- Mardi 24 septembre 2024
- Contrôle budgétaire - L'immobilier de l'administration territoriale de l'État - Communication
- Contrôle budgétaire - Recentralisation du revenu de solidarité active - Communication
- Contrôle budgétaire - Formation linguistique et civique dans le cadre du contrat d'intégration républicaine - Communication
- Proposition de loi visant à mettre à contribution les Ehpad privés à but lucratif réalisant des profits excessifs - Désignation d'un rapporteur
- Mercredi 25 septembre 2024
- Mission conjointe de contrôle relative aux inondations survenues en 2023 et au début de l'année 2024 - Examen du rapport d'information
- Financement des actions multilatérales de la France - exercices 2017 à 2023 - Audition de MM. Christian Charpy, président de la 4e chambre de la Cour des comptes, Bertrand Dumont, directeur général du Trésor et Olivier Richard, directeur général adjoint de la mondialisation, pour suite à donner à l'enquête de la Cour des comptes
Mardi 24 septembre 2024
- Présidence de M. Claude Raynal, président -
La réunion est ouverte à 15 h 05.
Contrôle budgétaire - L'immobilier de l'administration territoriale de l'État - Communication
M. Claude Raynal, président. - Permettez-moi tout d'abord de féliciter, même si évidemment elle n'est pas parmi nous, notre collègue Marie-Claire Carrère-Gée pour sa nomination comme ministre déléguée auprès du Premier ministre, chargée de la coordination gouvernementale.
Nous allons maintenant entendre une communication de Mme Florence Blatrix Contat, rapporteure spéciale des crédits de la mission « Administration générale et territoriale de l'État ».
Mme Florence Blatrix Contat, rapporteure spéciale. - Le patrimoine immobilier de l'administration territoriale de l'État (ATE) doit retenir l'attention de notre commission à trois titres. D'abord parce qu'il est dans un état très préoccupant : c'est le « parent pauvre » du ministère de l'intérieur lors de ses arbitrages budgétaires ; ensuite parce qu'il est confronté, comme l'ensemble de l'immobilier tertiaire de l'État à des besoins d'investissements considérables pour répondre aux obligations relatives à la transition énergétique ; enfin parce que l'immobilier de l'administration territoriale de l'État est, comme l'immobilier de la direction générale des finances publiques (DGFiP), concerné par la mise en place à compter du 1er janvier 2025 d'une foncière interministérielle, laquelle a vocation, à terme, à absorber l'immobilier de la plupart des ministères.
L'immobilier de l'administration territoriale de l'État est dans une situation très dégradée.
C'est ce qu'il ressort des auditions et déplacements que j'ai réalisés. Plutôt que d'avoir une vision proactive et stratégique de son patrimoine immobilier, le ministère de l'intérieur gère en permanence l'urgence.
Je me suis rendue à la préfecture de Bastia où j'ai pu visiter des locaux qui avaient été désertés en trois jours, à la suite d'une décision du préfet, après qu'a été diagnostiquée la présence massive d'amiante dans le bâtiment. C'était une visite irréaliste, digne de la science-fiction : des dossiers gisaient par terre çà et là, les bureaux étant toujours en place au milieu des décombres d'un commencement de travaux...
Si l'exemple de la préfecture de Haute-Corse est à bien des égards singulier, voire caricatural, il n'en demeure pas moins qu'il illustre de façon très marquante une situation : le programme 354 « Administration territoriale de l'État » ne permet aujourd'hui que de gérer des urgences. Il ne peut, en aucun cas, servir de base pour mener une politique immobilière structurée et fondée sur des diagnostics immobiliers précis.
Comme le relevait l'inspection générale de l'administration en 2015, les retards dans l'entretien normal des bâtiments se traduisent « par une dégradation physique des bâtiments liée à une maintenance insuffisante, notamment pour sa composante préventive. Or, l'entretien qui n'est pas réalisé à temps coûte beaucoup plus cher une fois que les désordres sont apparus. »
Cette alerte est d'autant plus forte pour le patrimoine des directions départementales interministérielles (DDI) et des directions régionales (DR) de l'ATE : les dépenses qui incombent au propriétaire ne sont aujourd'hui plus réellement portées par personne. En effet, le ministère de l'intérieur renvoie vers le programme 723 « Opérations immobilières et entretien des bâtiments de l'État », du compte d'affectation spéciale « Immobilier de l'État », qui n'a nullement les moyens de soutenir de telles dépenses.
Heureusement, les programmes de rénovation des cités administratives et du plan de relance ont permis de prendre en charge un certain nombre de projets. Ces vecteurs n'étant pas pérennes, les dépenses du propriétaire des DDI et des DR de l'ATE doivent désormais être pleinement intégrées au périmètre du programme 354.
Par ailleurs, je souhaite revenir rapidement sur deux points : la mise à disposition de certains bâtiments par les collectivités territoriales - principalement les départements - et la location de certaines emprises à des bailleurs privés.
Je considère que les bâtiments occupés exclusivement par l'État et mis à disposition par les collectivités doivent pouvoir lui être cédés lorsque les collectivités en sont d'accord. Seraient principalement concernés les bâtiments qui ne sont occupés que par les services de l'État, dans une démarche de simplification et de rationalisation. L'intégration pleine et entière de ces biens au patrimoine de l'État contribuerait à améliorer la vision stratégique du ministère sur son patrimoine.
En ce qui concerne les biens loués par l'État auprès de bailleurs privés, je relève dans mon rapport que les loyers externes ont représenté, en 2023, près de deux fois et demie les dépenses d'investissement immobilier du programme 354. Je déplore cette situation ; je considère qu'il est nécessaire de trouver les moyens de financer des opérations qui permettent d'abandonner ces biens pour privilégier des sites domaniaux et faire des économies de loyers. On ne peut que regretter que certaines opérations, conduisant à un retour sur investissement très favorable à l'État, ne parviennent pas à être financées, surtout lorsqu'elles permettent, de surcroît, de répondre à des objectifs de transition énergétique du parc.
La transition énergétique constitue en effet le deuxième axe de mon contrôle.
Comme me l'a indiqué le directeur de l'immobilier de l'État, les travaux de rénovation énergétique « n'ont pas été finement déclinés au niveau de l'administration territoriale de l'État ; [...] les crédits immobiliers consacrés à l'ATE, et singulièrement aux DDI et aux directions régionales, sont notoirement insuffisants ne serait-ce que pour permettre l'entretien des bâtiments. Les crédits immobiliers prévus pour l'entretien et la rénovation thermique des bâtiments de l'État sont donc insuffisants dans l'immédiat, y compris en pluriannualité. »
Cette situation est d'autant plus préoccupante que la transition énergétique des bâtiments découle non plus uniquement d'arbitrages politiques, mais bien d'obligations juridiques, issues de la loi du 23 novembre 2018 portant évolution du logement, de l'aménagement et du numérique, dite loi Élan, et de la directive européenne sur la performance énergétique des bâtiments.
Désormais, les ministères n'ont plus le choix et doivent assurer la transition écologique de leur parc immobilier.
Je constate de ce point de vue un hiatus très marqué entre les annonces des précédents gouvernements et les moyens réellement débloqués pour y répondre.
Ainsi, à l'échelle de l'ensemble de l'immobilier de l'État, le Centre d'études et d'expertise sur les risques, l'environnement, la mobilité et l'aménagement (Cerema) estime qu'il faudrait réaliser chaque année autour de 5 milliards d'euros d'investissements « verts » dans l'immobilier, là où l'État ne dépense aujourd'hui que 500 millions d'euros.
La dépense immobilière est ainsi aujourd'hui très insuffisante sur l'ensemble du périmètre de l'État, et singulièrement pour l'administration territoriale.
Dans l'immédiat, le manque de connaissance du parc me conduit à plaider pour que soir lancé un réel chantier d'objectivation des besoins financiers permettant d'assurer la transition énergétique du parc.
Surtout, la transition écologique ne pourra pas se faire à parc immobilier constant : les surfaces doivent impérativement être réduites. En effet, alors que la circulaire de la Première ministre de février 2023, dite circulaire « surface », impose un plafond de 18 mètres carrés de surface utile brute par résident aux nouveaux projets d'installation ou de rénovation, cette surface est aujourd'hui, dans l'administration territoriale de l'État, proche des 40 mètres carrés, soit plus de deux fois le plafond. Il est donc nécessaire de mener une politique de densification beaucoup plus volontariste.
Néanmoins, pour s'assurer du réalisme de ces objectifs, il est nécessaire d'exclure des ratios de mètres carrés par résident certains espaces de réception et de réunion des préfectures, qui sont tournés non pas uniquement vers les résidents, mais vers l'extérieur.
Pour répondre aux différents défis que je viens d'évoquer, le précédent gouvernement a arbitré en faveur de la mise en oeuvre d'une foncière interministérielle, réunissant au départ l'administration territoriale de l'État et le réseau territorial de la DGFiP. Celle-ci devrait être créée le 1er janvier 2025, dans deux régions pilotes : Grand Est et Normandie.
Je recommande de maintenir cette mise en oeuvre. En effet, la foncière doit permettre de limiter le morcellement de la gouvernance et l'éclatement des financements, qui caractérisent aujourd'hui l'immobilier de l'administration territoriale. Je considère qu'elle pourra contribuer de manière très positive à l'amélioration de la gestion de l'immobilier de l'État territorial. Les responsables de cette politique seront ainsi désignés clairement.
Surtout, la foncière doit disposer des moyens nécessaires pour mener une réelle politique immobilière. Les loyers payés par les ministères occupants devront, d'une part, garantir le bon niveau de financement pour assurer la transition énergétique du parc et, d'autre part, maintenir une incitation forte des ministères à rationaliser leurs emprises.
Ainsi, je recommande de fixer les loyers en fonction des coûts supportés par la foncière, en intégrant à ces coûts les besoins de financement de la transition énergétique du parc.
Je considère par ailleurs que l'échelon de référence de la foncière doit être au moins régional. Si la foncière doit bien être nationale, sa déclinaison concrète doit correspondre au périmètre régional et les décisions stratégiques doivent être prises par les préfets de région, aidés pour ce faire par les représentants de la politique immobilière de l'État en région. En effet, il s'agit de s'appuyer sur la structuration actuelle de l'immobilier dans le cadre des schémas directeurs de l'immobilier régional, les SDIR.
Enfin, je considère que le Parlement doit disposer d'informations détaillées sur la mise en oeuvre de la foncière et les financements projetés : le document de politique transversale relatif à la politique immobilière de l'État devrait être complété par une présentation précise de ces éléments.
M. Jean-François Husson, rapporteur général. - Votre travail me fait penser au sujet de l'immobilier de la gendarmerie que nous avons récemment évoqué devant notre commission. Dans les deux cas, l'expérimentation relative à la création d'une foncière me semble utile. Il faut la mettre en oeuvre.
Vous avez aussi souligné, à juste titre, le manque de stratégie de l'État dans la gestion de son patrimoine immobilier. Il faut veiller à ce que sa politique en la matière ne consiste pas uniquement à atteindre un certain ratio de mètres carrés par résident : cet indicateur, en effet, n'est pas toujours significatif car il faut prendre en considération la fonction des bâtiments, la présence d'espaces de réception, etc. Parfois, ce ratio peut apparaître comme relativement élevé : il est alors possible de rationaliser et de densifier. Il faut donc bien différencier selon les usages des bâtiments. Il convient aussi de tenir compte de l'emprise foncière globale, des espaces verts, des chemins d'accès, des parkings, etc. car tout cela a un coût.
L'État a-t-il ouvert une réflexion sur l'opportunité d'être propriétaire de ses locaux ? Ne serait-il pas plus intéressant pour lui parfois d'être locataire ? Il doit également prendre en compte le fait que le télétravail aboutit à libérer de l'espace : deux jours de télétravail par semaine et par agent permettent ainsi de libérer mécaniquement 40 % de l'espace, ou encore le zéro artificialisation nette (ZAN).
Mme Isabelle Briquet. - J'avais commencé à travailler sur la question de l'immobilier de l'administration territoriale de l'État lorsque j'étais rapporteure spéciale de la mission. J'avais constaté que notre patrimoine était dans un état calamiteux. L'une des difficultés tient au fait que beaucoup de préfectures ou de sous-préfectures occupent des sites ou des bâtiments remarquables, qui sont parfois classés monuments historiques.
Notre rapporteure a très bien expliqué qu'il manquait plusieurs milliards pour rénover tous les locaux et les mettre aux normes de la transition énergétique. Les crédits de la mission permettent-ils au moins de réparer les bâtiments et de les maintenir à flot ?
M. Rémi Féraud. - La situation de l'immobilier de l'administration territoriale de l'État me rappelle la situation de notre immobilier à l'étranger, que j'ai étudiée avec Vincent Delahaye : on paie le report, depuis des années, des investissements et des travaux nécessaires. Le retard pris sera très difficile à rattraper, notamment pour adapter notre patrimoine au regard des exigences de la transition énergétique. L'immobilier à l'étranger souffre de régimes juridiques très différents et n'est d'ailleurs pas intégré à la foncière de l'État.
Avec Christine Lavarde, nous représentons le Sénat au Conseil de l'immobilier de l'État. Celui-ci s'est réuni la semaine dernière. Sa position est relativement modérée quant à la création d'une foncière : il faut que nous assurions un suivi de la mise en place de cette structure si nous voulons que les choses changent positivement.
Votre rapport décrit bien les problèmes. Estimez-vous que les relations avec la direction de l'immobilier de l'État (DIE) sont bonnes ? Pensez-vous que la création d'une foncière apportera un plus ? Quelles sont vos inquiétudes ? Au sein du Conseil de l'immobilier de l'État, la crainte est que tout change pour que rien ne change. Chacun sait que le climat politique actuel est délicat. Or un pilotage par les ministères de la fonction publique et du budget est indispensable pour améliorer la situation de l'immobilier de l'État, ce qui, d'ailleurs, serait bon pour nos finances publiques. Il faudra du temps et de la volonté politique, ainsi qu'un contrôle parlementaire, pour avancer sur cette question.
M. Michel Canévet. - Il est nécessaire de clarifier la situation quant à la propriété des biens, car l'État occupe souvent dans les territoires des biens qui ne lui appartiennent pas. L'État impose aux acteurs privés des normes exigeantes en matière de rénovation énergétique, mais il n'est absolument pas exemplaire dans ce domaine et on ne peut que le regretter !
Connaît-on le nombre de bâtiments qui ne sont plus en état d'héberger correctement les services de l'État ? De plus, certaines propriétés mériteraient d'être évaluées pour être vendues, afin que le produit des cessions soit affecté à l'amélioration du patrimoine de l'administration territoriale de l'État.
M. Hervé Maurey. - Ce rapport confirme que l'État est un très mauvais gestionnaire. La Cour des comptes en décembre 2023 déplorait déjà le manque de stratégie en la matière. Je n'ai pas l'impression que ses recommandations aient été prises en compte.
Il serait intéressant de connaître - mais est-ce possible ? - la totalité du parc immobilier de l'État, d'évaluer ses besoins réels en termes de surface et d'en tirer les conséquences pour procéder éventuellement à des cessions. Autrement, je ne vois pas comment l'État pourra mettre sur la table 5 milliards d'euros - c'est considérable ! - pour financer la transition énergétique de son patrimoine.
Il conviendrait aussi que l'État se fasse assister par des professionnels de l'immobilier, car certains biens de l'État ont été vendus à des marchands de biens qui ont pu les acquérir à bon prix et les céder ensuite avec de belles plus-values. Ce n'est pas tolérable.
Je ne vois pas, toutefois, comment la création d'une foncière permettra de régler ces problèmes structurels.
M. Grégory Blanc. - Ce rapport montre bien qu'il est nécessaire de disposer d'une vision globale de la situation du patrimoine de l'État et des efforts à fournir. C'est d'autant plus urgent que nous avons besoin de définir une véritable programmation pluriannuelle de la transition écologique à l'échelle de notre pays. Celle-ci devra être déclinée secteur par secteur.
Mme Florence Blatrix Contat, rapporteure spéciale. - On cherche déjà à atteindre, dans les nouvelles constructions ou dans les bâtiments rénovés, l'objectif de 16 mètres carrés de surface utile brute en moyenne par résident, et à ne pas dépasser le plafond de 18 mètres carrés. Ces ratios ne sont toutefois pas applicables partout : la structure même de certaines préfectures ne le permet pas toujours.
Sur la question des parkings par exemple, afin de privilégier le recours aux transports en commun, des efforts sont réalisés pour inciter les agents à ne pas utiliser la voiture pour se déplacer. Le télétravail est déjà pris en compte dans l'effort de densification. Celui-ci aboutit en fait à une réorganisation totale des espaces de travail : création de salles de réunion, d'espaces modulaires, de lieux pour s'isoler ou pour téléphoner, etc. La DIE a d'ailleurs organisé ses propres bureaux de la sorte.
Madame Briquet, le fait que les préfectures et les services territoriaux de l'État occupent souvent des bâtiments remarquables rend en effet difficile le respect du plafond de 18 mètres carrés par résident. Certaines préfectures ont des couloirs très larges, sans compter le fait que ces bâtiments doivent abriter, en raison même de leur fonction, de vastes espaces collectifs, de réunion ou de réception.
Les crédits du programme 354 ne permettent clairement pas de maintenir à flot les bâtiments de l'ATE. Ils permettent juste de faire face aux urgences - un toit qui fuit par exemple - et le dernier décret d'annulation de crédits n'améliore pas la situation, puisque les crédits d'entretien ont été divisés par deux.
Vous êtes nombreux à m'interroger sur la foncière. J'ai réalisé beaucoup d'auditions sur ce sujet. Au début, mes réticences étaient identiques aux vôtres : je m'interrogeais sur sa gouvernance ; je craignais qu'elle ne constitue un organisme exclusivement national, sans déclinaisons dans les territoires.
Il me semble toutefois que la création d'une foncière sera de nature à résoudre un certain nombre de problèmes en remédiant à la dispersion des compétences et de la gouvernance entre les différents ministères, puisque chacun possède, à l'heure actuelle, ses propres structures de maîtrise d'ouvrage, mais sans aucune coordination. La foncière permettra ainsi de mutualiser les compétences et de réaliser des économies.
Elle facilitera aussi la mobilisation de fonds pour réaliser les investissements considérables nécessaires pour respecter les objectifs fixés par le décret relatif aux obligations d'actions de réduction des consommations d'énergie dans les bâtiments à usage tertiaire du 10 avril 2019, dit décret tertiaire, et la directive européenne sur la performance énergétique des bâtiments, qui prévoie que les bâtiments existants doivent être transformés en bâtiments à émissions nulles d'ici à 2050 !
L'un des problèmes est que l'immobilier de l'administration territoriale de l'État relève du ministère de l'intérieur. Or celui-ci rend toujours des arbitrages budgétaires défavorables pour l'ATE. Le ministère souhaite que lui soit octroyée une majoration de ses crédits de 42 millions d'euros chaque année pour faire face aux besoins de l'ATE au-delà des plafonds prévus par la loi du 24 janvier 2023 d'orientation et de programmation du ministère de l'intérieur (Lopmi). C'est impossible ! Le résultat est que les arbitrages budgétaires sont toujours défavorables pour l'immobilier de l'ATE. La foncière pourrait sans doute être une solution à cet égard.
Monsieur Canévet, on constate qu'il est beaucoup plus coûteux à long terme de louer et d'acquitter des loyers que d'occuper des bâtiments domaniaux, même si les investissements à réaliser sont importants. Lorsque l'on parvient à regrouper des emprises sur des sites domaniaux, on réalise des économies.
Monsieur Maurey, il y a bien une volonté de mieux connaître l'immobilier de l'État. La DIE a renforcé son système d'information, comme l'ont fait d'autres pays, pour cela. Les référentiel technique, actualisé lors de la mise à jour des SDIR, permettent de faire remonter les diagnostics et de connaître les besoins. Il faut aussi poser la question des compétences dans le domaine du bâtiment : par exemple, on manque parfois d'ingénieurs au niveau décentralisé, départemental voire régional. La création d'une foncière permettrait de recruter plus facilement des professionnels, avec des salaires qui ne soient pas ceux de la fonction publique. En l'état actuel il est difficile d'établir un diagnostic précis du patrimoine. On ne sait pas comment sont réalisées les remontées de préfectures. Une foncière disposerait de compétences au niveau national qu'elle pourrait décliner au niveau territorial. Voilà qui permettrait de faire les bons choix pour regrouper les bâtiments, baisser le prix des locations, rationaliser. Il est évident que l'on peut réaliser des économies si l'on densifie et réduit les surfaces par agent.
Monsieur Blanc, la transition énergétique des bâtiments n'est pas un choix politique : c'est une obligation ! Il faudra bien programmer les investissements nécessaires. Quel que soit le statut juridique de la foncière - s'agira-t-il d'une société anonyme ? -, elle sera dotée d'actifs, car elle bénéficiera de transferts de propriété. Elle pourra ainsi mobiliser des fonds plus facilement pour répondre aux objectifs de la transition écologique. Comme je l'ai indiqué dans mon rapport, il est évident qu'elle devra être soumise au contrôle du Parlement. La création d'une telle structure constituerait une rationalisation de la gestion de l'immobilier territorial de l'État, laquelle souffre d'un manque de cohérence et de pilotage du fait même qu'elle relève de plusieurs programmes budgétaires.
La commission adopte les recommandations de la rapporteure spéciale et autorise la publication de sa communication sous la forme d'un rapport d'information.
Contrôle budgétaire - Recentralisation du revenu de solidarité active - Communication
M. Claude Raynal, président. - Nous passons à une communication de MM. Arnaud Bazin et Éric Bocquet, rapporteurs spéciaux de la mission « Solidarité, insertion et égalité des chances », sur la recentralisation du revenu de solidarité active, ou RSA.
M. Arnaud Bazin, rapporteur spécial. - Avant tout, je tiens à revenir sur le processus qui a abouti à recentraliser, à titre expérimental, le financement du RSA dans plusieurs départements métropolitains, processus auquel est dédiée la première partie de notre rapport.
Sans s'y appesantir, il n'est peut-être pas inutile de rappeler l'évidence : le RSA constitue le principal minimum social dans notre pays. Les seules dépenses d'allocation du RSA représentent environ 11 milliards d'euros et la France compte un peu moins de 2 millions de bénéficiaires du RSA.
