Mercredi 12 juin 2024

- Présidence de M. Claude Raynal, président -

La réunion est ouverte à 9 h 30.

Mission d'information sur la dégradation des finances publiques depuis 2023, son suivi par l'administration et le Gouvernement et les modalités d'information du Parlement sur la situation économique, budgétaire et financière de la France - Examen du rapport

M. Claude Raynal, président. - Le rapporteur général et moi-même vous présentons ce matin les conclusions qui nous paraissent devoir être tirées de la mission d'information sur la dégradation des finances publiques depuis 2023, son suivi par l'administration et le Gouvernement et les modalités d'information du Parlement sur la situation économique, budgétaire et financière de la France.

Souvenons-nous : dans la foulée d'un dîner ayant eu lieu à l'Élysée le 20 mars dernier, la presse a fait état d'un chiffre qui ne nous avait jamais été communiqué : un déficit public de 5,6 % en 2023, alors que, depuis septembre 2023 et jusqu'à la dernière prévision disponible, celle de la loi de finances pour 2024 adoptée définitivement le 19 décembre, la prévision était de 4,9 %.

Dès le lendemain, le rapporteur général s'est rendu à Bercy, mettant en oeuvre les attributions qui lui sont conférées par l'article 57 de la loi organique relative aux lois de finances (LOLF), et il a obtenu confirmation de ce chiffre. La semaine suivante, juste après la publication du chiffre officiel de l'Insee, à savoir - 5,5 %, nous avons décidé de lancer cette mission, qualifiée de « flash », puisqu'elle s'achève aujourd'hui après onze semaines seulement de travaux. Le rapporteur général en a été le rapporteur, j'en ai assuré la présidence ; nous avons mené ce travail conjointement, dans le souci de comprendre, mais surtout d'améliorer l'information dont le Parlement dispose en matière de finances publiques, afin de ne plus découvrir les informations dans la presse. Nous vous présenterons donc à deux voix le résultat de nos travaux, que nous proposons à la commission d'adopter.

C'est un travail exceptionnel que nous avons mené par l'exploitation des notes et documents transmis en application de la LOLF par les administrations de Bercy ; soulignons que celles-ci ont parfaitement joué le jeu. Nous sommes entrés en immersion dans la manière dont les prévisions de finances publiques se préparent au sein du Gouvernement ; nous avons pu mieux comprendre le fondement, et parfois la fragilité, des estimations de recettes et de déficit inscrites dans les textes budgétaires, les alertes de l'administration et les réponses, ou l'inaction, du Gouvernement, la transparence et, trop souvent, l'opacité de la communication budgétaire.

M. Jean-François Husson, rapporteur général. - Je commencerai par le constat : un déficit public à 5,5 % du PIB constitue un niveau jamais atteint hors période de crise.

Sous la Ve République, des niveaux plus élevés n'ont été relevés que trois fois : lors de la récession de 1993, au lendemain de la crise financière de 2008 et, enfin, lors de la crise sanitaire récente. Aucune crise comparable ne justifie le déficit public de l'année 2023, qui a par ailleurs doublé depuis 2017, passant de 77 milliards d'euros à 154 milliards d'euros. Et ce doublement est de la responsabilité de l'État et de ses opérateurs, puisque leur déficit a progressé exactement de ces 77 milliards d'euros entre les deux dates. Si la dépense locale a été plus élevée que prévu en 2023, conduisant à une augmentation du déficit des collectivités par rapport à la prévision, il est en revanche éminemment contestable de rendre les collectivités territoriales responsables de la dégradation des comptes publics.

Ce niveau de déficit était une surprise. C'est d'ailleurs la première raison qui a justifié cette mission : il s'agissait de comprendre comment un tel écart entre la prévision et l'exécution avait été possible. Nous nous sommes penchés sur les précédents depuis le début du siècle. Nous n'avons observé un tel écart qu'en 2008, lors de la crise financière.

