Jeudi 20 juin 2024

- Présidence de M. Laurent Lafon, président -

La réunion est ouverte à 10 h 30.

Mission d'information sur l'intervention des fonds d'investissement dans le football professionnel français - Audition de MM. Jean-Michel Aulas, vice-président délégué de la Fédération française de football, ancien président de l'Olympique Lyonnais, Jean-Pierre Caillot, président du Stade de Reims, Joseph Oughourlian, président du RC Lens, Olivier Létang, président-directeur général du Lille olympique sporting club (Losc) et Maarten Petermann, représentant du fonds Merlyn Partners, propriétaire du LOSC

M. Laurent Lafon, président. - Nous poursuivons les auditions publiques de notre mission d'information, dotée des pouvoirs des commissions d'enquête, sur l'intervention des fonds d'investissement dans le football professionnel français.

Nos invités aujourd'hui sont : M. Jean-Michel Aulas, président de l'Olympique lyonnais (OL) de 1987 à 2023 et, depuis 2023, vice-président délégué de la Fédération française de football (FFF) ; M. Jean-Pierre Caillot, président et co-actionnaire du Stade de Reims, président du collège de Ligue 1 et membre du conseil d'administration de la Ligue de football professionnel (LFP) ; M. Olivier Létang, président-directeur général du Lille olympique sporting club (Losc) et M. Maarten Petermann, représentant du fonds Merlyn Partners, propriétaire du Losc ; enfin, M. Joseph Oughourlian, président et propriétaire du RC Lens, fondateur du fonds Amber Capital et membre du conseil d'administration de la LFP.

Messieurs, vous vous êtes manifestés auprès de nous pour être entendus ; c'est bien volontiers que nous vous recevons ce matin.

Comme vous le savez, nous nous intéressons à la financiarisation du football, qui touche les clubs individuellement, mais aussi la LFP. Celle-ci a conclu en 2022 un partenariat avec le fonds d'investissement CVC, dont nous entendrons d'ailleurs les représentants cet après-midi. Moyennant un apport de 1,5 milliard d'euros, le fonds CVC a acquis 13 % de la filiale commerciale de la LFP. Ce partenariat valorise donc la Ligue à 11,5 milliards d'euros environ.

Grâce à l'apport initial de CVC, les clubs ont perçu des aides de taille pendant trois saisons. Ces aides ont été d'autant plus bienvenues que la défaillance du diffuseur Mediapro avait entraîné un manque à gagner important.

La distribution de l'apport de CVC soulève toutefois plusieurs questions.

Tout d'abord, les critères de répartition de cet apport ne nous paraissent pas totalement transparents ni satisfaisants. Nous avons reçu ici M. Jean-Michel Roussier, président du club du Havre, qui s'estime lésé par cette répartition. Les critères retenus en 2022 continuent à produire leurs effets alors qu'ils sont en partie datés, au regard de la performance sportive des clubs.

Ensuite, les sommes distribuées sont normalement fléchées vers l'investissement, afin de valoriser le championnat français. Vous nous expliquerez de quelle façon.

Enfin, plus fondamentalement, nous nous interrogeons sur les conséquences de ce partenariat à long terme. En acceptant cet accord, les clubs se privent d'une partie de leurs revenus pour une durée indéterminée, dans un contexte qui reste très incertain, s'agissant de l'évolution des droits audiovisuels.

Conformément à la loi du 2 mars 2022, la filiale de la LFP s'est vu confier l'ensemble des droits d'exploitation de la Ligue 1, c'est-à-dire non seulement les droits audiovisuels, mais aussi les activités de publicité, de marketing et de sponsoring, à l'exception du droit à consentir des paris sportifs.

Dès la saison prochaine, CVC exercera son droit à dividende prioritaire sur l'ensemble de ces revenus. Le fonds doit par ailleurs récupérer deux années de dividende différé, pour un montant estimé à 105 millions d'euros.

Nous avons lu récemment dans la presse qu'un autre partenariat financier serait envisagé pour le lancement d'une chaîne consacrée à la Ligue 1. Qui dit partenariat financier dit, d'une façon ou d'une autre, endettement : le football français ne vit-il pas aujourd'hui au-dessus de ses moyens ?

Avant de vous donner la parole, je vous rappelle qu'un faux témoignage devant notre mission d'information, dotée des pouvoirs des commissions d'enquête, serait passible des peines prévues aux articles 434-13, 434-14 et 434-15 du code pénal. Je vous invite à prêter successivement serment de dire toute la vérité, rien que la vérité, en levant la main droite et en disant : « Je le jure ».

Conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, M. Jean-Michel Aulas, M. Jean-Pierre Caillot, M. Olivier Létang, M. Maarten Petermann et M. Joseph Oughourlian prêtent serment.

Je vous remercie, par ailleurs, de nous faire part de vos éventuels liens d'intérêts en relation avec l'objet de notre mission d'information, et notamment de vos liens éventuels avec le fonds d'investissement CVC.

Je rappelle à tous que cette audition est captée et diffusée en direct sur le site internet du Sénat.

Avant que vous ne répondiez à nos questions, j'invite l'un d'entre vous à prendre la parole pour un propos liminaire d'une dizaine de minutes.

M. Jean-Pierre Caillot, président du collège de Ligue 1 de la LFP, président du Stade de Reims. - Il existe dans le football divers schémas économiques ; il vous sera donc tout aussi utile d'entendre mes collègues, qui représentent d'autres types de structures capitalistiques. Si je m'exprime en premier, c'est parce que mes collègues m'ont fait l'honneur, il y a quelques années, de me nommer président du collège de Ligue 1 de la LFP ; depuis le départ de Jean-Michel Aulas de l'OL, je suis le doyen des dirigeants de clubs professionnels : cela fait vingt ans que je dirige le Stade de Reims.

Merci de nous avoir invités et de nous donner ainsi la possibilité de nous exprimer. Je suis président du Stade de Reims, mais aussi chef d'une importante entreprise de transport et de logistique. Quand j'ai commencé ma carrière dans le football, j'ai compris que ce secteur donnait lieu à beaucoup de passion. On y trouve aussi beaucoup de gens qui s'autoproclament spécialistes sans savoir de quoi ils parlent, même vingt ans après avoir brièvement dirigé un club. La société et le football ont beaucoup changé en vingt ans ! Les impératifs auxquels nous devons obéir sont maintenant bien différents.

Je suis un peu le dernier des Mohicans : il n'y a plus beaucoup de présidents de clubs qui, comme moi, ont pris leurs fonctions quand celui-ci était en National, pour le faire grandir et arriver en Ligue 1 tout en gardant un capital maîtrisé, familial et régional. Mes compétiteurs en Ligue 1 sont des milliardaires étrangers, des États, des fonds d'investissement, ou des clubs appartenant à des multipropriétés faisant jongler leurs joueurs d'un pays à l'autre.

Le Stade de Reims a la réputation d'un club très bien géré. Pour la douzième année consécutive, la Direction nationale du contrôle de gestion (DNCG) atteste que nos comptes sont positifs, ce qui est assez atypique. Un milliardaire a moins de mal à combler un déficit qu'un petit chef d'entreprise régional...

Le championnat de France a été arrêté à cause du covid, retirant aux clubs leurs recettes de guichet et d'hospitalités et les forçant à rembourser les avances versées par les abonnés qui le réclamaient ; heureusement, les nôtres ne l'ont pas tous fait. Il n'y avait plus de droits de diffusion télévisée, à cause de l'arrêt du championnat, mais aussi parce que le diffuseur n'a pas honoré ses engagements. Aujourd'hui, le trading est un élément essentiel pour beaucoup de clubs. Quand j'ai commencé ma carrière, le premier poste, c'était les droits télé, ce qui posait problème ; c'est pourquoi nous avons développé le trading, qui est maintenant notre première recette.

Quand tout s'est arrêté à cause du covid, il a fallu faire face. On ne pouvait avoir recours au chômage partiel pour les joueurs, dans la mesure où le championnat a repris sans public. L'aide apportée aux entreprises nous bénéficiait assez peu, nos joueurs étant en général rémunérés bien au-dessus du plafond de 4,5 fois le SMIC retenu pour l'application des exonérations de charge. Le Président Macron a organisé une table ronde le 17 novembre 2020 pour bien comprendre les problématiques du milieu sportif ; en tant que représentant du football français, j'y ai souligné que bien des clubs seraient forcés de déposer le bilan si des actions n'étaient pas entreprises. Des mesures ont alors été prises par l'État - des aides aux coûts fixes et des aides à la trésorerie - mais la Ligue 1 avait d'ores et déjà plus souffert que la Ligue 2, du fait de l'ampleur de notre masse salariale.

