Mercredi 9 octobre 2024

- Présidence de M. Jean-François Longeot, président de la commission de l'aménagement du territoire et du développement durable, de Mme Dominique Estrosi Sassone, présidente de la commission des affaires économiques, et de M. Claude Raynal, président de la commission des finances -

La réunion est ouverte à 9 h 30.

Groupe de suivi des dispositions législatives et réglementaires relatives à la stratégie de réduction de l'artificialisation des sols - Examen du rapport d'information

Mme Dominique Estrosi Sassone, présidente de la commission des affaires économiques. - Mes chers collègues, les commissions des affaires économiques, de l'aménagement du territoire et du développement durable et des finances sont réunies aujourd'hui - et je remercie respectivement le président Longeot et le président Raynal de leur présence - pour examiner le rapport d'information établi par notre collègue Jean-Baptiste Blanc, avec Guislain Cambier, sur le suivi de la mise en oeuvre des objectifs de réduction du rythme de l'artificialisation des sols fixés dans la loi du 22 août 2021 portant lutte contre le dérèglement climatique et renforcement de la résilience face à ses effets, dite loi « Climat et résilience ».

Ce rapport est issu des travaux du groupe de suivi des dispositions législatives et réglementaires relatives à la stratégie de réduction de l'artificialisation des sols, créé en février dernier. Ce groupe de suivi, commun à nos trois commissions, est présidé par Guislain Cambier ; son rapporteur est Jean-Baptiste Blanc.

Je remercie nos deux collègues d'avoir pris à bras-le-corps ce sujet hautement inflammable. Nous n'avons de cesse de l'évoquer au sein de notre commission : que l'on aborde la crise du logement ou les freins à la réindustrialisation, la pénurie de foncier est toujours citée parmi les facteurs bloquants - même si, je dois le dire, le « ZAN » (« zéro artificialisation nette ») a parfois bon dos.

La mise en oeuvre rigide des objectifs de réduction de l'artificialisation des sols fixés par la loi « Climat et résilience » a aggravé cette situation ; les souplesses introduites, sur l'initiative du Sénat, par la loi du 20 juillet 2023, n'ont pas réglé tous les problèmes. Aussi, l'acronyme « ZAN » est aujourd'hui devenu un repoussoir pour bon nombre d'élus locaux, mais également pour les acteurs de l'aménagement et de la construction et, plus largement, pour les acteurs du monde économique. Tel est le constat dressé dans ce rapport.

De surcroît, le rapport présente un bilan raisonné des difficultés et blocages que posent le cadre législatif et réglementaire en vigueur et son application par les services de l'État.

Il liste également, sans tabou, les pistes d'évolution pour redessiner la route vers une sobriété foncière soutenable pour tous ; certaines sont techniques, d'autres sont plus structurantes. Je laisserai au président Guislain Cambier et au rapporteur Jean-Baptiste Blanc le soin de vous les présenter.

Nous avons tous accueilli avec soulagement la volonté du Premier ministre Michel Barnier, exprimée dans sa déclaration de politique générale, d'assouplir le « ZAN » - un peu de bon sens, enfin ! Il est certain que la vigilance constante du Sénat, qui n'a cessé de tirer la sonnette d'alarme, n'y est pas pour rien. Nous espérons pouvoir entamer maintenant une phase de dialogue réellement constructif avec le Gouvernement, auquel, je n'en doute pas le groupe de suivi aura toute sa part, dans la lignée de ce rapport.

M. Jean-François Longeot, président de la commission de l'aménagement du territoire et du développement durable. - À l'été 2021, l'ambitieux édifice législatif de la loi « Climat et résilience » a fait entrer la sobriété foncière dans une nouvelle dimension. Le législateur a posé les jalons d'une trajectoire inédite de réduction du rythme de l'artificialisation des sols, en deux temps : d'abord, un effort de réduction de moitié des consommations des espaces naturels, agricoles et forestiers (Enaf) à l'échelle nationale pour la première décennie ; ensuite, l'absence d'artificialisation nette d'ici à 2050, à un rythme et selon des modalités que le législateur aura à définir ultérieurement.

Depuis lors, le compteur a commencé à tourner et les élus locaux ont essuyé les plâtres du « ZAN », bien que l'objectif de sobriété foncière soit unanimement partagé. Les collectivités ont dû se mettre en ordre de marche pour appliquer une stratégie arithmétique, aveugle aux spécificités et aux dynamiques territoriales, aux efforts passés et à la qualité des sols. L'État ne s'est donné ni la peine ni les moyens d'en faire un laboratoire d'expérimentation de la transition écologique. Au reste, comment pouvait-on espérer que cette stratégie, mal expliquée, soit bien comprise ? Sans outils juridiques et fiscaux spécifiques, la gestion économe de l'espace « façon ZAN », si je puis dire, pénalise les finances locales et porte en elle le germe d'un aménagement du territoire déséquilibré et en décalage avec les besoins des territoires.

Le Sénat a tenté d'apporter de la souplesse et des correctifs au travers de la loi du 20 juillet 2023, dont il est à l'initiative, sans pour autant parvenir à apaiser toutes les craintes et à tracer un chemin partagé vers la sobriété foncière. En raison des incertitudes et des incompréhensions qu'il suscite, le « ZAN » est devenu le nouveau symbole du centralisme et des politiques décidées à Paris, sans écouter les territoires qui doivent les mettre en oeuvre.

Dans ce contexte plus que délicat, le groupe de suivi a échangé avec les acteurs qui « font le ZAN », pour recenser les difficultés persistantes, identifier les besoins et les attentes des élus locaux et cartographier les blocages normatifs. Les évolutions qu'ils vous présenteront ont été élaborées sans tabou ni volonté de faire table rase ; elles sont inspirées, je le sais, de la volonté d'engager les acteurs sur la voie étroite qui permettra de réussir le « ZAN ».

Je tiens à les féliciter, car la tâche est loin d'être aisée. Nous sommes en effet à un moment charnière : alors que les défis écologiques sont de plus en plus prégnants, la tentation de défaire les normes environnementales n'a jamais été aussi forte. Mme la présidente Estrosi Sassone l'a rappelé, le Premier ministre s'est dit prêt, lors de sa déclaration de politique générale, à « faire évoluer de manière pragmatique et différenciée la réglementation ZAN » : pour y parvenir, il trouvera au Sénat une boîte à idées, des bonnes volontés et surtout des solutions construites avec les territoires !

M. Claude Raynal, président de la commission des finances. - Notre commission des finances suit la question de l'objectif de zéro artificialisation nette depuis plusieurs années, au travers de l'engagement de notre rapporteur spécial des crédits relatifs au logement et à l'urbanisme, Jean-Baptiste Blanc.

Comme tous les parlementaires, dans nos territoires, nous sommes interrogés sur le « ZAN ». Le sujet revient régulièrement dans nos débats ; pourtant, le Gouvernement n'a, jusqu'à présent, rien proposé de concret dans les projets de loi de finances successifs en matière de financement de la réduction de l'artificialisation.

C'est pourquoi nous avons demandé, dès 2022, au Conseil des prélèvements obligatoires (CPO) de réaliser une enquête sur la fiscalité locale dans la perspective du « ZAN », à la suite d'un premier rapport de notre collègue Jean-Baptiste Blanc relatif aux outils financiers mobilisables pour atteindre cet objectif. Le rapport du CPO a notamment recommandé d'étendre les conditions d'application de la taxe sur les logements vacants, ce qui a été fait dans la loi de finances pour 2023.

Ce travail se poursuit cette année au travers de la mission d'information relative au financement du « zéro artificialisation nette », pilotée par Jean-Baptiste Blanc et Hervé Maurey.

Les travaux de nos différentes commissions doivent bien sûr être coordonnés, c'est pourquoi il est important que soient présentées aujourd'hui les conclusions du groupe de suivi réunissant nos trois commissions, qui précèdent nécessairement celles qui sont relatives au financement du « ZAN ».

C'est toutefois un travail au long cours, voire, si j'ose dire, une démarche itérative : le Premier ministre a annoncé un assouplissement du « ZAN » dans sa déclaration de politique générale, mais dans le même temps la situation financière de la France est particulièrement dégradée, si bien que le nouveau gouvernement prévoit d'exercer une pression forte sur les dépenses de l'État et sur celles des collectivités territoriales.

Nous en saurons plus demain soir avec la publication du projet de loi de finances, mais je ne vous cache pas que l'équation économique du « ZAN » risque d'être difficile à établir. Aussi est-il probable que nous devions, plusieurs fois encore, sur le métier, remettre l'ouvrage...

M. Guislain Cambier, président du groupe de suivi des dispositions législatives et réglementaires relatives à la stratégie de réduction de l'artificialisation des sols. - Sans revenir sur sa genèse, je rappelle, à la suite de Mme la présidente Estrosi Sassone, que le Sénat a décidé, au début de l'année 2024, d'instituer un groupe de suivi des dispositions législatives et réglementaires relatives à la stratégie de réduction de l'artificialisation des sols, sous l'égide de la commission des affaires économiques, de celle de l'aménagement du territoire et du développement durable et de celle des finances. C'est un honneur d'en être le président et de travailler aux côtés de son rapporteur Jean-Baptiste Blanc, dont je salue la constante implication sur ce sujet.

Lorsque ce groupe de suivi a commencé ses travaux en février 2024, le cadre législatif et réglementaire nous semblait stabilisé, surtout après l'adoption de la loi d'initiative sénatoriale du 20 juillet 2023 ; nous pensions qu'il nous faudrait surtout veiller à sa bonne compréhension par les collectivités et à sa mise en application pragmatique et bienveillante par les services déconcentrés de l'État.

Cependant, le rapport que nous vous présentons aujourd'hui dément cette intuition de départ et constate, au contraire, la persistance de blocages qui ne sont pas solubles dans le droit en vigueur. Au fur et à mesure que les territoires modifient les documents de planification et d'urbanisme et entament les concertations pour répartir les enveloppes foncières, la complexité de la démarche révèle de nouvelles difficultés et met au jour des particularités ou des spécificités locales qui se heurtent à une stratégie rigide, comptable et, il faut bien le dire, désespérante pour les territoires.

En effet, malgré les adaptations et assouplissements permis par la loi du 20 juillet 2023, dite « ZAN 2 », nous constatons tous, dans nos territoires, que persistent les difficultés liées à la mise en oeuvre des objectifs de réduction de l'artificialisation fixés par la loi « Climat et résilience ». La territorialisation des enveloppes foncières s'avère dans la pratique très délicate à mettre en oeuvre : tous les territoires ne font pas face aux mêmes dynamiques démographiques et économiques et n'ont pas les mêmes préférences et priorités de développement local. La logique arithmétique et descendante qui a présidé à la fixation des enveloppes menace de gripper les perspectives de certains territoires, notamment ruraux. L'inquiétude continue de sourdre chez les élus locaux, dont certains découvrent avec effarement les réelles et nombreuses implications du « ZAN » dans leur territoire.

Pour élaborer ce rapport, nous avons entendu plus de soixante-dix acteurs du « ZAN » : élus locaux, représentants de l'État et de ses opérateurs, mais aussi acteurs économiques et associatifs, urbanistes, universitaires, etc. Nous avons aussi mené, le rapporteur et moi-même, de nombreux entretiens dans un format resserré, notamment à l'occasion de nos déplacements sur le terrain. Nous avons reçu de nombreuses contributions écrites ; nous avons également adressé un questionnaire aux associations d'élus, qui l'ont relayé auprès de leurs adhérents ; nous avons enfin pu tirer profit des réponses de plus de 1 400 élus locaux à la consultation en ligne organisée sur le site du Sénat.

Au moment de ce premier point d'étape, je voudrais remercier les membres du groupe de suivi de leur esprit constructif et de leur volonté, au-delà des logiques partisanes, d'apporter des solutions pragmatiques et de l'espoir à nos élus et à nos concitoyens. Je tiens bien sûr à adresser mes remerciements aux trois présidents de commission, qui ont pris le temps d'échanger avec nous sur le sujet : leur constante vigilance nous est précieuse, car elle conforte la légitimité de nos travaux.

Je ne m'appesantirai pas sur les constats, nous les connaissons tous : nous avons veillé à les objectiver dans notre rapport sous la forme d'une « cartographie des récifs, des écueils et des bancs de sable ». Je rappellerai simplement que, depuis le début, le ver est dans le fruit : les objectifs de réduction de l'artificialisation des sols de la loi « Climat et résilience » ont été fixés de façon arithmétique et statique, sans aucune prise en compte des réalités territoriales et des dynamiques locales. D'une part, le rythme de réduction de moitié en une décennie a été fixé au doigt mouillé, sans véritable étude d'impact, ce qui est d'autant plus grave qu'aucune autre stratégie nationale à mettre en oeuvre par les territoires n'a jamais défini un effort aussi significatif en un laps de temps aussi court. D'autre part, déterminer une enveloppe globale d'artificialisation uniquement par référence aux dynamiques passées ne permet pas de répondre aux besoins objectifs de foncier induits par des changements de circonstances et de nouveaux besoins, comme le développement des infrastructures nécessaires à la transition écologique ou la réindustrialisation.

Cette démarche fait également fi du volontarisme d'élus qui, même si leur territoire était, hier, peu dynamique, se démènent pour implanter une usine ou attirer de nouveaux habitants ; dit autrement, le « ZAN » prolonge pour l'avenir les trajectoires du passé, dans une logique résolument fataliste. Les collectivités vertueuses sont pénalisées et leurs perspectives de développement sont à présent bloquées - c'est un malus pour celles qui ont « fait le ZAN » avant l'heure ; nous ne pouvons pas nous y résoudre !