Mais la situation de 2023 est tout autre ! Cette fois-ci, l'écart entre les prévisions et l'exécution est dû non pas à une erreur de prévision de croissance, celle-ci s'étant élevée à + 0,9 % en 2023, proche du + 1 % prévu, mais à un niveau de recettes plus faible qu'espéré. À politique fiscale inchangée, un même niveau de croissance peut affecter différemment le déficit public, en particulier parce que les prélèvements obligatoires ne réagissent pas toujours avec la même intensité - on parle d'« élasticité » - à la croissance du PIB. Ainsi, en 2023, l'élasticité des prélèvements obligatoires au PIB, qui est en moyenne de 1, a atteint le niveau particulièrement bas de 0,4, après des années 2021 et 2022 exceptionnelles, avec une élasticité de 1,2 et 1,5, qui ont vu des niveaux de recettes eux aussi exceptionnels. Si l'élasticité n'avait pas été aussi forte en 2022, le déficit aurait ainsi pu avoisiner 7 % du PIB.

Le retournement de 2023 avait été anticipé par le Gouvernement, qui prévoyait une élasticité faible, de 0,6. Mais son ampleur avait été sous-estimée. L'année 2023 apparaît, de ce point de vue, comme une normalisation après les niveaux exceptionnels des années précédentes ; il était sans doute difficile de l'apprécier précisément, mais ce n'était pas impossible, puisqu'une élasticité de 0,2 avait été observée en 2013.

M. Claude Raynal, président. - Après ces considérations d'ordre macroéconomique, nous avons analysé précisément les documents dont nous disposions pour identifier l'origine de l'écart entre prévision et exécution.

Je commence par l'État. En recettes, le fort écart par rapport à la prévision est d'abord dû à une prévision quelque peu hasardeuse. En dépenses, les fameuses « économies » revendiquées par le Gouvernement en fin d'année sont en trompe-l'oeil.

Nous savons que le produit de l'impôt sur les sociétés est difficile à prévoir. Le budget de l'État repose de plus en plus sur de telles recettes volatiles, puisqu'il a abandonné plus de la moitié de la recette de la TVA. Le Gouvernement nous explique que la moins-value d'impôt sur les sociétés en fin d'année est due à un cinquième acompte moins élevé que prévu. En réalité, il avait fait une prévision de cinquième acompte, net de l'autolimitation, de + 3 milliards d'euros, niveau très élevé par rapport au passé, et qu'aucune considération précise ne justifiait. L'exécution a été de -2,4 milliards d'euros, soit un écart de plus de 5 milliards d'euros. En remontant le film de l'année 2023, nous avons découvert - plus exactement, le ministre de l'économie et des finances nous a révélé, lors de son audition - que c'est dès le programme de stabilité, au mois d'avril, qu'une estimation très surprenante du produit de l'impôt sur les sociétés avait été établie : 67,4 milliards d'euros, soit 12 milliards d'euros de plus que l'estimation qui avait fondé la loi de finances initiale quatre mois plus tôt. Mais le programme de stabilité ne donnait aucune explication à ce sujet.

Si un doute émerge de nos travaux, c'est que, pour maintenir la prévision de déficit public inchangée, dans un contexte où le produit de la contribution sur la rente inframarginale d'électricité (Crim) s'effondrait, il fallait bien que d'autres recettes progressent. En effet, ce qui a changé entre la loi de finances initiale et le mois d'avril, c'est la prévision du produit de la Crim, qui avait été chiffré à 12 milliards d'euros en loi de finances initiale et n'a finalement rapporté que 626 millions d'euros. L'estimation initiale se fondait sur un prix spot de l'électricité supérieur à 500 euros par mégawattheure, situation qui, au cours des années récentes, s'est vérifiée uniquement pendant quelques semaines en août et septembre 2022, c'est-à-dire au moment de l'écriture de la loi de finances. Le prix était déjà retombé au moment de l'adoption de celle-ci. Entre 12 milliards d'euros et 626 millions d'euros, la moins-value est record, - 95 %. Certes, parallèlement, le coût du bouclier tarifaire et d'autres mesures destinées à atténuer la crise énergétique étaient également réduits, mais l'erreur de prévision pour cette recette se situe tout de même à plusieurs milliards d'euros.

Plus globalement, plusieurs graphiques de notre rapport vous montreront que les recettes fiscales en 2023 ont finalement toutes été inférieures à des prévisions gouvernementales mal justifiées et imprudentes.