Ce que nous demandions alors assez unanimement à la LFP, c'était des moyens de disposer de recettes suffisantes pour ne pas déposer le bilan. La Ligue a eu recours à un prêt garanti par l'État, comme nombre d'entreprises et de clubs, et contracté un emprunt bancaire pour nous permettre de finir l'année et d'affronter nos échéances, mais ce n'était que des solutions de court terme. Beaucoup de clubs ont perdu une large part de leurs fonds propres.

Pour résoudre plus durablement ce déficit, plusieurs solutions étaient possibles. On pouvait penser à un emprunt traditionnel, mais les banques sont assez frileuses vis-à-vis du monde du football, qu'elles connaissent mal. Le président de la LFP a donc songé à solliciter le marché de manière différente, par le biais d'un fonds d'investissement. Les clubs professionnels ont soutenu à l'unanimité la procédure engagée en ce sens. Je n'étais pas au fait des discussions mais j'ai été, en raison de mes fonctions, très informé. La plupart des grands fonds d'investissement ont été consultés.

Quatre fonds d'investissement ont finalement été retenus. Aux yeux du président de club que je suis, le fonds CVC avait un intérêt particulier : il apportait beaucoup d'argent - 1,5 milliard d'euros - rapidement, tout en demandant moins de capital que les trois autres concurrents - moins d'un point de différence, mais au vu des sommes en jeu, c'était quand même intéressant pour un chef d'entreprise ; surtout, cet acteur a une bonne connaissance du sport et des droits télé, il est connu pour avoir révolutionné le paysage médiatique autour de la Formule 1 et d'autres sports. Au-delà de la rentrée d'argent, nous avons donc vu un partenaire prêt à nous aider à développer la société commerciale créée par la LFP et, plus largement, à développer notre football et à lui permettre d'exister à l'échelle européenne. L'enjeu n'est pas que le championnat français : aujourd'hui, alors que l'équipe de France nous fait honneur, nos clubs perdent régulièrement lors d'échéances européennes essentielles.

M. Michel Savin, rapporteur. - Merci d'avoir répondu à notre invitation. Plusieurs d'entre vous nous ont écrit pour nous proposer d'éclairer nos travaux par le point de vue de clubs professionnels directement concernés par cette nouvelle organisation, notamment le partenariat avec CVC. Il était bien dans notre intention d'entendre les dirigeants de clubs ; nous avons un grand nombre de questions à vous poser.

Ma première interrogation porte sur ces courriers reçus, qui semblent traduire une démarche concertée, d'autant qu'ils sont presque identiques, à l'exception de celui du Stade de Reims. Expriment-ils une initiative de la LFP ou de CVC, ou bien s'agit-il d'une démarche de chaque club ?

M. Jean-Michel Aulas, vice-président délégué de la Fédération française de football, ancien président de l'Olympique lyonnais. - Nous avions évoqué par le passé une telle rencontre dans le cadre de votre mission d'information. J'ai donc été surpris de ne pas être convoqué. Par ailleurs, j'ai lu dans la presse les déclarations faites lors de précédentes auditions, en particulier celles de M. Roussier, qui m'ont semblé être en complet désaccord avec la réalité et très intéressées, par rapport au club que celui-ci dirige, mais aussi à ses opérations antérieures : rappelons que M. Roussier a été responsable de la chaîne diffusant la Ligue 2. Quand Mediapro a rencontré des difficultés, il a tenté de créer sa propre chaîne, sur le fondement d'estimations très proches de celles qui sont présentées aujourd'hui. C'est pourquoi j'ai pris l'initiative de vous écrire.

M. Michel Savin, rapporteur. - Cela ne répond pas à ma question : est-ce une démarche de chaque club ou une démarche commanditée par CVC ou la LFP ?

M. Joseph Oughourlian, président du RC Lens. - C'est une démarche de chaque club et c'estune démarche concertée. Tous les présidents de club ont été émus en découvrant les premières personnes convoquées par votre commission, car on y trouvait des gens qui sont depuis longtemps hors du monde du football : un président de l'Olympique de Marseille (OM) qui ne l'a été que très peu de temps, il y a longtemps, avant d'être congédié par Robert Louis-Dreyfus, ou encore le président d'un club qui était en Ligue 2 il y a peu, et qui, surtout, a été le dirigeant de plusieurs chaînes de télévision ayant toutes en commun d'avoir fait faillite. J'ai entendu parler de Jean-Michel Roussier dès 2016, quand j'ai racheté le RC Lens devant le tribunal de commerce et que le président de l'AS Saint-Étienne m'a proposé de fermer la chaîne Onzéo. Je lui ai demandé ce qu'était la chaîne Onzéo. Celle-ci diffusait des matches de nos deux équipes...

M. Michel Savin, rapporteur. - Nous ne sommes pas là pour faire le procès de quiconque...

M. Joseph Oughourlian. - ... mais semblait surtout avoir pour objet de rémunérer très grassement M. Roussier. Nous avons fermé Onzéo ; on a ensuite retrouvé M. Roussier comme dirigeant de la chaîne de Mediapro, qui a duré deux mois, avant de faire faillite. Et ce sont ces gens-là qui viennent nous donner des leçons aujourd'hui ! Ce sont eux qui prétendent que nous avons pris des décisions absurdes, et vous leur permettez de le faire avec toute l'écoute possible dans ce lieu si respectable !

Nous nous sommes donc tous émus de cette situation, nous nous sommes parlé, nous nous sommes concertés, et nous avons décidé ensemble que chacun d'entre nous enverrait un courrier. Ils sont peut-être semblables, mais l'émotion est forte.

M. Michel Savin, rapporteur. - J'entends que la démarche est concertée. Dès lors, avez-vous eu recours aux prestations d'une agence spécialisée dans les questions de conseil en media training pour préparer la présente audition ?

M. Joseph Oughourlian. - Je n'ai pas besoin de media training... La réponse est non. (MM. Jean-Michel Aulas et Jean-Pierre Caillot le confirment.)

M. Olivier Létang, président-directeur général du Losc. - Nous exerçons tous cette activité depuis longtemps. Nous vous remercions de nous recevoir aujourd'hui, d'autant que nous avons été surpris par les premières auditions, où l'on a pu voir comme un procès à charge, instruit par des gens qui ne sont pas dans les clubs et n'étaient pas présents pendant les discussions. Personne ne connaît bien le football, cette activité si spécifique ! Aucune demande d'intervention ne nous a été faite par CVC, nous n'avons eu aucun contact avec eux, il n'y a pas eu non plus de demande de la Ligue. Simplement, nous avons été émus, nous nous sommes dit que nous devions venir rétablir la vérité : c'est bien ce que nous faisons aujourd'hui, sous serment.

Quant à votre dernière question, non seulement il n'y a pas eu de media training, mais nous ne nous sommes pas même réunis avant cette audition.

M. Michel Savin, rapporteur. - Merci de vos réponses ; je voulais que les choses soient claires avant de rentrer dans le fond du sujet.

Concernant l'épisode Mediapro, qui est en partie à l'origine des difficultés récentes du football professionnel, le président du PSG avait alors demandé une enquête interne à la LFP sur les circonstances du départ de Mediapro. Confirmez-vous l'existence de cette demande ? Quelle a été votre position ?

M. Jean-Michel Aulas. - En 2020, j'étais le seul président à vouloir que le championnat ne s'arrête pas. Le président de l'UEFA (Union des associations européennes de football) avait écrit pour me soutenir. À l'origine de nos difficultés, il y a le covid ! Bien sûr, Mediapro n'a pas tenu ses engagements, il y a eu un enchaînement très défavorable d'événements, mais ce n'est pas le seul facteur.

En 2006, je défendais à Bruxelles l'accès à la Bourse des clubs sportifs français, comme leurs homologues européens. Il a fallu une injonction de l'Union européenne pour que nous ayons accès à des capitaux financiers, pour construire un stade par exemple. On ne peut pas s'opposer à certaines dynamiques mondiales : le football est dans une dynamique de croissance que l'on ne rencontre dans aucun autre secteur, hormis sans doute le numérique, de plus de 10 % par an.

Mediapro travaillait à cette époque dans beaucoup d'autres pays ; on ne pouvait pas imaginer ce qui s'est passé. Un seul point avait été remarqué par le conseil d'administration de la LFP d'alors : les garanties financières étaient « limite ». Néanmoins, il y avait des partenaires étrangers qui auraient pu fournir une garantie en cas d'arrêt.

Pour répondre à votre question, je n'ai pas souvenir du détail de l'enquête. Simplement, tout le monde s'est interrogé pour savoir si la prise de risques était justifiée au vu des garanties apportées. On pourrait le faire aujourd'hui, dans d'autres situations.

