- Mercredi 2 octobre 2024
- Contrôle budgétaire - maintien en condition opérationnelle des équipements militaires - Communication
- Comptes publics de la France : état des lieux - Communication
- Contrôle budgétaire - Les protocoles sociaux, l'organisation du travail des personnels de la direction générale de l'aviation civile (DGAC) et la performance du contrôle aérien français - Communication
- Proposition de loi visant à assurer l'équilibre du régime d'indemnisation des catastrophes naturelles - Désignation d'un rapporteur
Mercredi 2 octobre 2024
- Présidence de M. Thierry Cozic, vice-président -
La réunion est ouverte à 9 h 30.
Contrôle budgétaire - maintien en condition opérationnelle des équipements militaires - Communication
M. Thierry Cozic, président. - Nous commençons nos travaux avec la présentation, par Dominique de Legge, des conclusions du contrôle budgétaire qu'il a mené sur le maintien en condition opérationnelle (MCO) des équipements militaires.
M. Dominique de Legge, rapporteur spécial. - Avoir du matériel c'est bien, avoir du matériel utilisable, c'est mieux. Si c'est en principe une évidence, ce n'est pas toujours une réalité au sein de nos armées, encore aujourd'hui.
Les enjeux en la matière ne sont pas nouveaux. En 2018, je m'étais d'ailleurs intéressé à la disponibilité des hélicoptères des trois armées. Mais dans un contexte stratégique qui s'est fortement dégradé et alors qu'il a été beaucoup question récemment d'acquisition de capacités militaires, j'ai souhaité traiter de nouveau de l'envers du décor, à savoir l'entretien des matériels dont on dispose déjà.
J'ai élargi le spectre à l'ensemble des matériels militaires, en m'intéressant directement au système de maintien en condition opérationnelle. J'y ai d'ailleurs été d'autant plus incité que les crédits dédiés à la maintenance ont connu une nette hausse depuis 2020.
Que recouvre précisément le MCO des équipements militaires ?
Le MCO, c'est bien sûr la maintenance matérielle régulière plus ou moins lourde des matériels, mais c'est également leur mise à niveau périodique, l'approvisionnement en pièces de rechange et le pilotage des référentiels et des configurations des équipements. C'est, en somme, tous les moyens et procédures déployés dans l'objectif que les matériels restent, tout au long de leur durée de vie, aptes à l'emploi qui leur est assigné.
Le MCO est nécessaire pour la quasi-totalité des équipements des trois armées, qu'ils soient matériels ou immatériels, et peut devoir être mis en oeuvre à tout moment, partout où nos forces armées sont présentes.
Il est sous la responsabilité de différents organes et est exécuté matériellement par trois types d'acteurs, selon un niveau de complexité croissant : les forces opérationnelles elles-mêmes, les services industriels de l'État et les industriels privés.
Pour mesurer l'efficacité du système de MCO, il faut apprécier ses moyens et ses résultats.
Concernant le périmètre des crédits du soutien dit « en service » des matériels, seul disponible dans la nomenclature budgétaire, on peut constater une hausse sur les dernières années, en particulier depuis 2020.
Ainsi, les crédits ont augmenté de plus de 23,5 % entre 2020 et 2024 en volume, en neutralisant l'inflation. Ils s'établissent cette année à 6,3 milliards d'euros, contre 4,5 milliards d'euros en 2020. Cette hausse est cohérente avec ce qui me semble être une prise de conscience de l'importance des enjeux dans ce domaine, que les responsables militaires appellent d'ailleurs de leurs voeux depuis longtemps.
Outre les sujets budgétaires, le système du MCO a également fait l'objet de deux volets de réforme afin d'atteindre in fine une plus grande disponibilité des matériels.
Le premier volet de réforme a consisté à réorganiser le système de MCO notamment pour permettre une gestion interarmées des équipements, en privilégiant une répartition des compétences des organes de soutien par milieux : aéronautique, terrestre et naval. Le MCO des aéronefs par exemple est unifié, quelle que soit leur armée de rattachement.
Le deuxième volet de la réforme a concerné les modalités d'externalisation de la maintenance aux industriels privés dans le cadre de ce que l'on a qualifié, à partir de 2017, de « verticalisation » ou « globalisation » des contrats. Celle-ci consiste à confier à un industriel principal, par des contrats de longue durée, un périmètre d'action couvrant l'intégralité du soutien d'un parc donné, à charge pour lui de gérer les interfaces entre ses sous-traitants. Il s'agit notamment de responsabiliser davantage les industriels en leur fixant des objectifs précis en termes de disponibilité des matériels, et en les rémunérant en fonction des résultats atteints.
Qu'en est-il des résultats obtenus par le système de MCO ?
Les travaux que j'ai menés ont été l'occasion de constater que les efforts déployés produisent des effets, à différents égards.
Pour certains types d'équipements, la disponibilité constatée a été rehaussée. Pour les hélicoptères Fennec par exemple, le coût à l'heure de vol aurait été divisé par deux, tandis que leur taux de disponibilité aurait été multiplié par deux entre 2018 et 2021.
Les principes et les modalités de la maintenance ont par ailleurs été modernisés pour certains matériels. C'est, par exemple, l'intérêt de ce que l'on appelle la maintenance dite « conditionnelle », qui subordonne les opérations d'entretien à l'état réel du matériel, et non pas à un calendrier préétabli de contrôles. C'est ce qui est mis en oeuvre pour le Rafale, dont la conception prévoit que les systèmes détectent eux-mêmes les pannes et, le cas échéant, leur localisation.
Dans la même logique, des efforts sont faits dans la conception des matériels pour favoriser leur maintenance ultérieure, comme j'ai pu le constater pour les sous-marins, lors de ma visite à Cherbourg.
Mais, malgré ces évolutions, la disponibilité globale des matériels militaires reste insuffisante. L'indicateur dit de « disponibilité technique opérationnelle » (DTO) des équipements en atteste. Il mesure, pour les différents parcs d'équipements, le nombre de matériels effectivement disponibles par rapport au nombre nécessaire pour atteindre les différents objectifs fixés aux armées par les contrats opérationnels.
Si la situation est disparate en fonction des matériels, sur les 21 équipements structurants répertoriés par l'indicateur, à la fin de 2022, seuls 2 avaient une DTO supérieure à 90 %, soit un niveau proche des objectifs fixés. Pour 12 d'entre eux, elle était en revanche inférieure à 75 %, dont 2 en dessous de 50 %. Ces problèmes de disponibilité touchent d'ailleurs les trois armées. Et si des progrès peuvent être constatés pour certains équipements, sur la dernière décennie, il n'y a pas d'amélioration globale mesurable.
Or, concrètement, un niveau de disponibilité insuffisant des matériels équivaut à des capacités d'engagement, d'entraînement et de formation en moins.
Alors, pourquoi ce découplage apparent entre la hausse des crédits du MCO et un niveau de disponibilité général des équipements qui stagne ?
Nous pourrions être tentés d'en déduire une inefficience du système de MCO. Mais, en réalité, plusieurs facteurs viennent dégrader les résultats obtenus en termes de disponibilité.
Tout d'abord, la hausse des crédits du MCO est contrecarrée par le fait que les coûts de maintenance tendent historiquement à augmenter plus vite que les crédits correspondants, notamment en raison de la sophistication croissante des matériels et de la hausse du coût des intrants.
Ensuite, le niveau d'engagement opérationnel des forces armées est élevé depuis plusieurs années, ce qui constitue forcément une contrainte forte pour le système de MCO.
Par ailleurs, les parcs d'équipements des armées tendent à souffrir d'une trop grande hétérogénéité, surtout du fait que se côtoient aujourd'hui des matériels d'âge et de générations très variables. Or cette situation est particulièrement difficile à gérer pour le système de MCO, qui est contraint de conserver des capacités et des compétences très différentes pour entretenir l'ensemble des matériels.
Enfin, il est possible que les réformes déployées et les hausses de crédits récentes produisent des résultats dans les années qui viennent, qui ne seraient pas encore visibles dans les données de 2022 dont nous disposons.
Toutefois, les besoins ne sont pas constants, loin de là. En effet, le contexte géostratégique s'est fortement dégradé ces dernières années. On considère d'ailleurs aujourd'hui que l'hypothèse d'implication des armées françaises dans un conflit de haute intensité est sérieuse. Il faut se préparer à cette éventualité.
Actuellement, le système de MCO est conçu pour soutenir des engagements opérationnels dans un calendrier relativement maîtrisé et s'appuie à la fois sur une large externalisation de la maintenance lourde aux industriels privés et sur un niveau de stocks très limité de pièces.
Or le contexte stratégique est devenu imprévisible ; il est susceptible de faire apparaître des besoins opérationnels dans un calendrier subi et impérieux. Il impose que le MCO soit doté d'une grande réactivité, d'une capacité de monter fortement en puissance dans des délais courts et d'une faculté à tenir dans la durée d'un conflit potentiellement long.
Une mise à l'échelle et une adaptation du système de MCO sont donc indispensables.
D'un point de vue budgétaire, la loi de programmation militaire (LPM) pour les années 2024 à 2030 constitue une avancée en ce sens. Sur la période de programmation, les crédits en faveur du MCO augmenteraient de 14 milliards d'euros par rapport à la précédente LPM, en hausse de 40 %. Néanmoins, il convient d'être prudent sur cette trajectoire, à supposer qu'elle soit effectivement respectée dans un contexte de finances publiques très dégradées. En effet, l'inflation viendra en rogner une part alors que le montant moyen annuel de crédits sur la période - à savoir 7 milliards d'euros - n'est pas significativement supérieur au montant des crédits en 2024 - 6,31 milliards d'euros.
Au-delà des seuls enjeux budgétaires, c'est en réalité une stratégie globale qui doit être mise en oeuvre pour rendre le MCO plus résilient et plus efficace. À l'issue de mes travaux, j'identifie plusieurs axes - j'en cite ici les principaux.
Tout d'abord, il est indispensable d'approfondir encore la prise en compte des enjeux de maintenance des matériels dans les stratégies d'acquisition. Elles doivent tenir compte des capacités forcément limitées du MCO et ne peuvent notamment privilégier trop systématiquement l'acquisition de matériels très sophistiqués ; l'exemple de la guerre en Ukraine y invite d'ailleurs, l'utilisation de drones à bas coûts y revêtant désormais un caractère stratégique.
Ensuite, le nouveau contexte stratégique impose une remise en cause partielle de la logique de flux tendu en matière de stocks de pièces, via une politique fine et ciblée de reconstitution des stocks, afin d'être en mesure de tenir dans la durée en cas d'engagement majeur.
En outre, il faudra mieux anticiper les cessions de matériels à des pays étrangers, afin de ne pas augmenter les tensions en termes de MCO pour les matériels subsistants, davantage sollicités.
