Mercredi 4 septembre 2024

- Présidence de M. Claude Raynal, président -

La réunion est ouverte à 13 h 30.

Situation économique et budgétaire de la France et préparation du projet de loi de finances pour 2025 - Communication

M. Claude Raynal, président. - Mes chers collègues, ce moment est particulier : à défaut de la nomination d'un nouveau Premier ministre, nous avons du moins reçu, lundi dernier, du gouvernement démissionnaire, un certain nombre de documents que nous réclamions depuis longtemps.

Dès le lendemain, de larges extraits de ces documents se sont retrouvés dans la presse. Aussi, le rapporteur général et moi-même avons jugé important de réunir tout de suite notre commission pour échanger sur la situation et pour organiser à l'issue de cette réunion une conférence de presse. Les journalistes nous réclament depuis deux jours les documents en question, mais nous ne leur fournirons rien avant que les rapporteurs spéciaux aient eu le temps d'analyser l'ensemble. Faisons les choses dans l'ordre : les parlementaires feront leur travail, puis la presse le sien à partir des éléments qu'ils lui transmettront ensuite.

L'objectif de cette réunion est de partager avec vous les premiers enseignements que nous tirons des documents relatifs à la situation économique et budgétaire de la France, en vue de la discussion du projet de loi de finances pour 2025, qui approche à grands pas. Ces documents sont tout à la fois particulièrement instructifs et inquiétants.

Nos travaux en la matière s'inscrivent pleinement dans la continuité de la mission d'information sur la dégradation des finances publiques depuis 2023 menée par la commission des finances au printemps dernier. À sa suite, nous avions sollicité du Gouvernement plusieurs documents permettant de suivre l'évolution de la situation de nos finances publiques. Certaines de nos demandes remontent à la mi-juillet, moment où Bruno Le Maire a communiqué sur les nouveaux plafonds de dépenses pour 2024 ; d'autres ont été formulées le 22 août, lorsque la presse s'est fait l'écho de l'envoi aux ministères des lettres plafonds pour 2025.

Conformément à l'engagement pris jeudi dernier lors d'échanges que nous avons eus avec le ministre démissionnaire chargé des comptes publics, nous avons reçu lundi soir de nombreux documents, sous la forme d'un large volume de papier... Ils appellent d'ores et déjà plusieurs remarques, même si nous devrons les analyser plus en détail, tous ensemble, dans les prochains jours.

Tout d'abord, Bercy nous a bien transmis l'actualisation des prévisions de déficit public pour les années 2024 à 2027, attendue dans le cadre des budgets économiques d'été et réalisée par la direction générale du Trésor, comme nous l'avions demandé.

Le ministère y a ajouté d'autres notes réalisées par la direction générale des finances publiques (DGFiP), sur l'état des recettes fiscales pour 2024, et par la direction du budget, sur l'atterrissage budgétaire pour 2024. Nous ne les avions pas spécifiquement demandées. Cela correspond néanmoins à l'une des recommandations formulées dans le cadre de notre mission sur la dégradation des finances publiques : la transmission des notes techniques des administrations relatives aux prévisions macroéconomiques, de déficit public et de recettes, au président et au rapporteur général de chaque commission des finances, sous une forme sécurisée.

À l'inverse, certains documents que nous avons demandés n'ont toujours pas été transmis ; une deuxième vague devrait nous parvenir cet après-midi. Manquent encore, par exemple, quelques revues de dépenses réalisées par des administrations et non par l'Inspection générale des finances. Pour certaines revues de dépenses que nous avons reçues, notamment celle relatives aux aides aux entreprises, seule la synthèse nous a été transmise. Nous n'avons également que la synthèse des lettres plafonds pour 2025 et non le détail de chacune d'entre elles. En général, les pièces jointes des documents ne nous ont pas été fournies, à l'exemple d'une présentation accompagnant la note du Trésor du 17 juillet ou des dix annexes mentionnées dans une note de la direction du budget.

Enfin, comme vous le constatez, nous avons reçu ces éléments avec un retard important. Par exemple, nous avions demandé dès le 18 juillet la dernière note du Trésor sur l'actualisation des soldes budgétaires 2024 et 2025, qui datait de la veille, et nous avons pourtant dû attendre le 2 septembre pour l'obtenir, de même que les plafonds d'exécution 2024 notifiés aux ministères le 11 juillet. Après les engagements de transparence pris par le Gouvernement, notamment à la suite des travaux de notre mission au printemps, c'est très regrettable !

Que révèlent ces documents sur la situation budgétaire de notre pays ? Clairement, ils établissent la poursuite en 2024 et pour les années à venir de la dégradation des finances publiques que nous constatons depuis 2023.

Les ministres, lorsque nous les avions auditionnés à l'occasion de notre mission, avaient évoqué une situation « exceptionnelle » en 2023, appelée à ne jamais se reproduire. Pourtant, nous constatons exactement la même chose en 2024 ! Je cite Bruno Le Maire, devant notre commission, le 30 mai dernier : « Je vais donc essayer de m'attacher à comprendre pourquoi il s'est produit un événement exceptionnel. [...] Je tenterai d'expliquer [...], surtout, comment nous pouvons faire pour que ces phénomènes ne se reproduisent pas ».

Néanmoins, les documents transmis par Bercy révèlent la poursuite de trois phénomènes que nous avons constatés au cours de la mission. Premièrement, en 2024, les recettes ne seront pas au niveau attendu, comme en 2023. Deuxièmement, les annonces gouvernementales de redressement des comptes publics, présentées notamment à l'occasion du programme de stabilité (PStab) d'avril, n'étaient pas documentées et ne se réaliseront pas. Troisièmement, conséquence de ce qui précède, l'absence de réaction du Gouvernement, depuis les premiers signaux apparus en 2023, conduit à dégrader, encore une fois et avec une ampleur encore plus grande, les prévisions de solde public pour 2024, pour 2025 et pour les années suivantes.