Depuis 2003, dans un mouvement décentralisateur auquel le Sénat est attaché, l'ancêtre du RSA, le revenu minimum d'insertion (RMI), a été décentralisé. Dès lors, la gestion et le financement de cette prestation ont été confiés aux départements, qui exerçaient déjà une compétence d'insertion des bénéficiaires du RMI, dans une logique de « droits et devoirs » des allocataires envers la collectivité.
Ce transfert de compétences a certes fait l'objet d'une compensation, comme le prévoit l'article 72-2 de la Constitution, mais ladite compensation s'est rapidement révélée insuffisante. En effet, si les dépenses de RSA ont progressé bien au-delà de son coût historique, les ressources compensatrices n'ont pas connu la même dynamique : alors qu'en 2018 le RSA représentait environ 11 milliards d'euros, les ressources de compensation historiques représentaient à peine 7 milliards d'euros. Quant aux dispositifs d'accompagnement imaginés par les gouvernements successifs, ils ne sont pas parvenus à couvrir entièrement le reste à charge départemental lié au RSA.
Les départements dans lesquels les bénéficiaires du RSA sont les plus nombreux n'ont pas tardé à se trouver en difficulté : la charge du financement de l'allocation les asphyxiant, ils n'ont pu dégager les marges de manoeuvre financières nécessaires à l'accompagnement et à l'insertion des allocataires. Ainsi sont-ils entrés dans une forme de cercle vicieux : plus un département compte de bénéficiaires du RSA, moins il est à même de les accompagner vers l'emploi.
L'idée d'une recentralisation du RSA est ainsi devenue une antienne entêtante, à mesure que les inégalités territoriales se creusaient en la matière. En 2016 pourtant, l'Assemblée des départements de France (ADF) a rejeté à une large majorité un projet du Gouvernement en ce sens. Le motif était simple : la recentralisation de la compétence se serait accompagnée de la reprise par l'État des ressources départementales correspondantes. Un désaccord sur la date, donc sur le montant de la rétro-compensation due à l'État, a eu raison de ce projet. Tout juste le RSA fut-il recentralisé, entre 2019 et 2020, dans certains départements d'outre-mer, en raison des situations particulières de ces territoires, lesquelles ne peuvent être comparées à la situation des départements métropolitains.
Toutefois, du fait de la crise sanitaire et inflationniste, le département de Seine-Saint-Denis a obtenu du Gouvernement un dispositif expérimental courant de 2022 à 2026 : sous certaines conditions d'éligibilité, l'État reprendrait le financement du RSA dans les départements fragiles, en échange de quoi ces derniers s'engageraient à investir leurs marges de manoeuvre recouvrées dans l'insertion des bénéficiaires du RSA. La Seine-Saint-Denis et les Pyrénées-Orientales s'y sont engagés dès 2022 ; l'Ariège les a rejoints en 2023.
Au total, onze départements étaient éligibles à la recentralisation, mais seuls trois candidatures ont été retenues. Les paramètres de l'expérimentation permettent d'expliquer ce succès mitigé. Tout d'abord, pour les départements souhaitant entrer dans l'expérimentation en 2023, le montant des ressources à rétrocéder à l'État était plus élevé que pour ceux entrés en 2022, du fait de l'augmentation du nombre de bénéficiaires du RSA causée par les crises sanitaire et inflationniste. Ensuite, le choix de l'État de reprendre une partie des droits de mutation à titre onéreux (DMTO) pour financer le RSA a pu dissuader plusieurs départements, ces recettes étant dynamiques, avec une tendance haussière. Enfin, nous regrettons que la Guadeloupe n'ait pu participer, pour des raisons essentiellement techniques. Il revient au Gouvernement d'aplanir ces difficultés afin de permettre une éventuelle recentralisation dans ce département.
Cela étant, si les paramètres de l'expérimentation sont bien à l'origine d'un faible engouement des départements pour la recentralisation du RSA, il nous semble que son succès doit être mesuré à l'aune d'autres critères. Je laisse à Éric Bocquet le soin de vous les exposer.
M. Éric Bocquet, rapporteur spécial. - Avant d'évaluer le succès ou l'échec de l'expérimentation, j'insiste sur le fait que la prudence est de mise. Arnaud Bazin vous a signalé que l'expérimentation courait de 2022 à 2026 ; il n'est bien sûr pas question, à la mi-2024, de prétendre porter un jugement définitif sur un dispositif qui peut encore évoluer. Il nous paraît simplement utile de proposer, alors que l'expérimentation est pour ainsi dire au milieu du gué, une évaluation à mi-parcours.
Ces précisions étant apportées, il nous semble que le succès de l'expérimentation doit être jaugé à l'aune de ses effets, d'une part, sur les finances départementales et, d'autre part, sur les allocataires du RSA bénéficiant des nouvelles politiques d'insertion mises en oeuvre dans le cadre de la recentralisation.
Selon les données disponibles à ce jour, les trois départements participants semblent, à mi-parcours, sortir gagnants de l'expérimentation : les dépenses de RSA recentralisées sont supérieures aux ressources reprises par l'État en compensation, dégageant des gains nets, en 2023, de 43,8 millions d'euros en Seine-Saint-Denis, de 21,6 millions d'euros dans les Pyrénées-Orientales et de 2,8 millions d'euros en Ariège.
Pour l'État, le coût de la recentralisation peut paraître important au regard des crédits inscrits en dépenses au titre de la mission « Solidarité, insertion et égalité des chances » : 690,2 millions d'euros en 2022 et 746,8 millions d'euros en 2023. Toutefois, en tenant compte des reprises de recettes réalisées en vertu du droit à compensation, le coût net de la recentralisation pour l'État paraît très bien maîtrisé : 35 millions d'euros en 2022 et 68 millions d'euros en 2023. Il semble donc qu'à ce stade la recentralisation ait mis fin à l'asphyxie budgétaire des départements à un coût modéré pour l'État.
En outre, bien qu'elle ait pu dissuader certains départements de se porter candidats à l'expérimentation, la reprise d'une fraction dynamique de DMTO par l'État a conduit à partager l'aléa lié à cette recette volatile : l'État subit également la baisse actuelle des DMTO, partiellement à la place des départements expérimentateurs. L'effet de ciseau tant dénoncé par les départements se trouve ainsi atténué par la recentralisation. Sur son volet financier, l'expérimentation semble donc avoir atteint son objectif.
Je passe rapidement sur la gestion du RSA pendant l'expérimentation. Si cette compétence revient à l'État dans le cadre de la recentralisation, celui-ci l'a délégué aux caisses de protection sociale, à savoir les caisses d'allocations familiales (CAF) et les caisses de la mutualité sociale agricole (MSA), comme de nombreux départements le font en droit commun. Il semble que cette organisation, imposant peu de changements pour les bénéficiaires, ait cependant permis d'harmoniser certaines pratiques administratives qui, en l'absence de recentralisation, tendent à varier selon les départements.
J'en viens à l'apport crucial de cette expérimentation : son effet sur les politiques d'insertion et d'accompagnement mises en oeuvre par les départements en faveur des bénéficiaires du RSA.
Chaque département expérimentateur a signé avec l'État une convention par laquelle il s'engage à renforcer ses politiques en la matière. Ce renforcement intervient dès la phase d'orientation, car il revient aux départements d'accompagner les nouveaux bénéficiaires du RSA vers une structure d'insertion adaptée à leurs besoins. Plus l'orientation est rapide et pertinente, plus le parcours de l'allocataire sera fluide et son accompagnement adapté.
Les départements expérimentateurs se sont ainsi engagés à réduire les délais d'orientation : la Seine-Saint-Denis a misé sur un procédé d'orientation algorithmique à la rapidité éprouvée et les Pyrénées-Orientales ont mis en place, à la fin de 2023, une plateforme téléphonique dont les premiers résultats sont encourageants. Dans ce dernier département, les délais d'orientation ont ainsi été réduits de moitié depuis 2018. En Ariège, 55 % des nouveaux allocataires sont orientés en moins d'un mois. En Seine-Saint-Denis, les réorientations se développent, témoignant du souci du département d'adapter l'orientation aux besoins des bénéficiaires au fur et à mesure de leur parcours.
Les départements expérimentateurs ont également consacré des moyens croissants aux politiques d'insertion. Ainsi, en Seine-Saint-Denis, les crédits départementaux d'insertion ont été doublés en deux ans, de même que les effectifs de référents insertion. Une hausse comparable est observée dans les Pyrénées-Orientales, où les crédits d'insertion sont passés de 8 à 13 millions d'euros et où le nombre de conseillers d'insertion a triplé.
Les partenariats territoriaux avec Pôle emploi, devenu France Travail, ont également été renforcés, favorisant la montée en puissance d'un « accompagnement global » conduit conjointement par le département et le service public de l'emploi. Dans les Pyrénées-Orientales, la montée en charge de ce mode d'accompagnement est particulièrement ambitieuse : le nombre de bénéficiaires du RSA concernés doit passer de 700 à 2 100 personnes par an au terme de l'expérimentation.
L'écosystème d'accompagnement a également fait l'objet d'évolutions, voire de profondes transformations. En Ariège, où les solutions d'accompagnement étaient déjà très variées, la recentralisation permet d'expérimenter de nouvelles actions, comme la mise en place d'un outil dit « Job-Data » connectant des employeurs et des bénéficiaires du RSA. C'est sans doute dans le département de Seine-Saint-Denis que la politique locale d'insertion a été le plus profondément transformée, avec la mise en place des agences locales d'insertion (ALI), qui ont vocation à offrir un accompagnement socio-professionnel largement appuyé sur les structures d'insertion par l'activité économique (SIAE).
S'il est encore trop tôt pour se prononcer sur les résultats de ces nouvelles politiques d'insertion, les dynamiques sont assurément encourageantes. Les départements expérimentateurs comme les administrations de l'État les jugent plutôt prometteuses.
M. Arnaud Bazin, rapporteur spécial. - J'en viens à présent aux recommandations de notre rapport.
S'agissant d'une évaluation à mi-parcours, nous nous sommes gardés d'en formuler un trop grand nombre, afin de ne pas préempter les résultats finaux de l'expérimentation.
Premièrement, nous préconisons que le département de la Guadeloupe, qui s'était porté candidat à l'expérimentation, mais n'a pas été retenu, puisse bénéficier de la recentralisation à l'avenir, s'il le souhaite toujours.
Deuxièmement, pour la suite de l'expérimentation, nous appelons l'attention sur certains facteurs d'incertitude politique, comme les effets de la loi pour le plein emploi. Ce texte a assez profondément réformé les « droits et devoirs » associés au RSA, notamment le régime des sanctions ou les obligations d'activité - je pense en particulier aux quinze heures par semaine. N'oublions pas non plus la suppression, annoncée par le Premier ministre précédent, de l'allocation de solidarité spécifique (ASS), due aux chômeurs en fin de droits. Cette mesure aurait pour effet d'augmenter le nombre de bénéficiaires du RSA. En résulterait un important transfert de charges de l'État vers les départements. En tout état de cause, nous souhaitons que ces incertitudes ne pèsent pas sur l'expérimentation. De plus, nous recommandons de surseoir à la suppression de l'ASS ou, à défaut, de prévoir une compensation juste et progressive aux départements des nouvelles entrées dans le RSA dues à cette mesure.
Troisièmement, il nous semble que le recours à une expérimentation pour réaliser une recentralisation « à la carte » du RSA a constitué, pour le gouvernement d'alors, un artifice juridique permettant d'appliquer un droit dérogatoire à une partie du territoire sans que le minimum de méthode scientifique requis pour une expérimentation ait été prévu. À cet égard, il est révélateur que le principe d'une évaluation de l'expérimentation ait été ajouté sur l'initiative du Conseil d'État, et non du Gouvernement. En conséquence, nous recommandons de prévoir une évaluation alliant deux démarches : d'une part, une évaluation continue, dans chaque département, permettant le suivi de l'expérimentation et des « sorties positives » des dispositifs d'insertion ; de l'autre, une évaluation au terme de l'expérimentation, comparant les résultats d'accès à l'emploi des bénéficiaires du RSA dans les départements expérimentateurs et dans la France entière. Ce travail serait mené par un évaluateur indépendant.
Quatrièmement, il nous a paru pertinent de considérer quels pourraient être les options à l'issue de l'expérimentation.
L'option privilégiée par les départements expérimentateurs, c'est-à-dire la pérennisation de la recentralisation sur une partie seulement du territoire métropolitain, serait probablement impossible sans révision de la Constitution. Dès lors, outre la prorogation de l'expérimentation, les seules options praticables sont l'abandon ou la généralisation de la recentralisation.
Il nous a semblé utile de formuler trois principes cardinaux - un pour chaque cas de figure - ce qui constitue en quelque sorte notre quatrième recommandation. Si l'on décidait de prolonger l'expérimentation, ce choix devrait être justifié du point de vue de la démarche expérimentale. Il ne doit pas être une manière de repousser une décision inévitable. Si l'on décidait de généraliser la recentralisation, il conviendrait d'avoir au préalable obtenu l'accord des départements de France. Si l'on décidait de procéder à une « re-décentralisation », ce qui serait tout à fait inédit, il conviendrait de s'assurer a minima que les ressources transférées aux départements expérimentateurs ne soient pas inférieures au niveau des ressources reprises par l'État en 2022.
Dans ce dernier cas de figure, nous recommandons d'engager une réflexion quant aux modalités d'accompagnement financier des départements expérimentateurs lors de leur retour au droit commun. Pour éviter d'aggraver les charges de l'État à l'heure où le déficit est un grave sujet d'inquiétude, la mobilisation de dispositifs de péréquation, comme le fonds de mobilisation départementale pour l'insertion (FMDI), serait particulièrement pertinente.
M. Jean-François Husson, rapporteur général. - Votre rapport nous rajeunit en évoquant un « bilan globalement positif » car certains d'entre nous n'étaient pas nés quand, en 1979, a été prononcée cette formule devenue célèbre. Peut-être la doit-on aujourd'hui à l'un de nos deux rapporteurs spéciaux...
Nous, élus locaux, sommes bien sûr favorables à la décentralisation, pour des raisons nombreuses et pleinement fondées. Mais les collectivités territoriales doivent, comme les autres acteurs, faire preuve de cohérence : si un transfert de compétences se révèle financièrement désavantageux, est-il pour autant injustifié ? Certains départements peuvent ainsi soutenir la décentralisation du RSA au motif que, même si elle leur coûte cher, elle offre de meilleurs résultats : dès lors qu'ils contrôlent mieux l'ensemble de la chaîne, ils oeuvrent plus efficacement pour l'obtention de qualifications et le retour vers l'emploi. Avez-vous entendu des témoignages en ce sens ?
M. Stéphane Sautarel. - Merci à nos deux rapporteurs spéciaux, dont j'approuve l'essentiel des préconisations.
Je tiens à revenir sur l'une d'entre elles. Vous proposez de renforcer la capacité de péréquation du FDMI. Ce fonds, d'un peu moins de 500 millions d'euros, est actuellement composé de trois parts, dont une seule est dédiée à la péréquation, les deux autres étant orientées vers la compensation, d'une part, et vers le soutien à l'effort d'insertion, d'autre part. De quelle manière doit-on procéder concrètement ? Quel serait l'objectif de ce FMDI réformé ? Quel serait, selon vous, le meilleur critère de répartition des crédits au sein du FDMI et quelle devrait en être l'architecture ?
M. Thierry Cozic. - À mon tour, je remercie nos rapporteurs spéciaux de la qualité de leur travail.
Globalement, les départements tirent bénéfice de cette expérimentation, dont le coût pour l'État reste finalement assez réduit. Néanmoins, en faisant ce choix, ne cherche-t-on pas à dévitaliser les départements, à les priver de leurs compétences pour mieux les supprimer à terme ? La prochaine étape n'est-elle pas la recentralisation des politiques d'insertion ?
Mme Isabelle Briquet. - Le succès de cette expérimentation tient clairement à l'accompagnement spécifique déployé par les départements. Or, en l'état actuel des finances départementales, on est en droit de s'inquiéter pour l'avenir.
Pouvez-vous nous préciser pourquoi, selon vous, la recentralisation pérenne du RSA est impossible sans généralisation à l'ensemble du territoire ?
M. Grégory Blanc. - Je voterai bien sûr ces recommandations. Toutefois, en matière de décentralisation, il faut aussi poser la question des recettes, tout spécialement pour les départements. On leur a transféré des compétences sociales avec des recettes assises essentiellement sur l'immobilier et, dans une moindre mesure, sur la TVA. En vertu de la loi de finances pour 2014, le gouvernement Ayrault leur a donné une petite liberté de taux, afin qu'ils disposent d'un peu de souplesse ; mais, aujourd'hui, presque tous les départements sont au maximum.
Nous sommes bel et bien face à un problème d'adéquation entre les recettes et les compétences confiées. Il faut traiter cette question, faute de quoi la décentralisation des compétences sociales sera condamnée à l'échec et il faudra recentraliser en bloc.
M. Michel Canévet. - Je tiens moi aussi à remercier nos rapporteurs spéciaux des éléments d'analyse qu'ils nous ont communiqués.
Étant résolument pour la décentralisation, je ne puis que déplorer les mouvements de recentralisation. Faut-il en déduire que les élus des départements concernés n'ont pas réellement traité la problématique à laquelle ils devaient faire face, en réduisant le nombre de bénéficiaires du RSA ? C'est précisément ce que fait le département du Finistère : il s'est donné pour objectif de réduire de 1 000 par an le nombre de bénéficiaires du RSA afin de recouvrer des marges de manoeuvre, et il y arrive.
M. Vincent Delahaye. - Vive le Finistère !
M. Michel Canévet. - En ce sens, le rapport gagnerait à étudier précisément l'évolution du nombre de bénéficiaires du RSA par département. N'oublions pas que l'enjeu, in fine, c'est la réinsertion.
M. Jean-Marie Mizzon. - Cette expérimentation place notre pays dans un système dual. Dans certains cas, le RSA relève des départements ; dans d'autres, sa gestion est renationalisée. Ne sommes-nous pas, en l'occurrence, dans une logique de différenciation ? Il s'agit là d'une autre grille de lecture.
En outre, avez-vous observé, à la faveur de ce travail, des différences dans les taux de recours ou de non-recours au RSA ?
M. Vincent Capo-Canellas. - Nos deux rapporteurs spéciaux se sont assez largement appuyés sur l'expérience de la Seine-Saint-Denis, où, entre 2018 et 2023, le nombre de réorientations a été multiplié par sept. La réorientation de la stratégie d'insertion a certes fait l'objet de débats, mais le dialogue avec l'État a permis de poser l'équation et d'aboutir au doublement des crédits d'insertion. C'est un acquis indéniable.
L'approche globale est à l'évidence la meilleure voie d'insertion pour des publics souvent très à l'écart du monde du travail et qui risquent parfois d'être désocialisés, quand ils ne le sont pas déjà. Il s'agit là d'un enjeu majeur, que nos rapporteurs spéciaux soulignent avec raison.
M. Pascal Savoldelli. - Merci à nos rapporteurs du travail qu'ils ont accompli et de la prudence qu'ils manifestent : on ne peut pas ignorer qu'en parallèle dix-huit, puis vingt-neuf départements ont mis en place la règle des quinze heures de travail pour l'obtention du RSA. Cette expérimentation est d'une tout autre ampleur.
Pour en revenir aux trois départements dont nous traitons aujourd'hui, je ne suis pas sûr que l'autocontrôle - car les départements et les administrations qui mettent en oeuvre l'expérimentation vont eux-mêmes l'évaluer - soit la meilleure méthode : de fait, il est rare que l'on se désavoue.
Enfin, à titre personnel, je souhaiterais ajouter un quatrième principe cardinal aux trois principes énoncés. On parle beaucoup de l'offre de travail, mais il ne faut pas pour autant occulter la demande. Derrière les chiffres, il y a des femmes et des hommes.
J'y insiste, en la matière, il faut faire preuve de prudence. J'opterai donc pour une abstention constructive et « globalement positive »...
M. Claude Raynal, président. - Il y a quelque temps, la Cour des comptes avait relevé que le recours aux DMTO n'était pas le meilleur moyen de financer les départements à long terme ; j'avais moi-même adressé cette observation à l'ADF, sans grand succès. Certains départements, aujourd'hui, font mine de s'en apercevoir... Il faut trouver des solutions, mais, pour ce qui est de la gestion du RSA, la situation actuelle est nécessairement temporaire : si les trois départements en question doivent revenir en arrière, ce sera douloureux pour eux.
L'enjeu, comme le souligne M. Blanc, c'est effectivement de trouver les bons équilibres pour le financement des départements. On ne peut pas continuer à financer les politiques sociales avec des ressources si disparates d'une année sur l'autre. Il va falloir trouver une formule permettant aux départements d'assumer à la fois leurs charges financières et leurs obligations.
Ce rapport, nécessairement prudent, a donc tout son intérêt. Il faut distinguer beaucoup plus clairement, d'une part, ce qui est indispensable et doit en conséquence être couvert par des recettes pérennes et, de l'autre, ce qui est moins impératif et relève de recettes un peu plus aléatoires. Le débat est devant nous.
M. Arnaud Bazin, rapporteur spécial. - Monsieur le rapporteur général, les départements expérimentateurs sont plutôt favorables à la recentralisation. Ils insistent avant tout sur le contexte de non-maîtrise de la dépense, dont la fixation relève de l'État. Aux augmentations automatiques, qui suivent le coût de la vie, s'est ainsi ajoutée une hausse de 10 % sous le quinquennat de François Hollande, à laquelle les départements ont dû faire face sans que des recettes particulières leur soient allouées. Ils ont simplement été autorisés à augmenter les DMTO d'une fraction de point.
C'est ce contexte qu'il faut prendre en compte. En outre, les départements qui ont manifesté leur intérêt pour cette expérimentation sont placés dans une situation financière singulière : la dépense était en train de leur échapper et de mettre en péril leur équilibre budgétaire, quand ce n'était pas déjà fait.
Monsieur Sautarel, l'architecture du FMDI a été critiquée il y a longtemps déjà par la Cour des comptes. Tout d'abord, la fraction de compensation n'est pas assez fléchée vers les départements qui en ont le plus besoin. Ensuite, l'efficacité de la fraction d'insertion, censée inciter les départements à développer l'insertion des bénéficiaires du RSA, n'est pas avérée. Enfin, la fraction de péréquation que nous proposons de renforcer ne représente pas des montants suffisants pour être efficace - elle couvre, à l'heure actuelle, à peine le tiers de l'ensemble. Nous n'avons pas étudié plus en détail cette question, qui ne relève pas directement de la mission « Solidarité, insertion et égalité des chances », mais il paraîtrait possible de recentrer le FMDI sur sa mission de péréquation. Les critères de répartition de ce fonds pourraient s'apparenter aux critères d'éligibilité retenus pour l'expérimentation : le reste à charge de RSA par habitant, la proportion de bénéficiaires du RSA dans la population et le revenu par habitant. C'est le sens de la proposition que nous avons émise.
