- Mardi 25 juin 2024
- Mercredi 26 juin 2024
- Mission d'information relative à l'antisémitisme dans l'enseignement supérieur - Examen du rapport et vote sur les recommandations
- Mission d'information sur l'intervention des fonds d'investissement dans le football professionnel français - Audition de M. Vincent Labrune, président de la Ligue de football professionnel
- Mission d'information sur l'intervention des fonds d'investissement dans le football professionnel français - Audition de MM. Waldemar Kita, président du FC Nantes et Laurent Nicollin, président de Foot Unis, président du Montpellier Hérault Sport Club
Mardi 25 juin 2024
- Présidence de M. Laurent Lafon, président -
La réunion est ouverte à 15 h 30.
Mission d'information sur l'intervention des fonds d'investissement dans le football professionnel français - Audition de M. Max Marty, manager général de Grenoble Foot 38
M. Laurent Lafon, président. - Nous entendons cette après-midi M. Max Marty, manager général du club de Grenoble et membre du conseil d'administration de la Ligue de football professionnel (LFP), que je remercie d'être présent aujourd'hui.
Monsieur, au cours des dernières semaines, nous avons auditionné plusieurs présidents de clubs de Ligue 1, dont certains étaient il y a peu en Ligue 2. Nous avons également rencontré le président du Paris Football Club (Paris FC) et nous complétons ce tour d'horizon avec vous.
Vous êtes l'un des deux représentants de la Ligue 2 au sein du conseil d'administration de la LFP. À ce titre, vos observations sur le partenariat conclu entre la Ligue et le fonds d'investissement CVC nous intéressent.
Ce partenariat - on le sait - s'est accompagné d'un apport de 1,5 milliard d'euros au total pour le football français, dont 84 millions d'euros pour les clubs de Ligue 2. Il entraînera, de plus, à partir de l'an prochain, un prélèvement du fonds d'investissement sur les revenus commerciaux de la Ligue.
Ce prélèvement visera tous les clubs, y compris ceux qui accèdent à la Ligue 2 et n'ont donc pas bénéficié de l'apport initial de CVC. Il portera sur des recettes audiovisuelles qui restent incertaines, en tout cas à ce jour, qu'il s'agisse de la Ligue 1 ou de la Ligue 2, pour laquelle un appel d'offre a été lancé le 5 juin dernier.
La distribution de l'apport de CVC pose, en outre, des questions d'équité. Le président du club du Havre en conteste les modalités. Pour un club qui était en Ligue 2 en 2021-2022 et qui y est toujours cette année, la dotation issue de l'apport de CVC s'élève à 3 millions d'euros.
L'arrivée de CVC s'est accompagnée d'une nouvelle distribution des revenus récurrents de la Ligue, notamment des droits internationaux, avec la volonté assumée de favoriser les clubs de Ligue 1 participant aux compétitions européennes, afin de les accompagner davantage.
Dans le même temps, toutefois, la Ligue 2 se modernise. Grâce aux deux premières tranches de l'apport de CVC, les clubs de Ligue 2 ont déjà consacré 39 millions d'euros à leurs infrastructures et à leur développement. La LFP souhaite faire de la Ligue 2 un « championnat des territoires » : vous nous direz si ce que recouvrent ces termes et cette ambition.
En dehors du partenariat avec CVC, notre mission d'information s'interroge sur l'intérêt croissant des fonds d'investissement, souvent d'origine étrangère, pour les clubs français. L'arrivée des fonds permet de renforcer les ressources financières des clubs et de capitaliser sur leur potentiel de développement. Mais nous nous interrogeons sur les objectifs de ces fonds, sur leur volonté éventuelle de réduire les risques au détriment de l'aléa sportif et sur les éventuels conflits d'intérêt qu'implique la multipropriété de clubs.
Avant de vous céder la parole, je vous rappelle qu'un faux témoignage devant notre mission d'information, dotée des pouvoirs d'une commission d'enquête, est passible des peines prévues aux articles 434-13, 434-14 et 434-15 du code pénal. Je vous invite à prêter serment de dire toute la vérité, rien que la vérité, en levant la main droite et en disant : « Je le jure. »
Conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, M. Max Marty prête serment.
M. Laurent Lafon, président. - Je vous remercie, par ailleurs, de nous faire part de vos éventuels liens d'intérêt en relation avec l'objet de notre mission d'information.
M. Max Marty, manager général de Grenoble Foot 38. - A priori, je n'en ai pas.
M. Laurent Lafon, président. - Je rappelle que cette audition est captée et diffusée en direct sur le site internet du Sénat.
Monsieur Marty, vous avez la parole pour une intervention liminaire de dix minutes maximum. Puis vous pourrez compléter vos propos en répondant aux questions de M. le rapporteur et de l'ensemble de nos collègues.
M. Max Marty, manager général de Grenoble Foot 38. - Sur le premier sujet évoqué, je vais m'efforcer d'apporter les éclairages que vous sollicitez. Quant au second sujet, je tiens à vous dire d'emblée que j'y accorde un très grand intérêt, et ce depuis longtemps : cela fait une trentaine d'années maintenant que je travaille dans le football professionnel et le foot des territoires est une chose qui me parle. Or, à mon sens, il peut être maltraité par la multipropriété, dans la mesure où, pour l'instant, nous n'avons pas réussi à professionnaliser le championnat de National.
M. Michel Savin, rapporteur. - Un appel d'offres a été lancé pour les droits TV de la Ligue 2 le 5 juin dernier : où en est cette procédure, dont le résultat semble imminent ?
M. Max Marty. - Je suis passé ce matin même au siège de la Ligue pour l'ouverture des plis ; le résultat est attendu ce soir. Je n'ai pas eu d'information particulière, mais l'appel d'offres de la Ligue 2, qui reste mineur par rapport aux montants de la Ligue 1, dont nous sommes toujours dépendants, puisque nous touchons une quote-part de la Ligue 1, ne semblait pas susciter beaucoup d'inquiétude.
On espère un montant de l'ordre de 35 millions d'euros, l'objectif étant d'atteindre, dans un package avec les droits internationaux, 180 à 200 millions d'euros.
M. Michel Savin, rapporteur. - Pouvez-vous nous préciser ce que recouvre cette somme ?
M. Max Marty. - Les droits internationaux reviennent bien entendu aux clubs participant aux compétitions européennes. Il s'agit en l'occurrence d'un appel d'offres à part, détaché de celui de la Ligue 1 et généralement annexé à celui de la Ligue 2.
M. Michel Savin, rapporteur. - Sauf erreur, au titre des droits internationaux, 6,5 millions d'euros sont répartis entre les différents clubs.
M. Max Marty. - Vous êtes très bien informé.
M. Laurent Lafon, président. - Vous avez cité le chiffre de 180 millions d'euros : que représente-t-il ?
M. Max Marty. - C'est l'objectif fixé pour l'ensemble constitué des droits internationaux et des droits de la Ligue 2. Vincent Labrune a mentionné l'objectif de 1 milliard d'euros ; à ce titre, nous avons prévu 700 à 800 millions d'euros pour la Ligue 1 et un package d'environ 200 millions d'euros pour la Ligue 2 et les droits internationaux.
M. Laurent Lafon, président. - On entend également parler de 160 millions d'euros pour les droits internationaux.
M. Max Marty. - Avec les 35 millions d'euros pour la Ligue 2, s'ils sont confirmés, nous ne devrions pas être loin des 200 millions d'euros.
M. Michel Savin, rapporteur. - La semaine dernière, un certain nombre de présidents de clubs de Ligue 1 nous ont expliqué que le partenariat de la Ligue avec CVC, à hauteur de 1,5 milliard d'euros, était inespéré, compte tenu de la situation qui prévalait à la sortie de la crise du covid et après le départ de Mediapro. Confirmez-vous cette analyse ? Les clubs de Ligue 2 étaient-ils en très grande difficulté lors du départ de Mediapro ?
M. Max Marty. - Les clubs de Ligue 2 étaient évidemment en difficulté, car le championnat avait été arrêté - sauf erreur, à la vingt-neuvième journée - du fait de l'épidémie de covid. Je crois que notre championnat est le seul d'Europe à avoir connu une telle interruption. Cela étant, rapportées aux budgets totaux - les budgets de Ligue 2 varient entre 10 et 20 millions d'euros -, ces difficultés doivent être relativisées par rapport à celles de la Ligue 1.
Pour la plupart, nous avions des actionnaires, voire des capitaux propres nous permettant de faire face. La Ligue 2 avait des capacités d'adaptation bien supérieures à celles de la Ligue 1.
Avec l'assentiment de la Ligue 2, nous avons été très solidaires de la démarche engagée par les présidents de Ligue 1. Ce projet était très important pour les très gros clubs. Vous avez évoqué M. Roussier : à l'époque, je n'ai vu aucun président de club s'élever contre cette perspective. J'y insiste, tout le monde était solidaire.
La Ligue 2 a voté plus par solidarité que par intérêt. Nous avons certes récupéré quelques millions d'euros et je ne céderai pas à la tentation de parler de miettes - dans l'absolu, c'est beaucoup d'argent, et aujourd'hui plus encore qu'hier il faut respecter la valeur de l'argent. Mais il va de soi que c'était moins primordial que pour les clubs de Ligue 1.
M. Michel Savin, rapporteur. - Estimez-vous que les clubs de Ligue 2 ont été bien informés des modalités du deal avec CVC, lors de la présentation du projet de contrat, préalablement à la réunion du conseil d'administration de la LFP du 25 mars 2022, puis lors de l'assemblée générale du 1er avril 2022, lesquelles ont approuvé la création de la société commerciale et le partage de l'apport de CVC ? Certains présidents de clubs que nous avons entendus estiment ne pas avoir eu toutes les informations.
M. Max Marty. - La seule chose qui puisse prêter à sourire, c'est que cette assemblée générale ait eu lieu, comme vous l'avez rappelé, un 1er avril. En dehors de ce fait, la situation était claire. Tout le monde était informé.
Les grands dirigeants de la Ligue 1 plaidaient pour cet accord. Pour la plupart, ils ont appelé les présidents de Ligue 2, pas pour les convaincre, mais pour leur expliquer la situation. C'est vrai que certains ont pu se sentir lésés. Ceux qui sont montés cette année-là ont bénéficié d'un pactole ; je pense, entre autres, à Clermont-Ferrand. Ceux qui sont descendus ont, en revanche, été mis en difficulté. Le Havre est monté plus tard, sans ces apports : ce club peut avoir le sentiment d'un désavantage financier. En tout cas, il me semble que nous avons donné l'information aux différents clubs de Ligue 2. Nous avons fait passer les messages ; les choses étaient très claires.
Nous n'étions pas moteurs sur ce sujet. Nous avons été suiveurs, mais des suiveurs attentifs. Aujourd'hui, je ne suis pas d'accord avec ceux qui prétendent que les présidents de Ligue 2 n'étaient pas au courant de ce deal.
M. Michel Savin, rapporteur. - Ainsi, tous les présidents de Ligue 2 avaient bien connaissance du pacte d'associés et du plan d'affaires.
M. Max Marty. - À ma connaissance oui, même si certains s'intéressent plus que d'autres à ces questions. Certains sont plus inquiets de tel ou tel sujet, comme la partie sportive ou la manière dont ils vont faire évoluer leur stade.
Je le répète, nous accordions moins d'importance à cet accord que les représentants de la Ligue 1, et pour cause, nous en étions moins dépendants. Mais nous l'étions tout de même de manière indirecte : si deux, trois, quatre ou cinq clubs de Ligue 1 venaient à déposer le bilan, c'est l'image de notre football, en France et à l'international, qui risquait d'être atteinte. Nous avons donc voté, de manière solidaire, en faveur de ce contrat, avec un niveau d'information qui me semble cohérent.
M. Michel Savin, rapporteur. - Le conseil d'administration du 25 mars 2022 prend note des remarques formulées par vous-même et votre collègue Pierre-Olivier Murat, « dont les votes s'entendent comme un soutien au projet, mais pas comme une validation de ce qui pourrait être prévu comme distribution de l'apport de l'investisseur pour la Ligue 2, dans la mesure où le collège doit se tenir dans l'après-midi ». C'est ce qui figure au procès-verbal.
M. Michel Savin, rapporteur. - Vous n'aviez donc pas validé cette distribution. Comment se fait-il que le conseil d'administration ait pu statuer avant la réunion du collège de Ligue 2 ?
M. Max Marty. - C'était un conseil d'information.
Nous, clubs de Ligue 2, disposons de deux sièges au conseil d'administration et nous sommes évidemment très contents d'être là. Nous sommes notamment présents comme observateurs. Cela étant, sans être arrivé au conseil d'administration par hasard, je n'étais pas favorable à Foot Unis. Les patrons ont deux syndicats, il existe divers syndicats ouvriers : pourquoi avoir un seul syndicat pour les clubs de football, qu'ils payent leurs joueurs 5 000 ou 500 000 euros ?
Je ne connaissais pas personnellement Vincent Labrune et je n'avais pas une image très précise de lui ; je suis arrivé sur la pointe des pieds, restant assez prudent sur ces sujets. On nous proposait une forme de solidarité dont nous n'avions pas particulièrement besoin. La question était donc : comment nos efforts seront-ils rétribués ? Il s'agissait de rappeler à nos chers collègues de la Ligue 1 que la solidarité ne saurait être entièrement gratuite. Nous avons bien sûr besoin d'eux et ils avaient exceptionnellement besoin de nous : il fallait entrer dans un jeu cohérent. C'est ce que nous avons essayé de faire, sans aller plus loin.
M. Michel Savin, rapporteur. - L'après-midi, vous avez présenté cette proposition au collège de la Ligue 2. Ce dernier a-t-il émis des remarques sur cette distribution ?
M. Max Marty. - Il y a eu une discussion. Dans mon souvenir, aucun président n'a cherché à faire capoter le deal, mais certains voulaient avoir plus d'argent pour être plus forts dans la négociation. Des reproches ont pu être formulés à ce titre, mais je n'ai pas entendu un président dire : « Si on n'obtient pas ça, on arrête. Il ne faut pas le faire. » Je n'ai pas souvenir de cela.
M. Michel Savin, rapporteur. - Y a-t-il eu un second vote au terme de la réunion du collège de la Ligue 2 ?
M. Max Marty. - La Ligue 2 a voté à l'unanimité.
M. Michel Savin, rapporteur. - Les représentants de la Ligue 2 ont-ils formulé des remarques au conseil d'administration sur la répartition des 1,5 milliard d'euros apportés par l'investisseur ?
M. Max Marty. - J'ai alors reçu un appel de Vincent Labrune lui-même et nous avons eu une conversation un peu animée. Il était clair que CVC venait exclusivement pour la Ligue 1 ; mais nous faisons partie du même foot, nous sommes tous professionnels. Par téléphone, j'ai dit à Vincent Labrune que ce qui était proposé n'était pas satisfaisant, que l'on ne pouvait pas oublier la Ligue 2.
La Ligue 2 a fini par être raccrochée au wagon de queue ; grâce aux discussions menées, elle a obtenu une forme de considération de la part de CVC. Ses représentants sont venus nous assurer oralement que nous n'avions pas été oubliés, mais que leur principale action était dirigée vers les gros clubs. Il s'agit même, soyons clairs, du Paris-Saint-Germain (PSG). Si le PSG n'avait pas été compris dans l'accord, rien ne se serait passé : seul ce club les intéressait directement. En comparaison, nous ne sommes que des fourmis...
Malgré tout, nous avons eu l'oreille de Vincent Labrune sur ce sujet et aussi celle des représentants de CVC, pour garantir une véritable logique de solidarité.
M. Michel Savin, rapporteur. - Pourtant - vous le reconnaissez vous-même -, certains clubs ont pu se sentir lésés par la répartition retenue, notamment les clubs de Ligue 2 ayant accédé à la Ligue 1 à l'issue de la saison 2022-2023. A-t-on envisagé, au sein de la Ligue, de prendre en compte ces cas plus précisément ? Je pense notamment au Havre, qui a fait la une de l'actualité.
M. Max Marty. - Ce point a peut-être été discuté en interne, mais pas devant tout le monde. Il n'a sans doute pas non plus été balayé d'un revers de manche.
Les clubs qui monteront en Ligue 1 cette année et percevront les futurs droits TV seront lésés par rapport aux anciens ; mais, à un moment donné, la règle s'applique. À ma connaissance, elle a été votée par l'intégralité des clubs professionnels, de Ligue 1 comme de Ligue 2, soit quarante clubs, et même par certains clubs du championnat de National. Ce point n'a pas été remis en cause, en tout cas de manière ouverte. Je ne dis pas que c'est bien : c'était peut-être à tort, mais, selon moi, le sujet a été clos assez vite.
M. Michel Savin, rapporteur. - Par exemple, d'après les tableaux de répartition dont nous disposons, l'Association sportive de Saint-Étienne (AS Saint-Étienne), qui est montée de Ligue 2 en Ligue 1, ne percevrait ni les montants prévus pour la Ligue 2 ni les sommes prévues pour la Ligue 1.
M. Max Marty. - Excusez-moi, mais je n'ai pas compris.
M. Michel Savin, rapporteur. - La répartition fait l'objet de différentes hypothèses. Une dizaine de clubs restés trois ans en Ligue 2 bénéficieront cette année de 1,5 million d'euros, après avoir reçu, au cours des deux années précédentes, 750 000 euros par an. Mais sont exclus de la répartition les clubs de Ligue 2 qui, au terme de la troisième année, seront montés en Ligue 1.
M. Michel Savin, rapporteur. - C'est notamment le cas de Saint-Étienne et d'Auxerre. Ces clubs ne bénéficieront pas de l'enveloppe prévue pour la troisième année...
M. Max Marty. - Ils vont bénéficier des nouveaux droits de la Ligue 1 pour la saison 2024-2025.
M. Michel Savin, rapporteur. - Certes, au titre des droits TV, mais je vous parle de la répartition des 1,5 million d'euros. En définitive, ces clubs ne bénéficient de rien à ce titre.
M. Max Marty. - Personnellement, cela ne me choque pas : ils vont percevoir les droits TV de la Ligue 1 pour 2024-2025. Certes, ils sont exclus de l'enveloppe de la Ligue 2 pour la troisième année, mais je crois que tous les clubs préféreront les futurs droits de la Ligue 1 aux anciens droits de la Ligue 2.
M. Michel Savin, rapporteur. - D'autres clubs bénéficieront à la fois d'une part des 1,5 million d'euros et d'une part des droits TV.
M. Max Marty. - Oui, ceux qui restent en Ligue 2.
M. Michel Savin, rapporteur. - Ces droits TV ne seront peut-être pas équivalents à ceux qu'ils vont percevoir au titre de la Ligue 1, sachant que ces montants sont aujourd'hui en suspens. Ces différents éléments n'ont pas été rediscutés.
M. Max Marty. - Non. Pour être très clair, j'ai entendu évoquer ce sujet, que vous avez bien voulu préciser de nouveau ; mais cela ne me choque pas, car le principal objectif des clubs de Ligue 2 est de monter en Ligue 1. Ce faisant, ils abandonnent une part de l'apport de CVC, mais obtiennent un peu plus de droits TV.
J'entends que cet élément peut prêter à discussion, mais il ne saurait nous préoccuper à ce point. Je peux en parler à mon homologue de Saint-Étienne, avec qui j'ai de bons rapports, mais il ne m'a jamais interpellé à ce sujet.
M. Michel Savin, rapporteur. - Le pacte financier conclu entre CVC et la Ligue se fonde sur une hypothèse de 1,1 milliard d'euros pour 2024-2025. Or, au lendemain de l'attribution des droits de Mediapro, Maxime Saada, président de Canal+, avait déclaré que, selon lui, le prix de 800 millions d'euros pour les droits domestiques était complètement déraisonnable. Quels arguments ont conduit la Ligue à voter un plan d'affaires prévoyant des recettes de droits TV à hauteur de 1,1 milliard d'euros pour la prochaine saison, dont 863 millions d'euros pour les droits domestiques ?
M. Max Marty. - Je vais vous donner un avis de Candide, n'étant pas à la Ligue au coeur du réacteur, que ce soit au sein des commissions ou de LFP Media.
À mon sens, pour comprendre le sujet, il faut commencer par observer l'état du marché du football, aujourd'hui, en Europe. L'Espagne, l'Italie et l'Allemagne totalisent à peu près 1 milliard d'euros de droits TV. L'Angleterre dégage un peu plus de 3 milliards d'euros. Quant à la France, elle n'a certes pas encore gagné de Champions League à ce jour, mais elle a été deux fois championne du monde et elle a été dernière finaliste. Notre place sur l'échiquier européen est forte.
Il y a, à la tête de la LFP, un président ambitieux, que j'ai découvert en cours de mandature et qui dit : nous voudrions être comme les autres. De son côté, Canal+ n'a peut-être plus les moyens de payer le foot, et pour cause : cette chaîne a investi dans la fameuse Champions League, qui coûte de plus en plus cher et représente de plus en plus de matchs, dans le football féminin et dans d'autres sports, notamment la Formule 1 et le rugby.
En résumé, la demande émise par la Ligue est logique par rapport au marché. En revanche, du fait des choix auxquels il a procédé, notamment depuis l'affaire Mediapro, l'acheteur n'est plus à même d'acheter au juste prix. Voilà ce que j'ai entendu. Je ne pense pas que le foot soit sous-évalué au point de valoir la moitié de ce qu'il vaut en Espagne ou en Italie.
M. Michel Savin, rapporteur. - Mediapro est un échec à 1,1 milliard d'euros...
M. Max Marty. - Un échec cuisant !
M. Michel Savin, rapporteur. - En 2021, un nouvel appel d'offre est lancé et Amazon le remporte à hauteur de 250 millions d'euros - ce montant doit être comparé aux 800 millions d'euros de Mediapro. Si l'on ajoute à ces 250 millions d'euros les 300 et quelque millions d'euros de beIN, on se situe entre 500 et 600 millions d'euros, bien loin de 1,1 milliard d'euros : ne s'agit-il pas là du vrai prix ?
M. Max Marty. - Si je puis me permettre, votre démonstration n'est pas juste, car elle néglige un élément important : Canal+ a acheté deux matchs pour 330 millions d'euros. J'ajoute que cette chaîne a pris les plus beaux matchs. Il est normal que les matchs suivants aient été légèrement dévalués.
M. Michel Savin, rapporteur. - Mais c'était le même contrat qu'avec Mediapro...
M. Max Marty. - À cette époque, Mbappé, Neymar et Messi sont dans le même club. Tous les ans, la France est demi-finaliste de la Champions League et l'équipe nationale est toujours dans le dernier carré : dès lors, pourquoi mériterions-nous moins que les autres ?
À mon sens, le problème relève davantage des capacités financières que de la valeur même du football français. Le prix envisagé peut paraître juste ; en tout cas, c'est ce que j'ai entendu. Ce n'est pas pour cela qu'il sera obtenu - les difficultés sont là et j'en suis conscient, même si je les regarde d'un peu loin.
Factuellement, votre raisonnement est juste ; mais, à la base et à ma connaissance, les responsables du football français n'ont pas été choqués que le président de la LFP espère obtenir la même chose que ses homologues étrangers, pas même les présidents de Ligue 2.
M. Michel Savin, rapporteur. - Pourtant, le contrat de Mediapro était complètement irréaliste.
M. Max Marty. - Quelqu'un l'a signé : dès lors, il était réaliste. S'il n'y avait pas eu le covid, peut-être serait-il encore en vigueur.
M. Michel Savin, rapporteur. - Ce serait, selon vous, le même contrat, avec Canal+ et beIN disposant du lot n° 3 ?
M. Max Marty. - Oui. Mais la véritable question reste la suivante : le problème vient-il des acteurs ou de la valeur ? À l'évidence, il manque aujourd'hui un acteur.
M. Laurent Lafon, président. - Le principal enseignement de l'épisode Mediapro, c'est que, faire une chaîne sans diffuseur, c'est très compliqué.
M. Max Marty. - En effet : on est en train de s'en apercevoir...
M. Laurent Lafon, président. - Vous invoquez la valeur du marché, mais quelle est-elle lorsqu'un des acteurs, disposant d'un véritable pouvoir de blocage, peut la déterminer presque seul ? Cette question ne semble pas avoir été au coeur des réflexions de la Ligue au cours des dernières années. Que vaut notre championnat dès lors que le diffuseur, en autorisant ou non la diffusion, fait d'une certaine manière la valeur du championnat ?
M. Max Marty. - Je ne vois pas les choses de cette manière, même si, comme vous l'avez compris, je ne prends pas part à ce type de négociations. En tout cas, si j'en juge d'après leurs conséquences, les enjeux ne sont pas là.
Depuis maintenant six ou dix mois, on entend parler, à la Ligue, de l'impératif d'indépendance ; des moyens de créer notre propre chaîne face à un acteur puissant qui bloque la situation en voulant imposer son rythme.
C'est le cours des choses et nous y viendrons tôt ou tard. Bien sûr, au début, il n'y aura peut-être pas 2 ou 3 millions d'abonnés ; il n'y en aura peut-être même pas 500 000. Mais cette indépendance est un véritable enjeu, car elle doit nous permettre de créer notre propre produit. Aujourd'hui, force est de constater qu'un acteur a tous les éléments nécessaires pour imposer son prix. Cette situation ne nous semble pas juste. Ce n'est pas parce que cet acteur est en position de force qu'il a forcément raison : nous en sommes intimement persuadés. En tout cas, je le suis.
J'ai beaucoup de respect pour Canal+, qui s'est sans doute senti humilié par l'arrivée de Mediapro, mais j'estime qu'il faut savoir arrêter une guerre et ne pas vouloir liquider l'ensemble des acteurs du football au motif de cette vexation. Diffuseur emblématique du football français, Canal+ est respecté par tous et est en mesure de jouer le jeu s'il le désire, d'autant plus que le drapeau blanc a été hissé depuis un moment.
Si nous souhaitons éviter de rediscuter l'ensemble des sujets dans quatre ou cinq ans, la solution consistant à créer une chaîne de Ligue 1 s'impose. Je ne connais cependant pas assez l'ensemble des acteurs et suis trop éloigné du sujet pour avoir un avis. Force est de constater que les acteurs ne s'entendent pas : est-ce parce qu'ils n'en ont pas les moyens ? Est-ce qu'il s'agit d'un problème de personnes ? Le prix est-il trop élevé ? En tout état de cause, une chaîne de Ligue 1 devient la seule option possible.
M. Michel Savin, rapporteur. - Nous sommes également très loin de toutes ces discussions et négociations. Vu de l'extérieur, l'épisode Mediapro et l'appel d'offres ayant conduit à retenir Amazon suscitent des interrogations. D'après nos retours, le prix proposé par Canal+ n'était guère éloigné de celui qui avait été avancé par Amazon, mais la discussion n'a pas été rouverte car Canal+ souhaitait rediscuter la totalité de son contrat, en incluant un lot nº3 qui était très cher...
M. Max Marty. - Je n'ai pas dit qu'il était très cher.
M. Michel Savin, rapporteur. - Eux le disent. Canal+ avait donc la volonté de renégocier la totalité de ses lots, mais la paix se négocie à deux : est-ce que chacun a fait des efforts afin de trouver une solution ?
M. Max Marty. - Comme dans tous les secteurs, la position dominante rend aveugle : Canal+ n'a à aucun moment imaginé qu'il pourrait perdre les droits, qu'Amazon pourrait faire une offre supérieure à la sienne et que le football français pourrait ne pas se plier à sa volonté et à son diktat. Or Amazon a donné plus et les grands dirigeants du football français, dont Jean-Michel Aulas, ont fait ce choix, ce qui démontre qu'il existait une marge. Le même Jean-Michel Aulas indique aujourd'hui qu'il faudrait essayer de se rapprocher de Canal+, après lui avoir porté ce coup fatal il y a quelques années. Compte tenu de son intelligence relationnelle et de ce qu'il a accompli à la tête de son club, son choix montre bien qu'il y avait un intérêt à choisir Amazon à un moment donné.
M. Michel Savin, rapporteur. - Les comptes rendus du conseil d'administration montrent que des votes à l'unanimité sont intervenus sur l'accord avec CVC. Il nous a été rapporté, au cours d'autres auditions, que des présidents de club avaient subi des pressions pour voter cet accord ou du moins pour ne pas s'y opposer. Est-ce le cas ?
M. Max Marty. - Le terme de « pressions » n'est pas adéquat. Les dirigeants de CVC ont expliqué avec leurs mots que l'importance de leur investissement en vue de sauver la Ligue 1 nécessitait l'adhésion de la totalité du football français professionnel, ce qui a permis de négocier quelques éléments en notre faveur. Je pense qu'il existait une volonté d'afficher une unité et je ne me souviens pas d'avoir été menacé.
M. Michel Savin, rapporteur. - Ne me faites pas dire ce que je n'ai pas dit.
M. Max Marty. - Ce deal emportait l'enthousiasme de la Ligue 1, les présidents respirant de nouveau à l'idée de sauver le football français, dans une sorte de folie contagieuse et positive qui peut se comprendre car ils étaient au bord du gouffre. Mes collègues de Ligue 2 et moi-même n'avions aucun intérêt à nous opposer à un deal bénéficiant à l'ensemble du football professionnel.
M. Laurent Lafon, président. - La formule « folie contagieuse » est intéressante. La question de la durée de l'investissement de CVC - cinquante ans dans la Liga, mais sans limitation dans la Ligue 1 - a-t-elle été évoquée ?
M. Max Marty. - Bien sûr. Une limitation de durée aurait en effet pu être déterminée, mais CVC a bien indiqué qu'il s'agissait d'acquérir 13 % de manière tout à fait classique.
M. Laurent Lafon, président. - Cette durée n'a-t-elle donc pas fait l'objet d'un débat particulier entre les présidents ?
M. Max Marty. - Non, pas à ma connaissance.
M. Michel Savin, rapporteur. - L'apport de CVC a permis de répartir environ 1,2 milliard d'euros entre les clubs, dont 84 millions d'euros pour les clubs de Ligue 2.
Les clubs de Ligue 2 qui restent dans cette division - soit dix clubs - percevront chacun 3 millions d'euros sur trois ans. Parallèlement, sur le montant total apporté par CVC, les conseils de la LFP ont perçu une enveloppe de 37,5 millions d'euros. Cette répartition vous paraît-elle équitable ?
M. Max Marty. - Je n'ai pas l'habitude de regarder dans l'assiette du voisin, mais des débats importants ont eu lieu au sujet de la rémunération des banques et des avocats. Une comparaison des coûts nous a été présentée lors d'un conseil d'administration et nous a permis de constater que les montants concernés, très élevés dans l'absolu, se situaient dans la moyenne du marché, voire légèrement en deçà si ma mémoire est bonne.
M. Michel Savin, rapporteur. - Ce montant de 37,5 millions d'euros vous paraît-il justifié pour un travail visant à élaborer les statuts et le pacte d'associés d'une société commerciale ? Je pense aux clubs de Ligue 2 qui percevront 3 millions d'euros sur trois ans.
M. Max Marty. - Comme je l'indiquais précédemment, il ne s'agissait pas d'un sujet que nous maîtrisions. Je n'ai pas la compétence nécessaire pour apprécier, par rapport au travail demandé, le caractère raisonnable ou non de ce montant de 37,5 millions d'euros. Je fais partie de ceux qui n'ont pas été choqués par ces chiffres après les explications dont nous avons pu bénéficier.
M. Michel Savin, rapporteur. - Que vous disent les présidents de clubs de Ligue 2 au sujet de ce partenariat avec CVC ?
M. Max Marty. - Nous sommes des ruraux et souhaiterions que CVC révolutionne le football, en permettant de diffuser les séances d'entraînement par exemple. Le football souffre surtout d'un problème d'image, puisque nous passons tous pour des gens qui ne pensent qu'à l'argent et qui préfèrent embrasser un billet de 500 euros plutôt qu'un écusson de club. Nous attendons donc de CVC une ouverture médiatique sur nos actions positives en matière de développement du foot féminin ou de travail sur les mots employés par les coachs.
Il faut redonner du sens et rendre l'argent du football un peu plus intelligent, dans un monde qui a beaucoup évolué. Nous en sommes restés à l'ère Canal+, qui était fastueuse pour le football, mais celle-ci est bien révolue.
M. Michel Savin, rapporteur. - Dans quelle instance ces sujets sont-ils évoqués avec CVC ?
M. Max Marty. - Nous en avons parlé lors du dernier conseil d'administration de la LFP en indiquant clairement à CVC que nous ne souhaitions pas parler d'argent, mais avant tout de notre quotidien, qui reste gris, et de cette image du football qui doit évoluer.
M. Michel Savin, rapporteur. - Quelle a été leur réponse ?
M. Max Marty. - Ils nous ont fait part de leur volonté de s'associer avec nous, tout en pointant une attitude assez réfractaire dès lors que des demandes sont adressées séparément aux clubs. Nous avons indiqué que nous étions prêts à réunir l'ensemble des présidents de club pour discuter collectivement des demandes de CVC et débattre avec eux de l'évolution de l'image du football.
M. Laurent Lafon, président. - Dialoguez-vous directement avec les représentants de CVC, ou vous adressez-vous aux cadres dirigeants de la société commerciale ?
M. Max Marty. - Avec les représentants de CVC, qui ont entendu notre demande. Je pense que des évolutions sont envisageables dès la prochaine saison : nous comptons sur eux, car ils sont innovants.
M. Laurent Lafon, président. - Nous avons auditionné les représentants de CVC la semaine dernière et nous avons le sentiment qu'ils font davantage confiance à la société commerciale et aux membres de la LFP sur les aspects sportifs que vous évoquez légitimement. Sont-ils réellement impliqués sur ces sujets ?
M. Max Marty. - Le sujet de l'évolution et de la construction de notre sport a bien été évoqué lors du dernier conseil d'administration, au-delà des aspects financiers. Nous avons eu l'impression d'avoir été écoutés : au lieu de nous focaliser sur l'argent, il nous faut déterminer la marche à suivre pour rendre le football indispensable dans les territoires. Nous sommes pleins d'espoir et nous avons rappelé nos objectifs à CVC.
M. Michel Savin, rapporteur. - Au moment de la création de LFP Media, la Ligue a transféré l'essentiel de ses missions, notamment en matière économique. Les aspects relatifs aux droits audiovisuels et aux relations avec les clubs reviennent donc bien à la société commerciale, censée agir plus directement que CVC.
