourtant prendre ces sujets à bras-le-corps ?

M. Raphaël Daubet. - Vous jugez que les prévisions d'inflation du Gouvernement en 2025 sont « un peu élevées » : pourriez-vous nous en dire plus ?

Le poids de la dette nous permet-il encore d'agir ? L'important dans la dette, c'est ce que nous en faisons. Celle-ci nous permet-elle de financer des investissements d'avenir susceptibles d'améliorer notre croissance ?

M. Laurent Somon. - Nous avions eu déjà des déceptions sur les recettes l'an dernier. Cette année le dérapage par rapport aux prévisions initiales est encore plus flagrant, sans que nous ayons d'explications précises. Les montants escomptés pour les nouvelles recettes sont-ils crédibles ou bien vous paraissent-ils optimistes ?

M. Jean-Raymond Hugonet. - Le tableau de l'état des finances publiques que vous nous avez présenté est catastrophique. Nous ne sommes pas surpris : voilà trois ans que nous prêchons dans le désert. La catastrophe était annoncée. L'épargne est surabondante en France. 'Comment pourrait-elle à un moment donné être utilisée ? J'ai l'impression qu'elle est dans l'oeil du cyclone...

M. Stéphane Sautarel. - L'évolution de la dépense publique ne me semble endiguée que de manière très limitée. Vous avez expliqué qu'il ne s'agissait pas d'austérité. Vous avez rappelé les vertus de la rigueur. Mais peut-on parler de rigueur ? Il est aussi peu question de réduire les dépenses fiscales dans ce budget. Avez-vous des éléments sur ce sujet ?

M. Pierre Moscovici. - Un autre scénario est-il possible ? Nous devons absolument reprendre le contrôle de nos finances publiques. C'est le rôle du Parlement, et non du HCFP, de définir les modalités. J'indique toutefois qu'il est crucial d'analyser les dépenses sous le prisme de la qualité. Je ne sais pas si un PLFR sera nécessaire. Tout dépendra de la qualité de l'exécution du budget.

Vous me demandez à quoi sert le Haut Conseil. Mais, au fond, la question est, si j'en juge par certains de vos propos : à quoi servons-nous tous ? Le Parlement comme le Haut Conseil sont des vigies, des garde-fous, des lanceurs d'alerte. Le Parlement est plus que cela, c'est aussi le lieu du débat. Si celui-ci n'a pas lieu ou n'est pas suivi d'effets, on assiste à des dérapages budgétaires. Le Parlement est nécessaire. Le Haut Conseil fait aussi un travail utile, en éclairant les débats, en formulant des avis qui sont écoutés par les Français. Ces derniers ont ainsi pris conscience, ces derniers mois, que notre pays était trop endetté. Les enquêtes d'opinion le montrent bien. Ce changement d'attitude montre que nous finissons par être entendus. Cette voix de la vérité finit par être entendue et a des conséquences démocratiques : un pouvoir qui ne l'écoute pas finit par être sanctionné. Nous participons à la qualité du débat démocratique. On pourrait regretter qu'il ne soit pas meilleur dans notre pays, mais quoi qu'il en soit, nous continuerons à jouer notre rôle.

S'agissant de la signature de la France, le Gouvernement prévoit une hausse des taux d'intérêt, qui passeraient de 3,3 % fin 2024 à 3,6 %. L'écart de taux avec l'Allemagne augmente depuis le mois de mai, même s'il s'est un petit peu réduit à la suite de certaines annonces. C'est bien l'indicateur qu'il faut suivre. Il est donc important d'annoncer des mesures crédibles et de les mettre en oeuvre. Il faut aussi faire preuve de stabilité. Si les chiffres que nous donnons ne cessent d'évoluer, cela finit par poser des problèmes.

Je suis un peu embarrassé pour vous répondre sur la fiscalité, la lutte contre la fraude et l'évasion fiscale parce que cela ne fait pas partie des compétences du Haut Conseil. Notre rôle est de formuler un avis sur le réalisme du scénario macroéconomique et des prévisions de recettes et de dépenses. Nous n'avons pas à nous prononcer sur le détail du budget. C'est le rôle du Parlement.

La prévision d'inflation nous semble un peu élevée au regard du mouvement de désinflation entamé depuis le début de l'année et de la conjoncture internationale. Le Gouvernement a révisé en hausse de 0,1 point par rapport au programme de stabilité ses prévisions d'inflation. Certes, celle-ci sera soutenue par la revalorisation des tarifs médicaux en décembre 2024 et par la hausse du coût du travail au niveau du Smic, mais plusieurs facteurs baissiers existent : en septembre 2024, les prix à la consommation n'ont augmenté, d'après l'Insee, que de 1,2 % sur un an. Tout bien balancé, on estime que les estimations sont « un peu élevées ».

Vous me demandez un glossaire pour traduire les avis du HCFP, mais celui-ci émerge progressivement au fil de nos rapports. Je vous rappelle qu'il s'agit d'une jeune institution. Sa « jurisprudence » est encore récente.

Concernant le sujet de l'endettement, la question essentielle est celle du rapport entre la dette et l'investissement. Un pays qui est trop endetté ne peut plus investir dans quoi que ce soit. Il est complètement ligoté. Je ne suis pas un ayatollah du désendettement. Je suis juste convaincu qu'un État trop endetté est paralysé, impuissant et finalement inutile. Nous avons besoin de retrouver des marges de manoeuvre. C'est une question de souveraineté. Tout euro consacré au remboursement de la dette est un euro perdu pour le service public et pour l'investissement ! Voilà pourquoi il faut la réduire.

Il faudra comprendre comment le dérapage sur les recettes fiscales a pu se produire, afin de corriger ce qui doit l'être. Il ne s'agit pas de remettre en cause telle personne ou telle administration. Quelque chose s'est déréglé en 2023 et en 2024. Les prévisions de recettes se sont révélées profondément erronées. Peut-être faut-il modifier les modèles de prévisions - on peut constater que celles-ci sont désormais trop favorables - ou réévaluer l'appréciation des facteurs influant sur les recettes. Je pense notamment à la composition de la croissance. En tout cas, nous devons comprendre ce qui se passe.

Les estimations de croissance de la TVA nous paraissent crédibles. Nous avons quelques raisons de penser que la dérive par rapport aux prévisions devrait être bien moindre l'an prochain, mais nous ne pouvons pas pour autant en être certains.

La préférence française pour l'épargne ne se dément pas, alors que certains facteurs devraient entraîner sa baisse et favoriser une reprise de la consommation. La composition de la croissance en France a changé : elle est désormais tirée davantage par les exportations que par la consommation intérieure. Cela a des effets sur les recettes de TVA. Cette évolution figure parmi les éléments susceptibles d'expliquer la dégradation des rentrées fiscales. Or la consommation intérieure ne repartira vraiment que le jour où l'épargne commencera à refluer. L'économie française est marquée actuellement par une surépargne.

Vous devriez interroger le Gouvernement sur la répartition entre ce qui relève du tendanciel et ce qui est d'ordre structurel. Même si notre appréciation diffère de celle du Gouvernement, je peux comprendre son raisonnement. Néanmoins, s'il prétend réaliser un ajustement de 60 milliards d'euros, il doit justifier que l'évolution tendancielle des dépenses était bien celle qu'il indique.

En revanche, nous sommes formels sur l'effort structurel : celui-ci repose à 70 % sur les hausses de prélèvements obligatoires et à 30 % sur les dépenses. Quant à l'effort fiscal, il sera davantage de l'ordre de 30 milliards d'euros que de 20 milliards.

La devise de la Cour des comptes est : « Elle rétablit l'ordre par la lumière ». Telle est notre mission. J'espère que ces éléments éclaireront vos débats.

Cette audition a fait d'une captation vidéo qui est disponible sur le site du Sénat.

La réunion est close à 11 h 15.

La réunion est ouverte à 11 h 30.

Projet de loi de finances pour 2025 - Audition de MM. Antoine Armand, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie, et Laurent Saint-Martin, ministre auprès du Premier ministre, chargé du budget et des comptes publics

M. Claude Raynal, président. - Messieurs les ministres, monsieur le rapporteur général, mes chers collègues, nous avons le plaisir de recevoir ce matin et pour la première fois MM. les ministres Antoine Armand et Laurent Saint-Martin, qui viennent nous présenter le projet de loi de finances (PLF) pour 2025, délibéré hier soir en conseil des ministres. Je vous adresse à l'un comme à l'autre la bienvenue et, pour commencer, mes voeux de réussite. Je vous souhaite aussi bonne chance pour l'examen de ce budget. Sans partager votre ligne politique, je crois que vous en aurez toutefois besoin !

En effet, ce budget a été préparé, si j'ose dire, à la « va-vite », du fait de circonstances que vous ne maîtrisez pas et qui sont essentiellement du ressort du Président de la République. Malgré cette précipitation, il nous parvient avec un important retard, plus d'une semaine après le délai limite de dépôt du PLF prévu par la loi organique relative aux lois de finances (Lolf) au premier mardi d'octobre. Autant de jours en moins pour l'examiner correctement au Parlement.

Si notre réunion porte sur le projet de budget, il vous est permis d'aborder, si vous le souhaitez, le plan budgétaire et structurel de moyen terme (PSMT), sur lequel le président du Haut Conseil des finances publiques (HCFP) est également revenu ce matin puisque cette instance a rendu son avis sur ce plan qui doit être transmis à Bruxelles fin octobre.

En effet, les sujets sont liés, puisque ce budget est la première étape de ce plan budgétaire pluriannuel. Ainsi se fonde-t-il sur un scénario macroéconomique pour 2025 que le Haut Conseil trouve « dans l'ensemble fragile » et assis sur une prévision de croissance « un peu élevée ». Sans doute pourrez-vous apporter des éléments de réponse sur ces points.

Je vous rappelle que cette audition est retransmise sur le site internet du Sénat ainsi que sur les comptes de réseaux sociaux du Sénat.

M. Antoine Armand, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie. - Je vous remercie pour vos salutations républicaines et je forme des voeux de réussite pour les prochaines semaines de travail sur ces textes budgétaires, dans des circonstances exceptionnelles et qui nous contraignent toutes et tous. Je suis très heureux, avec mon collègue Laurent Saint-Martin, de pouvoir vous présenter ce PLF pour 2025, répondre à vos questions et ainsi entamer le parcours législatif de ce projet de loi.

De manière préliminaire, je voudrais partager avec vous le sentiment et le constat que notre pays se trouve dans une situation inédite et à un moment pivot. Nous sortons d'une crise sanitaire sans précédent et avons traversé une crise énergétique majeure, tandis que la guerre est aux portes de l'Europe, pesant directement sur le continent et sur notre économie. De la même manière, l'escalade au Proche-Orient et au Moyen-Orient fait peser des risques sur le tissu économique européen.