Par ailleurs, il conviendrait d'adopter une doctrine générale, prenant en compte le nouveau contexte géostratégique, applicable à la répartition des responsabilités de maintenance entre les différents acteurs étatiques et privés selon les milieux et les matériels. Une telle doctrine permettrait notamment de favoriser un renforcement des capacités industrielles étatiques, en fidélisant ses effectifs et en réinternalisant une partie de la maintenance lourde, et ce afin de disposer des compétences nécessaires en cas de conflit de haute intensité.
Enfin, la politique d'innovation et de numérisation du MCO devra être encore approfondie. Des progrès significatifs ont déjà été constatés, et d'autres sont en cours, par exemple s'agissant de l'utilisation de drones d'inspection des navires et des aéronefs. Il faut continuer fermement dans ce sens.
Je terminerai en évoquant un sujet qui n'a rien d'annexe. Depuis la présentation du projet de loi de finances (PLF) pour 2024, le Gouvernement a décidé de l'interruption de la publication dans les documents budgétaires des résultats et des cibles des indicateurs relatifs à la disponibilité des matériels, d'une part, et à l'activité des forces, d'autre part. La justification qui en a été donnée était la nécessité de ne plus révéler à nos compétiteurs notre potentiel militaire.
Ces données sont désormais classées « diffusion restreinte », un classement qui ne relève pas du secret de la défense nationale et qui ne me semble d'ailleurs pas suffire à nous prémunir du risque d'un accès de nos compétiteurs à ces informations. En revanche, ce changement a un effet direct bel et bien certain : il prive le Parlement d'informations importantes pour connaître l'état de nos forces et en tirer les conséquences budgétaires et législatives.
M. Jean-François Husson, rapporteur général. - J'apprécie la précision et la constance avec laquelle notre rapporteur spécial suit ces dossiers. Je partage sa dernière remarque concernant l'information du Parlement. Il faut être attentif à ne pas accepter le prétexte d'une certaine confidentialité pour limiter la portée de son information. Il importe en effet que les deux assemblées aient le meilleur niveau d'information possible pour suivre l'indispensable montée en puissance des moyens matériels militaires. La situation géopolitique internationale commande à la France de maintenir ses équipements pleinement opérationnels.
Je souscris aux recommandations du rapporteur spécial. Les alertes qu'il avait lancées il y a quelques années démontrent que le contrôle budgétaire du Parlement est utile et nécessaire.
M. Michel Canévet. - Je remercie également le rapporteur spécial pour son excellent travail sur un sujet extrêmement important. Si la situation opérationnelle s'améliore pour les véhicules blindés de combat d'infanterie, celui-ci a attiré notre attention sur les déficiences des matériels des armées en général. Espérons que les moyens financiers qui leur seront dévolus permettront d'améliorer la situation.
J'en suis d'accord, les parlementaires doivent disposer de toutes les informations nécessaires.
S'agissant de la recommandation n° 4, il convient de souligner que l'aviation comprend des matériels de l'armée de l'air, mais aussi de la marine nationale - c'est le cas en Bretagne. Il me semblerait donc plus judicieux de maintenir pour la maintenance des matériels un rattachement directement au chef d'état-major des armées (Cema).
M. Albéric de Montgolfier. - Le rapporteur spécial a mis en avant l'effet bénéfique de la mutualisation pour la maintenance. Une telle mutualisation est-elle envisagée entre le ministère des armées et les autres ministères concernés par les mêmes équipements ? Je pense notamment à la police ou à la gendarmerie pour les hélicoptères ou aux douanes pour les bateaux, des équipements pour lesquels le taux de disponibilité est parfois très faible. Peut-elle aussi être envisagée pour les achats d'équipements ?
M. Jean-Raymond Hugonet. - Combien de Rafale ont été livrés et sont effectivement en service ?
Mme Florence Blatrix Contat. - La LPM 2024-2030 prévoit une hausse de 14 milliards d'euros, ce qui n'est pas forcément significatif en volume en raison de l'inflation. À combien estimez-vous la hausse nécessaire pour maintenir un niveau d'intervention suffisant dans le contexte mondial que nous connaissons ?
M. Dominique de Legge, rapporteur spécial. - En fait, la coordination du MCO des équipements aéronautiques a été relevé, à l'occasion de la création de la Direction de la maintenance aéronautique (DMAé) en 2018, de l'état-major de l'armée de l'air à l'état-major des armées (EMA) notamment parce qu'il a pu arriver que des tensions se fassent jour entre les trois armées sur le sujet des équipements concernés. Or le MCO des équipements terrestres relève in fine de l'état-major de l'armée de terre et celui des équipements navals de l'état-major de la marine, et ce quelle que soit l'armée de rattachement effectif des matériels concernés. Même si les aéronefs ont un caractère encore davantage interarmées que les matériels terrestres et naval, il n'y a en réalité pas de raison de créer de différence pour les équipements aériens, alors même que l'EMA, structure de coordination et de décision de très haut niveau, ne dispose pas vraiment de compétences particulières en matière de gestion concrète du MCO.
En ce qui concerne la maintenance des matériels de certains services de l'État ne relevant pas des armées, une mutualisation est en effet en partie opérée, même si elle est incomplète. Je pense notamment à la gendarmerie et aux pompiers. Cela ne vaut pas pour les achats en revanche.
Aujourd'hui, environ 150 Rafale sont censés voler. Le calendrier des livraisons semble être globalement respecté.
Concernant les 14 milliards d'euros de crédits supplémentaires pour la maintenance sur 7 ans, en réalité, c'est un peu une course à l'échalote, parce que les équipements sont de plus en plus sophistiqués, donc de plus en plus chers à entretenir.
Dans le même temps, les armées sont contraintes de garder des équipements qui devraient sortir du parc, ce qui coûte là aussi cher. En fait, pour un équipement donné, le MCO coûte très cher les premières années d'utilisation, par exemple parce qu'il y a des réglages à réaliser, moins cher ensuite, puis de plus en plus cher en fin de course, avec l'apparition des obsolescences et avaries structurelles. Il y a donc deux pics de dépenses à gérer, en début et en fin de vie d'un équipement ; c'est un processus qu'il est difficile de maîtriser dans les périodes de transition, comme celle que nous connaissons aujourd'hui, entre les équipements d'ancienne génération et de nouvelle génération.
Je voudrais ajouter, en conclusion, que le MCO est d'autant plus crucial et stratégique qu'on a moins d'équipements que par le passé : le même taux de disponibilité n'a pas les mêmes conséquences quand on a six fois moins de chars qu'au début des années 1990 et trois fois moins d'avions de combat. Entre 1991 et 2021, le nombre de chars de combat est passé de 1 349 à 222, et celui des avions de chasse de 686 à 254. Or, si nous voulons avoir des équipements plus performants et moins nombreux, il faut que le taux de disponibilité soit nettement plus élevé qu'il y a vingt ans.
La commission adopte les recommandations du rapporteur spécial et autorise la publication de sa communication sous la forme d'un rapport d'information.
Comptes publics de la France : état des lieux - Communication
M. Jean-François Husson, rapporteur général. - Mes chers collègues, comme vous le savez, le projet de loi de finances (PLF) devrait être déposé sur le bureau de l'Assemblée nationale dans le courant de la semaine prochaine. Avant le début de son examen, avant de discuter de ce qui nous attend et des choix qu'il faudra faire, je pense qu'il est absolument nécessaire que nous partagions ensemble un état des lieux de la situation, en quelque sorte un audit des finances publiques qui remette tout à plat, avant un nécessaire changement de braquet. Pour cela, un document vous a été distribué et il sera projeté durant ma présentation.
Le changement, vous l'avez déjà constaté dans les discours. Le ministre des finances du précédent gouvernement continuait jusqu'au mois dernier à prétendre que la situation était sous contrôle, que la trajectoire du programme de stabilité pouvait et devait être tenue, et il se félicitait de son bilan. Le nouveau Premier ministre, le week-end dernier, a déclaré pour sa part « trouver une situation beaucoup plus dégradée que cela a été dit ». Selon lui, la situation budgétaire est « très grave ».
Alors, qu'en est-il vraiment ? C'est le but de cette communication : exposer l'état de nos comptes publics et vous faire part de l'état d'esprit qui, je crois, doit être le nôtre lors de l'examen de ce budget, celui de la responsabilité et de la détermination, qui pourra exiger de prendre les mesures indispensables au redressement de nos finances publiques, mesures que, pour certaines, la majorité sénatoriale avait pu refuser par le passé lorsque la situation ne l'imposait pas. Je crois que seul un partage clair du bilan et de l'état des lieux de la situation nous permettra de procéder aux choix nécessaires, de les faire comprendre à nos concitoyens et, peut-être, de dépasser un moment nos sensibilités ou nos clivages ordinaires pour faire face à cette situation extraordinaire. En clair, il va falloir se retrousser les manches.
Le déficit public en 2023 atteignait déjà un niveau historique, mais 2024 est encore pire et, si nous ne faisons rien, la situation va encore se dégrader en 2025. Je le dis d'emblée, mais cela ne vous surprendra pas : cette situation m'apparaît injustifiable hors période de crise, elle nous singularise au milieu de nos partenaires européens et il convient de comprendre ce qui s'est passé.
Alors qu'à la fin de la crise sanitaire le déficit public de la zone euro a convergé vers les 3 % de PIB, le déficit français n'a cessé, depuis 2022, de diverger. Après 4,7 % en 2022, il a atteint l'an dernier 5,5 %, tandis qu'au niveau de la zone euro ce déficit passait de 3,7 % à 3,6 %. La mission d'information de notre commission sur la dégradation des finances publiques en 2023 a fait la lumière sur ce dérapage inédit et a aussi souligné qu'un tel niveau de déficit aurait inévitablement des conséquences sur celui atteint en 2024.
Pour être honnête, si je m'attendais à de réelles difficultés pour atteindre les 5,1 % prévus dans le programme de stabilité, j'avais du mal à imaginer que le déficit puisse atteindre 6,1 % du PIB cette année. Or 6,1 % constitue bien la dernière prévision du ministère du budget, qui nous a été transmise cette nuit. Je comprends également que, si rien n'était fait, le déficit pour 2025 avoisinerait les 6,5 %.
Depuis neuf mois, le dérapage des comptes publics par rapport aux affichages politiques du gouvernement précédent a pris des proportions qui donnent le vertige. C'est le cas pour 2023, mais aussi pour 2024 : la loi de finances prévoyait un déficit de 4,4 % cette année, le programme de stabilité anticipait 5,1 % et, finalement, nous serons à 6,1 %, soit près de 50 milliards d'euros d'écart par rapport à ce qui a été adopté il y a dix mois... À ce niveau-là, je ne sais plus s'il faut parler seulement de « dérapage » ! Pour 2025, la dégradation apparaît encore plus impressionnante avec plus de 60 milliards d'euros d'écart entre les 4,1 % du programme de stabilité présenté en avril dernier et les 6,5 % qu'on peut déduire des derniers documents transmis par le Gouvernement pour 2025 si rien n'était fait.