M. Max Marty. - Votre propos est tout à fait juste sur le plan juridique, mais je n'ai pas ce cloisonnement en tête lorsque je discute avec CVC, la LFP et la société commerciale. Même si une grande partie de la direction de la LFP a été transférée, il s'agit pour nous de la même boutique.
M. Michel Savin, rapporteur. - Vous avez évoqué à juste titre l'image du football, les clubs amateurs portant souvent un oeil critique sur le milieu professionnel...
M. Max Marty. - Parfois à juste titre.
M. Michel Savin, rapporteur. - Quel est votre sentiment lorsque la Ligue annonce l'achat d'un siège à 125 millions d'euros dans une période aussi incertaine sur le plan financier ? Quel regard les dirigeants, joueurs et bénévoles du football amateur portent-ils sur ce sujet ?
M. Max Marty. - Je pense qu'ils sont fiers de cet achat d'un siège accessible à la fois aux clubs professionnels et aux clubs amateurs partenaires. La France étant une nation qui compte dans le football européen, je me réjouis de pouvoir utiliser un lieu de référence et de disposer d'un bien durable plutôt que d'une location, compte tenu des loyers parisiens. Je rappelle que cette décision a été approuvée à l'unanimité et qu'elle a été perçue comme valorisante.
M. Michel Savin, rapporteur. - Nous avons été surpris par cette annonce de dépenses aussi importantes au regard de l'absence de visibilité sur les recettes futures.
M. Max Marty. - La démarche relève sans doute du goût d'entreprendre : deux ans et demi plus tôt, nous avions décidé de changer de siège alors que la situation était compliquée.
M. Michel Savin, rapporteur. - Vous pouviez alors vous appuyer sur Amazon.
M. Max Marty. - La LFP louait déjà un bâtiment complémentaire avenue d'Iéna pour loger son personnel et la recherche d'un nouvel immeuble avait déjà été engagée. Parmi les différents immeubles qui nous ont été présentés, celui qui a été retenu répondait le mieux à nos critères. Les éléments ont été présentés au conseil d'administration de la Ligue et ont reçu l'aval de Nasser al-Khelaïfi, un homme qui porte une vision du football dépassant les seuls grands clubs. De la même manière, Jean-Michel Aulas et des présidents de clubs moyens tels que Jean-Pierre Caillot pour Reims se sont montrés solidaires, le conseil d'administration ayant examiné les différentes options et validé l'achat d'une nouvelle « maison ».
M. Laurent Lafon, président. - Vous avez évoqué avec justesse la focalisation du milieu du football sur l'argent. Ne peut-on pas voir derrière l'acquisition de ce siège dans l'un des plus beaux arrondissements de Paris le poids du PSG, dont le train de vie est sans commune mesure avec les clubs de Ligue 2 ? Tous les clubs participent en effet à cet achat de 120 millions d'euros, montant auquel s'ajoutent 20 millions d'euros de travaux. N'y a-t-il pas deux mondes, dont l'un l'emporte dans une série de décisions ?
M. Max Marty. - La jalousie n'a jamais permis d'avancer. Je suis très fier d'avoir des grands clubs tels que le PSG et l'Olympique de Marseille, et je rappelle que l'Union des associations européennes de football (UEFA) s'est également installée à Paris. Il me semble utile d'avoir un outil de travail de référence dans la capitale, et je serai très fier d'emmener mes futurs invités dans la maison du football français. Comme vous l'avez vu, cette dernière n'a pas été baptisée « LFP » et il faudra que les clubs se l'approprient.
Il s'agit pour moi d'un outil de travail qui me permet de disposer d'une salle dédiée, de me restaurer, de faire du sport et de ne pas payer une chambre d'hôtel à 300 euros. Provincial et fier de l'être, je ne connais pas les prix du marché parisien... Sans être un béni-oui-oui des dirigeants de la LFP, et si je considère que le football meurt de certaines pratiques, j'estime cependant qu'il faut être digne de son rang et avoir les moyens de ses ambitions, qu'il s'agisse de décrocher un troisième titre de champion du monde ou de remporter la Champions League. L'avenir dira s'il s'agissait d'une folie : aujourd'hui, je ne le crois pas.
M. Michel Savin, rapporteur. - L'immeuble comprend donc des chambres ?
M. Max Marty. - Non, j'indiquais simplement que je pouvais passer la journée sur place après être parti de bonne heure de Grenoble, puisqu'il est possible d'y prendre une douche, entre autres. L'immeuble apporte un confort certain aux dirigeants du football.
M. Michel Savin, rapporteur. - Êtes-vous inquiets de la situation du football professionnel français ?
M. Michel Savin, rapporteur. - Seriez-vous, comme l'a évoqué le président Aulas, prêt à demander à la Ligue de rediscuter la répartition des recettes des droits audiovisuels ?
M. Max Marty. - Je suis favorable à toute solution qui permettra au football français de mieux vivre.
M. Michel Savin, rapporteur. - Serez-vous demandeur de cette discussion ?
M. Max Marty. - Je veux voir comment les choses évoluent. Aujourd'hui, la Ligue 2 est relativement protégée et n'est pas appelée à être la principale victime d'une éventuelle catastrophe économique. En revanche, nous devrons sans doute être solidaires en cas de coup dur et accepter de perdre davantage que prévu. La Ligue 2 perçoit des revenus infinitésimaux par rapport au top 5 des clubs français et ne pourra donc servir d'unique variable d'ajustement.
Je suis donc inquiet, mais, comme toute famille confrontée à des difficultés, il faudra accepter de réduire son train de vie et d'identifier des perspectives. À ce stade, nous pouvons tabler sur une ou deux années difficiles ; en contrepoint, la création de la chaîne nous donnera de la liberté pour l'avenir et permettra d'éviter de voir se reproduire une situation de blocage, qu'il s'agisse de Canal+ ou d'un autre acteur.
Je ne suis pas en mesure d'apprécier la pertinence des chiffres avancés, qu'il s'agisse du nombre d'abonnés ou du prix de l'abonnement. Je suis davantage un spectateur attentif qu'un sachant dans ce domaine.
M. Laurent Lafon, président. - Ces éléments chiffrés vous ont-ils été présentés par la Ligue ?
M. Laurent Lafon, président. - Le personnel de la société commerciale ne s'occupe donc pas des simulations.
M. Max Marty. - Je pense qu'il travaille de concert avec la Ligue.
M. Michel Savin, rapporteur. - Ce travail ne relève-t-il pas des missions de la société commerciale ?
M. Max Marty. - La société commerciale était présente et le travail a sans doute été effectué de manière transversale.
M. Michel Savin, rapporteur. - Nous touchons là une difficulté, car nous ne savons plus qui fait quoi. Cette confusion n'est-elle pas liée au fait que la société commerciale et la Ligue sont dirigées par le même président ?
M. Max Marty. - Cette double responsabilité présente un avantage dans la mesure où nous nous sommes approprié le sujet.
M. Michel Savin, rapporteur. - Parlez-vous de la Ligue ?
M. Max Marty. - À titre personnel, je ne fais pas réellement la différence entre un personnel de la LFP et un personnel de la société commerciale.
M. Michel Savin, rapporteur. - Cette configuration est-elle réellement souhaitable ?
M. Max Marty. - Cela ne me dérange pas, car seul le résultat compte. Les blocages ne sont selon moi pas liés aux personnes qui vendent le produit, mais plutôt au prix auquel certaines veulent l'acheter.
M. Michel Savin, rapporteur. - Pensez-vous qu'il faille renégocier le contrat avec CVC afin de préserver les finances des clubs dans un contexte de droits audiovisuels qui n'est pas très porteur ?
M. Max Marty. - Les représentants de CVC que j'ai pu fréquenter m'ont semblé être des personnes responsables et ont investi de manière considérable. L'un des éléments de la réussite, à leurs yeux, tient à une évolution positive des droits audiovisuels. J'ignore s'il faudra renégocier ou s'ils le feront d'eux-mêmes si nous nous retrouvons dans une situation d'échec. Une réflexion devra évidemment intervenir dans ce cas, sans que nous ayons besoin d'une révolution. Une évolution se fera naturellement : j'ai confiance dans ces personnes.
M. Michel Savin, rapporteur. - De quelles évolutions pourrait-il s'agir ?
M. Max Marty. - CVC pourrait continuer à aider les clubs à traverser une passe difficile, mais je rappelle qu'il ne s'agit pas d'une entreprise philanthropique et que ce fonds devra récupérer son argent tôt ou tard. À l'instar d'un ménage, les clubs ne pourront pas emprunter sans rembourser et il ne faut pas dire que l'on rase gratis : si CVC est capable de venir en aide à des structures, la Ligue aura la responsabilité de définir les modalités d'un remboursement. Dans une période de crise, il faut pouvoir être aidé, mais tout en réduisant alors nos objectifs financiers.
M. Laurent Lafon, président. - Sommes-nous dans une période de crise ?
M. Max Marty. - Pas encore. Nous avons traversé une grave crise avec l'arrêt des championnats, qui a été selon moi une décision catastrophique, d'autant plus que nous avons été les seuls à faire ce choix au niveau européen. Nous avons été remplis d'espoir à la nouvelle de l'achat de 13 % de la société commerciale par CVC, cet achat ayant démontré que des gens croyaient en nous. Pour reprendre l'image de la famille, nous devons nous entraider face aux difficultés, en sachant que rien n'est gratuit : si nous devions affronter une nouvelle crise, il nous faudra accepter d'être plus raisonnables, tant en matière d'objectifs financiers que de budget.
M. Laurent Lafon, président. - Quel calendrier vous donnez-vous ? L'échec de l'appel d'offres a conduit au report des dates et, en cette fin de mois de juin, si une chaîne de télévision est à l'étude, ce projet ne s'est pas concrétisé. À partir de quand considérerez-vous que la solution mise en place entraînera un préjudice financier lourd pour les clubs, alors que nous sommes en période de crise ?
M. Max Marty - Le blocage de la situation nous cause un préjudice. Depuis les dix dernières années que je suis dans le football, c'est par exemple la première fois que je ne reçois aucune proposition d'un club de Ligue 1 pour l'un de mes joueurs.
Les équipes de LFP Media travaillent depuis de nombreux mois à la mise en place d'une chaîne. Cette chaîne n'est pas virtuelle, sa création effective peut s'enclencher très vite. Mais le bon sens veut que cela se fasse au dernier moment : il faut le plus longtemps possible se donner la chance d'une unité, d'un rendez-vous avec notre diffuseur emblématique Canal+, et donner une chance à tous ceux sont qui ont émis des propositions, comme DAZN.
Pour les clubs de Ligue 1, plus que pour les clubs de Ligue 2, la possibilité de cette chaîne représente une sécurité.
M. Michel Savin, rapporteur. - C'est une sécurité pour les clubs ?
M. Max Marty - C'est mieux que rien. Si c'est pour ne recevoir que 250 millions d'euros de Canal+ ou d'autres diffuseurs, autant créer sa propre chaîne...
M. Michel Savin, rapporteur. - Est-ce là le prix de Canal+ ?
M. Max Marty - Non, je ne sais pas, je ne suis pas du tout dans ces discussions et j'ai trop de respect pour ce diffuseur pour me permettre de dire qui a tort ou qui a raison. Je voudrais que tout le monde s'accorde, mais j'ai passé l'âge de penser que c'est aussi simple...
À ce stade, c'est une sécurité pour tous de savoir que demain les écrans ne seront pas noirs et que la Ligue 1 sera retransmise. Cependant, avant toute décision, il est normal que les dirigeants de la LFP attendent le plus tard possible, afin d'avoir les chiffres précis de tous.
M. Michel Savin, rapporteur. - Peut-être les clubs de Ligue 2 ne sont-ils pas dans le même cas que les clubs de Ligue 1 - vous allez nous le dire - qui ont fait signer des contrats à des joueurs à des montants assez élevés dans la perspective de droits TV estimés, comme dans le plan d'affaires, à 1,1 milliard d'euros ?
Parmi ceux à qui nous avons posé la question, seuls deux représentants de club nous ont dit avoir baissé des salaires pendant la période difficile. D'autres ont simplement décalé certaines rémunérations.
Certes, nous ne sommes pas avec la Ligue 2 et la Ligue 1 sur des rapports équivalents, mais même sur un budget de 10 millions ou de 15 millions d'euros, la part de la masse salariale des joueurs est importante. Des clubs de Ligue 2 risqueraient-ils de connaître des difficultés si les droits de retransmission devaient être à la baisse ?
Dans la renégociation en cours, une forme de solidarité qui se répercuterait sur un club de Ligue 2 à hauteur de 500 000 ou 800 000 euros ne serait pas négligeable...
M. Max Marty - La question est intéressante, elle offrira une transition vers celle de la multipropriété des clubs.
Dans un club comme le mien, le patron, originaire du territoire, qui tous les jours rencontre ses spectateurs et ses clients, est automatiquement quelqu'un de précautionneux. Dans une période de crise, il ne fera pas un acte de mauvaise gestion, en dépensant l'argent qu'il pourrait avoir, peut-être, demain.
M. Michel Savin, rapporteur. - Il n'aurait pas acheté les nouveaux bureaux de la Ligue...
M. Max Marty - Mon président a aussi sûrement, parce qu'il faut bien se lancer, acheté au début des magasins sans avoir tous les financements...
Il existe vraiment deux types de clubs : ceux qui ont des propriétaires français, à la tête d'entreprises locales, comme Jean-Pierre Caillot, qui ne dépenseront pas les futurs droits TV avant de savoir s'ils les toucheront ; et ceux, nombreux, qui sont dirigés par des fonds de pension et des présidents salariés, qui ont besoin de vendre un peu de rêve à leurs actionnaires. Ces présidents-ci sont dans la nécessité de remporter des matchs pour continuer à être salariés de l'entreprise et, pour ce faire, d'acheter de meilleurs joueurs. Ils peuvent se retrouver plus en difficulté. C'est ce que j'appelle - ils le vivront bien ou mal - de la mauvaise gestion, et tant pis pour eux !
Au Grenoble Foot 38, nous avons signé des contrats qui s'achèvent avec la fin des droits TV. Tous ceux qui se poursuivent au-delà portent sur des montants bien inférieurs à notre plafond salarial. Nous n'espérons prendre deux ou trois joueurs les plus chers à ce plafond qu'une fois que les droits auront été déterminés, raison pour laquelle, d'ailleurs, le marché est fermé.
Je n'ai aucune honte à le dire, mon objectif premier, à Grenoble, est d'assurer l'équilibre financier du club, qui est d'abord une entreprise. Vient ensuite celui de me maintenir en Ligue 2. Cela m'ennuie de le placer en troisième position, mais arrive seulement après celui de faire plaisir à nos supporteurs et de leur proposer le jeu le plus alléchant possible. Cet objectif ne saurait être le premier.
Il faut, notamment en Ligue 2, plus particulièrement dans le football des territoires et, j'espère, demain dans un championnat de National professionnel, créer ce modèle fondé sur des entrepreneurs locaux et des budgets équilibrés.
M. Michel Savin, rapporteur. - Ce qui n'est pas le cas aujourd'hui...
M. Max Marty - Parce que la Ligue 2 est en train de changer. Nous avons entendu Pierre Ferracci, le président du Paris FC, avec qui je m'entends très bien : il a le Barheïn pour actionnaire, ce qui décuple le potentiel de son club. En Ligue 2, sept ou huit clubs, dont également Bordeaux et Dunkerque, possèdent des budgets qui n'existaient pas à ce niveau deux ou trois ans plus tôt. Cela ne fausse pas la donne, cela redistribue les cartes du football français.
M. Michel Savin, rapporteur. - Nous partageons cette inquiétude sur le financement du football en France. En prenant des parts dans un club, un fonds d'investissement en espère une valorisation afin de mieux le revendre au bout de cinq ou six ans et d'obtenir un bénéfice significatif. À cet égard, les clubs de Ligue 2 français ne sont pas trop chers.
La croissance d'un club s'appuie également sur les droits TV et sur la qualité de la formation à la française, qui peut offrir de belles plus-values. Au cas où les recettes de diffusion ne seraient pas à la hauteur espérée, n'y a-t-il pas un risque que ces clubs soient, pour équilibrer leurs finances après d'importants investissements sur des contrats, dans l'obligation de vendre leurs meilleurs éléments, qu'ils ne perdent ainsi en compétitivité et rendent la Ligue 2 moins attractive ? Ne sommes-nous finalement pas dans un cercle vicieux ?
M. Max Marty - Je pense l'inverse. Les fonds de pension étrangers qui ont acheté les sept ou huit clubs actuellement en Ligue 2 veulent, vous avez raison, monter en Ligue 1 pour multiplier par deux ou par trois leur mise. Ils se donnent pour cela deux ou trois ans. Dans le meilleur des cas, un tiers d'entre eux y parviendra. Autrement dit, si j'étais un investisseur à leur image, je n'investirais pas dans un club de Ligue 2, sauf à prendre un risque...
M. Michel Savin, rapporteur. - Il n'est pour eux pas très élevé.
M. Max Marty - Mais il y a trois chances sur quatre pour que cela ne marche pas. Que ces investissements, que nous ne maîtrisons pas en France, soient réservés à certains clubs de l'élite tels que l'Olympique de Marseille, l'Olympique lyonnais ou le PSG, qui ont des besoins financiers spécifiques, pourquoi pas ; mais en Ligue 2 et en National, nous avons vu ce qui s'est passé à Troyes avec l'Estac (L'Espérance sportive Troyes Aube Champagne), où le facteur de la multipropriété a joué, et avec La Berrichonne de Châteauroux...
M. Michel Savin, rapporteur. - Ou avec le FC Sochaux-Montbéliard.
M. Max Marty - Nous devons professionnaliser le championnat de National et nous devrions normalement avoir 90 % des clubs de Ligue 2 détenus par des entrepreneurs locaux, parce que nous ne jouons pas au football partout pareil.
Vous avez utilisé l'expression qui m'est chère de « football des territoires ». À Nantes, on se rend au stade pour voir du redoublement de passes, un Sud-Américain faire un geste inédit... À Lens, un petit-fils de mineur, parce que c'est son ADN, veut voir un joueur qui, dans un match, parcourt douze kilomètres, réalise trente courses à haute intensité, tacle dans tous les sens, a pris un carton jaune, et finit le maillot en sueur !
Les investissements des entreprises étrangères uniformisent le football. Vouloir jouer à Troyes comme on joue à Manchester City ne marche pas !
M. Michel Savin, rapporteur. - Nous en sommes bien d'accord.
M. Max Marty - Vous parliez de la formation. Le championnat de National et la Ligue 2 doivent en être les référents en France. Les clubs de Ligue 1 n'ont plus le temps de l'assurer. Leurs centres de formation ne sortent plus de joueurs. Même le PSG vend ses meilleurs jeunes 10 millions d'euros avant de les racheter.
Évoluons sur ces sujets ! Le championnat de National et la Ligue 2 ne poursuivent pas le même objectif que la Ligue 1. Ce n'est pas le même football. Au niveau des premiers, il nous faut être les garants de ce à quoi le football sert, socialement, sur un territoire. Pourquoi formons-nous ? Pourquoi investissons-nous autant d'argent dans un centre de formation ou un centre d'entraînement ? Je suis un président visionnaire, qui a compris ces sujets.
Donnez-nous des armes pour maintenir le niveau de la formation française et entretenir l'intelligence que nous avons eue pendant de longues années en la matière. Nous sommes en train d'être dépassés par l'Espagne, les Pays-Bas, le Portugal où le club de Benfica vend des jeunes joueurs pour 50 millions d'euros par an. Connaissez-vous des clubs français qui en font autant ? L'Ajax d'Amsterdam en avait vendu pour 200 millions d'euros il y a deux ans, ce qui n'est jamais arrivé en France, où nous nous prévalons pourtant d'être les meilleurs. Nous chantons comme des coqs sur notre tas de fumier quand tout le monde nous rattrape !
Récréons notre identité au niveau de la direction technique nationale (DTN) de la Fédération française de football (FFF), en apportant de la valeur ajoutée. Il revient aux clubs de Ligue 2 et de National d'irriguer le football et le territoire français, de former des joueurs pour les grands clubs de Ligue 1, qui vivent dans leur monde avec leurs investisseurs étrangers. Il s'agit de deux footballs différents.
M. Michel Savin, rapporteur. - Quand vous demandez que l'on vous donne les moyens, est-ce à dire le Parlement ?
M. Max Marty - Je m'adresse aux sachants, aux intellectuels, aux élus, comme cela se fait en Allemagne ou dans d'autres endroits. Si un fonds de pension ne peut plus acheter, par exemple, le club de La Berrichonne de Châteauroux, aucun président n'envisagera d'y effectuer quelques investissements pour ensuite revendre ; non, il construira dans la durée. Nous manquerons de continuité dans le football aussi longtemps qu'un président de Ligue 2 pourra se dire que, dès lors que cela va un peu moins bien ou qu'il en a assez, il lui est loisible de gagner de l'argent en cédant son club à un fonds de pension. De telles ventes appauvrissent le territoire. Et, après, on ne comprend pas pourquoi les supporteurs manifestent leur mécontentement... On ne joue pas au football partout de la même manière !
J'étais, il y a peu de temps au Brésil en compagnie de Ricardo Gomes, qui fut l'entraîneur des Girondins de Bordeaux et de l'AS Monaco. Je l'ai interrogé sur les différences entre la formation française ou européenne et la formation sud-américaine, car il a travaillé sur les deux continents. Il m'a répondu qu'en France, la méthode consiste, quand on veut déborder sur le côté, à demander à l'avant-centre de reculer de dix mètres, à l'ailier de faire un faux appel, au défenseur latéral de passer dans le dos de la défense adverse pour qu'on lui passe le ballon ; au Brésil, il m'a dit qu'il donnait directement le ballon à son attaquant et que si celui-ci n'avait toujours pas débordé après trois tentatives, il le changeait... Et on s'étonne que nous n'ayons plus de dribbleurs en France !
À vrai dire, il n'y a pas « une » bonne méthode, le Brésil est champion du monde et nous le sommes aussi. La vérité est partout. Mais aujourd'hui, on ne réfléchit plus sur le football, on ne parle que d'argent.
Vous m'interrogez sur ce que je pense de l'argent du football ; moi, je m'implique dans le football pour ce qu'il représente dans les territoires. Or nous n'avons plus les moyens de cette relation, parce que la moitié des clubs de Ligue 2 veulent aller seulement en Ligue 1.
M. Michel Savin, rapporteur. - N'est-ce pas un danger ?
M. Michel Savin, rapporteur. - Nous sommes donc sur la même ligne.
M. Max Marty - Je ne suis pas contre la financiarisation, mais il faut la réserver à une certaine partie du football professionnel, en Ligue 1.
M. Michel Savin, rapporteur. - Nous voyons des clubs de Ligue 2 en multipropriété avec des clubs étrangers. N'y a-t-il pas un contournement de la règle de la Direction nationale du contrôle de gestion (DNCG) ainsi qu'un problème d'iniquité sportive quand des clubs étrangers achètent des joueurs qui n'entrent pas dans la comptabilité des clubs français et qui sont simplement mis à leur disposition en prêt ?
M. Max Marty - Bien sûr ! En Ligue 2, nous nous sommes élevés auprès de la LFP, de la FFF et de son président, Philippe Diallo, contre l'AS Nancy Lorraine et contre tous ces clubs qui sont à masse salariale encadrée, qui font acheter des joueurs par leur filiale, laquelle, ensuite, les leur prête gratuitement. C'est une situation scandaleuse ; on m'a donné raison, mais, faute d'outils, nous ne pouvons rien faire.
C'est là que je sollicite votre aide. La situation est dangereuse et la multipropriété des clubs est un fléau. Comment peut-on penser que Manchester City, en achetant l'Estac, veuille que ce club joue demain la coupe d'Europe ? Il ne lui est qu'un club vassalisé, où l'on placera quelques jeunes joueurs en attendant qu'ils éclosent. Et les jeunes de l'Aube jouent-ils au centre de formation de l'Estac ? N'y trouvons-nous pas plutôt des Canadiens, des Chinois, des Sud-Américains, avec les meilleurs jeunes que Manchester City a détectés ? Gardons des places pour les gamins du territoire ! Nous savons que, en France, nos jeunes sont plus tardifs, qu'ils ont besoin de temps, qu'il faut d'abord les laisser près de leur famille. Avec la multipropriété, nous donnons un coup de pied dans la formation.
Je ne crois pas à la mondialisation du football en Ligue 2 et en National. Pour la Ligue 1, c'est autre chose.
M. Michel Savin, rapporteur. - Vous avez à plusieurs reprises évoqué le « championnat des territoires ». Comment envisagez-vous l'avenir de la Ligue 2 et quelles sont les voies d'amélioration ? Des propositions sont-elles mises sur la table pour corriger la situation actuelle ?
M. Max Marty - Je voulais déjà le regroupement - plutôt qu'un syndicat, terme qui ne me convient pas - des présidents de Ligue 2 et de National qui sont propriétaires de leur club. Être passé à 18 clubs en Ligue 1 et en Ligue 2 nous oblige par ailleurs à prévoir un championnat de National professionnel. En l'état, nous ne repérerons plus, d'ici à vingt ans, certains jeunes joueurs.
M. Michel Savin, rapporteur. - Était-ce une erreur de passer à 18 clubs en Ligue 2 ?
M. Max Marty - Non, si le championnat de National devient professionnel. J'étais d'abord contre ce passage à 18 clubs ; j'ai donné mon assentiment uniquement parce qu'on m'a laissé entendre, sans toutefois me le promettre, qu'en travaillant bien nous obtiendrions un championnat de National professionnel. Nous ne l'avons toujours pas, mais il reste indispensable pour l'avenir du football français. Si nous ne remettons pas des clubs avec une offre de formation cohérente dans tous nos territoires, nous nous en mordrons les doigts dans quelques années.
Ma vision est qu'il y a réellement deux formes de football. Nous trouvons, d'un côté, ceux qui le construisent avec une vocation sociale et qui en font un totem de leur territoire, de l'autre, ceux qui l'utilisent à l'échelon national.
J'ai envie que le PSG remporte la Ligue des Champions, parce qu'il donnerait alors une bonne image de la France. D'autres grands clubs tels que l'Olympique de Marseille ou le FC Nantes véhiculent aussi une image favorable de notre pays. Au niveau qui est le nôtre, au Grenoble Foot 38, nous sommes heureux d'être en Ligue 2. Certes, nous voudrions accéder à la Ligue 1, mais avec nos critères, notre mode de fonctionnement et notre modèle !
M. Michel Savin, rapporteur. - Tous les clubs ne partagent pas la même démarche.
M. Max Marty - C'est une erreur et je défends mon modèle.
M. Michel Savin, rapporteur. - Ces discussions, les menez-vous au sein du collège Ligue 2 de la LFP ?
M. Max Marty - Oui, mais avec des gens qui, pour moitié, ne pensent pas la même chose que moi. Tel président salarié, gagnant bien sa vie, dépend d'un fonds de pension luxembourgeois qui attend de lui qu'il obtienne la montée en Ligue 1. Il demande alors un budget et formule des exigences personnelles en conséquence. La logique n'est pas la même.
J'ai eu l'occasion de le dire à Vincent Labrune, dont je respecte le travail et l'engagement au quotidien, même si les résultats ne sont pas toujours présents : il a espéré, en passant à 18 clubs dans les deux premières divisions, donner davantage de moyens à la Ligue 1 de gagner la Ligue des Champions. L'effet produit est inverse ! Nous avons aujourd'hui la meilleure ligue 2 d'Europe, après avoir récupéré le Stade Malherbe de Caen, l'AS Saint-Étienne et les Girondins de Bordeaux. Par contrecoup, nous connaissons les mêmes difficultés en Ligue 2 qu'en Ligue 1, avec des excès d'argent, des déficits et des dépôts de bilan. Les propositions d'achat de mes joueurs que je reçois me viennent non de la Ligue 1, mais de la Ligue 2.
Sans championnat de National professionnel, nous perdrons l'essence de notre objectif, à savoir former des joueurs pour le plus haut niveau et l'équipe de France. Après plus de trente ans de carrière, c'est une fierté d'avoir vu passer dans mon effectif une centaine de joueurs qui ont ensuite évolué en Ligue 1, et dont quatre ou cinq ont été sélectionnés en équipe nationale. Tel est mon métier. Je veux d'abord faire oeuvre utile.
M. Laurent Lafon, président. - Dans le compte rendu de l'assemblée générale de la LFP d'avril 2022, je lis : « Vincent Labrune évoque la question du plafonnement des revenus de la Ligue 2 dans le cadre de ces dispositions en indiquant qu'il faudra mettre le sujet sur la table, de bonne foi et de façon raisonnable. » C'est tout à fait ce que vous dites.
M. Max Marty - À Grenoble, nous sommes pour un plafonnement salarial, tel que nous l'appliquons dans notre club.
M. Laurent Lafon, président. - A-t-il été mis en oeuvre plus largement depuis deux ans ?
M. Max Marty - C'est un serpent de mer. Les clubs qui descendent de Ligue 1 ne le veulent pas et il y a de plus en plus de clubs avec des fonds de pension en Ligue 2.
M. Michel Savin, rapporteur. - Aujourd'hui, ces fonds de pension pèsent...
M. Max Marty - L'évolution est telle que le sujet devient tabou. Mais on se trompe. Peut-être y parviendrons-nous avec le championnat de National. Il y a trop de gros clubs en Ligue 2.
M. Michel Savin, rapporteur. - Dans toutes ces décisions, l'entreprise CVC Capital Partners a-t-elle son mot à dire ?
M. Max Marty - Je n'en discute pas personnellement avec ses représentants.
M. Michel Savin, rapporteur. - Et avec la société commerciale ?
M. Max Marty - Je parle à la LFP de ce football des territoires.
M. Michel Savin, rapporteur. - Nous évoquons les fonds d'investissement présents dans les clubs. C'est aussi un fonds d'investissement qui est partenaire de la Ligue, avec le même objectif, celui, sinon de gagner de l'argent, du moins de ne pas trop en perdre, sachant que, à la LFP, contrairement à ce qui prévaut dans un club, il n'y a pas d'aléa sportif.
Avec des fonds d'investissement ainsi omniprésents, le risque n'existe-t-il pas, sous leur pression, d'avoir demain des difficultés à faire appliquer les décisions du président de la LFP sur un plafonnement salarial en Ligue 2 ?
M. Max Marty - À la place de CVC, j'écouterais le langage que je viens de vous tenir. Il est dans l'intérêt des plus grands clubs que la formation française continue d'exister et s'améliore. Ils ne parlent que des tout meilleurs joueurs, mais ne devraient pas ignorer les profils un peu tardifs ou différents, qui donneront demain d'excellents joueurs de Ligue 1 ou même de l'équipe de France - Olivier Giroud n'avait d'abord pas été gardé par l'un de ses premiers clubs au motif qu'il n'avait pas le niveau.
Le modèle de CVC consiste à gagner de l'argent avec les plus grands clubs. Cependant, pour que ces derniers conservent leur rang, il faut que la Nation travaille à leur service et qu'on lui en donne les moyens financiers. L'emploi des 84 millions d'euros qui revenaient aux clubs de Ligue 2 entre dans cette logique. Nous avons choisi de les investir dans nos outils - centres de formation, tribunes des stades, vidéosurveillance -, non dans les salaires. Nos interlocuteurs de CVC peuvent l'entendre, en dépit de la contrariété de nos vocations respectives.
M. Michel Savin, rapporteur. - Les clubs de Ligue 1 sont-ils également prêts à l'entendre ?
M. Max Marty - Depuis que je fais partie de la LFP, je suis revenu sur l'image que je m'étais d'abord forgée de ces clubs et de leurs présidents, que je jugeais un peu superficiels. Je constate qu'il y a parmi eux des gens passionnés, qui réfléchissent et qui écoutent. Certains ont compris que nous avions des intérêts communs.
M. Michel Savin, rapporteur. - Pourquoi ne suivent-ils pas votre proposition ?
M. Max Marty - Ce n'est pas une proposition, plutôt une manière personnelle de considérer les choses.
M. Michel Savin, rapporteur. - Vous ne vous en exprimez pas moins au nom du collège Ligue 2 de la LFP.
M. Max Marty - Les membres du collège Ligue 2 sont ouverts et attentifs à ces sujets. Sauf que, en son sein, nombre de présidents sont salariés et n'ont d'autre mission que de monter en Ligue 1. Ils veulent obtenir un palmarès qui leur permette, si nécessaire, de rebondir ailleurs, en aucun cas construire un club.
Grâce à M. Stéphane Rosnoblet, son président et propriétaire, j'en suis à mon deuxième passage au Grenoble Foot 38. J'y finirai probablement ma carrière. Je n'ai aucune envie d'aller ailleurs, je suis attaché à ce club et à son territoire. Aujourd'hui, le football est dépersonnalisé : un coup Pierre, un coup Paul ! On change le directeur sportif ou le directeur général. Le seul sujet consiste à savoir comment l'équipe première va s'imposer. On oublie les fondations.
Dans nos associations sportives, il faut introduire des personnes à la fois proches du système professionnel et porteuses d'un objectif. Faut-il rattacher la formation, qui requiert des compétences spécifiques, à nos associations ? Je ne sais pas.
Ce sont les dirigeants du football qui changent les choses et les dirigeants emblématiques ne sont pas si nombreux. Qu'on l'apprécie ou non, Jean-Michel Aulas est exemplaire dans ce qu'il a réalisé. Il était attaché à son club. Combien sont ceux qui de nos jours restent, comme lui, dix, quinze ou vingt ans en poste ? À Grenoble, notre président est là depuis dix ans et le sera vraisemblablement encore dans dix ans. On pourra mesurer son bilan.
Nous faisons face à un problème d'appropriation, avec des gens extérieurs au territoire où ils interviennent. Si mon président, demain, fait n'importe quoi, on le rattrapera au moment de faire son marché. Il y va tout autrement d'un fonds de pension, qui est immatériel.
M. Michel Savin, rapporteur. - C'est notre inquiétude.
M. Max Marty - Je la partage. Cela ne signifie pas que tout ce qui est fait en Ligue 1 est mal fait...
M. Laurent Lafon, président. - Quelle a été l'affectation choisie par votre club pour les 3 millions d'euros qu'il a perçus sur l'apport de CVC ?
