Mardi 9 juillet 2024
Audition de Mmes Monique Legrand-Larroche, M. Bruno Jockers et Sylvie Perez, inspecteurs généraux des armées
M. Cédric Perrin, président de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées. - Nous recevons ce soir trois membres du collège des inspecteurs généraux des armées : les inspecteurs généraux des armées Monique Legrand-Larroche, Sylvie Perez et Bruno Jockers, pour évoquer les résultats de leur mission d'enquête sur les violences sexuelles et sexistes au sein du ministère des armées, dont le rapport a été publié le 10 juin dernier.
Les nouvelles dénonciations de ces violences ces derniers mois ont en effet décidé le ministre à commander une évaluation du dispositif existant, qui avait été mis en place en 2014.
Votre travail, Mesdames, Monsieur les inspecteurs généraux des armées, a d'abord consisté à circonscrire le phénomène. La cellule Thémis, chargée de recueillir les signalements de harcèlement sexuel, de violences sexuelles, d'outrages sexistes et de discrimination, a enregistré un triplement de son activité entre sa mise en place en 2014 et 2023, passant de 73 à 226 cas traités au sein des armées.
Mais le rapport pointe le manque de fiabilité des données de signalements collectées par le ministère, qui ne permettent pas de déterminer précisément « la prévalence des faits à combattre » ni de « déterminer si l'on se rapproche ou pas d'une réelle libération de la parole des victimes ».
Outre les difficultés de mesure, votre rapport évoque des « dysfonctionnements dans la détection des violences sexuelles et sexistes, des hésitations dans leur traitement, quand ce n'est pas une méconnaissance de ce qu'elles recouvrent ».
Cette méconnaissance a des effets sur la politique de sanction, puisque vous relevez une « disparité des sanctions disciplinaires », « des erreurs manifestes d'appréciation ». Vous pointez enfin l'emploi relativement faible des sanctions les plus lourdes. Vous nous direz néanmoins ce que l'on peut savoir de ces comportements, de leur évolution, et du profil type de leurs auteurs.
Vous nous préciserez sans doute dans quelle mesure, d'après la centaine de témoignages de victimes que vous avez recueillis, le phénomène revêt un caractère spécifique dans les armées. Le rapport évoque la « loi du silence propre à la communauté militaire », des « facteurs de risque propres au ministère des armées et aux métiers des armes », ou encore « une autorité plus forte qu'ailleurs qui, lorsqu'elle est en de mauvaises mains, facilite des situations de contrainte, d'emprise ou de harcèlement ». Faut-il en outre faire un sort particulier, selon vous, aux écoles militaires de formation initiale ?
La mission formule une cinquantaine de recommandations sur la prévention, la formation des autorités hiérarchiques, le circuit de signalement. Elle préconise aussi de redimensionner la cellule Thémis au sein d'un programme plus large et de recentrer son action. L'accompagnement des victimes dans leur parcours est également un aspect central sur lequel nous aimerions vous entendre.
Le ministère a produit le 28 juin une nouvelle instruction ministérielle sur la mise en oeuvre du nouveau programme de lutte contre les violences sexuelles et sexistes, complétant celle du 26 mars dernier. Vous nous direz ce que vous pensez des mesures qui y figurent et du calendrier de mise en oeuvre qu'elle prévoit.
Par ailleurs, je rappelle que notre commission a lancé une mission d'information sur l'attractivité du métier des armes, dans un contexte où les objectifs de recrutement n'ont pu être atteints en 2023, notamment dans l'armée de Terre. Cette tension sur le recrutement dans les armées rend encore plus pressante la nécessité d'apporter une réponse claire et efficace aux dysfonctionnements que vous avez pu identifier, sous peine de dissuader les jeunes femmes qui auraient vocation à choisir le métier des armes et d'aggraver encore les difficultés de recrutement de nos armées.
Enfin, je vous demanderai, Madame l'Inspectrice générale des armées, Monique Legrand-Larroche, de bien vouloir présenter le métier d'inspecteur général des armées pour ceux de nos collègues qui ne le connaissent pas.
Je cède à présent la parole à la présidente Dominique Vérien.
Mme Dominique Vérien, présidente de la délégation aux droits des femmes et à l'égalité des chances entre les hommes et les femmes. - Merci Monsieur le Président. Mesdames, Monsieur les inspecteurs généraux des armées, permettez-moi tout d'abord de saluer cette initiative partagée entre la délégation aux droits des femmes et la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées.
Le sujet de la lutte contre les violences sexistes et sexuelles est depuis de nombreuses années au coeur des préoccupations de la délégation aux droits des femmes du Sénat. Nous l'abordons dans toutes ses dimensions et le traitons dans le cadre de nombreux milieux professionnels. Mais nous jugeons indispensable que ce sujet ne soit pas cantonné aux seuls travaux de notre délégation. En effet, plus ce combat sera partagé, plus nous lutterons efficacement contre les violences sexuelles et sexistes dans la société tout entière.
C'est dans cette perspective que la délégation aux droits des femmes et la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées ont décidé de s'associer pour entendre le collège des inspecteurs généraux des armées, auteurs d'un rapport d'enquête sur les violences sexuelles et sexistes au sein du ministère des armées, qui a été rendu public le 12 juin 2024. Ce rapport avait été commandé par le ministre des armées, Sébastien Lecornu, en avril dernier, après la parution dans la presse de plusieurs témoignages de victimes.
Lors de la présentation de ce rapport, le ministre a réfuté le caractère systémique des violences sexuelles et sexistes au sein des armées, pointant l'existence de dérives individuelles. Ce rapport ne lui aurait pas plu. Le Canard enchaîné a même titré : « Un rapport non consenti » ! Mais l'ampleur systémique de ces violences ne se mesure pas seulement au nombre de cas constatés, elle se caractérise aussi par l'incapacité du système, dans son ensemble, et en l'espèce de l'institution militaire, à prendre ce sujet à bras le corps, à détecter ces violences et à en reconnaître la matérialité, voire la gravité.