Pendant ce temps, l'État a choisi la facilité : il a troqué son rôle de stratège et d'aménageur - véritable abdication - contre un rôle de comptable et de courtier. Quand nous voulons parler projets de territoires à toutes les échelles, le ministre et les préfets, eux, sortent leurs calculatrices et leurs tableurs Excel et nous répondent en pourcentages. Comment s'étonner, dès lors, de l'incompréhension et des appréhensions des élus ? Du reste, nos concitoyens commencent également à se rendre compte des implications très concrètes du « ZAN » sur le prix des logements, sur l'attractivité et l'activité économiques, sur leur cadre de vie... Et ce sont les territoires de la France dite périphérique, ceux qui ont déjà - et encore récemment - manifesté le plus leur défiance à l'égard de l'action politique - lors de la crise des gilets jaunes, mais aussi dans les urnes -, qui seront les plus affectés ! Si nous voulons éviter que le « ZAN » ne devienne le ferment de nouvelles contestations, il est de notre devoir d'entendre et de prendre au sérieux ces mécontentements pour y apporter des remèdes... Il nous faut rendre possible cet objectif !

M. Jean-Baptiste Blanc, rapporteur. - Face aux constats étayés qui viennent d'être présentés et qui synthétisent fidèlement les auditions et les échanges que nous avons menés, nous proposons une action en deux temps.

En ce qui concerne la période avant 2031 d'abord, pour laquelle un objectif est inscrit dans la loi, le « - 50 % », nous avons identifié trois leviers d'intervention.

Le premier consiste à mettre la pression sur l'État pour une application non pas homogène, mais cohérente de la réforme dans les territoires, avec des instructions claires fixées aux services déconcentrés afin que l'on ne dise pas une chose à l'un et son contraire à l'autre, et que toutes les collectivités soient traitées avec équité. Nous demandons, en particulier, que les instructions pour davantage de souplesse qui ont été données par l'ancien ministre Béchu dans la circulaire du 31 janvier 2024 soient systématiquement appliquées, avec la marge des 20 % de dépassement autorisé, sans nécessiter de justification spécifique lors du contrôle de légalité des nouveaux documents d'urbanisme. Cela n'appelle pas de modification législative.

Le deuxième levier, ayant vocation à être actionné pendant cette première période et également pour la suite, est celui du coût de la sobriété foncière et de l'instauration de mécanismes d'incitation à la réduction de l'artificialisation. La mission d'information de la commission des finances, dont Hervé Maurey et moi-même sommes les rapporteurs, rendra ses conclusions prochainement.

Le troisième levier consiste à prévoir des modifications ciblées de la réglementation afin de donner de l'air aux collectivités et leur permettre de gérer les injonctions contradictoires auxquelles elles sont soumises.

Sur ce point, le projet de loi de simplification de la vie économique va finalement poursuivre son chemin législatif. L'amendement exemptant l'industrie du décompte du « ZAN », que nous avions fait adopter en juin, pourrait donc - je l'espère - prospérer : c'est essentiel, car réindustrialiser sans foncier est une équation impossible à résoudre.

L'avenir de la loi logement est plus incertain ; il nous faudra trouver un moyen de réintroduire l'exception « ZAN » pour les communes en déficit de logement social. Face à l'urgence de la crise du logement, il faudra d'ailleurs sans doute réfléchir à des assouplissements plus globaux. Le Gouvernement semble disposé à avancer sur le sujet, ce dont je me réjouis : nous participerons naturellement à la réflexion commune.

En ce qui concerne le long terme maintenant, pour la période après 2031, nous avons deux niveaux de réflexion.

Le premier est d'ordre technique : il s'agit, sans toucher à l'objectif final, de faciliter l'application de la stratégie de réduction de l'artificialisation à moyen terme. Pour cela, nous avons là aussi identifié trois leviers.

Il s'agit, d'abord, des outils d'aménagement et d'ingénierie en faveur de la sobriété foncière, qui devront être encore amplifiés et renforcés à mesure que le « ZAN » montera en puissance.

Il s'agit, ensuite, de l'introduction de nouveaux critères obligatoires de territorialisation, comme les différentiels de densité, les dynamiques de peuplement et d'activité, mais aussi, comme l'a proposé notre collègue Jean-Claude Anglars, la protection du bâti au titre du code du patrimoine, qui limite fortement la possibilité de recourir à la renaturation du fait des restrictions aux démolitions.

Plus structurellement, nous voulons passer d'une démarche descendante à une logique ascendante : pour mieux prendre en compte l'ensemble de ces critères de territorialisation, il faudra inverser la logique d'attribution des enveloppes foncières, cesser de vouloir faire rentrer les projets des territoires dans une enveloppe déterminée a priori mais, au contraire, partir des besoins des territoires - lesquels devront bien sûr être étayés et justifiés. Pour réussir le « ZAN », nous devons accomplir cette révolution copernicienne.

Il s'agit, enfin, d'une réforme d'aspect technique, mais dont la portée va bien au-delà : nous proposons de conserver, au-delà de 2031, la comptabilisation de l'artificialisation en consommation d'Enaf, un mode de comptabilité avec lequel les élus sont familiers et qui permet, en outre, de ne pas inclure l'artificialisation induite par les bâtiments agricoles actuels et futurs, ce qui serait en cohérence avec les objectifs de protection des activités agricoles et de souveraineté alimentaire. Dans ce cadre, nous devrons bien sûr réfléchir à des garde-fous pour ne pas voir nos campagnes bétonnées par des mégafermes industrielles.

Notre deuxième niveau de réflexion est sans doute plus disruptif. Jusque-là, le Sénat s'est efforcé d'assouplir le « ZAN » en restant dans le cadre posé par la loi « Climat et résilience ». Nous pensons qu'il faut se demander, sans tabou, si nous avons légiféré, comme le préconisait Portalis, avec « sagesse, justice et raison », si ces mesures, pour utiles qu'elles aient été, n'ont pas été élaborées dans un moment où le législateur s'est « livré à des idées absolues de perfection » et si le cadre élaboré à l'été 2021 n'est pas en train de muer en carcan.

Puisque je viens de convoquer Portalis, je médite sur une maxime qu'il a rédigée : « Les lois sont faites pour les hommes, et non les hommes pour les lois ; elles doivent être adaptées au caractère, aux habitudes, à la situation du peuple pour lequel elles sont faites. [...] S'il est possible, dans une institution nouvelle, de calculer les avantages que la théorie nous offre, il ne l'est pas de connaître tous les inconvénients que la pratique seule peut découvrir. » On croirait ces préceptes inspirés par une critique raisonnée du « ZAN », plus de deux siècles avant sa mise en oeuvre...

Nous avions déjà envisagé, dans la loi « ZAN 2 », de nous extraire - de manière ponctuelle - du cadre rigoureux de la loi « Climat et résilience », en sortant complètement les grands projets de l'enveloppe nationale, mais la mutualisation entre régions avait été le prix à payer pour une commission mixte paritaire conclusive. Les concessions étant le lot des régimes bicaméraux, nous nous sommes rangés à cette solution...

À l'usage, les régions nous disent que ce n'est pas satisfaisant ; cela nourrit un sentiment d'injustice. En outre, cela ne vaut, pour l'instant, que jusqu'en 2031. Or ces grands projets ont besoin de visibilité à plus long terme. Ne faudrait-il pas réinterroger l'idée d'une exclusion totale et définitive de ces projets, en particulier les projets d'envergure nationale ou européenne (PENE), du décompte « ZAN » ? Est-il souhaitable de continuer avec un État ne disposant pas de compte foncier et dont les projets sont portés par les enveloppes des territoires ? Question rhétorique, mais lourde de sens...

Plus largement, faut-il sortir de l'enveloppe certains projets ou conserver le cap et la trajectoire de la sobriété foncière, mais en ne fixant plus ces enveloppes limitatives qui font le désespoir de certains élus locaux, ce qui constituerait un fort témoignage de confiance aux territoires pour déterminer les projets qui justifient vraiment d'artificialiser ? Nous n'avons pas la réponse, mais la question mérite d'être posée.

M. Jean-François Husson, rapporteur général. - Le nombre de sénatrices et de sénateurs présents ce matin montre clairement le niveau de préoccupation que ce sujet provoque dans les territoires et chez les élus. Nous ne pouvons que rappeler notre incompréhension devant l'absence de réelle étude d'impact au moment de la présentation du projet de loi « Climat et résilience » : il est essentiel que les choix du législateur soient éclairés par toute l'information dont dispose l'État. D'autres missions et études sont en cours pour compléter le rapport qui vient de nous être présenté ; c'est essentiel tant ce sujet est complexe et ses implications multiples. En fait, aujourd'hui, personne ne s'y retrouve !

M. Christian Redon-Sarrazy. - Ce rapport rejoint le constat que le Sénat fait depuis plusieurs mois : le « ZAN » a été défini comme un objectif arithmétique qui ne prend pas en compte les contextes territoriaux. Nous avons essayé d'assouplir le dispositif avec la loi « ZAN 2 », mais d'autres textes, plus sectoriels - industrie verte, logement... -, ont percuté nos propositions.

Il n'y a aucun dialogue entre l'État et les collectivités : les élus locaux se plaignent d'un État qui n'utilise que sa calculatrice et ne fournit pas un accompagnement suffisant.

Nous ne souhaitons pas remettre en cause l'objectif de lutte contre l'artificialisation, mais il nous faut proposer des avancées, y compris en termes de fiscalité. La mise en oeuvre de cet objectif doit se faire avec les habitants et les élus, et en cohérence avec les priorités du pays : la réindustrialisation, le logement, la souveraineté agricole... Nous devons avoir en tête la santé des sols, mais nous ne devons pas accentuer les fractures territoriales ou sociales.

Ce rapport doit nous permettre d'ouvrir un dialogue, ce qui est nécessaire. C'est un sujet au long cours pour lequel nous avons besoin d'ingénierie et d'un accompagnement des territoires.

M. Ronan Dantec. - Nous avons finalement deux rapports pour le prix d'un ! Notre mission, au sein du groupe de suivi, était de prendre en compte les réelles difficultés d'application du « ZAN », même après la loi « ZAN 2 », pour mettre cette mesure au service de l'aménagement et du rééquilibrage du territoire et de l'agriculture - la première victime de la consommation de foncier.

Certaines propositions du rapport sont intéressantes, par exemple celle relative à la comptabilisation en Enaf, pour simplifier l'application - je porte cette proposition depuis le début -, mais on sent une sorte de « chapeau général » de remise en cause de l'objectif...

Or le « ZAN » est un progrès très important pour préserver l'agriculture. On ne peut pas parler de souveraineté alimentaire et en même temps supprimer des hectares de terre agricole - plus de 20 000 hectares de surface agricole utilisée (SAU) ont été supprimés par an entre 2015 et 2022 et cela ne diminue pas. Nous avons donc besoin du « ZAN » et du plafond du - 50 % à l'horizon 2031. Remettre en cause le « ZAN » revient à mettre en cause notre agriculture.

La semaine dernière, Nantes Métropole a délibéré en faveur de 30 hectares d'urbanisation supplémentaire pour une zone artisanale, contre l'avis de la commission départementale de la préservation des espaces naturels, agricoles et forestiers (CDPENAF) et du monde agricole. Supprimer le « ZAN » constituerait en réalité un cadeau fait aux métropoles qui continueront de grignoter les zones maraîchères ou les grandes zones céréalières du bassin parisien. Il y a là une contradiction majeure !

Ma question est donc simple : est-ce que vous entendez garder le plafond de 125 000 hectares en 2031, quitte à être beaucoup plus volontaristes en matière d'aménagement du territoire, pour que ces hectares bénéficient d'abord aux villes moyennes désindustrialisées et au monde rural ?

M. Claude Raynal, président de la commission des finances. - Le débat est vif !

Mme Nathalie Goulet. - La question de l'insuffisance de l'étude d'impact me fait m'interroger sur la raison pour laquelle nous avons été si peu nombreux à ne pas voter ce texte ! Finalement, on veut aujourd'hui mettre une rustine sur un mauvais texte ; on pourrait aussi imaginer une refonte complète de l'objectif et de la méthode.

Il y a des incohérences profondes, de principe, pour le monde rural : sans logements ni habitants, il ne peut pas y avoir de ruralité ! Il y a aussi des incohérences concrètes : je pense, par exemple, au fait que les méthaniseurs ne sont pas comptabilisés dans le « ZAN » alors que d'autres infrastructures le sont. Nous devons apporter davantage de cohérence, car ce sont toutes ces incompréhensions qui provoquent un rejet viscéral de cette stratégie dans les territoires les plus ruraux.

M. Guislain Cambier, président du groupe de suivi. - Ce que nous vous avons présenté est un rapport d'information, pas une proposition de loi, monsieur Dantec. Le rapport dit clairement - et je le répéterai autant de fois qu'il faudra - que l'ensemble des remontées de terrain montre que l'objectif instauré par le « ZAN » est partagé et a été intégré par les élus et acteurs locaux, qui ne remettent pas en cause l'objectif, mais la méthode et le rythme de mise en oeuvre, voire l'acronyme lui-même qui fait maintenant office de repoussoir... Mais il faut en garder l'esprit !

Pour paraphraser Marc Aurèle, on est souvent injuste par omission : c'est ce qui se passe pour les méthaniseurs. Cela montre que nous manquons de définitions.

Il faudra donc bien faire évoluer le texte de la loi « Climat et résilience » - sans tout réécrire, car cette loi a produit des effets positifs, les élus locaux ont déjà changé leur manière d'aménager le territoire et diminué leur consommation foncière - pour être plus précis, afin d'en permettre une application plus réaliste, avec les territoires.

