Mercredi 2 octobre 2024
- Présidence de M. Laurent Lafon, président -
La réunion est ouverte à 9 heures 35.
Contrats d'objectifs et de moyens des sociétés de l'audiovisuel public - Désignation d'un rapporteur
M. Laurent Lafon, président. - Mes chers collègues, avant d'entendre nos rapporteurs nous présenter leurs conclusions sur la mission consacrée à la francophonie, je vous propose de désigner un rapporteur pour avis sur les projets de contrats d'objectifs et de moyens des sociétés de l'audiovisuel public.
Ces projets de contrats d'objectifs et de moyens (COM) nous ont en effet été transmis par le Premier ministre en application de l'article 53 de la loi du 30 septembre 1986, ce qui nous laisse six semaines à compter du début de la session ordinaire pour les analyser et définir notre position à leur endroit.
Je vous propose de confier ce travail à Cédric Vial et de mettre ces projets d'avenants sur l'application Demeter à l'issue de la réunion, afin que chacun puisse en prendre connaissance.
La commission désigne M. Cédric Vial rapporteur sur les projets de COM des sociétés de l'audiovisuel public.
Mission d'information consacrée à la situation de la francophonie à l'aube du 30ème anniversaire de la loi Toubon - Examen du rapport et vote sur les recommandations
M. Laurent Lafon, président. - Notre ordre du jour appelle à présent l'examen du rapport préparé par Catherine Belrhiti, Yan Chantrel et Pierre-Antoine Levi consacré à la francophonie, quelques semaines après le trentième anniversaire de la loi Toubon, promulguée le 4 août 1994, et à quelques jours du Sommet de la Francophonie.
Je vous propose de donner immédiatement la parole à nos rapporteurs pour nous présenter le résultat de leurs travaux et leurs recommandations.
M. Yan Chantrel, rapporteur. - Monsieur le président, mes chers collègues, l'année 2024 est ponctuée de temps forts et inédits pour la langue française : l'organisation des jeux Olympiques et Paralympiques cet été ; la célébration des trente ans de la loi Toubon le 4 août dernier ; la tenue du XIXe Sommet de la Francophonie les 4 et 5 octobre prochains à Villers-Cotterêts - le premier à se tenir en France depuis 33 ans.
Dans ce contexte d'« effervescence francophone », pour reprendre une expression entendue lors d'une de nos auditions, il était logique que notre commission s'empare du sujet de la langue française et de son rayonnement, qu'elle n'avait pas retravaillé depuis la publication, en 2017, du rapport d'information de nos prédécesseurs Claudine Lepage et Louis Duvernois sur la francophonie du XXIe siècle.
Notre mission avait donc pour objectif premier de faire une saisie sur le vif de l'état de la francophonie et de formuler des recommandations en vue du prochain sommet, qui, précisons-le, réunira les représentants de près d'une centaine d'États.
Notre second objectif était de dresser un état des lieux de l'application de la loi Toubon et d'identifier les voies d'évolution de ce cadre fondateur. Il ne peut en effet y avoir de politique de la langue française à l'international sans politique de la langue en France ; les deux dimensions sont intimement liées.
Commençons tout d'abord par un rapide panorama chiffré et illustré des usages de la langue française dans le monde : le français est parlé sur tous les continents par environ 321 millions de personnes, ce qui en fait la cinquième langue la plus parlée au monde ; le français est la deuxième langue la plus apprise à l'international, 90 millions d'élèves suivant leur scolarité en français et 50 millions de personnes apprenant le français comme langue étrangère (FLE) ; le français est aussi la deuxième langue d'information internationale et la deuxième langue de travail officielle dans les organisations internationales ; le français est enfin une langue du numérique, puisqu'elle se situe en quatrième position en matière de contenus et en deuxième position parmi les langues utilisées par les internautes.
Ces chiffres révèlent un état général de la langue française que nous qualifions de plutôt bon, diagnostic partagé par les acteurs de la francophonie que nous avons auditionnés. La croissance du français à l'international se poursuit en effet à un rythme satisfaisant, avec + 8 % de locuteurs entre 2018 et 2022. Il faut toutefois noter un léger infléchissement par rapport à la période précédente 2014-2018, au cours de laquelle le nombre de francophones avait augmenté de 10 %. Ce léger ralentissement oblige, selon nous, à être vigilant sur les conditions nécessaires à la progression du français, notamment dans les pays où il n'est pas la langue première.
Cette remarque nous conduit à nous arrêter quelques instants sur le continent africain, qui porte le dynamisme de la langue française depuis une dizaine d'années.
Aujourd'hui, 60 % des locuteurs quotidiens du français vivent en Afrique et, parmi eux, plus de 47 % en Afrique subsaharienne. C'est dans cette zone géographique que l'augmentation du nombre de francophones a été la plus importante ces dernières années. Ces francophones subsahariens sont très majoritairement des jeunes et représentent, de fait, une potentialité de croissance forte pour la francophonie. La vitalité démographique africaine explique d'ailleurs les prévisions du nombre de francophones d'ici à 2050, estimé par l'Organisation internationale de la Francophonie (OIF) à 715 millions d'individus. À cet horizon, près de 90 % de la jeunesse francophone serait africaine.
Nous pensons toutefois que ces projections optimistes mériteraient d'être modérées par la prise en compte de l'évolution du contexte géopolitique en Afrique de l'Ouest, où plusieurs récentes prises de pouvoir par des militaires se sont déroulées dans un climat général anti-France très marqué, qui pourrait, à terme, fragiliser l'usage de la langue française.
La pratique du français en Afrique est aussi caractérisée par le fait que les francophones sont majoritairement plurilingues et que le français est rarement leur première langue. Dans le monde du travail, la langue française continue d'être très présente, voire est la langue principale, mais dans la sphère familiale et la vie quotidienne, ce sont les langues africaines qui sont prioritairement parlées. La langue française est d'ailleurs perçue, par ses locuteurs africains non natifs, essentiellement comme un outil fonctionnel. Cette approche pragmatique du français nous montre que sa promotion est fortement liée à notre capacité à valoriser les opportunités que sa maîtrise offre, dans le respect d'une pratique plurilingue. Nous y reviendrons un peu plus loin.
Mme Catherine Belrhiti, rapporteure. - Cette réalité plurilingue nous offre l'occasion de rappeler avec conviction, mes chers collègues, que la francophonie n'est pas la promotion de la langue française au détriment des autres langues, mais bien une démarche d'ouverture et d'enrichissement au contact de celles-ci, qui s'inscrit dans la tradition humaniste de la France. Francophonie et multilinguisme vont de pair : le rayonnement du français ne peut être assuré que dans le respect de la diversité linguistique, à l'international et en France. À ce stade de notre exposé, une précision sémantique s'impose : le plurilinguisme traduit la capacité d'une personne à parler plusieurs langues, tandis que le multilinguisme caractérise la coexistence de plusieurs langues au sein d'une même société.
Dans notre rapport, nous alertons sur la dérive vers un monolinguisme anglophone dans les organisations internationales, alors que celles-ci devraient être les fers de lance du plurilinguisme linguistique. Même lorsque le français est officiellement langue de travail, l'anglais reste la langue privilégiée. Tel est le cas, par exemple, à l'Organisation des Nations Unies (ONU), où la quasi-totalité des documents du secrétariat général est disponible en anglais, contre seulement 16 % en français.
Le constat est tout aussi alarmant concernant les institutions européennes. Les documents ayant pour langue-source le français ne représentent que 2 % des documents du Conseil, 3,7 % de ceux de la Commission européenne - contre 40 % en 1997 ! -, et 11,7 % de ceux du Parlement européen. Bien que la France ait porté le sujet du multilinguisme lors de sa présidence en 2022, la situation n'a guère progressé depuis. Aussi, nous pensons qu'une stratégie plus offensive pour défendre le français comme langue de travail des institutions européennes est nécessaire, en lien avec nos partenaires francophones européens. Tel est le sens de notre première recommandation.
Le multilinguisme est aussi une valeur à défendre à l'échelon national. Avec ses 75 « langues de France », dont une majorité de langues régionales, notre pays se caractérise par une diversité linguistique, à laquelle la loi du 21 mai 2021 relative à la protection patrimoniale des langues régionales et à leur promotion, dite loi Molac, a apporté une protection au titre du patrimoine immatériel.
Notre deuxième recommandation rappelle que cette disposition oblige l'État et les collectivités territoriales à concourir, dans le cadre d'un dialogue apaisé et constructif, à la promotion de ces langues.
Après ce rappel en forme de plaidoyer sur le multilinguisme, nous avons choisi d'identifier et d'approfondir trois grands défis de la francophonie - il y en aurait beaucoup d'autres -, qui se rapportent à des secteurs de compétence de notre commission.
Le premier est la garantie des conditions d'enseignement du et en français dans le monde, le deuxième la valorisation du français comme langue des études supérieures et de la recherche, le troisième le renforcement de la présence du français dans l'écosystème numérique.
Avec près de 140 millions de personnes dont c'est la langue de scolarisation (apprenants en français) ou la langue vivante étrangère (apprenants de français), le français fait l'objet d'une véritable soif d'apprentissage. Pour répondre à cette demande de français à travers le monde, les effectifs et la formation des personnels enseignants de et en français sont un enjeu central. En effet, sans enseignants en nombre suffisant et bien formés, l'apprentissage du français via un enseignement de qualité ne peut être garanti.
Or le manque d'enseignants en et de français, toutes zones géographiques confondues, a été unanimement pointé par les acteurs de la francophonie avec qui nous avons échangé. Remédier à cette pénurie constitue, aux yeux de tous, l'un des défis les plus urgents que la francophonie doit relever.
Les besoins de recrutement concernent d'abord notre réseau d'enseignement français à l'étranger dont, vous le savez, le Président de la République souhaite doubler les effectifs d'ici à 2030. Pour atteindre la cible des 700 000 élèves scolarisés, 25 000 enseignants supplémentaires sont nécessaires, besoin qu'il est impossible de combler par le seul recrutement de personnels détachés de l'Éducation nationale, cette dernière étant elle-même confrontée à une importante pénurie d'enseignants. L'autre levier consiste donc à recruter davantage de personnels locaux, en veillant à leur délivrer une formation permettant de préserver la qualité de l'enseignement « à la française », véritable atout du réseau reconnu internationalement. Ce point de vigilance est rappelé, depuis plusieurs exercices budgétaires, par notre rapporteur pour avis des crédits de l'action culturelle extérieure. Nous-mêmes serons attentifs à ce que, dans le prochain budget, le recrutement et la formation des personnels locaux ne fassent pas office de variable d'ajustement.
La pénurie d'enseignants concerne aussi les systèmes éducatifs de nos partenaires francophones qui sont parfois contraints, faute de candidats, de recruter des personnels « faisant fonction », dont le niveau de formation laisse à désirer. En plus de compromettre la qualité de l'enseignement en français, cette crise du recrutement attise la compétition entre pays francophones pour capter la ressource enseignante disponible.
Les vacances de postes sont particulièrement nombreuses chez les enseignants de FLE. Leurs conditions de travail globalement très précaires découragent les vocations : 30 % de ces professeurs décrochent après seulement quelques années d'exercice.
Compte tenu de ce tableau assez sombre, nous proposons que la revalorisation du métier d'enseignant de et en français soit définie comme grande cause de la francophonie. L'objectif est d'inciter les États et gouvernements francophones à passer à la vitesse supérieure : à l'échelon national, en investissant dans les politiques de recrutement et de formation initiale des enseignants, en développant leur formation continue, en revalorisant leur statut, en accompagnant davantage les jeunes professeurs ; à l'échelon de l'espace francophone, en établissant des accords de coopération en faveur de la formation et de la mobilité des enseignants.
M. Yan Chantrel, rapporteur. - Garantir l'apprentissage du français dans le monde passe aussi par le soutien à notre réseau culturel, qui joue un rôle essentiel dans l'attractivité de notre langue. Fortement ébranlés par la crise sanitaire puis la crise inflationniste, les instituts culturels et les alliances françaises ont su faire preuve de résilience et d'adaptation pour repenser leur offre linguistique et culturelle.
Leur situation financière restant globalement très fragile, le ministère de l'Europe et des affaires étrangères a enclenché, cette année, un réarmement budgétaire, que nous appelons à poursuivre. Toutefois, compte tenu du contexte budgétaire actuel, nous proposons qu'une réflexion soit menée sur l'ouverture de notre réseau culturel aux autres pays francophones, aussi bien dans ses actions, son pilotage que dans son financement : il s'agit, autrement dit, de mettre nos forces francophones en commun. Une telle démarche de mutualisation avait déjà été suggérée par notre commission en 2017, sans qu'il y soit donné suite.
Le deuxième grand défi de la francophonie que nous identifions est la valorisation du français comme langue des études supérieures et de la recherche.
L'apprentissage du français est, bien sûr, toujours motivé par le souhait de mieux accéder à la culture française mais, dans certains pays, africains notamment, et chez les jeunes générations, la langue française est d'abord appréhendée sous le sceau du pragmatisme. Lors de son audition, la présidente de l'Institut français nous a ainsi raconté un échange qu'elle a eu avec un jeune francophone du Bénin, au cours duquel celui-ci lui a demandé : « le français, pour quoi faire ? ». Cette question résume très bien ce qui est aujourd'hui attendu de la maîtrise de la langue française : des opportunités pour faire des études supérieures, des facilités pour obtenir un stage, des perspectives pour accéder à la sphère professionnelle, etc.
Faire du français un atout pour le parcours de vie doit donc, selon nous, être l'une des lignes directrices de la francophonie des prochaines années.
