Mardi 9 juillet 2024

- Présidence de M. Claude Raynal, président -

La réunion est ouverte à 15 h 00.

Audition de M. Anthony Requin, suite à sa nomination par le conseil de surveillance du fonds de garantie des dépôts et de résolution (FGDR), en tant que président du directoire du fonds, préalable à son agrément par le ministre chargé de l'économie

M. Claude Raynal, président. - Nous recevons M. Anthony Requin, récemment nommé président du directoire du Fonds de garantie des dépôts et de résolution (FGDR) par le conseil de surveillance de cet organisme.

Cette audition est la première à se tenir en application de l'article L. 312-12 du code monétaire et financier, récemment modifié par l'article 11 de la loi du 22 avril 2024 portant diverses dispositions d'adaptation au droit de l'Union européenne en matière d'économie, de finances, de transition écologique, de droit pénal, de droit social et en matière agricole. En effet, il est désormais prévu que le président du directoire du FGDR « est entendu par les commissions de l'Assemblée nationale et du Sénat chargées des finances avant sa désignation et ne peut exercer ses fonctions qu'après agrément du ministre chargé de l'économie ». L'Assemblée nationale étant à peine reconstituée, nous avons souhaité prendre l'initiative d'organiser cette audition pour plus d'efficacité.

Nous vous avions déjà reçu en votre qualité de directeur de l'Agence France Trésor (AFT). C'est pour exercer une nouvelle fonction que nous vous entendons aujourd'hui.

Le FGDR est un organisme privé, créé en 1999 et chargé d'une mission de service public consistant à protéger et à indemniser les clients en cas de défaillance de leur établissement bancaire ou financier. Il constitue, avec l'Autorité de contrôle prudentiel et de résolution (ACPR), un maillon indispensable de la gestion des crises bancaires.

Son existence a une vocation préventive puisque cet organisme vise à éviter, en cas de turbulences dans le secteur bancaire, une course aux guichets (bank run) qui peut aboutir à rendre une banque effectivement insolvable si ses clients estiment qu'elle peut l'être. Assurés de bénéficier de la garantie des dépôts assurée par le fonds, dans la limite de 100 000 euros, les clients des banques sont dissuadés de retirer leurs dépôts et donc de provoquer une panique bancaire.

Outre cette mission de garantie des dépôts, le FGDR a également pour mission de gérer et de mettre en oeuvre les mécanismes de garantie des titres, jusqu'à 70 000 euros par client et par établissement, des cautions, délivrées par un établissement bancaire ou par une société de financement en faveur de professionnels réglementés, et des services de gestion, jusqu'à 20 000 euros par client et par société de gestion.

Nous vous demanderons, monsieur le futur président du directoire, de rentrer dans le détail de ces différentes missions, en expliquant précisément les moyens dont dispose le FGDR pour les assurer.

En particulier, en cas de faillite simultanée de plusieurs banques systémiques, comment le mécanisme de garantie des dépôts serait-il déployé par le FGDR ? Y a-t-il eu, dans ce domaine, des insuffisances par le passé ? Y a-t-il des améliorations à apporter au fonctionnement du Fonds pour que sa vocation de garantie soit complètement effective ? Si oui, lesquelles ?

Nous vous demanderons également si l'activité du FGDR s'ajuste en fonction de la conjoncture et de la politique économique, et de quelle manière. Le Fonds a-t-il mené des actions lors de la crise sanitaire ? Comment tient-il compte du resserrement de la politique monétaire opéré entre 2022 et 2024, et qui a contribué à une crise bancaire aux États-Unis au printemps 2023 ? Inversement, comment le FGDR s'adapte-t-il au début de desserrement de cette politique ? La Banque centrale européenne (BCE) a, en effet, récemment décidé d'abaisser de 0,25 point ses taux directeurs.

Je vous rappelle que cette audition est retransmise en direct sur le site internet du Sénat et, le cas échéant, sur certains réseaux sociaux.

M. Anthony Requin, nommé par le conseil de surveillance du Fonds de garantie des dépôts et de résolution en tant que président du directoire du fonds. - Je vous remercie pour votre célérité pour organiser cette audition. Le président du conseil de surveillance du FGDR, M. Jérôme Grivet, a soumis ma nomination à l'approbation du ministre de l'économie et des finances ; il a également suscité mon audition devant votre commission, le 14 juin dernier.

Depuis ma sortie de l'École nationale d'administration, en 1998, j'ai exercé au sein du ministère de l'économie et des finances : les vingt premières années, dans différentes fonctions au sein de la direction générale du Trésor ; les trois dernières années, au sein de l'Inspection générale des finances. J'ai aussi effectué trois années de mobilité statutaire au sein du Fonds monétaire international (FMI) et de la Banque mondiale, au bureau de l'administrateur pour la France.

LE FGDR est un opérateur de crise. Aux côtés d'autres institutions, comme, à l'échelle française, l'ACPR, ou, à l'échelle européenne, le Conseil de résolution unique (CRU), il joue un rôle important dans la stabilité du système bancaire et financier national. Le Fonds a en charge la mise en oeuvre de quatre garanties données aux déposants et aux épargnants par la loi : des dépôts bancaires, des cautions, des titres et des services de gestion.

La mission première du Fonds est la garantie des dépôts. En toutes circonstances, il doit être en mesure, dans le cadre de la survenance d'une crise, d'indemniser à hauteur de 100 000 euros les dépôts dits couverts, en l'espace de sept jours. Mon parcours professionnel m'a préparé à l'exercice d'une telle mission à cinq titres.

Premièrement, j'ai l'expérience de la gestion de crise. Au cours de ma carrière au Trésor, j'ai été à plusieurs occasions en prise à des crises de nature financière.

En 2002, je travaillais dans ce qui est devenu l'Agence des participations de l'État lorsqu'il a fallu préparer en urgence un plan de recapitalisation de France Télécom dans le contexte d'éclatement de la bulle des technologies, médias & télécommunications (TMT).

En 2008, j'oeuvrais au sein de la sous-direction des assurances et de l'économie sociale et solidaire du Trésor quand la crise financière des subprimes a conduit à un brutal retrait du marché des assureurs-crédit. Il a fallu en urgence imaginer un produit, devenu le complément d'assurance-crédit public (CAP), conduisant à un partage des risques avec les assureurs pour éviter une crise de trésorerie majeure des entreprises.

En 2011 et en 2012, j'étais directeur adjoint de l'Agence France Trésor dans le contexte des crises des dettes souveraines en Europe.

En 2020, j'ai vu la nécessité de faire face aux conséquences du covid en finançant, dans le cadre de trois lois de finances rectificatives, le plan d'urgence. En effet, la hausse du besoin de financement de l'État s'élevait à 50 %, soit près de 130 milliards d'euros en cours d'année, dans un contexte où nous bénéficiions d'une politique monétaire extraordinairement accommodante. Il a fallu prendre les dispositions nécessaires pour réduire les tensions de trésorerie auxquelles faisait face l'Urssaf Caisse nationale et organiser un transfert de 139 milliards d'euros de dettes nouvelles vers la Caisse d'amortissement de la dette sociale (Cades).

Plus récemment, j'ai pratiqué une activité de gestion de crise dans le cadre de mes fonctions au sein de la mission de reconstruction en Nouvelle-Calédonie, où je me suis efforcé d'accompagner les autorités locales et nationales pour faire face à un choc qui a détruit l'équivalent de 15 % de l'économie locale.

Mon vécu et les enseignements que j'ai tirés de ces situations me semblent une valeur ajoutée certaine pour l'exercice des fonctions de président du FGDR. La gestion de crise a ses exigences en matière de tempo, d'implication, de réflexes et de communication publique. Elle nécessite du contrôle, de la maîtrise de soi, un sens aigu du management et le sens de la coordination entre institutions.

Deuxièmement, dans son fonctionnement, le FGDR présente certaines similitudes avec les dispositifs assurantiels de place, où, moyennant une contribution des participants de marché, une couverture est proposée. Au travers de mon expérience, de 2002 à 2005, au bureau des marchés et des produits d'assurance, au sein de la direction générale du Trésor, j'ai eu l'occasion de travailler sur de tels outils mis en oeuvre par la Caisse centrale de réassurance, par le Fonds de garantie des assurances obligatoires de dommages (FGAO) ou par le Fonds de garantie des victimes des actes de terrorisme et d'autres infractions (FGTI), institutions dont j'ai été administrateur.

Troisièmement, j'ai l'expérience de l'international. Le FGDR s'insère dans un réseau d'institutions soeurs, à l'échelle tant européenne, au sein de l'European Forum of Deposit Insurers (EFDI), que mondiale, au travers de l'International Association of Deposit Insurers (IADI). Ces institutions mettent en commun leur expertise, leur expérience et leurs réflexions sur la nécessaire adaptation des dispositifs de garantie des dépôts aux évolutions de l'environnement bancaire et financier, que ce soit en matière de technologie ou de métier.

Dans mon parcours au Trésor, comme chef de service des affaires multilatérales et du développement entre 2013 et 2015 ou comme directeur général de l'AFT, ainsi qu'au FMI et à la Banque mondiale, j'ai eu l'occasion de côtoyer de telles enceintes internationales et de produire des réflexions écrites en anglais pour faire valoir notre point de vue et pour construire des coalitions. Je pense que cette expérience de travail en anglais, que j'ai aussi déployée à l'AFT dans les relations avec les investisseurs étrangers sur la dette française, sera utile pour le FGDR.

Quatrièmement, j'ai l'expérience des institutions de taille réduite essentielles à la stabilité financière. Aussi important que soit son rôle dans le système français, ce n'est pas faire injure au FGDR que d'observer qu'il s'agit d'une institution à taille humaine. Les effectifs sont extrêmement resserrés, comptant une quinzaine de personnes environ. Toutes proportions gardées, cet environnement humain ne diffère pas fondamentalement de ce que j'ai pu connaître avec la Cades ou dans mes fonctions de directeur général de l'AFT. Je m'en suis plutôt bien accommodé.

Cela a ses avantages : communauté de travail, agilité de l'institution, fluidité de la communication, relations hiérarchiques resserrées... Une telle dimension nécessite également une forte implication des membres du directoire dans le pilotage au quotidien des équipes de travail, aussi technique que cela paraisse. J'y suis prêt.

Cinquièmement, je dispose d'une connaissance de l'écosystème bancaire et financier français dans lequel le FGDR déploie son action et qui mêle des institutions publiques, comme l'ACPR, la Banque de France, l'Autorité des marchés financiers (AMF) et la direction générale du Trésor, et privées, telles que les banques de place, les prestataires de services d'investissement et les gestionnaires d'actifs. Je connais ces interlocuteurs grâce aux fonctions que j'ai eu la chance d'exercer au Trésor, notamment en tant que directeur général de l'AFT, par le biais des liens de travail tissés avec les banques spécialistes en valeurs du Trésor (SVT) ou des rencontres avec les institutions qui investissent dans des produits de la dette française.

Telles sont les raisons qui m'ont poussé à être candidat pour exercer le poste de président du directoire du FGDR.

M. Claude Raynal, président. - Merci pour cette présentation qui nous permet d'apprécier l'étendue de votre expérience. Je précise toutefois qu'il ne nous revient pas de juger de l'adéquation entre vos missions passées et la fonction que vous sollicitez. Cette audition est avant tout l'occasion pour la commission de se pencher sur le fonctionnement du FGDR et de prendre connaissance de la vision que vous en avez.

M. Jean-François Husson, rapporteur général. - Cette audition suit la demande de nos collègues de l'Assemblée nationale d'entendre les intentions du président du directoire du Fonds de garantie des dépôts et de résolution. Pour autant, le Parlement n'intervient en aucune manière sur cette nomination, que nous n'avons même pas à approuver. D'ailleurs, de façon générale, nous n'avons pas besoin d'une disposition législative pour prévoir une telle audition.

Pouvez-vous nous préciser le mode de financement du FGDR et son articulation avec les dispositifs microprudentiels et macroprudentiels existants, en particulier avec le mécanisme de résolution unique ? À quel moment et en coordination avec quels acteurs le Fonds interviendrait-il en cas de crise bancaire ?

En guise de petite digression, j'aimerais avoir votre avis sur le niveau du Fonds de résolution unique (FRU). En 2024, il a atteint un abondement de 78 milliards d'euros, un montant plus élevé que l'objectif initial, fixé en 2015, de 55 milliards d'euros. Est-ce suffisant selon vous ? Le cas échéant, quels besoins et quelles considérations vous paraissent justifier ce niveau ?

Quelle serait la place du FGDR dans le futur écosystème de régulation bancaire issu des nouvelles règles de gestion des crises bancaires et d'assurance des dépôts, dites CMDI (crisis management and deposit insurance), présentées il y a un an par la Commission européenne et actuellement en cours de négociation entre le Parlement et le Conseil ? Quel regard portez-vous sur la proposition de filets de sécurité nationaux, présentée par la Commission ? Que pensez-vous de la proposition d'un système d'assurance des dépôts conjoint, sur le modèle américain ?

Enfin, le FGDR assure-t-il un suivi particulier du respect des obligations prudentielles par les banques pour se préparer à intervenir ? Suit-il par ailleurs les résultats des stress tests organisés par l'Autorité bancaire européenne ?

M. Michel Canévet. - Le système bancaire français vous semble-t-il particulièrement sûr ? À côté des gros établissements, les établissements secondaires, plus régionaux, présentent-ils toutes les garanties pour assurer la confiance des clients ?

Les avoirs du FGDR sont de l'ordre de 7,7 milliards d'euros. Ce montant vous semble-t-il suffisant pour faire face à une crise potentielle ? Le contexte actuel d'incertitude politique, au regard de votre riche expérience professionnelle, peut-il présenter un risque pour les garanties bancaires ?

M. Bernard Delcros. - Le FGDR effectue des contrôles réguliers auprès des établissements bancaires, attribuant une cotation. Les résultats peu satisfaisants semblent en augmentation. Peut-on en déduire que des établissements bancaires sont à risque ?

La protection contre les attaques informatiques est l'une de vos priorités. Ces dernières sont-elles plus nombreuses ? Quelles seraient les conséquences si l'une de ces attaques n'était pas déjouée ?

M. Jean-Raymond Hugonet. - Lors des campagnes électorales successives, nous avons entendu une petite musique mettre en parallèle les 3 000 milliards d'euros de dette de notre pays et les plus de 5 000 milliards d'euros d'épargne des particuliers français. Peut-il y avoir un transfert ?

M. Anthony Requin. - Mon expertise sur l'actualité des réglementations prudentielles reste à parfaire. Je n'ai pas encore pris mes fonctions au FGDR, m'étant focalisé ces derniers mois sur la situation en Nouvelle-Calédonie, aussi, je ne me hasarderai pas à prendre des positions tranchées sur des sujets éminemment sensibles, au risque qu'il m'en soit fait grief.

La mission du FGDR n'est pas d'émettre une opinion sur la santé du système bancaire et financier français. D'autres institutions s'en chargent, notamment l'ACPR. Les tests que le Fonds réalise avec les banques s'expliquent par ses contraintes temporelles et opérationnelles. Pour se montrer en mesure d'indemniser plusieurs centaines de milliers de déposants sept jours plus tard, le FGDR doit pouvoir être informé dès le jour J d'une difficulté d'un établissement. L'objectif est d'être capable de récupérer, à un instant t, la « vue unique client », c'est-à-dire l'ensemble des positions des déposants à l'égard d'un établissement, et ainsi de mettre en oeuvre le dispositif d'indemnisation. Pour ce faire, il faut mener des vérifications informatiques, apprécier la justesse des fichiers transmis et réaliser des stress tests du système afin de simuler une crise.

Tel est le travail quotidien des équipes du FGDR. Au vu des documents qui sont transmis - ils doivent respecter un certain format - et des rapprochements réalisés à partir de tests sur place, le Fonds est en mesure d'apprécier la qualité de ces fichiers et d'attribuer une cotation. C'est en ce sens que les processus opérationnels nécessitent une interaction du FGDR avec les banques, en cas de crise.

Pour en venir à l'enjeu des niveaux de réserve, il existe, partout en Europe, deux instruments d'indemnisation. Les fonds de garantie des dépôts nationaux sont une première ligne de défense, le FRU en est une seconde. Celui-ci est doté de moyens financiers à hauteur de 75 milliards d'euros. Il intervient après un certain niveau de pertes, encaissées au travers d'instruments au passif des banques dévolus à cet effet : capitaux propres, Minimum Requirement for own funds and Eligible Liabilities (MREL)...

FGDR et FRU sont complémentaires. Les réserves du Fonds de garantie des dépôts et de résolution sont d'un niveau plus réduit, de l'ordre de 7,5 milliards d'euros. Par ce montant, notre organisme est rendu tout à fait apte à intervenir pour gérer des crises qui ne toucheraient pas des établissements de nature systémique. Pour ces derniers, le Fonds de résolution unique serait le dispositif systématiquement employé.

