Mardi 18 juin 2024
- Présidence de M. Cédric Perrin, président de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées et de Mme Micheline Jacques, président -
La réunion est ouverte à 17 heures.
Environnement stratégique de Mayotte et de La Réunion - Audition du général de division M. François-Xavier Mabin, chef de la division « emploi des forces-protection » de l'état-major des armées
M. Cédric Perrin, président de la commission des affaires étrangères. - Mes chers collègues, nous sommes très heureux d'accueillir le général de division François-Xavier Mabin, chef de la division « emploi des forces-protection » de l'état-major des armées. Cette audition portant sur l'environnement stratégique de Mayotte et de La Réunion, et organisée conjointement avec la délégation sénatoriale aux outre-mer, clôt ainsi un cycle d'auditions sur le thème de la coopération et l'intégration régionales des outre-mer du bassin de l'océan Indien.
Chacun connaît l'enjeu que représente la zone indo-pacifique, qui génère aujourd'hui près de 40 % de la richesse globale et pourrait représenter plus de 50 % du PIB mondial en 2040. Il s'agit d'une région cruciale pour la production de richesses et pour les flux commerciaux, traversée d'enjeux géopolitiques majeurs.
Dans un rapport publié l'année dernière, notre commission a mis l'accent sur la nécessité de préciser la stratégie indo-pacifique de la France, jusqu'à présent trop générale, en la divisant selon quatre zones, ce qui permettrait notamment de mieux associer les pays concernés.
La première de ces zones serait précisément l'océan indien occidental, englobant La Réunion, Mayotte, les côtes africaines, les Terres australes et antarctiques françaises (TAAF), le nord-ouest de l'océan Indien, le Pakistan, et associant de façon secondaire l'Inde. Selon nous, dans cette vaste région, la France a un rôle de pourvoyeur de sécurité à jouer et une place particulière à tenir, car sa légitimité y est reconnue, notamment grâce à ses forces armées de la zone sud de l'océan Indien (Fazsoi), et à ses deux forces de présence, les forces françaises stationnées aux Émirats arabes unis (FFEAU) et les forces françaises stationnées à Djibouti (FFDJ).
Toutefois, les moyens militaires des forces de souveraineté nous semblent inadaptés aux caractéristiques de l'Indo-Pacifique et aux ambitions affichées de la stratégie française. Les personnels ont subi une forte attrition ; les matériels sont très vieillissants, surtout les hélicoptères ; les bases, notamment à La Réunion, doivent être rénovées. Pour les navires, d'importantes ruptures temporaires de capacité sont prévues jusqu'en 2025. Le porte-avions de nouvelle génération, les nouveaux patrouilleurs d'outre-mer (POM), les avions ravitailleurs et les moyens de renseignement sont autant d'autres sujets qui nous préoccupent.
Mon général, vous pourrez, sur votre périmètre de compétence, faire le point sur ces sujets ainsi que sur l'exécution de la loi de programmation militaire (LPM), mais aussi, compte tenu de ces contraintes sur les équipements et leur disponibilité, sur votre capacité à entraîner suffisamment nos militaires, dans le contexte actuel de montée des tensions.
Enfin, notre rapport avait également mis l'accent sur la nécessité de mieux associer nos territoires ultra-marins à notre stratégie ; cette audition en commun avec la délégation à l'outre-mer est aussi l'occasion d'aborder cette question.
Mme Micheline Jacques, président de la délégation sénatoriale aux outre-mer. - Je remercie vivement le président Cédric Perrin de nous avoir associés à cette audition qui vient clore notre cycle d'auditions sur le thème de la coopération et de l'intégration régionales des outre-mer du bassin de l'océan Indien.
En effet, depuis janvier, avec Christian Cambon en qualité de rapporteur coordonnateur, et Stéphane Demilly et Georges Patient en qualité de rapporteurs, nous menons des travaux sur les enjeux de la coopération régionale pour Mayotte, La Réunion et les TAAF en vue de renforcer leur insertion régionale, mais aussi de garantir leur sécurité face à des menaces croissantes. L'implication du président Cambon est importante compte tenu de sa connaissance de la politique étrangère française et des environnements stratégiques propres à chacun de nos outre-mer.
En plus des auditions, notre délégation s'est rendue en février à La Réunion et à Maurice, et en mai à Mayotte. À La Réunion, nous avons pu rencontrer le commandant des FAZSOI, le général Jean-Marc Giraud, qui nous a dressé un tableau géostratégique clair et saisissant de la zone sud-ouest de l'océan Indien. Pour reprendre ses termes, cette région « n'est plus à la périphérie des enjeux du monde ». Quatre raisons à cela : des contestations territoriales de plus en plus instrumentalisées ; une compétition militaire entre les grandes puissances ; des routes commerciales stratégiques, en particulier depuis la crise des Houthis en mer Rouge ; l'accumulation des menaces et risques : narcotrafics, pêche illégale, islam radical, sécheresse, immigration illégale...
Votre audition, général, est donc précieuse pour clore nos travaux et mesurer les enjeux de la coopération à l'aune des défis militaires plus larges de la région et de l'Indo-Pacifique.
À la suite de votre exposé liminaire, je souhaiterais avoir votre éclairage sur deux aspects. En premier lieu, nos déplacements ont fait apparaître une faiblesse de l'action de l'État en mer, alors même que notre pays se targue de détenir le deuxième espace maritime dans le monde. La maigreur des moyens radars ou de surveillance aérienne par drones ou avions a notamment été pointée avec une forte acuité. Partagez-vous cette analyse ?
En deuxième lieu, compte tenu du positionnement géographique de Mayotte au coeur du canal du Mozambique, pouvez-vous nous présenter l'état de la coopération dans le domaine militaire dans ce secteur et autour de Mayotte ? Le ministère des affaires étrangères a conclu en mars dernier un accord-cadre avec le département de Mayotte pour mieux l'associer à la définition de sa politique dans la zone. Ne peut-on pas imaginer une convention analogue entre les armées et le département de Mayotte ?
Enfin, à titre plus personnel, je souhaiterais avoir votre avis sur l'idée d'y créer une base navale militaire.