En matière de recettes, encore une fois, les nouvelles ne sont pas bonnes. D'après les notes de la DGFiP, il pourrait y avoir en 2024 une moins-value de l'ordre de 2 milliards d'euros pour l'impôt sur le revenu. L'impôt sur les sociétés, quant à lui, souffrirait d'un bénéfice fiscal en hausse très faible, de 1 % en 2023 ; ses recettes pourraient être inférieures de 13 milliards d'euros à la prévision de la loi de finances, et les recettes nettes de TVA seraient, par rapport au même point de comparaison, en diminution de 5,4 milliards d'euros. Seule maigre bonne nouvelle : une plus-value de 1 milliard d'euros au titre de la contribution sur la rente inframarginale de la production d'électricité (Crim).

Tous ces chiffres sont à prendre avec précaution, car ce sont des prévisions à mi-année et nous n'avons pas encore pu creuser les causes de ces moindres recettes, mais ils nous poussent à nous poser les mêmes questions qu'au cours de notre mission d'information : pourquoi ces mauvaises nouvelles alors que la croissance est à peu près, en 2024, au niveau attendu ? Les prévisions techniques étaient-elles fausses ? Un pari a-t-il été fait pour présenter des prévisions favorables alors que la situation était dégradée ?

M. Jean-François Husson, rapporteur général. - Après les recettes, qu'en est-il des dépenses ? Comme la commission des finances l'avait démontré au moment du débat sur le programme de stabilité, les notes de l'administration confirment que les prévisions d'économies du Gouvernement n'étaient pas documentées et ne se concrétiseront donc pas.

La direction générale du Trésor chiffre à près de 57 milliards d'euros, dès 2025, l'effet de l'absence de mise en oeuvre effective des mesures d'économie annoncées dans le programme de stabilité en avril. Imaginez ce montant, colossal si on le compare aux budgets des missions budgétaires que vous avez à connaître !

Personne n'est dupe : un tel niveau d'économies n'a jamais existé et la trajectoire présentée par le Gouvernement en avril était simplement irréaliste. J'avais estimé lors de notre débat sur le programme de stabilité qu'il était « légitime de se demander si l'exécutif lui-même y cro[ya]it ou se content[ait] d'une opération de communication ». Nous avons désormais la réponse. Comme nous le disons depuis des mois, seul un projet de loi de finances rectificative aurait permis d'entamer le redressement des comptes publics. Le Gouvernement a fait le choix assumé de ne pas en présenter et de laisser les comptes se dégrader.

De cette conjonction de recettes plus faibles qu'attendu et d'une dépense qui dérive, il résulte une dégradation historique - encore une fois ! - des comptes de la Nation : d'après la note du Trésor évoquée par le Président, le solde public serait de -5,6 % du PIB en 2024, au lieu des -5,1 % prévus dans le PStab en avril et des -4,4 % anticipés dans la loi de finances initiale adoptée, par usage de l'article 49.3, il y a neuf mois ; il serait de -6,2 % du PIB en 2025 au lieu des -4,1 % figurant dans le PStab, soit une dérive de 50 % ! L'écart entre ces -6,2 % et l'objectif de -4,1 % est de plus de 60 milliards d'euros. Rappelons qu'à la sortie du covid, en 2021, le déficit public était de 6,6 %. Nous nous rapprochons donc, sans aucune raison extérieure, sans crise, des niveaux de déficit de la crise sanitaire. C'est inacceptable !

Je n'hésite donc pas à qualifier la politique budgétaire du Gouvernement de catastrophique, d'autant que ces chiffres sont peut-être encore optimistes, étant donné tous les facteurs de risques listés pour la fin de l'année dans les notes de l'administration.

Les ministres insistent dans le courrier accompagnant ces documents sur le fait que ces chiffres ne constituent pas une prévision du Gouvernement, car celui-ci, en tant qu'organe politique, prévoit d'adopter ou de faire adopter des mesures qui auront des effets sur le solde. Mais le Gouvernement est actuellement démissionnaire : il n'a plus de légitimité démocratique, il ne prendra donc aucune mesure. Ces chiffres doivent être vus comme un état des lieux, laissé au prochain gouvernement, de la situation des finances publiques, à savoir un déficit abyssal, alors que cette majorité a hérité d'un déficit à 3 % du PIB.

Le président Raynal et moi-même pensons que le moment est venu, avant la prise de fonctions d'un nouveau gouvernement, de mettre l'accent sur la nécessité d'adopter, enfin, une politique budgétaire crédible. Par « crédible », j'entends une politique budgétaire qui sera autre chose qu'une suite d'annonces non suivies d'effets. Il faut une trajectoire budgétaire respectée et des comptes publics bien tenus. C'est tout l'inverse de ce qui a été fait.

Il est temps d'arrêter d'utiliser le covid ou l'inflation pour se faire pardonner une réalité bien plus prosaïque : la situation financière catastrophique de la France est de la responsabilité exclusive de la majorité sortante. Alors que tous les pays ont subi les mêmes crises, la France est 24e sur 27 en matière de déficit public dans l'Union européenne ; on ne trouve derrière nous que l'Italie, la Hongrie et la Roumanie. Il n'y a plus que l'Italie et la Grèce dont les dettes publiques sont plus importantes que la nôtre.

Le Gouvernement a beau jeu de pointer la responsabilité des collectivités territoriales : n'importe quel maire sait que sa commune serait en faillite s'il avait aussi mal géré ses comptes que le Gouvernement ceux de l'État. N'importe quelle entreprise, n'importe quel ménage, n'importe quelle association peut faire ce constat.