Il ne m'appartient pas de porter un avis à ce stade sur les niveaux de réserve. Ceux-ci sont fixés par la loi. La hausse des fonds pour intervention du Fonds de résolution unique procède probablement d'un accroissement des dépôts bancaires ; la manière dont les contributions sont fixées conduit à devoir constituer des réserves plus importantes que par le passé, le FGDR étant l'entité collectrice de ces montants auprès des banques françaises.

J'en viens à présent à la place du FGDR dans les discussions en cours sur la refonte du cadre de gestion de crise. Le CMDI est un dispositif en cours d'élaboration, sur la base d'une consultation lancée en 2021 par la Commission. Le projet ayant sensiblement évolué grâce à de nombreux échanges, nous sommes proches d'un consensus qui permettra d'amorcer les discussions en trilogue. Une fois que cette réglementation aura été finalisée, le FGDR aura à en tirer les conséquences sur son mode d'action et sur ses interactions.

Dans sa proposition initiale, la Commission avait notamment pour volonté d'élargir le nombre d'établissements susceptibles de bénéficier d'un traitement par le FRU. Des évolutions ont eu lieu sur la manière de comptabiliser l'activation au passif des banques des absorbeurs de chocs et de pertes, y compris les interventions des fonds nationaux comme le FGDR. Auparavant, le Fonds de résolution unique pouvait seulement intervenir lorsqu'environ 8 % du montant des bilans bancaires avaient fait l'objet d'une perte absorbée au niveau de l'établissement, quel que soit le niveau de mise à contribution du FGDR. Dans le cadre à venir, les interventions des fonds de garantie nationaux pourront être comptabilisées dans l'atteinte de ces 8 %.

Enfin, les 3 000 milliards d'euros que vous mentionniez concernent la dette publique. La dette de l'État est légèrement moindre, de l'ordre de 80 %, soit autour de 2 400 milliards d'euros. Elle n'est détenue qu'à un tiers environ par les ménages français, indirectement. Un autre tiers est détenu par des investisseurs européens et le dernier par des investisseurs hors Europe. Au-delà de la correspondance arithmétique avec l'épargne, le fonctionnement du marché de la dette est tel que nous disposons d'un large pool d'investisseurs sur lequel nous nous appuyons pour émettre au taux le plus bas possible. Il faut souhaiter continuer à bénéficier longtemps de l'attrait des investisseurs internationaux pour la dette française.

M. Claude Raynal, président. - Je vous remercie. Nous vous souhaitons bonne chance dans vos nouvelles fonctions.

Cette audition a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.

Contrôle budgétaire - Suivi des recommandations du rapport Jouons collectif pour l'avenir du Stade de France - Communication

M. Claude Raynal, président. - Nous poursuivons nos travaux avec la communication de M. Éric Jeansannetas, rapporteur spécial de la mission « Sport, jeunesse et vie associative » pour le suivi des recommandations de son rapport Jouons collectif pour l'avenir du Stade de France.

M. Éric Jeansannetas, rapporteur spécial. - En tant que rapporteur spécial de la mission « Sport, jeunesse et vie associative », j'avais choisi en 2019 de mener un contrôle budgétaire sur le Stade de France, qui a donné lieu au rapport susmentionné. Je vous présenterai aujourd'hui le suivi des recommandations que j'y avais formulées. En ce jour de match de l'équipe de France, il est particulièrement opportun que nous nous retrouvions une nouvelle fois à discuter de l'enceinte qui a vu la victoire des Bleus lors de la Coupe du monde de 1998.

Mes travaux avaient vocation à anticiper la fin de la concession du Stade de France, prévue à l'été 2025. Tout l'enjeu était d'éviter de reproduire les erreurs qui avaient été commises au moment de la négociation du contrat de concession, en 1995. Celles-ci s'étaient révélées dommageables pour les finances publiques.

Je vais revenir rapidement sur le contexte. Celui-ci est important pour comprendre le sens des recommandations que j'avais formulées il y a cinq ans.

La Coupe du monde de football de 1998 a été attribuée à la France en 1992. Il était nécessaire de construire en un temps record un stade d'une capacité de 80 000 places. La mission a été confiée à un consortium, composé des entreprises Vinci et Bouygues, qui a accompli une véritable prouesse technique et architecturale en érigeant le Stade en seulement trois ans et qui, en contrepartie, a obtenu l'exploitation de l'enceinte dans le cadre d'une concession d'une période de trente ans, à partir de 1995.

Pour garantir la rentabilité économique de l'infrastructure, l'État s'était engagé à la présence d'un club résident, faute de quoi le contrat stipulait le versement au concessionnaire d'une indemnité compensatrice. Or l'arrivée d'un tel club au Stade de France s'est rapidement révélée une « chimère », pour reprendre une expression de la Cour des comptes. L'État a donc été contraint de verser une indemnité au consortium, jusqu'à ce que celle-ci soit supprimée en 2013.

En fin de compte, elle aura coûté 121,6 millions d'euros aux finances publiques entre 1998 et 2013. Il faut y ajouter 191,2 millions d'euros de subventions versées au moment de la construction. A contrario, le Stade de France n'a pratiquement pas rapporté de recettes nettes à l'État.

Le contrat de concession était manifestement déséquilibré, ce qui a eu également des conséquences juridiques regrettables. En effet, le document a été jugé illégal par le tribunal administratif de Paris en 1996. Une loi de validation a été adoptée rapidement, la même année, afin que cette décision n'empêche pas la construction du Stade. Cette loi a ensuite elle-même été déclarée contraire à la Constitution par le juge constitutionnel, dans le cadre d'une question prioritaire de constitutionnalité soulevée en 2010. Un avenant a été signé en 2013 pour tenter de régulariser la situation, mais, de l'avis majoritaire, le contrat demeure fragile juridiquement.

Dans le même temps, la Fédération française de rugby et la Fédération française de football ont remis en cause l'économie du contrat. En effet, faute de club résident, les fédérations sont les principaux partenaires du Stade. Ces acteurs estimaient que la répartition des recettes se réalisait à leur détriment. Après une renégociation des conventions qui les liaient au consortium, elles ont néanmoins décidé de rester dans l'enceinte.

Vous comprenez maintenant l'importance des négociations qui se tiennent actuellement sur l'avenir du Stade de France. L'objectif est de concevoir un modèle d'exploitation plus équilibré entre les parties et plus protecteur des finances publiques que celui de 1995.

J'avais ainsi formulé trois recommandations dans mon rapport de 2019. Dans la première, je recommandais de conclure dans les douze mois les conventions de stade pour la Coupe du monde de rugby et pour les jeux Olympiques et Paralympiques de 2024. Dans la seconde, je préconisais de formaliser d'ici à la fin de l'année 2019 un accord concernant les travaux à réaliser pour les Olympiades. Pour rappel, 43 des 48 épreuves d'athlétisme, le tournoi de rugby à sept et la cérémonie de clôture seront organisés au Stade de France.

Concernant les conventions de stade, celle portant sur la Coupe du monde de rugby a été signée dans des délais proches de ceux que je préconisais, et elle n'impliquait pas d'engagement financier de la part de l'État. Quant aux jeux Olympiques et Paralympiques, l'accord sur les travaux n'a pas été formalisé à la fin de l'année 2019, mais un peu plus tard, en avril 2020. Les travaux, qui ont été principalement menés par la Société de livraison des ouvrages olympiques (Solideo), ont néanmoins été réalisés dans les temps et dans le respect de la maquette budgétaire. La Solideo a fait une nouvelle fois la preuve de sa bonne gestion, que j'avais eu l'occasion de souligner lors de l'examen du dernier projet loi de finances.

Les conventions sur la compensation des pertes d'exploitation et de la mise à disposition du stade ont en revanche été formalisées plus tardivement, en décembre de l'année dernière. Les dispositions de ces accords sont cependant respectueuses des finances publiques. Le coût du loyer et des frais techniques découlant de la mise à disposition se situe dans la moyenne des autres contrats du Comité d'organisation des jeux Olympiques et Paralympiques (Cojop). En outre, l'État a obtenu de ne pas prendre en charge les pertes d'exploitation, estimées à 15 millions d'euros. En contrepartie, la concession a été prolongée d'un mois, et l'État ne percevra pas le produit de deux redevances. Il est peu probable que le produit de ces deux redevances dépasse les 15 millions d'euros, sachant que depuis 1995, elles ont rapporté à l'État, en cumulé, moins de 3 millions d'euros. Même si cela devait être le cas, il n'aurait pas été raisonnable de prendre un tel risque. Je pense donc que nous pouvons nous satisfaire de cet accord. Dans l'ensemble, je peux affirmer que le Stade de France est prêt pour les jeux Olympiques et Paralympiques.

J'en arrive à la troisième recommandation de mon rapport : formaliser d'ici à la fin de l'année 2019 une décision sur l'avenir du Stade de France après 2025, afin que la mise en concurrence puisse être idéalement terminée avant les deux événements internationaux de 2023 et de 2024.

En fin de compte, la décision de mener de façon simultanée une procédure de renouvellement de la concession et une procédure de cession n'a été prise qu'en 2022, la mise en concurrence a été lancée le 30 mars 2023, et le choix du futur exploitant du Stade de France sera postérieur aux jeux Olympiques et Paralympiques. Ce retard s'explique notamment par la décision tardive de lancer une procédure de cession en parallèle de la procédure de concession, ce qui a nécessité des expertises complémentaires. La procédure de cession a d'ailleurs finalement été abandonnée, après que le dossier du seul candidat a été déclaré irrecevable.

Dans tous les cas, les délais pour la négociation avec les candidats sont contraints. Une décision plus en amont aurait offert à l'État une plus grande marge de manoeuvre. La direction des sports et la mission d'appui au financement des infrastructures (Fin Infra) m'ont assuré que les dates seraient tenues, et je n'ai rien identifié qui laisserait penser que ce ne serait pas le cas. Il convient toutefois de rester vigilant et de ne pas négliger les intérêts financiers de cette opération pour l'État.

La prise en compte des intérêts de la Fédération française de football (FFF) et de la Fédération française de rugby (FFR) sera par ailleurs indispensable. Faute de club résident, les fédérations sportives sont les seules qui peuvent garantir la rentabilité économique du Stade de France. Mettre en place un modèle d'exploitation qui permette le développement économique de l'enceinte tout en préservant les finances publiques : c'est uniquement de cette manière que le Stade de France pourra demeurer un symbole des ambitions sportives de notre pays.

M. Jean-François Husson, rapporteur général. - Je vous remercie de ce travail sur le suivi de l'exploitation de cet équipement qui, manifestement, a été construit dans une certaine urgence. Comment expliquez-vous que le Stade de France n'ait jamais accueilli de club résident ? Le sujet est capital : s'il y avait un club résident, il y aurait des recettes et l'équilibre financier serait plus facile à atteindre. Il existe pourtant à Paris des clubs de football et de rugby assez ambitieux, d'où mon interrogation.

M. Thierry Cozic. - La direction du Paris Saint-Germain avait un temps envisagé de racheter le Stade de France avant de se rétracter. En sait-on plus sur les raisons qui l'ont poussée à renoncer ?

Mme Christine Lavarde. - Il y a quelques années, dans le cadre du groupe d'études « Pratiques sportives et grands événements sportifs », nous avions visité les installations du Stade de France. À l'époque se posait déjà la question du club résident et l'hypothèse d'une équipe de e-sport avait été évoquée. Bien qu'elle nécessite des aménagements de l'enceinte, cette hypothèse ne semble pas avoir été écartée. Où en est-on aujourd'hui ?

Par ailleurs, le Stade de France, qui était jusqu'à présent très enclavé, communique désormais directement, grâce à une passerelle, avec la nouvelle piscine olympique. Malgré le fait que ces deux équipements n'ont pas le même propriétaire - État d'un côté, métropole du Grand Paris de l'autre -, des synergies ont-elles été pensées pour un environnement sportif plus général ?

M. Michel Canévet. - Je remercie à mon tour le rapporteur spécial pour la qualité de son rapport. Peut-on dire que cette opération aura été financièrement intéressante pour l'État ? N'aurait-il pas mieux valu que ce dernier construise lui-même le Stade de France ? Quel est le bilan en termes de coûts réels ?

Par ailleurs, les problèmes de sécurité liés à l'accès au Stade de France sont-ils résolus, ou bien reste-t-il en la matière des investissements importants à consentir ?

Enfin, certains clubs de football - à Lyon et prochainement à Brest - construisent eux-mêmes leur stade. Ce modèle est-il appelé à prospérer en France ou vaut-il mieux selon vous suivre celui du Stade de France ?

M. Éric Jeansannetas, rapporteur spécial. - Comme a pu le souligner la Cour des comptes, l'histoire du club résident est une sorte de chimère. Le Racing club, deuxième club professionnel à Paris, ou encore le Red Star, qui reste très attaché à son stade, ont fait partie des nombreux clubs qui ont été sollicités.

Parmi les freins figurent sans doute des difficultés de mobilité et d'acheminement des spectateurs. Quel club en France est en mesure de remplir la jauge, énorme, de 80 000 spectateurs ? À l'époque, pas même le PSG n'y serait parvenu- et le PSG d'aujourd'hui y parviendrait seulement à l'occasion de grands matchs européens, PSG-Real Madrid par exemple, ou de belles affiches du championnat de France comme PSG-Marseille. Il reste que lors des auditions que nous avons menées cette année dans le cadre du renouvellement de la concession, le sujet du club résident n'a même pas été évoqué.

Madame Lavarde, le club de e-sport Team Vitality s'entraîne en effet actuellement au Stade de France et il est qualifié de « club résident », sans pour autant que la condition de présence d'un « club résident » dans le contrat soit juridiquement satisfaite. Comme l'a montré l'audition de M. Coppey, le concessionnaire actuel est très ouvert à tous les types d'activités - concerts, e-sport, etc. - et il témoigne d'un attachement particulier à nos deux équipes de France de rugby et de football.

Sur ce dernier point, les négociations sont en cours. Il est donc difficile d'en parler, mais les fédérations ne décideront d'aller au Stade de France que si elles y trouvent un intérêt économique. Lorsque nous avions auditionné en 2019 le président de la Fédération française de football, la France venait d'organiser l'Euro. De nouveaux stades pouvant accueillir 60 000 spectateurs avaient été construits et Noël Le Graët envisageait de faire voyager l'équipe de France à travers le territoire, en ayant probablement l'idée de faire jouer la concurrence pour bénéficier de conditions de location du Stade de France plus favorables.

Pour Bernard Laporte, alors président de la Fédération française de rugby, l'intérêt du Stade de France résidait dans la rémunération des hospitalités, ces billets très bien payés par les clients VIP. La Fédération française de rugby s'est en effet spécialisée dans ces recettes très importantes.

Les négociations entre la Mairie de Paris et le PSG sur l'acquisition du Parc des princes ayant été rompues, un dossier a été monté pour l'acquisition du Stade de France. Là encore, les travaux s'annonçaient considérables, puisqu'il était question de transformer le Stade de France en s'inspirant du stade de Dortmund. Tout cela a finalement été abandonné et le PSG a retiré son offre d'achat. Le contrat de cession comportait notamment l'obligation d'accueillir pendant vingt-cinq ans les équipes de France et la réalisation de travaux. Or le PSG considérait comme délicat, s'il devenait propriétaire du Stade de France, d'accepter cette contrainte.

Il semblerait que le PSG travaille aujourd'hui sur l'acquisition de terrains en Île-de-France, qui seraient plutôt bien desservis par les transports en commun. Il s'agirait de construire un stade à l'image de ceux des grands clubs européens. En Angleterre et en Allemagne notamment, le stade est non pas seulement une pelouse verte sur laquelle des joueurs courent derrière un ballon, mais un véritable objet économique. Le Stade de France l'est d'ailleurs déjà, puisqu'il accueille de nombreux visiteurs, des séminaires, etc.

Lors de notre visite, nous avons eu l'occasion de découvrir le poste de commandement sécurité du Stade de France, qui compte près de 70 postes de travail équipés de caméras et d'écrans de contrôle. On y voit tout, partout, tout le temps. Il semblerait que depuis les événements dramatiques liés à l'accueil des supporters de Liverpool, les éléments de sécurité aient été bien pris en compte. Certes, les jeux Olympiques sont par nature plus paisibles qu'une rencontre de football. L'enjeu sera toutefois d'assurer la rotation entre la session du matin et la session du soir : 80 000 personnes doivent ainsi laisser place à 80 000 autres, parfois en l'espace de trois heures.