Général François-Xavier Mabin, chef de la division « emploi des forces-protection » de l'état-major des armées. - Les enjeux qui sous-tendent l'environnement stratégique de la zone sud de l'océan Indien, et plus particulièrement de Mayotte et de La Réunion, ont conduit les armées, dans le cadre des travaux de la LPM, à placer cette zone au premier rang de ses priorités. L'effort au profit de celle-ci s'inscrit dans la stratégie globale de la France et se situe à la convergence de la stratégie indo-pacifique, de la stratégie en Afrique et - dans une moindre mesure - de notre stratégie à l'égard du Proche-Orient et du Moyen-Orient. Cette démarche traduit aussi pleinement notre volonté de défendre notre souveraineté outre-mer.
Après une présentation des enjeux stratégiques, j'aborderai la manière dont le dispositif militaire s'articule afin d'y répondre. Pour ce qui est des enjeux stratégiques de la zone, un élément positif mérite d'être relevé au préalable : dans un monde où, comme l'a écrit le chef d'état-major des Armées, « la compétition entre les nations est devenue le mode normal d'expression de la puissance », la zone sud de l'océan Indien reste relativement préservée des grands désordres puisqu'aucun conflit ouvert n'y a cours. Pour autant, elle est confrontée à une série de défis affectant la stabilité régionale, dont les risques cycloniques, la pression migratoire, le narcotrafic ou encore la piraterie. S'y ajoute, sur la côte de l'Afrique australe, la propagation de l'islamisme radical, en particulier au nord du Mozambique.
Dans ce contexte, nous devons faire preuve de vigilance à l'égard des convoitises visant nos ressources, notamment autour des îles Éparses et des TAAF. Nous devons également être vigilants quant à l'influence de nos compétiteurs, en particulier celle qui est exercée par la Russie et par la Chine.
Afin de faire face à ces défis, la France doit disposer de forces suffisantes dans la zone et être en mesure de les renforcer si nécessaire, d'où la notion de « points d'appui » que nous avons développée dans le cadre de la LPM. La Réunion et Mayotte font figure de bases militaires sûres, car elles sont situées sur le territoire national : ces points d'appui ne sont soumis ni aux potentielles versatilités politiques d'Etats tiers, ni à des menaces directes que pourraient connaître nos forces prépositionnées à Djibouti ou aux Émirats arabes unis (EAU).
Ils se trouvent également sur une route maritime majeure qui accueille une part du trafic maritime international plus importante que par le passé en raison des menaces existant en mer Rouge. Cela renforce la position géostratégique de Mayotte et de La Réunion, qui constituent de facto une pièce majeure de notre stratégie indo-pacifique. Relativement excentrés, ces deux points d'appui nous fournissent une forme de profondeur stratégique essentielle vis-à-vis de nos compétiteurs majeurs et nous placent à bonne distance des éventuels conflits entre puissances : en cas de conflit ouvert dans le Pacifique, la zone sud de l'océan Indien pourrait assez naturellement procurer des facilités importantes en termes de soutien pour projeter des forces françaises ou alliées. La notion de points d'appui prendrait alors tout son sens pour accueillir, soutenir et régénérer ces forces. Enfin, ces points d'appui nous permettent d'intervenir dans la zone et dans sa périphérie afin de défendre nos intérêts stratégiques et notre souveraineté, de garantir la sécurité de nos ressortissants et d'intervenir au profit de nos partenaires dans la zone.
J'en viens à la coopération internationale, tout aussi essentielle à notre action. Au titre de sa stratégie indo-pacifique, la France souhaite contribuer à la stabilité régionale et s'assure en particulier d'un libre accès aux espaces communs. Nous avons besoin pour cela de nous appuyer sur des partenaires régionaux, dans une zone qui rassemble une douzaine de pays aux problématiques continentales et insulaires assez diversifiées.
Cette zone sud de l'océan Indien englobe un espace maritime immense, dont un cinquième de la surface est placé sous juridiction française, ce qui est considérable. Elle est considérée par l'Inde comme sa zone d'influence, la Chine et la Russie s'y intéressant de plus en plus, au prisme de l'influence. Cet espace est notamment structuré par la Commission de l'océan Indien (COI), dont la France fait partie au titre de La Réunion, mais aussi, pour la partie africaine, par la Communauté de développement de l'Afrique australe (SADC).
Si cette dernière zone est relativement stable en Afrique, elle est assez fortement soumise à l'influence de nos grands compétiteurs, à commencer par la Chine, qui y déploie une stratégie de captation des ressources de long terme accompagnée de programmes de coopération militaire assez puissamment soutenus. Depuis 2015, la Russie a quant à elle signé une série d'accords de coopération, notamment avec l'Afrique du Sud ; elle a récemment renforcé ses accords de coopération avec le Mozambique ; elle a enfin signé un accord de coopération militaire avec Madagascar en 2022.
Notre coopération régionale se décline en deux axes : d'une part, le renforcement de la coopération opérationnelle, qui vise à favoriser la montée en gamme des armées partenaires ; d'autre part, la lutte contre l'insécurité maritime, qui reste une préoccupation dans l'océan Indien. Dans ce domaine, l'appui de nos forces armées se concrétise par un soutien aux pays partenaires, mais également par un soutien apporté à des initiatives multilatérales telles que le Centre de fusion d'informations maritimes (CFIM) à Madagascar, qui a bénéficié d'une aide de la France et de l'Union européenne.
J'en viens désormais à la description plus détaillée de nos forces sur nos propres territoires. En matière de défense de notre souveraineté, la stratégie militaire mise en place par la France dans la zone sud de l'océan Indien peut être considérée comme un succès. Elle contribue à l'affirmation de notre souveraineté sur les îles Éparses et à la protection de nos zones économiques exclusives (ZEE) d'activités illicites telles que la pêche illégale, cette dernière ayant quasiment disparu.
La Réunion fait figure de pôle de stabilité, même s'il faut rester attentifs à des signaux faibles tels que l'importation de drogue depuis le sous-continent indien. La situation s'avère plus difficile à Mayotte, où l'État engage des moyens très importants. De manière générale, l'action des forces armées y est déjà très imbriquée avec l'action interministérielle : par exemple, la Marine nationale entretient des flottes d'intercepteurs de la gendarmerie et de la police aux frontières. Pour les armées, l'enjeu consiste bien à accompagner au mieux l'action interministérielle selon un équilibre qui est jusqu'à présent préservé, même si le détachement de Légion étrangère et la base navale de Mayotte sont fortement engagés au regard de leurs capacités. Le recours à des renforts temporaires en provenance de La Réunion pour faire face aux pics d'activité liés à des réquisitions préfectorales est quant à lui assez régulier.
