Mercredi 19 juin 2024
- Présidence de M. Jean-François Rapin, président -
La réunion est ouverte à 13 h 30.
Marché intérieur, économie, finances, fiscalité - Audition de M. Florian Colas, directeur général des douanes et droits indirects (DGDDI) du ministère de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique
M. Jean-François Rapin, président. - Mes chers collègues, nous accueillons aujourd'hui M. Florian Colas, directeur général des douanes et droits indirects (DGDDI).
Monsieur le Directeur général, vous avez pris vos fonctions très récemment, puisque vous avez été nommé le 3 avril dernier. Vous étiez depuis 2021 le directeur national du renseignement et des enquêtes douanières (DNRED), à la tête de la direction chargée de mettre en oeuvre la politique du renseignement, du contrôle et de la lutte contre la fraude en matière douanière. Celle-ci est, avec Tracfin, l'un des deux services de renseignement des ministères économiques et financiers. Auparavant, vous avez notamment travaillé au sein de l'inspection générale des finances, puis, à partir de 2017, dans les cabinets des ministres chargés des comptes publics.
Nous avons souhaité vous entendre car la douane, qui se définit comme « l'administration de la frontière et de la marchandise », est l'une des administrations françaises qui entretient le lien le plus étroit avec l'Union européenne. Le marché unique, l'union douanière et la politique commerciale commune constituent le cadre essentiel dans lequel s'inscrit votre action, un cadre qui impose évidemment des contrôles douaniers efficaces partout dans l'Union.
Les sujets que nous souhaiterions évoquer avec vous sont nombreux et importants ; ils le resteront après les prochaines échéances électorales.
Dans sa stratégie pour la période 2022-2025, la DGDDI a mis en avant trois évolutions majeures auxquelles la douane doit s'adapter.
La première a trait à l'essor du e-commerce et à l'élaboration de nouvelles modalités pour gérer la « frontière numérique » - il s'agit évidemment d'un enjeu crucial.
Le deuxième défi à relever tient à la création d'une nouvelle frontière physique du fait du Brexit, un sujet qui a fait l'objet de nombreuses préoccupations au sein de notre commission et auquel je porte une attention toute particulière en tant qu'élu du Pas-de-Calais. Je souhaiterais que vous nous présentiez la manière dont la douane s'est adaptée au rétablissement d'une frontière physique avec le Royaume-Uni et le bilan qu'elle tire des premières années de sa mise en oeuvre.
Enfin, le troisième impératif est de répondre à la demande croissante de protection et de souveraineté, à l'échelle du territoire vis-à-vis du terrorisme et de la criminalité organisée, des entreprises françaises vis-à-vis de la contrefaçon et dans la compétition à l'export, ainsi que de la population vis-à-vis des trafics et de la criminalité notamment environnementale.
Je voudrais avoir votre point de vue sur les enjeux actuels dans ces différents domaines et, en particulier, sur l'évolution de la situation dans les ports.
Le Sénat est également très attentif au suivi des contrôles sanitaires et phytosanitaires. C'est un point de crispation récurrent lors des débats que nous avons lorsque sont soumis au Sénat, en vue de leur ratification, les accords commerciaux internationaux négociés et conclus par l'Union européenne dans le cadre de la politique commerciale commune. La douane estime-t-elle qu'elle dispose des moyens suffisants pour exercer ces contrôles de manière efficace ? Les dispositifs de détection et de ciblage actuels sont-ils adaptés ? Dans le cadre du marché unique, quel est notre degré de coopération avec les autorités douanières des autres États membres ? Quel regard portez-vous sur les forces et les faiblesses des services douaniers des autres États membres de l'Union européenne ?
Enfin, un projet important de réforme du code des douanes de l'Union est en cours d'examen au Conseil de l'Union européenne. Quels en sont les principaux enjeux ? Quels sont les principaux points d'attention à retenir ainsi que, le cas échéant, les lignes rouges posées par la France ? La position adoptée par le Parlement européen le 13 mars dernier vous paraît-elle satisfaisante ? Enfin, quel pourrait être l'impact de cette réforme sur l'administration que vous dirigez ?
Voilà quelques premières questions en guise d'introduction. Nous en avons évidemment bien d'autres, notamment sur la perception des droits indirects qui viennent abonder le budget de l'Union européenne, la coopération avec Frontex ou encore votre vision des enjeux en matière d'élargissement, mais nous y reviendrons lors de nos échanges.
M. Florian Colas, directeur général des douanes et droits indirects (DGDDI) du ministère de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique. - Monsieur le Président, Mesdames, Messieurs les Sénateurs, je commencerai par quelques propos introductifs sur l'actualité de la DGDDI.
En cette année 2024, nous nous trouvons presque à la fin de la période du contrat d'objectifs et de moyens 2022-2025, qui a été marqué à la fois par le transfert des missions fiscales - le recouvrement et, parfois, la gestion et le contrôle d'un certain nombre de taxes qui étaient recouvrées par la douane depuis les années 1990 - à la direction générale des finances publiques, et par un recentrage de notre administration sur ce qui a été considéré comme son coeur de métier, c'est-à-dire l'administration de la frontière et de la marchandise. Je précise que, même si le transfert des missions fiscales est loin d'être totalement achevé, il est déjà très largement engagé.
De ce fait, notre administration commence à se projeter vers l'avant et à se fixer des objectifs à l'horizon 2030, en essayant de tenir compte des différentes tendances qui affectent l'exercice de ses missions et son activité, à savoir, dans le champ des opérations commerciales, le dédouanement, la régulation et la police des flux licites, d'un côté, et les opérations de surveillance, c'est-à-dire la lutte contre les divers trafics illicites, de l'autre.
Nous avons identifié cinq tendances majeures qui pèsent sur l'évolution de nos métiers.
La première a trait à l'augmentation très substantielle des flux à gérer, qu'ils soient déclarés ou illicites. Je citerai quelques chiffres : le nombre de colis déclarés en provenance d'un pays tiers de l'Union européenne est passé, du fait du e-commerce, de 170 millions à 410 millions entre 2022 et 2023, soit une multiplication par 2,4 en un an. On retrouve une même tendance chez nos partenaires européens les plus proches, en tout cas dans le nord-ouest de l'Europe, qui constitue la zone logistique la plus importante pour l'entrée des marchandises sur le territoire européen. Cette massification des flux légaux a son pendant du côté des flux illicites : on estime ainsi que la production mondiale de cocaïne a été multipliée par trois en dix ans. L'évolution est similaire pour ce qui est de la contrebande de tabac.
La deuxième tendance tient à la sophistication des circuits logistiques. Je précise à ce sujet que ce n'est pas parce que les produits sont autorisés qu'il n'y a pas de fraude associée : il peut y avoir toutes sortes de fraudes liées aux normes environnementales et sanitaires, aux droits de douane, à la TVA, etc. Cette sophistication se retrouve aussi du côté des procédés criminels : dissimulation chimique, utilisation de nouvelles technologies, de messageries cryptées, de cryptomonnaies, du darknet ou de vecteurs internet pour la distribution de marchandises illicites, sans parler de l'utilisation de semi-submersibles ou d'autres engins très élaborés. Ce sont autant de réalités auxquelles nous sommes confrontés aujourd'hui.
La troisième tendance est liée à l'adversité croissante à laquelle nous faisons face dans le cadre de nos activités : notre sécurité est menacée, que ce soit lors des contrôles, qui sont de plus en plus violents, ou lors des opérations de plus en plus nombreuses menées par les organisations criminelles pour récupérer des marchandises saisies dans des zones d'entrepôt ou dans des locaux des douanes.
La quatrième tendance est l'adaptation permanente des flux, une évolution qui concerne, là encore, tant le champ du commerce légal que celui des trafics illicites. Dans le champ légal, l'action administrative de la douane provoque aujourd'hui une recomposition très rapide des flux logistiques : lorsque la pression s'accroît, les flux se décalent et se déportent vers d'autres plateformes logistiques - la concurrence est très forte dans ce domaine. Dans le champ criminel, toute action de contrôle entraîne une adaptation très rapide des organisations, qui trouvent le moyen de contourner nos opérations.