M. Michel Savin, rapporteur. - Au moment de la demande d'enquête, les clubs professionnels se sont-ils interrogés sur le système ? Les montants affichés correspondaient-ils à la valeur d'alors du football professionnel français ? Quand Mediapro est parti, avec une soulte de 100 millions d'euros, Canal+ a assuré la fin de la saison, pour 35 millions d'euros. Amazon a ensuite obtenu les droits domestiques pour 250 millions d'euros, très loin des sommes promises par Mediapro. La LFP et les clubs n'ont-ils pas conclu à une surévaluation de l'offre de Mediapro ? Une étude a-t-elle été réalisée sur ce montage ?

M. Jean-Michel Aulas. - Je veux insister sur un point : le grand bénéficiaire de l'arrêt du championnat a été Canal+, qui n'a pas payé la fin de la saison. C'est bizarre que personne ne le dise !

M. Michel Savin, rapporteur. - Mais cela a été validé par la Ligue, n'est-ce pas ?

M. Jean-Michel Aulas. - On a été mis devant le fait accompli de l'arrêt du championnat. Canal+ en a déduit qu'il n'avait plus à assumer les règlements prévus.

M. Jean-Pierre Caillot. - Au moment de l'appel d'offres remporté par Mediapro, les autres offres étaient assez similaires. Mediapro avait certes une offre un peu plus élevée, mais ce n'était pas trois fois plus que les autres, ce qui nous aurait alertés. L'écart était totalement raisonnable. Il y a eu des tensions avec le diffuseur, quelques rancoeurs subsistent manifestement, mais il faut rappeler que nous avons accepté de brader à 35 millions d'euros la fin du championnat, pour redonner une chance à Canal+ et repartir sur des bases saines de négociation. C'est ce qui a été fait, mais Canal+ a refusé d'intervenir au même niveau qu'auparavant. Le président de la Ligue et ses équipes ont trouvé un autre diffuseur, Amazon Prime. Je m'occupais plutôt de la Ligue 2 alors, mais j'étais partie prenante à cet appel d'offres, et le fait est que Canal+ n'imaginait pas l'arrivée d'une offre américaine, ils ne voyaient comme compétiteur potentiel que beIN, dont ils s'étaient justement rapprochés en lui rachetant des matchs. Même si les dirigeants de Canal plus aujourd'hui disent le contraire, il y a beaucoup de gens qui sont abonnés à Canal plus pour suivre le football français.

L'épisode Mediapro n'était pas si fou que cela ! Parmi les présidents de clubs, il y a peut-être des représentants de fonds d'investissement qui ont l'habitude de manier les concepts économiques, mais il y a aussi beaucoup de gens de bon sens, qui ne se seraient pas engagés là-dedans si l'on avait considéré que c'était très mauvais. Et aucun acteur de marché n'accepte d'apporter une garantie sur de telles sommes.

M. Jean-Michel Aulas. -Après avoir perdu la première adjudication, celle du lot le plus important, Canal+ a fait des enchères à 1 euro ! Clairement, ils n'en voulaient plus.

M. Laurent Lafon, président. - Nous aimerions surtout savoir quels enseignements vous tirez de l'épisode Mediapro de manière plus structurante, pour ce qui est du marché des droits audiovisuels. Peut-on exister sur ce marché sans un distributeur ? Quel est le niveau d'abonnés raisonnable que l'on peut attendre ?

M. Jean-Michel Aulas. - Il faut dépasser l'histoire et plutôt partir des technologies, passer d'un système linéaire à une approche fondée sur internet, où chacun peut avoir accès à de multiples offres. La valeur est déterminée à un instant donné par le nombre d'utilisateurs potentiels d'un certain nombre de droits. Elle n'est évidemment pas du tout la même quand on parle de 1 million ou de 100 millions d'abonnés potentiels.

M. Olivier Létang. - On ne connaîtra jamais la valorisation réelle du marché à l'époque de l'offre de Mediapro.

M. Laurent Lafon, président. - Je suis bien d'accord, on ne refait pas l'histoire, mais quels enseignements avez-vous tirés de cet épisode ? La difficulté qui s'est posée alors est celle de trouver un distributeur ; en outre, le nombre d'abonnements ne correspondait pas à ce que vous escomptiez au moment de la passation du marché. Pensez-vous que le marché a fondamentalement changé depuis lors ?

M. Olivier Létang. - Le monde change, le football aussi. On était dans une situation unique : un diffuseur connu, qui opère dans d'autres pays, mais un événement extraordinaire, le covid. Parmi les cinq grands championnats d'Europe, nous sommes le seul pays où la compétition a été arrêtée ! Cette décision a eu un impact important sur les diffuseurs, donc sur les clubs. On ne peut pas comparer cette situation avec ce qui se passe aujourd'hui. On a aussi plus de recul maintenant, on voit comment évoluent les droits télé dans les autres pays, où l'on observe aussi un certain ralentissement. La question du distributeur continue de se poser, mais de manière tout à fait différente.

M. Michel Savin, rapporteur. - Après Mediapro et Amazon, arrive la proposition du président de la LFP de créer une société commerciale dont le fonds d'investissement CVC détiendrait 13 % du capital, en contrepartie d'un investissement de 1,5 milliard d'euros. La Ligue a approuvé à l'unanimité cette proposition, ainsi qu'une nouvelle distribution des revenus récurrents, lors de son assemblée générale du 25 mars 2022. Un plan d'affaires prévisionnel a alors été présenté.

Le président de Canal+ avait déclaré au lendemain de l'attribution des droits domestiques à Mediapro, pour quelque 800 millions d'euros, que cette somme était complètement déraisonnable. Ce jugement a semblé validé par le marché conclu trois ans plus tard avec Amazon, qui a obtenu ces droits pour 250 millions d'euros.

Dès lors, quels arguments vous ont convaincus, lors de la présentation du contrat avec CVC, d'approuver un plan d'affaires prévoyant de nouveau des recettes de droits télé de l'ordre de 1,1 milliard d'euros pour la saison 2024-2025, dont 863 millions pour les droits domestiques ?

M. Jean-Michel Aulas. - Après cette déclaration de son président, de fait, Canal+ a racheté à beIN les droits pour une valeur équivalente, 360 millions d'euros. On ne peut pas dire d'un côté que ça ne vaut pas une telle somme, et de l'autre les racheter pour le même prix ! Regardez ce qui vient de se passer pour les droits européens, qui ont une place importante dans l'économie du football : sur l'insistance de la France, l'UEFA a décidé de changer son système de compétition, pour passer à un système dit « suisse », avec une vingtaine de clubs qui peuvent tous s'affronter les uns les autres. Cela permet d'augmenter la valeur des droits de 3,2 milliards à presque 4,1 milliards d'euros, soit une croissance de près de 30 %.

M. Michel Savin, rapporteur. - Vous validez donc, aujourd'hui, l'évaluation à 863 millions d'euros des droits domestiques du football français ? Il semble pourtant difficile d'arriver à ce montant validé par la Ligue en 2022, ce qui risque d'avoir de lourdes conséquences pour certains clubs.

M. Jean-Michel Aulas. - C'est le marché. L'étude est faite ; ensuite, soit il y a des acheteurs, soit il n'y en a pas.

M. Maarten Petermann, représentant du fonds Merlyn Partners, propriétaire du Losc. - Avant tout, permettez-moi de vous remercier de votre invitation et pardonnez-moi de ne pas m'exprimer en français.

Notre club va fêter ses quatre-vingts ans en novembre prochain ; il a failli mourir d'une banqueroute à l'âge de soixante-dix-sept ans, aux alentours de décembre 2020. Il avait été victime d'un mauvais management et de mauvaises décisions économiques. En outre, c'était l'époque du covid, le championnat était suspendu et 90 % de nos revenus s'étaient envolés. Mais, lors de la reprise, nous nous sommes engagés auprès de Jean-Marc Mickeler, président de la DNCG, à être des propriétaires sérieux et fiables.

Nous nous sommes efforcés de négocier les salaires de nos joueurs au nom des circonstances exceptionnelles, sans succès. En outre, le secteur souffre d'un manque structurel d'attractivité financière. La seule ouverture d'un compte bancaire peut se révéler très compliquée. Cela étant, nous avons mené à bien la restructuration et rétabli une bonne santé financière en seulement trois ans, ce qui a supposé de renoncer au versement de tout dividende.

Les nouveaux actionnaires du football français sont conscients des besoins de financement qui se font jour. Il faut en effet réduire le différentiel existant avec les ligues concurrentes.

Pour ma part, si j'ai soutenu l'offre de CVC, c'est avant tout pour la raison suivante : mieux vaut posséder un petit pourcentage d'un ensemble en expansion qu'un fort pourcentage d'un ensemble qui stagne ou décline. Je gardais de surcroît un très bon souvenir du travail mené avec CVC pour la Formule 1, lorsque je travaillais chez J.P. Morgan. Enfin - j'y insiste -, aucune banque, aucun partenaire n'acceptait de nous soutenir financièrement. Cette solution semblait donc tout à fait naturelle.