M. Jean-Baptiste Blanc, rapporteur. - Nos travaux ont permis d'identifier deux défauts majeurs du « ZAN » : il n'est pas territorialisé ; il n'est pas financé. Une lettre - sidérante ! - du précédent ministre de l'économie et des finances montre bien que l'État n'a pas intégré ce problème du coût du « ZAN ».

Nous avons tout fait pour rendre la territorialisation effective - avec la garantie rurale, les « PENE », la prise en compte des spécificités des territoires de montagne et littoraux, une nouvelle gouvernance, mis en place par la loi « ZAN 2 » - mais le fait est que cela ne marche pas, parce que c'est imposé à marche forcée, de manière arithmétique et descendante.

Nous nous interrogeons effectivement, monsieur Dantec, sur le - 50 %, mais nous ne proposons pas de l'abroger en l'état de nos réflexions. Les élus locaux ont intégré depuis longtemps la nécessité de sobriété, mais ils ne supportent plus le caractère descendant des politiques publiques, en particulier celle-là. Il faut adapter la règle au contexte territorial. Il nous faut concilier la sobriété foncière et les priorités des politiques publiques - le logement, la réindustrialisation, etc. Pour cela, nous devons faire sauter ces verrous intelligemment.

Nous n'en pouvons plus de ces trois lettres - « ZAN » - et de la manière dont les choses se mettent en place. Nous avons besoin d'outils et de financement pour accompagner les élus pour mieux aménager, densifier, construire la ville sur la ville, requalifier les friches, renaturer, protéger les terres agricoles. Je rappelle que le groupe de suivi a reçu 1 400 réponses dans le cadre de la consultation en ligne qu'il a initiée et elles vont très largement dans ce sens : une inquiétude des élus qui partagent l'objectif mais se le voient imposer par l'État sans l'accompagnement ni l'ingénierie adéquats.

Heureusement que la commission des finances a pris l'initiative de travailler sur le coût de la sobriété foncière !

M. Philippe Grosvalet. - Ne jetons pas le bébé avec l'eau du bain ! L'idée de sobriété foncière est aujourd'hui entendue... Mais elle est assez relative.

J'ai convaincu les maires de mon territoire de tendre vers l'objectif zéro artificialisation bien avant la loi « Climat et résilience », car le foncier disponible, dans mon territoire, en Loire-Atlantique, n'est pas infini, comme dans les autres territoires soumis à forte pression démographique.

Je soutiens donc, à terme, l'objectif « zéro », mais j'estime que le chemin pour y parvenir est compliqué et doit être différencié. Or le principe de subsidiarité n'a pas vraiment cours dans notre pays...

Si l'on est d'accord sur un objectif, reste à en définir la temporalité et la manière de le mutualiser dans un même territoire.

En Loire-Atlantique, par exemple, nous avons une métropole, un littoral, une sensibilité environnementale extrême, une agriculture dynamique et 17 000 habitants supplémentaires à loger chaque année.

En conséquence, quelle est l'échelle la plus pertinente pour appréhender le « ZAN », en tenant compte du principe de subsidiarité ? La loi actuelle n'est pas satisfaisante à cet égard. Il nous reste encore à définir l'espace géographique et politique le plus adapté pour atteindre cet objectif partagé, du territoire le plus petit - la commune - au plus grand.

M. Hervé Gillé. - Sur ce sujet complexe, il y a un risque d'instrumentalisation politique et de dérive populiste. Soyons responsables, mes chers collègues.

À mon sens, l'essentiel du sujet repose sur la différenciation territoriale, tous les territoires étant différents. C'est particulièrement vrai pour les outre-mer.

Par ailleurs, où devons-nous placer les arbitrages ? On ne peut s'arrêter à l'échelon communal. C'est a minima le niveau intercommunal qui doit être retenu, voire des schémas de cohérence territoriale (Scot), qui couvrent 60 % du territoire. Cela permettrait un dialogue et des arbitrages collectifs. Il faut de surcroît une bonne articulation aux niveaux départemental et régional, qui doit trouver sa traduction dans les schémas régionaux d'aménagement, de développement durable et d'égalité des territoires (Sraddet), selon le principe de subsidiarité : c'est bien en partant des territoires qu'il faut appréhender la mise en oeuvre du « ZAN », dont l'objectif est réaffirmé aujourd'hui. Or je ne trouve pas vraiment cela dans les conclusions du groupe de suivi.

Nous sommes néanmoins favorables à ce stade à vos conclusions, tout en réservant notre position sur le texte à venir.

M. Michel Canévet. - À mon sens, l'objectif du « ZAN » est contre-productif pour le développement et l'aménagement du territoire. Ne vaudrait-il pas mieux parler de réduction de l'artificialisation nette, le « RAN » ?

M. Guislain Cambier, président du groupe de suivi. - Ce travail se traduira par des propositions législatives concrètes. Nous avons déjà pu faire avancer nos idées par amendements sur des textes concernant la simplification de la vie économique, le logement ou l'agriculture.

Parmi ces propositions, il y a des choses qui feront sans doute consensus sur la manière de comptabiliser ou d'établir des modalités de contractualisation avec les territoires. Mais il faudra préciser certains points. Qui met-on autour de la table ? Comment contrôle-t-on les efforts faits ? Chacune des strates de notre République doit être responsabilisée, y compris l'État.

Concernant le rythme, la borne de 2031 suscite beaucoup d'interrogations. En effet, les Sraddet vont être adoptés fin 2024 pour être déclinés ensuite dans tous les documents d'urbanisme en cascade. Vu les délais qui sont nécessaires, environ quatre ans, ils seront assez rapidement obsolètes, nonobstant les dynamiques qui auront pu se manifester. Aussi, nous allons rapidement mettre sur la table d'autres façons de comptabiliser et une proposition de rythme plus adapté.

Par ailleurs, dans la loi « Climat et résilience », nous avons mis en avant la biodiversité et la santé des sols, mais tous les sols ne se valent pas au regard de leurs potentiels agronomiques ou de leurs fonctionnalités écologiques. Or les textes actuels n'en tiennent pas compte.

Enfin, comment l'État accompagne-t-il les territoires pour reconquérir les friches ?

Vous le voyez, cette réglementation « ZAN » est beaucoup plus transversale qu'il n'y paraît. Il n'est pas question de refaire une nouvelle loi, mais nous devons nous attacher à éviter l'effet « tuyaux d'orgue ».

M. Jean-Baptiste Blanc, rapporteur. - Même notre collègue Dantec le dit, il faut revenir à la notion d'Enaf, qui me paraît moins complexe que l'artificialisation, mieux acceptée et comprise par les élus locaux. Cela permettrait de surcroît de lever les incertitudes concernant les bâtiments agricoles.

La définition de l'artificialisation est beaucoup trop idéologique. Ainsi, dans le décret « nomenclature », il est spécifié que les jardins des pavillons sont considérés comme artificialisés, pour inciter les élus à faire de la subdivision parcellaire.

Revenir aux Enaf nous permettrait peut-être d'avoir une approche plus ascendante pour réussir à relever le défi de la sobriété avec la pleine collaboration des élus locaux.

Il y a selon moi trois sujets sur la table : les bâtiments agricoles ; les « PENE » ; les énergies renouvelables, notamment avec le problème des méthaniseurs, mais pas seulement.

M. Jean-Marc Boyer. - Après avoir participé aux travaux du groupe de suivi et vous avoir entendu, j'ai envie de dire : tout ça pour ça !

Les élus locaux sont favorables à la sobriété foncière - ils l'appliquent d'ailleurs déjà -, mais ils ne veulent pas du « ZAN » tel qu'il leur est proposé. Pour moi, le « ZAN » est mort !

Or les services de l'État mettent aujourd'hui beaucoup de pression sur les élus locaux et font le « ZAN » par anticipation. Au lieu d'accompagner les collectivités dans leurs projets d'urbanisme, ils les contraignent en s'appuyant sur des avis de cabinets d'études qui se contentent de faire du copier-coller d'un territoire à l'autre.

Il y a urgence, car les communes et les intercommunalités préparent actuellement leurs documents d'urbanisme et les services de l'État font comme si la loi « ZAN » était pleinement appliquée. Je pense que mes collègues font la même expérience dans leur département. Si l'on temporise trop pour adopter des mesures, le rouleau compresseur des services de l'État va continuer son oeuvre et nous arriverons après la bataille.

Au nom de la libre administration des collectivités locales, ne faut-il pas que nous envoyions dès aujourd'hui un signal pour dire que le « ZAN » est suspendu dans l'attente d'un nouveau texte ? Le Sénat ne peut-il pas envoyer une motion aux ministres concernés pour qu'ils enjoignent aux préfets de surseoir à l'application de la loi ?

M. Sébastien Fagnen. - À l'issue des six mois de travaux du groupe de suivi sur la mise en oeuvre du « ZAN », le constat est clair : de grandes difficultés se font jour sur tous nos territoires. Comme le président du groupe de suivi l'a rappelé, on n'aménage pas le territoire avec un tableau Excel. La prise en compte de la géographie fait ainsi cruellement défaut. C'est là le péché originel de la loi.

Il s'agit non pas de faire passer le « ZAN » par pertes et profits, mais de le remettre à l'endroit avec une logique différente : nous devons partir des besoins des territoires, tout en respectant l'objectif originel.

Pour rassurer Ronan Dantec, je dirai que le garde-fou est à Matignon, puisque Michel Barnier, dans sa déclaration de politique générale, a précisé qu'il n'y aurait de remise en cause ni de la philosophie ni de l'objectif. Nous jugerons sur pièces lors de l'examen de la proposition de loi qui naîtra de nos travaux. J'en profite pour saluer le travail de notre collègue Nicole Bonnefoy sur la qualité des sols, qui nous aura été d'une grande utilité.

J'insiste sur l'ingénierie, indispensable pour accompagner les élus des communes rurales. Sur la décennie 2011-2021, il faut savoir que la consommation foncière a porté avant tout sur l'habitat dit dispersé, selon la nomenclature du Centre d'études et d'expertise sur les risques, l'environnement, la mobilité et l'aménagement (Cerema). Les élus ruraux se battent pour développer leur territoire, mais il ne faut pas les laisser seuls face aux acteurs économiques privés. Aussi, nous devons réarmer les services déconcentrés de l'État, pour qu'ils puissent aider les élus locaux à bâtir un modèle d'aménagement plus vertueux.

M. Grégory Blanc. - Je tiens à remercier Guislain Cambier et Jean-Baptiste Blanc pour leur travail : ce rapport permettra en effet de lever un certain nombre d'incompréhensions.

Chacun d'entre nous est favorable à une réforme, dans la mesure où nous sommes tous conscients de la nécessité de nous préparer à une augmentation des températures de l'ordre de 4 degrés en France. Avec la mise en oeuvre du « ZAN » se pose dès aujourd'hui la question d'un changement des pratiques que ce soit en termes d'aménagement du territoire ou de construction. S'il faut reconnaître que la stratégie de réduction de l'artificialisation des sols est une source de contraintes, convenons aussi - personne ne l'a fait ce matin - que le « ZAN » est une opportunité, et qu'il donne des perspectives en matière de développement économique.

J'aurai trois questions.

La première est d'ordre financier : il est nécessaire de se pencher sur une meilleure articulation entre les collectivités territoriales, en particulier entre les régions et les intercommunalités - je pense en particulier aux aménagements d'infrastructures d'intérêt général. Il faut repenser les modalités d'aménagement du territoire, alors qu'aujourd'hui, certains freinent manifestement toute réflexion à ce sujet : comment faire, selon vous, pour assurer davantage d'horizontalité à l'échelle des territoires ?

La deuxième part du constat d'une défaillance totale de l'État dans l'accompagnement des acteurs locaux : rien n'est prévu pour définir une stratégie à l'horizon 2050. Quel chemin emprunter pour engager cette transition ? C'est une problématique que vous ne semblez pas avoir esquissée dans votre rapport.

Ma dernière question est budgétaire : si l'on veut vraiment atteindre les objectifs fixés dans la loi, que ce soit en 2031 ou en 2050, il est nécessaire de dégager des moyens plus significatifs qu'aujourd'hui. Comment faire pour concrétiser cette ambition ?

M. Guislain Cambier, président du groupe de suivi. - Je suis d'accord avec Grégory Blanc : je déplore que l'État n'ait pas développé de vision à long terme en matière d'aménagement du territoire. Le Gouvernement n'a effectivement dessiné aucune perspective claire depuis que nous l'y avons invité en février dernier.

Pour ce qui est de la mise en place du « ZAN », ce sont les régions qui sont aujourd'hui en première ligne, puisqu'elles doivent décliner cet objectif dans leurs Sraddet. Le ruissellement vers les échelons infrarégionaux que sont les intercommunalités et les communes est, quant à lui, en marche.

À l'évidence, la question de l'organisation du dialogue dans les territoires se pose. Ainsi, la commission régionale de conciliation sur l'artificialisation des sols est régulièrement critiquée pour son fonctionnement et sa composition ; de surcroît, la faiblesse des enveloppes régionales suscite de nombreuses réserves sur le terrain.

En réalité, le fond du problème tient à la lenteur de l'État pour fixer les règles, définir les nomenclatures et établir une doctrine quant aux objectifs assignés aux uns et aux autres. Ce que montre notre rapport, c'est que la méthode retenue ne fonctionne pas.

Dernière remarque, il manque à cette stratégie de réduction de l'artificialisation tout un volet financier et fiscal. La mise en concurrence des collectivités les unes avec les autres - ces dernières ont des projets de territoire plus ou moins aboutis - freine la création d'une sorte de « bourse des territoires », à toutes les échelles, qui permettrait de renaturer les espaces à un endroit, de construire à un autre endroit pour saisir les opportunités qui se présentent.