Monsieur Cozic, le risque de dévitalisation des conseils départementaux et de détricotage de leurs compétences est perpétuellement à l'esprit des présidents de département. Nombre d'entre eux ont d'ailleurs refusé pour ces raisons de s'engager dans la voie de la recentralisation du RSA. Ceux qui sont entrés dans l'expérimentation y ont été contraints par leur situation budgétaire.
Avant la décentralisation de cette compétence, l'allocation était versée par l'État, et les départements devaient consacrer 20 %, puis 17 % des dépenses d'allocation au financement de l'insertion -les montants non dépensés au titre de l'insertion étant repris par l'État. Ce système, inflationniste, était donc lui aussi assez peu satisfaisant.
Monsieur Canévet, dans les départements expérimentateurs, les dépenses d'allocation étaient si élevées que les élus n'ont pas eu de marges de manoeuvre pour investir dans l'insertion. De plus, dans les périodes économiquement défavorables, les dépenses d'insertion sont assez peu efficaces, tout simplement parce qu'il y a très peu d'offre sur le marché du travail et que, malheureusement, les bénéficiaires du RSA restent les derniers servis. Pour que les efforts d'insertion puissent porter leurs fruits, il faut à la fois un contexte économique favorable et des dépenses clairement ciblées.
Monsieur Blanc, la question des recettes est essentiellement du ressort de M. le rapporteur général, mais, à l'évidence, la fiscalité locale est aujourd'hui un vrai sujet. Face aux sujets d'urgence, les collectivités territoriales n'ont plus de levier fiscal pour traiter des sujets d'urgence. En effet, ils ne peuvent plus recourir à la taxe foncière, quoi que l'on pense de ce levier. Or la part des dépenses sociales a considérablement crû dans les budgets des départements. Les communes socialement défavorisées font face aux mêmes problèmes.
Enfin, comme vous le soulignez monsieur le président, le retour en arrière serait très difficile pour les départements expérimentateurs. Il serait très compliqué de généraliser la recentralisation contre la volonté des départements ; l'arrêt de l'expérimentation serait tout aussi difficile et replongerait les départements concernés dans les difficultés dont ils commencent à sortir ; sa prolongation est envisageable, mais in fine il faudra trancher.
M. Éric Bocquet, rapporteur spécial. - Le risque de recentralisation rampante nous a conduits à demander une évaluation robuste et indépendante au terme de l'expérimentation, qui n'en est encore qu'à ses débuts. C'est indispensable, car cette recentralisation ne doit pas être un prétexte à tout recentraliser. Les présidents de département sont conscients de ce danger et ils font preuve de vigilance.
Madame Briquet, en matière de différenciation territoriale, la jurisprudence constitutionnelle considère que le législateur peut déroger au droit commun, mais seulement dans de strictes conditions, que nous détaillons dans notre rapport.
À cadre constitutionnel constant, l'article 72 de la Constitution implique que les collectivités territoriales d'une même catégorie aient les mêmes compétences. S'il est possible d'appliquer un droit dérogatoire en outre-mer, où le RSA est déjà recentralisé de manière définitive dans certains départements, c'est parce que les collectivités territoriales en question relèvent de l'article 73 de la Constitution, en vertu duquel la loi peut y faire l'objet d'adaptations.
En outre, une telle recentralisation définitive qui ne serait pas généralisée à l'ensemble du territoire aboutirait à traiter différemment des territoires placés dans des situations similaires : dans les départements de la Somme et de l'Aisne, tous deux situés dans les Hauts-de-France, la proportion de bénéficiaires du RSA dans la population est peu ou prou la même. Or l'un des deux départements pourrait se voir appliquer la recentralisation et l'autre la décentralisation.
Enfin, la frontière entre collectivités territoriales de l'article 72 et collectivités d'outre-mer s'en trouverait atténuée.
Pour l'ensemble de ces raisons, une recentralisation définitive portant sur une seule partie du territoire métropolitain risquerait fort d'être censurée.
Monsieur Mizzon, le taux de non-recours est par définition difficile à évaluer. Toujours est-il que certains départements agissent pour contrer ce phénomène. Le département de Seine-Saint-Denis expérimente ainsi, avec la ville de Saint-Denis, une opération intitulée « territoire zéro non-recours ». C'est là un outil parmi d'autres.
Enfin, monsieur Savoldelli, vous avez raison de rappeler le dispositif des quinze heures de travail, expérimenté par de nombreux départements. Ce dispositif est censé offrir aux bénéficiaires du RSA un moyen de s'engager, de s'insérer et d'être accompagnés ; il faut en revanche éviter l'écueil de la stigmatisation des allocataires par une forme de « travail forcé ».
L'enjeu est aussi la capacité de France Travail et des départements à encadrer et à accompagner ces allocataires quinze heures par semaine. Il n'est pas sûr qu'un accompagnement si intensif puisse être assuré : c'est aussi une question budgétaire. Paradoxalement, les départements expérimentateurs seront peut-être les mieux placés, grâce aux marges de manoeuvre qu'ils auront ainsi, normalement, recouvrées.
La commission adopte les recommandations des rapporteurs spéciaux et autorise la publication de leur communication sous la forme d'un rapport d'information.
Contrôle budgétaire - Formation linguistique et civique dans le cadre du contrat d'intégration républicaine - Communication
M. Claude Raynal, président. - Nous allons entendre la communication de Mme Marie-Carole Ciuntu, rapporteur spécial des crédits de la mission « Immigration, asile et intégration », sur la formation linguistique et civique dispensée dans le cadre du contrat d'intégration républicaine (CIR).
Mme Marie-Carole Ciuntu, rapporteur spécial. - En tant que rapporteur spécial de la mission « Immigration, asile et intégration », sept ans après le rapport de notre collègue Roger Karoutchi, j'ai décidé de mener un nouveau contrôle budgétaire sur les formations linguistiques et civiques délivrées dans le cadre du CIR, afin de faire un bilan de ce dispositif souvent décrié et à l'heure de sa réforme par la loi du 26 janvier 2024 pour contrôler l'immigration, améliorer l'intégration.
La création d'un cadre contractuel pour l'intégration des étrangers remonte à 2003. La signature d'un contrat est devenue obligatoire à partir de 2006 pour les primo-arrivants non ressortissants d'États membres de l'Union européenne, admis au séjour en France et qui souhaitent s'y installer durablement.
Ce cadre contractuel, mis en oeuvre par l'Office français de l'immigration et de l'intégration (Ofii), est moins large qu'il n'y paraît puisqu'un grand nombre d'étrangers sont exemptés de cette obligation, à l'instar des réfugiés, des Algériens, ou encore des personnes qui présentent des garanties d'intégration suffisantes. Depuis 2016, le CIR repose, d'une part, sur une formation linguistique de 100 à 600 heures visant l'atteinte du niveau A1 du cadre européen commun de référence pour les langues et, d'autre part, sur une formation civique de quatre jours, incluant une dernière journée socioculturelle ou consacrée à l'emploi, selon le choix des signataires.
Le nombre de CIR signés a sensiblement augmenté, passant d'un peu plus de 106 000 contrats conclus en 2016 à près de 128 000 en 2023, soit une hausse de 20,3 %.
Dans le même temps, les crédits alloués à la formation linguistique et civique, retracés principalement au sein de l'action 11 « Accueil des étrangers primo-arrivants » du programme 104 « Intégration et accès à la nationalité française », ont augmenté de plus de 200 % entre 2016 et 2023, passant de 36,8 à 116,9 millions d'euros, pour un coût moyen pondéré de 7,40 euros par heure pour la formation linguistique et de plus de 260 euros pour la totalité des quatre jours de formation civique.
En dépit de ce coût budgétaire en forte hausse, force est de constater que les résultats sont particulièrement décevants.
En effet, les formations ne reposent actuellement sur aucune obligation de résultat. Seule l'assiduité est prise en compte.
Ensuite, le niveau A1 ne semble pas suffisant pour permettre une réelle intégration, notamment dans le monde du travail.
En outre, la formation civique est excessivement théorique et condensée. Elle intervient de surcroît dès le début du parcours, donc en décalage avec l'apprentissage et la maîtrise de la langue.
Enfin, j'ai pu observer moi-même des difficultés pratiques dans l'organisation des formations : problèmes d'accès, absence de groupes homogènes, employeurs réticents à libérer leurs salariés, etc.
Certes, quelques éléments de contexte expliquent la complexité de la tâche.
La France est confrontée à des difficultés croissantes d'intégration. Un chiffre est assez parlant à cet égard : près de 40 % des immigrés en France vivent en dessous du seuil de pauvreté, ce qui est plus élevé que la moyenne européenne et traduit une insertion trop faible sur le marché du travail.
D'autres acteurs que l'État doivent prendre leur part de responsabilité dans ce processus d'intégration, en premier lieu les signataires du CIR eux-mêmes.
Si les incidents dus à un comportement agressif demeurent assez limités au regard du volume des CIR conclus, il ne faut pas les négliger, d'autant qu'ils ne sont d'ailleurs pas toujours suivis d'effets. La rupture du CIR n'a pas de conséquence, par exemple, sur le statut de réfugié, s'agissant de ceux qui suivent volontairement ces formations, ce qui révèle les faiblesses de ce dispositif.
Par ailleurs, lors de mes déplacements dans plusieurs centres de formation partenaires de l'Ofii, notamment à Bobigny, des intervenants ont exposé les difficultés rencontrées avec certains employeurs, qui refusent de laisser les étrangers suivre les formations dans le cadre du CIR, les centres de formation devant souvent appeler les employeurs pour négocier avec eux des moments pendant lesquels ils devront libérer leurs salariés.
Les employeurs doivent donc aussi prendre leur part dans l'intégration des étrangers qu'ils emploient ; la loi pour contrôler l'immigration, améliorer l'intégration dispose d'ailleurs à cette fin que l'autorisation d'absence est de droit pour le suivi des formations en français dans le cadre du parcours de formation linguistique de l'étranger signataire d'un CIR.
Sous l'impulsion du Sénat, ladite loi opère un changement de paradigme, avec le passage d'une obligation de moyen à une obligation de résultat s'agissant des deux formations prescrites. Pour la formation linguistique, le niveau A2 est désormais requis pour les cartes de séjour pluriannuelles, et le niveau B1 pour les cartes de résident. De plus, les signataires devront justifier de ce niveau, une simple présence assidue aux cours n'étant plus suffisante. Enfin, les signataires du CIR devront réussir un examen à l'issue de la formation civique.
Ces nouvelles exigences constituent en réalité un alignement sur les pratiques observées chez la plupart de nos partenaires européens : en Italie, le même niveau A2 est requis au bout de deux ans de séjour ; en Allemagne, la réussite d'un test de langue et d'un test « Vivre en Allemagne » est requise.
Si ces réformes vont dans le bon sens, elles doivent toutefois être précisées avant leur mise en oeuvre à compter du 1er janvier 2026 ; elles devront surtout être financées.
Ainsi, l'allongement de la durée de la formation pour atteindre le niveau A2 n'a pas été défini, de même que les modalités de contrôle de la réussite de la formation civique.
Sur les aspects budgétaires, l'allongement de la durée des formations n'a pas été évalué. Une somme de 100 millions d'euros devrait être débloquée chaque année, dans le cadre de la loi du 24 janvier 2023 d'orientation et de programmation du ministère de l'intérieur (Lopmi), pour la mission « Immigration, asile et intégration », mais rien n'indique que ces crédits additionnels seront fléchés pour assurer le financement des cours de français. Nous savons déjà que l'augmentation du nombre de demandeurs d'asile nécessitera la mobilisation d'une partie de ces crédits.
Cependant, la loi du 26 janvier 2024 n'a pas répondu à l'ensemble des faiblesses constatées précédemment. Des lacunes inhérentes à la formation linguistique et civique demeurent. Je veux insister tout particulièrement sur le contenu de la formation civique, qui est indigeste, même pour des personnes francophones. Les formateurs avec qui j'ai pu avoir des échanges lors de mes déplacements, dont je tiens à souligner l'engagement et le travail de qualité, sont liés par des supports de formation livresques bien trop touffus, déconnectés des situations concrètes auxquelles donne lieu la vie en France.
Par ailleurs, les supports de formation insistent essentiellement sur les droits auxquels les primo-arrivants peuvent prétendre et trop peu sur les devoirs associés à ces droits. Il en est de même pour des sujets aussi fondamentaux que celui de l'égalité entre les femmes et les hommes ou celui de la laïcité.
Je tiens aussi à évoquer rapidement le délicat sujet de la mise en oeuvre du CIR à Mayotte depuis 2022. Il y est « allégé », avec une formation linguistique limitée à 100 heures et deux jours de formation civique. Le nombre de CIR signés, de l'ordre de 2 000 par an, est largement en deçà des objectifs fixés pour le déploiement de ce dispositif sur ce territoire ; cela s'explique en partie par le fait qu'une part substantielle des étrangers à Mayotte sont en situation irrégulière et ne peuvent donc pas bénéficier du CIR. La fondation des Apprentis d'Auteuil, qui gère le CIR sur place, a aussi évoqué des dégradations des locaux de l'Ofii, qui perturbent l'organisation des formations linguistiques et civiques.
J'en viens, pour terminer, aux recommandations qui découlent de ces travaux. Elles sont au nombre de sept et peuvent être regroupées en deux ensembles.
Les quatre premières recommandations ont trait au contenu des formations, au renforcement de leur complémentarité et à la forme que pourrait prendre le test à l'issue de la formation civique. Sur l'ensemble de ces aspects, nous avons tout à gagner de nous inspirer des pratiques de nos partenaires européens qui ont fait le choix de prendre en charge cette politique d'intégration.
Les trois dernières recommandations portent sur le financement de ce dispositif, qu'il faut sécuriser, en prévoyant aussi une participation financière limitée, et sous conditions de ressources, des signataires du CIR. L'Allemagne, l'Italie ou encore la Lituanie ont instauré une telle contribution, qui est d'ailleurs une demande expresse de l'Ofii s'agissant de la prise en charge de la certification du niveau de langue.
M. Claude Raynal, président. - Je salue l'esprit de synthèse qui a présidé à votre présentation de ces travaux.
M. Jean-François Husson, rapporteur général. - Je salue, non seulement cette approche synthétique, mais aussi le ton employé pour évoquer ce sujet crucial pour l'intégration des primo-arrivants. Je souscris pleinement aux orientations de ce rapport. Quand on accueille de nouveaux arrivants qui ne connaissent ni l'histoire ni la langue de notre pays, il faut se donner les moyens d'en faire des citoyens ; c'est une forme de respect et un bon moyen de favoriser leur bonne intégration. Je ne suis pas partisan de la gratuité pour tout ; c'est pourquoi il me semble souhaitable de prévoir une participation financière à cette formation, sous conditions de ressources. On constate plutôt une détérioration qu'une amélioration de la situation depuis sept ans. Ce travail permet de poser un diagnostic objectif, de braquer le projecteur sur un aspect de la politique d'intégration où l'on a plutôt reculé : on a pour plus cher des résultats stagnants, voire en recul, en ce qui concerne la maîtrise du français. Humainement et financièrement, on doit améliorer les choses. Ce rapport pose les bases d'une nécessaire reprise en main de cette thématique.
M. Rémi Féraud. - Cette question est très importante pour le parcours d'intégration. Nous pouvons nous retrouver dans certaines recommandations, mais des questions demeurent. Imposer une participation financière ne risque-t-il pas de rendre plus difficile l'engagement dans ce parcours d'intégration ? Par ailleurs, je constate souvent à Paris que, si le CIR est extrêmement cadré, tout le monde ne rentre pas dans le cadre, car les parcours d'immigration sont divers et souvent complexes. Je pense à des femmes qui, à leur arrivée, ne travaillent pas, n'apprennent pas le français, mais veulent se lancer quelques années plus tard dans un processus d'intégration ; mais alors, il n'y a plus de financement ! En cadrant de manière très stricte les modalités de soutien et de contrôle, on peut aboutir à l'inverse du but recherché. Ne faudrait-il pas plutôt consacrer autant d'argent public que possible à l'apprentissage du français et de la citoyenneté par ces personnes, à n'importe quel moment de leur parcours ?
M. Thierry Cozic. - Dans le même esprit que Rémi Féraud, je m'interroge sur les recommandations nos 6 et 7 : ne risque-t-on pas un effet d'éviction croissant, qui aboutirait à un moindre apprentissage de la langue par les immigrants ?
Mme Christine Lavarde. - Je m'interroge sur les modalités de mise en oeuvre des cours de langue : est-ce uniquement l'Ofii qui assure ces heures d'apprentissage, ou une gestion décentralisée de cette formation, s'appuyant notamment sur les associations, est-elle possible ? Ces cours de langue sont-ils assurés de manière regroupée, ou bien les 100 à 600 heures sont-elles réparties sur toute une année ? D'autres pays de l'Union européenne attachés à l'intégration par la langue prévoient des formations intensives où, pendant un mois, on ne fait que cela du matin au soir, avec un examen à la fin, dont la réussite conditionne le séjour ultérieur.
Mme Marie-Carole Ciuntu, rapporteur spécial. - En réponse à Mme Lavarde, les formations sont assurées par des prestataires de l'OFII, sous son contrôle, prévu notamment dans le cadre des marchés qui sont passés avec les prestataires.
Il existe plusieurs modalités de suivi des cours pour la formation linguistique, selon le choix du signataire. Pour un parcours de 400 heures par exemple, les signataires peuvent opter soit pour un parcours intensif sur dix semaines, soit pour un parcours extensif sur une année, avec environ sept heures par semaine. Eu égard au caractère contraignant que peut représenter le suivi d'une telle formation, notamment en termes de volume horaire, les centres de formation essaient de s'adapter au mieux aux contraintes des signataires, en proposant notamment des cours le soir ou le samedi pour les personnes qui travaillent.
Toutefois, j'ai pu constater que les rythmes de formation étaient très différents selon les territoires, avec des difficultés propres aux territoires ruraux. Lors de mon déplacement à Châtillon-sur-Seine, dans le département de la Côte-d'Or, les agents de l'OFII m'ont signalé, outre les problèmes de déplacement sur les lieux des cours pour les signataires en l'absence de transports en commun, les difficultés qu'ils avaient à constituer des classes. Ils ne peuvent en effet pas imposer aux prestataires de formation d'ouvrir une classe lorsque le groupe constitué est inférieur à six personnes, si bien que les formations traînent en longueur, sur deux voire trois ans, et que l'OFII est obligé d'échanger avec les préfectures pour expliquer les raisons du non-respect de toutes les obligations de formations dans un délai de deux ans, au moment du bilan de fin de contrat d'intégration républicaine.
Par ailleurs, au sein de ces territoires ruraux, les groupes sont nécessairement plus hétérogènes, ce qui n'est pas nécessairement un frein à l'apprentissage dans la mesure où les classes sont peu chargées, à la différence de l'Île-de-France, où résident la majorité des apprenants et où parfois il n'est donc pas non plus toujours aisé de trouver de la place pour s'inscrire. J'ai pu aussi constater, à Bobigny notamment, des disparités de niveau important entre les étrangers, alors même qu'ils arrivaient en fin de formation. Ces différences de niveau peuvent notamment s'expliquer par un problème d'orientation initiale sur la plateforme d'accueil de l'OFII. La détermination du nombre d'heures de formation linguistique nécessaires se fait extrêmement vite ; j'ai vu quelqu'un qui se débrouillait plutôt bien se voir attribuer 400 heures de cours simplement parce qu'il n'avait pas compris l'expression « situation matrimoniale »...
La formation civique est aussi variable selon les territoires. Dans les territoires ruraux, la faiblesse du nombre de prestataires contraint l'OFII à choisir certains organismes de formation, qui ne correspondent pas toujours aux exigences du cahier des charges des marchés de l'OFII. Il a certes la possibilité de dénoncer le marché, mais il prendrait en ce cas le risque de se retrouver avec un marché infructueux, faute d'autres prestataires dans ces territoires.
Notre objectif doit demeurer une formation relativement rapide, avec des éléments de civisme et de valeurs républicaines, sanctionnée par un test écrit et oral. Cela nous rapprocherait des pratiques d'autres pays européens.
Monsieur Féraud, les personnes prises en charge dans les formations civiques et linguistiques sont souvent sur le territoire national depuis un certain temps, plus de deux ans en moyenne. Ces personnes qui ne sont donc pas stricto sensu des « primo-arrivants » peuvent ainsi tout à fait entrer dans le dispositif du CIR. Il n'y a pas de volonté de refermer l'accès à ces formations. Plus de 40 % des CIR sont signés par des personnes pour lesquelles il n'est pas obligatoire. Mais quand il l'est, requérir une participation financière ne saurait, par définition, avoir un effet d'éviction, comme le démontre les exemples étrangers. Mais la différence entre nous sur ce point est sans doute de nature politique...
La participation témoigne à nos yeux de l'engagement individuel dans la formation. On peut aussi avoir à l'esprit l'exemple allemand, où la participation requise est remboursée de moitié à ceux qui réussissent l'examen final. Une telle participation pourrait permettre une meilleure implication dans le suivi des formations en responsabilisant au mieux les signataires, alors même que la participation à ces cours demeure le plus souvent très passive. Pour trop de personnes, la maîtrise de la langue n'apparaît pas essentielle au déroulement de leur existence en France. Cette attitude est celle de beaucoup de femmes, souvent soumises à des pressions de leur entourage, qui n'ont pas de projet professionnel et pensent pouvoir vivre entre personnes de même nationalité et de même langue, sans apprentissage de la langue française. Un vrai militantisme de notre part s'impose sur la nécessité de la compréhension de notre langue et de nos valeurs pour le séjour sur notre territoire !
Le rapport dénonce un autre défaut qui est d'autant moins justifiable qu'il n'y aurait pas d'incidence financière à agir autrement : les formations civiques auxquelles j'ai pu assister sont extrêmement désorganisées ; on présente à ces personnes, en très peu de temps, des éléments extrêmement disparates, allant de leurs droits en matière de sécurité sociale, en tant que locataires ou dans une copropriété, jusqu'à notre gastronomie, où se perdent quelques points sur des sujets aussi essentiels pour le bien vivre-ensemble que la laïcité ou l'égalité entre hommes et femmes. Au sein des pays d'origine les plus représentés parmi les signataires du CIR figurent l'Afghanistan, la Turquie ou la Côte-d'Ivoire, où ces concepts ne vont pas nécessairement de soi. En outre, le lien entre droits et devoirs n'est pas suffisamment fait.