De ce point de vue, le rapport de l'inspection des armées constitue sans nul doute une réelle avancée et, je l'espère, un tournant dans la prise en charge des violences sexuelles et sexistes au sein du ministère des armées. Il contient cinquante recommandations, déclinées en quatre axes : accompagner les victimes ; sanctionner les auteurs ; garantir la transparence ; prévenir les violences sexuelles et sexistes.
Ces cinquante recommandations ont un objectif principal : que plus aucune victime de violences ne soit inaudible, réduite au silence ou maltraitée par sa hiérarchie, comme cela a trop souvent été le cas. Au-delà, il s'agit que la commission de ces violences disparaisse du ministère des armées ! J'irai même jusqu'à dire qu'il est temps qu'une culture féministe infuse au sein de ce ministère.
Enfin, dans le contexte politique actuel, on peut s'interroger sur ce qu'il adviendra de ces cinquante recommandations et sur les moyens qui seront mis en oeuvre pour mieux prévenir les violences, sanctionner leurs auteurs et protéger les victimes.
Je vous propose de laisser sans plus tarder la parole aux inspecteurs généraux des armées, auteurs de ce rapport d'enquête, pour une présentation de leurs conclusions et de leurs principales recommandations.
Mme Monique Legrand-Larroche, inspectrice générale des armées. - Je commencerai par vous présenter le collège des inspecteurs généraux.
Nous sommes six inspecteurs généraux, issus respectivement de l'armée de Terre, de la marine, de l'armée de l'air et de l'espace, de l'armement, de la gendarmerie et du service de santé des armées. Nous sommes rattachés directement au ministre des armées et, à ce titre, totalement indépendants. Notre rôle est de répondre à toutes les demandes d'enquêtes ou d'investigations du ministre. Nous avons tous une grande expérience, variée, qui nous permet d'appréhender l'intégralité des sujets qui nous sont confiés.
M. Bruno Jockers, inspecteur général des armées. - La mission d'enquête qui nous a été confiée par le ministre des armées a fait suite à l'interpellation de la presse, mais surtout de victimes. Elle a été conduite en deux mois, du 12 avril au 11 juin, afin d'apporter une réponse rapide, forte et complète. Nous avons pour cela été conduits à faire le bilan de dix ans de lutte contre les violences sexuelles et sexistes au sein du ministère des armées, dix ans après le discours prononcé par M. Jean-Yves Le Drian, alors ministre de la défense.
Pour ce faire, nous avons rencontré et échangé avec la hiérarchie et l'ensemble des acteurs : le chef d'état-major des armées, les chefs d'état-major, la cellule Thémis, le service de santé des armées, des associations, des magistrats, le terrain, la Marine nationale, l'Académie militaire de Saint-Cyr Coëtquidan. Surtout, nous avons rencontré et écouté des victimes.
Je précise que lorsque nous parlons de violences sexuelles et sexistes, nous y incluons les violences faites aux hommes.
Les violences sexuelles et sexistes restent difficiles à dénoncer. Ainsi, 66 % des personnes ayant répondu à un sondage estiment que dénoncer de telles violences aurait un impact sur le déroulement de leur carrière. Ces violences sont sous-estimées, 226 cas ayant été recensés à l'échelle du ministère des armées, qui compte 270 000 personnes.
On note par ailleurs une surreprésentation des jeunes. En outre, 45 % des victimes sont des femmes militaires du rang alors qu'elles ne représentent que 4,5 % des effectifs ; 48 % des auteurs sont des hommes militaires du rang, alors qu'ils représentent 28 % des effectifs. Telles sont les caractéristiques de ces violences au sein du ministère des armées.
La mission d'enquête a voulu traiter trois symptômes : la peur du signalement, la disparité des sanctions, l'accompagnement des victimes, lequel est parfois défaillant. Pour cela, nous avons proposé un programme de lutte contre les violences sexuelles et sexistes. Ce programme doit être incrémental et évoluer au même rythme que la société et le droit.
Depuis 2014, les violences sexuelles et sexistes ont changé. Les réseaux sociaux n'avaient alors pas la même importance. De même, la notion de consentement n'était pas tout à fait perçue de la même manière. Il est donc essentiel de s'inscrire dans la durée et de mettre en place un véritable programme incrémental.
Nous avons formulé cinquante recommandations, qui ont toutes été validées par le ministre des armées et déclinées dans l'instruction ministérielle du 28 juin. Leur mise en oeuvre a débuté le jour même de la remise de rapport. Par ailleurs, un guide disciplinaire pour les situations de violences sexuelles et sexistes est en cours de finalisation, ainsi qu'un projet de convention avec une association de protection des victimes, La Maison des femmes.
Il s'agit d'accompagner les victimes, de sanctionner les auteurs, de garantir la transparence et de prévenir les violences sexuelles et sexistes, conformément aux axes fixés par le ministère il y a dix ans.
Mme Sylvie Perez, inspectrice générale des armées. - Le général Jockers l'a rappelé, le premier axe de nos recommandations concerne l'accompagnement des victimes.
Nous avons constaté une hétérogénéité dans la prise en compte et dans la prise en charge des victimes, tant en termes quantitatifs qu'en termes qualitatifs. Pour nos victimes, beaucoup de progrès restent à faire. Il faut pour cela changer de paradigme. Jusqu'à présent, le commandement, lorsqu'il était saisi, rencontrait la victime, à qui il proposait ensuite de rencontrer le ou les auteurs de violences. Nous préconisons de systématiser cette rencontre, le commandement ayant un rôle pivot à jouer. Il s'agit de ne pas laisser la victime s'orienter seule parmi les acteurs de la prise en charge et de faire en sorte que les acteurs se mettent en mouvement avec elle, voire à sa place si elle n'est pas en mesure de faire certaines choses.