Concrètement, il nous faut collectivement mieux exploiter les potentialités qu'offre l'espace francophone dans le domaine de l'enseignement supérieur et nous doter d'une stratégie francophone en faveur de la mobilité étudiante. C'est pourquoi nous préconisons, comme l'avaient fait nos prédécesseurs en 2017, la création d'un programme de mobilité étudiante au sein de l'espace francophone, inspiré du modèle européen Erasmus, lequel a contribué à renforcer le sentiment d'appartenance à l'espace européen.
Lors de l'audition de l'Agence universitaire de la francophonie (AUF), nous avons eu la satisfaction d'apprendre que la France présenterait, à l'occasion du prochain sommet, un projet s'en rapprochant. Celui-ci s'adresserait, dans un premier temps, à des étudiants en master et doctorat pour de courts séjours d'étude ou de recherche, d'un à quatre mois. Le dispositif reposerait sur des partenariats et bourses d'échanges entre universités francophones et serait co-financé par les pays francophones.
Nous apportons tout notre soutien à cette initiative, dont nous espérons qu'elle pourra rapidement se concrétiser à l'issue du sommet. Nous pensons également que la mise en oeuvre d'un tel programme de mobilité implique de faciliter l'obtention d'un visa francophone aux étudiants éligibles, dans un nécessaire souci de simplification des démarches.
À l'échelon non plus de l'espace francophone, mais de la France, il est intéressant de noter que 50 % des étudiants étrangers accueillis sont originaires d'un pays francophone, ce qui témoigne du fort potentiel francophone de nos établissements d'enseignement supérieur. Le président de France Universités nous a d'ailleurs dit souhaiter que les universités deviennent des fers de lance de la francophonie.
Qui dit mobilité des étudiants francophones dit aussi mobilité des jeunes chercheurs francophones.
Malgré sa place centrale dans l'histoire des idées et des sciences, la France n'est plus perçue, dans le contexte concurrentiel mondial, comme une nation de science de premier rang. Illustration de ce constat, l'attractivité des formations doctorales françaises, portes d'entrée vers la recherche, est en recul : entre 2017 et 2022, le nombre d'étudiants étrangers en doctorat dans les universités françaises a diminué de 15 %.
La mobilité des doctorants, et plus globalement celle des jeunes chercheurs, joue pourtant un rôle crucial à plusieurs niveaux : sur le plan professionnel, elle permet d'enrichir la formation des intéressés et d'augmenter la visibilité de leurs travaux ; sur le plan institutionnel, elle a des retombées positives pour les établissements en termes d'attractivité à l'international ; sur le plan scientifique, elle constitue un puissant levier pour favoriser la diffusion des connaissances.
Nous appelons donc à faire de la mobilité des jeunes chercheurs au sein de l'espace francophone un enjeu du prochain sommet. Plusieurs axes d'action sont envisageables : lever les obstacles administratifs et financiers qui freinent aujourd'hui cette mobilité ; mettre en place des mécanismes plus flexibles et incitatifs, tels que des bourses, des partenariats institutionnels renforcés, des programmes de recherche conjoints.
Ces recommandations sur la recherche francophone nous conduisent inévitablement à nous poser la question de l'avenir du savoir scientifique en langue française. En effet, depuis une vingtaine d'années, la diffusion du savoir en français recule dans le monde, y compris dans les pays francophones. L'anglais est devenu la lingua franca des sciences naturelles et gagne de plus en plus de terrain au sein même des sciences sociales et humaines, traditionnellement plus portées sur le multilinguisme.
Cette prédominance de l'anglais scientifique est entretenue par l'incitation, voire l'injonction faite aux chercheurs à publier en anglais pour accroître la visibilité de leurs recherches et améliorer l'évaluation de leur production scientifique.
À plusieurs occasions ces dernières années, notre commission a pointé les dangers du monolinguisme dans les sciences et plaidé pour favoriser l'usage du français comme langue de la recherche. Nous réaffirmons avec force cette position en appelant à valoriser la production scientifique en français, notamment dans le cadre de l'évaluation des chercheurs. L'un des leviers d'action consisterait à rendre la publication scientifique directement en anglais moins incitative et à tenir davantage compte des publications en français.
Au sein de l'espace francophone, il nous faut soutenir les réflexions et initiatives en cours sur « la francophonie scientifique », comprise comme un espace scientifique à développer autour de la langue française, en nous appuyant sur la diversité et le dynamisme de la recherche francophone.
M. Pierre-Antoine Levi, rapporteur. - Mes chers collègues, le troisième défi de la francophonie du XXIe siècle est de faire du français une grande langue du numérique.
Certes, l'anglais continue de dominer dans ce secteur, notamment pour des raisons historiques, mais sa place se restreint progressivement depuis une dizaine d'années, sous l'effet de l'arrivée massive d'internautes pratiquant d'autres langues. Dans ce contexte de repositionnement des langues sur Internet, le français occupe une position plutôt favorable, qui devrait mécaniquement s'améliorer avec la venue de nouveaux internautes francophones en provenance d'Afrique.
Un tel scenario suppose toutefois que la fracture numérique, encore très prononcée sur ce continent, se réduise. C'est pourquoi nous appelons les pays francophones à faire de la lutte contre la fracture numérique un levier essentiel d'action pour développer l'usage du français sur internet.
Pour valoriser la langue française et la diversité des expressions francophones dans un espace numérique encore très anglophone, un autre grand enjeu consiste à améliorer la découvrabilité des contenus francophones.
De quoi s'agit-il ? Ce concept, né et développé au Québec, désigne la capacité d'un contenu - culturel, scientifique, juridique, économique... - disponible en ligne à être facilement repérable ou trouvable parmi un vaste ensemble d'autres contenus, notamment par une personne qui n'en faisait pas forcément la recherche. Deux secteurs sont particulièrement concernés par cette problématique : la culture et la science.
Malgré leur grande diversité, les contenus culturels et artistiques francophones sont insuffisamment présents et accessibles sur la toile. En effet, par l'intermédiaire des algorithmes de recherche qu'elles éditent, les grandes plateformes numériques anglo-saxonnes interviennent directement dans la mise en avant de contenus, selon des objectifs qui ne sont pas forcément ceux de la promotion de la diversité des expressions culturelles et linguistiques.
Conscients de la menace que de telles pratiques représentent pour la pérennité des industries culturelles francophones, le Québec et la France collaborent activement depuis quelques années sur cette question. Les deux pays ont ainsi défini en 2020 une stratégie commune en douze objectifs pour améliorer la découvrabilité des contenus culturels francophones. Nous estimons que cette collaboration franco-québécoise constitue un cadre d'action particulièrement prometteur qui mériterait de faire école au sein de la francophonie, pour décupler nos forces, notamment face aux Gafam.
La science est l'autre grand secteur concerné par le sujet, l'édition scientifique étant elle aussi très largement dominée par les acteurs anglo-saxons.
Favoriser la découvrabilité des contenus scientifiques francophones suppose de travailler à la fois sur le référencement de la production scientifique en français, sur l'émergence d'espaces éditoriaux numériques francophones, sur les conditions de mise en oeuvre d'une science ouverte équilibrée, comme l'a recommandé l'Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques (Opecst), ainsi que sur l'utilisation des outils de traduction automatique.
Dans ce domaine aussi, le Québec et la France font figure de précurseurs. Le 14 mai dernier, les deux pays ont en effet signé un partenariat sur la découvrabilité des contenus scientifiques francophones. Nous nous félicitons de cette initiative bilatérale, que nous pensons devoir être élargie à l'ensemble des partenaires francophones : la politique de découvrabilité des contenus francophones sera d'autant plus efficace qu'elle émanera d'une coopération intergouvernementale plus large.
Abordons, enfin, la loi du 4 août 1994, dite loi Toubon, dont il nous paraissait important de dresser un état des lieux, alors que ce texte fondateur vient tout juste de fêter son trentième anniversaire.
Posant dès son article premier le principe selon lequel le français est « la langue de l'enseignement, du travail, des échanges et des services publics » et « le lien privilégié des États constituant la communauté de la francophonie », les dispositions de ce texte ont, lors de son adoption, fait l'objet d'un large consensus qui a transcendé les sensibilités politiques.
Aujourd'hui encore, la loi Toubon touche à de multiples aspects de notre quotidien de par son champ d'application particulièrement large, qu'il s'agisse du monde du travail, de l'audiovisuel, de l'enseignement supérieur et de la recherche ou encore de la publicité.
Elle assure ainsi la sécurité du consommateur comme du salarié en imposant un accès à l'information en français et garantit l'intelligibilité des annonces et affichages dans l'espace public, tout en permettant un accès égalitaire au savoir, à la culture et aux loisirs.
Depuis trente ans, cette loi incarne donc, à bien des égards, la volonté de préserver le riche patrimoine linguistique de notre pays et constitue un socle juridique essentiel pour la défense et la valorisation de la langue française.
Toutefois, sa mise en application présente aussi un certain nombre de limites, dans un contexte marqué notamment par la mondialisation des échanges et la multiplication des potentialités offertes par le numérique.
Au fil des auditions que nous avons menées, nous avons identifié quatre limites qui méritent d'être analysées.
La première tient au fait que la loi est insuffisamment appliquée et contrôlée. Malgré la mise en place d'un régime de sanctions et de diverses modalités de contrôle, les poursuites pénales et administratives sont bien souvent insuffisantes. Force est, par exemple, de constater que les autorités de régulation ne disposent pas toujours des leviers juridiques suffisants pour faire appliquer la loi. Les associations de défense de la langue française manquent, quant à elles, considérablement de moyens pour agir en justice. Ainsi, la plupart des actions engagées ont du mal à aboutir : les recours administratifs sont souvent infructueux et les poursuites pénales sont régulièrement classées sans suite.
Pour pallier ces manquements, nous avons formulé plusieurs recommandations : assurer l'effectivité des poursuites pénales et administratives en cas d'infraction à la loi ; consolider le rôle de pilotage interministériel de la Délégation générale à la langue française et aux langues de France (DGLFLF), et, pour aller plus loin, ouvrir une éventuelle réflexion sur le renforcement des missions de la DGLFLF en s'inspirant du modèle de l'Office québécois de la langue française (OQLF).
Par ailleurs, et alors que le nombre d'infractions relevées parmi les actions des administrations ne cesse de croître, le dispositif de veille au sein même des services de l'État nous semble encore trop limité. Là encore, les hauts fonctionnaires chargés de la langue française au sein des ministères manquent de moyens pour sensibiliser les directions centrales aux enjeux de préservation de la langue française.
Enfin, la quasi-totalité des personnalités que nous avons auditionnées ont dit leur inquiétude sur la prolifération de l'anglais et du franglais au sein même de la sphère publique. Du concept One Health du ministère de la santé au pass Navigo easy de la RATP, les exemples ne manquent pas pour illustrer le recours croissant aux slogans en termes anglais dans la communication de l'État, des collectivités territoriales et des entreprises publiques. Cette multiplication des anglicismes dans la sphère publique est d'autant plus préoccupante qu'il nous semble que les responsables publics devraient, au contraire, faire figure d'exemple dans la protection de la richesse de notre langue. Aussi, nous préconisons d'encourager davantage les acteurs publics à faire preuve d'exemplarité en matière d'usage du français. Dans cette perspective, nous recommandons également d'ajouter un article au texte afin de renforcer l'emploi du français dans les services publics nationaux et locaux.
Une deuxième limite tient à la méconnaissance des dispositions de la loi Toubon par les acteurs tant publics que privés. Cette méconnaissance étant la première cause de son non-respect, nous encourageons les pouvoirs publics à développer des mesures pédagogiques et d'accompagnement pour mieux faire connaître la législation en vigueur.
La troisième limite est liée aux lacunes juridiques et rédactionnelles de la loi, qui expliquent la mauvaise compréhension qu'elle suscite souvent. Elle comporte ainsi des dispositions qui interfèrent avec d'autres principes et corpus juridiques comme la liberté d'expression, la liberté d'entreprendre ou le droit de la propriété intellectuelle. Ces frictions conduisent bien souvent à exonérer d'obligations linguistiques les slogans, les marques, les opérations commerciales ou publicitaires comme les « French Days », des événements culturels... Ces situations, qui se multiplient, sont particulièrement inquiétantes.
La loi comprend aussi des dispositions imprécises ou ambiguës, limitant sa portée et permettant ainsi aux acteurs, notamment privés, de profiter des failles du dispositif pour communiquer en langue étrangère, et notamment en anglais. Plus encore, certains supports ne sont pas inclus dans les dispositions de la loi ; elle ne traite pas, par exemple, de la publicité en ligne, mais seulement des supports écrits, oraux ou audiovisuels.
Enfin, la loi ne couvre pas entièrement les collectivités territoriales et la fonction publique hospitalière, altérant là encore sa correcte mise en oeuvre.
Une quatrième et dernière limite renvoie à l'ancienneté de la loi. La mondialisation et la numérisation ont encore accentué la diffusion de l'anglais, notamment via les médias sociaux, les plateformes de streaming ou les jeux vidéo. Au regard de ce contexte, la loi Toubon se retrouve en quelque sorte dépassée.
Si elle parvient à encadrer l'usage du français dans les domaines classiques, elle peine à s'appliquer dans ces nouveaux espaces numériques qui, par essence, sont transnationaux et peu régulés. Il nous paraît donc plus que jamais essentiel d'actualiser la loi au regard des nouveaux enjeux numériques et technologiques. Dans cet objectif, nous avons formulé une recommandation d'adaptation des articles 2 - consommation, publicité, audiovisuel - et 4 - espace public.
De la même façon, le texte prend insuffisamment en compte les évolutions du droit communautaire, survenues en nombre depuis 1994. Il est donc aujourd'hui indispensable d'expertiser la compatibilité de la loi avec le droit communautaire, afin d'assurer sa mise en oeuvre effective dans l'ensemble des secteurs couverts.