Plutôt que de cadrer davantage le dispositif, j'appelle à revenir à une approche plus raisonnable. Quand on accueille des étrangers en situation régulière, on a le devoir de leur permettre de recevoir de réelles formations linguistiques et civiques, qui leur soient bénéfiques. Un problème crucial est que la formation civique est souvent dispensée avant la formation linguistique, ce qui en limite singulièrement l'effectivité ! Plus de 65 % des signataires doivent donc avoir recours à l'interprétariat durant les formations, qui peut s'avérer particulièrement délicat pour certains concepts propres à notre système juridique, tels que la laïcité.
M. Karoutchi disait avoir honte, il y a sept ans, devant le spectacle de désorganisation offert par ces formations. La situation reste terriblement préoccupante aujourd'hui et explique sans doute une partie de la situation socio-économique des primo-arrivants. Je n'ai pour ma part pas voulu stigmatiser un échec sans offrir de perspectives. L'important est de passer d'une obligation de moyens à une obligation de résultat en matière de connaissance de notre langue et de notre pays ; c'est ce que, je l'espère, permettra la loi du 26 janvier 2024. C'est l'honneur de notre pays que de croire à l'intégration.
M. Claude Raynal, président. - Merci pour ce plaidoyer, madame la rapporteure spéciale.
La commission adopte les recommandations du rapporteur spécial et autorise la publication de sa communication sous la forme d'un rapport d'information.
Proposition de loi visant à mettre à contribution les Ehpad privés à but lucratif réalisant des profits excessifs - Désignation d'un rapporteur
La commission désigne M. Bruno Belin rapporteur sur la proposition de loi n° 682 (2023-2024) visant à mettre à contribution les Ehpad privés à but lucratif réalisant des profits excessifs présentée par M. Jean-Luc Fichet et plusieurs de ses collègues.
La réunion est close à 17 h 00.
Mercredi 25 septembre 2024
- Présidence de M. Jean-François Longeot, président de la commission de l'aménagement du territoire et du développement durable, et de M. Claude Raynal, président de la commission des finances -
La réunion est ouverte à 9 h 00.
Mission conjointe de contrôle relative aux inondations survenues en 2023 et au début de l'année 2024 - Examen du rapport d'information
M. Jean-François Longeot, président de la commission de l'aménagement du territoire et du développement durable. - Mes chers collègues, j'ai le plaisir de vous retrouver, après cette longue interruption, pour la présentation et l'examen du rapport d'information de la mission de contrôle conjointe relative aux inondations survenues en 2023 et au début de l'année 2024.
Je me réjouis du format retenu pour cette mission. Il permet en effet de croiser les regards et l'expertise de nos deux commissions, et s'inscrit dans la droite ligne du groupe de travail de Pascale Gruny de 2021, qui préconisait de renforcer la coordination entre les différentes instances du Sénat.
La gestion des inondations constitue désormais un sujet marquant le quotidien des Français. Il était donc légitime que le Sénat, dont la principale mission est d'être à l'écoute des territoires et des difficultés de nos concitoyens, se penche sur cette question.
Un mot de rappel sur le contexte ayant présidé à la création de cette mission d'information. À la suite des inondations survenues en novembre 2023, le président Gérard Larcher s'était rendu dans le Pas-de-Calais le 4 décembre 2023, pour exprimer la solidarité du Sénat envers les territoires sinistrés et pour constater les dégâts. À cette occasion, il avait impulsé le lancement d'une mission sénatoriale sur le sujet, dont l'objet serait de faire toute la lumière sur ces événements dramatiques et de tirer des leçons pour améliorer à la fois la prévention des inondations, la gestion de crise et l'indemnisation des sinistrés. Nos deux commissions ont donc créé une mission conjointe en janvier 2024.
Je souhaite d'emblée remercier les deux rapporteurs, M. Jean-Yves Roux pour la commission de l'aménagement du territoire et du développement durable et M. Jean-François Rapin pour la commission des finances, pour le travail d'ampleur réalisé. Depuis le début du mois de février dernier, ils ont conduit trente-sept auditions, qui leur ont donné l'opportunité d'entendre plus d'une centaine de personnes de divers horizons - experts, chercheurs, opérateurs, élus locaux, associations et acteurs de la gestion de crise.
Ils ont également pris le temps de se rendre sur le terrain, en effectuant trois déplacements, dans le Pas-de-Calais en mars puis en mai 2024, et dans les Alpes du Sud en mai 2024. Ils ont enfin lancé une consultation en ligne sur la plateforme du Sénat qui a rencontré un franc succès : 1 135 élus locaux du bloc communal ont ainsi apporté leur témoignage.
Le résultat est à la hauteur de leur investissement : un rapport riche de vingt recommandations, qui permettront de simplifier les démarches administratives, de renforcer la solidarité entre les territoires et d'adapter la prévention des inondations au changement climatique.
M. Claude Raynal, président de la commission des finances. - Avant de donner la parole aux rapporteurs, je rappellerai simplement quelques-uns des enjeux financiers relatifs à la prévention et à l'indemnisation des inondations.
Historiquement, les inondations sont le premier risque pris en charge par le régime d'indemnisation des catastrophes naturelles. De 1982 à 2021, elles ont représenté 53 % du montant total de la sinistralité, pour une moyenne de près de 1 milliard d'euros par an. À elle seule, la sinistralité occasionnée par les inondations dans les Hauts-de-France de l'automne 2023 est estimée à 625 millions d'euros.
Les inondations et submersions marines représentent également, de très loin, le premier poste de dépense de la politique de prévention des risques de l'État, avec en particulier 72 % des 4,5 milliards d'euros d'engagement totaux du fonds Barnier entre 2009 et 2020.
Par ailleurs, l'essentiel des dépenses relatives à la prévention des inondations est engagé par les collectivités territoriales. Le coût de la remise en état des systèmes d'endiguement transférés par l'État aux intercommunalités est ainsi estimé à 15 milliards d'euros.
Cette mission conjointe de nos deux commissions est donc particulièrement importante. Elle complète utilement les travaux réalisés par ailleurs par le rapporteur général, Jean-François Husson, concernant les problèmes assurantiels des collectivités territoriales, notamment en cas d'événements naturels, et par Christine Lavarde, qui a rendu au printemps un rapport sur le régime d'indemnisation des catastrophes naturelles, dont est issue une proposition de loi.
M. Jean-François Rapin, rapporteur. - Mes chers collègues, Jean-Yves Roux et moi-même sommes très heureux de vous présenter le fruit de notre travail sur les inondations survenues en France en 2023 et au début de l'année 2024.
Le président Jean-François Longeot l'a rappelé, cette mission a été lancée sous l'impulsion du président Larcher, qui avait été impressionné par l'étendue des dégâts dans le Pas-de-Calais lors de son déplacement au début du mois de décembre 2023. Si cette visite de terrain a constitué un fait générateur, précisons d'emblée qu'elle n'a en aucun cas limité le périmètre de nos travaux. À travers nos auditions et nos déplacements, nous avons cherché à dresser un état des lieux à l'échelle nationale en prenant en compte la diversité des territoires, de la montagne au littoral et à la plaine, et des villes à la ruralité. Cela était d'autant plus essentiel que les derniers travaux d'ampleur du Sénat sur le sujet remontaient à 2015, avec le rapport d'information « Xynthia, 5 ans après : pour une véritable culture du risque dans les territoires » réalisé par la délégation aux collectivités territoriales, qui faisait lui-même suite au rapport de la mission commune d'information de 2010 sur les conséquences de cette tempête. Une remise à plat de nos politiques de prévention et de gestion des inondations s'imposait donc, alors que nous constatons une intensification de ces phénomènes dans nos territoires.
S'agissant de la méthode, compte tenu de la forte sensibilité locale du sujet, nous avons souhaité nous appuyer sur l'expérience et les remontées de terrain de nos collègues issus des départements les plus sinistrés, y compris au-delà de nos deux commissions. Nous les avons ainsi invités à un échange de vues la semaine dernière, pour recueillir leurs observations et interrogations et partager avec eux la philosophie de notre rapport. C'est aussi dans cet esprit que nous avons organisé des tables rondes « retour d'expérience » avec les élus de certains départements sinistrés dans lesquels nous n'avons malheureusement pas pu nous rendre - je pense à la Charente, à la Charente-Maritime et au Gard - ainsi qu'avec ceux de Vendée et des Alpes-Maritimes, pour faire le point sur les suites des tempêtes Xynthia de 2010 et Alex de 2020. Chaque semaine apportant son lot de nouveaux sinistres, nous aurions pu nous rendre, au total, dans cinquante-quatre départements touchés par des inondations.
Ces éléments liminaires étant posés, je vous propose d'entrer dès à présent dans le vif du sujet en revenant sur les inondations qui ont frappé le territoire, en 2023 et 2024, avec une très grande ampleur.
À partir de mi-octobre 2023, une succession continue et inédite de passages pluvieux a entraîné des inondations dans de nombreux territoires. De mi-octobre à mi-novembre 2023, le record de cumul mensuel de pluie national, atteint en 1988, a ainsi été battu. Ces précipitations intenses et prolongées ont engendré des crues exceptionnelles, d'abord en Bretagne, puis en Nouvelle-Aquitaine, en Corse, dans les Hauts-de-France, en Auvergne-Rhône-Alpes et, en décembre 2023, dans la région Provence-Alpes-Côte d'Azur. Après ce premier épisode intense, de nouvelles vagues de précipitations sur des sols encore gorgés d'eau ont causé d'autres inondations durant la première moitié de l'année 2024. Autant que l'intensité, c'est la temporalité de ces inondations à répétition qui a marqué la population, tout particulièrement dans le Nord et le Pas-de-Calais.
Le bilan de ces inondations est considérable. Entre octobre 2023 et avril 2024, elles ont causé la mort de treize personnes, dont neuf en France métropolitaine et huit rien qu'en zone de montagne.
Le bilan matériel apparaît tout particulièrement élevé dans le Nord et le Pas-de-Calais, où 370 communes ont été reconnues en état de catastrophe naturelle. Au total, plus de 33 000 sinistres de particuliers y ont été recensés et les dommages sur les biens assurables sont aujourd'hui évalués à 640 millions d'euros.
Au-delà de ces montants, un bilan sanitaire global des inondations doit être dressé, bien qu'il reste difficile à évaluer. En effet, les inondations peuvent induire des séquelles pour la santé psychosociale, mentale et physique de la population - nous le voyons déjà dans le département du Pas-de-Calais. Une surveillance sanitaire a été mise en place. Il convient de la poursuivre, afin de disposer d'une évaluation plus complète des conséquences sanitaires des inondations.
Je cède à présent la parole à Jean-Yves Roux, qui rappellera que ces événements, aussi exceptionnels soient-ils, s'inscrivent en réalité dans une tendance de long terme.
M. Jean-Yves Roux, rapporteur. - Premier risque naturel en France, les inondations recouvrent une pluralité de phénomènes selon les territoires.
Le débordement de cours d'eau constitue l'aléa le plus fréquent. Il peut prendre la forme d'une crue de plaine, souvent lente, mais aussi durable dans ses effets - comme dans le Pas-de-Calais - ou d'une crue torrentielle caractéristique des zones de montagne. La violence et le potentiel destructeur de ce dernier phénomène ont été tristement rappelés lors de la tempête Alex, qui avait occasionné un lourd bilan humain et matériel dans les vallées de la Roya et de la Vésubie en 2020, faisant dix-huit morts et plus de 1 milliard d'euros de dommages.
Notre littoral est en outre très exposé au risque de submersion marine. Rappelons que cet aléa avait violemment touché la Vendée lors de la tempête Xynthia en 2010 et causé la mort de quarante-sept personnes.
Le territoire français est également concerné par deux autres types d'inondations plus diffus et, en conséquence, moins aisés à appréhender : les inondations par ruissellement, essentiellement liées à la topographie et à l'imperméabilité des sols, qui touchent la quasi-totalité du territoire, et les remontées de nappes phréatiques, qui concerneraient un tiers du territoire national.
Au total, un Français sur quatre est aujourd'hui exposé aux inondations par débordement de cours d'eau ou par submersion marine et 85 % des communes ont au moins un concitoyen résidant en zone inondable. Ce risque naturel est également le premier en termes de dommages occasionnés, puisqu'il représente à lui seul 50 % de la sinistralité liée aux catastrophes naturelles hors automobile entre 1982 et 2023 dans notre pays.
Pour l'avenir, il est bien établi que le changement climatique conduira à une hausse de la fréquence des inondations et des submersions marines. Sur l'ensemble du territoire français, la sinistralité relative aux inondations pourrait connaître une progression située entre 6 % et 19 % à l'horizon de 2050. L'évolution de la sinistralité relative aux submersions marines est encore plus marquée : la hausse atteindrait 75 % à 91 % par rapport au climat actuel.
Les principales conclusions et recommandations de notre rapport s'articulent autour de quatre axes d'actions prioritaires.
Le premier consiste à simplifier la gestion des cours d'eau et garantir une véritable solidarité entre l'amont et l'aval dans le financement de la compétence Gemapi, relative à la gestion des milieux aquatiques et à la prévention des inondations.
D'abord, le manque de lisibilité des règles applicables à l'entretien des cours d'eau est flagrant. Les élus locaux nous ont fait part de leurs difficultés à appréhender les différents régimes applicables, qui varient selon les catégories de travaux en cause ou encore selon que l'on soit en période de crue ou en période normale. Face à cette incertitude, certains élus ont admis qu'ils préféraient s'abstenir d'intervenir dans un cours d'eau par crainte de commettre une infraction à la police de l'eau et de faire l'objet de poursuites judiciaires. Ce constat, qui vaut sans doute également pour d'autres acteurs comme les propriétaires riverains et les agriculteurs, est très inquiétant : le maintien du bon état d'un cours d'eau est en effet un levier à ne pas négliger pour prévenir ou, en tout cas, réduire en amont la gravité des crues. Il faut donc que l'État redouble d'efforts en matière de pédagogie sur ce sujet.
Par ailleurs, si une procédure dérogatoire permet de réaliser des travaux d'urgence en période de crue sans démarche préalable - à condition, bien sûr, d'en connaître l'existence - , en période normale les procédures administratives ne permettent pas toujours une intervention suffisamment rapide dans les cours d'eau. Or mieux vaut ne pas attendre une crue pour aller retirer des embâcles qui gênent le libre écoulement d'une rivière ou d'un torrent...
Pour répondre à ces préoccupations, nous proposons au travers de la recommandation n° 1, d'une part, une clarification par les services de l'État de la distinction entre les différents régimes applicables aux interventions dans les cours d'eau et, d'autre part, l'instauration d'une procédure d'instruction accélérée de ces demandes d'intervention, qui serait actionnée par les maires et les établissements publics de coopération intercommunale (EPCI), avec l'accord du préfet. Cette procédure permettrait de déroger à certaines procédures administratives préalables ou, a minima, de bénéficier de délais réduits pour leur mise en oeuvre. Les modalités de cette procédure d'instruction accélérée seraient précisées par voie réglementaire, de même que les opérations éligibles.
M. Jean-François Rapin, rapporteur. - Toutes ces questions supposent de repenser le financement de la compétence Gemapi, qui est aujourd'hui exercée par les intercommunalités. La taxe Gemapi souffre de deux défauts, qui sont liés : ses recettes ne sont pas suffisantes pour financer la prévention des inondations et elle ne permet pas une véritable solidarité entre les territoires.
Le transfert des digues domaniales de l'État aux EPCI, mis en oeuvre depuis 2024, n'a pas fait l'objet d'un accompagnement suffisant de la part de l'État, et le coût des travaux à réaliser, estimé au total à 15 milliards d'euros par le Conseil national d'évaluation des normes (CNEN), est trop élevé pour de nombreux EPCI par rapport aux recettes permises par la taxe.
En outre, l'acquittement de la taxe soulève une question sérieuse de solidarité entre les territoires. Les intercommunalités qui doivent réaliser les travaux les plus importants ne sont pas nécessairement celles qui perçoivent le plus de recettes de la taxe Gemapi. Or ces travaux peuvent bénéficier à des communes qui se situent en aval. Cette problématique est cruciale dans les zones de montagne, où la taille et le potentiel fiscal des communes tendent à diminuer à mesure que l'on progresse en altitude.
À l'inverse, des métropoles situées en aval peuvent toucher des recettes importantes de taxe Gemapi, même à un taux très faible, alors qu'elles n'ont pas de travaux majeurs à réaliser. Les petites communes exposées aux inondations ont donc le sentiment, justifié, de subir une double peine.
Face à ce constat, plusieurs solutions sont envisageables, mais nous avons souhaité respecter une exigence : l'intercommunalité reste le niveau le plus pertinent pour la maîtrise d'ouvrage. Nous n'avons donc pas préconisé un transfert de la compétence Gemapi à la région. Nous estimons en revanche, et il s'agit du sens de notre recommandation n° 3, qu'un fonds de péréquation de la taxe Gemapi, qui fonctionnerait à l'échelle du bassin versant, permettrait une véritable solidarité entre l'amont et l'aval.
M. Jean-Yves Roux, rapporteur. - Nous en arrivons au deuxième axe de notre rapport : renforcer l'efficacité de la prévention des inondations et mieux l'adapter aux besoins des territoires face au changement climatique.
Premièrement, les actions de prévention des inondations des collectivités territoriales doivent être facilitées. Les programmes d'actions de prévention des inondations (Papi) peinent toujours à convaincre en raison de leur complexité et des lourdeurs administratives. Nous avons constaté, au cours de nos auditions, de nos déplacements, et au travers de la consultation en ligne des élus locaux, que les délais prévus sont rarement respectés. Nous préconisons, à travers la recommandation n° 5, de simplifier les Papi et d'accélérer leur élaboration, en réduisant les délais administratifs, en accompagnant mieux les collectivités territoriales et en créant un guichet unique pour fluidifier leurs démarches.
Deuxièmement, la maîtrise de l'urbanisme en zone inondable revêt une forte importance. La couverture du territoire par les plans de prévention des risques d'inondation (PPRi) et les plans de prévention des risques littoraux (PPRL) s'est améliorée au cours des dix dernières années : seuls 11,5 % des communes dans lesquelles un PPRi a été prescrit ne disposent pas encore d'un plan approuvé. Ce taux s'élève à 13 % environ pour les PPRL. Nous appelons à parachever cette couverture dans les meilleurs délais et à tenir compte dans ces outils des effets du changement climatique : c'est le sens de la recommandation n° 6.
Troisièmement, en dépit de nos politiques de prévention, le changement climatique conduira vraisemblablement à une intensification des phénomènes d'inondation dans notre pays. C'est pourquoi il nous paraît indispensable de passer d'une logique de « lutte contre le risque » à une approche visant à « mieux vivre avec le risque ». Cela invite à repenser nos modes de construction. Des architectes travaillent depuis de nombreuses années sur des projets d'aménagement résilients en zone inondable : je pense par exemple à la cité fluviale de Matra à Romorantin, qui comporte un bassin de rétention des eaux, des habitations sur pilotis et des routes surélevées. Dans notre recommandation n° 8, nous invitons à privilégier ces méthodes d'aménagement résilientes pour réduire la vulnérabilité du bâti en cas d'inondation.
Enfin, nos travaux ne seraient pas complets sans évoquer l'importance de la culture du risque pour mieux protéger nos populations face aux inondations.
Selon une étude publiée par le ministère de la transition écologique et de la cohésion des territoires en 2023, 66 % des Français résidant dans une zone exposée aux risques d'inondations ne se sentent pas concernés par ce risque. Par ailleurs, selon un sondage de l'Institut français d'opinion publique (Ifop) réalisé pour l'Association française pour la prévention des catastrophes naturelles et technologiques (AFPCNT) en mars 2023, 80 % des habitants de métropole considèrent que les Français ne sont pas assez sensibilisés à la prévention et à la gestion des catastrophes. En outre, même lorsque l'information sur les risques naturels est disponible, son appropriation par la société n'est pas toujours aisée.
Dans ce contexte, nous préconisons, à travers la recommandation n° 10, de favoriser les actions visant à commémorer les inondations passées, les partages d'expérience, les campagnes d'information nationales et locales intégrant la diversité des aléas inondation, les comportements à adopter face à eux et les exercices de mise en situation. Les élus locaux doivent être au coeur de cette stratégie, en tant que maillons de proximité du continuum de la prévention des risques.
M. Jean-François Rapin, rapporteur. - J'en viens au troisième axe de notre rapport : mieux gérer les inondations en renforçant les moyens des pouvoirs publics pour faire face à la crise.
Nous constatons tout d'abord que la prévision des inondations en France, assurée par les services Vigicrues et Météo France, a prouvé son efficacité lors des inondations de 2023 et de 2024. Pour mieux anticiper les crises futures dans un contexte de changement climatique, il est toutefois nécessaire d'étendre la couverture de Vigicrues à l'ensemble du territoire d'ici à 2030, tout en renforçant la notoriété de Vigicrues Flash auprès des élus et en adaptant les moyens de Météo France. C'est le sens de la recommandation n° 11.
Par ailleurs, les services de secours, qui ont été particulièrement sollicités dans le Nord et le Pas-de-Calais, ont été confrontés à leurs limites durant cette crise, nécessitant l'intervention de renforts nationaux, puis européens. Le manque d'équipements de pompage lourds et de capacités héliportées a été déploré par de nombreux acteurs. Un renforcement capacitaire et un redéploiement des effectifs de sapeurs-pompiers vers les territoires les plus vulnérables au risque d'inondation nous paraissent ainsi nécessaires - c'est ce que nous proposons dans la recommandation n° 12.
Ensuite, les élus locaux ont joué un rôle de première ligne dans la gestion de crise, en répondant efficacement aux besoins de la population. Nous avons constaté, lors de nos déplacements comme de nos auditions, que la qualité et la notoriété du plan communal de sauvegarde (PCS) ont eu un impact considérable sur la qualité de la réponse communale dans de nombreux cas. De même, le plan intercommunal de sauvegarde (Pics), lorsqu'il existe, a facilité la mutualisation des moyens de gestion de crise au niveau intercommunal. Nous préconisons donc, au travers des recommandations nos 13 et 14, de renforcer l'accompagnement des communes dans l'élaboration à la fois des PCS et des Pics, dans les territoires où une telle démarche est adaptée.