M. Jean-Baptiste Blanc, rapporteur. - Je tiens à rassurer Grégory Blanc : nous pointons bel et bien les défaillances de l'État dans notre rapport - il s'agit même d'un fil rouge, de même que nous déplorons l'impensé fiscal du « ZAN ».

Notre collègue a raison de souligner qu'il est indispensable d'avoir une vision prospective. Si nous décidons d'en finir avec cette démarche planificatrice, comme certains le souhaitent, il faudra définir une logique plus ascendante dans une perspective peut-être davantage contractuelle. Tout reste à imaginer, notamment les articulations entre les différents niveaux de collectivités. C'est même à mes yeux le principal travail que nous aurons à mener.

M. Yannick Jadot. - La question éminemment politique du « ZAN » est évidemment révélatrice de nos difficultés - crise du logement, désindustrialisation, inégalité entre territoires, etc. Mais, à mesure que nous y réfléchissons, le « ZAN » est aussi devenu un bouc émissaire.

Certes, de nombreux élus ont d'ores et déjà intégré la sobriété dans leur politique d'aménagement du territoire, mais il faut reconnaître que l'artificialisation des sols n'a pas baissé. Malgré l'effondrement du logement social, la crise de l'industrie, l'affaissement des services publics dans les territoires, elle se maintient à un niveau élevé.

Puisqu'il en est question, je partage l'avis de ceux qui déplorent le choix de l'appellation « zéro artificialisation nette » : celle-ci laissait effectivement entendre que l'objectif devait être atteint dès 2021. L'engagement du Premier ministre à maintenir cette ambition ne lève pas pour autant de bien légitimes inquiétudes, tant on sait que ce gouvernement n'aura vraisemblablement pas une espérance de vie telle qu'il sera toujours en place en 2050...

M. Laurent Duplomb. - On ne sait jamais !

M. Yannick Jadot. - Même si les écologistes sont de culture girondine, je suis en désaccord avec ceux qui pensent qu'il faut en finir avec la planification. Il faut certes partir des territoires, mais les mesures de mutualisation proposées dans le rapport sont bien trop faibles. Il faut cesser de prévoir des dérogations pour tout, c'est le plus sûr moyen de rendre le dispositif totalement inopérant.

M. Laurent Duplomb. - Il a raison : autant abroger la loi !

M. Yannick Jadot. - La lutte contre l'artificialisation des sols est indispensable. Inutile de rappeler que des inondations impressionnantes ont lieu partout dans notre pays. Personne ne peut plus prétendre aujourd'hui que c'est la faute des écologistes qui ne veulent pas que l'on cure les rivières !

De nombreux sénateurs sur les travées des groupes Les Républicains, UC et INDEP. - Si !

M. Yannick Jadot. - La vigueur de votre réaction prouve que vous avez fait de cette loi le bouc émissaire de tous nos maux. Une telle démagogie accentue la défiance vis-à-vis du monde politique et accroît le vote en faveur du Rassemblement national.

M. Cédric Chevalier. - Le « ZAN » peut effectivement être une opportunité pour nos territoires : les efforts qui sont demandés aux élus en termes de sobriété appellent une réflexion sur l'optimisation de la consommation foncière, autrement dit une analyse de bon sens.

Cela étant, le « ZAN », dans sa mise en oeuvre, est facteur d'injustice. En raison de son mode de calcul, les collectivités les plus vertueuses sont pénalisées.

M. Laurent Duplomb. - C'est vrai !

M. Cédric Chevalier. - Beaucoup d'élus n'ont pas attendu le « ZAN » pour s'engager dans la sobriété foncière, tout simplement parce qu'ils sont conscients des enjeux et connaissent bien leur territoire. Demain, ceux-là, s'ils ont de nouveaux projets, seront pénalisés... Le rapport tient-il compte de cette injustice ?

Un certain nombre de clarifications sont par ailleurs nécessaires. Ainsi, une partie des décrets d'application de la loi « Climat et résilience » ont paru fin 2023, alors que le compteur était lancé depuis deux ans... Tout cela manque de cohérence.

Autre remarque : les échéances fixées pour l'approbation des documents d'urbanisme que sont les Scot et les plans locaux d'urbanisme intercommunaux (PLUi) - respectivement en août 2026 et août 2007 - sont ubuesques. Le calendrier devrait vraiment être revu, car en résultera l'acceptabilité du « ZAN » par l'ensemble des élus locaux.

M. Christian Bilhac. - Je remercie le rapporteur et le président du groupe de suivi pour ce travail. Le « ZAN » est un sujet de préoccupation pour les élus.

On ne peut pas bâtir l'avenir sur des contre-vérités : on ne sauvera pas l'agriculture avec le « ZAN » - il ne faut pas rêver ! La consommation de surfaces agricoles augmente, non pas parce que l'on construit, mais parce que l'agriculture ne permet pas de faire vivre nos agriculteurs ! Ce n'est pas en stoppant l'urbanisation qu'on sauvera l'agriculture !

M. Laurent Duplomb. - Tout à fait !

M. Christian Bilhac. - Haro aux fausses bonnes idées !

Deuxième observation, la loi « ZAN » est censée s'appliquer à Paris comme dans le village de Saint-Michel-d'Alajou sur le plateau du Larzac. Cela ne peut pas fonctionner ! Comment voulez-vous que le maire d'une commune hyperrurale, qui n'a pas délivré de permis de construire depuis plus d'un an ou qui a près de 95 % de son territoire en zone naturelle ou agricole, réagisse lorsqu'on lui dit qu'il ne faut pas artificialiser ? Il vous regarde éberlué, parce qu'il ne peut pas le comprendre !

J'ai deux questions très simples : pourquoi ne pas exclure ces petites communes rurales du « ZAN » ? Comment faire pour dialoguer avec un État qui préfère l'oukase et l'injonction à la discussion ?

M. Daniel Salmon. - Dans certains territoires, les choses se passent plutôt bien. Ainsi, en Bretagne, les conférences des Scot ont permis d'aboutir à des compromis, lesquels ont conduit à l'élaboration d'une trajectoire régionale de mise en oeuvre de la stratégie de réduction d'artificialisation des sols.

Regardons les choses en face : la véritable problématique est celle du financement du « ZAN ». D'après vous, mes chers collègues, sera-t-il plus facile de financer notre dette écologique dans quelques années que le « ZAN » aujourd'hui ? Personnellement, je connais la réponse à cette question.

Enfin, l'acronyme « ZAN » n'est peut-être pas le bon, mais il est préférable au « zéro ambition nette », ce vers quoi nous nous orientons.

Mme Anne-Catherine Loisier. - Je vous remercie de toutes ces précisions qui permettent d'apporter des réponses aux interrogations multiples qui émergent des territoires.

Permettez-moi cependant de revenir sur quelques points.

D'abord, la maîtrise de l'artificialisation des sols existait bien avant le « ZAN ». Les nombreux élus locaux présents ici ce matin peuvent en témoigner : la plupart, si ce n'est la totalité, des Sraddet comportaient déjà un objectif en la matière.

La loi « ZAN » a fixé des objectifs plus ambitieux sans pour autant prévoir les financements y afférents. Comment accompagner les territoires dans une démarche vertueuse de meilleure maîtrise de l'artificialisation des sols, et ce de façon réaliste ? Si l'on tient compte de la situation actuelle, je crains que la plupart des acteurs des territoires soient incapables, à l'avenir, de financer la mise en oeuvre de cet objectif. Il est urgent que le Sénat, qui assure la représentation des collectivités territoriales, se montre à l'écoute et aide les élus locaux à avancer sur ce sujet.

Monsieur le rapporteur, plusieurs de vos recommandations me semblent particulièrement judicieuses. Je pense à la comptabilisation en Enaf qui, de mon point de vue, doit continuer de s'appliquer après 2031. Il était également utile de rappeler la nécessité des aménagements prévus dans les textes, notamment les dispositifs d'assouplissement mis en place par l'ancien ministre de la transition écologique, Christophe Béchu. Le report de la mise en oeuvre de la mutualisation de la garantie de développement communal, qui suscite beaucoup de questions, est en outre essentiel. Enfin, l'État doit assumer sa politique : une première étape consisterait à extraire le compte foncier de l'État de l'enveloppe nationale dédiée à la consommation d'espaces.

Compte tenu de l'importance de ce sujet, il me semble indispensable que nous votions sur les recommandations du rapport d'information.

M. Jean-Baptiste Blanc, rapporteur. - Monsieur Jadot, il est faux de dire que l'artificialisation n'a pas diminué : 21 000 hectares aujourd'hui contre 31 000 en 2011 !

M. Ronan Dantec. - Les chiffres ne bougent plus depuis 2015 !

M. Jean-Baptiste Blanc, rapporteur. - Nous sommes sur un plateau, après une forte diminution entre 2009 et 2015.

En ce qui concerne la planification, elle aurait pu fonctionner si nous y avions été associés. Je me permets de vous recommander la lecture de l'ouvrage Un nouveau contrat écologique : les auteurs insistent sur la nécessité d'associer toutes les parties prenantes pour atteindre l'objectif de sobriété foncière.

Monsieur Salmon, vous parlez de « zéro ambition nette », mais il faut aussi éviter le « zéro assouplissement net » !

M. Guislain Cambier, président du groupe de suivi. - Il y avait urgence à engager ce travail du groupe de suivi, car l'horloge tourne. Nous vous avons présenté aujourd'hui le rapport, mais nous allons continuer à travailler sur le sujet. Il est nécessaire de faire preuve d'une vision plus « girondine », comme l'a dit M. Jadot, c'est-à-dire différente selon les territoires. Il faut faire confiance aux élus et fixer clairement les règles afin d'éviter les effets de bord, mais nous devons aussi rester fermes avec l'État.

La commission des affaires économiques, la commission de l'aménagement du territoire et du développement durable et la commission des finances adoptent le rapport d'information et en autorisent la publication.

La réunion est close à 10 h 55.

Dépouillement du scrutin sur la proposition de nomination, par le Président de la République, de M. Jean Castex, aux fonctions de président-directeur général de la Régie Autonome des Transports Parisiens (RATP)

La commission procède au dépouillement du scrutin sur la proposition de nomination, par le Président de la République, de M. Jean Castex aux fonctions de président-directeur général de la Régie Autonome des Transports Parisiens (RATP), simultanément à celui de la commission du développement durable et de l'aménagement du territoire de l'Assemblée nationale.

Résultat du scrutin :

Nombre de votants : 40

Nombre de bulletins blancs ou nuls : 1

Nombre de suffrages exprimés : 39, dont 39 voix pour et 0 voix contre.

- Présidence de M. Jean-François Longeot, président -

La réunion est ouverte à 16 h 45.

« Transport ferroviaire : bilan des jeux Olympiques et Paralympiques 2024 » - Audition de M. Jean-Pierre Farandou, président-directeur général de la SNCF

M. Jean-François Longeot, président. - Nous nous retrouvons cet après-midi pour entendre M. Jean-Pierre Farandou, président-directeur général de la SNCF. Les cinq mois qui nous séparent de votre dernière audition devant notre commission, monsieur le président, ont été particulièrement chargés, avec comme point d'orgue l'organisation des jeux Olympiques et Paralympiques (JOP) de Paris 2024. Il nous semblait nécessaire de vous entendre à nouveau, quelques semaines après la tenue de cet événement mondial, pour partager votre bilan et votre retour d'expérience.

Ces JOP n'ont pas débuté sous les meilleurs auspices, avec les sabotages des voies ferrées la nuit précédant la cérémonie d'ouverture. Pourriez-vous revenir sur cet événement et sur la façon dont vous avez réussi à maîtriser la situation, grâce notamment à la réactivité et à l'efficacité des cheminots ?

Au-delà de cet incident, qui a considérablement perturbé les départs et les arrivées à la veille des JOP, je tiens ici à saluer le bon déroulement du trafic ferroviaire pendant l'ensemble de la période olympique et à vous remercier, ainsi que tous les agents de la SNCF, pour votre contribution.

Aussi, je souhaiterais savoir ce que, en tant que président-directeur général de la SNCF, vous tirez de cet événement pour l'avenir. À la lumière de ces derniers mois, des améliorations en matière de sûreté, d'entretien du réseau, de gestion des crises ou encore des ressources humaines doivent-elles être encore apportées ?

Au-delà des seuls jeux Olympiques et Paralympiques, au sujet desquels nous vous entendons aujourd'hui, je souhaite vous interroger sur trois points.

D'abord, où en sont les discussions au sujet du futur contrat de performance entre l'État et SNCF Réseau ? Je rappelle que ce contrat, conclu pour une durée de dix ans, doit être actualisé tous les trois ans. Sa dernière actualisation nous avait, comme bon nombre d'acteurs du secteur, particulièrement déçus ; nous nourrissons donc beaucoup d'attentes pour le suivant. Pour autant, et malgré l'accroissement du fonds de concours par la SNCF, qui apportera 2,3 milliards d'euros supplémentaires sur la période 2024-2027, les moyens restent bien en deçà des besoins, et 1,5 milliard d'euros supplémentaires restent ainsi à trouver chaque année.

En définitive, nous nous inquiétons de la remise en question de la « nouvelle donne ferroviaire » annoncée par Mme Élisabeth Borne, alors Première ministre, en février 2023 ; nouvelle donne qui devait se traduire par une enveloppe de 100 milliards d'euros d'ici à 2040. N'ayant jamais eu de réponse très précise sur la ventilation de ce montant et, surtout, sur son mode de financement, nous craignons que le transport ferroviaire ne pâtisse, une nouvelle fois, d'un sous-investissement.