La cinquième et dernière tendance tient à la porosité des flux. Dans l'économie légale, certains opérateurs privés sont en fait les faux-nez d'États souverains, qui cherchent à acquérir des technologies et font de la prédation. La porosité s'exprime aussi à travers une forme d'infiltration du commerce légal par l'argent du crime : certaines sociétés, qui ont une activité légale la plupart du temps, ont en réalité pour vocation de couvrir ou de blanchir un flux illicite une fois de temps en temps, si vous me permettez cette expression. Ce phénomène, qui permet de déjouer les critères de ciblage habituels des administrations douanières, est en essor. Enfin, on peut déceler cette porosité dans toutes les formes de tentatives de corruption à l'encontre des professionnels des plateformes logistiques, qu'il s'agisse d'opérateurs privés ou d'administrations étatiques.
Nous faisons donc face à de nombreux défis, le premier d'entre eux étant celui du maintien de l'efficacité de nos contrôles.
À ce propos, je souligne qu'en parallèle de la massification des flux, nous voyons croître le nombre de réglementations que nous sommes chargés d'appliquer. La douane est une administration qui a certes pour mission traditionnelle de dédouaner la marchandise et de prélever les droits de douane, mais elle a aussi pour fonction d'appliquer un certain nombre de réglementations non douanières, dans les domaines sanitaires et environnementaux notamment, qui sont au nombre de 350 aujourd'hui - la douane étant un passage obligé pour toute marchandise entrante ou sortante, elle est devenue un véritable « couteau suisse » de la police des marchandises.
Pour une part, on a assisté à un transfert de charges de certaines administrations spécialisées vers l'administration des douanes, mais les réglementations que nous sommes chargés de faire respecter résultent aussi de la mise en place de nouveaux dispositifs, comme la mise en oeuvre du mécanisme d'ajustement carbone aux frontières, dont nous serons le premier opérateur, ou l'application du règlement contre la déforestation importée, qui constituent des défis pour nous. La douane est désormais une police de la marchandise à laquelle il incombe de vérifier, au moment du passage des marchandises, une foultitude de réglementations.
Le second défi que nous devons relever tient à l'optimisation de notre potentiel opérationnel. Nous sommes lancés dans une véritable course technologique : le contrôle n'est efficace aujourd'hui que s'il est très approfondi. Traditionnellement, les trafiquants de drogue recouraient à une technique assez simple, le rip-off, qui consistait à ouvrir un conteneur pour y jeter quelques sacs remplis de pains de cocaïne ou de cannabis et à les récupérer à l'arrivée. Ce procédé est toujours d'actualité, mais de plus en plus d'organisations criminelles choisissent, pour déjouer nos contrôles, de dissimuler la drogue à l'intérieur de la marchandise conditionnée, au coeur des conteneurs, en usant de techniques leur permettant d'échapper aux scanners.
Face à ce phénomène, il nous faut mener des contrôles très approfondis. Nos traditionnels contrôles anti rip-off ne prennent que cinq minutes. À l'inverse, cela peut prendre une demi-journée, voire une journée entière à l'administration des douanes pour vider intégralement un conteneur et s'assurer qu'aucune drogue n'est cachée à l'intérieur de marchandises conditionnées...
Nous cherchons en outre à résoudre le problème de la sécurité de nos implantations et de nos agents, et à préserver notre réactivité opérationnelle, puisqu'il faut adapter nos dispositifs de contrôle à la nature très volatile des flux illicites de marchandises qui, depuis un port, peuvent désormais dévier très rapidement par la voie routière ou par un port secondaire... Les techniques douanières doivent être très évolutives.
Enfin, nous jouons un rôle essentiel de protection et d'assainissement des plateformes logistiques et des structures économiques associées.
C'est conscients de tous ces défis à relever et de ces cinq tendances que nous nous sommes engagés dans l'élaboration d'une nouvelle feuille de route 2025-2030, qui prendra la suite du contrat d'objectifs et de moyens pour la période 2022-2025.
Les enjeux sont à appréhender à l'échelon national, mais aussi à l'échelle de tous les pays européens. L'approfondissement de la coopération européenne est, à cet égard, un levier majeur pour répondre à tous les défis que j'ai évoqués, et ce pour deux raisons : en premier lieu, le mécanisme même du marché unique implique que les frontières extérieures soient contrôlées de manière assez homogène d'un pays à l'autre, afin de garantir l'efficacité de l'action des différentes administrations et de faciliter la libre circulation à l'intérieur de nos frontières ; en second lieu, nous devons maintenir notre pouvoir de négociation vis-à-vis des grands opérateurs privés ou des acteurs étatiques, ce qui implique que l'on se place à l'échelle européenne plutôt qu'au niveau national. L'arme douanière représente un élément de souveraineté et un moyen d'action en matière de protection économique et technologique.
Cette coopération européenne est en forte recomposition actuellement du fait de la réforme de l'union douanière et, notamment, de la révision du code des douanes de l'Union européenne, qui prévoit des évolutions importantes en matière de e-commerce, comme le renforcement des responsabilités des plateformes dans la mise en conformité de leurs flux ou la modernisation et l'automatisation des mécanismes déclaratifs.
La réforme de l'union douanière devrait contribuer à la création d'une plateforme Data Hub, un entrepôt de données qui n'existe pas encore aujourd'hui. Bien que l'union douanière soit l'un des socles de la construction européenne, les douanes des différents États membres sont très peu intégrées - il n'y a pas d'autorité douanière européenne - et les systèmes douaniers nationaux sont très peu interconnectés. La seconde nouveauté résidera dans la mise en place d'une autorité douanière européenne.
Cette réforme, largement initiée par la France, notamment à l'occasion de la présidence française du Conseil de l'Union européenne, est aujourd'hui bien engagée, même si nous n'en sommes encore qu'au stade des travaux législatifs préparatoires.
Le dernier volet de la réforme préfigure ce que pourrait être l'une des missions de la future autorité douanière européenne, à savoir le renforcement de la coopération des administrations douanières sur les plateformes portuaires. Le Northern Range ou « rangée nord-européenne », qui va grosso modo de Hambourg jusqu'au Havre, concentre à travers cinq à dix grandes plateformes logistiques l'essentiel des flux internationaux qui entrent sur le territoire européen.
M. Jean-François Rapin, président. - Puisque l'on observe une concentration du fret au nord de l'Europe, estimez-vous que les douanes, qu'elles soient belges, néerlandaises ou allemandes, sont à la hauteur des enjeux ? Y a-t-il des différences manifestes entre ces différentes administrations douanières ? Il est surprenant que le réseau douanier européen ne soit pas interconnecté aujourd'hui, à la différence de ce que l'on constate dans le secteur de la justice avec Eurojust et de la police avec Europol.
M. Florian Colas. - Nous sommes effectivement confrontés au défi de la nécessaire interconnexion et de la standardisation des techniques des douanes des différents États membres. Les missions et les pouvoirs des administrations des douanes sont assez peu homogènes au niveau européen : certaines administrations ne sont en réalité qu'une subdivision de l'administration fiscale et ne disposent de ce fait que de très peu de pouvoirs d'investigation ; d'autres ont, au contraire, des pouvoirs de contrôle beaucoup plus étendus - je pense à l'administration des douanes allemande - et jouent un rôle extrêmement important dans la lutte contre le travail illégal ; enfin, il y a les administrations ayant adopté le modèle français, dont les missions se concentrent sur la police de la marchandise, la police des flux, en recourant à des pouvoirs d'investigation et de renseignement très poussés.
La réforme de l'Union douanière pourrait servir à créer ce socle commun de compétences qui manque cruellement aujourd'hui, sans pour autant nier la diversité, l'histoire et la culture administrative des douanes différant entre États membres.