Nous devons également adopter une vision élargie de la gestion de crise : les collectivités doivent être accompagnées, non pas uniquement au moment de l'inondation, mais également dans les semaines et les mois qui suivent.
En effet, les communes ne disposent souvent pas d'un personnel formé en nombre suffisant pour accomplir toutes les démarches administratives et entamer rapidement la reconstruction. Nous proposons ainsi, dans notre recommandation n° 15, l'instauration d'un mécanisme de solidarité entre EPCI permettant d'apporter un appui aux collectivités sinistrées, surtout en zone rurale, ainsi que la mise en place d'un guichet unique au niveau préfectoral.
La question financière est cruciale. Bien entendu, des aides existent, mais il faut parfois du temps pour les débloquer. Une avance de trésorerie au profit des collectivités territoriales ayant subi des inondations doit donc être instituée : c'est la recommandation n° 16.
Enfin, nous appelons à inscrire les travaux de réparation menés par les collectivités territoriales dans une logique de résilience, pour mieux prévenir les inondations futures et réduire leurs impacts.
S'agissant des travaux de réparation dans les cours d'eau, les élus locaux critiquent une dichotomie administrative trop marquée entre, d'une part, les travaux d'urgence temporaires - qui ne sont pas soumis à une procédure administrative préalable - et, d'autre part, les travaux structurants de reconstruction, qui sont soumis aux procédures de droit commun parfois longues. Certaines communes doivent ainsi laisser subsister des installations provisoires et peu résistantes pendant des mois, voire plus, avant de réaliser des travaux définitifs, et cela alors même que de nouvelles crues pourraient survenir.
Pour y remédier, nous préconisons, par la recommandation n° 17, d'instaurer une procédure d'instruction accélérée pour les travaux de réparation des ouvrages dans les cours d'eau à la suite d'une crue, qui serait actionnée par les maires et les EPCI avec l'accord du préfet. Elle serait adossée à la procédure d'instruction simplifiée que nous proposons dans la recommandation n° 1, laquelle concerne les interventions préventives dans les cours d'eau.
Nous en arrivons au quatrième et dernier axe de notre rapport : adapter les procédures d'indemnisation des personnes sinistrées et les méthodes de reconstruction.
Au cours de nos déplacements, nous avons très souvent constaté que les délais d'indemnisation sont trop longs, ce qui conduit à de nombreuses difficultés pour les habitants sinistrés et les chefs d'entreprises. Certains dossiers relatifs aux inondations de novembre 2023 dans le Pas-de-Calais ne sont pas encore réglés. En effet, le processus indemnitaire peut prendre des mois, voire des années pour les cas les plus complexes.
Ces délais proviennent pour l'essentiel de la durée des expertises. La forte mobilisation des experts durant les épisodes de crise est l'un des facteurs explicatifs, mais la complexité des procédures est également en cause.
Des réflexions sont en cours entre l'administration et les représentants des experts sur cette question. Comme le sujet dépasse le champ des inondations, nous n'avons pas formulé de recommandations spécifiques dans le rapport, mais nous resterons attentifs à l'évolution de la situation.
Les sinistrés ont également exprimé la vive crainte qu'à terme, ils ne parviennent plus à s'assurer face aux inondations. Le phénomène de non-assurance reste marginal en dehors des outre-mer, mais le risque qu'il se développe doit être pris au sérieux. En particulier, des assurés ne parviennent pas à renégocier leurs contrats d'assurance, car le sinistre les a placés dans une position de faiblesse face à leur assureur. Nous proposons donc, dans notre recommandation n° 18, d'étendre la compétence du bureau central de tarification (BCT), aujourd'hui limitée à l'absence d'assurance, à la renégociation des contrats d'assurance.
Trop souvent, la prime d'assurance sert à des reconstructions à l'identique, alors que des améliorations pourraient être apportées au bâtiment, tant au niveau de la prévention des risques que de l'efficacité énergétique. Contrairement à une idée reçue, l'utilisation de la prime d'assurance pour une reconstruction à l'identique n'est pas une obligation légale au sens strict, mais il s'agit presque systématiquement de la solution la plus simple. Nous proposons donc dans notre recommandation n° 19 de favoriser l'usage de la prime d'assurance pour mieux reconstruire.
M. Jean-Yves Roux, rapporteur. - J'en viens à la dernière recommandation de notre rapport. Dans le même objectif de mieux reconstruire, l'expérimentation « Mieux reconstruire après inondation », dite Mirapi, a été lancée à la suite de la tempête Alex de 2020. Le dispositif, appliqué aux communes sinistrées du Nord et du Pas-de-Calais, permet aux bénéficiaires de reconstruire de manière plus résiliente, en cumulant indemnités d'assurance et subventions du fonds Barnier.
Nous saluons ce dispositif et nous préconisons, dans la recommandation n° 20, de l'étendre aux communes sinistrées des autres territoires puis, au terme de son expérimentation en 2026, de le généraliser et le pérenniser.
Pour conclure, nous formons le voeu que ce rapport d'information contribue à un changement de paradigme dans les politiques de prévention et de gestion des inondations, qui doivent concilier adaptation au changement climatique, simplification de l'action et solidarité entre les territoires.
M. Jean-François Husson, rapporteur général de la commission des finances. - Ce sujet demeure sensible - j'ai le souvenir qu'il avait animé nos débats sur la mobilisation de moyens supplémentaires pour la prévention des risques, et mon propre avis sur la question avait d'ailleurs évolué...
Mieux vivre avec le risque, comme l'a évoqué Jean-Yves Roux, suppose de développer une culture du risque, encore insuffisante en France. À cet égard, ce rapport me paraît utile.
Aux trois termes par lesquels vous concluez votre présentation - adaptation, simplification et solidarité entre les territoires -, il faut ajouter celui de mutualisation, et en appeler à l'ensemble de la profession de l'assurance, ainsi qu'à la réassurance publique. Je pense notamment à la proposition de loi visant à assurer l'équilibre du régime d'indemnisation des catastrophes naturelles déposée par Christine Lavarde. Nous devons rester vigilants face au risque de retrait du marché de certains acteurs.
À ce titre, et au regard de la recommandation n° 18, le médiateur de l'assurance a-t-il été interrogé ? Celui-ci m'apparaît comme une alternative possible pour la recherche de solutions assurantielles, comme je l'avais préconisé dans le rapport de la mission d'information relative aux problèmes assurantiels des collectivités territoriales.
Le changement climatique appelle une adaptation collective, dont nous devrons tenir compte dans nos arbitrages. Mais dans l'optique de retrouver une trajectoire de redressement de nos comptes publics, gardons en tête que toute augmentation des crédits dans cet objectif devra s'accompagner d'une diminution dans un autre domaine.
M. Pascal Martin. - Je félicite à mon tour les rapporteurs pour leur travail et la qualité des apports de cette mission conjointe de contrôle.
En tant que rapporteur pour avis de la commission de l'aménagement du territoire et du développement durable sur les crédits relatifs à la prévention des risques dans le cadre du projet de loi de finances (PLF), je m'intéresse particulièrement à la dimension financière de la prévention des inondations.
Dans mon dernier avis relatif à la prévention des risques, examiné dans le contexte des inondations du Nord et du Pas-de-Calais, j'insistais sur la nécessité de donner une priorité aux mesures de prévention du risque inondation au regard du dérèglement climatique.
Comment les préconisations de votre rapport pourraient-elles être intégrées au PLF 2025 ? Quelles recommandations pourraient faire l'objet d'amendements ? Est-il nécessaire de redéployer des crédits en faveur de la prévention des inondations ?
La culture du risque, mentionnée dans votre recommandation n° 10, est pour le moins hétérogène en France. En matière de risques industriels, par exemple, cette culture est bien plus développée dans certains territoires que dans d'autres. En est-il de même pour les risques inondation ?
Dans le domaine des risques technologiques, les exercices de préparation auprès des populations contribuent très largement à diffuser cette culture. L'organisation d'exercices de prévention des inondations vous paraît-elle pertinente ?
La création de la journée nationale « Tous résilients face aux risques », organisée chaque année le 13 octobre, illustre une forme de prise de conscience de notre vulnérabilité. Selon vous, cette journée prend-elle suffisamment en compte le risque inondation ?
Le déploiement d'effectifs de sapeurs-pompiers dans les territoires exposés au risque inondation - il s'agit de votre recommandation n° 12 -, serait-il permanent ou occasionnel ? Il existe déjà une solidarité entre les services départementaux d'incendie et de secours (Sdis), par convention, pour faire face à des situations ponctuelles de crises majeures.
M. Jean-François Rapin, rapporteur. - Monsieur le rapporteur général, nous n'avons pas rencontré le médiateur des assurances. L'ampleur des inondations a été telle que la gestion des assurances et des permanences mises en place pour les assurés a été organisée par la préfecture. Certains particuliers ont en effet eu recours à la médiation. Néanmoins, la principale difficulté que nous avons identifiée concernant les assurances relève des délais de paiement et, surtout au début de la crise, d'expertise. Il a fallu la venue du Président de la République et du Premier ministre, ainsi que l'insistance du président de région, pour faire bouger les choses...
Monsieur Martin, notre rapport n'émet que des recommandations. La commission des finances devra ensuite travailler sur le redéploiement des crédits. Sur France Inter, ce matin, on m'a interrogé sur la baisse du fonds vert. Certes, ce fonds est destiné aux collectivités, mais son but premier n'est pas la lutte contre les inondations. Ces redéploiements seront discutés à l'occasion de la préparation du budget. Nous sommes cependant dans une situation de guerre où il faut trier les blessés : nous devrons choisir dans quels domaines précis investir financièrement.
Le redéploiement des effectifs évoqué se traduirait, non pas nécessairement par un renforcement permanent, mais par une organisation beaucoup plus rapide, même si les Sdis sont très bien organisés. Les pompiers ont insisté sur le manque de moyens de pompage de haute capacité. Des pompes venant de Slovaquie ont dû être mobilisées dans le Nord et le Pas-de-Calais, mais elles n'ont été rendues disponibles que pour une semaine. Les Sdis ont également mis en avant le besoin d'une expertise renforcée au moment des crises, notamment d'hydrologues, pour savoir précisément où pomper l'eau.
M. Jean-Yves Roux, rapporteur. - Lors de nos auditions, il est apparu que les élus locaux sont insuffisamment formés à la culture du risque, malgré les PCS et les Pics, particulièrement en zone montagne et en milieu rural. Une sensibilisation de la population sur certains territoires serait nécessaire. Nous pourrions diffuser des informations ou organiser des réunions au sein des départements.
M. Pascal Martin. - En allant jusqu'à organiser des exercices ?
M. Jean-Yves Roux, rapporteur. - Oui, même si, on le sait, mobiliser la population peut être plus difficile dans certains territoires, notamment dans les territoires urbains.
Concernant l'adaptation au changement climatique, nous avons constaté que les maires sont souvent très frileux, car ils ne savent pas quels travaux doivent être réalisés dans les cours d'eau. L'État doit donc former et accompagner les collectivités, afin de permettre une adaptation cohérente de chacun des territoires.
M. Hervé Maurey. - Je félicite les rapporteurs pour la qualité de leurs travaux et la richesse de leurs propositions.
Tirons-nous suffisamment les conséquences des inondations des dernières décennies, et des préconisations successives qui en ont découlé, notamment dans cette maison ?
En 2015, le sud de la France a été frappé par de fortes inondations. La commission de l'aménagement du territoire et du développement durable s'était rendue sur place. Or les images que nous avions vues à l'époque sont quasiment les mêmes que celles qui ont été diffusées, voilà quelques jours, à la télévision. À l'époque, nous avions notamment souligné l'insuffisance et l'inadaptation des systèmes d'alarme. Nous avions également évoqué la question de la culture du risque. Enfin, nous regrettions déjà que le rapport « Se donner les moyens de ses ambitions : les leçons des inondations du Var et du sud-est de la France » de Louis Nègre et Pierre-Yves Collombat de 2012 soit resté au fond des tiroirs...
Je me réjouis de l'amélioration relevée quant aux PPRi. En revanche, la diffusion de la culture du risque ne semble pas avoir évolué. Non seulement les citoyens n'ont pas conscience qu'ils courent un risque, mais ils n'ont pas les bons réflexes quand l'inondation arrive. Avant d'organiser des exercices, rappeler quels sont les bons gestes permettrait d'éviter bien des décès. Nous avions ainsi évoqué l'exemple du Japon dans le rapport relatif à l'évaluation de la mise en oeuvre des recommandations de la commission d'enquête sénatoriale chargée d'évaluer l'intervention des services de l'État dans la gestion des conséquences environnementales, sanitaires et économiques de l'incendie de l'usine Lubrizol à Rouen.
M. Stéphane Demilly. - Je salue également les travaux de cette mission de contrôle.
Le 17 mai dernier, votre mission s'est rendue dans le village solidaire de Longuenesse, dans le Pas-de-Calais, qui accueille de manière temporaire les sinistrés. La conjugaison de l'occupation humaine en zone inondable, de la régression des prairies permanentes et de l'augmentation de la quantité de pluie font en effet des Hauts-de-France une région particulièrement exposée au risque d'inondation.
Selon les chiffres communiqués par Enedis, à la suite des dernières inondations, plus de 10 000 foyers de cette région ont été privés d'électricité, dont certaines salles communales où devaient être accueillis les sinistrés. Or les inondations devraient augmenter tant en nombre qu'en intensité, si l'on se fie au sixième rapport du Groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat (Giec).
Vos travaux ont-ils fait émerger une réflexion interne pour que, d'une part, les réseaux électriques résistent mieux à ces phénomènes et que, d'autre part, les solutions de dépannage soient plus rapides ?
Mme Christine Lavarde. - Je me satisfais d'entendre que les remarques des rapporteurs sur les inondations corroborent le diagnostic que la commission des finances, lors de l'adoption des conclusions de mon rapport sur le régime d'indemnisation des catastrophes naturelles, avait émis, à une échelle plus large, sur les catastrophes naturelles.
Comme le soulignait Pascal Martin, le financement reste le nerf de la guerre. Or les crédits de prévention des risques font partie des sacrifiés. La diminution des crédits du fonds vert est bel et bien un enjeu. En effet, sa création dans la loi de finances initiale pour 2023 découlait d'un regroupement de crédits portés par d'autres politiques du ministère - je pense par exemple à l'action n° 02 « Adaptation des territoires au changement climatique », qui finançait notamment la prévention du risque inondation. Et pourtant, l'un des programmes de la mission « Écologie, développement et mobilité durables » a fait l'objet d'un grand coup de rabot cette année, qui s'accentuera d'ailleurs en 2025 : le fonds vert !
Au travers de nos contrats d'habitation, nous faisons tous l'objet d'un prélèvement sur la prime payée au titre de la garantie contre les catastrophes naturelles, destiné à alimenter le fonds Barnier. J'en profite pour vous informer qu'en 2025, le taux de surprime passera de 12 % à 20 % ! Ainsi, les recettes qui, avant la budgétisation décidée en 2021, finançaient le fonds Barnier continuent à progresser, sans que les crédits de l'action n° 14 du programme 181, qui porte ce fonds, n'augmentent dans la même mesure... Il est scandaleux qu'une partie du financement par les citoyens pour la prévention des risques soit finalement dévoyée, d'autant plus que tous les rapports montrent que nous pourrions financer des actions, que ce soit au plus proche du citoyen ou à l'échelle des territoires.
Cette réflexion est largement partagée. Le dernier rapport annuel de la Croix-Rouge insiste ainsi sur notre impréparation collective, en soulignant la très faible part de foyers ayant un sac d'urgence à disposition. Or, comme nous l'avons vu ces dernières heures à Cannes, les évacuations en cas d'inondation sont parfois très rapides.
M. Jean-Pierre Corbisez. - Je tiens tout d'abord à remercier le président du Sénat de s'être déplacé dans mon département. Après la surmédiatisation liée aux visites ministérielles ou présidentielles qui se sont parfois superposées, la visite de Gérard Larcher a mis du baume au coeur de nombreux maires ruraux, qui étaient excédés d'être filmés comme des animaux de zoo et exténués d'avoir passé des jours et des nuits sur le pont pour sauver des vies. Je rappelle effectivement que, si l'on ne déplore aucun mort alors même que l'eau est montée par endroits de plus d'un mètre en moins de vingt minutes, c'est parce que ces inondations ont eu lieu en journée, mais aussi parce que de nombreux élus sont allés, avec les moyens du bord, secourir certains habitants.
Je remercie également nos rapporteurs d'avoir présenté leurs recommandations. Ces travaux doivent être mis en parallèle avec la mission d'information de la commission de l'aménagement du territoire et du développement durable ayant fait suite à l'effondrement d'un pont en Italie en 2018, qui s'est conclue par la publication du rapport d'information intitulé « Sécurité des ponts : éviter un drame ». À l'époque, nous avions cherché à ne pas mettre au pied du mur, au plan juridique, judiciaire et financier, de nombreuses communes pour lesquelles la question de la réparation d'ouvrages d'art ne s'était jamais posée.
La semaine dernière, nos deux rapporteurs nous ont rassurés sur le bon usage de la taxe Gemapi par les collectivités, tout en rappelant qu'il existe des disparités énormes sur la perception de celle-ci entre les EPCI ruraux, qui ne récupèrent que quelques centaines de milliers d'euros par an, et les EPCI urbains, qui captent plusieurs dizaines de millions d'euros par an - un chiffre excédant le coût réel des travaux à réaliser.
Votre recommandation n° 3 évoque l'instauration d'un fonds de péréquation à l'échelle des bassins versants, qui serait attribué aux EPCI. Pourquoi ne pas rendre cette compétence aux conseils départementaux, qui avaient déjà la compétence de l'entretien des ruisseaux et des cours d'eau voilà quelques années et assumaient les travaux, afin de favoriser une meilleure organisation entre les EPCI ?
M. Jean-Yves Roux, rapporteur. - Plusieurs rapports ont été réalisés depuis 2015 sur la culture du risque et l'information mise à disposition sur les risques naturels s'est développée. Nous sommes confrontés à des précipitations de plus en plus violentes. Pour y faire face, la prévention s'est améliorée et des outils ont été créés, notamment des cartographies des risques.
Toutefois, nous devons désormais adopter les bons réflexes et sensibiliser la population, en organisant des exercices de mise en situation et en mobilisant les écoles. À cet égard, nous pouvons nous inspirer de ce qui se fait aux Pays-Bas pour trouver des solutions.
On peut, certes, juger que les recommandations se suivent et se ressemblent, mais il est impératif de simplifier les démarches administratives. Nous ne pouvons plus nous permettre d'attendre les sept ans nécessaires à l'élaboration d'un Papi. S'agissant de la gestion des cours d'eau, les maires n'osent plus intervenir, car ils ne sont pas assez accompagnés par les services de l'État et ont peur d'être verbalisés. Si nous voulons réellement couvrir le risque, le maire et le président de l'EPCI doivent pouvoir obtenir une réponse rapide de la part du préfet.
Dans mon territoire, à Uvernet-Fours, dans la vallée de l'Ubaye, après qu'une station d'épuration a été détruite par une crue, l'État a obligé les élus à la reconstruire à l'identique. Sans amélioration, il était évident qu'elle serait de nouveau emportée à la crue suivante, ce qui n'a pas manqué d'advenir six mois plus tard. Nous devons réfléchir à une simplification à l'échelle des territoires.
M. Jean-François Rapin, rapporteur. - Permettez-moi d'ajouter un mot sur la culture du risque. J'ai été très touché par le témoignage d'un maire en zone de montagne que nous avons auditionné en visioconférence. Il déplorait le décès d'un de ses administrés pendant un épisode de fortes pluies. Voyant l'évolution de la situation, il lui avait conseillé de ne surtout pas traverser un pont, mais celui-ci l'avait tout de même fait et en était mort. La culture du risque doit également permettre aux populations de faire confiance aux autorités.
Nous n'avons pas mené d'audition spécifique sur la capacité d'Enedis à éviter les coupures de courant. Nous avons abordé avec eux le problème d'assurance qui se pose lorsqu'un compteur électrique doit être déplacé pour éviter de nouveaux dommages lors d'épisodes pluviaux futurs. Il est difficile dans ce cas de déterminer qui peut financer le coût supplémentaire d'une reconstruction améliorée. Le particulier n'a souvent pas les moyens de payer les près de 900 euros que coûtent les travaux et les assurances ne veulent financer que la pose d'un compteur à la même place que celui qui a été endommagé.
Permettez-moi d'élargir votre question aux réseaux en général. Lorsque des réseaux d'adduction d'eau ont été pollués, il a fallu déployer des moyens considérables pour alimenter certains villages en eau potable. Il en va de même pour les réseaux de communication. Comment les maires peuvent-ils communiquer avec les Sdis ou avec leurs administrés lorsque tous les réseaux sont coupés ?
Nos recommandations doivent irriguer d'autres travaux, que ce soit des propositions de loi ou des rapports d'information complémentaires. Après la tempête Irma, j'ai été chargé, dans le cadre de la délégation sénatoriale aux outre-mer, de produire le deuxième rapport d'une série de trois. En effet, nous avions d'abord traité l'urgence, puis la résilience un an après, et enfin la reconstruction et l'état des lieux. Nous sommes dans le temps du constat de l'urgence, qui appelle des travaux futurs.
Par ailleurs, nous nous sommes longtemps posé la question du transfert de la compétence Gemapi à la région - Xavier Bertrand a notamment demandé à ce que sa région hérite de la compétence pour pouvoir mettre en oeuvre une péréquation ; toutefois, cette volonté n'est pas partagée dans toutes les régions. À mon sens, l'échelon régional est plus à même de prendre ce dossier en charge que l'échelon départemental. Mais nous avons tranché : considérant que l'échelle locale est la plus pertinente pour la réalisation des travaux, il nous a semblé que la péréquation devait se faire entre des intercommunalités. La région pourrait être un échelon approprié, mais nous ressentons de la part des élus une volonté de gérer les choses de manière plus locale. C'est pourquoi nous prônons une péréquation entre des EPCI à l'échelle des bassins versants.
Dans les Hautes-Alpes et les Alpes-de-Haute-Provence, nous avons constaté des dégâts considérables. Toute l'eau de ce bassin versant alimente le lac de Serre-Ponçon. Lorsque celui-ci a débordé, des villages entiers ont été détruits. Or l'eau de ce lac alimente l'agglomération de Marseille, dont la population est considérablement plus élevée que ces deux départements de 140 000 et 150 000 habitants. Ces derniers, dont la taxe Gemapi est fixée à 40 euros par habitant, doivent assumer l'essentiel des travaux en s'appuyant sur une assiette fiscale très faible, tandis que Marseille, où la taxe est fixée à 3 euros par habitant, capte 25 millions d'euros sans avoir à réaliser de travaux. Cette situation ne peut pas durer !