M. Max Marty - Nous construisons un centre d'entraînement et un centre de formation à La Côte-Saint-André. Avec un budget à peu près double de celui de notre club, il représente un très gros investissement. Il répond à une véritable vocation. Dans l'attente de sa livraison, nous occupons, avec un bail emphytéotique, un centre de formation sur la commune de Grenoble. À compter de 2026, ce dernier sera dédié exclusivement au football féminin, avec l'ambition d'obtenir la montée en Division 1. Nous préférons laisser l'infrastructure grenobloise historique au football féminin, car nous savons que les jeunes filles parviennent au plus haut niveau beaucoup plus tôt que leurs homologues masculins - dès l'âge de 17 ou 18 ans - et que la mobilité est alors un problème.
M. Laurent Lafon, président. - Nous vous remercions.
Cette audition a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.
La réunion est close à 17 h 5.
Mercredi 26 juin 2024
- Présidence de M. Laurent Lafon, président -
La réunion est ouverte à 10 h 00.
Mission d'information relative à l'antisémitisme dans l'enseignement supérieur - Examen du rapport et vote sur les recommandations
M. Laurent Lafon, président. - Nous examinons le rapport de Pierre-Antoine Levi et Bernard Fialaire consacré à l'antisémitisme dans l'enseignement supérieur.
M. Bernard Fialaire, rapporteur. - Mes chers collègues, face aux inquiétantes dérives constatées ces derniers mois, la commission de la culture nous a confié la délicate mais passionnante mission de dresser un état des lieux de la diffusion de l'antisémitisme dans l'enseignement supérieur et de la réponse qui lui est apportée par les pouvoirs publics, dont nous allons vous présenter aujourd'hui les conclusions.
Permettez-moi de désamorcer à titre liminaire les critiques qui pourraient être adressées à la commission quant au calendrier retenu. Nous sommes aujourd'hui devant vous pour vous présenter notre rapport à la date qui a été fixée dès le début de nos travaux, en tenant compte de la dégradation et de l'urgence de la situation. Il ne s'agit donc aucunement d'attiser les polémiques qui se succèdent à l'approche du premier tour des élections législatives : notre objectif est de définir avant l'été, face au risque de la banalisation de l'expression antisémite dans les enceintes universitaires et à la souffrance des étudiants victimes, un plan d'action qui puisse être mis en oeuvre dès la prochaine rentrée universitaire.
Nous avons en conséquence travaillé très vite et rencontré en deux mois plus de soixante acteurs de premier plan de la lutte contre l'antisémitisme, lesquels nous ont livré leurs analyses et leurs préconisations au cours d'échanges souvent stimulants et parfois inquiétants. Plusieurs d'entre vous ont ainsi eu l'occasion d'entendre à nos côtés les points de vue de présidents d'établissement aux approches très différentes, de représentants des associations antiracistes et mémorielles, des pouvoirs publics, y compris le ministère de la Justice, des étudiants de différentes filières, et enfin de grands témoins tels que Delphine Horvilleur ou le grand rabbin de France.
Ces auditions nous ont permis de formuler onze propositions, qui s'inscrivent, de manière opérationnelle, dans le cadre des principes de l'autonomie des établissements et de la liberté académique.
M. Pierre-Antoine Levi, rapporteur. - Au terme de nos travaux, nous dressons un constat malheureusement très inquiétant quant au climat d'antisémitisme qui se diffuse dans de nombreux établissements depuis le 7 octobre dernier.
Pour de nombreux étudiants, la sauvagerie et la brutalité des attaques terroristes du 7 octobre et la réponse militaire qui se déploie à Gaza font partie de leurs premières expositions aux terribles réalités d'un conflit international. Les mobilisations qui en ont découlé, centrées sur une remise en cause parfois radicale de la politique du gouvernement israélien, ont donné lieu à d'insupportables dérapages reposant sur l'assignation d'étudiants juifs à Israël, réactivant la sinistre mécanique de l'essentialisation et de l'ostracisation qui se trouve au fondement de l'antisémitisme.
Les événements du 7 octobre ont ainsi agi comme le révélateur cruel de la permanence, au coeur de l'Université, d'un antisémitisme latent : loin d'avoir disparu des enceintes universitaires, la plus ancienne des hostilités identitaires tire aujourd'hui une nouvelle force de sa légitimation idéologique par le conflit en cours, et connaît une puissante résurgence. Au-delà d'agissements isolés et sporadiques, qui n'ont jamais totalement cessé et qui sont souvent le fait de sympathisants de l'ultradroite, cette réactivation de l'antisémitisme dans l'enseignement supérieur s'inscrit aujourd'hui dans une nouvelle dynamique collective, attisée par une idéologie qui relève désormais également de l'extrême gauche de l'échiquier politique.
Si ce changement d'échelle de l'expression antisémite est insupportable dans l'ensemble de la société, il est particulièrement choquant à l'Université : alors que celle-ci devrait être le lieu du débat et de l'ouverture humaniste permettant le dépassement des préjugés, elle devient le centre des affrontements et le symbole de l'impossibilité du dialogue. Ce phénomène doit être combattu avec la plus grande fermeté, car les enjeux politiques ne doivent pas masquer cette réalité inadmissible au sein de notre République : depuis le 7 octobre, une catégorie d'étudiants a peur de se rendre à l'université - et il est à craindre, si rien n'est fait rapidement, que le phénomène d'évitement de certains établissements publics constatés dans l'enseignement secondaire s'étende bientôt à l'enseignement supérieur.
M. Bernard Fialaire, rapporteur. - Ces observations générales sont appuyées sur trois séries de constats étayées, dans notre rapport, par de nombreux exemples tirés de nos auditions.
Nous relevons tout d'abord une importante sous-évaluation de la réalité de l'antisémitisme dans le supérieur. Si le nombre des actes antisémites recensés reste faible en valeur absolue - 67 entre le 7 octobre et le 10 avril d'après France Universités -, le phénomène ne saurait pour autant être considéré comme résiduel. Le fort décalage entre ces chiffres et les résultats de l'étude de l'Institut français d'opinion publique (Ifop) de septembre 2023, selon laquelle neuf étudiants juifs sur dix ont déjà été confrontés à un acte antisémite, incite en effet à la prudence. La commission nationale consultative des droits de l'homme (CNCDH) évoque à ce propos un « chiffre noir » de l'antisémitisme, qui résulte d'un phénomène massif de sous-déclaration commun à l'ensemble des atteintes à caractère raciste et discriminatoire, tandis que la délégation interministérielle à la lutte contre le racisme, l'antisémitisme et la haine anti-LGBT (Dilcrah) a estimé devant nous que ces chiffres sont « probablement sous-estimés ».
Plusieurs facteurs contribuent à cette sous-estimation. Au silence des victimes et des témoins, souvent par peur des représailles, s'ajoute la tentation du « pas de vagues » dans les établissements. Les actes survenant dans des contextes péri-universitaires tels que les soirées étudiantes, les lieux de stage ou les messageries en ligne constituent par ailleurs des zones grises.
Surtout, les présidents d'établissement se sentent démunis pour procéder à la qualification juridique de certains actes, et notamment, dans le contexte des mobilisations étudiantes, pour distinguer entre la critique politique légitime du gouvernement israélien, protégée par la liberté d'expression, et les déclarations antisémites constitutives de délits sanctionnés par le droit pénal. Du fait de l'ambiguïté et du caractère amalgamant du terme, ces difficultés portent notamment sur les prises de position « antisionistes » ; certains slogans utilisés lors des occupations de campus ainsi que l'utilisation du symbole des mains rouges ont également suscité de fortes réserves. Plusieurs dirigeants ont dès lors regretté de se sentir pris en étau entre deux accusations opposées : celle de criminaliser l'action politique et celle de ne pas assurer le respect des principes républicains fondamentaux.
Les faits qui nous ont été rapportés témoignent malheureusement d'une forte vivacité des agissements antisémites dans les établissements, allant du tag anonyme à l'agression physique, comme ce fut le cas à Strasbourg en janvier dernier. Nous avons également été alertés sur des situations de harcèlement et d'ostracisation d'étudiants juifs, passant par des bousculades répétées dans les couloirs, des changements de place dans les amphithéâtres, la répétition de blagues reposant sur des clichés antisémites ou encore l'isolement de certains étudiants à l'heure de constituer des groupes de travail. Ces actes, qui prennent la forme diffuse d'un « antisémitisme d'atmosphère », sont d'autant plus insidieux qu'ils sont difficiles à repérer et à caractériser.
Le combat doit tout d'abord passer, comme toujours en matière de politiques publiques, par une objectivation du phénomène et par une détection systématique des agissements antisémites. Or, lorsque nous avons interrogé les ministères de l'Enseignement supérieur et de la Justice sur l'évolution de leur nombre au cours des dernières années, nous avons eu la surprise de constater que ces données n'existaient tout simplement pas pour la période précédant le 7 octobre dernier, faute d'un système de signalement et de suivi statistique suffisamment robuste.
Nous relevons à ce titre que, en dépit de l'engagement et de l'implication des référents racisme et antisémitisme, le dispositif de signalement des établissements souffre de plusieurs faiblesses structurelles : une absence de base législative consolidée et un déploiement laissé au libre choix des établissements, d'une part ; une insuffisante identification par la communauté étudiante et un déficit de confiance de la part des victimes et des témoins, d'autre part.
M. Pierre-Antoine Levi, rapporteur. - En ce qui concerne ce premier axe de constats, nous recommandons tout d'abord de revoir le cadre de fonctionnement des dispositifs de signalement, afin de renforcer leur visibilité, de mieux définir les obligations incombant aux établissements et de lever les obstacles à la prise de parole des victimes et des témoins. Il pourra ici être tiré parti des avancées accomplies dans la lutte contre les violences sexistes et sexuelles (VSS), notamment en ce qui concerne les dispositifs d'écoute. Ce premier ensemble de recommandations, qui relève pour partie du domaine législatif, fera l'objet d'une proposition de loi présentée à l'automne.
Nous recommandons également aux établissements de généraliser le système des vice-présidences dédiées aux sujets d'égalité et de discriminations, qui semble très efficace pour en assurer le portage politique.
Nous recommandons enfin, pour répondre aux difficultés de qualification des faits d'antisémitisme, d'actualiser les ressources juridiques diffusées aux établissements pour les adapter aux nouvelles formes prises par l'expression antisémite, notamment lors des récentes mobilisations sur la situation à Gaza, et de diffuser plus largement la définition opérationnelle de l'antisémitisme de l'Alliance internationale pour la mémoire de l'Holocauste (IHRA), ainsi que le recommandait d'ailleurs une résolution du Sénat du 5 octobre 2021, adoptée à l'initiative de nos collègues Bruno Retailleau et Hervé Marseille.
Nous nous sommes ensuite penchés sur la manière de prévenir les dérives. La bonne démarche doit selon nous passer par la réaffirmation des missions fondamentales de l'université. Au coeur de ces dernières, nous trouvons d'une part la déconstruction de la mécanique raciste et antisémite par la diffusion des savoirs, d'autre part la préservation de la culture du débat et de la controverse, qui ne saurait constituer un prétexte à l'expression de propos de haine. Il s'agit ainsi de réarmer les esprits face à la confusion généralisée des valeurs et des savoirs qui fait le lit de l'antisémitisme.
La diffusion des savoirs doit à nos yeux être assurée par la systématisation de la formation et de la sensibilisation de tous les acteurs. Nous relevons à cet égard que le format des événements facultatifs en accès libre ne permet pas de toucher les publics auxquels ils sont prioritairement destinés. Nous préconisons en conséquence de rendre obligatoires, en dehors du temps des enseignements proprement dits, un certain nombre de formations. Ces formations interviendraient notamment lors de la première entrée dans l'enseignement supérieur, avant toute participation à certains événements de la vie étudiante, comme les soirées d'intégration, ou encore lors des demandes d'agrément présentées par les associations, dont la délivrance serait toujours subordonnée au suivi de cette sensibilisation. À l'image du travail accompli au cours des dernières années dans le champ des VSS, il s'agit de développer une acculturation de la communauté universitaire à la lutte contre l'antisémitisme.
Nous préconisons également de nous appuyer davantage sur les moyens de l'enseignement et de la recherche pour déconstruire les stéréotypes antisémites. Les départements d'études juives et hébraïques doivent à ce titre être sanctuarisés. Nous pourrions également nous appuyer sur une nouvelle structure publique de recherche et de formation interuniversitaire dédiée à la lutte contre le racisme et l'antisémitisme, sur le modèle de l'Institut d'étude des religions et de la laïcité (Irel), qui, je le rappelle, a été créé en 2002 dans le contexte du débat sur l'enseignement du fait religieux. La lutte contre l'antisémitisme pourrait enfin être intégrée dans les cursus de formation par un renforcement du bonus étudiant, compatible avec les libertés académiques.
M. Bernard Fialaire, rapporteur. - Les acteurs de l'université doivent également se mobiliser pour défendre la culture du débat, qui a été mise à mal au cours des derniers mois. Lorsque les possibilités du dialogue ont été épuisées, cette défense peut passer par une limitation temporaire et proportionnée des libertés d'expression et de réunion des étudiants, voire par le déclenchement de l'intervention des forces de l'ordre, dans le respect des franchises universitaires, ainsi que le cadre législatif et réglementaire le permet pour protéger l'ordre public et le bon fonctionnement des universités. Nous estimons que les présidents d'établissement ne doivent pas hésiter à interdire préventivement certains débats qui n'en sont pas.
Le troisième et dernier axe de réponse réside dans la systématisation, à chaque fois qu'elles sont possibles et pertinentes, des poursuites et des sanctions contre les auteurs d'agissements antisémites, en incluant des mesures de responsabilisation particulièrement adaptées aux profils étudiants.
Nous constatons à cet égard une forte diversité des approches des présidents d'établissement en matière répressive, illustrée par l'existence d'un débat sur la possibilité ou non d'engager des procédures pour les faits d'antisémitisme se déroulant dans la sphère privée. Nous considérons quant à nous, à l'instar de certains présidents, que l'impossibilité de poursuivre n'existe pas et que l'arsenal législatif et réglementaire à leur disposition est plus que suffisant pour assurer la sanction de tels agissements.
Nous relevons également que les signalements répétés au titre de l'article 40 du code de procédure pénale, lorsqu'ils ne sont pas accompagnés de l'engagement concomitant d'une procédure disciplinaire, constituent un moyen pour certains chefs d'établissement de se défausser de leurs obligations, dans l'attente du verdict hypothétique et lointain de la justice. Nous estimons que la voie disciplinaire doit constituer le mode prioritaire de sanction des agissements antisémites dans les établissements, de manière parallèle à l'engagement de poursuites judiciaires, qui s'inscrivent dans le temps long. Rappelons cette évidence : les actes antisémites doivent être sanctionnés avant que leurs auteurs aient quitté les établissements. Dans l'attente des décisions disciplinaires, le président a par ailleurs la possibilité de prendre des mesures conservatoires permettant d'assurer la protection des victimes, comme l'exclusion temporaire des auteurs de ces actes.
M. Pierre-Antoine Levi, rapporteur. - Nous avons cependant conscience des limites des commissions disciplinaires, historiquement construites pour régler les cas de fraude académique et dont le régime doit aujourd'hui être adapté aux actes de violence et de haine survenant dans les établissements - c'est l'objet de notre dixième et avant-dernière proposition.
Enfin, une coopération entre les établissements et les parquets reste à créer ; nous préconisons en ce sens la généralisation de conventions de partenariat entre les établissements et les parquets locaux, qui va dans le sens de l'autonomie des établissements.
Nous appelons en somme à une mobilisation plus ferme des responsables d'établissement, en lien avec les rectorats académiques, qui sont les relais de la politique de « tolérance zéro » portée par la ministre et qui peuvent intervenir en cas de carence des établissements.
Mes chers collègues, nous n'aurions jamais pensé devoir vous soumettre un tel rapport en 2024. Nous le disons avec force : la gravité de la situation appelle un sursaut de la part de tous les acteurs de l'enseignement supérieur. Certes, la ministre a su prendre la mesure de la situation et déployer quelques mesures d'urgence, mais il reste à ancrer durablement la lutte contre l'antisémitisme au coeur des règles et des pratiques des établissements. Face au risque de l'enracinement de l'antisémitisme dans les nouveaux clivages idéologiques qui se font jour à l'Université, un message de fermeté absolue doit être passé pour permettre à tous les étudiants d'apprendre dans de bonnes conditions, et plus généralement pour redonner des repères républicains à l'ensemble de la communauté universitaire.
M. Max Brisson. - Je tiens à féliciter et à remercier Bernard Fialaire et Pierre-Antoine Levi, qui ont très bien décrit, dans ce rapport détaillé et argumenté, réalisé dans des délais contraints, l'antisémitisme d'atmosphère qui gangrène notre Université.
J'ai assisté à de nombreuses auditions de la mission, au cours desquelles j'ai ressenti différentes émotions : de la honte d'abord, en constatant le sentiment de peur qui anime de nombreux étudiants juifs français ; de la gêne ensuite, face à l'impuissance des dirigeants universitaires à détecter et à sanctionner cet antisémitisme, ou à accompagner les victimes ; de la gêne, encore, en raison de l'attitude de retrait du ministère face à ce phénomène, au nom d'une bien arrangeante autonomie des universités ; de l'inquiétude enfin quant à la sous-estimation des actes antisémites, dont certains considèrent qu'ils sont très peu nombreux ou qu'ils constituent des signaux faibles - il est révélateur que quelques personnes auditionnées se soient offusquées de questions pourtant très pertinentes.
J'avoue que je ne sais comment réagir lorsque j'entends les explications douteuses de ceux qui invoquent l'excuse de juvénilité des auteurs ou herchent à inscrire ces actes dans une approche globalisante de lutte contre toutes les discriminations - comme si cela relevait de la même problématique, comme si l'antisémitisme ne revêtait pas un caractère singulier !
Je suis inquiet de voir s'affaiblir, là où elle devrait au contraire être enseignée et défendue, la spécificité française qui tient au lien charnel et historique entre la République universelle et le judaïsme français. Cette exception est aujourd'hui menacée. Certes, l'antisémitisme n'est pas nouveau, mais durant nos auditions, peu de personnes ont mis des mots clairs sur ses ressorts et sur ses motivations, comme s'il existait un malaise, sinon un refus de comprendre les nouveaux moteurs de l'antisémitisme. Les mots « wokisme » et « islamisme » n'ont été que très rarement prononcés.
Si le conflit israélo-palestinien a fait ressurgir les vieux stéréotypes latents sur le cosmopolitisme, la double allégeance, l'argent ou encore le pouvoir, force est de constater qu'il agit comme une caisse de résonance de nouveaux ressorts de l'antisémitisme dans notre pays. Je pense notamment au phénomène de l'essentialisation, qui assigne l'étudiant juif à ses seules origines réelles ou supposées. Le conflit est aussi la caisse de résonance d'un antisémitisme qui n'a rien de nouveau, celui qui est porté par l'islamisme et ses formes les plus totalitaires. Je regrette que le rapport demeure bien discret sur ce point ô combien important.
Le combat contre l'antisémitisme dépasse les seuls Juifs de France : il s'agit d'un combat politique pour préserver l'universalisme républicain.
Comment faire face à cette situation ? Tel est l'objet de ce rapport, qui permet d'ébaucher des éléments de réponse appréciables.
Comme nos rapporteurs, je suis convaincu qu'il est nécessaire d'harmoniser les systèmes de détection et d'en finir avec la sous-estimation : il convient de définir des procédures nationales pour recenser les actes antisémites, les traiter et accompagner les victimes. C'est l'objet des recommandations de l'axe n° 1, qui me semblent indispensables, quitte à remettre en question parfois une autonomie universitaire dans laquelle se drapent facilement ceux qui ne peuvent ou ne veulent pas agir, préférant le « pas de vagues ».
Je suis en revanche plus circonspect sur les recommandations de la deuxième partie. Certes, il est nécessaire de sensibiliser les étudiants, de former les cadres et les référents ; les recommandations vont à cet égard dans le bon sens. Mais nos rapporteurs butent - je les comprends - sur la question sensible de l'autonomie des universités. Celle-ci n'a pas toujours existé ; ceux qui la défendent aujourd'hui l'ont parfois combattue hier ! Cette autonomie pose la question des missions que la nation est en droit d'assigner à son Université, comme elle le fit dans le passé pour diffuser l'universalisme de la Révolution française, puis les principes de la République. Oui, l'université doit réarmer les esprits, sans rechigner au nom du relativisme !
Enfin, je soutiens les préconisations sur la refonte des procédures disciplinaires dans l'enseignement supérieur. Le renvoi aux instances judiciaires sans mesures disciplinaires internes sonne souvent comme une manière de se défausser. Comme nos rapporteurs, je crois qu'il est indispensable de conforter les sanctions et d'assurer leur mise en oeuvre rapide. De même, la justice doit informer les instances académiques. L'heure n'est plus au débat, mais à l'action !
Je terminerai sur une note d'espoir. La table ronde qui a réuni les représentants du judaïsme français nous a permis de rencontrer des responsables d'une grande dignité, conscients de leur rôle dans l'histoire dont ils sont les héritiers, et convaincus que leur combat n'est pas uniquement celui de la communauté cultuelle et culturelle qu'ils administrent, mais celui de la seule communauté qu'ils reconnaissent, comme nous l'a rappelé le grand rabbin de France : la communauté nationale. Voilà des propos rassurants pour la pérennité des principes et des valeurs de notre République.
Les élus du groupe Les Républicains partagent la plupart des recommandations formulées et forment le voeu qu'elles puissent se matérialiser au plus vite dans une action globale et concrète. Nous voterons pour l'adoption de ce rapport.
M. Pierre Ouzoulias. - Je salue le travail des rapporteurs. L'antijudaïsme n'est pas un racisme comme les autres. Il dure depuis deux mille ans. Sa résurgence aujourd'hui me fait éprouver la même honte que celle qu'a ressentie Max Brisson. Il est insupportable d'imaginer que, quatre-vingts ans après la Shoah, nous devons encore lutter contre l'antisémitisme. Certaines choses dépassent l'entendement. Même si un seul étudiant juif était victime d'antisémitisme, cela serait déjà insupportable. Malheureusement, ce n'est pas le cas...
Je tiens à témoigner ma totale solidarité avec mes frères et mes soeurs en humanité qui sont soumis à une nouvelle forme de persécution. La résurgence de l'antisémitisme est évidente, à l'extrême droite comme à l'extrême gauche, ou même à gauche. Ce n'est malheureusement pas une nouveauté : souvenez-vous des réactions politiques dans une certaine gauche lors des attentats de Munich de 1973 !
Le travail des rapporteurs était complexe : il est difficile de fournir des chiffres et des faits sur des phénomènes parfois difficilement perceptibles. Je tiens à les remercier pour la qualité de leur travail, par lequel ils ont essayé d'objectiver au maximum ces éléments, et je soutiens l'essentiel de leurs préconisations.
L'universitaire que j'ai été ne comprend pas comment, dans l'Université, le temple de la raison et de l'humanisme, on peut encore entendre des réactions si fortement antisémites. J'ai d'ailleurs eu du mal à l'admettre : c'est en participant à des débats avec des institutions juives que j'ai saisi l'ampleur du phénomène.
L'école n'a pas joué tout son rôle. Certes, elle doit apprendre à lire, à écrire et à compter, mais elle doit aussi transmettre une morale républicaine, sensibiliser à l'antijudaïsme tel qu'il existe depuis deux mille ans. Cette dimension manque actuellement ; elle est pourtant fondamentale. Il faut repasser par la voie de la connaissance.
J'approuve les recommandations de nos rapporteurs relatives à la rénovation du régime des sanctions ainsi que leurs préconisations pour sauver les études juives, qui sont malheureusement de moins en moins enseignées à l'université. Il est nécessaire de se doter d'un plan national pour relancer ces études et celles sur l'antisémitisme.
Vous avez utilisé deux fois le mot « déconstruction ». Je ne l'aurais pas utilisé, car une certaine philosophie de la déconstruction réduit les individus à leur identité supposée.
Je reste attaché à l'Université et à son universalisme. Nous devons continuer à combattre toutes les formes d'arbitraire, en utilisant toutes les libertés académiques et d'expression. Il est essentiel que les universités puissent organiser en leur sein des débats rationnels et respectueux de toutes les idées, sans ostracisme ni exclusion.
Enfin, en ce qui concerne la définition de l'antisémitisme, je pense qu'il serait plus utile de s'appuyer sur la déclaration de Jérusalem de 2020, qui a complété et amplifié la première définition de l'IHRA sur la question du sionisme.
Le groupe Communiste Républicain Citoyen et Écologiste - Kanaky (CRCE-K) soutiendra l'adoption de ce rapport.
M. David Ros. - Je remercie nos deux rapporteurs, qui ont réalisé un travail remarquable dans un contexte difficile, marqué par des tensions permanentes dans la société. Leur tâche n'était pas facile, car la ligne de crête était étroite : ils ont su dire les choses clairement, sans tomber dans une politisation excessive.
Je voudrais d'abord répondre à Max Brisson. L'antisémitisme ne gangrène pas uniquement l'Université : il concerne toute la société. L'Université, qui accueille de nombreux jeunes adultes, est un révélateur. Les faits ignobles survenus à Courbevoie montrent que l'antisémitisme peut se manifester avant même l'âge de la majorité, sous des formes odieuses. Ce rapport sur l'antisémitisme dans l'enseignement supérieur doit ainsi être mis en perspective avec ce qui se passe dans toute la société.
J'ai apprécié ce qu'ont dit les rapporteurs, avec une réserve sur un point : Pierre-Antoine Levi a évoqué la nécessité de réarmer les esprits, mais, dans une société où la violence est déjà souvent encouragée par les uns comme par les autres, y compris d'ailleurs par le Président de la République, il me semble préférable de parler de la nécessité d'éclairer les esprits.
La déconstruction, comme le wokisme, n'est pas forcément négative d'un point de vue philosophique. Lorsqu'il joue avec ses briques de Lego, un enfant apprend en déconstruisant, puis en reconstruisant. La question est donc plutôt de savoir comment on peut reconstruire. C'est bien ce qu'ont fait nos rapporteurs, et leur rapport est appréciable de ce point de vue.
Ils évoquent le dépôt d'une proposition de loi à l'automne : il serait dommage que son contenu se limite à ce qui figure dans la recommandation n° 1, car d'autres éléments mériteraient d'y être intégrés.
Je n'ai pas de remarque sur la recommandation n° 2.
Dans la recommandation n° 3, qui vise à actualiser les ressources juridiques face aux nouvelles formes de l'antisémitisme, l'accent devrait être mis sur le rôle des réseaux sociaux, où la violence antisémite est particulièrement virulente. Les jeunes les utilisent beaucoup, et les chefs d'établissement sont désarmés face à ce phénomène. La recommandation mériterait donc d'être développée. Il faudrait en revanche supprimer l'expression « notamment lors des récentes mobilisations propalestiniennes » : si des actes antisémites ont pu se produire à ces occasions, il ne semble pas opportun de conserver cette rédaction si l'on veut préparer la suite et, comme l'on dit couramment, « servir la cause ».
La recommandation n° 4, sur la définition de l'antisémitisme, ne va pas assez loin. Il serait dommage de se contenter d'une diffusion « à titre pédagogique » : on ne sait pas trop ce que cela signifie. Il faudrait des actes plus forts.
J'en viens à l'axe n° 2 sur la prévention des dérives. Instaurer une sensibilisation à l'antisémitisme dès l'entrée à l'université est une excellente idée. Ne faudrait-il pas d'ailleurs prévoir, au moment du baccalauréat, une épreuve sur les valeurs républicaines, parmi lesquelles figurerait la lutte contre l'antisémitisme ? C'est un élément important dans la formation des citoyens.
Je suis cependant choqué par l'idée, formulée à la recommandation n° 8, d'un « bonus étudiant » pour la lutte contre l'antisémitisme. Certes, dans une démarche d'éducation positive, il est préférable de parler de bonus que de malus, mais un bonus est une récompense pour un effort. La lutte contre l'antisémitisme doit être naturelle.
La recommandation n° 10 sur les procédures disciplinaires et les pouvoirs d'investigation mériterait d'être précisée. Les chefs d'établissement ont de plus en plus de responsabilités. Seront-ils assistés par des référents externes pour effectuer ce travail ? Celui-ci est nécessaire, mais il n'est pas facile à réaliser avec les moyens dont disposent les universités.
Enfin, la recommandation n° 11, relative à l'instauration de conventions de partenariat entre les universités et les parquets, correspond à une demande de France Universités et me semble excellente.
Malgré quelques réserves sur le vocabulaire, le groupe Socialiste, Écologiste et Républicain votera en faveur de ce rapport.
Mme Monique de Marco. - Je tiens à saluer la création de cette mission d'information sur l'antisémitisme dans l'enseignement supérieur. L'exercice était difficile : les délais étaient contraints et le contexte tendu.
La recrudescence du nombre d'actes antisémites mise en évidence par ce rapport doit être fermement condamnée. Dans les établissements d'enseignement supérieur, ces actes pourraient s'avérer trois ou quatre fois plus nombreux que l'année précédente, sachant qu'il est difficile d'obtenir des chiffres précis, car tous les faits ne sont pas recensés. Nous regrettons que les établissements de l'enseignement supérieur n'aient pas été épargnés par ce mouvement, que l'on observe aujourd'hui dans toute la société, y compris hors de France.
Cette situation appelle une réponse ferme et claire. Les travaux de la mission ont permis de mesurer la réaction des présidents d'université face à ces tendances inquiétantes. Je tiens à saluer leur engagement contre l'antisémitisme et en faveur de la pacification de la vie étudiante et du respect des libertés académiques.
Pour sécuriser l'ensemble des usagers de l'enseignement supérieur, il faut que la liberté d'expression soit garantie, que des moyens spécifiques soient alloués au recrutement de référents antisémitisme et racisme, et que des actions de sensibilisation et de formation à la prévention de l'antisémitisme soient menées auprès de l'ensemble des parties prenantes de la vie étudiante. Cette sensibilisation doit être généralisée au sein de l'Université ; il conviendrait même de la développer au sein des lycées ou des collèges.
Durant les auditions, les chefs d'établissement ont souligné les limites de leurs prérogatives en matière de transmission pénale et de sanctions disciplinaires dans le cas des dégradations antisémites anonymes, telles que des tags, qui ne donnent lieu à aucune poursuite, ou dans le cas d'insultes et d'incitations à la haine proférées lors d'événements, lorsque les enquêtes administratives n'ont pas permis d'identifier les auteurs des faits. Les auditions ont également permis de souligner les limites des moyens dont disposent les présidents d'université, dans le contexte actuel de forte politisation.
Je tiens à souligner la qualité des travaux des rapporteurs. J'insiste sur l'accompagnement des victimes d'antisémitisme. Il conviendrait de s'inspirer des avancées faites en matière de lutte contre les violences sexistes et sexuelles par l'institutionnalisation, au sein des établissements, d'associations extérieures spécialisées dans l'accueil et l'accompagnement des victimes. Il importe également de renforcer la formation des équipes universitaires aux enjeux de la lutte contre l'antisémitisme et le racisme.
En ce qui concerne la recommandation n° 4 et la tentation d'étendre la définition de l'antisémitisme à l'antisionisme, on peut exprimer quelques réserves sur le fait que l'on s'appuie sur la définition de l'IHRA.
Un autre point de vigilance concerne les recommandations nos 1 et 5 sur le recensement des faits d'antisémitisme dans les établissements : si chaque établissement doit produire des statistiques, le risque est de dévaloriser ceux qui feront correctement ce travail de recueil et de transmission des actes antisémites. C'est un biais bien connu en matière de statistiques.
Le groupe Écologiste - Solidarité et Territoires approuvera, bien sûr, l'ensemble des recommandations.
Mme Annick Billon. - Je félicite à mon tour les rapporteurs pour ce travail nécessaire. Il faut combattre l'antisémitisme sous toutes ses formes et avec tous les outils à notre disposition.
Pour revenir sur l'intervention de David Ros, je rappelle que l'objet du rapport est l'antisémitisme dans l'enseignement supérieur, et non l'antisémitisme dans la sphère publique ! Les rapporteurs ont suivi la feuille de route de la mission d'information.
Il n'est pas possible de rédiger un rapport sur l'enseignement supérieur sans prendre en compte l'actualité. Je remercie les rapporteurs d'avoir mis en lumière certains événements, car, à force d'ignorer les choses, en refusant par exemple les statistiques par établissement, les problèmes ne sont pas nommés. Regardons le sujet en face ! Il nous faut disposer de remontées précises pour nous attaquer efficacement au problème. Je vous sais gré, messieurs les rapporteurs, d'avoir parlé d'un antisémitisme d'atmosphère.
J'envisage ce rapport comme une première pierre dans l'optique de la proposition de loi que vous suggérez de déposer à l'automne prochain. Pouvez-vous nous en dire davantage sur cette réponse législative ?
À partir de vos auditions, pouvez-vous préciser le rôle qu'ont joué les associations dans la montée de l'antisémitisme dans l'enseignement supérieur, elles qui reçoivent des aides financières ? Je pense à leur statut et à l'occupation de locaux. Quels dispositifs avez-vous imaginés pour les sanctionner ?
Certaines de vos propositions paraissent évidentes, mais il vaut mieux les formuler ! Il faut bien sûr travailler à la prévention et donner un cadre législatif et réglementaire afin que les réponses apportées soient identiques dans l'ensemble des établissements.
Le groupe Union Centriste votera en faveur de l'adoption des propositions.
Mme Sabine Drexler. - Je remercie également les rapporteurs pour ce travail aussi essentiel que difficile.
Voilà encore un an, j'aurais qualifié le sujet de « préoccupant ». Désormais, la simple préoccupation est dépassée, même si mon inquiétude est sûrement bien moindre que celle des nombreuses familles juives enracinées dans ma région depuis des siècles, qui craignent pour leurs enfants. Cette inquiétude m'oblige à affirmer ce matin qu'il est impératif de ne tolérer aucune manifestation à caractère antisémite, dans l'enseignement supérieur comme ailleurs.
Les universités jouent un rôle essentiel dans la promotion de la cohésion sociale au sein de notre pays, contribuant à ce que chaque communauté vive en France et y étudie en sécurité, avec dignité. Dans ces lieux dédiés à la recherche de la vérité, à la promotion de la justice et au respect des droits humains, tous les étudiants, indépendamment de leur origine ethnique, religieuse ou culturelle, doivent se sentir respectés.