Pour bien orienter notre action dans l'examen du budget qui s'annonce, il convient d'avoir une idée claire du rôle joué par chaque catégorie d'administration publique dans la dégradation de nos finances. Et, comme nous le répétons depuis un certain temps, la responsabilité de la dégradation des comptes publics revient presque exclusivement à l'État, dont le déficit est passé de 3,4 % à 5,5 % du PIB entre 2017 et 2023, soit peu ou prou la dégradation du déficit public dans son ensemble. C'est simple, le déficit public est passé de 77 à 154 milliards d'euros entre ces deux dates, soit un doublement et, dans le même temps, le déficit de l'État a augmenté de ces mêmes 77 milliards d'euros.
La part des collectivités territoriales dans la dégradation des comptes publics est à relativiser. Certes, selon le précédent gouvernement, le solde des administrations publiques locales (APUL) pourrait atteindre -0,8 % du PIB en 2024, soit le plus bas niveau depuis 1985. Deux nuances doivent toutefois être apportées : d'une part, cela ne représenterait qu'un septième du déficit public prévu ; d'autre part, il faut isoler, au sein des APUL, les collectivités, car l'endettement des organismes publics d'administration locale (ODAL) pèse fortement.
Je souligne d'ailleurs que, dans la catégorie des APUL, les collectivités ont été, sur la dernière décennie, plus responsables que les ODAL dans la gestion des deniers publics. Sur dix ans, ce sont plutôt les ODAL, en particulier la Société des grands projets (l'ancienne Société du grand Paris), qui se sont tendanciellement endettés.
Les comptes des administrations de sécurité sociale (ASSO) contribuent aussi au déficit public.
Après une année de déficit à hauteur de 2,1 % du PIB en 2020, les ASSO affichent depuis un solde excédentaire de 0,5 % du PIB en 2023. Cet excédent est toutefois en trompe-l'oeil. Il inclut en effet le résultat de la Caisse d'amortissement de la dette sociale (Cades) à hauteur de 18,3 milliards d'euros, qui a été entièrement utilisé pour rembourser une partie de la dette sociale passée, sans que ces dépenses aient été comptabilisées dans le solde des ASSO. Si on exclut le résultat de la Cades, les ASSO affichent bien un déficit, à hauteur de 5,4 milliards d'euros.
Les régimes obligatoires de sécurité sociale sont les principaux contributeurs à ce déficit. Ils affichent ainsi un déficit de 10,8 milliards d'euros en 2023, dont 11,1 milliards d'euros pour la branche maladie et 1,5 milliard pour la branche vieillesse. La situation va s'aggraver : la loi de financement de la sécurité sociale pour 2024 prévoyait initialement un déficit de 10,5 milliards d'euros ; or la commission des comptes de la sécurité sociale a réactualisé en mai cette prévision de déficit à 16,6 milliards d'euros, soit une dégradation de 6 milliards d'euros par rapport à la prévision.
Là aussi, sans lien avec les dépenses engagées pour faire face à la crise sanitaire, je constate que la hausse de la dépense sociale n'a pas été jugulée et qu'en parallèle les recettes ont été réduites, conduisant au creusement des déficits.
Sans vouloir empiéter sur les compétences de la commission des affaires sociales, on peut observer que les allégements et exonérations de cotisations sociales sont passés entre 2017 et 2023 de 39 milliards d'euros à 89 milliards d'euros, soit une hausse de 50 milliards d'euros. C'est autant de manque à gagner pour la sécurité sociale. La moitié est imputable à la transformation du crédit d'impôt pour la compétitivité et l'emploi (CICE) en allégement de cotisations patronales - ce qui se gagne dans le budget de l'État se perd dans celui des ASSO -, mais pas l'autre moitié.
Comme vous l'avez vu, malgré des transferts entre administrations publiques, ce ne sont pas les ASSO qui sont majoritairement responsables du creusement des déficits depuis 2017, mais bien l'État. Le problème est que les grands défis de financement à venir sont bien du côté des ASSO : retraite, dépendance, handicap... Or la situation catastrophique des finances de l'État empêche de faire face à ces défis.
Je vais maintenant aborder plus précisément les comptes de l'État, pour lesquels le terme de « dérive » reste peut-être trop mesuré, car les récifs se rapprochent dangereusement et il va falloir éviter le naufrage. Que s'est-il passé exactement pour en arriver là ?
Je l'ai déjà dit par le passé, l'État est entré en 2020 dans une nouvelle ère en termes de gestion des finances publiques, qui est celle des déficits extrêmes. Le graphique que vous voyez à l'écran maintenant montre l'évolution en euros constants et l'augmentation considérable - et surtout durable - du déficit. Il s'est installé sur un palier nettement supérieur à 160 milliards d'euros. L'amélioration prévue par la loi de finances initiale (LFI) pour 2024 ne se réalisera pas, puisque nous savons d'ores et déjà que les recettes ne sont pas au rendez-vous et que l'État sera lui aussi affecté par la dégradation du déficit.
Que s'est-il passé ? C'est assez simple sur le plan mathématique, l'envol du déficit de l'État résulte de l'effet conjugué de l'augmentation très forte de ses dépenses et de la baisse très nette de ses recettes. Les recettes ont en effet diminué de 7,3 % en euros constants depuis 2017, soit 22 milliards d'euros, tandis que les dépenses augmentaient de 12,7 %, soit 57 milliards d'euros.
La baisse des recettes est notamment liée à des décisions successives de transfert de parts de TVA aux administrations de sécurité sociale, aux collectivités locales et, dernièrement, aux organismes de l'audiovisuel public.
Ce que l'on constate, c'est que ces renonciations à des parts de TVA n'ont été financées au sein du budget de l'État ni par la baisse corollaire de ses dépenses, ni par d'autres recettes. La politique affichée de réduction de la pression fiscale ne pouvait produire des effets que si elle était financée. Or elle a en réalité repoussé à plus tard la question cruciale de son mode de financement. Et c'est maintenant que ce problème majeur se pose et doit être traité. On ne doit pas continuer de procrastiner !
S'agissant des recettes, je vais prendre un exemple qui vous parlera : la suppression de la taxe d'habitation (TH). Elle illustre parfaitement, selon moi, ce qu'il ne fallait pas faire. Elle a réduit drastiquement les recettes de l'État, qui a dû compenser la perte de recettes aux collectivités, essentiellement par l'affectation d'une fraction de TVA aux communes et aux départements. Elle a réduit les recettes de la sphère publique en général et ce n'est pas rien, puisqu'il s'agit au total d'environ 20 milliards d'euros. Hasard des chiffres, c'est exactement la baisse nette des recettes de l'État constatée depuis 2017. D'autres effets de cette réforme me paraissent tout aussi néfastes : moins de liberté pour les collectivités et moins de justice fiscale, puisque les rapports d'évaluation ont montré que les deux déciles les plus fortunés sont les principaux bénéficiaires de la suppression de la TH.
La raison principale de l'augmentation du déficit n'est toutefois pas la diminution des recettes, mais l'envolée inconsidérée des dépenses. En euros constants, elles ont augmenté de 13 % entre 2017 et la loi de finances pour 2024, soit deux fois plus que pendant le quinquennat de M. Hollande, alors qu'elles étaient restées quasi stables pendant le quinquennat de M. Sarkozy. Voilà, selon moi, le marqueur le plus fort de la période 2017-2024.
La crise sanitaire n'est pas responsable de cette augmentation puisque le plan d'urgence n'existe plus depuis 2023. Si elle explique en partie l'évolution du stock de dette entre 2017 et 2023, elle n'explique pas l'écart de déficit entre 2017 et 2023, encore moins 2024. Les dépenses qui ont progressé sont des dépenses ordinaires, notamment sur les missions « Enseignement scolaire » et « Défense », ainsi que les engagements financiers, qui ont augmenté de près de 50 %.
Je ne reprendrai pas en détail toutes les augmentations de dépenses. Sans porter de jugement, je dois constater que les créations nouvelles n'ont jamais été financées par des économies, vous pouvez d'ailleurs tous l'observer sur vos missions budgétaires respectives.
De nouveaux dispositifs ont été mis en place : compte personnel de formation, MaPrimeRénov', le programme France 2030, le pass Culture, le pass Sport, le chèque énergie, le service national universel, le bonus réparation, etc. Chacune de ces dépenses possède sa justification, mais elles n'ont fait que se rajouter aux dépenses existantes. D'ailleurs, rappelez-vous, toutes les missions budgétaires de l'État progressaient dans le PLF pour 2024, hors disparition des mesures d'urgence et à l'exception de la mission « Anciens combattants, mémoire et liens avec la Nation » qui a connu une diminution de 3 millions d'euros...
En outre, la multiplication des lois de programmation diverses et variées a engagé l'État dans une augmentation des dépenses tous azimuts, sans procéder aux arbitrages budgétaires nécessaires pour respecter la trajectoire retenue par le Gouvernement lui-même.
La loi de programmation de la recherche, promulguée en décembre 2020, prévoyait 25 milliards d'euros pour la recherche publique d'ici à 2030 ; la loi d'orientation et de programmation du ministère de l'intérieur, promulguée en janvier 2023, prévoyait de débloquer 15 milliards d'ici à 2027 ; la loi de programmation militaire, promulguée en août 2023, prévoyait 413 milliards d'euros sur sept ans pour nos armées ; la loi de programmation de la justice, promulguée le 20 novembre dernier, prévoyait une hausse du budget de la justice de près de 11 milliards d'euros d'ici à 2027.
Évidemment, secteur par secteur, nous avons soutenu ces lois de programmation, qui paraissaient nécessaires. Mais elles ne valaient que si elles étaient financées et que si elles faisaient l'objet de réelles priorités, ce qui n'a pas été le cas. Le décret d'annulation du 18 février dernier a d'ailleurs rompu les engagements pris dans ces lois, parfois à peine quelques mois plus tard, ce qui n'a aucun sens. C'est contraire à l'engagement politique pris par le Gouvernement devant et avec le Parlement.
Vous ne serez pas surpris de constater que la masse salariale de l'État suit la même courbe que celle des dépenses, dont elle est l'un des déterminants principaux puisqu'elle en représente près d'un quart.