Il n'était pas non plus prudent de s'accrocher toute l'année à un objectif de déficit de 4,9 %, devenu inaccessible.

Nous proposons de fixer désormais des estimations plus prudentes : par exemple, ne pas faire de prévisions, qui sont plutôt des prédictions, sur le cinquième acompte d'impôt sur les sociétés net de l'autolimitation, car ce montant, positif ou négatif selon les années, dépend des anticipations et des stratégies des entreprises. Il ne peut pas être réellement prévu.

J'en viens aux collectivités. Le solde prévu au moment de l'examen du budget 2023 était de - 0,1 % du PIB, puis de - 0,3 % du PIB lors de l'examen du projet de loi de finances de fin de gestion. Le solde exécuté s'est trouvé légèrement en deçà, à - 0,4 % du PIB. Les grandes tendances - dynamisme de l'investissement local et baisse des recettes de droits de mutation à titre onéreux (DMTO) - avaient certes été identifiées en fin d'année 2023, mais elles avaient été sous-estimées.

Le solde des administrations de sécurité sociale, qui avait été anticipé à + 0,7 % du PIB lors de l'examen du projet de loi de finances de fin de gestion pour 2023, s'est révélé en retrait, à + 0,5 % du PIB, principalement du fait d'une estimation trop optimiste de l'évolution de la masse salariale, à l'origine d'une surestimation des cotisations et contributions sociales. Dans la mesure où ces dernières représentent 28 % des recettes publiques, une erreur, même faible, de prévision sur cette masse salariale a des conséquences importantes sur la prévision des recettes publiques.

Enfin, l'effet du passage de la base 2014 à la base 2020 des comptes nationaux effectuée par l'Insee sous l'impulsion d'Eurostat est à l'origine de 0,14 point - sur 0,6 point - d'écart entre la prévision du projet de loi de finances de fin de gestion 2023 et l'exécution.

Cette forte dégradation du déficit pour 2023 aura, du fait d'un effet « base », un impact important sur l'année 2024, qui pourrait se trouver encore renforcé en raison d'une faible élasticité des prélèvements obligatoires au PIB. Cet effet « base » explique pour une grande part la révision de la prévision de déficit de 4,4 % à 5,1 %. Avant toutes les mesures d'économies envisagées depuis le décret d'annulation du 21 février, la prévision technique de déficit public était même de 5,7 % pour 2024, très loin des 4,4 % de la loi de finances initiale !

Après ce panorama de l'exécution budgétaire de l'année 2023 et de ses effets sur 2024, comment le Gouvernement a-t-il réagi ? Disons-le clairement, nous jugeons qu'il n'a pas fait assez et que ce qu'il a fait, il l'a fait trop tard.

Dès la préparation du PLF 2023, le niveau exceptionnellement élevé des élasticités enregistrées en 2021 et 2022 aurait dû être davantage pris en compte. En particulier, l'exécution 2023 a montré que l'impact de la baisse du taux d'impôt sur les sociétés, de 33 % à 25 %, devait être plus nuancé que ne l'indique le Gouvernement, qui expliquait fréquemment que cette diminution aurait pour effet mécanique une hausse du produit de l'impôt. Nous pensons que l'impératif de prudence doit conduire le Gouvernement à une présentation d'intervalles de confiance dans ses prévisions de croissance et de solde public, ce qui, j'insiste, a déjà existé par le passé.

A contrario, l'imprudence du Gouvernement a porté atteinte à la crédibilité de la France et de son Gouvernement. Elle a finalement abouti à la dégradation de la notation de la France par Standard & Poor's, le 31 mai 2024, que l'agence de notation a largement justifiée par le dérapage budgétaire de l'exercice 2023. À cet égard, je vous laisse savourer ici les propos de l'actuel ministre de l'économie et des finances lorsque la notation de la France avait connu une dégradation, par la même agence, en 2013 : « Cette dégradation est un carton rouge à la politique économique et budgétaire de François Hollande. » On aurait envie de reprendre ses propos aujourd'hui...

M. Jean-François Husson, rapporteur général. - Sur les dépenses de l'État, lors de leur audition, les ministres n'ont eu de cesse de mettre en avant le « pilotage » de la dépense réalisé par le Gouvernement au cours de la « perfect storm », pour reprendre les mots du ministre de l'économie et des finances. Nous avons déjà vu que cette « tempête parfaite » résultait largement d'une prévision aussi imparfaite qu'imprudente...