Plus précisément, les FAZSOI sont à la tête d'une zone de responsabilité permanente (ZRP) immense qui représente 24 millions de kilomètres carrés, du Kenya jusqu'à l'Antarctique. Les espaces sous juridiction française abritent 1,3 million d'habitants, représentent plus du quart des ZEE françaises et comptent deux départements - Mayotte et La Réunion -, ainsi que neuf autres îles ou archipels.
Les FAZSOI sont commandées par le général Jean-Marc Giraud, qui exerce les fonctions de commandant supérieur et de commandant de la base de La Réunion. Commandant de la ZRP sud de l'océan Indien, il est également officier général de zone de défense et de sécurité, et il est aussi considéré comme un opérateur d'importance vitale. En résumé, le général Giraud dispose de l'intégralité des leviers de commandement et il est l'interlocuteur unique des autorités civiles, remplissant la fonction de conseiller militaire du préfet. Dans le domaine maritime, le général s'appuie sur son adjoint interarmées, un capitaine de vaisseau qui exerce la fonction de commandant de la zone maritime sud de l'océan Indien et qui soutient, par son action, les préfets de Mayotte et de La Réunion dans leurs fonctions de délégués du Gouvernement pour l'action de l'État en mer. Enfin, le chef d'état-major des FAZSOI, qui est un colonel de l'armée de l'air, est en mesure de prendre la fonction de Haute autorité de défense aérienne.
Les moyens des FAZSOI sont assez significatifs, le commandant supérieur disposant d'environ 2 000 hommes et femmes, pour la plupart des militaires. Parmi ceux-ci, 75 % sont en mission de longue durée - trois ans en moyenne - et 25 % affectés à des missions de quatre à six mois. En termes de répartition, environ 1 600 personnels sont positionnés à La Réunion et près de 400 à Mayotte. Dans le cadre du renforcement prévu par la LPM, ces effectifs seront augmentés de 220 postes pour La Réunion et de 90 postes pour Mayotte, avec un objectif de 2 360 postes au total en 2030, soit une augmentation assez significative d'environ 13 %.
Force interarmées, les FAZSOI comptent un régiment de parachutistes à La Réunion - il recevra bientôt deux hélicoptères Cougar - ainsi qu'un détachement de la Légion étrangère à Mayotte. Pour ce qui est de la marine, la base navale de La Réunion accueille deux frégates de surveillance, un bâtiment de soutien et d'assistance outre-mer (BSAOM), un patrouilleur polaire - L'Astrolabe, chargé du ravitaillement des terres polaires - et un patrouilleur complémentaire, Le Malin. Au titre de la LPM, deux POM seront affectés à La Réunion à partir de 2025 pour remplacer des patrouilleurs P400 retirés du service. Pour sa part, la base navale de Mayotte ne compte pas de navire propre, à l'exception d'un chaland de transport de matériel, mais soutient les vedettes côtières de la gendarmerie maritime et de la police aux frontières. Cette base navale accueille également le poste de commandement de l'action de l'État en mer, qui surveille en permanence les accès maritimes de Mayotte. Enfin, elle permet d'assurer le maintien en condition opérationnelle des intercepteurs des autres administrations.
Pour ce qui est des forces aériennes, La Réunion dispose de la base aérienne « lieutenant Roland Garros », qui accueille notamment deux avions de transport et un certain nombre d'hélicoptères ; aucune base aérienne à proprement parler n'existe à Mayotte, les aéronefs de La Réunion y étant accueillis par un bureau militaire de transit. Pour mémoire, chacun de ces deux territoires compte un régiment du service militaire adapté (SMA), qui ne relève pas de l'autorité du ministère des armées.
Ce dispositif va être renforcé tout au long de la LPM : pour la période 2024-2030, 13 milliards d'euros sont attribués aux forces armées stationnées dans les outre-mer, l'effort devant porter sur la modernisation des équipements, le durcissement de capacités ciblées en adéquation avec le contexte stratégique local, ainsi que sur le renforcement des points d'appui, essentiellement au moyen de la consolidation des structures portuaires et aéroportuaires.
Sur l'ensemble des outre-mer, les effectifs doivent augmenter de 10 %, ce qui représente plus de 1 000 postes. Pour la zone sud de l'océan Indien, cet effort se traduira par la création de plus de 300 postes et par une consolidation assez significative du point d'appui, notamment au travers d'un renforcement des capacités de la base aérienne et du port de La Réunion et du déploiement d'un détachement d'hélicoptères de l'armée de terre en 2028. Plus de 180 millions d'euros seront investis dans les infrastructures de La Réunion - hors logements - afin d'accroître les capacités d'accueil de ce point d'appui clé pour les forces françaises. Comme je l'indiquais précédemment, les FAZSOI recevront deux POM équipés de drones en 2025 et en 2026, ce qui renforcera sensiblement notre capacité de surveillance maritime. De plus, les travaux d'aménagement de la base aérienne permettront d'accueillir ponctuellement des drones MALE (moyenne altitude longue endurance) de type Reaper, des avions de surveillance et de reconnaissance de type Falcon 2000 et des avions de transport de type A400, ou des ravitailleurs.
À Mayotte, le renfort de 90 personnels sur la durée de la LPM s'accompagne d'un investissement dans les infrastructures à hauteur de 50 millions d'euros afin de durcir et de moderniser les capacités. Le vieux chaland de transport de matériel sera également remplacé par un engin de débarquement amphibie moderne, tandis que le détachement de Légion étrangère sera renforcé par deux sections spécialisées, dont une section du génie. Le poste de commandement de l'action de l'État en mer sera également renforcé et modernisé.
S'agissant de l'emploi des forces, les FAZSOI contribuent à la collecte du renseignement militaire et à la construction d'une appréciation de la situation dans la zone, en s'appuyant sur les forces aériennes et maritimes tout comme sur les détachements de coopération se rendant dans les pays étrangers. De plus, sept attachés de défense sont présents dans la zone, sans oublier le bénéfice apporté par les missions ponctuelles des Falcon 50 et des frégates de la Marine.