M. Jean-Raymond Hugonet. - Le jour de la finale de la Ligue des champions, l'équipement de sécurité du Stade de France n'était nullement en cause. Il est clairement avéré - j'ai été membre de la commission d'enquête sur cette question - que les événements qui sont survenus sont imputables non pas à des supporters avinés, anglais ou espagnols, mais à une défaillance dans l'organisation qui n'a rien à voir avec le football. Tout se passait très bien sur ce plan. Les incidents sont liés à un défaut d'organisation et à l'action de malfaisants locaux, qui auraient pu déboucher sur un drame. Le jour de la finale, j'ai moi-même partagé sur l'esplanade un excellent moment de convivialité avec des supporters de Liverpool avant d'entrer dans le stade. Il n'y a donc aucun problème de ce côté-là.

Par ailleurs, il est de notoriété publique que le Paris Saint-Germain, même s'il a déposé un dossier en ce sens, n'a jamais eu l'intention d'acheter le Stade de France. Ce serait une erreur absolue qui lui coûterait une fortune et il ferait mieux, à la place, de se construire un nouveau stade. Il s'agissait simplement d'un élément de pression dans la négociation avec la maire de Paris au sujet du rachat du Parc des princes.

M. Éric Jeansannetas, rapporteur spécial. - En ce qui concerne le modèle, nous avions plutôt préconisé en 2019 un modèle calqué sur celui de l'Aviva Stadium de Dublin, dans lequel les fédérations sont non seulement des utilisatrices, mais des actionnaires du pool. Ce modèle s'approche de celui que décrivait Michel Canévet à Brest et à Lyon : les clubs y construisent un grand stade qui leur garantit certaines recettes. Ce scénario a été écarté.

Le modèle retenu pour le Stade de France a-t-il été intéressant pour l'État ? Une chose est sûre : il serait impossible aujourd'hui de construire un tel stade en France en seulement trois ans, de surcroît sur un site abritant une ancienne usine à gaz. À cet égard, les constructeurs ont réalisé quelques exploits pour construire ce stade dans un temps record.

M. Jean-Raymond Hugonet. - La concession qu'ils allaient signer incitait à l'exploit !

M. Éric Jeansannetas, rapporteur spécial. - Sans doute ! Toujours est-il que tout cela a été renégocié et que la situation est meilleure que dans le contrat initial, depuis la suppression de l'indemnité en 2013, l'État n'a ni gagné ni perdu de l'argent. Les délais de négociation de la nouvelle concession devraient être respectés et la décision sera annoncée dans l'année 2024 ou au premier semestre 2025. C'est tout ce que je suis autorisé à vous dire aujourd'hui.

Enfin, la passerelle vers le Centre aquatique olympique a été intégrée dans les études préparatoires aux travaux du Stade de France qui ont été réalisées par la Solideo. Le projet tient compte de cette passerelle, qui peut en effet contribuer à créer une plateforme sportive intéressante.

La commission autorise la publication de la communication du rapporteur spécial sous la forme d'un rapport d'information.

Contrôle budgétaire-Les démineurs de la sécurité civile - Communication

M. Claude Raynal, président. - Nous examinons à présent le rapport de Jean Pierre Vogel sur les démineurs de la sécurité civile.

M. Jean Pierre Vogel, rapporteur spécial. - Je commencerai par un motif de satisfaction : les démineurs de la sécurité civile sont un service d'excellence, dont l'expertise est reconnue à l'échelle internationale. Dans le cadre de mon déplacement au centre de déminage de Versailles, j'ai pu constater le niveau de compétence particulièrement élevé de ces agents. Elle s'explique principalement par la qualité de la formation à laquelle est assujetti chaque démineur recruté dans ce service. Cette formation est exigeante, voire contraignante, mais elle permet de garantir l'efficacité du service rendu, et surtout, la sécurité des démineurs en intervention. En effet, les accidents survenus en opération sont extrêmement rares, puisque les démineurs de la sécurité civile n'ont été confrontés qu'à quatre blessés en intervention depuis 2014 et qu'aucun décès n'est à déplorer sur cette période.

La qualité de notre service de déminage est également reconnue à l'international, les démineurs français étant régulièrement amenés à réaliser des actions de formation auprès de leurs homologues étrangers. Ils sont par ailleurs souvent mobilisés pour prêter main-forte à d'autres pays afin de sécuriser de grands évènements tels que la dernière coupe du monde de football au Qatar par exemple.

Il est essentiel de préserver la qualité de cette formation dans un contexte de sollicitation opérationnelle croissante des services de déminage. Entre 2014 et 2023, le nombre d'interventions réalisées par les démineurs est en effet passé de près de 15 300 à un peu moins de 17 000, soit une augmentation de 10,5 % en dix ans.

La hausse du nombre d'interventions se reflète tout d'abord sur la mission historique des démineurs, à savoir la collecte et la destruction des restes de munitions issues des deux guerres mondiales, qui demandera plusieurs siècles encore. Quatre-vingts ans après la création du service, cette mission demeure l'activité majoritaire des démineurs et représente 75 % de leurs interventions. Le groupement d'intervention du déminage doit donc disposer d'infrastructures permettant à la fois le stockage et la destruction de ces munitions dans de bonnes conditions. Or près de 50 % des infrastructures n'ont pas de terrain de destruction. Cette situation est préoccupante, car le manque de solution de destruction conduit irrémédiablement à un déstockage beaucoup plus lent et au vieillissement de certaines munitions qui, au fil du temps, se dégradent et font peser un risque pour la sécurité des sites de stockage.

L'augmentation de la sollicitation des démineurs s'explique également dans une certaine mesure par la montée en puissance, depuis les attentats de novembre 2015, de la mission de lutte contre le terrorisme. Cette activité se traduit concrètement par des interventions sur des colis suspects, des missions d'assistance aux forces d'intervention dans le cadre de perquisitions, ou des actions de sécurisation de grands événements, tels que les jeux Olympiques et Paralympiques de 2024. La mission de lutte contre la menace terroriste est certes minoritaire dans l'activité des démineurs, mais elle est en pleine croissance, le nombre d'interventions réalisées dans ce cadre ayant augmenté de près de 46 % depuis dix ans. Elle devient par ailleurs de plus en plus technique.

L'augmentation du nombre d'interventions se traduit également depuis plusieurs années sur le plan budgétaire par une augmentation des crédits consacrés aux démineurs. Ces derniers sont en effet passés, en exécution, de 33,9 millions d'euros en 2014 à 50 millions d'euros en 2023, soit une augmentation de près de 50 % sur cette période. J'ai par ailleurs constaté des écarts importants et récurrents entre la programmation et l'exécution des crédits consacrés aux démineurs depuis dix ans. Ainsi, sur la période 2014 à 2023, les crédits de fonctionnement ont fait l'objet d'une sur-exécution de près de 90 %, tandis que les crédits d'investissement ont été sous-exécutés à hauteur de 37 %. Au total, l'ensemble des crédits hors titre 2 consacrés aux démineurs ont fait l'objet d'une sur-exécution de 10,25 %.

Ce constat traduit un manque de précision, voire de sincérité, dans les prévisions budgétaires, ainsi que des lacunes dans le suivi de l'exécution des crédits. Ma première recommandation sera donc d'inviter la direction générale de la sécurité civile et de la gestion des crises (DGSCGC) à affiner la programmation budgétaire des crédits consacrés aux démineurs et à améliorer le pilotage de ces crédits en cours d'exécution.

Comme je l'indiquais en introduction, la compétence et l'engagement de nos démineurs ne sont pas en cause. Toutefois, si nous souhaitons que la qualité du service soit préservée, le groupement d'intervention du déminage devra impérativement se moderniser, en repensant tout d'abord son implantation territoriale. En effet, les services de déminage sont aujourd'hui divisés en vingt-six unités opérationnelles inégalement réparties sur le territoire.

La création des services de déminage en 1944 était motivée par la nécessité de neutraliser les restes d'obus et de munitions issus des bombardements des deux guerres mondiales. Si les zones du territoire ayant subi de nombreux bombardements lors des deux conflits mondiaux sont ainsi particulièrement bien couvertes, ce n'est pas le cas, par exemple, du centre de la France.

Or les missions des démineurs ont largement évolué depuis 1944, et la montée en puissance de leur activité de lutte contre la menace terroriste implique aujourd'hui la réalisation d'interventions sur l'ensemble du territoire. La cartographie opérationnelle du groupement d'intervention du déminage est donc inadaptée à la réalité des missions des démineurs. C'est pourquoi il est urgent que la DGSCGC définisse une nouvelle répartition territoriale de ces unités de déminage, faute de quoi les délais d'intervention des démineurs, qui sont aujourd'hui plutôt satisfaisants, risqueraient de se dégrader fortement.

La refonte de la couverture territoriale des services de déminage pourrait impliquer l'ouverture d'unités opérationnelles supplémentaires, ce qui nécessitera, d'après la DGSCGC, de nouveaux recrutements. À cet égard, la loi du 24 janvier 2023 d'orientation et de programmation du ministère de l'intérieur, dite loi Lopmi, a acté le recrutement de sept nouveaux démineurs sur la période 2023 à 2027. Ces recrutements ne devront toutefois pas dispenser le groupement d'intervention du déminage - c'est ma recommandation n° 2 - de mener une réflexion sur les possibilités de redéploiements d'effectifs entre les différents sites. En effet, les écarts importants de sollicitations opérationnelles entre les centres de déminage justifient de repenser la ventilation des effectifs dans le cadre de la refonte de la cartographie opérationnelle du déminage.

J'insiste également sur le fait que les écarts de sollicitation entre centres de déminage impliquent un risque de perte de compétence pour les démineurs affectés dans les centres où le nombre d'interventions est particulièrement faible. Dans ce contexte, le groupement d'intervention du déminage doit mettre en oeuvre des actions de formation continue pour garantir l'entraînement de ses agents les moins sollicités. Or cette formation continue relève aujourd'hui exclusivement de l'initiative des chefs de centre, et aucune stratégie n'est formalisée au niveau de la direction centrale. Dans ma recommandation n° 3, j'invite donc la direction centrale du groupement d'intervention du déminage à formaliser un plan annuel de formation.

Le groupement d'intervention du déminage doit également moderniser sa politique de gestion des ressources humaines pour répondre aux défis liés au renouvellement de ses effectifs. En effet, ce service est aujourd'hui confronté à une vague de départs à la retraite. D'après l'Inspection générale de la sécurité civile, 59 démineurs prévoyaient un départ à la retraite en 2023 ou 2024, soit plus de 15 % de l'effectif théorique. Or j'ai constaté dans le cadre de mes travaux le caractère archaïque des outils de gestion des ressources humaines du groupement d'intervention du déminage. Il est pourtant indispensable, dans un contexte où la pérennité du service pourrait être remise en cause par cette vague de départs à la retraite, que le groupement d'intervention du déminage se dote enfin d'une véritable gestion prévisionnelle des emplois, des effectifs et des compétences (GPEEC). Il s'agit de ma recommandation n° 4.

Par ailleurs, les services de déminage souffrent d'un déficit de personnel de soutien, qui oblige certains démineurs à réaliser des missions de logistique ou de maintenance des appareils. Cette situation n'est pas satisfaisante, tant du point de vue de l'efficacité du service que de l'attractivité du métier. Il est donc essentiel que le groupement d'intervention du déminage remédie au sous-dimensionnement des personnels de soutien pour permettre aux démineurs de se concentrer sur leur coeur de métier. C'est l'objet de ma recommandation n° 5.

J'en viens maintenant à ma dernière recommandation, qui concerne l'amélioration du suivi des interventions. Le suivi des opérations de déminage est aujourd'hui lacunaire, ce qui est dommageable du point de vue de la coordination et de l'efficacité du service, mais aussi du point de vue de la sécurité des équipes. Lors des auditions, l'exemple a notamment été évoqué d'un accident survenu il y a un peu plus de dix ans impliquant deux démineurs en intervention. Ces démineurs ont été grièvement blessés - aux mains notamment - par l'explosion d'un obus et il était impossible pour eux de solliciter de l'aide. L'absence d'outil de suivi opérationnel était dans ce cas précis particulièrement préjudiciable, le groupement d'intervention du déminage n'ayant aucun moyen de localiser ces agents.

La DGSCGC s'est dotée en janvier 2023 d'une application informatique appelée système opérationnel et fichiers d'informations sur les explosifs (Sofie), dont la vocation est justement d'améliorer la coordination des opérations, grâce notamment à un système de cartographie des interventions. Je m'en félicite, mais ce projet est encore en cours de développement. Il est donc impératif qu'il soit finalisé au plus vite.

M. Jean-François Husson, rapporteur général. - Je remercie notre collègue pour ce travail qui m'a permis de découvrir une insuffisance notoire du maillage territorial pour ce qui concerne le centre de la France.

Par ailleurs, pourrait-on envisager de déplacer certains centres afin de faire face aux nouveaux risques ? Certes, ce type de décision n'est pas aisé, car il aboutit à la disparition d'un service public dans les territoires concernés.

Enfin, le renouvellement des robots démineurs progresse-t-il de manière satisfaisante ?

M. Michel Canévet. - Je félicite le rapporteur spécial pour ces éclairages sur ces questions de sécurité civile, majeures pour notre pays. Les démineurs du GID interviennent-ils lorsque des colis suspects sont identifiés à bord des trains ?

En outre, je note que la marine nationale dispose de moyens et d'outils - tels que les drones - qui permettent aux chasseurs de mines de rester en dehors des zones dangereuses. En comparaison, le niveau de robotisation sur terre paraît moins avancé, tandis que le matériel employé est relativement ancien. S'agit-il de matériel français ? Des moyens sont-ils mis en oeuvre afin de nous doter d'outils permettant d'assurer la sécurité des démineurs en intervention ?

Mme Christine Lavarde. - Les démineurs du GID interviennent-ils sur les lignes de la RATP ? Cette dernière a récemment repensé son plan d'action afin d'éviter d'arrêter le trafic sur l'ensemble de la ligne lorsqu'un colis suspect est signalé. Si les moyens sont partagés, qui décide ?

M. Thierry Cozic. - Je souligne à mon tour la qualité du rapport. Ayant eu à lancer en tant que maire une opération de déminage sur un terrain où des obus datant de la Seconde Guerre mondiale étaient présents, j'ai pu constater qu'il avait fallu quatre à cinq heures avant l'intervention de démineurs venant de Nantes, ce qui pose une série de difficultés. Une répartition régionale ne serait-elle pas plus pertinente pour réduire ces temps d'intervention ?

M. Claude Raynal, président. - Que font les démineurs lorsqu'ils ne sont pas en intervention ? Assument-ils d'autres missions ?

M. Grégory Blanc. - Pourrait-on envisager une forme de mutualisation avec les services de l'armée ?

M. Jean Pierre Vogel, rapporteur spécial. - Une meilleure répartition géographique du service serait en effet utile, en précisant, pour la région parisienne, que la préfecture de police de Paris dispose de ses propres services de déminage.

Huit années de formation sont nécessaires pour qu'un démineur atteigne le plus haut niveau de qualification, et je ne crois guère à la piste d'une mutualisation avec l'armée. Avec 324 démineurs, l'effectif du GID est relativement restreint et les personnels de soutien sont en nombre insuffisant, ce qui conduit une partie des démineurs à prendre en charge des tâches logistiques telles que la commande de pièces détachées et la maintenance des matériels.

Par ailleurs, les infrastructures doivent comprendre des locaux administratifs, un dépôt de munitions et un terrain de destruction.

M. Jean-François Husson, rapporteur général. - Une superficie minimale est-elle fixée ?

M. Jean Pierre Vogel, rapporteur spécial. - Je l'ignore. Quoi qu'il en soit, seule la moitié des centres de déminage comptent ces trois installations, alors que les capacités maximales de stockage des munitions sont en passe d'être atteinte. J'ajoute que 50 % des centres ne disposent pas d'un terrain de destruction, ce qui fait que le déstockage des munitions est plus lent ; celles-ci, au fur et à mesure qu'elles vieillissent, peuvent se dégrader et présenter un risque pour la sécurité des sites. Il faudrait construire, sur le modèle du schéma d'analyse et de couverture des risques élaboré par les sapeurs-pompiers dans chaque département, un schéma national qui permette de déterminer où positionner les centres de déminage.

Concernant les colis abandonnés dans les gares ou à bord des trains, il convient en effet de s'assurer d'une bonne répartition des centres de déminage : si les démineurs mettent trois ou quatre heures à arriver, les risques augmentent puisque la gare continue alors à se remplir, offrant une cible de choix aux terroristes. Je relève par ailleurs que, dans les aéroports, les temps d'intervention ont eu tendance à se dégrader ces dernières années, et plus particulièrement en 2023.