De la même façon, en ce qui concerne le contrôle des réglementations dites non douanières, les douanes européennes ont des pouvoirs assez variables. La douane française a quant à elle beaucoup de responsabilités en la matière.
Je vous le confirme, il n'y a pas d'interconnexion des systèmes aujourd'hui. Des évolutions informatiques sont en cours, mais on ne sait pas reconstituer facilement le circuit d'une marchandise et on ne sait pas avoir une vision complète du dédouanement d'un opérateur à l'échelle européenne. C'est pour cette raison que cette réforme de l'union douanière est essentielle. Il est paradoxal de constater qu'il existe depuis longtemps des structures comme Europol, Eurojust ou un parquet européen et qu'il n'y a rien dans le domaine douanier, qui est pourtant l'un des socles historiques de la construction européenne.
Nous coopérons beaucoup et en priorité avec les administrations belge et néerlandaise, qui ont sous leur juridiction des plateformes logistiques majeures. Nous nous inspirons aussi de leurs bonnes pratiques.
M. Louis-Jean de Nicolaÿ. - J'ai rencontré récemment le préfet de la Sarthe, qui m'a informé du démantèlement d'un trafic de stupéfiants important ayant pour cadre un parking d'autoroute dans le département. Une filière guyanaise a été évoquée. Comment est structuré le trafic de stupéfiants en France ?
Avec la concentration du secteur des transporteurs routiers, n'est-il pas plus facile de coopérer avec eux ?
Mme Marta de Cidrac. - Je m'intéresse particulièrement au trafic de déchets entrants et sortants, dans l'Union européenne et au-delà. Il s'agit d'un enjeu économique, social, environnemental et de santé publique, qui a fait l'objet de directives.
Il semblerait que les flux ne cessent de croître. Quel est votre sentiment ? Comment vos services appréhendent-ils ces problèmes, notamment dans les outre-mer ?
M. Claude Kern. - Dans le prolongement de la question de Marta de Cidrac, quelle est votre définition du déchet, sachant que les conceptions sont différentes d'un pays à l'autre ?
M. André Reichardt. - En ce qui concerne la territorialisation de votre action, avez-vous des priorités différentes selon les territoires ? Pouvez-vous me donner des précisions sur l'Alsace ?
Avez-vous des compétences en matière de lutte contre les fraudes sociales et, si oui, comment agissez-vous en la matière ?
M. Florian Colas. - Il serait erroné de penser qu'il existe une filière guyanaise au sens d'une grande organisation intégralement dirigée par des personnes originaires de Guyane. On parle plutôt d'une constellation de petites organisations qui peuvent être liées entre elles. Il y a une forme d'entrepreneuriat qui est facilitée à la fois par la disponibilité du produit et par la multiplicité des voies logistiques par lesquelles on peut se lancer dans une activité de trafic de stupéfiants. Et c'est valable pour l'ensemble des trafics. Aussi, il ne suffit pas de dire qu'il faut faire tomber quelques têtes de réseau pour faire s'écrouler le château de cartes. C'est une vue erronée du problème.
Je pourrais vous parler aussi du trafic de cannabis par voie routière. Il y a de petites équipes qui font des allers-retours. Il suffit d'être deux ou trois, d'avoir quelques véhicules, de les louer ou de les voler et le tour est joué, car le produit est très disponible à quelques centaines de kilomètres.
Le transport routier est sans doute l'un des grands défis auxquels nous sommes confrontés. Le fret maritime ou le fret aérien ont des points de passage obligés que sont les grandes plateformes portuaires ou aéroportuaires, ce qui facilite l'action et le contrôle. En revanche, le transport routier est beaucoup plus éclaté. Nous nous reposons donc beaucoup sur notre réseau de brigades dites de sécurité intérieure, qui maillent tout le territoire, et pas seulement les zones frontalières.
La coopération des opérateurs n'est pas suffisante, puisqu'ils peuvent être eux-mêmes victimes de malveillance ou de corruption. En général, les opérateurs auxquels nous avons affaire ont de plus en plus conscience des défis associés au trafic, qui leur cause du tort, mais ils ne peuvent pas tout à eux seuls.
Quand 410 millions de colis sont reçus, disséminés sur l'ensemble du territoire dans des entrepôts, il importe d'avoir une capacité de détection et de contrôle efficace. Les critères de provenance sont utilisés mais ils ne sont pas suffisants. Nous sommes actuellement en train de développer le scanning des colis dans l'entrepôt avec des algorithmes de détection de l'image.
Le e-commerce peut être un vecteur de circulation soit de produits illicites - drogues, armes, médicaments de contrebande -, soit de produits non conformes aux normes ou faisant l'objet de minoration de valeur. Les algorithmes de détection de la cocaïne ou du cannabis commencent à être performants. Sur la minoration de valeur, l'enjeu est plutôt de traiter en masse les pratiques d'un opérateur, et non pas colis par colis.
Sur les déchets, notre action est double. Nous effectuons des contrôles et des saisies de déchets entrants et sortants, souvent dans les zones frontalières. Nous avons également une capacité d'enquête, avec des équipes qui sont spécialisées dans les fraudes environnementales en fonction des lieux et des flux. Parmi les fraudes environnementales, il y a le trafic d'espèces protégées, faunes et flore, mais aussi le trafic de déchets, qui donnent lieu à un vrai travail d'enquête, à des visites domiciliaires, l'équivalent des perquisitions, bref, à la mise en oeuvre de tous les instruments de l'enquête douanière.
Ainsi, Monsieur Reichardt, nous avons eu récemment, dans la région de Mulhouse, beaucoup de dossiers de trafic de déchets. Bien sûr, nous travaillons en lien avec les services du ministère de la transition écologique pour faire ce travail de qualification de la réglementation applicable et d'analyse des échantillons.
En ce qui concerne la territorialisation de notre action, les services douaniers sont extrêmement différents, même s'il y a une très grande homogénéité d'organisation. L'activité est profondément liée à ce que les douaniers ont historiquement appelé la « penthière », c'est-à-dire le territoire qu'ils ont à couvrir. Par exemple, à la frontière pyrénéenne avec l'Espagne, l'activité est orientée vers des problématiques de trafic routier de cannabis et de cocaïne, puisque la cocaïne circule maintenant de plus en plus par voie routière, sans doute parce que l'action dans les ports se renforce. On est aussi confronté là-bas à la problématique du trafic de migrants. Avec les Pays-Bas, ce sont les drogues de synthèse. Dans les Antilles, les sujets de préoccupation sont bien évidemment différents. En résumé, l'activité de la douane est profondément liée à la géographie et aux types de flux. La territorialisation de notre action s'effectue en partenariat avec les services préfectoraux et les États frontaliers.
En matière de fraude sociale, nous avons des compétences non pas directes, mais indirectes, notre compétence généraliste sur les fraudes financières nous permettant d'intercepter des flux d'argent liquide, de cryptomonnaies, de valeurs en général, qui peuvent être des flux de blanchiment de la fraude sociale.
Mme Corinne Cléostrate, sous-directrice des affaires juridiques et de la lutte contre la fraude à la DGDDI. - Nous sommes acteurs du contrôle des déchets, que ce soit à l'importation ou à l'exportation, en particulier vers des pays d'Afrique ou d'Asie du Sud-Est. Les ports du Havre et de Marseille sont très en pointe à cet égard.
Nous travaillons en étroite relation avec le pôle national des transferts transfrontaliers de déchets, qui dépend du ministère de la transition écologique. Il constitue notre référence en matière réglementaire pour interpréter les textes, mais aussi pour former les douaniers. Nous faisons régulièrement des formations avec ce pôle national et nous travaillons dans le cadre d'un plan d'inspection, qui est d'ailleurs en ligne sur internet.
La réglementation repose sur le code de l'environnement et, plus largement, sur une réglementation communautaire qui est d'ailleurs en cours de révision et sur laquelle nous sommes amenés à être consultés.
J'évoquerai la criminalité environnementale dans son ensemble, avec notamment le trafic d'espèces protégées. Je pense aux civelles, dont le trafic représente des flux financiers très importants et implique des réseaux criminels très organisés.