Qu'a donc fait le pilote pour redresser la barre ? Comment a-t-il réussi cette performance, ce tour de magie, de réduire de 6 milliards d'euros la dépense au cours des trois ou quatre dernières semaines de l'année ?

En réalité, ce n'est pas dans les dernières semaines d'une année qu'on peut agir très significativement sur la dépense. Les mesures prises relèvent d'économies de constatation ou de simples décalages de dépenses.

Ainsi le Gouvernement a-t-il décalé 1,6 milliard d'euros de dépenses de la mission « Défense » vers 2024, transférant du déficit d'une année à l'autre ; il a reporté le financement de la fin du guichet d'aide aux entreprises énergo-intensives à 2024, pour 2,4 milliards d'euros et, enfin, il a constaté que les collectivités n'avaient pas eu recours au filet de sécurité contre les prix de l'énergie autant qu'il avait été prévu, soit une économie de constatation de 1,3 milliard d'euros.

S'agissant des reports de crédits, ils sont donc utilisés pour réduire le déficit d'une année tout en augmentant celui de l'année suivante. Ce n'est malheureusement pas une surprise pour nous, qui dénonçons depuis maintenant trois années l'abus de cette technique. Les travaux de notre mission nous ont permis de voir ce que nous soupçonnions déjà : les reports de crédit sont une politique systématique de gestion budgétaire. À travers les négociations entre les ministères et Bercy se développe un circuit budgétaire parallèle à celui de l'autorisation en loi de finances, qui se perpétue d'année en année. Il est nécessaire que le Gouvernement mette fin à cette pratique. Il faut par ailleurs qu'il en informe réellement le Parlement, car ce circuit budgétaire est aujourd'hui absent du tableau d'équilibre des lois de finances alors qu'il pèse in fine sur le budget exécuté et sur la dette souscrite.

Cette mauvaise pratique budgétaire s'ajoute aux autres : la loi de finances initiale pour 2024 a prévu des crédits en hausse pour l'ensemble des ministères. Un mois et demi plus tard seulement, le Gouvernement annule - excusez du peu ! - 10 milliards d'euros en urgence. Au même moment, 16 milliards d'euros de crédits sont reportés, donc ajoutés à la gestion 2024. Ce pilotage par à-coups se substitue à une politique budgétaire solide qui permettrait à la fois de redresser les comptes publics et de donner tant au Parlement qu'aux gestionnaires de programmes budgétaires la visibilité nécessaire.

Venons-en au traitement par le Gouvernement des informations dont il dispose concernant la situation économique et budgétaire de la France, dans sa relation avec le Parlement. Nous observons une forme de procrastination coupable d'un gouvernement qui ne tient pas compte des alertes de son administration.

Nous le reconnaissons, dans le cadre de la préparation du projet de loi de finances de fin de gestion 2023 et du PLF 2024, il était difficile pour le Gouvernement de retenir des hypothèses différentes de déficit tant pour 2023 que pour 2024.

Mais une dégradation assez nette commence à se faire sentir à partir de fin octobre : deux notes du 30 octobre concernant les recettes d'impôt sur le revenu et de TVA indiquent des moins-values par rapport aux prévisions. Cette dégradation se confirme par une note du 27 novembre 2023 indiquant une diminution sérieuse des recettes de TVA par rapport aux prévisions et comprenant une remarque manuscrite lourde de sous-entendus du directeur général des finances publiques indiquant : « Ce n'est pas une bonne nouvelle... ». Cette série d'indices converge vers une première révision à la baisse de la prévision de solde public pour 2023 à hauteur de -5,2 % du PIB, communiquée au ministre dans une note du 7 décembre 2023.

Bien que cette note recommande de ne pas communiquer autour de cette prévision encore entourée de forts aléas, la mission d'information rappelle que la décision d'actualiser ou non les articles liminaire et d'équilibre du projet de loi de finances résulte d'un choix politique.