Le Gouvernement a mené une politique économique et budgétaire insoutenable à moyen terme, car l'évolution des recettes de l'État et celle de ses dépenses ont été totalement décorrélées. Entre 2018 et 2023, les recettes de l'État ont progressé de 10,8 milliards d'euros et ses dépenses de plus de 100 milliards d'euros : voilà le bilan de la gestion budgétaire des gouvernements depuis cette date !

Il en résulte aujourd'hui une grande inquiétude face à ces déficits vertigineux : les classes moyennes et les acteurs économiques redoutent une possible hausse des impôts ; les classes populaires, des coupes dans les aides sociales ; l'ensemble des Français craignent pour l'avenir de notre système de protection sociale. Cette insécurité est la conséquence directe de la politique budgétaire du Gouvernement. Je partageais l'idée selon laquelle il était nécessaire de réduire le poids des prélèvements qui pèsent sur les entreprises, mais il faut se donner les moyens de sa politique. C'est l'inverse que le Gouvernement a fait : il a vendu du rêve et nous en payons tous le prix.

Concernant les collectivités territoriales, les ministres démissionnaires mentionnent, dans le courrier d'accompagnement qui nous a été adressé, que « le risque principal [pour les finances publiques] est lié à une augmentation extrêmement rapide des dépenses des collectivités territoriales, qui pourrait à elle seule dégrader les comptes 2024 de 16 milliards d'euros par rapport au programme de stabilité 2024-2027 ». Le chiffre avancé demande à être confirmé. Nous ne disposons concrètement que de la note du Trésor qui fait état d'une dépense des collectivités supérieure de 5 milliards d'euros, et non de 16 milliards, à ce qui était attendu. Nous n'avons pas de données plus récentes.

En outre, faire de l'évolution des dépenses locales « le risque principal » pour les finances publiques me paraît assez ahurissant alors que la situation de l'État est beaucoup plus inquiétante. Entre 2017 et la loi de finances pour 2024, les dépenses de l'État ont augmenté de 22,3 %. Comme nous l'avons écrit dans le rapport de la mission d'information sur la dégradation des finances publiques, le solde des administrations publiques locales n'était négatif que de 0,4 % du PIB en 2023 alors que celui de l'État l'était de 5,6 % du PIB, soit quatorze fois plus.

Si l'augmentation des dépenses des collectivités locales est réelle, elle doit bien sûr être analysée et surveillée, comme l'ensemble de la dépense publique. Toutefois, l'utilisation que fait le Gouvernement de l'évolution de la dépense des collectivités pour expliquer la dérive des comptes publics nous apparaît exagérée. Il s'agit d'un très bon moyen pour lui de se dédouaner de ses responsabilités, au regard de l'évolution des dépenses et du solde de l'État.

M. Claude Raynal, président. - Cela étant dit, quelles préconisations pourrions-nous conjointement formuler ?

Il est impératif que la procédure budgétaire prévue par la Constitution et par la loi organique relative aux lois de finances (Lolf) soit respectée. Le report de documents dont la publication était prévue mi-juillet était compréhensible, nous l`avons donc toléré. Mais on nous parle maintenant d'un dépôt du projet de loi de finances postérieur au premier mardi d'octobre, ce qui serait méprisant pour le Parlement, mais aussi le Conseil constitutionnel, le Conseil d'État et le Haut Conseil des finances publiques. Nous avons donc dit notre opposition à un tel report. Il est temps qu'un gouvernement sérieux se mette au travail pour redresser la situation, et chacun d'entre nous devra prendre ses responsabilités au regard des difficiles arbitrages à réaliser.

Afin d'assurer le vote d'un budget dans le respect des conditions constitutionnelles et organiques, le Gouvernement doit respecter l'échéance de présentation du projet de loi de finances au Parlement au plus tard le premier mardi d'octobre. Certes, il ne pourra ajuster qu'à la marge les équilibres avant cette date, mais la procédure budgétaire ne fera que commencer ! Respecter cette échéance est la condition d'un examen approfondi et sérieux par l'Assemblée nationale et le Sénat. La situation budgétaire du pays est trop critique pour rajouter de l'incertitude et risquer de ne pas avoir de budget pour la France à la fin de l'année.

Certes, des expédients sont prévus en cas de non-promulgation de la loi de finances au 31 décembre. Mais il ne s'agit que de permettre, de manière très transitoire, aux services publics de fonctionner. La France aura besoin d'une loi de finances pour 2025 et, au-delà, d'une vision pour les années à venir en matière de finances publiques comme dans l'ensemble des politiques publiques.

Nous avons considéré que nous ne pouvions pas être absents de ce débat, porté aujourd'hui par la presse : il fallait faire entendre la voix du Sénat.

Mme Marie-Claire Carrère-Gée. - Permettez-moi de vous donner lecture d'un extrait d'une interview de Thomas Cazenave, dans le quotidien Les Échos en date du 2 août dernier. À la question « Où en est-on de l'exécution budgétaire cette année ? », il répond : « Il est encore un peu tôt pour se prononcer sur les recettes, qui sont globalement conformes aux prévisions, pour l'instant. Le prochain Gouvernement devra se prononcer sur la taxation des rentes, notamment des énergéticiens, sur laquelle des travaux parlementaires avaient été lancés. Côté dépenses, il y a eu des éléments nouveaux qui vont peser, comme l'organisation des élections législatives, les mesures pour la Nouvelle-Calédonie, etc. » Point final.