Voilà, mes chers collègues, les différentes recommandations que nous souhaitions soumettre à votre approbation au terme de nos travaux. Nous sommes bien sûr à votre disposition pour en débattre avec vous et répondre à l'ensemble de vos interrogations.
M. Pierre Ouzoulias. - Je remercie les rapporteurs pour la qualité exceptionnelle de ce rapport, très complet et ambitieux. Nous partageons totalement leur diagnostic : c'est pour nous une nécessité absolue de modifier la loi Toubon.
Je vous sais gré d'avoir consacré beaucoup d'attention à la recherche. Il s'agit d'un enjeu fondamental. La langue n'est pas un vecteur neutre, car elle dévoile une forme de pensée. Aussi, obliger nos chercheurs à publier en anglais entraîne un appauvrissement de leur discours scientifique. Il faut savoir que 80 % des thèses en sciences économiques sont actuellement publiées en anglais. D'autres disciplines sont en train de prendre le même chemin, mais ce sont les formes de l'évaluation scientifique qui privilégient aujourd'hui les supports en anglais, les revues anglo-saxonnes ayant le meilleur facteur d'impact.
Il y a en ce domaine conflit entre le ministère de l'enseignement supérieur et de la recherche et le ministère de la culture, lequel est systématiquement perdant. C'est déjà ce que nous avions dénoncé avec Laure Darcos. Aussi, je suis très favorable à votre recommandation visant à donner à la DGLFLF des pouvoirs supérieurs pour pouvoir imposer des normes aux différentes administrations. Je me demande si un rattachement au Premier ministre, un peu comme au Québec, ne permettrait pas de lui donner plus de poids dans l'interministériel, même si je sais que le délégué général à la francophonie n'y est pas favorable.
Pour terminer, je tiens à préciser que l'ordonnance de Villers-Cotterêts de 1539 n'excluait pas les langues maternelles régionales.
Mme Catherine Morin-Desailly. - Au nom du groupe Union centriste, je me réjouis de cet excellent travail, dans le droit fil du travail fondateur réalisé par Claudine Lepage et Louis Duvernois voilà quelques années.
Pour rebondir sur le sujet du numérique, j'ai découvert que nous restions malgré tout en deuxième position des langues utilisées sur le réseau. Nous le devons aussi à la politique très volontariste impulsée par la France à l'échelon européen sur les droits d'auteur et les droits voisins, ainsi que sur la diversité culturelle. Si l'écosystème n'est pas régulé par des directives, nous ne pourrons pas maintenir un tel niveau de contenus. En tout cas, l'analyse menée par Pierre-Antoine Levi sur l'exigence que nous devons manifester à l'égard des plateformes est tout à fait pertinente.
Je me réjouis également de trouver dans vos préconisations l'écho de travaux que nous avions menés avec le groupe interparlementaire franco-canadien sur le sujet de la découvrabilité.
En parlant du Canada, avez-vous analysé le devenir de la chaîne TV5 Monde, au sein de laquelle nous sommes partenaires ?
Sur vos préconisations en matière de recherche et de mobilité étudiante, je tiens à vous faire part d'un exemple très concret. En Égypte, où j'ai fait un récent déplacement dans le cadre du groupe d'amitié, il y a 3 millions de locuteurs français. Il y a par exemple une école de droit de la Sorbonne ainsi qu'une antenne de Sciences Po à l'université du Caire. Nous y avons ressenti un fort désir de mobilité étudiante. Cette jeunesse égyptienne s'envisage en effet trilingue - langue maternelle, anglais, français. Nous devons ainsi réfléchir à une logique de « co-diplomation ». Nos régions ont un rôle à jouer dans ce domaine.
Enfin, vous pointez l'obsolescence de la loi Toubon, compte tenu notamment des évolutions du numérique. Je continue à m'offusquer du fait que nos gouvernements successifs n'aient pas été exemplaires en la matière. Je vous rappelle que les tribunaux ont proscrit l'utilisation de l'expression health data hub, mais que l'on continue malgré tout à l'employer. Je passe sur le Choose France... Nos amis québécois ne comprennent absolument pas ce laxisme.
M. Adel Ziane. - Ce rapport met à la fois en évidence les atouts et les faiblesses de la francophonie : il y a une contradiction entre les ambitions affichées et le peu de moyens mis en oeuvre par l'État.
La croissance du nombre de locuteurs d'ici à 2050 est en trompe-l'oeil. Ces 820 millions de locuteurs potentiels sont à 85 % africains. Or ces populations seront de moins en moins attirées par l'utilisation de notre langue, compte tenu du ressentiment croissant qu'inspire notre pays dans ce continent. Ce phénomène sera accentué par la baisse de qualité de l'enseignement du français dans ces systèmes éducatifs par manque de moyens.
Je regrette une absence de stratégie de notre pays. Pour preuve, il n'y a pas eu de ministre délégué à la francophonie de 2017 à 2022. Il y en a un aujourd'hui, ancien sénateur de surcroît, ce qui est de bon augure, mais pendant que d'autres pays, comme la Chine avec le réseau Confucius, investissent massivement dans le soft power éducatif et culturel, nous n'investissons pas suffisamment dans nos 98 centres culturels et 386 alliances françaises. Ce sont pourtant des outils formidables pour animer la communauté francophone partout dans le monde.
Pour rebondir sur l'exemple égyptien soulevé par Catherine Morin-Desailly, je vous livre ces souvenirs de mes premiers pas au ministère des affaires étrangères en 2007, lorsque j'étais en charge de la coopération culturelle et universitaire en Égypte : dans le cadre de la révision générale des politiques publiques (RGPP), nous étions passés de 7 à 2 attachés de coopération pour le français et de 5 à 2 attachés de coopération universitaire. C'est pourquoi votre recommandation n° 5 visant à approfondir le soutien financier au réseau culturel français et à envisager une mutualisation avec d'autres pays francophones me semble pertinente.
Par ailleurs, je ne peux que regretter que nous ayons multiplié par dix les frais de scolarité des étudiants non européens en 2019. C'est contradictoire avec nos ambitions de participer à la compétition internationale dans le domaine universitaire. Votre recommandation n° 6 sur un Erasmus francophone est en revanche une très bonne idée. Dans le même esprit, la recommandation n° 7 sur l'obtention d'un visa francophone est essentielle, à condition qu'il ne soit pas limité aux doctorants et aux étudiants en master.
Les recommandations nos 9 et 10 sur la production scientifique en français doivent enfin participer à l'émergence d'un véritable espace scientifique francophone.
Pour conclure, je dirai qu'il ne faut pas envisager la politique de la francophonie de manière verticale. Je pense à notre attitude, critiquée, au sein de l'OIF. Le français n'est pas le même partout, ce qui est la garantie de son universalité. Il ne faut pas nier ses évolutions et sa pratique. Travaillons de manière plus partenariale avec nos partenaires du monde de la francophonie. Le français doit littéralement être un outil de soft power, de puissance douce.
Par ailleurs, il faut passer d'une approche défensive à une approche offensive, trente ans après la loi Toubon, qui était d'inspiration défensive. Cela passe par un soutien plus important à notre réseau culturel à l'étranger.
Enfin, soyons nous-mêmes collectivement attentifs à bien utiliser le français. C'est une question d'exemplarité.
M. Max Brisson. - Ce rapport nous montre que la francophonie est un sujet rassembleur, transpartisan. Un seul bémol : la présence audiovisuelle française dans le monde aurait mérité une place plus importante. Nous en reparlerons dans le cadre de nos débats sur l'audiovisuel public.
Je suis d'accord, l'État n'est pas exemplaire, mais les élites françaises ont-elles vraiment envie de se battre pour la francophonie ? Ce combat pour la francophonie est-il compatible avec la Start-up Nation ? J'en doute ! Il y a là une part de snobisme et de prétention. C'est au Parlement de mettre un terme à certaines dérives.
J'ai beaucoup apprécié ce que vous avez dit sur l'espace francophone et la création d'un Erasmus francophone. Nous appuyons totalement votre recommandation à ce sujet.
Le réseau d'enseignement du français est développé, mais j'ai quelques craintes, renforcées d'ailleurs par le récent déplacement que nous avons fait au Bénin et en Côte d'Ivoire. Ce réseau est exclusivement réservé aux élites locales, totalement déconnectées du reste de la population. La flambée des prix d'écolage est vraiment problématique et il y a un vrai risque que ce réseau, dont nous sommes fiers, devienne le symbole d'une présence française parfois détestée.
Parallèlement, les systèmes scolaires francophones de ces pays sont totalement délabrés. Or que faisons-nous pour leur redonner de l'efficacité ?
Je terminerai sur la parenthèse ouverte par Pierre Ouzoulias, mais qu'il a immédiatement refermée. La loi Toubon a été utilisée par les fonctionnaires de l'État, les recteurs, les préfets, comme un instrument contre les langues régionales. Tel est le bilan de cette loi à mon sens. Elle n'a jamais été un outil de protection du patrimoine linguistique alsacien, corse, occitan, basque, breton, ou de nos territoires ultramarins. La loi Molac n'aura pas les effets escomptés : le Parlement a beau légiférer, quand l'administration ne veut pas, elle ne veut pas.
Je regrette que votre rapport n'ait pas insisté sur ce vieil héritage bonapartiste et jacobin. On ne peut pas proclamer l'importance du multilinguisme à la face du monde et le refuser en terre de France.
Mme Mathilde Ollivier. - J'espère que ce travail trouvera un large écho lors du Sommet de la Francophonie qui se déroulera vendredi et samedi prochains.
Le monde francophone correspond à une réalité culturelle, économique, politique et humaine, à des visions du monde qui s'expriment à travers une langue et qui nourrissent le débat d'idées.
Je trouve important de rappeler que la francophonie est avant tout multilatérale.
La promotion des langues régionales est pour moi essentielle. Trop souvent par le passé, elles ont été niées par des pouvoirs dominants, notamment à l'époque de la colonisation. Il importe aujourd'hui de changer de prisme : il n'est pas anormal de parler plusieurs langues ; c'est même le quotidien de plus de la moitié de la population mondiale.
La recommandation n° 3 tend à la revalorisation du métier d'enseignant de et en français. C'est un enjeu essentiel de notre politique culturelle extérieure, notamment vers les pays non francophones. Il manque ainsi de professeurs de français en Autriche et en Allemagne.
En ce qui concerne la recommandation n° 4, ce serait une vraie force de porter au niveau de la société civile des synergies entre pays francophones. À Vienne, où je réside, la communauté française est assez petite - environ 10 000 personnes -, mais les associations poussent à l'organisation de conférences et d'activités en français, dans une logique d'ouverture aux autres pays francophones. C'est essentiel pour faire vivre des poches de francophonie et nourrir le débat d'idées au-delà des initiatives plus institutionnelles.
L'axe 3 est important. La politique des visas est primordiale pour que la France continue de conserver une place importante dans la promotion de la francophonie - Yan Chantrel a mentionné que 50 % des étudiants venaient de pays francophones. Or cette politique est aujourd'hui assez contre-productive puisqu'elle limite la mobilité des étudiants et des chercheurs. Les annonces du Premier ministre, approuvées par la majorité sénatoriale, tendent d'ailleurs à restreindre l'obtention de visas à certains ressortissants, notamment très francophones. Cela aurait un impact délétère sur nos relations avec nos partenaires. Je suis donc contente que nos collègues du groupe Les Républicains (LR) soulignent l'importance d'un Erasmus francophone et mettent l'accent sur la mobilité étudiante.
En ce qui concerne l'évaluation scientifique des chercheurs, Pierre Ouzoulias a insisté sur l'importance des facteurs d'impact, très liés aux journaux anglophones. Aujourd'hui, les grandes revues internationales sont en anglais. C'est donc là que les chercheurs veulent publier, car c'est aussi là que se joue l'excellence de la recherche à l'échelle mondiale. La publication en français ne doit pas être un critère discriminant. Ce serait artificiel et contre-productif. L'ouvrage de Christian Lequesne, Le diplomate et les Français de l'étranger, est très intéressant à cet égard : on y voit comment l'évaluation en français peut freiner la mobilité et le retour d'un certain nombre de chercheurs français ayant fait leur carrière à l'international et n'ayant pas assez publié en français. Il faut donc faire attention. En revanche, je suis tout à fait d'accord pour faire vivre l'espace scientifique francophone, favoriser la publication de thèses en français et soutenir la tenue de congrès internationaux en français.
Le volet numérique est absolument essentiel. Vous avez parlé de l'importance des relations et des négociations avec les Gafam dans l'espace francophone, notamment en ce qui concerne la monétisation des contenus. C'est un enjeu majeur pour continuer à pousser le français comme langue du numérique. En 2050, 85 % des locuteurs de français seront en Afrique. Il faut pouvoir les soutenir dans leurs négociations face aux Gafam afin qu'ils puissent continuer à publier du contenu en français.
Quant au respect de la loi Toubon par les administrations, il y a encore beaucoup à faire, notamment dans le secteur économique où tous les sigles et labels regorgent d'anglicismes ! Tout cela me rappelle une visite dans le service économique d'une ambassade française où des tas de petits panneaux dans les couloirs indiquaient les différents programmes : Taste France, la French Fab, le programme Booster, la Team France Export, etc. Les administrations françaises doivent se saisir de la problématique : il n'est pas has been de défendre le français dans sphère économique et dans la Start-up Nation ! (Sourires.)
Quoi qu'il en soit, je vous remercie pour ce rapport. J'espère que vos propositions concrètes seront relayées et feront l'objet d'engagements de la France après le Sommet de la Francophonie à Villers-Cotterêts.
Mme Laure Darcos. - Je salue ce rapport très complet. J'espère que le groupe d'études sur la francophonie sera associé à nos travaux. Notre collègue Mickaël Vallet a fait beaucoup pour réformer la loi Toubon. Il serait intéressant de pouvoir travailler de concert. Je souligne d'ailleurs la très belle initiative de Yan Chantrel et de Mickaël Vallet en matière de francophonie dans les territoires. Tout cela fera l'objet d'une émission bientôt diffusée sur TV5 Monde.