Dans ce contexte, la croissance européenne subsiste, après avoir été relancée au moyen d'investissements publics massifs. Sur l'ensemble du continent, cette croissance reste néanmoins atone : nos économies sont confrontées à un risque d'affaissement productif qui leur fait courir un risque d'effacement face à l'interventionnisme agressif de nos concurrents, notamment celui de la Chine et des États-Unis. Ce ralentissement devra inspirer un agenda de compétitivité nouveau au niveau européen, car, sans une meilleure coordination de nos politiques macroéconomiques et industrielles, sans une défense ferme et résolue de notre tissu productif et industriel, sans un investissement massif - à la fois privé et public - dans l'industrie et dans les transitions écologique et numérique, les économies européennes risquent d'être condamnées.

Dans ce contexte, la France résiste relativement bien, avec une croissance plus élevée que la moyenne des autres pays de la zone euro. L'Insee vient d'ailleurs de relever de 0,1 point la prévision de croissance pour le quatrième trimestre 2024, avec une croissance estimée à 1,1 % pour cette année. De plus, le chômage de masse n'est plus le fléau que nous avons connu, le taux de chômage étant même proche de son plus bas niveau depuis quarante ans, à 7,3 %. S'y ajoute un nombre d'ouvertures d'usines supérieur à celui du nombre de fermetures depuis 2016, d'où un gain de 130 000 emplois nets dans l'industrie depuis 2017. S'y ajoute le fait que nos exportations augmentent et que notre pays est le plus attractif de la zone euro en matière d'investissements directs étrangers, tandis que l'inflation continue à refluer : supérieure à 4,5 % l'an passé, elle devrait être inférieure à 2 % en 2025.

Nos fondamentaux économiques sont donc solides, grâce à une série de réformes conduites depuis 2017 et à l'action déterminée des gouvernements qui se sont succédé, parmi lesquelles la baisse des impôts de 60 milliards d'euros - moitié pour les ménages, moitié pour les entreprises - ; les réformes du droit du travail et de l'assurance chômage, à la fois pour viser le plein emploi et pour s'assurer que le travail paie mieux ; la réforme des retraites et la progression du taux d'emploi des seniors ; les efforts consentis en faveur de la recherche et de l'enseignement supérieur ; le développement de l'apprentissage, avec, à la clé, un record du nombre d'apprentis dans notre pays. Nous avons également fait voter un certain nombre de lois de transformation et de simplification de l'économie, une dynamique que nos entrepreneurs, quelle que soit la taille de leur société, souhaitent voir poursuivie. Est-ce suffisant ? Évidemment non. Faut-il continuer ? Évidemment oui.

L'économie française résiste, c'est un fait, mais notre dette publique est colossale. En 2024, elle devrait s'établir à 3 300 milliards d'euros, soit près de 113 % du PIB. Cette dette résulte de cinquante budgets nationaux en déséquilibre et d'une dépense publique qui a augmenté quasiment chaque année au cours des dernières décennies ; elle est également la conséquence de la réponse massive que la représentation nationale a souhaité apporter aux crises financière, sanitaire et énergétique.

Cependant, la dette n'est pas uniquement une question financière, elle est aussi une question politique, économique et sociale. Elle représente d'abord un enjeu de souveraineté, car si nous ne pouvons plus nous financer à des taux raisonnables sur les marchés, nous ne pourrons pas continuer de préparer l'avenir et de maîtriser nos déficits. Elle constitue ensuite un enjeu de crédibilité, car nous sommes, je le rappelle, le troisième pays le plus endetté de la zone euro. C'est pourquoi ce budget est le premier d'une série qui vise à repasser, en 2029, sous le seuil des 3 % de déficit, comme l'a annoncé le Premier ministre. Ce seuil n'a rien d'un dogme, mais il nous permettra de stabiliser notre dette et de fixer un horizon de désendettement.

Enfin, la dette est une question économique et sociale. Nous paierons en effet plus de 50 milliards d'euros d'intérêts de la dette cette année et, si rien n'est fait, cette charge de la dette deviendra le premier poste de dépenses de l'État. Concrètement, cela signifie que nous dépenserons plus d'argent pour rembourser les seuls intérêts que pour l'éducation, la sécurité ou le tissu socio-économique : je crois que nul ne peut s'y résoudre.

Une telle situation implique de bousculer nos pratiques et notre façon de dépenser l'argent public, ainsi que d'agir collectivement pour redresser nos comptes.

Le premier objectif de ce budget et de la trajectoire qui l'accompagne, conformément à la volonté du Premier ministre et en lien avec mon collègue Laurent Saint-Martin, consiste à réduire notre déficit et à contenir notre endettement dès cette année. Il s'agit d'une nécessité afin de protéger la signature de la France et d'assurer notre stabilité économique, à un moment où l'ensemble de nos partenaires européens nous regardent avec attention. Les questions budgétaires ont en effet été abordées au cours des réunions de l'Eurogroupe et du conseil Ecofin qui se sont tenues en début de semaine : si les prévisions de nos partenaires se réalisent - nous avons de bonnes raisons de penser que tel sera le cas -, nous serons le seul pays à dépasser les 3 % de déficit à partir de la fin de l'année 2026.

Nous devons donc nous interroger en profondeur sur l'ensemble de nos dépenses publiques : si nous dépensons davantage dans les services publics, les citoyens n'en sont pas plus satisfaits pour autant. Parmi les nombreux leviers que nous aurons à actionner à court et à moyen terme figurent la simplification et la réforme de l'État ; la maîtrise de la dépense de l'État, de la dépense sociale et de la dépense locale ; ainsi que la maîtrise de l'ensemble des emplois publics.

Ce budget doit aussi protéger nos leviers de croissance et de transformation dans un monde où la France a engrangé un cumul de croissance de près de trois points depuis 2019, contre 0,3 % pour une Allemagne qui n'a donc pas pu tirer la croissance au niveau européen. L'effort que nous consentons est important et nous permettra d'atteindre un déficit de 5 % en 2025, un point d'ancrage vital pour notre crédibilité européenne et notre crédibilité sur les marchés, afin de convaincre que nous nous situons bien sur une trajectoire permettant de redresser nos comptes, avec un déficit qui devra être de 3 % d'ici à 2029.

C'est pour cette raison que nous voulons faire porter l'essentiel de cet effort sur la baisse des dépenses plutôt que sur la hausse des prélèvements obligatoires. Ces efforts temporaires doivent être accompagnés de réformes profondes devant permettre d'améliorer l'efficacité de la dépense publique française, qui est la plus élevée de l'Union européenne. Si certaines de ces réformes sont d'ores et déjà inscrites dans ce projet de budget, d'autres devront venir en complément dans les prochaines semaines, afin de montrer que la France continue à améliorer à la fois l'efficacité de sa dépense et son système de soutien à l'emploi et à l'industrie. En liaison avec Guillaume Kasbarian, ministre de la fonction publique, de la simplification et de la transformation de l'action publique, ainsi qu'avec Laurent Saint-Martin, nous engagerons un plan de simplification et de modernisation du service public visant à produire des gains durables d'efficacité tout en maintenant et en améliorant la qualité du service rendu aux usagers.

Je souhaite également que nous puissions améliorer la qualité de nos prévisions et du suivi de nos comptes en y associant l'ensemble de la représentation nationale, un sujet que vous avez soulevé à plusieurs reprises. De nombreuses et légitimes interrogations ont émergé concernant les écarts de prévisions, autant en dépenses qu'en recettes, sur le budget de l'État, dès 2023 et plus encore en 2024 : il faut que toute la transparence soit faite sur ce sujet et que vous puissiez bénéficier de la totalité de l'information.

Une mission de l'Inspection générale des finances (IGF) consacrée aux causes des écarts constatés a rendu ses conclusions cet été : nous devons dès maintenant en tirer les conséquences opérationnelles, et je lancerai un plan d'action interne pour améliorer la qualité et la transparence des prévisions des finances publiques, sur la base des propositions de cette mission et d'un diagnostic actualisé sur les écarts apparus entre prévision et exécution en 2024. Je vous présenterai, à l'occasion d'un point d'étape d'ici à la fin de cette année, le renforcement de ces outils.

Ces diagnostics étant établis, j'en viens à la question des prélèvements, qui revêtiront, j'y insiste, un caractère transitoire, exceptionnel et ciblé, dans un pays qui détient déjà le record mondial du taux de prélèvements obligatoires. Je rappelle que les entreprises ont été fortement soutenues, à la fois face aux crises et dans leur croissance. C'est sur cette base que nous demandons aux plus grandes entreprises - celles dont le chiffre d'affaires est supérieur à 1 milliard d'euros et qui sont bénéficiaires - un complément exceptionnel sur leurs profits en 2025 et en 2026. Ce complément représentera 8 milliards d'euros pour 2025, 4 milliards pour 2026, et concernera 440 groupes. Considérable, cet effort est nécessaire pour atteindre l'ancre de 5 % de déficit dès 2025.

De la même manière, nous devons, en responsabilité, reporter la suppression de la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises (CVAE), quand bien même nous n'avons pas changé d'avis sur cet impôt de production qui pénalise notre industrie dans la compétition internationale : sa baisse devra donc reprendre dans trois ans. Nous poursuivons également la trajectoire d'évolution du malus automobile, qui permet d'inciter les constructeurs français et étrangers à déployer une offre de véhicules propres. C'est avec ce même objectif de verdissement que nous proposerons par amendement une hausse de la taxe sur les billets d'avion, dont le périmètre inclura les jets privés. L'augmentation sera mesurée, mais il nous paraît normal que ceux qui voyagent beaucoup en avion contribuent davantage aux investissements que nous devons effectuer pour la transition énergétique et écologique.

En conclusion, même si l'outil fiscal nous apparaît nécessaire à court terme pour rétablir nos comptes publics, rester crédibles et préserver notre modèle social, nous conservons une doctrine de soutien ferme à l'activité et une politique de l'offre. Compte tenu du fait que ce budget est perfectible eu égard à ses délais d'élaboration, nous nous engageons à ce que chaque proposition documentée qui viserait à remplacer un euro de fiscalité par un euro d'économies soit instruite et retenue à chaque fois que c'est possible.

Nous sommes à la disposition de la représentation nationale pour améliorer autant que faire se peut ce PLF, dans le cadre d'un débat que nous espérons sincère et constructif.

M. Claude Raynal, président. - En vous écoutant, monsieur le ministre, j'ai eu l'impression d'entendre à nouveau votre prédécesseur, avec ce rappel de réussites très largement contestables et une absence d'explications sur l'état désastreux de nos comptes publics, à un niveau jamais atteint hors période de crise. Le Sénat est cependant prêt à vous éviter un rappel permanent des périodes passées : parlons de l'avenir.

M. Laurent Saint-Martin, ministre auprès du Premier ministre, chargé du budget et des comptes publics. - La présentation de ce budget s'effectue dans un calendrier inédit, avec du retard et les difficultés qui en découlent pour son examen au Parlement.