Alors que l'enseignement supérieur et ses valeurs devraient jouer un rôle clé pour la France et pour des jeunes qui, dès la fin de leur cursus, auront à s'insérer dans des sociétés pluralistes et mondialisées, mais aussi à relever et à porter notre pays, l'antisémitisme est malheureusement redevenu un sujet. Celui-ci crée un climat de peur et d'exclusion, qui affecte le bien-être psychologique déjà mal en point de ces étudiants, donc leur réussite. Comme nous le voyons avec l'exportation et l'instrumentalisation du conflit qui oppose Israël au Hamas, toutes les formes de haine conduisent à la violence et à la radicalisation de notre société tout entière.
Les rapporteurs de la mission d'information proposent ni plus ni moins que de mettre la France au niveau. Dans de nombreux pays déjà, la discrimination et les discours de haine, antisémitisme compris, sont illégaux. En Allemagne, au Canada ou en Belgique, les institutions d'enseignement supérieur ont la responsabilité légale de protéger leurs membres contre de tels comportements. Le non-respect de ces obligations entraîne des sanctions juridiques et des pertes de financements publics et privés. Ne rien laisser passer est une condition indispensable à la crédibilité des institutions éducatives françaises !
Pour ces raisons, il est impératif que les universités adoptent des politiques claires, éducatives et éventuellement punitives, pour prévenir et pour combattre toute forme d'antisémitisme sur leur campus. Les onze préconisations qui viennent d'être présentées vont dans ce sens. J'espère qu'elles pourront être mises en oeuvre rapidement.
M. Pierre-Antoine Levi, rapporteur. - Ce rapport a été difficile à rédiger dans le contexte actuel. Malgré la dissolution de l'Assemblée nationale, nous avons tenu à le présenter, car l'objectif est que nos préconisations soient mises en oeuvre dès la rentrée universitaire.
Pour répondre à M. Brisson, le lien entre République et judaïsme a été pris en compte : nous proposons de le préserver en sanctuarisant les départements d'études hébraïques, présents dans de nombreuses universités, mais à l'abandon, les étudiants étant de moins en moins nombreux à s'y rendre - quand ils ne craignent pas de le faire. Quant à étudier les liens entre l'antisémitisme et le wokisme, cela supposerait de travailler d'abord cette dernière notion dans un nouveau rapport, mais il ne s'agirait vraisemblablement pas d'une mission flash...
Nous avons en effet buté sur l'autonomie des universités, qui peuvent mettre en oeuvre nos incitations sans que nous puissions le leur imposer. C'est pourquoi nous proposons de traduire plusieurs de nos préconisations dans une proposition de loi à construire avec les présidents d'université et les services ministériels. Les universités sont autonomes mais font partie de la République ; elles doivent à ce titre prendre des dispositions à la mesure de la situation, à commencer par le signalement de toutes les dérives. L'augmentation du nombre des signalements reflètera la meilleure prise en compte du phénomène par les présidents d'université et par les autorités.
En ce qui concerne la définition de l'antisémitisme, nous avons travaillé à partir de celle de l'IHRA parce qu'elle est mieux identifiée par les acteurs ; mais il est tout à fait possible de recourir également à la déclaration de Jérusalem.
M. Bernard Fialaire, rapporteur. - Pour revenir sur le contexte de la mission d'information, le RDSE souhaitait une large réflexion sur la laïcité dans l'enseignement supérieur. Je vais citer Camus : notre groupe, comme « chaque génération », s'est cru « voué à refaire le monde », mais il a compris, à la suite des événements du 7 octobre dernier, qu'il fallait plutôt « empêcher que le monde ne se défasse ». Cette date a été l'occasion de prises de conscience. Le ministère a déjà réagi, au travers de deux circulaires et d'un recensement d'actes donnant lieu à poursuite.
Nous avons découvert l'existence d'un antisémitisme d'atmosphère, contre lequel il est très difficile de lutter en l'absence d'auteurs et d'actes bien identifiés. Si l'antisémitisme est déjà interdit par la loi en France, cet antisémitisme d'atmosphère est par définition impalpable.
Les propositions de notre mission flash visent à rappeler la nécessité pour les présidents d'université de recourir aux nombreux outils existants. La liberté académique n'est pas la liberté de faire n'importe quoi ! Il faut préserver la liberté d'expression dans l'enseignement supérieur, mais également l'encadrer. Certains propos sont des délits, même au sein de l'Université, qui devrait être exemplaire.
Au-delà des mesures à prendre, nous voudrions créer un choc. Pour lutter contre un climat antisémite, il faut créer un autre climat, fondé sur la réaffirmation des valeurs de la République. Ce combat concerne l'ensemble de la société. J'observe qu'un renouvellement du programme de l'enseignement moral et civique, de la maternelle à la terminale, a été publié le 12 juin dernier au Journal officiel ; et en effet, le bagage scolaire des étudiants à venir doit être plus important.
Madame de Marco, qu'un établissement signale de nombreux actes antisémites ne me semble pas un problème, malgré l'exploitation qui pourrait en être faite ; il faut au contraire l'encourager et le féliciter, car cela témoignera d'une prise de conscience.
Nous sommes tous des militants de la lutte à l'antisémitisme ; il me semble que ceux qui le sont au travers d'un engagement associatif concret méritent, dans le contexte actuel, un bonus étudiant.
M. Pierre-Antoine Levi, rapporteur. - Nous nous sommes également interrogés sur ce bonus étudiant. Il s'agit du terme qui figure dans la circulaire relative aux enseignements facultatifs donnant lieu à une bonification de la moyenne ; nous proposons donc de le retenir dans nos recommandations, car il est bien identifié par les acteurs.
Le rapport précise les missions allouées aux référents racisme et antisémitisme, qui ne sont pas bien identifiés partout ; nous recommandons d'homogénéiser leur déploiement dans les établissements.
Au travers de la recommandation n° 6, nous invitons à « associer les associations » étudiantes à la lutte contre l'antisémitisme. Nous en avons entendu plusieurs au cours de nos auditions ; certaines se sentent concernées par l'enjeu, d'autres absolument pas !
Les universités de sciences sociales sont très politisées, et il semble que les phénomènes d'antisémitisme y sont plus marqués ; il faudrait à l'inverse acculturer davantage les élèves ingénieurs aux enjeux politiques.
Nous commencerons à travailler sur la proposition de loi après les élections. Ce texte ne concernera pas uniquement la première proposition, mais pourra également porter sur la recommandation n° 10, ainsi que sur plusieurs éléments aujourd'hui traités au niveau réglementaire.
Mme Annick Billon. - Je me demandais si le rôle des associations était suffisamment identifié face aux phénomènes d'antisémitisme, et quels dispositifs vous aviez imaginé pour les sanctionner. J'imagine que les réponses à ces questions dépendront du travail préparatoire à la proposition de loi.
M. Laurent Lafon, président. - Je vais à présent mettre aux voix l'ensemble des recommandations.
Les recommandations sont adoptées.
La mission d'information adopte, à l'unanimité, le rapport d'information, ainsi que les annexes, et en autorise la publication.
La réunion est close à 11 h 05.
Mission d'information sur l'intervention des fonds d'investissement dans le football professionnel français - Audition de M. Vincent Labrune, président de la Ligue de football professionnel
M. Laurent Lafon, président. - Mes chers collègues, je remercie M. Vincent Labrune, président de la Ligue de football professionnel (LFP), d'être présent aujourd'hui pour cette audition de notre mission d'information sur l'intervention des fonds d'investissement dans le football professionnel français. Je rappelle que, le 27 mars dernier, le Sénat a attribué à notre commission les prérogatives des commissions d'enquête, afin de mener à bien cette mission d'information.
Avec le rapporteur, Michel Savin, nous avons déjà mené près d'une trentaine d'auditions en vue d'un rapport qui sera remis après l'été.
Nous vous recevons, monsieur le président, à un moment crucial pour le football français, et pas seulement à cause de l'Euro 2024, qui se joue en Allemagne - l'équipe de France illustre l'excellence de notre football, et nous lui souhaitons le meilleur pour la suite de la compétition ! Le moment est crucial, car vous recherchez toujours un diffuseur pour la Ligue 1, à moins de deux mois de la reprise du championnat. La sécurisation des droits de retransmission télévisée est essentielle, puisque ces droits déterminent directement la capacité des clubs à investir, à former et à recruter des joueurs. Les clubs ont besoin de visibilité. Nous espérons qu'une solution sera trouvée rapidement, à un montant qui reflète la véritable valeur du championnat français, le cinquième en Europe d'après le classement de l'Union des associations européennes de football (UEFA).
Au-delà du seul volet sportif, les clubs professionnels contribuent à la richesse, au dynamisme économique et à l'identité des territoires. Ils irriguent aussi le monde du football amateur, et réciproquement. C'est tout cet écosystème qu'il faut préserver et développer. Cette question de l'attractivité est au coeur du sujet de notre mission d'information sur la financiarisation du football.
Monsieur le président, le 8 décembre 2021, vous êtes venu défendre devant nous le projet de société commerciale de la Ligue de football professionnel, dans la perspective de l'examen de ce qui allait devenir la loi du 2 mars 2022. Vous nous avez alors présenté ce projet comme une nécessité, en raison du « triple tsunami » constitué par la pandémie, l'arrêt du championnat et le départ de Mediapro. La création d'une filiale était, en réalité, déjà très avancée, puisque, le 1er avril 2022, un mois à peine après la promulgation de la loi, l'assemblée générale de la LFP approuvait les statuts de la nouvelle société, ainsi que les modalités de distribution de l'apport du fonds d'investissement CVC, partenaire du projet.
Entre 2022 et 2024, CVC a progressivement acquis 13 % de la filiale LFP Media, moyennant un apport de 1,5 milliard d'euros.
Selon vos propres mots, il s'agit, avec CVC, de mettre en oeuvre un « plan de développement », et non un « plan de sauvetage ». Nous souhaitons faire un point avec vous sur ce plan de développement, sur la valeur ajoutée apportée par le fonds d'investissement et sur les perspectives pour les années à venir.
Nous avons des interrogations de plusieurs ordres.
D'abord, nous nous interrogeons sur les conséquences de ce partenariat à long terme. En validant l'accord, les clubs se sont privés d'une partie significative de leurs revenus pour une durée indéterminée, dans un contexte qui reste très incertain s'agissant de l'évolution des droits audiovisuels.
Conformément à la loi du 2 mars 2022, la filiale de la LFP s'est vu confier l'ensemble des droits d'exploitation de la Ligue 1, c'est-à-dire non seulement les droits audiovisuels, mais aussi les activités de publicité, de marketing et de sponsoring, à l'exception du droit à consentir des paris sportifs. Nous avons voté ce dispositif, qui ne nous pose pas de problème de principe.
Mais nous observons que, en Italie et en Allemagne, l'accord avec CVC a été rejeté et qu'il s'est conclu en Espagne dans des termes différents et en l'absence des deux plus grands clubs de la Liga. En France, la durée illimitée de l'accord soulève un certain nombre de questions, et notamment celle de son intérêt à long terme pour le football français, au-delà de l'apport immédiat de cash.
Par ailleurs, nous avons lu récemment dans la presse qu'un autre partenariat financier serait envisagé dans le cadre du lancement d'une chaîne consacrée à la Ligue 1. Nous souhaiterions avoir des précisions sur ce sujet. S'il continue à vivre au-dessus de ses moyens, le football français ne risque-t-il pas de subir à un moment ou à un autre un effet boomerang ?
Enfin, le partenariat avec CVC n'est pas notre seul sujet d'inquiétude. Dans un contexte économique difficile, les grands fonds étrangers ont multiplié les opérations dans le secteur sportif. En dehors de CVC, je citerai, à propos du football, les fonds Arctos, Redbird ou encore 777 Partners, qui, comme d'autres, ont pris des participations au sein des clubs professionnels français.
Les fonds souverains sont également très présents. Leur apport financier est sans doute aujourd'hui vital pour les clubs concernés. Mais un football mondialisé, déconnecté des territoires, comporte aussi des risques. La préservation du modèle sportif européen n'appelle-t-elle pas un renforcement des régulations, notamment au sujet de la multipropriété ?
Avant de vous donner la parole, je vous rappelle qu'un faux témoignage devant notre mission d'information, dotée des pouvoirs des commissions d'enquête, est passible des peines prévues aux articles 434-13, 434-14 et 434-15 du code pénal. Je vous invite à prêter serment de dire toute la vérité, rien que la vérité, en levant la main droite et en disant : « Je le jure. »
Conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, M. Vincent Labrune prête serment.
M. Laurent Lafon, président. - Je vous remercie par ailleurs de nous faire part de vos éventuels liens d'intérêts en relation avec l'objet de notre mission d'information.
M. Vincent Labrune, président de la Ligue de football professionnel. - Je n'en ai aucun.
M. Laurent Lafon, président. - Je vais inviter également M. Arnaud Rouger, directeur général de la Ligue, qui vous accompagne aujourd'hui, à prêter serment et à faire part de ses éventuels liens d'intérêts.
Conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, M. Arnaud Rouger prête serment.
M. Laurent Lafon, président. - Je rappelle à tous que cette audition est captée et diffusée en direct sur le site internet du Sénat.
M. Vincent Labrune. - Je veux d'abord vous remercier de m'accueillir aujourd'hui et de me permettre ainsi de répondre à vos questions, de vous exposer l'ambition qui est la mienne pour les clubs depuis mon élection le 10 septembre 2020 et de revenir avec vous sur les conditions et le contexte ayant abouti à la création de la société commerciale et à l'arrivée de notre partenaire CVC.
J'ai vécu les choses de l'intérieur : l'électrochoc Mediapro ; le combat qui a été mené pour rendre leurs droits audiovisuels aux clubs ; les conditions d'attribution des droits audiovisuels après cette défaillance ; la précarité financière dans laquelle les clubs se sont trouvés ; la nécessité de faire de ce défi majeur une opportunité collective pour amener les clubs dans une nouvelle ère, au travers de la société commerciale notamment.
Acteur et premier témoin de ces grands bouleversements, je veux saisir l'occasion de cette audition pour rétablir un certain nombre de vérités, en réponse à plusieurs propos tenus devant vous par certains commentateurs qui s'en sont servis comme d'une tribune pour diffuser des idées fausses et réécrire l'histoire au sujet de la LFP.
Votre mission d'information aborde à mon sens des sujets dont la sensibilité et l'importance, tenant notamment à la survie et à l'avenir de nos clubs, commandent de faire preuve de responsabilité et de discernement dans la présentation factuelle et chronologique des événements. La présence d'Arnaud Rouger, directeur général de la LFP, permettra d'ailleurs de compléter utilement certaines de mes réponses lorsque des aspects techniques ou juridiques devront être précisés.
Le football est ma passion. J'occupe des fonctions dans le milieu du football depuis près de vingt ans. J'ai été président de l'Olympique de Marseille (OM) pendant neuf ans, successivement président du conseil de surveillance, puis du conseil d'administration. Au sein de la LFP, j'ai été administrateur sans interruption à compter de 2011, d'abord en tant que président de l'OM, puis en tant qu'administrateur indépendant.
Au mois de septembre 2020, j'ai décidé de me porter candidat à la présidence de la Ligue de football professionnel, et j'ai été élu le 10 septembre avec la volonté de réunifier le football professionnel. Je me suis attaché à tisser et à renforcer un lien de proximité et de confiance avec l'ensemble des présidents de club, notamment ceux qui avaient soutenu la candidature adverse, et j'ai exercé mon mandat dans un esprit de dialogue avec les clubs, afin d'écouter leurs doléances, leurs craintes, leurs espoirs et leurs projets pour l'avenir de notre championnat et de nos clubs. C'est dans cet esprit, et avec la complémentarité que nous avons avec Arnaud Rouger, que nous avons pu créer une synergie inédite au sein du football français au cours des dernières années pour porter et animer des projets forts qu'imposait le contexte dramatique dans lequel j'ai pris mes fonctions.
Mon mandat a en effet débuté avec la défaillance de Mediapro, dans un contexte pandémique qui a plongé le football français dans une crise sans précédent, dont nous subissons aujourd'hui encore les conséquences, notamment sur le marché des droits audiovisuels. Le recours initial à ce partenaire a été une erreur stratégique majeure, à l'origine des difficultés que nous rencontrons aujourd'hui encore avec le partenaire historique du football français, Canal+. Cette situation inédite a imposé au football français de prendre des mesures fortes et innovantes, que les clubs ont approuvées après avoir été étroitement associés à chaque étape des réflexions que nous avons menées.
La première mesure indispensable et urgente était de mettre fin à notre partenariat avec Mediapro, qui mettait en danger les clubs, dans des conditions permettant de récupérer les droits audiovisuels des clubs dans un délai record et en obtenant au passage un dédommagement inespéré.
La deuxième mesure a ensuite été de tirer les enseignements de cette crise profonde que nous traversions pour nous tourner aujourd'hui vers un nouveau modèle de développement, aux côtés d'un partenaire fiable et de long terme, CVC, qui représentait la meilleure solution financière dans l'intérêt des clubs et qui, lui, tient ses engagements. L'ambition que j'ai portée et animée pour le compte des clubs au travers de la création d'une société commerciale était ainsi de permettre leur survie à court terme et de créer les conditions d'une réussite à long terme, autour d'un modèle favorisant le rayonnement du football français. J'ai souhaité que l'apport de CVC puisse bénéficier au football dans son ensemble, aux clubs de Ligue 1, aux clubs de Ligue 2, mais aussi au football amateur, au travers de la Fédération française de football (FFF). Les clubs ont été informés et ont validé les conditions de la création de la société commerciale, le choix de CVC, les modalités de l'accord et sa clé de répartition.
Au-delà de l'apport financier des 1,5 milliard d'euros, qui sont sur le point d'être versés en totalité, CVC est un partenaire fiable et loyal qui a apporté une valeur ajoutée considérable sur les aspects commerciaux, grâce aux nouveaux talents qui nous ont rejoints et grâce à de nouveaux leviers de développement commercial, comme l'acquisition de la société Mon Petit Gazon.
Ce partenariat est d'autant plus exceptionnel qu'il a constitué, à l'époque, une des levées de fonds les plus importantes en Europe, dans un contexte de crise économique majeure et de déclenchement de la guerre en Ukraine, qui avait eu pour conséquence de restreindre fortement l'accès au financement. Nous avons obtenu un accord exceptionnel, valorisant la société commerciale à plus de 11 milliards d'euros. Ce partenariat repose sur un modèle gagnant-gagnant et un alignement d'intérêts entre deux actionnaires plutôt qu'un alourdissement de la dette avec un prêteur, les sommes dues à CVC étant en effet directement corrélées au montant des droits audiovisuels négociés. Il n'était pas concevable, dans ce contexte, de recourir à l'emprunt, qui aurait représenté un risque financier mortel pour des clubs déjà exsangues.
Le modèle de développement que nous avons voulu promouvoir au travers de la société commerciale porte déjà ses fruits.
Au niveau européen, deux clubs, deux des plus importants, le Paris Saint-Germain (PSG) et l'Olympique de Marseille, sont allés jusqu'en demi-finale de leur coupe d'Europe respective cette saison, ce qui n'arrive pas si souvent. Toulouse, Lille et d'autres encore ont également connu à leur niveau des parcours européens très satisfaisants, qui contribuent au rayonnement de notre ligue. Cette réussite européenne est le pilier de notre modèle, car il permet un cercle vertueux pour l'ensemble des clubs français. La compétitivité européenne permet d'augmenter les revenus UEFA et internationaux et d'obtenir un indice UEFA permettant de bénéficier de la réforme UEFA, attribuant désormais plus de places en Ligue des Champions.
Au niveau national, je ne peux que me réjouir que, sous l'impulsion des réformes que nous avons menées collectivement, nous ayons pu assister à des parcours incroyables de clubs historiques et populaires, comme le Racing Club de Lens et le Stade Brestois, qui ont respectivement terminé deuxième et troisième des deux dernières éditions du Championnat de France et se sont ainsi qualifiés directement pour la Ligue des Champions.
Le passage récent de la Ligue 1 à dix-huit clubs est également une avancée forte, qui a permis de renforcer l'attractivité de notre championnat, comme l'illustre la dernière saison, qui, de l'avis de tous, a été animée et incertaine jusqu'à la dernière journée de championnat.
Ce que nous avons mis en place a donc créé les conditions d'un championnat attractif, avec un engouement populaire autour de notre championnat et la réussite européenne de nos clubs. C'est ce modèle de développement sportif que nous défendons avec notre partenaire CVC. C'est un partenariat de long terme qui vient de débuter avec CVC. L'investissement financier n'est même pas encore entièrement finalisé, puisque nous allons recevoir, d'ici quelques jours ou quelques semaines, la dernière tranche de 440 millions d'euros.
D'ores et déjà, nous avons ici une commercialisation prometteuse de plusieurs de nos droits : le naming, les paris sportifs à l'international, les droits internationaux et, hier soir, ceux du championnat de Ligue 2, pour un montant très satisfaisant. Nous allons poursuivre nos efforts avec engagement et détermination. Même dans les moments les plus difficiles de mon mandat, je ne renonce jamais.
M. Michel Savin, rapporteur. - Je vous remercie de cette première présentation.
Ainsi que vous venez de le rappeler, vous avez été élu président de la Ligue le 10 septembre 2020, dans une période assez compliquée : après avoir obtenu les droits, contre 780 millions d'euros par an, Mediapro s'est retrouvé dans l'impossibilité d'honorer sa deuxième contribution et a donc demandé à renégocier son contrat avec la Ligue. Faute d'accord - vous nous avez transmis les différents échanges -, Mediapro a été libéré, au mois de décembre, de toutes les obligations liées à son contrat, moyennant le paiement d'une indemnité de rupture de 100 millions d'euros. Aviez-vous, à ce moment, des garanties d'un éventuel repreneur des droits télévisés ? Nous pensons évidemment au diffuseur historique, Canal+.
M. Vincent Labrune. - Je vais profiter de cette question sur Mediapro pour vous préciser l'état d'esprit qui est le mien dans le cadre de cette audition. Je ne suis pas là pour réécrire l'histoire, comme l'ont fait un certain nombre de commentateurs.
Il y a un fait établi et incontestable : Mediapro ne pouvait pas honorer ses engagements. L'épisode Mediapro est un échec. Il faut être sérieux et précis : Mediapro n'était solvable à aucun moment. Il n'y avait pas de renégociation possible ou de délais de paiement à leur demander. J'en veux pour preuve le fait qu'ils n'avaient aucune garantie financière solide, qu'ils étaient protégés par un environnement juridique très favorable avec l'ordonnance covid et qu'ils se sont mis quasi immédiatement sous la protection du tribunal de commerce.
Nous n'avions d'accord avec personne. En revanche, il était urgentissime de se sortir de ce contrat et de récupérer nos droits, puisque chaque jour qui passait coûtait environ 2 millions d'euros aux clubs.
Je souhaite évoquer le comportement de Mediapro. Je les ai rencontrés quelques jours après mon élection. Pendant les trois mois qu'ont duré les discussions avec eux, il n'a jamais été question de la moindre renégociation des montants. J'ai entendu circuler des chiffres : Mediapro était, paraît-il, prêt à renégocier le montant du contrat pour le porter à 650 millions d'euros. C'est faux. Ces montants n'ont jamais été envisagés, discutés, ni même portés à la connaissance de la LFP. L'attitude de Mediapro a été constante du jour de mon élection jusqu'à la récupération des droits. Ils avaient systématiquement un comportement de contournement de leurs obligations, de manière à ne pas régler leurs engagements contractuels.
M. Michel Savin, rapporteur. - Vous confirmez donc que, pendant cette période, il n'y a pas eu de discussions avec Canal+ pour une éventuelle reprise des lots de Mediapro ?
M. Vincent Labrune. - Il y a eu des discussions avec Canal+ dès lors que nous avons constaté de manière objective, factuelle, l'impossibilité de considérer que Mediapro était solvable. Un prêt garanti par l'État leur a même été refusé en raison de leur insolvabilité.
Nous avons mené en parallèle deux discussions : l'une avec Mediapro, pour essayer de récupérer nos droits ; l'autre avec le groupe Canal+, pour essayer de « plugger » le contrat Mediapro dans les meilleures ou, du moins, les moins mauvaises conditions possibles.
M. Michel Savin, rapporteur. - À la fin du processus avec Mediapro, la LFP a perçu 100 millions d'euros. Il y a donc eu rupture avec Mediapro ?
M. Vincent Labrune. - Il y avait des discussions avec Canal+. M. Maxime Saada nous a expressément demandé de récupérer les droits de Mediapro avant d'engager toute discussion sérieuse avec eux.
M. Michel Savin, rapporteur. - Quel a été le résultat des négociations ?
M. Vincent Labrune. - Nous sommes assez contents du résultat avec Mediapro. Nous avons obtenu 100 millions d'euros ; cela peut sembler peu, mais c'était un montant inespéré, d'autant qu'ils n'avaient aucune obligation de nous verser une telle somme.
À la suite de la restitution des droits, nous avons repris les discussions avec Maxime Saada, qui, dans un deuxième temps, nous a fait savoir que, pour des raisons de cadre juridique, il n'était pas certain que nous puissions négocier de gré à gré.
Nous avons donc relancé un nouvel appel d'offres au mois de février 2021. Celui-ci s'étant révélé infructueux, nous avons réengagé des discussions avec le groupe Canal+, de mémoire au mois de mars 2021, dans l'optique de la reprise de ces droits Mediapro.
Le groupe Canal+, qui avait investi une grosse partie de ses ressources en 2018 dans d'autres propriétés sportives à la suite à la perte des droits de la Ligue 1 - je peux le comprendre -, n'a pas souhaité accéder à notre demande au mois de mars. Nous leur avons cédé, pour 35 millions d'euros - c'est une somme assez basse, mais nous n'avions pas d'autre proposition -, la diffusion et la commercialisation du dernier tiers de notre saison.
Nous sommes revenus vers eux en fin de saison pour demander le montant dont nous avions discuté avec M. Saada depuis le mois d'octobre, en l'occurrence 250 millions d'euros : c'était le seuil en dessous duquel nous ne pouvions pas aller pour la survie des clubs. Là encore, les discussions n'ont pas abouti. Nous avons réussi à convaincre un acteur américain, Amazon, de nous faire une offre à 250 millions d'euros.
M. Laurent Lafon, président. - Quels enseignements tirez-vous de l'échec de l'épisode Mediapro ?
M. Vincent Labrune. - J'en tire deux.
Le premier est celui de la complexité du cadre juridique pour commercialiser les droits de la Ligue 1. Je pense que cette commercialisation multi-lots est assez opaque. Cela a permis à un acteur qui n'avait visiblement pas les moyens de ses ambitions de se porter acquéreur de ces lots à la surprise générale.
Le second enseignement - nous l'avons déjà mis en oeuvre lors du dernier appel d'offres, au mois d'octobre dernier - est la nécessité absolue de renforcer notre système de garantie financière. Jusqu'alors, ce dernier était intégré dans la note qualitative. Dans un appel d'offres, il y a une offre quantitative et une offre qualitative. La garantie financière comptait pour 10 % de la note qualitative. Ce n'était absolument pas un facteur bloquant. Aujourd'hui, c'est devenu une priorité : chaque enchérisseur potentiel doit fournir des garanties d'actionnaires de premier rang, sous peine d'être éliminé de la compétition.
M. Laurent Lafon, président. - Est-il possible pour un bénéficiaire des droits de télévision de faire sans un diffuseur comme Canal+ ?
M. Vincent Labrune. - C'est déjà arrivé dans le passé. Canal+ a une position forte sur le marché français, qui est un marché totalement spécifique par rapport à nos voisins européens, où la concurrence peut s'exprimer plus librement.
C'est le travail qui est le nôtre en ce moment. Il y a eu beaucoup de ressentis et une blessure forte entre Canal+ et le football français depuis l'épisode Mediapro : au-delà de la déception d'avoir perdu l'appel d'offres, il y a eu un sentiment de trahison. Canal+ nous a donc fait savoir que le groupe ne serait pas candidat à notre appel d'offres.
Depuis septembre 2022, un an avant le lancement de l'appel d'offres, nous avons travaillé à consulter, à démarcher, à essayer de trouver d'autres solutions. Nous n'avons pas réussi. J'en prends évidemment ma part de responsabilité. Croyez bien que nous faisons notre maximum.
C'est compliqué, mais il y a un chemin. Ce sera sans doute moins bénéfique pour les clubs si nous n'arrivons pas, au final, à trouver un arrangement avec Canal+. Mais il y a un chemin : faire tout simplement d'une contrainte théorique une opportunité en prenant notre destin entre nos mains et en essayant de créer notre propre média. Encore une fois, je ne veux pas accabler Canal+ plus que de raison : il y a eu le fait générateur Mediapro, et j'ai parfaitement conscience des investissements massifs que le groupe a effectués dans d'autres propriétés sportives et dans des accords de distribution avec Netflix ou avec Disney pour faire face à la perte de l'essentiel des programmes de Ligue 1. Je comprends aussi l'environnement contraint dans lequel il se trouve aujourd'hui, environnement qui ne facilite pas non plus une avancée rapide des discussions.
M. Michel Savin, rapporteur. - Vous avez rappelé que la diffusion de la saison 2020-2021 s'est terminée avec Canal+ à hauteur de 35 millions d'euros. Puis un nouvel appel d'offres a été lancé, et Amazon a obtenu les lots libérés par Mediapro, à hauteur de 259 millions d'euros, à comparer aux 830 millions d'euros actés avec Mediapro, soit une différence de près de 600 millions d'euros par an pendant trois ans. Le groupe Canal+ était aussi dans cette discussion. L'écart entre Amazon et Canal+ était-il vraiment très important ?
M. Vincent Labrune. - Les clubs bénéficiaient d'une rémunération garantie de 663 millions d'euros dans l'offre d'Amazon et de 595 millions d'euros dans l'offre incluant Canal+ et beIN. Dans une déclaration récente, j'ai regretté que Canal+ n'ait pas pu s'aligner sur l'offre d'Amazon.
Je tiens à préciser ma pensée. Je comprends parfaitement que le groupe Canal+ se soit senti trahi dans le cadre de l'épisode Mediapro ; ses dirigeants n'étaient absolument pas au courant, même médiatiquement, de la présence de cet acteur dans l'appel à candidatures de 2018. À l'inverse, ils étaient parfaitement au courant de la candidature d'Amazon, pour un montant de 250 millions d'euros, qui a été abondamment relayée par la presse. C'est la raison pour laquelle j'ai précisé que Canal+ n'avait pas malheureusement pu s'aligner sur cette offre en tant que montant garanti.
Pour être tout à fait précis, il y avait 70 millions d'euros d'écart, mais l'offre de Canal+ s'accompagnait d'une part variable qui correspondait à ce montant de 70 millions d'euros. En intégrant cette part variable, l'offre de Canal+ n'était donc pas si éloignée que cela de celle d'Amazon. Malheureusement, la situation des clubs à cette période était tellement complexe - je vous rappelle qu'ils n'avaient quasiment plus de revenus, puisqu'ils avaient engagé des dépenses certaines sur le contrat de Mediapro face à des recettes fictives - qu'ils ont évidemment priorisé les 70 millions garantis, faisant totalement fi des 70 millions de recettes variables : ils sortaient d'un épisode dramatique avec Mediapro, où l'argent promis était devenu fictif.
M. Michel Savin, rapporteur. - J'entends que la situation des clubs n'était guère reluisante au moment où la décision a été prise. Mais vous venez d'indiquer que la proposition de Canal+ / beIN avec la part variable était assez proche de celle d'Amazon. Au regard de l'historique et de la place de Canal+ dans le développement du football en France, n'aurait-il pas fallu renégocier avec le groupe, afin de préserver et de recréer - c'est le rôle du président de la Ligue - de bonnes relations avec ce partenaire historique ?
M. Vincent Labrune. - Encore une fois, il n'est pas possible de prendre en compte la partie variable, puisqu'elle est, par définition, totalement virtuelle et aléatoire. Les clubs ne peuvent pas prendre de décision au doigt mouillé ; il faut du certain, du concret.
Au total, 70 millions par an sur les offres garanties, c'est peut-être peu, mais cela représente plus de 200 millions d'euros sur trois saisons.
Évidemment que le rôle du président de la Ligue est de tout faire pour renouer le dialogue et créer les meilleures conditions possibles avec Canal+ ! C'est d'ailleurs ce que j'ai essayé de faire dès ma nomination. Nous vous ferons passer un certain nombre de déclarations de Maxime Saada dans la presse entre septembre 2020 et mars 2021. Renouer le dialogue avec ce partenaire historique était ma priorité absolue.
Mais il y a un principe de réalité : un président de la Ligue ne dirige pas seul ; il se concerte, il partage, il échange avec les clubs. Nous avons reçu les offres d'Amazon et de Canal+ un vendredi matin. Il y avait là quatre ou cinq présidents de club, le cabinet Clifford Chance, Mathieu Ficot, Arnaud Rouger et moi-même. J'ai commencé par indiquer que la proposition de Canal+, bien qu'inférieure dans les montants garantis, avait peut-être l'avantage de nous réconcilier avec le groupe et d'assurer une meilleure exposition aux produits. Mais j'ai été confronté à un autre principe de réalité : la panique des présidents de club, qui ont tout de suite priorisé le montant garanti. Ils ont également insisté, et je les comprends, sur ce que représentait le fait d'avoir réussi à faire arriver un acteur aussi important qu'Amazon sur le marché français. Comme le disait l'un d'eux : « Nous avons réussi l'exploit de faire venir un acteur de la trempe d'Amazon en Europe pour la première fois ; nous n'allons pas lui fermer la porte au nez ! »
J'ai peut-être failli en n'ayant pas réussi totalement - c'est le moins que l'on puisse dire - à réconcilier le football professionnel français dans son ensemble avec le groupe Canal+. Je fais le maximum, mais je ne suis pas tout seul. C'est un travail collectif. Et ce n'est pas facile.
J'ajoute qu'il aurait été délicat d'attribuer les droits au moins-disant. Qu'aurait-on dit si nous les avions attribués à Canal+, qui était factuellement le moins-disant sur les montants garantis, la part variable ne pouvant pas être prise en compte ?