Je suis à 300 % d'accord avec Pierre Ouzoulias en ce qui concerne les sciences. Dans la loi de programmation de la recherche, nous avions d'ailleurs ajouté un article sur le sujet. Il faudrait donc bien insister sur ce point. Au-delà des institutions traditionnelles, il serait important également de parler en français au sein de la Commission européenne. Le français est une des langues officielles des institutions de l'Union européenne. Pourquoi tout le monde s'exprime-t-il en anglais ?
Vous n'avez pas du tout évoqué l'enseignement dispensé aux élèves allophones. Le Président de la République, lors de son discours sous la Coupole de l'Académie française sur la francophonie, avait beaucoup insisté sur ce point. En 2021-2022, 77 435 enfants allophones nouvellement arrivés ont été scolarisés en France. Il serait utile de prendre en compte également cette grande francophonie de l'intérieur, en prévoyant un bon budget et de bons professeurs pour que tous ces enfants apprennent vite notre langue !
Mme Sophie Briante Guillemont. - Ce travail très complet mérite d'être largement diffusé. Vous êtes revenus sur l'objectif du Président de la République de doubler le nombre d'élèves dans le réseau de l'Agence pour l'enseignement français à l'étranger (AEFE). Vous évaluez à 25 000 le nombre d'enseignants nécessaires. Sachant qu'il y a une différence entre enseigner en français et enseigner à la française, s'agit-il de 25 000 enseignants dans les lycées français ou intégrez-vous dans ces chiffres les professeurs de FLE, ce qui n'est pas la même chose ? Savez-vous pourquoi l'annonce qui va être faite sur le programme de mobilité étudiante laisse de côté les étudiants en licence ? Par ailleurs, j'ai récemment été informée du fait que plusieurs demandes de visas étaient bloquées alors que les dossiers étaient prêts et qu'il s'agissait d'étudiants souhaitant intégrer l'enseignement supérieur français à la rentrée. Je rejoins donc Mathilde Ollivier : avant même de parler des visas francophones, il existe un énorme problème à résoudre sur les visas ordinaires.
Mme Catherine Belrhiti, rapporteure. - Le Président de la République a effectivement souhaité doubler le nombre d'élèves scolarisés dans notre réseau d'enseignement français à l'étranger d'ici 2030. À cette fin, le ministère de l'Europe et des affaires étrangères a fixé plusieurs objectifs : densifier la capacité d'accueil des établissements du réseau, inciter les porteurs de projets, attirer de nouvelles familles dans les établissements et recruter des personnels qualifiés. Aujourd'hui, le réseau compte environ 6 000 personnels titulaires détachés de l'Éducation nationale. Les autres enseignants sont recrutés sur place. Certaines académies refusent de détacher du personnel à l'étranger faute de pouvoir le remplacer. En 2024, 44 refus de détachement ont ainsi été enregistrés sur les 725 demandes formulées. Cette difficulté a nécessairement des répercussions sur notre capacité à atteindre les 25 000 recrutements supplémentaires que le plan de développement du réseau implique.
M. Yan Chantrel, rapporteur. - En ce qui concerne les visas et la création d'un Erasmus francophone, nous avons auditionné l'AUF. Celle-ci nous a répondu que l'annonce en serait faite lors du Sommet de la Francophonie. Le dispositif sera réservé dans un premier temps aux étudiants de master et de doctorat, quitte à l'élargir ensuite. Il sera limité à un certain nombre d'étudiants. C'est tout l'intérêt de ce type de mission transpartisane : chacun peut faire un bout de chemin et il est possible d'établir un diagnostic partagé pour savoir comment opérer. La question qui irrigue tout notre rapport est de savoir quel est l'intérêt d'être francophone par rapport aux autres. Si l'on veut favoriser la francophonie, il faut bien faire émerger un avantage ! La réponse est un programme de type Erasmus. Mais l'Erasmus francophone ne va pas que dans un sens : il faut aussi inciter des Français à s'ouvrir sur la francophonie, car il existe également de très bonnes universités au Maroc et dans d'autres pays francophones. Il importe donc de corréler notre politique de visas avec un cap et une vision si l'on veut développer un sentiment d'appartenance.
J'ai bien noté le souhait de notre collègue Laure Darcos d'associer le groupe d'études sur la francophonie à notre réflexion.
La pénurie d'enseignants de et en français concerne tous les pays. Nous sommes d'ailleurs en situation de concurrence avec le Canada, par exemple, qui offre de meilleures conditions pour enseigner que nous. Le développement de l'AEFE se fait actuellement grâce aux recrutés locaux. Nous devons donc leur garantir une formation de bonne qualité si nous voulons développer le réseau.
Nous n'avons évidemment pas pu aborder tous les sujets liés à la francophonie, qui est une problématique très vaste. Vous avez été plusieurs à évoquer la question de TV5 Monde et, plus globalement, de l'audiovisuel extérieur. Nous avons auditionné Mme Saragosse, présidente-directrice générale de France Médias Monde, qui nous a alertés sur la situation de l'audiovisuel public extérieur. Cela dépasse bien sûr le cadre de notre mission, mais nous aurons l'occasion ici même, à l'occasion d'autres textes, de pouvoir parler du sujet. Nous pourrons éventuellement faire des propositions spécifiques à ce moment-là.
Je précise que les alliances françaises, auxquelles nous sommes tous attachés, n'ont pas toujours été soutenues de la même manière par tous les gouvernements.
Notre collègue Adel Ziane a évoqué le contexte africain où les évolutions en termes de population ne sont pas à prendre au comptant. Le contexte géopolitique peut en effet avoir une incidence importante, notamment au Sahel, où l'on enregistre un déclin du français. Nous avons donc un intérêt diplomatique à ce que notre action extérieure ne s'inscrive pas uniquement sous l'égide de la France, mais sous celle de la francophonie. Nous pourrions, par exemple, envisager des alliances de la francophonie. Nous aurions en tout cas tout intérêt à montrer que cette politique n'est pas une initiative uniquement de la France, mais de plusieurs partenaires francophones. Cela nous permettrait peut-être de reprendre pied sur le terrain pour renforcer la langue française.
La recherche scientifique constitue, à nos yeux, un point important. Une langue est effectivement liée à une manière de voir le monde. Il est donc utile de défendre la recherche dans notre langue. Le recours à l'intelligence artificielle (IA), que nous n'avons pas pu approfondir, ouvre des possibilités à nos chercheurs. Ils pourraient en effet publier en français tout en étant directement traduits. C'est une évolution défendue notamment par le Québec.
Les recommandations sont adoptées.
La mission d'information adopte, à l'unanimité, le rapport d'information et en autorise la publication.
M. Laurent Lafon, président. - Merci à nos trois rapporteurs pour la qualité de leur travail sur un sujet qui n'est pas si facile à aborder. Vous avez répondu clairement à la question du devenir de la loi Toubon, qui constituait un point d'interrogation. J'ai noté que vous préconisez une actualisation de cette loi ; nous avons donc un travail législatif à faire en ce sens.
La réunion est close à 10 h 55.
Jeudi 3 octobre 2024
- Présidence de M. Laurent Lafon, président -
Mission d'information sur l'intervention des fonds d'investissement dans le football professionnel français - Audition de Mme Amélie Oudéa-Castéra, ancienne ministre des sports et des jeux Olympiques et Paralympiques
M. Laurent Lafon, président. - Nous avons aujourd'hui le plaisir d'accueillir Madame Amélie Oudéa-Castéra, qui a été ministre des sports et des jeux Olympiques et Paralympiques de mai 2022 à septembre 2024.
Madame la ministre, je vous remercie d'avoir accepté l'invitation de notre mission d'information sur l'intervention des fonds d'investissement dans le football professionnel français.
Vous le savez, nous nous interrogeons sur le rôle croissant des fonds d'investissement dans le football et sur ses conséquences. Nous nous interrogeons, en particulier, sur les équilibres de l'accord conclu en 2022 par la Ligue de football professionnel (LFP) avec le fonds d'investissement CVC.
Le partenariat entre la LFP et CVC a été conclu à la fin du mandat de votre prédécesseure, Mme Roxana Maracineanu, que nous avons entendue le 23 mai dernier.
La loi dispose que les statuts de la société commerciale, ainsi que leurs modifications, sont approuvés par le ministre chargé des sports. Dès lors, nous nous étonnons que ces statuts aient été approuvés par un simple courrier administratif, que vous n'avez pas signé ; peut-être pourrez-vous nous apporter quelques éclaircissements à ce sujet.
Le contrôle de l'État sur cette opération semble avoir été limité au strict minimum ; peut-être la période de transition ministérielle l'explique-t-elle partiellement.
L'État joue un rôle central dans le modèle sportif français, en déléguant une mission de service public aux fédérations sportives, qui subdélèguent certaines de leurs prérogatives à des ligues professionnelles. Ce dispositif doit permettre de maintenir une cohérence et une synergie entre les différents niveaux de pratique sportive. En outre, les clubs de football participent à la richesse de la vie dans nos territoires, ainsi qu'au patrimoine sportif et culturel national. Ce modèle justifie pleinement l'intérêt de notre commission pour le football professionnel, alors qu'une période délicate s'annonce pour les clubs, en raison de la diminution des droits TV confirmée cet été.
Madame la ministre, nous souhaitons aujourd'hui, plus généralement, faire un point avec vous sur le fonctionnement du triptyque État-fédération-ligue professionnelle, et sur les moyens de renforcer les mécanismes de contrôle face à de potentiels dysfonctionnements.
Je rappelle à tous que cette audition est captée et diffusée en direct sur le site internet du Sénat.
Mme Amélie Oudéa-Castéra, ancienne ministre des sports et des jeux Olympiques et Paralympiques. - Je vous remercie de m'avoir invité à m'exprimer devant vous en dépit de la cessation de mes fonctions ministérielles ; il était essentiel pour moi de répondre à votre invitation.
Je veux d'abord souligner l'importance et la qualité de vos travaux. Ils permettent un débat utile et très suivi sur les choix économiques, financiers et juridiques faits par le football professionnel français ces dernières années. Ces travaux remettent de la pédagogie et de la transparence là où il en a manqué. Ils ont d'autant plus de portée qu'ils s'inscrivent dans une réflexion plus large sur l'environnement européen et international du football français : les compétitions sportives évoluent, mais aussi la nature des investisseurs dans le football et les formes de leur investissement, ainsi que les modèles économiques de nos clubs.
Permettez-moi de résumer ma compréhension de vos points d'attention majeurs et du rôle de l'État dans ces différentes évolutions. Vous vous interrogez sur la portée réelle des difficultés économiques des clubs autour de la crise du covid, ainsi que sur le caractère inéluctable de la rupture du contrat avec le diffuseur Mediapro. Vous avez soulevé des questions sur la genèse et l'opportunité de la création de la société commerciale LFP Media, ainsi que sur les termes de l'accord conclu avec le fonds d'investissement CVC et fait des observations sur la négociation par la Ligue du renouvellement des droits de diffusion audiovisuelle ; chacun partage vos inquiétudes quant au résultat de ces négociations, mais aussi à ses implications pour nos clubs et la Ligue elle-même. Je sais enfin combien vous êtes attentifs, comme je l'ai été, aux conditions de gouvernance de la Ligue et à la transparence financière de ses relations avec la société commerciale LFP Media.
Avant même la crise du covid, le football professionnel français avait des fragilités : un niveau élevé d'endettement, des pertes financières récurrentes, des droits TV plus faibles que ceux des autres ligues du Big Five européen, ainsi qu'une forte dépendance aux revenus de trading des joueurs, dépendance qui résulte aussi de la qualité unique au monde de nos centres de formation.
Lors de la crise du covid, l'État a joué un rôle salutaire pour sortir le football français de l'ornière. Si l'aide apportée au football professionnel a été massive, elle n'a pas été disproportionnée vis-à-vis des autres sports, ni au regard de la gravité des difficultés rencontrées par les clubs de ligue 1 comme de ligue 2, dont le déficit cumulé approchait 1,6 milliard d'euros sur trois saisons.
La faillite de Mediapro a quant à elle causé un manque à gagner de 1,3 milliard d'euros pour le football français entre 2020 et 2024, en dépit du partenariat de rebond noué avec Amazon et des efforts importants du groupe Canal+. Cette faillite était-elle anticipable ? Certains avaient, dès 2018, des doutes sur la robustesse de ce partenaire, exprimés peut-être trop mezza voce. Le covid a creusé ces difficultés de manière imprévisible. Étaient-elles rattrapables ? Quoi qu'il en soit, la rupture du contrat a été actée par le tribunal de commerce de Nanterre. Le football français a fait preuve alors d'une vraie capacité de résilience. La situation économique était très compliquée, mais il y a eu une volonté de rebond, de reprise en main par la recherche de solutions innovantes, faisant appel aux acteurs traditionnels, mais aussi à de nouvelles plateformes numériques. Mais c'est aussi alors que des tensions entre protagonistes essentiels se sont nouées.
Au même moment, la réflexion sur le renforcement de la robustesse économique du football français a conduit à la recherche de partenaires stratégiques de long terme, qui a abouti au choix du fonds d'investissement CVC.
Concernant la création de la société commerciale LFP Media, vous connaissez les travaux parlementaires de l'époque, et vos auditions vous ont éclairé sur la genèse, via un amendement parlementaire, des dispositions en la matière de la loi du 2 mars 2022. Vos travaux ont établi qu'il y avait eu un travail d'anticipation, ce qui explique que tout soit ensuite allé très vite. Ce n'est pas problématique en soi : la loi est arrivée, après une quinzaine de mois de réflexion stratégique, à un moment où l'écosystème était pleinement mobilisé. Si le secteur était resté inerte ou avait tout attendu de l'État, cela lui aurait été reproché ; il est sain que des modèles économiques innovants aient été recherchés pour remédier à certaines vulnérabilités chroniques du football français.