Avant de présenter le cadre de responsabilité et la méthode que nous entendons suivre, puis de détailler le contenu du budget, j'indique en toute transparence que le Gouvernement portera des propositions complémentaires au cours du débat. Compte tenu des contraintes de temps, et pour le dire de manière assez triviale, tout le texte n'y est pas. Vous remarquerez ainsi la différence entre le solde public visé en 2025 - 5 % - et l'ensemble des mesures en recettes et en dépenses présentes dans le texte. Par voie d'amendements, des compléments seront donc apportés, à la fois sur la baisse de la dépense publique et sur les recettes complémentaires.

S'agissant du cadre de responsabilité et de la méthode que nous vous proposons, je me suis engagé dès ma première audition à l'Assemblée nationale à tenir un discours de vérité, et je le tiens à nouveau devant vous : les deux textes financiers de cet automne, le PLF et le projet de loi de financement de la sécurité sociale (PLFSS) pour 2025, prévoient un effort de redressement de nos comptes publics à hauteur de 60 milliards d'euros, effort à la fois urgent et inédit par son ampleur. Je considère surtout que cet effort, qui représente deux points de PIB, est nécessaire pour ramener le déficit public à 5 %.

Monsieur le président, vous avez affirmé qu'il ne fallait pas se faire les avocats des gouvernements précédents, mais je crois qu'il ne faut pas non plus s'en faire les procureurs. L'enjeu consiste plutôt à évaluer l'effort financier que nous devons fournir afin de dessiner une nouvelle trajectoire permettant à notre pays de revenir sous le seuil des 3 % de déficit à l'horizon 2029. Cet objectif implique de franchir une première marche - très haute - d'un retour à 5 % de déficit dès 2025, ce qui équivaut à deux points de PIB compte tenu de l'augmentation tendancielle.

Nous devons tous être conscients de cet objectif, même si les voies et moyens pour trouver ces 60 milliards d'euros susciteront des divergences entre les différentes forces politiques, ce qui est tout à fait normal. Rappelons, malgré tout, que nous n'abordons pas ce défi sans élan, puisque les décrets d'annulations de crédits et la préparation des lettres plafonds constituent une base. En tout état de cause, nous ne devons pas compromettre cette trajectoire de réduction des déficits, qui est bien la priorité absolue : à l'intérieur de ce cadre de responsabilité, il existe un espace pour tracer collectivement un chemin et il appartient au Gouvernement de proposer des solutions pour atteindre l'objectif.

Le terme de « lignes rouges » a été très utilisé ces dernières semaines dès lors qu'il est question du budget. Pour ma part, je n'en ai qu'une : à la fin, le quantum d'efforts devra atteindre 60 milliards d'euros. Certains considéreront que cela doit davantage passer par des efforts fiscaux, tandis que d'autres privilégieront les économies budgétaires, dont acte, l'essentiel étant que nous ayons le même cap et partagions le même objectif final.

La proposition du Gouvernement vise à répartir l'effort entre deux tiers d'économies budgétaires et un tiers de nouvelles recettes, par le biais d'une fiscalité dont une bonne partie sera temporaire, exceptionnelle et ciblée. En résumé, nous nous sommes fixé une règle d'or : pour un euro de recettes nouvelles, il doit y avoir deux euros d'économies budgétaires, cette philosophie budgétaire nous semblant à la fois équilibrée, juste et nécessaire. Il n'est en effet pas question de casser les mécanismes qui ont bien fonctionné ces dernières années, à savoir une politique de l'offre, une diminution du chômage et une attractivité retrouvée. Il faudra donc faire preuve de vigilance quant aux effets de la fiscalité et assumer des baisses de dépenses publiques sans pour autant casser ou grever des services publics utiles à nos concitoyens.

L'effort de diminution des dépenses doit d'abord être porté par l'État, qui en assumera la moitié, soit environ 20 milliards d'euros. Plus précisément, 15 milliards d'euros sont déjà inscrits dans les lettres plafonds et 5 milliards d'euros seront ensuite proposés par voie d'amendements, auxquels s'ajoutera un effort de 1,5 milliard d'euros au niveau des opérateurs, là aussi par voie d'amendements. Il n'est en effet pas envisageable d'exiger une contribution de la part des collectivités territoriales sans que l'État montre l'exemple. Nous demandons à ces dernières un effort à hauteur de 5 milliards d'euros, un montant qui nous semble proportionné. Surtout, nous devrons trouver les voies et moyens pour le mener à bien de la manière la plus cohérente par rapport à la réalité des finances locales. Je serai ainsi très attentif à ce que leur hétérogénéité soit prise en considération de la façon la plus fine possible.

En outre, et même si ce n'est pas l'objet de ce texte, nous demanderons également des économies aux administrations de la sécurité sociale, en proposant de limiter à 2,8 % l'évolution de la dépense sociale, à un niveau qui restera de facto bien supérieur au niveau de l'inflation en 2025. Cette précision me permet d'anticiper la question portant sur la « casse sociale » ou sur le ralentissement trop brutal des dépenses sociales : il s'agit d'un nécessaire freinage à la suite d'évolutions trop rapides d'un certain nombre de dépenses, mais en aucun cas d'une cure d'austérité. Au contraire, les dépenses augmenteront, l'objectif national de dépenses d'assurance maladie (Ondam) devant ainsi être supérieur d'un point à l'inflation.

Je reviens sur les efforts demandés à l'État, en soulignant que nous voulons faire mieux avec moins, d'où le fait d'assumer la suppression d'aides ayant permis de protéger nos entreprises, nos concitoyens et nos territoires contre les crises successives. Il est bien question de retirer les boucliers tels que ceux qui ont été déployés pour éviter une flambée des factures d'électricité : une fois que l'inflation reflue et que les prix de l'énergie baissent d'autant, nous devons être en capacité d'arrêter de dépenser l'argent du contribuable pour protéger le pouvoir d'achat.

In fine, nous actons dans ce budget la fin du « quoi qu'il en coûte » mis en oeuvre en réponse aux crises sanitaire et inflationniste. Nous devons en outre réajuster les dispositifs de soutien à l'emploi, qu'il s'agisse de l'activité partielle, de l'apprentissage ou des diverses aides à l'emploi, à un moment où le chômage est au plus bas dans notre pays depuis quarante ans, ce dont il faut se féliciter. Un certain nombre de recalibrages de ces aides publiques devra d'ailleurs être mené à la lumière des conclusions de la direction de l'animation de la recherche, des études et des statistiques (Dares).

Il nous faut également adapter les crédits aux besoins réels. Dans les différents services publics, le nombre des bénéficiaires va en effet évoluer naturellement et nous devrons donc adapter les moyens publics en conséquence, à la fois en crédits et en nombre d'équivalents temps plein (ETP). J'estime qu'il est temps d'abandonner le réflexe manichéen selon lequel un budget en hausse est un bon budget et un budget en baisse un mauvais budget.

Au contraire, un bon budget doit avant tout viser l'efficience de la dépense publique. Par exemple, les dépenses consacrées à l'apprentissage ont triplé pour atteindre environ 16 milliards d'euros depuis 2017, avec des résultats incontestables, mais une bonne gestion doit conduire à les réajuster. De la même manière, il existe trois différents outils d'aide aux véhicules propres, ce qui laisse à penser qu'il existe une marge de rationalisation et de diminution des coûts, même s'il faut poursuivre la démarche de transition.

D'autres rationalisations inscrites dans le PLFSS me semblent aller dans le bon sens, sans pour autant affecter la qualité de l'accès aux soins. Concernant les opérateurs, un esprit de réforme consistant à s'assurer qu'il n'existe pas de doublons me semble de bon aloi, tout comme le fait d'éviter de laisser subsister des trésoreries dormantes.

La réforme structurelle de nos dispositifs doit aussi permettre d'améliorer leurs effets économiques. De ce point de vue, les aides aux entreprises, notamment les allègements généraux de charges, doivent être examinées à l'aune des propositions relatives à la « désmicardisation » issues du rapport d'Antoine Bozio et d'Étienne Wasmer, ainsi qu'en fonction du freinage des aides de l'État qui paraissent nécessaires sur un quantum de près de 80 milliards d'euros d'allègements généraux. J'estime que nous pouvons avoir ce débat sans y voir la « casse » de la politique de l'offre ou de l'emploi dans notre pays.

Toujours au sujet de l'État, il nous faut savoir freiner avec courage certaines politiques publiques dont le coût a progressé trop fortement dans les années récentes par rapport aux moyens de l'État : tel est le cas de l'aide publique au développement (APD), en forte hausse depuis 2017, en vertu d'un engagement pris. Peut-on freiner l'augmentation de cette enveloppe sans qu'il s'agisse d'un reniement ? Je crois que oui.

En matière d'effectifs, il s'agit également de faire mieux avec moins. Là encore, point de rabot ou de coupes aveugles, mais bien une réflexion ligne à ligne en mettant en perspective les effectifs présents dans un certain nombre de ministères et d'opérateurs et le service public rendu. Nous procéderons à des hausses substantielles d'effectifs pour renforcer les fonctions régaliennes - la justice, les armées -, tandis que les effectifs du ministère de l'intérieur seront préservés. D'autres ministères connaîtront des baisses d'effectifs, à commencer par Bercy, tandis que la baisse du nombre de bénéficiaires conduira à une diminution d'effectifs au sein de France Travail.

Nous ne vous présentons donc pas une démarche à l'aveugle ou qui serait uniquement fondée sur le rabot : même si des baisses existent, elles émanent d'abord de réflexions autour de l'efficience de la dépense publique, autour des opérateurs et autour de réductions d'effectifs ne grevant pas la qualité de nos services publics.

En contrepoint, un tiers de l'effort portera sur la fiscalité, d'où une imposition renforcée pour les contribuables les plus fortunés, à qui il paraît légitime de demander une participation à ce redressement collectif des finances publiques.

En conclusion, je tiens à faire preuve de transparence sur les éléments du PLF susceptibles d'évoluer. Par exemple, le garde des sceaux a été clair quant à la nécessité de se rapprocher davantage de la loi d'orientation et de programmation du ministère de la justice, demande qui paraît tout à fait cohérente avec l'accent mis sur le renforcement des fonctions régaliennes. Dans le domaine de la proximité territoriale, les dotations versées à La Poste et à l'Agence nationale pour la rénovation urbaine (Anru) seront revues et réabondées par voie d'amendement afin d'assurer un maillage territorial plus fin. Nous proposerons également de rehausser les crédits dédiés au financement de notre patrimoine, tandis que la réduction de loyer de solidarité (RLS) sera maintenue en 2025.

En matière fiscale, nous proposerons, comme cela a été annoncé par le Premier ministre, une extension du prêt à taux zéro (PTZ) à l'ensemble du territoire pour tous les primo-accédants, même s'il faudra débattre plus précisément des conditions afin d'évaluer le coût du dispositif.