Encore une fois, la présidence de M. Macron a été plus dépensière sur ce point que celle de M. Hollande. Les emplois de l'État ont augmenté de 50 000 équivalents temps plein travaillés (ETPT), soit l'exact opposé de l'engagement initial de M. Macron de réduire de 50 000 postes les effectifs de la fonction publique d'État. Il s'agit, là encore, d'une contrainte pour les prochains gouvernements, car les dépenses de personnel ont une inertie structurelle et ne constituent qu'une dépense partiellement pilotable.
En 2024, une seule mesure de maîtrise des dépenses a été prise : le décret d'annulation de 10 milliards d'euros au mois de février. Les effets de cette mesure sont toutefois contredits par les notes internes des ministères, qui prévoyaient, dès le mois de mars, une dépense de l'État supérieure de 4,7 milliards d'euros à celle prévue en loi de finances initiale, de sorte que le programme de stabilité, publié au mois d'avril, se fondait sur des hypothèses déjà obsolètes. La prévision de juillet est encore à un niveau de 495,5 milliards d'euros à politique inchangée, de sorte qu'il sera très difficile de maintenir les annulations et les surgels de crédits en fin de gestion.
Si les dépenses n'ont pas été tenues, c'est notamment parce qu'un mois à peine après la prise du décret d'annulation et en contradiction totale avec lui, 16 milliards d'euros ont été reportés de 2023 vers 2024.
En effet, la dérive des comptes est aussi celle des pratiques budgétaires. Il est difficile de naviguer lorsque la boussole a été trafiquée ! Les crédits ouverts en loi de finances initiale ne sont plus que partiellement représentatifs de la réalité des crédits mis à disposition des ministères. C'est aussi l'une des raisons de l'augmentation des dépenses, sur laquelle le Parlement a moins de prise.
Les reports massifs de crédits sont devenus une pratique de droit commun. J'appelle, là encore, le Gouvernement à reprendre les choses en main et à faire respecter le principe d'annualité budgétaire.
Il est à présent devenu indispensable de renverser la vapeur. Pourquoi ? Parce qu'une telle situation met en danger notre pays. Et je pèse mes mots ! Je vous indiquais au début de ma présentation que notre déficit divergeait depuis la fin de la crise sanitaire de ceux de nos partenaires européens.
L'endettement public augmente : 112 % du PIB fin juin 2024 contre 109,9 % en 2023. Il nous place désormais sur le podium peu enviable des pays les plus endettés de la zone euro alors que nous nous trouvions à la sixième place en 2017. C'est une très forte dégradation, excessivement rapide.
Cet endettement lie les mains du nouveau gouvernement et en réalité de tous ceux qui vont se succéder dans les prochaines années, car nous devons chaque année emprunter non seulement pour financer le déficit, mais aussi pour rembourser les titres de dette arrivant à échéance. Sur le périmètre de l'État, on peut prévoir l'an prochain un besoin de financement de l'État supérieur à 300 milliards d'euros, dont 170 milliards d'euros simplement pour rembourser les titres arrivés à échéance. Les déficits passés créent, hors déficits nouveaux, un besoin de financement - c'est-à-dire un endettement supplémentaire - de 170 à 230 milliards d'euros chaque année jusqu'en 2029 - et ces chiffres correspondent à une situation où nous arrêterions tout déficit nouveau à compter de l'année prochaine.
On le voit, si les politiques passées sont reconduites, c'est l'asphyxie qui nous guette.
La charge de la dette est d'autant plus amenée à augmenter dans les années à venir que la sphère publique a dû emprunter en 2023 plus que prévu, sans parler de 2024. Cela réduira d'autant les marges de manoeuvre du nouveau gouvernement, mais aussi du quinquennat suivant : la gestion Macron-Le Maire lie les mains des dirigeants de notre pays au cours des prochaines années et hypothèque manifestement notre avenir.
Surtout, les conditions d'emprunt de la France se dégradent singulièrement comparativement à nos partenaires européens. Le spread de la France - son écart par rapport aux taux allemands qui font figure de référence - se dégrade singulièrement depuis l'annonce de la dissolution de l'Assemblée nationale le 9 juin dernier. Depuis lors, la tendance est préoccupante et tend même à se dégrader encore au fur et à mesure qu'on lève le voile sur la réalité de la situation budgétaire.
Le spread français, qui oscillait entre 40 et 60 points de base avant la dissolution, dépasse désormais régulièrement les 70 points de base, atteignant même les 80 points le 26 septembre dernier, au lendemain des nouvelles annonces sur la situation réelle de nos finances publiques. Le spread de taux à 10 ans de notre pays rejoint désormais celui de l'Espagne. Le 26 septembre, le taux à 5 ans a même dépassé, à 2,48 %, celui de la Grèce (2,4 %) et celui du Portugal (2,2 %).
Convenons qu'il s'agit là d'une très sérieuse alerte pour la France. Des pays qui, il y a une dizaine d'années, étaient plongés dans le marasme économique et budgétaire le plus profond et, pour certains, se trouvaient en état de quasi-faillite, empruntent aujourd'hui à de meilleures conditions que nous. Certes, l'instabilité politique dans laquelle se trouve notre pays depuis juin n'aide pas, mais c'est le dérapage continu de la situation budgétaire qui explique la plus grande part de la diminution progressive de la confiance des investisseurs dans la dette française.
Il est temps de réagir. Les services de Bercy eux-mêmes alertent de manière très inquiétante, comme l'atteste une des notes de la direction générale du Trésor transmise début septembre à notre demande par le Gouvernement. Je la cite : « Au-delà du choix des mesures de redressement, leur bénéfice devra être prioritairement fléché vers l'État pour éviter des hausses de programme de financement trop importantes pour pouvoir être absorbées par la base d'investisseurs sans dégradation des conditions de financement. Cette dernière contrainte risque d'être plus forte que la contrainte européenne ». S'il fallait nous en convaincre, c'est bien pour sécuriser le financement de notre pays qu'il faut désormais faire des efforts et non pour le plaisir de Bruxelles !
Mes chers collègues, tel est l'état des lieux de nos finances publiques. Comme je le disais en introduction, j'espère que le partage de ces éléments nous permettra de mieux travailler ensemble lors de l'examen du budget. Il faudra certes examiner ce budget dans un esprit de responsabilité, mais aussi d'écoute, en évitant les lignes rouges de part et d'autre. C'est à ce prix que nous pourrons demander aux Français de faire les efforts nécessaires pour sortir de cette situation.
L'examen du budget n'a pas encore commencé, mais je pense pour ma part qu'il ne faudra pas hésiter à proposer des économies en dépenses au-delà de ce qui nous sera présenté, comme nous l'avons fait l'année dernière. Vous savez que je ne suis pas favorable aux hausses d'impôts, mais, dans l'impasse que je viens de décrire, je pense, comme le Gouvernement, qu'il faut rapidement redresser la barre et, si besoin, en passer par là pour reprendre la main sur nos finances publiques.
Bref, vous le voyez, mes chers collègues, j'aborde ce budget dans un esprit d'ouverture. Je pense que la situation l'exige et que les Français l'attendent.
Mme Christine Lavarde. - Pensez-vous qu'il soit nécessaire de revenir sur les lois de programmation sectorielles ? On nous dit, par exemple, que ce n'est pas possible pour le secteur de la défense en raison du contexte international.
Quelles sont les conséquences sur les finances publiques de la revalorisation annoncée du Smic à compter du 1er novembre prochain ?
Vous avez évoqué le bonus réparation, un dispositif qui se résume à de la communication et qui ne marche pas ! Seules les grandes entreprises s'en servent, pas les petites et moyennes entreprises comme cela était pourtant prévu. L'argent est collecté par des éco-organismes sans réelle politique publique derrière.
En ce qui concerne la dette, il n'y a pas seulement la question de l'écart de spread. Il faut aussi penser aux attaques de certains fonds contre la dette française - des attaques ont déjà lieu !
Mme Nathalie Goulet. - Lorsque j'étais rapporteur spécial de la mission « Engagements financiers de l'État », nous avions le plus grand mal à savoir qui était propriétaire de la dette publique française. Avons-nous davantage d'informations aujourd'hui ?
Avec certains collègues, j'ai déposé un recours contre le décret d'annulation de crédits pris en début d'année : le recours a été jugé recevable, mais il faudra du temps pour connaître le résultat... Quels sont les moyens pour le Parlement d'agir dans le type de situation dans laquelle nous nous trouvons et d'obtenir des informations ?
Le groupe Union Centriste a demandé l'inscription à l'ordre du jour du Sénat d'un débat sur la croissance de la dette publique de la France ; il aura lieu mardi prochain. Pensez-vous qu'un projet de loi de finances rectificative (PLFR) soit nécessaire ?
M. Stéphane Sautarel. - La note de la direction générale du Trésor du 17 juillet m'inquiète doublement : elle dresse clairement les difficultés de la France, qui fait face à la sanction des marchés, et elle indique que les mesures devraient être prioritairement fléchées vers l'État.
Les collectivités territoriales ont en tout cas un poids très relatif dans cette dégradation des finances publiques : disposez-vous d'éléments complémentaires sur la situation des finances locales ?
Par ailleurs, avez-vous des informations précises sur les rentrées de TVA, les recettes de cet impôt étant aujourd'hui très partagées entre ses différents bénéficiaires ?
M. Albéric de Montgolfier. - Pendant des années, le ministre de l'économie et des finances et les ministres en charge du budget nous ont expliqué que nous étions des imbéciles... Aujourd'hui, ce que le rapporteur général et moi-même décrivions arrive !
Je voudrais attirer votre attention sur la politique d'émission de l'Agence France Trésor (AFT) : elle émet une dette longue à taux fixe élevé. On peut comprendre que les marchés adorent ce type de rente ! Ce sont donc les contribuables français qui financent les pensions des fonctionnaires californiens ou singapouriens... Évidemment qu'on nous prête dans ces conditions ! Cette politique est irresponsable.
Dans votre présentation, vous indiquez que, si la charge de la dette était restée à son niveau de 2017, 45 milliards d'euros auraient pu être dégagés pour financer des missions essentielles. C'est considérable ! Comment décomposer ce montant entre l'effet taux et l'effet volume ? Pendant des années, on nous disait que la baisse des taux permettait une baisse de la charge de la dette. Nous ne sommes plus dans cette situation d'autant que, comme je le disais, nous empruntons à taux fixe sur longue durée...
M. Olivier Paccaud. - Je veux d'abord remarquer que les collectivités territoriales sont souvent le bouc émissaire de Bercy...
Je note aussi le dédain avec lequel nos rapporteurs généraux ont été traités au fil des années par l'ancien ministre de l'économie et des finances. Lors de son audition dans le cadre de notre mission d'information sur la dégradation des finances publiques, celui-ci avait employé une expression étrange : la France aurait subi une perfect storm... Cette « tempête parfaite » plane-t-elle encore sur nos têtes ?