Par ailleurs, les FAZSOI doivent contribuer à la prévention des crises. Elles conduisent ainsi une soixantaine de missions de partenariat militaire opérationnel et plusieurs exercices multinationaux majeurs, au nombre de deux à trois par an en moyenne, essentiellement à partir de La Réunion. Madagascar constitue la priorité de nos partenariats et de nos actions dans la région, suivi des Comores, du Mozambique et de la Tanzanie. La priorité de ces missions de coopération consiste à aider les armées partenaires, par exemple en armant des détachements pour des opérations de maintien de la paix, et plus généralement pour accompagner leur montée en gamme et améliorer leur interopérabilité avec nos forces.
En outre, les FAZSOI contribuent à une réflexion interministérielle en cours visant à proposer une Académie de l'océan Indien à nos partenaires régionaux : porté par le préfet de La Réunion, ce projet inclura des détachements d'instruction de ces forces.
La mission de protection des FAZSOI présente de multiples facettes, dont la protection permanente des trois îles Éparses dans le canal du Mozambique et la lutte contre l'immigration clandestine à Mayotte, avec un poste de commandement de l'action de l'État en mer actif 24 heures sur 24 et des opérations conduites sur terre en appui des forces de sécurité intérieure.
Les FAZSOI sont également en mesure de conduire des opérations de secours d'urgence et de défense civile, soit sur le territoire national, soit au profit de nos partenaires dans la zone. Leurs patrouilleurs participent ainsi chaque année à la Task Force 150, mission internationale qui compte plus d'une trentaine de nations associées pour patrouiller dans la zone nord de l'océan Indien et lutter contre les trafics divers. Les forces participent aussi, depuis 2021, à la mission de formation de l'Union européenne au profit des forces armées du Mozambique (EUTM), dans le cadre de la lutte contre l'État islamique au nord du pays.
Par ailleurs, ces forces contribuent à la défense et à la sécurité civile sous autorité préfectorale, comme lors du passage du cyclone Belal. À Mayotte, l'intervention des forces armées s'effectue sur réquisition du préfet, en particulier dans le cadre du plan de renforcement et d'approfondissement de lutte contre l'immigration clandestine (Pralic).
Enfin, les FAZSOI contribuent au rayonnement et à l'influence de notre pays dans la zone, avec l'objectif d'asseoir son statut de partenaire fiable. La France est par exemple partenaire du symposium naval de l'océan Indien (IONS), forum de coopération regroupant vingt-cinq autres États. Elle est également partenaire du programme MASE (Maritime Security) porté par l'Union européenne, qui a conduit à la mise en place d'un centre régional de coordination des opérations aux Seychelles.
En conclusion, les FAZSOI sont bien adaptées pour répondre aux défis et aux spécificités de l'environnement stratégique. Largement engagées sur le territoire national, elles apportent un appui efficace à l'action de l'État dans tous les domaines et déploient une activité importante vis-à-vis des partenaires internationaux. Contribuant à l'influence de la France dans la zone, elles représentent un point d'appui solide et un atout pour défendre nos intérêts, nos concitoyens et notre souveraineté dans un contexte de durcissement des relations internationales.
M. Cédric Perrin, président de la commission des affaires étrangères. - Pourriez-vous apporter des précisions sur l'état du matériel et son adéquation aux ambitions portées par la LPM ?
Général François-Xavier Mabin. - Il n'existe pas de spécificité très nette par rapport au reste des forces armées : une partie du matériel est vieillissant et doit bénéficier d'une maintenance renforcée, comme en métropole. La LPM permettra de renforcer nos capacités : les deux hélicoptères Cougar, à La Réunion, représentent une véritable plus-value pour le régiment de parachutistes d'infanterie de marine. Parallèlement, l'arrivée de deux POM étoffera sensiblement les capacités de la Marine dans la zone.
M. Stéphane Demilly, rapporteur de la délégation sénatoriale aux outre-mer. -Vous avez évoqué l'accord de défense signé en 2022 avec Madagascar : a-t-il été activé ?
Général François-Xavier Mabin. - Je parlais de l'accord signé entre Madagascar et la Russie, laquelle signe de nombreux accords avec les pays africains, renouant ainsi des relations datant de l'époque soviétique. Ces accords donnent un cadre à leurs relations de défense et se traduisent souvent par la livraison de matériels,.
M. Cédric Perrin, président de la commission des affaires étrangères. - De quel type de matériels s'agit-il ?
Général François-Xavier Mabin. - Il peut s'agir de blindés en quantité importante, même si la situation a probablement évolué depuis le déclenchement de la guerre en Ukraine. La société privée Wagner était également capable de livrer des hélicoptères de combat en puisant dans les ressources russes.
M. Saïd Omar Oili. - En tant que sénateur mahorais, je peux témoigner tout comme vous de la situation très critique que traverse Mayotte actuellement.
À cet égard, pourriez-vous décliner les mesures annoncées pour mon territoire dans le cadre de la LPM ? Il a été question d'un « rideau de fer » pour lutter contre l'immigration clandestine ; or nous avons plutôt le sentiment que la crise s'aggrave : à l'immigration comorienne traditionnelle se greffe une immigration clandestine issue de l'Ouest africain, composée notamment de migrants venant du Mozambique, ce qui nous inquiète car il y a parmi eux des islamistes très radicalisés.
Vous avez parlé d'une enveloppe de 180 millions d'euros pour La Réunion et d'une dotation de 50 millions d'euros seulement pour Mayotte : je ne comprends pas pourquoi le renforcement de nos moyens militaires est moindre à Mayotte, alors que l'île concentre tous les problèmes. Comment l'expliquez-vous ?
Général François-Xavier Mabin. - Je me dois tout d'abord de rappeler que les forcées armées interviennent à Mayotte sur réquisition et en appui des forces de sécurité intérieure. Nous ne sommes donc pas à la manoeuvre.
Par ailleurs, les moyens que nous consacrons à La Réunion, par exemple ceux que nous dédions au renforcement de sa base navale, profiteront aussi à Mayotte, dans la mesure où les unités navales basées à La Réunion remplissent des missions au profit de Mayotte, notamment des missions de surveillance qui s'inscrivent dans le cadre de la manoeuvre globale conduite par le préfet de Mayotte. Du reste, nos unités navales exercent d'autant mieux leurs missions qu'elles bénéficient d'une base navale importante. En réalité, il serait trop compliqué de disposer de deux pôles navals de grande capacité dans la sous-région.