Quand j'ai pris mes fonctions de ministre des sports, la société commerciale était déjà créée, le premier décret d'application avait été pris ; il précisait les catégories de personnes physiques et morales ne pouvant prendre de parts dans la société commerciale ni participer à ses organes de gouvernance, de manière à prévenir les conflits d'intérêts. Les statuts de la LFP et ceux de la société commerciale ont ensuite été validés par l'assemblée générale de la Ligue en avril 2022, puis celle de la Fédération française de football (FFF), le 18 juin, chaque fois à l'unanimité, avant d'être soumis à la direction des sports du ministère, qui a apprécié le 28 juin la conformité de ces statuts aux nouvelles dispositions législatives et réglementaires du code du sport.
Il m'est ensuite revenu, d'une part, de prendre en juillet 2023 un second décret d'application de la loi du 2 mars 2022, visant à s'assurer du bon respect par la société commerciale des règles de la concurrence. Elle devrait expliquer quelles mesures et procédures ont été mises en place en son sein pour garantir le plein respect de ces règles. D'autre part, j'ai pris le décret du 8 septembre 2023 ouvrant la faculté de porter de quatre à cinq années le cycle d'attribution des droits de diffusion audiovisuelle, sans bien sûr empêcher les mécanismes de retrait ou de renégociation en cours de cycle.
Concernant le partenariat entre la LFP et le fonds CVC, je sais que vous avez exprimé des réserves sur le montant des rémunérations, sur la durée de ce contrat, sur les modalités de sortie ou de dédommagement de CVC, en somme sur l'économie générale de ce contrat et le sens de ce partenariat, ainsi que sur sa valeur ajoutée pour le football français.
Il ne revenait à l'État de se prononcer ni sur l'opportunité des discussions entre la Ligue et d'éventuels investisseurs, ni sur le choix de CVC, ni sur le pacte d'associés liant les deux parties. Ma connaissance de ces dossiers se heurte aux limites inhérentes à mon rôle de ministre ; en outre, ce contrat a été conclu deux mois avant ma prise de fonctions.
J'en viens à la négociation des droits audiovisuels pour le cycle en cours. Le ministère a pour rôle en la matière de veiller au bon respect du cadre concurrentiel. Cela ne m'empêche pas de donner mon sentiment : sans être catastrophique, le résultat de ces négociations est un peu décevant. Les produits sont en baisse et inférieurs aux attentes comme aux sommes en jeu dans les autres grands championnats européens. Cela crée une situation exigeante pour tous les acteurs et d'abord pour la Ligue. Je crois sincère la prise de conscience de ses dirigeants. Le contexte est aussi exigeant pour les clubs professionnels. Il a enfin un impact sur les clubs amateurs comme sur les consommateurs, même si le diffuseur DAZN a déjà révisé ses prix à la baisse.
On peut disserter sur la valeur intrinsèque de chaque produit, de la ligue 1 et de la ligue 2, sur l'impact de certains vents contraires et les départs du championnat de certaines stars mondiales du football, mais on a encore vu hier soir de quelles performances magnifiques les clubs français étaient capables. Il y a sans doute eu des carences dans la méthode, mais l'essentiel aujourd'hui est de tout faire atterrir le mieux possible. Il faut être attentif aux finitions de l'accord d'ensemble, les acteurs de la ligue 1 doivent aider DAZN à réussir et les clubs de ligue 2 doivent veiller à ce que les tensions s'apaisent entre beIN et leurs supporters, qui ont des attentes fortes. Enfin, il faut tirer toutes les conclusions de ce nouveau contexte, qui ne peut être sans conséquence sur le train de vie de la Ligue et sur les choix financiers des clubs. Les acteurs en sont pleinement conscients, j'ai confiance dans leur capacité à réussir ces efforts, avec l'appui de la direction nationale du contrôle de gestion (DNCG).
Toute cette séquence doit nous conduire à avoir un regard plus exigeant sur la gouvernance interne de la LFP. Vous savez quelle attention j'ai portée à cette question comme ministre à l'occasion de l'élection récente à la tête de la Ligue : je me suis attachée à sécuriser un vrai débat démocratique.
Il serait utile, dans la foulée de vos conclusions prochaines, de continuer à renforcer le contrôle stratégique, économique et financier de la LFP. Cela doit d'abord se faire par le biais de mécanismes de contrôle interne à la Ligue et à sa société commerciale, avec des commissaires aux comptes, tout en assurant la transparence des relations entre les deux coactionnaires. Nous sommes aussi en droit d'attendre de la DNCG qu'elle assume un rôle augmenté, qui pourrait intégrer le contrôle de la bonne utilisation, dans la durée, des fonds apportés par CVC aux clubs. Elle pourrait aussi s'intéresser aux nécessaires ajustements à apporter aux plans d'affaire des clubs. On peut enfin réfléchir au renforcement de certains contrôles externes ; ainsi, on peut imaginer qu'une disposition législative donne à la Cour des comptes une compétence de contrôle de la Ligue, même en l'absence de financement public direct.
En tout état de cause, la réflexion sur l'évolution des modèles économiques de nos clubs doit tenir compte de l'emprise croissante des fonds d'investissement. Il nous faut instaurer des garde-fous sur la multipropriété. La réflexion ne peut être qu'européenne et internationale ; je l'ai appelée de mes voeux au dernier congrès de l'Union des associations européennes de football (UEFA). Elle devra aussi prendre en compte les impacts prévisibles de la réforme sportive de championnats comme la Ligue des Champions, qui pourrait aboutir à creuser l'écart entre certains clubs de ligue 1 et les autres, fragilisant l'assise du championnat français.
En conclusion, je veux redire ma confiance dans le football français. Nul ne nie les difficultés qu'il traverse, mais il n'est pas sans atout ni ressources pour y faire face. Des partenaires ont pu voir la valeur ajoutée de leurs investissements à l'occasion des Jeux ; certains acteurs économiques vont retrouver une capacité d'investissement dans nos différentes disciplines sportives. Nous sommes plusieurs à avoir contribué à introduire plus de transparence et de challenge dans le fonctionnement du football français. J'espère que la conclusion de vos travaux permettra d'amplifier cette dynamique, tout comme la prise de conscience des changements nécessaires par les acteurs du système. Je ne doute pas que le ministère des sports continuera de jouer tout son rôle à leurs côtés.
M. Michel Savin, rapporteur. - Merci d'avoir répondu à notre invitation. Merci aussi d'avoir conclu vos propos par des propositions qui ne manqueront pas d'inspirer nos travaux.
Vous avez pris vos fonctions le 22 mai 2022. Le 28 juin suivant, le ministère des sports a approuvé les statuts de la nouvelle société commerciale, par un courrier signé par l'adjointe au directeur des sports. Pourtant, le code du sport dispose que ces statuts et leurs modifications sont approuvés « par le ministre chargé des sports ». Que pensez-vous de la légalité du procédé ? Faudrait-il corriger les choses ?
Mme Amélie Oudéa-Castéra. - Ces statuts ne m'ont pas été soumis directement : la direction des sports a agi par délégation, comme elle le fait pour beaucoup d'actes de ce type. Cette approbation n'était que le dernier maillon d'une chaîne engagée depuis de nombreux mois, il s'agissait d'un simple contrôle de conformité entre les évolutions introduites dans le code du sport et les statuts de la Ligue et de sa société commerciale.
J'ai évoqué la quantité d'étapes franchies avant d'en arriver là. La navette parlementaire a duré plus d'un an, vous avez vous-même fait des propositions. Dès le mois d'avril, les dirigeants de la LFP ont présenté leur travail à l'ensemble des clubs et n'ont pas reçu d'objection, l'accord unanime a été validé par l'assemblée générale de la Ligue, puis par celle de la FFF en juin. L'acte que vous évoquez est l'aboutissement administratif de la volonté démocratique et du travail des acteurs, engagés depuis plus de 15 mois. Il n'y a pas là de difficulté particulière selon moi.
M. Michel Savin, rapporteur. - J'entends bien que les procédures de contrôle ont été régulières, mais la lettre de la loi est bien : « par le ministre ». On devrait peut-être faire évoluer les textes législatifs pour éviter ce genre de situations où la responsabilité de la signature se trouve détournée. Comment se fait-il que, dans ce cas, ce ne soit pas la ministre, mais l'adjointe au directeur des sports, qui ait signé ?
Mme Amélie Oudéa-Castéra. - Cette signature s'est faite dans le cadre de l'exercice du contrôle de légalité, où une autorité administrative peut être valablement représentée.
M. Michel Savin, rapporteur. - Après votre entrée en fonction, quand et comment avez-vous eu connaissance des modalités précises de l'opération conclue entre la LFP et CVC ? Avez-vous pris connaissance des dispositions prévues par les statuts, le plan d'affaires, le pacte d'associés ?
Mme Amélie Oudéa-Castéra. - Non : je n'ai pas eu entre les mains ces documents, je n'ai pu les analyser. Il m'importait de comprendre la genèse de la société commerciale, à quelles difficultés de fond elle venait répondre, quel était l'apport immédiat et concret de cette décision pour sauver - le mot n'est pas trop fort - le football français. CVC a offert un apport en capital de 1,5 milliard d'euros, dont 1,1 milliard a pu directement bénéficier aux clubs ! J'ai voulu m'assurer aussi que les fonds en question étaient utilisés, non seulement pour résorber les difficultés économiques de court terme, mais aussi pour contribuer à la modernisation du football français, notamment en matière de sécurité, d'infrastructures et de formation. J'ai tenu à m'assurer aussi de la capacité du système à tirer toutes les leçons du fiasco Mediapro en choisissant des partenaires solides. Un débat démocratique de grande ampleur avait eu lieu. Ma prédécesseure avait introduit des garde-fous importants : qui pourrait être au capital de cette société, comment les droits de vote seraient répartis... Cette construction juridique une fois stabilisée, le plus important pour moi était de sentir que le football français repartait de l'avant ; c'est ce à quoi j'ai veillé.
M. Laurent Lafon, président. - Je veux revenir sur un point : l'utilisation des fonds apportés par CVC, ainsi que des droits audiovisuels, par le football français, notamment les clubs. Le contrôle de l'utilisation de ces sommes par les clubs est assez léger : la DNCG ne dispose que d'éléments déclaratifs, sans vérification à ce jour. L'État n'aurait-il pas dû être un peu plus présent dans le contrôle de l'utilisation de ces fonds par les clubs ? Nul de nos interlocuteurs n'a pu nous dire si ces fonds sont utilisés à bon escient.
Mme Amélie Oudéa-Castéra. - Il faut rappeler la criticité du contexte dans lequel se trouvaient nos clubs lors de la conclusion de l'accord avec CVC. Sur les trois saisons 2019-2020, 2020-2021 et 2021-2022, la perte cumulée s'élevait à 1,6 milliard d'euros, les fonds propres étaient réduits de moitié et l'endettement, doublé. L'arrivée de CVC, cet apport en capital, a sauvé le foot français, en complément du rôle joué par l'État en réponse à la crise du covid. Je suis attachée à la clarté des rôles et des responsabilités. Or quel était le rôle de l'État dans le contrôle des fonds alloués aux clubs ? Ce contrôle portait sur plusieurs sujets : la compensation des pertes de billetterie des clubs - 75 millions d'euros -, les réductions et exonérations de charges - 520 millions d'euros -, le chômage partiel et l'aide aux coûts fixes, enfin les prêts garantis par l'État à la Ligue et aux clubs. Sur toutes ces aides, qui atteignent 1,3 milliard d'euros, l'État a une responsabilité extrêmement fine, pour s'assurer de l'utilisation de ces sommes et de leur éventuel remboursement.
M. Laurent Lafon, président. - Vous parlez des fonds versés par l'État et non de ceux versés par CVC.
Mme Amélie Oudéa-Castéra. - Parce que l'État n'avait pas pour rôle d'effectuer le contrôle de la bonne utilisation par les clubs du capital apporté par CVC. Je ne m'ingère pas dans le détail des modèles économiques des acteurs du foot sans base juridique pour le faire ! Ce qu'il était nécessaire de contrôler l'a été : la conformité aux dispositions du code du sport, à la fois des nouveaux statuts de la Ligue et de ceux de la société commerciale, suivant le décret qu'il m'est revenu de prendre le 20 juillet 2023 sur le bon respect des mécanismes concurrentiels, prévoyant un rapport avant la fin de l'exercice 2024...
Il serait sain, à mon sens, que la DNCG regarde de plus près l'utilisation qui est faite des flux financiers dans le cadre de la discussion qu'elle aura avec les clubs, en novembre et décembre prochains, sur leurs plans d'affaires.
M. Michel Savin, rapporteur. - Confirmez-vous que vous n'avez pas eu connaissance du pacte d'associés ?
Mme Amélie Oudéa-Castéra. - Je ne l'ai pas eu personnellement entre les mains.
M. Michel Savin, rapporteur. - C'est un peu surprenant, ce pacte étant l'élément majeur de l'accord entre CVC et la Ligue du fait de ses conséquences sur l'organisation, le fonctionnement et les risques encourus en cas d'irrespect des engagements. Lorsque le texte a été signé le 26 juillet 2022, vous étiez aux responsabilités depuis plusieurs mois. N'avez-vous rien sollicité ?