Le rapporteur général a évoqué une situation des finances publiques « catastrophique ». Permettez-moi d'ajouter, après lecture de cette interview, que le niveau de dissimulation à l'égard des citoyens et du Parlement est intolérable !

Je partage les propos du président Raynal : chacun devra prendre ses responsabilités pour redresser la situation, quelles que soient nos divergences politiques.

Merci à notre président et à notre rapporteur général d'avoir organisé cette réunion.

M. Vincent Delahaye. - Merci pour ces informations, même partielles. Si la situation politique est inédite, la situation budgétaire ne l'est pas : cette dégradation continue ne me surprend pas, en l'absence de mesures fortes susceptibles de redresser les comptes publics.

En revanche, je suis surpris que les dépenses des collectivités territoriales soient ainsi pointées du doigt par les ministres. L'estimation d'un déficit de 5 milliards d'euros - sur quelque 230 milliards de dépenses - me semble plus proche de la réalité que les 16 milliards annoncés...

Les prévisions de recettes doivent être mieux documentées : seulement 3 ou 4 pages pour 300 milliards d'euros ! Comment sont-elles déterminées ? Pourquoi un tel décalage entre les affirmations du ministre le mois dernier et les annonces de septembre ? Pourquoi notre commission n'engagerait-elle pas un travail spécifique sur la TVA ? Pendant longtemps, nous n'avons eu que de bonnes surprises en matière de TVA, mais on a négligé de s'intéresser aux raisons d'une telle volatilité. Ce travail mériterait d'être couplé à une réflexion sur la croissance et son élasticité vis-à-vis des dépenses publiques et privées. Je crains que nous ne subissions à nouveau des recettes de TVA inférieures aux prévisions.

La dissolution de l'Assemblée nationale est d'autant plus regrettable qu'elle a mis fin aux travaux de sa commission d'enquête sur l'évolution de la dette française. Notre dette publique a crû, entre 2018 et 2023, de plus de 800 milliards d'euros. Cette augmentation résulte pour 40 % des retraites, pour 26 % des dépenses liées au covid et de l'inflation et pour 25 % d'allégements fiscaux non financés. D'où ma conviction : on ne redressera pas les finances publiques sans de nouvelles mesures relatives aux retraites, comme une année blanche en matière d'indexation dès 2025.

M. Thierry Cozic. - Merci d'avoir organisé cette rencontre, même si les informations recueillies manquent de précision.

Comme on dit chez moi, c'est à la fin de la foire que l'on compte les bouses... Nous sommes en bout de cycle : cela fait sept ans que les gouvernements successifs nous emmènent dans le mur. Or le gouvernement démissionnaire refuse d'assumer sa responsabilité et la renvoie sur les collectivités.

La faute à la croissance ? On tablait dans le projet de loi de finances pour 2024 sur un taux de croissance de 1,4 %, alors que le Haut Conseil des finances publiques l'estimait plutôt autour de 1 % : l'hypothèse du Gouvernement ne tenait pas la route !

Voilà le résultat de la politique de l'offre mise en oeuvre depuis sept ans ! Nous, à gauche de l'hémicycle, n'avons eu de cesse de la dénoncer ! À force d'exonérer les entreprises de tout effort et de leur faire des cadeaux, il manque 60 milliards d'euros de recettes cette année et plus de 400 milliards sur sept ans. Nos concitoyens attendent autre chose - voyez le résultat des élections. L'unique responsable, c'est le Gouvernement !

M. Olivier Paccaud. - Il est bon que notre commission communique sur ce sujet, car elle a une audience que d'autres n'ont pas. Élu local, je suis habitué à la communication malhonnête de M. Le Maire, mais trop, c'est trop ! Les collectivités ripostent : l'Association des maires de France et des présidents d'intercommunalité (AMF) a publié un communiqué de presse, les départements et les régions suivent. Mais nous, commission des finances du Sénat, devons souligner les mensonges de M. Le Maire. Nos collectivités sont, dans leur immense majorité, bien gérées, mais elles subissent des obligations non compensées. Voilà pourquoi les élus locaux ont très mal pris les annonces de M. Le Maire. Nous comptons sur vous pour remettre l'église au milieu du village, ou plutôt la pièce dans le porte-monnaie !

M. Stéphane Sautarel. - Merci de cette initiative : la voix du Sénat doit être entendue !

Si la situation politique est assez inédite, la situation budgétaire, hélas, ne l'est pas. Le ministre de l'économie et des finances semble avoir tiré peu d'enseignements de la récente mission d'information conduite par notre commission : les éléments d'information sont toujours aussi évanescents et surtout insincères. Avant de faire des propositions, nous devons dire haut et fort dans quel état sont nos finances publiques et pour quelles raisons. Nous devons aussi mettre au jour tout ce qui a été caché à la représentation nationale, en recettes comme en dépenses.

D'où sort ce chiffre de16 milliards d'euros de déficit des collectivités territoriales ? Nous attendons des éclaircissements. Leur objectif de dépenses était intenable et j'alerte sur un risque de mesures fortes sur les prélèvements sur recettes. La situation des collectivités territoriales est très hétérogène, mais elles ont globalement réalisé des efforts de gestion colossaux. J'ajoute que le service public local est l'un des derniers à fonctionner correctement : ne le mettons pas à mal ! Par ailleurs, l'investissement communal, en fin de cycle municipal, est essentiel et déjà engagé.

Les éléments transmis sont partiels et insuffisants. J'espère que vous obtiendrez rapidement des informations plus éclairantes afin de voir comment corriger la situation.

M. Vincent Capo-Canellas. - Merci à Claude Raynal et Jean-François Husson pour leur communication : je les en félicite. Ce sujet essentiel est au coeur des compétences du Parlement et de notre commission.