M. Saïd Omar Oili. - La population mahoraise demande simplement que nos navires empêchent les clandestins d'arriver sur l'île. Or, vous venez de l'expliquer, ces navires existent, mais ils sont basés à La Réunion. Autrement dit, ils ne viennent que de temps en temps, ce qui contribue au chaos général...
En tant que sénateur de Mayotte, je m'insurge contre cette situation d'insécurité. Tous les jours, des dizaines de kwassa-kwassa pénètrent dans nos eaux territoriales et permettent à des dizaines de clandestins d'accoster. Un camp dans lequel des migrants vivent dans des conditions lamentables a même été créé à Cavani !
De mon point de vue, il conviendrait de renforcer la base militaire de Mayotte pour empêcher des barques remplies de clandestins d'accéder à nos côtes.
Général François-Xavier Mabin. - Sachez, monsieur le sénateur, que la base navale de Mayotte agit de manière concertée avec les autres services de l'Etat, notamment ceux qui relèvent du ministère de l'intérieur - gendarmerie et police aux frontières. Je pense en particulier à l'entretien des intercepteurs du ministère de l'intérieur qui est assuré par la marine nationale basée à Mayotte, ou aux radars qui font l'objet d'une veille jour et nuit par les personnels de nos forces armées.
Mme Micheline Jacques, président de la délégation sénatoriale aux outre-mer. - La difficulté à laquelle est confrontée la marine nationale tient avant tout à l'existence d'un récif corallien autour de Mayotte. Il est primordial d'identifier les kwassa-kwassa le plus tôt possible, car les intercepteurs ne peuvent pas intervenir après que ces embarcations ont passé la barrière de corail.
Par ailleurs, ce qui fait défaut à Mayotte, ce n'est pas tant les moyens humains que les moyens matériels. Ainsi, les radars actuels, au nombre de quatre, sont malheureusement mal situés, vétustes et défectueux. Dans le cadre de la LPM, a-t-on prévu de les remplacer ? Si oui, à quel horizon ?
Général François-Xavier Mabin. - Il est bel et bien prévu de remplacer ces radars, mais cette initiative est du ressort du ministère de l'intérieur. Les armées, quant à elles, continueront d'apporter leur expertise pour la mise en place de ces systèmes.
Je souhaite revenir sur l'action des unités navales de la marine nationale dans la région : à chaque fois qu'un patrouilleur de haute mer remplit une mission, notamment dans le canal du Mozambique, il contribue à la sécurité maritime de l'ensemble de la région. En réalité, l'action des armées doit se concevoir par cercles concentriques : appui à la gendarmerie sur terre à Mayotte, missions de renseignement et de surveillance de la marine nationale en mer, en complément des missions conduites par les forces de sécurité intérieure.
M. Stéphane Demilly, rapporteur de la délégation sénatoriale aux outre-mer. - L'une des difficultés à laquelle nous faisons face pour endiguer l'immigration clandestine tient à l'immensité de l'espace maritime à gérer. Comment peut-on intervenir au plus près des zones d'où partent les clandestins - je veux parler de l'île comorienne d'Anjouan ?
Général François-Xavier Mabin. - La France et les Comores ont mis en place une coopération, qui constitue une partie de la réponse à votre question. Nous aidons la marine comorienne à être la plus opérationnelle possible. J'espère qu'un jour nous serons en mesure de conduire des patrouilles communes à nos deux pays. En outre, la marine nationale mène des opérations de renseignement au plus loin des côtes mahoraises, sans pour autant violer la souveraineté comorienne.
M. Hugues Saury. - J'ai participé, en 2022 et 2024, à deux missions ayant trait à la problématique de l'Indopacifique. On pourrait s'étonner que cette région du monde fasse partie de notre stratégie Indopacifique. La Réunion, par exemple, est à mi-distance de Paris et du détroit de Taïwan : dans ces conditions, pourquoi cette île constituerait-elle une base arrière en cas de conflit dans l'Indopacifique ?
Général François-Xavier Mabin. - On pourrait débattre longtemps de la pertinence d'une stratégie Indopacifique qui couvrirait la moitié du globe. Cet espace se caractérisant par sa continuité, il convient de le considérer comme une zone en tant que telle.
Je pars d'un constat simple : la stratégie de la France doit reposer sur les points d'appui existants - certes, idéalement, ceux-ci devraient se situer un peu plus au nord, mais ils ont le mérite d'exister. Dans cette logique, les bases de La Réunion et de Mayotte restent pertinentes ; ces îles se trouvent effectivement sur des routes commerciales stratégiques, cruciales, qui intéressent nos rivaux.
J'ajoute que, dans la perspective d'une crise internationale dans l'Indopacifique l'océan Indien constituerait une ligne de défense, ou du moins une zone d'intérêt pour le continent européen. C'est dans cette région que les Européens seraient les plus utiles, et le plus rapidement. Prenons l'exemple de la libre circulation des navires en mer Rouge aujourd'hui : il faut avoir conscience que cette voie débouche précisément sur l'océan Indien.
La Réunion est certes éloignée géographiquement, mais elle dispose d'une base navale qui nous permettrait de stationner des aéronefs, de bénéficier de dépôts logistiques, bref d'offrir une capacité de projection de puissance.
M. Stéphane Fouassin. - L'environnement stratégique de Mayotte et de La Réunion est complexe : la zone à surveiller est immense, et les problèmes de Mayotte sont nombreux et difficiles à traiter. Je pense aussi à la question de la recherche d'hydrocarbures au Mozambique ou à la stratégie relative à la pêche dans les eaux australes, puisque La Réunion est un réservoir très important de légines. Enfin, il ne faut pas oublier la menace que font peser les pirates dans le nord de l'océan Indien.
Nos forces armées sont-elles assez nombreuses pour contrôler toute cette zone et faire face à l'ensemble de ces problématiques ? Le renforcement des moyens humains me semble essentiel, notamment à Mayotte.