L'institution a une forte responsabilité en matière de coordination. Elle doit accompagner la victime dans la durée, jusqu'à la réadaptation et la reprise de l'emploi ou, le cas échéant, la réinsertion pour les victimes qui ne pourraient pas reprendre le service. Cette logique est assez similaire à celle que nous avons mise en place pour la prise en charge des blessés.
Pour mettre en oeuvre cet axe, nous avons fait un certain nombre de propositions, que l'on peut présenter sous la forme de trois blocs, le premier concernant l'accueil des victimes.
Accueillir la victime requiert la mise en place d'un certain nombre d'actions. Il faut tout d'abord former le commandement à l'écoute des victimes. Il importe durant cette phase de ne pas avoir de réflexes malheureux susceptibles de compromettre le cheminement de la victime dans l'institution. Il faut ensuite former le commandement et les différents acteurs au cadre disciplinaire, sur lequel ils doivent avoir de solides connaissances. Il s'agit du guide des sanctions, mais aussi du cadre juridique applicable aux violences sexuelles et sexistes.
Par ailleurs, nous avons pensé qu'il était pertinent de permettre à la victime d'être accompagnée par un tiers de confiance qu'elle choisirait, soit parmi ses compagnons, soit parmi les gradés, afin de pouvoir être aidée et conseillée.
Enfin, il faut encourager le recours aux associations, soit celles qui promeuvent la mixité, qu'elles soient internes ou externes, soit celles qui sont spécialisées dans la lutte contre les violences faites aux femmes. Une synergie doit être trouvée entre l'institution et ces associations, certaines victimes ne souhaitant pas forcément que leur affaire soit traitée par des intervenants de l'institution.
Le deuxième bloc porte sur la prise en charge administrative de la victime, laquelle conditionne beaucoup de choses dans le parcours. Elle consiste en l'inscription des faits au registre des constatations de l'unité ou, si la victime est une civile, en une déclaration d'accident du travail. Ces démarches permettent de préserver les droits des victimes auprès de la sécurité sociale si des troubles venaient à apparaître après une agression, mais également de déclencher l'étude du lien au service. Cette étude est fondamentale parce qu'elle a des effets sur les droits à indisponibilité - je pense aux congés maladie en cas de besoin - et parce qu'elle ouvre la voie à une possible réparation.
Il convient également de former les équipes des centres médicaux des armées à l'accueil et à la prise en charge de victimes de violences sexuelles et sexistes. Enfin, il faut faire preuve de rigueur dans la traçabilité des actes réalisés au profit des victimes, afin d'assurer leur suivi strict et de préserver leurs droits. Le rôle du service de santé des armées est de conseiller, d'orienter la victime, et, si besoin, de la mettre en relation avec d'autres structures de soins.
Le troisième bloc concerne la protection. Le général Jockers reviendra sur la mise en oeuvre des mesures conservatoires ; pour ma part, j'insisterai sur la nécessité de favoriser et de faciliter le dépôt de plainte, éventuellement en accompagnant physiquement la victime dans sa démarche, qu'il conviendra de doubler au titre de l'article 40 du code de procédure pénale. Les victimes sont extrêmement sensibles à une telle démarche par le commandement, car elle signifie que ce dernier est de leur côté.
Il faut ensuite avoir une lecture bienveillante de la protection fonctionnelle et la faire demander systématiquement, afin de garantir la prise en charge des frais de justice et des frais annexes pour les victimes.
Par ailleurs, nous demandons, et une telle mesure est très simple à mettre en oeuvre, que les victimes ne soient pas sanctionnées pour des faits en lien avec l'agression signalée. Les violences sexuelles et sexistes survenant fréquemment dans des contextes de consommation toxique, légale ou illégale, il arrive que des victimes soient sanctionnées pour consommation de toxiques ou pour non-respect des règles de mixité, parfois même avant que l'agresseur soit pris en compte. Il faut faire preuve de bon sens et être raisonnable.
Enfin, il faut traiter le collectif. Ce n'est pas en cachant les choses qu'on améliorera la capacité à dénoncer dans notre institution. Il faut donc débriefer et examiner les responsabilités de la chaîne hiérarchique.
Telles sont les mesures que nous souhaitons mettre en place pour améliorer l'accompagnement des victimes par l'institution.
M. Bruno Jockers. - Le deuxième axe concerne la sanction des auteurs. Notre traitement disciplinaire n'a pas été suffisamment homogène, cohérent, explicite. Pour autant, ces disparités s'expliquent, et ce de deux manières.
Premièrement, selon des statistiques du ministère de la justice de mars 2018 portant sur 33 000 mis en cause dans des affaires de viols, d'agressions sexuelles ou de harcèlement sexuel, moins de trois mis en cause sur dix ont fait l'objet de poursuites, les autres ayant vu leur affaire classée sans suite pour infraction insuffisamment caractérisée ou pour absence d'infraction. Au sein du ministère des armées, on dénombre 184 signalements de violences sexuelles ou sexistes, 48 protections fonctionnelles et 63 sanctions disciplinaires. Cela montre qu'il est difficile d'établir et de caractériser les faits tant d'un point de vue pénal que d'un point de vue disciplinaire.
Deuxièmement, le principe d'individualisation des peines explique également ces disparités. Le règlement de discipline générale des armées ayant été considéré contraire au principe d'individualisation des peines, chaque autorité dispose désormais de marges de manoeuvre en termes de sanctions, en fonction des circonstances.