M. Michel Savin, rapporteur. - Le 10 décembre 2020, l'assemblée générale de la Ligue a acté une modification de ses statuts pour permettre la création d'une société commerciale. Étiez-vous déjà actif sur le sujet avant de devenir président de la Ligue ?
M. Vincent Labrune. - Absolument pas.
Pour être très précis, j'avais eu vent d'une première réunion lancée par mon prédécesseur, M. Quillot, au mois de janvier 2020, donc neuf mois avant mon élection, au siège de la société de M. Kita, en présence d'un certain nombre de présidents de club, afin, je présume - une telle opération venait d'être réalisée en Italie, la presse française et internationale se faisait l'écho de rumeurs, et cela s'était fait dans le monde du rugby - d'évaluer la création d'une société commerciale. À aucun moment, je n'ai participé à ces réunions. Je n'étais donc pas du tout familier du sujet lors de mon élection.
M. Arnaud Rouger, directeur général de la Ligue de football professionnel. - La question était à l'ordre du jour. Un certain nombre de réflexions étaient menées ici ou là ; je vous renvoie aux deux rapports réalisés sous l'autorité du Sénat en 2017 et en 2020. La création d'une filiale commerciale était un sujet ancien, antérieur à l'arrivée de Vincent Labrune à la tête de la Ligue.
En décembre 2020, c'était simplement une possibilité offerte. L'article concerné a été remodifié dans le cadre de la loi du 2 mars 2022.
Cela a été le début des discussions en interne pour mettre l'ensemble des dossiers sur la table, au regard de la crise que nous venions de traverser. Comme cela a été rappelé, nous sortions d'une période particulièrement difficile. Il y avait eu l'arrêt des compétitions, le départ de Mediapro, et, pendant le deuxième confinement, les matchs se déroulaient dans des conditions extrêmement difficiles. Nous étions obligés de considérer toutes les hypothèses. Cela fut un point de départ, même si nous n'avons pas poussé cette solution plus que de raison.
M. Michel Savin, rapporteur. - C'est effectivement à l'automne 2020 que la Ligue a lancé le projet de société commerciale. La création d'une telle société avait été envisagée avant votre arrivée à la tête de la Ligue, monsieur le président Labrune ; une étude portant sur les avantages et les inconvénients de cette option avait même été commandée auprès du groupe Rothschild. À l'époque, vous étiez administrateur de la Ligue. Avez-vous été impliqué dans cette étude ?
M. Vincent Labrune. - Elle n'avait jamais été portée à ma connaissance.
Lorsque nous nous sommes lancés dans cette aventure - car c'en était une -, j'ai appris individuellement et nous avons appris collectivement en marchant. Le processus de lancement de cette société commerciale était une première. Je n'avais absolument aucune garantie et encore moins de certitudes.
M. Michel Savin, rapporteur. - Avez-vous eu des relations avec des fonds d'investissement sur ce projet de société commerciale ?
M. Vincent Labrune. - À quelle période ?
M. Michel Savin, rapporteur. - Après votre élection.
M. Vincent Labrune. - Si vous voulez savoir si j'ai eu des relations avec le groupe CVC avant le lancement du projet, je vous indique que j'avais alors rencontré Édouard Conques en tout et pour tout une fois dans ma vie. C'était à sa demande, et cela concernait le rugby. Il m'avait demandé si je connaissais quelqu'un qui pouvait l'éclairer sur l'évolution théorique des contrats du Tournoi des six nations sur le marché français. J'avais demandé à Mathieu Ficot de m'accompagner à ce rendez-vous. À aucun moment, nous n'avons parlé d'autre chose que de rugby.
M. Laurent Lafon, président. - Pouvez-vous, pour être complètement transparent, nous confirmer que vous n'avez effectué aucune prestation pour le compte de CVC, soit directement, soit via votre société de conseil, avant d'être élu président de la Ligue ?
M. Vincent Labrune. - Je vous le confirme. Je n'avais jamais eu de relation commerciale avec le fonds CVC.
M. Patrick Kanner. - Nous en sommes au stade de la compréhension de la genèse de la création de la société commerciale. Le nom de Sabine Dahan vous dit-il quelque chose ?
M. Vincent Labrune. - Je ne connais pas de Sabine. Je ne connais pas de Dahan. Je ne connais donc pas de Sabine Dahan. Ce nom a effectivement été porté à ma connaissance, et je suis stupéfait ; je n'avais jamais entendu parler de cette personne.
M. Patrick Kanner. - Je serai plus circonspect que vous.
Le 14 décembre 2021, Mme Sabine Dahan, que vous ne connaissez manifestement pas, a créé une société appelée New Co Sab 274 pour 1 euro de capital. Le 11 février 2022, elle a créé une autre société appelée New Co Sab 278, toujours pour 1 euro. Ce sont ce que l'on appelle des « sociétés dormantes », c'est-à-dire des coquilles vides. Ces deux sociétés, créées en décembre 2021 et en février 2022, seront revendues quelques mois plus tard à l'un des plus grands fonds d'investissement mondiaux, CVC, pour en faire le véhicule d'investissement dans la société commerciale de la LFP.
Mme Dahan a donc été chargée par les différentes parties prenantes de procéder à l'accomplissement des formalités juridiques et des enregistrements y afférents. Il s'agit d'un deal important, avec des sociétés coquilles qui vont servir finalement de support aux sociétés Renaissance Investissements et Renaissance Finance - je précise que le terme « Renaissance » n'a pas de lien avec l'actualité politique, même si nous aurons d'autres questions à vous poser sur l'implication de l'Élysée dans ce dossier !
Je prends acte du fait que vous ne connaissez pas Mme Dahan. Mais vous avez suivi ce dossier : que pensez-vous de ce montage financier un peu baroque pour un grand fonds d'investissement ? En général, les grands fonds d'investissement créent leurs propres sociétés, au lieu de racheter de petites sociétés commerciales créées à Marseille...
M. Vincent Labrune. - C'est un sujet un peu particulier. J'ai découvert cette histoire de Mme Dahan dans le cadre d'une plainte qui a été déposée par l'association AC au parquet national financier et qui a fuité dans la presse.
Au-delà du fait que Mme Dahan a monté des « coquilles vides » - je vous cite - qui auraient été revendues à CVC, il est fait état dans cette plainte qu'elle serait une ancienne collaboratrice de Vincent Labrune à l'Olympique de Marseille. Voilà qui dénote une volonté de nuisance - pour ne pas dire plus - absolument scandaleuse. Ces faits ayant été portés à ma connaissance, j'ai évidemment essayé de me renseigner un minimum sur ce dossier auprès de CVC et de l'Olympique de Marseille.
Je vais vous donner, en totale transparence, les éléments qui ont été portés à ma connaissance. Mme Dahan a collaboré avec l'Olympique de Marseille en 2019, dans le cadre d'une prestation extérieure visant à créer une filiale de l'Olympique de Marseille qui s'appelait OM Développement. Renseignements pris auprès de CVC - mais je vous encourage à leur reposer la question -, elle a également collaboré avec le groupe pour créer ces structures devant porter l'investissement, et ce pour une raison simple : c'est son métier. J'ai découvert quelque chose. Elle a pignon sur rue ; c'est un métier. Les grands fonds d'investissement de la place parisienne et d'ailleurs font appel à des prestations de ce type : puisqu'ils font beaucoup d'opérations potentielles d'acquisition et d'investissement, ils sous-traitent à une société. C'est le métier de Mme Dahan : créer des sociétés qui seront revendues ensuite. Voilà ce que je connais de cette affaire. Vouloir m'y raccrocher est abracadabrantesque.
M. Laurent Lafon, président. - M. Kanner a indiqué que la société avait été créée en décembre 2021. Le fonds CVC est entré dans son capital le 8 mars 2022, soit quelques jours avant d'être choisi par le conseil d'administration, le 18 mars, et par l'assemblée générale, le 1er avril. Comment se fait-il qu'il soit entré au capital de cette société avant même d'avoir été choisi ?
M. Vincent Labrune. - Il faudrait le lui demander. Je pense qu'il en a été de même pour l'ensemble des autres candidats finalistes ; dans la perspective de l'attribution, ils avaient dû suivre le même type de process. Mais, n'étant pas au courant, je ne peux pas vous en dire plus.
M. Laurent Lafon, président. - Le fait qu'il devait y avoir une structure n'était-il pas dans le cahier des charges que vous aviez rédigé à l'intention des différents fonds ?
M. Vincent Labrune. - Non. Le cahier des charges tenait en deux phrases.
La première consistait à indiquer que les clubs de football et la LFP souhaitaient 1,5 milliard d'euros en contrepartie d'un pourcentage. C'était le principe de cette enchère un peu originale : celui qui donnait le pourcentage le plus faible était le mieux-disant financièrement.
La seconde concernait la documentation juridique.
M. Laurent Lafon, président. - La durée n'était pas un élément du cahier des charges ?
M. Laurent Lafon, président. - Mais était-ce précisé dans le cahier des charges ?
M. Vincent Labrune. - Ce n'était pas précisé. Nous avons fait appel à deux banques d'affaires, qui ont travaillé plusieurs mois et rencontré plusieurs dizaines de candidats. Aucun candidat à l'investissement n'a considéré que cela pouvait se faire autrement que sur une durée classique.
M. Laurent Lafon, président. - Pour la Liga, c'était sur une durée de cinquante ans.
M. Vincent Labrune. - La Liga, c'est l'Espagne. Le championnat espagnol est aujourd'hui le plus grand championnat d'Europe, avec le championnat anglais. C'est le plus gros championnat en termes de victoires en Coupe d'Europe ; ils ont gagné plus de quarante coupes d'Europe. Ils ont plus de 2 milliards d'euros de revenus. C'est un environnement complètement différent.
Il faudrait demander à CVC pourquoi ils ont eu cet accord en Espagne.
En France, la question ne s'est jamais posée. Aucun candidat n'a souhaité qu'elle se pose. Cela aurait eu pour conséquence soit de rendre impossible la levée de 1,5 milliard d'euros, soit de faire exploser potentiellement le pourcentage à des taux supérieurs à ce que la loi avait prévu et, en tout état de cause, à ce que le Sénat avait souhaité, à savoir 15 %.
M. Laurent Lafon, président. - Aucun président de club n'a posé la question de la durée ?
M. Vincent Labrune. - Non. Encore une fois, la question ne s'est pas posée. C'est un investissement d'actionnaire. Si une personne achète une action, elle aura son dividende, théoriquement sur une durée indéterminée, et nous verrons ce qu'elle en fait ensuite.
M. Michel Savin, rapporteur. - Quel était le rôle des deux banques d'affaires et du cabinet d'avocats dans la conclusion de l'accord avec CVC ? Et quel était le rôle du président de la Ligue ?
M. Vincent Labrune. - Les deux banques d'affaires, qui sont reconnues sur la place de Paris, ont eu pour missions de créer de la tension concurrentielle et d'amener des « clients » pour notre projet.
Je voudrais me battre contre une idée reçue : il ne faut pas croire que c'était simple. Sur les 40 fonds environ que nous avons vus, plus des deux tiers n'ont pas fait d'offre, considérant que ce n'était pas un investissement intéressant. Et certains nous ont fait des offres à 20 %.
Les banques d'affaires ont organisé le processus d'attribution par séquences : première étape, les rencontres des fonds, les marques d'intérêt et les offres indicatives ; seconde étape, le processus de sélection des finalistes.
Pour ma part, j'ai été au service des banques d'affaires pour rencontrer et échanger avec l'ensemble des fonds qui étaient candidats et pour porter un projet.
Il faut bien le comprendre, nous n'avons pas un fonds qui a acheté, en France, la valeur de la Ligue 1 à date. En Espagne et en Italie, c'est le même fonds qui avait fait des offres ; ils ont peu ou prou investi le montant des revenus annuels. En France, ils ont investi plus du double des revenus annuels. Ils ont donc parié sur le développement du projet.
J'ai rencontré un certain nombre d'entre eux, y compris parmi ceux qui n'ont pas fait d'offre. Je n'ai pas dû être bon, puisque je n'ai pas réussi à les convaincre. En revanche, j'ai porté un projet de développement fort de nos recettes sur le moyen terme et le long terme, avec un objectif : faire gagner la France à l'international, y compris à travers les performances de nos clubs, et pas seulement tous les quatre ans avec les performances de l'équipe de France en Euro ou en Coupe du monde.
J'ai donc vendu un projet ambitieux, qui, avec l'augmentation de nos performances européennes, allait mécaniquement augmenter nos revenus UEFA et nos revenus internationaux, accroître notre nombre de places en Coupe d'Europe, attirer de nouveaux industriels et de nouveaux investisseurs dans nos clubs, ces derniers allant eux-mêmes investir dans notre championnat et dans notre économie, créant ainsi un cercle vertueux.
J'ai porté ce projet auprès des quatre finalistes et de tous les fonds qui avaient demandé à me rencontrer. J'ai moi-même participé à créer une tension concurrentielle forte entre les quatre finalistes. Cela a abouti au résultat que nous avons obtenu et que nous pouvons tous considérer, de bonne foi, comme très satisfaisant.
M. Michel Savin, rapporteur. - À la lecture des comptes rendus des conseils d'administration de la Ligue, il apparaît que tout s'est passé en une dizaine de jours. C'est à ce moment-là que vous avez échangé avec les fonds ?
M. Vincent Labrune. - J'ai rencontré des fonds d'investissement pendant toute la période du process, y compris quand j'étais sollicité par la Banque Lazard pour rencontrer le dirigeant de tel fonds qui n'a finalement pas fait d'offre. Ils avaient besoin de connaître le dirigeant de la Ligue et le projet.
Pendant plusieurs mois, j'ai rencontré un très grand nombre de dirigeants de fonds pour essayer de les convaincre. En fait, j'ai fait le vendeur. J'insiste, parce que l'on a trop tendance à banaliser le montant de 1,5 milliard d'euros qui a été payé par CVC au football français.
M. Arnaud Rouger. - Il ne faudrait pas laisser penser que la sélection s'est opérée sur une durée très courte.
M. Vincent Labrune. - Je le précise, le process a duré plus d'un an et demi.
M. Arnaud Rouger. - D'abord, au début de l'année 2021, nous avons échangé sur le cadre et l'environnement juridiques, le pourcentage, les questions de gouvernance, de validation des textes. Cela a abouti à la loi du 2 mars 2022.
Pendant cette période, les banques d'affaires ont commencé à préparer le processus. À l'automne 2021, un collège de Ligue 1 s'est tenu pour présenter le processus de sélection potentielle d'un fonds. Il s'agissait de savoir si les clubs de Ligue 1 étaient d'accord ou pas pour continuer dans ce dispositif de recherche. En octobre 2021, les deux banques d'affaires ont présenté sur toute une journée l'ensemble du processus prévu, c'est-à-dire un processus en entonnoir avec une consultation très large d'un certain nombre de fonds et le dépôt d'offres indicatives pour le mois de décembre 2021.
En décembre 2021, une première sélection de quatre fonds a été effectuée par les banques d'affaires : CVC, Oaktree, Silver Lake et Hellman & Friedman. Entre décembre 2021 et mars 2022, il y a eu un travail intense avec chaque fonds de façon très contradictoire et transparente ; les fonds ont posé des questions et nous avons apporté des réponses, notamment sur le plan d'affaires, sur la manière de le réaliser, sur le cadre juridique et sur les gouvernances qui pourraient être proposées.
Le 18 mars 2022, les banquiers sont venus au conseil d'administration - vous avez le document confidentiel - pour présenter les offres, avec des éléments de comparaison sur le pourcentage et sur la gouvernance ; il était très important pour nous pour respecter la lettre et l'esprit du texte que vous avez voté.
C'est là que CVC a été choisi par le conseil d'administration. À partir de ce moment-là, tout le closing du deal devait se faire assez rapidement. En effet, comme vous le savez, nous étions dans une période financière très incertaine, avec le déclenchement de la guerre en Ukraine, et les clubs étaient informés en temps réel de l'avancée des dossiers. Sur quatre ans de mandat, nous avons fait 125 réunions : assemblées générales, conseils d'administration, collèges de Ligue 1 ou de Ligue 2. Les clubs étaient donc informés. Je vous communiquerai l'ensemble des procès-verbaux si vous le souhaitez.
M. Vincent Labrune. - La transparence, la collégialité, le dialogue et le travail en équipe ont été la pierre angulaire de mon mandat. Je ne peux pas laisser penser que les présidents de clubs n'étaient pas informés. Ils étaient informés en temps réel, parfois même indépendamment des réunions. Et il s'agit de personnes brillantes, de grands chefs d'entreprise qui ont plutôt très bien réussi dans la vie. Ce sont tout sauf des idiots. En écoutant certaines auditions, j'ai par moments eu le sentiment que tous les dirigeants du football français étaient idiots et que personne n'avait rien compris... C'est tout le contraire ! Ils ont évidemment bien compris. Toute la documentation a été transmise aux clubs, à l'Assemblée de la Fédération et au ministère des sports.
D'ailleurs, nous avons refait une assemblée générale au mois de novembre dernier, c'est-à-dire plus d'un an après, et l'ensemble des points ont été revotés favorablement, à plus de 97 % ou de 98 %.
M. Laurent Lafon, président. - Votre système en entonnoir paraît assez logique. À quel moment avez-vous informé le Gouvernement que vous envisagiez le recours à une société commerciale ? Quel a été votre interlocuteur gouvernemental ?
M. Vincent Labrune. - À titre personnel, j'ai eu très peu de contact avec les responsables politiques. J'étais concentré sur le projet que nous proposions aux fonds, sur la création de tensions concurrentielles, sur la maximisation de l'offre et sur les rencontres avec les dirigeants de fonds pour essayer de les convaincre et de permettre à la Ligue d'avoir le meilleur deal possible.
Je n'ai eu aucune relation directe avec des responsables politiques, hormis vous.
M. Laurent Lafon, président. - À aucun moment, vous n'avez informé l'État ?
M. Vincent Labrune. - L'audition mémorable de 2021, dont je ne suis pas très fier, avec les membres de votre commission, représente 99,9 % des contacts que j'ai eus avec le monde politique pendant la période.
M. Arnaud Rouger. - Ainsi que Vincent Labrune l'a indiqué, nous avons appris collectivement en marchant.
L'idée était ancienne. Le projet avait été évoqué depuis longtemps, mais les contours n'en avaient pas été définis précisément. Ce qui a animé nos travaux, c'est la volonté d'informer le maximum de monde pour que ce projet, s'il était important pour la Ligue, ne vienne pas perturber le mouvement sportif dans son ensemble. Je pense en priorité aux autres ligues ; vous le savez, nous sommes assez actifs avec elles pour échanger sur nos bonnes pratiques, sur les problèmes rencontrés et sur les besoins que nous pouvons avoir. Nous avons évoqué ces questions-là avec eux.
Ensuite, nous avons évidemment travaillé avec le cabinet du ministère des sports, avec le cabinet du Premier ministre et avec le cabinet du Président de la République pour les informer des démarches.
M. Laurent Lafon, président. - À quel moment ?
M. Arnaud Rouger. - Au tout début de l'année 2021.
Le premier contact que nous avons eu était avec Cédric Roussel, dans le cadre de son rapport. Nous savions qu'une proposition de loi serait examinée à l'Assemblée nationale et que son volet économique pouvait être le véhicule pour faire avancer ce dossier. Une fois le contact pris avec Cédric Roussel, nous avons - vous l'imaginez bien - travaillé avec nos contacts au Gouvernement.
M. Patrick Kanner. - Il ne nous avait pas échappé que le fameux amendement était un peu télécommandé...
Parmi les arguments tendant à convaincre CVC, comme les autres soumissionnaires potentiels, l'existence d'un rescrit fiscal a-t-elle été évoquée ? S'il y a rescrit fiscal, pouvez-vous nous le présenter ? Par définition, en pareil cas, Bercy est à la manoeuvre, sous l'autorité du Premier ministre.
M. Arnaud Rouger. - Vincent Labrune vous l'a dit : nous avons vécu une période complexe, marquée par des dossiers complexes, pas tant par leur montage que par leur nouveauté. Étant donné la responsabilité dont la Ligue est investie pour l'ensemble des clubs, quand on parle de fiscalité, quand on opte pour une certaine lecture du code général des impôts (CGI), on préfère s'adresser à la direction compétente de Bercy pour savoir si cette lecture est la bonne.
Nous l'avons fait, tout d'abord, pour les prêts garantis par l'État (PGE) : il était finalement assez nouveau qu'une ligue contracte un prêt pour le compte de ses clubs. C'est le premier rescrit que nous ayons obtenu. Il a permis de confirmer qu'il s'agissait d'avances remboursables, lesquelles ne devaient pas entrer dans le résultat de la Ligue : c'était bien une créance collective des clubs.
Quant à la création de la filiale commerciale, elle soulevait deux questions.
La première portait sur les droits d'exploitation et sur leur comptabilisation au niveau de la filiale. Le dispositif fiscal est somme toute assez simple pour la Ligue en tant qu'association : c'est un produit et une charge, tout simplement. Nous voulions nous assurer que le dispositif qui valait pour la Ligue, au titre de l'exploitation des droits, valait également pour la filiale commerciale ; que ce qui était un produit d'un côté était une charge de l'autre.
Comme je vous le disais, on apprend en marchant. Nous avons instauré, de manière transparente, un certain nombre de garde-fous. Celui-ci en fait partie.
Quant au second rescrit, il a pour objet de confirmer l'apport d'une branche complète d'activité, qui est une notion classique de l'administration fiscale. Il s'agit, dans les deux cas, de rescrits confirmatifs.
M. Laurent Lafon, président. - Monsieur le président, le plan d'affaires prévoit l'évolution des recettes de la société commerciale à l'horizon 2031-2032. C'est sur la base de ce document que les fonds ont valorisé cette société. Qui a établi ce plan d'affaires ?
M. Vincent Labrune. - Les équipes de la LFP, dirigées par Mathieu Ficot, avec les banquiers conseils.
M. Laurent Lafon, président. - Les différents fonds contactés, en tout cas les quatre derniers, ont-ils posé des questions sur les hypothèses qui sous-tendent ce plan d'affaires ? Les ont-ils contestées ?
M. Vincent Labrune. - C'est le principe, en fait. Ce plan d'affaires est destiné à la valorisation de la société commerciale, mais un tel document est systématiquement établi pour la valorisation de n'importe quelle société dans n'importe quel secteur, quand on cherche un investisseur. En pareil cas, on s'efforce de présenter une version optimiste des perspectives de revenus, afin de « maximiser » la vente. Si nous avions retenu des chiffres inférieurs, nous n'aurions jamais eu 1,5 milliard d'euros. Il fallait commencer par inscrire dans le plan d'affaires des chiffres pouvant justifier le montant demandé.
En outre, un travail très pointu a été réalisé. Les estimations ont été optimisées puisque nous sommes vendeurs. Mais nous croyons de bonne foi à la valeur à long terme du football, qui est le seul sport planétaire. La France est le pays numéro 1, qu'il s'agisse des talents ou des formations. Nous avons des stades magnifiques ; nous allons essayer d'attirer de nouveaux propriétaires et de nouveaux investisseurs. Si la Ligue 1 élève son niveau de performance à l'échelle européenne donc son niveau de revenus, ces chiffres peuvent être atteints.
M. Laurent Lafon, président. - Entre les chiffres optimistes et les chiffres pessimistes, il y a peut-être aussi des chiffres réalistes. Sur ce plan d'affaires, qui sert de valorisation, repose tout le montage du pacte d'actionnaires que vous avez conçu, notamment dans le cas où les revenus ne sont pas à la hauteur.
M. Vincent Labrune. - Tout à fait, monsieur le président. Mais, avec ce plan, on considère qu'il y a un risque.
Nous avons proposé ce plan à des investisseurs : il a pour seule vocation d'être validé par un investisseur théorique. Je vous l'ai dit : sur une trentaine ou une quarantaine de sociétés auxquelles nous l'avons proposé, plus d'une vingtaine ont considéré qu'il n'était pas recevable et n'ont pas souhaité faire d'offre. Une dizaine, peut-être, ont souhaité formuler une offre, mais la plupart étaient à 20 %.
Les fonds d'investissement ont eux-mêmes « challengé » ce plan d'affaires et évalué la qualité de l'investissement : c'est leur métier. Ceux qui ont fait des offres, en particulier ceux qui ont été retenus pour la finale, ont considéré que ces perspectives de revenus étaient plausibles.
M. Michel Savin, rapporteur. - Les clubs ont tous validé ce plan d'affaires.
M. Vincent Labrune. - Bien sûr.
M. Michel Savin, rapporteur. - Toutefois, lorsque je vous ai interrogé au sujet de Canal+, vous avez répondu qu'ils voulaient du concret.
M. Vincent Labrune. - Je m'en souviens très bien.
M. Michel Savin, rapporteur. - Si les clubs ont refusé de valider la proposition de cette chaîne, c'est, avez-vous indiqué, parce qu'elle comprenait une part variable. Mais une hypothèse de recettes est encore plus incertaine qu'une partie variable : où est la cohérence ? Le plan d'affaires à 1,1 milliard d'euros n'est assorti d'aucune garantie. Je souhaite comprendre la position des clubs.
M. Vincent Labrune. - Leur position est très claire : ils veulent des choses garanties et certaines. Or ce qui était garanti et certain pour eux, c'était l'enveloppe de 1,5 milliard d'euros.
M. Michel Savin, rapporteur. - Je vous parle du plan d'affaires dans son ensemble, qui couvre plusieurs années.
M. Vincent Labrune. - C'est le principe de la levée de fonds : le plan d'affaires, c'est ce qui justifie l'obtention de 1,5 milliard d'euros. Les clubs souhaitaient avoir ce montant garanti et payé, ce qu'ils ont eu.
M. Michel Savin, rapporteur. - Les clubs ont donc validé ce plan d'affaires sur la seule base de l'enveloppe de 1,5 milliard d'euros, sans examiner les dispositions à court, moyen et long termes ?
M. Vincent Labrune. - Bien sûr que si, les clubs ont tout validé. Je ne comprends pas votre comparaison.
M. Michel Savin, rapporteur. - Vous nous dites, en somme, que, si les clubs ont validé le plan d'affaires à 1,1 milliard d'euros pour la saison 2024-2025, c'est parce qu'ils voulaient à tout prix l'enveloppe de 1,5 milliard d'euros.
M. Vincent Labrune. - Le seul sujet financier dans cette affaire, c'est le caractère garanti du montant de 1,5 milliard d'euros effectivement payé par CVC : il n'y a rien de virtuel là-dedans. Quant à la réalisation du plan d'affaires, elle est en cours. Nous sommes dedans : à ce stade, nous n'en savons rien.
M. Michel Savin, rapporteur. - Nous examinons le plan d'affaires présenté et nous constatons la situation inquiétante dans laquelle se trouvent les clubs de football français. Beaucoup de représentants de clubs sont inquiets, mais ils n'en ont pas moins voté ce plan d'affaires. Je voulais simplement vous entendre sur ce sujet ; cela étant, nous devons avancer.
En mars et juillet 2022 se noue le partenariat entre la Ligue et CVC au titre de la filiale commerciale, en contrepartie d'un investissement de 1 milliard d'euros. Ainsi, CVC détiendra 13 % du capital de la société. En juin 2022, la Ligue et la société ont conclu un traité d'apports d'actifs soumis au régime de scission relatif à l'apport par la Ligue à la société de l'ensemble de son activité commerciale.
La Ligue a donc transféré à la société commerciale l'ensemble de son activité commerciale - développement économique, media production, partenariats, digital marketing, développement international et service business affairs.
D'après l'extrait du procès-verbal interne de la commission de la Ligue du 30 septembre 2022, ont été adoptées à l'unanimité, moins sept abstentions, les rémunérations et gratifications des dirigeants de la Ligue. Pouvez-vous nous détailler le montant de votre rémunération et de vos gratifications depuis 2022, date de l'accord avec CVC ?
M. Vincent Labrune. - Ces montants ont été portés à votre connaissance, monsieur le rapporteur.
M. Michel Savin, rapporteur. - Nous avons des doutes sur certains points : pouvez-vous nous apporter confirmation ?
M. Vincent Labrune. - Vos doutes portent-ils sur les documents que nous vous avons transmis ?
M. Michel Savin, rapporteur. - Non, sur les réponses que les représentants de CVC nous ont apportées.
M. Vincent Labrune. - Pouvez-vous reformuler votre question précisément ?
M. Michel Savin, rapporteur. - Pouvez-vous nous détailler le montant de votre rémunération et de vos gratifications depuis 2022, date de l'accord avec CVC ?
M. Vincent Labrune. - Le conseil d'administration de la Ligue, donc les présidents de clubs, qui sont souverains en la matière, ont décidé de porter ma rémunération à 1,2 million d'euros brut annuels à partir d'octobre 2022. Ils ont considéré que cette rémunération était méritée, étant donné l'investissement et les responsabilités qui sont les miens, les crises que nous avons traversées, les succès que nous avons obtenus, les prix du marché et le benchmark européen effectué.
M. Laurent Lafon, président. - Votre rémunération fait-elle l'objet d'une refacturation à la société commerciale ?
M. Vincent Labrune. - À ce titre, il faut que j'apporte une précision. Je suis président de la LFP, et c'est la LFP, personne morale, qui est présidente de la filiale commerciale LFP Media. Ma rémunération, fixée et validée par le conseil d'administration, est versée intégralement et exclusivement par la LFP. J'ajoute que ces deux questions sont complètement indépendantes.
Je m'efforce d'être précis. Dans le cadre des accords entre LFP et LFP Media, un contrat de prestation de services entre les deux structures vise à refacturer les services rendus par les directions transverses, notamment la direction financière de la LFP, la direction de la comptabilité, la direction juridique et la direction des ressources humaines. Y figure la rémunération du président de la LFP pour son action dans la négociation des droits audiovisuels. Aujourd'hui, personne ne peut contester que je m'occupe de ce dossier.
Ce que je comprends de l'audition des représentants de CVC, c'est qu'il y a eu une mauvaise communication entre les équipes de LFP Media et celles de CVC sur la partie refacturée. CVC avait certes connaissance du montant global refacturé par la LFP à LFP Media. Mais CVC n'avait pas la ventilation précise des postes et, pour ce qui me concerne, la quote-part précise représentant le travail du président.
On peut regretter ce déficit d'information, mais je dois vous dire que cette refacturation est tout à fait normale. C'est le contraire qui aurait posé problème : si une partie de ma rémunération n'avait pas été refacturée, nous aurions commis un acte anormal de gestion, tout simplement. En effet, la LFP n'a pas à supporter intégralement une prestation effectuée par son président au bénéfice de LFP Media.
M. Laurent Lafon, président. - Nous confirmez-vous que la partie refacturée par la LFP à la société commerciale fait l'objet du retraitement du résultat utilisé pour le calcul des revenus de CVC ? En d'autres termes, les sommes refacturées par la LFP à la société commerciale ont-elles un impact sur ce qui reste à distribuer entre les clubs ?
M. Arnaud Rouger. - Je vais préciser ce point, qui est très important pour comprendre la relation financière entre la LFP et LFP Media.
M. le rapporteur l'a indiqué : l'apport partiel d'actifs concerne l'ancienne direction du développement économique. Ainsi, un certain nombre de services supports continuent de relever de la LFP.
En vertu de notre droit fiscal, les services rendus par une société à une autre doivent être facturés. Ne pas le faire serait commettre un acte anormal de gestion, consistant à proposer un service gratuit à une autre société.
En parallèle, le dividende de CVC est calculé sur la base du chiffre d'affaires, dont on retranche les charges de LFP Media. Si l'on ne refacturait pas, les charges considérées n'affecteraient pas les dividendes de CVC.
Ce sujet est donc très important à double titre. Si l'on ne refacturait pas, on servirait CVC un dividende supérieur à ce qui est prévu. D'une certaine manière, l'acte anormal de gestion serait double : tout d'abord en vertu du droit fiscal, ensuite en vertu des accords que nous avons pris et qui ont été validés par les clubs.
M. Laurent Lafon, président. - Les charges refacturées viennent donc bien diminuer les revenus de CVC. Ses représentants n'avaient pas l'air d'en être conscients la semaine dernière, quand nous leur avons posé la question.
M. Michel Savin, rapporteur. - En résumé, monsieur le président de la LFP, vous accomplissez les mêmes missions qu'avant mais pour le compte de deux structures différentes - pour des raisons que j'entends - et vous percevez un salaire annuel brut de 1,2 million d'euros, auquel s'ajoutent diverses gratifications. Le procès-verbal qui nous a été communiqué fait ainsi état d'un bonus exceptionnel brut de 3 millions d'euros, lié à l'opération CVC et voté par les clubs : le confirmez-vous ?
M. Vincent Labrune. - Oui, monsieur le rapporteur.
M. Michel Savin, rapporteur. - Le même procès-verbal mentionne votre salaire annuel brut de 1,2 million d'euros, un bonus fixe de 300 000 euros à arrêter selon des modalités restant à définir, ainsi qu'un bonus variable restant à arrêter selon des conditions d'attribution en fonction des résultats économiques obtenus. Je ne sais d'ailleurs pas comment les clubs ont pu voter un tel bonus... Quel est le montant de ce bonus variable annuel ?
M. Vincent Labrune. - Monsieur le rapporteur, je vais vous répondre très clairement.
Les montants dont vous faites état sont effectivement ceux qui ont été discutés et votés par le conseil d'administration, sur la base de propositions du cabinet Egon Zehnder. Néanmoins, nous n'avons donné suite ni au bonus complémentaire de 300 000 euros ni au bonus variable. Nous ne l'avons pas souhaité.
M. Arnaud Rouger. - Monsieur le rapporteur, vous faites référence à des documents que nous avons fournis. Le bonus variable qui s'y trouve inscrit pour le compte de Vincent Labrune comme pour mon compte résulte de l'application du procès-verbal mentionné. Il est d'un montant de 3 millions d'euros pour Vincent Labrune et de 1 million d'euros pour ce qui me concerne, sommes versées en deux fois.
Pour Vincent Labrune comme pour moi-même, la délibération du 30 septembre 2022 faisait état d'une augmentation de rémunération et d'un bonus, dont je viens d'indiquer le montant. Cela s'est arrêté là. Comme vous l'avez justement précisé, les modalités des autres dispositions restaient à définir ; or elles n'ont jamais été définies. Nous n'y avons pas donné suite.