En l'occurrence, pour le PLF 2024, cette absence d'actualisation a privé les parlementaires des informations dont le Gouvernement disposait sur la réalité de la situation budgétaire du pays, des informations certes imparfaites, mais plus proches de la réalité que les prévisions initiales. Elle a en particulier empêché les députés, appelés à se prononcer sur une motion de censure déposée par l'opposition dans le cadre de la procédure prévue par l'article 49, alinéa 3, de la Constitution, de voter en pleine connaissance de cause.

Le manque de rigueur du programme de stabilité pour 2024-2027 et l'absence de projet de loi de finances rectificative confirment que le Gouvernement ne mesure pas l'enjeu et ne prend pas suffisamment en compte ce que lui dit son administration.

La mission d'information a ainsi découvert que les prévisions de croissance retenues pour 2024 dans le programme de stabilité, + 1 %, différaient des prévisions techniques préparatoires à ce document et issues des services, + 0,8 %. Ce faisant, elle a identifié une réelle confusion dans la nature de l'exercice de prévision, qui est, par nature, technique, mais qui, sous l'influence du Gouvernement, devient politique. Alors que Bruno Le Maire assume que les chiffres de croissance encadrant le budget constituent une ambition ou un objectif, ils ne sont jamais présentés comme tels, mais toujours, comme il se doit, comme des prévisions. Ils ont par ailleurs un effet direct sur les prévisions de déficit public, qui, dès lors, peuvent être considérées non plus comme des prévisions, mais plutôt comme des objectifs, voire des « voeux pieux ».

M. Claude Raynal, président. - Le dernier chapitre du rapport, en forme de conclusion, est consacré à l'information du Parlement.

Les informations dont nous disposons ne sont pas simples à obtenir. Le Gouvernement préférerait ne pas expliquer trop précisément les fondements des chiffres qu'il inscrit dans les textes financiers. C'est pourquoi nous proposons que les notes techniques des administrations soient mises à disposition de manière plus aisée, mais avec toutes les garanties de sécurité nécessaires, au président et au rapporteur général des commissions de chacune des deux assemblées, sans qu'ils aient besoin de faire à chaque fois un contrôle sur pièces et sur place à Bercy. Nous préconisons aussi que les commissions des finances soient saisies en cas d'alerte sur une possible sortie des estimations hors des intervalles de confiance donnés dans le dernier texte financier.

Le programme de stabilité, en particulier, qui peut-être le seul texte disponible pendant les neuf premiers mois de l'année, est aussi celui pour lequel le scénario est présenté de la manière la plus sommaire : il devrait être, au minimum, accompagné d'une présentation de l'ensemble des hypothèses de recettes, impôt par impôt, sous-jacentes au scénario financier ainsi communiqué à nos partenaires européens.

Par ailleurs, comme pour le Parlement, nous pensons que l'information du Haut Conseil des finances publiques (HCFP) doit être améliorée. Son mandat a en effet été élargi par la loi organique du 28 décembre 2021 relative à la modernisation de la gestion des finances publiques, qui prévoit que les avis du Haut Conseil portent sur le réalisme des recettes et des dépenses inscrites dans les textes financiers. Il paraît dès lors indispensable de lui donner aussi accès aux notes fournies par l'administration, qu'il s'agisse des prévisions de recettes fiscales, de croissance, ou de déficit public.

Pour améliorer l'information dont dispose le Parlement, le HCFP gagnerait à être saisi en cas de « recalibrage » du projet de loi de finances au cours de la discussion d'automne du PLF. Il serait saisi d'un document de mise à jour des hypothèses macroéconomiques pour l'année en cours et de ses conséquences sur l'année à venir, document présenté par le Gouvernement et pouvant donner lieu à des amendements d'actualisation sur les articles liminaire et d'équilibre.

M. Jean-François Husson, rapporteur général. - Sur ces sujets relatifs à l'information, le ministre de l'économie et des finances a affiché une relative volonté d'ouverture lors de son audition. On pourrait s'en réjouir, mais je rappelle qu'il n'a pas toujours respecté les obligations qui lui incombent actuellement en vertu de LOLF, en particulier de son article 57, comme je le lui ai rappelé.