Mme Florence Blatrix Contat. - Du fait des déficits successifs, la France a accumulé près de 1 000 milliards d'euros de dette publique depuis l'élection d'Emmanuel Macron. Ces deux dernières années ont été des années de décrochage pour la France : contrairement aux autres pays européens, nous avons continué à accroître notre dette après le covid. Les baisses importantes d'impôts - environ 60 milliards d'euros - ont creusé le déficit et accru la dette.
On peut alors s'interroger sur l'intérêt de la politique de l'offre et sur les baisses d'impôts pour les détenteurs du capital - mise en place d'une flat tax, suppression de l'ISF... Tout cela pour quel résultat ? La productivité a baissé de 5 points en France depuis 2019 ! Beaucoup d'argent public a donc été perdu pour un effet négatif. Une étude de l'Observatoire français des conjonctures économiques (OFCE) montre clairement qu'on peut s'interroger sur les avantages d'une politique structurelle de l'offre. La présidente de la Réserve fédérale des États-Unis a elle-même mis en avant l'intérêt d'une politique de la demande, qui a ses vertus et peut être source de productivité.
Que faire désormais ? Les analyses du Conseil d'analyse économique (CAE) montrent qu'il nous faut trouver environ 15 milliards d'euros par an. Si on ne trouve ces 15 milliards que sur les dépenses, avec l'effet récessif, ils vont produire moins de revenus, donc nous devons agir à la fois sur les dépenses et sur les recettes.
M. Michel Canévet. - La France connaît l'un des taux de prélèvements obligatoires les plus élevés au monde. Il était donc nécessaire de baisser les impôts.
Je remarque que l'augmentation de la masse salariale de l'État semble plus marquée en 2024 que les années précédentes. Comment l'expliquer ? Quelles conséquences cela aura-t-il sur les années à venir ?
Comme le rapporteur général, je crois que nous devons nous informer plus précisément sur les ODAL.
En conclusion, il est évident que nous devons réaliser des efforts. Le Sénat s'est déjà montré capable d'en proposer, mais je crois que nous devrons être encore plus imaginatifs, car le Premier ministre va certainement formuler des propositions ambitieuses. La réduction des dépenses ne suffira pas et nous devons envisager une hausse ciblée de certains prélèvements obligatoires, tout en poursuivant un objectif de justice fiscale et sociale.
M. Jean-Baptiste Blanc. - Selon David Djaïz, le véritable éléphant dans la pièce serait le système des retraites. Sur les 1 000 milliards d'euros de dette, 500 milliards d'euros, soit 70 milliards d'euros par an, relèveraient du système des retraites, notamment des pensions des agents publics. Cette donnée apparaîtrait en outre dans les documents budgétaires non pas sous forme de subventions, mais de surcotisations. Qu'en est-il réellement ?
M. Jean-Raymond Hugonet. - Ce document était absolument nécessaire. J'émettrai néanmoins une nuance au sujet de l'augmentation de la fiscalité. Je ne parle pas ici, évidemment, des niches fiscales qui sont à « retravailler » ni des taxes sur les superprofits. Mais charité bien ordonnée commence par soi-même. Le peuple français n'entendra pas que nous lui demandions de contribuer davantage alors que nous-mêmes nous n'avons pas balayé devant notre porte. Ce serait prendre un grand risque que d'exiger des Français un effort supplémentaire quand les as de la banqueroute qui sont à la tête de notre pays depuis maintenant plus d'une dizaine d'années l'ont amené à la triste conclusion qui ressort de nos échanges. Monsieur le rapporteur général, pourriez-vous préciser votre propos à ce sujet ? Il faudra bien un jour définir ce qu'est la justice fiscale.
M. Pascal Savoldelli. - Je dois dire que, avant de participer à cette discussion, je me suis longuement interrogé sur son utilité, ainsi que sur son périmètre. Que Christine Lavarde soit rassurée : vu l'étiquette politique du Premier ministre et la composition de son gouvernement, on ne peut pas dire que la droite n'a pas bénéficié d'un bonus réparation électoral !
Le rapporteur général est en réalité gêné aux entournures, car on lui demande un numéro d'équilibriste. Participation ou soutien au Gouvernement ? Comme le disait le Président Macron, nous aurons prochainement un moment de clarification... La présentation qui nous a été faite est sincère. Mais compte tenu de nos discussions antérieures, le rapporteur général ne peut qu'évacuer la dimension politique.
Vous avez évoqué la dégradation massive des soldes de l'État. Pardonnez-moi, mais le bilan du Gouvernement est aussi un peu le vôtre ! Vous avez voté la suppression de la taxe d'habitation, la baisse de l'impôt sur le capital, ainsi que la réforme de l'impôt de production. Au total, cela représente 60 milliards d'euros en moins par an. En dépit du recours à l'article 49-3, nous avons tous gardé en mémoire les propositions des uns et des autres.
Je partage totalement les propos d'Albéric de Montgolfier : les marchés financiers vont s'inviter dans la discussion de manière vorace et aveugle. Selon Mario Draghi, les mauvais élèves devront emprunter 800 milliards d'euros aux taux décidés par les marchés. Nous avons là un problème de souveraineté qui peut nous rassembler. Nous ne serons pas les donneurs d'ordre et c'est la raison pour laquelle je dis souvent que les politiques sont devenus des agents intermédiaires.
M. Éric Bocquet. - Je me souviens d'une interview radiophonique de Jean-Pierre Raffarin, peu avant l'élection présidentielle de 2012. Il y disait que si autrefois le résultat de l'élection présidentielle dépendait de l'avis des électeurs, il dépendait aussi, dorénavant, de l'avis des marchés financiers. Les politiques influent-ils sur l'état des marchés financiers ou est-ce l'inverse, les marchés financiers qui influent sur le cours de l'histoire politique d'un pays ?
Il y aurait beaucoup à dire sur la dette et nous aurons mardi prochain un débat à ce sujet. L'Agence France Trésor a emprunté lundi dernier 7,491 milliards d'euros à un taux de 3,269 % sur trois mois et à un taux inférieur sur douze mois, alors que l'incertitude est pourtant plus forte sur cette durée. Je m'étonne moi aussi de l'extrême quiétude des marchés financiers, qui prêtent à un pays malade, surendetté, qui serait au bord de l'apocalypse. Sont-ils incompétents, fous ou philanthropes ? En réalité, ils ont un intérêt évident : une rente garantie chaque année. La dernière fois que la France a fait banqueroute, c'était en 1797. Depuis, nous avons toujours remboursé rubis sur ongle. Nous sommes donc un bon client des marchés financiers ; je ne suis pas inquiet.
Mme Vanina Paoli-Gagin. - La commission des finances tire depuis longtemps la sonnette d'alarme sur la situation des finances publiques. Sommes-nous capables d'estimer la part du déficit qui relève d'un rattrapage du sous-financement structurel de certains ministères, tels que ceux de la justice, de la santé ou de l'éducation nationale ?
Par ailleurs, je m'interroge sur l'approche budgétaire annualisée. Devons-nous persévérer dans cette voie ? Il nous faut changer de vecteur : l'État ne peut pas être stratège quand chaque année il remet l'ouvrage sur le métier.
Enfin, si les collectivités ne sont pas les principales responsables de ces écarts, force est de constater que la création des grandes régions et des intercommunalités n'ont pas conduit à la baisse attendue des dépenses publiques. Finalement, nous n'avons supprimé aucun niveau de collectivité et cela, nos concitoyens ne peuvent pas le comprendre.
M. Laurent Somon. - L'annulation de 10 milliards d'euros de crédits aura donc laissé place, quatre mois plus tard, à 3,6 milliards de dépenses supplémentaires. Ces crédits seront-ils reportés sur l'année 2025 - il faudra alors les financer - ou s'agissait-il d'un simple effet d'annonce destiné à calmer les marchés ? Par ailleurs, des dispositifs tels que le bonus réparation ou MaPrimeRénov' sont-ils suffisamment évalués ? Mesurons-nous l'efficacité réelle des politiques publiques ?
M. Didier Rambaud. - La présentation du rapporteur général était objective et dénuée de tonalité polémique. S'il y a un sujet que je défends depuis sept ans, c'est bien la politique de l'offre : elle nous a permis de faire baisser le chômage - ce n'est plus un sujet ou presque -, de réindustrialiser le pays et de faire revenir les investisseurs.
En ce qui concerne la « dérive de la masse salariale », je m'interroge : regrette-t-on la création des 50 000 emplois publics équivalents temps plein ? Si oui, lesquels ? Je déduis de cette communication que je n'entendrai plus dire, lors de chaque séance de questions au Gouvernement ou lors de chaque examen de mission budgétaire, que le compte n'y est pas et que l'on ne crée pas assez d'emplois dans la santé, la sécurité ou la justice.
M. Claude Raynal, président. - L'argent investi n'a pas été gaspillé. Quand on met des milliards d'euros sur la table, il y a nécessairement un impact sur la croissance ou sur l'emploi. Tout est question d'équilibre. Le document présenté n'a, en effet, pas de dimension polémique. Et pour cause... J'ai tout de même trouvé délicieux chez certains d'entre vous cette ouverture soudaine à de nouvelles recettes. Il s'agit de demandes anciennes dont nous étions plutôt nous-mêmes à l'origine. Je me réjouis d'être rejoint, tardivement, mais utilement sans doute.
Je partage avec le rapporteur général l'idée qu'il faut se garder d'avoir des lignes rouges. Le jeu politique consistant à fixer dans la presse des lignes infranchissables, par exemple sur le sujet des nouvelles recettes, ne va pas dans le sens de la nécessaire recherche de solution. Compte tenu du contexte, le Sénat aura, dans la réponse qui sera apportée au problème, un poids particulier. Nous devons jouer ce rôle avec le plus grand sérieux, animés par la volonté d'améliorer la vie de nos concitoyens.
M. Jean-François Husson, rapporteur général. - Je voudrais rappeler l'état d'esprit qui m'anime et qui, me semble-t-il, est partagé par les différents groupes politiques : nous sommes dans une situation financière et budgétaire catastrophique, inédite sous la Ve République, et la dégringolade de ces dix derniers mois donne le vertige.
En tant que rapporteur général, j'ai dit dès le départ que je ne souhaitais ni émettre des oukases ni fixer des lignes rouges. Dans une situation aussi délicate, nous devons changer de posture. Face à la montée des extrêmes et des courants populistes, il faut se donner une chance de retrouver la confiance des électeurs, la confiance dans notre économie et peut-être la confiance des marchés.
Bruxelles fait souvent office de bouc émissaire. L'Europe est telle que nous l'avons construite. Je ne le regrette pas, bien au contraire. Nous pouvons aussi considérer que les marchés trouvent, dans le financement de la dette française, leur propre intérêt aux dépens des Français.