Vous nous avez demandé, par ailleurs, des documents précisant les montants versés pour les saisons en question. Vous devez retrouver lesdits montants sur ces documents, notamment les primes de 3 millions d'euros et de 1 million d'euros, réparties en deux échéances, la rémunération fixe et la rémunération variable. Je pourrai vous préciser ces éléments si vous le souhaitez, mais il n'y a pas eu d'autres compléments que ceux qui figurent dans les documents.
M. Michel Savin, rapporteur. - Les mesures votées à l'unanimité par le conseil d'administration n'ont donc pas été appliquées.
M. Arnaud Rouger. - Non. Telle qu'elle est rédigée, la délibération précise que les modalités d'attribution du bonus de 300 000 euros et du bonus variable de Vincent Labrune restent à définir. Or ces modalités n'ont jamais été précisées et, en conséquence, cette partie ne s'applique pas.
M. Michel Savin, rapporteur. - Monsieur le président, avez-vous déclaré ces rémunérations à la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique (HATVP) ?
M. Vincent Labrune. - Oui, monsieur le rapporteur, dans les jours qui ont suivi mon élection. Je me suis présenté sans savoir qu'il fallait faire cette déclaration. On me l'a demandée dans les jours qui ont suivi. Pour tout vous dire, cette déclaration a pris un certain temps. Je l'ai transmise à la Haute Autorité, dans les semaines qui ont suivi mon élection.
M. Laurent Lafon, président. - Le bonus évoqué relevait d'une enveloppe de 37,5 millions d'euros versée lors du deal avec CVC. Cette enveloppe fait-elle partie des 1,5 milliard d'euros ou était-elle en sus ?
M. Vincent Labrune. - Elle en faisait partie : en vertu du document présenté par le cabinet Eight Advisory à l'ensemble des candidats, 37,5 millions d'euros étaient prévus, sur la somme de 1,5 milliard d'euros, pour la rémunération des conseils. Cette enveloppe était destinée aux honoraires en cas de réalisation de l'opération.
M. Laurent Lafon, président. - Pourtant, cette information ne figure pas dans le procès-verbal de l'assemblée générale du 1er avril 2022, détaillant l'affectation des 1,5 milliard d'euros.
M. Arnaud Rouger. - Le procès-verbal de l'assemblée générale n'est pas entré dans ce niveau de détail. Toutefois, dans les slides présentées, le solde du 1,5 milliard d'euros était réparti et le fonds destiné aux honoraires précisé. Je vous communiquerai ces éléments.
M. Vincent Labrune. - Nous vous adresserons une note précise sur l'ensemble de ces opérations.
M. Michel Savin, rapporteur. - Il s'agit d'un « détail » à 37,5 millions d'euros...
M. Arnaud Rouger. - Ce n'est bien sûr pas un détail, mais, lors de la présentation, ces éléments restaient à définir. Le procès-verbal de l'assemblée générale auquel vous faites référence prévoit d'ailleurs que les honoraires des conseils devront être étudiés à la rentrée suivante - cette précision se trouve à la fin du document. Le point a bien été évoqué, mais n'a pas été reporté de manière précise dans le procès-verbal.
M. Laurent Lafon, président. - Ces rémunérations diverses sont-elles passées par la Ligue ou bien ont-elles été versées directement par CVC aux différents bénéficiaires ?
M. Vincent Labrune. - Toutes les rémunérations passent par la Ligue.
M. Laurent Lafon, président. - Les représentants de CVC nous ont précisé que les 37,5 millions d'euros étaient prévus dans le cahier des charges. Comment ont-ils été calculés à ce titre ?
M. Vincent Labrune. - Le cabinet Eight Advisory et les différents conseils ont appliqué un pourcentage usuel, à savoir 2,5 % du montant de l'opération, dans l'hypothèse où celle-ci se réalise : il s'agit d'un taux habituel moyen pour des levées de fonds d'une telle envergure.
Nous avions nos trois conseils, à savoir les banques d'affaires Lazard et Centerview, ainsi que le cabinet Darrois, très grand cabinet d'avocats d'affaires, qui avait accepté d'être rémunéré exclusivement à la réussite de ce process. L'entreprise a l'air facile a posteriori, mais il faut voir d'où l'on part. Un cabinet d'avocats a accordé des milliers d'heures d'investissement à ce projet, sans contrat, sans garantie : ce n'est pas si courant. Je tiens d'ailleurs à remercier ces conseils d'avoir travaillé gratuitement. Il est tout à fait légitime que ces acteurs se rémunèrent en cas de succès de l'opération, et cette opération a été un grand succès.
M. Laurent Lafon, président. - Nous confirmez-vous que, sur les 37,5 millions d'euros, 8,5 millions d'euros ont été versés à douze salariés ou responsables de la Ligue ?
M. Vincent Labrune. - Je vous le confirme, monsieur le président.
M. Laurent Lafon, président. - Le solde est donc à répartir entre les deux banquiers et le cabinet d'avocats que vous avez cités ?
M. Vincent Labrune. - Exactement.
M. Michel Savin, rapporteur. - Le conseil d'administration du 15 octobre 2020 a créé une indemnité forfaitaire de fin de mandat, que le président de la LFP renonce à ses fonctions ou qu'il ne sollicite pas le renouvellement de son mandat.
Si vous décidiez de ne pas vous représenter au mois de septembre prochain, cette indemnité forfaitaire brute s'élèverait à vingt-quatre mois de rémunération, bonus compris. Cette délibération a-t-elle été revue, compte tenu de l'augmentation de votre salaire ? À l'heure actuelle, elle s'élèverait à 5,4 millions d'euros...
M. Vincent Labrune. - Cette délibération a été prise à un instant t, ...
M. Michel Savin, rapporteur. - Elle est toujours d'actualité.
M. Vincent Labrune. - ... pour des montants précis...
M. Michel Savin, rapporteur. - Non, il n'y a pas de montant.
M. Vincent Labrune. - Monsieur le rapporteur, il y a la lettre et l'esprit, et j'accorde une grande importance à l'esprit des accords, quels qu'ils soient.
Je considère que nous avons réalisé une opération exceptionnelle, au sens littéral du terme, en levant 1,5 milliard d'euros auprès de CVC et je ne trouve pas anormal que les présidents de clubs aient voulu me gratifier d'une rémunération globale exceptionnelle pour la réussite de cette opération. À l'inverse, dans mon esprit, il n'est pas question une seule seconde qu'un montant par définition exceptionnel serve de base de calcul pour une disposition votée deux ans plus tôt, dans un contexte radicalement différent.
Si cette disposition existe encore, nous la remettrons sur la table. Je ne suis pas encore parti et, si je dois partir, nous ne nous en remettrons évidemment pas à ce qui a été voté en septembre 2020, dans un contexte différent. Je le répète, les présidents de club sont souverains sur toutes les questions de rémunération : nous appliquerons ce qu'ils décideront au moment de mon départ.
M. Michel Savin, rapporteur. - J'entends bien, mais cette délibération n'en est pas moins en vigueur.
M. Vincent Labrune. - Je suis tout à fait d'accord, mais aujourd'hui je suis président de la Ligue, et je continue.
M. Michel Savin, rapporteur. - Ainsi, vous prenez aujourd'hui l'engagement de déposer, dans les plus brefs délais, une proposition de modification de cette délibération ? Lorsque cette disposition a été votée, votre rémunération annuelle était de l'ordre de 400 000 euros. Désormais, elle est de 1,2 million d'euros, sans compter les gratifications. Or la Ligue a tout de même une sous-délégation de service public...
M. Vincent Labrune. - Vous l'avez dit vous-même : cette disposition s'applique uniquement en cas de départ.
M. Michel Savin, rapporteur. - Ou d'arrêt des fonctions.
M. Vincent Labrune. - En tout cas, dans l'hypothèse où je ne poursuis pas ma mission.
Je suis tout de même relativement impliqué dans le développement de la Ligue. C'est un projet de long terme. Je ne vous le cache pas : j'ai toujours eu l'intention de le porter le plus longtemps possible, y compris pendant la prochaine mandature. Dans mon esprit, le sujet que vous pointez du doigt n'existe pas. Cela étant, vous avez raison d'appeler l'attention sur cette délibération : si, par malheur, le cas de figure se présente, nous nous en remettrons au conseil d'administration, afin de revoir l'indemnité de départ ou de non-renouvellement du mandat. Nous sommes tout à fait d'accord.
J'ai beaucoup de défauts, mais j'ai une grande honnêteté intellectuelle : je ne puis pas considérer qu'une rémunération exceptionnelle, au sens littéral du terme, perdure ainsi dans le temps.
M. Michel Savin, rapporteur. - Certes, mais une élection peut aussi se perdre...
M. Vincent Labrune. - Nous verrons au mois de septembre, monsieur le rapporteur.
M. Michel Savin, rapporteur. - Bien sûr, mais ce dispositif est valable, y compris si votre mandat n'est pas renouvelé. Il y a donc urgence.
M. Vincent Labrune. - Vous avez tout à fait raison d'envisager toutes les hypothèses, dans un esprit de responsabilité. Une élection n'est jamais gagnée d'avance - les membres de cette assemblée sont bien placés pour le savoir...
C'est évidemment un point important. Je le répète, cette délibération sera inscrite à l'ordre du jour du prochain conseil. Je m'y engage en toute bonne foi.
Cette disposition a été votée il y a une quinzaine, voire une vingtaine d'années.
M. Laurent Lafon, président. - Non, c'était au début de votre mandature.
M. Michel Savin, rapporteur. - Le 15 octobre 2020.
M. Vincent Labrune. - Non, elle existe depuis le mandat de Frédéric Thiriez.
M. Arnaud Rouger. - Tous les précédents dirigeants de la Ligue sont partis avec ces conditions. Cette disposition s'est par exemple appliquée au précédent directeur général, M. Quillot.
M. Vincent Labrune. - Soyons précis. Cette indemnité a été créée sous la mandature de M. Thiriez, qui était bénévole : deux fois zéro, cela fait zéro. Elle s'appliquait au directeur général et elle s'est prolongée dans le temps.
En septembre 2020, ce n'était pas un fait nouveau. Nos prédécesseurs ont bénéficié de ce bonus. Je lis à droite et à gauche qu'ils l'ont rendu : de facto, c'est faux.
M. Arnaud Rouger. - Didier Quillot a perçu un bonus de 250 000 euros à la signature du contrat avec Mediapro en 2018, puis un second bonus de 250 000 euros à la première échéance versée par Mediapro, en août 2020. Quand il est parti en septembre suivant, il a perçu le double de l'ensemble de sa rémunération au titre de l'année 2020, soit sa rémunération fixe et son double bonus de 250 000 euros. On atteint 1 million d'euros au total pour l'opération Mediapro ; il en a rendu la moitié.
M. Michel Savin, rapporteur. - Ce n'est pas le principe que je remets en cause, ce sont les montants cumulés.
Monsieur le président, j'ai compris que vous êtes candidat à votre succession : les clubs se sont-ils émus d'une telle augmentation des sommes considérées ?
M. Vincent Labrune. - Monsieur le rapporteur, je vous le dis en toute bonne foi : j'ai de nombreux défauts, mais j'ai quelques qualités et j'ai des valeurs. Je le répète, j'ai parfaitement conscience que les bonus qui m'ont été attribués à titre exceptionnel représentent des montants importants. Je pense qu'ils se justifient par les résultats des actions que nous avons menées depuis trois ans ; pour autant, ni de près ni de loin, je ne souhaite qu'ils soient compris dans l'assiette des revenus pris en compte en cas de non-réélection ou de départ. Vous me donnez l'occasion d'apporter cette précision.
Nous réunirons le conseil d'administration très prochainement. Si nous n'en avons pas parlé plus tôt, c'est pour une raison simple : nous avons un boulot monstrueux. Nous sommes pris dans le contexte très compliqué des droits audiovisuels et nous ne pouvons pas penser à tout.
M. Adel Ziane. - Ma première question porte sur le plan d'affaires : sur quelle base avez-vous estimé, lors du deal avec CVC, que les droits TV pourraient doubler au cours de la période ? La semaine dernière, le président Aulas a déclaré devant nous que l'on avait retenu un modèle élitiste dans le cadre de ces négociations, quitte à réduire les montants alloués aux clubs de troisième ou de quatrième rang. Il s'agissait, selon lui, de favoriser deux ou trois grands clubs, jouant un rôle de locomotives.
Si je vous interroge sur ce point, alors que vous êtes pleinement engagé dans la négociation des droits TV c'est parce que, peut-être pour la première fois dans l'histoire du football français, les clubs passent devant la direction nationale du contrôle de gestion (DNCG) sans connaître le montant de ces droits. Cet objectif a-t-il été retenu au nom d'une ambition particulière, ou encore par optimisme ? En tout état de cause, la réalité économique est aujourd'hui tout autre.
Ma seconde question porte sur la gouvernance. Vous êtes à la fois président de la Ligue et de la société commerciale : comment garantir l'intérêt général du football français avec cette double casquette ? Comment assurer, demain, un fonctionnement équilibré entre les deux parties ?
M. Vincent Labrune. - Je commencerai par votre seconde question. Je l'ai déjà précisé, je suis président de la LFP, mais c'est la LFP, personne morale, qui préside la société commerciale. C'est un point important. La LFP décide donc totalement.
Il n'est pas incohérent que le représentant de la LFP choisi pour défendre les intérêts des clubs au sein de la société commerciale soit celui qui défend l'intérêt des clubs au quotidien.
Nous disposons d'une équipe de direction et d'un comité de supervision, qui gère la société commerciale. Dans le comité de supervision, qui chapeaute l'organisation, siègent trois personnes nommées par la Ligue de football professionnel, deux par le fonds CVC et un représentant de la Fédération française de football, avec voix consultative, en l'occurrence le président Diallo. La LFP dispose donc, par définition, d'une majorité décisionnelle.
Quant à CVC - je vous l'indique, même si vous ne m'avez pas posé la question -, il est certes actionnaire minoritaire, mais il a donné 1,5 milliard d'euros. J'y insiste, car il s'agit là d'un montant très important. À ce titre, il possède un droit de veto ou de regard sur un certain nombre de décisions. Il s'agit là de droits usuels, visant essentiellement à assurer la protection des intérêts de CVC. Dans certains cas, ils impliquent la nomination ou la révocation de certains dirigeants.
Je m'explique. CVC n'a pas de droit de veto sur la nomination du président de la société commerciale, laquelle est totalement à la main de la LFP. Il peut simplement barrer l'un des trois noms proposés, s'il le souhaite.
CVC possède un droit de veto sur la nomination du directeur général de la société commerciale, mais ce n'est pas un facteur bloquant : la société commerciale peut fonctionner sans directeur général.
Dans une logique de réciprocité, CVC propose le nom du directeur financier et celui du directeur des opérations ; cette fois, c'est la LFP qui a la possibilité de barrer l'un des trois noms. À ce jour, je constate qu'il n'y a pas eu d'ingérence majeure de CVC sur ces points : le directeur financier et le directeur des opérations sont ceux qui étaient en poste à l'origine.
De notre point de vue, au titre de la gouvernance, nous considérons que les intérêts des deux parties sont totalement alignés : plus LFP Media est performante, plus elle gagne et plus les clubs gagnent. L'alignement d'intérêts est vraiment complet dans ce partenariat entre CVC, d'une part, et le football français, de l'autre.
L'intérêt commun est évident si les droits augmentent. À cet égard, je reviens sur votre première question : c'est un deal totalement gagnant-gagnant. Si les droits explosent, CVC gagne, bien sûr, mais les clubs gagnent eux aussi, selon leur pourcentage.
CVC reçoit 13 % des dividendes, lesquels sont indexés sur le chiffre d'affaires, plus précisément sur le résultat constaté et réalisé : ce système protège énormément les clubs en cas de baisse des droits de la Ligue 1 - hypothèse que je ne souhaite évidemment pas.
Aujourd'hui, les taux d'intérêt explosent, à 10 % : que se passerait-il si nous étions passés par l'emprunt ? Nous devrions rembourser 150 millions d'euros d'intérêts. Demain, nous devrons verser 13 % du résultat, calculé en retranchant du chiffre d'affaires réalisé les charges, la taxe Buffet et les autres impôts. Ce montant est indexé à la baisse.
À vous entendre, nous avons doublé les montants de droits audiovisuels en vertu du plan d'affaires conclu : sur quelle période ? De mémoire, ce n'est pas sur le cycle.
M. Laurent Lafon, président. - Le montant retenu est de 1,8 milliard d'euros à l'horizon 2031-2032.
M. Vincent Labrune. - Nous parlons donc du prochain cycle, pas du cycle actuel.
M. Laurent Lafon, président. - Pour le cycle actuel, à l'horizon 2027-2028, on parle de 1,365 milliard d'euros.
M. Adel Ziane. - À l'horizon 2027, pour le cycle complet, on est donc bien à environ 1,4 milliard d'euros.
M. Laurent Lafon, président. - Nous avons compris que, conformément au plan d'affaires, si les prévisions de recettes ne sont pas à la hauteur des attentes, l'actionnaire minoritaire, à savoir CVC, aura droit à un bon de souscription d'actions. Est-ce bien le cas ?
M. Vincent Labrune. - Les responsables de CVC ont dû vous le dire : ce partenaire s'installe dans un projet de moyen ou long terme, à sept ou huit ans au minimum. Si, à la sortie de leur investissement, le business plan réalisé se révèle inférieur au business plan projeté, un système leur donne effectivement un peu plus de 1 % d'actions supplémentaires dans le cadre de la sortie. Au lieu de toucher 13,04 % en vendant leurs participations, ils peuvent mettre sur le marché - de mémoire - 14,2 %.
Joseph Oughourlian, qui est le plus grand spécialiste de la finance du football français, déclarait à ce propos devant vous : « ce n'est pas ça qui m'empêche de dormir. » Je le répète, c'est un projet de longue haleine. Rien ne dit aujourd'hui que nous n'atteindrons pas nos objectifs. À l'issue du cycle, deux cas de figure sont possibles : soit CVC vend 13 % - cela signifie que tout le monde a gagné -, soit CVC vend environ 14 %, car nous sommes un peu en dessous des objectifs ; mais cela veut tout simplement dire qu'il y a un autre investisseur, estimant que nous sommes sur un trend positif et que les prévisions vont se réaliser.
M. Laurent Lafon, président. - Est-ce 1 % d'actions supplémentaires à la sortie ou 1 % par an ?
M. Vincent Labrune. - À la sortie, quand CVC partira.
M. Laurent Lafon, président. - Le maximum est donc de 14 % environ ? La part ne peut pas aller jusqu'à 20 % ?
M. Laurent Lafon, président. - Et c'est bien le cas quelle que soit l'année de sortie ?
M. Vincent Labrune. - Exactement.
M. Jean-Jacques Lozach. - La LFP agissant par sous-délégation d'une mission de service public, j'ai été quelque peu étonné par votre indemnité forfaitaire de fin de mandat.
Nous avons l'habitude d'auditionner les représentants des ligues professionnelles et de la structure qui chapeaute l'ensemble d'entre elles : nous n'avons jamais eu connaissance d'une telle indemnité. Cette disposition, qui, à vous entendre, remonte à la présidence de Frédéric Thiriez, a supposé l'accord de la Fédération. Êtes-vous la seule ligue professionnelle à avoir créé cette indemnité tout de même assez étonnante ?
M. Vincent Labrune. - Je ne suis pas sûr que nous soyons la seule.
M. Arnaud Rouger. - Je n'ai pas connaissance que les présidents d'autres ligues soient rémunérés. S'ils le sont, je ne sais pas sous quelles conditions. Ce qui est certain, c'est que les dirigeants d'entreprise peuvent bénéficier d'une indemnité de départ prévue à l'issue des négociations, lors de la signature. Il s'agit là d'éléments habituels.
Les précédents directeurs généraux exécutifs de la Ligue ont bénéficié de cette disposition, également prévue pour Vincent Labrune, qui a toutefois répondu tout à l'heure : « nous allons modifier cette clause. » Quoi qu'il en soit, ce sont des éléments de négociation généralement prévus lorsqu'un dirigeant s'engage dans une entreprise. Nous parlons de mandataires sociaux, qui, comme vous le savez, disposent d'un statut particulier. À cet égard, ces dispositions peuvent être envisagées...
M. Vincent Labrune. - Parce que ce sont des mandats courts.
Monsieur le sénateur, le football est effectivement un bien commun. À ce titre, il est tout à fait normal que la Fédération dispose d'une délégation de service public, ne serait-ce que pour les équipes de France et l'organisation des compétitions. Pour autant, depuis 2004, les clubs sont propriétaires de leurs droits audiovisuels, et la LFP est une association de droit privé. Ce système est assez complexe, mais les présidents des clubs sont de grands chefs d'entreprises qui, d'une certaine manière, utilisent leur argent comme bon leur semble.
M. Adel Ziane. - Je réitère ma première question, relative à la méthodologie : quels éléments rationnels, objectifs et stratégiques, notamment économiques, ont déterminé la réalisation de ce plan d'affaires ? Les montants de droits TV risquent d'être revus à la baisse, même si nous ne l'espérons évidemment pas.
M. Vincent Labrune. - Nos équipes ont travaillé à partir d'études de marché. Par exemple, à l'époque, nous assistions à l'explosion des NFT (non-fungible token). Le business plan réserve un montant important à ces derniers : or ils ne dégagent plus aucun revenu.
Plus largement, la vérité d'il y a deux ans n'est pas forcément celle d'aujourd'hui ou celle de demain. Nous traversons une crise économique nationale et même mondiale. Nos concitoyens subissent une forte baisse de leur pouvoir d'achat du fait de l'inflation. Mais, en la matière, nous parlons d'un projet de long terme : l'histoire jugera. Heureusement que nous avons de l'espoir et que nous continuons de nous battre pour améliorer la situation !
Ces chiffres ont été établis sur la base de facteurs objectifs, notamment les revenus de ligues compétitives. J'ai beaucoup plus en tête le business plan du cycle suivant. Nous espérions être dans le top 3 européen ; or nous sommes numéro 5. Les montants retenus pour ce budget prévisionnel sont ceux qu'ont touchés les ligues du top 3 européen, par exemple la ligue espagnole.
M. Michel Savin, rapporteur. - Pour clore le chapitre de vos rémunérations, nous confirmez-vous que vous bénéficiez d'environ 200 000 euros de remboursements de frais, répartis entre la Ligue et la société commerciale ?
M. Vincent Labrune. - Auparavant, c'était plutôt 150 000 euros. Cette somme a effectivement été portée à 200 000 euros, de mémoire, pour la saison 2022-2023, car nous avons effectué de très nombreux déplacements de prospection à l'étranger pour l'appel d'offres, notamment aux États-Unis.
M. Michel Savin, rapporteur. - Si je vous pose cette question, c'est parce que cette somme entre dans le calcul du bonus.
M. Vincent Labrune. - Ces montants ont eux aussi été discutés, validés et votés...
M. Michel Savin, rapporteur. - Je vous demande simplement une confirmation.
M. Vincent Labrune. - Ils ont été contrôlés et n'ont fait l'objet d'aucun redressement. L'administration fiscale a considéré qu'ils relevaient d'une bonne gestion, dans la mesure où ils étaient conformes aux missions de la LFP et au travail de son président. Je tenais simplement à le préciser.
M. Michel Savin, rapporteur. - Au chapitre du résultat retraité, les statuts de la société commerciale précisent le montant servant d'assiette au calcul du dividende prioritaire A unitaire, à savoir celui de CVC. Le cinquième alinéa précise que, à ce titre, l'on ajoute au résultat « le chiffre d'affaires réalisé par la Ligue de football professionnel au cours de l'exercice, au titre de son activité de paris sportifs ».
Or l'article 35 du décret du 4 novembre 2020 relatif aux modalités de régulation de l'Autorité nationale des jeux (ANJ) précise : « Le prix dû en contrepartie de l'attribution du droit d'organiser des paris s'exprime en proportion des mises. » De quel montant parlons-nous ?
M. Arnaud Rouger. - Les paris sportifs restent gérés par la Ligue, sous l'autorité de la Ligue. Conformément à la volonté du législateur, le suivi de l'intégrité des compétitions est ainsi assuré par la Ligue. En revanche, le résultat net retraité inclut le chiffre d'affaires réalisé à ce titre, qui fait partie des produits économiques portés au bénéfice de la société commerciale. Ce point a été vu et contrôlé par la Fédération comme par le ministère des sports.
M. Michel Savin, rapporteur. - Mais quel est, aujourd'hui, le montant que les activités de paris sportifs procurent à la Ligue ?
M. Arnaud Rouger. - Je vous communiquerai cette information précise. Aujourd'hui, sauf erreur, la Ligue perçoit autour de 10 millions d'euros à ce titre. Je n'ai pas le montant exact en tête.
M. Vincent Labrune. - Nous vous ferons une note précise sur ce point.
M. Michel Savin, rapporteur. - Ce sujet a été débattu au Parlement. Est-il normal que CVC puisse inclure dans le calcul de ses dividendes une recette de la Ligue sur les paris sportifs ? La loi du 2 mars 2022 visant à démocratiser le sport en France précise en effet : « Le droit de consentir à l'organisation de paris sur les manifestations ou compétitions sportives organisées par la ligue professionnelle, prévu à l'article L. 333-1-1, est exclu des droits d'exploitation susceptibles d'être confiés à la société commerciale. »
M. Arnaud Rouger. - Comme je vous l'ai indiqué, l'exploitation de ces droits reste à la Ligue.
M. Michel Savin, rapporteur. - N'est-ce pas contraire à la loi ?
M. Arnaud Rouger. - Je ne le pense pas. C'est la lecture que nous avons faite de la loi.
M. Michel Savin, rapporteur. - Et elle vous a été confirmée par le ministère ?
M. Arnaud Rouger. - Oui.
Je vous disais tout à l'heure que nous avions beaucoup échangé avec notre environnement, notamment avec le ministère des sports. En amont des différentes assemblées générales, nous avons communiqué nos projets de statuts. Nous avons adressé les modifications envisagées, qu'il s'agisse des statuts de la Ligue ou de la convention avec la Fédération. Cet élément a été examiné et contrôlé par le ministère des sports.
M. Michel Savin, rapporteur. - CVC a-t-il demandé que cette recette soit retenue pour le calcul de ses dividendes ?
M. Arnaud Rouger. - Non, c'est une question de cohérence par rapport à l'ensemble des produits commerciaux.
M. Michel Savin, rapporteur. - Monsieur Rouger, avec tout le respect que j'ai pour vous, je vous rappelle que c'est M. Labrune que nous auditionnons.
M. Vincent Labrune. - Monsieur le rapporteur, je vous ferai parvenir une note précise sur ce point. Je ne suis pas en capacité de vous répondre à cet instant.
M. Michel Savin, rapporteur. - Si le montant des droits TV prévu par le plan d'affaires n'est pas atteint, CVC pourra-t-il disposer d'actions supplémentaires ?
M. Vincent Labrune. - Je pense que les représentants de CVC vous l'ont indiqué, comme d'autres personnalités que vous avez auditionnées.
M. Michel Savin, rapporteur. - En outre, que se passe-t-il si le budget prévu par le plan d'affaires n'est pas validé par les représentants de CVC ?
M. Vincent Labrune. - Nous sommes partenaires : le budget est automatiquement validé par les équipes de CVC.
Dans cette hypothèse, un nouveau budget sera proposé. On ne peut pas valider sans l'accord de notre partenaire CVC : ce n'est pas une option. En revanche, si l'on constate une faute professionnelle des équipes de LFP Media, si des budgets sont validés sans l'accord de CVC, je pense que ce partenaire est protégé par un droit pouvant aller jusqu'au remplacement de l'équipe de direction.
M. Laurent Lafon, président. - Si nous vous posons ces questions, c'est parce que le pacte d'actionnaires contient des clauses spécifiques, au cas où le budget s'éloignerait du plan d'affaires de plus de 10 % à 20 %. À terme, peut-être le plan d'affaires sera-t-il respecté. En tout cas - nous le verrons dans quelques jours -, pour l'exercice à venir, il semblerait que vous en soyez assez loin.
M. Vincent Labrune. - Une fois terminée la commercialisation des droits, nous allons travailler le prochain budget avec CVC. Ce partenaire ne sera en aucun cas mis devant le fait accompli : nous allons procéder de manière conjointe.
M. Michel Savin, rapporteur. - En la matière, CVC dispose d'un droit de veto.
M. Vincent Labrune. - Tout à fait, mais ce sont là des droits usuels pour un actionnaire minoritaire.
Parmi les quatre finalistes, CVC avait de très loin la meilleure documentation juridique, et c'est celui qui formulait le moins de demandes au titre de la gouvernance.
CVC a placé 1,5 milliard d'euros dans cette société : qu'il dispose de certains droits de veto, c'est tout à fait normal. Il n'y a rien de choquant à cela, c'est l'habitude. En cas de sous-performances au cours de deux exercices consécutifs, CVC peut changer l'équipe de direction et sans doute aussi le représentant de la LFP à la présidence : c'est tout à fait normal et classique.
Il en est de même si le format de compétition, si le cadre initial dans lequel l'investissement s'est inscrit, si le cadre du projet sont modifiés, par exemple dans le cas où l'on déciderait de faire un championnat à huit, ce qui n'aurait aucun sens. Une telle décision aurait des conséquences sur le business plan. Il en serait de même si la Ligue décidait de ne plus commercialiser elle-même les droits. Ce sont des cas de figure dans lesquels CVC est protégé.
Imaginons que la Super Ligue se crée demain et que les deux premières équipes du championnat de cette saison, à savoir le PSG et Monaco, quittent la Ligue 1 pour y participer. De tels faits sont assez importants, ils changent suffisamment les données de départ pour que CVC ait un droit de veto et dispose même d'actions additionnelles. C'est un moyen de se couvrir, eu égard aux engagements pris.
M. Arnaud Rouger. - Si le plan d'affaires n'est pas réalisé, le niveau d'investissement ou encore le niveau de recrutement du personnel doit évidemment être adapté. Le budget de fonctionnement de LFP Media sera rediscuté avec CVC. Il ne s'agit que de cela.
M. Michel Savin, rapporteur. - Dans l'hypothèse où CVC rejette un plan d'affaires revu à la baisse, que se passe-t-il ?
M. Arnaud Rouger. - Un nouveau plan d'affaires et un nouveau budget sont proposés. Il n'y a pas d'hypothèse où LFP Media ne pourrait pas fonctionner : cela irait contre les intérêts mêmes de CVC...
M. Michel Savin, rapporteur. - CVC peut-il imposer de nouvelles conditions ?
M. Arnaud Rouger. - Le plan d'affaires, c'est la base qui a servi à l'établissement d'un budget théorique pour LFP Media. S'il n'est pas réalisé, ce budget doit bien sûr être revu, que ce soit à la hausse ou à la baisse.
À titre d'exemple, nous n'avons pas recruté au rythme prévu par le plan d'affaires. Le budget réalisé de LFP Media est donc inférieur aux prévisions. Ce budget sera réadapté et évidemment négocié avec CVC. On ne peut pas imaginer une seule seconde un point de blocage à cet égard, empêchant le fonctionnement de LFP Media : cette situation irait à l'encontre des intérêts de CVC.
M. Vincent Labrune. - Les deux sont complètement alignés.
M. Michel Savin, rapporteur. - Compte tenu de la situation actuelle, vous cherchez à créer une chaîne 100 % Ligue 1. Peut-on envisager une augmentation de la part de CVC dans le capital de la filiale ?
M. Vincent Labrune. - CVC doit d'abord finir de déployer son investissement. À l'heure où je vous parle, cet actionnaire détient 9 % du capital. Il va procéder au versement de la troisième tranche dans les prochains jours, et leur part sera alors portée à 13 %. Ils auront investi 1,5 milliard d'euros. Il n'a jamais été envisagé, de près ou de loin, que la participation de CVC aille au-delà. Ce point n' a jamais été discuté. La question ne se pose pas.
M. Michel Savin, rapporteur. - Quel est le montant actuel du fonds de réserve constitué avec l'apport de CVC ?
M. Vincent Labrune. - Je vous ferai parvenir une note sur ce point. Le fonds de réserve doit atteindre 110 millions d'euros à terme, mais je n'ai pas son montant à ce jour.
M. Michel Savin, rapporteur. - Le fonds de réserve peut-il être mobilisé pour la création de la chaîne 100 % Ligue 1 ?
M. Arnaud Rouger. - De mémoire, cette utilisation n'est pas possible. Le fonds de réserve sert en cas de défaillance d'un prestataire commercial, qui, par exemple, ne payerait pas les droits.
Cela étant, vous avez raison de signaler ce point, entre autres éléments qui ont servi à l'amorçage de ces travaux. Par exemple, le montant du rachat de Mon Petit Gazon a été investi sur la base de l'apport de CVC. Je vous adresserai le détail précis de ce qu'ont touché les clubs, la Fédération et la filiale au réel, par rapport à ce qui était prévu, en indiquant le nombre de bénéficiaires effectifs.
M. Michel Savin, rapporteur. - Monsieur le président, vous l'avez indiqué : CVC procède, cette année, à son troisième versement, à hauteur d'environ 400 millions d'euros. À ce titre, 130 millions d'euros vont être fléchés vers le PSG, entre 40 et 50 millions d'euros vers Marseille et autant vers Lyon. En revanche, une grande partie des clubs n'auront rien.
En parallèle, les droits TV risquent de ne pas atteindre les montants espérés. Beaucoup de clubs sont donc inquiets. Les droits TV internationaux, qui, eux, sont en augmentation - la presse s'en est fait l'écho -, ne bénéficieront, pour l'essentiel, qu'aux clubs internationaux.
Nous avons interrogé le président Aulas sur ce point : selon lui, il serait intéressant de proposer à la Ligue de rediscuter de la répartition des recettes des droits TV. Cette hypothèse est-elle sur la table ?
M. Vincent Labrune. - Absolument pas. J'ai beaucoup de respect et d'amitié pour Jean-Michel Aulas, qui a un parcours exceptionnel à la tête du football français, mais ce sujet n'existe pas.
M. Laurent Lafon, président. - Conformément aux dispositions contractuelles, CVC n'a pas perçu de dividendes sur les deux premiers exercices. Allez-vous lui demander un étalement des sommes qu'il doit recevoir cette année ?