M. Laurent Lafon, président. - Vous êtes tous de grands chefs d'entreprise, forts d'une indéniable réussite professionnelle. En vertu du plan d'affaires établi, les recettes domestiques devaient être d'environ 863 millions d'euros. Or on savait que le marché n'était pas tout à fait au rendez-vous. Pis, avec le recul, on estime désormais que ces droits seront au maximum de 500 millions d'euros. La somme négociée au titre du plan d'affaires, il y a deux ans seulement, était-elle économiquement crédible ?

M. Joseph Oughourlian. - Ce fut une erreur de recourir à Mediapro. Certes, c'est facile à dire avec le recul. Je précise que je ne faisais pas partie du groupe de présidents de la Ligue qui ont pris cette décision. Malheureusement, je ne connais que trop bien Mediapro puisque je préside l'une des plus grandes sociétés de médias espagnoles, le Grupo Prisa qui contrôle notamment El Pais et des actifs en Amérique latine.

Je connais très bien la réputation de Mediapro en Espagne. Ce n'était pas une bonne idée de donner 80 % des droits à un groupe qui n'a pas une bonne réputation, qui n'offre pas de garanties et qui n'est pas solide financièrement. Si vous pensez que nos plans actuels sont trop optimistes, consultez celui qui a été élaboré en 2018 par Mediapro : il est totalement fantaisiste.

M. Laurent Lafon, président. - Pour ma part, je vous parle de CVC...

M. Joseph Oughourlian. - Ce plan prévoyait notamment 4 millions d'abonnés en l'espace de deux ou trois ans : et, aujourd'hui, Jean-Michel Roussier vient nous donner des leçons... Je veux bien tout entendre mais il faut aussi recadrer.

De plus - Jean-Michel Aulas l'a rappelé -, en 2018, Canal + n'était pas dans le paysage. Cette chaîne est sortie des enchères pour procéder de gré à gré. C'est la loi des affaires et, bien sûr, rien ne l'interdisait. Canal + a fait le pari suivant : beIN n'est pas là, RMC n'a plus d'argent, Orange a renoncé depuis longtemps. Nous sommes donc seuls : nous allons tuer l'enchère. La Ligue a choisi ce qu'il y avait à l'époque, à savoir Mediapro. La série A a peut-être été plus sage en optant pour un autre diffuseur.

M. Laurent Lafon, président. - Je le répète, nous ne parlons plus de Mediapro...

M. Joseph Oughourlian. - Monsieur le président, nous parlons ici du monde des affaires. Quels que soient les écrans de fumée que certains s'efforcent de faire surgir, on se rend bien compte que tous les chemins mènent à Canal +, qui est présent depuis trente ans et qui détient les abonnés. Nous ne sommes pas face à des enfants de choeur : les négociations sont très âpres. Il ne faut pas être naïf.

Quant au prix, il est par définition difficile à déterminer dans une situation de monopole naturel doublé d'un monopsone. Le football français est extrêmement attractif : c'est bien pourquoi les fonds entrent dans les clubs et pourquoi CVC y investit. D'ailleurs, vous devriez vous réjouir de voir des capitaux étrangers arriver, d'autant que trop peu d'investisseurs français misent sur notre football.

Quand on n'est pas en situation de monopole, on observe que Nike double le contrat de la FFF, le portant de 50 à 100 millions d'euros. McDonald's double le contrat qui était celui d'Uber Eats pour le sponsoring de la LFP. Nous ne parlons pas de petites sociétés inconséquentes, mais de grands sponsors disposant d'une réelle expertise. Selon eux, le football français a doublé de valeur en l'espace de quelques années.

Le calcul du prix juste est d'autant plus compliqué que, dans notre métier, le prix détermine le produit. C'est un point très important et c'est tout le sens du plan CVC : dès lors que les droits sont mieux rétribués, on investit davantage dans les clubs, ces derniers deviennent plus performants à l'échelle européenne, plus attractifs, et le nombre de téléspectateurs augmente.

Ce cercle vertueux, les Anglais l'ont compris il y a trente ans : Sky a misé sur la Premier League pour rendre le produit plus attractif. C'est l'idée du deal avec CVC : la spirale vertueuse. C'est ce que CVC a essayé de faire avec la Liga : il n'a pas réussi, faute de pouvoir inclure le Real et le Barça. CVC est d'ailleurs en train de négocier avec la ligue mexicaine pour des montants tout à fait comparables à ceux dont nous parlons au sujet de la Ligue 1. Peut-être que ce n'est pas une bonne affaire pour CVC : à court terme, la situation semble compliquée, mais la vie est longue.

Quand nous avons voté pour le deal avec CVC, nous n'avons pas tant voté pour le plan d'affaires. Nous avons surtout voté pour vendre 13 % de la Mediaco. Nous étions tous pris à la gorge ; les autorités politiques françaises, dans leur grande sagesse, avaient totalement arrêté la compétition de football - c'est un cas unique en Europe - ce qui a tué les droits et, par ricochet, Mediapro.

On ne peut pas regarder le plan CVC sans tenir aucun compte du contexte : on ne parle pas ici du prix du sucre ou du lait. Cela ne marche pas comme ça dans notre métier.

M. Laurent Lafon, président. - La Ligue est tout de même une subdélégation de la FFF, qui est elle-même une délégation du ministère des sports. Vous dépendez d'engagements de l'État : il est normal que vous soyez placés sous le contrôle du Parlement.

M. Joseph Oughourlian. - Bien sûr, et nous avons nous-mêmes demandé à être entendus par vous.

M. Laurent Lafon, président. - Il y a deux ans, vous vous êtes engagés sur 863 millions de recettes des droits domestiques en 2024. Le plan d'affaires aurait pu décliner différentes hypothèses : il ne précise que celle-là. Aujourd'hui, on nous dit qu'il n'y aura que 500 millions d'euros, maximum : on est en droit d'être surpris d'un tel écart. Avec le recul, validez-vous toujours ce plan d'affaires ?

M. Jean-Michel Aulas. - En réponse à vos questions, qui - je le reconnais - sont tout à fait légitimes, je tiens à apporter une précision supplémentaire : CVC n'était pas seul à retenir cette évaluation. L'un des plus grands fonds français en technologie, Silver Lake, à qui j'ai cédé mon entreprise il y a quelques années, avait opté pour cette valorisation : il n'a pas été choisi et en a été fort déçu. S'y ajoutaient deux autres fonds, parmi les meilleurs finançant de la technologie et du sport. Silver Lake, battu sur le fil par CVC, est l'actionnaire de Manchester City. Nous n'avons pas eu affaire à des néophytes.

La valorisation ne tient pas simplement au nombre d'abonnés ou à la typologie des produits proposés. Les paramètres sont multiples. Ils dépendent notamment de la technologie, qui transforme les modes de diffusion. Vous avez noté qu'Apple s'intéresse désormais aux droits américains du sport, pour des montants bien supérieurs à ceux que l'on a pu connaître par le passé. La diffusion linéaire a cédé place à une diffusion mondiale, ce qui implique un changement complet d'approche.

Ainsi, je persiste à penser que le plan d'affaires de CVC était et est rationnel. Un certain nombre d'éléments de contexte, rappelés à l'instant par Joseph Oughourlian, doivent être pris en compte. En particulier, les alliances ayant présidé à la souscription d'un tel plan d'affaires ont toute leur importance. Je n'imagine pas un instant que nous ayons fait, à l'époque, une erreur d'évaluation.

M. Michel Savin, rapporteur. - Étant donné le rythme auquel nous avançons, nous risquons de devoir vous convoquer une seconde fois...

M. Jean-Pierre Caillot. - À l'époque, Canal + a racheté à beIN les droits de deux matchs pour 360 millions d'euros. Disons les choses telles qu'elles sont : le distributeur qui, aujourd'hui, dispose du monopole en France ne fait rien pour que d'autres acteurs puissent intervenir.

Vous l'avez lu dans la presse : quand beIN, très intéressé par le football français, ou d'autres tentent d'intervenir, ils se heurtent toujours à ce monopole. Aujourd'hui, la valeur du football français n'est pas si faible que cela. Elle n'est pas inférieure à celle du football espagnol ou italien.

M. Laurent Lafon, président. - Nous prenons note de vos réponses sur ce point.

M. Olivier Létang. - Si nous sommes devant vous aujourd'hui, c'est parce que l'appel d'offres des droits télé domestiques pose problème.

Les acteurs de CVC sont de grands professionnels, reconnus comme tels et très rationnels. Le football français dispose de la meilleure formation au monde. CVC a mis 1,5 milliard d'euros sur la table ; les trois autres candidats n'ont pu entrer et l'on conçoit leur déception. Le public des stades est sans cesse plus nombreux. Nous disposons d'un spectacle de qualité. Tous ces points sont positifs. Il n'y a qu'un élément négatif : les droits télévisuels domestiques, marqués par un contexte très particulier, à savoir la situation de monopole dont dispose le diffuseur.