Vous avez pu le constater à l'occasion de diverses missions d'information ou missions flash : bien qu'étant de sensibilités politiques différentes, le président Raynal et moi-même avions parfois des positions convergentes. Dans la situation d'extrême instabilité politique dans laquelle nous sommes, reconnaissons que le Sénat peut jouer un rôle beaucoup plus important dans la construction de solutions rassemblant bien au-delà de la majorité sénatoriale. Il peut démontrer à l'opinion publique et aux acteurs économiques qu'au moins l'une des deux chambres - j'espère les deux ! - travaille au redressement de nos comptes publics afin de redonner très vite des perspectives.
Cela signifie qu'il faut accepter de débrancher certains dispositifs qui ont duré trop longtemps et qui nous ont habitués à une certaine facilité.
Christine Lavarde s'interroge sur les lois de programmation sectorielles. Par principe, je considère qu'il ne faut rien exclure, y compris modifier certaines d'entre elles à la marge. Nous devrions avoir un avis assez unanime sur les propos qu'a tenus le Premier ministre hier sur la loi de programmation militaire. Au regard de la situation internationale, ce n'est évidemment pas le moment de fléchir. Quelques économies peuvent être faites ici ou là, mais nous avons des signaux à donner. Dans d'autres domaines, il est possible, parfois, de ralentir la cadence et il faudra bien que chacun prenne sa part. Tel est le cas aussi des collectivités qui doivent prendre leur part de responsabilité. Quand il y a un abcès, il faut le traiter. En revanche, ne laissons pas croire ou ne faisons pas croire que les collectivités sont les principales ou les seules responsables. Ayons avec elles un rapport apaisé et constructif.
On me dit que des négociations sont en cours entre la ministre du partenariat avec les territoires et les collectivités au sujet d'un nouveau dispositif de mise en réserve. Je n'en sais pas plus, mais la méthode me semble intéressante. Il doit être possible, dans la concertation, de faire participer les collectivités au nécessaire effort collectif sans leur imposer de coup de rabot ni de mesures aveugles. Si près de 30 % des départements se trouvent dans une situation excessivement difficile, j'ai aussi été alerté sur le cas de départements considérés comme « riches », mais dont les recettes de droits de mutation à titre onéreux (DMTO) s'effondrent très rapidement, au point de mettre à mal le modèle qui était le leur. Voici venu le moment d'être le plus précis possible et d'accompagner les collectivités qui en ont besoin sans « arroser » tous azimuts.
L'une des difficultés est le temps restreint dont nous disposons pour travailler : le Gouvernement est en place depuis une dizaine de jours à peine et vous voyez à quel point les délais sont compressés.
La revalorisation du Smic représente un impact d'un peu plus de 200 millions d'euros en année pleine sur les finances publiques. C'est d'ailleurs l'un des éléments de réponse à la question de la politique de l'offre. Le Premier ministre a envoyé un certain nombre de signaux sur ses intentions en matière écologique, fiscale, ou de rémunération.
Pour ma part, je considère les diverses primes de réparation ou autres comme des dispositifs « gadget », très onéreux et peu efficaces. Il ne faudra pas hésiter longtemps à couper dans ces budgets pour flécher les moyens humains et financiers vers les priorités qui seront dégagées. Le principe même des priorités est que certains seront servis moins vite et moins bien. En un mot, il va falloir faire moins, faire mieux et dépenser avec plus de précision.
Sur les conditions de financement de la dette, les groupes Union Centriste et Les Républicains ont souhaité inscrire à l'ordre du jour du Sénat, dès le début de la session parlementaire, un débat sur ce sujet. Ce point d'étape est important. Nous connaissons parfaitement la vie politique : les uns et les autres vont endosser des responsabilités nouvelles et hériter d'une situation difficile qui leur sera bientôt reprochée. C'est pourquoi je souscris absolument aux propos du Premier ministre : nous devons la vérité aux Français.
Nous leur devons la vérité sur la situation financière et budgétaire qui ressort des chiffres fournis par le Gouvernement et les services de Bercy. Si de nouvelles données venaient à dégrader l'état que je viens de présenter, il faudrait alors l'actualiser. Connaître précisément notre point de départ est essentiel. Une fois les orientations posées dans le projet de loi de finances, je proposerai que nous suivions de façon beaucoup plus régulière la mise en oeuvre des différents dispositifs. Il faut pouvoir se féliciter de ce qui fonctionne et corriger ce qui fonctionne moins bien. N'attendons pas, comme nous l'avons souvent déploré ces derniers temps, de faire le constat d'une situation dégradée.
Lors de sa dernière audition devant notre commission, le ministre de l'économie et des finances s'était offensé que nous puissions supposer l'existence d'informations cachées. En guise de perfect storm - pour « tempête parfaite », un terme marketing utilisé pendant quarante-huit heures pour justifier le dérapage -, nous avons eu un ouragan incessant et un brouillard persistant. Ce jour-là, le ministre avait d'ailleurs chargé sans ménagement les services de Bercy qui avaient selon lui commis une erreur. Le voilà rattrapé par la réalité. Quand les informations majeures dessinent un climat très dégradé, la confiance disparaît, les entreprises attendent, les Français épargnent et la croissance ralentit.
Il est un peu tôt pour répondre à Laurent Somon sur les crédits qui seront reportés en 2025. Je le répète : le décret d'annulation de 10 milliards d'euros du 21 février 2024 a été plus que compensé en mars par l'arrivée de 16 milliards d'euros de reports de crédits. Cela pose la question de la parole du Gouvernement : au regard de ces évolutions, nous pouvons nous interroger sur la sincérité du budget.
Les informations que demande Albéric de Montgolfier sur l'effet taux et l'effet volume devraient figurer dans le bleu budgétaire. Il faut en effet surveiller l'allongement de la durée d'amortissement de la dette. Dans certains cas, et dans un autre domaine, les prêts qui sont consentis à quarante ou cinquante ans par la Caisse des dépôts et consignations (CDC) réduisent la capacité d'emprunt plus régulier des collectivités. Les taux ne sont plus aussi bas qu'il y a quelque temps.
Je répondrai à Jean-Baptiste Blanc que oui, le sujet des retraites reviendra rapidement à l'ordre du jour. Face à la baisse des recettes et aux effets de la crise, il faudra se poser la question de la contribution de l'État : la perçoit-on comme une surcotisation ou comme une subvention ? Le sujet se pose d'ailleurs déjà, si l'on en juge par la situation des caisses de retraites du personnel hospitalier ou de celle de la Caisse nationale de retraites des agents des collectivités locales (CNRACL). Nous travaillerons sur ce sujet avec objectivité.
Je partage certaines des observations de Michel Canévet sur la justice fiscale et sociale. Je le répète : nous devons en priorité baisser la dépense publique et nous mènerons un travail de fond sur plus d'une centaine de dépenses que nous avons répertoriées. Certaines mesures pourraient créer d'importantes difficultés sociales. Il faudra donc agir avec pragmatisme et éviter autant que possible les augmentations d'impôts. Plus nous baisserons la dépense, moins nous aurons besoin d'avoir recours à la fiscalité. J'ai pour habitude de ne pas promettre ce que je ne suis pas sûr de pouvoir tenir. Plutôt que de rétropédaler, je préfère dire à nos concitoyens combien la situation est difficile.
Pascal Savoldelli, nous avons en effet voté la suppression de la taxe d'habitation, mais il ne s'agissait nullement d'un chèque en blanc. Quand on diminue des recettes, il faut également diminuer les dépenses. Or, nous avons diminué les recettes tout en augmentant la dépense publique. Cet effet ciseau est désastreux et notre niveau de prélèvements obligatoires reste très élevé. Cela montre bien notamment les effets de l'inflation.
Nous sommes un certain nombre à nous inquiéter au sujet des marchés financiers. Nous devons, me semble-t-il, élargir notre horizon et réfléchir à des canaux de financement alternatifs. Le lancement d'un grand emprunt destiné à financer l'effort collectif de redressement présenterait des avantages et des inconvénients. Comment, par ailleurs, mobiliser la « surépargne Covid » ? Les Français, qui ne sont pas sereins, continuent d'épargner. Mobiliser cette épargne serait préférable à l'augmentation des impôts. Encore faut-il que les Français y aient intérêt. Nous devons montrer la lumière au bout du tunnel.
À Vanina Paoli-Gagin, je répondrai que je reste attaché au principe de l'annualité budgétaire, car il incite à plus de rigueur dans la tenue de nos comptes. Voyez : nous avons voté en 2023 plusieurs lois de programmation alors que la situation n'était déjà pas merveilleuse. Nous l'avons fait en mettant la pression sur un gouvernement, qui, de son côté, prend des engagements qu'il sait ne pas pouvoir tenir. Le principe de l'annualité budgétaire nous oblige à être rigoureux chaque année. Conjugué au principe de l'équilibre budgétaire, il permet finalement de mieux tenir nos comptes.
En matière d'emplois publics, le chantier est immense. Je ne suis pas opposé aux emplois publics, loin de là, mais il serait bon d'analyser la manière dont les collectivités construisent leur budget et quel est le détail de leurs charges de fonctionnement ou de personnel. Derrière le chiffre général, il faut prendre en compte la part des délégations de service public par exemple et mesurer l'efficacité des investissements. C'est cela l'important.
J'ai siégé dans plusieurs collectivités dans lesquelles il y a eu des baisses d'effectifs et, simultanément, une hausse des investissements pour une meilleure satisfaction des habitants. Je ne crois pas qu'il faille systématiquement couper dans les charges de personnel, mais je ne m'interdis pas de réfléchir à l'efficacité de la dépense publique en tenant compte de ces charges. Qu'il s'agisse du recrutement de personnel qualifié, de groupements d'achats ou de postes partagés, il existe mille et une solutions. Certaines collectivités le démontrent. Les services de l'État doivent aussi le démontrer. Je ne peux pas me satisfaire d'une progression des effectifs associée à une dérive des dépenses. Comment voulez-vous que les Français nous suivent si l'État est à ce point inconséquent ?
M. Claude Raynal, président. - Mes chers collègues, je vous informe que j'ai demandé l'inscription à l'ordre du jour du Sénat d'un débat sur la situation financière des collectivités territoriales, conformément à la possibilité ouverte par la loi organique relative aux lois de finances (Lolf) à la suite du dépôt d'un rapport sur les finances publiques locales. Il aura lieu avant le début de l'examen du projet de loi de finances.
Par ailleurs, le PLF sera déposé en Conseil des ministres le jeudi 10 octobre prochain dans l'après-midi. La commission des finances se réunira donc exceptionnellement le vendredi 11 octobre pour entendre les deux ministres. Nous préparons également une audition du Haut Conseil des finances publiques (HCFP).