Mme Amélie Oudéa-Castéra. - Je ne suis pas d'accord du tout avec ces termes. Ce pacte d'associés compte parmi les documents que la direction des sports a visés quand elle a procédé au contrôle de conformité à la fin du mois de juin 2022. Il ne me revient pas, à mon arrivée, de regarder le détail de l'accord alors que tout est ficelé depuis plusieurs semaines sous l'autorité des différents acteurs, de manière transparente. L'important pour un ministre est de comprendre l'économie générale du contrat : société commerciale qui couvre l'ensemble des revenus, mécanisme de résolution... Ni ma prédécesseure ni moi n'avions en aucun cas à valider ce pacte.
M. Laurent Lafon, président. - La loi dispose clairement que les recettes des paris sportifs ne peuvent pas être transférées de la Ligue à la société commerciale. Or nous avons la preuve que ces paris ont été réintégrés, au travers du pacte d'associés, dans le calcul des recettes qui reviennent à CVC. Sur ce point, l'État aurait-il dû effectuer un contrôle de l'accord ?
Mme Amélie Oudéa-Castéra. - Suivant l'esprit de l'article 51 de la loi du 2 mars 2022, l'ensemble des revenus commerciaux associés aux compétitions sportives gérées par la Ligue se trouvent dans l'assiette. Je n'ignore pas les garde-fous que ma prédécesseure avait veillé à introduire, notamment pour veiller à ce que les opérateurs de paris sportifs ne soient pas représentés dans le tour de table de la société commerciale et dans sa gouvernance.
D'après ce que je comprends, les recettes de paris font l'objet d'un partage en aval. Dans le cadre de vos travaux, même si vous avez trouvé surprenant que les mécanismes de refacturation d'une partie des rémunérations du président de la LFP n'aient pas été examinés de manière fine et transparente par les associés de CVC, ce n'est en rien une défaillance du contrôle de l'État. Il s'agit d'une construction juridique s'appuyant peut-être sur une incertitude du droit.
M. Michel Savin, rapporteur. - Nous sommes là pour essayer de corriger des dysfonctionnements. Ne pensez-vous pas que, à l'avenir, il faudrait que le ministère des sports donne son accord à tout pacte d'associés qui engage la Ligue de football professionnel ?
Mme Amélie Oudéa-Castéra. - D'après ce que je comprends, le texte a été transmis à la direction des sports - elle pourra vous le confirmer -, mais elle n'a pas pour autant à le contrôler.
M. Michel Savin, rapporteur. - Nous n'avons pas eu cette information.
Mme Amélie Oudéa-Castéra. - En tout cas, c'est ce qui m'a été expliqué : puisque vous avez déjà soulevé cette question, je m'y suis intéressée. C'est une chose de transmettre un document de ce type pour éclairer un contrôle de légalité dans sa forme la plus classique, c'en est une autre de vérifier le détail d'un pacte d'associés entre deux personnes privées. Ce n'est en rien le rôle du ministère des sports, qui a d'autres priorités.
M. Michel Savin, rapporteur. - Le 8 juin 2022, l'assemblée générale de la Ligue adoptait une modification de sa gouvernance réduisant le nombre de membres de son conseil d'administration, qui passait de vingt-cinq à dix-sept membres, dont seulement trois administrateurs indépendants au lieu de cinq. Une modification des statuts étant nécessaire pour prendre en compte la création de la société commerciale, la Ligue en a profité pour réformer sa gouvernance, d'une façon passée presque inaperçue.
Vous avez approuvé l'ensemble de ces modifications par arrêté le 28 juin 2022. Les raisons de la réduction du nombre d'administrateurs indépendants sont apparues clairement lors de l'élection récente du président de la Ligue : cette diminution permettait au président sortant d'être réélu sans opposition, avec un membre indépendant issu des « familles » et un autre choisi par la FFF. Qu'avez-vous pensé, en 2022, de la réforme proposée ? Êtes-vous intervenue, au moins sur la question du nombre d'administrateurs indépendants ? Il est plutôt d'usage d'augmenter leur nombre que de le réduire. En outre, une loi visant à démocratiser le sport en France a été votée cette année-là. Ce mode d'élection, à nos yeux, est contraire à cet objectif.
M. Patrick Kanner. - Celui qui a porté pendant deux ans la candidature française pour les jeux Olympiques et Paralympiques tient à féliciter celle qui les a mis en oeuvre : les Jeux ont été une grande fierté pour notre pays !
Au conseil d'administration de la LFP siège M. Nasser al-Khelaïfi, président de beIN Sports. Comment concilier ces rôles multiples ? Un administrateur étant directement lié aux recettes potentielles, y aurait-il des risques de conflits d'intérêts ? Faudrait-il introduire des règles nouvelles en matière de cumul de fonctions et, par définition, d'indépendance des décisions prises par la Ligue ?
Mme Amélie Oudéa-Castéra. - Autant je considère qu'il n'est absolument pas de la responsabilité du ministère des sports de connaître les détails d'un pacte d'associés entre deux acteurs privés dès lors que toute la construction a été validée devant la représentation nationale et a fait l'objet de tous les contrôles de légalité nécessaires, autant je considère qu'il est du devoir de ce même ministère de sécuriser le fonctionnement démocratique du sport français.
Les modalités d'élection figurant dans les nouveaux statuts de la LFP peuvent se comprendre dans leur principe, in abstracto : réduire le nombre d'acteurs à la table du conseil d'administration et le nombre de parrainages dans une volonté d'efficacité. En tant que ministre des sports, j'ai personnellement été mal à l'aise quand j'ai compris que le désalignement entre l'Union des acteurs du football (UAF) et Foot Unis sur le choix des parrainages pouvait, compte tenu des usages, aboutir à une situation où le président de la Ligue serait connu avant même que le simple exercice d'une volonté démocratique ait pu être exprimé.
La lettre des statuts est bien respectée, mais, dans l'esprit, on ne peut pas se satisfaire d'une mécanique où, in fine, le président est non pas élu, mais désigné. Ce n'est pas possible ! Quand Cyril Linette s'est adressé à moi sur ce sujet, j'ai jugé nécessaire d'intervenir, non pour imposer ma volonté aux acteurs, mais pour échanger avec chacun des protagonistes et pour comprendre comment éviter un pareil fiasco démocratique.
M. Michel Savin, rapporteur. - S'agit-il bien des statuts que vous avez validés ?
Mme Amélie Oudéa-Castéra. - En effet. C'est la raison pour laquelle j'étais mal à l'aise, sentiment que je n'éprouve pas quand j'estime qu'il n'y a pas de faute de mes services. Quand quelque chose, in fine, ne va pas, il faut assumer. J'ai donc passé différents coups de fil et j'ai mouillé la chemise pour essayer de trouver une solution.
Je me félicite surtout de l'engagement des acteurs en faveur d'une refonte des statuts, pour en finir avec un système archaïque par rapport aux attentes en matière de fonctionnement démocratique. J'espère qu'il sera tenu. Un choix a ainsi pu être soumis aux acteurs de la ligue 2 et de la ligue 1 sur la présidence.
La question des conflits d'intérêts n'est pas nouvelle. Au fond, elle se pose depuis l'entrée de QSI (Qatar Sports Investments) dans les finances du PSG. Le droit apporte un certain nombre de solutions, notamment sur les déports, question à laquelle nous avons tous, dans nos responsabilités, été confrontés.
Le président du PSG et celui de beIN Sports n'ont pas participé à certaines décisions, ni même aux débats qui les ont précédées : c'est le directeur général de beIN qui a mené un certain nombre des échanges. Des aménagements de ce type ont été trouvés.
Cela dit, il existe une collégialité à la Ligue. J'ai évoqué tout à l'heure la nécessité de renforcer les contrôles de la DNCG sur l'utilisation des fonds, le rôle que pourrait jouer la Cour des comptes, celui des commissaires aux comptes, ou encore la nécessité d'un fonctionnement co-actionnarial plus exigeant et d'une transparence accrue. Il revient selon moi aux clubs de ligue 1 et de ligue 2 de demander le renforcement des règles de déport en cas de conflits d'intérêts s'ils devaient avoir l'impression qu'elles ne sont pas suffisantes.
Pour ma part, je n'ai jamais été saisie en ce sens par aucun de ces acteurs ; dans ce cas, mieux vaut ne pas créer de suspicion. Vos travaux doivent en revanche permettre de soulever ces questions, d'améliorer les procédures, de renforcer les contrôles et la transparence. Pourquoi ne pas faire en sorte que la Ligue y revienne dans le cadre des travaux qu'elle a engagés sur la rénovation de sa gouvernance ?
M. Michel Savin, rapporteur. - Avez-vous imaginé demander un décalage d'un ou deux mois de l'élection à la tête de la Ligue ? Cela aurait permis à celle-ci de travailler rapidement avec les services du ministère ou de la FFF sur de nouveaux statuts, dans le sens d'une élection beaucoup plus démocratique. De fait, s'il y a eu deux candidats, le résultat était quasiment connu d'avance, donnant l'impression d'un simulacre d'élection.
Mme Amélie Oudéa-Castéra. - Je vous laisse libre de vos mots, mais, pour ma part, je ne crois pas que l'on puisse dire les choses ainsi. Cela dit, la question que vous posez est bonne. Quand j'ai pris mes fonctions, la question du timing des élections au sein des fédérations s'est posée à moi, en relation avec les jeux Olympiques et Paralympiques - vous n'êtes pas sans savoir qu'il y a tout un cycle d'élections des différents présidents à la fin de l'année 2024.
J'ai été saisie par plusieurs d'entre eux, y compris par certains dirigeants du Comité national olympique et sportif français (CNOSF), sur l'opportunité de reculer ces élections. J'y étais plutôt favorable, estimant que tout le monde devait être pleinement mobilisé pour les Jeux : il ne fallait pas créer de dissensions ou risquer des récupérations politico-politiciennes. J'ai fait étudier la question par la direction des sports et j'ai mené des consultations. Et, de manière massive, il m'a été dit, à l'époque, que, sauf élément d'intérêt général objectif, tel qu'une crise de grande ampleur, il ne fallait pas revoir les différents calendriers électoraux, pour ne pas créer de suspicion - de fait, il y aura toujours quelqu'un pour qui la nouvelle échéance électorale avantage ou désavantage tel ou tel acteur.
On ne peut pas dire que le contexte médiatique des dernières semaines ait créé un biais favorable à Vincent Labrune, pour nommer un chat un chat. J'ajoute que Cyril Linette, qui m'a saisie au sujet des parrainages, ne m'a pas sollicitée pour demander un report. Du reste, d'autres instances que le ministère exercent un pouvoir régulateur, comme la Fédération française de football.
Il me paraît important de préserver la régularité des cycles électoraux. Vincent Labrune a été élu en septembre 2020, si je ne m'abuse. Il était donc normal qu'une nouvelle élection intervienne quatre ans plus tard, comme les statuts le prévoient. Ce qui était capital pour moi était qu'il n'y ait pas de déni de démocratie, que le débat puisse avoir lieu et que personne ne soit forcé à rien.
M. Michel Savin, rapporteur. - Le problème est le mode d'élection et son organisation. On a bien vu que des présidents qui souhaitaient se porter candidats au collège de la ligue 1 se sont retirés, sachant pertinemment que leur candidature ne serait pas retenue. Ce n'est ni la faute du ministère ni celle de la ministre, mais s'il y a une demande de révision des statuts aujourd'hui, c'est bien la preuve que le mode d'élection pose problème.
Mme Amélie Oudéa-Castéra. - Il doit évoluer. Les acteurs de la Ligue le disent eux-mêmes.
M. Michel Savin, rapporteur. - On aurait pu imaginer un décalage d'un ou deux mois pour permettre, d'abord, un vrai débat démocratique et, peut-être, une révision des statuts. Cela n'a malheureusement pas été fait.
Mme Amélie Oudéa-Castéra. - Encore une fois, la demande ne m'en a pas été faite, et je pense que cela aurait été vu comme un tripatouillage. La date était posée et connue depuis très longtemps. Elle n'a pas bougé, en dépit des difficultés posées par le contexte.
M. Laurent Lafon, président. - Ce qui a surpris, c'est l'élection au début du mois de septembre, plutôt qu'au dernier trimestre.
Mme Amélie Oudéa-Castéra. - La précédente élection avait eu lieu en septembre, me semble-t-il.
M. Laurent Lafon, président. -Au début de septembre, avec les jeux Olympiques, chacun avait l'esprit ailleurs !
Mme Amélie Oudéa-Castéra. - Le football professionnel avait fait sa rentrée, les matchs avaient repris le 16 août...
Encore une fois, ce qui importe, c'est qu'il y ait eu un débat démocratique. Tous les acteurs ont eu la volonté de trouver une solution pour qu'il n'y ait pas de déni de démocratie dans le cadre de cette élection.
M. Laurent Lafon, président. - Nous avons un petit doute en l'espèce.
Mme Amélie Oudéa-Castéra. - Il y a eu une élection, et un débat qui a été relayé amplement.
M. Michel Savin, rapporteur. - Nous souscrivons à la nécessité de revoir les statuts s'agissant de cette élection.
Mme Amélie Oudéa-Castéra. - J'ai veillé à ce qu'il y ait cet engagement. J'ai indiqué à Christophe Bouchet, qui m'a interpellée sur cette question, qu'il était nécessaire d'améliorer la gouvernance pour l'avenir. Je pense que j'ai montré à de nombreuses reprises que c'était à mes yeux une exigence pour le sport français.
M. Michel Savin, rapporteur. - Je passe au sujet des rémunérations. Vous avez dit tout à l'heure que les acteurs étaient conscients que la situation était un peu compliquée en ce moment pour le football français, compte tenu du résultat des droits TV. Mais, dans le même temps, la Ligue s'est portée acquéreuse d'un siège, dans une période de grandes incertitudes sur les recettes. Elle s'est engagée dans un investissement très important, qui pèse aujourd'hui sur ses finances.