La douane a engagé un travail de structuration de son action, qui se matérialisera dans la prochaine démarche stratégique, afin de mieux appréhender ces phénomènes criminels d'un genre nouveau qui procurent d'importants gains financiers. Mais nous rencontrons déjà des succès. Ainsi, un important trafic de pots catalytiques avec l'Allemagne vient d'être démantelé à partir d'un simple contrôle de douane ayant permis de mettre la main sur de fortes sommes en argent liquide. Notre moyen d'action le plus efficace consiste toujours à traquer les flux financiers illégaux.
M. Louis-Jean de Nicolaÿ. - Comment les effectifs sont-ils répartis ?
M. Florian Colas. - La douane compte 16 500 agents : 650 sont au siège et tout le reste est réparti dans le réseau, avec une forte implantation près des frontières, des plateformes portuaires, des grandes plateformes aéroportuaires franciliennes et aux Antilles.
Le réseau est beaucoup plus resserré au coeur du territoire, avec des brigades de sécurité intérieure qui maillent les grands axes et une implantation liée également à la mission viticole spécifique de la douane.
Mme Christine Lavarde. - Avec la création du marché unique, on aurait pu penser qu'il n'y aurait plus besoin de contrôler les produits venant d'un autre État de l'Union européenne, et pourtant...
Que va apporter la création d'une autorité douanière européenne ? S'agit-il d'unifier les procédures ou de créer un véritable système douanier aux frontières extérieures ?
Vous avez aussi évoqué le mécanisme d'ajustement carbone aux frontières (MACF), qui va poser des difficultés de mise en oeuvre. Je ne pense pas que les services de la douane iront faire le bilan carbone de chaque produit qui entre. Qu'est-ce que vous entendiez par difficultés ? Rencontrez-vous des problèmes techniques ou des difficultés d'harmonisation des législations européennes ?
M. Florian Colas. - C'est un défi opérationnel. Pour l'application de réglementations non douanières en général - il y en a 350 -, nous vérifions au moment du dédouanement l'existence d'un certain nombre de certificats de conformité.
Avec le MACF, effectivement, ce n'est pas nous qui allons directement calculer l'empreinte carbone, mais nous devrons vérifier que le calcul a été fait correctement et que l'entreprise est capable de présenter un certificat pour ce faire. Cela paraît simple, mais la réalité est un tout petit peu plus complexe, parce que nous devrons être en mesure de répondre aux questions de premier niveau des opérateurs, sans être obligés de les renvoyer systématiquement à la direction générale de l'énergie. Cela implique une montée en compétences pour nos agents.
L'autorité douanière européenne aura deux avantages.
D'une part, elle nous aidera à mieux lutter contre la minoration de valeur dans l'e-commerce, un enjeu fiscal important pour les ressources de l'Union européenne et celles des États membres - je pense à la TVA. Aujourd'hui, cette action est entravée par notre difficulté à avoir une vision claire des chaînes logistiques. De la même façon, nous ne connaissons pas la chaîne complète du contrôle d'un conteneur arrivant en France après avoir été débarqué dans un autre État de l'Union.
D'autre part, cette coopération va nous permettre de mieux lutter contre les trafics, en améliorant la coordination des contrôles et notre capacité à reconstituer les circuits logistiques.
Mme Pascale Gruny. - Ma question porte sur la coordination du travail des douanes avec celui des forces de l'ordre. L'an dernier, je me suis rendue au péage de Senlis pour observer le travail des douanes. Les agents, après avoir intercepté une camionnette transportant du tabac, m'expliquaient ne pas savoir quelle suite serait donnée à cette affaire une fois que les trafiquants auraient été remis entre les mains des forces de l'ordre. Quid également de la coopération avec les services belges ?
M. Florian Colas. - Ce sujet, essentiel, me tient particulièrement à coeur. Aujourd'hui, les cadres juridiques d'intervention des administrations sont très segmentés et très étanches. Effectivement, le champ d'action de la douane est très circonscrit : c'est l'entrée ou la circulation sur le territoire de marchandises. En résumé, la découverte douanière clôt l'action de la douane : procès-verbal de constatation, saisie de la marchandise, éventuellement placement en retenue des personnes avant le passage possible à une phase judiciaire. Auquel cas, les règles de la procédure judiciaire s'imposent, dont le secret de l'enquête, ce qui limite la possibilité pour nous d'avoir des retours et de coopérer davantage dans la suite de l'enquête.
Cette distinction est très française et on la retrouve assez peu à l'étranger, où l'on considère que, les services de l'État oeuvrant tous dans le même sens et dans un cadre juridique défini, leurs actions peuvent se superposer et se compléter.
Ce n'est pas que nous voulions nous détacher de notre coeur de mission ; l'idée est simplement de savoir ce qu'il advient des investigations que nous menons. Cela nous permettrait d'en tirer des conséquences, en orientant et en ciblant mieux nos contrôles.
La coopération entre les différentes douanes européennes soulève des questions. Quel doit en être le cadre juridique ? Il existe des conventions, certes, mais on se heurte à la disparité des pouvoirs d'administration douanière. L'administration partenaire dispose-t-elle des mêmes pouvoirs que ceux dont nous disposons ? Ce n'est pas toujours le cas. Il faut donc pouvoir se tourner vers le bon partenaire. Certaines situations requièrent l'intervention d'un magistrat, ce qui n'est pas le cas en France, et inversement. Il faut donc gérer cette diversité des procédures et des cadres juridiques. En définitive, les choses fonctionnent mieux qu'on pourrait le croire, grâce à ces partenariats, mais, je le répète, la multiplicité des cadres juridiques et leur segmentation aux niveaux nationaux et européen tend à entraver cette coopération.
M. Jean-François Rapin, président. - Avec le recul dont on dispose, quel bilan peut-on tirer du Brexit et du rétablissement de la frontière entre l'Union européenne et le Royaume-Uni ?
Pouvez-vous nous dire un mot des contrôles phytosanitaires dans le cadre des accords commerciaux ? Nous en avons débattu ici au sujet de l'accord de libre-échange entre l'UE et le Canada (Ceta).
Quelle réflexion vous inspire le futur élargissement de l'Union européenne, étant entendu que certains futurs possibles États membres pourraient, en tant qu'exportateurs de produits agroalimentaires, nous poser des problèmes, notamment phytosanitaires ?
M. Florian Colas. - À la suite du Brexit a été rapidement mis en place le système d'information Brexit, que l'on a appelé la « frontière intelligente », interconnexion des systèmes informatiques des opérateurs et de la douane. Grâce à cela, les camions passent la frontière sans formalité, aiguillés soit vers un circuit vert soit vers un circuit rouge. Ce dernier circuit représentant environ 10 % du flux, cela signifie que 90 % des camions voient leur passage automatiquement validé.
Ce système fonctionne donc bien. Aujourd'hui, l'enjeu consiste à le perfectionner et à y intégrer un volet antifraude plus important. Je constate à cet égard que les évolutions du système de dédouanement européen envisagées dans le projet de réforme de l'union douanière s'inspirent très fortement de cette mécanique de communication automatique, sans déclaration, entre les systèmes d'information des opérateurs et les systèmes d'information de la douane.
Nous avons très fortement musclé notre dispositif aux points de passage avec le Royaume-Uni pour assurer un très haut niveau de service aux opérateurs et aux usagers afin d'atténuer les conséquences du Brexit. La France est le principal point de passage du commerce européen avec le Royaume-Uni. Et comme nos échanges avec ce pays sont très largement excédentaires, les enjeux douaniers se manifestent plus à l'export qu'à l'import. Sachez que près de la moitié des camions repartent à vide du Royaume-Uni, faute de marchandises à charger.
M. Jean-François Rapin, président. - C'est pour cette raison que cela coince parfois avec les douanes britanniques, qui ne sont pas en capacité de gérer le flux.