La croissance est au niveau attendu, mais pas les recettes : comment expliquer une telle décorrélation ? Avons-nous plus exporté, hors TVA, comme l'affirmaient ce matin certains éditorialistes ?

Dois-je déduire des chiffres présentés tout à l'heure que nous aurions 50, voire 60 milliards d'économies, ou de recettes supplémentaires, à trouver pour 2025 ? Un consensus pourra-t-il être trouvé quant à cet effort ?

Je vois bien que Bercy tente de créer un rideau de fumée en visant les collectivités territoriales, mais quel est le mécanisme visé par le ministère lorsqu'il indique qu'une évolution de leurs dépenses aurait un impact sur le déficit ? Il n'est pas question d'une augmentation des dotations des collectivités territoriales, mais d'événements survenus en cours d'année donc je ne comprends pas le fondement à cette affirmation de Bercy.

Par ailleurs, la question de la loi relative aux résultats de la gestion et portant approbation des comptes de 2023, anciennement loi de règlement, est posée. S'il faut faire les choses dans l'ordre, disposez-vous d'informations quant à la possibilité d'examiner celle-ci avant d'examiner le projet de loi de finances pour 2025 ?

M. Thomas Dossus. - Merci d'avoir réuni notre commission en urgence. Assez révélatrice, la période dans laquelle nous nous trouvons marque l'aboutissement de sept ans d'une politique budgétaire qui marche sur la tête : après avoir fait des cadeaux fiscaux sans contreparties et sans s'inquiéter de la baisse des recettes de l'État, on s'aperçoit que cela coince. La politique menée vis-à-vis des collectivités territoriales illustre bien cette mécanique : après les avoir privées d'une série de leviers fiscaux, on les accuse désormais de peser sur le budget de l'État ; cette étrange manière de procéder a également été appliquée à l'audiovisuel public.

En outre, nous avons découvert cet été une drôle de manière de concevoir les affaires courantes, puisqu'une série de coups de rabots dans les budgets de l'écologie a été annoncée. Une baisse de 35 % du budget de l'Ademe (Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie) - pourtant un opérateur important, y compris pour nos collectivités - est ainsi prévue, tandis que le budget du fonds vert reculerait de 60 % et celui de MaPrimeRénov' de 20 %. Répercuter les contraintes budgétaires sur les investissements d'avenir est un réflexe dangereux, alors qu'il faudrait au contraire trouver de nouvelles recettes qui permettraient d'investir dans la préparation de l'avenir, y compris en période de « gros temps » budgétaire.

M. Pascal Savoldelli. - Merci au président et au rapporteur général pour cet échange, qui a une valeur symbolique après une dissolution qui ne nous concernait pas directement, mais qui n'est pas sans conséquence sur les responsabilités des deux chambres. Au-delà des positions des uns et des autres, je pense qu'un consensus émerge quant au fait que le parlementarisme est fortement mis à mal. La procédure budgétaire doit être respectée ; ce point devrait faire l'unanimité parmi nous.

On peut toujours avoir un débat interne, pour ainsi dire, mais encore faut-il connaître les termes de celui-ci. Pour l'instant - la faute n'en incombe pas au président ou au rapporteur général -, un flou artistique entoure les plafonds de crédits prévisionnels et le périmètre des dépenses de l'État pour 2025 : sur trente-deux missions, vingt sont à la baisse, sept sont stables et six progressent, ce qui permet de se livrer à un petit travail de comptabilité, mais pas de construire nos politiques publiques. Ce n'est pas transparent !

Je le redis, il faut respecter la procédure. Certes, il n'existe pas de majorité absolue à l'Assemblée nationale, mais des élections ont bien eu lieu et le vote des électrices et des électeurs, intervenu après un débat, doit être respecté, d'autant plus que le taux de participation a été très élevé.

Notre groupe avait contesté, comme d'autres, la sincérité du budget pour 2023, puis pour 2024. Cette insincérité est désormais confirmée et se conjugue à un problème de légitimité. Sans polémiques inutiles, il faut désormais laisser le Parlement travailler et construire un budget pour la Nation, au regard de l'expression démocratique et des résultats électoraux, qu'ils nous plaisent ou non.

Il faudra rouvrir le débat sur les dépenses et les recettes, sans manquer de préciser ce que recouvrent ces deux notions. Ainsi, les niches fiscales sont des dépenses, je le rappelle alors qu'elles sont parfois défendues par des collègues de la majorité...

Enfin, toujours dans un esprit de respect de la procédure, je ferai remarquer que, quand on est ministre démissionnaire, en charge des affaires courantes, on ne saurait décider en plein été de modifier le taux du livret d'épargne populaire : il s'agit d'une décision politique !

Mme Christine Lavarde. - Je partage une bonne part du constat de Thomas Dossus. Avez-vous reçu la confirmation des différentes informations rapportées par la presse concernant les coupes supplémentaires effectuées dans le budget pour 2024 et les annonces au sujet du budget pour 2025 ?

Aujourd'hui, la facilité est de tailler dans les dépenses d'avenir, c'est-à-dire celles qui ne déclencheront pas de manifestations massives. En effet, l'absence de crédits pour remplacer son véhicule ou procéder à la rénovation thermique de son logement ne suscitera que des protestations isolées ; en revanche, ne plus payer les salaires des fonctionnaires ou les pensions de retraite, ou modifier le remboursement de certains médicaments, agrégerait les mécontentements. À l'inverse, couper dans les crédits alloués à la transformation des chaînes de production est indolore dans un premier temps, mais ce choix sera bien plus coûteux par la suite.

La commission pourrait peut-être mener cette analyse et démontrer que tous les crédits annulés et gelés en 2024 concernent des dépenses de préparation de l'avenir, tandis que rien n'a été entrepris en matière de fonctionnement courant de l'État, alors qu'il s'agit du seul levier à notre disposition.