J'ai un profond respect pour Canal +, pour tout ce que cette chaîne a fait en faveur du football depuis trente ans et, plus largement, en faveur du sport, en prenant à la fois la Champions League et la Formule 1. Mais j'insiste sur la problématique des droits domestiques du football français et sur le fait que Canal + est devenu un acteur bloquant.

Nous ne parlons pas ici de fonds publics, mais de fonds privés, qui viennent aider les clubs à se professionnaliser, à grandir et à gagner des compétitions.

M. Michel Savin, rapporteur. - Le président de la FFF, que nous avons auditionné, est comme nous très inquiet de l'avenir économique de certains clubs en cas de défaillance, si les montants espérés ne sont pas atteints. Certains clubs conserveront des ressources importantes grâce aux droits internationaux, mais pas tous. Comment équilibrer les budgets ? Comment réduire le nombre de transferts et rester à la hauteur du championnat européen ? Voilà les questions que nous nous posons.

Les montants des droits domestiques n'étant clairement pas à la hauteur du plan d'affaires, on est en droit de s'interroger sur la vraie valeur du football professionnel français. On a l'impression que les présidents de la Ligue n'ont pas tiré les leçons de l'épisode Mediapro...

M. Joseph Oughourlian. - Nous en avons tiré les leçons puisque nous avons vendu à un très bon prix 13 % des droits de la Mediaco.

M. Michel Savin, rapporteur. - En vertu du pacte d'associés, CVC dispose tout de même d'un certain nombre de garanties.

M. Joseph Oughourlian. - In fine, si CVC revend ses droits, il peut passer de 13 % à 14 % de l'ensemble. Franchement, ce n'est pas ça qui m'empêche de dormir la nuit.

M. Michel Savin, rapporteur. - C'est le budget tout entier que CVC peut remettre en cause le cas échéant.

M. Joseph Oughourlian. - Cela fait trente ans que je suis dans les affaires : par définition, quand on vend une affaire à quelqu'un, on fait un plan ambitieux. On ne part pas du principe que les perspectives sont compliquées. Je ne crois pas que Jean-Michel Aulas ait déclaré, lors de la cession de son affaire, que la situation risquait d'être difficile...

Dans cette histoire, nous avons fait une bonne affaire. Le deal avec CVC était inespéré. Tout ce que vous venez de dire ne fait que le confirmer : c'était, finalement, un très bon deal pour les clubs. Nous aurions tous aimé que CVC fasse une bonne affaire : les droits domestiques atteindraient 1 milliard d'euros et nous serions tous contents, même si vous pourriez alors nous reprocher d'avoir vendu trop bas. Nous devrions nous défendre en conséquence, en arguant des difficultés et des incertitudes rencontrées alors par le football français... Le Racing Club de Lens risquait de mettre la clef sous la porte, ni plus ni moins.

M. Jean-Michel Aulas. - En outre, nous parlons du football de manière globale sans prendre en compte l'incroyable développement qu'a connu dans le même temps le football féminin. Canal + y a souscrit, puisque c'est le diffuseur pour six ans. Il ne faut pas être pessimiste ; il va y avoir des solutions.

M. Laurent Lafon, président. - Monsieur Oughourlian, je suis surpris du parallèle que vous dressez avec une vente, alors qu'il s'agit d'une extension du capital.

M. Joseph Oughourlian. - Je pense qu'il y a un malentendu...

M. Laurent Lafon, président. - Vous n'avez pas vendu la Ligue ?

M. Joseph Oughourlian. - Nous avons vendu 13 % de la Mediaco, des droits audiovisuels.

M. Christophe Bouchet déclare, de manière tout à fait surprenante, que nous avons vendu des droits à l'infini. À cet égard, j'ai l'impression d'une confusion entre la dette et les fonds propres. Nous avons vendu les actions d'une société ; nous avons dilué notre capital. C'est la vie quotidienne des affaires.

M. Laurent Lafon, président. - Certes, mais vous avez fait un parallèle avec M. Aulas, qui, lui, a vendu l'OL. Ce n'est pas tout à fait la même opération.

M. Joseph Oughourlian. - Dans un cas, vous vendez toute la société ; dans l'autre, vous faites entrer un actionnaire minoritaire. C'est ce que j'ai fait l'an dernier au club de Lens. Je me suis dilué.

M. Jean-Pierre Caillot. - Vous parlez des droits télé sur la base de ce que vous lisez dans les journaux, alors que des négociations sont en cours. Par définition, tous les acteurs du marché s'efforcent de défendre leurs intérêts. Un vendeur ne dépréciera jamais le bien qu'il propose. Mais, dans ce cas précis, un des opérateurs fait tout pour tirer le prix vers le bas.

Il me semble effectivement nécessaire d'organiser une seconde audition : en cet instant, personne dans cette salle ne sait quelle sera, en définitive, la valeur des droits télé. La presse et les grands spécialistes sont plutôt pessimistes, je vous l'accorde. Mon club lui-même risque d'être en difficulté, demain, si les droits télé ne sont pas à la hauteur. Mais, à ce stade, sans être utopique, je reste optimiste.

M. Adel Ziane. - Nous ne nous contentons pas de lire la presse : nous menons un travail de fond depuis plusieurs mois, sous l'égide de notre président et de notre rapporteur, en rencontrant les acteurs du football français.

Nous ne sommes certes pas dans les affaires depuis trente ans, mais nous sommes, des élus des territoires depuis de nombreuses années ; et en cette qualité nous sommes particulièrement inquiets, car, dans les territoires, les clubs de football ont une grande importance, au-delà des enjeux économiques. Ils ont une mission éducative et jouent un rôle fédérateur.

Nous tous ici sommes des amoureux du football. Il ne s'agit pas de donner davantage de crédit à tel ou tel interlocuteur, mais de comprendre où va le football français.

Je ne suis pas là pour juger le deal avec CVC sur une base économique. De votre point de vue, c'était peut-être un bon deal à court terme. Mais, je le répète, nous devons comprendre la situation actuelle. Le président de la DNCG a notamment évoqué devant nous un scénario crash avec une perte de 20 %. Comment allons-nous passer collectivement ce cap ? Je pense notamment au modèle économique de certains clubs, comme Montpellier, dont 70 % du budget repose sur les droits télé. À cet égard, monsieur Oughourlian, pourriez-vous revenir sur le budget du club de Lens, et la nécessité de vendre pour 100 millions d'euros, que vous avez évoquée récemment lors d'un entretien à la presse ?

Enfin, le deal avec CVC ne va-t-il pas aggraver les inégalités entre clubs ? Ne va-t-on pas accélérer l'évolution vers un football à plusieurs vitesses ? C'est une autre de nos inquiétudes en tant qu'élus.

M. Olivier Létang. - Nous sommes tous des individus rationnels et responsables, mais nous sommes aussi là pour la passion et pour l'émotion.

Aujourd'hui, nos concitoyens souffrent beaucoup, et de plus en plus. Crise des gilets jaunes, épidémie de covid, guerre en Ukraine, inflation, élections anticipées : notre société devient de plus en plus anxiogène. Or ce qui, dans la vie de la Nation, met des dizaines ou des centaines de milliers de personnes dans la rue pour des raisons positives, c'est le football. C'est bien sûr extraordinaire, mais nous avons, de ce fait, une véritable responsabilité, que nous nous efforçons d'honorer.

Vous le soulignez avec raison, les clubs de football sont bien plus que des entreprises de spectacle. Vous n'imaginez pas tout ce que nous pouvons faire, que ce soit par nos fonds de dotation ou par nos fondations. Nous prenons soin de nos territoires, de notre communauté.

Nous sommes tous garants de l'argent public - toutefois, je le répète, dans le cas de CVC, nous ne parlons pas d'argent public. De même, nous sommes tous inquiets. À propos du deal avec CVC, le président de la FFF a parlé d'une opération vitale dans un contexte très particulier.

J'ajoute que l'acteur qui perd aujourd'hui le plus, c'est CVC. L'inquiétude de tout le monde, aujourd'hui, notamment dans les territoires, c'est le montant des droits télé. Mais la situation est tout à fait particulière : l'appel d'offre est en cours et il exige une certaine discrétion. Les discussions se poursuivent et, dans l'attente de leur résultat, tout le monde doit revenir à la raison. Nous devons aboutir à une situation juste et équilibrée ; à une solution bonne pour tout le monde.

Je suis conscient des impacts sociétaux du football, sur lesquels vous avez raison d'insister.

M. Michel Savin, rapporteur. - Le Parlement a voté la possibilité, pour les ligues, de créer des sociétés commerciales ; nous n'y sommes donc pas opposés par principe.