M. Florian Colas. - Quand je parle d'un haut niveau de service, cela signifie que nos services travaillent vingt-quatre heures sur vingt-quatre et sept jours sur sept. Un chiffre : nous traitons chaque année 3,4 millions de passages de camion, dans les deux sens.
Concernant les contrôles sanitaires, nous intervenons à deux titres.
Nous vérifions systématiquement la conformité d'un certain nombre de produits aux certificats requis lors de leur dédouanement. Il s'agit d'un contrôle documentaire, et non pas physique. Par exemple, pour faire entrer des produits de la pêche, il faut présenter un certificat de capture.
Ensuite, nous contrôlons physiquement les denrées alimentaires d'origine non animale, la direction générale de l'alimentation (DGAL) étant chargée du contrôle des denrées animales. Cette mission était auparavant assurée par la direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF). Ce transfert est logique, puisque le contrôle exercé par les douanes se fait avant le dédouanement, avant l'entrée sur le territoire. La DGCCRF, quant à elle, intervient plus en aval, au moment de l'entrée de ces produits dans les circuits de consommation.
Les taux de contrôle par couple pays-produits sont fixés par la Commission européenne, en fonction du niveau de risque.
Concernant l'élargissement, nous avons déjà des coopérations douanières avec les pays engagés dans le processus d'intégration, notamment l'Ukraine, la Moldavie, la Géorgie, les pays des Balkans occidentaux, l'Albanie et la Turquie.
M. Jean-François Rapin, président. - Sous forme d'accords interétatiques ou bien sous la forme d'un accord entre l'Union européenne et ces États ?
M. Florian Colas. - C'est une convention paneuro-méditerranéenne.
En outre, nous avons passé des conventions de transit, outil commun aux membres de l'Union européenne, et adopté des mesures spécifiques en faveur de l'Ukraine. Nous menons aussi des actions de coopération technique avec un certain nombre de pays.
Les enjeux douaniers sont très importants dans la plupart de ces pays, qui, pour certains, sont des lieux de trafics en tout genre - armes, stupéfiants, tabac, produits pétroliers, contrefaçons... Les enjeux avec la Turquie sont également très importants. Citons aussi la volonté de certains acteurs de contourner les sanctions adoptées par l'Union européenne, notamment à l'encontre de la Russie.
Du fait de ces enjeux douaniers, nous avons besoin de coopérer avec ces États. Et le processus en cours renforce cette pression à la coopération, ce qui est souhaitable et nécessaire, et favorise l'appropriation de nos standards par les administrations partenaires de ces pays.
M. Jean-François Rapin, président. - Avez-vous des relations directes avec Frontex ?
M. Florian Colas. - Non seulement nous avons des relations directes avec Frontex, mais nous sommes contributeurs à Frontex. Ainsi, nous participons à la mission européenne de protection des frontières, plusieurs de nos agents y étant affectés, et ce depuis plusieurs années - une dizaine d'agents cette année. De même, nous mettons à disposition de Frontex des moyens maritimes et aériens, en contrepartie du financement partiel par cette agence de ces moyens. Régulièrement, certains de nos bateaux et avions sont envoyés en mission Frontex en Méditerranée pour des missions de sauvetage en mer et de recherche de migrants, mais aussi en Manche-mer du Nord, ainsi qu'en mer Baltique.
M. Jean-François Rapin, président. - Je vous remercie, Monsieur le Directeur général. En dépit de toutes ces coopérations qui existent au niveau européen, on ne peut quand même que s'étonner que la coordination européenne des douanes arrive si tard.
Cette audition a fait l'objet d'une captation vidéo disponible sur le site internet du Sénat.
La réunion est close à 14 h 45.
Jeudi 20 juin 2024
- Présidence de M. Jean-François Rapin, président -
La réunion est ouverte à 9 h 25.
Justice et affaires intérieures - Sapeurs-pompiers volontaires, reconnaissance de la spécificité de leur engagement et renforcement du dispositif européen de protection civile - Examen de l'avis politique et du rapport sur la proposition de résolution européenne
M. Jean-François Rapin, président. - Nous examinons ce matin la proposition de résolution européenne n° 608 déposée par notre collègue Cyril Pellevat, le 21 mai dernier, visant à reconnaître la spécificité de l'engagement des sapeurs-pompiers volontaires et à renforcer le dispositif européen de protection civile.
Conformément au règlement du Sénat, notre commission disposait d'un mois pour examiner ce texte : c'est pourquoi il nous fallait maintenir ce point à l'ordre du jour, malgré les événements politiques qui ont suivi les élections européennes et qui nous ont précipités dans une campagne législative mobilisant nombre de nos collègues sur le terrain.
L'enjeu du volontariat des sapeurs-pompiers est important. Notre commission en a pris la mesure il y a déjà six ans, dès que la Cour de justice de l'Union européenne (CJUE) a rendu, en février 2018, son arrêt « Ville de Nivelles contre Rudy Matzak » - dit arrêt Matzak -assimilant un sapeur-pompier volontaire à un « travailleur », au sens de la directive 2003-88-CE du 4 novembre 2003 concernant certains aspects de l'aménagement du temps de travail.
Notre commission avait alerté sur les conséquences négatives de cet arrêt, comme elle l'a fait par la suite, en 2021, sur l'arrêt « Ministrvo za obrambo » relatif au temps de travail des militaires. Concernant le volontariat des sapeurs-pompiers, dès novembre 2018, elle avait adopté un avis politique sur le rapport de Jacques Bigot et André Reichardt, dont je salue l'investissement sur le sujet.
C'est aujourd'hui Cyril Pellevat qui sonne l'alarme, car rien n'a été fait depuis pour sécuriser le volontariat des sapeurs-pompiers. Avec Gisèle Jourda, ils ont mené des auditions afin de nous éclairer sur l'évolution de la situation depuis six ans et confirmer la nécessité d'obtenir des garanties fermes pour faire reconnaître la spécificité de l'engagement des sapeurs-pompiers volontaires et renforcer le dispositif européen de protection civile.
Malheureusement, Gisèle Jourda est retenue dans sa circonscription ce matin, mais elle a confié à Cyril Pellevat le soin de présenter leur rapport.
M. Cyril Pellevat, rapporteur. - Je vous prie effectivement de bien vouloir excuser Gisèle Jourda, qui n'a pu se libérer en raison d'impératifs locaux. Je tiens aussi à saluer notre collègue André Reichardt pour le travail qu'il a accompli sur ce dossier en 2018.
Je commencerai par préciser le contexte dans lequel s'inscrit la proposition de résolution européenne que j'ai déposée le 21 mai dernier.
La notion de sécurité civile est une déclinaison de la notion de sécurité intérieure. Elle a pour objet de protéger la population contre les catastrophes naturelles et d'origine humaine. À l'échelon européen, on utilise plutôt le terme de « protection civile », mais le sens est le même.
En France, la sécurité civile est une compétence régalienne. Comme le rappelle la loi du 13 août 2004 de modernisation de la sécurité civile, « l'État est garant de la cohérence de la sécurité civile au plan national ».
Pour des raisons historiques et pratiques, cette compétence est largement décentralisée. Certes, ce sont les préfets qui coordonnent la réponse aux crises importantes et c'est l'État qui possède des moyens contre des risques complexes ou de grande ampleur. Toutefois, le maire reste la première autorité à diriger les opérations de secours sur sa commune. Il doit par exemple élaborer un plan communal de sauvegarde (PCS) dans les communes à risques.
Par ailleurs, les principaux acteurs de la réponse aux catastrophes sont les services départementaux d'incendie et de secours (Sdis), composés de sapeurs-pompiers professionnels et volontaires. Ces services sont financés à titre principal par les conseils départementaux, à hauteur de 55 %, et par les communes ou les établissements publics de coopération intercommunale (EPCI).
Enfin, les traités donnent à l'Union européenne une compétence d'appui aux États membres en matière de prévention des risques, de préparation aux catastrophes et de réponse aux crises de protection civile. Cette compétence repose sur l'article 196 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne (TFUE), précisant que les mesures prises par l'Union européenne excluent « toute harmonisation des dispositions législatives et réglementaires des États membres ».