Contrôle budgétaire - Les protocoles sociaux, l'organisation du travail des personnels de la direction générale de l'aviation civile (DGAC) et la performance du contrôle aérien français - Communication
M. Claude Raynal, président. - Mes chers collègues, nous allons maintenant entendre une communication de Vincent Capo-Canellas, rapporteur spécial du budget annexe « Contrôle et exploitation aériens », sur son contrôle budgétaire portant sur les protocoles sociaux, l'organisation du travail des personnels de la direction générale de l'aviation civile (DGAC) et la performance du contrôle aérien français.
M. Vincent Capo-Canellas, rapporteur spécial. - Au printemps dernier, la DGAC a conclu avec les organisations syndicales représentatives de son personnel son onzième « protocole social ». J'avais suggéré, à la fin de l'année dernière, que la commission des finances m'autorise à exercer un contrôle budgétaire sur ce type de protocole, dont je pressentais les enjeux.
Cette pratique mérite en effet l'attention de la commission pour au moins deux raisons. La première est son impact tout sauf négligeable sur l'évolution des charges de personnel du budget annexe dont je suis le rapporteur. La deuxième est que cette pratique nous est présentée comme un facteur d'amélioration des performances de la DGAC, susceptible de réduire les retards de vols générés par le contrôle aérien et les difficultés dont se plaignent les compagnies comme les usagers.
Je précise d'emblée que je suis favorable au dialogue social et que la pratique du protocole a du sens. Il s'agit ici de mesurer son coût, son effet, son caractère dérogatoire, mais aussi ses conditions d'évaluation et d'encadrement.
À la fin des années 1980, la DGAC a donc inauguré une forme de dialogue social unique au sein de l'administration française : la négociation avec les organisations syndicales, à intervalles très réguliers, de conventions pluriannuelles appelées « protocoles sociaux ». Cette pratique est désormais profondément ancrée dans la culture de la DGAC. Ni la direction ni les organisations syndicales n'envisagent de s'en passer.
Vous connaissez le pouvoir de négociation - de « nuisance » parfois - des contrôleurs du ciel. Il est légitime de se demander si ces protocoles sont équilibrés, notamment dans la mesure où ils sont d'abord conclus avec les contrôleurs aériens avant d'être étendus à l'ensemble des personnels de la DGAC. Ce n'est pas un secret : la principale vocation de ces protocoles était de canaliser les revendications des contrôleurs afin d'éviter des grèves aux lourdes conséquences. Selon la DGAC, ces protocoles s'inscrivaient dans une logique de « donnant-donnant » : au-delà d'acheter la paix sociale auprès des contrôleurs, il s'agissait aussi, pour la direction, d'introduire des mesures de modernisation. D'un côté, des dispositions viseraient à augmenter les rémunérations des personnels, de l'autre, des mesures de performance et de productivité devaient être prévues.
Je suis au regret de vous apprendre ou de vous confirmer que cette logique vertueuse qui justifiait des protocoles sociaux coûteux n'est pas celle qui a prévalu par le passé. Dans les protocoles précédents, les concessions salariales étaient réelles, mais les effets en termes d'organisation et d'amélioration du service sont quasi invisibles. Tandis que les enjeux essentiels de modernisation et de performance du contrôle aérien faisaient du surplace, voire régressaient, les protocoles sociaux ont octroyé de façon quasi unilatérale et singulière dans l'administration française, une succession de mesures catégorielles avantageuses, parmi lesquelles des primes parfois spécifiques.
Il en a résulté pour la DGAC une inflation constante des dépenses de personnel et une complexification notable de son maquis indemnitaire. Autre conséquence : pour des fonctions similaires, un agent de la DGAC est aujourd'hui mieux payé qu'ailleurs dans la fonction publique. Cela tient à la raison que j'énonçais précédemment : les négociations se font dans un premier temps avec les contrôleurs avant d'être élargies aux autres corps, auxquels la direction doit également offrir, si elle veut aboutir à un accord majoritaire, des contreparties.
À eux seuls, les trois derniers protocoles se sont traduits par une augmentation pérenne de 80 millions d'euros de dépenses par an, supportées par le budget annexe « Contrôle et exploitation aériens » (BACEA) dont je suis le rapporteur. Par ailleurs, la DGAC n'est pas en mesure de fournir une évaluation du coût des huit premiers protocoles. Ce point nous interroge et nous paraît symptomatique d'une culture d'absence d'évaluation : la DGAC ne s'est jamais sérieusement questionnée sur cette pratique et, de fait, aucun protocole n'a fait l'objet d'une réelle évaluation.
Un examen de la situation actuelle mène au constat que les performances du contrôle aérien, que la DGAC considère elle-même comme « médiocres » en comparaison de celles de ses partenaires, ne sont pas à la hauteur. Le contrôle aérien français est à l'origine de plus d'un tiers des retards de vols en Europe. La productivité horaire des contrôleurs français est non seulement en dessous de la moyenne européenne, mais surtout nettement inférieure à celle de tous les pays comparables. Cette situation a des conséquences financières pour les compagnies, dans la mesure où les retards engendrent des coûts que l'on sait chiffrer.
Les causes des contre-performances du contrôle aérien français sont essentiellement à rechercher dans l'organisation du travail des contrôleurs. Des règles d'une trop grande rigidité empêchent la direction des services de la navigation aérienne (DSNA) d'ajuster la capacité de contrôle à la réalité de l'évolution du trafic. Or cette évolution n'est pas linéaire, nous l'avons constaté notamment au moment du covid ou lors de certains week-ends. Certaines de ces règles, comme le travail en équipe ou celle du « un jour sur deux » créent une inertie que ne connaissent pas nos partenaires, chez qui les temps de travail sont davantage individualisés.
Cependant, j'ai pu vous rendre compte l'année dernière au cours d'un précédent contrôle que la DGAC connaissait des évolutions positives depuis quelques années. Des tabous commencent à sauter. La DSNA a engagé un revirement stratégique dont les trois piliers sont la modernisation technologique des outils du contrôle aérien, la restructuration du réseau des implantations territoriales et des infrastructures vieillissantes et, enfin, l'assouplissement de l'organisation du temps de travail des contrôleurs.
Entamées en 2019 puis suspendues par la crise sanitaire, les négociations du nouveau protocole social ont été conclues dans la douleur en avril dernier. Les discussions ont par ailleurs été perturbées par la mise en évidence d'une pratique non autorisée par les textes, appelée « les clairances ». Cette pratique permettait à des chefs de salle, au regard des prévisions de trafic du jour et de l'organisation du travail fixée à l'avance, de dispenser les contrôleurs de présence sur leur lieu de travail. En décembre 2023, dans un rapport sur un incident grave survenu un an plus tôt à Bordeaux, le Bureau d'enquêtes et d'analyses pour la sécurité de l'aviation civile (BEA) avait pointé ce sujet. La Cour des comptes l'avait d'ailleurs fait dès 2010, mais cette question, qui concerne tout de même des personnes investies d'une mission de sécurité majeure, était passée sous les radars. Du fait de ces clairances, les contrôleurs ne réalisaient parfois - ou ne réalisent, les choses évoluent lentement - que 24 heures de travail hebdomadaires en moyenne au lieu des 32 heures légales, lesquelles se justifient par des conditions de travail difficiles.
Afin de mettre un terme à cette pratique, la DGAC s'est engagée à mettre en place un système de contrôle automatisé de la présence des contrôleurs sur leur lieu de travail. Si cette question n'a pas été officiellement incluse dans le dernier protocole - il était difficile d'admettre que l'on accordait des primes aux contrôleurs afin qu'ils réalisent le temps de travail attendu - elle aura eu tout de même un effet inflationniste sur le coût de l'accord. Au cours d'une dernière phase de négociations tendues, menée sous l'épée de Damoclès d'un préavis de grève, le précédent gouvernement a fini par accepter une rallonge de plusieurs dizaines de millions d'euros afin que le protocole soit signé par une majorité syndicale.
D'après les éléments que j'ai pu recueillir, les augmentations de dépenses de personnel pérennes prévues par cet accord devraient avoisiner à terme les 100 millions d'euros, contre 30 millions d'euros ou 40 millions d'euros en moyenne pour les protocoles précédents. À la différence des précédents, le dernier protocole en date, certes coûteux, présente néanmoins l'avantage de s'inscrire dans une logique de « donnant-donnant », qui comprend cette fois des objectifs de performance. La stratégie de navigation aérienne a été revue en profondeur et des dossiers difficiles touchant au quotidien et au vécu des contrôleurs ont été ouverts, sur l'organisation et le temps de travail, sur le raccourcissement de la durée de formation ou encore sur la restructuration du réseau. Les réformes doivent maintenant être menées et les deux réunions du comité de suivi du protocole qui ont lieu chaque année doivent permettre d'y veiller.
Je ne suis ni un thuriféraire de la pratique des protocoles sociaux à la DGAC ni un procureur. J'essaye d'être pragmatique. La priorité est l'amélioration de la performance du contrôle aérien. Cette dernière ne peut se faire que dans un cadre négocié et, j'ajoute, que dans un cadre environnemental. L'objectif est en effet de faire voler des avions dans de bonnes conditions, mais aussi de réduire les émissions de CO2.
Dans le contexte propre à la DGAC, je suis arrivé à la conclusion que le protocole 2023-2027 était sans doute la moins mauvaise des solutions. Malgré son coût, il doit en effet permettre de réaliser des changements à cadre constant. Le système interne de la DGAC est complexe : en quelque sorte, la DGAC se contrôle elle-même. Elle dispose d'une direction de contrôleurs, d'une direction du transport aérien censée analyser la performance, qui est au fond peu critique - nous n'en serions pas là sinon - et, enfin, d'une direction qui vérifie les procédures de sécurité des contrôleurs. Cette organisation ne garantit ni l'indépendance ni l'autonomie de chacune des directions.
L'arrêt des négociations du protocole aurait été le plus mauvais des scénarios. Je n'ai pas compris que le Gouvernement tarde à le conclure, ce qui a déclenché une grève. L'accord ayant été trouvé trop tard, les passagers ont subi des déboires.
Il faudra impérativement procéder à une évaluation claire de l'efficience du nouveau protocole, qui sera menée de manière indépendante. En effet, quelle que soit la grande rigueur de la DGAC et la qualité de ses personnels et de sa direction, le fait qu'elle continue de s'évaluer elle-même rendrait dubitatif.
Néanmoins, la pratique des protocoles a fait son temps et il faudrait sans doute engager une réforme structurelle plus ambitieuse, en négociant avec les personnels, afin d'améliorer le cadre dans lequel ils travaillent, de moderniser le contrôle aérien et de mieux prendre en compte les conditions environnementales.