Ces deux éléments expliquent les différences de traitement dans une structure aussi hiérarchisée que le ministère des armées. Une plus grande sévérité était donc nécessaire.
Je rappelle que le statut général des militaires prévoit trois groupes de sanctions. Les sanctions du groupe I sont suffisantes pour ralentir votre carrière, voire pour la bloquer. Elles vont jusqu'au blâme du ministre, ce qui n'est pas rien. Les sanctions du groupe II ont un caractère pécuniaire. Il peut s'agir d'un abaissement d'échelon, voire de la radiation du tableau d'avancement. Les sanctions du groupe III sont les plus lourdes, elles peuvent aller jusqu'à la radiation des cadres.
Le projet d'instruction relative aux sanctions dans les situations de violences sexuelles et sexistes prévoit des mesures conservatoires pour protéger les victimes tout en respectant la présomption d'innocence de l'auteur présumé : suspension de fonction quand les faits sont graves et prise en compte particulière lorsqu'il y a autorité, notamment un phénomène de groupe. Il préconise ensuite des mesures complémentaires : relève de commandement lorsque le commandement est en cause, rapatriement lorsque les faits ont eu lieu hors du territoire national ou de la métropole, suspension ou retrait d'un ordre national.
Ce projet d'instruction rappelle l'indépendance des procédures disciplinaires et pénales. Autrement dit, dans certaines circonstances, lorsque les faits sont avérés et clairs, il est possible de sanctionner sans attendre la fin de la procédure pénale et l'épuisement des voies de recours. Le document rappelle également qu'il faut sanctionner les témoins passifs de violences sexistes et sexuelles, y compris, bien évidemment, lorsqu'il s'agit de la hiérarchie.
Sans revenir sur le principe d'individualisation des peines, cette instruction donne des points de repère. Les viols et les actes de pédopornographie relèvent des sanctions du groupe III. Les agressions sexuelles, selon leur gravité - avec ou sans contact physique, dans le cadre d'une relation d'autorité ou non -, sont passibles de jours d'arrêt fermes et peuvent entraîner la radiation. Cette instruction permettra des sanctions plus sévères et plus homogènes.
Se pose ensuite la question de savoir s'il est possible de modifier le code de justice militaire afin que les peines d'emprisonnement pour violences sexuelles et sexistes entraînent une perte de grade et la radiation des cadres. Nous estimons en effet que le port de l'uniforme est incompatible avec une condamnation définitive pour violences sexuelles et sexistes. Quand on porte un uniforme, ce type de comportement est impardonnable.
Le code de justice militaire prévoit que toute privation des droits civiques ou interdiction d'exercer une fonction publique entraîne une perte de grade. Le code de la défense prévoit que la cessation de l'état militaire intervient d'office à la perte du grade.
À la suite d'une question prioritaire de constitutionnalité de février 2012, l'article du code de justice militaire prévoyant que « toute condamnation [...] entraîne de plein droit la perte du grade, si elle est prononcée pour crime » a été censuré, le Conseil constitutionnel ayant considéré que cette disposition était contraire au principe d'individualisation des peines.
Nous proposons dans notre rapport, pour éviter une nouvelle censure du Conseil constitutionnel, de formuler notre proposition de manière différente et de dire que toute condamnation prononcée pour viol ou agression sexuelle entraîne la perte du grade, sauf volonté contraire du juge. Nous comptons sur le Sénat.
J'en viens au troisième axe : garantir la transparence. Tout le monde a pris acte du fait que le ministre des armées a souhaité rendre public ce rapport, sans rien dissimuler du travail qui a été fait.
Pour garantir la transparence, nous proposons la mise en oeuvre d'un véritable programme de lutte contre les violences sexuelles et sexistes et l'instauration d'un comité directeur dirigé par une personnalité qualifiée, extérieure au ministère des armées. Il est sain qu'un regard extérieur soit porté sur la manière dont ce programme est conduit au ministère des armées.
Nous proposons ensuite de conventionner avec une association de protection des victimes, avec le ministère de la justice, notamment pour fluidifier le travail entre la cellule Thémis et la section AC3 (affaires militaires et atteintes à la sûreté de l'État) du parquet militaire de Paris.
Nous précisons dans notre rapport que les violences sexuelles et sexistes n'ayant pas un caractère spécifiquement militaire, il n'est pas souhaitable que l'autorité militaire donne un avis sur l'opportunité des poursuites - c'est l'affaire du procureur -, son rôle étant simplement d'éclairer sur les circonstances.
Nous avons également proposé de renforcer Thémis. Le ministre a décidé de doubler ses effectifs et de la doter d'une cellule d'observation statistique, qui nous permettra de mieux travailler dans la durée sur les violences sexuelles et sexistes au sein du ministère des armées. Il s'agit de faire en sorte que Thémis soit une véritable tour de contrôle sur la manière dont sont instruites les violences sexuelles et sexistes au sein du ministère des armées.
Mme Monique Legrand-Larroche. - J'évoquerai pour ma part le quatrième axe, la prévention, qui vise à réduire les risques de violences sexuelles et sexistes. Nous nous sommes appuyés sur toutes les bonnes pratiques que nous avons constatées, au sein et en dehors du ministère.
La prévention est l'affaire de tous les personnels au sein du ministère. Seul un dispositif de prévention efficace permettra d'éviter la survenue de telles violences. Depuis 2014, de nombreuses actions ont été mises en place. Même si les résultats sont encourageants, il convient d'évoluer en cohérence avec la société.
Nous nous sommes concentrés sur trois axes prioritaires : les référents « mixité », les personnels du ministère des armées, en particulier le commandement, et les écoles du ministère.