Le montant du salaire du président de la Ligue est bien sûr, pour nous, source d'interrogation. Ce salaire - avec les bonus - a été triplé à la suite de l'opération CVC, passant de 420 000 à 1,2 million d'euros. Il a été doublé hier par le conseil d'administration de la Ligue, qui l'a fait passer à 840 000 euros - sans compter les frais de mandat et les avantages en nature. Cette pratique vous paraît-elle normale ?
Mme Amélie Oudéa-Castéra. - Le sujet est très difficile et très sensible. Ces sommes excessivement élevées peuvent choquer nos compatriotes. J'en ai parfaitement conscience et je suis très vigilante sur ce point.
Toutefois, ce n'est pas du tout le ministère des sports qui fixe ces niveaux de rémunération. Je n'avais pas de raison d'en avoir connaissance ! Mais il faut se rappeler que des situations de ce type, que l'on peut parfaitement juger choquantes, sont le fait de fonds d'investissement, d'hommes d'affaires aguerris qui font des plans d'affaires. Ce sont des choses qu'ils décident entre eux, en appréciant notamment la masse des capitaux qui a été apportée - en l'occurrence les 1,5 milliard d'euros issus du contrat avec CVC.
J'ai indiqué combien j'étais étonnée et embêtée que la mécanique du système de refacturation n'ait visiblement pas été identifiée par CVC. Je pense qu'il y a là une difficulté qu'il faudra absolument corriger. Cela doit faire partie de l'amélioration de l'efficacité du fonctionnement de LFP Media et de l'assainissement de la relation financière entre les co-actionnaires de la société. Vous avez raison de soulever ces questions, d'interroger la mécanique de l'enveloppe d'ensemble, du jeu de refacturation, du jeu d'écriture entre la Ligue et LFP Media. Il y a là une responsabilité des acteurs, des commissaires aux comptes, et cela interroge le rôle que peuvent jouer les conventions réglementées.
Encore une fois, le droit des sociétés regorge de situations de ce type, d'hommes d'affaires aguerris, chevronnés, qui ont déjà fait des dizaines de deals, de partenariats de ce type et les connaissent par coeur. C'est à eux de prendre ces décisions et de calibrer les choses.
Je le redis, je pense qu'il y a aujourd'hui une prise de conscience de la part des dirigeants. On peut saluer l'attitude du directeur général, qui renonce à une partie de sa rémunération. On comprend aujourd'hui qu'un effort de modération est indispensable, qu'il convient de revoir le train de vie de la Ligue, d'améliorer la transparence financière et de faire en sorte qu'il n'y ait pas de disproportion entre ce que touchent certains et les difficultés extrêmes que connaissent certains clubs du fait de la compression des recettes des droits audiovisuels, a fortiori dans un contexte difficile pour tous les acteurs de la chaîne, y compris - je l'ai dit - pour les consommateurs qui, pour acquérir leur abonnement à DAZN, ont dû payer des montants trop élevés par rapport à leurs capacités.
M. Patrick Kanner. - Je crois que nous souscrivons tous à votre souci de modération. Mais, lorsque vous étiez ministre, vous êtes-vous ouverte à M. Labrune ou à son entourage de votre préoccupation, que je trouve tout à fait légitime, quant au niveau de vie de la Ligue ? Même si vous n'aviez pas d'autorité hiérarchique sur M. Labrune, l'avez-vous interpellé sur ce que l'on peut considérer comme des débordements ? Je pense notamment aux nouveaux locaux.
Mme Amélie Oudéa-Castéra. - Je n'avais pas connaissance de ces montants.
M. Laurent Lafon, président. - Ils sont tout de même parus dans L'Équipe !
Mme Amélie Oudéa-Castéra. - À la faveur de vos travaux ?
M. Laurent Lafon, président. - Non, bien avant.
Mme Amélie Oudéa-Castéra. - Personnellement, je n'en avais pas connaissance. Il faut dire que j'ai eu bien d'autres soucis à gérer, y compris dans le domaine du football. La responsabilité en la matière revient, je le redis, à des partenaires d'affaires chevronnés qui pouvaient demander les comptes nécessaires, dans un contexte de collégialité avec des dirigeants de clubs de ligue 1 et de ligue 2 qui passent leur temps à régler des questions de ce type et traitent des masses financières très importantes gérées par la chaîne économique du football français.
Je pense avoir, dans l'exercice de mes fonctions, énormément challengé la LFP, notamment pour ce qui est de sa gouvernance. Je l'ai fait devant une instance connue, l'Instance nationale du supportérisme, qui réunit de très nombreuses parties prenantes du foot français. Et ces gens étaient surpris que je leur rentre dans le chou, si vous me permettez l'expression, sur les violences, la lutte contre les discriminations, ou encore la manière dont les femmes ou les personnes en situation de handicap sont traitées dans les stades... Je les ai challengés plus que nombre de mes prédécesseurs. Sur ce plan, j'estime que j'ai plus que livré les combats qui me revenaient.
M. Michel Savin, rapporteur. - Nous ne remettons pas en cause les dossiers que vous avez portés. Il vous a simplement été demandé si vous aviez effectué une démarche auprès du président de la Ligue.
M. Laurent Lafon, président. - Nous reconnaissons volontiers que, durant vos deux ans à tête du ministère, vous avez fait preuve d'un certain courage vis-à-vis de certains responsables de fédération, notamment face à certains comportements déviants. Selon vous, à quel moment un ministre doit-il intervenir ? Je vous pose la question de manière prospective, compte tenu de votre légitimité sur ce point.
Mme Amélie Oudéa-Castéra. - J'aurais eu toute légitimité à intervenir si des prescriptions relatives aux rémunérations de dirigeants d'administration centrale, de services déconcentrés ou d'établissements publics avaient enfreint des dispositions législatives ou réglementaires. Mais nous parlons là de la rémunération d'un acteur privé, dans le cadre d'une association de droit privé !
M. Laurent Lafon, président. - Oui, mais en vertu d'une délégation par la loi !
Mme Amélie Oudéa-Castéra. - Pour autant, vous le savez, la loi ne réglemente en rien la rémunération du président de la Ligue de football professionnel.
Cela dit, je souhaite qu'il y ait à l'avenir plus de transparence et un meilleur rapport entre la valeur créée, la récompense attribuée et le contexte économique et financier global dans lequel se trouve le football français - vos travaux vont largement y contribuer. Je salue aussi le groupe de travail monté par quatre présidents de club - ceux de Lille, Amiens, Reims et Angers -, pour demander des efforts très importants, y compris sur le plan des ressources humaines, aux cadres de la LFP.
M. Michel Savin, rapporteur. - Faut-il encadrer par la loi les rémunérations des dirigeants, aussi bien des fédérations que des ligues, qui disposent d'une subdélégation de service public ? Aujourd'hui, des chefs d'entreprises publiques...
Mme Amélie Oudéa-Castéra. - D'entreprises publiques, pas de sociétés de droit privé.
M. Michel Savin, rapporteur. - Rien n'empêche de contrôler par la loi les structures disposant d'une subdélégation de service public.
Mme Amélie Oudéa-Castéra. - Il pourrait y avoir des plafonds.
M. Michel Savin, rapporteur. - Y seriez-vous favorable ?
Mme Amélie Oudéa-Castéra. - Dans toute organisation, qu'elle soit de droit public ou privé, il me paraît indispensable que la part variable de la rémunération soit fixée en fonction du contexte économique et de la valeur apportée par le dirigeant.
M. Michel Savin, rapporteur. - Vous avez tout à fait raison. Mais regardons les chiffres. En 2021, le salaire du président de la Ligue s'élevait à 420 000 euros. Hier, il a été annoncé que cette rémunération serait portée à 840 000 euros. Quelle valeur le président a-t-il apportée qui justifie une telle augmentation ? La cession des droits TV à Amazon Prime Video ? Des droits TV qui auraient dû générer 1,1 milliard de revenus, et qui n'en rapporteront que 500 millions environ ?
J'entends vos arguments. Mais au vu de la situation, on peut s'interroger. Aussi, ne vaudrait-il pas mieux encadrer la rémunération des présidents, comme c'est le cas pour les dirigeants des entreprises publiques ?
Mme Amélie Oudéa-Castéra. - Il est incontestable que le train de vie de la LFP s'est quelque peu emballé avant même que les droits TV pour le cycle 2024-2029 aient été négociés. On a pour ainsi dire mis la charrue avant les boeufs. Il y a eu une forme d'optimisme, y compris dans des annonces, que je regrette.
Pour autant, si la rémunération de Vincent Labrune cristallise aujourd'hui les débats, le mouvement dont elle a découlé est plus global : il y a aussi eu de très nombreuses embauches, l'acquisition d'un nouveau siège...
M. Patrick Kanner. - C'est quand même lui qui est au coeur du dispositif !
M. Laurent Lafon, président. - Et c'est un enrichissement personnel. Ce n'est pas tout à fait comparable, même si cela témoigne d'un certain train de vie.
Mme Amélie Oudéa-Castéra. - Il n'est pas le seul à avoir touché un bonus lié à la réalisation du partenariat.
Dans mon propos introductif, j'ai souligné qu'il fallait revenir sur le train de vie de la Ligue et que les acteurs en avaient conscience. Je suis sûre que cet effort sera fait : il est indispensable. Le foot français ne peut pas vivre au-dessus de ses moyens. Les dirigeants des clubs le savent. Ils sont, pour nombre d'entre eux, des chefs d'entreprises.
Il y a certainement eu des excès, qui ne doivent pas être imputés à la puissance publique, mais qui relèvent de relations d'affaires entre des hommes aguerris. À l'avenir, elles doivent être mieux contrôlées.
M. Michel Savin, rapporteur. - Selon vous, les dirigeants ont conscience que cet effort est nécessaire. Comment, alors, le salaire du président de la LFP a-t-il pu doubler entre 2021 et 2024 ? S'il était resté au même niveau pour être éventuellement rediscuté en cas d'augmentation des recettes, le message aurait été différent : c'est du moins ce que j'attendais.
Au cours de plusieurs auditions, nous avons constaté une confusion entre les rôles respectifs dévolus à la fédération, à la LFP et à la société commerciale. Cette architecture est-elle toujours adaptée ? Comment pourrait-elle être clarifiée ?
Mme Amélie Oudéa-Castéra. - La création de la société commerciale est issue d'un amendement parlementaire - et non du gouvernement - défendu au cours d'un débat particulièrement nourri. Désormais, il importe que cette société tourne bien. La Fédération française de football doit jouer son rôle de délégataire, et les instances qui forment le tour de table de la Ligue, celui de subdélégataire. Enfin, tous les acteurs doivent veiller au bon fonctionnement de LFP Media, que ce soient les commissaires aux comptes, les co-actionnaires, et, en toile de fond, la DNCG.
Ces acteurs doivent se montrer plus vigilants qu'ils ne l'ont été dans la période récente. Les documents - les différentes conventions réglementées, les refacturations - doivent être plus précis et transparents. Tout cela permet d'y voir beaucoup plus clair.
En ceci, vos travaux seront utiles. Ils créeront un avant et un après, que je ne peux qu'appeler de mes voeux. C'est le sens des combats que j'ai menés, pour la vitalité démocratique et pour l'éthique dans le fonctionnement du sport français. Je suis également favorable à une modération très forte du train de la vie de la Ligue en fonction du contexte que connaissent ses différents clubs, et à une responsabilisation de l'ensemble des acteurs. Nous devons enfin évoluer vers une plus forte collégialité. Je salue par exemple la démarche du groupe de travail formé par les présidents de clubs que j'ai évoqué.
M. Laurent Lafon, président. - Nous ne sommes pourtant pas les premiers à souligner la complexité de l'articulation entre le ministère, la FFF et la LFP, sans même parler de la société commerciale. Je pense notamment au rapport de Rémy Schwartz sur l'évolution des relations entre les fédérations et les ligues professionnelles. En avez-vous tiré des enseignements ? Pourquoi n'a-t-il pas eu de suites ?
Mme Amélie Oudéa-Castéra. - Ce rapport ne traitait pas de choix économiques ou de la création d'une société commerciale. Cette dernière faculté a été ouverte par l'article 51 de la loi du 2 mars 2022, non seulement au football, mais aussi à d'autres disciplines sportives. Je ne reviens pas dessus. Dans son rapport, Rémy Schwartz analysait les toilettages nécessaires dans le code du sport, tant dans sa partie législative que réglementaire, afin de clarifier les relations entre les fédérations délégataires de service public et leurs ligues subdélégataires.
Les débats auxquels j'ai contribué, même si je n'ai pas pu les mener à leur terme, notamment dans le cadre du projet de loi « Héritage des jeux Olympiques et Paralympiques », s'intéressaient notamment à la manière de remédier à l'incertitude existentielle des ligues. Celles-ci manquent en effet de visibilité sur le renouvellement de la subdélégation.
Pour vous donner un autre exemple de la teneur de ces réflexions, Rémy Schwartz a montré que l'ambiguïté des textes ne permettait pas réellement de créer une ligue féminine disposant d'une personnalité juridique autonome.
Par ailleurs, nous nous sommes demandé qui devait être chargé de trancher d'éventuels blocages entre une fédération et une ligue. Rémy Schwartz proposait, dans ce cadre, de donner au ministre des sports une faculté d'arbitrage, de façon à rétablir un équilibre dans une relation que les ligues ressentaient souvent comme une forme de dépendance.
Tous ces points de droit ont été débattus. J'ai organisé plusieurs réunions au ministère du sport en présence d'acteurs issus de l'ensemble des disciplines sportives. Nous avions identifié ce qui pouvait faire l'objet de modifications réglementaires, et ce qui nécessitait une assise législative. Si ce projet de loi devait être examiné, les débats seront prêts.