J'ajoute que nous n'avons certainement pas pour but de faire le procès de la Ligue. Au début de nos travaux, en mars dernier, nous espérions tous qu'elle trouverait un partenaire et que les droits télé resteraient à la hauteur du plan d'affaires. Nous nous posons simplement un certain nombre de questions, en particulier quant à l'avenir de certains clubs.

À vous entendre, CVC serait le grand perdant. Mais quelles seront les conséquences pour la Ligue si - j'espère que ce ne sera pas le cas - les représentants de CVC ne votent pas le budget, au motif que l'écart avec le plan d'affaires est supérieur à 10 % ? Le risque pris par CVC reste très mesuré comparé à celui qu'encourt la Ligue. À l'évidence, il faut tirer les leçons de cette opération et corriger certains dispositifs en conséquence, dans une logique de vigilance.

M. Olivier Létang. - Qu'il n'y ait aucune ambiguïté : nous sommes là pour répondre à toutes vos questions, sans exception, et nous comprenons vos interrogations. Mais la problématique principale, ce sont les droits télé domestiques.

M. Maarten Petermann. - À mon sens, CVC, les clubs et la Ligue visent le même objectif : faire grandir le football français, le rendre plus compétitif et augmenter le montant des droits. Les clauses de protection des actionnaires minoritaires sont légitimes et usuelles pour contenir d'éventuelles dérives, qui plus est quand il s'agit de tels montants.

M. Laurent Lafon, président. - L'accord conclu avec CVC prévoit le versement de 1,5 milliard d'euros, pour bonifier le produit Ligue 1 et entraîner un cercle vertueux qui justifie la valorisation des droits de télévision. À peu près 1,1 milliard d'euros, réparti sur trois années, est reversé aux clubs, ce qui participe à cette valorisation du produit. Qu'avez-vous fait, en tant que présidents de club en activité, de la part de ces fonds CVC qui vous est revenue, à hauteur de 80 millions d'euros, par exemple, pour le Losc ? Je crois que le Losc n'en a pas encore perçu l'intégralité, mais qu'il attend un versement cette année.

M. Olivier Létang. - Quand Maarten Petermann et moi-même nous sommes arrivés au mois de décembre 2020, le club du Losc était mort économiquement. Je suis d'ailleurs surpris que l'on ait pu redonner un club français à une personne qui n'a toujours pas son domicile fiscal en France et qui a déjà coulé d'autres clubs à l'étranger. En tant que citoyen, payant mes impôts en France, voir quelle est la situation de ce club aujourd'hui en dépit de l'utilisation de fonds publics... C'est assez moyen !

Depuis, nous avons sauvé le Losc et lui avons permis de respirer économiquement. Le club est aujourd'hui sain financièrement. Nous avons utilisé les fonds CVC non pour réduire sa dette ou retrouver des capitaux propres positifs, mais pour investir dans la formation - celle de notre académie -, dans les infrastructures et le digital. Cela faisait cinq ans qu'aucun des joueurs de l'équipe professionnelle n'avait été formé au sein du club. Nous en avons eu huit l'année dernière, dont trois titulaires. Grâce à nos investissements dans le digital, nous battons ces deux dernières années les records de chiffre d'affaires en ticketing et en merchandising. En ce qui concerne les infrastructures, nous avons investi dans le domaine de Luchin. Nous ne pouvons en revanche pas investir dans notre stade, car nous n'en sommes pas propriétaires.

M. Laurent Lafon, président. - Quels montants précis avez-vous investis sur le total de 80 millions d'euros que vous avez reçu ?

M. Olivier Létang. - Le fléchage est difficile, peut-être 30 millions d'euros. Mais 31 millions d'euros doivent encore nous parvenir l'année prochaine, que nous utiliserons de nouveau dans la formation, les ressources humaines et les infrastructures, pour rendre le club plus fort.

M. Jean-Pierre Caillot. - Pour notre part, nous avons tout perçu, car nous avons perçu beaucoup moins : 33 millions d'euros.

Le Stade de Reims a la réputation d'être un club bien géré. Nous avons passé la crise sanitaire un peu mieux que d'autres. Vous évoquiez les actions menées pendant le covid-19. Notre club est le seul, en France, à avoir demandé à ses joueurs de consentir une diminution de 20 % de leur salaire. L'ensemble du personnel l'a acceptée. Ces actions ont contribué à ce que nous ne sortions pas de la crise avec des fonds propres négatifs, comme un certain nombre de clubs.

Quand le Président Sarkozy a inauguré à Reims le centre de formation et d'entraînement Raymond Kopa, j'étais persuadé, avec ma casquette de chef d'entreprise de la logistique, que je serais tranquille pour dix ans. Nous en sommes à la phase quatre du développement de ce plan.

Concrètement, nous avons investi environ la moitié de l'argent que nous avons reçu dans les infrastructures, dans le développement de la formation et celui de notre centre de formation. Nous sommes obligés d'être vertueux sur la préformation et la post-formation dans la mesure où ce sont des éléments essentiels de l'économie du Stade de Reims.

Le reste de ce que nous avons reçu est allé dans le quotidien de nos dépenses, c'est-à-dire dans la masse salariale, le développement et l'amélioration de l'équipe première, en renforçant les staffs, ou, à la marge, vers d'autres domaines, tel le digital.

M. Jean-Michel Aulas. - Je peux également vous répondre, parce que j'étais alors président de club en exercice. À l'Olympique lyonnais, une moitié des fonds a été investie dans le développement du football féminin, qui vient d'être revendu par mon successeur pour plus de 100 millions de dollars ; l'autre moitié dans la construction d'un équipement, une salle de 16 000 places, afin de développer d'autres activités comme le basketball. Cette salle vient également d'être revendue, pour un montant de 160 millions d'euros. L'effet de levier a donc été considérable.

M. Joseph Oughourlian. - Nous avons aussi investi dans la formation, dans l'amélioration de l'équipe première - à l'époque, le club venait de monter de la Ligue 2 à la Ligue 1 et il fallait être à la hauteur, ce que nous avons fait en finissant septième du championnat - et dans nos infrastructures, qui sont assez importantes avec le centre d'entraînement de La Gaillette créé en 2000. Quand j'ai repris le club en 2016, ces infrastructures avaient été négligées pendant plus de douze ans, le club ayant passé le plus clair de cette période en Ligue 2.

M. Olivier Létang. - Au Losc, nous utilisons ces montants sur trois saisons, mais nous anticipons l'après CVC. À partir de 2025-2026, nous ne les aurons plus dans notre compte d'exploitation et la question des droits télévisuels redeviendra centrale.

M. Michel Savin, rapporteur. - Dans son accord avec CVC sur la société commerciale, la LFP s'engage à indemniser et à tenir quittes les titulaires d'actions de préférence, en l'occurrence CVC, contre toutes les conséquences financières que ces titulaires et cette société subiraient. On voit que CVC a pris beaucoup de garanties.

Nous nous interrogeons à l'égard de ceux qui ont validé l'accord. Il y a certes les présidents de club, mais nous avons aussi demandé à la ministre alors en charge des sports si elle avait eu connaissance du pacte d'associés : elle ne l'a pas eu en sa possession. Or ce document, avec un investissement de CVC à hauteur de 13 %, peut avoir des conséquences notables sur l'ensemble des clubs et la Ligue si - ce que nous n'espérons pas - CVC faisait jouer les droits qui sont les siens en cas de difficultés.

Par ailleurs, certains clubs risquent de pâtir de la fin de l'apport de CVC, avec un troisième et dernier versement cette année, ainsi que des effets d'une nouvelle répartition des droits de retransmission si malheureusement ces droits ne sont pas à la hauteur de ceux qui ont été précédemment obtenus. Les quelques clubs français participant aux compétitions européennes bénéficieront pour leur part de droits européens en nette augmentation. Trouvez-vous la nouvelle répartition équitable ? Comment expliquer que l'ensemble des clubs en aient validé la proposition, alors qu'elle peut nous conduire à un championnat à deux vitesses avec, d'un côté, le PSG, qui dispose de moyens financiers propres, et, de l'autre, certains clubs très pénalisés ? Est-ce une bonne nouvelle pour le football français ?

M. Jean-Michel Aulas. - La répartition adoptée se fonde sur un choix d'élitisme, qui a, lui-aussi, été fait à l'unanimité. On considère qu'il s'y associe une forme de « ruissellement », bénéfique à l'ensemble des clubs, pour autant que le plan retenu réussisse. Dans le cas contraire, il y aurait probablement matière à revoir, de manière démocratique, les clés de répartition. Quoique je ne sois plus à la LFP ni président de club, la question m'intéresse beaucoup en tant que vice-président de la FFF.

Au demeurant, il n'y a pas que les répartitions de droits qui peuvent poser problème. Dans notre système, des clubs aux moyens totalement différents coexistent. Des réflexions seront sûrement à mener s'il advient que l'équilibre choisi ne convient plus.