Premier axe : un réseau de référents « mixité-égalité » a été mis en place au sein des armées, des directions et des services à la fin de 2019. Conseillers du commandement, ils sont également chargés de relever et de traiter rapidement les incivilités ou les comportements inappropriés. Nous suggérons que ces référents soient mieux organisés en réseau et que leur formation soit améliorée de sorte qu'ils soient capables de bien distinguer ce qui relève de la pédagogie et de la médiation de ce qui relève du disciplinaire ou du pénal.
Le deuxième axe de notre réflexion porte sur la sensibilisation et la formation de tous les personnels tout au long de leur carrière ; il s'agit d'un point clé de notre stratégie de prévention.
Il existe d'ores et déjà de nombreuses formations au sein du ministère, notamment celles qu'a encouragées la cellule Thémis, mais nous considérons que des rappels réguliers doivent être faits, par exemple tous les semestres au sein des unités. Ces rappels doivent s'appuyer sur la diffusion de cas concrets. Par ailleurs, dans un souci pédagogique, nous suggérons qu'une information sur les sanctions qui ont effectivement été prises à l'encontre d'auteurs de violences sexuelles et sexistes soit délivrée lors des rassemblements collectifs.
En matière de prévention, le rôle du commandement est absolument capital. C'est la pierre angulaire du fonctionnement de l'institution militaire. L'exemplarité du commandement est donc essentielle. L'indifférence face au sexisme ordinaire, aux comportements familiers ou équivoques sont dévastateurs pour notre communauté.
Nous préconisons l'intégration d'un module sur les violences sexuelles et sexistes lors des différentes étapes clés du parcours de carrière du commandement. Nous pensons que le rôle social de l'officier devrait être davantage enseigné en école de formation. Tout commandement comprend une fonction d'éducation aux valeurs de l'institution militaire.
Troisième et dernier axe : les écoles. Ces dernières doivent être le moteur de la prévention, en particulier en direction des jeunes qui viennent de s'engager dans les armées. L'analyse que nous avons menée a porté sur les quatre écoles qui sont sous la tutelle de la direction générale de l'armement (DGA), du ministère de la défense, l'école des commissaires des armées, ainsi que l'Académie militaire de Saint-Cyr Coëtquidan.
Ce panel se caractérise par une forte diversité des élèves en termes d'âge et, donc, de maturité, de niveau d'études et de modalités de logement ; cela étant, tous les établissements ont mis en place un plan de lutte contre les violences sexuelles et sexistes et engagé des actions concrètes pour endiguer ces phénomènes.
Il ressort de notre mission que ces dispositifs doivent encore être améliorés.
Nous estimons tout d'abord que des sessions de formation devraient être organisées pour les élèves, non seulement en début d'année, mais également tout au long de leur formation, en recourant à des méthodes plus interactives et plus modernes. L'intervention d'un magistrat exposant les sanctions encourues à partir d'exemples concrets nous paraît indispensable, car certains jeunes semblent méconnaître totalement la gravité des actes qu'ils peuvent être amenés à commettre.
Nous considérons également qu'il est indispensable que les élèves eux-mêmes s'impliquent dans la prévention et la lutte contre les violences sexuelles et sexistes, en particulier au sein du bureau des élèves ou des instances de représentation des élèves, afin que ces derniers ne considèrent pas que cette lutte est du seul ressort des professeurs et de l'encadrement. Les jeunes doivent être les premiers acteurs de cette prévention.
Nous préconisons aussi une formation de tous les personnels enseignants et encadrants à la prévention et à l'accueil des victimes, afin de favoriser la libération de la parole. Il faut encourager les remontées d'informations : des enquêtes anonymisées doivent être régulièrement effectuées dans chaque école. Ces enquêtes ont fait la preuve de leur efficacité : elles concluent à l'existence d'un nombre de signalements bien supérieur au nombre de faits qui sont dénoncés par les élèves eux-mêmes auprès des personnels d'encadrement des écoles, ce qui montre bien que les témoins de violences ont encore peur de les signaler.
Nous recommandons que l'encadrement fasse une communication anonymisée des sanctions qui sont prononcées, de sorte que les élèves prennent conscience de l'existence de ces sanctions et que les victimes se sentent soutenues. Il est important que les victimes soient reçues par les directeurs d'établissement, qui doivent leur apporter toute l'aide nécessaire.
Enfin, l'excès d'alcool ou de produits toxiques est très fréquent dans le cadre d'affaires caractérisées par des violences sexuelles et sexistes. Il est essentiel qu'une réflexion sur la consommation d'alcool soit menée dans les écoles, soit pour parvenir à son interdiction, soit pour l'encadrer selon des règles strictes.
Conformément aux instructions du ministre des armées, nous allons poursuivre notre mission auprès des lycées de défense pour faire le bilan du plan d'action qui a été lancé en 2018 et suivre l'application des recommandations du rapport auprès de l'ensemble des écoles militaires. Cette veille permanente est primordiale ; les dispositifs doivent s'adapter en permanence aux besoins des populations.
M. Bruno Jockers. - J'espère que nous avons su montrer que le ministère des armées était capable de regarder les choses en face, de mener une analyse introspective approfondie et de mettre le doigt sur les lacunes qu'il convient encore de combler.
À l'évidence, il existe des spécificités propres à chaque milieu. Quand un soldat s'embarque sur un bâtiment de la marine nationale, il se coupe de ses racines ou de son environnement familial et doit s'intégrer à un milieu, à une équipe, dans un climat tendu. Un soldat qui exerce une mission en opération extérieure vit dans la promiscuité, subit la pression et la fatigue. Autre spécificité, dans les armées, la population est très jeune. Ce critère n'explique pas tout, mais il fait partie de l'équation.