Quel regard portez-vous sur la situation et quels sont les scénarios envisagés à ce jour, notamment en matière d'entretien et de modernisation du réseau ? Les trajectoires pour l'instant envisagées, croissantes ces dernières années, mais encore timides, devront-elles être revues à la baisse ? Quelles seraient les conséquences sur les offres de service ?

Ensuite, je souhaiterais vous interroger sur la situation de Fret SNCF, à la suite de la procédure formelle sur les conditions de financement de l'entreprise engagée par la Commission européenne en janvier 2023. Pourriez-vous faire un point d'étape sur l'état des discussions avec la Commission et sur le déroulement du plan de discontinuité ? Quelles sont les conséquences des mesures prises et des mesures envisagées sur l'activité de Fret SNCF et, au-delà, sur l'avenir du fret ferroviaire français ?

Enfin, puisque la commission a la chance de vous entendre à intervalles réguliers environ deux fois par an, et en attendant le prochain rendez-vous, qui pourrait se tenir au printemps prochain, je terminerai par une interrogation : quelles sont les principales batailles que vous envisagez de mener dans les mois à venir ?

M. Jean-Pierre Farandou, président-directeur général de la SNCF. - C'est toujours un plaisir d'échanger avec vous, mesdames, messieurs les sénateurs. Ces échanges nourrissent mon action et m'apportent une compréhension plus fine des attentes de nos concitoyennes et concitoyens dans chacun de leur bassin de vie.

Notre dernier échange, il y a cinq mois, s'était déroulé dans un contexte un peu particulier. Depuis, la SNCF ne s'est pas tourné les pouces. Les bons résultats de l'entreprise se sont confirmés, puisque nous avons réalisé six semestres consécutifs de bénéfices. La SNCF tourne le dos au déficit, la dette est parfaitement maîtrisée. C'est une bonne nouvelle : l'argent que nous gagnons, nous le réinvestissons massivement dans le ferroviaire pour le bien commun.

Nous tirons une grande fierté de la réussite des JOP, qui ont constitué un défi extraordinaire, dans un climat géopolitique hostile. La SNCF a contribué à ce succès, car elle avait été choisie pour assurer l'acheminement des spectateurs, athlètes et officiels dans le pays, à Paris comme à Marseille, Nice, Lille ou encore Châteauroux. La dream team américaine de basket prenait le train quasiment tous les jours pour se rendre à Lille.

Nous devons cette réussite à nos cheminotes et cheminots. Nous avons été au rendez-vous des attentes du pays, et nous en sommes fiers. Nous avons tenu notre rang.

Les JOP ont mobilisé l'ensemble du groupe : SNCF Voyageurs ; SNCF Gares & Connexions ; les 3 000 agents mobilisés de la sûreté ferroviaire, aussi connue sous le nom de Suge, qui n'ont pas pris un seul jour de vacances pendant l'été ; SNCF Réseau, qui a oeuvré pour réaliser les travaux avant et après le moratoire sur les chantiers et dont les agents ont aussi participé à la maintenance pendant le moratoire. Ces derniers ont réparé les pannes très rapidement : les clients n'ont rien vu. Cette capacité à dépasser les incidents a été décisive. Je pense aussi à tous ceux qui ont assuré la maintenance des matériels roulants.

Il a fallu relever deux autres défis simultanément : les grands départs en vacances et la rentrée scolaire en septembre, accompagnée par l'opération « Ma classe aux Jeux », plus grande sortie scolaire jamais organisée, qui a vu 120 000 élèves assister aux jeux Paralympiques. Nous avons un peu tremblé, mais tout s'est bien passé.

Les sabotages ont été un vrai choc. Le réseau TGV a été presque entièrement paralysé. Les sabotages ont eu lieu à 200 kilomètres de Paris, alors que nous craignions des actions dans les zones JOP. Nous avons réparé le réseau en moins de quarante-huit heures, ce qui est absolument remarquable. Certains trains circulaient dès le lendemain. Les agents ont travaillé jour et nuit, malgré la pluie. Les clients ont été pris en charge, tandis que toutes les rotations des matériels roulants, des conducteurs et des contrôleurs ont été réorganisées le plus rapidement possible.

Même Plantu nous a honorés d'un magnifique dessin. À travers lui, cette reconnaissance du pays nous a beaucoup touchés, car, à travers la SNCF, c'était la France qui était attaquée. La mobilisation des cheminots fut au service des Français, qui l'ont bien compris.

Les JOP ont demandé une très longue préparation de cinq ans, pour définir les plans de transport et de maintenance, assurer la mise en accessibilité ou réaliser le projet Est-Ouest liaison express (Eole). S'ajoutent les questions de recrutement et de formation, la passation de contrats avec les prestataires. L'exécution fut remarquable. Une envie de réussite a émergé, et les cheminots l'ont montré par leur engagement ; 7 000 volontaires ont quitté leur bureau pour accueillir les clients dans les gares, avec une application de traduction simultanée dans 130 langues.

Enfin, la paix sociale a régné. Nous avons eu un dialogue raisonnable et pondéré, ce qui a permis de traverser la période des Jeux sans aucun incident de nature sociale.

L'héritage est de deux sortes : l'héritage matériel se voit dans les équipements, la mise en accessibilité des gares, le RER Eole ; l'héritage immatériel est visible dans la qualité de service. Nous avons beaucoup progressé dans l'accueil et l'accompagnement des personnes à mobilité réduite (PMR) ; nous ne reviendrons pas en arrière. Cet héritage se voit aussi dans l'état d'esprit : les Gaulois ont su faire taire leurs querelles ; nous avons réussi à travailler ensemble au service d'un objectif commun, avec la RATP, avec les forces de l'ordre, avec la région, avec Île-de-France Mobilités (IDFM), avec nos fournisseurs... Espérons que cet état d'esprit perdure, et que ce qui nous rassemble l'emporte sur ce qui nous divise !

J'en viens à deux sujets urgents qui concernent directement le travail parlementaire : Fret SNCF et la proposition de loi, dite « Tabarot », relative au renforcement de la sûreté dans les transports.

Nous ne demandons qu'une chose dans le prochain budget, le rehaussement de l'aide au secteur du wagon isolé, ce qui répond en partie aux questions du président Longeot sur le fret ferroviaire. Le plan de discontinuité qui nous frappe est douloureux : nous devons reformater toute notre division Fret SNCF, réduire son activité, transformer la société et ouvrir in fine son capital. Il faut le faire, nous le ferons.

En revanche, nous devons absolument assurer la survie de ces sociétés et de tout le secteur du fret ferroviaire par wagon isolé. Je pense aux grandes gares de triage comme celles du Bourget, de Sibelin, de Miramas ou de Woippy. Les besoins ont été rigoureusement chiffrés. L'aide au secteur, de 170 millions d'euros actuellement, doit passer à 200 millions d'euros par an. Ces 30 millions d'euros supplémentaires représentent à la fois peu et beaucoup, mais ils sont absolument nécessaires. J'ai déjà formulé la même demande auprès du Gouvernement, et j'espère pouvoir compter sur le soutien du Sénat.

Nous espérons également que la proposition de loi de Philippe Tabarot, qui fait consensus, sera adoptée. C'est une bonne loi dont nous avons besoin. Elle octroie de nouvelles compétences à nos agents et à ceux de la RATP, afin que ceux-ci remplissent plus efficacement leur mission de sécurité dans les transports. Toutes les mesures ont été encadrées de manière réfléchie. Quant aux caméras-piétons, elles sont réclamées par les agents de contrôle eux-mêmes. Si les agents de la Suge peuvent encore les utiliser, l'interruption de la navette parlementaire a empêché de pérenniser l'expérimentation prévue pour les agents de contrôle. Personnels et syndicats demandent ces équipements, qui les sécurisent, permettent de calmer les esprits en cas d'incident, incitent nos agents à être irréprochables et clarifient les situations les plus confuses.

Le réseau reste la mère des batailles. Il y va de la qualité de service, pour éviter les pannes, les retards, les problèmes de signalisation ou de caténaires. Les équipements cassent parce qu'ils sont vieux ; et si le réseau est vieux, c'est que nous n'avons pas les moyens de le rénover. L'âge moyen du rail français est de presque trente ans, contre dix-huit ans en Allemagne et quinze ans en Suisse. Les écarts types sont gigantesques : certains rails ont cent ans ; des caténaires, dans le Sud-Ouest, ont entre soixante-dix et quatre-vingt ans. Le réseau classique français est le réseau des territoires : 83 % des trains express régionaux (TER) roulent sur le réseau classique national. Quand ce réseau s'appauvrit, tous les transports du quotidien en pâtissent.

Le diagnostic est clair : la régénération demande un investissement de 4,5 milliards d'euros par an, alors que seulement 3 milliards d'euros sont prévus. Il manque donc 1,5 milliard d'euros par an pour moderniser et régénérer le réseau.

Du fait de la situation budgétaire de notre pays, l'État aura sans doute des difficultés à abonder les budgets en faveur de cette régénération à très court terme. Ainsi, en accord avec l'État, c'est la SNCF qui fournira cet effort. Entre 2024 et 2027, nous allons consacrer à la régénération du réseau 2,3 milliards d'euros supplémentaires par rapport à la prévision initiale, pour un total de 6 milliards d'euros, en sus des fonds propres de réseau. Ainsi, entre 3,5 et 3,8 milliards d'euros seront consacrés au renouvellement du réseau chaque année.

Une question reste en suspens : l'avenant au contrat de performance entre SNCF Réseau et l'État, qui court jusqu'en 2032. Ce contrat de performance doit notamment donner des perspectives pour la période 2028-2032, et j'espère que nous pourrons alors créer les conditions pour atteindre la cible de 4,5 milliards d'euros. Le débat est en cours, mais il faut que l'État réaffirme son ambition.

Pour garantir un tel financement, je vois déjà trois pistes.

Premièrement, contrairement aux Français, polytraumatisés par les « bonnets rouges », les Allemands taxent les poids lourds pour un montant total de 8 milliards d'euros par an. L'Alsace, elle, suivra cette voie.

Deuxièmement, l'Europe nous a annoncé de bonnes nouvelles fiscales. L'Union européenne a corrigé une anomalie. Alors que les activités industrielles polluantes sont soumises à une taxe carbone, dite ETS (Emissions Trading System) ou Seqe-UE (système d'échange de quotas d'émission de l'Union européenne), seuls l'industrie et les énergéticiens étaient soumis à ce système, qui épargnait le transport par camion et le transport aérien, alors que leur caractère émetteur est établi. À partir de 2027, ces deux secteurs d'activité seront soumis au Seqe-UE. L'Union européenne attend environ 20 milliards d'euros de recettes fiscales, dont 10 % iraient à la France, soit 2 milliards d'euros. Nous pourrions utiliser cette manne pour régénérer le réseau.

Troisièmement, les contrats autoroutiers, malgré leur complexité, pourraient devenir une source de financement global, dont une partie pourrait être utilisée pour financer les besoins du réseau ferroviaire français.

La SNCF ne pourra se développer que si le réseau lui-même se porte bien. Si la qualité de service baisse, le nombre de voyageurs baissera. Maintenir le réseau ferroviaire en bon état et l'améliorer est absolument fondamental.

J'en viens à un thème qui vous sera cher, celui des territoires. Je pense que le moment est aux territoires. Depuis cinq ans, j'ai voulu faire des territoires un axe majeur du projet d'entreprise de la SNCF. Malgré les difficultés, nous avançons. Les initiatives sont nombreuses - voyez toutes celles qui redonnent de la vie dans les petites gares ! Nous organisons des forums de recrutement et sommes aujourd'hui l'un des plus importants employeurs français. En 2024, le groupe SNCF aura recruté 15 000 personnes en CDI, dont 8 000 dans le domaine ferroviaire. Nous réalisons 15 milliards d'euros d'achats par an, ce qui touche directement 12 000 petites et moyennes entreprises (PME) dans nos territoires, puisque 97 % de nos achats sont réalisés auprès d'entreprises françaises. La SNCF est un levier économique important pour les territoires.

La SNCF est aussi tête de file pour financer de nouveaux matériels innovants. Nous avons présenté récemment le Draisy, à Strasbourg, petit train électrique et connecté, ni trop lourd ni trop cher, nécessitant une infrastructure plus légère. Le Flexy, lui, est un engin routier monospace de 14 personnes, qui peut se transformer en petit train quand il rencontre un passage à niveau : on peut ainsi relier directement un village à une gare assurant des correspondances. Nous proposons des solutions pour les territoires.

La période est aussi difficile que passionnante. Il ne faut pas casser la dynamique, pour travailler avec les territoires et engager les transitions nécessaires. D'ailleurs, nous avons besoin des défis qui sont devant nous pour surmonter la période actuelle, comme le Premier ministre l'a dit. Il faut de la rigueur à court terme, mais aussi travailler sur le long terme. Quand la croissance repartira, nous serons prêts à réaccélérer et, comme pour les JOP, à retrouver les ingrédients d'une France rassemblée, forte et heureuse.

M. Jean-François Longeot, président. - Belle ambition !

M. Philippe Tabarot. - Il s'agit de votre septième audition, ce qui montre votre attachement à notre commission et nous avons toujours plaisir à vous accueillir.

Pourriez-vous nous fournir des éléments concernant l'enquête sur les sabotages qui ont eu lieu la veille des JOP ?

Nous avons bien entendu votre message sur le fret ferroviaire et le projet de loi de finances. En tant que rapporteur pour avis sur les questions ferroviaires, je relaierai vos demandes, en rappelant l'engagement prépondérant de la SNCF pour la régénération du réseau alors que l'État a du mal à tenir les siens.