De même, dans le Pas-de-Calais, un maire dont le budget d'investissement est de 10 000 euros doit réaliser des travaux de voirie coûtant plus de 1,5 million d'euros. Comment voulez-vous qu'il s'en sorte ? Les écoulements ayant causé la destruction proviennent de communes situées en amont, qui ne font pas partie de la même intercommunalité, et les intercommunalités concernées refusent de payer pour celles qui se trouvent en aval. La question de la solidarité doit être posée - et c'est un homme de droite qui vous le dit !
M. Jean-Yves Roux, rapporteur. - Les gorges du Verdon dépendent d'une communauté de communes de 10 000 habitants. La taxe Gemapi a été fixée à 40 euros par habitant, soit le maximum, ce qui représente 900 000 euros de recette par an. Or, selon une étude, la communauté de commune doit assumer des travaux de plus de 15 millions d'euros. Une solidarité doit absolument se mettre en place, notamment entre l'amont et l'aval.
Mme Frédérique Espagnac. - Je remercie les rapporteurs pour leur travail remarquable. Ayant subi les dernières inondations dans les Pyrénées-Atlantiques, j'y suis particulièrement sensible.
Dans la petite commune de Lourios-Ichère, chère à Jean Lassalle, quinze enfants ont été sauvés parce que leur instituteur leur avait fait faire la veille des exercices sur l'attitude à adopter en cas d'inondation. Paradoxalement, la commune n'était pas en zone inondable, mais la rupture d'un embâcle de pont a causé une inondation de plus de deux mètres de hauteur. Les exercices sont donc fondamentaux.
En ce qui concerne la solidarité, une route départementale menant à la frontière espagnole a été coupée en deux, voilà quinze jours, et il faudra au moins un an pour la reconstruire. Or cette route touche quatre communes de 100 habitants au maximum, aux ressources proches de zéro. Comme vous le préconisez dans votre recommandation n° 16, il est essentiel d'instituer une avance de trésorerie pour débloquer la situation. Mais pour ces petites communes, il est impossible de régler le reste à charge ! Au-delà de la réalisation des travaux, il faudra les aider à mettre en place des actions préventives.
J'insiste sur les propos de Christine Lavarde : dès lors que nos cotisations augmentent, cela doit se retrouver dans nos investissements. Si le fonds vert n'est pas la seule source de financement, il convient de s'interroger sur la baisse de 65 % qui le frappe. Il s'agit d'une alerte majeure.
Par ailleurs, de nombreuses communes ont demandé à être classées en état de catastrophe naturelle pour que leurs habitants soient assurés, mais se trouvent elles-mêmes sans assurance à cause des refus qu'elles essuient de la part des assureurs. Un maire m'a confié qu'il n'était plus assuré depuis six mois, ce qui met en danger toutes ses infrastructures communales. Je vous alerte sur la situation de ces communes.
Enfin, en zone de montagne, si le préfet peut se montrer compréhensif, les services de l'État enclenchent parfois des procédures menant à des pénalités financières, voire des condamnations. Aussi les élus n'osent-ils plus assumer de risques financiers. Nous devons sécuriser nos maires.
Mme Nicole Bonnefoy. - Je remercie à mon tour les rapporteurs pour ce nouveau rapport sur un thème qui a déjà été largement abordé par notre commission. Michel Vaspart et moi-même avons produit en 2019 un rapport d'information intitulé « Catastrophes climatiques : mieux prévenir, mieux reconstruire », dont les nombreuses recommandations ont été adoptées à l'unanimité.
Je partage bon nombre de vos recommandations, dont la n° 3, dans laquelle vous préconisez d'instaurer un fonds de péréquation de la taxe Gemapi à l'échelle du bassin versant, ce qui permettra aux communes chargées de cette compétence d'assurer correctement leur mission et, ce faisant, de concilier gouvernance locale et gestion à l'échelle globale.
Je souligne également la recommandation n° 6 sur la prise en compte des effets climatiques sur le risque inondation dans les PPRi et dans les PPRL, ainsi que la recommandation n° 7 encourageant le développement de solutions de prévention fondées sur la nature.
Nous avions abordé ce dernier point, qui me paraît essentiel, lors de l'examen de la proposition de loi visant à préserver des sols vivants. En effet, des sols érodés n'absorbent plus les eaux de pluie, ce qui entraîne, notamment dans le Pas-de-Calais, des glissements de terrain et des coulées de boue qui s'ajoutent aux inondations. Il est donc crucial d'intégrer à nos documents d'urbanismes les fonctions écologiques du sol, qui représentent des alliées puissantes pour limiter l'impact des catastrophes naturelles.
Pour le développement d'une véritable culture du risque, nous ne pouvons plus faire l'économie d'une réelle surveillance de l'érosion des sols et d'une transformation de nos pratiques agricoles.
Votre rapport aborde-t-il la question de la renaturation des espaces favorisant l'adaptation aux aléas climatiques ?
M. Ronan Dantec. - Je salue également le travail des rapporteurs et souligne le fait que nous avons été nombreux à participer aux auditions.
Tout d'abord, il convient de faire vivre ce rapport dans le cadre du troisième plan national d'adaptation au changement climatique (Pnacc), qui devrait, si j'en crois les récentes déclarations d'Agnès Pannier-Runacher, faire rapidement l'objet d'un débat, auquel le Sénat devra prendre toute sa part.
Ces recommandations sont intéressantes, notamment la n° 7. Toutefois, j'éprouve une certaine frustration. Comme l'a dit Jean-François Rapin, certaines recommandations auraient dû être formulées plus explicitement dans le rapport.
Tout d'abord, alors qu'elles concernent l'eau, vos recommandations portent peu sur la gouvernance de l'eau. Au-delà des collectivités, l'eau dépend des commissions locales, de l'agence de l'eau, des schémas d'aménagement et de gestion de l'eau (Sage), des schémas directeurs d'aménagement et de gestion des eaux (Sdage)... La gestion de l'eau est émiettée, et mérite de faire l'objet d'une stratégie globale.
J'estime que la région doit être un acteur de mutualisation financière, en passant par une péréquation des recettes issues de la taxe Gemapi, mais aussi un acteur clé sur la gestion des sols. Des inondations catastrophiques sont inévitables, et la culture du risque est la seule réponse que nous pouvons y apporter. Mais certaines inondations sont évitables, dans la mesure où elles sont provoquées à moyen terme par un ruissellement.
À cet égard, vous n'avez que peu intégré les enseignements du rapport de l'inspection générale de l'environnement et du développement durable sur les inondations dans le Nord-Pas-de-Calais, qui met en cause le ruissellement, l'imperméabilisation des sols par l'urbanisme et l'évolution des pratiques agricoles. Les schémas régionaux d'aménagement, de développement durable et d'égalité des territoires (Sraddet) devront être de plus en plus précis et intégrer des stratégies préventives.
Par ailleurs, nous ne pouvons pas en rester là sur la question des assurances. Notre régime CatNat est en difficulté : des prélèvements ont été réalisés sur la caisse de réassurance. Christine Lavarde et moi-même avons participé à plusieurs réunions sur le sujet. Il faut mettre sur la table un plan d'ensemble. Le fonds Barnier doit financer tant l'urgence que la prévention. Tout le système assurantiel doit être remis à plat rapidement.
Le rapport ne dessine pas les contours d'une telle remise à plat, non plus que le Pnacc, qui préconise la création d'un observatoire pour vérifier que les assureurs jouent bien leur rôle en matière de solidarité nationale. Il convient de trouver une solution claire, car le système est à bout de souffle.
M. Hervé Gillé. - Je souligne également la qualité de vos travaux et le pragmatisme de vos propositions.
Si la recommandation n° 1 sur la gestion des cours d'eau me paraît équilibrée, le curage des fossés reste un sujet important pour la qualité des ressuyages des sols, qui déterminent la façon dont les eaux se libéreront dans les territoires.
Comme Ronan Dantec, je plaide pour une inscription dans les plans locaux d'urbanisme (PLU) et dans les plans locaux d'urbanisme intercommunaux (PLUi) des schémas stratégiques de gestion du fil de l'eau et du ressuyage. Qu'en pensez-vous ?
Concernant les difficultés de financement, nous devons pouvoir nous appuyer sur les enjeux majeurs pour déterminer la taxation à l'échelle des bassins versants, mais cela suppose de les caractériser. La gestion de l'eau doit s'articuler entre les politiques territoriales et les politiques de gouvernance de l'eau au travers des agences, notamment les établissements publics territoriaux de bassin (EPTB). Pourquoi ne pas s'appuyer sur les EPTB pour assurer la péréquation des recettes de la taxe Gemapi et l'animation territoriale ?
Je suis d'accord avec vos recommandations relatives aux PCS, mais pourquoi ne pas appliquer la même logique aux Pics ? Il serait souhaitable de favoriser une approche intercommunale.
En ce qui concerne la culture du risque, nous nous apercevons que la mémoire collective, c'est-à-dire la transmission du savoir entre les anciens et les nouveaux, est essentielle. Pourquoi ne pas nous appuyer sur les archives départementales, dans une logique d'échanges et d'animation à l'échelle des territoires, pour partager l'histoire de ceux-ci ? Cela favoriserait les relations entre les anciens et les nouveaux habitants.
M. Philippe Tabarot. - Je remercie nos rapporteurs de leur travail et de s'être intéressés à notre département. Je me réjouis du travail entre nos deux commissions, et ce rapport montre que nous avons beaucoup de choses à faire ensemble.
Lundi matin à sept heures, j'étais sous l'eau. Les épisodes de dérèglement climatique se multiplient et s'intensifient. Encore une fois, nous avons constaté une faille du système d'alerte. Nous avons eu officiellement connaissance du phénomène une heure vingt après qu'il ait débuté, sous la forme d'une alerte jaune, alors que l'orange ou le rouge semblait plus approprié. Dans ces conditions, comment voulez-vous prévenir les administrés des risques qu'ils encourent pour aller au travail ou emmener leurs enfants à l'école ?
Contrairement à ce qui s'est passé en 2015, nous avons apporté des réponses : nous avons instauré la taxe Gemapi, et des bassins de rétention ont été creusés. Toutefois, celles-ci se sont révélées inopérantes face à des précipitations plus fortes sur un temps plus court. Pouvez-vous développer vos propositions à cet égard ?
Sans vouloir polémiquer, Ronan Dantec et d'autres ont laissé entendre que les catastrophes naturelles sur la Côte d'Azur étaient dues à une artificialisation excessive des sols et à des problèmes de ruissellement. Or ceux qui déplorent ce problème sont les mêmes qui poussent les maires à construire plus au travers de la loi relative à la solidarité et au renouvellement urbains, dite loi SRU... N'est-ce pas contradictoire ?
M. Rémy Pointereau. - Permettez-moi de revenir sur la question de la gouvernance et du financement. Le choix de l'échelle intercommunale pour gérer la Gemapi, notamment la prévention des inondations, n'est pas adapté car cela crée des inégalités territoriales très importantes.
Lors de l'examen du projet de loi relatif à la différenciation, la décentralisation, la déconcentration et portant diverses mesures de simplification de l'action publique locale, dit projet de loi 3DS, j'avais fait adopter un amendement pour expérimenter une délégation de cette compétence aux EPTB. Malheureusement, cette mesure est très difficile à mettre en oeuvre.
Pour prendre l'exemple de la Loire, le fleuve traverse quatre régions. L'établissement public Loire (EPL) gère uniquement les grandes villes - Tours, Orléans, Angers -, laissant de côté toutes les communautés de communes se trouvant le long de la Loire, qui doivent gérer les digues alors qu'elles n'ont pas les moyens de financer les travaux.
Nous essayons de mettre en oeuvre une délégation entre communautés de communes, mais cela semble impossible. À mon sens, nous allons devoir adopter une démarche coercitive pour que les EPTB gèrent les problèmes liés aux inondations, car même l'échelle régionale est insatisfaisante, comme on le voit pour le cas de la Loire.
Mme Marta de Cidrac. - Je remercie les rapporteurs pour ce rapport d'information fort intéressant.
Messieurs les rapporteurs, lors de vos travaux, la question de l'aménagement territorial - eaux de surface, ruissellement, etc. - est-elle remontée ? Lorsque l'on bâtit, ou que l'on artificialise, pour reprendre un terme utilisé précédemment, cela n'est pas neutre sur les voies que prennent les eaux souterraines. Les aménagements territoriaux liés à une grande opération dans un territoire ont des répercussions sur des territoires voisins.
Avez-vous recueilli des recommandations à ce sujet ? Allons-nous vers encore plus de réglementation et d'obligations ? Les maires sont parfois confrontés à des injonctions contradictoires : d'un côté il ne faut pas trop artificialiser ; de l'autre, il faut construire des logements... Comment conjuguer tout cela ?
Mme Kristina Pluchet. - Je souhaite vous alerter sur un point important en matière de prévention des risques dont on ne parle pas : la destruction des seuils de moulins. Au nom de la continuité écologique, les agences de l'eau financent la destruction de ces ouvrages. Ainsi, pas moins de 10 000 seuils ont été détruits. Il est temps de demander une étude d'impact sur ce sujet.
Par ailleurs, les agriculteurs, qui ont longtemps curé gratuitement les cours d'eau et les fossés, ne le font plus à cause des contraintes administratives et des contrôles, notamment de l'Office français de la biodiversité (OFB). Le besoin de simplification concerne donc non seulement les collectivités, mais aussi les agriculteurs.
M. Jean-Yves Roux, rapporteur. - Nous avons réfléchi au rôle des EPTB dans la gouvernance de l'eau, mais ils ne sont pas tous sur la même ligne. Certains s'y disent prêts à condition de récupérer la compétence Gemapi. Idem pour les régions : Renaud Muselier et Xavier Bertrand ne tiennent pas le même discours sur un potentiel transfert de la compétence Gemapi. Peut-être devrons-nous mener une réflexion d'ordre législatif sur la question.
Sur le fait que l'alerte soit arrivée trop tard, monsieur Tabarot, Météo France nous a alertés sur un manque de personnel rendant difficile de couvrir l'ensemble du territoire. Une réflexion sur Météo France s'impose pour mieux organiser les choses et réaliser des prévisions de manière plus locale et directe. L'organisme, qui avait des antennes locales, est désormais géré à l'échelle nationale, ce qui peut affecter la qualité des prévisions météorologiques.
Les problèmes de trésorerie des communes sont une réalité. L'avance de trésorerie que nous proposons est donc très importante, et servira lorsque des travaux de reconstruction doivent être conduits. Nous l'avons vu à Risoul, dans les Hautes-Alpes, où une route a été complètement détruite et un pont arraché : sans l'aide du département, la commune n'aurait pas pu reconstruire.
Une mission d'information a été conduite en janvier par le ministère de l'intérieur et le ministère de la transition écologique sur les inondations dans les Alpes-de-Haute-Provence ; nous sommes à la fin du mois de septembre et nous ne savons toujours pas quelle subvention accordera l'État, alors que les collectivités ont avancé les frais. Or les entreprises refusent d'intervenir si elles ne sont pas payées dans le mois qui suit. Voilà pourquoi j'appelle à une simplification.
Notre rapport formule avant tout un constat. Il nous appartiendra, en tant que législateur, de traduire nos réflexions par des mesures législatives pour aller plus vite et pour simplifier les démarches des collectivités territoriales. Les maires sont prêts à agir à condition d'être sécurisés par le droit et accompagnés d'un point de vue technique.
M. Jean-François Rapin, rapporteur. - En ce qui concerne le reste à charge, j'ajoute qu'il existe dans la loi une dérogation pour bénéficier d'une prise en charge subventionnée à 100 %. Un problème existe dans les cas qui dépendent de la compétence communale propre, par exemple pour un chemin ou une route communale, pour lesquels une avance de trésorerie est nécessaire. Dans ces cas, nous pourrions envisager de faire appel à la Caisse des dépôts et consignations, car il s'agit après tout de l'argent des Français.
Vous n'imaginez pas le nombre de communes qui nous ont fait part de leurs besoins en trésorerie, qui ont une conséquence directe : une entreprise sollicitée par une commune de 200 habitants pour réaliser des travaux de 300 000 euros y réfléchira à deux fois avant d'accepter, par peur de ne pas être payée. Il s'agit non pas de haute technocratie, mais de vécu, de concret !
Par ailleurs, le bureau central de tarification (BCT) a pour rôle de nommer un assureur en cas de défaut d'assurance. Voilà la règle !
M. Ronan Dantec. - Il y a la question du niveau de prime...
M. Jean-François Rapin, rapporteur. - Certes, mais le BCT doit pouvoir leur trouver un assureur, même si ce qui est vrai dans les textes est plus compliqué sur le terrain.
Nous nous sommes posé la question de la gouvernance des sols au fil des auditions. Les EPTB sont un acteur intéressant, mais les visions divergent selon les territoires et la manière dont ils s'organisent. Il viendra un temps où nous devrons repenser le mode de gouvernance, mais ce n'était pas l'objet de notre mission d'information que de le faire. Pour cela, il aurait fallu entrer en négociation avec tous les territoires pour connaître leur volonté. Saisissez-vous de cette question !
Dans mon département du Pas-de-Calais, le préfet a proposé trois EPTB, ce qui a fait tiquer les intercommunalités. Un processus de discussion et de négociation doit se dérouler à froid.
Nous allons en effet devoir entrer en discussion avec les agriculteurs, notamment pour que ces derniers se mettent d'accord avec leur collectivité pour placer des zones d'expansion de crue, y compris sur des terrains agricoles. Sur ce sujet également, une réflexion doit être conduite à froid. Nous devons nous poser les bonnes questions pour éviter de nouveaux sinistres. La première chose que nous demandent les sinistrés est : « Ce que vous avez fait évitera-t-il de nouveaux épisodes similaires ? » Et nous n'avons pas la réponse, car nous ne savons pas si ces épisodes, très violents et durables, doivent être pris comme référence ou si de pires phénomènes nous attendent.
Quoi qu'il en soit, nous n'avons pas à nous immiscer dans les PLU des collectivités. Nous devons nous interroger sur la loi SRU, sur la loi sur l'eau, qui est en quelque sorte la loi mère, mais aussi sur le « zéro artificialisation nette » (ZAN).
Je regrette de ne pas pouvoir répondre plus en détail à vos nombreuses questions qui montrent à quel point ce sujet est riche et intéressant. En témoigne également l'intérêt de la presse qui nous contacte pour connaître les conclusions de nos travaux. Nous avons formulé un constat sur l'urgence, et il sera intéressant de produire d'autres rapports sur la résilience. Je ne vais pas faire plaisir à nos collègues écologistes en disant cela, mais si, depuis vingt ou trente ans, notre politique de gestion des sols a porté essentiellement sur la biodiversité, nous devons actuellement être dans l'urgence et dans la résilience.
Les recommandations sont adoptées à l'unanimité.
La mission d'information adopte, à l'unanimité, le rapport d'information et en autorise la publication.
M. Jean-François Longeot, président de la commission de l'aménagement du territoire et du développement durable. - Pour conclure, je remercie les rapporteurs. Je tiens à saluer le travail que nous avons mené en commun avec la commission des finances sur cette question importante. Comme l'ont dit les rapporteurs, d'autres préconisations suivront certainement celles qu'ils ont formulées, car nous continuerons de travailler sur ce sujet qui nous tient à coeur.
- Présidence de M. Claude Raynal, président -
Financement des actions multilatérales de la France - exercices 2017 à 2023 - Audition de MM. Christian Charpy, président de la 4e chambre de la Cour des comptes, Bertrand Dumont, directeur général du Trésor et Olivier Richard, directeur général adjoint de la mondialisation, pour suite à donner à l'enquête de la Cour des comptes
M. Claude Raynal, président. - Nous procédons ce matin à l'audition pour suite à donner à l'enquête de la Cour des comptes, réalisée à la demande de notre commission en application du 2° de l'article 58 de la loi organique relative aux lois de finances (Lolf), sur le financement des actions multilatérales de la France.
Il s'agit d'une problématique à laquelle le Parlement est traditionnellement peu associé. Les contributions multilatérales découlent d'engagements politiques du Gouvernement auprès de nos partenaires internationaux. Lorsqu'elles sont inscrites en loi de finances, leurs montants apparaissent pratiquement comme des dépenses inéluctables sur lesquelles les parlementaires ne sauraient revenir, sauf à remettre en cause la parole de la France.
Pour autant, il ne s'agit pas moins d'une dépense publique dont la performance doit être évaluée avant une éventuelle reconduction. Le montant des contributions internationales est loin d'être anecdotique avec près de 25 milliards d'euros versés par la France entre 2017 et 2023. Leur forte augmentation entre 2017 et 2023 s'explique largement par la progression des dépenses multilatérales éligibles à l'aide publique au développement au sens de l'OCDE. La majeure partie de nos contributions internationales relève en effet de la mission « Aide publique au développement » et, dans une moindre mesure, de la mission « Action extérieure de l'État ».
Sans anticiper la présentation qui nous en sera faite, le rapport d'enquête de la Cour des comptes pointe les limites du financement de nos actions multilatérales, en particulier s'agissant de son pilotage. Ce constat avait déjà été dressé en 2022 par nos collègues Vincent Delahaye et Rémi Féraud, en tant que rapporteurs spéciaux de la mission « Action extérieure de l'État », dans un rapport d'information sur les contributions internationales de la France.
Pour aborder ce sujet important, nous recevons ce matin M. Christian Charpy, président de la quatrième chambre de la Cour des comptes, qui nous exposera les conclusions de cette enquête.
Les rapporteurs spéciaux de la mission « Aide publique au développement », Michel Canévet et Raphaël Daubet, lui succéderont pour indiquer les principaux enseignements qu'ils retiennent de ce travail et pour poser les premières questions.
Pour prolonger nos échanges, nous éclairer et répondre aux observations de la Cour et des rapporteurs spéciaux, je donnerai ensuite la parole à MM. Bertrand Dumont, directeur général du Trésor, et Olivier Richard, directeur général adjoint de la mondialisation au sein du ministère des affaires étrangères. Évidemment, je laisserai ensuite la parole aux collègues qui le souhaitent.
À l'issue de notre réunion, je demanderai aux membres de la commission des finances leur accord pour publier l'enquête remise par la Cour des comptes.