Ma seconde remarque a trait aux enjeux de recrutement et, donc, à l'enjeu opérationnel. Aujourd'hui, les femmes sont absolument indispensables aux armées. J'ai un souvenir très précis, celui des femmes du bataillon logistique en Afghanistan qui, pour faire en sorte que les convois passent, prenaient tous les risques. La place des femmes dans les armées ne pose plus de problème aujourd'hui.
Je terminerai en citant les propos de l'un des chefs d'état-major des armées avec lequel nous nous sommes entretenus. À la fin de son audition, il nous a dit la chose suivante : « Nous avons considéré ces dernières années qu'il n'y avait pas de femmes ou d'hommes dans l'armée et qu'il n'y avait que des soldats. Peut-être devrions-nous dire que les armées, ce sont des femmes et des hommes, et que ce sont tous des soldats. »
M. Pascal Allizard. - Je tiens à vous remercier, Mesdames, Monsieur les inspecteurs généraux des armées, de ce rapport, ainsi que de la présentation du travail tout à fait remarquable que vous avez réalisé, qui, d'une certaine façon, fait froid dans le dos.
Avez-vous conduit une étude comparative de la situation de nos armées par rapport aux grandes armées étrangères avec lesquelles nous coopérons régulièrement ? Il serait intéressant de savoir si leurs procédures et leurs normes sont éloignées ou non des nôtres.
La réflexion que vous menez au sein du ministère des armées actuellement est-elle transposable à d'autres ministères ?
M. Bruno Jockers. - Nous nous sommes effectivement intéressés aux armées étrangères : celles-ci font face aux mêmes difficultés que la nôtre. Comme notre rapport le mentionne, même si certaines actions sont utiles et efficaces au sein des armées françaises, il y a certainement des exemples dont il conviendrait de s'inspirer : je pense à l'armée espagnole, qui s'est engagée dans une démarche très volontariste en matière de lutte contre les violences sexuelles et sexistes, notamment en termes de prévention. Je pense à l'armée américaine, qui est confrontée peu ou prou aux mêmes difficultés que celles de notre armée, mais qui dispose d'outils qu'il serait intéressant de transposer en France.
Pour autant, il n'existe pas d'armée modèle ou d'armée idéale. Je pense à l'armée canadienne, pourtant réputée pour sa rigueur. L'enquête anonymisée qui a été conduite récemment dans les deux lycées militaires canadiens montre, par l'ampleur des faits relatés, que le problème des violences sexuelles et sexistes se pose partout. Partout, les victimes manquent de confiance dans leur hiérarchie et ne signalent pas les violences qu'elles ont subies - c'est valable en France comme ailleurs. Nous avons le sentiment que les faits sont largement sous-estimés, ce qui vaut là encore pour notre pays comme dans le reste du monde.
Pour répondre à votre seconde question, le ministère des armées ne s'érige pas en modèle. Je trouve simplement que la démarche du ministère des armées est courageuse. Je le rappelle, le collège des inspecteurs généraux a agi en toute indépendance et n'a reçu aucune consigne. Aucune porte n'est restée close et les échanges ont été francs et sincères ; je tiens plus particulièrement à saluer le chef d'état-major des armées, les chefs d'état-major, le délégué général pour l'armement (DGA) et le secrétaire général pour l'administration (SGA) du ministère.
Évidemment, nous aurions souhaité que la mission aille encore plus loin, que notre rapport soit plus exhaustif, mais nous n'avons pas obtenu toutes les données que nous voulions. Le plus important reste que nous avons engagé cette démarche. Si d'autres institutions, d'autres administrations ou ministères s'inscrivaient dans une démarche similaire, nous n'aurions, à mon sens, qu'à nous en féliciter.
Mme Laurence Rossignol. - Je vous remercie de la présentation que vous venez de faire du travail que vous avez effectué.
Quelles procédures envisagez-vous de mettre en place pour encourager et accompagner les dépôts de plainte ? Quelles sont vos préconisations concernant l'usage de l'article 40 du code de procédure pénale, qui impose à tout fonctionnaire de signaler des faits constituant une infraction ?
Enfin, quelles sont vos recommandations en ce qui concerne l'achat de services sexuels, c'est-à-dire le recours à la prostitution, par des militaires, soit sur le territoire français, soit au cours d'opérations extérieures ? En France, il s'agit d'une infraction pénale, passible d'une contravention. Vous avez évoqué la pression qui s'exerçait sur nos soldats lors des opérations extérieures : c'est pourquoi je tiens à attirer votre attention sur ce sujet d'importance.
Mme Sylvie Perez. - Madame la sénatrice, pour répondre à votre première question, j'insiste, comme je l'ai fait précédemment, sur la nécessité de renforcer l'accompagnement des victimes. La vigilance doit nous conduire à faciliter, voire à favoriser cet accompagnement, un accompagnement qui est d'abord physique, puisqu'il consiste aussi à ce qu'une personne de l'unité accompagne la victime au commissariat de police ou à la gendarmerie, afin de l'aider à porter plainte.
Il est indispensable de dédramatiser et d'encourager le dépôt de plainte, car une telle démarche facilite la prise en charge ultérieure de l'auteur de l'agression ou des violences. Les victimes ont trop souvent peur des représailles ou peur que leur expérience soit exposée sur la place publique.
M. Bruno Jockers. - Concernant le dépôt de plainte, notre philosophie est simple : il faut l'encourager. Il s'agit certes d'une décision de la victime, mais il est primordial que celle-ci se sente en confiance. Comme en matière de violences intrafamiliales, il faut laisser à la victime la possibilité d'être accompagnée par la personne de son choix si elle le souhaite. Il nous semble également intéressant de ce point de vue de travailler avec les associations d'aide aux victimes, car elles peuvent contribuer à rétablir la confiance dont je viens de parler.