M. Vincent Labrune. - Je pense que nous n'allons pas creuser cette piste, car - il faut être honnête - elle n'a aucun sens.
Monsieur le rapporteur, vous avez raison, une douzaine de clubs ne vont pas toucher d'argent. Pourquoi ? Parce que ces clubs avaient impérativement besoin de financements il y a un an et demi ou deux ans et que nous les avons servis en premier, sans faire de distinguo entre les petits et les gros. Nous leur avons donné le même montant : chacun de ces clubs a touché 33 millions d'euros.
M. Michel Savin, rapporteur. - D'autres ont touché plus.
M. Vincent Labrune. - J'en viens à CVC. Cet acteur a apporté 1,5 milliard d'euros au football français, dont 169 millions d'euros ont été consacrés au remboursement du PGE. Si ce prêt n'avait pas été remboursé, son coût, pour la Ligue comme pour les clubs, aujourd'hui et demain, aurait été supérieur au montant dû à CVC.
De mon point de vue, cela n'a pas de sens de décaler ce rattrapage. J'y insiste, sans l'intervention de CVC, nous aurions dû rembourser nous-mêmes le PGE. Les clubs ont touché 33, 80 ou 90 millions d'euros, parfois plus encore : ils ont encore suffisamment pour faire face à ce rattrapage, qui ne correspond qu'à 13 % du montant de leurs droits.
M. Michel Savin, rapporteur. - Comment les clubs vont-ils pouvoir élaborer leur budget, alors même qu'ils n'ont pas connaissance des montants qui vont leur être attribués et que le rattrapage des deux premières saisons sera imputé sur les droits TV ? Que va-t-il leur rester ?
M. Vincent Labrune. - Monsieur le rapporteur, la somme due, c'est 13 % de ce que les clubs touchent classiquement. C'est beaucoup d'argent, mais, à l'échelle du budget des clubs, ce n'est pas énorme.
Encore une fois, ce travail n'est pas terminé. Nous sommes en pleine négociation. Nous travaillons à l'attribution des droits depuis septembre 2022. À la même époque, nous avons créé une réunion hebdomadaire avec les dirigeants de CVC, leurs collaborateurs et les nôtres pour travailler à la maximisation de nos revenus. Nous travaillons sur ce dossier depuis presque deux ans, et c'est très compliqué. Nous avons obtenu des résultats satisfaisants. Nous avons multiplié par deux les droits de naming. Nous avons multiplié par trois les droits des paris internationaux. Nous avons eu, hier, des résultats très satisfaisants pour la Ligue 2. Nous avons multiplié par deux les droits internationaux.
Reste effectivement un sujet très complexe, marqué par l'incertitude : le marché des droits domestiques. Malheureusement, cette situation nous empêche aujourd'hui de donner aux clubs des informations leur permettant d'établir leur budget précisément, mais le chantier n'est pas fini. Laissez-nous travailler et nous verrons comment cela se termine.
M. Laurent Lafon, président. - Une clause du contrat signé avec McDonald's prévoit-elle que, si l'audience du championnat de France est moins importante que prévu, le montant accordé peut être revu à la baisse ?
M. Vincent Labrune. - Pas à ma connaissance.
M. Laurent Lafon, président. - Ce montant est donc indépendant des discussions actuelles ?
M. Vincent Labrune. - Nous avons un accord exceptionnel avec McDonald's. Le montant du contrat a été doublé, pour atteindre 30 millions d'euros par an sur trois ans, soit 90 millions d'euros net. Pour les clubs, c'est un accord très important, que l'on peut mettre au crédit de CVC et des équipes commerciales de la LFP.
M. Michel Savin, rapporteur. - Le 28 avril dernier, le comité de supervision de la Ligue a fait savoir que la future chaîne 100 % Ligue 1 pourrait passer par un nouveau partenaire financier. Pouvez-vous nous en dire un peu plus ?
M. Vincent Labrune. - Nous avons différentes pistes de travail. Par « partenaire financier », nous entendons plutôt un partenaire pouvant nous garantir des revenus financiers à un minimum garanti.
M. Michel Savin, rapporteur. - Parlez-vous de la société commerciale ou de la Ligue ?
M. Vincent Labrune. - Je parle du projet de chaîne auquel nous travaillons actuellement.
M. Michel Savin, rapporteur. - Alors, il s'agit de la Ligue ?
M. Vincent Labrune. - De LFP Media. Dans ce cadre, nous réfléchissons à l'hypothèse de revenus financiers apportés par certains partenaires. Vous entendrez demain Benjamin Morel, qui est précisément responsable du projet de chaîne.
M. Michel Savin, rapporteur. - Rassurez-vous, nous ne manquerons pas de l'interroger...
J'en viens à un sujet qui est souvent revenu au cours de nos auditions : le risque de multipropriété de clubs. Comment la Ligue aborde-t-elle ce phénomène et comment entend-elle le réguler ?
M. Vincent Labrune. - Il s'agit là d'un sujet extrêmement complexe. À mon sens - je ne suis pas spécialiste de la question -, nous ne pouvons pas le traiter seuls, à l'échelle nationale. Il ne pourra être réglé qu'à l'échelle européenne et même mondiale.
Aujourd'hui, nous n'avons pas suffisamment d'investisseurs importants. Pour commencer, nous n'avons pas d'investisseur français de premier rang s'engageant pour les clubs de football, à part, bien entendu, M. Pinault pour le stade rennais, ou tel ou tel autre que j'oublie. Nous avons surtout des investisseurs étrangers. Si l'on interdisait la multipropriété à l'échelle nationale, on fermerait mécaniquement les portes à tous les grands investisseurs étrangers, notamment américains, qui ne travaillent que sur ce modèle. Or, si ces derniers ne peuvent pas avoir un club en France, ils n'investiront pas en France. Ils investiront en Italie, en Espagne, en Allemagne, ou je ne sais où.
Si l'on ferme la porte aux investisseurs étrangers, alors même que nous n'avons pas d'investisseurs nationaux importants, inutile de vous dire que ce sera compliqué ! Je pense que c'est gérable, sous réserve qu'il y ait des garde-fous ; ce modèle peut aussi nous permettre de conserver nos jeunes talents français plus longtemps. En tout cas, c'est un vrai sujet et un vrai débat : voilà ce que je peux vous répondre.
M. Michel Laugier. - La difficulté à trouver des accords pour la diffusion des matchs de la prochaine saison a déjà été abordée : selon vous, peut-on en déduire que le football français est surcoté ?
Vous soulignez que deux clubs sont essentiels au titre des droits TV, à savoir Paris et Marseille : le départ des grandes stars du PSG aggrave-t-il encore vos difficultés à obtenir ce que vous souhaitez ?
M. Vincent Labrune. - Notre projet d'une amélioration de nos performances européennes doit nous permettre de faire face au départ de ces grandes stars. En France, nous avons beaucoup de talents, et nous avons la meilleure formation. Si nous sommes compétitifs sur la scène européenne, cela valorise énormément la marque Ligue 1 et notre produit. Je pense que nous allons nous en sortir.
Sur la commercialisation, je préférerais évidemment - soyons francs - que Kylian Mbappé soit dans le championnat de France. Il pourrait être tentant pour moi de vous dire qu'il est plus dur de vendre les droits sans Mbappé, Messi et Neymar ; je pense que beaucoup de gens à ma place le feraient. Mais je ne le ferai pas. Certes, ce serait effectivement plus facile pour la commercialisation des droits internationaux si nous avions de grandes stars dans le championnat ; malheureusement, elles sont quasiment toutes parties. Pour autant, nous avons travaillé d'arrache-pied depuis plus d'un an, territoire par territoire, avec les équipes de LFP Media. À l'heure où je vous parle - nous n'avons pas fini la commercialisation -, nous avons doublé les droits internationaux pour le prochain cycle, alors que nous n'avons plus Mbappé, Messi et Neymar. En d'autres termes, c'est évidemment bien de les avoir, mais, si nous ne les avons pas, ce n'est pas une fatalité.
Nous devons faire avec ce que nous avons. Nous croyons au produit. Nous croyons à la qualité de la formation française, à nos équipes et à nos talents. Nous ne sommes pas surcotés. Nous sommes un grand pays de football. Cette année, les équipes françaises de toutes les catégories étaient qualifiées dans les compétitions internationales. Nous avons de beaux jours devant nous.
M. Michel Laugier. - Mais vous n'avez toujours pas signé.
M. Vincent Labrune. - En effet. C'est dingue.
Je pense que nous sommes dans une période quasiment dorée du football français en termes de talents. Regardez les équipes de France : c'est fantastique ! Comme je l'ai indiqué, les performances européennes de l'année dernière ont été très bonnes. Tous nos accords commerciaux, même le partenariat de l'équipe de France avec Nike, ont été doublés.
Pourtant, nous avons effectivement un problème sur le sujet le plus important, celui des droits domestiques. Ce n'est pas en phase avec ce que nous observons par ailleurs, notamment la vente des autres droits, mais c'est un fait.
C'est très compliqué ; je vous l'accorde. Là encore, je n'accable personne. Nous avons fait des erreurs, et même des erreurs majeures, notamment à l'égard du groupe Canal+, en 2018. Aujourd'hui, nous essayons de trouver des solutions. Si la solution est la création de notre propre chaîne, nous le ferons. Mais, encore une fois, voyons les choses sur le temps long.
M. Laurent Lafon, président. -Quel calendrier vous donnez-vous pour conclure ?
M. Vincent Labrune. - Je ne peux pas vous répondre ; je ne suis pas le maître des horloges. Malheureusement, mon calendrier idéal, c'était avant les rendez-vous des clubs à la DNCG.
M. Adel Ziane. - J'ai cru comprendre que, sur votre projet de chaîne, votre objectif était d'atteindre 2 millions d'abonnés à 25 euros hors taxes par mois. Les leçons de l'échec avec Mediapro, où les objectifs étaient les mêmes, ont-elles été tirées ? En l'absence d'un diffuseur pour les droits télévisés, n'y a-t-il pas un risque de reproduire le même modèle, avec les mêmes difficultés et, au final, les mêmes conséquences ?
M. Vincent Labrune. - Le chiffre de 25 euros, que vous avez vu dans la presse, est une simple hypothèse de travail. Il y en a d'autres. C'est celle que nous avons présentée aux clubs dans un souci de transparence, mais j'aurais pu en présenter une autre, plus optimiste, à 2,5 millions d'abonnés avec un prix de 20 euros. Rien n'est gravé dans le marbre.
Il y a effectivement, depuis deux ans, une volonté forte de la Ligue de trouver un acheteur pour diffuser l'intégralité de nos compétitions. Nous considérons qu'avoir 100 % du football en France, cela coûte environ 60 euros. C'est beaucoup trop cher pour nos concitoyens. Nous nous sommes un peu mis un boulet aux pieds avec cela. Le projet est de commercialiser 100 % des droits aux mêmes acteurs, afin de baisser le coût pour le consommateur.
On ne peut pas comparer avec l'épisode Mediapro. Les deux projets n'ont strictement rien à voir. Je ne reviens pas sur les raisons pour lesquelles le groupe Mediapro a agi comme il l'a fait. Un projet avec seulement 80 % des matchs, quand les 20 % restants seraient diffusés chez Canal+, ce n'est pas du tout la même chose qu'un projet où l'abonnement concerne 100 % des rencontres. Quand vous avez 100 % des matchs, vous êtes beaucoup plus fort en termes de recrutement.
M. Laurent Lafon, président. - Nous imaginons bien que, dans l'hypothèse d'une chaîne 100 % Ligue 1, il doit y avoir des coûts de diffusion.
M. Vincent Labrune. - Oui. Je vous renvoie vers l'audition de mon directeur général demain. Il est beaucoup plus au fait que moi sur ces questions.
M. Laurent Lafon, président. - Dans cette hypothèse, quels revenus les clubs doivent-ils attendre de la part de la société commerciale sur l'exercice qui commence ?
M. Vincent Labrune. - Il est trop tôt pour en parler. Nous avons des hypothèses de travail, mais nous n'avons pas terminé les discussions avec certains des acteurs qui seraient susceptibles de distribuer la chaîne.
M. Laurent Lafon, président. - Mais qu'en serait-il dans l'hypothèse d'une chaîne 100 % Ligue 1 n'ayant pas de minimum garanti ?
M. Vincent Labrune. - Nous sommes en pleine négociation ; je ne peux pas donner de chiffres en public.
M. Jean-Jacques Lozach. - Où en sommes-nous s'agissant de la lutte contre le streaming des compétitions ? Le phénomène est-il contenu, maîtrisé ? Pouvez-vous évaluer les pertes qui s'accumulent au fil des années au détriment du football français ?
M. Vincent Labrune. - Ce n'est pas de mon ressort. Nous faisons partie de l'Association pour la protection des programmes sportifs (APPS), qui lutte contre le piratage. Ces dernières années, Mathieu Ficot en était le président. À présent, c'est Maxime Saada qui assume cette fonction. Nous avons une personne à temps plein au sein de l'APPS.
Le piratage est un fléau absolu. Pour nous, il s'agit évidemment d'un combat prioritaire. C'est l'une des raisons pour lesquelles nous souhaitons que 100 % des matchs soient commercialisés sur le même réseau de diffusion : cela contribuera, nous semble-t-il, à limiter le piratage.
M. Michel Savin, rapporteur. - Comprenez l'inquiétude des présidents de club quant à la création d'une chaîne 100 % Ligue 1. En effet, si celle-ci est créée, les abonnements interviendront progressivement, tandis que les premiers versements des droits télévisés aux clubs devraient avoir lieu en août ou en septembre. Aujourd'hui, les clubs ont besoin de lisibilité pour recruter et investir. Il y a donc une inquiétude par rapport à la situation financière des clubs : concrètement, comment pourront-ils élaborer un budget dans ce cadre ?
Vous indiquez que l'hypothèse d'un diffuseur n'est pas abandonnée. CVC nous a dit être en discussion avec Canal+ - il est d'ailleurs surprenant que la Ligue n'y soit pas associée.
Si la solution d'une chaîne 100 % Ligue 1 est retenue, le risque pour les clubs est de ne percevoir les ressources qu'en novembre ou en décembre, sachant que la montée en progression des abonnements va s'étaler dans le temps.
M. Vincent Labrune. - Je suis désolé, monsieur le rapporteur : il y a trop d'informations confidentielles.
En tout état de cause, il serait irresponsable de la part du président de la Ligue, qui en est aussi le mandataire social, de ne pas travailler sur l'hypothèse de la création d'une chaîne dans le cas où il n'y aurait aucune offre par ailleurs.
M. Michel Savin, rapporteur. - Cela n'empêche pas de travailler sur une deuxième hypothèse.
M. Vincent Labrune. - Nous travaillons sur plusieurs hypothèses, notamment avec nos partenaires de beIN Sports.
Je le dis, il y a un « Qatar bashing » absolument hallucinant sur la question des droits audiovisuels. Certains se demandent s'il est normal que beIN Sports participe à l'appel d'offres et puisse éventuellement acheter les droits alors que le PSG est dans le championnat... Franchement, il faut remercier tous les jours le Qatar de ses investissements dans le football professionnel français !
Depuis douze ans maintenant, beIN Sports a participé à tous les appels d'offres de la LFP. Pas plus tard qu'hier soir, le groupe s'est porté acquéreur de l'intégralité des droits de la Ligue 2, pour un montant vraiment satisfaisant. C'est le troisième appel d'offres que je fais en trois ans : c'est la première fois que j'ai une offre. Imaginez-vous la complexité de ce marché ? Et c'est beIN Sports qui était là. Je suis donc très content que nous puissions discuter avec eux.
Je suis également très content qu'il y ait par ailleurs des discussions - cela a été relaté dans la presse - entre CVC et Canal+.
Nous discutons avec tous les interlocuteurs possibles et imaginables pour trouver la meilleure solution pour nos clubs. Et je vous garantis que nous allons nous battre. Moi, jusqu'au bout, je ne lâcherai rien pour trouver une solution maximisée pour toutes les parties.
Monsieur le président, je ne crois pas à l'hypothèse du désastre, au worst case scenario que vous semblez évoquer. À l'heure où je vous parle, sans trahir de secret, nous devrions être aux alentours de 200 millions d'euros sur le volet des droits internationaux et des droits de la partie Ligue 2.
Nous sommes totalement en phase avec nos ambitions. Il faut bien distinguer les déclarations qui peuvent être faites au titre de la communication des objectifs qui sont les nôtres. Qu'il s'agisse de la Ligue 2 ou des droits internationaux, nous sommes en phase avec nos objectifs.
Monsieur le rapporteur, il y a effectivement une incertitude, que je regrette. Nous travaillons tous d'arrache-pied matin, midi et soir, et même la nuit. Nous sommes très nombreux à nous consacrer au sujet des droits domestiques. Je le répète, nous espérons trouver une solution positive dans les prochains jours.
M. Laurent Lafon, président. - Personne autour de cette table ne souhaite un crash : à cet égard, je n'anticipe rien, et nous vous laissons bien entendu travailler.
Nous voyons combien le dossier des droits TV est délicat. D'ailleurs, ce marché existe-t-il vraiment ? Ce n'est pas évident... J'en veux pour preuve le décalage entre la réalité que vous vivez depuis plusieurs mois et les objectifs inscrits dans votre plan d'affaires.
M. Vincent Labrune. - Monsieur le président, ce que nous vivons depuis deux ans est effectivement très compliqué, mais nous avons un partenariat et des ambitions de long terme pour le football français.
Nous ne sommes pas des court-termistes. Nous ne travaillons pas à la petite semaine. Nous traversons une période compliquée, mais, pour passer ce cap, nous avons la chance d'avoir un partenaire solide, loyal et de confiance. Nous avons bon espoir que la situation s'améliore très sensiblement dans la durée.
Croyez-moi, nous n'avons pas jeté l'éponge. Nous avons toujours pour ambition de faire de la Ligue 1 une ligue importante en Europe dans les années à venir.
M. Michel Savin, rapporteur. - Vous venez de dire que vous discutez avec beIN et que CVC discute avec Canal+.
M. Vincent Labrune. - Ce n'est pas cela.
M. Michel Savin, rapporteur. - Laissez-moi poser la question : pensez-vous être une cause de blocage dans les relations avec Canal+ ?
M. Vincent Labrune. - Nous leur avons posé la question : je ne pense pas que ce soit le cas. Je pense que Canal+ a un a priori très fort contre le football français. Depuis maintenant plusieurs années, je m'évertue à le contrecarrer. À l'évidence, je n'y suis pas arrivé, mais j'espère que le temps de la raison viendra prochainement.
M. Michel Savin, rapporteur. - Enfin, la durée et les modalités prévues par le code du sport pour les appels d'offres sur les droits TV sont-ils selon vous adaptés ? Je pense notamment à l'obligation de prévoir plusieurs lots, au détriment du consommateur, et à la durée de cinq ans, insuffisante pour rentabiliser une chaîne. Faut-il modifier le droit en vigueur ?
M. Vincent Labrune. - Vous pensez au code du sport ?
M. Michel Savin, rapporteur. - Oui, notamment.
M. Vincent Labrune. - Je pense que le code du sport, tel qu'il est rédigé actuellement, n'est plus du tout en phase avec la réalité du marché des médias. Dans le cas présent, si nous avions eu la possibilité de vendre les droits de la Ligue 1 en un seul lot, je pense que nous les aurions cédés au début de l'année 2023 à un acteur international qui voulait tout ou rien. Cet acteur ne pouvait pas prendre le risque de gagner une partie et d'en perdre l'autre.
M. Laurent Lafon, président. - Nous n'avons pas reparlé d'Amazon : pourquoi cette entreprise s'est-elle retirée du championnat ?
M. Vincent Labrune. - Amazon a subi les conséquences de la terrible crise inflationniste de 2023, qui a entraîné une très forte baisse du pouvoir d'achat. Comme vous le savez, Amazon permet de s'abonner et de se désabonner tous les mois ; il a perdu un très grand nombre d'abonnés au cours du premier semestre 2023, au plus fort de la crise. De ce fait, il n'a pas pu poursuivre ses investissements avec nous au niveau qu'il souhaitait.
M. Laurent Lafon, président. - Savez-vous combien il avait d'abonnés ?
M. Vincent Labrune. - Oui, mais le chiffre est confidentiel.
Au cours des dix-huit premiers mois, c'est-à-dire jusqu'en janvier 2023, le nombre d'abonnés était très important. Les chiffres d'Amazon, de Canal+ ou encore de beIN nourrissent nos hypothèses de travail sur la chaîne.
M. Laurent Lafon, président. - Merci, monsieur le président, monsieur le directeur général, des réponses que vous nous avez apportées.
Cette audition a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.
La réunion est close à 16 h 55.
Mission d'information sur l'intervention des fonds d'investissement dans le football professionnel français - Audition de MM. Waldemar Kita, président du FC Nantes et Laurent Nicollin, président de Foot Unis, président du Montpellier Hérault Sport Club
M. Laurent Lafon, président. - Nous poursuivons les auditions publiques de notre mission d'information, dotée des pouvoirs des commissions d'enquête, sur l'intervention des fonds d'investissement dans le football professionnel français.
Je remercie nos invités : MM. Waldemar Kita, président du FC Nantes et Laurent Nicollin, président du Montpellier Hérault Sport Club, et président de Foot Unis, qui est le syndicat de défense des clubs professionnels, né de la fusion de Première Ligue et de l'Union des clubs professionnels de football en 2021.
Messieurs les présidents, comme vous le savez, nous nous intéressons à la financiarisation du football, qui touche les clubs, individuellement, mais aussi la Ligue de football professionnel, depuis qu'elle a conclu en 2022 un partenariat avec le fonds d'investissement CVC. Je ne reviens pas sur les modalités de ce partenariat que nous venons d'évoquer longuement avec le président Vincent Labrune.
Nous avons entendu, ces dernières semaines, plusieurs présidents de clubs de ligue 1 et de ligue 2 ainsi que des acteurs d'horizons différents. Nous continuons cette série de rencontres avec vous, messieurs les présidents, qui avez exprimé publiquement votre inquiétude il y a quelques jours, dans le contexte de l'attribution, toujours en attente, des droits TV de la ligue 1.
La LFP envisage désormais la création d'une chaîne spécifique, qui serait facturée 25 euros hors taxes par mois. Ce projet comporte des risques, surtout s'il ne s'accompagne pas de minima garantis par les diffuseurs de cette chaîne.
Cette situation est déstabilisante pour les clubs, en pleine période des transferts.
À cette incertitude s'ajoute le fait qu'en validant le partenariat avec CVC, les clubs se sont privés d'une partie de leurs revenus pour une durée indéterminée. Le fonds doit prélever sa quote-part des revenus de la Ligue à partir de la saison prochaine, ainsi qu'environ 100 millions d'euros de dividende différé. Le partenariat entre la Ligue et CVC n'a de sens que dans un contexte de croissance des droits TV, croissance à ce jour très incertaine.
Avant de vous donner la parole, je vous rappelle qu'un faux témoignage devant notre mission d'information, dotée des pouvoirs des commissions d'enquête, est passible des peines prévues aux articles 434-13, 434-14 et 434-15 du code pénal. Je vous invite à prêter serment de dire toute la vérité, rien que la vérité, en levant la main droite et en disant : « Je le jure ».
Conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, MM. Waldemar Kita et Laurent Nicollin prêtent serment.
M. Laurent Lafon, président. - Je vous remercie, par ailleurs, de nous faire part de vos éventuels liens d'intérêts en relation avec l'objet de notre mission d'information.
Je rappelle à tous que cette audition est captée et diffusée en direct sur le site internet du Sénat.
M. Laurent Nicollin, président de Foot Unis, président du Montpellier Hérault Sport Club. - Merci pour votre accueil. Montpellier-Hérault Sport club (MHSC) a été créé en 1974 par Louis Nicollin, j'en ai été le président délégué en 2001 et j'en suis devenu président à la mort de mon père, en 2017 ; le club est détenu à 99 % par la holding familiale Nicollin, une entreprise spécialisée dans la gestion des déchets ; c'est donc un petit club familial, où l'on essaie de faire au mieux, avec les moyens qu'on a.
M. Waldemar Kita, président du FC Nantes. - Merci pour votre accueil. Je veux vous expliquer comment j'ai vécu ces cinq dernières années à la présidence du FC Nantes.
La crise du Covid-19 a été brutale pour le football français et pour les clubs. Du jour au lendemain, les matchs ont dû être joués à huis clos, cela a représenté des dizaines de millions d'euros en moins pour la billetterie. Je remercie le Président de la République, le Gouvernement et le Parlement d'avoir pris les mesures nécessaires pour que l'économie du football reste à flot. Le FC Nantes a touché des aides de l'État, comme toutes les entreprises et tous les clubs qui en ont fait la demande, cela n'a certes pas compensé l'intégralité des pertes, mais cela a maintenu un certain équilibre. Puis, à l'automne 2020, on apprend que Mediapro commence à ne plus payer ce qu'il doit à la Ligue. S'ouvre alors une période de grande incertitude pour les clubs de football. On l'oublie facilement, mais la crise sanitaire ne s'est pas arrêtée en mai 2020, la saison 2020-2021, avec les reconfinements successifs, a été quasiment une année blanche. On nous a expliqué que Mediapro était en incapacité de payer ; je pense sincèrement que nous étions en danger et qu'il fallait trouver des solutions, l'impact était énorme pour le football français. Pendant ce temps, Canal + a continué à nous soutenir financièrement et Amazon a acquis les droits. Nous avons alors décidé la création d'une société commerciale, idée lancée une dizaine d'années auparavant mais qui avait du mal à passer un cap : grâce à la nouvelle direction de la Ligue, nous l'avons envisagée plus sérieusement. Ce processus nous a demandé beaucoup de réunions, il y avait des formalités administratives à accomplir auprès de la Fédération française de football (FFF) et du ministère, pour être bien en phase.
Nous avons la chance, depuis trois ans, de bien communiquer entre les présidents et le groupe de travail de la LFP, cela fait avancer une certaine stratégie du football professionnel français. Il est certain que pour attirer des investissements de l'extérieur, il ne faut pas démontrer uniquement une philosophie, mais également élaborer un plan de travail à moyen et long terme, et présenter des dossiers pour faire en sorte que le football français soit reconnu à sa juste valeur. Pour avoir eu la chance, dans ma vie professionnelle, de valoriser mes entreprises, je sais que la valeur dépend d'un ensemble de facteurs - pour un club de football professionnel : la formation, les outils de travail, le professionnalisme, les stades, les centres d'entraînement. À Nantes, nous avons aussi continué à professionnaliser le football féminin. Il y a un changement avec cette logique d'investissement, nous devons démontrer nos atouts et ce que nous souhaitons valoriser au niveau national et international. En retour, les droits de diffusion bénéficient à l'ensemble des acteurs du football français, y compris au football amateur. C'est grâce aux capitaux d'une société commerciale que nous pouvons développer le marketing et la communication, au niveau français et au niveau international. Nous étions sur la même ligne à cet égard, tous d'accord pour recourir à un tel outil. Je parle des présidents de clubs de la ligue 1 aussi bien que de ceux de la ligue 2.
Sur le choix du fonds CVC, ensuite. Sa proposition était financièrement très intéressante pour la LFP, c'est un fait. Un groupe de travail a été constitué pour choisir entre les candidats. Je n'y étais pas mais je lui ai fait confiance. On nous a présenté les raisons pour lesquelles CVC avait été sélectionné : les perspectives de valorisation, les compétences de ces investisseurs qui étaient déjà présents dans le sport, et bien sûr l'aspect financier. Mon métier de base n'est pas footballeur ni président de club de football, j'ai une formation d'opticien optométriste et, comme beaucoup de présidents de club, j'ai investi dans le football par passion. Je suis passionné aussi par la formation des jeunes, c'est une dimension centrale du FC Nantes. Aussi, j'ai pensé que mon expérience de chef d'entreprise pourrait être utile dans le football professionnel de haut niveau, c'est la raison pour laquelle je me suis engagé depuis 18 ans au FC Nantes, et c'est pour cette raison aussi que j'ai intégré le conseil d'administration de la LFP en 2019. Je veux participer aux discussions pour faire avancer les choses, il est nécessaire de faire bouger les lignes.
M. Michel Savin, rapporteur. - Merci pour ces présentations. Monsieur Kita, avez-vous recouru aux services d'une agence de communication pour préparer cette audition ?
M. Waldemar Kita. - Ce genre d'audition doit être préparée, je me suis fait aider par des salariés du club, en particulier le secrétaire général.
M. Michel Savin, rapporteur. - Vous avez donc recouru seulement à des ressources internes ?
M. Michel Savin, rapporteur. - Vous avez évoqué l'épisode Mediapro, qui a fortement marqué les clubs français. À l'époque, le président du PSG avait demandé une enquête interne à la LFP sur les circonstances du départ de Mediapro : confirmez-vous l'existence de cette demande ? Qu'en pensiez-vous à l'époque ? Pourquoi, à votre avis, n'a-t-elle pas été entendue par la LFP ?
M. Waldemar Kita. - Je ne me souviens pas exactement, il me semble que tous les clubs étaient mécontents et que tout le monde a fait des demandes, mais le problème, c'est que Mediapro déposait le bilan ; la LFP a fait le nécessaire pour récupérer des fonds, le dossier est passé entre les mains de ses juristes.
M. Michel Savin, rapporteur. - La présidence du PSG a vraisemblablement voulu savoir si la LFP avait véritablement fait son travail et connaître les raisons de l'échec de Mediapro, pour que cela ne se reproduise pas. Ce travail interne n'a donc pas été fait par la LFP.
M. Waldemar Kita. - Je crois qu'il a été fait. Cependant, lors de l'appel d'offres, j'avais demandé si des garanties avait été prises, à quoi on m'avait répondu qu'on ne pouvait pas prendre de garanties sur 5 milliards d'euros...
M. Michel Savin, rapporteur. - Le président de la Direction nationale du contrôle de gestion (DNCG) nous a dit que la crise sanitaire avait engendré un manque à gagner de 1,3 milliard d'euros pour les clubs. Il s'agit bien d'un manque à gagner, et pas d'une perte sèche. Dans ces conditions, les clubs vous paraissent-ils avoir eu une gestion imprudente en engageant des dépenses sans attendre les versements de Mediapro ?
M. Laurent Nicollin. - Je ne peux pas répondre pour tous les clubs, mais il est vrai que des versements ayant été annoncés six mois à l'avance, on a pu revaloriser des contrats et des salaires, ou encore recruter, en comptant sur cette manne financière. L'annonce qu'elle ne serait pas versée n'est intervenue qu'à l'automne, quand la saison était déjà commencée, sans qu'on puisse revenir en arrière avant janvier. C'est alors, en janvier, que j'ai pour ma part baissé les salaires, de 15 à 20 %, pour adapter mon club à la nouvelle donne. Nous avons tenu compte des évolutions, comme dans toute industrie, nous sommes des chefs d'entreprise et nous ne dépensons pas de l'argent que nous n'avons pas, mais il est vrai qu'au mois de juin on nous a promis de l'argent que nous n'avons pas eu après.
M. Michel Savin, rapporteur. - Vous avez baissé les salaires en janvier, vous êtes le premier président de club à nous le dire - est-ce que cela a été le cas également à Nantes ?
M. Waldemar Kita. - Je n'ai pas baissé les salaires, parce que je voulais préserver un équilibre et ne pas perturber le groupe. J'ai pris mes responsabilités, j'ai complété le manque à gagner avec mes propres moyens.
M. Michel Savin, rapporteur. - Vous vous retrouvez actuellement dans la même situation d'incertitude sur les recettes : quelles en sont les conséquences sur votre stratégie de recrutement et votre politique salariale ?
M. Laurent Nicollin. - Nous avons tenu un conseil d'administration la semaine dernière, le président de la Ligue nous a demandé d'attendre encore trois semaines, les choses devraient alors être plus claires ; nous aviserons alors entre nous, il y a plusieurs options.
M. Waldemar Kita. - Il va falloir licencier si nous n'avons pas de moyens supplémentaires, je suis inquiet et je l'ai dit à la presse. La situation est devenue très délicate.
M. Michel Savin, rapporteur. - Justement, vous avez engagé vos propres fonds, puisque vous êtes propriétaires de club : ne craignez-vous pas des pertes plus importantes ?
M. Waldemar Kita. - J'en ai déjà assumé pas mal - ce qui n'empêche pas que je me fasse insulter ici ou là... En fait, nous voulions faire des choses nouvelles, parce que les choses évoluent très vite à l'international et que nous sommes en retard, il faut moderniser notre club, nous avions le projet de faire un nouveau stade, nous avons dépensé des millions d'euros dans ce sens et cela ne s'est pas fait, malgré l'importance du projet. J'ai fait mes calculs pour le cas où nous n'aurions pas de droits audiovisuels, je m'organiserai dans tous les cas pour honorer mes engagements, c'est de ma responsabilité, je ne lâcherai pas.
M. Laurent Nicollin. - Le plan B nous conviendra-t-il ? Je ne sais pas, il faudra voir, on nous a dit des choses mais nous ne sommes pas au coeur de la négociation, cela va dépendre de ce que l'on nous proposera, et de la position que nous aurons, entre présidents de clubs, sur les autres options. En attentant, je suis pragmatique, je ne peux pas dire si une chose est bien ou pas tant qu'on ne me l'a pas présentée.
M. Laurent Lafon, président. - Vous évoquez d'autres options, envisagez-vous d'aller jusqu'à remettre en cause les accords qui lient les présidents de clubs ? Par exemple la répartition des droits internationaux ?
M. Laurent Nicollin. - C'est une option...
M. Waldemar Kita. - ...dont nous venons de parler en arrivant ici. Je suis pour un partage complet.
M. Laurent Nicollin. - Il faut discuter entre nous, et choisir à la majorité entre les options possibles, il y a les droits internationaux, effectivement, ou encore la possibilité pour la LFP de faire un nouvel emprunt. Nous ne nous sommes pas encore concertés entre nous. Il y aura peut-être un collège de Ligue 1 le mois prochain, ce sera l'occasion d'en débattre.
M. Michel Savin, rapporteur. - Le président Labrune a exclu tout changement sur les droits internationaux...
M. Laurent Nicollin. - Certes, mais nous parlons bien de notre argent : nous ne sommes pas à la place de ceux qui dirigent la LFP, mais c'est bien de l'argent des clubs qu'il s'agit et en cas de problème, c'est bien nous qui devons mettre la main au portefeuille...