Enfin, je partage le souhait exprimé par le ministre de l'économie de vous rendre régulièrement compte des informations dont nous disposons sur les prévisions des finances publiques. De la même manière, le suivi des dépenses devra aussi faire l'objet de comptes rendus réguliers auprès de la représentation nationale.

Nous souhaitons sincèrement que ce texte puisse être enrichi, débattu et amendé, car ce budget est - sans doute plus que les autres - un budget de débat, au sein duquel plusieurs voies sont possibles, à l'opposé d'un budget « vertical ». Il convient cependant que nous convenions de la nécessité absolue de redresser nos comptes publics comme préalable à toute modification, car l'avenir de la souveraineté de notre Nation est en jeu quand nous débattons de notre endettement et de nos finances publiques.

M. Claude Raynal, président. - L'ouverture du principe de recettes nouvelles constitue un premier motif de satisfaction. Depuis la crise du covid, beaucoup ici annonçaient cette nécessité à terme et nous sortons enfin de l'hypocrisie, même si ceux qui sont, pour une large part, responsables de la situation actuelle de nos finances publiques osent encore fixer des « lignes rouges » quant à ces recettes nouvelles, pourtant indispensables.

Monsieur le ministre de l'économie, vous avez communiqué au HCFP une première mouture de la trajectoire associée au PSMT, pour l'instant très légère sur le plan de la documentation. Pourrez-vous nous transmettre des éléments plus fournis permettant de mieux comprendre ce PSMT ?

Monsieur le ministre du budget, la notion de « tendanciel » fait apparaître des niveaux variables de déficit et de baisses de dépenses. Pourriez-vous nous éclairer sur cette nouvelle base ?

M. Jean-François Husson, rapporteur général. - Messieurs les ministres, je vous souhaite la bienvenue dans un contexte aussi inédit que difficile.

Monsieur le ministre de l'économie, la France résiste, selon vous. Allons au bout du constat : si la France résiste, nos comptes publics dévissent dangereusement depuis le début de l'année et se dégradent à une vitesse folle. Sur les neuf mois qui se sont écoulés depuis l'adoption du budget pour 2024, le temps politique s'est lui aussi accéléré puisque nous avons connu trois Premiers ministres, ce qui est historique.

Si une feuille de route est possible, tâchons d'en partager les objectifs et, dans la diversité des sensibilités, de tenter de contribuer à tout ou partie de la réussite. Je ne fixe pour ma part aucune ligne rouge : nous ferons tout pour réduire le niveau de nos dépenses publiques, même s'il faudra, pour atteindre un total de 60 milliards d'euros, accepter une part d'effort en recettes qui, je l'espère, sera temporaire. Nous sommes en tout état de cause observés avec encore plus d'attention que par le passé.

Le contexte est également inédit en ce qui concerne les conditions d'examen de la loi de finances. Pour la première fois sous la Ve République, nous aurons en effet à débattre d'amendements susceptibles de modifier considérablement les équilibres du PLF. Une fois encore, nous ferons tout notre possible, car nous n'avons pas le droit de tricher avec les Français et encore moins avec leur argent, car la dépense publique, c'est l'argent des Français.

Vous évoquez un ajustement de 60 milliards d'euros en 2025, c'est-à-dire par rapport au solde public « à politique inchangée ». Ces 60 milliards d'euros ne proviennent pas d'une comparaison avec le solde 2024, mais avec le solde tel qu'il aurait été en 2025 si rien n'avait été fait. Est-ce à dire que le déficit public se serait élevé à 7 % du PIB en 2025, à politique inchangée ?

Ensuite, le ratio dette sur PIB rejoint le niveau atteint en 2020 : sa hausse, pour atteindre 112,9 % du PIB cette année, se poursuivrait l'année prochaine pour parvenir à 114,7 % du PIB. Je veux tout d'abord saluer la sincérité de ces prévisions : à la différence du gouvernement précédent, dont les prévisions changeaient environ tous les deux mois, vous dites la vérité aux Français.

Les conditions de financement de l'État deviennent, quant à elles, problématiques. En 2023 comme cette année, le déficit public a été plus élevé que prévu et, depuis juin dernier, les taux d'emprunt augmentent. On emprunte donc davantage et dans de moins bonnes conditions, tandis que la charge de la dette augmente fortement . Quelles mesures imaginez-vous afin de rompre ce cercle vicieux ?

En 2024, la loi de finances prévoyait un déficit à 4,4 %, tandis que le programme de stabilité anticipait 5,1 %. La prévision est désormais de 6,1 %, voire 6,3 % si l'on en croit une note interne de Bercy. Une partie de ce dérapage vient du fait que le Gouvernement n'a pas souhaité déposer de projet de loi de finances rectificative. Comment peut-on être certain que la prévision sera tenue ? Envisagez-vous de transformer les gels en annulations dans le projet de loi de finances de fin de gestion, ou bien de reporter encore des crédits de 2024 sur 2025 ?

Lorsque nous avons mené une mission flash pour comprendre le dérapage des comptes publics, votre prédécesseur avait trouvé une formule magique, la perfect storm - la tempête exceptionnelle - renvoyant à des erreurs de prévision de l'administration tout en promettant que cela ne se reproduirait plus. Mais la situation se poursuit ! Comprenez donc notre désarroi, notre inquiétude et mon agacement, parce que cela entache le travail du Sénat ; on peut en effet au moins reconnaître notre constance à pointer le risque de dérapage par la poursuite de mesures de crise, dont on paye aujourd'hui très lourdement le prix.

M. Antoine Armand, ministre. - Le PSMT sera présenté mardi prochain en conseil des ministres et fera ensuite l'objet d'une information complète au Parlement. Je puis néanmoins vous en dire quelques mots.

L'objectif est de passer nettement sous les 3 % en 2029, ce qui serait possible du fait de l'évolution des règles budgétaires européennes que nous avons adoptées récemment, et dont la France serait le premier bénéficiaire. Cela correspondrait d'ici là à un ajustement structurel primaire moyen d'un peu plus de 0,7 point de PIB par an, taux supérieur en 2025 et en moyenne annuelle à ce qu'exigent les règles de la Commission européenne telles que nous les interprétons. Ce n'est pas pour faire plaisir à une institution que nous nous désendettons et réduisons notre déficit pour passer sous la barre des 3 % ; nous le faisons pour les raisons que vous avez évoquées. Nous atteindrions en 2028 un point haut de la dette qui se réduirait à partir de cette date.

C'est assez rare pour le noter : l'effort porte d'abord sur les premières années, à rebours de ce qui se fait habituellement... Il faut, dès l'année prochaine, ancrer notre détermination à rétablir les comptes publics.

Monsieur le rapporteur général, nous n'appliquons pas une méthode particulière : les services travaillent sur le tendanciel, c'est-à-dire sur le niveau qu'atteindraient la dépense, les recettes et le déficit en l'absence de mesures. Écartons toute mauvaise interprétation : cela ne signifie pas que le déficit aurait été de 7 % avec le gouvernement précédent ou avec un autre gouvernement ; cela signifie qu'en l'absence de toute mesure le déficit aurait naturellement filé vers 7 %. C'est la preuve que lorsque nos dépenses publiques ont un rythme de croissance plus important que nos recettes, nous ne sommes plus maîtres de nos comptes publics...

M. Pascal Savoldelli. - Oui, c'est le chaos !

M. Antoine Armand, ministre. - Sur l'effet spirale que peut produire une augmentation du coût de la dette, je ne peux que vous rejoindre, surtout avec les chocs de taux d'intérêt que nous avons connus. Vous avez mentionné l'augmentation des écarts de financement avec un certain nombre de pays : nous nous finançons à dix ans - un des taux les plus importants - au même niveau que l'Espagne ; ce n'était pas le cas il y a quelques années. Notre écart avec l'Allemagne s'est accru sensiblement. Cela a un coût direct : à peu près 10 milliards d'euros - autant d'argent en moins pour réduire les déficits ou pour investir.

Les conditions de financement de la dette sont une préoccupation quotidienne du ministère de l'économie et des finances et de l'Agence France Trésor en particulier. Notre dette a une bonne liquidité, une bonne diversification et nous sommes arrivés à 90 % du programme d'émission. Mais cela n'enlève rien au fait que toute absence de signal clair de réduction du déficit public dans le budget adopté viendrait dégrader la confiance des marchés et des institutions dans notre capacité à nous financer durablement, ce qui aurait un impact direct sur notre propre déficit en retour.

Nous devons être transparents sur les prévisions : il y va de la confiance de la population et de la représentation nationale. Il est difficile de faire aujourd'hui le compte rendu exhaustif de tout ce qui s'est passé ; nous pourrons en reparler si vous le souhaitez. À ce stade, je puis vous dire qu'une évolution a pris par surprise les services et d'autres instituts, celle de l'élasticité des recettes à la croissance : notre croissance est visiblement plus pauvre en recettes fiscales que ce que nous pensions.

M. Jean-François Husson, rapporteur général. - Pas de perfect storm, donc ! Cela me rassure.

M. Antoine Armand, ministre. - Un autre élément à prendre en compte, c'est notre capacité à nous remettre de la crise covid. Nous avons subi des pertes de PIB et l'élasticité des recettes au PIB a complètement changé. Nous cherchons à prévoir quand nous reviendrons à l'époque d'avant. Dans nos hypothèses sous-jacentes macroéconomiques, nous avons choisi un taux extrêmement prudent, validé par le HCFP. Mais étant donné ce qui s'est passé, je ne peux que vous dire cela avec beaucoup d'humilité et de transparence...

M. Jean-François Husson, rapporteur général. - Nous vous en savons gré.

M. Antoine Armand, ministre. - Ce sont nos estimations à date. Je vous tiendrai informés de notre capacité à mieux analyser et expliquer ce que je viens simplement de décrire et vous associerai à notre réflexion pour la suite.

M. Laurent Saint-Martin, ministre. - S'agissant du tendanciel, les vecteurs d'accélération de la dépense peuvent être l'inflation ou la hausse des taux d'intérêt. Certaines grandes masses sont responsables au premier chef de l'accélération de nos dépenses dites tendancielles : la revalorisation des retraites indexée au 1er janvier, par exemple, a un effet de 10 milliards d'euros, contre 14 milliards au 1er janvier 2024. La charge de la dette représente quasiment une hausse de 10 milliards - sur ce sujet, nous n'avons pas de frein ; d'où l'importance de savoir la refinancer le mieux possible. L'Ondam connaît une accélération de 10 milliards d'euros avant les mesures de freinage.

Même si nous ne parlons pas du PLFSS aujourd'hui, le Ségur de la santé équivaut à 30 milliards d'euros par an, même si je ne juge pas le fond, car cela comprend des revalorisations et des investissements.

Parler en tendanciel de ce quantum de 60 milliards d'euros nous permet d'assumer la technique de freinage nécessaire pour ne pas aller dans le mur, avec des déficits publics qui nous empêcheraient durablement non seulement de redresser nos comptes, et donc de respecter nos engagements, mais qui feraient surtout peser un véritable risque sur le refinancement de notre dette. Nous avons eu au Sénat la semaine dernière un débat sur le financement de la dette : le risque pesant sur la signature est un sujet extrêmement important. La charge de la dette ne doit pas devenir la problématique budgétaire numéro un.