Je vous remercie d'avoir évoqué la question de la sécurité. Je confirme vos propos : les agents de la Suge comptent sur nous, ils attendent des parlementaires qu'ils adoptent la proposition de loi pour leur donner les moyens de faire leur travail en sécurité.

Je souhaiterais également évoquer le matériel roulant et les difficultés rencontrées par Alstom à le livrer en temps et en heure, notamment à la SNCF, mais aussi à Transdev, ce qui pose un certain nombre de problèmes.

Limiter les tensions sur le prix des billets, instaurer un climat social apaisé, assurer la sûreté des voyageurs et des installations contre les attaques pirates, développer le report modal et la décarbonation, éviter les retards récurrents des Intercités, faute de matériel disponible, moderniser le réseau alors que nous sommes en queue de peloton européen, voilà autant de défis auxquels vous êtes confrontés, alors que l'État vous laisse désormais pratiquement seul pour franchir le gigantesque mur d'investissements à venir. Qui - d'ailleurs, peut-être vous - pourra résoudre cette belle équation ? Et comment ?

M. Daniel Gueret. - Je tiens à vous féliciter, vous et l'ensemble de vos agents, pour votre contribution à la réussite des JOP et au rayonnement de la France. Nous pouvons être fiers de tout ce qu'a accompli le groupe SNCF dans toutes ses composantes.

Nous sommes tous attachés aux questions de maillage territorial et aux réponses à apporter aux problèmes de mobilité de nos concitoyens. Vous avez fait allusion aux pistes que vous avez engagées, notamment le Flexy, qui est une innovation intéressante. Serait-il envisageable que, devant notre commission, vous veniez présenter de telles innovations, susceptibles d'apporter des solutions à nos territoires et, ce faisant, de vous conférer un rôle majeur dans l'accompagnement de l'aménagement de ces territoires ?

Enfin, malgré la situation délicate dans laquelle vous avez été placé fort injustement avant les JOP, vous avez démontré ce que signifie le mot « servir », et vous continuez de le démontrer à chaque instant. Vous avez toute notre confiance pour poursuivre votre tâche.

M. Pascal Martin. - Vous avez dit que le moment était aux territoires. Je vous prends au mot pour vous parler d'un projet important pour l'Île-de-France et la Normandie, la ligne nouvelle Paris-Normandie (LNPN).

De l'Île-de-France jusqu'au Havre ou Cherbourg, en passant par Évreux, Caen ou Rouen, la vallée de la Seine représente à elle seule un quart de la population métropolitaine, 35 % du PIB national et 30 % des emplois. Pour cet axe, disposer d'infrastructures de transports performantes est un enjeu majeur. Mais le constat est sans appel : la desserte ferroviaire existante n'est plus à la hauteur des enjeux économiques, environnementaux et sociaux. Depuis 2009, on parle de la construction d'une nouvelle ligne, celle-ci a été inscrite dans la loi d'orientation des mobilités (LOM) en 2019, après un premier débat public en 2012. Un nouveau temps de concertation s'est ouvert ; malheureusement, la région Île-de-France a voté, le 11 septembre dernier, une motion demandant à l'État de renoncer au projet.

Quel est votre avis sur ce dernier, dont l'objectif est d'améliorer sensiblement le transport des voyageurs, faciliter le transport des marchandises, augmenter la fréquence des trains, réduire le temps de trajet, améliorer la qualité de service et participer au développement de la vallée de la Seine ?

M. Jean-Pierre Farandou. - Nous avons réussi à empêcher un sabotage sur la LGV sud-est, car nos agents ont perturbé les auteurs. Cela a permis aux enquêteurs de récupérer du matériel et des traces ADN. Le problème est que les auteurs ne sont pas fichés ; certains imaginent des pistes étrangères. Les investigations continuent. Des soupçons existent, fondés sur le mode opératoire, qui rappelle des attentats comparables en Allemagne.

Les retards de livraison de matériel par Alstom sont effectivement un problème, en particulier pour nos clients. Si nous avions plus de TGV, nous pourrions effectivement transporter plus de gens : je suis conscient que nous sommes en dessous de la demande. C'est rageant aussi pour nous, puisque nous perdons des recettes. Cela nous oblige parfois à des jeux compliqués de transferts entre territoires. La livraison des nouveaux TGV a deux ans de retard : prévus en 2023 pour les JOP, ils sont maintenant annoncés pour la fin de l'année 2025, mais sans certitude...

Même problème pour les matériels régionaux. En Île-de-France, le problème le plus spectaculaire concerne les MI 20 - « 20 » signifiait 2020... Leur livraison est maintenant annoncée pour l'été 2027 ! C'est aussi pour cela que le lancement d'Eole a été compliqué : les rames ont été livrées en petit nombre, au dernier moment et sans être « débuggées ».

Sur des lignes comme Paris-Limoges et Paris-Clermont, où la qualité de service n'est pas au rendez-vous pour des raisons d'infrastructure et de matériel, la livraison des nouvelles rames Oxygène est annoncée par le constructeur CAF avec dix-huit mois à deux ans de retard. C'est très ennuyeux pour les usagers, les opérateurs, les territoires.

Tout cela est agaçant car le développement est bridé, non pas faute de volonté ou d'argent, mais faute de livraisons de trains !

Merci, monsieur le sénateur Tabarot, de remplir ma hotte avec votre liste d'enjeux. Nous travaillons tous ces sujets, au premier rang desquels le prix des billets.

Celui des billets de TGV dépend notamment des péages : sur 100 euros payés, ils représentent 40 euros ; c'est deux fois plus qu'en Allemagne et en Italie. En 1998, nous avons en effet choisi de faire porter l'effort plus sur l'usager que sur le contribuable. C'est un débat de fond à avoir, même si je suis conscient que le moment serait mal choisi pour demander plus de financement de l'État.

Pour les TER et le Transilien, les tarifs dépendent des régions. Dans l'ensemble, ils sont très raisonnables, les abonnements sont accessibles et l'employeur en rembourse 50 %, voire 75 %. Les trains du quotidien me paraissent donc abordables, mais, je le reconnais, il demeure un problème sur les TGV. Nous y travaillons !

Sur le social, je constate une tendance à l'amélioration. Depuis mon arrivée, soit depuis cinq ans, il y a eu des mouvements sociaux, mais liés à des réformes nationales. Si l'on ne retient que les grèves nationales purement cheminotes, il y en a eu deux : chaque fois il s'agissait d'un mouvement des chefs de bord, à Noël 2022 et en février 2024, sur deux jours, pendant lesquels nous avons réussi à transporter 60 % à 70 % des voyageurs.

Si nous dressons un bilan « à froid », il y a eu des menaces de grèves, mais nous en avons évité beaucoup. Factuellement, les résultats ne sont pas si mauvais, en dépit du traitement médiatique. La recette ? Beaucoup de dialogue social sincère, respectueux, et la recherche d'un équilibre économique et social. Quand l'entreprise va bien, il est normal que cela profite aux salariés, même si ceux-ci ne doivent pas tout capter et qu'il faut garder du bénéfice pour investir et innover.

Nous sommes mobilisés sur la sûreté. Nous avons 3 000 professionnels, qui travaillent bien et dont je ne réduirai jamais l'effectif. Nous travaillons de mieux en mieux avec les forces de l'ordre.

Concernant la décarbonation, nous sommes de bons élèves. Le report modal est positif et nous décarbonons nos engins. Les trains diesel que nous conservons font partie de l'équipement des TER, dont ils représentent 20 %. Nous devons nous en priver, mais installer des caténaires coûterait trop cher ; il faut changer les motorisations en passant à l'hybride ou au tout électrique - comme entre Marseille et Aix. Les premiers trains à l'hydrogène commencent à circuler, de même que les trains utilisant la biomasse.

Et puis, il y a SNCF Renouvelables. La décision la plus stratégique qu'il m'ait été donné de prendre aura été de faire de la SNCF un producteur d'électricité solaire grâce à l'installation de panneaux solaires. Notre ambition, c'est que d'ici à 2030-2032, notre production représente 15 % de nos besoins - soit 1 000 mégawatts-crête ; d'ici à 2050, nous pourrions être complètement autonomes en produisant 7 térawattheures, voire 9, si nous comptons la consommation des bâtiments.

Nous viendrons volontiers vous présenter les nouveaux matériels.

Vous m'interrogez sur la LNPN. Je suis un militant du ferroviaire. Ma contribution il y a deux ans était de proposer de doubler le trafic - voyageurs et marchandises - d'ici vingt ans. Pour cela, il faut élargir l'offre, et les lignes nouvelles y contribuent. Par principe, la LNPN est donc intéressante, mais il faut examiner les conditions de mise en oeuvre : le financement, le tracé, l'acceptabilité. J'appelle de mes voeux que les territoires concernés se mettent d'accord sur ces points.

M. Jacques Fernique. - La SNCF a incontestablement pris sa part dans la réussite des Jeux, les cheminots ont été au rendez-vous. Les différents acteurs ont réussi à mieux travailler ensemble. J'ai lu une analyse intéressante : avant les Jeux, chacun avait tendance à chercher à se justifier plutôt qu'à oeuvrer en commun. C'est de ce travers-là dont nous avons réussi à sortir dans cette période des Jeux. Le retour à la normale sera-t-il enrichi de cette expérience ?

Vous avez répondu en grande partie à mes questions sur le financement. Le ministre François Durovray assure que les 100 milliards d'euros restaient d'actualité, mais la feuille de route reste assez imprécise. Lui-même reconnaît une fragilité sur l'exécution de ce plan et la déclinaison opérationnelle de l'ensemble des investissements nécessaires. C'est le moins qu'on puisse dire ! Il appelle à « déterminer les modalités de financement pérennes qui mettront toutes les infrastructures du pays à l'abri des contingences budgétaires de l'État ». Vous avez identifié des pistes : le système de permis d'émissions négociables autrement dénommé « ETS » sur le routier et l'aérien, l'écocontribution des poids lourds en Alsace et dans le Grand Est, et la perspective de la fin des concessions autoroutières.

Votre contrat de performance nous permettra de savoir si ces engagements ont de la chance d'être tenus et si l'augmentation de 50 % de l'effort de régénération et de modernisation se traduit dans les faits. Nous devrons déjà nous assurer que les engagements ferroviaires de l'État pris dans les contrats de plan État-région (CPER) se retrouvent dans le projet de loi de finances. Après le choc de la discontinuité, Fret SNCF pourra-t-il tenir le coup si le plan de soutien prévu est raboté ?

Hier, l'Association française du rail (Afra) s'est prononcée pour la séparation du gestionnaire de réseau du groupe SNCF. Pensez-vous que ce soit nécessaire ?

M. Jean-François Longeot, président. - Nous allons bientôt recevoir en audition le ministre.

M. Pierre Jean Rochette. - Hier encore, la ligne Saint-Étienne-Lyon a connu un problème de circulation nocturne, avec une intervention des forces de l'ordre, qui a laissé beaucoup de voyageurs à quai. Il y a de gros efforts à faire ensemble. Les événements climatiques empêchent la circulation, alors que c'est une ligne très importante. Comment améliorer les choses durablement ?

Je souhaite aussi vous interroger sur la ligne Saint-Étienne-Clermont, et en particulier sur la portion actuellement fermée de Boën-sur-Lignon à Thiers, qui fait l'objet d'un débat hypocrite dans lequel tous les acteurs se renvoient la balle. Je partage vos convictions sur le Draisy et le Flexy. Nous avons les matériels, mais pas la philosophie. La SNCF est-elle prête à les tester ? La liaison Boën-Thiers est suspendue, et non juridiquement fermée : ce serait le terrain de jeu idéal. Où en est l'entretien des ouvrages sur cette ligne, sur laquelle SNCF Réseau procède à l'enlèvement des rails - ce qui ne me semble pas légal ? On doit aux élus et habitants de la Loire un discours de franchise. Deux bassins de 400 000 habitants chacun distants de 140 kilomètres, mais pas reliés par le rail est un cas unique ; un échec total pour l'aménagement du territoire. La fermeture date de 2016 !

Mme Christine Herzog. - En août dernier, vous m'avez informée par lettre du changement d'horaire du TGV Paris-Strasbourg qui relie Sarrebourg à Paris, le matin à 8 h 46. En décembre prochain, les Mosellans qui doivent être à Paris avant 9 heures pour le travail n'arriveront qu'à 10 h 24. C'est une décision lourde de conséquences pour les territoires de Château-Salins, mais aussi de Saverne et de Lunéville. Ma pétition pour conserver l'ancien horaire a rassemblé plus de 1 000 signatures, dont celles de 300 maires. Ma motion a été adoptée à l'unanimité par le Conseil départemental de la Moselle, parallèlement à une motion identique adoptée à l'unanimité par la communauté de communes de Sarrebourg Moselle Sud. Nous avons besoin du service public ferroviaire en France rurale. Alors que les Français favorisent désormais la mobilité douce, ne ratez pas le train de l'urgence climatique ! Comment allez-vous trouver le moyen de conserver l'horaire initial du passage de l'arrêt à Sarrebourg ? Saisirez-vous le ministre des transports ?

M. Rémy Pointereau. - À mon tour de vous féliciter pour votre engagement pendant les Jeux. Quels problèmes avez-vous rencontrés à Paris, mais aussi sur la ligne Paris-Orléans-Châteauroux, qui était ville olympique ?

Lors de votre dernière audition au Sénat, je vous avais interrogé sur les pannes récurrentes sur la ligne Paris-Nevers-Clermont. Où en êtes-vous sur ces points et sur le développement des locomotives de secours ?