Lorsqu'ils ne sont pas en intervention, les démineurs effectuent des astreintes ou poursuivent leur formation, notamment pour se préparer à de nouvelles formes d'action terroriste. Par exemple, les bouteilles d'eau sont interdites dans les stades, car elles peuvent accueillir un engin explosif dissimulé derrière l'étiquette, dispositif qui peut être activé à distance. Les démineurs disposent de matériels sophistiqués permettant de repérer le déclencheur situé à l'intérieur d'un colis abandonné et de le neutraliser à l'aide d'un robot venant viser une zone très précise, empêchant ainsi l'explosion.

Or, ces robots sont pour la plupart vieillissants et font actuellement l'objet d'un renouvellement dans le cadre de la Lopmi. Il n'est guère pertinent de disposer de modèles trop variés, car cela peut impliquer de multiplier le nombre de formations nécessaire à l'appropriation de ces matériels par les démineurs. J'avais fait un constat similaire au sujet du renouvellement de la flotte aérienne de la sécurité civile, lors de la présentation de mon rapport sur les aéronefs bombardiers d'eau devant notre commission il y a un an. Par ailleurs, le marché des robots de déminage est un marché de niche. Il y a donc peu de producteurs en mesure de respecter le cahier des charges fixé par le ministère de l'intérieur. Les agents semblent plutôt satisfaits des équipements actuels, même s'ils plaident pour que les plans de renouvellement des équipements permettent d'accompagner les évolutions technologiques du secteur. Je ne dispose pas d'informations exacte sur la provenance du matériel, mais il existe notamment des entreprises françaises qui commercialisent des robots de déminage, telles que l'entreprise Shark basée à la Rochelle. En tout état de cause, nous disposons de personnels de déminage bien formés, dont le savoir-faire est reconnu au niveau mondial.

Enfin, pour ce qui est de la RATP, le laboratoire central de la préfecture de police s'occupe des interventions.

La commission adopte les recommandations du rapporteur spécial et autorise la publication de sa communication sous la forme d'un rapport d'information.

La réunion est close à 16 h 30.

Mercredi 10 juillet 2024

- Présidence de M. Claude Raynal, président -

La réunion est ouverte à 9 h 00.

Contrôle budgétaire - Les facteurs explicatifs des perspectives d'évolution différentes en matière de charge de la dette entre la France et les principaux États européens - Communication

M. Claude Raynal, président. - Mes chers collègues, avant de laisser la parole à notre rapporteur spécial, je tiens à féliciter les équipes du Centre national d'études spatiales (Cnes), de l'European Space Agency (ESA) et d'Arianespace pour le lancement réussi d'Ariane 6. C'est un moment extrêmement important pour l'industrie européenne de l'espace.

M. Jean-François Husson, rapporteur général. - Je me réjouis également de cette réussite industrielle.

Je tiens à remercier le rapporteur spécial, Albéric de Montgolfier, pour avoir choisi de consacrer son contrôle budgétaire aux perspectives d'évolution de la charge des intérêts de la dette, en France et dans les principaux États européens. Ce sujet s'inscrit très directement dans la continuité des travaux de notre commission. Qu'il s'agisse de l'examen des lois de finances, du programme de stabilité 2024-2027, de la loi de programmation des finances publiques (LPFP) ou encore dans le cadre de la mission d'information sur la dégradation des finances publiques, nous avons alerté à de multiples reprises sur la charge d'intérêts que nous versons à nos créanciers. Celle-ci connaît et connaîtra une très forte augmentation qui entrave nos capacités. Alors que la maîtrise de la dette représente un enjeu de souveraineté, nous ne pouvons-nous satisfaire de cette situation, au risque de nous retrouver dépendants des fluctuations des marchés obligataires et du soutien de nos partenaires européens, lequel demeure conditionné au respect de nos engagements au titre du Pacte de stabilité et de croissance.

C'est pourquoi Albéric de Montgolfier et moi-même partageons la nécessité de faire sortir notre pays de la procédure pour déficit excessif ouverte par la Commission européenne le 19 juin dernier.

La trajectoire que nous continuons de préconiser, visant la réduction du déficit à 3 % du PIB d'ici à 2027, est cohérente avec la proposition que nous avions portée dans le cadre de l'examen de la LPFP 2023-2027.

Face à l'incertitude actuelle quant à la politique économique et budgétaire du prochain gouvernement, la première exigence vis-à-vis de nos concitoyens est celle de la lucidité, de la clarté et de la sincérité. À cet égard je pense nécessaire de réaffirmer que nous ne pouvons pas vivre au-dessus de nos moyens plus longtemps.

M. Albéric de Montgolfier, rapporteur spécial. - Monsieur le président, monsieur le rapporteur général, mes chers collègues, en tant que rapporteur spécial de la mission « Engagements financiers de l'État », j'ai choisi cette année de mener un contrôle budgétaire, non pas sur le stock de la dette, mais sur les facteurs explicatifs des perspectives d'évolution différentes en matière de charge de la dette entre la France et les principaux États européens.

Le rapport que je vous présente aujourd'hui, fruit de mes échanges avec les services du ministère de l'économie et des finances, la Banque de France et plusieurs économistes éminents, s'inscrit dans la suite des travaux de la commission en rappelant les données du problème de la charge d'intérêts de la dette. Alors que la période d'incertitude ouverte depuis la dissolution de l'Assemblée nationale suscite de vives inquiétudes parmi les investisseurs auprès desquels notre pays emprunte, je veux ici souligner l'importance critique de l'évolution de la charge de la dette pour nos finances publiques.

Je commencerai par une présentation des perspectives d'évolution anticipées en la matière d'ici à la fin de la décennie. Selon les derniers éléments communiqués par l'exécutif dans le cadre du programme de stabilité d'avril 2024, le poids de la charge de la dette de l'État devrait connaître une forte croissance dans les prochaines années, pour quasiment doubler à l'horizon 2027, atteignant 72,3 milliards d'euros, contre 39 milliards d'euros en 2023. Il devrait s'inscrire autour de 50 milliards d'euros en 2024. Les intérêts de la dette de l'État se rapprocheraient alors des dépenses de l'éducation nationale, premier poste budgétaire. Si l'on devait poursuivre cette trajectoire haussière, les intérêts de la dette pourraient bientôt absorber le produit d'un impôt comme l'impôt sur le revenu (102 milliards d'euros en 2023).

Dans ces conditions, la trajectoire de la charge de la dette française devrait connaître une divergence notable avec la majeure partie des États membres de la zone euro. En effet, notre charge d'intérêts, en proportion du PIB, devrait s'écarter de la moyenne de la zone euro, en la dépassant significativement dans les années à venir.

Selon les dernières projections du Fonds monétaire international (FMI), la charge d'intérêts devrait augmenter de plus d'un point de PIB entre 2023 et 2029. À cette date, la charge de la dette publique française devrait représenter 3 % du PIB, renouant avec les niveaux record observés au milieu des années 1990. Dans ces conditions, pour respecter la règle européenne d'un déficit limité à 3 %, il faudrait que, hors charge d'intérêt, le solde public primaire soit à l'équilibre. Comme vous le savez tous, nous sommes aujourd'hui très loin de cette situation.

Sur la période 2023-2029, l'alourdissement de la charge de la dette française serait supérieur à celui anticipé pour l'Espagne, la Grèce, l'Italie, les Pays-Bas, l'Allemagne ou encore le Portugal. Si le niveau en pourcentage du PIB de la charge d'intérêt de la France devait demeurer inférieur à celui de l'Espagne, de la Grèce et de l'Italie, il pourrait ainsi dépasser le niveau du Portugal.

En comparaison avec l'Allemagne, évoquer une divergence serait un euphémisme : alors que les niveaux de charges d'intérêt étaient proches en proportion du PIB jusqu'au début des années 2010, la charge de la dette française est devenue le double de celle de la dette allemande. En 2023, les intérêts de la dette représentaient ainsi 1,7 % du PIB en France contre 0,8 % du PIB en Allemagne. Le constat est identique si l'on rapporte la charge de la dette aux dépenses publiques totales. En 2022, la charge d'intérêt correspondait à 3,4 % des dépenses publiques pour la France, contre seulement 1,5 % pour l'Allemagne. Imaginez ce que nous pourrions faire pour nos services publics si nous étions au même niveau que nos voisins d'outre-Rhin.

Il convient de préciser que ces projections ont été réalisées à politiques budgétaires inchangées. Antérieures à la dissolution de l'Assemblée nationale, elles n'intègrent donc pas l'hypothèse d'une nouvelle déviation de la trajectoire des finances publiques qui pourrait résulter de l'arrivée au pouvoir d'un nouveau gouvernement.

Je voudrais maintenant aborder les causes de cette envolée de la charge de la dette française par rapport à nos partenaires européens.

Sans surprise, sur le long terme, c'est bien l'augmentation continue du stock de la dette, sous l'effet de l'accumulation des déficits, notamment dans la période récente, qui explique cette situation et ces perspectives dégradées.

La dette de l'État devrait ainsi dépasser 2 560 milliards d'euros en 2024, contre 1 760 milliards d'euros en 2018. Toutes administrations publiques confondues, la dette française représentait 3 100 milliards d'euros à la fin de 2023. Trois ans après la sortie de la crise sanitaire, le ratio de dette publique se maintient ainsi à un niveau historiquement élevé, à 110,6 % du PIB, nettement au-dessus de son niveau de 2019. Enfin, notre commission a largement documenté le dérapage du déficit public constaté en 2023, à 5,5 % du PIB contre une prévision du Gouvernement à 4,9 %. Aussi, je m'étrangle quand notre ministre de l'économie depuis sept ans prétend qu'il a sauvé l'économie française. Que je sache, les autres États européens ont su réagir avec efficacité aux crises sanitaire et énergétique de ces dernières années sans connaître une telle explosion de leur dette.

Selon les prévisions du FMI, par contraste avec l'immense majorité des États européens, la France ne connaîtrait pas de désendettement à l'horizon 2029 par rapport à 2020, avec un ratio de dette qui se maintiendrait à plus de 110 % du PIB. Pour mémoire, nous avions le même niveau d'endettement que l'Allemagne avant la crise financière de 2008, et le même niveau de charge d'intérêts. Aujourd'hui, le ratio d'endettement de l'Allemagne est revenu à 64 % du PIB et devrait encore continuer à baisser dans les années à venir, sa charge d'intérêts ne croissant que très modérément.

Si l'augmentation du stock de la dette constitue donc le facteur déterminant de la croissance de la charge d'intérêts, la remontée des taux, liée à la normalisation de la politique monétaire par rapport à la fin de la décennie 2010, représente un facteur aggravant. Le relèvement progressif par la Banque centrale européenne (BCE) de son taux de dépôt, de - 0,5 % en juillet 2022 à 4,0 % en septembre 2023, s'est ainsi traduit par une nette croissance des taux d'intérêt souverains sur la même période. Alors que la France empruntait à 1 % sur 10 ans en avril 2022, ce taux était de 2,87 % en avril 2024. Le 8 juillet dernier, en dépit de l'inflexion du taux de dépôt de la BCE à 3,75 % en juin, le taux de la dette française à 10 ans s'élevait à 3,15 %, dans le contexte politique que nous connaissons.

À cet égard, je tiens à souligner un point crucial : compte tenu du rythme de refinancement de la dette, les effets de la remontée des taux sur la charge d'intérêts ne sont pas encore totalement perceptibles. Cet impact devrait se matérialiser graduellement dans les prochaines années.

Dans ce contexte, la dette de la France sera désormais au coeur des discussions avec nos partenaires de la zone euro. En effet, le retour de l'encadrement budgétaire européen, suspendu à la suite de la crise sanitaire, réintroduit de fortes contraintes, au plan préventif comme au plan correctif. De fait, le 19 juin dernier, la Commission européenne a lancé une procédure pour déficit excessif à l'encontre de 7 États membres, dont la France. Selon les représentants de la direction générale du Trésor que j'ai entendus en audition, la combinaison des règles préventives et correctives impliquerait un ajustement structurel primaire, c'est-à-dire hors charges de la dette, de 0,6 point de PIB annuel, dans le cas d'une période d'ajustement étendue à 7 ans, de 2024 à 2031, soit environ 20 milliards d'euros chaque année. À noter qu'une éventuelle intervention de la BCE est expressément subordonnée au respect du cadre budgétaire européen, même si le Conseil des gouverneurs dispose d'une marge d'interprétation.

À plus long terme, face à la montée des défis économiques, géopolitiques et environnementaux, il importe de restaurer des marges de manoeuvre budgétaires afin de pouvoir absorber les conséquences des futures crises. Selon l'économiste Olivier Blanchard, un excédent primaire de l'ordre de 1 point de PIB serait ainsi nécessaire. En l'absence de récession, la politique budgétaire doit en principe dégager des excédents, en vue de bénéficier d'une situation plus favorable en amont des chocs.

En conséquence, et j'en viens à mes recommandations, une stratégie de stabilisation de la dette et de réduction du déficit doit urgemment être mise en oeuvre. À défaut, le risque existe de se voir imposer des mesures encore plus drastiques par les autorités européennes, en cas de crise de confiance sur les marchés. Un premier ensemble de recommandations appelle donc à un effort de réduction du déficit public dès le prochain projet de loi de finances, pour revenir sous le niveau de 3 % du PIB d'ici à 2027, conformément à la proposition portée par le Sénat dans le cadre de la LPFP 2023-2027, et renouer avec un excédent budgétaire primaire à l'horizon 2030.

Par ailleurs, dans une période particulièrement instable, une meilleure connaissance des porteurs de titres de dette s'avère nécessaire. Cette connaissance plus fine de la structure de détention de la dette doit viser à préserver la dette française d'une exposition, voire d'une dépendance à l'égard d'un type d'investisseurs déterminé. Tel est l'objet de la seconde série de recommandations, qui propose de mettre en oeuvre un système d'identification des porteurs de titres de dette publique et de procéder à une revue annuelle de leur composition afin de conserver une gamme de porteurs suffisamment diverse en termes de nature et d'origine géographique.

Mes chers collègues, la charge d'intérêt de la France ne saurait poursuivre indéfiniment sa trajectoire divergente par rapport à nos partenaires européens. Si nous voulons éviter l'explosion, une action lucide et résolue s'impose. La maturité de la dette française s'établit aujourd'hui à plus de 8 ans. J'entends certains se réjouir que nous puissions emprunter jusqu'à 40 ans, mais si c'est pour payer les fonctionnaires en fin de mois, c'est très préoccupant. Si quelqu'un doit s'en réjouir, ce sont plutôt les fonds de pension étrangers à qui nos titres de dette offrent des rendements élevés.

M. Thierry Cozic. - Le constat est partagé, à ceci près que nous considérons que le problème vient surtout du stock de la dette.

J'aurais aimé une comparaison plus fine avec l'évolution de nos principaux partenaires. En France, la majorité présidentielle a organisé l'attrition des finances publiques en réduisant fortement les recettes. Qu'en est-il ailleurs ? Nous nous interrogeons également sur l'identification des porteurs de la dette.

M. Grégory Blanc. - Nous parlons toujours de la dette publique, mais ce n'est pas le seul élément macroéconomique déterminant. Y a-t-il une analyse d'ensemble des dettes intérieures des différents États européens ?

M. Vincent Capo-Canellas. - Vous parlez d'un effort de consolidation de 20 milliards d'euros annuels, mais on peut également entendre d'autre chiffres. Pouvez-vous revenir plus en détail sur votre estimation ?

Votre recommandation n° 2 a plus particulièrement attiré mon attention. Je la lis comme un appel à ce que des investissements européens viennent soutenir certaines politiques. Pouvez-vous nous en dire plus sur le sujet, au moment où s'installe une nouvelle gouvernance dans l'UE ?

M. Bernard Delcros. - Nous sommes évidemment tous d'accord avec le constat. Avez-vous un chiffrage plus précis sur la part respective de la hausse des taux d'intérêt et de la hausse du stock ?

M. Claude Nougein. - Beaucoup de nos collègues parlent des recettes, mais le poste des dépenses est également à revoir. Il ne faut pas oublier que les recettes ont augmenté. C'est le cas notamment de l'impôt sur les sociétés, malgré la baisse du taux à 25 %. Le remplacement de l'impôt de solidarité sur la fortune par l'impôt sur la fortune immobilière a par ailleurs représenté un manque à gagner de 2 milliards d'euros, donc ce n'est pas là qu'il faut rechercher les causes de l'aggravation du déficit budgétaire.

À mon sens, il faut plutôt regarder vers l'explosion des dépenses publiques. Je ne comprends pas l'expression « dynamique des dépenses », utilisée par certains de manière positive. C'est plutôt un problème à mon sens.