Je ne partage en revanche pas la conclusion de Thomas Dossus, selon qui il faudrait lever davantage d'impôts : je pense au contraire qu'il faudrait diminuer les dépenses.

M. Claude Raynal, président. - Les visions politiques des uns et des autres sont connues. Je pense que des hausses d'impôts n'excluent pas la réalisation d'économies, et réciproquement : sortons des visions trop dogmatiques qui conduiraient à fixer des lignes rouges et à s'interdire de toucher aux recettes ou aux dépenses, sans quoi la parole du Sénat sera très dégradée. S'il faut trouver entre 40 et 50 milliards d'euros, j'ai bien peur qu'il faille élargir notre réflexion.

M. Raphaël Daubet. - Je tiens à exprimer ma surprise après les annonces spectaculaires qui se sont multipliées ces derniers mois. Je m'interroge sur les indicateurs dont nous disposons et le suivi de l'exécution budgétaire, au-delà du non-respect de la procédure, tout en exigeant à mon tour que celle-ci soit rigoureusement respectée désormais.

De manière générale, nous devrons emprunter un difficile chemin de crête associant la réalisation d'économies et l'augmentation des recettes, dans le cadre d'un travail ardu qui devra être accompli par le Parlement et non par le seul Gouvernement. Une commission telle que la nôtre, qui assure la représentation des différentes opinions et courants de pensée existant dans notre pays, est certainement mieux à même de s'acquitter de cette tâche.

Enfin, la preuve est faite que les allégements fiscaux décidés ne permettent pas de relancer suffisamment la croissance. Il nous faudra donc identifier les véritables leviers à actionner pour stimuler la productivité et la compétitivité de nos entreprises. Selon moi, le véritable problème de notre économie réside dans le fait que la France ne produit pas suffisamment.

M. Jean-Raymond Hugonet. - Merci d'avoir organisé cette réunion et d'avoir dressé un cadre pour nos réflexions. Un point particulier m'intéresse : si la Constitution - que je vénère - prévoit tout dès lors que le budget est examiné par le Parlement, elle emprunte des chemins plus tortueux dans le cas contraire. Existe-t-il un document présentant le détail du processus lorsque le budget du pays n'est pas examiné et que le Parlement ne donne pas son avis ? Attaché comme vous au parlementarisme, j'ai étudié cette perspective et me suis aperçu que le Président de la République dispose de quelques outils pour contourner légèrement le Parlement. Certes, il doit pour ce faire obtenir l'aval du Conseil constitutionnel, mais l'histoire nous montre qu'il peut exister une certaine proximité entre cette instance et l'Élysée...

M. Jean-Baptiste Blanc. - Dans ce moment de vérité budgétaire où la situation des finances publiques s'avère plus grave que prévu, Hervé Maurey et moi-même ferons prochainement la lumière sur le financement du zéro artificialisation nette (ZAN), tant sur l'aspect caché que sur l'impensé de ce dispositif.

Par ailleurs, il me semblerait utile d'évaluer l'impact réel des mesures décroissantes sur les finances publiques. Quoi qu'on en dise, le ZAN est une mesure de décroissance, comme l'atteste l'actuelle crise du logement, sans doute la plus grave depuis l'après-guerre. En entraînant une baisse d'activité du secteur du logement, les mesures décroissantes jouent peut-être un rôle dans la diminution des recettes : Bercy pourrait sans doute se pencher sur le sujet.

M. Claude Raynal, président. - Merci de vos propositions et d'avoir jugé que nous avons eu raison de vous convoquer en urgence. Il nous a semblé qu'il s'agissait de la meilleure solution au vu de la tournure des événements, car il est toujours extrêmement désagréable pour chacun d'entre nous de recevoir de tels éléments d'information par la presse plutôt que par les structures censées nous les communiquer. Nous ne fournirons d'ailleurs aucun élément à la presse - elle réussit toujours à mettre la main sur des données, je ne me fais donc guère de souci pour elle - et considérons qu'il revient aux commissaires de s'exprimer.

Les documents sont donc à votre disposition ; vous pouvez avoir accès aux plafonds d'exécution fixés en juillet 2024, à l'état des mises en réserves et aux revues de dépenses qui vous concernent. Je vous invite donc, en tant que rapporteurs spéciaux, à en prendre connaissance très rapidement, pour deux raisons. Premièrement, vous pourrez ainsi les consulter avant de les lire dans la presse ; deuxièmement, rien ne vous interdit de faire connaître immédiatement, en lien avec le rapporteur général, une position de principe sur ces documents.

Plus vous serez rapides, plus la presse se saisira de vos éléments plutôt que l'inverse, car il n'y a rien de plus pénible que d'être interrogé sur des éléments que l'on n'a pas eu le temps de lire ou d'apprécier. Chaque rapporteur spécial doit donc faire ce travail d'analyse, de synthèse et de commentaire, en lien, encore une fois, avec le rapporteur général.

Le rapporteur général et moi-même sommes restés nuancés au sujet des collectivités. En effet, aucun élément ne nous permet à ce stade de confirmer d'où vient le chiffre de 16 milliards d'euros. Nous disposons certes d'éléments oraux, mais ils ne sont pas étayés.

La note du Trésor évaluant le dérapage des dépenses des collectivités à 5 milliards d'euros est prospective et générale ; elle a été arrêtée au mois de juillet dernier, sur des principes macroéconomiques. Nous ignorons si l'évaluation de ce dérapage à 16 milliards d'euros est juste. Notez qu'elle a été réalisée grâce aux premières remontées de la DGFiP sur la base de la dépense réelle constatée dans le budget des collectivités à la fin du mois de juillet.