Soulignons aussi que, en vertu de l'article 222 du TFUE, les États membres sont liés par une « clause de solidarité » applicable en cas de catastrophe naturelle comme en cas d'attaque terroriste.
Comme l'a confirmé le directeur général de la sécurité civile et de la gestion des crises (DGSCGC), Julien Marion, le modèle français de sécurité civile est, à l'heure actuelle, une référence européenne et même mondiale. Cet été encore, 226 sapeurs-pompiers de différents États membres viendront se former aux techniques françaises de lutte contre les feux. Mais ce modèle, fondé sur la loi du 3 mai 1996 relative aux services d'incendie et de secours et la loi de modernisation de la sécurité civile, est désormais sous tension, ce pour deux raisons.
La première source de tensions est liée au fait que les Sdis connaissent une augmentation très importante du nombre de leurs interventions. Ainsi, en 2023, les sapeurs-pompiers ont reçu 16,6 millions d'appels au 18 ou au 112 - le numéro d'appel européen - et ont effectué 4,68 millions d'interventions. Dans 84 % des cas, ces dernières concernaient le secours aux personnes.
Deux explications majeures peuvent être apportées à l'augmentation de l'intervention des Sdis. Tout d'abord, nous commençons à subir les conséquences du dérèglement climatique, qui multiplie les catastrophes naturelles, les rend plus violentes et étend leur zone géographique. On peut rappeler à cet égard les feux de l'été 2022, qui ont brûlé 72 000 hectares en Gironde, dans le Maine-et-Loire et en Bretagne. Citons aussi la très longue période d'inondations vécue par le Pas-de-Calais à l'automne 2023 et au début de l'année 2024, sur laquelle le président Rapin et notre collègue Jean-Yves Roux mènent une mission d'information.
Ensuite, l'augmentation des interventions des sapeurs-pompiers est liée à la fragilité territoriale de notre système de santé. En effet, 30 % des Français vivent dans un désert médical, ce qui compromet leurs chances de guérison en cas de maladie ou de blessure. Les sapeurs-pompiers compensent souvent ces lacunes. Ainsi, 17 % des sorties des sapeurs-pompiers s'effectuent en remplacement d'ambulances qui ne sont pas disponibles : ce sont les « carences ambulancières ».
J'en viens à la seconde source de tensions. En raison du grand nombre d'interventions des Sdis, mais aussi de la croissance de leurs frais de fonctionnement, leurs dépenses ont presque doublé en vingt ans, passant de 3,2 milliards d'euros en 2002 à 5,39 milliards d'euros en 2021. En conséquence, le système est à bout de souffle. Sans ressources nouvelles ni mutualisation des moyens, la sécurité civile serait fragilisée.
Voilà pourquoi le ministre de l'intérieur a convoqué l'ensemble des acteurs concernés, le 23 avril dernier, à un « Beauvau de la sécurité civile », pour partager un bilan et réfléchir à la sécurité civile de demain. Cela pourrait conduire à la présentation d'une nouvelle loi-cadre en 2025.
Parmi les lignes rouges de cette réflexion figure la nécessité de préserver le volontariat de la sécurité civile. Cette préservation est le premier objectif de la proposition de résolution européenne soumise à votre examen.
Les sapeurs-pompiers volontaires sont indispensables pour la sécurité civile et constituent un exemple pour notre société. Ce sont des citoyens comme vous et moi qui, en plus de leur activité professionnelle, décident de donner de leur temps pour prêter main-forte aux sapeurs-pompiers professionnels dans leurs missions de sécurité civile. Disons-le clairement, sans volontaires, notre sécurité civile ne tiendrait pas : au nombre de 197 800, ils représentent près de 79 % des effectifs de sapeurs-pompiers et assurent 67 % des interventions des Sdis.
Or leur situation est devenue incertaine depuis l'arrêt Matzak, rendu par la CJUE le 21 février 2018. À l'origine de ce contentieux, un sapeur-pompier volontaire belge souhaitait être rémunéré par un salaire versé par son service d'incendie et de secours en contrepartie des gardes qu'il effectuait. La CJUE a considéré qu'un sapeur-pompier volontaire pouvait être considéré comme un « travailleur » au sens de la directive 2003-88-CE. Elle a aussi affirmé que le temps de garde d'un sapeur-pompier volontaire était du temps de travail et qu'il devait donc être rémunéré comme tel.
Cet arrêt a provoqué, en France, un choc juridique, politique et existentiel.
Juridique d'abord, car la France est à l'origine de la directive de 2003, qu'il faut saluer dans son principe car elle tend à mieux protéger la sécurité et la santé des travailleurs -, et elle n'a pourtant jamais envisagé de l'appliquer aux sapeurs-pompiers volontaires.
Au contraire, l'article L. 723-5 du code de la sécurité intérieure prévoit que « l'activité de sapeur-pompier volontaire, qui repose sur le volontariat et le bénévolat, n'est pas exercée à titre professionnel mais dans des conditions qui lui sont propres ».
La protection de la sécurité et de la santé des sapeurs-pompiers volontaires est prioritaire mais elle ne devrait pas être régie par la directive de 2003, ces volontaires n'étant ni des salariés ni des agents de la fonction publique. Ce sont des citoyens qui, librement, se mettent à disposition de services de secours pour des interventions et des gardes.
Le choc fut ensuite politique, car, comme le relevait la mission pour la relance du volontariat, confiée en 2018 à notre ancienne collègue Catherine Troendlé par Gérard Collomb, alors ministre de l'intérieur, une telle assimilation constituerait « un biais important dans l'engagement altruiste » des sapeurs-pompiers volontaires. En outre, elle « entraînerait une augmentation considérable des dépenses, en raison des rémunérations et de la compensation des temps de repos par des rotations plus sévères entre les sapeurs-pompiers » et aurait pour conséquence « une diminution des effectifs et du maillage territorial, c'est-à-dire une profonde dégradation de la réponse des secours ».
C'est pourquoi, dans son avis politique du 15 novembre 2018, sur le rapport de nos collègues Jacques Bigot et André Reichardt, notre commission constatait que l'arrêt Matzak menaçait la pérennité du dispositif français de sécurité civile. Elle demandait donc à la Commission européenne de prendre une initiative pour modifier la directive de 2003, afin que celle-ci prévoie une dérogation pour les volontaires.
Depuis, la CJUE a également reconnu que les militaires pouvaient, eux aussi, être assimilés à des « travailleurs ». Toutefois, au sujet des sapeurs-pompiers volontaires, elle a paru vouloir limiter l'effet utile de l'arrêt Matzak dans deux nouveaux arrêts rendus en 2021.
Enfin, l'arrêt de la CJUE a constitué un choc existentiel pour les sapeurs-pompiers, en les interrogeant sur l'objet et sur le sens de leur mission.
Ce dossier demeure sensible car, en France, les juridictions rendent des décisions contradictoires, reconnaissant parfois les sapeurs-pompiers volontaires comme des « travailleurs », ou rejetant au contraire cette assimilation.
M. Julien Marion a réaffirmé la position du Gouvernement, qui réfute toute assimilation entre volontaires et « travailleurs ». Il a exprimé un optimisme prudent en rappelant que les autorités françaises avaient obtenu un soutien au volontariat des sapeurs-pompiers dans les conclusions du Conseil de l'Union européenne de mars 2022, sous présidence française.
Il a cependant confirmé que le ministère travaillait, en pratique, à abriter les sapeurs-pompiers volontaires de l'application de la directive 2003-88-CE, en particulier en limitant leurs temps de garde.
La situation est donc fragile et l'avenir des sapeurs-pompiers volontaires ne peut dépendre simplement de décisions judiciaires contradictoires. Voilà pourquoi, au travers de la présente proposition de résolution européenne, nous demandons à la Commission européenne de présenter une directive spécifique portant reconnaissance de l'engagement volontaire et bénévole, afin de le préserver de la directive de 2003.