Il faut donc freiner fort et le plus tôt possible pour entamer un processus qui permettra à la France de se désendetter ; nous n'y sommes pas encore : avec 5 % de déficit public l'an prochain, la dette continuera à augmenter. Faisons en sorte que la charge de la dette ne soit pas continuellement le premier poste de dépenses budgétaires.

M. Jean-François Husson, rapporteur général. - Nous partageons cet objectif.

M. Laurent Saint-Martin, ministre. - C'est un enjeu majeur de souveraineté. Garder une qualité de signature, c'est aussi extrêmement important. Ce budget ne répond pas à tout : il nous faudra un agenda de réformes de structure. Les spécialistes en valeurs du Trésor (SVT) et les investisseurs qui observent la signature française regardent deux éléments en priorité : les principaux postes de dépenses d'une part - pourquoi notre dépense sociale est-elle supérieure de 5 points de PIB à celle de nos voisins ? Pourquoi la part des pensions est-elle si importante dans notre pays et comment régulons-nous son dérapage financier ? - et les réformes structurelles prévues d'autre part. Le freinage rassurera, mais ne sera pas totalement suffisant.

Monsieur le rapporteur général, oui, il y aura des annulations dans les 16 milliards d'euros de crédits qui ont été surgelés par le précédent gouvernement, mais pas la totalité, car c'est techniquement impossible. Il n'y aura pas de report.

M. Jean-François Husson, rapporteur général. - Très bien.

M. Bernard Delcros. - Depuis de longues années, le groupe Union Centriste considère qu'on ne pourra pas redresser les comptes du pays en s'appuyant uniquement sur la réduction des dépenses. Lors du dernier projet de loi de finances, nous avons ainsi déposé de nombreux amendements visant à augmenter les recettes : progressivité différente de la contribution exceptionnelle sur les hauts revenus (CEHR), taxation des rachats d'actions, exit tax, contribution sur les superprofits, arbitrage des dividendes, ou report de la suppression de la CVAE. La plupart ont été adoptés par le Sénat, mais n'ont pas résisté à l'épreuve du 49.3. Vous reprenez un certain nombre de ces propositions ; nous les considérons évidemment de manière positive même si nous devons les examiner dans le détail.

À titre personnel, je ne suis pas complètement fermé à une participation des collectivités, mais sur la base d'une justice territoriale. De la même façon que nous sommes attachés au principe de justice fiscale, il faudrait établir, pour les collectivités, un principe de justice territoriale. Or parmi les trois principales mesures que vous proposez pour atteindre 5 milliards d'euros d'économies, la première est une baisse de deux points du fonds de compensation pour la taxe sur la valeur ajoutée (FCTVA). En effet, la TVA étant payée sur le hors taxe, passer de 16,4 % à 14,8 % équivaut à une baisse de deux points. Une telle baisse uniforme pour toutes les collectivités, quelle que soit leur situation ou leur taille, ne nous paraît pas juste, en particulier pour les plus petites communes. Nous proposerons donc de revoir ce dispositif pour les collectivités concernées.

Vous proposez en outre de réduire l'éligibilité du FCTVA, excluant, par exemple, l'entretien de la voirie ; cela pénalisera encore les plus petites communes, notamment rurales, qui comptent 200 ou 300 habitants, mais ont 60 kilomètres de voirie à entretenir. Il faudra revoir cette mesure.

Par ailleurs, vous prévoyez une augmentation de la dotation globale de fonctionnement (DGF) à hauteur de 320 millions d'euros, comme l'année précédente, fléchée principalement sur la péréquation, une mesure que nous approuvons. Nous approuvons l'article 27 tel qu'il est rédigé.

Enfin, j'évoquerai un dernier point auquel j'attache personnellement beaucoup d'importance, à savoir la suppression de 4 000 postes d'enseignants dans le primaire, une mesure inacceptable en l'état. Certes, la démographie scolaire est en baisse, mais celle-ci n'est pas linéaire : un nombre moindre de quelques élèves dans une classe ne justifie pas sa suppression. Les élus et les acteurs du monde éducatif ont besoin d'avoir une visibilité à trois ans - c'est d'ailleurs inscrit en toutes lettres dans le plan France Ruralités. Je ne refuse pas toute suppression de postes d'enseignants, mais cela ne peut pas suivre une logique comptable.

Mme Vanina Paoli-Gagin. - Quel est votre chiffrage global de l'effort qui est demandé à nos universités ? Pouvez-vous être plus précis sur la non-compensation et l'augmentation du compte d'affectation spéciale (CAS) Pensions ? Quid du rabot sur la recherche ? Au moment où l'Europe est menacée d'un décrochage par rapport aux États empires qui déversent des trillions sur des technologies de rupture comme le quantique, l'intelligence artificielle (IA), les biotechnologies, l'ARN messager, est-ce le moment de faire des coupes ?

M. Pascal Savoldelli. - Merci, messieurs les ministres Renaissance : en vous écoutant j'ai l'impression de revivre la politique antérieure - il faut vous reconnaître cette cohérence.

Vous dites que tout va bien pour l'emploi. Le nombre de contrats de moins d'un mois a explosé de 18 % ; le marché du travail est gangrené par les sous-emplois - emplois occasionnels, uberisation... Vous gagneriez à un peu plus d'humilité, politiquement parlant, bien sûr.

J'ai fait un rapide calcul, mais peut-être me suis-je trompé... Les 30 milliards d'euros de prélèvements obligatoires supplémentaires que vous prévoyez ne porteront pas sur les plus riches, mais sur les autres. La contribution sur les revenus ne concernerait que 0,05 % des ménages, avec une ambition de 2 milliards d'euros. La surimposition des grandes entreprises sur leurs bénéfices ne représenterait que 8 milliards, mais après une baisse de 11 milliards : les bénéfices seront donc moins imposés qu'en 2019 ! Il faut prendre en compte le passif de votre précédente majorité.

Dès lors, qui paiera ? Augmentation des factures d'électricité ; du malus des véhicules neufs ; de la TVA sur les chaudières ; de la taxe sur les billets d'avion ; report de six mois de l'indexation des pensions de retraite sur l'inflation ; baisse de 4,9 milliards d'euros de l'Ondam qui pénalisera les assurés sociaux ; 6,3 milliards d'euros repris aux collectivités territoriales par différents mécanismes dont le plus brutal est l'article 64. Voilà la trajectoire ! Soit je me trompe, soit vous devez assumer ces choix-là.

M. Thomas Dossus. - Je ne rappellerai pas les péripéties qui privent ce budget de légitimité démocratique : vous nous présentez des orientations pour lesquelles personne n'a voté. Dans le dossier de presse, vous prétendez que c'est la hausse des dépenses qui a dégradé nos finances publiques ; je fais une analyse inverse : ce que nous payons aujourd'hui, c'est la note de sept ans de cadeaux fiscaux non compensés.

Vous sacrifiez l'écologie : rabot sur le fonds vert, sur la rénovation, sur les véhicules électriques, saignée dans le budget de l'Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie (Ademe)... Même l'électricité, pilier de la décarbonation, va être surtaxée. Le plan national d'adaptation dont on aurait tant besoin n'est pas financé. Chacun comprend que la dette financière passe avant la dette écologique.

Il y a une semaine, Michel Barnier nous assurait de sa confiance dans la qualité et l'engagement des enseignantes et des enseignants : 4 000 postes supprimés ! C'est une marque de confiance assez particulière, vous en conviendrez...

Vous attendez de nous 5 milliards d'euros d'économies en veillant à préserver les secteurs concernés par les lois de programmation : vous allez donc bien financer des nouvelles prisons et abonder le budget de l'armée. Mais, comme l'a observé Vanina Paoli-Gagin, en dépit de la loi de programmation de la recherche, il manquera deux tiers des financements prévus.

Notre illustre prédécesseur Victor Hugo disait : « Ouvrir une école, c'est fermer une prison. » Vous faites le choix inverse.

Michel Barnier a indiqué ne pas vouloir faire un budget sans les collectivités, ni contre les collectivités. Quand avez-vous discuté avec elles du coup de rabot de 3 milliards d'euros pour le fonds de précaution ? Dans le Rhône, par exemple, Vénissieux perdra 2,3 millions d'euros, alors que 34 % des habitants sont sous le seuil de pauvreté. Pensez-vous vraiment qu'une telle commune peut se passer de ces crédits pour ses services publics ? Est-ce de cette façon que vous voyez le changement de méthode, de dialogue avec les collectivités ?...

M. Antoine Lefèvre. - À l'inverse de Victor Hugo, je parlerai de la construction de prisons, en tant que rapporteur spécial de la mission « Justice ». J'ai bien entendu la nécessité de rester proche de la loi de programmation. Confirmez-vous que les crédits indiqués pour cette mission, soit 10,2 milliards d'euros, seront augmentés par un amendement gouvernemental à l'Assemblée nationale ?

La remise en cause des lois de programmation sectorielle qui a été évoquée concernera-t-elle les créations d'emplois prévues pour la justice, soit plus de 10 000 ETP jusqu'en 2027 ?

M. Grégory Blanc. - Ma première question porte sur la fiscalité verte et notre infrastructure budgétaire. Vous évoquez des évolutions cette année avec la fin du slogan « stabilité fiscale ». Selon moi, ce dont ont besoin les acteurs, c'est plutôt de visibilité. Des évolutions auront lieu parce que nous sommes dans une phase de transition écologique : le rendement de la taxe intérieure de consommation sur les produits énergétiques (TICPE) baissera, selon des études, d'un tiers d'ici à 2030 ; il faudra le compenser. Pour donner de la visibilité à l'ensemble des acteurs, comptez-vous, comme cela avait été prévu, créer une loi d'orientation et de programmation sur la transition écologique ?

Deuxième question : je suis très étonné qu'un certain nombre de départements soient concernés, dont le mien, qui ne dégage absolument pas d'épargne, mais qui sera sujet à une ponction de 15 millions d'euros. Cette somme correspond exactement au coût de la prise en charge des 300 enfants qui attendent actuellement une place sur décision de justice. Comment comptez-vous permettre aux départements d'assumer leurs compétences sociales alors qu'ils sont déjà à l'os ?

Troisième et dernière question : nous assistons à une baisse du fonds vert et des dotations aux collectivités. Or ces dernières doivent fournir les deux tiers de l'effort public en matière de transition écologique pour respecter la stratégie nationale bas-carbone (SNBC). Bercy me semble adopter une position quelque peu schizophrène : d'un côté, on affirme que les collectivités disposent de marges de manoeuvre en matière d'endettement ; de l'autre, il leur est reproché d'avoir trop emprunté, notamment pour 2024, considérant cela comme une source de déficit pour notre pays au sens des critères de Maastricht. Je souhaite entendre votre avis sur le discours à tenir à leur endroit, en particulier pour que celles-ci puissent subventionner la transition écologique et investir en ce sens. Doivent-elles s'endetter ou non ?