Je parle souvent du Paris-Orléans-Clermont-Ferrand-Lyon (POCL) - c'est un marronnier depuis 2010. J'ai enfin obtenu la tierce expertise demandée par notre association. C'est un projet de développement crucial pour notre région. Le 6 mai dernier, vous avez déclaré qu'il n'y avait pas de citoyens de seconde zone et que vous n'étiez pas très fier de ce qui se passait sur ces territoires qui souffrent sur le plan de la mobilité ferroviaire.

Avez-vous eu connaissance des résultats de la tierce expertise, qui soulignent la nécessité d'approfondir l'étude de ce projet stratégique pour les régions Centre et Auvergne-Rhône-Alpes, qui est soutenu par l'ensemble des collectivités ? Comment la SNCF envisage-t-elle de répondre aux conclusions de cette expertise, notamment en ce qui concerne l'accélération des études et des investissements ?

J'ai eu le plaisir d'inaugurer lundi dernier la rénovation de la ligne Bourges-Montluçon. Si la priorité doit aller à la rénovation, il importe également de soutenir tous les projets de desserte du territoire.

M. Pierre Barros. - Les JOP ont été une réussite collective grâce à l'engagement de l'ensemble des personnels du groupe et de ses partenaires.

Si l'indice de régularité est passé de 85 % à 94 % durant les Jeux, c'est aussi en raison d'un certain nombre d'engagements qu'il serait peut-être bon de reconduire, notamment en termes de moyens humains. Ce moment exceptionnel a également été l'occasion de sortir des logiques de silo, preuve que le démontage de la SNCF n'était peut-être pas une si bonne idée. Quels changements, notamment managériaux, cette expérience vous inspire-t-elle ?

Le Sénat est par ailleurs très engagé dans le soutien au fret ferroviaire. Si le moratoire sur le plan de discontinuité qui est demandé par le personnel n'est pas mis en place, il faudra trouver les 30 millions d'euros qui manquent pour boucler le budget de ce plan. À défaut, les conséquences pour le fret ferroviaire et pour notre pays seraient très lourdes. Il ne servira à rien de réindustrialiser le pays si nous ne disposons pas d'un outil en site propre, ferré et décarboné pour transporter l'ensemble des matériaux et de la production.

Les trains miniatures tels que le Draisy, qui transporte environ 80 passagers et fonctionne sur batterie, permettent de revitaliser des lignes capillaires aujourd'hui en déshérence. Il serait sans doute opportun de faire un moratoire sur le démontage de ces lignes et de travailler avec les territoires à la cartographie d'un maillage pertinent. En Bretagne, certains territoires sont envahis par des véhicules électriques sans permis. Il me paraît urgent de proposer une alternative.

M. Olivier Jacquin. - Au nom du groupe socialiste, je vous félicite à mon tour, ainsi que l'ensemble des cheminots, pour les réussites actuelles de l'entreprise : les trains sont plus remplis que jamais, l'entreprise est bénéficiaire et les jeux Olympiques et Paralympiques ont été un succès. Vous démontrez qu'une entreprise publique peut le faire.

Un certain nombre d'incertitudes demeurent toutefois, concernant l'avenant au contrat de performance de SNCF Réseau, la diffusion de l'étude sur les péages commandée par le Gouvernement ou les engagements financiers pris par le ministre des transports.

L'avenant au contrat de performance de SNCF Réseau permet-il de garantir qu'il n'y aura plus de dégradation de l'état du réseau et d'aller vers une logique de modernisation, notamment sur les automatismes ?

Vous avez évoqué les nouvelles ressources financières, en particulier la possibilité de taxer l'aérien par le biais des crédits carbone. Ne pourrait-on pas aller plus loin ? L'association Réseau Action Climat propose une tarification originale et progressive des billets d'avion en fonction du nombre de voyages effectués. Qu'en pensez-vous ?

Est-il normal que seul SNCF Voyageurs contribue au fonds de concours qui permet de financer SNCF Réseau ? Les nouveaux entrants ne devraient-ils pas y être assujettis ? Ce modèle économique hérité du nouveau pacte ferroviaire est-il durable ? L'État ne devrait-il pas compenser auprès de SNCF Réseau les baisses de péage dont bénéficient les nouveaux entrants les trois premières années ? L'ouverture à la concurrence ne serait-elle pas l'occasion de réfléchir à un nouvel aménagement du territoire, au travers d'une sorte de contrat de service public ?

La ligne Nancy-Lyon a été fermée en 2018 à la suite d'une décision unilatérale de la SNCF. Un accord a toutefois été trouvé entre les collectivités territoriales et l'État afin de cofinancer le redémarrage de cette ligne dès l'an prochain, en attendant l'arrivée de nouvelles rames Intercités en 2029. Confirmez-vous la mise en route de la ligne en 2029 et son financement à 100 % par l'État ? Vous paraît-il normal que le redémarrage rapide de cette ligne soit financé par le conseil départemental de Meurthe-et-Moselle et par la métropole du Grand Nancy ? Un tel modèle a-t-il vocation à prospérer ?

Mme Audrey Bélim. - Nous soutenons votre appel à la concrétisation de l'engagement du Gouvernement d'augmenter de 30 millions d'euros les aides à l'exploitation des services de fret ferroviaire, notamment l'aide à la pince, pour les passer à 200 millions d'euros. Mais cela ne suffira pas pour atteindre les objectifs de report modal fixés dans la loi.

Alors que les conditions de financement ne sont pas garanties et que l'État tâtonne sur sa stratégie, ne faut-il pas mettre le plan de discontinuité en pause ? Quelle est votre vision de l'avenir du fret ferroviaire ? Comment comptez-vous agir pour le développer dans le cas où le plan de discontinuité irait à son terme ? Comment le législateur pourrait-il accompagner la filière ?

M. Sébastien Fagnen. - Je salue à mon tour l'engagement des cheminots et des cheminotes pour la réussite des JOP et la gestion des crises auxquelles vous avez dû faire face. Cela montre que loin des caricatures dont la SNCF peut injustement souffrir, elle est avant tout une institution qui sait répondre aux défis du temps présent.

Je vous remercie d'avoir exprimé votre soutien à la réalisation de la LNPN dans votre réponse à mon collègue Pascal Martin. Au regard de sa contribution à l'appareil productif de notre pays, la Normandie ne devrait pas pâtir d'un tel manque de connexion.

Notre collègue Hervé Gillé, qui ne pouvait être parmi nous, m'a demandé de vous interroger sur l'état d'avancement du service express régional métropolitain (Serm) bordelais, qui vise à fiabiliser et à cadencer trois lignes de RER transversales et six lignes de cars express permettant de relier la métropole au reste de la Gironde.

Alors que la phase de labellisation s'est achevée cet été, l'épineuse question du financement des Serm ne semble pas encore tranchée. Le ministre des transports a annoncé hier au colloque de l'Afra que le plan de 100 milliards d'euros pour le rail était toujours d'actualité. Qu'en est-il de l'enveloppe dédiée aux Serm ? Avez-vous des éléments de chiffrage à nous transmettre, en particulier pour le Serm bordelais ?

M. Michaël Weber. - L'efficacité des transports ferroviaires durant les jeux Olympiques et Paralympiques a été l'occasion pour nos compatriotes les plus éloignés de ce mode de transport de le redécouvrir et, je l'espère, d'en devenir des clients fidèles.

Les retards de livraison de matériel donnent en revanche une image dégradée de la SNCF. De plus, au regard des matériels dont vous disposez actuellement, êtes-vous certain de pouvoir répondre à la demande ? En tout état de cause, il est urgent de remplacer le matériel vieillissant.

Le Draisy sera expérimenté à 10 kilomètres de chez moi et j'irai constater sur place ce que peut donner ce modèle intéressant pour les petites lignes.

De même, il est fondamental de programmer des horaires adaptés à la desserte du territoire sur la ligne Saverne-Strasbourg-Lunéville qu'évoquait ma collègue Christine Herzog. Dans la mesure où il s'agit d'un facteur de développement des territoires, j'estime que la SNCF a une responsabilité en la matière et que les régions doivent avoir un droit de regard.

Vous avez insisté sur votre relation avec les cheminots, avec lesquels, il est vrai, vous avez su négocier. L'emploi est-il en tension au sein de la SNCF ? Si oui, quelles mesures envisagez-vous de mettre en oeuvre ?

M. Fabien Genet. - Je m'associe à l'hommage rendu à votre entreprise et aux cheminots qui ont su relever le défi du rendez-vous olympique.

Permettez-moi toutefois d'évoquer la médaille d'argent des plus mauvaises lignes de TER de France, attribuée par la presse à l'axe Nevers-Moulins-Paray-le-Monial-Lyon. Vous avez indiqué que le réseau était la mère des batailles, que le moment était aux territoires et que la SNCF était une entreprise de solutions. Vous conviendrez que la force des slogans est décuplée par la réalité de leur incarnation. Or l'efficacité de cette ligne bute sur le poste d'aiguillage de Lamure-sur-Azergues, seul point de croisement sur 96 kilomètres de ligne. En mai dernier, vous m'assuriez que vous alliez demander à SNCF Réseau de traiter rapidement les problèmes rencontrés sur ce poste d'aiguillage.

Or non seulement aucune solution n'a été trouvée depuis, mais la gestion de cette ligne sera transférée à la région en 2027, sans compter qu'à l'horizon 2034-2035, le service express régional métropolitain pourrait arriver jusque dans la région de Lamure-sur-Azergues, ce qui pourrait remettre en cause l'existence même de la ligne pour la remplacer par des bus, ce à quoi nous sommes opposés localement. J'espère donc que vous saurez assurer à cette ligne l'avenir qu'elle mérite.

M. Jean-Pierre Farandou- Pour revenir sur les Jeux, il faut tout d'abord prendre en compte trois paramètres qui ne sont pas pérennes.

Le premier est qu'en été, notre production est en dessous du nominal. Sur la ligne B du RER, seulement 12 trains circulaient par heure, contre 20 hors période estivale. Le plan de production était donc en-deçà du plan nominal.

Le deuxième paramètre est que nous avions interrompu tous les travaux. En outre, les personnels habituellement affectés aux travaux ont alors joué le rôle de dépanneurs. Nous disposions donc d'une puissance de feu pour régler les incidents.

Le troisième paramètre est que les forces de l'ordre nous ont aidés à réguler les flux.

Pour autant, nous avons vu l'utilité de disposer de personnels aidant à la gestion des files. Nous avons ainsi pu gagner entre 10 et 30 secondes à chaque arrêt, ce qui peut sembler peu mais qui, en fin de ligne, se chiffre en minutes. Nous avons donc ouvert le débat avec Île-de-France Mobilités afin de renforcer la fonction de gestion de flux.

Vous avez également souligné la nécessité de ne pas revenir à une logique de silo. Je prendrai l'exemple des bagages abandonnés, qui sont très perturbateurs pour la RATP comme pour la SNCF, car les règlements nous obligent, par prudence, à cause du terrorisme, à les considérer comme des bombes potentielles.

Il existe trois manières de savoir si l'on a affaire ou non à une bombe.

On peut d'abord recourir à des chiens certifiés de la SNCF et de la RATP, qui peuvent lever le doute en 20 minutes. Ces chiens ne sont pas très nombreux. Ils contribuent à améliorer fortement la régularité. Il serait possible d'augmenter leur nombre à des coûts raisonnables. C'est une question de moyens.

On peut aussi, comme cela a été fait pendant les Jeux, dialoguer avec le Centre de coopération opérationnelle de la sécurité (CCOS) de la brigade des réseaux franciliens à la préfecture de police, qui peut envoyer sur place des équipages de police pour apprécier la situation.

La troisième piste consiste à faire appel à des démineurs, mais c'est plus compliqué et leur intervention peut prendre des heures, alors que les chiens ou la police peuvent intervenir beaucoup plus rapidement. Il serait donc pertinent de consolider les méthodes que l'on a employées pendant les Jeux et qui ont eu des effets importants sur la régularité.

Vous avez évoqué le plan de 100 milliards d'euros pour le rail. Cette somme découle de l'addition d'éléments de nature très différente.

Il y a d'abord ce qui relève du maintien en état du réseau et de sa modernisation, qui sont des sommes annuelles. C'est ce fameux trois à quatre milliards et demi, dont un milliard et demi supplémentaire qu'il faudra trouver tous les ans à partir de 2028 pendant une longue période. Cela relève plutôt du ressort de l'État. La SNCF peut s'engager à apporter 500 millions d'euros de plus par an, mais il restera 1 milliard d'euros à trouver. À raison de 1,5 milliard d'euros par an pendant vingt ans, on obtient ainsi une somme de 30 milliards d'euros pour le maintien en état du réseau et sa modernisation.

L'enveloppe de 100 milliards d'euros inclut aussi le financement de différents projets. Je pense tout d'abord aux vingt-quatre Serm : chacun coûte entre 1 et 2 milliards d'euros environ, voire davantage pour le Serm des Hauts-de-France, qui implique la construction d'une nouvelle ligne. Il faut aussi mentionner plusieurs lignes à grande vitesse, telles que la ligne Bordeaux-Toulouse, qui coûte à elle seule 14 milliards d'euros, la ligne Perpignan-Montpellier, la ligne nouvelle Provence-Côte d'Azur, la liaison Roissy-Picardie, la ligne nouvelle Paris-Normandie, etc. Il y a enfin les grands équipements de fret, comme le contournement de l'agglomération lyonnaise, pour éviter que les trains ne passent par la gare de Lyon Part-Dieu et par le goulot d'étranglement que constitue le pont de la Guillotière.