À court terme, il faudrait assurer la transparence et la visibilité sur les engagements de performance du contrôle aérien, via un dispositif contractuel. Les compagnies en ont besoin et c'est également une nécessité du point de vue environnemental. À plus long terme, il conviendrait de mener une réforme plus profonde de l'organisation du contrôle aérien, qui diverge en France de celle d'autres pays comparables. En effet, la DSNA n'est pas une entité juridique distincte de l'État, mais un simple service de la DGAC. Or, les enjeux sociaux, politique et économiques sont tels que le cabinet du Premier ministre finit par être contraint de se pencher sur des détails d'organisation. Une DSNA plus autonome serait donc préférable. Cela irait dans l'intérêt non seulement du contrôle aérien, mais aussi des contrôleurs eux-mêmes, dont les particularités seraient mieux reconnues. En outre, la DGAC pourrait se concentrer sur ses missions régaliennes.
Cette réforme d'ampleur doit être menée avec prudence. Je recommande la création d'une commission temporaire qui rassemblerait l'ensemble des parties prenantes.
M. Jean-François Husson, rapporteur général. - Je souscris aux recommandations du rapporteur spécial, qui ont l'avantage de ne pas entraîner de coûts supplémentaires et d'être en nombre limité. Il est temps, en effet, de franchir le pas pour mener une réforme structurelle.
Augustin de Romanet, que nous avions entendu en audition au début de la crise sanitaire, prévoyait qu'il serait difficile pour le transport aérien de retrouver son rythme habituel avant 2025. Cela n'a pas été le cas, puisque la situation a été rétablie dès 2023.
M. Michel Canévet. - Je remercie le rapporteur spécial pour la qualité de son suivi. La médiocre performance de la DGAC nous désole, mais les propositions que nous venons d'entendre nous rassurent.
Le coût du protocole est estimé à 100 millions d'euros. Mais quel est l'ordre de grandeur de la masse salariale ? L'information nous permettrait d'évaluer l'évolution du coût.
Lorsque des protocoles sont signés, s'appliquent-ils forcément à l'ensemble des personnels de la DGAC ou bien n'y a-t-il que celui de la DSNA qui bénéficie, en l'occurrence, d'une revalorisation catégorielle significative ?
Le nouveau protocole prévoit une rationalisation de la carte des implantations du contrôle aérien en France. Or il faut veiller à ne pas déshabiller les territoires où se trouvent des installations aéroportuaires et y maintenir le personnel nécessaire pour assurer leur maintenance. En effet, les aléas climatiques font que tout ne peut pas être centralisé. Ainsi, à Brest, l'aéroport a dû rester fermé pendant plusieurs jours, à cause de deux pannes successives pour lesquelles il a fallu faire venir du personnel de maintenance de Rennes et de Paris.
Enfin, la recommandation d'envisager une réforme structurelle est pertinente. Ne faudrait-il pas la mettre en oeuvre très rapidement, dès le prochain projet de loi de finances ?
M. Marc Laménie. - Le rapporteur spécial a mené un travail d'investigation remarquable. En 2022, nous nous étions rendus sur le site de Roissy pour rencontrer des représentants du groupe ADP. Quelles interactions y a-t-il entre ce groupe et l'ensemble des acteurs de l'aviation civile, que ce soit dans les grands aéroports comme Roissy ou Orly, ou dans d'autres plus petits ? Un rapport d'information de 2018 avait déjà mis en évidence les dysfonctionnements de la DGAC.
De plus, combien d'emplois relèvent du contrôle aérien ?
Enfin, quelle forme juridique prendrait l'entité indépendante de la DSNA que vous proposez de créer ? S'agira-t-il d'une autorité administrative indépendante ?
M. Pascal Savoldelli. - Nous avons récemment examiné une proposition de loi visant à introduire une déclaration préalable chez les contrôleurs aériens. Je reste dubitatif sur les propositions qui viennent de nous être faites et je m'abstiendrai sur ce rapport. Certes, il faut légiférer, mais l'obligation de déclaration préalable individuelle a été instaurée sans que l'on diminue les conditions du service minimum. Le protocole social n'est que modestement encouragé alors que des questions d'organisation et de management sont posées.
Il faudrait aussi tenir compte de la recomposition de la représentativité syndicale des contrôleurs aériens, car elle fait varier les valeurs et les principes défendus.
M. Vincent Capo-Canellas, rapporteur spécial. - Monsieur le rapporteur général, merci d'avoir rappelé qu'il faudrait déterminer le moment pour franchir le pas d'une réforme structurelle. Celle-ci ne pourra se faire que dans le dialogue social. En effet, les contrôleurs aériens ont le pouvoir d'arrêter le trafic, de sorte que les gouvernements successifs ont souvent été tétanisés.
Le coût du nouveau protocole n'a jamais été clairement établi, estimé à 70 millions d'euros selon la presse, alors qu'il est en réalité de 100 millions d'euros. Les salaires de nos contrôleurs aériens sont dans la moyenne, mais n'atteignent pas ceux qui se pratiquent dans les pays où le trafic aérien est plus important. Toute réforme est à prendre avec une infinie prudence et doit être envisagée dans le cadre du dialogue social.
Monsieur Savoldelli, un décret en Conseil d'État doit confirmer que les conditions du service minimum ont été abaissées. La DGAC a déjà mis cela en pratique ; il reste à l'inscrire dans les textes. C'est du moins ce que prévoit la loi du 28 décembre 2023.
Monsieur le rapporteur général, le trafic intérieur a fortement diminué et la France a réduit le nombre de ses liaisons. Certes, le trafic est reparti sur les moyens et longs courriers, mais la place de Paris connaît un problème de compétitivité.
Monsieur Canévet, le coût du protocole est de 100 millions d'euros et la masse salariale représente 1,2 milliard d'euros. Les compagnies aériennes paieront, mais le coût finira par se reporter sur les passagers. En Europe, la redevance n'est pas très élevée. Toutefois, les compagnies ne peuvent pas fournir un effort financier sans obtenir une garantie sur le service assuré.
Les protocoles concernent en général l'ensemble des personnels de la DGAC. Le seul protocole limité aux contrôleurs du ciel a résulté de l'échec de la négociation globale. Désormais, la loi permet des protocoles sociaux à l'échelle des administrations, de sorte que cette situation ne devrait pas se répéter.
En effet, la DGAC discute d'abord avec les contrôleurs du ciel. Or, bien que ces derniers représentent 60 % du personnel de navigation aérienne, ils ne représentent que 28 % à 30 % du personnel de la DGAC, donc il faut d'autres signataires à un accord. Il convient alors de se tourner vers les autres syndicats, qui représentent plutôt les autres types de personnel, et on leur accorde également des contreparties salariales, alors même qu'ils sont moins concernés par les évolutions négociées. C'est ainsi que les agents de la DGAC sont payés plus que ceux des autres directions générales.
En ce qui concerne la rationalisation, vous avez raison, monsieur Canévet, d'attirer notre attention sur le volet territorial. À ce jour, il existe trente centres d'approches différents ; c'est beaucoup. On peut donc sans doute les centraliser, afin qu'ils soient mieux organisés, mieux dotés en personnel, plus robustes techniquement et plus faciles à moderniser. Le principal problème réside dans les tours de contrôle relevant de la DGAC ; 80 tours, c'est énorme. Sachant que l'on peut en moderniser deux par an, il faudrait quarante ans pour les moderniser toutes, ce qui signifie qu'elles seraient toutes devenues obsolètes entre-temps. Ce sujet doit être négocié avec les collectivités, pour déterminer les services offerts et les modalités prévues, comme les services de type Aerodrome Flight Information Service (Afis) ou les primes de déplacement pour les contrôleurs. Ce sera très difficile, mais c'est nécessaire, car, sans cela, nous n'aurons que des tours obsolètes. Il existe déjà de nombreuses bizarreries, comme des systèmes fonctionnant encore avec des disquettes informatiques. La DGAC a enfin mis en avant le problème de rationalisation des tours.
Vous soulevez également la question de la grande panne de Brest ; à ma connaissance, les enseignements en ont été tirés. On a ainsi rationalisé les services et organisé une projection d'équipes de bon niveau quand ce type de panne se produit.
Monsieur Laménie, vous me demandez comment la DGAC et la DSNA travaillent avec les acteurs aéroportuaires. Leurs actions sont très imbriquées, mais les aéroports et les compagnies pointent un problème de visibilité. La descente continue, évoquée pour la région parisienne, la ponctualité ou encore la gestion des avions au sol supposent une vision à quinze ans. Les compagnies paient des redevances, les aéroports utilisent des services, mais aucun n'a réellement voix au chapitre. Le client final aimerait disposer d'un espace de discussion et ne pas se contenter de payer. Ce point reste donc à améliorer, dans la lignée des efforts déjà réalisés.
La DSNA compte 3 400 contrôleurs.
Vous me demandez en outre s'il faudrait créer une autorité administrative indépendante. Je ne le pense pas, mais le fait que la DGAC se contrôle et vérifie ses procédures de sécurité elle-même n'est pas sain. Si cela avait permis à la DGAC et à la DSNA de se moderniser, on s'en satisferait, mais ce n'est pas le cas. Nous avons eu la chance d'avoir, à la tête de la DGAC et de la DSNA deux directeurs modernisateurs, qui ont avancé dans le dialogue, mais ce ne sera pas toujours le cas et c'est en outre éreintant : ils ont conclu un protocole, mais maintenant tout commence, il faut le mettre en oeuvre. Par conséquent, si l'on ne dynamise pas le système pour vérifier la performance, nous aurons un problème. Pour ma part, je pense que la DGAC doit avoir un rôle régalien, réguler, vérifier les procédures. Si l'on ne s'y prend pas ainsi, tôt ou tard, nous aurons une autorité administrative indépendante...
Monsieur Savoldelli, sur le dialogue social et le service minimum, j'ai répondu. Je crois beaucoup au dialogue social, les choses ne peuvent évoluer qu'en discutant avec les syndicats. Je connais relativement bien ces derniers et je me permets parfois de jeter un pavé dans la mare, sinon on va au-devant de difficultés importantes.
M. Claude Raynal, président. - Je vous remercie de cette communication, monsieur le rapporteur spécial.
La commission adopte les recommandations du rapporteur spécial et autorise la publication de sa communication sous la forme d'un rapport d'information.
Proposition de loi visant à assurer l'équilibre du régime d'indemnisation des catastrophes naturelles - Désignation d'un rapporteur
La commission désigne M. Jean-François Rapin rapporteur sur la proposition de loi n° 612 (2023-2024) visant à assurer l'équilibre du régime d'indemnisation des catastrophes naturelles.
La réunion est close à 12 h 30.