M. Laurent Lafon, président. - Dans les discussions que vous avez entre présidents, y a-t-il des différences, deux groupes distincts entre les propriétaires de clubs, qui engagent leurs propres deniers, comme vous l'êtes tous les deux, et les présidents qui sont salariés de grands groupes financiers ?
M. Waldemar Kita. - Non, jusqu'à présent nous n'avons pas fait de différence, parce que chacun de nous veut défendre le foot français. Il y a des clubs dont les présidents ont changé souvent, mais ce n'est pas un sujet, nous nous entendons très bien - c'est un peu comme dans un couple, tant qu'il n'y a pas de problème d'argent, tout va bien...
M. Laurent Nicollin. - Il faut reconnaitre que, depuis l'élection du président Labrune, il y a une certaine solidarité, nous avons confiance en lui et dans son action, nous essayons tous de tirer le foot français vers le haut, après des périodes où tout partait dans toutes les directions et où chacun disait à la presse le contraire de ce qu'il avait dit en conseil d'administration. Nous essayons de parler d'une voix unique - cela ne veut pas dire que nous soyons des béni-oui-oui, mais ce que Vincent Labrune a fait jusqu'à présent correspond à ce que nous avions décidé et cela a été bien fait.
M. Waldemar Kita. - Nous sommes passés de 20 à 18 équipes en championnat, cela n'a pas été facile à accepter, mais nous l'avons fait. De même, nous avons accepté de donner de l'argent pour le circuit européen, pour la promotion du foot français, et nous avons aujourd'hui 7 ou 8 clubs qui jouent à l'échelle européenne, c'est nouveau. En réalité, avec la LFP, on parle de foot français, pas de tel ou tel club, nous avons tous l'objectif de faire progresser le foot français.
M. Jean-Jacques Lozach. - Les droits de diffusion ont été répartis un peu comme dans la théorie du ruissellement : on donne beaucoup au sommet comme si cela devait bénéficier à l'ensemble, mais on voit surtout qu'il y a peu de suspens, le PSG est déjà le club le plus riche, le plus titré, et c'est à lui qu'on accorde le plus de droits. Ne faut-il pas rééquilibrer cette répartition ?
M. Waldemar Kita. - C'est vrai, mais c'est aussi le PSG qui a les vedettes, elles coûtent très cher.
M. Laurent Nicollin. - C'est un peu la même chose chez nos voisins, il y a un ou deux clubs en tête avec plus de moyens : le Real et le Barça en Espagne, Manchester City en Angleterre, le Bayern de Munich en Allemagne...
M. Waldemar Kita. - Quand on doit sortir 80 ou 110 millions d'euros pour s'offrir un joueur, il faut des moyens en proportion, c'est un peu normal...
M. Laurent Nicollin. - Et le PSG est la locomotive de la Ligue 1.
M. Waldemar Kita. - Cela dit, nous ne serions pas opposés à toucher plus de droits...
M. Michel Savin, rapporteur. - Vous dites que vous vous concertez avec la LFP. Cependant, vous n'êtes pas représentés dans la société commerciale, alors qu'au Royaume Uni par exemple, les clubs sont actionnaires de la Premier League : pourquoi ne pas avoir demandé un siège dans la société commerciale ? À vous écouter, on a le sentiment que les choses se décident ailleurs que dans les clubs, qu'ils sont là seulement pour valider ce qui se décide ailleurs...
M. Laurent Nicollin. - Les choses ne se décident pas ailleurs, il y a des échanges, des discussions, mais notre place n'est pas dans la société commerciale. Ce serait comme une ingérence, en tout cas d'après moi, ce serait ajouter encore du monde dans la société commerciale.
M. Michel Savin, rapporteur. - Elle représente pourtant les clubs...
M. Waldemar Kita. - Je crois pour ma part que c'est une idée intéressante, à creuser. Mais il faut savoir, cependant, quel représentant des clubs pourrait y siéger, entre les propriétaires eux-mêmes ou des salariés.
M. Michel Savin, rapporteur. - C'est aussi une question que je voulais vous poser : vous qui avez engagé vos fonds, qui prenez des risques financiers, que pensez-vous de l'arrivée dans le football de fonds d'investissement et de fonds souverains qui rachètent des clubs français ?
M. Laurent Nicollin. - Je pense que c'est le sens de l'histoire, mais ce n'est pas mon football, et cela fait déjà un bon moment que je me sens en décalage. Voir un actionnaire présent dans cinq clubs par exemple, cela me dépasse. Qu'un club puisse devenir la filiale d'un autre est regrettable : on nous dit que ce n'est pas le cas mais nous connaissons le football et nous voyons bien comment les choses se passent ... Les plus riches achètent ceux qui ont moins de moyens. Je ne m'y retrouve pas mais c'est comme cela qu'évolue le sport professionnel et cela existe aussi dans le rugby. Je suis peut-être encore un idéaliste, mais ce n'est pas ma conception du sport. Je ne souhaite pas la constitution d'une ligue fermée mais je pense que cela arrivera - même si, humainement, cela ne me convient pas. Je résiste encore, à Montpellier, mais je ne sais pas pour combien de temps. On nous pousse à vendre et je comprends que certains vendent, comme cela a été le cas à Strasbourg. De notre côté, nous tenons, avec mon frère, bien que nous ayons perdu près de 30 millions d'euros depuis 2020. Nous verrons combien de temps nous pouvons continuer. Compte tenu de la situation des droits de télévision et s'il faut mettre 20 millions d'euros chaque année, nous n'aurons pas la structure pour tenir...
M. Michel Savin, rapporteur. - Vous confirmez ce que nous dit le président de la LFP, qui craint qu'à défaut de droits audiovisuels, des clubs risquent le dépôt de bilan - c'est bien ce qui rend notre mission d'information plus utile, pour voir les conséquences de l'arrivée des fonds d'investissement dans le football français.
M. Laurent Nicollin. - Les clubs soutenus par les fonds d'investissement ne feront pas faillite, puisque les fonds disposent de moyens...
M. Michel Savin, rapporteur. - Certes, mais ils peuvent aussi s'en aller.
M. Waldemar Kita. - Il y a une contradiction. D'après ce que je comprends, vous voulez que des propriétaires comme nous restent, mais vous reconnaissez aussi qu'on peut manquer de moyens, et donc il est bien normal d'accepter des capitaux qu'on nous propose. En fait, la situation que nous connaissons dans le football ne concerne pas que le football mais l'économie dans son ensemble : des financiers arrivent et proposent d'investir pour développer les sociétés, pour faire mieux, je l'ai vécu en vendant mon entreprise il y a deux ans. Ces investisseurs ont besoin des professionnels du milieu pour développer les entreprises, car ce n'est pas leur métier, eux ce sont des financiers et c'est à nous ne nous organiser pour tenir, pour développer nos clubs avec ces moyens. Le monde change à tous les niveaux, c'est une réflexion plus large qu'il faut avoir.
M. Michel Savin, rapporteur. - Je reviens sur l'épisode Mediapro et la période où Amazon s'est engagé. Selon le compte rendu du conseil d'administration de la LFP du 11 juin 2021, différents présidents de club ou représentants du monde de football se sont exprimés sur les raisons à la fois stratégiques et financières qui les ont poussés à choisir l'offre présentée par Amazon à hauteur de 250 millions d'euros, à comparer aux 830 millions d'euros espérés avec Mediapro. Nous avons posé la question au président de la LFP : avec le recul, n'aurait-il pas fallu renégocier avec Canal + sur la totalité des lots, y compris les droits sous-licencies par BeIN Sports, afin de préserver de bonnes relations avec ce partenaire historique ?
M. Waldemar Kita. - Il y a eu un groupe de travail, qui a réuni des compétences pour négocier - et nous avons laissé faire. Il est arrivé ensuite ce qui est arrivé, malheureusement, et tout le monde est responsable de la situation ; j'ai dit dans la presse qu'on avait besoin de Canal +, car il me semble normal qu'une société française représente le football français. Nous devons renouer avec Canal +.
M. Laurent Nicollin. - Quand Amazon s'est présenté, nous avons pensé qu'il ne fallait pas laisser passer cette occasion, qui ne se reproduirait pas : nous espérions plus de moyens de ce géant américain. Nous étions aussi toujours avec Canal + via BeIN Sports : avec Amazon, il s'agissait d'abord d'avoir un nouvel entrant qui pourrait apporter un souffle nouveau. Cela apparait aujourd'hui comme un mauvais calcul parce que cela n'a pas marché, mais cela aurait pu réussir si chacun y avait mis du sien - c'est en tout cas comme cela que je vois les choses, sans prétendre détenir la vérité...
M. Michel Savin, rapporteur. - Les chiffres montrent que l'offre d'Amazon était très proche de celle de Canal +, notamment parce que Canal + ajoutait une partie variable, et à vous entendre, on a l'impression que les présidents ont suivi les choses de très loin, qu'ils s'en sont remis à une ou deux personnes...
M. Laurent Nicollin. - On travaille toujours mieux en comité restreint, je le sais aussi comme chef d'entreprise... Nous discutons entre présidents de clubs, nous donnons des consignes, ensuite c'est à la Ligue de suivre, ou pas. Franchement, si à chaque réunion avec Amazon et Canal + nous nous étions présentés à 40 présidents de club... Nous ne sommes pas informés de tout dans le détail, notre rôle n'est pas de tout contrôler mais nous faisons appel à des gens compétents, qui travaillent par secteur.
M. Waldemar Kita. - De même, lors du choix de Mediapro, il y a eu un groupe de travail, à qui nous avons fait confiance. On essaie de mettre en avant des gens compétents. Nous ne sommes pas des professionnels de ces questions. Nous avons nous-mêmes notre propre travail, nous ne pouvons pas être partout. Si nous avons investi dans le foot, c'est par passion, et de façon bénévole. Nous payons des professionnels pour qu'ils fassent leur travail.
M. Michel Savin, rapporteur. - On parle tout de même de sommes qui ne sont pas négligeables : dans l'épisode Amazon, la LFP perd 500 millions d'euros par an par rapport à la proposition qui avait été actée avec Mediapro, cela interroge sur le montant réel des droits audiovisuels. La Ligue crée alors une société commerciale, le fonds d'investissement CVC est retenu avec son offre de 1,5 milliard d'euros en contrepartie de 13 % du capital de la société ; lors du conseil d'administration de la LFP du 25 mars 2022, vous avez approuvé à l'unanimité les propositions du collège 1 sur l'attribution de l'apport de CVC et sur la distribution des revenus récurrents : aviez-vous alors eu connaissance au pacte d'actionnaires qui lie la LFP et CVC au sein de la société commerciale ?
M. Waldemar Kita. - Non, nous n'avons pas demandé à voir le pacte. Il y avait eu le groupe de travail, avec les avocats de la Ligue, nous avions confiance dans leur travail - qu'aurions-nous eu à corriger dans le pacte ? C'est peut-être un tort de ne pas avoir consulté ce pacte, mais sur le principe, je ne vois pas pourquoi nous aurions dû le faire.
M. Michel Savin, rapporteur. - Je comprends que vous n'ayez pas cru devoir le faire personnellement, mais vous avez une équipe, des avocats qui auraient pu vous donner un avis. Pourquoi ne pas le leur avoir demandé, dans l'intérêt même des clubs dont vous êtes les présidents, pour éclairer votre avis et votre vote lors du conseil d'administration de la Ligue ?
M. Waldemar Kita. - On nous a donné les grandes lignes, on aurait peut-être dû demander l'accord mais c'est délicat de le faire sans remettre en cause le groupe de travail et les avocats qui sont parvenus à un accord...
M. Laurent Nicollin. - Ces documents sont confidentiels, on n'allait pas repartir avec pour les faire analyser par d'autres avocats... Tout avait été analysé, il y avait le groupe de travail auquel nous faisions confiance, il y avait les avocats conseils de la Ligue, il y avait des présidents de clubs comme Loïc Féry ou Joseph Oughourlian qui ont eux-mêmes des fonds d'investissement. Il faut aussi se replacer dans le contexte. Lors de la crise sanitaire, les clubs ont beaucoup perdu - à Montpellier j'avais 26 millions d'euros de fonds propres, je n'ai plus rien après le Covid-19. J'ai réussi à reconstituer 14 millions d'euros par la suite. Donc quand on nous a dit qu'un fonds d'investissement pourrait apporter de l'argent et compenser le manque à gagner des droits audiovisuels sur les deux saisons restantes après le départ de Mediapro, on a dit banco à la LFP, d'autant que cela se faisait aussi en Italie et en Espagne. Les discussions ont duré un an, le nombre de candidats est passé d'une vingtaine à quatre, le travail a été fait. Alors c'est vrai qu'il ne m'est pas venu à l'esprit de m'interroger sur la durée de l'accord passé avec CVC - d'ailleurs, comme chef d'entreprise, si j'achète des parts d'une autre entreprise, je ne me pose pas la question de la durée de l'accord, j'achète pour développer et pour revendre éventuellement, je crois d'ailleurs que c'est l'idée de CVC : développer le produit pour revendre dans quelques années. Nous avons peut-être été naïfs, mais nous avons fait confiance aux équipes de la LFP, dans une période difficile. Et il y a eu des contreparties : à Montpellier, j'ai reçu deux fois 16 millions d'euros, cela nous a sorti la tête de l'eau. Sans cela, nous aurions eu des difficultés financières. Il faut reconnaitre l'utilité de cet apport. Alors ensuite, c'est vrai que cela a un coût : nous sommes passés à un championnat à 18 clubs au lieu de 20 clubs, c'était une consigne de CVC et cette diminution correspond à la rémunération du fonds d'investissement. Donc nous aurions certainement aimé avoir plus, mais on a pris ce qu'on nous a donné parce que nous en avions besoin, ceci malgré les aides de l'État, les prêts garantis - nous avons besoin de plus de moyens pour rester compétitifs, c'est malheureux mais l'argent est le nerf de la guerre.
M. Laurent Lafon, président. - Merci de nous dire les choses si directement et avec honnêteté. Ce qui nous frappe depuis le début de cette mission d'information, c'est la façon dont le football français traverse des crises à répétition ; CVC a apporté une bouée de sauvetage, mais vous traversez quand même un nouvel épisode de crise, donc nous sommes face à la même question : comment stabiliser le foot français et faire que les investisseurs comme vous, qui investissez directement, restent dans la partie ?
M. Laurent Nicollin. - Il faut d'abord être solidaire et ne pas céder à la panique, se mettre autour d'une table, en particulier avec Canal + pour voir si son refus est catégorique ou conditionnel... Tout passe par le dialogue. À nous, présidents de clubs, de prendre les choses en mains. Ce n'est pas facile mais j'y crois et il y a aussi des choses positives - CVC a apporté du positif, mais c'est aussi à eux de nous amener des idées...
M. Laurent Lafon, président. - Ce n'est pas le cas ?
M. Laurent Nicollin. - Non, pas encore, je crois que les droits audiovisuels auraient dû leur apporter plus de moyens, ou peut-être est-ce que les clubs ne sont pas assez réceptifs à certaines propositions ? Je ne sais pas... Quoiqu'il en soit, il faut aller plus loin et avancer, trouver d'autres moyens, nous pouvons avancer en regardant devant nous, pas seulement derrière. CVC a apporté des moyens supplémentaires ; maintenant, il faut voir ce que l'on peut faire, en fonction du montant des droits de télévision, pour limiter la casse...
M. Michel Savin, rapporteur. - Si je comprends bien, vous espérez encore une solution avec Canal + ?
M. Laurent Nicollin. - Je n'espère rien...
M. Michel Savin, rapporteur. - Maxime Saada, président de Canal +, a déclaré que le prix 800 millions d'euros pour les droits domestiques était complètement déraisonnable, ce qui a été validé puisque Amazon a obtenu une part de ces droits pour 250 millions, soit une valorisation totale autour de 600 millions d'euros si on la cumule avec la part de BeIN Sports. Pour Canal +, donc, le prix doit être bien en dessous de ce que la LFP a négocié dans le cadre de son partenariat avec CVC, soit 1,1 milliard d'euros dont 863 millions pour les droits domestiques. Comment en êtes-vous arrivés à vous dire qu'une telle valorisation était crédible - personne, parmi les présidents de club, ne s'est demandé si cette valorisation n'était pas excessive ?
M. Waldemar Kita. - Le problème est simple : qui est capable de dire objectivement la valorisation du foot français ? Ou de n'importe quelle entreprise ? Ce n'est pas scientifique : quand on vend une entreprise, on vend un projet, un business plan... Il est normal que Canal + minimise les chiffres, c'est de la négociation. J'ai eu la chance, dans ma vie, de vendre deux sociétés dont j'étais le propriétaire, personne n'aurait pu me dicter le prix... Je comprends vos questions, mais par votre démarche vous ne nous aidez pas, parce que vous nous demandez de mettre sur la place publique des éléments sensibles. Ce que nous demandons surtout, c'est qu'on nous laisse travailler. Les médias, eux, entrent vite dans la polémique... Vous avez raison de dire qu'on aurait pu faire différemment ou mieux, mais on ne peut pas dire cependant que le dialogue avec CVC se soit mal passé. En fait, nous n'allons pas nous plaindre que nos investisseurs veuillent nous aider à nous développer - et la logique du capital-risque, ce n'est pas d'entrer dans tous les détails de la gestion. C'est à nous de gérer nos clubs.
M. Laurent Lafon, président. - Ce n'est pas ce qui nous a été dit quand nous avons voté la loi autorisant la constitution d'une société commerciale : on nous a dit que l'intérêt tenait bien sûr aux fonds apportés, mais aussi au savoir-faire transmis.
M. Waldemar Kita. - Bien sûr, mais pas au quotidien. Quand une société entre dans mon capital, elle ne vient pas pour autant chez moi, je lui rends régulièrement compte de mon travail, on fait des audits, des réunions, mais elle ne gère pas à ma place, ça se passe comme ça - c'est tellement logique pour moi que je ne sais pas vous le dire autrement...
M. Laurent Lafon, président. - Oui, bien entendu, on le comprend très bien, mais la plus-value technique qu'on pouvait attendre de la société commerciale, c'était sur les droits audiovisuels - ce n'est pas votre travail, d'ailleurs, mais celui de la LFP...
M. Waldemar Kita. - Oui, ils peuvent nous aider par leurs contacts, par leurs conseils, mais ce n'est pas leur travail de faire à notre place...
M. Laurent Nicollin. - Je crois que CVC attendait d'avoir les droits audiovisuels pour, ensuite, aider chaque club en particulier à progresser sur le plan de la communication, du marketing - c'est vrai qu'ils auraient pu commencer plus tôt à aider les clubs, mais j'ai compris qu'ils attendaient d'abord un retour via les droits audiovisuels.
M. Waldemar Kita. - Attention, ce n'est pas leur rôle de venir voir dans les clubs ce qui va ou ne va pas : ils ont investi dans la société commerciale de la LFP, c'est là leur place et c'est de là qu'ils peuvent nous aider. Ils peuvent nous donner des contacts, des conseils, je crois qu'effectivement ils attendaient un retour des droits audiovisuels pour s'engager davantage, mais leur rôle est bien celui d'un investisseur.
M. Laurent Lafon, président. - Vos réponses sont très claires, mais ce n'est pas comme cela qu'on nous avait présenté les choses il y a deux ans.
M. Waldemar Kita. - Il faut peut-être leur laisser un peu de temps et compter sur le fait que quand on met 1,5 milliard d'euros dans une société, on n'est pas indifférent à ce qu'il s'y passe. Franchement, nous étions tous très contents de voir arriver CVC. Il y avait trois ou quatre concurrents, nous avions de gros problèmes et la LFP, avec Vincent Labrune, nous a proposé cette solution : nous avons tous dit bravo ! Quand quelqu'un vient vous aider alors que vous avez de gros problèmes, vous ne lui dites pas non - c'est logique, il faut être un peu sérieux avec ces questions, j'ai un peu d'expérience...
M. Michel Savin, rapporteur. - Je confirme les propos du président Lafon : il y a deux ans, quand on nous a présenté les avantages d'une société commerciale, on nous a parlé d'un apport de compétences, de savoir-faire, de relais pour développer les droits audiovisuels.
M. Laurent Nicollin. - Oui, mais à l'échelle de la Ligue, et nous sommes, nous, à celle de nos clubs...
M. Michel Savin, rapporteur. - Vous avez dit, monsieur Kita, quand on a évoqué les montants figurant au plan d'affaires, qu'on ne peut valoriser ou faire de projection...
M. Waldemar Kita. - J'ai dit qu'on ne peut estimer la valeur d'une société comme ça, sans respecter certaines règles...
M. Michel Savin, rapporteur. - Oui, sauf que dans ce contrat qui a été signé entre CVC et la Ligue, il y a des décisions réservées, qui ont des conséquences financières, en particulier l'approbation du budget prévisionnel annuel de la société, avec des mesures spécifiques lorsque ce budget dévie de plus de 10 % du plan d'affaires ; que se passerait-il alors pour les clubs ? Le plan d'affaires est la base même de la discussion entre CVC et la Ligue, l'accord signé prévoit des décisions réservées : n'y a-t-il pas là un risque pour les clubs ?
M. Waldemar Kita. - Oui, bien sûr qu'il y a un risque, mais je pense qu'aujourd'hui, au point où l'on en est, il est sage d'attendre d'en savoir plus sur les droits audiovisuels. Ensuite, il faudra se mettre autour d'une table avec CVC, pour voir comment on pourrait changer certaines choses, les améliorer, être dans le mouvement, entre gens intelligents. Je ne connais pas le pacte d'actionnaires, je ne l'ai pas négocié et il est confidentiel - mais je suis convaincu qu'on peut trouver des solutions, dans le dialogue.
M. Laurent Lafon, président. - Est-ce qu'au sein de l'association Foot Unis, vous avez analysé l'accord sur le plan juridique ?
M. Laurent Lafon, président. - Allez-vous le faire dorénavant ? Ne serait-ce que parce que les clauses de l'accord peuvent avoir une incidence sur la vie des clubs dans l'hypothèse où les objectifs du plan d'affaires ne seraient pas atteints ?
M. Waldemar Kita. - Je vais demander à faire examiner le pacte d'actionnaires par nos avocats.
M. Michel Savin, rapporteur. - Comprenez notre surprise : on parle d'un montant d'1,5 milliard d'euros et de mécanismes qui ont certes été travaillés entre la Ligue et CVC, mais que les clubs ne connaissaient pas dans leur détail lorsqu'ils ont voté l'accord.
M. Waldemar Kita. - On n'en connaissait pas le détail, mais le projet nous avait été présenté...
M. Michel Savin, rapporteur. - Vous qui êtes des présidents propriétaires de clubs, qui engagez donc votre argent dans votre club, que pensez-vous de la façon dont la LFP a décidé d'acheter son nouveau siège pour 125 millions d'euros, ou encore du fait qu'elle a rémunéré 37,5 millions d'euros ses avocats et conseils pour parvenir à l'accord avec CVC ?
M. Waldemar Kita. - Ce sont là deux questions. Nous discutions du siège depuis plusieurs années, on pensait même un temps s'associer avec la FFF, cela me semblait logique mais les choses ne se sont pas passées ainsi. Il s'est trouvé, ensuite, qu'on a pu louer nos locaux et que cette location payait le crédit du nouveau siège...
M. Laurent Lafon, président. - Pas exactement : vous remboursez 7,3 millions d'euros par an, et le loyer vous rapporte 1 million d'euros, le différentiel est tout de même de 6,3 millions par ans...
M. Waldemar Kita. - Pour améliorer l'image du football français, il faut un siège à la hauteur. Nous avons pris cette décision en anticipant des droits audiovisuels plus élevés que ce que nous anticipons aujourd'hui.
M. Michel Savin, rapporteur. - Vous dites que vous ne prenez pas de risques financiers sans visibilité sur les ressources, mais c'est pourtant le cas ici : la LFP a pris la décision d'acheter un siège à 125 millions d'euros, sans aucune certitude d'obtenir suffisamment de droits audiovisuels. C'est comme si, dans votre club, vous décidiez de construire un nouveau stade sans garantie aucune sur vos recettes...
M. Waldemar Kita. - Je crois qu'au moment où la décision a été prise d'acheter ce nouveau siège, la recette figurait au business plan. Ensuite, lorsque je dis qu'on ne dépense pas l'argent que nous n'avons pas, je me place à l'échelle du club. Pour la LFP, nous avons mis en place une direction, des compétences, ce sont eux qui nous ont présenté le projet. C'est un peu comme quand, dans une entreprise, un directeur de la recherche vient vous présenter un projet de recherche contre le cancer, un projet qu'il juge fantastique : vous n'allez pas lui dire non, ou bien vous changez de directeur de la recherche...
M. Michel Savin, rapporteur. - C'est votre explication, mais vous n'arrivez pas à me convaincre sur ce point. Et quelle est votre explication sur les 37,5 millions d'euros aux intermédiaires, dont 8,5 millions aux dirigeants de la Ligue ?
M. Laurent Nicollin. - Dans toute entreprise privée, quand il y a de bons résultats, des primes sont versées aux salariés en fin d'année. Je me souviens qu'au moment de la négociation de l'accord avec Mediapro, l'équipe de Didier Quillot s'était octroyée des primes avant même le versement des premiers droits. Nous avions été quelques-uns, peu en réalité, à signaler que ces primes n'auraient dû être allouées qu'une fois les fonds versés, mais nous n'avions pas été suivis. Avec CVC, au moins, le versement des primes s'est fait après celui des fonds... Je n'ai pas en tête qui a touché quoi, mais cela ne me choque pas que ceux qui ont travaillé sur l'accord avec CVC perçoivent une prime...
M. Waldemar Kita. - Les 37,5 millions d'euros sont des frais d'avocat ?
M. Laurent Lafon, président. - Il y a eu 8,5 millions d'euros pour des salariés de la LFP, donc environ 29 millions pour les avocats, mais aussi les banques.
M. Waldemar Kita. - C'est peut-être que les avocats et les banques ont accordé une sorte de prime aux salariés de la LFP, pour le travail fourni. C'est une forme de générosité de la part des avocats et des banques qui n'a en fait rien coûté à la LFP puisque cette prime leur aurait, sinon, été versée à eux - c'est comme cela que je vois les choses...
M. Michel Savin, rapporteur. - Monsieur Kita, nous n'avons pas l'habitude de brasser des millions d'euros...
M. Waldemar Kita. - Moi, j'ai un peu l'habitude...
M. Michel Savin, rapporteur. - Nous trouvons normal qu'il y ait une rémunération, mais 37,5 millions d'euros pour avoir, somme toute, trouvé un fonds d'investissement et rédigé un accord, cela nous paraît énorme - c'est plus que ce qu'a perçu le club de Montpellier de la part de CVC en deux ans...
M. Laurent Nicollin. - Certes, mais en pourcentage sur 1,5 milliard d'euros, c'est différent...
M. Michel Savin, rapporteur. - J'entends, mais notre mission, c'est de veiller à ce que l'argent aille aux clubs de football professionnels : on n'a pas créé une société commerciale pour financer des banquiers, des avocats et des salariés de la LFP !
M. Laurent Nicollin. - Les avocats ont travaillé, et il est vrai que leurs honoraires sont élevés...
M. Laurent Lafon, président. - Le président Vincent Labrune percevait 400 000 euros de salaire annuel, il a reçu un bonus de 3 millions d'euros : c'est 8 années de salaire...
M. Waldemar Kita. - Son salaire étant passé à 1,2 million d'euros, ce bonus ne représente plus que trois ans de salaire : voyons les choses positivement... Je comprends bien votre surprise, mais croyez-moi, dans ce genre d'affaires, les sommes sont élevées, et CVC va continuer à nous aider - on parle de 500 millions d'euros : ils ne nous lâchent pas.
M. Michel Savin, rapporteur. - Ils ont un engagement.
M. Waldemar Kita. - Oui, ce sont des gens sérieux, ils ont signé un engagement sur trois ans : vous voyez qu'on fait des affaires avec des gens sérieux...
M. Michel Savin, rapporteur. - Nous ne disons pas que l'affaire n'est pas sérieuse, mais que 37,5 millions d'euros de frais, c'est beaucoup. Vous évoquez le chiffre de 1,2 million d'euros, c'est le salaire annuel du président de la LFP : pourquoi a-t-il triplé depuis l'arrivée de CVC, en plus du bonus ?
M. Waldemar Kita. - Je pense que c'est en relation avec son travail, et nous avons comparé avec ce qui se pratique ailleurs, dans d'autres ligues de football professionnel. Je ne cherche pas à vous convaincre, mais je veux vous dire, en toute sincérité, quelle est la logique, comment les choses se passent. Les avocats coûtent une fortune...
M. Michel Savin, rapporteur. - Revenez au salaire du président de la LFP : pourquoi le tripler, alors qu'une grande partie de ses missions a été transférée à la société commerciale, en particulier la direction économique, les fonctions marketing, digital... Et il faut ajouter des frais de fonction à hauteur de 200 000 euros par an. Cela représente quasiment 1 000 euros par jour...
M. Waldemar Kita. - Pour des frais ? C'est vrai qu'il aime bien manger...
M. Michel Savin, rapporteur. - Pardon ?
M. Waldemar Kita. - Je plaisante...
M. Michel Savin, rapporteur. - Vous comprenez qu'on s'interroge.
M. Waldemar Kita. - Je vous comprends...
M. Michel Savin, rapporteur. - L'objectif des parlementaires, en votant la loi, ce n'était pas d'en arriver là...
M. Laurent Lafon, président. - Vous dites avoir comparé avec ce qui se passe dans d'autres championnats, mais alors il faut comparer les chiffres d'affaires : 3,5 milliards d'euros pour le championnat anglais, 2 milliards d'euros pour la Liga espagnole, les ligues françaises ne sont pas à ces niveaux...
M. Waldemar Kita. - Là-dessus vous avez parfaitement raison. Cela rejoint aussi la question de la valorisation : CVC a valorisé le foot français à 1,5 milliard d'euros, puisque c'est sur cette base qu'ont été calculés les 13 %, mais si vous rapportez ça aux 3,5 milliards d'euros du foot anglais, est-ce que vous pensez que cela veut dire que le foot français est moins valable que le foot anglais, ou même espagnol ou italien - alors que la moitié de nos jeunes joueurs évoluent à l'étranger ?
M. Laurent Lafon, président. - Ce n'est pas nous qui le pensons, monsieur Kita, c'est ceux qui achètent les droits de télévision. Manifestement, ils pensent que le championnat de France ne vaut pas le championnat allemand ou le championnat italien.
M. Waldemar Kita. - Ils sont dans leur rôle et c'est de la négociation...
M. Laurent Lafon, président. - D'accord, mais cela ne règle pas la question des salaires : dans la comparaison avec nos voisins, il nous semblerait normal de proportionner les salaires des dirigeants de la LFP, au chiffre d'affaires généré par la Ligue. C'est une question de cohérence, et je ne doute pas que vous le faites dans votre entreprise.
M. Waldemar Kita. - Oui, vous avez raison. Cependant, ces chiffres ont été décidés il y a deux ans, il y a eu le nouveau siège, et le président est venu avec l'apport d'1,5 milliard d'euros de CVC, il a bien travaillé pour cela - et quand quelqu'un vous apporte 1,5 milliard d'euros, vous êtes séduit...
M. Michel Savin, rapporteur. - Attendez, mais les fonds d'investissement comme CVC ne viennent pas pour perdre de l'argent ! Ce fonds apporte 1,5 milliard d'euros, mais il compte bien en retirer le double...
M. Waldemar Kita. - Je crois même que leur cible, c'est 2,5 fois...
M. Michel Savin, rapporteur. - Voilà, en tout cas, CVC ne va pas perdre d'argent - le fonds va peut-être mettre un peu plus de temps qu'escompté à en gagner, mais il va en gagner. En fait, ce n'est pas notre problème, car ce qui nous intéresse, nous, c'est la situation des clubs qui sont sur les territoires, qui font vivre des gens pour lesquels on est inquiet. Quand on compare et quand on se demande pourquoi des Français peuvent être réticents à payer une certaine somme pour suivre leur championnat à la télévision, il faut aussi reconnaitre que nous n'avons pas le même rapport au football que les Anglais, les Italiens, les Allemands ou les Espagnols, pour qui le foot est une religion. Le peuple français n'est pas fan de foot, il est spectateur, il y a bien sûr des fans mais cela n'a pas la même dimension que chez nos voisins - et c'est aussi pourquoi on ne capte pas si facilement du public à 30 euros par mois. Ne faut-il pas le prendre en considération quand on fait le plan d'affaires du foot français ?
M. Waldemar Kita. - À nous de faire le travail pour attirer les gens au stade. Nous avons eu cette année 15 à 20 % de public en plus, nous avons des résultats européens, à nous de faire mieux. Le but de la société commerciale, c'est aussi cela, attirer davantage de public dans les stades.
M. Michel Savin, rapporteur. - Dans la presse, monsieur Kita, vous avez demandé une renégociation du contrat CVC, et vous posez les mêmes questions que nous, en réalité. Des présidents de clubs vous ont-ils exprimé leur soutien, avez-vous ressenti que d'autres clubs étaient sur cette ligne - et quelle concertation envisagez-vous ?
M. Waldemar Kita. - Oui, nous sommes tous très conscients de ce qui se passe...
M. Michel Savin, rapporteur. - Vous nous dites là que tous les présidents de Ligue 1 vont demander une renégociation ?
M. Waldemar Kita. - Non, nous ne nous sommes pas réunis, je suggère de revoir les responsables de CVC pour trouver des améliorations à apporter.
M. Michel Savin, rapporteur. - Après votre prise de position, est-ce que plusieurs de vos collègues vous ont exprimé leur soutien ? Ou bien êtes-vous isolé ?
M. Waldemar Kita. - Non, je ne suis pas isolé.
M. Laurent Lafon, président. - Il y aura dans quelques semaines une élection à la LFP, puisque le mandat du président actuel arrive à son terme : est-ce que ce dont nous parlons aujourd'hui aura une incidence sur cette élection ?
M. Waldemar Kita. - Il est prématuré de le savoir.
M. Laurent Nicollin. - Je n'ai rien à ajouter sur ce point.
M. Laurent Lafon, président. - Merci pour votre disponibilité.
Cette audition a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.
La réunion est close à 18 h 25.