J'en profite, par ailleurs, pour rectifier mes propos : j'ai indiqué ne pas avoir reçu de demande de décalage des élections. Or Christophe Bouchet m'avait bien demandé de décaler le cycle d'élections, au tout dernier moment. Il m'avait semblé qu'au contraire, cela aurait été vu comme un tripatouillage. En effet, il n'existait pas de motif d'intérêt général suffisant pour le faire, dès lors que la dynamique des parrainages permettait une discussion démocratique.
M. Michel Savin, rapporteur. - De nombreux présidents de clubs nous ont fait part de leurs inquiétudes, car ils avaient calculé leur budget prévisionnel en escomptant des revenus issus des droits TV supérieurs à ceux effectivement perçus.
Faut-il réduire ou encadrer les masses salariales au sein des ligues professionnelles afin de s'attaquer au déficit d'exploitation régulier dans les clubs ? Un autre modèle est-il possible ?
Mme Amélie Oudéa-Castéra. -Nous voulons tous un football compétitif, en tenant compte du niveau des charges sociales lié à notre système de protection sociale. Aussi, nous devons faire preuve à la fois de responsabilité et de réalisme.
Je considère qu'il y a des excès dans le football, tant de la part des dirigeants que des joueurs. Pour autant, les niveaux de rémunération sont aussi associés à des talents exceptionnels - ne sous-estimons pas les sacrifices et les efforts de chacun - et au jeu du marché et des forces économiques.
L'équation à laquelle sont confrontés aujourd'hui les clubs de ligue 1 et de ligue 2 impose un effort de modération à court terme. Nous ne pouvons pas espérer de nouvelles recettes sous l'effet d'un coup de baguette magique. Pour cela, il faudra du temps, de la prospection auprès de nouveaux partenaires, et, surtout, une évolution fondamentale de la proposition des valeurs du football français. C'est un sport qui doit devenir plus familial, plus accueillant pour les femmes qui viennent au stade, plus inclusif, plus sûr. Les liens entre les violences dans le football et la finance sont en effet importants. Ce travail est indispensable, et, pour l'heure, il reste insuffisant.
À court terme, le seul levier consiste donc à agir sur la baisse des coûts. Là encore, le nombre de solutions est restreint. Nous devons continuer à entretenir l'excellence dans nos centres de formation, car elle permet à nos clubs de céder un certain nombre de joueurs et de toucher des revenus importants. C'est l'une des particularités du business model du foot français. Les clubs savent qu'ils devront renoncer à certains achats dans le cadre du mercato. Jean-Pierre Rivère, président de l'OGC Nice, l'a récemment reconnu. Les rémunérations et les bonus des dirigeants et des joueurs devront être ajustés.
M. Michel Savin, rapporteur. - Et ceux des agents.
Mme Amélie Oudéa-Castéra. - Ce sera le cas pour l'ensemble des maillons de la chaîne. À l'échelle européenne, le contexte est marqué par une concurrence et un appétit toujours croissants. Nous devons donc travailler sur les fondamentaux du foot français, pour développer les revenus du merchandising et du sponsoring. Travaillons aussi sur les offres d'hospitalité de nos clubs. Ailleurs en Europe, elles sont souvent bien plus fortes.
Il convient de travailler sur l'individualisation de la relation, les données, l'expérience digitale, l'innovation, une connaissance client plus forte et le respect renforcé à l'égard des supporters, afin que la valeur du football français continue de progresser, au-delà de sa valeur sportive intrinsèque. Il faut se demander pourquoi, en termes de droits TV, il y a un écart entre la Premier League britannique et le championnat de France. À cet égard, la France est plus proche des Pays-Bas ou du Portugal que des autres membres du Big Five européen.
Les droits audiovisuels n'étant qu'une partie de l'équation, la réflexion menée doit être globale.
M. Michel Savin, rapporteur. - Le dispositif des appels d'offres prévu par le code du sport est-il encore adéquat ? Faut-il le modifier ? Comment limiter la dispersion des droits, désastreuse pour le consommateur du fait de la multiplication des abonnements ? Que faire face au développement du piratage ?
Mme Amélie Oudéa-Castéra. - Aux termes du décret pris en application de la loi du 2 mars 2022, les procédures internes doivent permettre d'assurer le respect du cadre concurrentiel. Le rapport attendu pour 2024, qui n'a pas encore été produit, aura pour effet de tirer les leçons des derniers cycles de négociation.
À chaque époque est apparue une situation spécifique : l'affaire Mediapro ; les difficultés entre le groupe Canal+ et la LFP ; enfin, l'accord avec DAZN et beIN Sports. Il faut être attentifs aux risques et « débriefer » suffisamment.
La valeur ajoutée du fonds CVC a été évoquée... La dimension d'analyse et de retour d'expérience est importante pour comprendre, par exemple, pourquoi Amazon n'a pas réussi à créer suffisamment de valeur, pourquoi la masse de ses abonnés n'a pas assez progressé. On aimerait sur ce sujet entendre les acteurs concernés et la ligue. L'expérience de CVC dans la Liga espagnole et dans les autres sports - tennis, rugby - doit être source de création de valeur et d'intelligence renforcée.
M. Michel Savin, rapporteur. - Il est surprenant qu'après l'échec d'Amazon la société commerciale et la LFP aient envisagé un business plan prévoyant 1,1 milliard d'euros de droits TV. On a vu le résultat avec Mediapro !
Mme Amélie Oudéa-Castéra. - Il est essentiel de tirer toutes les leçons du passé. Il faut que l'accord avec DAZN soit un succès, y compris pour le consommateur - je salue à cet égard la réduction de prix proposée, qui était attendue. Ce cadre doit être consolidé afin que les acteurs concernés disposent de modèles économiques viables.
M. Michel Savin, rapporteur. - Les clubs, ainsi que DAZN, ont souhaité qu'il soit possible de mettre fin au contrat au bout de deux ans si le nombre des abonnés n'atteint pas 1,5 million. N'est-ce pas un risque pour le football français ? Vous parlez de consolidation et de développement, mais avec une telle épée de Damoclès on peut se poser des questions...
Mme Amélie Oudéa-Castéra. - C'est en effet un risque auquel il faut être très attentif. C'est pourquoi j'ai souhaité que soit portée de quatre à cinq ans la durée des cycles, afin de renforcer la capacité d'amortissement de ce type d'investissement. C'est à la puissance publique de créer les conditions d'un fonctionnement économique plus efficace. Par ailleurs, il convient de suivre certains plans d'affaires...
M. Michel Savin, rapporteur. - Cela va à l'encontre de votre objectif...
Mme Amélie Oudéa-Castéra. - Il est normal que, dans le cadre de relations économiques, un bilan et des conclusions soient tirés, et qu'il existe un mécanisme de droit de retrait dès lors que les objectifs partagés ne sont pas atteints. Encore une fois, il faut tirer des leçons des dossiers Amazon, DAZN et beIN Sports.
Un plan B a été, à un moment, évoqué par la LFP : une production autonome et des sources de revenus adjacentes, notamment les paris sportifs, le digital, les jetons non fongibles (NFT). La mécanique digitale de création de valeur permettra d'obtenir des gains supérieurs aux seuls droits audiovisuels. CVC peut nous aider à enrichir la réflexion portant sur ces innovations. Même si la situation n'est pas catastrophique, il faut examiner les modèles existants et améliorer notre analyse économique.
M. Laurent Lafon, président. - Nous partageons votre point de vue, tout à fait rationnel et fondé, sur le besoin d'analyse. Mais nous sommes surpris que ce bilan objectif sur l'état du marché, ou les forces et les faiblesses, n'ait pas été fait par la Ligue, malgré les alertes survenues depuis l'affaire Mediapro. Depuis deux ans, le rôle de CVC en termes de professionnalisation dans le processus de décision et d'objectivation de la réalité du marché est discutable. Pourquoi cela changerait-il ?
Mme Amélie Oudéa-Castéra. - Le rapport précité permettra de dresser le bilan du dernier cycle. L'accord sur les droits que nous avons évoqué est en cours de finalisation : ses termes sont stabilisés pour la ligue 2, et ledit accord est en bonne voie pour la ligue 1.
Je ne doute pas que les acteurs concernés aient fait des efforts considérables pour parvenir à la meilleure situation possible, alors même que la pression était très forte. Mais il faut aujourd'hui un débriefing plus approfondi et une analyse comparative des modèles économiques. C'est justement ce qui peut constituer l'apport de CVC. J'ai connu la même situation dans le monde du tennis : les droits audiovisuels pour le tournoi de Wimbledon sont supérieurs à ceux du tournoi de Roland-Garros. L'analyse de ces écarts est stratégique, car elle permet de faire évoluer le produit lui-même ; cela passe notamment par la connaissance des personnes qui fréquentent les différentes enceintes sportives. C'est ce travail qu'a réalisé le sport anglais.
M. Michel Savin, rapporteur. - L'accord entre beIN et la LFP n'est pas encore finalisé pour ce qui concerne le montage entre droits TV et sponsoring. Ce montage n'est-il pas un moyen de soustraire une partie des montants à la taxe Buffet ?
Mme Amélie Oudéa-Castéra. - Je ne le pense pas, mais il faut être vigilant.
Nous parlons d'une enveloppe globale de 100 millions d'euros, dont 80 millions sont constitués par les droits audiovisuels ; la partie sponsoring représente 20 millions d'euros. Les discussions sont en cours et doivent aboutir au mois d'octobre. Cette logique de sponsoring ne doit pas être dictée par une volonté d'évasion fiscale, comme vous le sous-entendez.
M. Michel Savin, rapporteur. - Ce n'est pas un sous-entendu...
Mme Amélie Oudéa-Castéra. - La taxe Buffet de 5 %, applicable à ces 80 millions d'euros, est essentielle pour le sport amateur de manière générale. Je me suis, à cet égard, assez battue pour défendre le budget du ministère des sports... C'est désormais à mon successeur de reprendre ce combat. Il faudra y être vigilant.
M. Michel Savin, rapporteur. - On assiste à des interventions croissantes dans le football de fonds d'investissement, qui deviennent propriétaires de clubs. Faut-il renforcer le contrôle sur ces investissements, voire bloquer certaines opérations si nécessaire ?
Mme Amélie Oudéa-Castéra. - Tout d'abord, pour répondre à une précédente question, nous devons lutter résolument contre le piratage si nous voulons avoir des modèles sains et robustes, et tous les acteurs concernés doivent jouer le jeu. La législation en vigueur permet de bloquer rapidement les comptes illégaux, que ce soit sur des plateformes comme Telegram, des applications d'IPTV (Internet Protocol Television) ou au travers de serveurs VPN (réseau privé virtuel). Il faut aller au bout de cette logique, par exemple en renforçant cette législation via la création d'un délit spécifique. La collaboration doit se poursuivre avec les différentes plateformes, ce qui va de pair avec l'effort de modération sur les prix de la part des diffuseurs.
Pour ce qui concerne les fonds d'investissement, comme je l'ai dit lors du congrès de l'UEFA au début de cette année, j'ai envie que le sport français, et notamment le football, soit attractif pour les investisseurs. Pour autant, il est indispensable de poser des garde-fous. Il faut davantage de rigueur à l'échelle européenne dans l'appréhension des phénomènes de multipropriété. Le président de l'UEFA, Aleksander Ceferin, a été très volontariste sur ce sujet. Si l'équité sportive est protégée au niveau national, tel n'est pas forcément le cas au niveau européen.
C'est une chance d'avoir une puissance d'investissement au service du sport français, mais il faut veiller aux motivations des fonds, et à la préservation de l'équité sportive en cas de multipropriété ainsi que de l'ancrage territorial, ce tissu local absolument essentiel.
Sur ce sujet, je n'exprimerai donc pas de suspicion a priori, mais je ne donnerai pas non plus de blanc-seing. C'est une question de curseur. Nous bénéficierons des retours d'expérience des derniers mois. Plusieurs clubs français sont concernés, en ligue 1 et en ligue 2. Les acteurs concernés sont très lucides quant à la chance que représentent ces fonds d'investissement - je pense à cet égard aux dernières performances du Racing Club de Strasbourg -, mais aussi quant aux risques que leurs interventions peuvent entraîner.
M. Michel Savin, rapporteur. - Je comprends que vous êtes pour le renforcement du contrôle, en matière de provenance des fonds comme d'ancrage territorial. Nous nous inquiétons aussi du risque de voir les règles de la DNCG être contournées par des transferts ou des prêts de joueurs, ce qui remet en cause l'équité d'un championnat.
Mme Amélie Oudéa-Castéra. - Je suis d'accord, il faut de la régulation. C'est bien ce que j'ai suggéré au congrès de l'UEFA, car cette réflexion doit être menée à l'échelle européenne a minima.
M. Michel Savin, rapporteur. - Mais nous pouvons aussi être un exemple en la matière...
Notre dernière question n'a rien à voir avec le football : il s'agit de tennis. L'Équipe du 24 mai dernier fait état de recommandations de l'Inspection générale de l'éducation, du sport et de la recherche (IGESR) préconisant la création d'une société commerciale pour « professionnaliser et améliorer l'organisation et la rentabilité commerciale des deux tournois (Roland Garros et Paris-Bercy) et permettre à la Fédération française de tennis (FFT) de mieux s'investir dans ses missions de base ». Il semble que cette orientation ait été repoussée. Pourquoi ? Qu'en pensez-vous ?
Mme Amélie Oudéa-Castéra. - Je n'ai aucune connaissance de ce dossier. En effet, durant mes fonctions ministérielles, un décret de déport m'empêchait de connaître de tout ce qui a trait aux affaires de la FFT. Je vous invite à vous adresser aux services du Premier ministre, qui avaient alors la tutelle de la FFT.
M. Laurent Lafon, président. - Merci pour vos réponses à nos nombreuses questions.
Cette audition a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.
La réunion est close à 16 heures 35.