Enfin, j'aimerais savoir qui détient notre dette. Quels sont les pays étrangers qui sont nos créanciers ? Il y a là, à l'évidence, un risque pour notre souveraineté.

Mme Isabelle Briquet. - Je salue le travail très précis de notre rapporteur spécial.

En ce qui concerne la recommandation n° 1, nous sommes d'accord sur l'objectif, mais je crains que nous ne soyons pas d'accord sur les voies et moyens d'y parvenir : si ce dont on parle, c'est d'agir uniquement sur les dépenses de l'État, nous nous y opposerons bien évidemment. Monsieur le rapporteur spécial, dans votre esprit, est-il aussi question d'agir sur les recettes ?

Nous sommes par ailleurs en phase avec les trois autres recommandations.

M. Albéric de Montgolfier, rapporteur spécial. - Monsieur Cozic, vous avez raison, c'est d'abord un problème de stock. Nous sommes entrés dans les crises successives avec une situation budgétaire fortement dégradée par rapport à celle de nos partenaires européens. Le Gouvernement a été victime d'un anesthésiant particulièrement puissant : les taux d'intérêt bas. Lorsque j'étais rapporteur général de la commission des finances, avant les crises sanitaire et énergétique, je mettais déjà tout le monde en garde sur les déficits accumulés chaque année.

Tous les pays ont injecté de l'argent public pour affronter les grandes crises mondiales depuis 2008, mais ils ont pratiquement tous stabilisé leur niveau de dette et de déficit assez rapidement après le retour de l'activité économique à la normale. Nous, non !

En ce qui concerne la dette privée, je n'ai pas d'éléments documentés. Cela nécessiterait une étude particulière, qui dépasse à l'évidence le champ de ma compétence en tant que rapporteur spécial des crédits de la mission « Engagements financiers de l'État ».

Monsieur Capo-Canellas, l'ajustement budgétaire de 20 milliards d'euros par an jusqu'en 2031 est celui qui est retenu par la direction générale du Trésor. Cela représente 0,6 point de PIB par an sur 7 ans. Cette estimation est également proche de celle retenue par le Centre pour la recherche économique et ses applications (CEPREMAP), de 20 milliards d'euros par an sur 4 à 5 ans, pour se conformer à la nouvelle règle budgétaire européenne de diminution du ratio de dette sur PIB de 1 point par an en moyenne sur cette même période.

Monsieur Delcros, sur la période 2022-2024, la hausse cumulée des charges d'intérêt pour le budget de l'État se répartit comme suit (hors l'effet de l'inflation sur les titres indexés, qui représentent environ 10 % du volume de dette) : 5,3 milliards d'euros pour le stock de dette et 2,8 milliards d'euros pour les taux d'intérêt. Vous le voyez, même en cas de baisse des taux, le problème resterait considérable.

Monsieur Nougein, la détention de la dette française est ainsi structurée : 26 % pour la BCE (à travers la Banque de France), 21% pour des investisseurs français, 19 % pour des investisseurs de la zone euro et 34 %, soit un bon tiers, pour des investisseurs hors zone euro.

Madame Briquet, votre question est plus politique. Je suis resté factuel avec la recommandation n° 1 : nous devons réduire notre déficit primaire. Sur les voies et moyens pour y parvenir, chacun a son idée, mais cela n'est pas de mon ressort en tant que rapporteur spécial des crédits de la mission « Engagements financiers de l'État ». Nous ne sommes pas encore à la discussion du projet de loi de finances. À chaque jour suffit sa peine !

La commission adopte les recommandations du rapporteur spécial et autorise la publication de sa communication sous la forme d'un rapport d'information.

Contrôle budgétaire - L'immobilier de la gendarmerie nationale - Communication

M. Claude Raynal, président. - Nous en venons à une communication de notre collègue Bruno Belin, rapporteur spécial de la mission « Sécurités », sur l'immobilier de la gendarmerie nationale.

M. Bruno Belin, rapporteur spécial. - Le sujet que nous abordons nous parlera sans aucun doute à tous puisque, sur tous nos territoires, se posent des sujets liés aux casernes de gendarmerie et aux militaires qui y exercent.

Je débuterai ma présentation par une question simple : comment espérer attirer de futurs gendarmes sans pouvoir proposer à ces candidats des conditions de vie et de travail décentes ? À Dijon, l'hiver dernier, des centaines de gendarmes ont été affectés par des coupures de chauffage, voire d'eau chaude dans leur logement ; l'entreprise de maintenance a dû intervenir cinquante fois pour les rétablir tant bien que mal. Proposer des conditions de vie correctes constitue tout de même le minimum à fournir à nos gendarmes et à leurs familles, elles aussi soumises à rude épreuve du fait du logement en caserne.

Je ne m'étends pas sur la vétusté avérée de certains bâtiments. Vous connaissez tous, dans chacun de vos départements, des casernes plus ou moins bien entretenues. Vous avez l'habitude d'échanger avec les brigades de gendarmerie de vos territoires. Par conséquent, vous avez conscience de l'investissement exemplaire des gendarmes et vous savez qu'il n'est pas dans leur habitude de se plaindre de leurs conditions, même si nous avons des progrès très importants à faire sur l'immobilier de la gendarmerie à l'échelle nationale.

Dans le cadre de ce contrôle budgétaire, j'ai découvert de nombreuses emprises de la gendarmerie et visité une dizaine de casernes réparties dans quatre départements. Je tiens à souligner que le constat de la situation dégradée du parc immobilier de la gendarmerie est partagé par l'ensemble des parties prenantes. En particulier, le haut commandement de la gendarmerie est pleinement investi sur ce sujet. Pour reprendre l'expression du général Christian Rodriguez, directeur général de la gendarmerie nationale (DGGN), nous avons une « responsabilité collective » dans la situation actuelle de dégradation de l'immobilier de la gendarmerie. J'ajoute pour ma part que nous avons également la responsabilité collective de trouver les voies et moyens pour redresser cette situation.

En préambule, avant de détailler les problèmes financiers de la politique immobilière de la gendarmerie, j'aimerais attirer votre attention sur la spécificité de ce parc. À la différence de l'immense majorité des agents publics, les militaires de la gendarmerie nationale sont soumis à une obligation de logement en caserne, le cas échéant avec leurs familles. L'attribution d'un logement à chaque officier et sous-officier est à la fois un droit et une sujétion rattachée au statut de militaire d'active. Par conséquent, les problèmes soulevés par la dégradation des bâtiments occupés par la gendarmerie dépassent le cadre habituel des conditions de travail de nos agents publics.

Une gendarmerie vétuste pose au moins trois séries de problèmes qui peuvent nuire à la qualité du service rendu : premièrement, les gendarmes voient leurs conditions de travail dégradées lorsqu'ils sont contraints de réaliser leurs tâches quotidiennes dans des bâtiments qui n'y sont plus adaptés ; deuxièmement, le public reçu dans la gendarmerie est affecté lorsque la disposition du bâtiment ne se prête pas à un accueil approprié, en particulier pour les victimes potentielles ; troisièmement, les conditions de vie des gendarmes et de leurs familles dépendent du bon entretien des casernes.

Il faut souligner à ce titre que cette obligation de logement en caserne revêt une importance déterminante pour la gendarmerie et son efficacité opérationnelle. Sur le terrain, les équipes nous ont montré comment on pouvait mobiliser une cinquantaine de personnes en dix minutes, car elles étaient déjà présentes sur place. En effet, la gendarmerie doit assurer le maintien de l'ordre dans une zone très vaste qui recouvre 95 % de notre territoire et 50 % de ses habitants. L'obligation de logement en caserne ne peut par conséquent être détachée de l'obligation particulière de disponibilité, à laquelle les gendarmes sont soumis en qualité de militaire.

À partir d'un réseau dense de 3 700 casernes réparties sur l'ensemble du territoire, en particulier dans les zones rurales et périurbaines, la disponibilité des gendarmes et leur obligation de logement en caserne constituent la clé de voûte de la permanence de la posture opérationnelle de la gendarmerie nationale.

Pour ces différentes raisons, la question immobilière ne saurait être reléguée à une « fonction support » de la gendarmerie nationale, étant une composante indispensable à son efficacité opérationnelle et, par conséquent, une fonction stratégique.

Une fois exposé ce préambule, j'aimerais vous présenter succinctement les deux constats structurants de mon contrôle budgétaire. Le premier, qui fait malheureusement l'objet d'un consensus depuis longtemps sans avoir été corrigé, est le sous-investissement massif et chronique dans le maintien en état du parc domanial de la gendarmerie nationale, lequel, possédé par l'État, regroupe 649 casernes et une surface totale de 5,2 millions de mètres carrés. Ce patrimoine historique comporte des bâtiments très anciens, comme les immeubles du quartier Delpal, sur le plateau de Satory, construits en 1933, ou encore de nombreuses casernes construites dans les années 1970.

En tant que propriétaire, la gendarmerie ne paie pas de loyers pour occuper ces bâtiments. En revanche, elle doit prendre à sa charge non seulement l'entretien courant, mais également les dépenses à la charge du propriétaire, en particulier les travaux lourds de maintenance et de réhabilitation des immeubles vieillissants. Or les dotations budgétaires de la gendarmerie ne lui permettent pas de le faire, ce qui entraîne une dégradation de ce patrimoine immobilier. Par exemple, pour l'exercice 2023, les besoins d'investissement ont été estimés à 400 millions d'euros, pour seulement 118 millions d'euros dépensés pour la maintenance et la réhabilitation du parc - près de quatre fois moins que ce qu'il aurait fallu !

La conséquence directe de ce sous-investissement est une dégradation lente des bâtiments, qui aboutit aux situations de vétusté que j'évoquais au début de mon propos. J'ajoute que cette situation n'est pas nouvelle et résulte de plusieurs décennies de sous-investissement.

Pour mesurer ce retard, j'ai demandé à la gendarmerie des données recouvrant la dernière décennie pour comparer l'écart annuel entre les besoins d'investissements et les investissements réalisés. Il en ressort que depuis 2014, les dix derniers exercices budgétaires ont donné lieu à un sous-investissement systématique dans la maintenance et la réhabilitation du parc domanial. Sur cette décennie, la gendarmerie a constitué une « dette grise » cumulée de 2,2 milliards d'euros, qui correspond au retard significatif pris par rapport aux investissements identifiés pour maintenir en état le patrimoine immobilier de la gendarmerie, qui appartient en définitive à la collectivité.

Le deuxième constat structurant de mon contrôle concerne le coût croissant des loyers dans les dépenses immobilières de la gendarmerie nationale. En effet, pour compléter son parc domanial, la gendarmerie occupe 3 000 casernes locatives, souvent des emprises plus petites, réparties sur l'ensemble du territoire. Elles appartiennent en général à des collectivités territoriales ou à des organismes d'habitations à loyers modéré et sont plus récentes et mieux entretenues que celles du parc domanial. La gendarmerie nationale négocie avec le bailleur un loyer annuel dont le montant ne peut être révisé pendant les neuf premières années d'occupation. Ce schéma de financement présente plusieurs avantages, ce qui explique que l'extension du parc immobilier de la gendarmerie résulte principalement de la construction de nouvelles casernes locatives.

En premier lieu, ce montage permet à la gendarmerie d'étendre son parc immobilier sans investissement immédiat en capital, ce que ses marges de manoeuvre financières actuelles ne lui permettraient pas. En effet, la charge du financement de la construction des bâtiments repose, le cas échéant en recourant à l'emprunt, sur la collectivité ou sur l'organisme HLM concerné, qui dispose en tout état de cause d'une source fiable de revenus pour rembourser son emprunt par les loyers versés par la gendarmerie.

En second lieu, le décret du 28 janvier 1993 permet aux collectivités territoriales qui construisent des casernes de bénéficier d'une subvention à l'investissement, qui réduit leur dépense sans diminuer la valeur du patrimoine qu'elles constituent.

Néanmoins, au regard de la dégradation du parc domanial que j'ai évoquée, le poids grandissant du parc locatif dans le parc total de la gendarmerie se traduit par une charge croissante des loyers versés aux bailleurs. En 2023, la gendarmerie a ainsi consacré 590 millions d'euros au versement de ses loyers, c'est-à-dire 64 % de l'ensemble de ses dépenses immobilières. Sans un mouvement de stabilisation, voire de rééquilibrage en faveur du parc domanial, il existe un risque réel que la dynamique des loyers à verser aux bailleurs n'efface toute marge de manoeuvre budgétaire.

Partant de ces constats structurants, je formule sept recommandations dont l'objectif est d'engager une dynamique de redressement de la situation bâtimentaire de la gendarmerie. J'insiste, pour conclure, sur trois d'entre elles.

Premièrement, j'invite la gendarmerie à mobiliser des modes de financement innovants, en particulier le marché de partenariat. Comme vous le savez, le principe du marché de partenariat, ou partenariat public-privé (PPP), est de confier à un opérateur privé une mission globale de conception, de construction et de maintenance d'un immeuble en amortissant cet investissement par le versement de loyers sur une longue période, d'une trentaine d'années environ. Dans le cas de la gendarmerie, au regard de l'impasse de financement dans laquelle se trouve actuellement le ministère pour réaliser des investissements structurants dans le parc domanial, il apparaît comme l'instrument de financement adéquat.

En effet, en faisant porter le coût du financement par l'opérateur, le marché de partenariat permet à la gendarmerie d'étendre son parc domanial malgré son absence de marge de manoeuvre financière. Au regard des enjeux opérationnels de la gendarmerie, les opérations immobilières - dont nos déplacements ont confirmé l'importance - sur le plateau de Satory et à Dijon me semblent être deux projets prioritaires pour lesquels le recours au marché de partenariat doit être rapidement confirmé.

Deuxièmement, j'invite le ministère des finances et plus particulièrement la direction du budget à faire avancer les travaux de révision des coûts-plafonds commencés en 2019. En effet, mes interlocuteurs au sein des collectivités territoriales comme de la gendarmerie nationale m'ont confirmé que la formule actuelle de fixation des loyers versés par la gendarmerie nationale n'était plus adaptée aux coûts réels supportés par les collectivités.

Or la gendarmerie se trouve dans une phase d'extension de son parc locatif pour répondre à l'installation des 200 nouvelles brigades prévues par la loi du 24 janvier 2023 d'orientation et de programmation du ministère de l'intérieur (Lopmi). Pour éviter les risques de blocage de certains projets de construction de caserne du fait de conditions financières déséquilibrées, les travaux de révision des coûts-plafonds doivent être rapidement conclus.

Enfin, troisièmement, j'invite le ministère à réitérer annuellement l'exercice d'identification des situations immobilières d'urgence à traiter en priorité, alors que certaines sont reportées depuis les années 1980... En 2020, le plan « poignées de porte » avait permis 1 700 opérations de travaux courants. Toutefois l'amélioration du quotidien de nos gendarmes est un travail de longue haleine et il est souhaitable que cette démarche soit systématisée pour assurer un suivi transparent de ces investissements.

Le redressement de la situation bâtimentaire de la gendarmerie est une responsabilité collective et il nous appartient d'engager une dynamique de réinvestissement.

M. Jean-François Husson, rapporteur général. -Là où la situation bâtimentaire est dégradée, on observe un fort turnover des gendarmes, qui font parfois tout pour se sauver au plus vite... Dans certains territoires éloignés des villes, les gendarmeries sont souvent plus petites, avec un fort besoin d'investissement. Or, pour rénover, il y a besoin de recourir au locatif, mais les organismes HLM n'ont pas toujours de réponse. Nous sommes donc dans une impasse.

Nous sommes à la croisée des chemins entre une compétence complètement régalienne - et la gendarmerie a intelligemment réorganisé sa présence territoriale et ses moyens - et une compétence partagée. J'entends ce que vous dites sur les marchés de partenariats. Sur la question des loyers, le délai de neuf ans sans renégociation peut être bloquant et c'est une question qu'il faudra retravailler. L'État dispose d'institutions financières comme la Caisse des dépôts et consignations (CDC) avec lesquelles nous pourrions par ailleurs échanger.

Puisque nous parlons d'un bras armé, il serait logique que la CDC, la banque des territoires, soit aux côtés de la gendarmerie et des collectivités pour trouver des solutions. Il est anormal de faire appel à des intercommunalités, qui sont hors de leur champ de compétences, alors qu'elles croulent sous les responsabilités. Nous parlons d'une fonction régalienne ! À l'inverse, lorsque les casernes sont récentes, les gendarmes restent davantage, même dans des territoires a priori peu attractifs. C'est gagnant-gagnant.

Il fut un temps où le PPP s'est fait aux dépens des collectivités. Les investisseurs prennent leurs marges de sécurité.