Si l'on consolide de la sorte notre offre, en modernisant le réseau existant et en réalisant de nouveaux projets, on peut créer les conditions d'un doublement du trafic de voyageurs et du trafic de marchandises à l'horizon d'une vingtaine d'années.

Nous verrons à l'occasion de la présentation du budget comment l'État tient les engagements qu'il a pu prendre, notamment dans le cas des CPER.

La question de la mise en oeuvre de la discontinuité du fret est un sujet délicat. Dans une lettre de mai 2023, Clément Beaune, alors ministre, nous précisait notre feuille de route.

Nous devions, tout d'abord, abandonner à nos concurrents vingt-trois flux. C'est fait depuis le mois de juillet. Cela pose d'ailleurs des problèmes sociaux, car je dois recaser 500 cheminots qui n'ont plus de travail. J'ai promis de le faire, donc je le ferai.

Ensuite, nous devions fermer Fret SNCF et créer deux nouvelles sociétés à la place : l'une pour assurer le transport des marchandises, l'autre pour réaliser la maintenance des locomotives. Le processus est engagé. Il pourrait aboutir au début de l'année 2025. Il est important d'assurer la viabilité de ces nouvelles sociétés. Une aide au secteur est nécessaire, sinon cela ne fonctionnera pas. La Commission européenne demande d'ailleurs à l'État français de créer les conditions garantissant la viabilité de ces entreprises.

Il faudra aussi ouvrir à hauteur de 50 % le capital des sociétés, au moins de celle qui effectuera le transport des marchandises. Cela soulève, là encore, des questions sociales. Ces mesures ne sont donc pas accueillies à bras ouverts. Les syndicats sont contre ce processus et le manifestent. La situation n'est pas simple et j'essaie de la gérer au mieux.

Mon travail est d'exécuter les consignes du Gouvernement, tout en étant très attentif aux enjeux sociaux - c'est ma responsabilité en tant que chargé d'âmes à l'égard des cheminots concernés. Je dois également vérifier et agir pour que les conditions de la viabilité soient réunies. Voilà ce qui guide mon action dans ce dossier compliqué.

Je connais bien les problématiques de la liaison Saint-Étienne-Lyon et de la vallée du Gier. J'ai dirigé autrefois la région SNCF Rhône-Alpes. La voie est assez encaissée entre Lyon et Saint-Étienne. Elle est installée en hauteur, à flanc de colline, tandis qu'en dessous il y a un ruisseau. Celui-ci déborde parfois : dans ce cas, soit il emporte la voie, soit il la sape. Cela arrive assez souvent. Des ruissellements peuvent aussi se produire sur la falaise qui borde la voie, occasionnant des éboulements de terrain. Cette situation prévaut depuis des années et ne s'améliore pas avec le changement climatique. La fréquence de ces événements augmente. Hélas ! je ne suis pas magicien et je ne peux pas contenir la crue du Gier ni empêcher les falaises de s'écrouler. Ce n'est pas simple. En tout cas, nos équipes font leur maximum.

Je serais ravi que la liaison régionale entre Boën et Thiers, sur la ligne entre Clermont-Ferrand et Lyon, soit maintenue. C'est une question d'argent. Il faut donc interroger l'État et la région. Peut-être serait-il possible d'utiliser des matériels légers de type Draisy. L'entretien des voies serait moins coûteux. Cette piste me semble intéressante dans de nombreux territoires.

En ce qui concerne la desserte TGV de Saverne, Sarrebourg et Lunéville, nous avons cru bien faire : dans un contexte où nous manquons de rames de TGV, nous essayons d'optimiser le parc existant. Strasbourg est une sorte de hub au coeur d'un vaste hinterland régional desservi par un réseau express métropolitain. Nos techniciens ont trouvé le moyen de de libérer une rame, ce qui permet de réaliser un aller-retour de plus entre Paris et Strasbourg et représente 250 000 places dans l'année. Cela implique, non pas de supprimer le train de Sarrebourg, mais de le décaler : le train direct arriverait à Paris vers dix heures au lieu de huit heures et quelques. À la place du train direct, un train, mais en correspondance, est proposé : les usagers prendraient un train normal jusqu'à Strasbourg, et ensuite un TGV.

Les territoires, attachés à la symbolique que constitue le train direct du matin, s'opposent à cette réforme qui consiste simplement dans le déplacement de l'horaire d'un train, et non pas, j'y insiste, en la suppression d'un train. J'ai participé à une réunion, nous avons écouté les élus, les discussions ont repris. Nous sommes en train d'examiner toutes les options, dans un esprit d'ouverture. La réforme doit intervenir en décembre. Peut-être pouvons-nous tenter l'expérience, quitte à revenir en arrière si besoin. Je précise toutefois qu'un retour en arrière est techniquement compliqué à réaliser parce que tous les horaires des trains sont liés. On ne peut pas changer les horaires d'un claquement de doigt. L'intention était louable : nous voulions offrir plus de places entre Paris et Strasbourg.

Le projet de ligne POCL est une réponse en prévision de la saturation prévisible à terme de la ligne Paris-Lyon.

M. Rémy Pointereau. - C'est aussi un enjeu d'aménagement du territoire !

M. Jean-Pierre Farandou. - Certes, mais il me semble que, dans le calcul de l'intérêt socio-économique du projet, l'argument relatif à la saturation de la ligne l'emporte, d'un point de vue stratégique, sur l'enjeu du désenclavement, car ces territoires sont déjà desservis par des lignes existantes.

La ligne Paris-Lyon constitue un poumon extraordinaire : elle dessert les Alpes, la Méditerranée, la Suisse, Montpellier, l'Espagne, l'Italie, l'Europe du Sud, etc. La ligne sera un jour saturée. L'introduction du système européen de gestion du trafic ferroviaire (ERTMS) sur la ligne permettra de la désaturer à court terme, mais seulement pendant quelques années. Il me semble donc que le projet POCL est justifié, dès lors qu'on l'accepte dans le long terme.

Les locomotives de secours sont en place sur la ligne Paris-Clermont-Ferrand. Nous avons fait ce que nous avions annoncé. Il n'en demeure pas moins que l'exploitation de la ligne restera compliquée. L'annonce par le constructeur d'un retard de deux ans n'est pas une bonne nouvelle à cet égard.

Vous m'interrogez aussi sur la position de l'Afra qui souhaite remettre sur la table la question de la séparation de la SNCF. Notre organisation est conforme à la loi. Nous avons démontré, me semble-t-il, que l'existence d'un groupe intégré, comme c'est le cas aujourd'hui, n'entrainait pas de distorsion de la concurrence. La meilleure preuve, c'est que la concurrence arrive par le biais des Espagnols, des Italiens, de Transdev, etc. J'ai rempli ma mission sur ce point. Je suis par ailleurs, du fait de mon histoire personnelle, vous le comprendrez, plutôt favorable à un groupe intégré : je suis un enfant du groupe intégré et je resterai fidèle à mon parcours. La capacité de toutes les entités de la SNCF à travailler de manière coordonnée a constitué l'un des éléments déterminants de la réussite des JOP. Il conviendrait donc d'y réfléchir à deux fois avant d'envisager une organisation différente, mais cela relève de la compétence du législateur.

En ce qui concerne le fret, la situation allemande illustre concrètement l'exemple à ne pas suivre. Les Allemands n'ont pas investi assez dans leur réseau et celui-ci s'effondre. Le taux de régularité est inférieur à 60 %. Pour corriger la situation, ils devront effectuer des travaux plus importants que si un entretien régulier avait été réalisé, et cela prendra de nombreuses années. Voilà qui illustre la nécessité d'assurer régulièrement la maintenance de notre réseau.

La ligne Nancy-Lyon est devenue une ligne d'équilibre du territoire ; elle est donc sous la responsabilité de l'État. Une solution de compromis a été trouvée : la région Grand Est a prêté du matériel, tandis qu'un financement a été bouclé avec les collectivités. Mais ce n'est pas une solution durable ; il faut impérativement que l'État trouve les moyens de financer l'achat de matériel roulant moderne pour assurer la pérennité de la ligne. Nous sommes prêts à faire fonctionner la ligne, mais l'État doit assumer son rôle d'autorité organisatrice.

Les Serm sont une très belle idée. Ils peuvent être au transport de la vie quotidienne ce que le TGV a été pour les déplacements longue distance. Le TGV a changé les manières de se déplacer dans notre pays. Les régions qui ne l'ont pas le réclament. Les villes desservies voient leur PIB augmenter. C'est bon pour l'économie et l'emploi.

Les Serm peuvent être un équivalent pour les transports de la vie quotidienne. C'est la seule manière d'offrir une solution de substitution à des gens qui sont prisonniers de leur voiture pour aller travailler et qui doivent rentrer dans des périphéries congestionnées. La voiture comme le carburant coûtent cher, et il est difficile de trouver des places de stationnement. Il est donc intéressant d'offrir à ces personnes une solution de remplacement grâce aux transports collectifs. Je suis un partisan des Serm. Ces projets ainsi que leurs conditions de financement sont déterminés localement. Voilà une très belle idée qui peut changer la vie de nos concitoyens. Vingt-quatre projets ont été labellisés, qui concernent une population potentielle de 5 millions d'habitants.

La SNCF traverse des transformations importantes, que ce soit par la loi de 2018 ou du fait de l'ouverture à la concurrence. Il faut toutefois se mettre à la place des cheminots qui apprennent, par courrier, que la ligne sur laquelle ils travaillent est transférée à un autre opérateur, et qu'ils vont donc devoir accepter de travailler pour ce dernier. On peut comprendre qu'un cheminot de 45 ans, qui exerce son métier à la SNCF depuis vingt ans, qui espérait devenir conducteur de TGV, n'ait pas très envie de quitter l'entreprise. En cas de refus, la SNCF, qui a perdu l'exploitation de la ligne, peut le licencier. Certes, un sac à dos social est prévu, mais il ne faut pas sous-estimer le choc créé sur des personnes dont on vient de remettre en cause la représentation qu'elles avaient de leur carrière, de leur parcours, de leur vie. Il faut agir avec précaution, dialogue, écoute, et avec le moins de brusquerie possible. L'instauration de la discontinuité du fret et l'ouverture à la concurrence pour le transport de voyageurs chamboulent en profondeur l'entreprise. Il y a des hommes et des femmes derrière et il faut les respecter. Ne l'oublions pas.

Certaines lignes régionales vont mal. Il faut faire des analyses ligne par ligne. Leur situation résulte souvent d'une combinaison de facteurs : infrastructure défaillante, sous-capacité, ce qui signifie que le matériel roulant n'est pas suffisant - il appartient aux régions d'assurer le financement du parc régional -, problème de robustesse des noeuds ferroviaires, manque de moyens ou d'effectifs, etc. Dans tous les cas, il faut faire un diagnostic lucide sur les causes, avec les bons acteurs, pour pouvoir apporter les solutions nécessaires au rétablissement de la qualité de service.

Le fonds de concours est alimenté par les bénéfices de la SNCF. Toutes nos filiales - TGV, Geodis, Keolis, etc. - y participent. Ce fonds sert à financer la régénération du réseau. Les compagnies concurrentes ne sont pas mises à contribution. Elles acquittent, comme nous, des péages, mais d'un montant parfois réduit, car SNCF Réseau a la possibilité de leur accorder des remises pendant trois ans pour les inciter à lancer leur activité. Si ces compagnies font des bénéfices, ceux-ci remontent directement à leurs actionnaires et elles ne contribuent pas au fonds de concours.

M. Olivier Jacquin. - Et vous trouvez cela normal ?

M. Jean-Pierre Farandou. - Je me contente de décrire la situation...

M. Fabien Genet. - Quid du poste d'aiguillage de Lamure-sur -Azergues ? Il est fermé depuis novembre 2023.

M. Jean-Pierre Farandou. - J'ai interrogé, comme je m'y étais engagé, mes services à la suite de votre demande : ils m'ont expliqué que ce poste n'était pas nécessaire vu la desserte actuelle. C'est d'ailleurs conforme au plan de transports. En revanche, si la décision était prise d'augmenter la fréquence, ce poste serait nécessaire, car il faudrait réaliser des croisements supplémentaires. Mais deux régions sont concernées. Si elles présentent un plan de développement du TER, SNCF Réseau devra renforcer les capacités de croisement.

M. Fabien Genet. - Voilà qui est exemplaire de la manière de procéder pour tuer une ligne ! En novembre 2023, l'agent a eu une promotion, ce qui a mis fin aux possibilités de croisement des trains. Le plan de transport a donc été dégradé. Or, aujourd'hui, vous nous expliquez que pour l'appliquer il n'y a pas besoin de moyens supplémentaires !

Les gens ont pris l'habitude de prendre d'autres modes de transport. La fréquentation a baissé et les régions constatent qu'il faut supprimer la ligne. C'est la chronique d'une mort annoncée. Je ne peux pas cautionner une telle approche qui organise la fin de nos petites lignes. Il faudrait vérifier si le plan de transport était le même il y a un ou deux ans, lorsque le poste d'aiguillage fonctionnait.

M. Jean-François Longeot, président. - Je vous remercie. Nous vous avons questionné essentiellement sur les Jeux, mais il ne faut pas oublier le travail quotidien que la SNCF réalise. Nous avons besoin du rail. La SNCF est engagée sur de nombreux fronts. Je vous donne, monsieur le président, rendez-vous au printemps après l'examen du budget. Nous espérons que le ferroviaire ne sera pas oublié. Nous vous remercions d'avoir contribué à faire évoluer la société, tout en faisant en sorte de conserver la confiance de nos concitoyens.

La réunion est close à 18 h 40.

Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.