J'ai trente-six ans d'expérience du football et jamais une telle décision n'avait été prise à l'unanimité. Rendons à Vincent Labrune ce qui lui revient : il a su mettre d'accord les acteurs de deux divisions sur un plan ambitieux et qui, pour l'heure, n'a pas échoué. Le fonds CVC est devenu actionnaire et partenaire. Ses représentants, que vous entendrez cet après-midi, ont certainement aussi des idées à faire valoir pour que le plan réussisse.

Je suis convaincu que les cartes ne sont pas jouées. En revanche, il est gênant que les travaux de la mission d'information interfèrent avec l'appel d'offres. Leur exposition médiatique perturbe nos projets.

M. Michel Savin, rapporteur. - La presse ne couvre pas tant que cela nos travaux.

M. Maarten Petermann. - Nombre d'éléments sont entrés en ligne de compte pour décider la répartition entre les clubs des sommes versées par CVC. Le Losc a perçu 80 millions d'euros, ce qui l'a placé dans le haut du classement des bénéficiaires, sans que nous n'exercions une quelconque forme de lobbying.

Qu'on le veuille ou non, il est normal que le PSG obtienne la part la plus significative car, sans lui, la Ligue 1 perdrait beaucoup de sa valeur et de son intérêt.

Dans le choix de la répartition, le nombre des supporteurs et d'abonnés a également eu son importance. Il est encore logique de valoriser le travail des clubs français sur la scène européenne. Leurs bons résultats dans les compétitions européennes permettent au football français d'obtenir des places supplémentaires en Ligue des Champions, en Ligue Europa ainsi qu'en Ligue Europa Conférence, ce qui est une bonne chose.

La question de l'équité de la répartition a toute sa place et il me semble qu'on s'en est emparé avec tout le sérieux requis.

M. Jean-Pierre Caillot. - Aujourd'hui, au commencement du championnat, on a 40 % de chances d'atteindre une place qualificative à une compétition européenne pour la saison suivante. La clé de répartition que vous évoquez retient un historique de trois années. Des clubs comme le Toulouse FC ou le FC Nantes qui, bien qu'ils aient brillé cette année, ne seront pas européens l'an prochain, conservent donc la possibilité, en poursuivant leur travail, d'accéder aux droits internationaux. C'est ce qui me motive tous les matins.

M. Joseph Oughourlian. - Délibéré, le choix a en effet été celui de l'élitisme. Tandis que, en points UEFA, nous nous faisions rattraper par les Pays-Bas et le Portugal, il importait de conforter la place de la France dans les compétitions européennes, afin que chaque club augmente ses chances de pouvoir les disputer. Nous mettons de l'argent sur les clubs européens, de sorte qu'ils investissent davantage et obtiennent de meilleurs résultats dans ces compétitions.

Sur les droits télé qui seraient répartis d'une manière inéquitable, soyons réalistes, les audiences nous montrent que le PSG est - malheureusement, parce que cela ne va pas dans l'intérêt du RC Lens - très au-dessus des autres clubs. On peut ajouter ensuite l'Olympique de Marseille ou l'Olympique lyonnais.

Une autre ligue nationale, la Liga espagnole, a essayé, dans son accord avec CVC, de se montrer plus équitable envers les petits clubs dans sa répartition des droits. Elle s'est alors confrontée au refus de ses deux principaux clubs, le Real Madrid et le FC Barcelone. Ces clubs ont saisi les tribunaux pour contester la validité de l'accord, lequel reste d'un point de vue juridique en suspens. S'ils devaient gagner leur recours, les autres clubs espagnols qui ont encaissé des droits CVC depuis quelques années pourraient être contraints de les reverser.

L'unanimité des clubs que nous avons obtenue en France ne se constate, pour l'instant, dans aucune autre ligue. Nous verrons si les Mexicains y parviennent à leur tour. Il était évident qu'il fallait donner plus aux grands clubs européens - le PSG, l'Olympique de Marseille, l'Olympique lyonnais. Nous avons finalement trouvé un compromis.

Il n'est peut-être pas le meilleur, et un problème persiste, celui des clubs qui, passant de la Ligue 2 à la Ligue 1, ne perçoivent rien, contrairement aux clubs relégués. C'est en partie ce que Jean-Michel Roussier, le président du club du Havre, met en avant. Je lui réponds que, lorsque le RC Lens est monté en Ligue 1, nous nous sommes retrouvés face à une Ligue qui s'était endettée en recourant au dispositif du prêt garanti par l'État (PGE), qu'elle a remboursé pendant trois ans. Ce PGE était destiné à payer aux clubs les droits de la fin du championnat, que la chaîne Canal+ avait refusé d'acquitter en raison de l'arrêt de la compétition. Notre club n'a alors touché aucune part de cet emprunt, tout en contribuant ensuite, avec les autres clubs, à le rembourser durant trois ans. J'en tire pour leçon, non que nous n'aurions pas dû payer, mais que nous n'aurions pas dû passer les douze années précédentes en Ligue 2.

M. Michel Savin, rapporteur. - Vous évoquez l'Espagne, nous pourrions peut-être citer aussi l'Angleterre, où les écarts entre les différents clubs sont beaucoup moins importants.

Notre inquiétude concerne des clubs comme le Stade de Reims, qui ne parviennent pas à évoluer à l'échelon européen, au moins une fois tous les trois ans, et qui, en conséquence, ne bénéficient pas des mêmes droits que d'autres clubs. Le Stade de Reims est aujourd'hui présidé par un chef d'entreprise français, mais il pourrait entrer demain, s'il devait faire face à des difficultés, dans la spirale des reprises par des fonds d'investissement étrangers.

Vous dites tous que la répartition des droits télé a été votée à l'unanimité. Au cours de nos auditions, des personnes ont indiqué que certains présidents de club avaient subi des pressions pour voter l'accord ou, à tout le moins, pour ne pas voter contre. Niez-vous cette affirmation ?

M. Olivier Létang. - C'est la première fois que je l'entends.

M. Jean-Michel Aulas. - Je représentais la FFF et n'étais donc pas directement partie prenante. Il n'y a jamais eu de pression de ce type. C'est à mettre au crédit de Vincent Labrune : il a su faire l'unanimité sur un projet d'entreprise.

Ce projet rencontre en ce moment quelques difficultés de concrétisation pour les raisons que nous connaissons. Peut-être aussi l'organisation du paysage audiovisuel est-elle ainsi faite qu'il est complexe de réussir avec un plan ambitieux.

M. Laurent Lafon, président. - Dans le procès-verbal du conseil d'administration du 25 mars 2022 de la LFP, au cours duquel vous avez décidé de signer avec CVC, nous lisons que Vincent Labrune « insiste pour expliquer à quel point cette unanimité est un élément fondamental pour CVC compte tenu des précédents observés dans d'autres pays européens pour des opérations similaires. » C'est tout de même une forme de pression !

M. Jean-Pierre Caillot. - Si c'est cela qu'on appelle de la pression...

M. Jean-Michel Aulas. - Nous ne l'avions pas compris en ce sens.

M. Jean-Pierre Caillot. - En tant que président du collège de Ligue 1 à la LFP, j'ai personnellement animé les discussions sur la répartition des droits. Chaque club a regardé l'intérêt général. Peut-être est-ce dû à la crise sanitaire, car cela n'avait jamais été le cas auparavant...

Le club de Montpellier a également touché 33 millions d'euros, ce qui correspond au versement pour des clubs moyens. Mon homologue et moi-même nous sommes d'abord demandé pourquoi un club comme le Clermont Foot 63, qui venait d'accéder à l'élite, recevait le même montant que nous. Nous aurions pu, chacun, défendre notre chapelle. Le fait est qu'un club comme le PSG, quand il vient chez nous, nous permet de jouer à guichet fermé. Trois groupes étaient prévus pour la répartition. L'unique aménagement a concerné l'Olympique lyonnais et l'Olympique de Marseille : ces clubs ont obtenu 10 millions d'euros de plus que les nouveaux clubs qui, tels que le Losc, le Stade rennais ou l'OGC Nice, atteignaient leur niveau. Cela a été la seule discussion.

Personne n'est parti de son côté en pensant « se faire avoir ». Ceux qui prétendent le contraire sont des menteurs. Personne n'a eu un revolver sur la tempe pour signer.

À mon modeste niveau, j'ai jugé que la somme de 33 millions d'euros qui nous revenait, parce que nous sommes sérieux et que nous avons une gestion rigoureuse de notre club, nous permettrait d'être plus compétitifs. Si je compare mon club à ses concurrents, deux solutions sont possibles : rendre les clés et vendre à un fonds d'investissement, ou se relever les manches, créer une aventure et essayer d'exister. C'est ce combat-là que le Stade de Reims mène au quotidien, au sein du football français !