Mme Nathalie Goulet. - Sur la méthode, votre prédécesseur au budget acceptait de travailler en amont les amendements que nous souhaitions déposer. Qu'en sera-t-il ?

J'attire votre attention sur le faible nombre de dispositifs de lutte contre la fraude fiscale et contre la fraude aux finances publiques en général dans ce budget, sujets sur lesquels je travaille depuis un moment. Concernant les questions de contrôle, simplifier, oui, mais pas à n'importe quel prix. Vous disposez par ailleurs d'une marge de manoeuvre très importante s'agissant du contrôle des rescrits fiscaux et des réductions d'impôts liées aux dons aux associations : la Cour des comptes, dans un référé du 8 décembre 2020, évalue leur coût à 3 milliards d'euros ; l'arbitrage des dividendes représentant, quant à lui, également 3 milliards d'euros. Je forme le voeu que nous puissions travailler avec vos services sur ces sujets, sans doute pas à l'occasion de ce projet de loi de finances, qui va être examiné dans un délai très court, mais sur la durée. Nous devrons faire avancer ces questions qui me semblent essentielles dès lors que l'on demande des efforts à l'ensemble des Français.

M. Laurent Saint-Martin, ministre. - Concernant les collectivités territoriales, je répondrai de manière groupée. Oui, la justice territoriale est essentielle, et la proposition que nous faisons avec Catherine Vautrin, ministre du partenariat avec les territoires et de la décentralisation, est imparfaite, je le dis avec la plus grande humilité. Cependant, nous devons nous accorder sur la nécessité pour les collectivités de contribuer à l'effort. Une fois ce principe posé, le chemin pour y parvenir de manière juste est complexe, car nous sommes confrontés à des écueils partout. Le principe de donner à environ 450 collectivités la possibilité de participer au fonds de précaution dont nous avons proposé la mise en place, avec une gouvernance assurée par les collectivités, présente, certes, l'inconvénient de sanctionner les bons gestionnaires.

M. Olivier Paccaud. - Tout à fait !

M. Laurent Saint-Martin, ministre. - Il est donc loin d'être parfait. À l'inverse, une généralisation de cette contribution conduirait à demander à des collectivités qui n'en ont objectivement pas les moyens, comme les départements, d'y participer, dans un contexte difficile. Face à une telle hétérogénéité des finances locales, la solution idéale n'existe pas. Il faut trouver le meilleur compromis, et nous dialoguerons à ce sujet au cours du débat parlementaire. Je suis personnellement ouvert à ce que les trois dispositifs que nous avons proposés évoluent, sans réserve de principe, en particulier concernant les collectivités. J'ai entendu, et compris, que la baisse de deux points du FCTVA posait un problème sérieux pour de nombreuses collectivités, notamment en matière d'investissement local. Si ce n'est pas la meilleure solution, nous pourrons discuter d'un recours accru à l'écrêtement de la TVA ou de sa dynamique. L'essentiel est de s'accorder sur un cadre de responsabilité vis-à-vis des collectivités.

Une question portait sur les départements. Soyez rassurés concernant le fonds de précaution, au moins une vingtaine de départements en seront exclus : ceux dont la situation, entre la baisse des droits de mutation à titre onéreux (DMTO) et l'augmentation des dépenses, ne permet pas de contribution. Nous devrons également discuter de la définition des 450 collectivités à même de contribuer à ce fonds. Si vous souhaitez rediscuter du périmètre, nous le ferons volontiers.

Monsieur Delcros, vous avez évoqué l'éducation nationale. Ne prenez pas ma réponse comme uniquement comptable et technocratique, mais partons des faits statistiques, tout en considérant les réalités territoriales. Sur les quatre à cinq dernières années, nous avons connu une baisse démographique de près de 350 000 élèves, et 97 000 en moins sont encore attendus à la prochaine rentrée. En bonne gestion, il est nécessaire de s'interroger sur les recrutements à effectuer en conséquence. Il s'agit simplement d'allouer au mieux les ressources de l'État face aux besoins. Je ne prétends pas que tout va bien, qu'il n'y aurait pas de classes surchargées ou de disparités territoriales, mais, en commission des finances, notre travail commun consiste à faire aboutir un texte octroyant des moyens, ministère par ministère, mission par mission. S'agissant des ETP de l'éducation nationale dédiés aux enseignants, nous devons les examiner à l'aune de la démographie des élèves.

Par ailleurs, nous respectons notre engagement quant aux accompagnants d'élèves en situation de handicap (AESH), avec l'embauche de plus de 2 000 d'entre eux, car c'est une nécessité constatée dans les établissements. Nous répondons ainsi à une réalité, qu'il nous revient également de confronter à la justice territoriale déjà évoquée, j'en conviens très volontiers.

La loi du 24 décembre 2020 de programmation de la recherche pour les années 2021 à 2030 et portant diverses dispositions relatives à la recherche et à l'enseignement supérieur n'est pas abandonnée. En toute transparence, la marche prévue pour 2025 ne sera pas respectée, seule la moitié de cette somme sera débloquée dans ce budget. Il s'agit néanmoins d'une augmentation. La mission apparaît en diminution en raison de la baisse des aides aux entreprises ; les crédits afférents à la loi de programmation augmentent encore de 250 millions d'euros - la moitié de la marche initialement proposée. Investir dans l'avenir reste une priorité, comme en témoigne la présence du programme France 2030, qui constitue également un investissement d'avenir nécessaire, malgré des efforts de lissage. La recherche ne connaît donc pas d'abandon, mais une poursuite de l'augmentation de ses moyens, dans le cadre de la loi de programmation que vous avez votée et qui est tout à fait nécessaire.

Monsieur Savoldelli, un effort collectif est nécessaire pour redresser les finances publiques. Toutes les administrations publiques et nombre de nos concitoyens seront mis à contribution, mais à des échelles très différentes. Je ne sais pas d'où vous tirez le chiffre de 0,05 %, son calcul m'intéresse. Selon nos estimations, 0,3 % des foyers pourraient être touchés par cette mesure, laquelle n'est d'ailleurs pas une taxe, mais un filet fiscal : il n'est pas normal que certains très hauts revenus français paient des taux moyens d'imposition de 3 % à 4 %. Nous allons donc mettre en place un seuil de fiscalité minimum sur l'impôt sur le revenu (IR) à 20 %, qui rapportera 2 milliards d'euros. C'est une question de justice fiscale.

Sur l'énergie, vous évoquez des choses très différentes : le retrait du bouclier tarifaire maintiendra néanmoins la baisse de la facture d'électricité pour nos concitoyens qui bénéficient des tarifs réglementés de vente d'électricité (TRVE). Certes, il provoquera une hausse de la taxe intérieure sur la consommation finale d'électricité (TICFE), mais nous nous engageons à ce que la baisse des prix entraîne une diminution de la facture de 9 % à 10 % pour ceux qui sont au TRVE. C'est très important, car cela rend du pouvoir d'achat aux Français. Vous mentionnez également des mesures de fiscalité verte, comme le malus, qui sont des moyens de lutte contre les niches brunes. Il faut continuer à accompagner la transition écologique par la fiscalité, qui est un moyen d'incitation efficace ; à ce titre, le bonus-malus est une bonne mesure. Cela rejoint d'ailleurs la question d'une éventuelle loi de programmation posée par M. Grégory Blanc, que j'invite à échanger avec la ministre de la transition écologique à ce sujet.

Quant à moi, je me suis engagé à transmettre au Parlement, dans les tout prochains jours, la stratégie pluriannuelle de financement de la transition écologique.

M. Thomas Dossus. - Elle est déjà sortie dans la presse !

M. Laurent Saint-Martin, ministre. - Concernant la justice, nous augmenterons les crédits de la mission par voie d'amendements, c'est nécessaire et cela fait partie des priorités du Gouvernement sur lesquelles les Français nous attendent.

Sur le rapport entre Bercy et les collectivités locales, il faut sortir de la vision que vous évoquez, monsieur Blanc. Je vous rejoins sur un point : nous sommes parfois confrontés à des injonctions contradictoires, entre « investissez plus ! » puis « vous investissez trop ! ». Nous devons parvenir à rebâtir une relation de confiance mutuelle entre l'État - plus que Bercy - et les représentants des collectivités locales, en regardant vers l'avenir pour identifier les besoins en investissement local, en mettant fin aux compétences multiples sur les mêmes sujets et en repensant l'autonomie financière et fiscale, en relation avec l'imposition locale. Ces sujets ne seront pas réglés dans ce PLF, mais je suis ouvert à en débattre, avec la ministre du partenariat avec les territoires et de la décentralisation. C'est le bon moment pour relancer ces réformes.

Deux rapports intéressants sont sortis, les rapports Ravignon et Woerth, qui vont nous servir de base, car leurs conclusions sont très pertinentes. Les rapports du Sénat sur ces sujets sont également importants et vous me trouverez à vos côtés si vous souhaitez aborder la réforme de la décentralisation, qui constitue un véritable sujet de réforme structurelle.

M. Antoine Armand, ministre. - Pour répondre à Mme Goulet, la fraude fiscale et sociale est un enjeu majeur pour tous les défenseurs du pacte républicain. Le texte comprend deux dispositifs : l'un visant à empêcher les détenteurs de bons de souscription de parts de créateur d'entreprise (BSPCE) d'échapper à l'imposition en glissant ces bons, obtenus à titre de rémunération, dans des plans d'épargne ; l'autre concernant la déclaration à l'administration fiscale des opérations sur cryptoactifs, parfois utilisés de manière détournée. Je précise en outre que la trajectoire du malus automobile n'a pas changé : elle est pluriannuelle et a été construite avec les constructeurs pour offrir une visibilité industrielle, compte tenu des changements massifs en jeu.

Concernant la fiscalité et la stratégie pluriannuelle de financement de la transition écologique, je partage la préoccupation exprimée. Bercy a mis en place il y a quelques années un budget vert pour mieux catégoriser les dépenses ; je suis convaincu que nous pouvons aller plus loin, y compris sur la fiscalité, dans les années à venir, grâce aux outils portés par la représentation nationale au Sénat et à l'Assemblée.

Mme Isabelle Briquet. - La situation est particulièrement grave et l'effort doit être justement réparti. Pour autant, la part octroyée aux collectivités n'est pas acceptable en l'état, malgré les compléments que vous avez apportés. Nous en discuterons lors de l'examen du PLF, mais aujourd'hui, les collectivités seraient mises à contribution bien au-delà des 5 milliards d'euros annoncés : avec les prélèvements sur les douzièmes de fiscalité, la baisse de la fraction de la taxe sur la valeur ajoutée (TVA), la diminution du FCTVA, la réduction du fonds vert et la hausse des cotisations à la Caisse nationale de retraites des agents des collectivités locales (CNRACL), on dépasse déjà allègrement les 8 milliards d'euros.