M. Marc Laménie. - Merci à Bruno Belin pour son travail d'investigation. Dans bien des départements - notamment celui des Ardennes, dont je suis issu -, la gendarmerie est la première force de sécurité. Majoritairement, les casernes sont locatives, souvent la propriété des conseils départementaux. Pour de petits travaux de maintenance, comme en plomberie, cela entraîne une forte complexité et des délais de plusieurs mois.

Comment sont organisées les créations de nouvelles gendarmeries ? Interrogé par le préfet, j'appelais plutôt à compléter les effectifs des brigades existantes dans les territoires ruraux, où il manque trois gendarmes en moyenne. Construire de nouvelles casernes aggravera la situation et augmentera encore le patrimoine immobilier, souvent en mauvais état.

Je prends enfin l'exemple de la centrale nucléaire de Chooz - le département de Bruno Belin, la Vienne, en a une aussi -, laquelle a besoin d'un peloton spécialisé de protection de la gendarmerie (PSPG). La commune d'accueil de la centrale, de 1 000 habitants, en a financé la totalité, pour une construction dans un temps record, de qualité exceptionnelle...

Mme Sylvie Vermeillet. - Quant au sous-investissement chronique, le constat est-il le même partout ? Dans mon département du Jura, mais aussi dans le Doubs, les communautés de communes, comme l'a rappelé le rapporteur général, ont pris à bras-le-corps le problème du sous-investissement. C'était pire il y a quinze ans. C'est grâce à elles que nous avons beaucoup de casernes neuves. Le pas a été franchi. Y a-t-il plus d'urgence dans certains territoires ?

M. Stéphane Sautarel. - Je souscris moi aussi aux recommandations de notre collègue, notamment sur le recours aux financements innovants. Le casernement maintient une population sur le territoire. C'est parfois le dernier service public à le faire, d'où une exigence d'investissement et de qualité de l'accueil - ce n'est pas toujours le cas dans le plan des 200 nouvelles brigades. Le Cantal, mon département, doit recevoir une brigade fixe et une brigade mobile. Or l'implantation de la première dépend de l'apport de foncier par la commune d'implantation et de l'engagement de l'opérateur HLM sur le montage foncier. Travailler sur le blocage des loyers est indispensable.

Enfin, seulement 18 millions d'euros ont été consacrés à l'acquisition et la construction de nouvelles gendarmeries à l'échelle nationale : le confirmez-vous ? Ce montant démontre la situation de carence absolue dans laquelle nous sommes.

M. Grégory Blanc. - Je remercie à mon tour le rapporteur spécial et souscris à ses recommandations. Ce qui met nos territoires en tension est la demande aux collectivités locales d'assumer de plus en plus des compétences liées aux fonctions régaliennes de l'État, dans un moment d'illisibilité. Le Beauvau de la sécurité n'a pas été à son terme, et l'État demande aussi aux communes d'assurer davantage de missions de police municipale. Les communes doivent payer l'immobilier de l'État et assurer davantage la tranquillité publique, voire exercer des missions de police judiciaire !

Il y a donc besoin de clarification sur la question fondamentale de l'ordre public et républicain. Il faut évoquer l'immobilier dans cet indispensable grand débat, car l'incompréhension contribue à la situation actuelle.

Je rejoins Sylvie Vermeillet : dans mon département de Maine-et-Loire, il y a quinze ans, le grand plan de la société publique locale d'aménagement, dont la CDC est actionnaire, a bien fonctionné et couvert tout le territoire. Depuis la fin du plan, ce sont les communes qui portent les projets, avec des plans d'investissement non couverts par les loyers. Dans mon canton, il y a un projet d'implantation d'une prison en zone gendarmerie. La commune devra assumer les coûts, conséquents, d'implantation de la gendarmerie correspondante, sans réponse de l'État. Or il y va de l'acceptabilité par la population de la prison elle-même ! Certains, toujours les mêmes, devront payer pour l'ensemble des autres.

M. Michel Canévet. - Je partage les recommandations de Bruno Belin, qui s'illustrent aussi dans le Finistère. Sur le PPP, je rappelle le cas de l'ensemble Fontenoy-Ségur, l'État récupérant trente ans après la propriété du bâti. Votre recommandation n° 1 va-t-elle en ce sens ?

Sur la recommandation n° 7, privilégiez-vous une spécialisation pour la gendarmerie ou une mutualisation des moyens consacrés aux bâtiments de l'État ?

L'obligation d'habiter en caserne soumet certains militaires à la taxe d'habitation sur les résidences secondaires (THRS). Ne peut-on envisager une dispense ?

Mme Marie-Claire Carrère-Gée. - J'ai moi aussi un doute sur le recours aux marchés de partenariat pour financer des services au coeur du régalien. Cela a pu être fait par le passé, y compris pour financer des prisons, mais j'ai une réserve de principe, sachant que cela coûte parfois plus cher in fine.

Sur la recommandation n° 2, relative à la révision des coûts-plafonds, j'ai consulté le décret de 2016 : les montants initiaux font l'objet de mécanismes de revalorisation annuelle. Cette indexation est-elle insatisfaisante ?

Mme Christine Lavarde. - J'ai écouté cette communication avec beaucoup d'intérêt, étant membre du Conseil de l'immobilier de l'État.

Depuis la séparation des zones police et gendarmerie, la gendarmerie n'utilise plus certains bâtiments - c'est le cas d'un édifice désaffecté dans ma ville. Quelle est la politique menée pour ce type de bâtiments ?

S'agissant des locaux qui sont propriété de la gendarmerie, comment est perçue la création de la foncière d'État ?

Les crédits d'investissement du ministère font-ils partie des crédits gelés, c'est-à-dire des crédits qui sont bien visibles dans Chorus, mais ne peuvent être consommés ? Si oui, quel niveau représentent-ils pour 2024 ?

M. Bernard Delcros. - Votre rapport fait écho à ce que nous vivons dans les territoires. J'ai visité des gendarmeries quasi insalubres, certains gendarmes devant parfois être logés à l'extérieur, ce qui pose la question de l'offre locative locale...

Pour redresser la situation, avez-vous évalué le montant annuel nécessaire, qu'il soit sous forme de PPP - je relève les réserves de mes collègues -, de loyer ou de remboursement d'emprunt ?

M. Raphaël Daubet. - Je m'interroge sur la conduite des projets, complexes, contraignants. L'inertie administrative aggrave le sous-investissement chronique. À Souillac, un projet de construction de gendarmerie est envisagé depuis dix ans, dont la première pierre n'a pas été posée... N'y a-t-il pas un enjeu d'assistance à la maîtrise d'ouvrage ou d'opérationnalité ?

Mme Isabelle Briquet. - Votre rapport reflète notre vécu dans l'ensemble des territoires. Sur la recommandation n° 2, les échanges avec la DGGN et la direction du budget révèlent-ils une nécessité de réviser les coûts-plafonds ? Sur le terrain, cela remet en effet de nombreux projets en cause, entre les exigences de la gendarmerie et les capacités des organismes HLM et des collectivités. Le surcoût par rapport aux projets classiques doit se traduire dans les loyers. Or beaucoup d'organismes ne donnent pas suite.

M. Bruno Belin, rapporteur spécial. - Je vous appelle à visiter vos gendarmeries sur le terrain, accompagnés de la presse quotidienne générale : leur état est souvent lamentable, parfois scandaleux. Nous avons observé un peloton motorisé abrité dans un bâtiment exigu au bord d'une autoroute sans sanitaires différents pour chaque sexe, dans lesquels tout le monde était reçu dans la même pièce, y compris pendant le covid. Une deuxième ou troisième personne en garde à vue ne dispose pas d'un lieu de sûreté adapté, en 2024, dans la sixième puissance mondiale !

Nous avons vu des gendarmerie sans aucun gendarme ! Ainsi, une ville de 1 000 habitants est sans couverture. Les conjoints de gendarmes commencent à faire passer des messages, relevant par exemple l'absence d'eau chaude. Les gendarmes sont souvent logés ailleurs, louant à leurs frais une maison à dix minutes du village...

Tirons une cartouche politique : à Dijon, un règlement intérieur non écrit prévoit que les gendarmes ne lèvent pas les volets avant 7 heures du matin et ne les abaissent pas après 22 heures. Ils doivent limiter l'usage des interrupteurs et des toilettes dans certains créneaux horaires - en 2024, à Dijon, en France. Le gendarme lui-même, par discipline, ne dit rien.

À Satory, avec l'élite de la gendarmerie, les centaures et le groupe d'intervention de la gendarmerie nationale (GIGN), nous n'avons pas les moyens de nos ambitions. Si l'on veut des gens compétents, disponibles, qui vivent bien avec leur famille, il faut répondre aux questions d'immobilier. Le guide Michelin des gendarmeries est déplorable... Cela joue sur les mutations. Pour votre information, nous avons intégré dans le rapport d'information une carte régionale sur l'état bâtimentaire des casernes.

Je confirme le montant de 400 millions d'euros identifiés comme les investissements annuels nécessaires pour assurer le maintien en état du parc domanial, mais c'est surtout l'état de la gendarmerie qui pose question. Pour le gel, Christine Lavarde, je confirme que le budget immobilier de la gendarmerie entre bien dans le périmètre des crédits qui sont gelés en début d'année par le responsable de programme. Cependant, je ressens une forte bonne volonté de la gendarmerie pour apporter des réponses.

J'ai moi aussi, comme président de département, expérimenté des PPP. Dans le périmètre de la gendarmerie, le siège de la DGGN à Issy-les-Moulineaux est une belle réussite de PPP.

Les immeubles vides sont géré par les services du domaine, c'est-à-dire la direction de l'immobilier de l'État, qui s'efforce de les valoriser.

Sur les nouvelles gendarmeries, il n'y a pas d'argent pour construire de nouvelles casernes domaniales ! Nous avons auditionné le maire de Dompierre-sur-Mer, près de la Rochelle, où une brigade est annoncée : c'est à lui de trouver le capital pour investir, de demander au département... On bascule la responsabilité sur les collectivités. Les élus, de bonne volonté et réactifs, se révèlent agiles. Cependant, les offices HLM, très ponctionnés voilà quatre ou cinq ans, sont désormais plus réservés et attendent un accord des conseils départementaux, dont il est inutile de rappeler l'état...

Du fait du zéro artificialisation nette (ZAN) et des plans locaux d'urbanisme intercommunaux (PLUi), les élus se tournent vers l'existant. Sur les 90 projets de la première vague prévus pour 2027, on pourra compter ceux qui sont achevés sur les doigts de la main...

La foncière de l'État est une bonne idée. Tant que les gendarmes seront de bonne volonté et dans la discipline militaire, cela se passera bien. Mais l'exemple de Dijon, où les familles ne peuvent aller aux toilettes après 22 heures, ne sera pas tenable longtemps...

Nous avons donc une responsabilité collective face à ce sous-investissement. Pour accompagner cette force indispensable, il faut lui apporter une publicité, des crédits et des moyens !

Mme Isabelle Briquet. - Sur la recommandation n° 1, je reste réservée quant au recours aux partenariats public-privé.

La commission adopte les recommandations du rapporteur spécial et autorise la publication de sa communication sous la forme d'un rapport d'information.

Contrôle budgétaire - L'aide alimentaire - Communication

M. Claude Raynal, président. - Nous poursuivons par une communication de nos rapporteurs spéciaux sur la mission « Aide publique au développement », relative à l'aide alimentaire.

M. Raphaël Daubet, rapporteur spécial. - En tant que rapporteurs spéciaux de la mission « Aide publique au développement », Michel Canévet et moi-même avons choisi de poursuivre le travail de contrôle engagé avec mon prédécesseur Jean-Claude Requier sur l'aide alimentaire au sein de notre politique de développement, et ce pour deux raisons principales.

La première raison tient à l'actualité : la crise sanitaire liée au covid-19 et l'agression russe contre l'Ukraine ont profondément dégradé la sécurité alimentaire dans le monde. Cela exige un effort important de la part des grands États donateurs, dont fait partie la France.

La seconde raison tient à la situation budgétaire propre à la mission « Aide publique au développement ». Le total des crédits consacrés à l'aide au développement dans le budget de l'État a plus que doublé entre 2017 et 2024, pour atteindre environ 15 milliards d'euros. Si cet effort honore la France, le contexte budgétaire incertain renforce notre obligation de veiller à l'efficience de la dépense publique. C'est pourquoi nous cherchons à mieux évaluer notre politique d'aide au développement, comme nous le faisons pour n'importe quelle autre politique publique. Nous poursuivrons d'ailleurs cette démarche à la rentrée, puisque la Cour des comptes devrait remettre prochainement à la commission des finances une enquête 58-2 sur les contributions de la France en matière d'aide multilatérale.

Si les définitions peuvent varier selon les organisations internationales, nous estimons que l'aide alimentaire correspond à une action d'assistance alimentaire visant, à court terme, à garantir l'accès à une alimentation suffisante et sûre en période de crise alimentaire et, à moyen et long termes, à renforcer la résilience des populations des pays affectés par l'insécurité alimentaire.

L'aide alimentaire peut prendre différentes formes : traditionnellement, elle visait à écouler les surplus de production agricole des pays développés ; de nos jours, elle s'exerce de plus en plus sous la forme de transferts financiers. Pour prendre un exemple récent, à Gaza, le Programme alimentaire mondial (PAM) fournit aux habitants des bons d'achat auprès de boulangeries agréées.

Ces éléments de définition étant posés, permettez-moi de revenir un instant sur la situation alimentaire mondiale. Les Nations unies estiment que 735 millions de personnes ont souffert de la faim en 2022, soit 9,2 % de la population mondiale. L'insécurité alimentaire est plus particulièrement concentrée en Afrique, où se situent la majorité des pays les moins avancés (PMA) et où 20 % de la population est touchée par la faim. Il s'agit également de la région où la faim a le plus progressé au cours des dernières années, le nombre de personnes touchées ayant augmenté de plus 48 % entre 2015 et 2022.

Trois facteurs principaux contribuent au déclenchement de crises alimentaires.

Premièrement, les crises géopolitiques et les conflits déstabilisent les systèmes agricoles et l'approvisionnement des pays concernés. Les cinq pays et territoires en situation de crise alimentaire majeure en 2023 - la bande de Gaza, le Burkina Faso, le Mali, la Somalie et le Soudan du Sud - connaissent un niveau de conflictualité très élevé.

Deuxièmement, le changement climatique perturbe la production alimentaire des pays les plus vulnérables. La sécurité alimentaire de quelque dix-huit pays s'est dégradée en 2023 du fait d'aléas climatiques : sécheresse, feux, pluies intenses ou inondations.

Troisièmement, les chocs économiques peuvent limiter l'accès aux ressources alimentaires. Une forte inflation dans les pays en crise alimentaire réduit évidemment la disponibilité des ressources. En 2023, la dégradation du contexte économique a renforcé l'insécurité alimentaire dans vingt et un pays.

La dimension politique et géopolitique de cette question devient majeure. Il convient de reconnaître que la dimension politique de l'agriculture a été quelque peu oubliée en Europe cependant que des pays tels que la Russie, la Chine, le Brésil ou les États-Unis ne l'avaient pas perdu de vue, comme l'a souligné la représentante permanente de la France auprès de l'ONU à Rome, Mme Céline Jurgensen, lorsque nous l'avons rencontrée.

En réponse à la multiplication de ces crises alimentaires, les flux internationaux ont largement progressé depuis le début des années 2010. Si leurs estimations du total de l'aide alimentaire distribuée diffèrent, l'OCDE et la Convention de Londres s'accordent sur le fait que le montant de celle-ci a été multiplié par trois entre 2014 et 2022.

La comptabilisation de l'aide alimentaire demeure un exercice délicat. Nous avons constaté qu'il n'existe pas d'évaluation transversale de l'aide alimentaire de la France. Le ministère n'a pas été en mesure de nous fournir cette donnée. En reconstituant les dépenses effectuées en 2023, nous avons évalué le total de notre aide alimentaire à 347 millions d'euros. Si cette estimation est exacte, la France se situe plutôt en retrait par rapport à d'autres contributeurs : elle ne serait que le quatorzième contributeur d'aide alimentaire parmi les pays de l'OCDE. Au sein des pays européens, elle se classe après l'Allemagne, le Royaume-Uni et la Suède.

Pour autant, la France a accentué ses efforts, dans la mesure où l'aide alimentaire programmée (AAP), qui constitue le « noyau dur » de notre aide alimentaire, a été multipliée par cinq depuis 2019. Les personnes que nous avons auditionnées ont largement souligné la réactivité et l'agilité de la France, qui en font une exception à préserver absolument. Nous ne sommes pas les plus gros contributeurs, mais nous sommes certainement les plus réactifs. Or en matière alimentaire, le coût de l'inaction est toujours très supérieur à celui de l'action - il faut aller vite !