Un tel texte permettrait aussi de protéger les 100 000 Français membres des associations de sécurité civile, telles que la Croix-Rouge française ou la Société nationale de sauvetage en mer (SNSM).
Le second objet de la proposition de résolution européenne est le renforcement de la coopération européenne dans le domaine de la protection civile.
Les vingt-sept États membres et dix autres pays partenaires participent au mécanisme européen de protection civile (MPCU) de l'Union européenne. Au travers de la présente proposition de résolution, nous saluons le bilan positif de ce mécanisme et souhaitons son approfondissement. Le MPCU, placé sous l'autorité de la Commission européenne, est en effet un succès qui complète utilement l'action des États membres.
Il repose sur plusieurs instruments, dont le Centre de coordination de la réaction d'urgence (Emergency Response Coordination Centre (ERCC)) - -, que j'ai pu visiter à Bruxelles. Le Mécanisme comprend aussi des outils de prévention des risques, comme les cartes satellitaires du système Copernicus, qui aident à anticiper les tempêtes ou à évaluer les risques d'inondations. Il peut aussi être sollicité en cas de catastrophe par un État membre, un pays tiers ou une organisation internationale, en vue de soutenir une opération de protection civile ou apporter de l'aide humanitaire.
Le MPCU comprend également une réserve européenne de protection civile, qui recense et met en oeuvre les équipes de secours, les experts ou les équipements de protection civile que les États membres mettent à disposition de l'Union européenne, par exemple pour éteindre un feu de forêt ou désincarcérer des personnes enfouies à la suite d'un tremblement de terre.
Et lorsque les moyens de l'État touchés par une catastrophe, complétés par ceux de la réserve, sont insuffisants, l'Union européenne peut alors déployer aussi ceux du dispositif RescEU, tels que les hôpitaux de campagne, les pompes à eau ou les avions bombardiers d'eau.
Enfin, le MPCU inclut un Réseau européen de connaissance en protection civile, qui prévoit un programme de formations et d'exercices.
La France est très satisfaite de ce mécanisme, dont elle est le premier contributeur. En effet, il a su être l'expression de la solidarité européenne, par exemple, en Turquie, lors du séisme de 2023, en Ukraine et au sein même de l'Union européenne.
À l'heure actuelle, ces moyens aident Chypre à lutter contre d'éventuels feux de forêt. Ils ont aussi récemment profité à la France. Lors de l'été 2022, les moyens français étaient à la limite de la rupture face aux multiples feux de forêt, lesquels ont pu être maîtrisés grâce aux renforts européens, dont deux bombardiers d'eau. Cette année, plusieurs pompes à eau de grande dimension ont été déployées dans le Pas-de-Calais pour lutter contre les inondations.
Enfin, signalons que le dispositif RescEU permet aussi aux États membres d'acquérir de nouveaux moyens de protection civile par des achats communs. La France, qui souhaite faire passer sa flotte aérienne de bombardiers d'eau de douze à seize Canadair, acquerra deux d'entre eux au travers du dispositif RescEU. En pratique, c'est l'Union européenne qui les paiera. En contrepartie, la France mettra ces appareils à disposition en cas d'opérations de secours décidées dans le cadre du MPCU.
Sur ce point, nous appelons la France et l'Union européenne à respecter leurs engagements, car la production de Canadair, arrêtée depuis 2015, n'a toujours pas redémarré. Nous prenons acte des logiques capacitaires qui ont présidé au choix de se fournir de nouveau en Canadair. Toutefois, nous demandons que, à moyen terme, nos autorités favorisent la production d'un avion bombardier d'eau français et européen. Les projets existent, chez Airbus notamment, mais encore faut-il les encourager.
Plus généralement, la proposition de résolution européenne soumise à votre examen recommande de renforcer le MPCU, afin que les États membres puissent relever les défis posés par le dérèglement climatique. À cet égard, elle s'appuie sur les conclusions du Conseil de l'Union européenne de mars 2022.
Rien qu'en France, plus de 18 millions d'habitants et 11,5 millions de logements sont exposés au risque d'inondations. Ainsi, la fonction de coordination et de réserve de logistique et de transport attribuée au MPCU depuis 2021, qui fait ses preuves en Ukraine, mériterait d'être confortée.
De même, nous rappelons dans la proposition de résolution que les financements européens attribués à la protection civile devront être nécessairement adaptés dans le prochain cadre financier pluriannuel (CFP).
En outre, nous demandons à la Commission européenne d'établir un rapport évaluant les possibilités actuelles d'utilisation du MPCU dans les régions ultrapériphériques (RUP) et examinant l'intégration sans condition de ces régions dans son champ de compétences. Cinq départements français seraient ainsi concernés, à savoir la Guadeloupe, la Guyane française, La Réunion, la Martinique et Mayotte, ainsi qu'une collectivité d'outre-mer, Saint-Martin. Ces territoires sont en effet régulièrement touchés par des cyclones, des tempêtes tropicales, des séismes et des éruptions volcaniques.
En revanche, nous vous proposons de marquer notre nette opposition à une dénaturation du MPCU en outil de « défense totale », concept mis en oeuvre dans les pays nordiques qui repose sur un continuum permanent entre le militaire et le civil pour protéger la population d'une attaque militaire extérieure.
Ce sujet fait déjà l'objet d'une réflexion avancée dans les pays scandinaves et baltes, mais aussi au sein de la Commission européenne. Ursula von der Leyen a ainsi confié un rapport prospectif sur ce sujet à l'ancien Président de la République de Finlande, Sauli Niinistö, qui est un ardent partisan de cette « défense totale ». Mme Von der Leyen envisage aussi de désigner un vice-président de la Commission européenne chargé de la gestion des crises.
Nous nous refusons cette évolution pour trois raisons. D'abord, elle est incompatible avec les traités européens actuels, qui confient la gestion des crises aux États membres, avec un appui de l'Union européenne. Ensuite, une centralisation excessive paralyserait l'efficacité opérationnelle des secours. Enfin, une telle décision politique conduirait à ce que les outils et financements du MPCU soient consacrés à d'autres priorités que la lutte contre les catastrophes naturelles.
La présente proposition de résolution européenne préconise en dernier lieu la mise en place d'un « Erasmus de la protection civile », afin d'harmoniser les formations et les doctrines opérationnelles des acteurs de la protection civile. Des échanges ont déjà lieu, mais il faut leur assurer régularité et visibilité et y allouer des moyens budgétaires.
Il ne s'agit pas de partir de rien : le Réseau européen de connaissance en protection civile et l'École nationale supérieure des officiers de sapeurs-pompiers (Ensosp) pourront être mis à contribution.
M. Jean-François Rapin, président. - Gisèle Jourda étant absente aujourd'hui, je souhaiterais m'assurer qu'elle partage ces propositions.
M. Cyril Pellevat, rapporteur. - C'est bien le cas, monsieur le président. La proposition de résolution européenne modifiée est issue de nos réflexions communes.
M. André Reichardt. - Ayant été corédacteur d'un rapport sur la même thématique il y a quelques années, j'approuve le contenu des évolutions qui nous sont proposées.
Je tiens aussi à rendre hommage à nos anciens collègues Jacques Bigot et Catherine Troendlé, laquelle s'est montrée particulièrement active pour défendre les sapeurs-pompiers volontaires. Elle continue d'ailleurs de s'investir dans cette cause, bien qu'elle n'ait plus de « casquette sénatoriale ».
Il est temps que la Commission européenne prenne une directive pour mettre enfin un terme aux contradictions judiciaires insupportables entraînées par l'arrêt Matzak, sans quoi le volontariat dans notre pays est voué à être déstructuré, au-delà des sapeurs-pompiers.
En outre, les rapporteurs ont raison de s'opposer à une transformation des dispositifs prévus pour la lutte contre le dérèglement climatique en une défense civile européenne.