En effet, à l'occasion du décret d'annulation du 21 février 2024, le ministère des finances a reçu un questionnaire signé par le Président de la commission et par moi-même, dans lequel il lui était demandé le niveau qu'atteindrait le déficit public sans les annulations portées par le décret. Nous avons reçu pour toute réponse un renvoi au programme de stabilité à venir. Pas de réponse, donc. Or, dans le cadre de nos travaux, nous avons découvert qu'une note du Trésor du 16 février 2024 comportait précisément l'information que nous demandions. Elle faisait état - nous l'avons dit précédemment - d'une prévision de solde de - 5,7 % du PIB pour 2024, au lieu des - 4,4 % encore rappelés par le ministre sur TF1 lors de son annonce du décret d'annulation. Cette information, disponible, n'a donc pas été transmise à la commission des finances, en violation manifeste de l'article 57 de la LOLF, que le ministre des finances a visiblement totalement occulté de sa mémoire.

C'est un exemple supplémentaire d'une forme de - le terme lui déplaît beaucoup, à tort - rétention d'information. C'est dommage ; c'est même coupable. Je pense qu'il faudra y remédier. Nous gagnerions à avoir une information mieux partagée, afin que chacun puisse se déterminer ensuite.

M. Marc Laménie. - Je vous remercie de ce travail d'enquête. Vous évoquez l'absence de loi de finances rectificative cette année. Rappelons qu'il y en avait eu plusieurs en 2020. Insistez-vous, dans vos recommandations, sur l'obligation pour le Gouvernement d'en présenter aujourd'hui ? Par ailleurs, avez-vous travaillé sur la question de l'endettement ?

Mme Marie-Claire Carrère-Gée. - Je félicite à mon tour notre président et notre rapporteur général, dont le rapport fera, je le crois, partie des travaux de référence importants du Sénat.

À mon sens, outre la dimension rétrospective, il serait intéressant d'avoir une quantification de l'effet base de ce qui s'est produit en 2023, ainsi qu'une analyse de ses conséquences sur le budget pour 2024, afin que les Français puissent se faire une idée claire de la situation et des perspectives.

M. Jean-Raymond Hugonet. - Je remercie notre président et notre rapporteur général, ainsi que toutes les équipes ayant participé à ce travail.

L'audition du 30 mai dernier, très intéressante et de haute tenue, a permis de montrer que la réalité était assez éloignée de ce que le ministre des finances pouvait nous indiquer. La surestimation et les reports des crédits sont des grosses ficelles.

Allons-nous pouvoir garder la main sur les propositions que nous serons amenés à formuler lors des prochains projets de loi de finances ? L'audition a mis en lumière que des chiffres étaient sous-estimés et que des éléments étaient cachés à la représentation nationale. Mais comment allons-nous pouvoir cranter les choses dans un contexte aussi difficile pour notre pays ? Nous ne savons pas qui sera au pouvoir demain...

Mme Isabelle Briquet. - Je salue le travail qui a été effectué et les recommandations qui sont formulées, notamment s'agissant du rôle et de l'information du Parlement.

Mon point de vigilance concerne les collectivités locales. Nous constatons une volonté de les mettre à contribution, mais je sais pouvoir compter sur l'ensemble du Sénat pour qu'elles fassent l'objet d'un traitement particulier. En ces temps troublés, où certains risques pointent à l'horizon, elles sont le gage d'une stabilité démocratique. Je crois qu'il importe de les préserver et de leur donner les moyens d'action nécessaires. Elles seront bien utiles au pays.

M. Pascal Savoldelli. - Je vous remercie de ce travail, qui est d'intérêt général. Je voterai ce rapport, même si je n'aurais sans doute pas écrit exactement la même chose que ses auteurs sur certains points, par exemple sur le bien-fondé des agences de notation.

Mais quelle est la portée de tels travaux, qui obtiennent souvent l'approbation majoritaire, voire unanime, des membres d'une mission ? Si nous avons une unanimité sur les quinze recommandations, donnons-nous le mandat de les faire vivre !

M. Grégory Blanc. - Je souligne la qualité du rapport, qui montre le besoin d'un « atterrissage » démocratique dans la gestion des finances publiques. Certaines pratiques inhabituelles pouvaient se comprendre durant la crise sanitaire, mais il faut aujourd'hui se remettre dans le droit fil des règles républicaines. Dans la séquence actuelle, il est important de réaffirmer le contrôle démocratique de l'action du Gouvernement par le Parlement. Je voterai le rapport.