M. Maarten Petermann. - Depuis des années, de nombreux fonds d'investissements ont essayé de prendre des participations dans des championnats européens comme l'Italie ou l'Espagne - le championnat français n'a pas été leur premier choix ; il a même plutôt été le dernier -. En dépit de leurs efforts, leurs tentatives ont toujours échoué. Leur échec a précisément tenu à un défaut d'unanimité entre les clubs, particulièrement entre les petits clubs et les clubs moyens qui ne se mettaient jamais d'accord.

C'est pourquoi, face à CVC, nous avons dès le départ défendu l'idée selon laquelle, si nous voulions attirer les investisseurs, nous devions nous montrer unis et mettre de côté toutes les différences qui prévalent entre nos clubs et leurs présidents. C'est ce qui nous rendrait attractifs par rapport à d'autres championnats. Nous y sommes parvenus.

M. Michel Savin, rapporteur. - Nous constatons néanmoins qu'il y a des positions un peu différentes, notamment sur la répartition. Certains souhaitent la conserver pour être compétitifs à l'échelle européenne, d'autres, comme Jean-Michel Aulas, nous disent qu'il faudra peut-être envisager d'en rediscuter les modalités. Si les objectifs affichés ne sont pas atteints, une nouvelle discussion pourrait s'engager au sein de la Ligue. Rien ne l'interdit...

M. Jean-Pierre Caillot. - Vous avez raison. Nous allons être factuels et prendre les étapes une par une. Si, en fonction de nos résultats, la situation devenait inacceptable, avec des petits clubs éprouvant des difficultés, nous nous remettrions autour de la table. Ce ne sont pas de vains mots : depuis que Vincent Labrune en assure la présidence, la Ligue privilégie toujours, dans ses décisions, l'intérêt général de ses clubs.

M. Jean-Michel Aulas. - Le premier intéressé reste CVC, qui a conscience de la situation. Et ce partenaire dispose d'infiniment plus de moyens que d'autres acteurs pour dégager des solutions.

M. Michel Savin, rapporteur. - Le journal L'Équipe indique que la LFP prévoit la création d'une chaîne consacrée à 100 % à la Ligue 1, avec un abonnement de 25 euros par mois. La valorisation en serait d'un peu plus de 700 millions d'euros annuels, avec une première année à 540 millions d'euros.

Au regard de précédentes tentatives, que pensez-vous de ce projet ? La situation actuelle des droits télé ne peut que rappeler celle que nous avons connue en 2020. Mediapro annonçait alors également un abonnement mensuel de 25 euros. Ne sommes-nous pas en train de répéter les mêmes erreurs ?

M. Joseph Oughourlian. - À ma connaissance, Mediapro visait 4 millions d'abonnés. Sans dévoiler les négociations actuelles du collège Ligue 1 de la LFP, disons que le plan présenté est infiniment plus raisonnable. Il nous est évidemment délicat de le commenter plus avant.

Par ailleurs, Mediapro n'avait que 80 % des matchs de la Ligue 1 - et non les meilleurs ! -, beIN Sports puis Canal+ ayant pris la part restante. Si, pour la première fois depuis bien longtemps, une chaîne détient l'exclusivité de tous les matchs de la Ligue 1, nous pouvons espérer qu'il y ait moins de confusion, que le consommateur s'y retrouve et que nous ayons en définitive davantage d'abonnés.

M. Maarten Petermann. - J'ai eu l'occasion de dire à Vincent Labrune qu'il était primordial qu'une offre unique donne aux amateurs de football français l'accès à l'ensemble des matchs et leur permette de suivre leur équipe favorite quelle que soit la compétition dans laquelle elle est engagée. Il y a plusieurs moyens d'y parvenir.

M. Jean-Pierre Caillot. - Avoir par le passé réparti les droits audiovisuels entre différents opérateurs nous a certainement fait perdre du public. Pour les passionnés que nous sommes, parvenir à voir le football suppose que nous nous abonnions à beIN Sports, à Amazon Prime, ou à d'autres diffuseurs, pour un budget mensuel total d'environ 70 euros. Sous cet angle, le projet actuel représente une avancée. Il va ensuite falloir négocier avec les différents diffuseurs.

M. Laurent Lafon, président. - L'appel d'offres que vous aviez lancé voilà quelques mois comprenait pourtant plusieurs lots.

M. Jean-Pierre Caillot. - L'appel d'offres avait été reconstruit et il aurait en effet pu y avoir deux diffuseurs. Nombre de mes amis me disent ne plus s'y retrouver dans les abonnements. Nous allons dans le sens d'une simplification, qui nous permettra de regagner des abonnés. Il deviendra beaucoup plus simple pour tout un chacun de suivre le championnat français.

M. Laurent Lafon, président. - Vous le dites parce que l'appel d'offres a échoué. Pourquoi n'y avoir pas d'abord intégré cet objectif ? Nous ne serions peut-être pas dans la même situation.

M. Jean-Pierre Caillot. - C'était mon sentiment, mais il fallait laisser travailler les professionnels. On pouvait aussi imaginer, sans concevoir un nouveau Mediapro, qu'un seul opérateur prenne les deux ou trois lots proposés. Il en a été un moment question. Les équipes de la LFP ont été les premières surprises que certains diffuseurs ne concrétisent finalement pas une offre qui semblait leur être accessible.

M. Joseph Oughourlian. - Si nous avions pu trouver un diffuseur au prix que nous souhaitions, le marché se serait fait. C'était assurément la meilleure solution pour tout le monde. La Ligue a offert plusieurs lots parce que les diffuseurs ne disposaient pas de l'argent nécessaire à l'achat de l'intégralité des droits. Peut-être terminerons-nous avec un seul diffuseur, mais tous nous disent de manière constante qu'il leur est difficile de réunir de telles sommes.

Les fonds entrent dans les clubs français car les grandes entreprises françaises n'y investissent pas ; elles investissent dans la publicité et le sponsoring. On peut, ou non, le regretter. Celles qui l'ont tenté, comme Peugeot avec le FC Sochaux-Montbéliard, se sont retirées. En Allemagne, où le lien entre le monde des affaires et celui du football est fort, investir dans les clubs est au contraire quelque chose de très commun.

En France, les autorités publiques ne portent pas un regard bienveillant sur le football et n'aiment guère lui apporter leur aide, qu'il s'agisse des infrastructures ou d'avantages fiscaux existant pourtant partout ailleurs en Europe. N'importe quel club français paie ainsi plus d'impôts que le Bayern Munich. C'est culturel. On retrouve aussi cette attitude dans la manière dont les supporteurs sont parfois traités, notamment par les préfets.

Quant au diffuseur national, il préfère payer les 480 millions d'euros des droits de la Ligue des Champions, enrichissant ainsi les autres clubs européens, plutôt que de mettre de l'argent dans la Ligue 1. D'une certaine façon, Canal+ et nous avons échoué et nous nous sommes perdus. Comme dans un divorce, toute la faute n'en revient pas à la chaîne ou à la LFP. Pour notre part, nous devons comprendre ce qui s'est passé, en tirer les leçons et renouer une relation de confiance avec Canal+.

Dans un tel contexte, quand Merlyn Partners reprend le Losc, qui était en situation de banqueroute - ce que tout le monde savait -, c'est une très bonne nouvelle pour les supporteurs de ce club. Il en va de même quand le fonds Redbird reprend le Toulouse FC en Ligue 2, pour le ramener en Ligue 1 et lui donner après seulement un an la possibilité de jouer une compétition européenne, ou lorsque CVC apporte au football français la somme inespérée de 1,5 milliard d'euros.

Ces nouvelles sont extrêmement positives, dans la mesure où les acteurs français sont absents. C'est un sport national, dans notre pays, de dénigrer le football français, en faisant état de son opacité, de l'incompétence de ses présidents de club ou du manque de compétitivité de nos équipes en Europe. Heureusement que nous avons bénéficié de ces fonds. Je le dis d'autant plus volontiers que, comme Jean-Pierre Caillot au contact duquel j'apprends beaucoup, je ne représente pas un fonds. Je suis entré à titre personnel au RC Lens et je me suis sans doute personnellement trop exposé d'un point de vue financier...

M. Laurent Lafon, président. - Je vous remercie de ces réponses. J'ai oublié de préciser que le président de l'Olympique de Marseille avait souhaité être entendu par notre mission d'information. Nous lui avions proposé de s'exprimer à vos côtés, mais son emploi du temps l'en a empêché.

Cette audition a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.

La réunion est close à 12 h 40.

Mission d'information sur l'intervention des fonds d'investissement dans le football professionnel français - Audition de MM. Jean-Christophe Germani, président, et Edouard Conques, managing director, de CVC Capital partners (sera publié ultérieurement)

La réunion est ouverte à 16 heures.

Le compte rendu de cette audition sera publié ultérieurement.

Cette audition a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.

La réunion est close à 18 heures.