Cette évaluation est-elle vraie ou fausse ? Le chiffre de 16 milliards n'est-il pas surévalué ? Pour l'heure, nous ne disposons pas d'éléments qui nous permettent de le confirmer. Une chose est sûre, il y a une différence de taille entre la note du Trésor et la dernière évaluation - nous ne serions guère étonnés que celle-ci ait été grossie, de manière à amplifier la responsabilité des collectivités. Le chiffre juste est sans doute entre 5 et 16 milliards d'euros. Pour le connaître, nous nous efforcerons d'obtenir les informations les plus récentes de la DGFiP.

Nous avons beaucoup parlé de la faute du Gouvernement, vous savez la confiance que nous avons dans les propos de M. Le Maire, mais n'oublions pas la responsabilité du Président Macron ! En effet, la dissolution a empêché le Gouvernement d'engager toute action de diminution des dépenses ou de captation de recettes, notamment en matière énergétique. Le Président de la République joue à un jeu particulièrement dangereux avec les finances publiques, entre autres choses.

Enfin, je rappellerai que le projet de loi relatif aux résultats de la gestion et portant approbation des comptes doit impérativement être mis aux voix - mais pas forcément adopté - à l'Assemblée nationale et au Sénat avant la discussion du projet de loi de finances.

M. Jean-François Husson, rapporteur général. - Je garde un souvenir ému de l'ancien ministre des comptes publics, devenu Premier ministre par la suite, et de ses leçons juridiques et de bon comportement politique. La loi de règlement est l'exécution d'un budget, elle doit donc être votée par le Parlement. Or, nous l'avons rejetée à deux reprises : il faut sans doute y voir un signe.

Si j'ai tenu à donner des éléments de cadrage sur la période 2017-2023, c'est parce qu'il n'y a que deux personnes au sein de l'exécutif qui épousent l'intégralité de cette période : le Président de la République, élu et réélu au suffrage universel, et le ministre de l'économie et des finances, reconduit dans la durée. Cela leur permet d'assumer sereinement et pleinement leurs responsabilités.

Je remercie notre collègue Marie-Claire Carrère-Gée d'avoir rappelé les déclarations contradictions auxquelles s'est livré le ministre des comptes publics en l'espace de trente jours. Il se montre pourtant souvent sévère à l'égard des travaux du Sénat ; nous avons pu le constater lorsque nous avons mené la mission d'information sur la dégradation des finances publiques depuis 2023.

Vincent Delahaye relève que, au-delà de la situation politique inédite que nous connaissons, la situation budgétaire se dégrade de manière constante et durable. Qu'on se le dise clairement : je ne suis pas pour le développement durable de la dégradation des comptes publics ! Notre pays mérite mieux. Il conviendrait notamment de mieux documenter les prévisions de recettes, surtout en matière de TVA.

Lors d'une audition conduite dans le cadre de la mission d'information sur la dégradation des finances publiques, le ministre de l'économie et des finances avait employé l'expression magique, et jamais entendue dans l'histoire politique, de « perfect storm », ou « tempête parfaite ». C'est ainsi qu'il désignait l'accident financier qui s'était produit : un accident d'une puissance exceptionnelle, sorti de nulle part, dont le Gouvernement essayait de comprendre l'origine afin qu'il ne puisse pas se reproduire à l'avenir.

Or l'histoire s'est répétée tout de suite. Pour ma part, je parlerais plutôt de « perfect fog », ou « brouillard parfait » : on nous dit que tout va bien, mais la situation financière continue de se dégrader et on ne nous donne aucune explication.

Le solde des collectivités est de -0,4 % du PIB, soit environ 10 milliards d'euros de déficit, dans les derniers comptes connus pour 2023. Rappelons que, au sein du bloc communal notamment, le pic de consommation et d'investissements intervient au début de la troisième année du mandat, avant de s'étaler sur la quatrième et cinquième année. En 2022, la Cour des comptes s'était félicitée de l'excellente santé financière des collectivités locales. C'était factuellement juste, mais la crise sanitaire avait tout de même freiné le démarrage du programme d'investissements des nouvelles équipes. Le pic de dépenses concerne surtout les dépenses d'investissement, qui sont couvertes par des emprunts. Évitons de nous montrer du doigt : assumons plutôt nos responsabilités et efforçons-nous de trouver des solutions.

Je veux dire quelques mots sur l'évolution de la croissance. Le ministre de l'économie et des finances répète sans cesse que nous avons un bon taux de croissance, établi autour de 1 %, avec une inflation à 2 % : c'est mieux qu'une récession, mais il ne s'agit tout de même pas d'une croissance exceptionnelle. On nous explique que les ingrédients de la croissance se trouvent dans les échanges internationaux, ce qui amène moins de recettes... Mais si tel est le cas, cela doit être inscrit dans le fonctionnement de notre économie et de nos finances publiques depuis toujours. Or, chaque trimestre, le Gouvernement prépare ses éléments de langage en s'appuyant sur des données dont lui seul dispose. Car, bien que démissionnaire, le Gouvernement cache les informations, pour ensuite les diffuser à la presse.

Notre collègue Thierry Cozic pointe du doigt la responsabilité éminente du Gouvernement qui, sous l'autorité du Président de la République, appliquerait de façon constante une politique de l'offre. Cela peut s'entendre, mais il n'en demeure pas moins que nous sommes les champions de la dépense publique et que nous avons le plus haut taux de prélèvements obligatoires. Dans ces conditions, la France devrait être le pays du bonheur universel. Or, vu la situation politique, économique et budgétaire, cela ne semble pas tout à fait être le cas !