Mon interrogation porte plus particulièrement sur la mesure prévoyant l'amputation de deux points du FCTVA. Celle-ci pénalisera grandement l'investissement des collectivités, avec des conséquences sur l'investissement local, les entreprises et l'emploi. En outre, elle est d'autant plus contestable qu'elle ne s'appliquera pas uniquement aux investissements à venir, mais également à ceux qui ont déjà été engagés, voire réalisés, compte tenu du décalage. Je souhaite donc obtenir des précisions sur vos intentions en la matière et sur les modalités d'application de cette mesure, si toutefois elle devait être mise en oeuvre.

M. Dominique de Legge. - Monsieur le ministre, permettez-moi une observation, une question et une suggestion. Tout d'abord, je vous le dis franchement, je ne pensais pas que vous reviendriez sur la chance que vous auriez d'hériter d'un tel bilan. Cela ne sert à rien, car personne ne croit véritablement à la qualité dudit bilan, sinon nous ne chercherions pas cet après-midi 60 milliards d'euros et vous n'auriez pas fait ce commentaire sur la difficulté de financer la dette. De plus, l'autosatisfaction conduit aux résultats des élections que nous avons connus. Si nous voulons avancer, si nous souhaitons que ce gouvernement réussisse, il est peut-être préférable de regarder vers l'avenir et de tourner la page du passé. J'espère que vous partagerez cette conviction personnelle et que, un jour, vous la comprendrez.

Concernant les collectivités territoriales, j'avais compris que l'effort serait évalué au prorata de leur importance dans la dépense publique. Sans faire de comptes d'apothicaire, je note que, à ce stade, la part des collectivités territoriales représente 8 % des dépenses alors qu'on leur demande près de 12 % de l'effort. Il me semble qu'un correctif est nécessaire ; à défaut, cela accréditerait la thèse selon laquelle les collectivités seraient plus responsables que l'État de la situation actuelle.

Vous avez évoqué votre volonté d'examiner les amendements et les propositions du Parlement. Cette volonté irait-elle jusqu'à reposer la question de la taxe d'habitation, dont la suppression a coûté 20 milliards d'euros qui n'ont pas été financés autrement que par le déficit public ? Cela permettrait non seulement de trouver 20 milliards, mais aussi de redonner de l'autonomie fiscale aux collectivités qui en ont bien besoin.

Mme Christine Lavarde. - Messieurs les ministres, j'ai entendu votre difficulté à concilier les impératifs de court terme, qui obligent à une augmentation temporaire de la fiscalité pour faire face au mur de la dette, et les réformes structurelles de long terme, qui permettraient d'inverser la trajectoire.

Hier, j'ai parcouru tous les articles du projet de loi de finances et vous ai écouté attentivement ce matin : lorsque vous avez parlé de réformes structurelles, j'ai cru comprendre qu'il s'agissait de la réforme du malus automobile, mais je doute que cela soit à la hauteur des enjeux. En lisant le PLF, la seule réforme un peu structurelle que j'ai identifiée concerne le post-Arenh - le dispositif visant à remplacer l'accès régulé à l'électricité nucléaire historique - , le reste est constitué de mesures très techniques, certes bien documentées et présentant des exposés des motifs factuels, ce dont je vous félicite. Pour autant, où sont les véritables réformes structurelles ? Si demain nous devions supprimer les cinq interlocuteurs qui s'occupent de la gestion des espaces naturels, par exemple, il faudrait s'y prendre dès aujourd'hui pour n'en avoir plus qu'un seul dans trois ans, avec moins de fonctionnaires et d'instances. Pouvez-vous nous en dire plus à ce sujet ?

Cela m'amène à ma seconde question, celle du plan budgétaire et structurel de moyen terme. Quelle copie allez-vous présenter à l'Union européenne pour justifier votre demande d'ajustement sur une période plus longue, étant donné que ce PLF ne prévoit pas vraiment d'investissements dans les dépenses considérées comme étant des dépenses d'avenir par l'Union européenne - recherche, écologie ou défense ?

Enfin, vous avez indiqué qu'il n'y aurait pas de report de crédit ; or, l'article 51 du PLF en prévoit déjà, au-delà du pourcentage inscrit dans la Lolf, pour huit missions. Comment faites-vous coïncider cet article et vos propos ?

M. Olivier Paccaud. - Monsieur le ministre de l'économie, merci d'avoir voulu nous redonner le sourire avec une peinture idyllique de la situation. « Sur un malentendu, ça peut marcher », aurait dit Jean-Claude Dusse ; c'était la philosophie de Bruno Le Maire. Puissiez-vous en choisir une autre ! J'ai entendu le mot « humilité », il me semble beaucoup plus approprié.

Le ministre Laurent Saint-Martin, quant à lui, a insisté sur la notion de « projet perfectible ». Je dois saluer, en tant que rapporteur spécial des crédits de l'enseignement scolaire, le fait que la ministre et le secrétaire d'État ont déjà pris contact avec moi pour que nous travaillions ensemble. Je forme le voeu que cette volonté d'écoute se concrétise par l'adoption d'amendements et que ce projet reste seulement un projet.

Vous avez évoqué la notion de croissance. Je reviens sur les collectivités territoriales, qui sont des acteurs de la croissance dans nos territoires. En baissant les dotations, comme dans l'Oise, où nous avons réussi depuis des années à dégager des aides aux communes à hauteur de 50 millions d'euros afin de faire travailler le tissu économique local de façon remarquable, n'avez-vous pas peur de gripper l'activité locale ?

Ensuite, le ministre Antoine Armand a évoqué des enjeux de souveraineté au sujet de la dette ; un grand emprunt ne serait-il pas un moyen de retrouver un peu de souveraineté ?

Enfin, la France peut être un paradis fiscal pour des étrangers richissimes, comme les Qataris, avec qui nous avons une convention fiscale depuis longtemps. N'est-il pas temps, en cette période de disette budgétaire, de mettre un terme à ces formidables exonérations ? Cela rapporterait entre 150 et 200 millions d'euros.

M. Vincent Capo-Canellas. - Messieurs les ministres, nous mesurons la difficulté de votre tâche, et de la nôtre, pour aboutir à un PLF permettant de faire face à une situation difficile, dans des délais très contraints. Au vu du dérapage de 2024 et de la situation, il faut travailler sur la crédibilité, car les engagements n'ont pas été tenus jusqu'à présent. Il nous faut donc en retrouver tant vis-à-vis de l'Union européenne que des marchés.

Concernant le niveau de l'ajustement, tendanciel ou structurel, je m'interroge sur l'intérêt d'évoquer 60 milliards d'euros quand, en réalité, les besoins sont moindres. On noircit ainsi la situation et l'effort pour l'opinion, rendant psychologiquement l'objectif plus difficile à atteindre ; cela me semble contre-productif vis-à-vis de tous les acteurs qui font des micro-actions en termes d'économies. Les analystes, eux, voient bien la réalité de l'effort, leur parler de tendance est donc inopérant. Cette communication me paraît mauvaise à tous égards.

Ensuite, des prélèvements augmentent et des exonérations baissent. Nous avons compris que, dans l'urgence, on ne pouvait pas faire autrement. Pour autant, monsieur le ministre de l'économie, vous citez le rapport Bozio-Wasmer et vous profitez de cette mission, dont l'objectif était de « désmicardiser », pour prendre 4 milliards d'euros. Dans vos notes, il est ainsi écrit « dans l'esprit du rapport Bozio-Wasmer, nous prévoyons 4 milliards d'euros d'exonération en moins ». C'est donc une augmentation de la fiscalité. Or ce rapport visait justement à « désmicardiser », en rendant le processus neutre. Comment pouvez-vous affirmer que vous agiriez ainsi dans son esprit ? Ne s'agit-il pas d'un retournement de tendance, dans la mesure où, jusqu'à présent, l'objectif était de baisser le coût du travail ?

Enfin, vous avez parlé d'une augmentation « mesurée » de la taxe de solidarité sur les billets d'avion. Aujourd'hui, les taxes représentent environ 340 millions d'euros sur les billets d'avion ; vous entendez ajouter 1 milliard d'euros, opérant ainsi une multiplication par quatre. Cela constitue-t-il, à vos yeux, une augmentation mesurée ?

Mme Florence Blatrix Contat. - Messieurs les ministres, pour partager les solutions, il faut tout d'abord partager le constat ; comme certains de mes collègues, je voudrais modérer le constat que vous faites concernant une réussite de votre politique de l'offre. Certes, 2 millions d'emplois ont été créés, mais notre taux de chômage est toujours nettement au-dessus de la moyenne européenne, à 7,3 % contre 6 % ; en outre, ces créations d'emplois se sont produites dans un contexte globalement favorable, on les retrouve dans les autres pays, et elles sont en partie liées à des taux d'intérêt très faibles, comme le démontrent les économistes. Ce bilan n'est donc pas seulement celui de votre politique de l'offre. Concernant les investissements directs à l'étranger, nous sommes bien le premier pays en termes d'accueil de projets, mais si l'on mesure les emplois créés par projet, nous sommes troisièmes, et si l'on rapporte ces chiffres à la taille de la France, nous passons en huitième position. Les résultats ne sont donc pas aussi bons que vous le prétendez. Pendant ce temps, les inégalités se sont accrues et le patrimoine des 500 premières fortunes a doublé.

La question est de savoir si l'on maintient cette politique de l'offre, qui est très coûteuse. Se pose alors la question des aides aux entreprises : plusieurs rapports récents, ont posé la question de leur coût et de leur efficacité, notamment s'agissant du crédit d'impôt recherche (CIR). Envisageriez-vous des économies sur ce dernier dispositif ? Doit-on laisser les inégalités s'accroître ? Je distingue un début de souci de justice fiscale, mais il faudrait aller plus loin sur l'imposition des revenus des grandes entreprises, et la rendre pérenne et pas seulement temporaire.

M. Stéphane Sautarel. - Je rejoins les propos du rapporteur général sur la nécessité de travailler à réduire la dépense en allant plus loin que ce qui est proposé et limiter ainsi l'effort fiscal. N'avez-vous pas envisagé d'autres pistes plus approfondies concernant la réduction de la dépense fiscale ? Je ne vois pas beaucoup de propositions dans ce PLF sur ce sujet.

Sur les lois de programmation, vous nous avez fait part de certaines intentions, mais entre le moment de leur adoption et aujourd'hui, notre paradigme a changé à beaucoup de titres. Vous avez évoqué des lignes rouges : les lois de programmation en sont-elles ou est-il possible de réfléchir à leur actualisation ?