M. Jacques Fernique. - Je comprends la nécessité de protéger le statut de sapeurs-pompiers volontaires. Dans cette perspective, comment éviter un jeu de vases communicants entre pompiers volontaires et professionnels ? Il ne faudrait pas que la préservation du volontariat contribue à dégrader les ressources et les moyens des agents professionnels.
Mme Florence Blatrix Contat. - Nous apportons tout notre soutien à cette proposition de résolution. En effet, il n'a pas été donné suite à l'arrêt Matzak, et il est temps que la Commission européenne s'empare de ce sujet.
Notre modèle de sécurité civile fonctionne parfaitement bien. Pour répondre à notre collègue Fernique, je veux confirmer que de nombreux départements augmentent les moyens des sapeurs-pompiers professionnels, mais que cela n'est pas suffisant. Nous avons aussi besoin des sapeurs-pompiers volontaires, qui constituent la grande majorité des sapeurs-pompiers et sont présents surtout dans les territoires ruraux. L'engagement reste important dans les temps que nous vivons.
Mme Pascale Gruny. - L'arrêt de la CJUE est très grave, car il nous conduirait à perdre 60 % des pompiers volontaires, qui ont tous un travail à côté de leurs missions de protection civile. Or, leur contrat de trente-cinq heures par semaine ne permet pas d'accomplir dix heures supplémentaires dans le cadre d'un emploi complémentaire de sapeur-pompier. En outre, la directive européenne elle-même fixe des plafonds de durée de travail hebdomadaire.
Nous perdrions, à terme, toutes nos forces : les agents professionnels ayant vocation à assurer principalement des missions d'encadrement, il n'y aurait plus aucun pompier sur le terrain. Notre collègue Blatrix Contat a raison : il est essentiel de préserver les territoires ruraux, où il n'y a que des pompiers volontaires.
Je vous remercie sincèrement de vous emparer de ce sujet.
M. Jean-François Rapin, président. - Je rejoins les propos de Pascale Gruny. La directive 2003-88-CE prévoit une durée de travail maximale hebdomadaire de 48 heures. Veillons donc à ne pas accepter une réforme qui nous mettrait dans l'illégalité.
M. Cyril Pellevat, rapporteur. - Si la professionnalisation des volontaires devait s'imposer dans les termes de l'arrêt Matzak, elle menacerait une forme d'engagement civique que l'on retrouve aussi chez les membres de la Croix-Rouge française ou la Société nationale de sauvetage en mer (SNSM). De ce fait, certains volontaires arrêteraient leur engagement et se recentreraient sur leur métier, ce qui réduirait les effectifs de volontaires.
Une telle professionnalisation conduirait, en conséquence, à une perte du maillage territorial de la sécurité civile car, comme cela a été indiqué, ce sont les sapeurs-pompiers volontaires qui garantissent la permanence et la réactivité des centres de première intervention (CPI) et assurent la majorité des opérations de secours aux personnes.
Par ailleurs, il faut que la France et l'Union européenne renforcent leurs moyens de sécurité civile. Bien sûr, certains Sdis ont les moyens de procéder à l'acquisition de matériel et de véhicules, tels que des hélicoptères. Mais il est cohérent de nationaliser les moyens lourds, notamment aériens, tout ceci, afin de faire face efficacement aux nouvelles menaces du dérèglement climatique.
Lors de notre déplacement à Bruxelles, nous avons entendu que la France serait la seule à s'inquiéter de l'arrêt Matzak. Or, cela ne semble pas tout à fait exact. En effet, d'autres États membres, comme l'Allemagne, l'Autriche ou la Pologne, comptent une majorité de sapeurs-pompiers volontaires. D'ailleurs, à cet égard, le président de la Fédération nationale des sapeurs-pompiers de France (FNSPF) nous a précisé que les sapeurs-pompiers de 18 États membres s'étaient réunis à Paris, les 8 et 9 avril derniers, et avaient alors demandé la présentation d'une directive européenne spécifique pour préserver le volontariat.
Concernant l'évolution éventuelle du Mécanisme européen de protection civile, on constate la volonté claire de la présidente de la Commission européenne de modifier le dispositif européen de protection civile et, le cas échéant, de le militariser, afin de répondre aux demandes des pays baltes, de la Suède et de la Finlande. La feuille de route semble déjà tracée et exclure toute marge d'appréciation : le rapporteur choisi par elle est déjà acquis à cette évolution avec un adossement à l'Organisation du traité de l'Atlantique Nord (Otan). Les voix contradictoires, notamment celles des pays latins, ne sont pas entendues. Malgré tout, la France, l'Italie et l'Allemagne contestent le bien-fondé d'une telle initiative. Il faudra suivre attentivement ce dossier au cours des prochains mois.
M. Jean-François Rapin, président. - Le renforcement de la formation du public pour la gestion et la prévention des crises est un point intéressant. Pensons aux inondations qui ont frappé régulièrement notre pays : la culture du risque fait défaut depuis une vingtaine d'années dans notre pays. Une sécurité civile efficace passe par le rétablissement de cette culture chez nos concitoyens.
Par ailleurs, le dispositif mis en place pour l'obtention d'une aide financière européenne d'urgence en cas de catastrophes naturelles doit être pleinement revu. Le délai dans lequel cette aide doit être sollicitée est trop court : il est impossible à appliquer dans certains territoires, comme le Pas-de-Calais, où trois ou quatre événements climatiques peuvent parfois se succéder.
M. Cyril Pellevat, rapporteur. - Je veux ajouter une précision concernant le renouvellement de la flotte aérienne de la sécurité civile. La chaîne de production des Canadair va être relancée ; c'est une bonne chose, car les appareils en fonction sont aujourd'hui vétustes. Toutefois, cela pose la question de notre souveraineté, car les Canadiens disposent du monopole de leur production. Et ils attendent une commande ferme de 20 appareils pour relancer cette production. Plusieurs États membres, dont la France, ont indiqué vouloir acquérir des avions. La France a choisi cette option car cette réactivation de la ligne de production permettra de renouveler la flotte mais aussi de recréer des pièces arrivées à l'état d'usure, ce qui doit permettre d'augmenter la durée de vie des appareils existants.
Quant aux intentions d'Airbus, nous avons eu des informations contradictoires : à Bruxelles, nous avons entendu que la société n'était pas intéressée par un marché de « niche » si faible en nombre de commandes, mais la FNSPF a affirmé le contraire. Par ailleurs, d'autres initiatives françaises existent mais à l'état de projets. Il nous faudra donc rester vigilants sur ce dossier.
En pratique, dans ce dispositif, l'Union européenne achète des avions et les met à la disposition de la France, qui se charge ensuite de les entretenir et de les équiper. À cet égard, l'achat de matériel est un enjeu important. Certains États européens ne sont pas propriétaires de la majorité de leur flotte aérienne et ont contracté des leasings dont les prix augmentent de 30 % chaque année. En conséquence, ils ne peuvent plus payer les échéances et ne disposent plus d'appareils en nombre suffisant.
M. Jean-François Rapin, président. - Sur l'organisation matérielle des moyens mis au service de la lutte contre les feux de forêt, je précise que deux rapports intéressants ont été publiés au cours des dernières années par notre commission des finances, dans le cadre du contrôle budgétaire qu'elle exerce. On peut s'y référer utilement, en particulier au sujet du remplacement des pièces, du monopole canadien en la matière et de la difficulté que les Français ont à se rééquiper.
Je soumets maintenant aux voix les textes proposés à notre commission par les rapporteurs.
La commission a autorisé la publication du rapport et a adopté la proposition de résolution européenne ainsi modifiée, disponible en ligne sur le site du Sénat, ainsi que l'avis politique qui en reprend les termes et qui sera adressé à la Commission européenne.
Communication
M. Jean-François Rapin, président. - Je vous informe que l'examen de la proposition de résolution européenne sur l'action de l'Union européenne contre les pénuries de médicaments, envisagée par Mmes Cathy Apourceau-Poly, Pascale Gruny et M. Bernard Jomier, est reporté, avec leur accord, de juillet à septembre prochain.
La réunion est close à 10 h 00.