Je vous indique enfin que cette audition fait l'objet d'une captation vidéo et est retransmise sur le site internet du Sénat.
M. Christian Charpy, président de la 4e chambre de la Cour des comptes. - Merci beaucoup de nous accueillir pour cette audition sur le rapport que vous nous avez commandé. Nous avons conduit cette étude avec le Quai d'Orsay et la direction générale du Trésor, qui jouent un rôle éminent dans le pilotage de cette politique. Notre objectif était d'examiner l'ensemble des contributions de la France, obligatoires ou volontaires, versées aux organisations internationales et aux fonds multilatéraux.
Nous nous sommes penchés prioritairement sur les programmes 105 « Action de la France en Europe et dans le monde », 110 « Aide économique et financière au développement » et 209 « Solidarité à l'égard des pays en développement », sur la période 2017-2023.
Nous avons regardé s'il existait une cohérence d'ensemble des aides versées par la France, ainsi qu'une complémentarité entre le canal multilatéral et le canal bilatéral.
Nous avons étudié l'ensemble des instruments de mesure de nos objectifs - pour autant qu'ils aient été clairement fixés -, les indicateurs de performance, les marges d'amélioration du pilotage ainsi que l'intégration de ces aides dans la trajectoire, compliquée, des finances publiques.
Nous nous sommes appuyés sur le rapport d'information de la commission des finances du Sénat de janvier 2022, base de travail utile que nous avons actualisée. Nous avions par ailleurs engagé un travail sur les contributions de la France aux organisations internationales et aux fonds multilatéraux. Notre objectif était de cartographier les flux financiers - ce qui n'est pas évident -, de caractériser les évolutions intervenues, de passer en revue les modalités de pilotage et de suivi et d'illustrer des problématiques sur quelques sujets : énergie et climat, biodiversité, environnement, santé et éducation. Outre des travaux d'analyse des documents budgétaires et des interviews, les rapporteurs ont effectué deux missions, en Côte d'Ivoire et en Égypte.
Dressons d'abord un état des lieux : trois logiques d'action importantes coexistent. La première date de l'immédiate après-guerre. Pour construire la paix, on crée le cadre de l'ONU, le Fonds monétaire international (FMI) et le Groupe de la Banque mondiale, premiers bénéficiaires des aides multilatérales. À partir des années 1960 apparaît la deuxième, pour accompagner la décolonisation. La notion d'aide publique au développement (APD) est forgée et l'on crée le Comité d'aide au développement de l'OCDE. La troisième naît à partir des années 1990 pour protéger les biens publics mondiaux. Les instruments se multiplient, tels que la Convention-cadre des Nations unies sur les changements climatiques et le Fonds vert pour le climat.
On constate une très grande variété des organismes bénéficiaires de l'aide française, dont le nombre s'élève à 271, pour des montants très divers. C'est absolument considérable puisque seuls 19 préexistaient en 1945. Leur rythme de création s'est accéléré depuis 1990. On peut les ranger en cinq grandes catégories : le système des Nations unies ; les institutions issues des accords de Bretton Woods ; les banques régionales de développement ; les instruments multilatéraux de l'Union européenne ; et enfin un certain nombre d'autres entités. Il existe aussi quelques dispositifs ad hoc, soutenus par des contributions volontaires, dont l'importance est croissante. Citons le Fonds mondial de lutte contre le sida, la tuberculose et le paludisme, le Fonds vert pour le climat et le Partenariat mondial pour l'éducation.
L'augmentation du volume d'action est tout à fait considérable, de 3 milliards d'euros à 4,4 milliards d'euros entre 2017 et 2023, soit + 46 %. Serons-nous capables de maintenir ce rythme à l'avenir ?
Les actions en faveur de la santé, de l'environnement et du maintien de la paix occupent une place prépondérante.
Autre évolution impressionnante : la part croissante des contributions volontaires, qui augmente de 111 % sur la période, tandis que les contributions obligatoires baissent. Les contributions volontaires représentaient la moitié des financements en 2017, contre les trois quarts actuellement. Les principales contributions volontaires vont à l'ONU, le Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés (HCR) en recevant une part croissante.
La France flèche davantage ses contributions volontaires que par le passé, mais relativement faiblement, à moins d'un tiers, tandis que le fléchage concerne près des trois quarts des contributions volontaires de l'Allemagne et des États-Unis.
Enfin, soulignons que la flexibilité des fonds ad hoc est limitée par les engagements pluriannuels pris au moment de la reconstitution des fonds, qui rendent les évolutions de périmètre difficiles.
Y a-t-il complémentarité entre les aides multilatérales, qui représentent les deux cinquièmes de l'APD, soit 8,9 milliards d'euros sur 15 milliards d'euros en 2022, et bilatérales ? La réponse varie selon les secteurs. En matière d'environnement, l'aide bilatérale est adaptée pour des projets pilotes ou sur-mesure tandis que l'aide multilatérale permet d'agir à plus grande échelle. La complémentarité est donc importante. En matière de climat, le canal multilatéral permet de répondre aux obligations internationales tandis que le canal bilatéral permet de mieux orienter l'aide sur les pays les moins avancés. On constate la même situation en matière de santé et d'éducation, avec un effet de levier important de l'aide bilatérale. En matière d'infrastructures, il est clair que sans coopération entre bailleurs multilatéraux et bilatéraux, on n'a pas la possibilité de financer des opérations lourdes.
Nous nous sommes aussi interrogés sur la manière d'utiliser le levier multilatéral pour compenser la quasi-disparition du bilatéral dans certains pays dans lesquels nous sommes en difficulté, par exemple en Afrique subsaharienne. Nous pensons qu'il faut mieux élaborer la doctrine sur l'usage respectif des canaux bilatéraux et multilatéraux. Cela a été affirmé par le Conseil présidentiel du développement du 5 mai 2023, mais à ce jour ce n'est pas complètement fait.
Nous formulons trois recommandations à ce stade : simplifier les instruments multilatéraux et ne pas en créer de nouveaux ; développer le ciblage des contributions volontaires françaises en continuant d'augmenter, parmi elles, la proportion des contributions pré-affectées ; définir une stratégie de cohérence entre les canaux bilatéraux et multilatéraux.
Concernant le pilotage, le suivi et l'évaluation de l'APD, notre jugement est nuancé. Le pilotage est multipolaire, avec deux grands acteurs, le Trésor et le ministère de l'Europe et des affaires étrangères, ce dernier étant lui-même divers dans son pilotage, partagé entre la direction des Nations unies et la direction générale de la mondialisation, mais aussi Matignon, dont le rôle est assez faible, et l'Élysée, ce dernier jouant un rôle très important.
La coordination entre les directions du ministère de l'Europe et des affaires étrangères s'est renforcée mais paraît inaboutie. Il n'existait par exemple pas encore, au moment de l'enquête, de tableau de bord unique et partagé retraçant la totalité des contributions au système de l'ONU.
La coordination entre le Trésor et le ministère de l'Europe et des affaires étrangères fonctionne de façon pragmatique. Nous saluons la création du comité interministériel de la coopération internationale et du développement (Cicid) mais regrettons qu'il se réunisse très rarement. D'autres dispositifs ont par conséquent été mis en place tels que le secrétariat permanent, qui se réunit tous les six mois, la représentation de la France par le Trésor dans les banques de développement et les fonds climat, et les ambassadeurs thématiques chargés de la coordination sur leurs sujets.
Il manque des instruments de suivi transversal et d'anticipation. Un programme budgétaire unique serait une fausse bonne idée. En revanche, il serait utile de mettre en place un document de politique transversale. Surtout, il faut un tableau de bord des décisions à rendre.
J'en viens à la mesure de la performance : des rapprochements restent à réaliser entre les indicateurs des programmes 110 et 209. La pertinence de certains indicateurs nous paraît contestable - nous détaillons ce point dans le rapport.
À partir de la loi de finances pour 2024 sont apparus deux nouveaux indicateurs du programme 105, plus intéressants : la position de la France dans le classement mondial des contributeurs financiers et le montant des contributions volontaires versées par la France aux organisations internationales.
L'évaluation doit être renforcée. Il existe déjà un certain nombre de travaux d'évaluation, notamment de l'OCDE, mais aussi de cabinets sollicités par la direction générale de la mondialisation et la direction générale du Trésor. Citons aussi les enquêtes thématiques de la Cour des comptes. Simplement, un effort supplémentaire doit être fourni en direction des organisations et fonds de moyenne ou petite dimension, afin de vérifier s'il est pertinent de maintenir nos contributions dans la durée. Ce n'est pas parce qu'une contribution est petite qu'il ne faut pas l'évaluer.
Enfin, citons la nouveauté qu'est la commission d'évaluation de l'aide publique au développement, créée définitivement par la loi du 5 avril 2024. Nous attendons avec impatience qu'elle se mette en place et puisse apporter des évaluations indépendantes sur l'efficacité de l'APD.
M. Claude Raynal, président. - Merci de cette synthèse.
M. Raphaël Daubet, rapporteur spécial de la mission « Aide publique au développement ». - Je tiens à remercier, avec Michel Canévet, la Cour des comptes pour la qualité de cette enquête et la clarté de la présentation qui vient de nous être faite.
La demande de cette étude à la Cour visait à répondre à plusieurs de nos interrogations en tant que rapporteurs spéciaux de la mission « Aide publique au développement ». En l'absence d'évaluation annuelle du montant de nos contributions dans les documents budgétaires, nous souhaitions disposer d'un état des lieux de ces versements et de leurs facteurs d'évolution. Nous voulions également comprendre les ressorts du recours au canal multilatéral et disposer d'une évaluation de nos capacités de suivi et de pilotage des contributions internationales de la France.
Le rapport de la Cour confirme, s'il le fallait, l'importance du canal multilatéral, et donc la pertinence de notre démarche. Cette importance se perçoit dans la multiplication des organisations internationales dont le nombre ne cesse de croître, mais aussi dans l'augmentation significative du volume des contributions de la France à ces organisations. Cela est d'autant plus intéressant à observer que le multilatéralisme, traditionnellement défendu par la France comme un levier majeur de la solidarité internationale, est aussi devenu un espace de compétition autant que de coopération entre les États. Autrement dit, à l'heure où l'on observe une poussée des nationalismes ou, à tout le moins, une exacerbation des enjeux de souveraineté, on se doute que les cadres de l'action multilatérale peuvent devenir des arènes au sein desquelles les luttes d'influence prennent une dimension nouvelle.
Un double constat ressort du rapport de la Cour des comptes : premièrement, nous ne disposons pas d'un état des lieux précis du total des contributions internationales de la France ; deuxièmement, nous assistons à une augmentation de leur volume et à une multiplication du nombre d'organismes bénéficiaires.
En premier lieu, l'évaluation de nos contributions internationales au niveau interministériel demeure un exercice complexe. Si la majorité des versements relève du ministère de l'Europe et des affaires étrangères et du ministère de l'économie et des finances, dix autres ministères contribuent à des organisations internationales. Chaque département ministériel connaît, sur son périmètre, le montant de ces contributions mais il n'existe pas de tableau de bord unifié permettant au Premier ministre ou aux parlementaires de savoir, à l'instant T, ce que la France verse aux entités multilatérales.
Ce constat est d'autant plus surprenant que l'enquête de la Cour intervient deux ans après un rapport d'information de nos collègues Vincent Delahaye et Rémi Féraud, qui constatait déjà l'absence de vision synthétique de nos contributions et formulait des recommandations pour y remédier.
Pour quelles raisons un tel outil de suivi transversal n'a-t-il pas été mis en oeuvre ? Quelles sont les difficultés qui s'opposeraient à une compilation de ces données ?
En second lieu, les versements multilatéraux de la France ont fortement progressé ces dernières années. Les contributions portées par les programmes 105, 110 et 209 ont augmenté de 46 % entre 2017 et 2024, pour s'établir à près de 4,5 milliards d'euros en 2023.
Cette progression induit, comme le souligne la Cour, deux conséquences principales.
D'une part, l'objectif de rééquilibrage entre les canaux multilatéraux et bilatéraux de notre aide publique au développement au profit de son volet bilatéral peine à se matérialiser. Je rappelle que la loi de programmation du 4 août 2021 a fixé un objectif de 65 % de l'APD française transitant par le canal bilatéral. Certes, un recours accru aux contributions fléchées permet de « re-bilatéraliser » des versements multilatéraux, mais la progression du volet multilatéral rend incertaine la réalisation de l'objectif de rééquilibrage.
Il n'existe aucune stratégie d'articulation entre les canaux bilatéraux et multilatéraux qui permettrait de mesurer l'opportunité de mobiliser l'un de ces deux leviers. La définition d'une telle stratégie figurait pourtant parmi les objectifs de la loi de programmation.
D'autre part, il y a un risque de saupoudrage, avec un foisonnement de bénéficiaires : 271 entités recevaient une contribution française en 2023. Le risque de dispersion de notre action est réel. La pertinence de certaines contributions de faible montant est discutable. Ne vaut-il pas mieux limiter le nombre de contributions mais amplifier le montant de certaines d'entre elles pour peser réellement dans les instances où la France a un rôle à jouer ? La multiplication des versements soulève aussi un risque de recoupements entre des organisations poursuivant les mêmes objectifs.
Le Gouvernement envisage-t-il de mener une forme de revues de dépenses, de nature à identifier les contributions dont les résultats, en termes d'influence et de réalisation de nos objectifs de développement, justifieraient une non-reconduction ?
M. Michel Canévet, rapporteur spécial de la mission « Aide publique au développement ». - Je m'associe à Raphaël Daubet pour remercier la Cour des comptes pour son excellent travail.
Le rapport d'enquête souligne en creux que nos contributions internationales sont prises dans une tension entre deux logiques : d'une part, une logique de long terme, qui vise à répondre aux objectifs de notre politique de développement, et, d'autre part, une logique de court terme, plus politique, de participation de la France aux grands évènements internationaux.
Au-delà d'une approche communicationnelle, contribuer, c'est choisir. Il est préférable de déterminer nos thématiques et zones géographiques de prédilection pour y concentrer nos moyens par un pilotage assumé de nos contributions. Or, force est de constater que l'État ne s'est pas pleinement saisi de son rôle d'orientation de nos contributions. Les travaux de la Cour identifient, en effet, de claires limites au pilotage interministériel de nos contributions.
En l'état actuel de l'organisation décrite par la Cour, les arbitrages autour des contributions internationales sont décidés au niveau de la cellule diplomatique de l'Élysée. Ce niveau de centralisation, combiné à la relative absence des services du Premier ministre dans le processus de décision, interroge.
De plus, comme l'indiquait Raphaël Daubet, le pilotage de nos contributions est rendu complexe par l'absence d'un instrument de suivi transversal - fort heureusement, le rapport de Rémi Féraud et Vincent Delahaye a permis de mieux appréhender la situation - et par l'inexistence d'une doctrine de recours au canal multilatéral - le bureau de la commission des finances a eu l'occasion de s'en rendre compte lors d'une rencontre récente avec les responsables du Fonds vert pour le climat. Ces deux éléments permettraient pourtant d'objectiver les orientations de nos contributions et de les replacer dans le contexte plus large du financement de nos actions multilatérales.
Nous partageons donc les recommandations de la Cour quant à la revalorisation du niveau interministériel dans la gestion des contributions internationales, sous la direction du Premier ministre, éventuellement dans le cadre du Cicid, à condition d'améliorer son fonctionnement. Sans remettre en cause le traditionnel domaine réservé de la présidence de la République, Matignon pourrait utilement servir de filtre, assurer la majorité des arbitrages et ne transmettre que les dossiers les plus importants. Un Cicid refondé selon les recommandations de la Cour pourrait-il assurer un réel pilotage de nos contributions ?
Je souhaite aussi aborder la question de l'évaluation des versements multilatéraux de la France. Il semble que les administrations aient renforcé leurs capacités d'audit et d'évaluation des contributions internationales. Ces efforts doivent être prolongés et renforcés. Je rejoins en particulier la Cour des comptes lorsqu'elle encourage à une évaluation plus systématique de nos contributions et plus spécifiquement des petites contributions internationales.
Deux points d'amélioration additionnels pourraient être signalés.
D'une part, l'information transmise aux parlementaires est encore lacunaire s'agissant du sujet des contributions internationales. La lecture des documents budgétaires suffit pour constater que les indicateurs de performance relatifs aux contributions multilatérales sont, a minima, perfectibles.
D'autre part, les moyens de suivi et d'évaluation internes aux administrations paraissent aujourd'hui insuffisants au regard du volume de nos contributions internationales. À titre d'exemple, les moyens dédiés au sein du ministère de l'Europe et des affaires étrangères ont certes augmenté au cours de ces dernières années, mais ils demeurent dispersés entre les différentes directions et services.
Pour terminer, il serait difficile de ne pas évoquer la commission d'évaluation de l'aide publique au développement, prévue par l'article 12 de la loi de programmation du 4 août 2021. Sans revenir sur les controverses qui ont accompagné son cheminement, la commission devrait, à la suite de l'adoption de la loi du 5 avril 2024, être prochainement installée auprès du ministère de l'Europe et des affaires étrangères. Il s'agit d'un instrument qui devra être mobilisé au plus vite pour mesurer l'efficacité et l'impact de notre politique de développement. Dans quels délais la commission d'évaluation pourra-t-elle être installée ?
Une rationalisation des moyens d'audit et d'évaluation sous l'égide de la commission d'évaluation de l'APD, rattachée au Quai d'Orsay, ne serait-elle pas envisageable ?
M. Bertrand Dumont, directeur général du Trésor. - Nous saluons le travail très important réalisé par la Cour des comptes. Nous partageons l'essentiel de ses conclusions et orientations. Ce travail, très utile, très approfondi, articule des considérations transversales et des recommandations pour notre politique d'aide au développement, qui mobilise des moyens considérables et croissants, et un volet concret, avec le focus sur l'Égypte et la Côte d'Ivoire, qui montre la déclinaison concrète du choix préférentiel de l'aide multilatérale ou bilatérale. In fine, ce qui importe est que ces flux aient bien des effets concrets, que les pays récipiendaires puissent s'en servir, qu'ils soient utiles à notre influence et à nos entreprises.
Nous rejoignons la grille d'analyse des objectifs, qui doivent être un outil d'aide à la décision lorsque nous évaluons la pertinence de recourir à tel outil plutôt qu'à tel autre : d'abord, notre influence politique historique, qui est le fondement même de notre engagement dans les institutions de Bretton Woods notamment ; ensuite, la lutte contre la pauvreté ; enfin, la défense des biens publics mondiaux.
Nous pouvons nous appuyer sur cette grille d'analyse, en pilotage et en orientation stratégique, lorsque nous nous demandons comment améliorer l'efficacité de notre aide. Effectivement, le contexte budgétaire nous oblige. La logique d'efficience de la dépense publique doit présider aux choix à faire.
Le rapport de la Cour pose la question du rôle du multilatéral par rapport au bilatéral : il faut garder en tête les vertus du multilatéralisme. La France en est un promoteur historique, pour de bonnes raisons. Les grandes institutions multilatérales ont un rôle de stabilité institutionnelle, une influence et un poids extrêmement importants dans les pays récipiendaires de l'aide, et un rôle de diffusion de valeurs, de systèmes normatifs, qui sont fondamentaux pour la France en termes géopolitiques, pour nos entreprises et plus généralement pour l'ordre du monde tel que nous le défendons. Lorsque ces institutions ne sont plus admises dans certains pays, en réalité, c'est tout un ordre, dont la France est partie, qui se trouve mis en cause.
Nous devons pouvoir peser sur le rôle de ces institutions multilatérales. Le prisme de la Cour est celui des contributions à ces institutions, mais nous en sommes aussi actionnaires. Au quotidien, notre rôle est de faire en sorte que ces institutions reflètent, dans leurs politiques, nos priorités : en faveur des pays les plus pauvres et fragiles, de l'Afrique, du climat, de la bonne gouvernance, du respect du genre, de la lutte contre la corruption. Il faut voir l'intérêt du multilatéralisme à l'aune de notre capacité à relayer nos messages.
Ne sous-estimons pas la force de frappe du multilatéralisme, quand la Banque mondiale accorde 60 milliards d'euros de prêts chaque année, contre 6 ou 7 milliards d'euros pour l'Agence française de développement (AFD).
Il ne faut pas opposer multilatéralisme et bilatéralisme, mais voir comment agir sur les différents fronts pour maximiser notre influence.
Il me semble qu'il faut, au-delà de cet effet de levier, adopter une certaine prudence sur la « bilatéralisation » de l'aide multilatérale. Je partage les propos du président Charpy : un point d'équilibre doit être trouvé. C'est un outil utile mais qui ne doit pas être utilisé systématiquement. L'efficacité de l'aide multilatérale, c'est aussi la capacité à porter des projets globaux, transversaux, en faveur des pays en développement. Si nous transformons cette aide en manteau d'Arlequin de contributions bilatérales, la tâche devient impossible. Quand on lutte contre la pauvreté ou le réchauffement climatique, il ne faut pas que 20 contributeurs de tel ou tel fonds aient 20 sous-priorités qui rendent le dispositif illisible.
Dès que nous le jugeons pertinent, nous « bilatéralisons » nos actions. Citons notre aide à l'Ukraine, soit via la Banque européenne pour la reconstruction et le développement (Berd), soit via la Société financière internationale (SFI), en offrant des garanties de 250 millions d'euros pour la première et 150 millions d'euros pour la SFI. Citons aussi l'initiative Farm (mission pour la résilience alimentaire et agricole) pour le Fonds international de développement agricole (Fida). Mais gardons-nous de penser que ce serait la panacée.
Le deuxième élément qui a été relevé a trait à la doctrine que nous pouvons adopter afin de bien articuler le niveau multilatéral, le niveau européen et le niveau bilatéral. Vous avez justement souligné qu'il existait une demande politique forte de la part du Conseil présidentiel du développement afin de mieux articuler ces différents canaux : nous n'avons pas encore accompli ce travail et nous recommanderons au ministre de mener à bien l'explicitation de cette doctrine d'emploi.
Le point de vue du Trésor - sans validation politique à ce stade - consiste à dire que nous devrions privilégier le canal multilatéral dès lors que des problématiques à portée universelle sont en jeu ou qu'il s'agit d'organismes créateurs de normes mettant en oeuvre des transformations à l'échelle locale ou mondiale, en faveur des biens publics mondiaux par exemple. Je pense que nos participations aux banques multilatérales présentent également un grand intérêt lorsqu'elles nous permettent d'agir dans des zones dans lesquelles notre levier bilatéral est plus faible, à l'instar de l'Amérique du Sud, où notre présence est intrinsèquement moins forte. Enfin, lorsque notre relation bilatérale est très faible, voire inexistante, le maintien d'une présence multilatérale constitue un outil de stabilisation géopolitique.