J'en viens maintenant aux canaux de distribution de notre aide alimentaire. Il existe un canal bilatéral et un canal multilatéral. J'évoquerai brièvement le premier et laisserai Michel Canévet présenter le second.

Sur le plan bilatéral, le principal constat que nous formulons est qu'il n'existe pas de guichet unique de l'aide alimentaire française. La direction générale de la mondialisation du ministère de l'Europe et des affaires étrangères dispose d'un instrument dédié, l'aide alimentaire programmée, mais d'autres instruments budgétaires contribuent à financer nos actions en la matière, notamment le fonds d'urgence humanitaire et de stabilisation (FUHS), géré par le centre de crise et de soutien (CDCS) et le fonds Minka, géré par l'Agence française de développement (AFD).

Cette dispersion de notre aide alimentaire bilatérale soulève de forts risques de chevauchements. Deux rapports demandés par le ministère de l'Europe et des affaires étrangères ont souligné ces risques, que nos auditions ont confirmés. Les projets financés sont similaires et les organisations de la société civile que nous avons interrogées ont du mal à distinguer les différents guichets.

Trois facteurs semblent expliquer ces redondances : premièrement, il n'existe pas de formalisation des mandats respectifs des différents instruments bilatéraux qui concourent à notre aide alimentaire ; deuxièmement, la hausse des enveloppes consacrées à l'aide alimentaire programmée et au fonds d'urgence humanitaire a multiplié les zones de recoupements ; troisièmement, la coordination entre ces différents instruments est largement perfectible.

En effet, l'AAP, le FUHS et le fonds Minka sont gérés par trois services différents. Il existait jusqu'en 2023 un comité interministériel de l'aide alimentaire. Si nous n'allons pas jusqu'à recommander de recréer une nouvelle instance, il nous parait au moins nécessaire que les services échangent davantage sur les priorités de notre politique d'aide alimentaire.

M. Michel Canévet, rapporteur spécial. - S'agissant de l'aide alimentaire française transitant par le canal multilatéral, le total des contributions multilatérales de la France aux organisations participant à la sécurité alimentaire représentait 252,93 millions d'euros en 2023, soit la majeure partie de notre aide en la matière.

Trois organisations spécialisées des Nations unies situées à Rome contribuent plus spécifiquement à la lutte contre la faim dans le monde : l'Organisation pour l'alimentation et l'agriculture (OAA/FAO), qui est spécialisée dans l'appui aux politiques agricoles et dans la coopération technique ; le Programme alimentaire mondial, qui est le principal opérateur d'aide alimentaire ; et le Fonds international de développement agricole (Fida), qui est centré sur l'appui au développement agricole et dont les modes d'intervention sont proches de ceux de l'Agence française de développement.

Dans le cadre de notre mission de contrôle, nous nous sommes rendus à Rome pour mieux comprendre le travail de ces trois agences et échanger avec ses différents responsables. Pour éviter d'être trop long tout en restant concret, j'aborderai plus en détail l'engagement de la France auprès du Programme alimentaire mondial, qui est de loin le premier opérateur international d'aide alimentaire, son budget s'élevant à 8 milliards d'euros.

Cette organisation dispose d'une expérience logistique et assure un soutien technique à l'ensemble des acteurs de l'aide humanitaire. Elle assure notamment la gestion du service aérien humanitaire des Nations unies (UNHAS), qui lui permet de transporter 900 tonnes de fret par mois. Le PAM nous a donné un exemple parlant de son action : il achète environ 399 tonnes de nourriture par heure, soit l'équivalent du poids de 266 hippopotames.

D'une part, la France a considérablement renforcé ses contributions à cette organisation, qui sont passées de 17,5 millions d'euros en 2018 à 167 millions d'euros en 2023, et par conséquent son influence au sein de celle-ci. En effet, son financement reposant uniquement sur des contributions volontaires, la position de donateur important offre de facto un contact privilégié avec l'agence. Dans le cadre du dernier accord de rotation des États au conseil d'administration du PAM, l'apport financier de la France lui a permis d'y siéger sept ans sur neuf.

D'autre part, la France s'est engagée auprès du PAM et d'autres acteurs multilatéraux sur de grandes priorités thématiques, à l'instar de la coalition mondiale pour l'alimentation scolaire, que la France préside avec la Finlande et le Brésil. L'alimentation scolaire est en effet un filet de sécurité sociale particulièrement utile aux bénéficiaires finaux : elle améliore la nutrition et la santé des enfants ; elle soutient le revenu des ménages en créant des emplois dans les cantines et en renforçant les marchés locaux ; et elle augmente le niveau d'éducation, notamment celui des filles.

L'engagement de la France sur un sujet aussi porteur a renforcé sa visibilité dans le domaine de la sécurité alimentaire, comme nous avons pu le constater au cours de nos échanges avec les ambassadrices du Brésil et de la Suisse auprès des agences onusiennes à Rome.

Par ailleurs, nous avons pu mesurer les efforts de la France au sein du système onusien pour renforcer la redevabilité des organisations internationales intervenant dans le domaine de la sécurité alimentaire. Nos contributions internationales reviennent à déléguer une politique publique à un opérateur international. Il paraît donc nécessaire de contrôler, en retour, le bon usage de ces financements et de valoriser cette action publique externalisée. En effet, si l'action de la France en faveur d'une meilleure recevabilité rencontre plus de succès auprès du PAM que de la FAO, d'importants problèmes de gouvernance et de transparence persistent au sein de cette organisation.

Nous avons également pu observer un déficit de coordination européenne au sein des instances de gouvernance des agences de l'ONU à Rome. Ce point avait déjà été soulevé dans un précédent rapport par nos collègues Vincent Delahaye et Rémi Féraud. Il nous apparaît nécessaire de faire progresser la coordination de l'action européenne au sein du système onusien de l'alimentation et de l'agriculture, l'Union européenne et ses États membres constituant le principal contributeur du PAM, auquel ils ont octroyé 2,6 milliards de dollars au total en 2023.

J'en viens aux recommandations qui découlent de nos travaux. Elles sont au nombre de treize - ce qui, je l'espère, ne sera pas de mauvais augure pour notre réunion - et se découpent en trois ensembles.

Les premières ont trait à la valorisation de l'effort français en matière d'aide alimentaire, qui est la condition du maintien d'un niveau élevé de celui-ci. Il nous paraît souhaitable que cette aide soit mieux identifiée au sein du total de notre aide publique au développement.

Ensuite, nous avons émis plusieurs recommandations portant sur les instruments bilatéraux contribuant à l'aide alimentaire de la France. Nous appelons à une clarification de leurs objectifs et à une meilleure coordination pour éviter les chevauchements.

Enfin, certaines recommandations font suite à notre déplacement à Rome auprès des organisations de l'ONU spécialisées dans l'aide alimentaire. Si nous estimons que le travail de ces agences est positif, en particulier celui du PAM, il nous semble indispensable que la France poursuive ses efforts en faveur d'une meilleure redevabilité et d'une plus grande transparence au sein de ces institutions.

Avant de passer aux questions, Raphaël Daubet et moi-même tenons à remercier chaleureusement de leur accueil et de la qualité de leur travail la représentante permanente de la France auprès de l'ONU à Rome, Mme Céline Jurgensen, qui s'est particulièrement impliquée dans ce déplacement, ainsi que ses équipes.

M. Jean-François Husson, rapporteur général. - L'aide publique au développement est toujours un sujet sensible au moment d'examiner le budget. Je remercie les deux corapporteurs d'avoir mis l'accent sur l'aide alimentaire, cela m'a rajeuni de cinquante ans, me renvoyant à une époque où nous allions dans les villages vendre des timbres pour lutter contre la faim dans le monde... Nous ne saurions rester sans réagir face aux carences alimentaires dans le monde.

Votre constat est préoccupant, et la complexité du schéma de l'aide alimentaire qui figure dans le rapport est éloquente. Faute d'une vision consolidée, à 360 degrés, les coûts s'additionnent de manière vertigineuse. Cela contrevient à l'esprit de responsabilité auquel nous aspirons s'agissant de la dépense publique. Cela vaut tant à l'échelle de la France qu'à celle des instances internationales.

J'espère que vos recommandations permettront d'améliorer la situation et d'aboutir à une dépense publique mieux ciblée. Lorsque le sujet ne manquera pas d'être remis sur la table au moment de l'examen du budget, nous devrons nous montrer précis pour convaincre que nous pouvons réaliser des économies sans nuire à notre efficacité.

M. Bernard Delcros. - Je remercie les rapporteurs spéciaux pour ce rapport très précis et intéressant.

La France est un contributeur important à l'aide publique au développement. Des chiffres ont été évoqués, mais quelle est précisément la place de l'aide alimentaire dans cette contribution ?

Par ailleurs, les collectivités territoriales participent de plus en plus à l'aide publique au développement. Est-ce également le cas pour l'aide alimentaire et, le cas échéant, dans quelles proportions ?

Enfin, quel est le coût de gestion des organisations internationales de l'aide alimentaire ?

Mme Isabelle Briquet. - Merci à nos deux rapporteurs d'avoir réalisé un rapport sur ce sujet complexe et foisonnant.

Je partage l'objectif d'une meilleure coordination avec l'Agence française de développement, qui pilote l'aide au développement. Nous voyons bien que l'aide alimentaire n'est qu'un petit morceau de l'aide publique au développement. Il convient de distinguer ce qui relève de l'urgence et ce qui relève du long terme, notamment les actions pensées en aval pour que les pays puissent aider directement leur population.

Toutefois, je m'interroge sur un point de détail de la recommandation n° 3 : quelle est la nuance entre l'aide alimentaire programmée et l'assistance alimentaire programmée ?

Mme Christine Lavarde. - Quelle forme prend l'aide alimentaire ? Est-ce essentiellement des conteneurs remplis de denrées provenant des pays donateurs ou des flux financiers qui sont ensuite injectés dans l'économie locale, ce qui, en plus d'apporter des calories aux habitants, permet au système économique de vivre ?

Par ailleurs, l'aide alimentaire vise-t-elle à adapter les agricultures locales des pays receveurs pour qu'ils produisent eux-mêmes plus de denrées ? Comment la France lie-t-elle ce sujet aux actions de l'AFD ?

Enfin, la question des réfugiés est gérée par un autre versant de l'ONU, le Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés (HCR), ce qui peut avoir pour conséquence que les déplacés finissent par vivre mieux que la population endogène, car ils bénéficient de per diem en dollars alors que la monnaie locale s'effondre. Les responsables des organisations internationales que vous avez rencontrés ont-ils évoqué ce sujet ?

M. Thierry Cozic. - Vous avez mentionné les cinq pays d'Afrique les plus dans le besoin. Comment s'organise l'aide alimentaire avec ces pays ? Nous savons que la France a plutôt mauvaise presse dans certains d'entre eux. Cela remet-il en cause le niveau de l'aide alimentaire que nous leur apportons ?

M. Claude Raynal, président. - L'aide publique au développement est souvent abordée sous un prisme très simple : il s'agit de la seule dépense publique que nous pouvons diminuer sans que cela ait un impact sur la croissance. Qu'en pensez-vous ?

M. Michel Canévet, rapporteur spécial. - Monsieur le rapporteur général, la complexité des dispositifs nous a également frappés. Cela appelle à une meilleure coordination, pour que notre action nationale soit cohérente. C'est l'objet de l'une de nos recommandations. De même, il est souhaitable de simplifier les dispositifs. Plusieurs ONG nous ont indiqué que la multiplication des portes d'entrée ne leur permettait pas de s'y retrouver.

Je suis également d'accord sur la nécessité d'utiliser les moyens de l'aide publique au développement de la manière la plus efficiente possible, indépendamment du niveau des crédits consentis. Si nous avons proposé lors de l'examen du dernier projet de loi de finances de réduire ces crédits, c'est parce que nous avions constaté que nous n'étions pas capables de bien les consommer dans leur ensemble. Il vaut mieux inscrire des objectifs ciblés plutôt que de surconsommer des crédits. Par ailleurs, l'annulation de crédits opérée en 2024 a finalement été plus élevée que l'effort que nous proposions.

Notre contribution à l'aide alimentaire représente environ 350 millions d'euros. Nos contributions internationales au profit d'organisations intervenant en matière de sécurité alimentaire s'élèvent à 252 millions d'euros, sur un total de 15 milliards d'euros d'aide publique au développement, qui concerne également les prêts que nous accordons.

En ce qui concerne les collectivités territoriales, elles interviennent en effet sur l'aide alimentaire. L'AFD peut d'ailleurs leur accorder des crédits pour mener leurs projets en la matière. Toutefois, nous ne disposons pas d'évaluation sur cette question.

Le coût de gestion des organisations internationales demeure une interrogation. C'est pourquoi nous avons demandé à la Cour des comptes un rapport sur les organisations multilatérales, qui devrait nous être remis à la rentrée. Nous savons toutefois que les coûts de gestion du PAM s'élèvent à 6,5 %, ce qui en fait sans doute l'une des organisations internationales où ils sont le moins élevés. Il convient de veiller à réduire au maximum ces coûts pour que les crédits que nous consacrons à l'aide internationale soient perçus par ceux qui en ont effectivement besoin.

Pour répondre à l'interrogation de Mme Briquet sur le sigle AAP, nous avons tenu à conserver celui-ci car il est connu par les acteurs. Mais, estimant que notre action ne doit pas se réduire à des aides matérielles et financières, et que nous devons soutenir et accompagner les acteurs sur le terrain dans une logique de résilience et non plus seulement d'urgence, nous avons jugé le mot « assistance » plus approprié que le mot « aide ».

M. Raphaël Daubet, rapporteur spécial. - Notre aide publique au développement prend essentiellement la forme de flux financiers, et non de conteneurs remplis de denrées. Cela permet de contribuer au développement local, comme l'a souligné Michel Canévet. Les organisations internationales privilégient les flux financiers dès lors que les systèmes productifs agricoles et les systèmes logistiques sur place permettent de fournir les denrées alimentaires nécessaires.

Monsieur le rapporteur général, nous pensons que le besoin de clarification passera certainement par le nexus des trois temps de l'aide alimentaire. Le premier temps est la gestion de la crise, durant laquelle les denrées alimentaires doivent être fournies en urgence. Le second temps est celui de la résilience, c'est-à-dire la reconstruction des moyens de productions agricoles. Le troisième temps est le développement et le soutien à l'agriculture - en cela, je réponds à la deuxième question de Christine Lavarde.

Le terme d'« assistance » traduit mieux cet aspect que celui d'« aide ». La clarification des dispositifs et des organisations internationales passera aussi par l'identification de ces temps, pour y répondre de manière coordonnée.

Nous avons effectivement abordé la question des réfugiés avec nos interlocuteurs, dans la mesure où les populations déplacées provoquent malheureusement des crises alimentaires dans les pays riverains. Nous le voyons actuellement dans le cas du Soudan du Sud et de l'Éthiopie. Les déplacements de réfugiés peuvent aggraver les crises alimentaires. Il s'agit d'un sujet important.

M. Michel Canévet, rapporteur spécial. - J'imagine, monsieur Cozic, que vous pensiez particulièrement aux pays du Sahel - Niger, Mali et Burkina Faso - dans votre intervention. Le sentiment anti-français s'y est développé et la France a mis fin à ses actions d'aide au développement à l'exception des actions d'aide humanitaire. Le Mali est le seul pays à avoir refusé toute forme d'aide. En revanche, les actions internationales se poursuivent, et ces pays continuent d'être soutenus par le Programme alimentaire mondial.

Sur l'invitation de Bruno Belin, qui est le président du groupe d'amitié France-Afrique de l'Ouest, nous avons reçu le directeur général de l'Agence française de développement, qui nous a dit que les liens étaient renoués avec les pouvoirs en place au Mali et étaient en passe de l'être avec les dirigeants du Burkina Faso pour faire en sorte que la France intervienne de nouveau. En tout état de cause, une rupture très claire de nos liens avec ces pays est intervenue.

Claude Raynal a évoqué l'impact des crédits de la mission sur la croissance. Il y a un intérêt direct de la France sur l'ensemble de ces dispositifs. Avec la délégation sénatoriale aux entreprises, j'ai visité voilà quelques années l'entreprise Nutriset en Normandie, qui produit des éléments nutritifs pour les pays en développement. Il y a dix jours, j'ai visité le groupe agroalimentaire coopératif Even dans le Finistère, dont une partie de la production laitière est destinée aux pays en développement. Le PAM achète pour environ 88 millions de dollars par an de produits français pour acheminer directement des denrées alimentaires dans les pays qui en ont besoin.

L'aide alimentaire contribue à la croissance des pays en développement. Les dispositifs du PAM, du Fida et de la FAO reposent sur la mise en place de systèmes de production locaux. C'est le cas pour la distribution de repas dans les écoles, que j'ai évoquée, visant à encourager la scolarisation des enfants, mais permettant également de développer l'économie locale.