Concernant les collectivités, je partage la volonté d'être responsable, même s'il peut paraître injuste de leur demander de contribuer à l'effort. Celui-ci doit, en tout état de cause, être juste. Je m'interroge à ce titre sur le fonds de péréquation et sur ses critères : vingt départements en seront exclus sur la base de critères de fragilité sociale, quid de ceux qui y figurent encore ? J'aimerais que nous puissions travailler sur cette question, car elle pose aujourd'hui de vraies difficultés et va remettre en cause la péréquation horizontale que les départements avaient su organiser. Les niveaux d'épargne brute sont très différents entre les niveaux de collectivité, et les départements méritent que l'on porte sur eux un regard particulier.

Enfin, sur les réformes de structure, j'entends qu'elles sont difficiles à mettre en oeuvre dans l'urgence, mais il en existe au moins une qui pourrait être engagée facilement : la débureaucratisation. Non seulement nous ferions des économies, mais nous gagnerions de l'argent. Ainsi, s'agissant de l'emploi dans l'éducation nationale, si nous devons en supprimer, faisons en sorte que cela ne concerne pas les postes devant les élèves.

M. Raphaël Daubet. - Sur l'APD, mission dont je suis le rapporteur spécial, et qui s'élèverait à 1,3 milliard d'euros, j'étais le premier, avec mon collègue Michel Canévet, à défendre un ajustement de ces crédits, mais je trouve ce chiffre disproportionné, à la fois par rapport aux objectifs que nous fixait la loi du 4 août 2021 de programmation relative au développement solidaire et à la lutte contre les inégalités mondiales et au regard des crises géopolitiques dont on sait qu'elles vont multiplier les besoins en la matière.

S'agissant des autres efforts d'optimisation et de gains de productivité, qui comptent pour 6,1 milliards d'euros d'économies, quels ministères ou opérateurs viseront-ils ? Il s'agit tout de même d'un très gros poste de moindres dépenses.

Enfin, sur les dépenses des collectivités locales, le fonds de précaution opérerait, si j'ai bien compris, une sorte de péréquation horizontale, puisqu'une redistribution ultérieure serait mise en oeuvre. Quelles en seront les modalités ? Ce dispositif me rappelle le Fonds national de péréquation des ressources intercommunales et communales (Fpic), dont la visibilité est très contestable, emportant des répercussions sur la lisibilité budgétaire des collectivités, ou, au moins, sur la programmation pluriannuelle de leurs investissements.

M. Laurent Saint-Martin, ministre. - S'agissant des bases du débat concernant les collectivités locales, il convient de distinguer leur part dans la dette, qui s'élève à 8 %, de leur part dans les dépenses publiques, qui atteint 20 %. Ainsi, le taux de 12 % doit être apprécié au regard de la part dans les dépenses publiques et non dans la dette publique. Dans cette perspective, l'effort demandé aux collectivités est proportionnellement moindre, ce qui me semble justifié, compte tenu des circonstances et des éléments précédemment évoqués. La baisse du fonds vert, bien qu'affectant indirectement les collectivités, résulte, quant à elle, d'une décision nécessaire visant à réajuster certains accompagnements publics que nous jugeons essentiels. Toutefois, il ne s'agit pas à proprement parler d'une réduction des dotations de fonctionnement allouées aux collectivités. En revanche, en effet, la CNRACL n'entre pas dans le champ de ces dispositifs.

Concernant les annulations ou reports de crédits, l'article 51 permet effectivement d'énumérer les programmes susceptibles de faire l'objet de reports au-delà du plafonnement. Mon objectif politique, j'y insiste, est d'en limiter autant que possible le recours. C'est pourquoi j'ai indiqué au rapporteur général qu'il conviendrait, dans un souci de bonne gestion, particulièrement en cette période, de privilégier l'annulation de crédits gelés ou, si cela s'avère indispensable en exécution, leur consommation. La limitation des reports demeure un principe directeur qu'il nous faut impérativement maintenir dans le cadre du projet de loi de finances de fin de gestion (PLFG), dont le dépôt est normalement prévu aux alentours du 6 novembre. Nous aurons l'opportunité d'y revenir à cette occasion.

Monsieur Paccaud, il est primordial d'éviter que la baisse des dotations n'engendre un effet récessif au niveau local. C'est précisément la raison pour laquelle ces mesures doivent être mises en oeuvre de manière réfléchie. J'ai été attentif à ce titre aux levées de boucliers concernant notamment le FCTVA.

S'agissant de la révision des exonérations dont peuvent bénéficier les investisseurs internationaux, il s'agit là d'un chemin de crête. Je me refuse à concevoir systématiquement notre politique fiscale dans une logique de retour sur investissement, car ce ne serait pas de bonne politique ; pour autant, il convient de prendre en considération les retombées potentielles en termes d'investissements directs étrangers. Comme l'a souligné Antoine Armand, si la France se hisse depuis cinq ans au premier rang européen en la matière, c'est aussi parce qu'elle a su se doter de certains outils favorisant son attractivité, qu'il convient de ne pas trop abîmer.

S'agissant du rapport Bozio-Wasmer, permettez-moi de revenir sur les ordres de grandeur. La lettre de mission adressée aux deux économistes imposait que leurs propositions soient élaborées à coût constant, ce qui explique leurs conclusions. Cela n'empêche nullement de nourrir des ambitions sur la réforme nécessaire de « désmicardisation » et, conjointement, en matière de participation au redressement des finances publiques. Ces deux objectifs sont parfaitement cumulables, si les proportions sont adéquates. Tout est question de proportions dans ce budget. Après 80 milliards d'euros d'allègements généraux de charges, nécessaires pour l'emploi et la dynamisation de l'économie, mais emportant des effets de bord sur la trappe à bas salaire, nous pouvons envisager, dans un premier temps, la mise en place d'une nouvelle courbe, basée sur les propositions Bozio-Wasmer. Il s'agit bien là d'une réforme de structure. Dans le même temps, il est possible de réduire les aides d'État, car les allègements généraux en font partie, même si vous les percevez comme des hausses de charges. Cela me semble juste et proportionné au regard de l'impératif collectif de redressement des comptes publics.

Je laisserai Antoine Armand s'exprimer sur le sujet du CIR.

Pour ce qui concerne les lois de programmation, il n'y a pas de lignes rouges. Je tiens simplement à souligner que le Gouvernement a des priorités de politique publique qui correspondent aux lois de programmation. D'ailleurs, les investissements d'avenir sont bien présents dans ce budget : le programme France 2030 se poursuit, tout comme les dispositions de la loi de programmation pluriannuelle de la recherche, dont les crédits sont en augmentation, même si les marches ne recouvrent pas exactement celles qui étaient initialement prévues. L'ambition demeure intacte pour ces investissements, lesquels sont simplement ajustés à la réalité de notre situation financière.

Enfin, concernant le fonds de précaution, ses modalités de répartition doivent impérativement être définies en concertation avec les collectivités, sans quoi le dispositif serait voué à l'échec dès le départ. J'ai bien pris note des écueils que vous souhaitez éviter, à l'image de ceux qu'ont rencontrés d'autres fonds de péréquation par le passé.

M. Antoine Armand, ministre. - Concernant la taxe sur les billets d'avion, une partie de ce prélèvement ne concernera pas l'aviation commerciale et son barème est encore en discussion. Je partage votre point de vue quant à la nécessité de déterminer les trajets concernés et de ventiler le dispositif en fonction de la longueur du trajet, afin que celui-ci touche des personnes se déplaçant plus loin, et donc à des occasions différentes.

Vous avez raison de souligner que le cadre du rapport de MM. Bozio et Wasmer diffère de celui du texte initial, qui implique un effort financier supplémentaire. Celui-ci peut être atténué si les entreprises augmentent les salaires à un rythme égal ou supérieur à celui des dernières années, grâce aux allègements de cotisations qui réduisent le coût de ces augmentations salariales, notamment au niveau du Smic. Ce texte est perfectible, et ce sujet est éminemment important pour la compétitivité des entreprises, la politique salariale et le rapprochement du brut et du net pour une meilleure rémunération du travail. Si nous parvenons à faire mieux, à trouver d'autres sources d'économies - j'ai entendu quelques propositions en ce sens aujourd'hui - pour remplacer celles-ci, vous pourrez compter sur notre soutien.

S'agissant des conventions fiscales, je ne répondrai pas sur un pays en particulier. Nous travaillons à leur évolution, mais notre attractivité doit être prise en compte, car dépecer une convention fiscale entraîne une perte de recettes. Certes, l'objectif peut être autre que budgétaire et fiscal, cela peut se discuter.

Quant à l'idée d'un grand emprunt, le financement de la dette ne fait pas partie aujourd'hui des difficultés que nous avons à traiter. Nous nous finançons assez bien, car la dette française se vend correctement. Cela pourrait le devenir si les conditions se dégradaient sérieusement, ce que nous voulons éviter grâce aux économies que nous avons détaillées devant vous aujourd'hui.

Concernant les aides aux entreprises, notamment le CIR, des efforts peuvent être consentis. Nous essayons de le faire avec précaution, car ces dispositifs comptent beaucoup pour la compétitivité et la prévisibilité des stratégies économiques des entreprises. En ce qui concerne le crédit d'impôt recherche, le débat parlementaire va s'ouvrir. De nombreux rapports ont été produits et beaucoup de parlementaires travaillent individuellement sur ce sujet depuis un certain temps. Nous serons très attentifs à leurs propositions. Si des avancées sont possibles, il faut les concrétiser, tout en gardant à l'esprit que la France peine en matière d'attractivité de la recherche. Elle a réussi à maintenir son rang ces dernières années, mais cette position est fragile. Il est donc crucial de préserver un socle fort, et c'est le signal que nous voulons envoyer.

Madame Lavarde, vous avez parfaitement raison : les réformes structurelles et structurantes, qu'il s'agisse du marché du travail, de la simplification, etc., doivent être menées, y compris dans le cadre du dialogue social qui s'ouvre sur la réforme de l'assurance chômage. Je suis profondément convaincu qu'il faut continuer à soutenir d'abord l'activité, ce qui fera l'objet des prochains échanges que nous aurons ici, ainsi que sur ceux qui concerneront le plan d'investissement et de réforme avec la Commission européenne.

Concernant le bilan économique, j'appartiens à une génération politique qui se réjouit pour son pays, sans fierté pour telle ou telle mesure. Je suis persuadé qu'il n'est pas nécessaire d'avoir une étiquette partisane pour se satisfaire d'une baisse du chômage, car cela signifie simplement moins de chômeurs, plus de pouvoir d'achat et plus d'émancipation sociale. Lorsque des progrès ont été réalisés, les reconnaître n'est pas une faiblesse, bien au contraire, c'est une preuve d'ouverture d'esprit. Quant aux petites phrases que j'ai entendues, qui conduisent à considérer que j'agirais avec condescendance et que les satisfecit ne devraient pas être de mon côté, je les laisse à leurs auteurs.

M. Claude Raynal, président. - Merci de cette première rencontre, nous nous reverrons régulièrement au cours de l'examen de ce projet de loi de finances.

Cette audition a fait d'une captation vidéo qui est disponible sur le site du Sénat.

La réunion est close à 13 h 35.