Nous recommandons en outre une lecture bienveillante de la protection fonctionnelle. La direction des affaires juridiques a réalisé un énorme travail en la matière ces dernières années. L'octroi de la protection fonctionnelle a ainsi été multiplié par vingt ou vingt-cinq en très peu de temps.
Concernant l'article 40 du code de procédure pénale, la directive du ministre des armées est très claire : à partir du moment où les faits sont graves et présentent un degré certain de vraisemblance, il faut les dénoncer, y compris quand la victime a déjà déposé plainte.
En réponse à votre dernière question, la prostitution est évidemment incompatible avec les valeurs que défendent les armées : elle doit être sanctionnée et réprimée sans aucune faiblesse. Dans un guide en cours de finalisation, nous allons même plus loin, puisqu'il y est indiqué que la hiérarchie doit aussi sanctionner les faits commis en dehors du service. C'est une évolution majeure : nous considérons que le port de l'uniforme est incompatible avec les violences sexuelles et sexistes, quel que soit le cadre dans lequel elles sont commises. Cela va de soi, mais c'est encore mieux quand on l'écrit et quand on le fait appliquer.
M. Grégory Blanc. - Mesdames, Monsieur les inspecteurs généraux des armées, je travaille actuellement avec la députée Laetitia Saint-Paul sur le sujet qui nous réunit ce soir. Je tiens à vous remercier du travail que vous avez mené au nom de la mission d'enquête sur les violences sexuelles et sexistes au sein du ministère des armées : cette question me semble fondamentale au regard de la féminisation croissante de nos armées, notamment l'armée de terre, et de l'enjeu opérationnel.
Votre rapport est complet et très utile ; il comporte une mesure fondamentale, qui prévoit que les victimes soient reconnues comme blessées en service. Un tel dispositif contribuera à externaliser encore davantage le recueil de la parole de la victime, à renforcer la protection fonctionnelle et à accroître les sanctions des auteurs.
Votre rapport a également le mérite d'insister sur la nécessité de mettre en place des outils d'évaluation statistique, qui amélioreront le suivi et le contrôle de l'action du ministère des armées.
Parmi les cinquante recommandations de votre rapport, j'évoquerai la recommandation n° 26, qui vise à modifier le code de justice militaire, afin que toute condamnation définitive à une peine d'emprisonnement pour des violences sexuelles entraîne la perte du grade et la radiation des cadres. L'application de cette disposition nécessite l'intervention du législateur : persuadé de son intérêt, j'ai moi-même déposé une proposition de loi en ce sens. Le Sénat s'honorerait à encourager cette initiative.
Enfin, vous insistez dans votre rapport sur l'obligation qui incombe à l'armée d'accompagner les victimes, notamment après leur départ, que ce soit en termes de reclassement ou de reconversion. L'instruction ministérielle souligne la nécessité de mettre en place les moyens suffisants pour aider les victimes, et ce au-delà de leur engagement : comment améliorer la situation de ces personnes qui ont été victimes de violences durant leur service, mais qui ne travaillent plus pour l'armée aujourd'hui ?
Mme Marie Mercier. - Merci de cette audition tout à fait intéressante. Merci également de ne pas fermer les yeux sur un contexte si particulier : on le sait, l'armée a ses codes, ses habitudes, des coutumes solidement ancrées.
Vous mettez à juste titre l'accent - cela m'a frappé - sur la sous-estimation du nombre de victimes. Je me souviens d'avoir été contactée par une jeune fille qui avait réussi le concours d'entrée à Saint-Cyr et qui avait finalement quitté cette école militaire au bout de quelques mois à cause de l'état d'esprit qui y régnait, de la violence sous-jacente à l'égard des femmes qui s'y exprimait. Devant moi, elle avait cité l'exemple de ce professeur de droit qui, en cours, s'était permis de dire : « Les lois, c'est comme les femmes, ça se viole ! » Ce genre de phrase absolument intolérable peut faire beaucoup de mal et blesser. Aussi, on n'insistera jamais assez sur l'urgence qu'il y a à renforcer la prévention, laquelle passe aussi par l'ambiance que l'on est capable d'instituer dans les écoles et le respect qu'inculquent les professeurs. Pourriez-vous me dire si ces enseignants sont inspectés ?
M. Jean-Michel Arnaud. - Mesdames, Monsieur les inspecteurs généraux des armées, vous avez mis en avant la problématique de la prévention, qui est essentielle à mes yeux, et qui constitue l'une des principales missions de la cellule Thémis.
Thémis est composée d'une équipe de cinq ou six personnes chargées d'assurer le suivi et l'accompagnement des victimes - cet effectif est à comparer à l'effectif total de nos armées qui est, on l'a dit, de près de 270 000 militaires... Quelles propositions budgétaires concrètes pourriez-vous suggérer à la représentation nationale pour faire en sorte que les moyens à votre disposition soient à la hauteur de l'enjeu dont vous nous avez longuement et efficacement parlé aujourd'hui ?
- Présidence de M. Pascal Allizard, vice-président de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées, et de Mme Dominique Vérien, présidente de la délégation aux droits des femmes et à l'égalité des chances entre les hommes et les femmes -
M. Bruno Jockers. - Le processus de féminisation des armées est au coeur de la réflexion du ministre. Au terme de la dernière réunion de commandement, celui-ci a rappelé l'importance de notre mission d'enquête et estimé que c'est en réussissant la féminisation des armées que nous remplirons notre contrat opérationnel. Il s'agit là d'un enjeu essentiel en termes de recrutement, singulièrement pour l'armée de terre.