M. Paccaud a relevé les mensonges du Gouvernement et ses excès de communication. Le problème est que nous ne disposons que d'une seule source d'information. La majorité relative acquise en 2022 permettait au Gouvernement de slalomer entre les mailles des oppositions et de tenir les travaux du Sénat à distance - rappelez-vous ce qu'il s'est passé lors de l'examen du dernier projet de loi de finances.

Stéphane Sautarel a raison : la situation des finances publiques se dégrade de façon durable et préoccupante. Le ministre de l'économie et des finances n'a pas tenu compte des recommandations formulées dans le cadre de notre mission d'information du printemps : soit il est amnésique, soit c'est une course de lenteur. Je lui laisse le bénéfice du doute : il s'agit donc d'une course de lenteur, car c'est seulement le 2 septembre que nous avons eu connaissance de la note du 17 juillet relative aux sujets qui faisaient l'objet de nos demandes du 18 juillet...

Il est profondément regrettable que le Gouvernement remette en cause l'objectivité des travaux du Sénat. Le président de la commission des finances avait manifesté son mécontentement, à juste titre.

Nous n'avons pas eu le temps d'examiner dans le détail la question de la décorrélation entre croissance et recettes. Une chose est sûre : le sujet de l'élasticité des impôts par rapport à la croissance continue de se poser.

En réponse à M. Capo-Cannelas, pour 2025, le déficit était évalué à 4,1 % du PIB dans le PStab. Le Trésor, dans sa note, affirme désormais qu'il pourrait atteindre 6,2 %. Cela implique donc un écart de 60 milliards d'euros, ce qui inclut 57 milliards d'euros d'économies annoncées par le Gouvernement mais jamais mises en oeuvre.

Les revues de dépenses, pour chaque mission budgétaire qui vous concerne, sont à votre disposition ; il conviendrait que vous puissiez travailler dessus rapidement. L'idée est de renforcer le caractère collaboratif de nos travaux, afin de formuler des propositions plus ou moins convergentes. Il nous faudra être solides, lucides et constructifs pour assumer notre responsabilité : redresser les comptes de la nation. Je ne souhaite pas que la France porte le bonnet d'âne !

M. Savoldelli a évoqué l'insincérité budgétaire. Il est certain que le Parlement doit pouvoir travailler au mieux. Dans ces temps difficiles, le Sénat devrait justement améliorer ou modifier certaines pratiques.

Madame Lavarde, quatorze courriers de Bruno Le Maire à ses collègues ministres,  notifiant les plafonds de dépenses pour l'année 2024, nous ont été transmis. Ils sont indicatifs dans l'attente de la nomination d'un gouvernement. D'après moi, le ministre essaye de se draper dans sa vertu en invoquant des comptes bien tenus et plus de rigueur après avoir beaucoup dépensé. Dans la loi de finances pour 2024, toutes les missions budgétaires étaient en augmentation, excepté une : il est impossible que cela n'aboutisse pas à une dégradation des comptes publics.

M. Daubet a rappelé la succession d'annonces sans lendemain. Il est à la fois favorable à une augmentation des recettes et à une baisse des dépenses. Nous nous efforcerons de trouver des points de convergence, y compris au sujet des recettes.

Concernant le ZAN, il y a dix-huit mois, nous consentions à faire des efforts, à nous montrer plus vertueux. Il fallait donc trouver un levier fiscal à même de financer le ZAN. D'où le travail de réflexion qui est mené. Le ministre de l'économie et des finances démissionnaire a indiqué qu'il n'existait pas d'évaluation des modalités de financement du ZAN. Il semblerait que la machine soit devenue un peu folle : sous couvert d'annonces et de grands principes, il n'existe aucun état des lieux. Nous avons tous entendu la levée de boucliers contre les interdictions de construire, en ville comme à la campagne. On accuse les collectivités d'être responsables. Or, il n'y a pas le début du commencement d'une idée pour financer le ZAN. Il conviendrait donc de rebattre les cartes.

Enfin, concernant l'effet des mesures décroissantes sur nos comptes publics, je propose de botter en touche, le temps de nous mettre d'accord sur ce que l'on entend par là...

M. Claude Raynal, président. - Mes chers collègues, pour conclure, je rappelle que nous n'avons jamais été confrontés au cas de figure évoqué par Jean-Raymond Hugonet, et que nous avons tous en tête, à savoir l'impossibilité de voter un budget dans les temps.

Nous documentons toutes les procédures : certains éléments sont précis, d'autres moins. Néanmoins, il convient d'être clair et de ne pas céder à la tentation de tout complexifier. Quelles que soient les difficultés posées par la Constitution, nous trouverons toujours une solution pour que la machine fonctionne si le budget n'est pas voté en fin d'année. Je ne crois pas au risque de shut down à la française. Il y a toujours la possibilité de voter une loi spéciale en fin d'année pour autoriser la levée des impôts, et, croyez-moi, celle-là, tout le monde la votera.

Après, on peut toujours bricoler en début d'année 2025 sans budget, mais il ne faudrait pas que cela s'éternise au-delà du mois de janvier. Vous connaissez le principe des services votés, mais il peut arriver que la mise en oeuvre d'une mission nécessite des moyens beaucoup plus importants.

Enfin, nous courons quand même le risque d'une crise du financement de la dette, laquelle nous obligerait à bouger. Nos partenaires européens nous donneraient certainement l'élan nécessaire.

Mes chers collègues, je vous remercie de vous être déplacés en nombre pour participer à cette réunion organisée en urgence. En attendant la suite de nos travaux, je vous encourage à bien vous imprégner de tous les documents budgétaires concernant vos missions respectives afin d'être prêts le moment venu.

La réunion est close à 15 h 00.