Je pense qu'en tant que parlementaires, nous devons contribuer à mieux définir le principe de la sincérité budgétaire dans le cadre des textes financiers.

Vous soulignez à juste titre la nécessité d'un projet de loi de finances rectificative en cas de modification importante des prévisions sous-tendant la loi de finances initiale. Nous sommes d'accord sur le principe. Mais il y a besoin de précisions sur sa traduction concrète. Par exemple, à partir de quel montant ?

À l'instar de Pascal Savoldelli, j'aimerais savoir quelle sera la suite. Comment pouvons-nous, en tant que parlementaires, nous saisir de ce rapport pour qu'il ait une traduction législative ? Nous devons prendre des initiatives.

Mme Christine Lavarde. - Je remercie les auteurs du rapport. J'aimerais avoir des précisions sur la mise en oeuvre de deux recommandations, auxquelles je souscris.

Selon le ministre, pour améliorer le suivi des recettes, il faudrait changer intégralement le système informatique de Bercy. Avez-vous des informations complémentaires sur la durée et les coûts d'un tel chantier ?

Dans votre esprit, les intervalles de confiance mentionnés dans le rapport seraient-ils également soumis à l'avis du Haut Conseil des finances publiques ?

Mme Marie-Claire Carrère-Gée. - Je souhaite ajouter une suggestion de forme. Ne faudrait-il pas mentionner en premier l'exigence de respect par le Gouvernement de l'article 57 de la loi organique, qui constitue davantage qu'une simple recommandation, avant de détailler les recommandations ?

M. Claude Raynal, président. - Nous pourrions aussi présenter les choses ainsi. Mais il importe en tout cas d'afficher clairement cette exigence.

M. Jean-François Husson, rapporteur général. - Ce qui m'a frappé lorsque j'ai interrogé le ministre, c'est qu'il y avait une forme, que j'espère feinte, d'ignorance sur certains éléments sur lesquels nous l'interrogions.

Aux termes de la loi organique, le Gouvernement doit donner des informations. Des notes internes qui contenaient des éléments pertinents ne nous ont pas été communiquées alors qu'il y a une obligation légale de le faire. C'est plus que de la rétention d'information. Je n'ai pas voulu engager de polémique...

Les suites données à notre rapport dépendront des gouvernements futurs, ainsi que de leur volonté, ou non, d'informer la représentation nationale, quelle que soit la configuration politique de l'Assemblée nationale. Ce qui s'est passé en l'occurrence n'est pas satisfaisant.

Monsieur Laménie, nous pensons évidemment qu'il faut une loi de finances rectificative ; j'avais d'ailleurs interrogé le ministre en reprenant une décision du Conseil constitutionnel sur le sujet. Je crois que l'on n'y échappera pas. Il y a des reports de crédits, et des revues de dépenses vont arriver. Ceux qui seront aux affaires demain feront certainement un point zéro. Je pense que la situation va être très tendue.

C'est pourquoi il faut acter la nécessité d'une meilleure information du Parlement. Nous le voyons bien, le fait d'enjamber le Parlement nuit plus que la tenue d'un dialogue dans lequel chacun soutient évidemment ses positions, mais avec la possibilité in fine d'avoir des trajectoires partagées.

Madame Briquet, nous sommes la chambre des collectivités locales ; il est normal que nous soyons attentifs à leur sort. Mais, au regard de la situation actuelle, je ne pense pas qu'il faille exonérer par principe tel ou tel secteur des administrations de l'effort. En revanche, je crois qu'il faut se fonder sur la réalité de la « contribution » de chacun au déficit. Et les chiffres de celle de l'État sont édifiants. Se défausser sur les collectivités locales serait un très mauvais signal. Pour autant, cela ne dispense pas ces dernières de participer à la recherche d'une meilleure efficacité de la dépense publique. Il faudrait parvenir à des diagnostics communs. Mais, à mon avis, l'exercice sera difficile, car il faudra examiner le rôle passé des uns et des autres ; et je note qu'il y a eu dans le passé un quinquennat particulièrement douloureux pour les finances des collectivités locales...