Pour ce qui est des moyens matériels, deux hélicoptères Cougar seront envoyés à La Réunion ; quid de Mayotte ?
Général François-Xavier Mabin. - Mayotte dispose déjà d'hélicoptères appartenant aux services du ministère de l'intérieur.
M. Stéphane Fouassin. - Les deux nouveaux hélicoptères pourraient-ils venir en aide aux pompiers de La Réunion, qui sont obligés aujourd'hui de recourir à des hélicoptères privés pour éteindre les incendies ?
Général François-Xavier Mabin. - La base aérienne de La Réunion est conçue comme un pôle étatique : on y trouve des aéronefs de l'ensemble des services de l'État. Aussi est-il probable que, sur réquisition ou sur demande de concours, les hélicoptères des forces armées contribuent à transporter des fonctionnaires d'autres ministères, en particulier des pompiers.
M. Stéphane Fouassin. - Pourquoi voit-on si rarement les FAZSOI et le régiment du service militaire adapté (SMA) donner un coup de main aux communes touchées par des événements cycloniques ?
Général François-Xavier Mabin. - Ce que vous dites me surprend quelque peu. Je ne conteste pas votre diagnostic, mais les forces armées d'outre-mer s'entraînent précisément dans la perspective d'intervenir dans le cadre de catastrophes naturelles, et elles le font. Le service militaire adapté est mobilisé dans ce type de circonstances : il se place alors sous le commandement des forces armées pour résoudre les crises. À Mayotte, par exemple, les unités du SMA ont participé aux opérations de ravitaillement en eau de la population.
Mme Annick Girardin. - Estimez-vous que la mixité et la coordination des moyens dont nous disposons pour intervenir dans l'océan Indien, que ce soit au service de Mayotte pour lutter contre l'immigration clandestine, ou de La Réunion pour combattre la pêche illégale ou la piraterie, sont suffisantes ?
Les moyens existants sont-ils réellement mis en commun ? J'ai, pour ma part, le souvenir désolant des difficultés que nous avions rencontrées après le passage de l'ouragan Irma, à Saint-Martin. Quel regard portez-vous sur notre capacité à nous mobiliser de concert face à ces enjeux ? Peut-on encore s'améliorer ?
Ma seconde question porte sur l'action de l'État en mer à Mayotte pour lutter contre l'immigration clandestine. J'ai bien compris que les forces armées intervenaient dans le cadre d'une action globale, mais une coordination interministérielle de nature technique, matérielle et stratégique a-t-elle vraiment prévalu en la matière ces deux dernières années ? Au vu des résultats, je me pose la question ; d'après moi, on pourrait faire beaucoup mieux.
Général François-Xavier Mabin. - Par nature, toute coordination interministérielle est complexe, car chaque administration obéit à sa propre chaîne hiérarchique, dispose de ses propres relais, agit dans des périmètres bien définis, etc. Néanmoins, s'il y a bien un domaine dans lequel cette coordination est efficace, c'est celui de l'outre-mer : les services de l'État en outre-mer font preuve d'une très grande solidarité les uns envers les autres ; ils échangent régulièrement et se fixent des objectifs communs.
Vous avez évoqué l'action de l'État à Mayotte. Il est à noter que les armées se heurtent à des contraintes juridiques et réglementaires. Les armées ne peuvent pas tout faire sur le territoire national - et c'est très bien ainsi. Nous sommes observés et agissons dans un cadre strictement défini. Les armées s'inscrivent bien entendu dans le cadre de l'action gouvernementale. Ainsi, en Nouvelle-Calédonie, les armées ont soutenu l'action du ministère de l'intérieur, dans le respect de l'État de droit.
Mme Annick Girardin. - Votre regard nous importe à nous, parlementaires, notamment parce que se pose actuellement la question d'une possible remise en cause du droit du sol à Mayotte. Dans la mesure où je suis appelée à réfléchir à cette évolution, je veux m'assurer que tout a été tenté et que l'on est allé assez loin en matière de prévention, de protection, de surveillance. Que pourrait-on faire de plus, dans le cadre actuel, pour ne pas avoir à changer notre Constitution ? Quel nouveau logiciel nous faudrait-il ? Et quelle serait la place des armées dans ce nouveau logiciel ?
M. Cédric Perrin, président de la commission des affaires étrangères. - En cas de crise dans l'Indo-Pacifique, nos alliés seraient favorables à ce que nous nous situions dans cette partie de l'océan Indien plutôt qu'en mer de Chine méridionale et dans le secteur de Taïwan. Vous avez raison, La Réunion doit effectivement constituer un point d'appui pour que nos forces armées puissent se projeter ailleurs.
Pourriez-vous nous parler de l'intérêt stratégique de la Chine pour les Maldives ? Quelle surveillance exerçons-nous sur cette région du globe ?
Général François-Xavier Mabin. - Notre action est proportionnelle aux moyens dont nous disposons. La France est une puissance globale, mais la réalité géographique s'impose à nous : nous n'avons pas d'action continue sur les Maldives, un territoire qui se situe pourtant sur une route maritime essentielle que notre marine nationale emprunte dès qu'elle le peut.
Les Maldives sont naturellement une zone d'intérêt pour la France, tout simplement parce que la Chine s'y intéresse, mais il s'agit d'une zone d'intérêt parmi d'autres. En effet, dans le cadre de sa stratégie mondiale de la route de la soie et de celle dite du collier de perles, qui traduisent sa volonté d'imposer un maillage de toute la région pour servir ses intérêts commerciaux et militaires, la Chine s'intéresse à de nombreux petits pays...
M. Cédric Perrin, président de la commission des affaires étrangères. - Au vu des événements qui se sont produits au large de Djibouti, un certain nombre de navires n'empruntent plus le canal de Suez et passent désormais par une zone sous surveillance des forces armées de la zone sud de l'océan Indien. Cela change-t-il quelque chose au travail que vous menez ? Ces nouvelles contraintes n'impliquent-elles pas des moyens supplémentaires pour nos forces armées ?
Général François-Xavier Mabin. - Les FAZSOI fonctionnent à flux tendu, et aucun effort supplémentaire n'a été fourni pour tenir compte de cette évolution ; en revanche, l'essor du trafic a été pris en compte par les unités de la marine nationale qui patrouillent dans la zone. On constate effectivement une hausse des flux maritimes au niveau du canal du Mozambique et du détroit de Malacca.