S'agissant du canal européen, nous avons des progrès à accomplir concernant le soutien à l'action multilatérale et la maximisation de l'influence européenne. Du chemin reste à parcourir dans ce domaine, parfois en raison de la divergence des priorités en matière de développement ; pour autant, il y a là beaucoup à faire compte tenu des montants déjà existants et de notre volonté de mieux affirmer une présence européenne, qu'il s'agisse de la thématique ukrainienne, de la thématique africaine ou du développement du secteur privé. Il me semble qu'il faut constituer une véritable « équipe Europe », même si cette formule peut sembler être un truisme.
Le canal bilatéral, quant à lui, doit nous aider à affirmer notre singularité, soit lorsque nous nous positionnons à l'avant-garde de la défense de certaines causes, soit lorsque nous souhaitons soutenir certains partenaires de manière privilégiée, pour des raisons historiques spécifiques notamment. En lien avec nos collègues du quai d'Orsay, nous ferons des propositions à nos ministres afin de préciser cette doctrine.
Je conclus en évoquant la nécessité de disposer d'un tableau de suivi afin d'améliorer le pilotage. Concernant l'évaluation, je souscris à l'opinion selon laquelle nous devons oeuvrer à une mise en place de l'instance créée par le législateur. Une série d'actions ont été menées et la France n'est pas particulièrement en retard dans ce domaine, mais le chantier reste ouvert.
M. Olivier Richard, directeur général adjoint de la mondialisation au ministère de l'Europe et des affaires étrangères. - Je tiens à saluer la qualité du travail de la Cour des comptes. Je partage l'avis du directeur général du Trésor quant à l'importance du canal multilatéral : au regard des nombreuses crises - sécuritaire, humanitaire, sanitaire, climatique - que nous connaissons actuellement, il s'agit de l'un des moyens d'action qui permet de structurer les alliances de la France et d'influencer les normes et les valeurs, en complémentarité avec le canal bilatéral.
Le ministère de l'Europe et des affaires étrangères (MEAE) partage nombre des analyses et des recommandations de la Cour et a d'ores et déjà commencé à mettre en oeuvre une bonne part de ces dernières. S'agissant de la création de nouveaux instruments multilatéraux, la France et l'Union européenne souhaiteraient éviter d'en ajouter aux existants et, lorsque de nouveaux instruments sont créés, les rattacher à des structures existantes afin d'éviter l'augmentation des coûts. En général, cette position est défendue par l'ensemble des États membres, mais il arrive parfois que les négociations internationales débouchent sur la création de nouveaux fonds, même si nous ne le souhaitions pas. Il faut alors tâcher de les rattacher à une structure existante : tel a été le cas à l'occasion de la création du fonds « pertes et préjudices » à l'issue de la COP climat, mais dont nous avons obtenu qu'il soit géré par la Banque mondiale.
Pour ce qui est du ciblage de nos contributions volontaires aux organisations et fonds multilatéraux, les contributions fléchées aux Nations unies ont augmenté, passant de 60 % en 2020 à 72 % en 2022, soit une hausse assez significative en relativement peu de temps. En outre, nous tâchons de cibler nos contributions : 20 % des crédits fléchés dans le fonds mondial de lutte contre le sida, la tuberculose et le paludisme vont ainsi à une initiative gérée de manière bilatérale, qui porte d'ailleurs le nom « L'Initiative ». Il s'agit en fait d'un moyen de « rebilatéraliser » tout en coopérant, ledit fonds mondial n'ayant aucune objection quant à cette façon de procéder, qui lui permet de financer des opérations de taille réduite qu'il juge utiles.
Le non-fléchage, ensuite, n'est pas nécessairement négatif, comme le disait le directeur général du Trésor. D'une part, des contributions non fléchées sont nécessaires pour pouvoir siéger dans les instances de direction d'organisations internationales ; d'autre part, nous avons intérêt à ce que les organisations internationales qui gèrent des crises soient capables d'intervenir rapidement, ce qu'elles ne seraient pas en mesure de faire si elles ne disposaient que de contributions fléchées. Or nous avons intérêt à ce que le HCR, le Programme alimentaire mondial (PAM) ou encore l'Organisation mondiale de la santé (OMS) interviennent très vite dès lors qu'une situation problématique émerge.
Nous veillons également à une bonne articulation des financements bilatéraux, multilatéraux et européens. Comme l'a rappelé le directeur général du Trésor, le Cicid de juillet 2023 prévoit l'élaboration « d'une stratégie pluriannuelle définissant l'articulation entre les canaux bilatéral, européen et multilatéral visant à assurer la cohérence des financements et à établir les travaux les plus pertinents au vu de nos objectifs ». La préparation de cette stratégie a commencé à l'échelon interministériel, le processus ayant été ralenti par le contexte politique : nous allons le relancer.
Je souhaite insister sur le fait que le travail de coordination est constant, dans la mesure où les équipes de la direction générale de la mondialisation (DGM) et de la direction générale du Trésor (DGT) échangent en permanence : s'il est tout à fait louable de mettre sur pied cette stratégie pluriannuelle, nous ne partons donc pas de nulle part. Ces échanges seront d'autant plus utiles que le contexte budgétaire pour 2025 s'annonce pour le moins difficile et que nous allons devoir faire des choix. En ce qui nous concerne, la préservation des moyens bilatéraux sera un enjeu prépondérant, sans exclure néanmoins le canal multilatéral comme outil d'influence. J'ajoute que des engagements juridiques s'imposent à nous dans ce domaine.
Pour ce qui est de l'évaluation des contributions françaises, un travail important est d'ores et déjà mené : la direction des Nations unies, des organisations internationales, des droits de l'homme et de la francophonie dispose ainsi d'une cellule de redevabilité qui procède à une analyse de l'ensemble des contributions volontaires dont elle supervise le financement. De plus, la DGM est dotée d'un dispositif d'évaluation interne et externe ; s'y ajoutent, enfin, les mécanismes d'évaluation de l'AFD, d'Expertise France et de la DGT.
J'ai bien pris note des propos de la Cour des comptes au sujet des petites contributions, en précisant qu'elles ne sont pas forcément synonymes de mauvaises contributions. Par exemple, nous contribuons à la lutte contre le choléra en Afrique - plus précisément au Soudan, à Madagascar et aux Comores - à hauteur de 500 000 euros, une action qui a un impact considérable localement et qui peut être valorisée par notre ambassade. Nous envisageons de procéder à une évaluation externe globale, à la fois en raison de la multiplication des contributions ces dernières années et en raison des circonstances budgétaires actuelles, qui vont nous amener à faire des choix. Comme je l'évoquais précédemment, la question des engagements juridiques de la France pèsera lourdement dans la mesure où lesdits engagements sont très forts jusqu'en 2025. Les grandes reconstitutions des fonds multilatéraux devant intervenir en 2026, une forte contrainte s'exercera en 2025 et des choix de nature politique devront être effectués.
Pour ce qui est de la commission d'évaluation de l'aide publique au développement, un préfigurateur prépare son installation au sein du MEAE. Nous disposons de locaux, il reste donc à prendre un décret qui a été retardé là encore en raison du contexte politique, mais qui sera envoyé à notre ministre dans les jours qui viennent. Les ministères ont nommé leurs représentants et la commission pourrait être mise en place relativement rapidement. Cette instance étant indépendante, nous ne pouvons pas préjuger de ce qu'elle souhaitera faire : nous l'hébergeons, mais nous ne la contrôlons pas. Nous dialoguerons avec cette nouvelle commission et adapterons nos dispositifs si cela s'avère nécessaire.
J'en viens à l'objectif de rationalisation des modalités de gestion des contributions au moyen d'indicateurs valides et d'une coordination interne renforcée. Il existe un dialogue entre services budgétaires afin d'unifier les modalités de calcul des indicateurs des programmes budgétaires, cette révision étant prévue au printemps 2025 dans le cadre de la préparation du projet annuel de performances 2026, avec la direction du budget. Les services seront appelés à faire part de leurs voeux d'évolution à partir de mars 2025.
Pour ce qui est du Cicid, le recalibrage tel que proposé par la Cour des comptes ne nous paraît pas opportun. L'objectif du Cicid est de piloter la politique d'aide au développement et d'investissement solidaire et durable dans toutes ses dimensions, et pas seulement pour ce qui concerne les contributions multilatérales. En revanche, nous n'avons aucune objection à ce qu'il se réunisse plus souvent, dans la mesure où la dernière réunion date de juillet 2023 et où le Cicid ne s'était pas réuni pendant plusieurs années avant cette date : il revient au Premier ministre de décider ce qu'il souhaite faire en la matière.
Par ailleurs, intégrer le comité de pilotage des contributions internationales et des opérations de maintien de la paix dans un Cicid renforcé mêlerait des sujets qui sont très éloignés - les opérations de maintien de la paix et la lutte contre le changement climatique, par exemple -, alors que chacune de ces instances a été calibrée pour assurer la mise en cohérence entre les acteurs concernés. De surcroît, le comité de pilotage des contributions internationales et des opérations de maintien de la paix a été créé sur demande de la Cour des comptes, à la suite d'un rapport de 2015, sans oublier le fait que la DGM y participe.
Cependant, nous voyons dans cette recommandation une reconnaissance de l'utilité et de l'efficacité du Cicid et de son co-secrétariat, ces instances se réunissant autant que de besoin en associant la DGM, la DGT et le groupe AFD. Le pragmatisme a fait ses preuves dans ce domaine, les processus étant très fluides. J'ajoute que les sujets à l'ordre du jour du co-secrétariat du Cicid n'ont pas tous un impact budgétaire significatif, dont la validation d'une stratégie pays, les travaux sur la communication ou encore les liens avec la diplomatie économique. La participation de la direction du budget ne semble donc pas appropriée ; en revanche, elle pourrait être associée au comité de pilotage de la politique d'investissement solidaire et durable lorsque l'ordre du jour s'y prête. Instance politique, ce comité a été créé par le Cicid de juillet 2023 et doit se réunir tous les trois mois sous la présidence du secrétaire d'État chargé du développement. Le comité s'est déjà réuni deux fois en présence de M. Dumont.
Le Cicid a également prévu une réunion annuelle des ministres des affaires étrangères et de l'économie : elle n'a pas encore eu lieu, mais nous allons la leur proposer.
Pour ce qui concerne l'amélioration du suivi des dispositifs de financement, nous partageons tout à fait l'avis de la Cour des comptes. Un document de pilotage transversal sur ce sujet a existé jusqu'en 2019, mais a été supprimé par la direction du budget qui n'a pas ensuite souhaité le recréer. En revanche, le MEAE compile chaque année un rapport sur les moyens des réseaux de l'État à l'étranger, avec des informations provenant de tous les départements ministériels, soit une cinquantaine de programmes budgétaires. Jusqu'à présent, il s'agissait essentiellement d'informations relatives aux ressources humaines et à l'immobilier, mais il inclura en 2025 - pour la première fois - les contributions obligatoires et volontaires, ce qui en fera un outil de pilotage et de coordination très utile, portant sur l'ensemble du Gouvernement.
Quant à l'articulation de nos postes avec le niveau bilatéral, il est extrêmement important pour nous que nos ambassades soient systématiquement informées des projets qui sont mis en oeuvre dans les pays concernés.
Enfin, une réunion interministérielle de concertation sur l'influence de la France dans le système multilatéral est organisée chaque année sous la présidence de la secrétaire générale du MEAE. La prochaine réunion, qui se tiendra d'ici à la fin de l'année, nous fournira l'occasion de faire état des recommandations de la Cour des comptes.
M. Claude Raynal, président. - Avant de passer aux questions de nos collègues, je me permets un trait d'humour au sujet de l'audit externe sur l'aide multilatérale que vous avez évoqué : si vous pouviez éviter de recourir aux grands cabinets américains, nous y serions évidemment sensibles.
Sur un autre aspect, les fonds divers dédiés à la transition écologique et à l'environnement donnent l'impression d'une certaine dispersion et de doublons. Une réorganisation et de nouvelles orientations seraient-elles envisageables dans ce domaine ?
Par ailleurs, le contexte budgétaire actuel impliquera la recherche d'économies dans tous les ministères, y compris le vôtre. Une idée reçue consiste à penser qu'une réduction de l'aide au développement n'aurait aucune conséquence sur la croissance du pays, ce qui ferait de ce poste une sorte de cible privilégiée ; peut-être pourriez-vous revenir sur ce point ?
M. Antoine Lefèvre. - Qu'en est-il des éventuelles modifications de la stratégie de l'AFD compte tenu de la dégradation de la situation humanitaire à Gaza et désormais au Liban ?
Par ailleurs, quel bilan tirez-vous de l'ouverture d'un bureau de l'AFD à Kiev depuis deux mois ?
M. Hervé Maurey. - Je remercie les différents intervenants. J'ai été extrêmement surpris de découvrir que nous cotisions à 271 organisations ou fonds - soit 150 organisations de plus en trente ans - et à quel point nos contributions - volontaires ou non - ont augmenté, sans que l'influence française ait hélas progressé à due proportion.
En revanche, j'ai été moins surpris par l'absence de vision synthétique et d'évaluation, phénomène hélas assez fréquent dans les services de l'État. Je souhaiterais interroger en particulier M. Richard sur un point : alors que nous allons devoir réaliser des économies assez strictes, et outre le fait que vous envisagez un projet d'évaluation par un organisme extérieur - ce qui n'est pas forcément une mauvaise chose -, avez-vous déjà engagé un travail d'évaluation ligne par ligne ? Si oui, quelles pistes dessine-t-il en termes de reformatage de certaines aides ? Sinon, il conviendrait d'y réfléchir afin d'éviter une hausse continue des contributions et de devoir ensuite procéder à des coups de rabots qui ne sont pas toujours pertinents.
M. Grégory Blanc. - Rapporteur spécial de la mission « Pouvoirs publics », j'ai noté votre propos concernant l'importance du rôle de la Présidence de l'Elysée, et je souhaite insister sur la difficulté d'avoir une approche moderne du budget de l'Élysée, qui, contrairement à ce qui est parfois suggéré dans la presse, est faible. Plus globalement, nous avons besoin d'une grande clarification des différents outils et process budgétaires pour connaître la vérité des coûts et faire ressortir ce qui relève de l'essentiel ou de l'accessoire. Aujourd'hui, c'est très confus.
M. Rémi Féraud. - Vos conclusions - les contributions internationales augmentent - convergent avec ce que Vincent Delahaye et moi-même constations au mois de janvier 2022. Certes, la guerre en Ukraine a évidemment changé la donne géopolitique depuis.
Selon vous, la mise en oeuvre en 2025 par la DGM d'une recommandation qui nous est commune sur un document de politique transversale répondra-t-elle à nos demandes ? Si l'on peut comprendre que l'interministériel se fasse à l'Élysée s'agissant du domaine réservé, nous nous sommes aperçus que la disparition d'un tel document en 2019 rendait plus difficile le contrôle parlementaire de la réalité et de l'efficacité des contributions internationales.
Certains pays européens passent par l'Union européenne quand d'autres agissent de manière bilatérale ou multilatérale pour maximiser leur propre influence. Ne faudrait-il pas revoir les règles à l'échelon européen pour éviter les risques de « cavalier seul » ?
L'influence stratégique de la France est-elle à la hauteur de la montée en puissance des contributions internationales, dont je ne conteste nullement la légitimité ? La Cour des comptes estime-t-elle que la dépense en la matière est véritablement utile ?
Mme Christine Lavarde. - Sur l'affichage de l'aide, certains pays sont beaucoup plus proactifs que la France ; pour notre part, nous sommes quasiment invisibles.
Le rapport, qui évoque à plusieurs reprises les participations à la francophonie, ne fait nulle mention du Fonds pour les écoles d'Orient. Pourtant, celui-ci est extrêmement efficace ; il contribue aussi bien au soutien à la scolarisation dans un environnement francophone qu'à l'équipement des écoles en panneaux solaires. Ne faudrait-il pas réfléchir à son élargissement à d'autres pays où la francophonie est très vivante ?
M. Olivier Richard. - Faire des économies sur l'APD ? Le choix vous revient ; nous ferons en fonction de ce que le Parlement votera.
L'aide publique au développement a un intérêt pour la France, ne serait-ce qu'en termes de lutte contre les pandémies ; l'Alliance mondiale pour les vaccins et l'immunisation permet d'éviter l'arrivée de certains virus chez nous. La stabilité de pays fragiles est extrêmement importante ; si ceux-ci venaient à s'effondrer, le coût pour la France serait bien plus élevé que celui des programmes 110 et 209. Le fait que notre pays soit devenu un acteur majeur en matière de santé mondiale permet l'installation de l'Académie de l'OMS à Lyon ; c'est une très bonne nouvelle, tant pour le rayonnement de la France que pour l'emploi.
Nous avons commencé à réfléchir à la manière de procéder à un rééquilibrage au sein de nos dispositifs santé, où la France est un acteur majeur. Certes, nous attendons de connaître les décisions budgétaires qui seront prises. Nous avons entamé un travail ligne par ligne eu égard aux réductions qui s'annoncent.
C'est le Centre de crise et de soutien au sein du ministère des affaires étrangères, et non l'AFD, qui fait de l'aide humanitaire, par exemple en Ukraine ou à Gaza. L'AFD interviendra dans le processus qui suivra. Elle est en train de travailler sur des projets qui devraient être validés en Ukraine, à Gaza, dans les territoires palestiniens et au Liban en 2025.
Notre intérêt est de travailler avec l'Union européenne. L'aide au développement est une compétence partagée. L'Union européenne a des moyens d'action très puissants, par exemple en matière de dons, que nous n'avons pas.
Je vous confirme que le Fonds pour les écoles d'Orient reste dans nos lignes.
Sur la communication, nous avons bien conscience du problème. Par exemple, sur le dispositif Fonds Équipe France, que le ministère des affaires étrangères a mis en place l'année dernière, il y a un volet communication obligatoire pour que les projets soient validés.
M. Bertrand Dumont. - Je ne puis que partager votre constat sur les fonds climatiques ; il y en a beaucoup, et ils ont tendance à se multiplier pendant les COP. Nous avons des priorités : le Fonds vert pour le climat, le Fonds pour l'environnement mondial (FEM), sur lesquels nous concentrons notre action. Nous avons essayé de ramener le fonds sur les pertes et préjudices à la Banque mondiale, afin d'éviter le phénomène de multiplication des supports. Nous travaillons au sein du G20 à une rationalisation de l'approche en matière climatique.
Nous essayons également d'avoir une priorisation pour le multilatéral : Association internationale de développement (IDA), Fonds africain de développement (FAD), Fonds vert.
Le bureau de l'AFD en Ukraine vient de s'installer. À date, il y a évidemment encore peu d'actions directes. Nous essayons de voir comment nous pourrions monter des projets avec les municipalités ukrainiennes. Un travail est entrepris entre Proparco et la Berd pour soutenir et renforcer le développement du secteur privé ukrainien. L'Union européenne mobilise des montants considérables ; nous en discutons en ce moment même à l'échelon européen.
Concernant l'influence française au sein des institutions, il existe des éléments quantitatifs ; selon nos évaluations, nos sujets prioritaires sont plutôt bien servis par ces institutions. Lorsque la France prend des initiatives internationales, comme le Pacte de Paris pour les peuples et la planète (4P), les institutions nous suivent ; je pense qu'il y a un effet de levier.
Sur le risque de « cavalier seul » de certains pays européens, je prendrai l'exemple des discussions actuelles sur la reconstruction de l'IDA. Notre objectif est de susciter une approche plus européenne. Cela implique non seulement de vérifier que la part relative de l'Europe ne décroît pas, voire continue à progresser, mais également de faire en sorte que des États un peu moins actifs en la matière, alors que leurs moyens sont croissants - je pense notamment à des pays d'Europe de l'Est, comme les États baltes ou la Pologne -, contribuent davantage.
M. Christian Charpy. - J'ai trouvé ce débat extrêmement intéressant.
Je le précise, nous ne sommes pas contre l'aide multilatérale ; simplement, il faut bien l'articuler avec le bilatéral. L'influence de notre pays sur les fonds est parfois insuffisante, par exemple en matière de santé.
Réunir l'approche APD et l'approche ONU dans le Cicid nous semble une bonne idée ; cela ne signifie pas qu'il faille faire disparaître d'autres structures très spécifiques. Il nous paraît important que toutes les institutions multilatérales gérées et pilotées par le Cicid se réunissent plus régulièrement. Si nous demandons des informations sur le budget, c'est pour avoir une vision globale et consolidée de l'ensemble des contributions qui sont faites.
Dans son rapport sur l'aide au Liban, M. Dominique Antoine avait évoqué le soutien aux écoles d'Orient, qui sont financées non seulement par le Quai mais également par des contributeurs privés. Il est essentiel de disposer de l'ensemble des éléments dans le futur document de politique transversale.
Le budget de l'Élysée, sur lequel la Cour publie chaque année un rapport, concerne seulement le fonctionnement de la présidence de la République. Il n'a pas un rôle d'intervention comme la DGM ou la direction du Trésor.
M. Raphaël Daubet, rapporteur spécial. - Je remercie les intervenants de leurs réponses. Je me réjouis de la prise en compte annoncée de nos recommandations, qui visent simplement - je tiens à le rappeler - à améliorer le pilotage de cette politique publique, parfois mal comprise par nos concitoyens, et à renforcer l'efficience de la dépense. Puissent les échanges que nous venons d'avoir éclairé les débats budgétaires difficiles qui nous attendent.
M. Michel Canévet, rapporteur spécial. - Compte tenu de la multiplicité des organisations auxquelles nous apportons une contribution au titre du multilatéral, une réflexion pour rendre l'action de la France plus efficace s'impose.
Avec Raphaël Daubet, nous avons constaté à Rome combien il était difficile de travailler conjointement avec l'Union européenne. Si la France agit efficacement, il y a toujours des divergences entre les pays et l'action que l'Union européenne veut mener par elle-même. Or l'argent européen, c'est l'argent de l'ensemble des pays !
M. Claude Raynal, président. - Merci à tous de votre participation.
La commission autorise la publication de l'enquête de la Cour des comptes, ainsi que du compte rendu de la présente réunion en annexe à un rapport d'information des rapporteurs spéciaux Michel Canévet et Raphaël Daubet.
Cette audition a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.
La réunion est close à 12 h 30.