Nous considérons que tout ce qui contribue à améliorer la lutte contre les violences sexuelles et sexistes permet de renforcer l'attractivité des métiers. Cela étant, je le répète, ce problème ne concerne pas la très grande majorité des personnels du ministère des armées : chacun a pu constater que les femmes faisaient la même chose que les hommes sur les théâtres d'opérations. Je ne veux pas donner le sentiment que ce ministère est à la peine pour ce qui est de la féminisation de ses effectifs : ce serait très injuste. S'il y a un ministère où les femmes sont mises à l'épreuve et ont valeur d'exemple pour l'ensemble de la Nation, c'est bien le ministère des armées. Sans les femmes, l'outil de défense dont nous disposons serait insuffisant.
S'agissant de l'accompagnement des victimes, y compris après leur départ de l'armée, le ministre des armées a lui-même donné le ton et l'exemple en recevant une victime qui avait quitté l'armée depuis un certain temps et en se préoccupant de sa reconversion. Il va de soi qu'une personne qui a été victime d'une agression sexuelle durant son service, et qui aurait quitté le ministère des armées, doit être aidée, notamment pour ce qui concerne sa reconversion si elle en a besoin. Cela relève du respect que l'on doit à tout être humain.
Nous n'esquivons pas non plus les problèmes que rencontrent certaines femmes pendant leur formation, à l'Académie militaire de Saint-Cyr Coëtquidan comme dans les lycées militaires. La preuve en est que nous nous sommes tous trois rendus à Saint-Cyr pour nous rendre compte de la situation et que nous recommandons que soit dressé un bilan du plan d'excellence lancé dans les lycées de défense en 2018.
Ce qui est fondamental selon moi, c'est la formation des formateurs. Il y a très longtemps, j'ai eu le grand honneur de servir comme instructeur à l'Académie militaire de Saint-Cyr Coëtquidan. Je mesure la responsabilité qui est la nôtre, notamment à l'égard de jeunes femmes et de jeunes gens. En écoutant l'exemple que vous avez cité, madame la sénatrice, j'ai eu le coeur serré : qu'une personne qui a envie de servir son pays soit dégoûtée au bout de quelques mois n'est pas acceptable, même si, dans une école comme Saint-Cyr, il est absolument essentiel que tout le monde soit mis à l'épreuve - mais tout le monde doit l'être de la même manière, et pas spécifiquement pour ce qu'il ou elle est. À Saint-Cyr, la mise à l'épreuve fait partie du métier, mais elle doit se faire à la régulière.
Enfin, je précise que la cellule Thémis ne résume pas à elle seule la lutte contre les violences sexuelles et sexistes au sein des armées. Cette cellule constitue plutôt le dernier recours. Dans un monde idéal, nous n'en aurions pas besoin, parce que les signalements seraient directement transmis à la hiérarchie, qui les traiterait intégralement. Nous insistons dans notre rapport sur ce point : la hiérarchie militaire est en première ligne. D'ailleurs, le chef d'état-major des armées revendique lui-même le fait d'être en première ligne et d'être le premier responsable de la manière dont sont traitées les violences sexuelles et sexistes.
Le doublement des effectifs de Thémis contribuera au renforcement de la plateforme d'écoute, permettra de disposer d'une cellule statistique opérationnelle et de mettre en place un responsable de la formation au niveau du ministère. Ces évolutions sont en cours. Le reste est affaire d'organisation, de procédures, de suivi et, bien évidemment, de contrôle.
Mme Monique Legrand-Larroche. - Ce qui importe, c'est que tout le monde au sein du ministère des armées soit un acteur de la prévention des violences. Dans les écoles, j'y insiste, il faut que les élèves eux-mêmes s'impliquent, s'émeuvent et signalent des agissements ou des propos inacceptables, comme ceux que vous avez relatés, madame la sénatrice.
Parce que nous avons constaté que les jeunes victimes ne témoignaient pas toujours et que le nombre de ces violences était largement sous-estimé, nous mettons en oeuvre des mesures, qui visent à rétablir une certaine confiance et à inciter les futures victimes à dénoncer les actes qu'elles ont subis, sans avoir peur du jugement de leurs camarades.
Mme Dominique Vérien, présidente de la délégation aux droits des femmes. - En conclusion de cette audition, je formulerai quelques remarques.
Je ne pense pas que les violences sexuelles soient un problème spécifique aux armées ; il existe en revanche une spécificité des relations entre les hommes et les femmes, que l'on doit encore pacifier, et ce dès l'école puisque, comme vous en témoigniez, certains jeunes ne sont pas forcément conscients que le comportement qu'ils adoptent n'est pas le bon.
La formation est essentielle, notamment la formation à l'écoute des victimes, qui suppose de reconnaître les personnes souffrant de psychotraumatismes.
Vous avez insisté à juste titre sur le recours à l'article 40 : c'est tout à fait essentiel tant il est encore difficile aujourd'hui de recueillir les plaintes des victimes, qui ressentent avant tout de la honte et/ou de la peur.
Enfin, vous l'avez indiqué, l'armée se féminise ; la hiérarchie aussi se féminise, ce qui contribuera à modifier le regard porté sur les femmes et à faire évoluer les relations entre les hommes et les femmes. Votre rapport est en tous points exemplaire à cet égard.
Je vous remercie sincèrement de votre travail : nous suivrons évidemment avec attention la traduction législative des recommandations que vous avez formulées et les mesures d'application de ce rapport.
M. Pascal Allizard, vice-président de la commission des affaires étrangères. - Je tiens également à vous remercier de la qualité de votre travail et de la transparence dont vous avez fait preuve tout au long de cette audition. La question des violences sexuelles et sexistes dans l'armée nous interpelle tous.
À la suite de vos témoignages, je signale que notre commission est parfaitement consciente de l'apport fondamental des femmes aux armées, à tous les niveaux de la chaîne hiérarchique.