Mme Micheline Jacques, président de la délégation sénatoriale aux outre-mer. - Vous évoquiez la coopération entre la France et les Comores pour agir à la source. Sachant que les Comores s'opposent à ce que Mayotte soit reconnue membre de la Commission de l'océan Indien, pensez-vous qu'ils pourraient être un frein à une coopération avec Mayotte dans le domaine militaire ?
Général François-Xavier Mabin. - La coopération dans le domaine militaire est en règle générale assez pérenne, indépendamment des aléas diplomatiques, et dès lors qu'il n'existe pas de divergence irréparable. Je prendrai l'exemple de notre coopération avec Madagascar, qui n'a jamais cessé en dépit de nos différends au sujet des îles Éparses. La coopération avec les Comores a du sens, car il est dans notre intérêt de contrôler les accès maritimes vers Mayotte.
Mme Annick Girardin. - Les câbles sous-marins font-ils l'objet d'une surveillance particulière de la part de nos forces armées ?
Général François-Xavier Mabin. - À ma connaissance, La Réunion n'est pas à l'intersection de câbles sous-marins, mais la France s'intéresse à cette question des autoroutes numériques, qui constituent un enjeu de souveraineté et de libre circulation. Les armées ont élaboré une stratégie de maîtrise des fonds marins, dont l'un des volets consiste à surveiller le réseau des câbles sous-marins, en particulier les noeuds les plus importants, et, le cas échéant, à intervenir et à en contrôler l'état. Cette mission est cruciale et relativement onéreuse : peu de nations sont capables de suivre une telle stratégie.
M. Stéphane Fouassin. - À quel horizon les annonces que vous avez faites produiront-elles leurs effets ?
Général François-Xavier Mabin. - Les mesures dont j'ai parlé entreront en vigueur durant toute la durée de la LPM, jusqu'en 2030 donc. Le renforcement des effectifs sera progressif ; les investissements dans les infrastructures et le renforcement des moyens matériels s'échelonneront également entre 2024 et 2030.
M. Cédric Perrin, président de la commission des affaires étrangères. - Nous vous remercions de votre intervention. Je suis certain que nos collègues ultramarins auront eu un début de réponse à leurs interrogations.
La réunion est close à 18 h 20.
Audition de M. Shemsi Syla, vice-ministre de la défense du Kosovo
M. Cédric Perrin, président. - Mes chers collègues, nous sommes heureux d'accueillir ce soir M. Shemsi Syla, vice-ministre de la défense du Kosovo, dans un contexte assez troublé.
Ces informations sont parfois éclipsées par l'actualité du front ukrainien ou du Proche-Orient, mais les Balkans occidentaux ont connu un regain de tensions en 2023, significativement dans le nord du Kosovo. Celles-ci sont nées des élections de certains maires albanais, boycottées par la majorité de la population serbe, puis de l'attaque, le 24 septembre 2023, d'un groupe armé serbe contre la police kosovare à Banjska, au nord du pays, qui ont provoqué la mort d'un policier albanais et de trois assaillants.
Dans ce conflit, la position française a toujours consisté à donner la priorité à la désescalade et à la reprise des discussions en vue de la mise en oeuvre de l'accord d'Ohrid de mars 2023, qui a été signé sous la médiation de l'Union européenne et qui visait à la normalisation des relations entre les deux pays.
La France soutient ainsi l'indépendance et l'intégration européenne du Kosovo. À court terme, elle appuie notamment sa demande d'adhésion au Conseil de l'Europe. Mais la normalisation des relations bilatérales exigera en contrepartie l'organisation de nouvelles élections municipales dans des conditions qui devront permettre la participation de la population serbe.
En attendant, l'Otan a réagi à l'escalade de la violence au Kosovo en renforçant de 800 hommes les effectifs de la Force pour le Kosovo (KFOR) et en déployant du matériel de guerre plus lourd. Je rappelle que cette force est déployée en application de la résolution 1244 du Conseil de sécurité des Nations unies depuis le mois de juin 1999 pour assurer la sécurité à la frontière avec la Serbie. Elle ne compte plus de soldats français depuis 2014.
L'enlisement du dialogue entre Belgrade et Pristina est particulièrement préjudiciable à la stabilité et au développement de la région et du continent. Il entrave la poursuite des processus d'adhésion à l'Union européenne de la Serbie, de la Bosnie-Herzégovine et du Kosovo, bloque une intégration économique plus efficace et favorise dans une certaine mesure les trafics en tous genres.
Cet obstacle à la pacification de la région sert malheureusement les intérêts de nos concurrents stratégiques, Russie et Chine en tête, qui se félicitent du blocage de l'intégration de la zone euro-atlantique et en profitent pour étendre leur influence. La coopération entre la Chine et les pays de la région ne se limite d'ailleurs pas aux investissements dans les infrastructures des derniers tronçons des nouvelles routes de la soie, puisque la Chine est devenue le premier fournisseur d'armes de la Serbie. Belgrade a en effet acquis des systèmes de missiles sol-air HQ-22 et des drones armés CH-92, ce qui en fait le premier opérateur de systèmes d'armes chinois en Europe.
Monsieur le vice-ministre, je vous cède immédiatement la parole pour que vous puissiez nous exposer votre analyse des enjeux stratégiques et de défense auxquels fait face le Kosovo et les perspectives de coopération que vous entrevoyez avec la France, alors que s'est ouvert aujourd'hui le salon Eurosatory.
M. Shemsi Syla, vice-ministre de la défense du Kosovo. Monsieur le président, je vous remercie de votre accueil ; je suis très honoré d'être ici. Le ministre, qui devait initialement assister à cette réunion, vous prie de bien vouloir l'excuser de son absence.
Je salue l'action de la France en soutien au Kosovo. L'aide a été particulièrement importante. Depuis la guerre, votre pays est un partenaire qui a aidé à la construction de nos institutions, selon les valeurs démocratiques occidentales.
Ainsi que vous l'avez évoqué, l'Europe et le monde entier traversent une crise. La guerre en Ukraine a également des répercussions chez nous, d'autant que nous avons des tensions continues avec la Serbie.