La commission adopte les recommandations des rapporteurs spéciaux et autorise la publication de leur communication sous la forme d'un rapport d'information.

Contrôle budgétaire - L'efficacité de la commande publique dans l'enseignement supérieur - Communication

M. Claude Raynal, président. - La dernière communication de la matinée est celle de notre collègue Vanina Paoli-Gagin, rapporteur spécial de la mission « Recherche et enseignement supérieur », sur l'efficacité de la commande publique dans l'enseignement supérieur.

Mme Vanina Paoli-Gagin, rapporteur spécial. - J'ai souhaité consacrer mon travail de contrôle budgétaire pour 2024 à la commande publique dans les universités. Ce sujet n'avait à ma connaissance jamais été documenté de façon synthétique, bien que la Cour des comptes consacre fréquemment quelques lignes aux achats publics dans ses rapports d'évaluation consacrés aux universités.

La commande publique est régie dans les établissements d'enseignement supérieur par les dispositions générales applicables à l'État et à ses opérateurs. En conséquence, mes travaux n'avaient pas pour enjeu le droit de la commande publique, mais la façon dont les universités gèrent leurs achats.

Mon premier objectif était de déterminer le montant global des achats effectués par les universités. Malheureusement, il est rapidement apparu que cet exercice serait loin d'être une formalité.

En effet, il n'existe pas de système d'information commun à tous les établissements permettant d'agréger les données relatives à leurs achats au niveau national. Cela ne constitue pas une surprise. Dans mon contrôle budgétaire portant sur la loi du 8 mars 2018 relative à l'orientation et à la réussite des étudiants (ORE), j'avais constaté à quel point le ministère souffrait d'un manque cruel de systèmes d'information aptes à consolider les données budgétaires au niveau national. Nous payons à mon sens aujourd'hui le péché originel d'avoir accordé l'autonomie aux universités sans avoir précédemment veillé à mettre en place des outils informatiques permettant au ministère d'exercer son rôle de tutelle. L'autonomie des universités est une bonne chose, mais elle ne doit pas déboucher sur une absence de contrôle.

En outre, les universités ne remplissent pas toujours leurs obligations réglementaires de transmission des informations relatives au montant et au volume de leurs achats à l'administration. La direction des achats de l'État (DAE) indique que seules 60 % des universités soumises à l'obligation de déclaration de la programmation de leurs achats ont transmis ces éléments à Bercy.

Dès lors, toute estimation du montant global des achats dans les universités ne peut être qu'approximative. La DAE estime que le total des achats des universités s'élève à 2,5 milliards d'euros par an. Cette évaluation paraît déjà importante : les universités représenteraient ainsi 1,4 % du montant total de la commande publique.

Le ministère de l'enseignement supérieur, quant à lui, évoque des montants annuels de l'ordre de 10 milliards d'euros. Mais ces chiffres doivent être pris avec la plus grande circonspection : les données de certaines universités sont manquantes, certaines valeurs paraissant aberrantes tandis que d'autres reflètent une évolution du simple au triple d'une année sur l'autre.

Dans ces conditions, il va sans dire que le ministère de l'enseignement supérieur n'est pas en mesure de tenir compte du montant des achats dans le mode de calcul des subventions pour charges de service public (SCSP) des universités.

Plus problématique encore, le manque de système d'information consolidé au niveau national reflète l'absence de véritable système d'information « achat » au sein de chacune des universités. Faute d'outils adaptés, les universités ont peu de leviers d'actions pour piloter leurs achats : les efforts doivent porter en priorité sur cet aspect.

Les universités ont recours de façon importante à des centrales d'achats, pour un volume total de près de 10 % du total de leurs achats. Deux centrales se partagent plus des deux tiers des achats mutualisés des universités. La première est l'Union des groupements d'achats publics (Ugap), qui regroupe la moitié des achats passés par les universités, soit 158 millions d'euros par an.

Établissement public, l'Ugap s'est presque vantée de ne pas recevoir de subvention pour charges de service public. Elle se rémunère par une marge prélevée sur les marchés mis à disposition des opérateurs publics ainsi que par une contribution des fournisseurs. Pour les établissements publics d'enseignement supérieur, ce taux de marge varie en 2023 entre 2,6 % pour les véhicules et 6,3 % pour le mobilier.

Quel gain les universités retirent-elles du recours aux services de l'Ugap ? La DAE ne dispose pas d'estimation précise. Elle n'a toutefois pas identifié de difficultés quant à la qualité des prestations fournies par la centrale d'achats. Cela dit, les différents opérateurs y ayant recours ont des appréciations variables sur la qualité du service rendu, même si la plupart soulignent le gain de temps qui en découle. En tout état de cause, la majorité des personnes auditionnées met en avant un manque de transparence de l'Ugap.

J'en viens maintenant au sujet de l'organisation des achats au sein des universités elles-mêmes. L'une des spécificités de l'achat public universitaire est la multiplicité et la diversité des structures internes qui passent des achats, au-delà des seules directions financières des universités. Chaque directeur de laboratoire ou d'unité mixte de recherche (UMR) est compétent pour ses propres achats. Dans une même université, vous pouvez donc avoir plusieurs centaines de prescripteurs d'achats sur lesquels les directions financières ne disposent d'aucun droit de regard.

Cette organisation a évidemment un impact sur la conception de la fonction « achat » et surtout sur la façon dont les enjeux de maîtrise budgétaire sont plus ou moins pris en compte. Les enseignants-chercheurs sont souvent peu informés des règles et des objectifs liés à la commande publique ; celles-ci sont parfois perçues comme un frein à l'activité de recherche. Or la professionnalisation de l'achat passe par la sensibilisation des instances de direction, et, au-delà, des enseignants-chercheurs, aux enjeux de l'achat, notamment en tant que source d'économies budgétaires.

L'organisation centrale est elle-même très variable selon les établissements, en fonction du degré de maturité de la fonction achats de l'université. Le plus souvent, les achats ne sont pas rattachés à une direction spécifique, mais intégrés à la direction des finances, signe d'une faible reconnaissance d'une fonction achat indépendante. Il me semble nécessaire de promouvoir la création dans la plupart des universités d'une direction des achats.

Par ailleurs, les universités privilégient souvent davantage la sécurisation juridique de leurs achats afin d'éviter tout risque contentieux, au détriment du gisement d'économies que ceux-ci peuvent potentiellement représenter : cela explique en partie le recours fréquent aux centrales.

En outre, le renforcement de la prise en compte de la performance de l'achat public dans les universités se heurte également à des difficultés de gestion des ressources humaines. Lorsqu'elles recrutent des acheteurs publics, les universités font face à la concurrence d'autres opérateurs de l'État et surtout à celle des collectivités territoriales, qui offrent des rémunérations plus élevées - l'écart pouvant aller jusqu'à 30 %.

J'en viens maintenant à un sujet particulièrement important : l'intégration dans les marchés passés par les universités des clauses environnementales et sociales, ainsi que des clauses sur l'achat local ou innovant.

La loi Climat et résilience a fixé à 2026, au plus tard, l'obligation d'intégrer dans tous les marchés publics une clause environnementale. Nous en sommes encore loin. Les clauses environnementales ne sont présentes que dans 30 % à 50 % des marchés des universités, selon les sources. Le ministère reconnait d'ailleurs l'insuffisante prise en compte par les universités des critères environnementaux dans la commande publique. Par ailleurs, seules 10 % des clauses de marchés passés par les universités en 2022 comportaient des obligations ayant trait à la responsabilité sociale des entreprises.

D'après la DAE, 47 % des achats réalisés par les universités le sont auprès de PME. Faute de cartographie globale, il est toutefois impossible de déterminer la part des achats réalisés auprès d'entreprises locales. S'agissant des achats dits innovants, entre 4 % et 18 % des achats réalisés par des universités le sont auprès d'entreprises innovantes : là encore, la situation est floue. Les universités doivent s'emparer pleinement de ces clauses spécifiques pour faire de leur commande publique un véritable outil de leur politique ; c'est une priorité.

Vous l'aurez compris : le constat d'ensemble est loin d'être entièrement positif, alors que la commande publique des universités s'élève à 2,5 milliards d'euros - ou 10 milliards d'euros, selon les sources. Certes, nous observons des progrès et une prise de conscience dans les universités, mais cela ne suffit pas.

Je formule donc neuf recommandations. Plusieurs ont trait à l'organisation interne des universités, avec la création de directions des achats, de référents performance des achats ou de systèmes d'information interopérables.

D'autres ont trait au contrôle exercé par la tutelle. Il me semble en particulier que les contrats signés entre l'État et les universités devraient contenir des indicateurs sur la performance des achats, voire des objectifs chiffrés d'économies. La tutelle doit davantage s'emparer de cette question.

Je ne serai pas plus longue sur ce sujet certes technique, mais qui, au-delà de son caractère parfois aride, soulève des questions beaucoup plus larges sur l'organisation des universités, sur la prise en compte des enjeux de performance des deniers publics, mais aussi sur l'impossibilité de disposer d'une vision d'ensemble en tant qu'élus de la nation. Faute d'outils de pilotage, l'État ne peut pas jouer son rôle de stratège.

Ce rapport a aussi été l'occasion de recueillir des témoignages de pratiques étranges dans le cadre d'achats publics, notamment en commandant plusieurs smartphones pour être sûr d'en recevoir au moins un. Il reste encore beaucoup à faire, car les inégalités sont manifestes entre les structures et les agents publics. Comment sortir de cette culture conduisant notamment certains à se prémunir d'une éventuelle privation de moyens à l'avenir ? Nous le constatons dans de nombreux domaines : notre pays souffre de ce type d'attitude. J'en appelle à vos initiatives.

M. Jean-François Husson, rapporteur général. - Je salue le travail de Vanina Paoli-Gagin, qui pose une question essentielle : comment faire évoluer la culture de la dépense dans notre pays ? Cela me rappelle quelques souvenirs liés à l'examen du dernier projet de loi de finances. Les rapports examinés ce matin en témoignent : dépenser l'argent public efficacement n'est pas un gros mot.

Un principe de base anime tout ou partie de nos assemblées lorsque l'on aborde la question des moyens des universités : jamais moins. Il nous est impossible d'entrer dans le détail des dépenses et les demandes qui remontent aux parlementaires peuvent se résumer ainsi : toujours plus. J'appelle chacun à la modération.

Je suis étonné par les écarts existant entre les différentes estimations en matière de commande publique des universités : la variable s'élève entre 2 et 10 milliards d'euros. Or, souvent, les hauts responsables du secteur nous font la leçon sur la qualité de la dépense publique. En outre, ils n'hésitent pas à tirer la sonnette d'alarme auprès des collectivités locales.

Je déplore l'absence de vision d'ensemble. Se mettre autour d'une table pour trouver des points de convergence est assez à la mode en ce moment. Pourquoi, d'ici à l'examen du prochain projet de loi de finances, ne pas essayer de traiter les sujets les plus irritants identifiés par les rapports de contrôle ? Ce serait déjà un pas dans la bonne direction. À la lecture de ce rapport, je constate que le chemin des économies n'est pas privilégié. Une partie de l'argent s'évapore : difficile de savoir dans ces conditions si certains crédits ne touchent pas réellement leur cible ou sont redondants.

Ces éléments sont particulièrement utiles pour le débat actuel. Nous devons nous en emparer pour formuler des propositions.

M. Michel Canévet. - Je remercie notre rapporteur spécial pour la qualité de ce rapport.

L'Ugap a été évoquée ; quelle est la seconde centrale d'achats ? L'importance de ces deux structures en matière de commande publique des universités est-elle similaire ?

Les dépenses relatives aux installations générales techniques et à l'entretien représentent, d'après la synthèse qui nous a été transmise, 27 % des dépenses en matière d'achat public universitaire. Comment se justifie ce montant élevé ?

La part des dépenses liées aux constructions s'élève à 40 %. L'amélioration thermique des bâtiments suppose sans doute des efforts considérables. Or les universités ne peuvent recourir à l'emprunt pour financer ces investissements. Dans ces conditions, comment peuvent-elles agir ?

M. Marc Laménie. - Les crédits de l'enseignement supérieur et de la recherche représentent l'un des premiers budgets de l'État. J'ai été surpris des propos concernant des pratiques contestables concernant certains achats : pourquoi gaspiller ainsi de l'argent ? Et pourquoi faut-il toujours plus de moyens ?

Comment mettre en oeuvre la quatrième recommandation du rapport, la création d'un poste de référent achats dans chaque université ?

La mission « Recherche et enseignement supérieur » fait appel à de nombreux opérateurs de l'État. Combien de personnes travaillent dans le domaine de la commande publique ? Comment mettre en place une mutualisation ?

Mme Ghislaine Senée. - Nous partageons le constat : nous devons réorienter les achats et la commande publique vers davantage de sobriété, qui n'est pas synonyme de moins de croissance. L'exemple des smartphones est à cet égard édifiant : il faut mesurer l'impact de telles pratiques sur les ressources de la planète.

L'enseignement supérieur, qui regroupe les universités et les grandes écoles, forme notamment nos cadres et notre élite. Il faut trouver un juste milieu : d'une part, permettre à ces institutions de poursuivre leurs missions ; d'autre part, identifier des leviers d'amélioration de la performance. Nous devons mener ce travail collectivement, au-delà de nos sensibilités politiques. Comment répartir l'effort, tout en continuant à investir dans l'enseignement supérieur ? Comme cela a été souligné, une plus grande transparence est nécessaire en matière de commande publique.

Mme Christine Lavarde. - La Cour des comptes a-t-elle déjà émis des observations sur le sujet ?

Le nombre important d'acheteurs dans les universités s'explique sans doute par le fait que les UMR disposent chacune de leur propre budget : ne faudrait-il pas revoir cette règle et modifier la gouvernance des universités ? En vue de faciliter les mutualisations, les UMR devraient être placées sous l'autorité d'une entité supérieure, sans budget propre.

Ce constat, formulé pour les universités, vaut aussi pour les grandes écoles disposant d'UMR en leur sein.

Mme Sylvie Vermeillet. - Merci pour ces constats, qui sont édifiants. La création d'une direction des achats au sein de chaque université ne risquerait-elle pas d'emboliser le niveau inférieur ? Certes, des contrôles sont nécessaires, mais nous devons veiller à maintenir l'agilité d'action des chercheurs.

Mme Vanina Paoli-Gagin, rapporteur spécial. - La seconde centrale d'achat à laquelle les universités font appel est l'Agence de mutualisation des universités et établissements d'enseignement supérieur (Amue). L'Ugap regroupe 36 % des achats effectués au travers d'une centrale d'achat ou par des marchés mutualisés, contre 20 % pour l'Amue.

Comme vous l'avez indiqué, 27 % des dépenses portent sur les installations générales, à savoir notamment la sécurisation et l'entretien des bâtiments : ainsi, près d'un tiers des achats publics concernent des dépenses de fonctionnement, ce qui laisse peu de marges de manoeuvre pour mettre en place des dispositifs innovants et pose la question de l'efficacité de la dépense publique.

L'autonomie des universités nous empêche malheureusement de disposer de chiffres consolidés sur le nombre d'agents affectés à la commande publique. Cela varie selon les universités : on compte 10,5 emplois en équivalent temps plein à Strasbourg, 18 à Aix-Marseille ou encore 16 à Lille.

La Cour des comptes formule des observations à l'occasion de ses travaux université par université. Là encore, nous nous heurtons à cette logique de puzzle : la dissémination des données et l'incapacité à les consolider posent problème ; dans ces conditions, comment accomplir correctement notre rôle d'élus ? En réalité, nous ne savons pas exactement sur quoi nous nous prononçons, ce n'est pas normal.

Les UMR disposent souvent d'un budget mixte, relevant à la fois de l'université et d'autres établissements de recherche, tels que le Centre national de la recherche scientifique (CNRS). Cela complexifie la grille de lecture et renforce encore davantage l'impression de flou que j'évoquais au début de mon intervention.

Mme Vermeillet a posé une excellente question : le mieux est souvent l'ennemi du bien - en France, c'est un adage que nous connaissons bien !

Lorsqu'elles existent, les directions des achats des universités interviennent uniquement à partir d'un certain seuil, pour les achats d'un montant supérieur à 40 000 ou à 90 000 euros. Mon objectif n'est bien sûr pas d'emboliser le système : je ne souhaite pas que les chercheurs soient contraints de solliciter la direction des achats lorsqu'ils ont besoin de matériel courant. Cela dit, la présence de telles directions au sein des universités améliore la gestion de la commande publique.

La commission adopte les recommandations du rapporteur spécial et autorise la publication de sa communication sous la forme d'un rapport d'information.

La réunion est close à 11 h 40.