M. Claude Raynal, président. - Monsieur Laménie, le rapport ne portait pas sur l'endettement, mais c'est un véritable sujet par ailleurs.

Je précise que la position personnelle du ministre de l'économie et des finances - soyons justes à son égard - était de déposer un projet de loi de finances rectificative. Il y a même eu une polémique quasi publique entre lui et le Président de la République sur le sujet. Certes, on peut toujours procéder à des gels de crédits. Mais quand on passe des gels de crédits aux annulations, cela relève de la politique, et le Parlement doit être consulté, d'où la nécessité d'un projet de loi de finances rectificative.

Je rejoins notre rapporteur général : on ne peut pas accepter que les collectivités locales ou leurs groupements considèrent que les finances nationales ne les concernent pas. Certes, il faut évidemment les protéger et commencer par rappeler qu'elles ne sont pas responsables de la dégradation des comptes publics. Mais il convient de définir des priorités. Si la défense, l'éducation nationale ou la santé sont prioritaires aujourd'hui, cela signifie que des investissements locaux le sont moins. Mais pour qu'il soit possible de mener la réflexion sur le sujet, il faudrait de la confiance. Or nous ne sommes pas dans un climat de confiance. Le serons-nous avec les gouvernements futurs ? La question reste ouverte...

Monsieur Blanc, la sincérité budgétaire est une vraie question. Simplement, elle s'évalue a posteriori plutôt qu'à la lecture d'une loi de finances initiale. Le rapport contient des éléments intéressants à cet égard : en l'occurrence, nous considérons qu'il y a eu un rééquilibrage fictif. Il s'agit donc d'une insincérité budgétaire volontaire. Le bon critère en matière de sincérité budgétaire, c'est l'existence, ou non, d'une volonté politique de tricher. Une mauvaise appréciation de la croissance future ne relève pas de l'insincérité budgétaire. En l'espèce, le rapport montre a posteriori que des pratiques budgétaires ayant eu cours peuvent, elles, relever d'une telle qualification.

Peut-il y avoir une traduction législative de nos recommandations ? Oui, nombre d'entre elles pourraient figurer dans une proposition de loi organique. Mais le devenir de celle-ci dépend, là encore, de la future composition de l'Assemblée nationale. La publication des intervalles de confiance pourrait ainsi être prévue par une loi organique. Un système d'alerte en cas de sortie de ces intervalles pourrait aussi être prévu par la loi organique, tout comme un éventuel recalibrage au moment de la transmission au Sénat du projet de loi de finances, ou encore une saisine du HCFP à ce moment-là.

M. Jean-François Husson, rapporteur général. - Madame Carrère-Gée, je précise que la dernière information dont nous disposons sur le déficit pour 2024 est la note de la direction du Trésor de février dernier, qui l'évaluait à 5,7 %. Cette note sera actualisée au mois de juillet, en tenant compte du décret d'annulation de crédits et d'autres mesures. Il faudra être très attentif à ce qui sera intégré à cette nouvelle évaluation ; nous ferons le nécessaire pour qu'elle nous soit communiquée.

Madame Lavarde, oui, dans l'esprit de notre recommandation, les intervalles de confiance devraient bien être soumis au HCFP. Au-delà de l'utilité de ces informations pour le débat politique entre une majorité et ses oppositions, il serait quand même pertinent de les fournir au Haut Conseil, qui s'est parfois plaint de manquer d'informations pour son analyse.

Quant au système d'information de Bercy, nous ne sommes pas allés plus loin dans notre étude sur ce point, mais cela pourrait constituer un problème, au vu du temps nécessaire pour mener ce genre de chantiers. L'incident qui a donné lieu à cette mission d'information montre que nous avons besoin de disposer d'éléments. Pour mener à bien notre travail, nous nous sommes appuyés sur ceux que nous ont fournis l'État et ses administrations, sans avoir besoin de chercher ailleurs. Nous n'avons pas de défiance vis-à-vis des chiffres qui nous sont donnés, que chacun peut interpréter comme il le veut.

Les recommandations sont adoptées.

La commission adopte le rapport d'information et en autorise la publication.

La réunion est close à 10 h 40.