Le Kosovo a aussi connu une crise, en septembre dernier. Nous souhaitons que le processus de dialogue visant à améliorer les relations entre les deux pays se poursuive. En dépit des problèmes que notre pays a connus, il progresse régulièrement et fait les plus grands efforts, toujours en coordination avec ses partenaires, pour traverser les crises et les tensions.
Actuellement, la situation au nord du Kosovo est stable grâce, entre autres, au renforcement de la présence militaire de la KFOR. Nos institutions, notamment la police et les municipalités, fonctionnent et font leur travail dans cette zone. Et nous pensons que les conditions de base nécessaires à l'organisation de nouvelles élections auxquelles la population serbe pourrait participer sont réunies.
J'en viens à notre relation avec la France. Depuis les années 2000, j'ai été témoin de l'évolution et du renforcement de notre pays, notamment en matière militaire ; depuis la transformation de l'armée de libération du Kosovo (UÇK), j'ai participé au corps de protection du Kosovo, puis à la création de l'armée du Kosovo. Nos forces ont connu une belle transformation, grâce au soutien apporté par votre pays. Nous aimerions que ces relations avec la France se poursuivent et se renforcent.
Le ministère de la défense, que je représente, souhaiterait créer des ponts et des liens de coopération avec votre armée, compte tenu de son importance et de son professionnalisme. Durant ces deux jours de visite, j'ai pu constater le niveau de technologie de vos forces armées - c'est une technologie de pointe - et la puissance de l'armée française. Il y aurait besoin de coopérations bilatérales pour identifier les domaines dans lesquels nous pourrions avancer ensemble. Il serait par exemple utile d'avoir un autre attaché militaire qui nous permettrait de maintenir un contact permanent et des relations réciproques avec vous. Un projet d'accord qui aurait permis des rapprochements avait précédemment été initié.
Les effectifs de notre armée sont en constante augmentation. Des membres de nos forces sont en train d'être formés dans différents pays, mais ce n'est actuellement pas le cas en France. Je souhaiterais que les membres de nos forces puissent avoir l'occasion de connaître de plus près le fonctionnement de l'armée française. Nous le faisons avec le Royaume-Uni, les États-Unis et d'autres pays. Pourquoi ne serait-ce pas possible avec la France ? Des solutions peuvent être trouvées si nous renforçons notre collaboration. Je le précise, les membres de nos forces, en plus de la formation qu'ils suivent, participent aussi à des missions militaires à l'étranger.
Nous avons développé une expertise d'excellence dans certains domaines, notamment le déminage. Actuellement, nous contribuons à l'effort en faveur de l'Ukraine. Nous sommes en train d'entraîner et de former des militaires ukrainiens dans notre pays, mais aussi au Royaume-Uni, par l'intermédiaire de nos partenaires britanniques. Voilà quelques jours, nous avons signé avec d'autres pays un accord nous engageant à continuer à former des militaires ukrainiens en matière de déminage.
La volonté de notre pays, notamment du ministère de la défense, est de continuer à nouer des liens de coopération entre nos deux pays.
M. Mehdi Halimi, ambassadeur du Kosovo en France. Nous avions accepté l'accord d'Ohrid dans son intégralité ; à l'époque notre Premier ministre était même prêt à le signer. Malheureusement, il n'en a pas été de même du côté serbe. Et le président Vuèiæ a même déclaré récemment qu'il n'y avait pas d'accord, tandis que Mme Brnabic a envoyé une lettre pour préciser certaines lignes rouges.
Je vous rejoins : il n'y a pas d'alternative à l'accord d'Ohrid. Le Kosovo veut l'appliquer dans sa totalité ; j'ai bien dit : « dans sa totalité ».
Vous avez également mentionné le souhait de la France que le Kosovo accède au Conseil de l'Europe. Mais, comme vous avez dû le constater, cela n'a pas pu être le cas dernièrement. Le Kosovo n'a pas pu dépasser la cinquième étape. Le comité des ministres n'a pas inscrit la question de l'adhésion du Kosovo à l'agenda. Les trois pays ayant fait blocage sont la France, l'Allemagne et l'Italie.
Je suis d'accord avec vous sur la situation dans le nord du pays : la position des maires albanais des municipalités où la population est serbe à 90 % est, certes, légale, mais pas forcément très légitime. Les autres pays ont acté que le Kosovo avait fait le nécessaire : nous avions organisé des élections, ainsi qu'un référendum. Mais, à la dernière minute, Vuèiæ a interdit à la liste serbe de prendre part au processus, empêchant ainsi le départ des maires en place. C'est malheureux. Il faut aller de l'avant et permettre la participation de la population serbe et l'élection de maires serbes.
Un projet d'accord d'entente avait été engagé du temps de Mme la ministre Florence Parly. Mais cela n'est jamais allé plus loin. Voilà un an, nous avions repris des discussions avec le ministère français des armées sur la mise en place de ce projet et l'établissement d'une feuille de route intégrant la question de l'attaché militaire. Mais cela a été bloqué pour des raisons politiques, à cause des mesures qui ont été notifiées au Kosovo en juin 2023. Le ministère français des armées était prêt à aller de l'avant. Nous espérons que ces mesures disparaîtront prochainement - selon nos dernières informations, c'est M. Borrell qui devait en acter la fin - et que les discussions reprendront.
M. Cédric Perrin, président. - Monsieur le vice-ministre, nous vous remercions de ces explications très intéressantes. Nous souhaitons évidemment que la situation puisse se débloquer et que les freins à un certain nombre de coopérations, dont l'arrivée d'un attaché militaire, puissent être levés.
Peut-être y verrons-nous plus clair au mois de juillet ? Le Sénat joue un rôle de stabilisateur de la vie démocratique française. Nous ne manquerons pas de relayer les informations que vous nous avez communiquées, s'agissant notamment des difficultés que vous rencontrez. Nous essayerons de sensibiliser le ministère des armées afin que ce partenariat important pour le Kosovo comme pour la France puisse se concrétiser. Dans le contexte géostratégique troublé, je pense que le Kosovo pourrait être un partenaire et que nous pourrions mettre en oeuvre des coopérations en matière de défense.
Monsieur le vice-ministre, au nom de mes collègues, je tiens à vous remettre la médaille de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées du Sénat. Nous vous souhaitons un bon séjour à Paris et en France.
La réunion est close à 19 h 05.